Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) - Construction d'une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica) - La Cour

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17482
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Number (Press Release, Order, etc)
2013/18
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas

Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
Site Internet : www.icj-cij.org

Communiqué de presse
Non officiel

o
N 2013/18
Le 25 juillet 2013

Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière
(Costa Rica c. Nicaragua)

Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan
(Nicaragua c. Costa Rica)

La Cour dit que les circonstances, telles qu’elles se présentent actuellement à elle,
ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir de modifier
les mesures indiquées dans l’ordonnance du 8 mars 2011,
et réaffirme ces mesures

LA HAYE, le 25 juillet 2013. La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire
principal de l’Organisation des Nations Unies, par une ordonnance en date du 16 juillet 2013 s’est

prononcée sur les demandes présentées respectivement par le Costa Rica et le Nicaragua et tendant
à la modification des mesures conservatoires indiquées par la Cour, le 8 mars 2011, dans l’affaire
relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica
c. Nicaragua) (ci-après «l’affaire Costa Rica c. Nicaragua»).

Dans son ordonnance du 16 juillet 2013, la Cour dit, par 15 voix contre 2, «que les

circonstances, telles qu’elles se présentent actuellement à elle, ne sont pas de nature à exiger
l’exercice de son pouvoir de modifier les mesures indiquées dans l’ordonnance du 8 mars 2011».
Elle «[r]éaffirme», à l’unanimité, les mesures conservatoires indiquées dans cette ordonnance, en
particulier celle enjoignant aux Parties de «s’abst[enir] de tout acte qui risquerait d’aggraver ou
d’étendre le différend dont [elle] est saisie ou d’en rendre la solution plus difficile».

Raisonnement de la Cour

La Cour rappelle tout d’abord que, par son ordonnance du 8 mars 2011 rendue dans l’affaire
Costa Rica c. Nicaragua, elle avait notamment indiqué que «[c]haque Partie [devait] s’abst[enir]
d’envoyer ou de maintenir sur le territoire litigieux, y compris le caño, des agents, qu’ils soient
civils, de police ou de sécurité» et que «le Costa Rica pourra[it] envoyer sur le territoire litigieux, y
compris le caño, des agents civils chargés de la protection de l’environnement dans la stricte
mesure où un tel envoi serait nécessaire pour éviter qu’un préjudice irréparable soit causé à la
partie de la zone humide où ce territoire est situé» (au par. 3).

Dans son ordonnance du 16 juillet 2013, la Cour expose les modifications sollicitées par le
Costa Rica, puis par le Nicaragua, et précise que chacune des Parties l’a priée de rejeter la demande
soumise par l’autre (aux par. 12 à 15). La Cour rappelle en outre que, pour se prononcer sur ces demandes, elle doit déterminer si
les conditions énoncées au paragraphe 1 de l’article 76 de son Règlement sont remplies. Ce

paragraphe se lit comme suit : «A la demande d’une partie, la Cour peut, à tout moment avant
l’arrêt définitif en l’affaire, rapporter ou modifier toute décision concernant des mesures
conservatoires si un changement dans la situation lui paraît justifier que cette décision soit
rapportée ou modifiée.» (Au par. 16.)

Demande du Costa Rica

Le Costa Rica se plaint, en premier lieu, de «l’envoi et [du] maintien, par le Nicaragua, d’un
grand nombre de personnes» dans le territoire litigieux et, en second lieu, des «activités entreprises
par ces personnes au détriment dudit territoire et de ses écosystèmes». De l’avis du Costa Rica, ces
faits, intervenus depuis que la Cour a décidé d’indiquer des mesures conservatoires, créent une
situation nouvelle rendant nécessaire la modification de l’ordonnance du 8 mars 2011, sous la
forme de mesures conservatoires additionnelles, afin, notamment, d’empêcher la présence dans le
territoire litigieux de toute personne autre que des agents civils envoyés par le Costa Rica et

chargés de la protection de l’environnement (au par. 19).

Le Nicaragua soutient que les personnes visées par le Costa Rica ne sont pas des agents
relevant des autorités nicaraguayennes, mais des jeunes gens membres d’un mouvement privé (le
Mouvement Guardabarranco de défense de l’environnement) qui séjournent dans ledit territoire
afin d’y mener des activités en rapport avec la préservation de l’environnement (au par. 24).

Décision de la Cour sur la demande du Costa Rica

Dans son ordonnance du 16 juillet 2013, la Cour estime établi que, depuis le prononcé de son
ordonnance du 8 mars 2011, des groupes organisés de personnes, dont la présence n’était pas
envisagée au moment de prendre sa décision d’indiquer des mesures conservatoires, séjournent
régulièrement dans le territoire litigieux. Elle considère que ce fait constitue bien, en l’espèce, un
changement de situation au sens de l’article 76 du Règlement (au par. 25).

La Cour recherche ensuite si ce changement de situation est de nature à justifier la
modification de l’ordonnance de 2011. Elle précise qu’une telle modification est soumise aux
mêmes conditions générales que celles régissant l’indication de mesures conservatoires (article 41
du Statut de la Cour). La Cour rappelle à cet égard qu’elle ne peut indiquer des mesures
conservatoires que lorsqu’un préjudice irréparable risque d’être causé aux droits en litige dans une
procédure judiciaire et que ce pouvoir ne doit être exercé que s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il
existe un risque réel et imminent qu’un tel préjudice soit causé avant que la Cour ait rendu sa

décision définitive (au par. 30).

Après avoir exposé les arguments des Parties sur ces différents points, la Cour estime «qu’en
l’état il n’est pas prouvé à suffisance qu’un risque de préjudice irréparable pèserait sur les droits
allégués par le Costa Rica». Elle précise que «[l]es faits avancés par ce dernier, que ce soit la
présence de ressortissants nicaraguayens ou les activités qu’ils mènent sur le territoire litigieux,
n’apparaissent pas, dans les circonstances actuelles, telles qu’elles sont connues de la Cour, de
nature à porter une atteinte irréparable aux «droits à la souveraineté, à l’intégrité territoriale et à la

non-ingérence dans les territoires costa-riciens»». Par ailleurs, poursuit la Cour, «les éléments
versés au dossier n’établissent pas davantage l’existence d’un risque avéré de dommage irréparable
à l’environnement». En outre, la Cour «n’aperçoit pas, dans les faits tels qu’ils lui ont été
rapportés, l’élément d’urgence qui justifierait l’indication d’autres mesures conservatoires» (aux
par. 32-35). En conséquence, la Cour considère que, «nonobstant le changement intervenu dans la
situation, les conditions ne sont pas réunies pour qu’elle modifie les mesures qu’elle a indiquées

dans son ordonnance du 8 mars 2011» (au par. 36).

Demande du Nicaragua

Estimant «indéfendable» la demande présentée par le Costa Rica, le Nicaragua présente sa
propre demande tendant à ce que l’ordonnance du 8 mars 2011 soit modifiée ou adaptée. Il estime
qu’un changement est intervenu dans les situations factuelle et juridique en question, en raison,

premièrement, de la construction, par le Costa Rica, d’une route de 160 km le long de la rive droite
du fleuve San Juan et, deuxièmement, de la jonction, par la Cour, des instances dans les deux
affaires. En conséquence, le Nicaragua demande que la Cour modifie son ordonnance du
8 mars 2011 notamment afin de permettre aux deux Parties (et non pas seulement au Costa Rica)
d’envoyer sur le territoire litigieux des agents civils chargés de la protection de l’environnement
(au par. 21).

Le Costa Rica affirme quant à lui qu’aucune partie de la route dont il est question n’est située

dans le territoire litigieux et estime que la jonction des instances dans l’affaire Costa Rica
c. Nicaragua et l’affaire relative à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San
Juan (Nicaragua c. Costa Rica), introduite par le Nicaragua le 21 décembre 2011 (ci-après
«l’affaire Nicaragua c. Costa Rica») «ne signifie pas qu’il existe désormais une seule procédure qui
devrait faire l’objet d’ordonnances conjointes». Il prie en conséquence la Cour de rejeter la
demande du Nicaragua (au par. 22).

Décision de la Cour sur la demande du Nicaragua

Après examen du premier argument du Nicaragua, la Cour rappelle d’abord que, dans le
cadre de l’affaire Nicaragua c. Costa Rica, le Nicaragua l’avait priée, le 19 décembre 2012,
d’examiner d’office si les circonstances de ladite affaire exigeaient l’indication de mesures
conservatoires et qu’elle a estimé, en mars 2013, que tel n’était pas le cas. De plus, la Cour
constate que la construction de la route, qui est au centre de l’affaire Nicaragua c. Costa Rica , est

sans rapport avec la situation considérée dans l’ordonnance rendue le 8 mars 2011 dans l’affaire
Costa Rica c. Nicaragua (aux par. 26-27).

En ce qui concerne le second argument du Nicaragua, la Cour considère que la jonction des
instances dans les deux affaires n’a pas davantage entraîné un changement de situation. Elle
explique que cette jonction est une mesure procédurale qui n’a pas pour effet de rendre ipso facto
applicables, aux faits sous-tendant la seconde affaire, les mesures prescrites au vu d’une situation

spécifique et distincte dans la première (au par. 28).

Dès lors, la Cour estime que le Nicaragua ne peut se prévaloir d’un changement de situation
au sens de l’article 76 du Règlement pour fonder sa demande de modification de l’ordonnance du
8 mars 2011 (au par. 29).

Conclusion de l’ordonnance

Après avoir examiné les demandes des Parties et décidé qu’elle ne pouvait y faire droit, la
Cour note toutefois que «la présence de groupes organisés de ressortissants nicaraguayens dans le
territoire litigieux comporte un risque d’incidents susceptibles d’aggraver le présent différend».
Elle ajoute que cette situation est «exacerbée par l’exiguïté du territoire concerné et le nombre de
ressortissants nicaraguayens y séjournant régulièrement», et tient à exprimer «sa préoccupation à
cet égard» (au par. 37). La Cour estime en conséquence nécessaire de réaffirmer les mesures qu’elle a indiquées dans
son ordonnance du 8 mars 2011 et notamment celle enjoignant aux Parties de «s’abst[enir] de tout

acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont [elle] est saisie ou d’en rendre la
solution plus difficile». Elle note que «les actes qui sont ici visés peuvent consister aussi bien en
des actions qu’en des omissions». Elle rappelle une fois encore aux Parties que «ces mesures ont
un caractère obligatoire … et créent donc des obligations juridiques internationales que chacune
d[’elles] est tenue de respecter» (au par. 38).

Enfin, la Cour souligne que son ordonnance du 16 juillet 2013 est sans préjudice des

conclusions qu’elle pourrait formuler au fond concernant le respect par les Parties de son
ordonnance du 8 mars 2011 (au par. 39).

*

Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit : M. Tomka, président ; M. Sepúlveda-Amor,
vice-président ; MM. Owada, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf,
Greenwood, Mmes Xue et Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, M. Bhandari, juges ;
MM. Guillaume et Dugard, juges ad hoc ; M. Couvreur, greffier.

M. le juge Cançado Trindade et M. le juge ad hoc Dugard ont joint à l’ordonnance les
exposés de leur opinion dissidente. Un résumé de ces opinions dissidentes est annexé au présent

communiqué.

*

Texte intégral de l’ordonnance et historique de la procédure

Le texte intégral de l’ordonnance peut être consulté sur le site Internet de la Cour dans le
dossier des deux affaires concernées (rubrique «Affaires contentieuses»).

Il est rappelé que les instances dans l’affaire Costa Rica c. Nicaragua et dans l’affaire
Nicaragua c. Costa Rica ont été jointes par la Cour le 17 avril 2013 «conformément au principe de
bonne administration de la justice et aux impératifs d’économie judiciaire». L’historique de ces
procédures est exposé aux paragraphes 1 à 11 de l’ordonnance du 16 juillet 2013.

*

La Cour internationale de Justice (CIJ) est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des
Nations Unies (ONU). Elle a été instituée en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et a entamé
ses activités en avril 1946. La Cour a son siège au Palais de la Paix, à La Haye (Pays-Bas). C’est

le seul des six organes principaux de l’ONU dont le siège ne soit pas à New York. La Cour a une
double mission, consistant, d’une part, à régler conformément au droit international les différends
d’ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats (par des arrêts qui ont force obligatoire et sontsans appel pour les parties concernées) et, d’autre part, à donner des avis consultatifs sur les
questions juridiques qui peuvent lui être soumises par les organes de l’ONU et les institutions du

système dûment autorisées à le faire. La Cour est composée de quinze juges, élus pour un mandat
de neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Indépendante du
Secrétariat des Nations Unies, elle est assistée par un Greffe, son propre secrétariat international,
dont l’activité revêt un aspect judiciaire et diplomatique et un aspect administratif. Les langues
officielles de la Cour sont le français et l’anglais. Aussi appelée «Cour mondiale», elle est la seule
juridiction universelle à compétence générale.

Il convient de ne pas confondre la CIJ, juridiction uniquement ouverte aux Etats (pour la
procédure contentieuse) et à certains organes et institutions du système des Nations Unies (pour la
procédure consultative), avec les autres institutions judiciaires, pénales pour la plupart, établies à
La Haye et dans sa proche banlieue, comme par exemple le Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie (ou TPIY, juridiction ad hoc créée par le Conseil de sécurité), la Cour pénale
internationale (CPI, la première juridiction pénale internationale permanente, créée par traité, qui
n’appartient pas au système des Nations Unies), le Tribunal spécial pour le Liban (ou TSL, organe

judiciaire indépendant composé de juges libanais et internationaux), ou encore la Cour permanente
d’arbitrage (CPA, institution indépendante permettant de constituer des tribunaux arbitraux et
facilitant leur fonctionnement, conformément à la Convention de La Haye de 1899).

___________

Département de l’information :

M. Andreï Poskakoukhine, premier secrétaire de la Cour, chef du département (+31 (0)70 302 2336)
M. Boris Heim, attaché d’information (+31 (0)70 302 2337)
Mme Joanne Moore, attachée d’information adjointe (+31 (0)70 302 2394)
Mme Genoveva Madurga, assistante administrative (+31 (0)70 302 2396) o
Annexe au communiqué de presse n 2013/18

Opinion dissidente de M. le juge Cançado Trindade

1. Dans son opinion dissidente, composée de douze parties, le juge Cançado Trindade
déclare n’être pas en mesure de s’associer à la décision prise par la majorité de la Cour (au premier
point du dispositif de son ordonnance) de ne pas indiquer de nouvelles mesures conservatoires dans
le cas d’espèce, le raisonnement et la décision de la majorité étant selon lui «entachés d’une
incohérence foncière» : en effet, bien que la Cour reconnaisse qu’un changement est intervenu dans

la situation, elle n’en tire aucune conséquence, au motif que «les conditions ne sont pas réunies»
pour qu’elle modifie les mesures indiquées dans son ordonnance du 8 mars 2011. Se bornant à
réaffirmer les mesures conservatoires précédemment indiquées, elle exprime pourtant sa
«préoccupation» quant à la nouvelle situation créée dans le territoire litigieux, où se trouvent non
plus des agents (qu’ils soient civils, de police ou de sécurité), mais des «groupes organisés» de
personnes, ou certaines «personnes privées».

2. Le juge Cançado Trindade estime au contraire que le changement intervenu dans les
circonstances entourant les présentes affaires (qui ont fait l’objet d’une jonction), lesquelles
opposent le Costa Rica au Nicaragua et inversement et ont respectivement trait à Certaines activités
menées par le Nicaragua dans la région frontalière et à la Construction d’une route au Costa Rica le
long du fleuve San Juan, imposait à la Cour, eu égard aux dispositions pertinentes de son
instrument constitutif (article 41 du Statut) et de son Règlement (paragraphe 1 de l’article 76)

d’exercer son pouvoir d’indiquer de nouvelles mesures conservatoires afin de répondre à cette
nouvelle situation, qui revêt un caractère d’urgence et comporte un risque de préjudice irréparable
sous la forme d’une atteinte à l’intégrité physique ou à la vie des personnes séjournant dans le
territoire litigieux.

3. Le juge Cançado Trindade se sent donc astreint, et tient, à exposer les fondements de sa
position personnelle sur la question. Les réflexions développées dans son opinion dissidente ont

trait, comme il est indiqué dans la première partie, à des considérations d’ordre factuel et juridique.
Le juge Cançado Trindade rappelle tout d’abord les nouvelles demandes déposées de manière
concomitante par le Costa Rica et le Nicaragua en vue d’obtenir l’indication de mesures
conservatoires supplémentaires, ainsi que les arguments avancés par l’un et par l’autre dans leurs
demandes respectives pour justifier une telle extension des mesures initiales (deuxième partie).
Après avoir relaté les trois missions techniques menées sur les lieux en application de la convention
de Ramsar de 1971 (troisième partie), le juge Cançado Trindade examine les critères relatifs au

caractère d’urgence et au risque ou à la probabilité qu’un préjudice soit causé (sous la forme d’une
atteinte à l’intégrité physique ou à la vie des personnes séjournant dans le territoire
litigieux cinquième partie), puis livre son appréciation générale de la demande du Costa Rica
(quatrième partie) et de celle du Nicaragua (sixième partie).

4. La jonction d’instances ordonnée dans les deux affaires susmentionnées, dont l’une

concerne Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière et l’autre, la
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan, ne constitue pas, aux fins de
l’indication de mesures conservatoires, un changement dans la situation ; en tout état de cause, les
questions soulevées à cet égard par le Nicaragua devront forcément être examinées par la Cour au
stade du fond de la deuxième affaire (par. 37). Or ajoute le juge Cançado Trindade —, un
changement dans la situation a effectivement eu lieu (septième partie) par rapport à l’ordonnance

du 8 mars 2011, puisque les mesures indiquées à l’époque visaient à empêcher la présence sur le
territoire litigieux d’«agents» (qu’ils soient civils, de police ou de sécurité) tandis que, à l’heure
actuelle, ce sont des «groupes organisés» de personnes (de ressortissants nicaraguayens) qui y sont
présents. Il s’agit là d’une situation nouvelle qui revêt un caractère d’urgence, vu le risque
d’incidents susceptibles d’entraîner «une atteinte irrémédiable à l’intégrité physique de personnes
ou à leur vie» (par. 30-31) — pour reprendre les termes du paragraphe 75 de l’ordonnance du

8 mars 2011. Aussi la Cour aurait-elle dû, selon le juge Cançado Trindade, indiquer de nouvelles
mesures conservatoires (par. 33). - 2 -

5. Le juge Cançado Trindade en vient ensuite aux aspects juridiques de la question, à savoir :
a) les effets des mesures conservatoires au-delà de la conception strictement axée sur le territoire ;

b) les bénéficiaires des mesures conservatoires, au-delà de la dimension interétatique
traditionnelle ; et c) les effets des mesures conservatoires au-delà de la dimension interétatique
traditionnelle. En ce qui concerne le premier de ces trois points (relatif aux effets des mesures
conservatoires au-delà de la conception strictement axée sur le territoire), il estime que les faits en
cause devant la Cour «imposent de dépasser la conception traditionnelle de la souveraineté
territoriale de l’Etat» (huitième partie). Il ajoute que les préoccupations exprimées devant la Cour
concernent notamment

«les conditions de vie des personnes dans leur milieu naturel, et la nécessité de
protéger l’environnement. La jurisprudence internationale en la matière (qui est
l’œuvre de différentes juridictions internationales) tend, en l’état, à préciser la nature
juridique des mesures conservatoires en mettant l’accent sur la vocation
essentiellement préventive de celles-ci… Dès lors que sont prescrites des mesures
conservatoires protégeant des droits individuels, ces mesures semblent revêtir un

caractère plus que préventif, mais proprement tutélaire, au-delà de la sauvegarde des
droits des parties (des Etats) qui sont en jeu.» (Par. 38.)

6. Le juge Cançado Trindade rappelle que les circonstances de certaines affaires portées
devant la Cour ont conduit celle-ci, dans ses décisions en matière de mesures conservatoires, à
porter son attention sur la protection des personnes présentes sur le territoire concerné (voir, par
exemple, l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali) (1986) ; l’affaire de
la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria) (1996) ;

l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo
c. Ouganda) (2000) ; et l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie)
(2008) — cf. infra). Dans ces décisions, entre autres — souligne-t-il —, la Cour a commencé à
prêter attention également au sort des personnes, dépassant en cela une conception strictement axée
sur le territoire (par. 39-40).

7. Le juge Cançado Trindade ajoute que, plus récemment, la Cour est encore allée au-delà de
l’approche strictement «territorialiste» dans l’ordonnance en indication de mesures conservatoires
qu’elle a rendue le 18 juillet 2011 en l’affaire relative à la Demande en interprétation de l’arrêt du
15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge
c. Thaïlande). Le droit international — poursuit-t-il — «a, d’une certaine manière, vocation
anticipatoire lorsqu’il régit des faits de société, pour empêcher le désordre et le chaos, ainsi que
tout préjudice irréparable». Telle est la raison d’être des mesures conservatoires : prévenir et éviter

un préjudice irréparable dans des situations présentant un caractère de gravité et d’urgence.
Chacun sait que pareilles mesures sont préventives, en ce qu’elles sont de nature anticipatoire,
tournées vers l’avenir, illustrant ainsi la dimension préventive de la sauvegarde des droits (par. 41).

8. Le juge Cançado Trindade rappelle ensuite que, dans l’opinion individuelle qu’il a jointe à
la récente ordonnance de la Cour en l’affaire du Temple de Préah Vihéar, il a soutenu
que rien, d’un point de vue épistémologique, n’empêchait ou ne rendait inappropriée

l’extension légitime — de la protection offerte à la vie humaine ainsi qu’au patrimoine culturel
et spirituel mondial par des mesures conservatoires du type de celles indiquées dans cette
ordonnance. En fait, les mesures conservatoires indiquées dans cette récente ordonnance avaient
précisément ceci de positif que la protection qu’elles visaient s’étendait non seulement à la zone
territoriale en cause, mais aussi à la vie et à l’intégrité physique des êtres humains vivant ou se
trouvant dans la zone concernée, ou à proximité de celle-ci, aussi bien qu’au temple de
Préah Vihéar lui-même, situé dans ladite zone, et à tout ce que le temple représentait (par. 42).

Dans cette ordonnance, la Cour a donc considéré le territoire et sa population comme indissociables
car, selon la mise en garde formulée alors par le juge Cançado Trindade, - 3 -

«[t]out ne peut pas être ramené à la souveraineté territoriale. Le droit fondamental de

l’homme à la vie n’est en rien subsumé sous la souveraineté de l’Etat… La Cour se
doit d’adapter son mode de pensée et son langage aux besoins nouveaux de protection
lorsqu’elle décide d’indiquer ou de prescrire des mesures conservatoires.» (Par. 43.)

9. Passant au point suivant de son analyse (concernant les bénéficiaires des mesures
conservatoires, au-delà de la dimension interétatique traditionnelle — neuvième partie), le
juge Cançado Trindade fait observer que si, dans le cadre d’une procédure internationale devant la

Cour, seuls les Etats peuvent, en tant que parties en litige, demander l’indication de mesures
conservatoires, il est toutefois apparu ces dernières années, dans le cadre de plusieurs affaires, que
les individus concernés étaient censés être les bénéficiaires ultimes de la procédure, et que c’était
pour eux que, dans différents contextes, les Etats demandeurs avaient plaidé dans l’espoir d’obtenir
de la Cour une ordonnance en indication de mesures conservatoires (par. 44).

10. Il se réfère ainsi à l’ordonnance du 15 décembre 1979 en l’affaire relative au Personnel

diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran) ; à
l’ordonnance du 10 mai 1984 en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et
contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) ; à l’ordonnance du 10 janvier 1986 en
l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali) ; à l’ordonnance du
15 mars 1996 en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria
(Cameroun c. Nigéria) ; à l’ordonnance du 1 juillet 2000 en l’affaire des Activités armées sur le

territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) ; à l’ordonnance du
8 avril 1993 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)) ; et à
l’ordonnance du 15 octobre 2008 en l’affaire relative à l’Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie
c. Fédération de Russie) (par. 44-48).

11. Le juge Cançado Trindade relève que, ces trente dernières années, la Cour est
progressivement sortie de la sphère strictement interétatique du fait de la reconnaissance des droits
qu’il lui est demandé de sauvegarder au moyen de ses ordonnances en indication de mesures
conservatoires. Il ajoute que,

«[r]ivés à leur propre dogmatisme, les nostalgiques du passé peuvent difficilement nier
que, de nos jours, les Etats estant devant la Cour ont, en dépit du caractère

interétatique de sa procédure contentieuse, admis ne plus avoir l’apanage des droits à
protéger, ce qu’ils acceptent d’ailleurs volontiers et c’est tout à leur
honneur lorsqu’ils viennent plaider devant elle pour défendre également des
personnes, leurs ressortissants, voire, dans une perspective plus vaste, leur population
tout entière.

Les faits tendent à précéder les normes, qui doivent dès lors être capables de
s’étendre aux situations nouvelles qu’elles visent à réglementer, compte dûment tenu
des valeurs supérieures. Devant la Cour, jus standi et locus standi in judicio
demeurent certes le propre des Etats, en ce qui concerne les demandes en indication de
mesures conservatoires, mais cela ne s’est pas révélé incompatible avec la protection
des droits de la personne humaine, couplés à ceux des Etats. Après tout, les

bénéficiaires ultimes des droits à sauvegarder ainsi sont, le plus souvent, des êtres
humains en même temps que leurs Etats. Les mesures conservatoires indiquées dans
les ordonnances successives de la Cour ont transcendé la dimension interétatique du
passé, artificielle, pour en venir à sauvegarder aussi les droits dont l’être humain est le
titulaire ultime.» (Par. 49-50.) - 4 -

12. Examinant le dernier de ses trois points (relatif aux effets des mesures conservatoires
au-delà de la dimension interétatique traditionnelle), le juge Cançado Trindade rappelle que, dans

l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique
c. Sénégal) (ordonnance du 28 mai 2009), dans laquelle la Cour a décidé de ne pas indiquer de
mesures conservatoires, il avait indiqué à titre de mise en garde, dans sa longue opinion dissidente,
que l’enjeu était alors le droit fondamental à ce que justice soit faite, droit qui occupait une place
centrale et revêtait une importance cardinale, méritant une attention particulière. Le facteur
crucial — soulignait-il dans son opinion dissidente — tenait à la ténacité des victimes déçues dans
la quête de justice qu’elles menaient depuis vingt ans, en vain, concernant les atrocités attribuées au

régime Habré au Tchad (par. 51).

13. La détermination de l’urgence et du risque de préjudice irréparable est un exercice auquel
la Cour est désormais rompue ; cela étant — poursuit le juge Cançado Trindade —, s’il ne semble
pas particulièrement difficile de déterminer la nature juridique et le contenu matériel du droit à
sauvegarder, il est en revanche moins aisé d’apprécier les effets et les conséquences juridiques de
ce droit, surtout lorsque la Cour n’indique ou n’ordonne pas de mesures conservatoires. Il s’agit là

des effets que les mesures conservatoires peuvent avoir au-delà de la dimension interétatique
traditionnelle. En la matière, «de nombreux progrès restent encore à accomplir, semble-t-il»
(par. 53).

14. Dans le cas d’espèce — ajoute le juge Cançado Trindade —, les nouvelles mesures
conservatoires étaient demandées non seulement à l’égard des agents de la puissance publique,
mais aussi à l’égard de simples particuliers, afin d’éviter que soit causée «une atteinte … à
l’intégrité physique de personnes ou à leur vie», ce qui excède largement la dimension interétatique

traditionnelle (par. 54). Le juge Cançado Trindade conclut enfin sur ce point que

«[l]es Etats sont tenus de protéger toutes les personnes placées sous leur juridiction.
Préventives par nature, les mesures conservatoires ne semblent pas relever uniquement
du domaine de la prudence mais paraissent revêtir un caractère véritablement tutélaire,
en tant qu’elles visent à protéger des personnes contre des actes de harcèlement et des
menaces et, ce faisant, à éviter que soit causée «une atteinte … à l[eur] intégrité

physique … ou à leur vie». En définitive, lorsque les obligations découlant des
mesures conservatoires prescrites sont respectées et dûment mises en œuvre, les Etats
ne sont pas les seuls à en bénéficier : les êtres humains en bénéficient également. Une
conception strictement interétatique ne tient pas compte de cet aspect important. Les
obligations liées aux mesures conservatoires excèdent depuis longtemps la dimension
purement interétatique, qui semble insuffisante, voire inadéquate.» (Par. 56.)

15. Le juge Cançado Trindade en vient ensuite à la question de l’exercice approprié de la

fonction judiciaire internationale dans le présent domaine, et à son refus de ce qu’on appelle la
«prudence judiciaire», qu’il estime être l’art de ne rien faire (onzième partie). Il fait valoir que la
présente ordonnance rendue par la CIJ sur les demandes en indication de mesures conservatoires
présentées dans les affaires relatives à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région
frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et à la Construction d’une route au Costa Rica le long du
fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica) est «entachée d’incohérence manifeste», puisque la Cour
parvient (à propos de la demande du Costa Rica) à la conclusion qu’un changement de situation

s’est produit des «groupes organisés de personnes» dont la présence n’était pas envisagée au
moment où elle a pris sa décision d’indiquer des mesures conservatoires «séjourn[a]nt [à présent]
régulièrement» dans le territoire litigieux , mais n’en tire aucune conséquence (par. 57).

16. La Cour se contente de dire que, nonobstant le changement intervenu dans la situation,
elle considère que les conditions «ne sont pas réunies» pour qu’elle modifie les mesures indiquées

dans sa précédente ordonnance du 8 mars 2011. Pour le juge Cançado Trindade, pareille
conclusion élude tout simplement la question et pire encore, puisque la majorité de la Cour admet,
au paragraphe 37 de la présente ordonnance, qu’il existe effectivement un risque d’incidents dans - 5 -

le territoire litigieux et que cette nouvelle situation «est exacerbée» par «l’exiguïté» du territoire
concerné et la présence sur celui-ci d’un grand «nombre de ressortissants nicaraguayens». Ainsi,

contrairement à la majorité de la Cour, le juge Cançado Trindade soutient que la nouvelle situation
qui s’est fait jour dans la zone litigieuse imposait manifestement de prendre de nouvelles mesures
conservatoires afin d’empêcher ou d’éviter que des dommages irréparables ne soient causés aux
personnes concernées ainsi qu’à l’environnement. Dans les nouvelles mesures conservatoires que
le juge Cançado Trindade aurait appelées de ses vœux, la Cour aurait clairement précisé que
chaque Partie était tenue de s’abstenir d’envoyer ou de maintenir sur le territoire litigieux,
y compris le caño, non seulement des agents (qu’ils soient civils, de police ou de sécurité), mais

également tous «groupes organisés» d’individus ou «particuliers».

17. En fait, ajoute-t-il, ce n’est pas la première fois que la Cour fait preuve d’une «retenue
judiciaire» injustifiée en matière de mesures conservatoires, alors même que les critères relatifs à
l’urgence et à l’existence d’un risque de préjudice irréparable sont remplis. Elle s’est comportée
ainsi il y a quatre ans dans l’ordonnance qu’elle a rendue le 28 mai 2009 en l’affaire relative à des
Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), dans laquelle

elle s’est abstenue d’ordonner ou d’indiquer les mesures conservatoires demandées. Le
juge Cançado Trindade rappelle que, à cette occasion, il avait joint à l’ordonnance une longue
opinion dissidente (comportant 105 paragraphes) dans le but de préserver l’intégrité du corpus juris
que constitue la convention des Nations Unies contre la torture de 1984. Le prononcé de
l’ordonnance du 28 mai 2009, dans laquelle la Cour déclarait que les circonstances de l’affaire ne
nécessitaient pas, selon elle, qu’elle exerce le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires que
lui conférait l’article 41 du Statut, donna rapidement lieu à une succession d’incertitudes, sur fond

de critique de la «futilité» de la «retenue» que celle-ci s’imposait et de «son apparente insensibilité
aux valeurs humaines sous-jacentes» (par. 60-61).

18. A cette occasion, contrairement à la majorité de la Cour, il avait cherché à démontrer que
la situation dans laquelle se trouvaient les victimes qui avaient survécu à la torture ou leurs proches
parents présentait un caractère d’urgence manifeste quant au droit à ce que justice soit faite qu’ils
tenaient de la convention des Nations-Unies contre la torture, mais la Cour préféra «s’appuyer
confortablement sur un acte de promesse unilatérale (conçu dans le cadre traditionnel des relations

interétatiques) fait par l’Etat défendeur au cours de la procédure qui s’était déroulée devant elle».
Pourtant, le juge Cançado Trindade estime que cet engagement «ne changeait rien au fait que les
conditions relatives à l’urgence et à l’existence d’un risque de préjudice irréparable requises pour
indiquer des mesures conservatoires étaient réunies, pas plus qu’il n’effaçait les longues
souffrances infligées aux victimes par le régime Habré, ni la lutte obstinée que celles-ci ont menée
pendant plus de deux décennies pour obtenir que justice soit faite» (par. 62).

19. Malgré cela, la Cour a adopté une «posture passive», si bien qu’elle a été réduite à l’état
de «spectateur des événements qui ont suivi». En effet, à la suite de l’ordonnance qu’elle a rendue
le 28 mai 2009, l’Etat défendeur n’a pris aucune mesure en vue de traduire M. Hissène Habré en
justice sur son territoire ; le retour de ce dernier au Tchad a été annoncé, ainsi que son expulsion
imminente du Sénégal, expulsion qui a par la suite été annulée à la dernière minute du fait de la
pression exercée par l’opinion publique. Le juge Cançado Trindade estime que la Cour «a eu de la
chance» que M. Habré ne se soit pas soustrait au régime de placement en résidence surveillée

auquel il était soumis à Dakar, et qu’il n’ait pas été expulsé du Sénégal. Au lieu de «prendre le
contrôle» de la situation, ajoute-t-il,

«en optant pour la retenue, la Cour a préféré compter sur l’imprévu, s’en remettre à la
chance. Mais elle ne saurait continuer d’agir ainsi, car la chance peut à tout moment
se retourner contre elle. Ainsi que Sophocle, en son éternelle sagesse, nous en
avertissait par la voix du chœur dans l’une de ses tragédies : ne dites jamais qu’un
homme né mortel a été heureux, avant qu’il ait atteint le terme de sa vie sans avoir

souffert (de préjudice corporel ou moral)» (par. 63). - 6 -

20. Dans la présente ordonnance, la CIJ «a de nouveau opté pour la retenue» : cette fois-ci,

après avoir déclaré que la situation avait changé, elle a ajouté que les circonstances qui lui étaient
soumises n’étaient cependant pas telles qu’elles nécessitaient la modification de l’ordonnance
qu’elle avait précédemment rendue le 8 mars 2011, ordonnance qu’elle s’est contentée de
confirmer. De surcroît, elle n’a pas vu d’urgence dans la nouvelle situation. Pour le
juge Cançado Trindade, le raisonnement suivi par la Cour «tient de la pétition de principe,
puisqu’elle n’étaye par aucun argument convaincant sa décision de ne pas ordonner de nouvelles
mesures conservatoires face à la nouvelle situation» ; elle se contente de réaffirmer les mesures

conservatoires précédentes, même pour répondre à une situation nouvelle et distincte, une situation
qui, admet-elle pourtant, a maintenant changé (par. 64).

21. La Cour «établit indûment» une condition supplémentaire à l’indication de mesures
conservatoires, rendant ainsi plus difficile pareille indication ou l’évitant simplement , «en
contradiction avec son instrument constitutif». Selon le juge Cançado Trindade, la Cour «ne

fournit aucun éclaircissement sur sa déclaration, pas plus qu’elle ne l’étaye par une quelconque
démonstration». Le caractère «foncièrement incohérent» de cette décision tient au fait que la Cour,
ayant pourtant établi que la situation a changé, ne modifie pas l’ordonnance qu’elle a
précédemment rendue ou plutôt qu’elle n’en étend pas le champ d’application d’une manière
qui répondrait à la nouvelle situation, laquelle réunit les conditions requises pour que soit constatée
l’existence d’un risque (de dommage corporel, de décès ou de préjudice à l’environnement) et

d’une urgence.

22. Une fois encore, la Cour ne pourra plus désormais qu’«espérer que tout se passe bien»,
non sans avoir exprimé sa «préoccupation» à propos de la nouvelle situation (ainsi qu’elle l’a fait
au paragraphe 37 de la présente ordonnance), étant donné le risque que celle-ci présente
manifestement, notamment en ce qui concerne la réalisation d’un préjudice. Le

juge Cançado Trindade est d’avis que

«[a]u lieu de demeurer préoccupée, la Cour aurait dû ordonner les nouvelles mesures
conservatoires qu’imposait la nouvelle situation apparue dans la zone litigieuse. Une
fois encore, elle nourrira l’espoir que le destin soit de son côté, oubliant avec quelle
précaution extrême une personne aussi au fait de la souffrance et de la tragédie
humaines qu’était Cicéron abordait le destin, dans l’une de ses réflexions inachevées.

Même ainsi, malgré toute sa conscience, Cicéron n’a pas atteint le terme de sa vie sans
avoir souffert : au bout du chemin, il a été maltraité et connu une fin violente…»
(Par. 66.)

23. Si la Cour reconnaît expressément l’existence d’un tel risque, ainsi que la probabilité
d’un préjudice irréparable, et qu’elle exprime sa «préoccupation» au sujet de cette nouvelle

situation (supra), il est évident, poursuit-il, que les mesures conservatoires déjà indiquées
devaient être modifiées, ou que leur champ d’application devait être étendu, afin de répondre à
cette nouvelle situation. Que la Cour ne l’ait pas fait «face au risque de préjudice corporel pour les
personnes présentes dans la zone litigieuse ou de décès de celles-ci» est une source de
préoccupation pour le juge Cançado Trindade, car «les droits en cause et les obligations
correspondantes dépassent la stricte dimension interétatique, ce que la Cour semble ne pas avoir

évalué comme elle l’aurait dû» (par. 68).

24. Enfin, mais ce point est important, le juge Cançado Trindade présente, à titre de
conclusion, sa thèse en faveur d’un régime juridique autonome de mesures conservatoires
(douzième partie). Il insiste sur une observation qu’il a déjà faite dans le cadre d’autres affaires
soumises à la CIJ, ainsi qu’au sein d’une autre juridiction internationale (voir «El Ejercicio de la

Fención Judicial Internacional Memorias de la Corte Interamericana de Derechos Humanos»,
2 éd., Belo Horizonte/Brésil, édit. Del Rey, 2013, chapitre XXI : «The Preventive Dimension: The
Binding Character and the Expansion of Provisional Measures of Protection», p. 177-186), à savoir
que «la dimension strictement interétatique est dépassée depuis longtemps et ne semble pas - 7 -

adéquate pour appréhender les obligations qui découlent de mesures conservatoires» (par. 69).
Le juge Cançado Trindade estime que, d’un point de vue conceptuel, il convient d’affiner à tous

égards le système des mesures conservatoires.

25. Les mesures conservatoires indiquées ou ordonnées par la CIJ (ou d’autres juridictions
internationales) génèrent en soi des obligations pour les Etats concernés, obligations qui sont
distinctes de celles qui découlent des arrêts rendus (ultérieurement) par la Cour sur le fond des
affaires en question (ainsi que sur les réparations). En ce sens, le juge Cançado Trindade estime
que «les mesures conservatoires sont soumises à leur propre régime juridique, autonome, un régime

qui reflète l’extrême importance de leur dimension préventive». Parallèlement aux obligations
découlant pour un Etat des décisions prises (ultérieurement) par la Cour sur le fond, la
responsabilité internationale de celui-ci peut être engagée pour non-respect, ou violation, d’une
mesure conservatoire indiquée par la Cour (ou une autre juridiction internationale) (par. 71).

26. Sa thèse, en somme, est que les mesures conservatoires dotées d’une base
conventionnelle telles que celles de la CIJ (en vertu de l’article 41 du Statut) sont également

autonomes, qu’elles ont leur propre régime juridique, et que leur non-respect engage la
responsabilité de l’Etat et a des conséquences juridiques, sans préjudice de l’examen et de la
résolution de l’affaire au fond. Cet aspect reflète l’importante dimension préventive des mesures
conservatoires, considérées dans toute leur étendue. Traiter correctement la question du régime des
mesures conservatoires est, pour le juge Cançado Trindade, «la mission dont doit s’acquitter la
Cour, aujourd’hui et dans les années à venir» (par. 72).

27. La nature juridique des mesures conservatoires, avec leur dimension préventive,

ajoute-t-il, a récemment été précisée par une jurisprudence de plus en plus abondante en la matière,
de telles mesures devenant, depuis quelques années, plus fréquentes, qu’elles émanent de
juridictions internationales ou internes. Le recours aux mesures conservatoires, y compris au
niveau international, a rapidement eu pour effet d’étendre le domaine de compétence des
juridictions internationales, et, partant, de réduire le «domaine réservé» de l’Etat. De l’avis du juge
Cançado Trindade, le domaine de compétence des juridictions internationales «gagne en
importance en ce qui concerne les régimes de protection tels que ceux qui s’appliquent à la

personne humaine ou à l’environnement». La clarification de la nature juridique des mesures
conservatoires en est, cependant, toujours au stade embryonnaire elle doit aujourd’hui se
poursuivre, estime-t-il, par «la détermination des conséquences juridiques du non-respect de ces
mesures» et l’élaboration conceptuelle de ce qu’il pense pouvoir à juste titre appeler «leur régime
juridique autonome» (par. 73).

28. Le juge Cançado Trindade fait valoir que ce qui l’a poussé à consigner, dans la présente

opinion dissidente, son point de vue sur la question point de vue qu’il défend depuis des
années , «ce n’est pas la crainte que les Parties à l’instance ne respectent pas les mesures
conservatoires… Celles-ci sont issues d’une région du monde, l’Amérique latine, qui est riche
d’une longue et forte tradition en matière de doctrine juridique internationale.» (Par. 74.) Ce qui
l’a poussé à consigner son opinion dissidente, c’est «le fait que la Cour ait opté pour la retenue, et
l’incohérence du raisonnement qu’elle a suivi» sur «une question aussi importante pour le

développement du droit international dans le sens du progrès». Il a alors entrepris de «prendre le
temps de travailler pour consigner la présente opinion dissidente, et d’apporter ainsi sa pierre à la
réalisation de la mission de la Cour, qui est de rendre la justice» (par. 74).

29. Pour le juge Cançado Trindade, la notion de victime (ou de victime potentielle), de partie
lésée, peut ainsi concrètement «émerger également dans le contexte propre aux mesures
conservatoires», parallèlement aux décisions rendues au fond (et sur les réparations) dans une

affaire donnée. Les mesures conservatoires génèrent des obligations (de prévention) pour les Etats
concernés, obligations qui se distinguent de celles qui découlent des arrêts rendus par la Cour sur le
fond de l’affaire en question (ainsi que sur les réparations). Il s’agit là d’une conséquence de
l’autonomie de leur régime juridique, tel que le juge Cançado Trindade le conçoit. Il est d’avis - 8 -

qu’«il est aujourd’hui urgent d’affiner et de développer conceptuellement ce régime juridique

autonome essentiellement du point de vue de l’expansion des mesures conservatoires dans le
monde contemporain, des moyens d’en assurer une mise en œuvre effective et rapide, et des
conséquences juridiques de leur non-respect , au bénéfice de ceux qu’elles protègent» (par. 75).

30. De la même manière, le juge Cançado Trindade s’était prononcé en faveur d’une attitude
volontariste de la CIJ en matière de mesures conservatoires dans son opinion dissidente jointe à
l’ordonnance rendue par la Cour le 28 mai 2009 en l’affaire relative à des Questions concernant

l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), opinion dans laquelle il avait jugé
bon de rappeler que la Cour n’était pas tenue de se limiter aux arguments des Parties, ainsi que le
confirment les paragraphes 1 et 2 de l’article 75 de son Règlement, qui l’autorisent expressément à
indiquer ou ordonner, de sa propre initiative, les mesures conservatoires qu’elle juge nécessaires,
même si ces dernières sont totalement ou partiellement différentes de celles qui sont sollicitées.

31. Si elle avait décidé d’indiquer des mesures conservatoires dans cette affaire comme il

l’avait alors engagée à le faire , la Cour «aurait créé, du point de vue de la théorie et de la
pratique du droit international, un précédent remarquable dans cette longue quête de justice», car
c’était «la première fois qu’elle [était] saisie d’une affaire sur le fondement de la convention des
Nations-Unies contre la torture de 1984», laquelle constituait elle-même «le premier traité consacré
aux droits de l’homme qui fasse du principe de la compétence universelle une obligation
internationale à la charge de tous les Etats parties» (paragraphe 80 de l’opinion dissidente jointe par
le juge Cançado Trindade à l’ordonnance rendue le 28 mai 2009 par la Cour).

32. Le juge Cançado Trindade conclut que, dans ce domaine, «la pire des positions possibles
consisterait pour la Cour à faire preuve de passivité, voire d’indifférence, de léthargie judiciaire»
(par. 76). La question qui est soumise à la Cour «appelle celle-ci à prendre une position plus
volontariste», de manière à non seulement régler les différends qui sont portés devant elle, mais
aussi à dire le droit (jurisdictio) et, partant, «à contribuer effectivement à éviter que des dommages
irréparables ne soient causés dans des situations d’urgence, et ce, en définitive, au bénéfice de

l’ensemble des sujets de droit international, qu’il s’agisse des Etats, de groupes d’individus ou de
simples particuliers. Après tout, la personne humaine (vivant en harmonie dans son milieu naturel)
occupe une place centrale dans le nouveau jus gentium de notre époque» (par. 76).

Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Dugard

L’ordonnance de 2011 prescrivant aux Parties de s’abstenir d’envoyer des agents sur le
territoire en litige entre le Costa Rica et le Nicaragua fait interdiction aux membres du Mouvement

Guardabarranco de défense de l’environnement de s’y rendre, puisque ceux-ci peuvent être
considérés comme des agents civils. En outre, leur présence sur le territoire litigieux va à
l’encontre de l’objet et du but de l’ordonnance de 2011. L’accès des membres de ce mouvement au
territoire en question expose le Costa Rica à un risque réel de préjudice irréparable, étant donné
qu’il ne s’agit pas d’un simple groupement de jeunes écologistes attachés à l’étude scientifique de
l’environnement, mais d’un mouvement de jeunes nationalistes œuvrant dans un double objectif : la
protection de l’environnement et la défense de l’intérêt national du Nicaragua.

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- Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica) - La Cour dit que les circonstances, telles qu’elles se présentent actuellement à elle, ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir de modifier les mesures indiquées dans l’ordonnance du 8 mars 2011, et réaffirme ces mesures

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Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) - Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica) - La Cour dit que les circonstances, telles qu’elles se présentent actuellement à elle, ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir de modifier les mesures indiquées dans l’ordonnance du 8 mars 2011, et réaffirme ces mesures

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