Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal) - La Cour décide que la République du Sénégal doit, sans autre délai, soumettre le cas de M. Hissène Habré à ses aut

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17084
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Number (Press Release, Order, etc)
2012/24
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
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Communiqué de presse
Non officiel

o
N 2012/24
Le 20 juillet 2012

Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal)

La Cour décide que la République du Sénégal doit, sans autre délai, soumettre le cas de

M. Hissène Habré à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale,
si elle ne l’extrade pas

LA HAYE, le 20juillet2012. La Cour interna tionale de Justice (CIJ), organe judiciaire
principal des Nations Unies, a rendu ce jour son arrêt en l’affaire relative à des Questions
concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal).

Dans son arrêt, qui est définitif, sans recours et obligatoire pour les Parties, la Cour,

1) dit, à l’unanimité, qu’elle a compétence pour connaître du différend entre les Parties concernant
l’interprétation et l’application de l’article 6, paragraphe 2, et de l’article 7, paragraphe 1, de la
convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants du 10 décembre 1984, dont le Royaum e de Belgique a saisi la Cour par requête

déposée au Greffe le 19 février 2009 ;

2) dit, par quatorze voix contre deux, qu’elle n’a pas compétence pour connaître des demandes du
Royaume de Belgique relatives à des manquements allégués, par la République du Sénégal, à
des obligations relevant du droit international coutumier ;

3) dit, par quatorze voix contre deux, que les de mandes du Royaume de Belgique fondées sur
l’article 6, paragraphe 2, et l’article 7, paragr aphe 1, de la convention des Nations Unies contre
la torture et autres peines ou traitements crue ls, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984
sont recevables;

4) dit, par quatorze voix contre deux, que la République du Sénégal, en ne procédant pas
immédiatement à une enquête préliminaire en vue d’établir les faits relatifs aux crimes qui
auraient été commis par M. Hissène Habré, a ma nqué à l’obligation que lui impose l’article 6,
paragraphe2, de la conventi on des Nations Unies contre la torture et autres peines ou

traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 ;

5) dit, par quatorze voix contre deux, que la République du Sénégal, en ne soumettant pas l’affaire
à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale contre M.Hissène Habré, a
manqué à l’obligation que lui impose l’article7, paragraphe1, de la convention des Nations

Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
du 10 décembre 1984 ; - 2 -

6) dit, à l’unanimité, que la République du Sénégal doit, sans autre délai, soumettre le cas de
M.Hissène Habré à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale, si elle ne

l’extrade pas.

Historique de la procédure

Le 19février2009, la Belgique a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive
d’instance contre le Sénégal , au sujet d’un différend relatif au «respect par le Sénégal de son
obligation de poursuivre, pour des faits qualifiés not amment de crimes de torture et de crimes
contre l’humanité qui lui sont imputés en tant qu’auteur, coauteur ou complice, M.H[issène]

Habré[, ancien président de la République du Tchad], ou de l’extrader vers la Belgique aux fins de
poursuites pénales». La Belgique , dans sa requête, fondait ses demandes sur la convention des
Nations Unies contre la torture et autres pein es ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
du 10 décembre 1984 (dénommée ci-après la «convention contre la torture» ou la «convention»),

ainsi que sur le droit international coutumier. Le 19 février 2009, la Belgique a également présenté
une demande en indication de mesures conservato ires tendant à protéger ses droits, au sujet de
laquelle la Cour a rendu une ordonnance le 28 mai 2009 (voir communiqués de presse n os 2009/13,
2009/21 et 2009/22).

Lors de la procédure orale, les Parties ont présenté les conclusions finales ci-après :

Au nom du Gouvernement de la Belgique (à l’audience du 19 mars 2012) :

«Pour les motifs exposés dans son mémoire et lors de la procédure orale, le
Royaume de Belgique prie la Cour internationale de Justice de dire et juger que :

1) a) le Sénégal a violé ses obligations internationales en n’ayant pas introduit dans
son droit interne et en temps utile le s dispositions nécessaires permettant aux
autorités judiciaires sénégalaises d’exercer la compétence universelle prévue par
l’article5, paragraphe2, de la convent ion contre la torture et autres peines ou

traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b)le Sénégal a violé et viole ses obligations internationales découlant de
l’article 6, paragraphe 2, et de l’article 7, paragraphe 1, de la convention contre

la torture et autres peines ou traiteme nts cruels, inhumains ou dégradants, et
d’autres règles du droit international en s’abstenant de poursuivre pénalement
HissèneHabré pour des faits qualifiés notamment de crimes de torture, crimes
de guerre, crimes contre l’humanité et crime de génocide qui lui sont imputés en

tant qu’auteur, coauteur ou complice, ou, à défaut, de l’extrader vers la Belgique
aux fins de telles poursuites pénales ;

c) le Sénégal ne peut pas invoquer des di fficultés d’ordre financier ou autres pour

justifier les manquements à ses obligations internationales.

2) Le Sénégal est tenu de mettre fin à ces faits internationalement illicites

a) en soumettant sans délai l’affaire Hissène Habré à ses autorités compétentes

pour l’exercice de l’action pénale ; ou,

b) à défaut, en extradant Hissène Habré sans plus attendre vers la Belgique.» - 3 -

Au nom du Gouvernement du Sénégal (à l’audience du 21 mars 2012) :

«Au vu de l’ensemble des développements et motifs contenus dans son
contre-mémoire, dans ses plaidoiries et da ns les réponses apportées aux questions que
les honorables juges ont bien voulu lui poser, par lesquels le Sénégal a déclaré et tenté
de démontrer que, dans le cas d’espèce, il a dûment assumé ses engagements

internationaux et n’a pas commis un quelc onque fait internationalement illicite, [le
Sénégal prie] la Cour de bien vouloir lui adjuger le bénéfice des conclusions qui
suivent et de dire et juger :

1) à titre principal, qu’elle ne peut pa s se prononcer sur le fond de la requête
introduite par le Royaume de Belgique en raison de son incompétence, en tant
qu’elle résulte de l’absence de différend entre la Belgique et le Sénégal, et de
l’irrecevabilité de ladite requête ;

2) subsidiairement, si elle venait à reteni r sa compétence ainsi que la recevabilité de
la requête belge, que le Sénégal n’a vi olé aucune disposition de la convention
de1984 contre la torture, notamment ce lles qui lui prescrivent l’obligation «de

juger ou d’extrader» (article6, paragraphe2, et article7, paragraphe1, de la
convention) ni, plus généralement, aucune autre règle de droit conventionnel, de
droit international général ou de droit international coutumier dans ce domaine ;

3) que le Sénégal, en prenant les différentes mesures qui ont été indiquées, applique
ses engagements d’Etat partie à la convention de 1984 contre la torture ;

4) qu’en prenant les mesures et dispositions appropriées pour préparer le procès de

M.H.Habré, le Sénégal se conforme à la déclaration par laquelle il s’est engagé
devant la Cour ;

5) qu’elle rejette, en conséquence, l’ensemble des demandes articulées autour de la

requête du Royaume de Belgique.»

I. CONTEXTE HISTORIQUE ET FACTUEL

Avant de se prononcer sur le fond de l’affaire, la Cour décrit le contexte historique et factuel
dans lequel celle-ci s’inscrit (par. 15 à 41). Elle note que, après avoir pris le pouvoir le 7 juin 1982
à la tête d’une rébellion, M. Hissène Habré a présidé la République du Tc had pendant huit années,
au cours desquelles de multiples violations des droits de l’homme auraient été commises. Renversé
er
le 1 décembre1990, M.Habré, après un court sé jour au Cameroun, a sollicité et obtenu du
Gouvernement sénégalais l’asile politique. Il s’est alors installé à Dakar, où il réside depuis lors.

A compter du 25janvier2000, un certain nombre de procédures relatives aux crimes qui

auraient été commis au cours de la présidence de M.Habré ont été engagées, soit auprès des
juridictions sénégalaises, soit auprès des juridic tions belges, à la fois par des ressortissants
tchadiens, des ressortissants belges d’origin e tchadienne, des ressortissants binationaux
belgo-tchadiens et une association de victimes. Le Comité des Nations Unies contre la torture et la

Cour africaine des droits de l’homme et du cito yen ont également été saisi s par des ressortissants
tchadiens. Le Sénégal a, pour sa part, saisi l’ Union africaine de la question du jugement de
M. Habré.

Le 19 septembre 2005, un juge d’instruction be lge a décerné un mandat d’arrêt international
par défaut à l’encontre de M. Habré, inculpé comme auteur ou coauteur, notamment, de violations
graves du droit international humanitaire, d’actes de torture, du crime de génocide, de crimes
contre l’humanité et de crimes de guerre, sur la base duquel la Belgique a demandé au Sénégal - 4 -

l’extradition de M.Habré et Interpol a fait circuler une «notice rouge» valant demande
d’arrestation provisoire en vue de l’extradition. Trois autres demandes d’extradition ont depuis été

adressées aux autorités sénégalai ses par la Belgique, dont deux, en date des 15mars2011
et5septembre2011 respectivement, ont été décl arées irrecevables par les autorités compétentes
sénégalaises et la dernière, en date du 17 janvier 2012, n’a pas encore fait l’objet d’une décision de
la Cour d’appel de Dakar.

II. OMPÉTENCE DE LA C OUR

La Cour rappelle que, dans sa requête, la Belgique invoquait, comme base de compétence de
la Cour, le paragraphe 1 de l’artic le 30 de la convention contre la torture ainsi que les déclarations
faites, en application du paragraphe2 de l’artic le36 du Statut de la Cour, par la Belgique,
le17juin1958 et par le Sénégal, le 2décemb re1985. La Cour note également que le Sénégal

conteste que la Cour ait compétence sur l’un ou l’ autre de ces fondements, affirmant qu’il n’a pas
été satisfait aux conditions énoncées dans lesdits instruments (par. 42-43).

A) L’existence d’un différend

Soulignant que l’existence d’un différend est une condition énoncée dans les deux bases de
compétence que la Belgique a invoquées, la Cour examine d’abord cette question et conclut que,
dans la mesure où, au moment du dépôt de la re quête, il avait été mis fin à tout différend ayant pu

exister entre les Parties au sujet de l’interprétation ou de l’applicati on de l’article 5, paragraphe 2,
de la convention, elle n’a pas compétence pour st atuer sur la demande de la Belgique relative à
cette disposition (l’article5, paragraphe2, de la conventio n impose aux Etats parties à la

convention l’obligation d’établir la compétence unive rselle de leurs juridictions pour connaître du
crime de torture ⎯voir annexe au présent communiqué ). La Cour n’exclut toutefois pas
d’examiner les conséquences que le comportement du Sénégal relativement aux mesures prescrites
par ladite disposition a pu avoir sur le respect de certaines autres obligations découlant de la

convention (par.48). La Cour relève en revanche que les demandes de la Belgique fondées sur
l’interprétation ou l’application de l’article6, paragraphe2 (qui prévoit que l’Etat sur le territoire
duquel se trouve une personne soupçonnée d’avoir commis des actes de torture procède

immédiatement à une enquête préliminaire en vue d’établir les faits ⎯voir annexe au présent
communiqué), et de l’article 7, paragraphe 1, de la convention (aux termes duquel un Etat partie a
l’obligation de soumettre l’affa ire à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale
⎯ voir annexe au présent communiqué ), se sont heurtées à l’opposition manifeste du Sénégal ; et

elle infère qu’un différend existait au mo ment du dépôt de la requête et constate que ce différend
existe toujours (par.52). Elle conclut par ailleurs que, au moment du dépôt de la requête, le
différend qui opposait les Parties n’était pas relatif à des manquements à des obligations relevant
du droit international coutumier, et qu’elle n’a donc pas compétence pour statuer sur les demandes

de la Belgique qui s’y rapportent (par. 55).

B) Les autres conditions de compétence

La Cour se penche ensuite sur les autres c onditions qui doivent être réunies pour qu’elle ait
compétence au titre du paragraphe1 de l’article 30 de la convention contre la torture, soit
l’impossibilité de régler le différend par voie de négociation et l’impossibilité pour les parties,

après que l’une d’entre elles eut formulé une demande d’arbitrage, de se mettre d’accord sur
l’organisation d’une telle procédure dans les six mo is qui suivent la date de cette demande. Elle
conclut de son analyse qu’il a été satisfait à chacune de ces conditions et se déclare en conséquence
compétente pour connaître du différend entre les Par ties concernant l’interprétation et l’application - 5 -

du paragraphe 2 de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 7 de la convention. Cela étant, la Cour
n’estime pas nécessaire de rechercher si elle est également compét ente pour connaître de ce même

différend sur le fondement des déclarations fait es par les Parties en vertu du paragraphe2 de
l’article 36 de son Statut (par. 56-62).

III. RECEVABILITÉ DES DEMANDES DE LA BELGIQUE

La Cour estime que tout Etat partie à la convention contre la torture peut invoquer la
responsabilité d’un autre Etat partie dans le but de faire constater le manquement allégué de

celui-ci à des obligations erga omnes partes (obligations dues à l’égard de l’ensemble des Etats
parties), telles que celles qui lui incombent en applica tion du paragraphe2 de l’article6 et du
paragraphe1 de l’article7, et de mettre fin à un tel manquement (p ar.69). Elle conclut qu’en la
présente espèce, la Belgique a, en tant qu’Etat pa rtie à la convention contre la torture, qualité pour

invoquer la responsabilité du Sénégal à raison des manquements allégués de celui-ci à ses
obligations en vertu desdites dispositions. Dès lo rs, la Cour considère que les demandes de la
Belgique fondées sur ces dispositions sont recevab les et qu’il n’y a pas lieu pour elle de se
prononcer sur la question de savoir si la Belgique a aussi un intérêt particulier à ce que le Sénégal

se conforme aux dispositions pertinentes de la convention dans le cas de M. Habré (par. 70).

IV. LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE

Bien qu’elle ait préalablement établi qu’elle n’avait pas compétence aux fins de connaître en
l’espèce des griefs de la Belgique au titre du paragraphe 2 de l’article 5 de la convention, la Cour
relève que la mise en Œuvre par l’Etat de son oblig ation d’établir la compétence universelle de ses

juridictions pour connaître du crime de torture est une condition nécessaire pour pouvoir procéder à
une enquête préliminaire (article 6, paragraphe 2) et soumettre l’affaire à ses autorités compétentes
pour l’exercice de l’action pénale (article7, paragraphe1). La C our estime qu’en adoptant
seulement en 2007 la législation requise, le Séné gal a retardé la soumission de l’affaire à ses

autorités compétentes pour l’exercice de l’ac tion pénale, affectant ainsi l’exécution de ses
obligations découlant du paragraphe2 de l’article6 et du paragraphe1 de l’article7 de la
convention (par. 74-78).

A) La violation alléguée de l’obligation prévue au paragraphe 2
de l’article 6 de la convention

Après avoir souligné que l’enquête préliminaire , prévue au paragraphe 2 de l’article6, est

destinée à corroborer ou non les s oupçons qui pèsent sur une personne suspectée d’avoir commis
des actes de torture, la Cour relève que le Sénégal n’a versé au dossier aucun élément démontrant
que celui-ci a conduit une telle enquête (par. 79-83 ). Elle note qu’en l’espèce l’établissement des

faits en question constitue une étape indispensable qui s’imposait, au moins à partir de l’an2000,
lorsqu’une plainte a été déposée au Sénéga l contre M.Habré. La Cour relève en outre que rien
dans les éléments soumis à la Cour n’indique qu’ une enquête préliminaire ait été ouverte à la suite
de la seconde plainte déposée contre M. Habré à Dakar , en 2008. La Cour conclut en conséquence

que le Sénégal a manqué à son obligation au titre du paragraphe2 de l’article6 de la convention
(par. 85-88). - 6 -

B) La violation alléguée de l’obligation prévue au paragraphe 1

de l’article 7 de la convention

La Cour observe tout d’abord que l’obligation d’un Etat par tie de soumettre l’affaire à ses
autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale a été conçue de manière à laisser à

celles-ci le soin de décider s’il y a lieu ou non d’engager des poursuites, dans le respect de
l’indépendance du système judiciaire respectif des Etats parties (par. 89-91) . Elle examine ensuite
certaines questions relatives à la nature et au sens de l’obligation énoncée au paragraphe1 de
l’article 7, à sa portée temporelle, ainsi qu’à sa mise en Œuvre en l’espèce.

1) La nature et le sens de l’obligation prévue au paragraphe 1 de l’article 7

La Cour observe dans un premier temps que le paragraphe1 de l’article7 impose à l’Etat

concerné l’obligation de soumettre l’affaire à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action
pénale, indépendamment de l’existence, au préalable, d’une demande d’extradition à l’encontre du
suspect. Elle note ensuite qu’en revanche, si l’Etat sur le territoire duquel se trouve le suspect est
saisi d’une demande d’extradition dans l’un des cas prévus par les dispositions de la convention, il

peut se libérer de son obligation de poursuivre en faisant droit à la demande d’extradition. Elle en
conclut que l’extradition est une option offerte par la convention à l’Etat, alors que la poursuite est
une obligation internationale, pré vue par la convention, dont la violation engage la responsabilité

de l’Etat pour fait illicite (par. 94-95).

2) La portée temporelle de l’obligation prévue au paragraphe 1 de l’article 7

Selon la Cour, l’interdiction de la torture relè ve du droit international coutumier et elle a
acquis le caractère de norme impérative (jus cogens). Elle repose sur une pratique internationale
élargie et sur l’ opinio juris des Etats , et figure dans de nombreux instruments internationaux à
vocation universelle. Toutefois, l’obligation de poursuivre les auteurs présumés d’actes de torture,

en vertu de la convention, ne s’applique qu’au x faits survenus après son entrée en vigueur pour
l’Etat concerné. La Cour en conclut que l’obligation de poursuivre incombant au Sénégal, en vertu
du paragraphe1 de l’article7 de la convention, ne vaut pas pour les actes prétendument commis
avant l’entrée en vigueur de cet instrument à son égard, le 26 juin 1987 (par. 99-102).

Se penchant ensuite sur le point de savoir quel était l’effet , sur la portée de l’obligation de
poursuivre, de la date d’entrée en vigueur de la convention pour la Belgique, la Cour relève que la

Belgique est en droit de lui demander, à compter du 25juillet1999 ⎯date à laquelle elle est
devenue partie à la convention ⎯ de se prononcer sur le respect par le Sénégal de son obligation au
titre du paragraphe 1 de l’article 7 (par. 104).

3) La mise en Œuvre de l’obligation prévue au paragraphe 1 de l’article 7

La Cour considère que les obligations qui inco mbent au Sénégal au titre de la convention ne

sauraient être affectées par la décision de la Cour de justice de la CEDEAO, en date du
18 novembre 2010, selon laquelle, d’une part, la règle de non-rétroactivité des lois pénales pourrait
être violée par la modification du code pénal sénégalais intervenue en 2007, et , d’autre part, la
procédure contre Hissène Habré devra it être menée devant une juridiction ad hoc à caractère

international. La Cour est par ailleurs d’avis que les difficultés financières soulevées par le Sénégal
ne peuvent justifier qu’il n’ait pas engagé de poursuites contre M. Habré, et que la saisine de
l’Union africaine ne peut justifier le retard pris dans le respect par le Sénégal de ses engagements
au titre de la convention. La Cour fait en outre observer que, en vertu de l’article27 de la

convention de Vienne sur le droit des traités, qui re flète le droit international coutumier, le Sénégal - 7 -

ne peut justifier son manquement à l’obligation prévue au paragr aphe1 de l’article7 de la
convention contre la torture en invoquant son droit in terne. Elle conclut que l’obligation prévue au

paragraphe1 de l’article7 im posait au Sénégal de prendre toutes les mesures nécessaires pour sa
mise en Œuvre dans les meilleurs délais, en partic ulier une fois que la première plainte avait été
déposée contre M.Habré en2000. Le Sénégal ne l’ayant pas fait, il a manqué, et continue de
manquer, aux obligations qui lui incombent au titre du paragraphe 1 de l’article 7 de la convention

(par. 111-117).

V. LES REMÈDES

La Cour rappelle que le fait que le Sénégal n’ait adopté qu’e n 2007 les mesures législatives
nécessaires à l’engagement des poursuites contre M.Habré sur la base de la compétence
universelle a retardé la mise en Œuvre de ses autres obligations prévues par la convention. La Cour

souligne également que le Sénégal a manqué à son obligation, au titre du paragraphe2 de
l’article6, de procéder à une enquête préliminaire au sujet des crimes de torture qui auraient été
commis par M. Habré, ainsi qu’à l’obligation, au titre du paragraphe 1 de l’article 7, de soumettre
l’affaire à ses autorités compét entes pour l’exercice de l’action pénale. En manquant à ses

obligations au titre de ces dispos itions, le Sénégal a e ngagé sa responsabilité internationale. Dès
lors, s’agissant d’un fait illicite à caractère contu, il est tenu d’y mettre fin, en vertu du droit
international général en matière de responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite. La
Cour conclut en conséquence que le Sénégal doit prendre sans autre délai les mesures nécessaires

en vue de saisir ses autorités compétentes pour l’exercice de l’ action pénale, s’il n’extrade pas
M. Habré (par. 119-121).

Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit: MT . omka, président ; M. Sepúlveda-Amor,
vice-président; MM.Owada, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf,

Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M.Gaja, Mme Sebutinde, juges ; MM. Sur, Kirsch, juges
ad hoc ; M. Couvreur, greffier.

M.le juge Owada joint une déclaration à l’arrêt; MM.les juges Abraham, Skotnikov,

Cançado Trindade et Yusuf joignent à l’arrêt l es exposés de leur opinion individuelle;
MmelajugeXue joint à l’arrêt l’exposé de s on opinion dissidente; Mme la juge Donoghue joint
une déclaration à l’arrêt; Mme la juge Sebu tinde joint à l’arrêt l’exposé de son opinion
individuelle ; M. le juge ad hoc Sur joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.

*

o
Un résumé de l’arrêt figure dans le document intitulé «Résumé n 2012/4». Le présent
communiqué de presse, le résumé de l’arrêt, ainsi que le texte intégral de celui-ci sont disponibles
sur le site Internet de la Cour (www.icj-cij.org) sous la rubrique «Affaires».

___________

Note : Les communiqués de presse de la Cour ne constituent pas des documents officiels.

___________ - 8 -

La Cour internationale de Justice (CIJ) est l’ organe judiciaire principal de l’Organisation des

Nations Unies (ONU). Elle a été instituée en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et a entamé
ses activités en avril 1946. La Cour a son siège au Palais de la Paix, à La Haye (Pays-Bas). C’est
le seul des six organes principaux de l’ONU dont le siège ne soit pas à New York. La Cour a une
double mission, consistant, d’une part, à régler conf ormément au droit international les différends

d’ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats (par des arrêts qui ont force obligatoire et sont
sans appel pour les parties concernées) et, d’autre part, à donner des avis consultatifs sur les
questions juridiques qui peuvent lui être soumises par les organes de l’ONU et les institutions du
système dûment autorisées à le faire. La Cour est composée de quinze juges, élus pour un mandat

de neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Indépendante du
Secrétariat des Nations Unies, elle est assistée par un Greffe, son propre secrétariat international,
dont l’activité revêt un aspect judiciaire et dipl omatique et un aspect administratif. Les langues
officielles de la Cour sont le français et l’anglai s. Aussi appelée «Cour mondiale», elle est la seule

juridiction universelle à compétence générale.

Il convient de ne pas confondre la CIJ, ju ridiction uniquement ouverte aux Etats (pour la
procédure contentieuse) et à certains organes et institutions du système des Nations Unies (pour la

procédure consultative), avec les autres institutions judiciaires, pénales pour la plupart, établies à
La Haye et dans sa proche banlieue, comme pa r exemple le Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie (ou TPIY, juridiction ad hoc créée par le Conseil de sé curité), la Cour pénale

internationale (CPI, la première juridiction pénale internationale permanente, créée par traité, qui
n’appartient pas au système des Nations Unies), le Tribunal spécial pour le Liban (ou TSL, organe
judiciaire indépendant composé de juges libanais et internationaux), ou encore la Cour permanente
d’arbitrage (CPA, institution indépendante permettant de constituer des tribunaux arbitraux et

facilitant leur fonctionnement, conformément à la Convention de La Haye de 1899).

___________

Département de l’information :

M. Andreï Poskakoukhine, premier secrétaire dela Cour, chef du département (+31 (0)70 302 2336)
M. Boris Heim, attaché d’information (+31 (0)70 302 2337)
Mme Joanne Moore, attachée d’information adjointe (+31 (0)70 302 2394)
Mme Genoveva Madurga, assistanteadministrative (+31 (0)70 302 2396) Annexe au communiqué de presse 2012/24

Articles 5, 6 et 7 de la convention contre la torture et autres peines

ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Article 5

1. Tout Etat partie prend les mesures nécess aires pour établir sa compétence aux fins de
connaître des infractions visées à l’article 4 dans les cas suivants :

a) Quand l’infraction a été commise sur tout territoire sous la juridiction dudit Etat ou à bord

d’aéronefs ou de navires immatriculés dans cet Etat ;

b) Quand l’auteur présumé de l’infraction est un ressortissant dudit Etat ;

c) Quand la victime est un ressortissant dudit Etat et que ce dernier le juge approprié.

2. Tout Etat partie prend également les me sures nécessaires pour étab lir sa compétence aux
fins de connaitre desdites infractions dans le cas où l’auteur présumé de celles-ci se trouve sur tout

territoire sous sa juridiction et où leditEtat ne l’extrade pas conformément à l’article8 vers l’un
des Etats visés au paragraphe 1 du présent article.

3. La présente Convention n’écarte aucune compétence pénale exercée conformément aux
lois nationales.

Article 6

1. S’il estime que les circonstances le justifient, après avoir examiné les renseignements dont
il dispose, tout Etat partie sur le territoir e duquel se trouve une personne soupçonnée d’avoir

commis une infraction visée à l’article4 assure la détention de cette personne ou prend toutes
autres mesures juridiques nécessaires pour assurer sa présence. Cette détention et ces mesures
doivent être conformes à la législation dudit Etat ; elles ne pe uvent être maintenues que pendant le
délai nécessaire à l’engagement de poursuites pénales ou d’une procédure d’extradition.

2. Ledit Etat procède immédiatement à une enquête préliminaire en vue d’établir les faits.

3. Toute personne détenue en applicati on du paragraphe1 du présent articlepeut
communiquer immédiatement avec le plus proche re présentant qualifié de l’Etat dont elle a la
nationalité ou, s’il s’agit d’une personne apatride, avec le représentant de l’Etat où elle réside
habituellement.

4. Lorsqu’un Etat a mis une personne en détention, conformément aux dispositions du
présent article, il avise immédiatement de cette déten tion et des circonstances qui la justifient les

Etats visés au paragraphe1 de l’article5. L’Et at qui procède à l’enquête préliminaire visée au
paragraphe2 du présent articleen communique rapi dement les conclusions auxdits Etats et leur
indique s’il entend exercer sa compétence. - 2 -

Article 7

1. L’Etat partie sur le territoire sous la juridiction duquel l’auteur présumé d’une infraction
visée à 1’article 4 est découvert, s’il n’extrade pas ce dernier, soumet l’affaire, dans les cas visés à
l’article 5, à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale.

2. Ces autorités prennent leur décision dans les mêmes conditions que pour toute infraction
de droit commun de caractère grave en vertu du droit de cet Etat. Dans les cas visés au
paragraphe2 de l’article5, les règles de preuve qui s’appliquent aux poursuites et à la

condamnation ne sont en aucune façon moins ri goureuses que celles qui s’appliquent dans les cas
visés au paragraphe 1 de l’article 5.

3. Toute personne poursuivie pour l’un e quelconque des infractions visées à l’article 4

bénéficie de la garantie d’un traitement équitable à tous les stades de la procédure.

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- La Cour décide que la République du Sénégal doit, sans autre délai, soumettre le cas de M. Hissène Habré à ses autorités compétentes pour l'exercice de l'action pénale, si elle ne l'extrade pas

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Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal) - La Cour décide que la République du Sénégal doit, sans autre délai, soumettre le cas de M. Hissène Habré à ses autorités compétentes pour l'exercice de l'action pénale, si elle ne l'extrade pas

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