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094-19980302-ORA-01-01-BI
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CR 9811(traduction)

CR 9811(translation)

Lundi 2 mars 1998 (10 heures)

Monday 2 March 1998 (10a.m.) -2-

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L'audience est ouverte. Conformémentau

paragraphe 4 de l'article79 du Règlement de la Cour,la Cour se réunit aujourd'hui pour entendre
1
les exposésoraux desParties à l'égarddesexceptionspréliminairessoulevéespar le défendeurdans
4
l'affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun a

c. Nigéria).

Etant donné quela Cour ne compte sur le siège aucun juge de lanationalité des Parties,

chacune d'elles peut, en application du paragraphe 2 de l'article 31du Statut, désignerun juge

ad hoc;M. KébaMbaye,désigné par le Camerounet M. Bola Ajibola,désignépar le Nigéria, ont

déjà étédûment investis de ces fonctions en 1996, au cours de la phase de la présente affaire

consacrée à la demande en indication de mesures conservatoires.

L'instance a été introduite le9 mars 1994par le dépôt,au Greffe de la Cour, d'unerequête

du Gouvemementde laRépubliquedu Cameroun àl'encontrede laRépubliqufeédérale duNigéria :

dans cette requête,le Gouvemement du Cameroun invoque, comme basede la compétence dela

Cour, les déclarations faitespar les deux Etats au titre du paragraphe 2 de l'article36 du Statut.

Il indique que

«Le différendporte essentiellement sur la question de la souveraineté surla
presqu'îlede Bakassi ...dontlaRépubliquefédérale duNigériacontestel'appartenance

à la République du Cameroun ...

Cette contestationa pris la forme,depuis lafin de l'année1993,d'uneagression
de la part de la République fédérald eu Nigériadont les troupes occupent plusieurs
localités camerounaises situées dans la presqu'îledeBalcassi)),

et que

«Il en résulte de gravespréjudices pourla République du Cameroundont il est

demandé respectueusement à la Cour de bien vouloir ordonner laréparation.))

Le Cameroun fait valoir d'autrepart dans sa requête que ((cettedélimitation[de la frontièremaritime entre les Etats] est demeuréepartielle et
lesdeux Partiesn'ontpas pu, malgréde nombreusestentatives,semettre d'accord pour
la compléten);

il prie en conséquencela Cour,

(([alfin d'éviter de nouveauxincidents entre les deux pays, ...de bien vouloir
déterminerle tracé dela frontière maritime entre les deux Etatsau-delà de celui qui

avait étéfixéen 1975)).

Je vais maintenant prier le greffier de bien vouloir donner lecture de la décisionqu'il est

demandé à la Cour de rendre, telle qu'elle est formuléeau paragraphe 20 de la requêtedu

Cameroun.

Le GREFFIER :

«Sur la base de l'exposédes faits et des moyens juridiques qui précèdent,la
Républiquedu Cameroun,tout en se réservant le droit decompléter, d'amendeo ru de
modifier la présenterequête pendanlta suite de la procédure etde présenterla Cour
une demande en indication de mesures conservatoires si celles-ci se révélaient
nécessaires, priela Cour de dire et juge:

a) que la souverainetésurla presqu'îlede Bakassiest camerounaise,en vertudu droit
international, et que cette presqu'île fait partie intégrantedu territoire de la

Républiquedu Cameroun;

b) que la Républiquefédérald eu Nigéria a violéet viole le principe fondamental du
respect des frontières héritées dla colonisation (utipossidetisjuris);

c) que, enutilisantlaforcecontrela Républiquedu Cameroun,laRépubliquefédérale
du Nigéria a violéet viole ses obligations en vertu du droit international
conventionnel et coutumier;

4 que la République fédérald eu Nigéria, enoccupant militairement la presqu'île
camerounaisede Bakassi, aviolé etviole lesobligationsquilui incombentenvertu
du droit conventionnel et coutumier;

e) que, vu ces violations des obligationsjuridiques susvisées,laRépublique fédérale
du Nigéria a le devoir exprèsde mettre finàsa présence militaire surle territoire
camerounais, et d'évacuer sansdélaiet sans condition ses troupes de la presqu'île
camerounaise de Bakassi;

e3 que la responsabilitédela Républiquefédérald eu Nigériaestengagéepar les faits
internationalement illicites exposéssubZitteraea), b), cd) et e) ci-dessus;

e3 qu'enconséquenceune réparation d'un montant àdéterminerpar la Cour est due
par la République fédérald eu Nigéria à la Républiquedu Cameroun pour les
préjudices matérielset moraux subis par celle-ci, la Républiquedu Camerounse
réservant d'introduire devantla Cour une évaluation précise desdommages
provoquéspar la République fédérald eu Nigéria. B Afin d'éviterlasurvenancede toutdifférendentrelesdeuxEtats relativement àleur
frontière maritime, la Républiquedu Cameroun prie la Cour de procéder au
prolongement du tracé de sa frontière maritime avecla République fédérald eu
Nigériajusqu'à la limite des zones maritimes que le droit internationalplace sous
leurjuridiction respective)).

LePRESIDENT :Le6juin 1994,laRépubliquedu Cameroun a déposé auGreffede laCour

unerequête additionnelle«auxfins d'élargissementdel'objetdudifférend)) àunautredifférendqui,

selon la requêteadditionnelle,

«porte essentiellement sur la question de la souverainetésur une partie du territoire
camerounais dans la zone du lac Tchad ...dont la République fédérale du Nigéria

conteste I'appartenanceà la République du Cameroun.))

Le Gouvernement du Cameroun a indiqué que

((Cettecontestationa pris..la forme d'une introductionmassive de ressortissants
nigérians dansla zone litigieuse, suivie par celle des forces de sécurité nigérianes,
avantd'être formuléeofficiellemen par leGouvernementde laRépubliquefédéral deu
Nigéria, toutrécemment,pour la premièrefois.))

Dans sa requêteadditionnelle,le Camerounprie d'autre part laCour de ((préciserdéfinitivement))

la frontièreséparantles Etatsdu lac Tchadà la mer, en lui demandantdejoindre les deuxrequêtes

et ((d'examinerl'ensembleen une seule et mêmeinstance)).

Je vais maintenant prier le greffier de bien vouloir donnerlecture de la décision qu'ilest

demandé à laCour de rendre,telle qu'elleestformuléeau paragraphe 17de larequêteadditionnelle
I
du Cameroun.

Le GREFFIER :

«Sur la base de l'exposédes faits et des moyensjuridiques qui précèdentet sous
toutes les réserves formuléesau paragraphe 20 de sa requête du 29 mars 1994, la
Républiquedu Cameroun prie la Cour de dire et juger :

a)que la souveraineté sur la parcelle litigieuse dans la zone du lac Tchad est
camerounaise en vertu du droit international, et que cette parcelle fait partie

intégrantedu territoire de la Républiquedu Cameroun;

b) que la Républiquefédérald eu Nigéria a violé et viole principe fondamental du
respect desfrontières héritées dlea colonisation (utipossidetisjuris) ainsi que ses
engagementsjuridiques récents relativement à la démarcation desfrontièresdans
le lac Tchad; c) que la République fédéraleu Nigéria,en occupantavec l'appuide ses forces de
sécuritdes parcelles duterritoire camerounaisdans la zone du lac Tchad, a violé

et viole ses obligations en vertu du droit conventionnelet coutumier;

d) que, vu lesobligationsjuridiques susvisées,laRépubliquefédéraeuNigéria ale
devoir exprèsd'évacuer sansdélaiet sans conditions ses troupes du territoire
camerounais dans la zone du lac Tchad;

e) que la responsabilitéde laRépubliquefédéraleuNigéria est engagéeparles faits
intemationalement illicitesexposésaux sous-paragraphesa), b),cd)eci-dessus.

e3 Qu'en conséquenceune réparationd'unmontant à déterminerpar la Cour est due
par la République fédérald eu Nigéria à la Républiquedu Cameroun pour les

préjudices matérielset moraux subis par celle-ci, la Républiquedu Cameroun se
réservant d'introduire devantla Cour une évaluation précisedes dommages
provoquéspar la Républiquefédérale du Nigéria.

8 Que vu lesincursions répétées depsopulationset des forces armées nigériaens
territoire camerounaistout le long dela frontièreentreles deux pays,les incidents
graves etrépété qsui s'ensuivent,et l'attitude instableet réversiblede laRépublique
fédéraleduNigériarelativementaux instrumentsjuridiques définissantlafrontière
entre les deuxpays et autracé exactde cettefrontière, laRépubliquedu Cameroun
prie respectueusementla Cour de bien vouloir préciserdéfinitivementla frontière
entre elle et la République fédéraeu Nigériadu lac Tchad à la mer.))

Le PRESIDENT : Au cours d'une réunion quele président de laCour a tenue avec les

représentantsdes Parties le 14juin 1994, l'agentde la Républiquedu Camerouna précisé qson

gouvemement n'avaitpas entendu présenterune requête distincteet que la requête additionnelle

avait étéplutôt conçue c0mm.eun amendement à la requête initiale; l'agte la République

fédéraledu Nigéria a déclarép,our sa part, que son gouvemement ne voyait pas d'objectione

que la requête additionnelle soit considécomme un amendement à la requête initiale defaçon

que la Cour puisse examiner l'ensembleen une seule et mêmeinstance.

Par une ordonnancedatéedu 16juin 1994,la Cour a indiquéqu'ellen'avait pasd'objection

à une telle procédure et afixéau 16 mars 1995et au 18décembre 1995les dates d'expirationdes

délais pourle dépôtdu mémoire dela Républiquedu Cameroun et du contre-mémoirede la

Républiquefédérald euNigéria,respectivement. Le Camerouna soumissonmémoiredansledélai

fixé. Le 13 décembre1995, avant l'expiration dudélaipour le dépôt deson contre-mémoire,le

Nigéria a soulevé certaines exceptionspréliminaiàel'égarde la compétencede la Cour et de la

recevabilitédes demandes du Cameroun. -6-

Ayant reçu les agents des Parties le 10janvier 1996,le Présidentde la Cour a noté,par une

ordonnancede ce même jour, qu'envertu du paragraphe3 de I'article79duRèglementde la Cour,

la procédure surle fondétaitsuspendueet a fixéau 15 mai 1996la dated'expirationdu délai dans

lequel le Camerounpourra présenterun exposéécrit contenantses observationset conclusionssur

les exceptions préliminaires,conformément àcette mêmedisposition. Dans le délaiainsi fixé,le

Cameroun a présenté cetexposé écrit, danslequel il a prié la Courde rejeter les exceptions

préliminaireset de procéderà l'examende l'affairesur le fond dèsque possible.

Par une lettre datéedu 10février1996, reçue au Greffe le 12février1996, l'agent du

Cameroun,se référana tux incidentsarmésqui sepoursuivaientdans lapresqu'îlede Bakassidepuis

le3 février 1996,aprésenté à laCour, conformément à l'article41 de son Statut, une demande en

indicationdemesuresconservatoireslapriantd'indiquerquelesforcesarméesdes Partiesseretirent

à l'emplacementqu'ellesoccupaientavant le3 février 1996et que les Partiess'abstiennentde toute

activité militairele longde la frontièrejusqu'àce que la Courait rendu son arrêtainsi que de tout

acte ou action pouvant entraver la réuniond'éléments dpreuve.

Par une ordonnance datée du 15 mars 1996, la Cour a indiqué certaines mesures

conservatoires dans l'attente d'unedécisionen l'espèce.

Les deux Partiesont soumisde nouveauxdocumentsdepuis la fin de la procédure écrite sur

les exceptions préliminaires. -7-

Le Nigéria a présenté, sous couvert d'unettredatéedu 2 février1998,certains nouveaux

documents et le Cameroun ne s'est pas opposé àleur production. Leur présentation adonc été

acceptée conformémena tu paragraphe 1 de l'article56 du Règlementde la Cour.

LeCamerouna souhaitéprésentercertainn souveauxdocumentssouscouvertde lettresdatées

des 9 avril 1997 et 11 février 1998,respectivement. Compte tenu des vues expriméespar les

Parties et aux dispositions de l'article56 du Règlementde la Cour, la Cour a déd'enaccepter

la production.

Il revient maintenant à la Cour d'entendre les Parties sur les questions relativeà sa

compétenceet à la recevabilité dela requête.La Courentendra d'abordla Républiquefédéraldu

Nigéria,le défendeur quantau fond et Etat qui a soulevéles exceptionspréliminaires.

Avant de donner la paroleàl'agentdu Nigéria,je dois annoncer que,après s'être renseignée

auprès des Parties,la Cour a décidé,onformémentau paragraphe 2 de l'article53 du Règlement,

que letexte desexceptionspréliminairesduNigériaetdesobservationsetconclusionsdu Cameroun

ainsi que celui de leurs annexesrespectives, seraientrendus accessibles aupublic dèsle débutdes

plaidoiries de cejour.

Jedonnemaintenantlaparole à S.Exc. M. Abdullahi Ibrahim,agentdelaRépubliquefédérale

du Nigéria.

M. IBRAHIM :Monsieur le président,Madameet Messieurs de la Cour.

1.C'estpour moi ungrand honneurque d'avoirl'occasion deprendre laparole devantlaCour

pour la première fois. Vous vous rappellerez que la présente affaire a déjàfait l'objetd'une

demande en indication de mesures conservatoires en 1996. C'estnotre agentà l'époque, -8-
O 8
S. Exc. M. Michael Agbamuche, SAN,mon éminentprédécesseu aru posted'Attorney-Générdle

laFédérationetde ministre de lajustice, qui avait alorsprél'exposé liminaire Nigéria.Lui

ayant succédéi,l m'incombedonc de faire l'exposéliminaire qui suit.

2. M'assisterontdanslaprésentationdesexceptionspréliminairesduNigéria lespersonnalités

éminentes quiont pris la parole devant la Cour lors des audiences consacrées auxmesures

conservatoiresà savoirmoncoagent,S. Exc. M. Richard Akinjide, SAN,ettrois internationalistes

éminents bien connus de la Cour, M. Ian Brownlie, Q.C., sir Arthur Watts, Q.C., et

M. James Crawford, S.C.

3. Je commencerai par une brève introduction géographique des caractéristiquesde la

frontière. J'expliqueraiensuite l'importanceque mon pays attache aux questions en litige. 'crr

terminerai par quelques brèvesobservations sur le contexte politique ainsi que sur l'espritdans

lequel la présenteinstance devrait se dérouler.

4. Commençonspar lagéographie.Monsieurleprésident,lafrontièredontleCamerounveut

soumettre le tracé l'appréciatiode la Cour est longueet accidentée. Pour aider la Cour dans sa

tâche,j'indiqueraisur les cartesqui apparaîtàol'écrales endroitsqueje mentionnerai. Je tiens

à ce qu'ilsoit prisacte du faitquetoutes noscartes sontfourniesuniqueàedes finsd'illustration

et sousréservedetout moyenjuridique que leNigéria souhaiterafairevaloirlors deces audiences

ou à tout autre moment de l'instance. Des exemplaires de toutes les cartes se trouvent dans les

dossiersdesjuges. Monsieur leprésident,voustrouverezune table desmatièresau débutde chaque
v
dossier. La table des matières etles documents dans lesdossiers suiventde façon génl'ordre

dans lequel nous aborderons les cartes au cours de nos exposés. Nous indiqueronscependant,

chaque fois que cela sera utile, la cote du document figurant dans les dossiers des juges pour la

commoditédelaCour et pour les besoins ducompterendude l'audience. Les dossiers contiennent

égalementquelques photographies illustrant le genre de relief dont il sera question.

5. La cartequi se trouve derrièremoi, sous la cote 3 de vos dossiers,montre la topographie

de l'Afrique de l'Ouest. Vous remarquerez, Monsieur le président, queles montagnes sur la

frontièrecamerounaisese comparentaveccelles de l'Atlassur la côteAtlantique. La carte suivante

se trouve sous la cote des dossiers. Il s'agitd'unecarte topographique de la région frontalière -9-

elle-même.Longuedequelque 1680kilomètres,cettefrontièreestun ensemblecomplexede côtes,

de mangroves,de rivières,de forêts ombrophiles,demontagnes, derégions herbacées, de savanes

de type soudanais, de milieux sahéliens, lacustres et désertiques.

6. A l'extrémitsud se trouve la presqu'île deBakassi. Lacarteprésentéeà l'écranse trouve

sous la cote 5. Bakassi est principalement une zone marécageuse de mangroves. Elle est

pratiquement inaccessiblesi cen'est par bateaupar l'intermédiaire d'un réscomplexede criques

et de bancs de sable. Bakassi appartient au Nigériaet on y trouve des implantationsnigérianeà

0 1.9 Abana,East Atabong, WestAtabong,BoroCamp,ArchibongTownainsiqu'àbiend'autresendroits.

La populationtotale de la presqu'îleest évaluàeplusdecent mille personnes. Ce sont,Monsieur

le président,des Nigérians.

7. Au nord de Bakassi, nous trouvons la forêt ombrophile,chaude, humide et très difficile

d'accès. Les zones frontalièresse situent dansun milieu extrêmementisolé. Les chemins y sont

très rares et les pistes qui y existent ont tendance êtrecahoteuses. Plus au nord encore, la

frontière traverse des terreshautes, des montagnes et des plateaux, très éloignés dprincipaux

centres de population. Ici encore, l'accès assupar les quelques chemins qui existent tend être

très difficile.

8. Dans 1'Etatde Borno,Monsieur le président,le Sahel étend lentement sonemprise depuis

quelques décenniesvers le sud. Le terrain devient de plus en plus aride et plat au fur eture

que l'onse déplaceendirectiondunordvers le lac Tchad. Cartographierle laclui-même n'ajamais

étéune tâche facile. Même entemps normal, la surfaceque ses eaux recouvrent varie fortement

en fonctiondes pluies et des saisons. Qui plus est, la sécheresseprolongée quia sévi au cours des

dernières décennies aeu pour effet de réduire radicalement sasuperficie et cà long terme. La

carte que vous voyez maintenant se trouve sous la cote. Elle est tiréed'unatlas du TimesAtlas

of the World datant des années cinquante. Quaranteans plus tard, une carte touristique française

- qui se trouve sous la cote 7 - montre la nette diminution du volume d'eaudans le lac.

9. Les implantations nigérianesen bordure du lac sont isolées. Pourles atteindre, il faut

entreprendre un voyage dificile sur des chemins poussiéreux. Une pistecahoteuse vous fait

traverser ce qui était autrefoisle lit du lac. Le voyage dure plusieurs heures. - 10 -
10. Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, nous croyons que les seules

zones où il existe de réelsproblèmesentre le Cameroun et nous-mêmes sont,tout d'abord, la

presqu'île de Bakassiet ensuite, certaines îles situéesgrossomodo dans la régionde Darak sur le

lac Tchad, quej'appellerai,pour des raisons de commodité,«la régionde Dar&». Je vous indique

maintenant où se trouve Darak sur la carte qui se trouve sous la cote8.

11.Monsieur le président,je voudrais maintenant mentionner les deux raisons principales

pour lesquellesles questionsque nousallons aborder revêtenu tne telle importance pourleNigéria.

11.1. En premier lieu, plusieurs dizaines de milliers de ressortissants nigériansviventakassi.

Cela fait plusieurs années que leur sécuripersonnelleest réellement mise en danger.Ils

n'ont pasétéqu'harcelés,un bon nombre ont été tués. Il s'agit lad'unfait trèsgrave. Nos rir

amis camerounais n'éprouvent pas les mêmesinquiétudes.Certes ils veulent Bakassi, mais

la population civile camerounaise qui y vit n'est guèreimportante et le Cameroun n'a pas

jusqu'à présentprétenduqu'il y ait eu des victimes chezlui, que ce soiàBakassi même ou

dans la régionde Darak.

11.2. En deuxièmelieu, leCamerounespèrenousenlever Bakassiet s'enservirpourélargir samer

territoriale et s'assurerune zone maritime plus grandedans le golfe de Guinée quece qu'il

obtiendrait par les négociations entamées entreles Etats intéressés.La carte que je vous

montre se trouve sous la cote 9. Comme M. Crawford l'expliquera,leNigéria esten droit

de s'attendreà ce que des discussions s'engagentsur la frontièremaritimeavant que celle-ci
*
fasse I'objetd'unrecours enjustice1. La frontièren'afait I'objetd'aucunediscussionau-delà

de la mer territoriale, comme il sera expliquéplus tard.

12. J'aimerais maintenant formuler quelques observations sur le contexte politique de la

présente affaire. Le préambule de la première constitution du Cameroun, de février1960,

proclamait la volontédu nouvel Etat de réunir les Camerounais habitantles territoires situésen

'Voirl'article74 de la conventiondesNationsUniessurle droitdAlaquellele Nigériat Camerounsont
parties. - 11 -

dehors des frontières nationales2. Cette aspiration a étépartiellement comblée l'année suivante

lorsque le ((Camerounméridional)),anciennement sous tutellebritannique, s'est unia nouvelle

Républiquedu Cameroun aprks un plébiscite organisé sousles auspices de l'organisation des

Nations Unies. Mais lamêmeannée,en 1961,le ((Camerounseptentrional))qui avait lui aussiété

administré par les Britanniques en tant que territoire sous tutelle de l'organisation des

Nations Unies, a choisi,à l'occasion d'unplébiscite similaire, des'unirau Nigéria. Terriblement

déçu,le Cameroun a fait part de ses doléanceà la Cour dans l'affairedu Camerounseptentrionad

mais la Cour s'est refusée à intervenir. Ce fut une très rude déceptionpour le Cameroun, le

président Ahidjo allant même jusqu'à proclamer un jour annuel de deuil national.

13. Trois décenniesplus tard, en 1994,le Cameroun est soudain de retourdevant la Cour.

Encore une fois, pour se plaindre au sujet de territoires qui ne lui appartiennentpas et ne lui ont

jamais appartenu. Je me demandesi nous en serions ici aujourd'huisanslesdoléancesrestées sans

suite du Cameroun au début des années soixante ? Quoi qu'il en soit,les requêtes actuellesdu

0 2 1 Cameroun, tout comme lors de l'affaire de 1963, sont des contestations erronéesde réalités

politiques etjuridiques établies depuislongtemps. LeNigérialui, tout au contraire,n'ajamais eu

de visées expansionnistesni d'ambitions territoriales. Nous I'avons indiquéclairement dès

l'avènementde notre indépendanceen 1960lorsque nous avons adoptéune politique expresse de

bon voisinage dans nos relations extérieures. Notre premier ministre à l'époque,

sir Abubakar Tafawa Balewa, a énoncécette politique lorsqu'ila déclaré«LeNigéria n'imposera

jamais sa volonté àun autre pays, nous traiterons tout territoire africain, grand ou petit, comme

notre égal.))

14. Monsieur le président, Madame et Messieurs dela Cour, les deux secteurs qui, je le

reconnais, font difficulté,Bakassi et la régionde Darak, bien qu'ilssoient isolés,sont administrés

par le Nigériaet sont habitéspar un trèsgrand nombre deNigérians. Le Cameroun soutient que

'«[le peuple camerounais]...proclame:sa volonte de tout mettre en Œuvrepour répondre auxaspirationsdes
Camerounaishabitant lesterritoires sépares dela mère patrie,afin de leur permettrede rentrerdans la communautt

nationale et de vivre fraternellementdans un Cameroununi.»

3Camerounseptentrional,ar, .I.J.Recueil1963,p. 15. - 12 -

le litige porte sur l'ensemblede la longueur de lafrontière,mais nousn'aurons guèrede difficulté

à montrer que cette prétentionn'estqu'unsimple stratagèmetactique. II n'existeaucun litige d'un

tel ordre.

15.J'ai dit qu'il y a un problème avec Bakassi. Mais laCour ne devrait pas croire qu'il

envenime nos relations depuis longtemps. Tantavant qu'après l'indépendance en 1960,Bakassi a

toujours été considéré comm feisantpartie du Nigériaet administré ainsi. Le Cameroun n'avait

guère manifesté d'intérêt pocuertterégion.Ni le Camerounni leNigérian'ont vudansBakassi un

quelconqueobstacle à de bonnesrelations. Les liensdiplomatiquesonttoujours étémaintenussans

interruption depuis l'indépendance.Nos deux pays ont aussi pratiquéune large coopération,tant

au niveau bilatéral que dans le contexte régional, dans des domaines tels que les .iir

télécommunicationsl,es conditionsde franchissementde frontières,les services aériens, la police,

ainsi que dans les domainesjudiciaire, économique,scientifique et technique.

16.Monsieur le président,uneraison particulièreme pousseàm'attarderun peu surl'histoire

de nos relations bilatérales.Le Camerounexpliquelesrequêtes qu'ila présentéeà laCour par une

double affirmation capitale sur le contexte politique. Ces affirmations ne sont pas simplement

inexactes, Monsieur le président,- elles manquenttotalement de vraisemblance. Je me dois de

les réfuter, carle Cameroun pourrait prétendre qu'elles revêteutne certaine importance pour la

décision quela Cour doit prendre à l'issuede ces audiences.

17.Lapremièredeces affirmationsest lasuivante. LeCamerounsoutientdanssonmémoire4
e
que les relations entre nos deux paysont été enveniméesdepuis lmeilieu des années soixantepar

des incidents survenus tout le longde la frontière,compris des affrontements armés.

18.Monsieur leprésident,bienque laperception derelationsbilatéralessoitàcertainségards

d'ordre subjectif, cette affirmation est tout simplement incroyable.La suite du mémoiredu

Cameroun le prouve d'ailleursinvolontairement. Le texte necesse de faire étatde discussions,de

commissions mixtes, de négociations, d'accordet de concessions. Il démontrequ'aucundes deux

gouvernementsn'était disposé à laisserleurs relationsamicalesêtre entaméese façondurable par - 13 -

laquestion de Bakassietmême partoute autre question. Quantà laquestionde la régionde Darak,

elle ne se posait tout simplementpas, et le Cameroun est bien en peine de dire le contraire.

19.Pendanttoute lapériodequi a suivi l'indépendancel,eNigéria s'estconduit en bonvoisin

à l'égardde tous les Etats limitrophes,y compris le Cameroun. Il a égalementétun membre actif

et responsable de l'organisation des NationsUnies, de l'organisation de l'unitéafricaine, de la

Communautééconomiquedes Etats de l'Afriquede l'Ouestainsi que de bien d'autres organismes.

La communauté internationaleapris acte de ce fait. Le Nigéria a participé à des opérations de

maintiende la paixdans au moins dix-huitpays dans le monde entier. On en trouvera la liste sous

la cote 10 dans le dossier desjuges.

20. Malgréla réalitédesfaits, il est soutenudans lemémoiredu Cameroun5que des incidents

se sontproduits tout le longde la frontièrecommunedesdeux Etatspratiquementsans arrêt depuis

l'indépendance en 1960. Le Camerouna déposé avec ses observations un répertoiredes prétendus

incidentsfrontaliers. Sir Arthur Watts aborderace point un peuplus tard. Permettez-moijuste de

vousdire maintenant,Monsieurleprésident,que la plupartdes faitsque leCamerouninvoquedans

son «répertoire» sontdes questions localesinsignifiantescomme il s'en produitsouvent le long de

nombreuses frontièresen Afrique. Elles n'ont pasétécause de frictions entre Etats. Et elles n'ont

pas non plus mis en cause l'ensemble dela frontière.

21. Le Cameroun en étaitpeut-être conscient. Quoi qu'il en soit, ila tenté de renforcer

l'argumenttrèsmince qu'ilavançait en arguant des prétendues«incursions»militaires nigérianes

dans lapresqu'île de Bakassi le 16mai 1981. LeCameroun affirme qu'unpatrouilleur nigérian a

O ouvert le feu sur un bateau camerounais et que le Nigéria atentéde profiter de la mort de cinq

soldats nigérianspour en faire porter la responsabilitéau Cameroun. Monsieur le président,lors

de l'incidenten question,ce sonteffectivementdesNigérian etnondes Camerounaisqui ont perdu

la vie. Une semaine plus tard, le président duNigéria arépondu à une lettre du présidentdu

Cameroun en demandantdes excuses sans réservedu Cameroun, la traduction des meurtriers en

justice et l'indemnisation intégrades familles des Nigérians tués.Le dossier soumis à la Cour

'Voirle memoireduCamerounp,aragraphes.0à 1.09. - 14 -

prouve que le Camerouna présentédesexcuses sans réserve auNigéria et aindemniséles familles

desvictimes6. Monsieurle président,j'invitenos amiscamerounais à expliquerà laCour pourquoi

ils n'ont pasfait étatde ces faits essentielslorsqu'ilsont longuementévoquétncident dans leur

mémoire. J'aimerais avoir une explication.

22. Quoi qu'il en soit, le doss-ersoumis par leCamerounlui-même- montreclairement

que les relations bilatérales,aprè1981 comme avant, sont généralemend temeuréescordiales et

empreintes d'un esprit de coopérationjusqu'à ce que le Cameroun suscite de graves tensions au

cours des quelques dernières années.

23. La deuxième affirmationcapitalede la part du Cameroun est qu'ila soudainement«pris

conscience))au milieude 1994 que leNigériaremettait systématiquement7 en cause l'ensemble de 4

la frontière entreles deux Etats.

24. La première requête déposé per le Cameroun en mars 1994 avait pourobjet de prier la

Cour de dire que Bakassiappartient au Camerounet définir l'emplacemendte lafrontièremaritime.

Trois mois plus tard, le Cameroun a déposéune deuxièmerequête danslaquelle il invoquait

maintenant l'existenced'un différendd'unebien plus grande portée englobanttoute la frontière

terrestre entre les deux Etats. Pour tenter dejustifier cette affirmation totalement insoutenable, le

Cameroun a accusémon pays de manifester des intentions agressives.

25. Monsieur le président,Madameet Messieurs de la Cour, le Nigériaéprouvela plus vive

indignation devant l'iniquité de cette accusation. Heureusement il est facile de la réfuter. Le
u'

mémoireduCameroundemars 1995 articule l'accusationenquatrepoints8. J'aimeraisles examiner

brièvement.

6Voirles paragraps43A39 et les piéces1, 2 et3 dansles annexesEPN.

'~émoireduCamerounp , ar.1.10.

'Voirle mémoirduCamerouns,ection1. - 15 -

024 25.1. En premier lieu,leCamerouna affirmégque lestroupes nigérianes((avaientviolé de manière

flagrante))l'intégriterritoriale du Cameroun Bakassi lors d'unesérie de gravesincidents

frontaliers en 1993et en 1994,qui ont culminé avec laprétendue«invasion»par le Nigéria

d'une partiede la presqu'île versla mi-février 1994.

25.2. En deuxièmelieu,ilest alléguéiq0ueleNigéria aprocédé à l'occupation«civile» deKontcha,

que je vous montre maintenantsur la carte qui se trouve sous la cote 11 de vos dossiers.

25.3. En troisièmelieu, il est soutenu" que le Nigéria a occupé militairemenlta régiondeak

dans le lac Tchad.

25.4. En quatrièmelieu, il est soutenu dans le mémoirequ'une notediplomatique du Nigériadu

14 avril 1994,affirmantnotre revendicationhistorique sur Daraki2,a amenéle Cameroun à

soudainement((prendreconscience))quecette revendicationterritoriale, s'ajoutàcellesur

la presqu'îlede Bakassi, s'intégrait dansun plan systématique de remiseen cause par le

Nigéria del'ensemblede lafrontièreentre les deuxEtats, courantsur 10 kilomètresdu lac

Tchad à la mer.

26. Monsieurleprésident, Madameet Messieursde laCour,rienne pouvaitfonder ni nepeut

fonder le Cameroun à aboutirà cette ((prisede conscience)),comme le montàel'évidenceunetrès

simple analyse des quatre points qu'ilsavancent.

27. Quant au premierpoint, le Nigéria rejette entièrementla version des faits présparée

le Cameroun au sujet de Bakassi. On ne saurait admettre que le Cameroun compare à un acte

d'agression la présenceà Bakassi de populations nigérianeset d'une administration nigériane

remontant sans interruptionà une époque précoioniale. Quoiqu'il en soit, le Cameroun n'est

manifestement pas fondé à déclarerque toute la frontière esten litige.

Wémoiredu Cameroun, section1,tout particulièrementle paragraphe 1.02.

'par.1.09.

"ibid.

I2Mémoiredu Cameroun, annexeMC 355. - 16 -

28. S'agissantdu second point, il est affirméau paragraphe 1.9 du mémoireque le Nigéria

s'estlivré une «occupationcivile))de Kontcha,reprenant une assertion figurantdans une note de

protestation du Cameroun du 11 avril 1994indiquant que «des Nigérians occupentillégalement

025 Kontcha»13. Mais un peu plus loin dans le mémoire14a ,insi que dans les observation^' ^e,

Cameroun fait marche arrière surce point et allègue que le Nigéria avait occupéune partie du

territoire camerounaisà Typsan,près de Kontcha.

29. Le Nigéria n'ajamais occupéni revendiquéKontchaet nous l'avonsindiquéclairement

au Cameroun dans notre note diplomatiquedu 14 avril 199416.

30. Quant à Typsan, ce village se trouve au Nigéria. Il a étéfondé,après le plébiscite

de 1961 sur la rive occidentale de la rivière Typsanqui forme la frontière. Kontchaest situéa e

deux ou trois kilomètres à l'est de la rivière". Vous verrez maintenant à l'écran, Monsieurle

Président,une photographiepar satellite- souslacote 12dansles dossiers - montrantclairement

les positions relatives de Typsan, de la rivière Typsan et de Kontcha. La photo illustre

accessoirementaussi le caractère accidentédu relief local. Vous pouvez voir que Typsanse situe

à l'ouestde la rivière,en territoire nigérian.

31. Jusqu'en 199518,le Cameroun n'avaitjamais revendiquéTypsan. Il a avancé pourla

premièrefois cette allégation controuvée de l'occupationde Kontcha - choisissant son moment

avecun soin qui ne semblepas accidentel - danssa lettre du 11 avril 199419,'est-à-direentre les

datesde sa première etde sa deuxièmerequêtesen la présenteinstance. Il n'yavaitjusqu'en 1994,
*
pour autant quej'aie étéen mesure de le vérifier,aucune note de protestation ni lettre faisant état

"Mémoiredu Cameroun, annexeMC 355.

I4Par.6.90 et suiv.

I5Vol.I-Répertoir- App.20.

I6Mémoirdeu Cameroun,app.MC 355.

I7Voirphotographie par satdans lesdossiers des jugessous la cote 13.

"Cette revendication semble avoirrmuléepourla premiérefois dansle mémoirelui-mêmea,ux

paragraphes 6.90et suivants.

'%Cmoiredu Cameroun, annexeMC 355. - 17 -

d'une prétendue occupation soit de Kontchaou de Typsan par leNigéria. En bref, le Nigérian'a

jamais revendiqué Kontcha. Et jusqu'en 1995, le Cameroun n'avaitjamais revendiquéTypsan.

32. Letroisièmepoint serapporte à la prétendueoccupationmilitairede Darakpar leNigéria.

Mais notre position au sujet de la régionde Darak, telle qu'elle a étéexposéedans la note

diplomatique du 14avril 1994", ne pouvait surprendrele Cameroun. Cela faisait des années que

celui-ci, comme d'autresEtats membres dela commissiondu bassindu lacTchad,participaitàdes

opérationsde patrouille commune dans le lac. Le Cameroun savait parfaitement depuis de

0 :!6 nombreuses années quele Nigériaavait des implantations à Darak ainsi que sur certaines terres

émergées dans le lac, habitéespar des Nigérians et administrépar le Nigéria. La preuve que le

Cameroun a lui-mêmeproduite fait qu'illui est impossible de nier ce fait?'.

33. En quatrièmelieu, le Cameroun fait étatde la note du Nigéria du14 avril 1994. Or il

est manifeste que cette note, d'unton totalement pacifique, ne saurait avoir surpris le Cameroun.

34. Monsieur le président, Madameet Messieurs de la Cour, les quatre raisons que le

Cameroun invoque pour affirmer avoir soudainement «pris conscience» de ce que le Nigéria

remettait systématiquementen causel'ensemble delafrontièresontdoncmal fondées. Ellen se sont

pas simplement mal fondées, mais très manifestementmal fondées. Quel que soit l'avantage

tactique que le Cameroun voulait s'assurer par cette allégation,celle-ci n'auraittout simplement

jamais dû être faite.

35. J'aimerais maintenant dire quelquesmots sur la perspective dans laquelle il convient

d'aborderla présente instance ainsi que sur lafaçon dont elle devrait se dérouler.

36. Aprèsavoir déposé sa deuxièmerequête et plus tardson mémoire,le Camerouna tenté

d'asseoirdans les faits la fiction d'une frontièreremisesystématiquementen cause par leNigéria.

Il l'afait par une série de provocationsque mon gouvernementne peutque déplorer.Latrame des

événements à partir de 1994 montre que le Cameroun a essayéde faire monter la tension dans

l'espoirde décontenancerun voisin qui avait étésurpris. Je n'aid'autrechoix que d'exprimerà la

Z"Mémoirdeu Cameroun, annexeMC 355.

"Voir par exemplele mémoiredu Cameroun,annexes MC 282et MC 283. - 18 -

Cour la consternation que ressent mon gouvernement devant cette attitude. Je le ferai aussi

brièvement queje le peux, maisje dois, mon grand regret, faire allusàcertaines questions,

notamment àl'emploide méthodesviolentes par le Cameroun.

37. Le 25 juillet 1995,le Cameroun a envoyé des troupàsWest Atabong, à Bakassi. La

carte se trouve sous la coteLes troupes camerounaisesont ouvert le feu surun bateau civil,ont

tuéun certain nombre decivilsnigérians,battud'autresetconfisquédesbateauxoteur ainsique

des filets de pêche.

38. Quelques semaines plus tard, en août 1995, le Cameroun a attaquédes positions

nigérianes Archibong Town,dans lenorddeBakassi. Cetteattaquea causélamort d'unNigérian

et-fait un autre blessé. Un Camerounaisa également étué.

39. Le 3 février1996,le Cameroun a lancé unenouvelle attaque sans aucune provocation

dans la presqu'île de Bakassi. C'étaijtour de marchét Atabong. Les habitants vaquaienà

0 2 7 leurs occupations normales et voilà qu'ilssont subitement soàmun bombardement surprise.

Point n'estbesoin de vous dire,Monsieur le Président,la gravitéd'un bombardement frappantune

populationcivile rassembléepourle marché.Lebombardement n'était psccidentel,il aduréprès

de sept heures et a étésuivi d'uneattaque que notre garnison a néanmoinspu repousser. Toute

l'opérationsemble manifestement avoir étésoigneusementplanifiéeet coordonnée sousla forme

d'une opération amphibie camerounaisemenéeà partir des criques parsemant la presqu'île.

40. Madame et Messieursde la Cour se rappellerontque le Camerouna soutenu le contraire
w
en mars 1996 lors des audiences sur les mesures conservatoires et il a affirméque les forces

nigérianes avaient attaquéle Cameroun. Or lesfirmationsavancéesparcelui-ci sont totalement

dénuées de crédibilité.Ce sontdix civils nigérians qui ontperdu lavie et vingt autres qui ont été

blessés, entout trente victimes civiles nigérianes, c'essixfois le nombre de nos victimes

militaires (deux soldats tuésettrois blessés). Selon sespropres élémepreuve, le Cameroun

lui, par comparaison, n'aeu que deux victimeset un disparudans ses rangs et il est rruelateuq

ce sonttous des militaires. Le Cameroun n'ajamais contestéces chiffres, ni mêmed'ailleursdans

son prétendumémorandumsur la procédure. Le nombre des victimes civiles nigérianes a très - 19 -

élevé justement parce que nous avons étpris au dépourvu. Etil y a eu par la suite de nouvelles

attaques, notamment lors de la nuit du 16 février1996.

4 1.La campagneorchestréepar le Cameroun au sujet de la question de Bakassi incluaitune

demande priant la Cour d'indiquerdes mesures provisoires. Elle s'estpoursuivieavec le prétendu

mémorandumdu Cameroun sur la procédure. Ce document, Monsieurle Président n'esten réalité

qu'une nouvellepiècecomplexe quen'autorisepas le Statutde laCour etje suis convaincu partant

que la Cour n'entiendra pas compte.

42.Si l'onexaminelatramed'ensembledesévénementd sepuislapremièrerequêteM , onsieur

le président,le Camerounn'adonccessé d'essayer de fairemonter latension de différentesfaçons,

non seulement par les faits que je viens de relater, mais égalementpar une série de notes

diplomatiques stridentes, la dernièredatant peine d'une semaine. Le Nigéria,pour sa part,

recherche l'apaisement, n'envoiede notes officielles de protestation que lorsqu'ilestime qu'elles

seront utiles et réserve defaçon généraleses droits.l s'agit làd'une attitude digne, que nous

croyons êtrecelle qui convient dans les circonstances.

43.Monsieurleprésident,Madameet Messieursde laCour, lesNigérianset lesCamerounais

sont fières aubout du compte.. Je puis vous dire en toute sincérité quele Nigéria demeurebien

disposé à l'égarddu Cameroun malgréson comportement depuis 1994. On compte environ

** deux millions cinq cent mille Nigériansau sein de la populationtotale du Cameroun qui s'éàève

treize ouquatorzemillions environ. L'apport desNigérianàlavie du Camerounse manifeste sous

bien des formes différentes. Et un grand nombre de Camerounais vivent heureux au Nigéria

enrichissant égalementla vie de notre pays.

44. Monsieur le président,Madame et Messieursde la Cour, il convienttant pour nous que

pour le Cameroun de reconnaître l'intérêq tui est le nôtre de bénéficier de frontières stables.

Celles-ci importentd'ailleursmême pluàmon paysqu'auCameroun. Car si lathèsedu Cameroun

à l'égardde Bakassi ou de la régionde Darakfinit pas triompher, ce sont plusieurs dizaines de

milliers de Nigérians- qui ont toujours été Nigérianest qui ont été gouverné s partir du

Nigéria - qui verraient soudainementleur personneet leurs biens transféàéun autre Etat doté

d'un système différentet de traditions politiques différentes. Ces Nigérians pourraientse voir -20 -

expulsésde leursterres ou privésde leur gagne-painou êtrevictimesde ces deux mesures. Nous

osonsespérerque le Camerounse conduira bien maisnous avonsde bonnes raisons d'êinquiets.

Les ressortissants camerounais,eux par contre, ne courentpas dutout un risque comparable. Je le
dis parce que les deux Parties savent que peu de Camerounaisviventassi ou dans la région

de Darak.

45.11 va quasi sans dire que les questions réellessur lesquelles la Cour estàaseelée

prononcer au coursde ces audiencesconsacréeànos exceptions préliminaires sont des questions

de droit. La propagande, qu'ellevienne d'uncôtécomme de l'autre,n'aiderapas la Cour dans ses

délibérations. Querien n'empêchecependant le Cameroun de combattre nos exceptions

préliminaires avec toutela vigueur voulue. Mais que cette instance se déroule dansun esprit de

respect, de respect pour la Cour et aussi de respect réciproqueentre deux Etats frères.

46. Ainsi se termine, Monsieur le président, mon exposéliminaire sur les exceptions

préliminairesdu Nigéria. Je vousdemanderai de donner la paroleir Arthur Watts.

Le PRESIDENT :Je vous remercie beaucoupM. l'Attorney-General. Je donne la paràle
sir Arthur Watts.

Sir Arthur WATTS :Monsieur le président,Madame et Messieursde la Cour,j'ail'honneur

de présenter la première exception préliminairedu Nigéria, selon laquelle la Cour n'est pas

compétentepour connaître de la requêtedu Cameroun.

Les faits essentiels sont simplesLe Nigéria a accepté la compétence de la Cour -

conformémentau paragraphe 2 de l'article 36 du Statut dès 1965. Le Cameroun ne l'afait que
le 3 mars 1994. Le Camerouna ensuite présenté sa requêtela Couà peine trois semaines plus

tard, le 29 mars 1994. Le Nigérian'arien su de la déclarationfaite par le Cameroun en vertu du
paragraphe 2 de l'article36 avant quereffierne l'informede ceque le Cameroun avaitprésenté

sa requête.

Etant donné cette chronologie, le Nigéria considèreque les conditions prévues au
paragraphe 2 de l'article36, lues au regard de la déclarationdu Nigérialui-même,n'ontpas été

remplies. LeCameroun,en déposantsarequêtele29 mars 1994,aagiprématurémentet,ce faisant,

n'apas satisfaitla condition de réciprocité, quidoit êtreremplie avant que lajuridiction de la

Cour puisseêtreinvoquée contre leNigéria. - 21 -

1.Monsieur le président,permettez-moi d'abordde rappeler àla Cour le comportement du

Cameroun dans la saisine de la Cour. En particulier, examinons de près le comportement du

Cameroun au débutde 1994.

Ce n'estpas du jour au lendemain qu'ungouvernement décidede faire une déclarationen

vertu de la clausedite facultative, ni encore moins de préparerune requêteintroductived'instance.

Ces deux démarchesexigent une préparation longueet soigneuse. Nous pouvons supposer àcoup

sûr que le Cameroun, enfaisant sa déclaration declause facultative et en présentantsa requêteen

mars 1994,devait avoir préparé activement ces mesures au moins depuisjanvier 1994.

Or,leCamerounn'apas manquédepossibilitésd'informer leNigériadefaits quiconcernaient

leurs relations mutuelles. Pendanttoute cette époque,leNigériaet le Cameroun entretenaientdes

relations diplomatiques. Ils avaient des mécanismes permanents,bien établis,de coopération

bilatérale aussibien que multilatérale. Ilsavaientaussi de nombreuses occasions ponctuelles,aux

niveaux les plus élevés, officielset locaux, de discuter de questions d'intérêt commun.

Permettez-moi d'énumérer simplement quelques réunions qui on etu lieudes niveaux élevés au

cours du premier trimestre 1994 - c'est-à-dire la périodà l'issue de laquelle le Cameroun a

invoquéla compétencede cette Cour. Le 13janvier, s'esttenue une réunion à Abuja entre le

généralSani Abachaet leministredesaffairesétrangères duCameroun'; le24 janvier, une réunion

à Buea entre l'ambassadeurdu Nigériaet le ministre des affaires étrangères duCameroun; les

O 3 0 ministres des. affaires étrangères des deux Etats se sont rencontréà Buea le 10févrie?; et

le 9 mars, les deuxministres des affaires étrangèresse sontvus denouveau,cette fàiYaoundé.

En outre, au cours de cette période, les deuxchefs d'Etatont échangde la correspondance (en

fé~rier)~.Je dois également mentionnerla réunion ausommet de la commission du bassin du lac

Tchad, tenue à Abuja du 21 au 23 mars 19944 :le général Abachay a assisté,mais en dernière

--

'EPNannexe56, p. 20dutextefrançais.

'EPNannexe60, p. 208dutextefrançais.

'EPNannexe60, p. 20dutextefrançais;rkponsele 19fkvrier1994.

4EPNannexe77. - 22 -

minute, le président Biyan'est pas venu et le Cameroun n'y a étéreprésentéqu'au niveau

ministériel. Et une semaine plus tard, le Cameroun a déposé sarequêtedevant la Cour.

- Le Cameroun a-t-il utilisél'unequelconque de ces occasions pour mentionner qu'il se

préparait activement à accepter la compétencede la Cour ? Non, Monsieur le président,le

Cameroun n'ena rien fait.

- Le Cameroun a-t-il utilisél'une quelconquede ces occasions pour mentionner qu'il se

préparait activement àintroduire une instance contre le Nigéri? Non, Monsieur le président,le

Cameroun n'ena rien fait.

- Même aprèsle 3 mars 1994,après avoir acceptélacompétencede la Cour en vertu de la

clause facultative, le Cameroun en a-t-il informéle Nigéria ? Non, Monsieur le président,le e

Cameroun n'ena rien fait,même paslors de la réunionau sommetune semaine àpeine avant que

le Cameroun n'introduisesa requête.

Et ce que le Camerouna fait est aussi importantque ce qu'iln'apas fait. Pendantles mois

quiont précédé sa requête àla Cour, le Camerouna poursuivi ses discussionsavec leNigéria sans

donner à celui-ci la moindre indication qu'il s'apprêàt prendre une mesure aussi grave qu'est

l'introductiond'une instancedevant la Cour.

Il ne s'agissaitpas simplement d'une omission, il s'agissaitd'uncomportement destiné à

induire le Nigériaen erreur. Au cours de cette période,le Cameroun a trouvéle moyen de se

montrer satisfait des mécanismesbilatéraux :lors de sa réunion du13janvier avec le général ani
lllC

Abacha, le ministre des affaires étrangèresdu Cameroun avait proposé«de mettre sur pied une

commission d'enquête mixte chargée d'examiner l'ensemble dle a question frontalière5»;et le

présidentBiya exhortaitmême le présidenA t bacha, le 19 février 1994encore,à persévérerdans

l'intensificationdes efforts de négociation den cours»6. Le Camerounentendaitmanifestement

induire le Nigéria enerreur.

'EPN,par.21.

6AnnexeMC337 :les italiquessde moi. - 23 -

Pourtant, Monsieur le président,«la Cour a soulignéla nécessité de respecter, dansles

relationsinternationales,lesrèglesde labonne foi et de laconfianceen destermesparticulièrement

nets))'. Je n'ai pas besoinde souligner l'importance de la bonnefoi, mais il y a deux aspects sur

lesquelsje voudrais appeler l'attentionde la Cour.

Le premier est que, bien que l'importance de la bonnefoi soit de nos jours tenue pour

acquise, c'est seulement assez récemment que la Cour elle-même ajugé bon de l'énoncer

explicitement.

Deuxièmement,ces considérations debonne foi sont particulièrement importantesdu point

de vue de l'établissement de lajuridiction de la Cour en vertude la clause facultative. La Cour

elle-même l'adit8:la bonnefoi doit êtrerespectée,et laconfiancedans lesrelationsinternationales

doitêtre accrue. LaCour a reconnu que l'«exigencede bonnefoi» s'applique à la dénonciationdes

déclarations9.Cette exigencene peut manquerde s'appliquerégalement àleur dépôt et à leur mise

en Œuvre. LesEtats ont ledroit d'attendrede la partdes autresEtats qui font desdéclarationsqu'ils

se comportent en conséquence..

Au lieu de quoi, le Cameroun donnait activement au Nigériaune fausse impression de

sécurité tout en sapant simultanément le dialogueen se préparant subrepticement à saisir la Cour.

Le Nigéria,de bonne foi,se reposait sur les représentationsque lui faisait le Cameroun. Et puis,

les attentes légitimesdu Nigéria se trouvèrent détruites palra préférence soudaine du Cameroun

pour un règlement parune tierce partie, contrairement à tout ce que le Cameroun avaitjusque-là

conduit le Nigéria à croire sur l'intérêdte mécanismes bilatéraux.

La ((nécessitéde respecter ...les règlesde la bonnefoi et de la confiance))dans les relations

internationalesne sauraitavoir été observée dansces conditionsL . e Camerouna cherchépendant

'C.I.J.Recueil 1984,418 :voir le passagecitt a la 8oci-dessous.

'Activités militaetparamilitaires auNicaraguaet contre celui-ci,C.I.J.Recueil 1418.pVoir aussi EPN,
par.1.18.Le passagedont il s'agitest le su:((Dansl'établissemet e ceréseaud'engagementsque constituele

systémede la clausefacultative,le principe de la b0~e foijoue un rôle essentiel;et la Cour a soulignéla ntcessitt
de respecter, dansles relations internationales,les réglesde la bonne foi et de la confiance en des termes
particuliérementnets.))

9Activits ilitaireset paramilitaires auNicaraguaet contrecelui-ci,C.I.J.Recueil420,par.63. - 24 -

tout ce temps à cacher ses intentions et à induire en erreur, puis il s'est efforcéde fonder

l'incompétencedela Cour sur les résultatsde cette présentationdéformée.Monsieur le président,

le respect qui s'impose pour la procédure judiciaire de cette Cour exclut l'établissement de la

compétence à la dérobée.

Et quelle est la réponsedu Cameroun à tout cela? Le Cameroun,je le constate, ne cherche

pas à nier qu'ily a eu des réunionsau coursdesquelles il aurait pu informer le Nigériade ce qui

se tramait; il ne nie pas non plus qu'iln'arien faiàl'uneou l'autrede ces réunionspour informer

le Nigéria. Donc, en fait, le Cameroun reconnaît avoir induit le Nigériaen erreur.

Le Cameroun affirme aussi'' que le Nigériadevait savoir que les moyens pacifiquesdont

disposait le Cameroun pour régler lelitige de Bakassi comprenaient l'optiond'en saisir la Cour. *d

Mais, Monsieur le président,cela ne serait exact qu'à partir du moment où le Nigériaavait

connaissance de ce que le Cameroun avait fait une déclarationde clause facultative :jusque-là,

d'aprèsce que savait le Nigéria,l'optionde la Cour internationalede Justice n'était pas l'undes

moyens dont disposait le Cameroun. D'où lasurprise du Nigéria lorsqueapparut la vérité.

Le Camerouns'efforceaussi demontrerque leNigériaconnaissaitdéjàses intentions. Ainsi,

dit le Cameroun, en février 1994, le président Biyaévoquait la possibilitéd'un ((règlement

juridictionnel))dans un message au généraA l bacha". Or le message mettait l'accentnon pas sur

un règlementjuridictionnel, maissur la négociation- le président Biya demandaitau Nigériade

((persévérerdans l'intensificationd))es négociationsen cours. Enoutre, unevague référence à une
I
((voie juridictionnelle)) n'indiquait guère que le Cameroun envisageait de saisir cette Cour,

particulièrement à un moment où le Camerounn'en avaitpas acceptélajuridiction. On nous cite

ensuite une information radio provenant de Libreville, capitale de 1'Etatvoisin du Gabon,qui est

présentéecomme une notification officiellepar le Cameroun12 ! Puis une autre information,parue

dans la presse, relatant des observations faitesr le ministredes affaires étrangèreduNigériaau

LOObservatiodu Cameroun surles exceptionspréliminai, ar. 1.46.

"Observationsdu Cameroun,par1.93;annexeMC 337.

'*Observatiodu Cameroun,par.1.94;observationsdu Cameroun,annex11. - 25 -

sujet d'une décision quele Cameroun aurait apparemmentprise de porter cette affaire devant le

Conseil de sécurité etla présente Cour13 :mais encoreune fois, Monsieurle président, quelpoids

accorder à desremarquesde cettenature à un moment- nous sommestoujoursen février1994-

. 4)3 3 où le Cameroun lui-mêmereconnaît qu'il ne pouvait saisirla Cour de cette affaire ? Il n'est pas

étonnantque le ministre des affaires étrangères ait été perplexdeevant ce qui semblait s'écarter

autant de l'engagementprécédemment prispar le Cameroun de recourir à la négociation etau

dialogue. Ensuite, nous avons unelettreadresséepar leministre desaffairesétrangères du Nigéria

auprésidentduConseilde sécuritél,e 4 mars 1994,évoquantle faitqueleCamerounavait«engagé

une procédure))auprèsde la Cour14- mais, comme nous le savons,aucune procédure n'avaitété

engagée à l'époque,aussi ne peut-on guère donnerbeaucoup de poids à cette référence.Puis, la

réunionde l'OUAdu 11mars 1994,dont le Cameroundit curieusement qu'ellemontre que «tous

lesofficiels africains))connaissaientles démarchesengagéespar leCameroun poursaisir la Cour";

mais, Monsieur le président,l'onreconnaît que le plus haut placéde ces officiels - le secrétaire

généralde l'OUA lui-même-- n'avait pas connaissance de ce prétendufaitI6 et, en vérité, à

l'époque,il n'y avait pas devant la Cour d'affairedu Cameroun dont quiconque aurait pu avoir

connaissance !

Monsieur le président,tout cela est un rappel si confus d'événementdsivers que l'onne peut

en tirer aucune conclusion sérieuse. En étant obligé de sefonder là-dessus, le Cameroun appelle

l'attentionsur sa déterminationà éviter d'être franacu sujet de ses actes:la transparence étaitla

dernière chose que souhaitaitle Cameroun.

Quant au reste, le Cameroun met en avant un mélanged'informations diffuséespar la radio

et lesjournaux. Mais le Cameroun aurait pu dire directement au Nigériace qu'ilse proposait de

faire: pourquoi se fier à des moyens aussi indirects de transmettre des informations d'Etat si

'30bservationsdu Cameroun,par. 1.95;annMC340.

140bservationsdu Cameroun, par.1.96;annexeMC 344.

150bservationsdu Cameroun1.97-1.98;annexe MC349.

16Cetveu figuredans lerapportinterne que fait le Camerounde cette:ibid, p. 2848. - 26 -

importantes ? Les Etats ne sont pas censésréagiraux nouvelles diffiséespar les médiascomme

s'ils'agissait de communicationsofficiellesde la position d'unautre Etat. La diplomatie par voie

dejournalisme est un moyen peu sûr.

II. Yenviens àla questionde laréciprocité.Surce point, lesthèsesduNigéria sontsimples.

Premièrement,la déclaration du Nigériaen vertu de l'article36 était expressémentassortiede la

réservede réciprocité;et, deuxièmemend t,ans les circonstances de la requêdu Cameroun, il n'y

avaitpasde réciprocitésuffisantpeoursatisfaire laconditionqu'imposaitladéclarationduNigéria.

034 Monsieur le président,beaucoup de textesde doctrine consacrésà cettequestionet, sije puis

me permettre, même certains arrêtd se cette Cour, ne distinguent pas de façon constante les

différentssens dans lesquels la notion de réciprociest pertinenteà l'applicationdu régimede la IJ

clause facultative.On peut en discerner au moins six. Il y a, d'abord,le principe généralde

réciprocité,ur lequel repose tout le système,fondésur sa nature consensuelle et contractuelle.

Deuxièmement, ily a la réciprocité au sensprécisdu paragraphe 3 de l'article36 du Statut. Puis,

troisièmement,il y a la réciprocitau sens de l'acceptationpar les parties de la mêmeobligation

conformémentau paragraphe 2 de I'article36;mais il existe une source de confusion du fait que

le paragraphe 2 de l'article36 ne mentionnepas explicitement la «réciprocité» papslus d'ailleurs

qu'iln'établit devéritableréciprocité ilprévoitplutôt uneconditionque l'onpeut peut-êtremieux

définircomme une«coïncidence» :l'acceptationde lajuridiction de laCourpar 1'EtatA et 1'EtBt

doitêtrede même portés eur le fond. Quatrièmement,et par conséquent,il existe une réciprocité 'ir)

au sensoù chacunedes Parties a ledroit d'invoquerles réservesfaitespar l'autre. Cinquièmement,

laréciprocitépeutêtreuneconditionpréciseexpressémentimposéeparlesEtatsdansleursréserves.

Et sixièmement,et cela recoupe peut-être d'autreasspects, il y a réciprociau sens d'uneentière

identitédes positions entre les Etats intéressés.

Dans ce contexte, examinons la déclarationdu Nigéria. Le Nigéria acceptaitlajuridiction

de la Cour comme obligatoire «à l'égardde tout autre Etat acceptant la mêmeobligation)). Ce

disant,elle répétait simplemenlte texte du Statutrelatif àla«coïncidence». Mais la déclarationdu

Nigériaajoutait ((c'est-à-diresous la seule condition de réciprocité)).Ce membre de phrase

supplémentaireest crucial.Il ajoutait des considérationsde mutualité.Il demandenon seulement -27 -

que les Etats A et B aient acceptélajuridiction de la Cour dans la même mesure, ais aussiqu'ils

puissent chacun invoquerleur déclarationrespective- en fait, qu'ilssoient l'unet l'autrecapables

àégalitéd'utiliselrapossibilitéqueleuroffrentleursdéclarationsparallèles,t qu'ilss'exposenttous

deux à égalitéà ce que des procédures puissentêtreengagéescontre eux. Mais cette égalité de

risque était absenteen laprésente espèce.En vertu de son acceptationde longuedate de la clause

facultative, le Nigéria couraitle risque d'êcité devant cetteCour comme défendeur :mais le

Cameroun ne couraitaucun risque réeléquivalent,du moinsjusqu'à cequ'ilagisse à découverten

introduisant une requêtedans la présenteaffaire. Aux termes de sa déclaration, le Nigéria avait

précisé clairementqu'il n'acceptait passeulement la juridiction de la Cour sur la base de la

' «coïncidence» prévuedans les termes du paragraphe 2 de l'article36, mais qu'il demandait

également qu'il y aitune véritableet entière((réciprocité)).

Le fait que la déclarationdu Nigéria aitjoutéla mention de la réciprocité ne saurait être

négligé. Si l'onutilise des termes, il faut supposer que ceux-ci ont un objet et un sens qui en

justifient l'emploi. Dansl'affairedesRéclamationsdes IndiensCayuga,la situationa été exprimée

dans les termes suivants:

«Rien n'estmieux établi,comme critère d'interprétationdanstous les systèmesde
droit, que le principe selon lequelune disposition doit s'interpréter demanièàelui
donner un sens plutôt que de l'enpriver.))"[Traductiondu Grefle.]

Et la Cour, Monsieur le président,dans l'affairedu Comitéde la sécuritémaritime,a de même

rejeté uneinterprétationd'une disposition detraitéau motif qu'elle«aurait pour effet de rendre

superflu))le passage en question18.

Le Camerounavance19que la référence supplémentaire àla réciprocitne sert qu'àredire ce

qui est contenu dans le membre dephrase précédent?'C. ela revienta dire, cependant,que dans un

instrumentaussi officielqu'unedéclarationdeclause facultative,lestermes utilisésn'ontaucuneffet

"UNRIAAv , oVI,p. 184.

'*C.I.J.Recu1960,p.160.

I90Cp,ar1.81.

200C ,ar.1.81. - 28 -

sur le fond, qu'ils sontdu simple remplissage et pourraient êtreomis sans modifier le sens de la

déclaration.Il suffit d'exprimer cettethèsepour voir qu'elleest fausse. Ces mots supplémentaires

ont manifestement un senset un effet - et c'estcelui de compléterla«coïncidence»prévue parle

paragraphe 2 de l'article36 par l'élément dm e utualitéinhérentau concept de ((réciprocité)).

Certes,nous avons affaire icià un instrumentunilatéral,la déclarationdeclausefacultative

du Nigéria. Cette Cour a déjàobservéque de telles déclarationsne doivent pas êtreinterprétées

de manière à dépasserles intentions des Etats qui les font2'. Cettedémarche est conformeau

principe largementacceptédel'interprétation destraités,ndubiomitim(dans ledoute,doucement).

LeCameroun cherche àfairevaloir quele sens que leNigériaattribue à l'utilisation duterme

((réciprocitée))st assez inusitéet sans précédent.Pourtant les mots doivent êtrepris dans le sens Icri,

ordinaire dans leur contexte. Le Shorter Oxford ~ictionafl donne le sens de «un étatou une

relation où existe une action, une influence, un échange, une correspondance mutuels, etc.e ,ntre

deux parties ou deux choses». Monsieur le président,d'aprèsle sens ordinaire des mots utilisés,

il ne peuty avoir d'actionmutuelle, il ne peut y avoir de correspondancede positions, devéritable

réciprocité,si l'une des.partiesn causene peutabsolumentpas assumer lerôle qui luirevient dans

cette action, sans qu'ily ait aucune faute de sa part et même àcause du comportementde l'autre

partie.

Le Cameroun a appelél'attentionz3sur la jurisprudence de la Cour au sujet du sens de la

réciprocité. Monsieurle président,je voudrais faire seulement quatre remarques. Premièrement,
UV
les faits, dans les cinq affaires citées parle Cameroun, sonttrès différents deceux de la présente

instance. Deuxièmement,la désapprobationque la Cour a marquée à l'égarddes ((interprétations

nouvelles))dans l'affaire Nottebohm"tenait au caractère très particulierde l'argumentationdu

Guatemalaqu'elle examinaitalors, etil est difficiled'enfaireunprincipegénéral -après tout, tous

2'EPN,par.1.20à 1.22. Lesréférencpsortaientsurdes passagesde SPthosphates du Maroc,C.P.J.I.SérieA/B
no74 (I938), p. 24.

223é'd.,rev. 1956.

UOC,par.1.82.

24Nottebohme,xceptionspréliminai, .I.J.Recueil 1953,p. 120-121. lesarguments sont «nouveaux»lapremièrefois qu'ilssont présentése,t entoutétat decause,quand

leNigéria aurait-ileu déjàune occasionde dire ce que signifiait((réciprocitéd )ans sa déclaration?

Troisièmement, dansles quatre autres affaires citéespar le Camerounzs,la Cour ne traitaitpas de

la question de mutualité que .posemaintenant le Nigéria, puisqu'ellesconcernaient toutes des

déclarationsdont lestermes étaientparfaitementconnus des parties à l'époque dont il s'agissait.Et

quatrièmement,la Cour a reconnu dans l'affairede l'Anglo-IranianOil Co. qu'

«[e]lle doit rechercher l'interprétatioqui est en harmonieavec la manièrenaturelleet
raisonnable de lire le texte, eu égard à l'intentiondu gouvernement ...à l'époqueoù
celui-ci a acceptéla compétence obligatoirede la C~un)~~.

0 3 7 Pour les motifs cités parleNigéria, l'accent que celui-ci amis sur la nécessité de la réciprocitée,t

lamanièredont ilcomprendce terme,sont bien une manièrenaturelleet raisonnabledelireletexte

de la déclarationdu Nigéria,conforme au sens que le dictionnaire donne de ce terme : rien dans

les circonstances historiques de 1965 ne permet de douter de ce sens - au contraire, les

circonstances historiques viennent appuyer la signification que le Nigériadonne du

mot «réciprocité», car cette signification permettaitau Nigéria(comme à plusieurs autresEtats)

d'atténuer les effets d'une décision antérieure d le Cour, dans l'affairedu Droit de passage.

Je voudrais rappeler ici que la Cour a constamment prêté attention au fond plutôt qu'à la

forme2'. L'attitudede la Cour a étéconstante2' :au niveau international, c'estle fond, et non la

forme, qui compte.

%ngIo-Iranian Oil Co., C.I.J.Recueil' 1952,p. 93; Certainsempruntsnor, .I.J.Recueil1957, p. 9;

Interhandel,C.I.J.Recueil 1959,p. 6; et Activitésmilitairesetparamilitairesau Nicaragua et contrecelui-ci
(Nicaraguac. Etats-Unisd'Amérique, .I.J.Recueil 1984,92.

26Anglo-IraniOil Co., C.I.J.Recueil' 1952,p. 104.

27Voirles ConcessionsMmrommatisen Palestine,C.P.J.I.série A n02,p. 34. Cette formulation akt6adoptkepar la

Cour dans l'affaire duCamerounseptentrional,C.I.J.Recueil 1963,p. 28. Voir aussiEPN,par. 1.13.

28Paexemple àpropos des conditions applicables auxrkglesde nationalitkdans les affaires dela Réparationdes
dommagessubis auservice des Nations Unies,C.I.J.Recueil1949,p. 74 et Nottebohm,C.I.J.Recueil 19(à,p. 4
proposde ces affaires,voàcet kgard, Watts dansFifs, Yearsof the International CourtofJustice(Lowe and
Fitmaurice, 1996,p. 426-431);et ausàpropos des conditionsd'«unaccord»,dans Plateaucontinentalde la
merEgée,C.I.J.Recueil1978,p. 39, et Qatar c. Bahreïn,C.I.J.Recueil 1994,p. 120-122. - 30 -

Cela vaut pour la ((réciprocité). e n'est pasun terme qui doit se comprendre de manière

abstraite :la Cour l'adit dans l'affaireduDroit depassage29.Il faut lui donnerun sens en fonction

de son contexte et du principe de la bonnefoi, et comptetenu des circonstancesdans lesquellesil

s'applique. Et il doit êtrecompris du point de vue du fond et non pas de la forme. La Cour a dit

elle-mêmeque la «notion de réciprocité porte sur l'étendueet la substance desengagernent~))'~.

Dans le contexte actuel, la substancede la notion demande non seulement que les Etats A

et B aient fait des déclarationsen vertu de l'article36,qui couvrent le mêmedomaine :il s'agitlà

de ((coïncidence))plutôt que de réciprocité. Il faut plutôt qu'existe une «mutualité» dans les

positions des Etats A etB, de sorte que chacunsoit vis-à-visde l'autre,dans la même positioque

l'autre setrouvevis-à-visdu premier;orcetteréciprocitéde fond n'existait pas lorsqueleCameroun \

a présenté sa requêteinitiale. LeCamerouna introduitune instancecontre leNigéria à un moment

où le Nigériaignorait qu'ilexistait une possibilitéd'enintroduire une contre le Cameroun. Cette

ignorance, Monsieur le président,n'était pasde la faute duNigéria;l'absence deréciprocitéquein

découlaitétaitle résultatdirect et voulu du comportement furtif du Cameroun.

Pour êtrecomplet, Monsieur le président, permettez-moid'évoquerbrièvementun point

encore. Le Nigéria connaissait,bien entendu, la déclarationdu Cameroun au momentou celui-ci

a présentésa requêteadditionnelle enjuin 1994. Maiscelane signifiepas quece dernierdocument

puisse être admissible.La requête du Cameroun à la Cour était présentéceomme un amendement

à la requête initialeet non le contraire. Si la requêteprincipaleest une base insuffisantepour que
e

la Cour puisse être saisie d'une affaire, alors larequêtesubsidiaire ultérieurene saurait êtreen

meilleure position3'. Lors de la réunionavec le présidentde la Cour, le14 juin 1994, le Nigéria

a accepté que leS.deuxrequêtessoienttraitéesensemble sur la base que «la requêteadditionnelle

soit traité..commeunamendement à la requêteinitiale)),et celafaisaitpartiede laprocédureque

29C.~.Recueil 19.57,p. 145.

30~~tivitsilitairesetparamilitairesauNicaraguaet contre celui-ci c. Etats-Unisd'Amérique),
C.I.J. Recueil 1984, p.419, par.62; les italiquessontde nous.

''Voir EPN,par. 1.27. - 31 -

la Cour a acceptée dansson ordonnance du 16juin3'. En outre, le Nigérian'apas acquiescé à la

manièredont le Camerounavait déposé sa requête initiani à son choixdu moment pource faire :

le conseil du Nigéria s'estréservé,lors de cette réunion,le droit de commenter ultérieurement

l'élémend te surprise que comportait la requêtedu Cameroun.

III.Le Camerouna tenté de se fondersur la décisionprise parla Couraustadedes mesures

conservatoirespour endéduireque sa compétence était établie àpriori (((primafade))).

Mais il est clair qu'une décisionde compétenceprimafacie est provisoire et ne préjugeen

rien la décisionque prendra finalement la Cour sur la question de la compétence.En l'espèce,la

Cour a réitéré sa position bien établie. Elle a reportéla détermination finale dela question de la

compétence - en fait, jusqu'au stade où nous sommes maintenant. On ne peut rien faire dire

d'autre quecela à l'ordonnancede la Cour en indication de mesures conservatoires.

IV. J'enviens maintenant à la nonacceptationpar le Nigériade la compétence dela Cour

en laprésenteespèce. Le Cameroun a avancé quele Nigéria,en se référan t diverses reprisesà

039 des procédures en instancedevant la Cour, a acceptéla compétencede la Cour et ne peut plus le

nier. C'estdéformer entièrementle sens et l'effetdes actes du Nigéria.

Le Cameroun tente de faire val0i9~ que le Nigéria, avant de déposer sesexceptions

préliminaires,n'a pas contesté la compétence de la Cour ou la recevabilitéde la requête.

Evidemmentpas Monsieurleprésident :lesdélaispour cefairefigurent à l'article79duRèglement.

Le Nigériaa dûment respectéces délais,et avant de soumettre ses exceptions préliminaires,le

Nigérian'aaucunement acceptéla compétence dela Cour en la présenteaffaire.

Une fois soumisesses exceptions préliminaires,les exceptions soulevéespar leNigéria àla

compétencede laCourétaientofficielles. Evidemment,Monsieur leprésident,la procédure devant

la Cour était bienen instance : c'était- c'est toujours- un fait. Dire qu'elleest «en instance))

reconnaît simplement ce fait.

32C.Z.R.ecuei1994,p. 3lesitaliqusontdenous.

330Cpar.54. - 32 -

La mentionde procédureen instancedésign,ien entendu,laprocéduredanssonétatactuel,

avec tout ses éléments connexes ce qui inclut le fait que le Nigéria a soulevédes exceptions

préliminairesconcernanà la fois la portéedu différendet la compétencedelaCourau sujet

de la requêtedu Cameroun dans son ensemble. Les parties sont libresde présenter toutes sortes

d'arguments- y compris des arguments portantsur la compétence. Toutes ces questions étant

dûment soumises àla Cour, ilconvientde lui laisserle soin detranchertoute la q:l'affaire

estsubjudice, et cette affirmationne sauraitêtreconscemmesignifiantqu'unepartie renonce

implicitementàdes positions qu'elle a adoptéesou pourrait adopter au cours de cette procédure.

Quant à lathèseduCamerounselonlaquellelalettre du 16février1996de l'agentduNigéria

représentaituneacceptationde la compétencede laCour, ellereviente lecture erronéede cette -

lettre (rédigj,e le signale,après la présentationdes exceptionspréliminairesdu Nigéria).Ce qui

s'estpassé,c'estque le Cameroun a communiquécertains documents tendancieuxla Cour. Le

Nigériaajugénécessaire de présentern tableau plus équiliet de faire observer que loin qu'il

soit légitime d'appeler le Nigériamender, commele proposait le Cameroun, la situation était

en fait tout l'opposé, et quec'était plutôtle Cameroun qui devait être raàpl'ordre. Un

O 4 O argument tendantà interpréterun moyen aussi rhétoriquecomme une demande en indication de

mesures conservatoiresou une acceptationde la compétencede la Courne résistepasexamen

le plus rapide.

En toute cette affaire, le Cameroun a tenté de montrer que le Nigéria avait accepté
1
implicitement la compétencede la Cour sur l'ensembledu différend telqu'il étaitppar leé

Cameroun. Pour les raisons quej'ai indiquées,ce ne saurait êtrele cas. Mais il existe aussi une

considérationplus générale. e Cameroun cherchetirer certainesimplicationsdu comportement

du Nigéria. Toutefois, les implications doivent êtreétablies demanièreprobante, en particulier

s'agissant d'une question aussiimportante que lajuridiction de la Cour,et alors qu'ellesseraient

contraires des positions présentéofficiellementet longueme-t et au préalabl- par écrit

dans les exceptions préliminairesdu Nigéria. Le Cameroun est bien loin de s'être de latté

charge de la preuve qui lui incombait. - 33 -

Monsieur leprésident,j'en viens à la dernièrepartie de mon exposé;il m'en reste encoreune

quinzainede minutes;je suistout disposé àcontinuer, maiss'ilvous paraît préférablede suspendre

l'audience pourquelques minutes, ce serait peut-êtreun moment tout indiquépour cela.

Le PRESIDENT : Je vous remercie. je crois que vous pouvez poursuivre quinze minutes.

Sir Arthur WATTS :Merci, Monsieurle président.

V. Enfindonc,permettez-moi de parler de I'affaire du Droit depassage34tranchéeil y a plus

de quarante ans. Le Nigéria affirme que cette décisionn'a pas un poids déterminant dans les

circonstances modernes de la présenteaffaire.

La décisionde la Cour dans cette affaire n'a manifestement pas d'effetdéterminant surla

procédure actuelle. Cela découle de l'article59 du Statut.Il existe certaines différences entre les

circonstances de la présente espèceet celles de l'affaire dontcette Cour a eu à connaître il y a

quarante et un ans.

Tai déjàsignalé en faitque depuis 1957,laCour s'est prononcée clairementsur lerôle central

que les considérationsde bonne foi doiventjouer dans les relations internationales,en particulier

O4 1 lorsque la question dont il s'agit concernela compétencede cette Cour. Un éminent auteur,bien

placépour commenter la pratique de cette Cour, a écrit quependant les années1960 à 1989

«la notion de bonne foi, qui auparavantavait seulement été mentionnéepar tel ou tel
juge sansêtreemployéepalraCourdanssesdécisions,s'esttransforméeen unélément
notable de l'arsenal judiciaire^^^.

Le droit dans ce domaine est beaucoupplus développé maintenanq tu'ilne l'étaià l'époque

où la Cour était saisie del'affaire duDroit de Passage, au point mêmeque l'obligation d'agirde

bonne foi a probablementdésormaisle statut de jus cogens- notion pour ainsi dire inconnue il

y a quarante ans. Ce n'estqu'en 1970 quel'Assemblée générale a adopt ce que l'ona appeléla

((Déclarationtouchantlesrelationsamicales»36d ,ontle septièmeprincipedéveloppailt'idée que les

34C.i.. ecuei1957,p. 125.

"Thirlway,«TheLawandProcedureof theInternational ourtof Justice1960-1989»,BritishYearbookof
InternationalLaw, vol. 60, 1989,p. 7.

36Réso1uti2on25 (XXV)(1970)de 1'Assemblégeénérale. - 34 -

Etats doivent remplir de bonne foides obligations qui leur incombent en vertu de la Charte (y

compris,bien entendu, le Statut). Elles comportent enparticulier l'obligationde se conformeraux

principesde lajustice et de ne pas les compromettre. Dix ans plus tard, la convention de Vienne

sur le droit des traités,de 1969,est entréeen vigueur fait particulièrementpertinent compte

tenu de l'insistanceque met le Cameroun à affirmer que les déclarations de clausefacultative

doivent êtreconsidéréescomme des traitésou des accords3' :il en découlela conséquence

inéluctableque la déclarationdu Cameroun se trouve sous l'empire de l'article 26 de cette

convention, qui dispose que tout traité doit êe is en Œuvrepar les parties de bonne foi.

Si nous examinons les arguments considérésdans I'affairedu Droit de Passage, il est

intéressant,mais peut-êtpas surprenant,étantdonnéla manièredont le droit s'estdéveloppéq,ue W

sil'Indes'estréférédeanssesdeuxièmeetquatrièmeexceptionspréliminaireset lorsdes audiences,

à des considérations debonne foi, elle ne l'apas fait trèsen détail; faitplus important, Monsieur

le président,la Cour, dans ce contexte, n'aabsolument pas évoqué la «bonne foi)). Toute cette

question a ététraitéed'unemanièreque l'on pourrait aujourd'huiconsidérercomme sommaire.

Quant àla réciprocitél,'Indeet la Cour l'ont mentionnée,mais sans entrer dans les détailset, en

particulier, l'Inden'apas présenàéla Cour, pas plusque celle-ci n'aexaminé,letype d'arguments

que leNigériaavance maintenant à ce sujet.

042 Un autre pointde différenceentrel'affaire de1957et celle-cimériteaussi d'être signalé. Les

déclarationsde l'Indeaussi bien que du Portugal étaient explicitementprésentéescommaeyantun
w

effet immédiat :celle du Portugal, a-t-on dit, avait pris effet «lejour mêmede son dépôtentre les

mainsdu Secrétairegénéral [desNations Unies]))et celle de l'Ind«àcompter de cejoun) - un

fait auquel la Cour a attachéde I'imp~rtance~~.En la présenteinstance, ni le Cameroun ni le

Nigérian'ont inclus de disposition instantanéeexpresse dans leurs déclarations.

Onne sauraitnonplusMonsieurleprésidentlireune applicabilitéinstantanéedans lamanière

dont leparagraphe 2 de l'article36 du Statut dit que les déclarationsreconnaissent la compétence

j7OC,par.1.6etsuiv.

38P .46. - 35 -

de la Cour «de plein droit)). Dans leur contexte,ces mots font partie d'unmembre de phrase qui

précise«de plein droit et sans conventionspéciale));ils soulignentla distinction qui droitêtre faite

entre le systèmede clause facultative et celui des compromis dont traite le paragraphe

Le Camerouns'estaussi référé à l'affairerelatiàelaSentencearbitrale du 31juillet198P9

et a noté quele Sénégan l 'avait pascontestéla compétence dela Cour, bien que lui aussi ait dû

faire faceàune requêtede la Guinée-Bissauintroduite à peine plus de deuxsemaines aprèsque la

Guinée-Bissauait fait sa déclarationde clausefacultative.Monsieurleprésident,iln'appartientpas

auNigéria despéculer sur les raisonspour lesquellesle Sénégala déciddée ne pas souleverletype

d'exceptionque soulèvele Nigéria. Cetteomission ne saurait êtrepréjudiciable à la position du

Nigériaen laprésente espèce.

La hâte avec laquelle le Cameroun a déposésa requête a réellemenp tortéatteinteà la

position du Nigéria40.Il est clair que la conduite du Cameroun a nuà la position du Nigériaen

tant que défendeurdevant la Cour. Elle a aussi causéun préjudiceà lajouissance, par leNigéria,

dudroit qui luiappartientque lesautresEtats,y compris le Cameroun,agissentenvers luide bonne

foi. Le Cameroun n'a tenu aucun compte des droits du Nigériacomme autre membre de la

communautérégionale et internationaleet il a incitéle Nigériaccomplirdes actes que celui-ci

aurait pu souhaiter éviters'ilavait connu lesfaits véritables. Le Camerouna affaibli le droit qu'a

le Nigériade se fonder sur des procédés bilatéraux de règlemen dtes différends,ainsi que la

souplesse et la libertéqui vont de pair avec un mécanisme bilatéral,qui permet de prévoirdes

règlementssurmesurecomptetenu de la situationlocale. Tout cela a eu desconséquencesnéfastes

appréciablespour leNigéria :par exemplelesressourcesqueleNigéria adûconsacrer à laprésente

instance,à la fois maintenant et lors de la phase antérieure des mesures conservatoires,ainsi que

le harcèlement quele Nigéria a subi dela part du Cameroun sur le plan international ont eu une

dimension manifeste et importante, politique et matérielle.

39C.J.. Recueil1991,p. 53;observationsdu Cameroun,par. 1.40.

"Cf.Droi te passage, C.I.J.Recueil1957,p. 147. - 36 -

Dans sa décisionde 1957 la Cour a estiméque, quand un Etat dépose sadéclaration

d'acceptationdelaclausefacultativeauprèsduSecrétairegénéralla,relationcontractuellenécessaire

. entre cet Etat et les autres Etats déclarantset donc lajuridiction dela Cour sontétablissansplus :

autrementdit, commel'adéclaré la Cour,c'est«cejour-là que le lienconsensuel ...prend naissance

entre les Etats intéressé^))^'La Cour n'a pas considéré comme pertinentea ,ux fins de l'effet

juridique des déclarations,l'obligationque l'article36, paragraphe4 impose au Secrétairegénéral,

de transmettre copie de la déclaration à toutes les parties au Statut.

Je tiens respectueusement à dire que l'application decette analyse aux circonstancesde la

présenteaffaire suscite quelques difficultés. Bien que la déclarationindividuelle soit un acte

unilatéralde 1'Etatqui la fait, la Cour a admis qu'ilconvientd'analyserson effetjuridique dans le J

cadre du système dela clause facultative du point de vue des relations contractuelles et des liens

consensuels. Le Nigéria estd'accord sur ce point. Cependant, des relations consensuelles et

contractuellesnécessitentune concordanced'interprétation à cet égard. Etant donnél'importance

queleNigéria attache à l'exigencede laréciprocitédanssa déclaration, commenp t eut-il existerune

telle concordanceentre deux parties dont l'uneest tenue dans l'ignorancede la position de l'autr?

On pourrait soutenir que ce n'est pas de la connaissance de la.déclarationque procède

l'établissement dulien consensuel, mais plutôt de la qualité departie au Statutdes deux Etats,qui

établitleur adhésionà un systèmede clausefacultativeauquel setrouve incorporél'effetinstantané

et automatique des déclarations. Cependant rien dansles termes de l'article 36n'oblige à donner Irir

un effet instantanéaux déclarations. De toute façon, le systèmede la clause facultative lui-même

inclutles limitesque les Etats déclarantsont imposées àlaportéede leursdéclarations : ceslimites

font partie du système consensuel établi parle Statut. Dans l'affairedu Nigéria, l'obligation

assuméepar le Nigériaen vertu du Statut inclut une condition deréciprocité sur lefond :ainsi,

mêmedans les limites du systèmede la clause facultative lui-même, aucunr eelation contractuelle

ne peut êtreétabliesi cette condition n'estpas remplie. - 37 -

Il convient ensuite d'examiner le rôle du Secrétairegénéral envertu de l'article 36,

paragraphe 4, du Statut. On n'interprètepas la ChartedesNations Unies et le Statut en partant du

principe que leursdispositions sontdestinéesà ne produireaucun effet sur le fond et ne présentent

qu'unintérê btureaucratique.Ilestpermis d'estimerqu'onavoulu quel'article36,en prévoyant que

le Secrétaire général transmettra des copies toutes lesparties au Statut,occupe une place réelle

dans l'ordre généraldu système établipar cet article et satisfasse ainsi à l'exigence de la

transparence de ce système dansune société régip ear le principe de légalité. Celas'accorderait

toutà fait avec les principes consensuels et contractuels sur lesquels se fonde le système de la

clause facultative. En réalité les Etatsintéresséséchangent leurs déclarations - non pas

directement,mais plutôt (pour d'évidentesraisonsde commodité)par l'intermédiairedu Secrétaire

général,auquel incombe l'obligation expressede les communiqueraux autres Etats : dans cette

perspective ses fonctions sont analoguesà celles d'undépositaire.

Il est pertinent de relever ici un nouveau développementdu droit international survenu

depuis 1957. L'article 78 c) de la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969prévoit

maintenantunerègle générals eelonlaquellequandunEtat faitune déclarationconcernantuntraité

àun dépositairepourqu'il lacommunique à d'autresEtats,seul est considérécomme l'ayant reçue

un Etat qui en a étéinformépar le dépositaireagissantdans l'exécutionde son obligation de faire

connaître l'existencede telles communications. Si, commele Cameroun l'affirme lui-même42 l,s

déclarations relatives à la clause facultative doivent être considéréecsomme des traités, la

déclarationdu Cameroun, faite aprèsl'entréeen vigueurde la convention deVienne et aprèsque

le Cameroun y soit devenu partie, se trouve soumise à cette disposition.

En 1957, la Cour a fait observer que l'Etat déclarant«n'a à s'occuper ni du devoir du

Secrétaire général, ni dlea manièredont ce devoir est rempli»43 :en réalitéil ne participe pas

directement àcette procédure, saufpour la déclencher. Cependant les Etats ont à s'occupertrès

' directement des effets de cette procédure : ils en ont besoin pour obtenir les informations

420bservationp,ar.1.68 et suiv.

43~roitde passage,C.LJ Recueil 1957146. - 38 -

nécessaires sur le fonctionnementdu système de la clause facultative et ils sont pénaliséssi le

systèmene fonctionne pas comme on l'a voulu.

La Cour a estiméqu'empêcheu rn Etat déclarantde se fonder sur sa déclaration tantqu'elle

n'a pas étécommuniquéeaux autres Etats ((introduiraitun élémentd'incertitudedans le jeu du

systèmede la disposition facultative^^^.

Cependant la Coura reconnu, en mêmetemps, que, dans ce contexte général« , un élément

d'incertitude))est (([inhérent]au fonctionnement du systèmede la disposition fa~ultative))~'.

régularitéaveclaquelledesexceptionspréliminairessontdéposéesindiqueque lesystèmen'ajamais

été ni automatique,ni certain. Onpeutaussi demanderqui est censé profiter de cetterecherchede

la certitude Le demandeur ? Le défendeur ? Ou est-cele systèmejuridique danssonensemble ? w?'

L'unen profitera-t-il aux dépensdes autres? Un système quifonctionnerait, par exemple, sur la

base de la date à laquelle le Secrétairegénéral,par une note distribuéà toutes les missionsà

New York,notifieraitauxparties au Statut que des déclarationsrelativeàla clause facultativeont

étéfaites ne serait pas moinscertain- bien entendu, leseffets pratiques seraient différents,mais

le système serait toutaussi certain.

Mêmeun système fondé sur l'écoulementd'un ((délairaisonnable)) pour son bon

fonctionnement,certessans :re aussiprécis,n'estpasmoinscertainquetouteautrerègle interprétée

sur la base d'unadjectif, par exemple ((équitable,nécessaire», ((raisonnable)e)t ainsi de su:te

nombre de règles de droit international sont de ce genre. Aucun Etat quise comporte avec la *)

transparencequi devraitcaractérisersaconduite auxyeuxde la Cour n'aquoique ce soit à craindre

de l'emploide tels qualificatifs communs. La Cour a déjà indiquéqu'il peut être approprié

d'autoriserun ((délairaisonnable))avant que le retrait d'unedéclarationne puisse prendre effet46;

l'incertitudene serait pas plus grande si l'onadoptait le mêmecritèrepour le moment auquel une

déclarationpeut êtreinvoquée.

46A~tivits ilitaires et paramilitaires auNicaragua et contre celui-ci (Nicaraguac. Etats-Unis &Amérique),

C.Z. J.cueil 1984, p. 420, par.63. - 39 -

0 12 6 Le Camerouna soutenu4'que l'argument du Nigéria selon lequeu lne déclarationen vertu du

paragraphe 2 de l'article36 n'entre pasen vigueur à la dateà laquelleelle est faite và l'encontre

de l'article 102 de la Charte. Cependant, il y a là une fois encore une faussereprésentationde

l'argumentdu Nigéria,qui ne se rapportaitpas du tout à la déclarationdu Cameroun. Le Nigéria

soutienttout autrechose. C'est-à-direque,comptetenudescirconstancesde l'affaireet quellequ'ait

pu êtrela situationdans d'autres circonstancesou vis-à-vis d'autresEtats, larequêtedu Cameroun

- non pas la déclarationelle-mêm- e neproduisait,pour lesraisonsque l'ona expliquées,aucun

effet opposable au Nigériapour fonder la compétence dela Cour.

Comme je l'ai dit, l'affaire du Droit de passage n'oblige pas les parties qui plaident

maintenant devant la Cour. Une fois que l'ona franchice stade,il est de fait,en l'occurrence,que

la Cour a la faculté de nepas appliquer de façon rigide,dans une nouvelle affaire, les conclusions

et le raisonnement qu'elle avait adoptésdans une affaire bien antérieure. Siles circonstances s'y

prêtent et, particulièrements,i les intérêtsla justice et l'évolutiondu droit l'exigentet si l'onse

sert, en cas de besoin, de la terminologiequi consiste «distinguer»,c'estlà une façon d'agir que

la Cour a déjà suivie dans certainesaffaires, au moins«au sensd'une modificationde la rigiditéde

décisions antérieur es^ A^i.si dans l'affairedes Traitésde paix49la Cour s'est-elle écartée dla

règle strictequi avait étédéfinieen I'affairede la Carélie rient tale'u sujet du prononcéd'avis

consultatifs dans des situations susceptibles de se chevaucher avec le fond d'un différendau

contentieux; dans I'affaire de la Barcelona ~raction" la Cour n'a pas accepté de suivrele

raisonnement qui l'avaitincitée à requérir,dans l'affaireNottebohm5',qu'ilexiste, aux fins de la

protection diplomatique,non seulementun lien officiel de nationalité,mais aussi un lien véritable

470bservationsp,1.67-1.77.

"ShahabuddeennP,recedeninthe WorldCowt (1996)p. 150.

49C.I.. ecueil 1950,221.

MC ..J. é rieB n5 (1923).

"C.I.J.Recueil 1970,3.

52C.I.. ecueil 1955,12. - 40 -

entre 1'Etatqui exerce la protection et la personne qu'il cherche à protéger; etil est difficile

047 d'interpréterlesdécisionp slusrécentesdelaCourrelatives aurôle de l'équitédansles délimitations '

maritimes d'une autre manière que comme un écart par rapport à la position qu'elleavait

antérieurement adoptée dans ce contexte53.

Il s'agitdonc de savoir si la présenteaffaireest de celles où ilserait appropriépour la Cour

de réexaminer certains aspectsdesa décisionantérieure. LeNigériaestime quetel est bien lecas.

Après 40 années,lescirconstancesinévitablementdifférentesdesdeuxaffaires,lerenforcementde

l'obligationd'agirde bonne foi, la présentation laCour d'arguments qui n'avaienp tas étéinvoqués

ily a 40 ans, le développement de nouvellesrèglesde droit dans des domaines pertinents,par

exemple lesobligationsqui incombentaux dépositaires,et lesdifférencesqui apparaissentdansles 1

termes des déclarationsfaitespar les Etats autitre de la clausefacultative,tout celadonnà laCour

des raisons valables de ne pas suivre servilement laroute qu'ellea choisi en 1957.

Le Nigérian'estpas le seul à adopter ce point de vue. M. Shabtai Rosenne- l'autoritéla

plus éminente sur le droitet lapratique de la Cour- a posé la questionde savoirs'il conviendrait

deréexaminermaintenantladécisionrendueen l'affaireduDroitdepassage. A son avis,certaines

pratiques récentesadoptéespar les Etats, dont les résultatsn'ontpas ététout à fait satisfaisants,

suscitent:

«des incertitudessérieusessur lepoint de savoir s'ilconvientde continuer à appliquer
sans contrôle la doctrine acceptéepar la Cour dans l'affairedu Droit depassage ...II

est permis de demander si ce qui s'estproduit depuis le Droit de passage ne justifie
pas un nouvel examen dela doctrine de cette affaire au cas où l'occasion dele faire
se présente rait.^^^

S3VoiPrlateaucontinentalde la merduNord, C.I.J.Recueil1969, p. 3;Plateaucontinental(Tunisie/Jamahiriya
arabe libyenne), C.I.J.Recueil1982,p. 18;Délimitationde laj-ontièredansila régiondugolfe du Maine,

C.I.J.Recueil 1984, 246;Plateau continental(Jamahiriyaarabe libyenne/Malte),C.I.J.Recueil1985,p. 13et
Délimitationmaritimdansta région située entrlee Groenlandet Jan Mayen,C.I.J.Recueil 1993,p. 38.

"Rosenne, AnInternationalLaw Miscellany,1993,p. 92. Voiraussi du mêmeauteurTheLawandProcedureof the
International CourtofJustice1920-1996,1997,p. à759. - 41 -

Il a ensuite exprimé l'espoirque l'ontrouve quelquesmoyensde protéger les Etats qui ont accepté

la compétenceen vertu de l'artïcle36, paragraphe 2, contre le dépôtpar surprise d'une déclaration

, auprès de l'organisationdes Nations Unies avant que le défendeurn'aitpu avoir connaissance de

ce dépôt.

Le Nigériaconclut que l'occasionde réexaminerla doctrine esquisséeil y a plus de40 ans

dans l'affaireduDroi dtepassage se présentemaintenantet que, pour les raisons que le Nigéria a

indiquéesdans sa première exceptionpréliminaireet développéesau cours des présentesaudiences

0 4 $ il convient que la Cour fasse dràila premièreexceptionpréliminaireet se déclare incompétente

pour connaître de la requête,ainsi que de la requêteultérieurede modification qu'aprésentéele

Cameroun.

Conclusion

Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, si la Cour fait droàtla première

exception préliminaire du Nigéria, il en résulq teue la totalitéde la requête présentée palre

Cameroun sera rejetéeet qu'iln'yaura lieu d'examiner aucunedes autres exceptionspréliminaires

duNigéria. Cependant,avec la permission de la Cour, et sans préjudice de sapremièreexception

préliminaire,le Nigériava maintenant parler de ses autres exceptions préliminaires.

Je vous demande donc, Monsieur le président,quand vous l'estimerez opportun,de donner

la parole au chef Richard Akinjide, SAN, pour traiter devant la Cour de la seconde exception

préliminairedu Nigéria.

Je vous remercie, Monsieur le président.

Le PRESIDENT : Merci, sir Arthur. L'audienceest suspendue pour 15minutes.

L'audienceest suspenduede II h 40 à II h 55.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Je donne maintenant la partolà M. Akinjide. - 42 -

M. AKINJIDE :

1.Monsieurleprésident,Messieursde laCour,j'aide nouveaul'honneurde prendre la parole

devant vous.

2. Je vous parlerai aujourd'huide ladeuxièmeexception préliminairedu Nigéria,intitulée :

«Les Parties ont l'obligationde régler toutesles questions frontalièresau moyen desmécanismes

bilatéraux existants.))

3. Les fondementsde cette obligation,Monsieur le président, sontainsidécritsdansl'exposé

écritdes exceptions préliminaires du Nigéria :

((Pendantune périoded'aumoinsvingt-quatre ans avant le dépôtde la requêtel ,es
Parties ont, dans leurs relations régulières, acceptél'obligation deréglertoutes les
questions frontalières au moyen des mécanismes bilatéraux existants. Le
Gouvernement nigérianen conclut que cette attitude conjointe constitue un accord
implicite visantà recourir exclusivementaux mécanismebilatéraux existants et àne

pas invoquer la compétencede la Cour.))
049
4. En ce qui concernele lac Tchad,leNigéria affirmeque les problèmesfrontaliersrelèvent

de la compétenceexclusive de la commission du bassin du lac Tchad. M. Ian Brownlie prendra

la parole sur ce sujet lorsqu'ilvous présenterala troisièmeexception préliminairedu Nigéria. Il

s'agitd'une questionmultilatéraleimpliquantd'autresEtats -je vais vous piler du mécanisme

bilatéralqui est en vigueurentre les Partiesdans le cadre desrubriquesque vous voyezmaintenant

à l'écran.

5. Que l'article33,paragraphe 1,de la ChartedesNationsUnies soitounonapplicabled'une

manière stricte à la questiondont est saisie la Cour, il constitue un point de départcommode. 11

dispose que les Parties à certains types de différends

((doiventen rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d'enquêtd e,
médiation,,de conciliation, d'arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux
organismes ou accords régionaux,ou par d'autresmoyens pacifiquesde leur choix».

6. Les différents mécanismes classiques sont utilement rappelés,et le principe de la liberté

de choix est en outre expressémentconsacré. Lagamme des moyens va du plus politisé- la

négociation- au moins politisé- le règlementjudiciaire :

Comme l'écritRosenne : «[La] décisionpolitique [concernant] ...la technique utilisée pourrégler le
différendreposesurlarenonciationvolontairedesparties,dans l'intérêtd'r uènglement,
à leur droit de réglerle différend directement,en faveur d'unrèglementjudiciaire
obligatoire faisant appelà une tierce partie, à la condition que la solution repose

exclusivement sur des motifsjuridiques explicites.))'

«La décisionquant au moyen àemployer, en particulier si...le règlementdirect
par la négociationéchoue,est naturellement la conséquencedu processushabituel de

prise des décisions diplomatiques etpolitiques.))'

7. Monsieur le président,je me dois de souligner à ce stade que le Nigérian'apas renoncé

volontairement àsondroit de réglertout différend directement. Le Camerouna sautéd'unextrême

à l'autre. Il a voulu d'un seulcoup priver le Nigériade sa libertéde choix. Le Nigéria aagi de

bonne foi en choisissant la voie politique du règlementdes différendspar des négociations

bilatérales. Le Nigériasoutient que le Cameroun étaittenu de s'entenir au mécanismebilatéral

jusqu'à ce que les Parties s'entendent surune autre voie.

8. LeNigériaa faitfond surle mécanismebilatéral àson détriment. Ce détrimentrevê dtux

aspects.

9. Premièrement,le mécanismebilatéralest un mécanismesouple. Il permet aux parties de

régler leurs divergences par différents moyens d'une variétépresque infinie. Ceci est

particulièrementvrai encas de différend frontalierhautementlocalisé.Une foi que lesparties sont

devantun tribunal, nombre despossibilités quiexistaientauparavantdisparaissent. Les optionsqui

s'offrentà la Cour, par exemple, sont limitées. Elle peut ordonner le tracé d'uneligne, elle peut

ordonner le versement d'une indemnisation ou elle peut ordonner auxparties de procéder

conjointement à une démarcation. Cette dernièreoption est précisément celle que le Nigéria

s'efforce demettre en Œuvre depuis des années.Ainsi, un des aspects du détrimentdu Nigéria,

Monsieur le président,est la perte de la maîtrise des moyens à utiliser en ce qui concerne la

délimitation. Le second aspect du préjudice duNigéria tient à ce qu'ila cru que le mécanisme

-- -- --

'~~senne: TheLaw and Practice of theInternationalCourt 1920-1996,1997, p. 6.

'Ibid.,p. 14. - 44 -

bilatéral était toujoen place. Cecisignifie que le Nigérian'a pasenvisagé d'autresmoyens de

règlementdes différends. Qui plusest, leCameroun,enagissantunilatéralement,a enfait empêché

le Nigériade pouvoir ainsi envisager d'autresmoyens de règlement.

11.Le Nigéria estime donc aussi quele Camerounne peut plus invoquerla compétencede

la Cour, le Nigéria ayant faitfond sur le comportementdu Camerounson propre détriment.

12.La vérité estu'ence qui concerne lafrontièreentre lesdeuxpays, le Camerounexagère

considérablementlebien-fondé desa position. Si l'onregarde la plus grandepartie de la frontière,

lesproblèmes existantspeuventêtre,t sontnormalement,régléspar desnégociationsraisonnables

entre les Parties au niveauapproprié,ce qui souventsignifieau niveaudu village. Toutefois,dans

le mêmetemps, les deux Etats ont admis qu'une structure formaliséeau sein de laquelle des '1J

négociationsbilatéralespuissentavoilràeunniveaudiplomatiqueappropriéétaitnécessaire. Pour

leNigéria, les Partiesont l'obligation d'uce mécanisme bilatéralvant de recouriàd'autres

moyens de règlement.

13.Monsieur le président,j'aimerais maintenantmontrerla Cour comment le mécanisme

bilatéral enquestion a fonctionnéentre1965et 1994,comme indiqudansl'exposé, par eigéria,

de sa deuxième exception préliminaire. Ce faisant,je commenterai brièvementcertaines des

observations du Cameroun.

14.La premièreréunionviséee3ut lieuenjuin 1965et elleoncernaitun litige localdans les

districts de Danare (Nigéria)et Boudam(Cameroun); c'estce que montre lacote 13. Bien que le -

problèmefût assez localisé,des fonctionnairesde haut niveau participèrentde part et àlautre

réunion. Il ne s'agissaitpas seulement d'uneréunionde responsables locaux. Elle aboàtla

décisionde procéderà une démarcation surune portion de la frontièreplutôt plus longue que les

quelque 4 kilomètres couverts parle secteur s'étendantentre les deux villages. Cette portion plus

longue defrontière est indiquéesurla carte que vous voyez maintenant(cote 14). Elle deétend

3ExceptiosreliminaisuNigeria,annexes10et 11 - 45 -

Obokum à Bashu, soit sur une distance de quelque32 kilomètres. Si on avait procédé à cette

démarcation, elleaurait about1à rétablir lafrontière de la borne 10à la borne 114, comme le

montre la cote 15.

15. Cette réunionconcernant Danare et Boudam est généralemenc tonsidérée tantpar le

Cameroun que par nous-mêmes comme la première utilisationpost-indépendance d'umécanisme

bilatéral formelpour résoudredes différendsfrontaliers.Malheureusement,letravail envisagélors

de cette réunioninitiale n'ajamais éttotalement mené à bien en raison de la guerre du Biafra.

16. Avant de passer à l'histoire descommissions mixtes sur les frontières,je voudrais

brièvement appelerl'attentionde la Cour sur le procès-verbalde la réuniondu9 juin 1969 dans

lequel le porte-parole de chacun des deux villages explique les problèmes auxquels ils sont

confrontés.La confusionétait telle quelesgens mettaient le feu leurpropre case. Les habitants

des deux villages étaientliés par lesang. Ils s'inquiétaient au sujetdu droit de cultiver certains

champs, de prendre l'écorcede certains arbres, et de pêcher dans certains endroits. De telles

questions,trèslocalisées,sont la plupartdutemps régléesdansdesréunionslocales. C'estpourcela

que I'onconstate qu'ily a toujours eu, parallèlementaux réunionsdes commissions mixtes, des

réunionslocales. Les partiesaffectées s'efforcentde régler leursdivergencesharmonieusementen

seréunissantau niveaudel'administration locale.Cesréunionsnefontpasintervenirtout l'appareil

des commissions frontalièresnationalesmaisjouent néanmoinsun rôle précieux dansle règlement

des différends bilatéraux.

17.Toutefois,lesactesdu Gouvernementcamerounais à lafin desannées soixanteontmontré

qu'ilfallait quela commissionmixtesurlesfrontièresseréunissedenouveau. Ces actesremettaient

en cause les droits du Nigériaet ceux de ses citoyens dans la régiondu fleuve Cross et de la

presqu'îlede Bakassi. DesNigérians perdirentla vie et d'autresfurent placésen détention parles

autoritéscamerounaises. Il fut fait allusioàces événements lorsde la premièreréunion de la

commission mixte.

4ExceptionpréliminairedsuNigeria,annexe11. - 46 -

18. Celle-ci eut liàuYaoundé,au Cameroun, entre le 12 et le 14août 1970'. Elle fut

essentiellement consacréeau rétablissementde la paix dans la région dela rivière Càola,

frontière maritime àtla situation dans la presqu'île de Bakassi.

19. On reconnut aussi, comme il ressort de l'ordredujour reproduit au paragraphe 2.8 de

l'exceptionpréliminaire,qu'ilétait nécessaire de pràla démarcation,je souligne,Monsieur

le président,la démarcation,de la frontière terrestredu lacàla mer.

20.Affirmer, commelefait leCameroundans sesobservations6,que ladélégatiduNigéria

àcette réunionn'avaitpas de pouvoir de décisionest trompeuret guèrehonnête.L'objetmdee

la réunionétait d'étarn ordredujour pour ladémarcationetamener les expertsdes deuxParties

àtravailler ensemble. La délégatnigérianeavait toàtfait les pouvoirsnécessairespourtraiter -

de telles questions. Les recommandations faites aux gouvernements par les délégationssont

reproduites dans l'exceptionpréliminairedu Nigériano 14.

21. La réunion tenueen aoûà Yaoundéfut suivie, en octobre 1970,d'uneréuniànLagos

du comité techniquemixteNigériafCameroun.

22.Comme lemontreleprocès-verbal7,unelongueréunioneut lieu entre lesexpertsdesdeux

parties chargésde mettre en oeuvrel'ordredujour de Yaoundé.II ressort du procès-verbal quede
053
nombreuses questions furent abordéesen ce qui concerne les frontières terrestreset les frontières

maritimes et que les unes et les autres furent examinéestrèsen détail.

23.Dans ses observationss,le Camerountente de tirer argument de l'éven passantpar I

l'unde ses représentantsde la possibilitéd'unarbitrage. Un examen du procès-verbal montreque

cette remarque a étéfaiteà n'en pas douter dans la chaleur du débat,alors que les Parties

semblaient dans une impasse sur une question particulière. II est néanmoinsintéressantde noter

que le représentantdu Cameroun ajouta

'ExceptionspreliminairesduNigeria,annexe 13.

60bse~ationsdu Cameroun,par.2.09.

'ExceptionsprkliminairesduNigéria,annexe 15.

'Observationsdu Cameroun,par. 2.14-16. ((11eraitpolitiquementembarrassant ..que l'ondiseque leNigériaet le Cameroun
se sont réuniset qu'iln'ontpu se mettre d'accordsur une question de cette nature et
ont dû recourirà l'arbitrage.~~

24. Le Cameroun semble plutôt, en l'occurrence,souscrire au mécanismebilatéral.

25. Je voudrais aussi indiquer, incidemment, que si l'onregarde un passage antérieur du

procès-verbali0,ladélégationnigériane avaitauparavantformulé l'argumentévidentselonlequel il

était nécessairde déterminerla frontière terrestre avantde passer la frontièremaritime.

26.Aprèslaréuniond'expertsd'octobre 1970,lacommissionmixte sur les frontièress'est de

nouveau réunieau Cameroun, à Yaoundé,entre le26 mars et le 4 avril 19711'.

27.Cetteréunionfut marquéepar lapoursuitedesdélibérationq suis'étaientngagées àLagos

en octobre de l'année précédenteE . lle montra elle aussi que les Parties étaient attachéesau

mécanismemixte. Celles-ci décidèrent dese réunirde nouveau un mois plus tard.

28. Cette réunionde la commissionmixte sur les frontières eutlieu enjuin 1971 à Lagos.

L'objetétaitde poursuivre ladélimitationdelafrontièremaritime. Il est de nouveau intéressantde

noter en passant que la questiond'uneinterventionéventuellede laGuinéeéquatorialefût évoquée

comme préoccupantede part et d'autre1*.

054
29. Les Parties s'entendirent sur certaines recommandations à l'intention de leurs

gouvernements respectifsI3. Onparla de négocierun projet de traité, maisil fut déde reporter

la questionjusqu'à l'achèvement de laéfinitionde latotalité la frontièremaritime14.Làencore,

onvoitclairementque les deuxPartiessont attachées àceprocessusdontonespéraitqu'ilaboutirait

à un traité formel entrele Nigériaet le Cameroun.

%xceptionspreliminaiduNigeria,annexe15.

'%xceptionspreliminaiduNigéria, nnex15.

"Exceptions preliminaeuNigéria,nnexe17.

I2ExceptiosreliminairduNigeria,annexe20.

'3ExceptiosréliminairsuNigéria, nnex21.

14ExceptiosrtliminairduNigeria,annexe21. - 48 -

30. En avril 1971, les chefs d'Etats décidèrentde créerun comitéconsultatif permanent

composéde représentantsdes deux nations. Cet organe devait examiner une vaste gamme de "

. questions, et pas seulement frontalières. Il se réunitpour la première fois les4 età5 mai 1972

Yaoundé.

31. Cette réunion setint au niveau des ministres des affaires étrangères,et c'est

occasion que le Nigéria informale Cameroun qu'il ne pouvaitadopter la déclaration deLagos de

juin 1971concernant lafrontièremaritime. On se souviendraque cette déclarationavaitété signée

par les experts des deux Parties et nécessitaitl'approbationdes go~vemements'~.

32. Après le rejet de cette déclaration, ily eu d'autresréunions entreles ch:às d'Etats

Garoua (Cameroun) en août 19721àKano (Nigéria)en septembre 1974etàMaroua (Cameroun) w

en juin 1975".

33. Si les deux premières de ces réunionsn'étaientpas spécifiquementconsacréesaux

frontières,celle de Maroua abouàla déclaration qui était censée fixelra frontièremàritime

l'ouest de BakassLe Cameroun sait trèsbien que le Nigéria ne se considère pasliépar cette

déclaration parce que celle-cin'apas étépleinement approuvée parle gouvernement.

34. Bien que ne faisant àproprementparlépartie du mécanismebilatéralpermanent,les

réunions des chefs'Etatmontrent que les deux Parties sont attachées aux solutionsbilatérales.

Malheureusement, les événementsqui suivirent la réunionde Maroua, et le renversement du
O
général Gowons,ignatairede la déclaration,entraînèrentune interruptiontemporaire du proce-sus

bilatéral. Néanmoins,il est clair que les Parties y sont demeurées attachées.En 1977et 1978,

divers échanges diplomatiqueseurent lieu en vue d'organiserune nouvelle réuniondu comité

consultatif permanent ou, comme on l'appelleparfois, la commission mixte.

"Exceptions préliminsNigéria,annexe22.

16ExceptionpsréliminsuNigéria,annexe23.

17ExceptionpsréliminsuNigéria,annexe24. - 49 -

35.Cetteréunioneut finalementlieu àJos auNigériaennovembre 1978et, commelemontre

lecommuniquéconjoint1*l,esPartiesétaienteffectivementdésireuse dse poursuivreleurprogramme

de réunionscommunes. Elles ne l'ontpas fait trèsrapidement, en partie àcause des tensions qui

subsistaient entre les deux pays et qui culminèrent dans l'incidentde mai 1981, sur lequel je

reviendrai sous peu.

36.Néanmoins,enjanvier 1982,leschefs d'Etatconvinrent deréactiverlacommission mixte

sur les frontière^'^.

37. Le Cameroun lui-même avait instamment demandéune reprise du mécanismebilatéral

enjuin 1980et diverses tentatives furent effectuées aprèsla réunionde 1982pour le remettre en

route. Néanmoins,une fois encore,diverschangementsétaientintervenussur la scènepolitiqueau

Nigériaet la commission ne put se réunirqu'enaoût 1987".

38. Initialement, les deux Etats décidèrentd'emprunterla voie de la ((commissionmixte»,

organisantdes discussionssurtoute une série de questionsd'intérê mtutuel etpas seulementsur les

frontières.

39.Néanmoins,enaoût 199 1,lesréunionsconjointesdesexpertssurlesquestionsfrontalières

reprirentà Yaoundé2'.

40. Le communiqué conjoint adopté par les ministres des relations extérieures à l'issuede

cette réunionindiquait notamment que

«les deux Parties ont noté avec satisfaction l'engagement des deux présidents
d'organisermutuellementdavantagedeconsultationsrégulièresd ,ans lebutderésoudre

de manière amicale tout différend éventuel entre leseuxEtats, pour leur satisfaction
mutuelle»22.

"ExceptionsprtliminaidusNigtria, p2.16.

IgExceptionsprtliminadueNigéria, anne26.

2"ExceptionsprtliminadueNigtria, anne51.

''ExceptionspréliminadueNigtria, anne52.

UExceptionsprtliminaidusNigtria, p2.20. - 50 -

056 41. Le Camerounz3argue que le Nigériaa mal compris un aspect de cette reprise. Le

Cameroun se réfêre au fait que chaque Partie avait adoptéune législationpour se doter d'une

commissionnationalechargée desquestionsfrontalières. Lesinstrumentscréantces commissions

mentionnaientles commissionsnationaleschargées desquestionsfrontalièresinternationales.Pour

le Nigéria, ceci ne fait qu'officialiser, par l'adoption d'une législation internel,e statut des

organismes nationaux participant de part et d'autreau processusbilatéral continu.

42. Aprèsla réuniontenue à Yaoundé enaoût 1991,une réunioneu lieu en décembre1991

àAbuja. C'étaitla deuxièmeréunionmixted'expertset, une fois encore, l'attachementdes Parties

aux processus bilatérauxest évidentla lecture du procès-verbal".

43. En août 1993, latroisièmesessionde la réunionmixte desexperts eut làeYaoundéen W

présencedes ministres des affaires étrangèresdes deux Etats.

44. Les sessions de la réunion conjointedes experts sur les problèmes frontaliers avaient

désormais lieu parallèlementauxréunions de lacommission mixteNigéria/Cameroun,laquelle se

réunitpour sa deuxièmesessionàAbujaaudébutdu moisde novembre 1993. Comme auparavant,

la commission mixte ne limita pas ses travaux aux frontières. C'estainsi qu'elles'intéressaau

problème des lâchuresdu barrage de Lagdo2',un problèmequi affectedes milliersdeNigériansau

voisinage de Yola (au centre-est du pays, voir cote 15). 11provient des lâchures d'unbarrage se

trouvant du côté camerounais dansla plaine d'inondationde la rivière Benuequi couàeYola.

45. La réunion de lacommission mixte à Abuja en novembre 199326nous amène à quatre
w

mois de la requête introduite par leCameroun devant la Cour. Pendant près detrente ans le

mécanisme bilatéral avait fonctionné de manièreresque continue, interrompuseulement par le

conflit du Biafia et pendant certaines périodesd'incertitudepolitique auNigéria. La diapositive

057 (cote 15)montre les trois principaux élémentconstitutifs de ce mécanismeet les dateà partir

UExceptionspréliminairesdu Nigéria,par. 2.35.

24Exceptiosréliminairesdu Nigéria,par. 2.21.

=Exceptionspréliminairesdu Nigéria,par.2.23.

26Exceptiosréliminairesdu Nigéria, 4.nexe - 51 -

desquelles ils ont commencé à fonctionner. Pour le Nigéria, ceci démontre l'existenced'un

comportement équivalant à un engagementqui lie lesdeux parties.

46. Bien que la commission mixte ne se réunît plus après novembre 1993, il ressort

clairement du dossier que le comportement du Cameroun postulait toujours que le mécanisme

bilatéral étaiten place et continuait de fonctionner. Comme le montre la correspondance

pertinente2',il avait été décién principe, enjanvier 1994,qu'unecommission mixte se réunirait

en févrierà Buea au Cameroun pourserendre dans lesrégions frontalièresdu sud. Le ministredes

affaires étrangèresdu Nigéria,l'ambassadeurBaba Gana Kingibe, se rendît à Buea pour donner

lecture d'unmessage de bonne volontédu général Sani Abacha. Ce message fut suivi d'une lettre

adresséepar legénéral Abacha au président du Cameroun,M. Paul Biya,le 14 février 199428dans

laquelle de nouvelles négociationsétaientroposées.Je reviendrai dans un instant sur le contexte

dans lequel ces échanges eurentlieu.

47. Néanmoins,riendans cetteactiviténepermettaitlemoins dumonde auNigéria depenser

que le Cameroun se préparait à mettre le mécanismebilatéral decôtésans préavis et à saisir

directement la Cour.

48. Pour justifier son comportement récent,le Cameroun formule dans ses observations

diverses afirmations pour amener la Cour à penser que le Nigéria lui-même ne croyait pasà

l'exclusivitduprocessusbilatéral.J'aidéjàévoqulé amention supposéed'une possibilitéd'arbitrage

faitedès 1970.L'autre méthodeutilisép ear leCameroundanssesobservationsconsiste à prétendre

que le Nigériaa, à différentsmoments, manifesté lui-mêmle a volontéde soumettre certaines

questions à des organes ne faisant pas partie du mécanisme bilatéral.Le Cameroun utilise par

exemple l'incident du 16mai 1981 à cette fin. LeNigérian'apas mentionné cet incident danssa

deuxième exception préliminaïre - il l'avaitdéjàexaminé dans l'introductionà ses exceptions

préliminaire^^^.

27ExceptionsréliminairdeuNigér,nnexes5à 59.

*'ExceptiosréliminairdsuNigéri, nnexe60.

29Exceptionsréliminairs,ar.34-37. - 52 -

49. Dans sesobservations30,le Cameroun évoquecet incident pour démontrer que leNigéria

acceptait d'associer des tierces partiesau processus de délimitationdes frontières,contrairemànt

ce qu'affirmele Nigéria danssa deuxièmeexception préliminaire.

50.Ce faisant(comme l'Attorney-Generall'afait observerdansson allocution),le Cameroun

fausse la nature de l'incident et l'objet de la mention de tierces parties comme l'OUA ou

I'Organisationdes Nations Unies.

51.Le Cameroun prétend égalemen qtue le comportementet les actes duNigériadurant les

mois qui ont précédés ls aaisine de la Cour par le Cameroun le 29 mars 1994montrent que le

Nigérialui-même a agi ((contrairement ce qu'ilérige aujourd'hui en engagemen~ tontraignant))~'.

Lesfaits, Monsieurleprésident, sontquelquepeu différents de laversion qu'endonnele Cameroun J

dansses observation^^ d^;fait,ilsdémontrentencoredavantagelaforcede l'attachementduNigéria

au processus bilatéral.

52. Contrairement à ce qu'allèguele Carner~un~~l,e Nigérian'a pas lancédes incursions

militaires au Camerounen décembre1993et en février 1994. LeNigéria a effectivementdéployé

des troupes dans les villages de pêcheurs Bakassi d'Abanaet d'Atabong le 31 décembre1993,

comme le montre la carte, cela afin de faire cesser de violents heurts internes entre des éléments

de 1'Etatnigériand'AkwaIbom et 1'Etatde la rivière Cross(pêcheurs Ibibio eE t fik), les uns et les

autres revendiquant les villages de pêcheursqu'ils habitent depuisplus de cinq cents ans.

53. AuNigéria,iln'est pasrare dedevoirenvoyerdestroupes là où destensionsexistentpour
w
éviter lesheurts entre communautéslocales. La population nigériane,forte de centvingt millions

d'habitants,comprendplus de deux cent cinquante tribus.

54. Malheureusement néanmoins,en raison du caractère ((sensible))de cette région,le

Cameroun a exprimédes craintes au sujet des mouvements detroupes nigérianes.Le chef d'Etat

300bservatiosuCamerounp ,ar.2.27 et suiv.

3'0bservatiosuCamerounp , ar.2.43.

320bservatiosuCamerounp ,ar.2.3à 2.44.

330bservatiosuCamerounp ,ar.2.39. - 53 -

et chef d'Etatmajor duNigéria,legénéralSani Abacha,a immédiatementdépêch sénministredes

O 5 9 affaires étrangèreà Yaoundépour expliquer les raisons des mouvements de troupes nigérianes.

Le présidentPaul Biya a répondu à ce geste par un message au généraA l bacha. Les deux

dirigeants promirent de réglerles problèmes pacifiquement.

55. Alors que ce dialogue se poursuivait entre les chefs d'Etat,le Cameroun a transféré des

troupes dansdes positionssituées Bakassiet a lancédesattaques contre lesforcesnigérianes,tout

d'abordle 14 février puis les 18et 19 février1994. Faceette provocation,lestroupesnigérianes

se sont défendues maisil leur a été donnl'ordrede cesser le feu dès que les attaquesdont elles

faisaient l'objet cesseraient.

56. Le général Abacha était extrêmeme prtéoccupépar cette situation et, une fois de plus,

a dépêché un envoyé auprèsdu président Biyapour l'inviter au Nigériaen vue d'engager des

pourparlers au sujet de la presqu'île enlitige.

57.Le 23 février1994,levice-premierministreduCameroun a remisun message spécialdu

président Biyaau général Abacha danslequel il lui donnait l'assurancede son attachemenà un

règlementpacifique du problèmeet lui faisait part de sonacceptation de l'invitationendre au

Nigériapour engager des pourparlers. C'est le présidentBiya lui-mêmequi a proposéque ces

entretiens aient lieuMaiduguri dans le nord-est du Nigéria.

58. Alors que des dispositions avaient étépriseà une réuniondes ministres des affaires

étrangèrestenueauCamerounle9 mars 1994pourorganiserle sommetdeMaiduguri,leCameroun

a pris diversesmesuresqui ont eu poureffet d'internationaliserleproblèmeet de rendre impossible

latenue du sommet. Ces mesures comprenaientnotammentun appel envue d'un débatau Conseil

de sécurité de l'organisation des NationUs nies, la soumission de la questioà l'attention du

présidentde l'OUA et l'introduction de l'instance actuelle. Aucune de ces mesures n'a été

mentionnée àcette réunionpar M. Oyono, le ministre camerounais des relations extérieures.

59. Ainsi, alorsque, d'unepart, le Cameroun assurait le Nigéria de son re trouver une

solutionau problèmepar le dialogue dans le contextedu mécanisme bilatéral, d'aueart, il avait

entrepris une campagne diplomatique internationale pour susciter un soutien en faveur de sa

position. - 54 -

60. Comme il est indiqué dans lesexceptionspréliminai,n sommetde la commission

du bassin du lac Tchad s'esttenubuja du 21 au 23 mars 1994. Lors dece sommet, le chef de

O 6 O 1'Etatnigérian,le générSani Abacha et les présidentsdu Tchad, du Niger et de la République

centrafricaine ont tous réaffirmé qu'ils étaient as recourà des instances bilatérales de

discussion et bien que le président PaulBiya n'ait pas participé lui-mêmeau sommet de la

commission du bassin du lac Tchad en invoquantdes affairesatpressantes, son représentant,

son ministre de la planification, a souscrit à cette position commune.

61. Comme nous le savons aujourd'hui, le Cameroun a déposésa requêteintroductive

d'instancedevant la Cour une semaine plus tard.

62.Toutefois,desefforts pour aboutirrèglementbilatérl 'ontpaspris fin avecledépôt W

de la requête.Le 13juin 1994,une réunion tripartiteaeu lieudurant le sommetdeàlTunis

entre le générl bacha, leprésidentPaul Biyaet le président EyedemaduTogo. A cette réunion,

le général Abachaet le président Biya sont convenusde se rencontràrKara, au Togo, en

juillet 1994. Ils ont décidé de constituerune commission mixte sous les auspices du président

Eyedema pourrechercher une solution pacifique. Alors que cette réuniontripartite sepoursuivait,

le Cameroun s'est empressé de déposer sarequêteadditionnelle devant la Cour, qui visait

soumettre l'ensemblede la question de la fronàla Cour.

63.Endépitde cettemesure adoptéepar leCameroun, lesministresnigérianet camerounais

des affaires étrangèresse sont ràuKara, au Togo, du 4 au 6 juillet 1994. Cette réunion avait
-
pour objet de préparerun sommet des deux chefsd'Etat. LeNigériaavaitdemandéinstammànt

tous les dirigeants de la sous-région,en particulier ceux qui avaient une influence et des moyens

de pression sur le Cameroun, de soutenir l'initiativede Kara pour aboutirmentbilatéral

du différend conformément au paragraphede i'article33 de la Charte desNations Unies.

64. Le 19juillet 1994, toutefois, le présidentPaul Biya aqu'iln'assisteraitpas au

sommet de Kara si le Nigéria ne retirait passes troupes de la presqu'îlede

"Exceptionsprélimindsela RépublieuNigéri,. 71, 3.11(15). - 55 -

65. Naturellement, le Nigérian'était pasdisposéà évacuerle territoire nigérian,et le

Cameroun avait donc renonce, à l'époqueà déployerdes efforts pour aboutir à un règlement

bilatéral,en soutenant que la questiondevait être réexamiaprèsla fin de la présenteinstance.

66. Peuaprèsque leNigéria adéposé ses exceptionspréliminairesle 15 décembre 1995,des

combats ont encore eulieu dans la presqu'îlede Bakassia suitedes nouveaux actes d'agressions

du Cameroun. Ces combats se sont déroulésle 3 février 1996,et le 12 février1996 leCameroun

a déposé sademande en indication de mesures conservatoires.

O fi1 67. Le président Eyedema, quiétait préoccupé palra reprise des hostilités,a invitéles

ministres des affaires étrangères desdeux paàsengager de nouveaux pourparlers. Ils se sont

réunisles 16 et 17 février1996 à Kara et ont publié un communiqué commun appelantà un

cessez-le-feu

68. En dépit du communiqué de Kara, le Camerouna repris sesattaques contreles positions

nigérianesles 17, 18 et 19 février1996.

69. Le 15mars 1996, la Cour a rendu son ordonnance sur la demande en indication de

mesures conservatoires. La Cour a notammentdécidé que ledeuxParties devraientse conformer

àl'accordde Kara du 17février1996. La Cour a égalementdemandéaux Parties de prêter toute

l'assistancevouluà une mission d'enquêtede l'ONU.

70. Les 21, 22 et 23 avril 1996, le Cameroun a lancéde nouvelles attaques contre les

positions du Nigérià Bakassi. Les deux Partiesont subi de lourdes pertes. A la suite de ces

événements,des activités diplomatiques ontétéentreprises à la fois par l'envoyéspécialde

l'organisation desNations Uniesetl'envospécialduprésident Eyedemadu Togo. Ilsontproposé

detenir un nouveau sommetà Karaentrelegénéral Abacha et leprésidentBiya. Cesommetdevait

avoirlieuàKara lejeudi 20juin 1996. Les 18et 19juin, des responsablesdes deuxpays devaient

se rencontrer pour préparer la venue deschefs d'Etat. Les membres d'unemission préparatoirede

ladélégationnigériane sontarrivésau coursdu week-endàKara, pourapprendre que leCameroun

avait fait savoàrla dernièreminute que le président Biya ne serait pas enmesure d'assiàtla

réunion. 71.Le présidentEyedemaduTogon'avaitpasrelâchéseseffortspour réunirlesdeuxParties.

Enaoût 1997,leministèredesaffairesétrangèree st lacoopérationdelaRépubliquedu Togoa écrit

aux ministèresdes affaires étrangèresdu Nigériaet du Cameroun pour proposer une réunionau

sommetle 5 septembre. Un projet de déclarationconjointedes deuxchefs d'Etata étsoumis par

le secrétairegénéraaldjoint aux affaires politiques de l'Organisationdes Nations Unies pour qu'il

soit examinépar les Parties.

72. Le 2 septembre 1997,le président Paul Biya a écritu président Eyedemapour luidire

qu'ilregrettait de ne pas êtreen mesure de quitter son pays pour assister réunion prévue«en

raison de la prochaine élection présidentielle)).

73. C'étaitla quatrième fois que le Cameroun avait,à la dernièreminute, renoncé à des I

négociations bilatéraleà un niveau élevé.

74. De l'avisdu Nigéria, cette description des effortsconstants déployéspour mener des

négociationsbilatéralestraduitonattachementcontinu à l'égardumécanismebilatéral.LeNigéria

n'a pas demandé à des tiers de se prononcer sur le différend : le rôle de tiers tel que le

présidentEyedema a été d'essayed r'exercerdes pressions pouramenerles deux Parties à assister

à denouvellesréunionsbilatéralesc,e quin'estpas en contradictionavecla position duNigériadans

le cadre de cette exception préliminaire.

75. Monsieur le président, deux secteurs sontparticulièrementimportants dans la présente

instance,Bakassi et, pour utiliser une expressionabrégen vue de désignerlesîles et les villages J

prochesdu lac Tchad,Darak. Ils ne constituentpas l'intégralde lafrontière,maisune très faible

proportion de celle-ci à savoir moins de cinq pour cent. Le Nigériaestime,à propos de cette

deuxièmeexceptionpréliminaire,quelemécanismebilatéral,quiaétéjusqu'à préseunntmécanisme

exclusif, aurait dû être utilisé mêàel'égardde Bakassi.

76. Le Nigéria soutient aussi que dans l'hypothèseet pour autant que les discussions

bilatérales laissentsubsisterun différendqui ne peut êtrerééar lebiais de mécanismesformels, .

les Parties sonttenues de s'efforcerde bonne foi de trouver un moyenmutuellementacceptablede

réglerle différend dansle contexte de mécanismesbilatéraux. Cetteobligation existe avant que

l'une oul'autre des Parties puisse prendre des mesurespour soumettrele différendn règlement - 57 -

par des tiers. En outre, leNigéria estimequetant qu'unesolutionmutuellementacceptable n'apas

été convenue,chaque Partieest dans l'obligationde s'abstenir dechercheà soumettre le différend

à un tiers en vue d'unrèglement.

77.Au lieu d'acceptercette obligationet tout ce qui en découle,le Camerounàmoins qu'il

n'aitchangé d'avis depuisqu'ila rédigé sesobservations, a contesté unilatéralemente écanisme

bilatéral,en prétendantqu'iln'a pasun caractère exclusifet a soumis l'ensemblede la question

la Cour.

78. Monsieur le président, tant qu'unedes Parties à la négociationbilatéralene fera pas

connaître à l'autrePartie une intention d'écartertout dialogue bilatéral,et que l'autre Partieaura

acceptéune telle décision,le Nigériaconsidèreque les Parties restent tenues de poursuivre leurs

pourparlers dans le cadre du mécanisme bilatéral. Il existe un accord implicite d'utiliser

exclusivementle mécanismebilatéral,ettantquecetaccordn'apaspris fin, lesdeux Partiesne sont

pas en droit d'invoquerla compétence dela Cour.

79.Enfin, ilconvientde ne pas oublier, que pendant l'ensemblede la périodedurant laquelle

les réunions bilatéraleont eu lieu, le Cameroun n'était ppartieà lajuridiction facultative de la

Cour. Le mécanismebilatéralétaitdonc non seulement la méthodeprivilégiée pour les Parties,

mais aussi le seul mécanisme.

80. L'expressiond'unaccord est au cŒur de la compétence de la Cour. Dans une situation

où le mécanismebilatéraln'a pas étéintégralement utilisé, lC a our ne devrait pas, de l'avisdu

Nigéria, se déclarer compétento eu devrait dire que la requête estirrecevable au motif qu'une

condition indispensableà la saisine de la Cour n'apas été remplie.

81. Monsieur le président, Madameet Messieurs de la Cour,je vous prie de bien vouloir

donner laparole àM. Ian Brownlie quiva traiterde latroisièmeexceptionpréliminaireduNigéria.

Je vous remercie, Monsieur le président.

Le PRESIDENT :Je vous remercie, M. Akinjide. Je donne la paroleà M. Brownlie.

M. BROWNLIE :Monsieur le Président, Madameet Messieurs de la Cour, j'ai pour tâche

d'examinerles troisième et quatrièmeexceptions préliminairesdu Nigéria. La troisième exception préliminairefigure dans l'exposé écrid tu Nigéria sousla forme

suivante :

«Sans préjuger de ce qui sera décidéau sujet de la deuxième exception
préliminaire,le règlement des différends frontaliersdans la régiondu lac Tchad est
soumis àla compétenceexclusive dela commission du bassin du lac Tchad (CBLT),
crééeen 1964en vertu de la convention et du statut relatifsà la mise en valeur du

bassin du Tchad(exceptionspréliminairesduNigéria,annexe 9). Dansce contexe,les
procédures de règlement par la commission sont obligatoires pour les Parties.
L'utilisation des procédures de règlementdes différendsde la CBLT implique
nécessairement,pour les relations entre leNigéria etle Cameroun inter se, de ne pas
invoquer la compétencedelaCour en vertu de l'article 36, paragraphe2, relativement
à des questions relevant de la compétenceexclusive de la commission.

A ce stade cette exceptionest confirmée sous réserved'unexamen plusdétaillé.Il est déclaré au

nom duNigériaque, mêmesi la Cour estime que les pouvoirs de la CBLT ne l'empêchenp tas
'rl
d'exercersacompétence, àtitre subsidiaire,laCourdevrait,pourdesraisonsd'opportunitéjudiciaire,

imposer des limites à l'exercicede sa fonctionjudiciaire dans la présente affaire.

Il y a ici une analogieavec l'affairedu Cameroun septentrional (C.I.J. Recueil 1963,p. 15).

Dans cette affaire la décisionvalable de mettre fin à l'accordde tutelle par une résolutionde

l'Assembléegénérale imposaid tes limites manifestes à la fonctionjudiciaire. Comme la Cour l'a

fait observerà la page 33 :((L'arrêdte la Cour n'infirmerait pas les décisions del'Assemblée

générale)).

L'analogie surgitsi l'onexamine l'hypothèsesuivante. A supposerque la CBLT ait achevé

de prendre ses décisionset que les chefs d'Etataient approuvéle résultat,les Etats membres
w
auraient-ilsla facultéderemettreen cause la questiondont il s'agitdevant laCour Bien entendu,

la CBLTne se trouve pasexactementdans la mêmesituation que lesorganesde l'organisation des

Nations Unies en l'affairedu Cameroun septentrional, mais les raisons qui inviteàtfaire preuve

de retenue dans l'exercice de lafonctionjudiciaire sont tout aussi applicables.

Certes,noséminentsadversairesferontobserverqu'enl'espècelaprocédurd eerèglementdans

le cadre de la CBLT n'a pas été achevée. Il est pourtant certain que cet élémenttout-à-fait

contingent devrait rester sans incidence sur les limites de la fonctionjudiciaire. b

Il peut êtreutile queje rappelàela Cour lesparties pertinentesde larequêtedu Cameroun.Aucune mention du lac Tchad ne figure dans la requête initialedéposéele 29 mars 1994. Les

questionsrelatives au lacTchadontété soulevéesdans larequête additionnelledejuin1994. Dans

ce document, lesdemandes forméesdevant la Cour sont notamment les suivantes :

«Sur la base de l'exposédes faits et des moyensjuridiques qui précèdentet sous
toutes les réservesformuléesau paragraphe 20 de sa requêtedu 29 mars 1994, la
République du Camerounprie la Cour de dire et juger :

a) que la souverainetésur la parcelle litigieuse dans la zone du lac Tchad est
camerounaise en vertu du droit international, et que cette parcelle fait partie
intégrantedu territoire de la Républiquedu Cameroun;

b) que la Républiquefédérale du Nigéria a vioe lt viole le principe fondamentaldu
respectdes frontièreshéritéesde la colonisation (utipossidetisjuris) ainsi que ses
engagementsjuridiques récentsrelativement à la démarcationdes frontières dans
le lac Tchad;

c) que la République fédérald eu Nigéria,en occupant avec l'appuide ses forces de
sécuritédes parcellesdu territoire camerounaisdans la zone du lacTchad, a violé
et viole ses obligationsen vertu du droit conventionnel et coutumier;

4 que,vu les obligationsjuridiques susvisées, laRépubliquefédérald euNigéria a le
devoir exprès d'évacuersans délaiet sans conditions ses troupes du territoire
camerounaisdanslazonedu lac Tchad ..» (Courinternationalede Justice,Requête
introductived'instanceenregistréeau Greffede la Courle 29 mars 1994, p. 85.)

Compte tenu des diverses allégations de fait et de droit contenues dans la requête

additionnelle, le Nigériaréservesa position de façon générale.

Aux fins qui nous intéressentactuellement, il n'estnécessaire d'établir que les paramètres

procédurauxde l'ordredujour de la CBLT.

Il ressort des documents donton dispose que ces paramètressont les suivants

Premièrement :Aucunedémarcationdes frontièresn'aété entreprisedans les limites du lac

Tchad avant l'inscription de cesquestions à i'ordredujour de la CBLT.

Deuxièmement : La CBLT avait inscrit à son ordre du jour les questions de démarcation

suivantes :

a) l'emplacementprésumd éesdeuxtripoints(NigérialTchadMigeretNigéria/Tchad/Cameroun)

(figure sur le graphique portant la cote 17);et

b) le thalweg des embouchuresdes fleuvesKomadougou-Yobe,Chari et El-Beid (figure sur le

graphique portant la cote 18) Ces graphiques,j'y insiste, ne servent qu'à desfins d'illustration.

Troisièmement : ces questions restenà l'ordredujour de la commission.

A Lagos, enjuillet 1983, le Cameroun avait affirméque les délégations nationales étaient

d'accordsur la déterminationdu tripointNigéria/Tchad/Carneroun(observationssur lesexceptions

préliminairesdu Nigéria,p. 102, par. 3.09). Le Cameroun sefonde sur un document interne

(mémoireduCameroun,annexe 267)d'oùilressortque cequel'onavaitdéterminé étaitsimplement

le fait que les deux tripoints sur le lac constituaientdes pointsde réféimportants auxfins de

la démarcation.

En définitivel'ampledossierdocumentaireétablitque lesquestions inscritesàl'ordredujour J

de la commission se rapportaient exclusivementà la démarcation.

Je dois maintenant aborder l'examendu caractèregénérad le la CBLTet de ses fonctions.

La convention a pour but primordial la mise en valeur des ressources du bassinà des fins

économiques, y compris l'utilisation optimalede ses ressources en eau. Pour atteindre ce but,

l'instrumentest la CBLT, dont le statut estjoint en annexeà la convention, et qui en fait partie

intégrante (article 2de la convention) (EPN9).

066
Les fonctions de la CBLT, telles qu'elles sont définies à l'articIX du statut sont les

suivantes :

«La commission aura les attributions suivantes:

a) depréparerlesrèglementscommuns,permettant lapleineapplicationdesprincipes
affirmés dans leprésentstatut et dans la convention laquelle il est annexé,eten

assurer une application effective;

b) de rassembler, d'examineret de diffuser des informationssur les projets préparés
par les Etats membres et recommanderune planificationde travaux communs et
de programmes conjoints de recherches dans le bassin du Tchad;

c) de suivre l'exécutiondesétudes etdestravaux dansle bassin du Tchadrelevant de
la présente convention,et d'en tenirinforméslesEtats membres au moins une fois
par an, par l'exploitationdes comptes rendus systématiqueset périodiquesque
chaque Etat s'engage àlui adresser;

d) d'élaborerles règlementscommunsrelatifs à la navigation;

e) d'établirles règlements relatifà son personnel et de veilleà leur application; B d'examinerles plaintes et de contribuerà la solution des différends;

g;)de veiller à l'applicationdes prescriptions des présentsstatuts et de la convention
auxquels ils sont annexés.))

Si le texte ne se réfère pas aux questionsde frontièrecommetelles, il n'ya pas de doute que

les fonctions dans l'ensemble ne constituentun systèmecomplet d'ordre publicdans le bassin du

Tchad. De plus, l'alinéag;p)révoit expressémenlte règlementdes différends.Bien entendu, il est

évidentque lapersistancede problèmes fiontaliers feraitinévitablementobstaclàlamiseenvaleur

des ressources du bassin.

On doit comprendre le rôle et le statut de la commission dans le cadre du système des

organisations régionales. Le préambuld ee la convention et des statuts relatifs au développement

du bassin du lac Tchad mentionne la Charte des Nations Unies et la charte de l'organisation de

l'unitéafricaine. Dans ses considérantsla convention déclare :

«Considérantque les Etats membres de l'organisation del'Unitéafricaine ont
résolude coordonneret d'intensifier leur coopérationet leurs effortspour réaliserune
meilleure vie pour les peuples africains...))

A ce propos l'article52 de la Charte desNations Unies est certes pertinent. Sesdispositions

(dans leur partie importante) sont les suivante:

«1.Aucunedispositionde la présente Chartene s'oppose àl'existenced'accords
ou d'organismesrégionaux destinés à réglerles affaires qui, touchant au maintien de
la paix et de la sécurité internationaless,e prêtànune action de caractère régional,
pourvu que ces accords ou ces organismes et leur activité soientcompatiblesavec les
buts et les principes des Nations Unies.

2. Les Membresdes Nations Unies qui concluentces accords ou constituentces
organismes doiventfaire tous leurs efforts pour régler d'une manierepacifique, parle
moyen desdits accords ou organismes, les différends d'ordrelocal, avant de les
soumettre au Conseil de sécurité.

3.Le Conseilde sécuritéencouragele développementdu règlementpacifiquedes
différendsd'ordre localpar le moyen de ces accords ou de ces organismes régionaux,
soit sur l'initiativedes Etats intéressés, soit sur reiu Conseil de sécurité.))

Le Nigéria conclut quela commission exerce un pouvoir exclusif pour les questions de

sécuritéet d'ordre publicdans la régiondu lac Tchad et que ces questions incluentàjuste titre les

affaires de délimitationfrontalière. Cependant la nature de ce caractèreexclusif appelle des éclaircissements. Le caractère

exclusif existevis-à-visdesautresprocéduresde règlementet nonpas desEtatsmembres. Ilressort

donc clairement des statuts de la commission et de la pratique des Etats membres que les

recommandations de la commission sontsujettes à l'approbationde ceux-ci.

Dans cette perspective les décisionsprises par les réunions des chefs d'Etat et de

gouvernement sont sujettes àdes procéduresappropriéesd'approbation interne.

Pour procéder à toute évaluationdes pouvoirs exclusifs de la CBLT, la pratique de la

commission et de ses Etats membres constitue une sourceprimordiale. Cette pratique atteste

amplement de quelle manièreles questionsfrontalières ont été régulièrementconsidéréescomme

intimement liéesauproblèmede la sécurité dans la régiondu lac Tchad. C'étaitsécuritéquiétait *

la condition préalable nécessairde la miseen valeur durable des ressources du bassin du Tchad

conformémentaux dispositions de l'articlepremier des statuts de la commission.

En 1983lestroubles danslarégiondulacTchadontincité àréunirunesessionextraordinaire

de la commission du bassin du lac Tchad à Lagos, du 21 au 23juillet. Dans sa déclaration,

M. Alhaji Bukar Shaib, présidentde la commission,a expliqué la situationen ces termes :

«Cette fois-ci, notre réunionest occasionnée parles récentsévénementui ont
surgi le longde la frontièreentre leNigériaet leTchaddansla zone du Lac du Bassin.
Ce problèmea fait l'objetdesnégociationsbilatéralesentrelesdeuxEtatsmembresqui
ont réussi heureusement à restaurer la situation normale qui existait avant le
déclenchementdes hostilités. Cependant, à l'effetde trouver une solution durable au
problème permanent souventcausé par les longuesfrontièresnon délimitées entrles
Etats voisins quelle que soit la profondeurde leurs relations amicales et dans ce cas

précis,sur le Lac mêmeoù se rencontrentles frontièresde nos quatre Etats, leNigéria
et le Tchad ont convenu, àjuste titre, que la Commission du Bassindu Lac Tchad
devait êtrele lieu privilédes discussionsde toutes les ramificationsimportantesde
ce problèmeet des modalitéspermettantd'ytrouver,une foispour toutes, les solutions
nécessaires, applicables,non seulementaux deux pays, mais àl'ensembledes quatre
Etats membres. Nous le savons tous que les frontières non limitéescréent des
situations anormales que l'onne doit pas faire durer au point qu'ellesdégénèrenetn
incidents fâcheux qui troublent les relations des Etats d'unemanière que l'onn'y
trouve pas parfois rapidement de remède,elles peuvent aboutirà des conséquences
désastreuses voiremême à une guerre.)) (EPN 88, p. 859-860.)

La mêmedéclaration est résumée en des termes analogues dans le rapport de la session

extraordinaire:

«Danssa déclarationliminaire,leministre s'estréjoi'accueillirde nouveau les
autres commissaires au Nigériacetteannée. Il a indiqué queles récents événements
survenus le long de la frontière entre le Nigéria et le Tchad dans la zone du lac avaient rendunécessairela convocationd'urgenced'uneréunionextraordinaire,bienque l'ordre

eût été restauré dans légiongrâce à des négociationsbilatérales entreles deuxEtats
membres. On a cependant estiméqu'envue de résoudre durablementle problèmede
frontières,il aurait lieu de prendre des mesures pour examiner les divers aspects et
modalitéspour dégagerles solutions nécessaires applicablesà l'ensembledes quatre
Etats membres de la commission. C'est pourquoi,il a été à juste titre décidé quela
commission devrait êtrel'instanceappropriéepour examiner le problèmeen vue de
donner aux experts nationaux le mandat et les directives politiques nécessaires pour
recueillirtoutes les donnéesindispensablesafind'établir un cadrecommundanslequel
la sécurité générale de la zone du bassin puisse êtremaintenue et garantie
conjointement par tous les Etats membres.)) (EPN 88, p. 862.)

A cettesessionextraordinaire,lacommissiona décidé d'établirdeux sous-commissions,l'une

chargéede la délimitationdes frontièreset l'autredes questions de sécurité.Leurs ordres dujour

ont étéindiquéscomme suit dans le rapport

«Après la session, les experts se sont réunis sous la présidence de
M. N. O. Popoola, secrétairepermanentdu ministèredes resssourcesen eau. Comme
les deux questions à examiner étaient liées,il a étédécidéque les deux sous-

commissionsse réunissentensembledans leConferenceHall et examinentd'abordles
problèmes de la délimitation des frontièrespuis les questions de sécurité. Sur
proposition duPrésidentetavecl'agrémend t esdélégationpsrésentes, lesordresdujour
ci-après ontétéadoptéspour les deux sous-commissions.

Ordre dujour de la sous-commissionchargéede la délimitationdesj-ontières

1. Echangepossible d'informationset de documentssur les frontières.

2. Programme et méthodede travail de la sous-commission.

3. Equipe commune de délimitation.

Ordre dujour de la sous-commissionchargéedes questions de sécurité

1. Mesurestendant àassurerl'eficacitédes patrouillesmixteschargéesdelasurveillancedes
frontières.

2. Démilitarisation complètedu bassin du lac par les Etats membres.

3. Mesures tendant à assurer la non-violation des accords.

4. Sécuritéde l'équipede délimitationdes frontières.)) (EPN88, p. 864.)

Les modalités d'application des décisions prises à Lagos ont été examinéesaux

vingt-huitième, vingt-neuvième et trentième sessions de la CBLT en 1984 et 1985 (voir

procès-verbalde la treizième session, 22-25 avril 1985, p. 87-97 et annexe A (EPN 61). Les

progrès ont été lents eraison notammentdes problèmesde financement. En 1985s'est tenuela cinquièmeconférencedeschefsd'Etatdes paysmembres de laCBLT.

Le rapport du présidenten exercice, M. Bukar Shaib,figure à l'annexeB duprocès-verbalde la

cinquième conférencd ees chefsdlEtat. (EPN 62, p. 531.)

Souslarubrique ((Démarcation desfrontièresetsécuritésur le lac Tchad)),lerapportcontient

les renseignements utiles suivants:

((32.Suite aux incidentsfrontaliers survenusentre leNigéria etle Tchad sur le
lac en avril 1983et suite la signature du protocole d'accordentre les deux pays en
juillet de la même année, la commissioa nété appeléeà rapprocher lesparties en vue
de réglerdéfinitivement les problèmes frontaliedans la région. Du 21 au 23juillet
1983, la commission a donc tenu à Lagos une session extraordinaire au cours de
laquelle deux sous-commissions ont été constituéesl,'une sur la démarcation des
frontièreset l'autresur la sécurité sur lelac Tchad.

33. Du 12 au 16 novembre 1984, les experts des quatre Etats membres en
matièrede démarcationdesfrontières et de sécuritsur le lac Tchad sesontrencontrés
àLagos et se sont entendussur les documentsjuridiques qui serviraientde base aux
travaux futurs.

34. La sous-commissionsur la démarcationdes frontières a établi le cahier des
charges des travaux à exécuterpour la démarcationdes frontières,la photographie
aérienneet la cartographie. La commission n'étantpas en mesure de financer ces

travaux, on a sollicitédivers organismesdonateurs. Aucune réponsefavorablen'aété
reçue à ce jour.

35.Au chapitrede lasécuritél,esexpertsontdéfiniles objectifs, la composition,
la logistique, les règles de discipline et les bases de rattachement des équipesde
patrouille mixtes crééeslors de la séanceextraordinaire. Cependant, après deux
réunions,tenues enjanvier et en février1985 àMaiduguriet à Maroua, les expertsne
sont pas parvenus à s'entendresur les limites de la zone que les patrouilles mixtes
devraient surveillerdanschaque pays. Au cours dela trentièmesession,on a demandé

aux experts de se rencontrerà nouveau pour régler cettequestion.)) (Procès-verbal,
29 avril 1985, p. 9, EPN 62, p. 539.)

La déclarationduprésident,où la commissiondubassin du lac Tchadest considéréecomme

l'instancedevant permettre de régler de manière permanenteles problèmesde frontière dans la

070 région,figuredansleprocès-verbalofficiellementadoptépar lasixièmeconférencedeschefsd'Etats

le 28 octobre 1987 (procès-verbal,EPN 67, p. 597).

Il est dit dans le communiquéfinal de la conférence que :

«Leschefsd'Etatontnotéavecsatisfactionles mesuresprisesparlacommission
afin detrouver des solutionsdéfinitives aux problèmes dedémarcationdes frontières
et de sécurité surle lac Tchad et ont incitéla commissionà intensifier ses efforts.))
(EPN 62,p. 543.) - 65 -

Parmi les décisions prisesen 1987 par la sixièmeconférence deschefs d'Etats, figure la

décisionsuivante sur la ((démarcationdes frontières))

«- les Etats membresse sontengagés à assumer lecoût destravaux de démarcation,
qui s'élèveà 312 884 000 francs CFA;

- cette somme sera divisée égalemenetntre les quatre Etats membres;

- un compte bancaire spécial sera ouverà cette fin;

- les travaux débuteronten mars 1988~ (EPN 67, p. 611).

La commission a de nouveau examinéles modalités techniqueset financières en 1988

et 1989: 1) procès-verbalde la trente-cinquièmesession, 15-16janvier 1988,passim (EPN 68);

2) procès-verbalde la réunionextraordinairede la CBLT, 1i2 août 1988(EPN 69, p. 650-652 et

EPN98, p. 974-979);3)procès-verbalde latrente-sixièmesession,30 novembre-1"décembre1988

(EPN 70, p. 656-664 et EPN 100, p.990-992); 4) procès-verbalde la trente-septièmesession,

23-24 mai 1989, passim (EPN 71); 5) procès-verbal de la trente-huitième session,

26-30 novembre 1989(EPN 72, p. 676-689 et EPN 103,p. 1006-1008,1010).

Les travauxtechniquesde démarcationont étéeffectuéspar lasociétéfrançaiseGNde 1988

à 1990. Les résultatsont étécommuniqués à la septième conférence des chefsdlEtats en 1990

(EPN 73). Le rapport de 1'IC;Nfigure à la page 121 de la requête duCameroun, ainsi qu'à

l'annexe292 de son mémoire.

La commissiona, lorsde réunions ultérieurese,xaminéen 1990,1992et 1993les problèmes

en suspens en matière de délimitation des frontièreset de sécurité : 1) procès-verbal de la

trente-neuvième session, 20-21 novembre 1990, passim (EPN 74); 2) procès-verbal de la

quarantième session, 15janvier 1992, annexe D (EPN 75, p. 717 et EPN 104, p. 1016-1019);

8 7 1 3) procès-verbalde la quarante et unièmesession, 6 avril 1993, annexe F, p. 2, 11-13 (EPN 76,

p. 724-777 et EPN 105,p. 1024-1026);4) procès-verbalde la quarante-deuxièmesession, 29-30

novembre 1993 (EPN 106,p. 1032-1034).

A sa trente-neuvièmesession,en 1990,la commission ade nouveau reconnules liens étroits

existant entre les questionsde sécuriet de délimitation. l'annexeK du procès-verbal,la sous-commissionsur la démarcation des frontièreset la sécurité arendu compte de l'avenirdes

patrouilles mixtes. Selonle rapport :

«La question fondamentale de la démarcation des frontièresn'ayantpas été
résolue, les délégations onjtugé inopportun de débattrede l'avenir des patrouilles
mixtes.)) (EPN 74, p. 708.)

Le procès-verbal dela quarante et unièmesession de lacommission fait étatde la décision

desoumettre«lesdocumentsrelatifs à ladémarcationdesfrontières)) à l'approbationfinaledeschefs

d'Etatet de gouvernement des pays membres (EPN 76, p. 727, par. 90).

Le procès-verbal du huitièmesommet des chefs d'Etatet de gouvernement,tenu en 1994,

consignela décision no5 intitulée((Démarcationdes frontièreset sécurité dans la zone du bassin

du lac Tchad))comme suit :

((Fidèlesauxprincipes et aux objectifs de l'OUAet de la Charte des Nations
Unies;

Conscients des liens historiques qui unissent les populations riverainesdu lac
Tchad;

Fermement résolus à renforcer et à maintenir la paix et la sécurité dans la
sous-région;

Considérant queles travaux de démarcationdes frontières sont entièrement

achevéset que les documentstechniquesont été signéspar les expert nsationauxet par
le secrétariat exécutif;

Considérant le souci de la CBLT de veiller au développement social et
économiquede la population établie dansle bassin conventionnel;

Considérant l'insécuritécroissante qui règne dans la zone du bassin
conventionnel du lac Tchad;

Considérantla ferme volonté des Etats membres de résoudrece problème

persistant d'insécurité danlsa sous-région;

Les chefs d'Etatont décidé :

A. Démarcation des frontières

- d'approuverledocumenttechniquesurladémarcationdesfrontièresinternationales
des Etats membres dans le lac Tchad, tel qu'il a étéavalisépar les experts
nationaux et par le secrétariat exécutif dela CBLT;

- que chaque pays devra adopter le document conformémentà ses propres lois;

- que le document devra êtresignéavant la tenue du prochain sommet de la
commission; - de demander aux autorités nationalesou locales de chaque pays de lancer des

campagnes de sensibilisation afin d'informer les populations locales de la
démarcation et des droits etprivilèges dontellesjouissent sur le lac;

- de féliciterles commissaires, les experts nationaux, le secrétariatexécutif et
i'entrepreneurIGN-France de leur excellenttravail.

B. Sécurité

- de constituer sur-le-champune force mixte de sécurité dotéde'unmandat précis
et du soutien politique et logistique nécessaire;

- que la direction de cette force devra êtreassuréà tour de rôle, avec un mode

défini d'affectation des ressourceshumaines et matérielles;

- que le quartier général sera étabiBaga Kawa, au Nigéria;

- que le Nigéria accueillerala réunion desexperts visantà préciser lanature, le
matériel,le financementainsiquel'emplacement etlatailledesunités.))(EPN 77,
p. 733-747.)

Monsieur le président,selon nous, leseffetsjuridiques de cette décisionsont incertainset le

Gouvernementdu Nigériaréservesa position sur son caractère définitif.

Au cours de leur neuvièmesommet, tenu les30 et 31 octobre 1996,les chefs d'Etatet de

gouvernement ont adopté la décisionno2 ci-après : ((Rapports nationaux sur l'adoption et la

ratification du document de la démarcation des frontières)).

((Considérantle point sur la ratification du document de la démarcation des
frontières;

Considérantl'aspectsensiblede cettequestion eu égardaux événementsrécents;

Considérantles exigences de paix et de tranquilité dans lasous-région;

Vu l'absencedes chefs dfEtatdu Cameroun et du Nigéria,

Les chefs d'Etatont décidé :

- de différerles discussions sur ce sujet;

- de donner mandat au président dusommet pour intervenir, à travers des
consultationsou réunions avecles deuxchefs d'Etatdu Camerounet du Nigéria
en vue de trouver une solution à l'amiable et dans l'esprit de la fraternité
africaine.)) (EPN 108, p. 1071-1072; Cameroun, nouveaux documents,no2,

P. 9).

Cette décisionde 1996concernedirectementle problèmedont laCourest saisie. Il est clair

que leNiger et le Tchad,à savoir les deuxEtats membres qui ont participéàce sommet, n'ontpas

O 7 3 considéré nécessaireni appropriéde supprimer la question de la démarcationde l'ordredu jour. - 68 -

Cette attitude est significative puisque deux années etdemie s'étaient écouléesdepuis ldeépôt de

la requêtedu Cameroun. Il y a lieu de rappeler que le sommet de 1994avait eu lieu du 21 au

23 mars 1994,quelquesjours avant la présentationde cette requête.

La décisionde 1996est conforme à la pratique des Etats membres depuisque le problème

de ladélimitations'estposé en1983. Le caractèreexclusif despouvoirsde laCBLTet les sommets

périodiques constituentla base constante sur laquelle les Etats membres ontfondéleur conduite.

Le Cameroun a essayé des'enécarter.

Pendant la plus grandepartie de lapériodeconsidérées,eul leNigériaétaitpartie à la clause

facultative.

C'estdonc le Cameroun qui s'est éloigné de ce schémainstitutionnelet régional.

La relation découlantdu comportement des Parties de 1983 à 1994empêched'autre partle

Cameroun de faire appel àun autre mécanisme.Par soncomportement,le Camerouna clairement

et constamment montréson acceptation du régime derecours exclusif à la CBLT.

LaCouraposé lesprincipespertinentsdans l'arrêt qu'ellaerendudanslesaffairesduPlateau

continental de la mer du Nord. Selon la Cour :

«Eu égard à ces considérations de principe, la Cour est d'avis que seule
l'existenced'unesituation d'estoppel pourraitétayerpareille thèse: il faudrait que la
République fédéraln ee puisse plus contester l'applicabilitédu régime conventionnel,
en raison d'uncomportement,de déclarations,etc., quin'auraient passeulementattesté
d'unemanièreclaireet constantesonacceptationdecerégimemaisauraientégalement

amenéle Danemark ou les Pays-Bas, se fondant sur cette attitude, à modifier leur
position àleur détrimentou à subir un préjudicequelconque. Rien n'indiquequ'ilen
soit ainsi enl'espèce.))(C.I.J. Recueil 1969, p. 26, par. 30.)

Dans ces affaires, on avait fait valoir que l'Allemagneavait adoptéle système résultant de

l'article 6 de la convention sur le plateau continental. Dans la présenteaffaire, une institution

régionale est concernéeet cette institution est saisie de la question considérée depuis plus de

quatorze ans.

En l'occurrence,le Nigéria a subi des préjudicesà la suite du comportementdu Cameroun

étant donné en particulier que:

1) leNigéria aperdu l'importanteoccasionpolitiqued'utiliserun systèmesouplefondé sur

la consultation et la concertation; et que 2) le dépôtde la requêtedu Camerouna portéconsidérablementatteinte aux travaux de la

CBLT.

Monsieur le président, il mereste àtraiter certaines questions auxiliaires.

La première de ces questions touche à l'argument formulépar le Cameroun dans ses

observations sur la base de l'affaireduicaraguaet l'article103de la Charte des Nations Unies.

Selon letexte des observations du Cameroun

«Même sila CBLT était reconnue soit comme accord régional,soit comme
organisationrégionaleau sens de la Charte, l'exclusivitéeompétencevis-à-vis de la
Cour ne seraitpas établiepour autant.Dansl'affairerelativeauxActivités militaireset
paramilitaires au Nicaragua, la Cour a eu l'occasionde mettre les choses au point,
alors que l'accord régional en cause, le processus de Contadora, se conformait
beaucoup plus clairement aux critèresde l'article52 que la CBLT :

«La Cour nepensepas queleprocessusdeContadora,quelquesoit

son intérêt, puisse êtcensidéré comme constituant à proprement parler
un accord régionalaux fins du chapitre VI11de la Charte des Nations
Unies. Il importe aussi de ne pas perdre de vue que tous les accords
régionaux,bilatérauxet même multilatéraux, que le Psarties la présente
affaire peuvent avoir conclus au sujetdu règlementdes différendsou de
la juridiction de la Cour internationale de Justice, sont toujours
subordonnésaux dispositionsde l'article 103de la Charte ainsi conçu :

«En cas de conflit entre les obligationsdes Membres
des Nations Unies en vertu de la présenteCharte et leurs

obligations en vertu de tout autre accord international, les
premières prévaudront.)) (C.P. Re.ueil 1984, p. 440.)~
(Observations, p. 113,p. 3.32.)

S'agissant, toutd'abord, de l'article103 dela Charte, la Courconnaît certainement bien les

arguments fondés sur cet article. Endéfinitive,selon nous, ces arguments éludentpeut-êtrela

question. On ne peuténoncerleproblèmequ'entermes de priorité oude compatibilitéune foisque

le contenu de la relation juridique considéréa étédéfini. Et, après tout, la Charte encourage

certainement les recours aux organismes régionauxpour le règlementde différends.

Quoi qu'ilen soit,l'argumentrelatifl'article103nesauraitempêcherd'examinelranécessité

de la retenue judiciaire pour des raisons d'opportunjudiciaire.

Le second point soulevépar le Cameroundans ses observationsa trait au parallèlequiy est

Selon nous,
fait avec le processus de Contadora dont il est question dans l'affaireduaragua.

le processus de Contadoraa un caractèretrès différentdesonctionsde la CBLT. Le processus de - 70 -

Contadora ne revenait qu'àun mécanisme denégociationet on peut se demander s'ilétait censé
075
répondre aux problèmesjuridiques précis soulevépar la requêtedu Nicaragua, tant initialement

qu'aprèsamendement.
.
En outre, ce parallèle est faux pour d'autres raisons.La CBLT s'est ainsi attachée

expressémentau problèmede la délimitation qui figuraità son ordre du jour depuis onze ans

lorsque le Cameroun a déposésa requête.

Il se pose une autre question auxiliaire. 11existe dans le lac Tchad des îles que revendique

le Nigéria etqui, si la délimitation étaitréal, ourraient constituer des enclaves en territoire

camerounais. A cet égard,le Nigéria doit,par mesure de précaution,réserver ses droits.

Monsieur le président,je remercie la Cour pour sa patienàecette heure tardive. Merci. J

Le PRESIDENT :Merci, M. Brownlie. La Cour se réunirade nouveau demain matin

à 10 heures.

L'audienceestlevée à 13 h IO.

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