Non-Corrigé Traduction
Uncorrected Translation
CR 9811(traduction)
CR 9811(translation)
Lundi 2 mars 1998 (10 heures)
Monday 2 March 1998 (10a.m.) -2-
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L'audience est ouverte. Conformémentau
paragraphe 4 de l'article79 du Règlement de la Cour,la Cour se réunit aujourd'hui pour entendre
1
les exposésoraux desParties à l'égarddesexceptionspréliminairessoulevéespar le défendeurdans
4
l'affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun a
c. Nigéria).
Etant donné quela Cour ne compte sur le siège aucun juge de lanationalité des Parties,
chacune d'elles peut, en application du paragraphe 2 de l'article 31du Statut, désignerun juge
ad hoc;M. KébaMbaye,désigné par le Camerounet M. Bola Ajibola,désignépar le Nigéria, ont
déjà étédûment investis de ces fonctions en 1996, au cours de la phase de la présente affaire
consacrée à la demande en indication de mesures conservatoires.
L'instance a été introduite le9 mars 1994par le dépôt,au Greffe de la Cour, d'unerequête
du Gouvemementde laRépubliquedu Cameroun àl'encontrede laRépubliqufeédérale duNigéria :
dans cette requête,le Gouvemement du Cameroun invoque, comme basede la compétence dela
Cour, les déclarations faitespar les deux Etats au titre du paragraphe 2 de l'article36 du Statut.
Il indique que
«Le différendporte essentiellement sur la question de la souveraineté surla
presqu'îlede Bakassi ...dontlaRépubliquefédérale duNigériacontestel'appartenance
à la République du Cameroun ...
Cette contestationa pris la forme,depuis lafin de l'année1993,d'uneagression
de la part de la République fédérald eu Nigériadont les troupes occupent plusieurs
localités camerounaises situées dans la presqu'îledeBalcassi)),
et que
«Il en résulte de gravespréjudices pourla République du Cameroundont il est
demandé respectueusement à la Cour de bien vouloir ordonner laréparation.))
Le Cameroun fait valoir d'autrepart dans sa requête que ((cettedélimitation[de la frontièremaritime entre les Etats] est demeuréepartielle et
lesdeux Partiesn'ontpas pu, malgréde nombreusestentatives,semettre d'accord pour
la compléten);
il prie en conséquencela Cour,
(([alfin d'éviter de nouveauxincidents entre les deux pays, ...de bien vouloir
déterminerle tracé dela frontière maritime entre les deux Etatsau-delà de celui qui
avait étéfixéen 1975)).
Je vais maintenant prier le greffier de bien vouloir donner lecture de la décisionqu'il est
demandé à la Cour de rendre, telle qu'elle est formuléeau paragraphe 20 de la requêtedu
Cameroun.
Le GREFFIER :
«Sur la base de l'exposédes faits et des moyens juridiques qui précèdent,la
Républiquedu Cameroun,tout en se réservant le droit decompléter, d'amendeo ru de
modifier la présenterequête pendanlta suite de la procédure etde présenterla Cour
une demande en indication de mesures conservatoires si celles-ci se révélaient
nécessaires, priela Cour de dire et juge:
a) que la souverainetésurla presqu'îlede Bakassiest camerounaise,en vertudu droit
international, et que cette presqu'île fait partie intégrantedu territoire de la
Républiquedu Cameroun;
b) que la Républiquefédérald eu Nigéria a violéet viole le principe fondamental du
respect des frontières héritées dla colonisation (utipossidetisjuris);
c) que, enutilisantlaforcecontrela Républiquedu Cameroun,laRépubliquefédérale
du Nigéria a violéet viole ses obligations en vertu du droit international
conventionnel et coutumier;
4 que la République fédérald eu Nigéria, enoccupant militairement la presqu'île
camerounaisede Bakassi, aviolé etviole lesobligationsquilui incombentenvertu
du droit conventionnel et coutumier;
e) que, vu ces violations des obligationsjuridiques susvisées,laRépublique fédérale
du Nigéria a le devoir exprèsde mettre finàsa présence militaire surle territoire
camerounais, et d'évacuer sansdélaiet sans condition ses troupes de la presqu'île
camerounaise de Bakassi;
e3 que la responsabilitédela Républiquefédérald eu Nigériaestengagéepar les faits
internationalement illicites exposéssubZitteraea), b), cd) et e) ci-dessus;
e3 qu'enconséquenceune réparation d'un montant àdéterminerpar la Cour est due
par la République fédérald eu Nigéria à la Républiquedu Cameroun pour les
préjudices matérielset moraux subis par celle-ci, la Républiquedu Camerounse
réservant d'introduire devantla Cour une évaluation précise desdommages
provoquéspar la République fédérald eu Nigéria. B Afin d'éviterlasurvenancede toutdifférendentrelesdeuxEtats relativement àleur
frontière maritime, la Républiquedu Cameroun prie la Cour de procéder au
prolongement du tracé de sa frontière maritime avecla République fédérald eu
Nigériajusqu'à la limite des zones maritimes que le droit internationalplace sous
leurjuridiction respective)).
LePRESIDENT :Le6juin 1994,laRépubliquedu Cameroun a déposé auGreffede laCour
unerequête additionnelle«auxfins d'élargissementdel'objetdudifférend)) àunautredifférendqui,
selon la requêteadditionnelle,
«porte essentiellement sur la question de la souverainetésur une partie du territoire
camerounais dans la zone du lac Tchad ...dont la République fédérale du Nigéria
conteste I'appartenanceà la République du Cameroun.))
Le Gouvernement du Cameroun a indiqué que
((Cettecontestationa pris..la forme d'une introductionmassive de ressortissants
nigérians dansla zone litigieuse, suivie par celle des forces de sécurité nigérianes,
avantd'être formuléeofficiellemen par leGouvernementde laRépubliquefédéral deu
Nigéria, toutrécemment,pour la premièrefois.))
Dans sa requêteadditionnelle,le Camerounprie d'autre part laCour de ((préciserdéfinitivement))
la frontièreséparantles Etatsdu lac Tchadà la mer, en lui demandantdejoindre les deuxrequêtes
et ((d'examinerl'ensembleen une seule et mêmeinstance)).
Je vais maintenant prier le greffier de bien vouloir donnerlecture de la décision qu'ilest
demandé à laCour de rendre,telle qu'elleestformuléeau paragraphe 17de larequêteadditionnelle
I
du Cameroun.
Le GREFFIER :
«Sur la base de l'exposédes faits et des moyensjuridiques qui précèdentet sous
toutes les réserves formuléesau paragraphe 20 de sa requête du 29 mars 1994, la
Républiquedu Cameroun prie la Cour de dire et juger :
a)que la souveraineté sur la parcelle litigieuse dans la zone du lac Tchad est
camerounaise en vertu du droit international, et que cette parcelle fait partie
intégrantedu territoire de la Républiquedu Cameroun;
b) que la Républiquefédérald eu Nigéria a violé et viole principe fondamental du
respect desfrontières héritées dlea colonisation (utipossidetisjuris) ainsi que ses
engagementsjuridiques récents relativement à la démarcation desfrontièresdans
le lac Tchad; c) que la République fédéraleu Nigéria,en occupantavec l'appuide ses forces de
sécuritdes parcelles duterritoire camerounaisdans la zone du lac Tchad, a violé
et viole ses obligations en vertu du droit conventionnelet coutumier;
d) que, vu lesobligationsjuridiques susvisées,laRépubliquefédéraeuNigéria ale
devoir exprèsd'évacuer sansdélaiet sans conditions ses troupes du territoire
camerounais dans la zone du lac Tchad;
e) que la responsabilitéde laRépubliquefédéraleuNigéria est engagéeparles faits
intemationalement illicitesexposésaux sous-paragraphesa), b),cd)eci-dessus.
e3 Qu'en conséquenceune réparationd'unmontant à déterminerpar la Cour est due
par la République fédérald eu Nigéria à la Républiquedu Cameroun pour les
préjudices matérielset moraux subis par celle-ci, la Républiquedu Cameroun se
réservant d'introduire devantla Cour une évaluation précisedes dommages
provoquéspar la Républiquefédérale du Nigéria.
8 Que vu lesincursions répétées depsopulationset des forces armées nigériaens
territoire camerounaistout le long dela frontièreentreles deux pays,les incidents
graves etrépété qsui s'ensuivent,et l'attitude instableet réversiblede laRépublique
fédéraleduNigériarelativementaux instrumentsjuridiques définissantlafrontière
entre les deuxpays et autracé exactde cettefrontière, laRépubliquedu Cameroun
prie respectueusementla Cour de bien vouloir préciserdéfinitivementla frontière
entre elle et la République fédéraeu Nigériadu lac Tchad à la mer.))
Le PRESIDENT : Au cours d'une réunion quele président de laCour a tenue avec les
représentantsdes Parties le 14juin 1994, l'agentde la Républiquedu Camerouna précisé qson
gouvemement n'avaitpas entendu présenterune requête distincteet que la requête additionnelle
avait étéplutôt conçue c0mm.eun amendement à la requête initiale; l'agte la République
fédéraledu Nigéria a déclarép,our sa part, que son gouvemement ne voyait pas d'objectione
que la requête additionnelle soit considécomme un amendement à la requête initiale defaçon
que la Cour puisse examiner l'ensembleen une seule et mêmeinstance.
Par une ordonnancedatéedu 16juin 1994,la Cour a indiquéqu'ellen'avait pasd'objection
à une telle procédure et afixéau 16 mars 1995et au 18décembre 1995les dates d'expirationdes
délais pourle dépôtdu mémoire dela Républiquedu Cameroun et du contre-mémoirede la
Républiquefédérald euNigéria,respectivement. Le Camerouna soumissonmémoiredansledélai
fixé. Le 13 décembre1995, avant l'expiration dudélaipour le dépôt deson contre-mémoire,le
Nigéria a soulevé certaines exceptionspréliminaiàel'égarde la compétencede la Cour et de la
recevabilitédes demandes du Cameroun. -6-
Ayant reçu les agents des Parties le 10janvier 1996,le Présidentde la Cour a noté,par une
ordonnancede ce même jour, qu'envertu du paragraphe3 de I'article79duRèglementde la Cour,
la procédure surle fondétaitsuspendueet a fixéau 15 mai 1996la dated'expirationdu délai dans
lequel le Camerounpourra présenterun exposéécrit contenantses observationset conclusionssur
les exceptions préliminaires,conformément àcette mêmedisposition. Dans le délaiainsi fixé,le
Cameroun a présenté cetexposé écrit, danslequel il a prié la Courde rejeter les exceptions
préliminaireset de procéderà l'examende l'affairesur le fond dèsque possible.
Par une lettre datéedu 10février1996, reçue au Greffe le 12février1996, l'agent du
Cameroun,se référana tux incidentsarmésqui sepoursuivaientdans lapresqu'îlede Bakassidepuis
le3 février 1996,aprésenté à laCour, conformément à l'article41 de son Statut, une demande en
indicationdemesuresconservatoireslapriantd'indiquerquelesforcesarméesdes Partiesseretirent
à l'emplacementqu'ellesoccupaientavant le3 février 1996et que les Partiess'abstiennentde toute
activité militairele longde la frontièrejusqu'àce que la Courait rendu son arrêtainsi que de tout
acte ou action pouvant entraver la réuniond'éléments dpreuve.
Par une ordonnance datée du 15 mars 1996, la Cour a indiqué certaines mesures
conservatoires dans l'attente d'unedécisionen l'espèce.
Les deux Partiesont soumisde nouveauxdocumentsdepuis la fin de la procédure écrite sur
les exceptions préliminaires. -7-
Le Nigéria a présenté, sous couvert d'unettredatéedu 2 février1998,certains nouveaux
documents et le Cameroun ne s'est pas opposé àleur production. Leur présentation adonc été
acceptée conformémena tu paragraphe 1 de l'article56 du Règlementde la Cour.
LeCamerouna souhaitéprésentercertainn souveauxdocumentssouscouvertde lettresdatées
des 9 avril 1997 et 11 février 1998,respectivement. Compte tenu des vues expriméespar les
Parties et aux dispositions de l'article56 du Règlementde la Cour, la Cour a déd'enaccepter
la production.
Il revient maintenant à la Cour d'entendre les Parties sur les questions relativeà sa
compétenceet à la recevabilité dela requête.La Courentendra d'abordla Républiquefédéraldu
Nigéria,le défendeur quantau fond et Etat qui a soulevéles exceptionspréliminaires.
Avant de donner la paroleàl'agentdu Nigéria,je dois annoncer que,après s'être renseignée
auprès des Parties,la Cour a décidé,onformémentau paragraphe 2 de l'article53 du Règlement,
que letexte desexceptionspréliminairesduNigériaetdesobservationsetconclusionsdu Cameroun
ainsi que celui de leurs annexesrespectives, seraientrendus accessibles aupublic dèsle débutdes
plaidoiries de cejour.
Jedonnemaintenantlaparole à S.Exc. M. Abdullahi Ibrahim,agentdelaRépubliquefédérale
du Nigéria.
M. IBRAHIM :Monsieur le président,Madameet Messieurs de la Cour.
1.C'estpour moi ungrand honneurque d'avoirl'occasion deprendre laparole devantlaCour
pour la première fois. Vous vous rappellerez que la présente affaire a déjàfait l'objetd'une
demande en indication de mesures conservatoires en 1996. C'estnotre agentà l'époque, -8-
O 8
S. Exc. M. Michael Agbamuche, SAN,mon éminentprédécesseu aru posted'Attorney-Générdle
laFédérationetde ministre de lajustice, qui avait alorsprél'exposé liminaire Nigéria.Lui
ayant succédéi,l m'incombedonc de faire l'exposéliminaire qui suit.
2. M'assisterontdanslaprésentationdesexceptionspréliminairesduNigéria lespersonnalités
éminentes quiont pris la parole devant la Cour lors des audiences consacrées auxmesures
conservatoiresà savoirmoncoagent,S. Exc. M. Richard Akinjide, SAN,ettrois internationalistes
éminents bien connus de la Cour, M. Ian Brownlie, Q.C., sir Arthur Watts, Q.C., et
M. James Crawford, S.C.
3. Je commencerai par une brève introduction géographique des caractéristiquesde la
frontière. J'expliqueraiensuite l'importanceque mon pays attache aux questions en litige. 'crr
terminerai par quelques brèvesobservations sur le contexte politique ainsi que sur l'espritdans
lequel la présenteinstance devrait se dérouler.
4. Commençonspar lagéographie.Monsieurleprésident,lafrontièredontleCamerounveut
soumettre le tracé l'appréciatiode la Cour est longueet accidentée. Pour aider la Cour dans sa
tâche,j'indiqueraisur les cartesqui apparaîtàol'écrales endroitsqueje mentionnerai. Je tiens
à ce qu'ilsoit prisacte du faitquetoutes noscartes sontfourniesuniqueàedes finsd'illustration
et sousréservedetout moyenjuridique que leNigéria souhaiterafairevaloirlors deces audiences
ou à tout autre moment de l'instance. Des exemplaires de toutes les cartes se trouvent dans les
dossiersdesjuges. Monsieur leprésident,voustrouverezune table desmatièresau débutde chaque
v
dossier. La table des matières etles documents dans lesdossiers suiventde façon génl'ordre
dans lequel nous aborderons les cartes au cours de nos exposés. Nous indiqueronscependant,
chaque fois que cela sera utile, la cote du document figurant dans les dossiers des juges pour la
commoditédelaCour et pour les besoins ducompterendude l'audience. Les dossiers contiennent
égalementquelques photographies illustrant le genre de relief dont il sera question.
5. La cartequi se trouve derrièremoi, sous la cote 3 de vos dossiers,montre la topographie
de l'Afrique de l'Ouest. Vous remarquerez, Monsieur le président, queles montagnes sur la
frontièrecamerounaisese comparentaveccelles de l'Atlassur la côteAtlantique. La carte suivante
se trouve sous la cote des dossiers. Il s'agitd'unecarte topographique de la région frontalière -9-
elle-même.Longuedequelque 1680kilomètres,cettefrontièreestun ensemblecomplexede côtes,
de mangroves,de rivières,de forêts ombrophiles,demontagnes, derégions herbacées, de savanes
de type soudanais, de milieux sahéliens, lacustres et désertiques.
6. A l'extrémitsud se trouve la presqu'île deBakassi. Lacarteprésentéeà l'écranse trouve
sous la cote 5. Bakassi est principalement une zone marécageuse de mangroves. Elle est
pratiquement inaccessiblesi cen'est par bateaupar l'intermédiaire d'un réscomplexede criques
et de bancs de sable. Bakassi appartient au Nigériaet on y trouve des implantationsnigérianeà
0 1.9 Abana,East Atabong, WestAtabong,BoroCamp,ArchibongTownainsiqu'àbiend'autresendroits.
La populationtotale de la presqu'îleest évaluàeplusdecent mille personnes. Ce sont,Monsieur
le président,des Nigérians.
7. Au nord de Bakassi, nous trouvons la forêt ombrophile,chaude, humide et très difficile
d'accès. Les zones frontalièresse situent dansun milieu extrêmementisolé. Les chemins y sont
très rares et les pistes qui y existent ont tendance êtrecahoteuses. Plus au nord encore, la
frontière traverse des terreshautes, des montagnes et des plateaux, très éloignés dprincipaux
centres de population. Ici encore, l'accès assupar les quelques chemins qui existent tend être
très difficile.
8. Dans 1'Etatde Borno,Monsieur le président,le Sahel étend lentement sonemprise depuis
quelques décenniesvers le sud. Le terrain devient de plus en plus aride et plat au fur eture
que l'onse déplaceendirectiondunordvers le lac Tchad. Cartographierle laclui-même n'ajamais
étéune tâche facile. Même entemps normal, la surfaceque ses eaux recouvrent varie fortement
en fonctiondes pluies et des saisons. Qui plus est, la sécheresseprolongée quia sévi au cours des
dernières décennies aeu pour effet de réduire radicalement sasuperficie et cà long terme. La
carte que vous voyez maintenant se trouve sous la cote. Elle est tiréed'unatlas du TimesAtlas
of the World datant des années cinquante. Quaranteans plus tard, une carte touristique française
- qui se trouve sous la cote 7 - montre la nette diminution du volume d'eaudans le lac.
9. Les implantations nigérianesen bordure du lac sont isolées. Pourles atteindre, il faut
entreprendre un voyage dificile sur des chemins poussiéreux. Une pistecahoteuse vous fait
traverser ce qui était autrefoisle lit du lac. Le voyage dure plusieurs heures. - 10 -
10. Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, nous croyons que les seules
zones où il existe de réelsproblèmesentre le Cameroun et nous-mêmes sont,tout d'abord, la
presqu'île de Bakassiet ensuite, certaines îles situéesgrossomodo dans la régionde Darak sur le
lac Tchad, quej'appellerai,pour des raisons de commodité,«la régionde Dar&». Je vous indique
maintenant où se trouve Darak sur la carte qui se trouve sous la cote8.
11.Monsieur le président,je voudrais maintenant mentionner les deux raisons principales
pour lesquellesles questionsque nousallons aborder revêtenu tne telle importance pourleNigéria.
11.1. En premier lieu, plusieurs dizaines de milliers de ressortissants nigériansviventakassi.
Cela fait plusieurs années que leur sécuripersonnelleest réellement mise en danger.Ils
n'ont pasétéqu'harcelés,un bon nombre ont été tués. Il s'agit lad'unfait trèsgrave. Nos rir
amis camerounais n'éprouvent pas les mêmesinquiétudes.Certes ils veulent Bakassi, mais
la population civile camerounaise qui y vit n'est guèreimportante et le Cameroun n'a pas
jusqu'à présentprétenduqu'il y ait eu des victimes chezlui, que ce soiàBakassi même ou
dans la régionde Darak.
11.2. En deuxièmelieu, leCamerounespèrenousenlever Bakassiet s'enservirpourélargir samer
territoriale et s'assurerune zone maritime plus grandedans le golfe de Guinée quece qu'il
obtiendrait par les négociations entamées entreles Etats intéressés.La carte que je vous
montre se trouve sous la cote 9. Comme M. Crawford l'expliquera,leNigéria esten droit
de s'attendreà ce que des discussions s'engagentsur la frontièremaritimeavant que celle-ci
*
fasse I'objetd'unrecours enjustice1. La frontièren'afait I'objetd'aucunediscussionau-delà
de la mer territoriale, comme il sera expliquéplus tard.
12. J'aimerais maintenant formuler quelques observations sur le contexte politique de la
présente affaire. Le préambule de la première constitution du Cameroun, de février1960,
proclamait la volontédu nouvel Etat de réunir les Camerounais habitantles territoires situésen
'Voirl'article74 de la conventiondesNationsUniessurle droitdAlaquellele Nigériat Camerounsont
parties. - 11 -
dehors des frontières nationales2. Cette aspiration a étépartiellement comblée l'année suivante
lorsque le ((Camerounméridional)),anciennement sous tutellebritannique, s'est unia nouvelle
Républiquedu Cameroun aprks un plébiscite organisé sousles auspices de l'organisation des
Nations Unies. Mais lamêmeannée,en 1961,le ((Camerounseptentrional))qui avait lui aussiété
administré par les Britanniques en tant que territoire sous tutelle de l'organisation des
Nations Unies, a choisi,à l'occasion d'unplébiscite similaire, des'unirau Nigéria. Terriblement
déçu,le Cameroun a fait part de ses doléanceà la Cour dans l'affairedu Camerounseptentrionad
mais la Cour s'est refusée à intervenir. Ce fut une très rude déceptionpour le Cameroun, le
président Ahidjo allant même jusqu'à proclamer un jour annuel de deuil national.
13. Trois décenniesplus tard, en 1994,le Cameroun est soudain de retourdevant la Cour.
Encore une fois, pour se plaindre au sujet de territoires qui ne lui appartiennentpas et ne lui ont
jamais appartenu. Je me demandesi nous en serions ici aujourd'huisanslesdoléancesrestées sans
suite du Cameroun au début des années soixante ? Quoi qu'il en soit,les requêtes actuellesdu
0 2 1 Cameroun, tout comme lors de l'affaire de 1963, sont des contestations erronéesde réalités
politiques etjuridiques établies depuislongtemps. LeNigérialui, tout au contraire,n'ajamais eu
de visées expansionnistesni d'ambitions territoriales. Nous I'avons indiquéclairement dès
l'avènementde notre indépendanceen 1960lorsque nous avons adoptéune politique expresse de
bon voisinage dans nos relations extérieures. Notre premier ministre à l'époque,
sir Abubakar Tafawa Balewa, a énoncécette politique lorsqu'ila déclaré«LeNigéria n'imposera
jamais sa volonté àun autre pays, nous traiterons tout territoire africain, grand ou petit, comme
notre égal.))
14. Monsieur le président, Madame et Messieurs dela Cour, les deux secteurs qui, je le
reconnais, font difficulté,Bakassi et la régionde Darak, bien qu'ilssoient isolés,sont administrés
par le Nigériaet sont habitéspar un trèsgrand nombre deNigérians. Le Cameroun soutient que
'«[le peuple camerounais]...proclame:sa volonte de tout mettre en Œuvrepour répondre auxaspirationsdes
Camerounaishabitant lesterritoires sépares dela mère patrie,afin de leur permettrede rentrerdans la communautt
nationale et de vivre fraternellementdans un Cameroununi.»
3Camerounseptentrional,ar, .I.J.Recueil1963,p. 15. - 12 -
le litige porte sur l'ensemblede la longueur de lafrontière,mais nousn'aurons guèrede difficulté
à montrer que cette prétentionn'estqu'unsimple stratagèmetactique. II n'existeaucun litige d'un
tel ordre.
15.J'ai dit qu'il y a un problème avec Bakassi. Mais laCour ne devrait pas croire qu'il
envenime nos relations depuis longtemps. Tantavant qu'après l'indépendance en 1960,Bakassi a
toujours été considéré comm feisantpartie du Nigériaet administré ainsi. Le Cameroun n'avait
guère manifesté d'intérêt pocuertterégion.Ni le Camerounni leNigérian'ont vudansBakassi un
quelconqueobstacle à de bonnesrelations. Les liensdiplomatiquesonttoujours étémaintenussans
interruption depuis l'indépendance.Nos deux pays ont aussi pratiquéune large coopération,tant
au niveau bilatéral que dans le contexte régional, dans des domaines tels que les .iir
télécommunicationsl,es conditionsde franchissementde frontières,les services aériens, la police,
ainsi que dans les domainesjudiciaire, économique,scientifique et technique.
16.Monsieur le président,uneraison particulièreme pousseàm'attarderun peu surl'histoire
de nos relations bilatérales.Le Camerounexpliquelesrequêtes qu'ila présentéeà laCour par une
double affirmation capitale sur le contexte politique. Ces affirmations ne sont pas simplement
inexactes, Monsieur le président,- elles manquenttotalement de vraisemblance. Je me dois de
les réfuter, carle Cameroun pourrait prétendre qu'elles revêteutne certaine importance pour la
décision quela Cour doit prendre à l'issuede ces audiences.
17.Lapremièredeces affirmationsest lasuivante. LeCamerounsoutientdanssonmémoire4
e
que les relations entre nos deux paysont été enveniméesdepuis lmeilieu des années soixantepar
des incidents survenus tout le longde la frontière,compris des affrontements armés.
18.Monsieur leprésident,bienque laperception derelationsbilatéralessoitàcertainségards
d'ordre subjectif, cette affirmation est tout simplement incroyable.La suite du mémoiredu
Cameroun le prouve d'ailleursinvolontairement. Le texte necesse de faire étatde discussions,de
commissions mixtes, de négociations, d'accordet de concessions. Il démontrequ'aucundes deux
gouvernementsn'était disposé à laisserleurs relationsamicalesêtre entaméese façondurable par - 13 -
laquestion de Bakassietmême partoute autre question. Quantà laquestionde la régionde Darak,
elle ne se posait tout simplementpas, et le Cameroun est bien en peine de dire le contraire.
19.Pendanttoute lapériodequi a suivi l'indépendancel,eNigéria s'estconduit en bonvoisin
à l'égardde tous les Etats limitrophes,y compris le Cameroun. Il a égalementétun membre actif
et responsable de l'organisation des NationsUnies, de l'organisation de l'unitéafricaine, de la
Communautééconomiquedes Etats de l'Afriquede l'Ouestainsi que de bien d'autres organismes.
La communauté internationaleapris acte de ce fait. Le Nigéria a participé à des opérations de
maintiende la paixdans au moins dix-huitpays dans le monde entier. On en trouvera la liste sous
la cote 10 dans le dossier desjuges.
20. Malgréla réalitédesfaits, il est soutenudans lemémoiredu Cameroun5que des incidents
se sontproduits tout le longde la frontièrecommunedesdeux Etatspratiquementsans arrêt depuis
l'indépendance en 1960. Le Camerouna déposé avec ses observations un répertoiredes prétendus
incidentsfrontaliers. Sir Arthur Watts aborderace point un peuplus tard. Permettez-moijuste de
vousdire maintenant,Monsieurleprésident,que la plupartdes faitsque leCamerouninvoquedans
son «répertoire» sontdes questions localesinsignifiantescomme il s'en produitsouvent le long de
nombreuses frontièresen Afrique. Elles n'ont pasétécause de frictions entre Etats. Et elles n'ont
pas non plus mis en cause l'ensemble dela frontière.
21. Le Cameroun en étaitpeut-être conscient. Quoi qu'il en soit, ila tenté de renforcer
l'argumenttrèsmince qu'ilavançait en arguant des prétendues«incursions»militaires nigérianes
dans lapresqu'île de Bakassi le 16mai 1981. LeCameroun affirme qu'unpatrouilleur nigérian a
O ouvert le feu sur un bateau camerounais et que le Nigéria atentéde profiter de la mort de cinq
soldats nigérianspour en faire porter la responsabilitéau Cameroun. Monsieur le président,lors
de l'incidenten question,ce sonteffectivementdesNigérian etnondes Camerounaisqui ont perdu
la vie. Une semaine plus tard, le président duNigéria arépondu à une lettre du présidentdu
Cameroun en demandantdes excuses sans réservedu Cameroun, la traduction des meurtriers en
justice et l'indemnisation intégrades familles des Nigérians tués.Le dossier soumis à la Cour
'Voirle memoireduCamerounp,aragraphes.0à 1.09. - 14 -
prouve que le Camerouna présentédesexcuses sans réserve auNigéria et aindemniséles familles
desvictimes6. Monsieurle président,j'invitenos amiscamerounais à expliquerà laCour pourquoi
ils n'ont pasfait étatde ces faits essentielslorsqu'ilsont longuementévoquétncident dans leur
mémoire. J'aimerais avoir une explication.
22. Quoi qu'il en soit, le doss-ersoumis par leCamerounlui-même- montreclairement
que les relations bilatérales,aprè1981 comme avant, sont généralemend temeuréescordiales et
empreintes d'un esprit de coopérationjusqu'à ce que le Cameroun suscite de graves tensions au
cours des quelques dernières années.
23. La deuxième affirmationcapitalede la part du Cameroun est qu'ila soudainement«pris
conscience))au milieude 1994 que leNigériaremettait systématiquement7 en cause l'ensemble de 4
la frontière entreles deux Etats.
24. La première requête déposé per le Cameroun en mars 1994 avait pourobjet de prier la
Cour de dire que Bakassiappartient au Camerounet définir l'emplacemendte lafrontièremaritime.
Trois mois plus tard, le Cameroun a déposéune deuxièmerequête danslaquelle il invoquait
maintenant l'existenced'un différendd'unebien plus grande portée englobanttoute la frontière
terrestre entre les deux Etats. Pour tenter dejustifier cette affirmation totalement insoutenable, le
Cameroun a accusémon pays de manifester des intentions agressives.
25. Monsieur le président,Madameet Messieurs de la Cour, le Nigériaéprouvela plus vive
indignation devant l'iniquité de cette accusation. Heureusement il est facile de la réfuter. Le
u'
mémoireduCameroundemars 1995 articule l'accusationenquatrepoints8. J'aimeraisles examiner
brièvement.
6Voirles paragraps43A39 et les piéces1, 2 et3 dansles annexesEPN.
'~émoireduCamerounp , ar.1.10.
'Voirle mémoirduCamerouns,ection1. - 15 -
024 25.1. En premier lieu,leCamerouna affirmégque lestroupes nigérianes((avaientviolé de manière
flagrante))l'intégriterritoriale du Cameroun Bakassi lors d'unesérie de gravesincidents
frontaliers en 1993et en 1994,qui ont culminé avec laprétendue«invasion»par le Nigéria
d'une partiede la presqu'île versla mi-février 1994.
25.2. En deuxièmelieu,ilest alléguéiq0ueleNigéria aprocédé à l'occupation«civile» deKontcha,
que je vous montre maintenantsur la carte qui se trouve sous la cote 11 de vos dossiers.
25.3. En troisièmelieu, il est soutenu" que le Nigéria a occupé militairemenlta régiondeak
dans le lac Tchad.
25.4. En quatrièmelieu, il est soutenu dans le mémoirequ'une notediplomatique du Nigériadu
14 avril 1994,affirmantnotre revendicationhistorique sur Daraki2,a amenéle Cameroun à
soudainement((prendreconscience))quecette revendicationterritoriale, s'ajoutàcellesur
la presqu'îlede Bakassi, s'intégrait dansun plan systématique de remiseen cause par le
Nigéria del'ensemblede lafrontièreentre les deuxEtats, courantsur 10 kilomètresdu lac
Tchad à la mer.
26. Monsieurleprésident, Madameet Messieursde laCour,rienne pouvaitfonder ni nepeut
fonder le Cameroun à aboutirà cette ((prisede conscience)),comme le montàel'évidenceunetrès
simple analyse des quatre points qu'ilsavancent.
27. Quant au premierpoint, le Nigéria rejette entièrementla version des faits présparée
le Cameroun au sujet de Bakassi. On ne saurait admettre que le Cameroun compare à un acte
d'agression la présenceà Bakassi de populations nigérianeset d'une administration nigériane
remontant sans interruptionà une époque précoioniale. Quoiqu'il en soit, le Cameroun n'est
manifestement pas fondé à déclarerque toute la frontière esten litige.
Wémoiredu Cameroun, section1,tout particulièrementle paragraphe 1.02.
'par.1.09.
"ibid.
I2Mémoiredu Cameroun, annexeMC 355. - 16 -
28. S'agissantdu second point, il est affirméau paragraphe 1.9 du mémoireque le Nigéria
s'estlivré une «occupationcivile))de Kontcha,reprenant une assertion figurantdans une note de
protestation du Cameroun du 11 avril 1994indiquant que «des Nigérians occupentillégalement
025 Kontcha»13. Mais un peu plus loin dans le mémoire14a ,insi que dans les observation^' ^e,
Cameroun fait marche arrière surce point et allègue que le Nigéria avait occupéune partie du
territoire camerounaisà Typsan,près de Kontcha.
29. Le Nigéria n'ajamais occupéni revendiquéKontchaet nous l'avonsindiquéclairement
au Cameroun dans notre note diplomatiquedu 14 avril 199416.
30. Quant à Typsan, ce village se trouve au Nigéria. Il a étéfondé,après le plébiscite
de 1961 sur la rive occidentale de la rivière Typsanqui forme la frontière. Kontchaest situéa e
deux ou trois kilomètres à l'est de la rivière". Vous verrez maintenant à l'écran, Monsieurle
Président,une photographiepar satellite- souslacote 12dansles dossiers - montrantclairement
les positions relatives de Typsan, de la rivière Typsan et de Kontcha. La photo illustre
accessoirementaussi le caractère accidentédu relief local. Vous pouvez voir que Typsanse situe
à l'ouestde la rivière,en territoire nigérian.
31. Jusqu'en 199518,le Cameroun n'avaitjamais revendiquéTypsan. Il a avancé pourla
premièrefois cette allégation controuvée de l'occupationde Kontcha - choisissant son moment
avecun soin qui ne semblepas accidentel - danssa lettre du 11 avril 199419,'est-à-direentre les
datesde sa première etde sa deuxièmerequêtesen la présenteinstance. Il n'yavaitjusqu'en 1994,
*
pour autant quej'aie étéen mesure de le vérifier,aucune note de protestation ni lettre faisant état
"Mémoiredu Cameroun, annexeMC 355.
I4Par.6.90 et suiv.
I5Vol.I-Répertoir- App.20.
I6Mémoirdeu Cameroun,app.MC 355.
I7Voirphotographie par satdans lesdossiers des jugessous la cote 13.
"Cette revendication semble avoirrmuléepourla premiérefois dansle mémoirelui-mêmea,ux
paragraphes 6.90et suivants.
'%Cmoiredu Cameroun, annexeMC 355. - 17 -
d'une prétendue occupation soit de Kontchaou de Typsan par leNigéria. En bref, le Nigérian'a
jamais revendiqué Kontcha. Et jusqu'en 1995, le Cameroun n'avaitjamais revendiquéTypsan.
32. Letroisièmepoint serapporte à la prétendueoccupationmilitairede Darakpar leNigéria.
Mais notre position au sujet de la régionde Darak, telle qu'elle a étéexposéedans la note
diplomatique du 14avril 1994", ne pouvait surprendrele Cameroun. Cela faisait des années que
celui-ci, comme d'autresEtats membres dela commissiondu bassindu lacTchad,participaitàdes
opérationsde patrouille commune dans le lac. Le Cameroun savait parfaitement depuis de
0 :!6 nombreuses années quele Nigériaavait des implantations à Darak ainsi que sur certaines terres
émergées dans le lac, habitéespar des Nigérians et administrépar le Nigéria. La preuve que le
Cameroun a lui-mêmeproduite fait qu'illui est impossible de nier ce fait?'.
33. En quatrièmelieu, le Cameroun fait étatde la note du Nigéria du14 avril 1994. Or il
est manifeste que cette note, d'unton totalement pacifique, ne saurait avoir surpris le Cameroun.
34. Monsieur le président, Madameet Messieurs de la Cour, les quatre raisons que le
Cameroun invoque pour affirmer avoir soudainement «pris conscience» de ce que le Nigéria
remettait systématiquementen causel'ensemble delafrontièresontdoncmal fondées. Ellen se sont
pas simplement mal fondées, mais très manifestementmal fondées. Quel que soit l'avantage
tactique que le Cameroun voulait s'assurer par cette allégation,celle-ci n'auraittout simplement
jamais dû être faite.
35. J'aimerais maintenant dire quelquesmots sur la perspective dans laquelle il convient
d'aborderla présente instance ainsi que sur lafaçon dont elle devrait se dérouler.
36. Aprèsavoir déposé sa deuxièmerequête et plus tardson mémoire,le Camerouna tenté
d'asseoirdans les faits la fiction d'une frontièreremisesystématiquementen cause par leNigéria.
Il l'afait par une série de provocationsque mon gouvernementne peutque déplorer.Latrame des
événements à partir de 1994 montre que le Cameroun a essayéde faire monter la tension dans
l'espoirde décontenancerun voisin qui avait étésurpris. Je n'aid'autrechoix que d'exprimerà la
Z"Mémoirdeu Cameroun, annexeMC 355.
"Voir par exemplele mémoiredu Cameroun,annexes MC 282et MC 283. - 18 -
Cour la consternation que ressent mon gouvernement devant cette attitude. Je le ferai aussi
brièvement queje le peux, maisje dois, mon grand regret, faire allusàcertaines questions,
notamment àl'emploide méthodesviolentes par le Cameroun.
37. Le 25 juillet 1995,le Cameroun a envoyé des troupàsWest Atabong, à Bakassi. La
carte se trouve sous la coteLes troupes camerounaisesont ouvert le feu surun bateau civil,ont
tuéun certain nombre decivilsnigérians,battud'autresetconfisquédesbateauxoteur ainsique
des filets de pêche.
38. Quelques semaines plus tard, en août 1995, le Cameroun a attaquédes positions
nigérianes Archibong Town,dans lenorddeBakassi. Cetteattaquea causélamort d'unNigérian
et-fait un autre blessé. Un Camerounaisa également étué.
39. Le 3 février1996,le Cameroun a lancé unenouvelle attaque sans aucune provocation
dans la presqu'île de Bakassi. C'étaijtour de marchét Atabong. Les habitants vaquaienà
0 2 7 leurs occupations normales et voilà qu'ilssont subitement soàmun bombardement surprise.
Point n'estbesoin de vous dire,Monsieur le Président,la gravitéd'un bombardement frappantune
populationcivile rassembléepourle marché.Lebombardement n'était psccidentel,il aduréprès
de sept heures et a étésuivi d'uneattaque que notre garnison a néanmoinspu repousser. Toute
l'opérationsemble manifestement avoir étésoigneusementplanifiéeet coordonnée sousla forme
d'une opération amphibie camerounaisemenéeà partir des criques parsemant la presqu'île.
40. Madame et Messieursde la Cour se rappellerontque le Camerouna soutenu le contraire
w
en mars 1996 lors des audiences sur les mesures conservatoires et il a affirméque les forces
nigérianes avaient attaquéle Cameroun. Or lesfirmationsavancéesparcelui-ci sont totalement
dénuées de crédibilité.Ce sontdix civils nigérians qui ontperdu lavie et vingt autres qui ont été
blessés, entout trente victimes civiles nigérianes, c'essixfois le nombre de nos victimes
militaires (deux soldats tuésettrois blessés). Selon sespropres élémepreuve, le Cameroun
lui, par comparaison, n'aeu que deux victimeset un disparudans ses rangs et il est rruelateuq
ce sonttous des militaires. Le Cameroun n'ajamais contestéces chiffres, ni mêmed'ailleursdans
son prétendumémorandumsur la procédure. Le nombre des victimes civiles nigérianes a très - 19 -
élevé justement parce que nous avons étpris au dépourvu. Etil y a eu par la suite de nouvelles
attaques, notamment lors de la nuit du 16 février1996.
4 1.La campagneorchestréepar le Cameroun au sujet de la question de Bakassi incluaitune
demande priant la Cour d'indiquerdes mesures provisoires. Elle s'estpoursuivieavec le prétendu
mémorandumdu Cameroun sur la procédure. Ce document, Monsieurle Président n'esten réalité
qu'une nouvellepiècecomplexe quen'autorisepas le Statutde laCour etje suis convaincu partant
que la Cour n'entiendra pas compte.
42.Si l'onexaminelatramed'ensembledesévénementd sepuislapremièrerequêteM , onsieur
le président,le Camerounn'adonccessé d'essayer de fairemonter latension de différentesfaçons,
non seulement par les faits que je viens de relater, mais égalementpar une série de notes
diplomatiques stridentes, la dernièredatant peine d'une semaine. Le Nigéria,pour sa part,
recherche l'apaisement, n'envoiede notes officielles de protestation que lorsqu'ilestime qu'elles
seront utiles et réserve defaçon généraleses droits.l s'agit làd'une attitude digne, que nous
croyons êtrecelle qui convient dans les circonstances.
43.Monsieurleprésident,Madameet Messieursde laCour, lesNigérianset lesCamerounais
sont fières aubout du compte.. Je puis vous dire en toute sincérité quele Nigéria demeurebien
disposé à l'égarddu Cameroun malgréson comportement depuis 1994. On compte environ
** deux millions cinq cent mille Nigériansau sein de la populationtotale du Cameroun qui s'éàève
treize ouquatorzemillions environ. L'apport desNigérianàlavie du Camerounse manifeste sous
bien des formes différentes. Et un grand nombre de Camerounais vivent heureux au Nigéria
enrichissant égalementla vie de notre pays.
44. Monsieur le président,Madame et Messieursde la Cour, il convienttant pour nous que
pour le Cameroun de reconnaître l'intérêq tui est le nôtre de bénéficier de frontières stables.
Celles-ci importentd'ailleursmême pluàmon paysqu'auCameroun. Car si lathèsedu Cameroun
à l'égardde Bakassi ou de la régionde Darakfinit pas triompher, ce sont plusieurs dizaines de
milliers de Nigérians- qui ont toujours été Nigérianest qui ont été gouverné s partir du
Nigéria - qui verraient soudainementleur personneet leurs biens transféàéun autre Etat doté
d'un système différentet de traditions politiques différentes. Ces Nigérians pourraientse voir -20 -
expulsésde leursterres ou privésde leur gagne-painou êtrevictimesde ces deux mesures. Nous
osonsespérerque le Camerounse conduira bien maisnous avonsde bonnes raisons d'êinquiets.
Les ressortissants camerounais,eux par contre, ne courentpas dutout un risque comparable. Je le
dis parce que les deux Parties savent que peu de Camerounaisviventassi ou dans la région
de Darak.
45.11 va quasi sans dire que les questions réellessur lesquelles la Cour estàaseelée
prononcer au coursde ces audiencesconsacréeànos exceptions préliminaires sont des questions
de droit. La propagande, qu'ellevienne d'uncôtécomme de l'autre,n'aiderapas la Cour dans ses
délibérations. Querien n'empêchecependant le Cameroun de combattre nos exceptions
préliminaires avec toutela vigueur voulue. Mais que cette instance se déroule dansun esprit de
respect, de respect pour la Cour et aussi de respect réciproqueentre deux Etats frères.
46. Ainsi se termine, Monsieur le président, mon exposéliminaire sur les exceptions
préliminairesdu Nigéria. Je vousdemanderai de donner la paroleir Arthur Watts.
Le PRESIDENT :Je vous remercie beaucoupM. l'Attorney-General. Je donne la paràle
sir Arthur Watts.
Sir Arthur WATTS :Monsieur le président,Madame et Messieursde la Cour,j'ail'honneur
de présenter la première exception préliminairedu Nigéria, selon laquelle la Cour n'est pas
compétentepour connaître de la requêtedu Cameroun.
Les faits essentiels sont simplesLe Nigéria a accepté la compétence de la Cour -
conformémentau paragraphe 2 de l'article 36 du Statut dès 1965. Le Cameroun ne l'afait que
le 3 mars 1994. Le Camerouna ensuite présenté sa requêtela Couà peine trois semaines plus
tard, le 29 mars 1994. Le Nigérian'arien su de la déclarationfaite par le Cameroun en vertu du
paragraphe 2 de l'article36 avant quereffierne l'informede ceque le Cameroun avaitprésenté
sa requête.
Etant donné cette chronologie, le Nigéria considèreque les conditions prévues au
paragraphe 2 de l'article36, lues au regard de la déclarationdu Nigérialui-même,n'ontpas été
remplies. LeCameroun,en déposantsarequêtele29 mars 1994,aagiprématurémentet,ce faisant,
n'apas satisfaitla condition de réciprocité, quidoit êtreremplie avant que lajuridiction de la
Cour puisseêtreinvoquée contre leNigéria. - 21 -
1.Monsieur le président,permettez-moi d'abordde rappeler àla Cour le comportement du
Cameroun dans la saisine de la Cour. En particulier, examinons de près le comportement du
Cameroun au débutde 1994.
Ce n'estpas du jour au lendemain qu'ungouvernement décidede faire une déclarationen
vertu de la clausedite facultative, ni encore moins de préparerune requêteintroductived'instance.
Ces deux démarchesexigent une préparation longueet soigneuse. Nous pouvons supposer àcoup
sûr que le Cameroun, enfaisant sa déclaration declause facultative et en présentantsa requêteen
mars 1994,devait avoir préparé activement ces mesures au moins depuisjanvier 1994.
Or,leCamerounn'apas manquédepossibilitésd'informer leNigériadefaits quiconcernaient
leurs relations mutuelles. Pendanttoute cette époque,leNigériaet le Cameroun entretenaientdes
relations diplomatiques. Ils avaient des mécanismes permanents,bien établis,de coopération
bilatérale aussibien que multilatérale. Ilsavaientaussi de nombreuses occasions ponctuelles,aux
niveaux les plus élevés, officielset locaux, de discuter de questions d'intérêt commun.
Permettez-moi d'énumérer simplement quelques réunions qui on etu lieudes niveaux élevés au
cours du premier trimestre 1994 - c'est-à-dire la périodà l'issue de laquelle le Cameroun a
invoquéla compétencede cette Cour. Le 13janvier, s'esttenue une réunion à Abuja entre le
généralSani Abachaet leministredesaffairesétrangères duCameroun'; le24 janvier, une réunion
à Buea entre l'ambassadeurdu Nigériaet le ministre des affaires étrangères duCameroun; les
O 3 0 ministres des. affaires étrangères des deux Etats se sont rencontréà Buea le 10févrie?; et
le 9 mars, les deuxministres des affaires étrangèresse sontvus denouveau,cette fàiYaoundé.
En outre, au cours de cette période, les deuxchefs d'Etatont échangde la correspondance (en
fé~rier)~.Je dois également mentionnerla réunion ausommet de la commission du bassin du lac
Tchad, tenue à Abuja du 21 au 23 mars 19944 :le général Abachay a assisté,mais en dernière
--
'EPNannexe56, p. 20dutextefrançais.
'EPNannexe60, p. 208dutextefrançais.
'EPNannexe60, p. 20dutextefrançais;rkponsele 19fkvrier1994.
4EPNannexe77. - 22 -
minute, le président Biyan'est pas venu et le Cameroun n'y a étéreprésentéqu'au niveau
ministériel. Et une semaine plus tard, le Cameroun a déposé sarequêtedevant la Cour.
- Le Cameroun a-t-il utilisél'unequelconque de ces occasions pour mentionner qu'il se
préparait activement à accepter la compétencede la Cour ? Non, Monsieur le président,le
Cameroun n'ena rien fait.
- Le Cameroun a-t-il utilisél'une quelconquede ces occasions pour mentionner qu'il se
préparait activement àintroduire une instance contre le Nigéri? Non, Monsieur le président,le
Cameroun n'ena rien fait.
- Même aprèsle 3 mars 1994,après avoir acceptélacompétencede la Cour en vertu de la
clause facultative, le Cameroun en a-t-il informéle Nigéria ? Non, Monsieur le président,le e
Cameroun n'ena rien fait,même paslors de la réunionau sommetune semaine àpeine avant que
le Cameroun n'introduisesa requête.
Et ce que le Camerouna fait est aussi importantque ce qu'iln'apas fait. Pendantles mois
quiont précédé sa requête àla Cour, le Camerouna poursuivi ses discussionsavec leNigéria sans
donner à celui-ci la moindre indication qu'il s'apprêàt prendre une mesure aussi grave qu'est
l'introductiond'une instancedevant la Cour.
Il ne s'agissaitpas simplement d'une omission, il s'agissaitd'uncomportement destiné à
induire le Nigériaen erreur. Au cours de cette période,le Cameroun a trouvéle moyen de se
montrer satisfait des mécanismesbilatéraux :lors de sa réunion du13janvier avec le général ani
lllC
Abacha, le ministre des affaires étrangèresdu Cameroun avait proposé«de mettre sur pied une
commission d'enquête mixte chargée d'examiner l'ensemble dle a question frontalière5»;et le
présidentBiya exhortaitmême le présidenA t bacha, le 19 février 1994encore,à persévérerdans
l'intensificationdes efforts de négociation den cours»6. Le Camerounentendaitmanifestement
induire le Nigéria enerreur.
'EPN,par.21.
6AnnexeMC337 :les italiquessde moi. - 23 -
Pourtant, Monsieur le président,«la Cour a soulignéla nécessité de respecter, dansles
relationsinternationales,lesrèglesde labonne foi et de laconfianceen destermesparticulièrement
nets))'. Je n'ai pas besoinde souligner l'importance de la bonnefoi, mais il y a deux aspects sur
lesquelsje voudrais appeler l'attentionde la Cour.
Le premier est que, bien que l'importance de la bonnefoi soit de nos jours tenue pour
acquise, c'est seulement assez récemment que la Cour elle-même ajugé bon de l'énoncer
explicitement.
Deuxièmement,ces considérations debonne foi sont particulièrement importantesdu point
de vue de l'établissement de lajuridiction de la Cour en vertude la clause facultative. La Cour
elle-même l'adit8:la bonnefoi doit êtrerespectée,et laconfiancedans lesrelationsinternationales
doitêtre accrue. LaCour a reconnu que l'«exigencede bonnefoi» s'applique à la dénonciationdes
déclarations9.Cette exigencene peut manquerde s'appliquerégalement àleur dépôt et à leur mise
en Œuvre. LesEtats ont ledroit d'attendrede la partdes autresEtats qui font desdéclarationsqu'ils
se comportent en conséquence..
Au lieu de quoi, le Cameroun donnait activement au Nigériaune fausse impression de
sécurité tout en sapant simultanément le dialogueen se préparant subrepticement à saisir la Cour.
Le Nigéria,de bonne foi,se reposait sur les représentationsque lui faisait le Cameroun. Et puis,
les attentes légitimesdu Nigéria se trouvèrent détruites palra préférence soudaine du Cameroun
pour un règlement parune tierce partie, contrairement à tout ce que le Cameroun avaitjusque-là
conduit le Nigéria à croire sur l'intérêdte mécanismes bilatéraux.
La ((nécessitéde respecter ...les règlesde la bonnefoi et de la confiance))dans les relations
internationalesne sauraitavoir été observée dansces conditionsL . e Camerouna cherchépendant
'C.I.J.Recueil 1984,418 :voir le passagecitt a la 8oci-dessous.
'Activités militaetparamilitaires auNicaraguaet contre celui-ci,C.I.J.Recueil 1418.pVoir aussi EPN,
par.1.18.Le passagedont il s'agitest le su:((Dansl'établissemet e ceréseaud'engagementsque constituele
systémede la clausefacultative,le principe de la b0~e foijoue un rôle essentiel;et la Cour a soulignéla ntcessitt
de respecter, dansles relations internationales,les réglesde la bonne foi et de la confiance en des termes
particuliérementnets.))
9Activits ilitaireset paramilitaires auNicaraguaet contrecelui-ci,C.I.J.Recueil420,par.63. - 24 -
tout ce temps à cacher ses intentions et à induire en erreur, puis il s'est efforcéde fonder
l'incompétencedela Cour sur les résultatsde cette présentationdéformée.Monsieur le président,
le respect qui s'impose pour la procédure judiciaire de cette Cour exclut l'établissement de la
compétence à la dérobée.
Et quelle est la réponsedu Cameroun à tout cela? Le Cameroun,je le constate, ne cherche
pas à nier qu'ily a eu des réunionsau coursdesquelles il aurait pu informer le Nigériade ce qui
se tramait; il ne nie pas non plus qu'iln'arien faiàl'uneou l'autrede ces réunionspour informer
le Nigéria. Donc, en fait, le Cameroun reconnaît avoir induit le Nigériaen erreur.
Le Cameroun affirme aussi'' que le Nigériadevait savoir que les moyens pacifiquesdont
disposait le Cameroun pour régler lelitige de Bakassi comprenaient l'optiond'en saisir la Cour. *d
Mais, Monsieur le président,cela ne serait exact qu'à partir du moment où le Nigériaavait
connaissance de ce que le Cameroun avait fait une déclarationde clause facultative :jusque-là,
d'aprèsce que savait le Nigéria,l'optionde la Cour internationalede Justice n'était pas l'undes
moyens dont disposait le Cameroun. D'où lasurprise du Nigéria lorsqueapparut la vérité.
Le Camerouns'efforceaussi demontrerque leNigériaconnaissaitdéjàses intentions. Ainsi,
dit le Cameroun, en février 1994, le président Biyaévoquait la possibilitéd'un ((règlement
juridictionnel))dans un message au généraA l bacha". Or le message mettait l'accentnon pas sur
un règlementjuridictionnel, maissur la négociation- le président Biya demandaitau Nigériade
((persévérerdans l'intensificationd))es négociationsen cours. Enoutre, unevague référence à une
I
((voie juridictionnelle)) n'indiquait guère que le Cameroun envisageait de saisir cette Cour,
particulièrement à un moment où le Camerounn'en avaitpas acceptélajuridiction. On nous cite
ensuite une information radio provenant de Libreville, capitale de 1'Etatvoisin du Gabon,qui est
présentéecomme une notification officiellepar le Cameroun12 ! Puis une autre information,parue
dans la presse, relatant des observations faitesr le ministredes affaires étrangèreduNigériaau
LOObservatiodu Cameroun surles exceptionspréliminai, ar. 1.46.
"Observationsdu Cameroun,par1.93;annexeMC 337.
'*Observatiodu Cameroun,par.1.94;observationsdu Cameroun,annex11. - 25 -
sujet d'une décision quele Cameroun aurait apparemmentprise de porter cette affaire devant le
Conseil de sécurité etla présente Cour13 :mais encoreune fois, Monsieurle président, quelpoids
accorder à desremarquesde cettenature à un moment- nous sommestoujoursen février1994-
. 4)3 3 où le Cameroun lui-mêmereconnaît qu'il ne pouvait saisirla Cour de cette affaire ? Il n'est pas
étonnantque le ministre des affaires étrangères ait été perplexdeevant ce qui semblait s'écarter
autant de l'engagementprécédemment prispar le Cameroun de recourir à la négociation etau
dialogue. Ensuite, nous avons unelettreadresséepar leministre desaffairesétrangères du Nigéria
auprésidentduConseilde sécuritél,e 4 mars 1994,évoquantle faitqueleCamerounavait«engagé
une procédure))auprèsde la Cour14- mais, comme nous le savons,aucune procédure n'avaitété
engagée à l'époque,aussi ne peut-on guère donnerbeaucoup de poids à cette référence.Puis, la
réunionde l'OUAdu 11mars 1994,dont le Cameroundit curieusement qu'ellemontre que «tous
lesofficiels africains))connaissaientles démarchesengagéespar leCameroun poursaisir la Cour";
mais, Monsieur le président,l'onreconnaît que le plus haut placéde ces officiels - le secrétaire
généralde l'OUA lui-même-- n'avait pas connaissance de ce prétendufaitI6 et, en vérité, à
l'époque,il n'y avait pas devant la Cour d'affairedu Cameroun dont quiconque aurait pu avoir
connaissance !
Monsieur le président,tout cela est un rappel si confus d'événementdsivers que l'onne peut
en tirer aucune conclusion sérieuse. En étant obligé de sefonder là-dessus, le Cameroun appelle
l'attentionsur sa déterminationà éviter d'être franacu sujet de ses actes:la transparence étaitla
dernière chose que souhaitaitle Cameroun.
Quant au reste, le Cameroun met en avant un mélanged'informations diffuséespar la radio
et lesjournaux. Mais le Cameroun aurait pu dire directement au Nigériace qu'ilse proposait de
faire: pourquoi se fier à des moyens aussi indirects de transmettre des informations d'Etat si
'30bservationsdu Cameroun,par. 1.95;annMC340.
140bservationsdu Cameroun, par.1.96;annexeMC 344.
150bservationsdu Cameroun1.97-1.98;annexe MC349.
16Cetveu figuredans lerapportinterne que fait le Camerounde cette:ibid, p. 2848. - 26 -
importantes ? Les Etats ne sont pas censésréagiraux nouvelles diffiséespar les médiascomme
s'ils'agissait de communicationsofficiellesde la position d'unautre Etat. La diplomatie par voie
dejournalisme est un moyen peu sûr.
II. Yenviens àla questionde laréciprocité.Surce point, lesthèsesduNigéria sontsimples.
Premièrement,la déclaration du Nigériaen vertu de l'article36 était expressémentassortiede la
réservede réciprocité;et, deuxièmemend t,ans les circonstances de la requêdu Cameroun, il n'y
avaitpasde réciprocitésuffisantpeoursatisfaire laconditionqu'imposaitladéclarationduNigéria.
034 Monsieur le président,beaucoup de textesde doctrine consacrésà cettequestionet, sije puis
me permettre, même certains arrêtd se cette Cour, ne distinguent pas de façon constante les
différentssens dans lesquels la notion de réciprociest pertinenteà l'applicationdu régimede la IJ
clause facultative.On peut en discerner au moins six. Il y a, d'abord,le principe généralde
réciprocité,ur lequel repose tout le système,fondésur sa nature consensuelle et contractuelle.
Deuxièmement, ily a la réciprocité au sensprécisdu paragraphe 3 de l'article36 du Statut. Puis,
troisièmement,il y a la réciprocitau sens de l'acceptationpar les parties de la mêmeobligation
conformémentau paragraphe 2 de I'article36;mais il existe une source de confusion du fait que
le paragraphe 2 de l'article36 ne mentionnepas explicitement la «réciprocité» papslus d'ailleurs
qu'iln'établit devéritableréciprocité ilprévoitplutôt uneconditionque l'onpeut peut-êtremieux
définircomme une«coïncidence» :l'acceptationde lajuridiction de laCourpar 1'EtatA et 1'EtBt
doitêtrede même portés eur le fond. Quatrièmement,et par conséquent,il existe une réciprocité 'ir)
au sensoù chacunedes Parties a ledroit d'invoquerles réservesfaitespar l'autre. Cinquièmement,
laréciprocitépeutêtreuneconditionpréciseexpressémentimposéeparlesEtatsdansleursréserves.
Et sixièmement,et cela recoupe peut-être d'autreasspects, il y a réciprociau sens d'uneentière
identitédes positions entre les Etats intéressés.
Dans ce contexte, examinons la déclarationdu Nigéria. Le Nigéria acceptaitlajuridiction
de la Cour comme obligatoire «à l'égardde tout autre Etat acceptant la mêmeobligation)). Ce
disant,elle répétait simplemenlte texte du Statutrelatif àla«coïncidence». Mais la déclarationdu
Nigériaajoutait ((c'est-à-diresous la seule condition de réciprocité)).Ce membre de phrase
supplémentaireest crucial.Il ajoutait des considérationsde mutualité.Il demandenon seulement -27 -
que les Etats A et B aient acceptélajuridiction de la Cour dans la même mesure, ais aussiqu'ils
puissent chacun invoquerleur déclarationrespective- en fait, qu'ilssoient l'unet l'autrecapables
àégalitéd'utiliselrapossibilitéqueleuroffrentleursdéclarationsparallèles,t qu'ilss'exposenttous
deux à égalitéà ce que des procédures puissentêtreengagéescontre eux. Mais cette égalité de
risque était absenteen laprésente espèce.En vertu de son acceptationde longuedate de la clause
facultative, le Nigéria couraitle risque d'êcité devant cetteCour comme défendeur :mais le
Cameroun ne couraitaucun risque réeléquivalent,du moinsjusqu'à cequ'ilagisse à découverten
introduisant une requêtedans la présenteaffaire. Aux termes de sa déclaration, le Nigéria avait
précisé clairementqu'il n'acceptait passeulement la juridiction de la Cour sur la base de la
' «coïncidence» prévuedans les termes du paragraphe 2 de l'article36, mais qu'il demandait
également qu'il y aitune véritableet entière((réciprocité)).
Le fait que la déclarationdu Nigéria aitjoutéla mention de la réciprocité ne saurait être
négligé. Si l'onutilise des termes, il faut supposer que ceux-ci ont un objet et un sens qui en
justifient l'emploi. Dansl'affairedesRéclamationsdes IndiensCayuga,la situationa été exprimée
dans les termes suivants:
«Rien n'estmieux établi,comme critère d'interprétationdanstous les systèmesde
droit, que le principe selon lequelune disposition doit s'interpréter demanièàelui
donner un sens plutôt que de l'enpriver.))"[Traductiondu Grefle.]
Et la Cour, Monsieur le président,dans l'affairedu Comitéde la sécuritémaritime,a de même
rejeté uneinterprétationd'une disposition detraitéau motif qu'elle«aurait pour effet de rendre
superflu))le passage en question18.
Le Camerounavance19que la référence supplémentaire àla réciprocitne sert qu'àredire ce
qui est contenu dans le membre dephrase précédent?'C. ela revienta dire, cependant,que dans un
instrumentaussi officielqu'unedéclarationdeclause facultative,lestermes utilisésn'ontaucuneffet
"UNRIAAv , oVI,p. 184.
'*C.I.J.Recu1960,p.160.
I90Cp,ar1.81.
200C ,ar.1.81. - 28 -
sur le fond, qu'ils sontdu simple remplissage et pourraient êtreomis sans modifier le sens de la
déclaration.Il suffit d'exprimer cettethèsepour voir qu'elleest fausse. Ces mots supplémentaires
ont manifestement un senset un effet - et c'estcelui de compléterla«coïncidence»prévue parle
paragraphe 2 de l'article36 par l'élément dm e utualitéinhérentau concept de ((réciprocité)).
Certes,nous avons affaire icià un instrumentunilatéral,la déclarationdeclausefacultative
du Nigéria. Cette Cour a déjàobservéque de telles déclarationsne doivent pas êtreinterprétées
de manière à dépasserles intentions des Etats qui les font2'. Cettedémarche est conformeau
principe largementacceptédel'interprétation destraités,ndubiomitim(dans ledoute,doucement).
LeCameroun cherche àfairevaloir quele sens que leNigériaattribue à l'utilisation duterme
((réciprocitée))st assez inusitéet sans précédent.Pourtant les mots doivent êtrepris dans le sens Icri,
ordinaire dans leur contexte. Le Shorter Oxford ~ictionafl donne le sens de «un étatou une
relation où existe une action, une influence, un échange, une correspondance mutuels, etc.e ,ntre
deux parties ou deux choses». Monsieur le président,d'aprèsle sens ordinaire des mots utilisés,
il ne peuty avoir d'actionmutuelle, il ne peut y avoir de correspondancede positions, devéritable
réciprocité,si l'une des.partiesn causene peutabsolumentpas assumer lerôle qui luirevient dans
cette action, sans qu'ily ait aucune faute de sa part et même àcause du comportementde l'autre
partie.
Le Cameroun a appelél'attentionz3sur la jurisprudence de la Cour au sujet du sens de la
réciprocité. Monsieurle président,je voudrais faire seulement quatre remarques. Premièrement,
UV
les faits, dans les cinq affaires citées parle Cameroun, sonttrès différents deceux de la présente
instance. Deuxièmement,la désapprobationque la Cour a marquée à l'égarddes ((interprétations
nouvelles))dans l'affaire Nottebohm"tenait au caractère très particulierde l'argumentationdu
Guatemalaqu'elle examinaitalors, etil est difficiled'enfaireunprincipegénéral -après tout, tous
2'EPN,par.1.20à 1.22. Lesréférencpsortaientsurdes passagesde SPthosphates du Maroc,C.P.J.I.SérieA/B
no74 (I938), p. 24.
223é'd.,rev. 1956.
UOC,par.1.82.
24Nottebohme,xceptionspréliminai, .I.J.Recueil 1953,p. 120-121. lesarguments sont «nouveaux»lapremièrefois qu'ilssont présentése,t entoutétat decause,quand
leNigéria aurait-ileu déjàune occasionde dire ce que signifiait((réciprocitéd )ans sa déclaration?
Troisièmement, dansles quatre autres affaires citéespar le Camerounzs,la Cour ne traitaitpas de
la question de mutualité que .posemaintenant le Nigéria, puisqu'ellesconcernaient toutes des
déclarationsdont lestermes étaientparfaitementconnus des parties à l'époque dont il s'agissait.Et
quatrièmement,la Cour a reconnu dans l'affairede l'Anglo-IranianOil Co. qu'
«[e]lle doit rechercher l'interprétatioqui est en harmonieavec la manièrenaturelleet
raisonnable de lire le texte, eu égard à l'intentiondu gouvernement ...à l'époqueoù
celui-ci a acceptéla compétence obligatoirede la C~un)~~.
0 3 7 Pour les motifs cités parleNigéria, l'accent que celui-ci amis sur la nécessité de la réciprocitée,t
lamanièredont ilcomprendce terme,sont bien une manièrenaturelleet raisonnabledelireletexte
de la déclarationdu Nigéria,conforme au sens que le dictionnaire donne de ce terme : rien dans
les circonstances historiques de 1965 ne permet de douter de ce sens - au contraire, les
circonstances historiques viennent appuyer la signification que le Nigériadonne du
mot «réciprocité», car cette signification permettaitau Nigéria(comme à plusieurs autresEtats)
d'atténuer les effets d'une décision antérieure d le Cour, dans l'affairedu Droit de passage.
Je voudrais rappeler ici que la Cour a constamment prêté attention au fond plutôt qu'à la
forme2'. L'attitudede la Cour a étéconstante2' :au niveau international, c'estle fond, et non la
forme, qui compte.
%ngIo-Iranian Oil Co., C.I.J.Recueil' 1952,p. 93; Certainsempruntsnor, .I.J.Recueil1957, p. 9;
Interhandel,C.I.J.Recueil 1959,p. 6; et Activitésmilitairesetparamilitairesau Nicaragua et contrecelui-ci
(Nicaraguac. Etats-Unisd'Amérique, .I.J.Recueil 1984,92.
26Anglo-IraniOil Co., C.I.J.Recueil' 1952,p. 104.
27Voirles ConcessionsMmrommatisen Palestine,C.P.J.I.série A n02,p. 34. Cette formulation akt6adoptkepar la
Cour dans l'affaire duCamerounseptentrional,C.I.J.Recueil 1963,p. 28. Voir aussiEPN,par. 1.13.
28Paexemple àpropos des conditions applicables auxrkglesde nationalitkdans les affaires dela Réparationdes
dommagessubis auservice des Nations Unies,C.I.J.Recueil1949,p. 74 et Nottebohm,C.I.J.Recueil 19(à,p. 4
proposde ces affaires,voàcet kgard, Watts dansFifs, Yearsof the International CourtofJustice(Lowe and
Fitmaurice, 1996,p. 426-431);et ausàpropos des conditionsd'«unaccord»,dans Plateaucontinentalde la
merEgée,C.I.J.Recueil1978,p. 39, et Qatar c. Bahreïn,C.I.J.Recueil 1994,p. 120-122. - 30 -
Cela vaut pour la ((réciprocité). e n'est pasun terme qui doit se comprendre de manière
abstraite :la Cour l'adit dans l'affaireduDroit depassage29.Il faut lui donnerun sens en fonction
de son contexte et du principe de la bonnefoi, et comptetenu des circonstancesdans lesquellesil
s'applique. Et il doit êtrecompris du point de vue du fond et non pas de la forme. La Cour a dit
elle-mêmeque la «notion de réciprocité porte sur l'étendueet la substance desengagernent~))'~.
Dans le contexte actuel, la substancede la notion demande non seulement que les Etats A
et B aient fait des déclarationsen vertu de l'article36,qui couvrent le mêmedomaine :il s'agitlà
de ((coïncidence))plutôt que de réciprocité. Il faut plutôt qu'existe une «mutualité» dans les
positions des Etats A etB, de sorte que chacunsoit vis-à-visde l'autre,dans la même positioque
l'autre setrouvevis-à-visdu premier;orcetteréciprocitéde fond n'existait pas lorsqueleCameroun \
a présenté sa requêteinitiale. LeCamerouna introduitune instancecontre leNigéria à un moment
où le Nigériaignorait qu'ilexistait une possibilitéd'enintroduire une contre le Cameroun. Cette
ignorance, Monsieur le président,n'était pasde la faute duNigéria;l'absence deréciprocitéquein
découlaitétaitle résultatdirect et voulu du comportement furtif du Cameroun.
Pour êtrecomplet, Monsieur le président, permettez-moid'évoquerbrièvementun point
encore. Le Nigéria connaissait,bien entendu, la déclarationdu Cameroun au momentou celui-ci
a présentésa requêteadditionnelle enjuin 1994. Maiscelane signifiepas quece dernierdocument
puisse être admissible.La requête du Cameroun à la Cour était présentéceomme un amendement
à la requête initialeet non le contraire. Si la requêteprincipaleest une base insuffisantepour que
e
la Cour puisse être saisie d'une affaire, alors larequêtesubsidiaire ultérieurene saurait êtreen
meilleure position3'. Lors de la réunionavec le présidentde la Cour, le14 juin 1994, le Nigéria
a accepté que leS.deuxrequêtessoienttraitéesensemble sur la base que «la requêteadditionnelle
soit traité..commeunamendement à la requêteinitiale)),et celafaisaitpartiede laprocédureque
29C.~.Recueil 19.57,p. 145.
30~~tivitsilitairesetparamilitairesauNicaraguaet contre celui-ci c. Etats-Unisd'Amérique),
C.I.J. Recueil 1984, p.419, par.62; les italiquessontde nous.
''Voir EPN,par. 1.27. - 31 -
la Cour a acceptée dansson ordonnance du 16juin3'. En outre, le Nigérian'apas acquiescé à la
manièredont le Camerounavait déposé sa requête initiani à son choixdu moment pource faire :
le conseil du Nigéria s'estréservé,lors de cette réunion,le droit de commenter ultérieurement
l'élémend te surprise que comportait la requêtedu Cameroun.
III.Le Camerouna tenté de se fondersur la décisionprise parla Couraustadedes mesures
conservatoirespour endéduireque sa compétence était établie àpriori (((primafade))).
Mais il est clair qu'une décisionde compétenceprimafacie est provisoire et ne préjugeen
rien la décisionque prendra finalement la Cour sur la question de la compétence.En l'espèce,la
Cour a réitéré sa position bien établie. Elle a reportéla détermination finale dela question de la
compétence - en fait, jusqu'au stade où nous sommes maintenant. On ne peut rien faire dire
d'autre quecela à l'ordonnancede la Cour en indication de mesures conservatoires.
IV. J'enviens maintenant à la nonacceptationpar le Nigériade la compétence dela Cour
en laprésenteespèce. Le Cameroun a avancé quele Nigéria,en se référan t diverses reprisesà
039 des procédures en instancedevant la Cour, a acceptéla compétencede la Cour et ne peut plus le
nier. C'estdéformer entièrementle sens et l'effetdes actes du Nigéria.
Le Cameroun tente de faire val0i9~ que le Nigéria, avant de déposer sesexceptions
préliminaires,n'a pas contesté la compétence de la Cour ou la recevabilitéde la requête.
Evidemmentpas Monsieurleprésident :lesdélaispour cefairefigurent à l'article79duRèglement.
Le Nigériaa dûment respectéces délais,et avant de soumettre ses exceptions préliminaires,le
Nigérian'aaucunement acceptéla compétence dela Cour en la présenteaffaire.
Une fois soumisesses exceptions préliminaires,les exceptions soulevéespar leNigéria àla
compétencede laCourétaientofficielles. Evidemment,Monsieur leprésident,la procédure devant
la Cour était bienen instance : c'était- c'est toujours- un fait. Dire qu'elleest «en instance))
reconnaît simplement ce fait.
32C.Z.R.ecuei1994,p. 3lesitaliqusontdenous.
330Cpar.54. - 32 -
La mentionde procédureen instancedésign,ien entendu,laprocéduredanssonétatactuel,
avec tout ses éléments connexes ce qui inclut le fait que le Nigéria a soulevédes exceptions
préliminairesconcernanà la fois la portéedu différendet la compétencedelaCourau sujet
de la requêtedu Cameroun dans son ensemble. Les parties sont libresde présenter toutes sortes
d'arguments- y compris des arguments portantsur la compétence. Toutes ces questions étant
dûment soumises àla Cour, ilconvientde lui laisserle soin detranchertoute la q:l'affaire
estsubjudice, et cette affirmationne sauraitêtreconscemmesignifiantqu'unepartie renonce
implicitementàdes positions qu'elle a adoptéesou pourrait adopter au cours de cette procédure.
Quant à lathèseduCamerounselonlaquellelalettre du 16février1996de l'agentduNigéria
représentaituneacceptationde la compétencede laCour, ellereviente lecture erronéede cette -
lettre (rédigj,e le signale,après la présentationdes exceptionspréliminairesdu Nigéria).Ce qui
s'estpassé,c'estque le Cameroun a communiquécertains documents tendancieuxla Cour. Le
Nigériaajugénécessaire de présentern tableau plus équiliet de faire observer que loin qu'il
soit légitime d'appeler le Nigériamender, commele proposait le Cameroun, la situation était
en fait tout l'opposé, et quec'était plutôtle Cameroun qui devait être raàpl'ordre. Un
O 4 O argument tendantà interpréterun moyen aussi rhétoriquecomme une demande en indication de
mesures conservatoiresou une acceptationde la compétencede la Courne résistepasexamen
le plus rapide.
En toute cette affaire, le Cameroun a tenté de montrer que le Nigéria avait accepté
1
implicitement la compétencede la Cour sur l'ensembledu différend telqu'il étaitppar leé
Cameroun. Pour les raisons quej'ai indiquées,ce ne saurait êtrele cas. Mais il existe aussi une
considérationplus générale. e Cameroun cherchetirer certainesimplicationsdu comportement
du Nigéria. Toutefois, les implications doivent êtreétablies demanièreprobante, en particulier
s'agissant d'une question aussiimportante que lajuridiction de la Cour,et alors qu'ellesseraient
contraires des positions présentéofficiellementet longueme-t et au préalabl- par écrit
dans les exceptions préliminairesdu Nigéria. Le Cameroun est bien loin de s'être de latté
charge de la preuve qui lui incombait. - 33 -
Monsieur leprésident,j'en viens à la dernièrepartie de mon exposé;il m'en reste encoreune
quinzainede minutes;je suistout disposé àcontinuer, maiss'ilvous paraît préférablede suspendre
l'audience pourquelques minutes, ce serait peut-êtreun moment tout indiquépour cela.
Le PRESIDENT : Je vous remercie. je crois que vous pouvez poursuivre quinze minutes.
Sir Arthur WATTS :Merci, Monsieurle président.
V. Enfindonc,permettez-moi de parler de I'affaire du Droit depassage34tranchéeil y a plus
de quarante ans. Le Nigéria affirme que cette décisionn'a pas un poids déterminant dans les
circonstances modernes de la présenteaffaire.
La décisionde la Cour dans cette affaire n'a manifestement pas d'effetdéterminant surla
procédure actuelle. Cela découle de l'article59 du Statut.Il existe certaines différences entre les
circonstances de la présente espèceet celles de l'affaire dontcette Cour a eu à connaître il y a
quarante et un ans.
Tai déjàsignalé en faitque depuis 1957,laCour s'est prononcée clairementsur lerôle central
que les considérationsde bonne foi doiventjouer dans les relations internationales,en particulier
O4 1 lorsque la question dont il s'agit concernela compétencede cette Cour. Un éminent auteur,bien
placépour commenter la pratique de cette Cour, a écrit quependant les années1960 à 1989
«la notion de bonne foi, qui auparavantavait seulement été mentionnéepar tel ou tel
juge sansêtreemployéepalraCourdanssesdécisions,s'esttransforméeen unélément
notable de l'arsenal judiciaire^^^.
Le droit dans ce domaine est beaucoupplus développé maintenanq tu'ilne l'étaià l'époque
où la Cour était saisie del'affaire duDroit de Passage, au point mêmeque l'obligation d'agirde
bonne foi a probablementdésormaisle statut de jus cogens- notion pour ainsi dire inconnue il
y a quarante ans. Ce n'estqu'en 1970 quel'Assemblée générale a adopt ce que l'ona appeléla
((Déclarationtouchantlesrelationsamicales»36d ,ontle septièmeprincipedéveloppailt'idée que les
34C.i.. ecuei1957,p. 125.
"Thirlway,«TheLawandProcedureof theInternational ourtof Justice1960-1989»,BritishYearbookof
InternationalLaw, vol. 60, 1989,p. 7.
36Réso1uti2on25 (XXV)(1970)de 1'Assemblégeénérale. - 34 -
Etats doivent remplir de bonne foides obligations qui leur incombent en vertu de la Charte (y
compris,bien entendu, le Statut). Elles comportent enparticulier l'obligationde se conformeraux
principesde lajustice et de ne pas les compromettre. Dix ans plus tard, la convention de Vienne
sur le droit des traités,de 1969,est entréeen vigueur fait particulièrementpertinent compte
tenu de l'insistanceque met le Cameroun à affirmer que les déclarations de clausefacultative
doivent êtreconsidéréescomme des traitésou des accords3' :il en découlela conséquence
inéluctableque la déclarationdu Cameroun se trouve sous l'empire de l'article 26 de cette
convention, qui dispose que tout traité doit êe is en Œuvrepar les parties de bonne foi.
Si nous examinons les arguments considérésdans I'affairedu Droit de Passage, il est
intéressant,mais peut-êtpas surprenant,étantdonnéla manièredont le droit s'estdéveloppéq,ue W
sil'Indes'estréférédeanssesdeuxièmeetquatrièmeexceptionspréliminaireset lorsdes audiences,
à des considérations debonne foi, elle ne l'apas fait trèsen détail; faitplus important, Monsieur
le président,la Cour, dans ce contexte, n'aabsolument pas évoqué la «bonne foi)). Toute cette
question a ététraitéed'unemanièreque l'on pourrait aujourd'huiconsidérercomme sommaire.
Quant àla réciprocitél,'Indeet la Cour l'ont mentionnée,mais sans entrer dans les détailset, en
particulier, l'Inden'apas présenàéla Cour, pas plusque celle-ci n'aexaminé,letype d'arguments
que leNigériaavance maintenant à ce sujet.
042 Un autre pointde différenceentrel'affaire de1957et celle-cimériteaussi d'être signalé. Les
déclarationsde l'Indeaussi bien que du Portugal étaient explicitementprésentéescommaeyantun
w
effet immédiat :celle du Portugal, a-t-on dit, avait pris effet «lejour mêmede son dépôtentre les
mainsdu Secrétairegénéral [desNations Unies]))et celle de l'Ind«àcompter de cejoun) - un
fait auquel la Cour a attachéde I'imp~rtance~~.En la présenteinstance, ni le Cameroun ni le
Nigérian'ont inclus de disposition instantanéeexpresse dans leurs déclarations.
Onne sauraitnonplusMonsieurleprésidentlireune applicabilitéinstantanéedans lamanière
dont leparagraphe 2 de l'article36 du Statut dit que les déclarationsreconnaissent la compétence
j7OC,par.1.6etsuiv.
38P .46. - 35 -
de la Cour «de plein droit)). Dans leur contexte,ces mots font partie d'unmembre de phrase qui
précise«de plein droit et sans conventionspéciale));ils soulignentla distinction qui droitêtre faite
entre le systèmede clause facultative et celui des compromis dont traite le paragraphe
Le Camerouns'estaussi référé à l'affairerelatiàelaSentencearbitrale du 31juillet198P9
et a noté quele Sénégan l 'avait pascontestéla compétence dela Cour, bien que lui aussi ait dû
faire faceàune requêtede la Guinée-Bissauintroduite à peine plus de deuxsemaines aprèsque la
Guinée-Bissauait fait sa déclarationde clausefacultative.Monsieurleprésident,iln'appartientpas
auNigéria despéculer sur les raisonspour lesquellesle Sénégala déciddée ne pas souleverletype
d'exceptionque soulèvele Nigéria. Cetteomission ne saurait êtrepréjudiciable à la position du
Nigériaen laprésente espèce.
La hâte avec laquelle le Cameroun a déposésa requête a réellemenp tortéatteinteà la
position du Nigéria40.Il est clair que la conduite du Cameroun a nuà la position du Nigériaen
tant que défendeurdevant la Cour. Elle a aussi causéun préjudiceà lajouissance, par leNigéria,
dudroit qui luiappartientque lesautresEtats,y compris le Cameroun,agissentenvers luide bonne
foi. Le Cameroun n'a tenu aucun compte des droits du Nigériacomme autre membre de la
communautérégionale et internationaleet il a incitéle Nigériaccomplirdes actes que celui-ci
aurait pu souhaiter éviters'ilavait connu lesfaits véritables. Le Camerouna affaibli le droit qu'a
le Nigériade se fonder sur des procédés bilatéraux de règlemen dtes différends,ainsi que la
souplesse et la libertéqui vont de pair avec un mécanisme bilatéral,qui permet de prévoirdes
règlementssurmesurecomptetenu de la situationlocale. Tout cela a eu desconséquencesnéfastes
appréciablespour leNigéria :par exemplelesressourcesqueleNigéria adûconsacrer à laprésente
instance,à la fois maintenant et lors de la phase antérieure des mesures conservatoires,ainsi que
le harcèlement quele Nigéria a subi dela part du Cameroun sur le plan international ont eu une
dimension manifeste et importante, politique et matérielle.
39C.J.. Recueil1991,p. 53;observationsdu Cameroun,par. 1.40.
"Cf.Droi te passage, C.I.J.Recueil1957,p. 147. - 36 -
Dans sa décisionde 1957 la Cour a estiméque, quand un Etat dépose sadéclaration
d'acceptationdelaclausefacultativeauprèsduSecrétairegénéralla,relationcontractuellenécessaire
. entre cet Etat et les autres Etats déclarantset donc lajuridiction dela Cour sontétablissansplus :
autrementdit, commel'adéclaré la Cour,c'est«cejour-là que le lienconsensuel ...prend naissance
entre les Etats intéressé^))^'La Cour n'a pas considéré comme pertinentea ,ux fins de l'effet
juridique des déclarations,l'obligationque l'article36, paragraphe4 impose au Secrétairegénéral,
de transmettre copie de la déclaration à toutes les parties au Statut.
Je tiens respectueusement à dire que l'application decette analyse aux circonstancesde la
présenteaffaire suscite quelques difficultés. Bien que la déclarationindividuelle soit un acte
unilatéralde 1'Etatqui la fait, la Cour a admis qu'ilconvientd'analyserson effetjuridique dans le J
cadre du système dela clause facultative du point de vue des relations contractuelles et des liens
consensuels. Le Nigéria estd'accord sur ce point. Cependant, des relations consensuelles et
contractuellesnécessitentune concordanced'interprétation à cet égard. Etant donnél'importance
queleNigéria attache à l'exigencede laréciprocitédanssa déclaration, commenp t eut-il existerune
telle concordanceentre deux parties dont l'uneest tenue dans l'ignorancede la position de l'autr?
On pourrait soutenir que ce n'est pas de la connaissance de la.déclarationque procède
l'établissement dulien consensuel, mais plutôt de la qualité departie au Statutdes deux Etats,qui
établitleur adhésionà un systèmede clausefacultativeauquel setrouve incorporél'effetinstantané
et automatique des déclarations. Cependant rien dansles termes de l'article 36n'oblige à donner Irir
un effet instantanéaux déclarations. De toute façon, le systèmede la clause facultative lui-même
inclutles limitesque les Etats déclarantsont imposées àlaportéede leursdéclarations : ceslimites
font partie du système consensuel établi parle Statut. Dans l'affairedu Nigéria, l'obligation
assuméepar le Nigériaen vertu du Statut inclut une condition deréciprocité sur lefond :ainsi,
mêmedans les limites du systèmede la clause facultative lui-même, aucunr eelation contractuelle
ne peut êtreétabliesi cette condition n'estpas remplie. - 37 -
Il convient ensuite d'examiner le rôle du Secrétairegénéral envertu de l'article 36,
paragraphe 4, du Statut. On n'interprètepas la ChartedesNations Unies et le Statut en partant du
principe que leursdispositions sontdestinéesà ne produireaucun effet sur le fond et ne présentent
qu'unintérê btureaucratique.Ilestpermis d'estimerqu'onavoulu quel'article36,en prévoyant que
le Secrétaire général transmettra des copies toutes lesparties au Statut,occupe une place réelle
dans l'ordre généraldu système établipar cet article et satisfasse ainsi à l'exigence de la
transparence de ce système dansune société régip ear le principe de légalité. Celas'accorderait
toutà fait avec les principes consensuels et contractuels sur lesquels se fonde le système de la
clause facultative. En réalité les Etatsintéresséséchangent leurs déclarations - non pas
directement,mais plutôt (pour d'évidentesraisonsde commodité)par l'intermédiairedu Secrétaire
général,auquel incombe l'obligation expressede les communiqueraux autres Etats : dans cette
perspective ses fonctions sont analoguesà celles d'undépositaire.
Il est pertinent de relever ici un nouveau développementdu droit international survenu
depuis 1957. L'article 78 c) de la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969prévoit
maintenantunerègle générals eelonlaquellequandunEtat faitune déclarationconcernantuntraité
àun dépositairepourqu'il lacommunique à d'autresEtats,seul est considérécomme l'ayant reçue
un Etat qui en a étéinformépar le dépositaireagissantdans l'exécutionde son obligation de faire
connaître l'existencede telles communications. Si, commele Cameroun l'affirme lui-même42 l,s
déclarations relatives à la clause facultative doivent être considéréecsomme des traités, la
déclarationdu Cameroun, faite aprèsl'entréeen vigueurde la convention deVienne et aprèsque
le Cameroun y soit devenu partie, se trouve soumise à cette disposition.
En 1957, la Cour a fait observer que l'Etat déclarant«n'a à s'occuper ni du devoir du
Secrétaire général, ni dlea manièredont ce devoir est rempli»43 :en réalitéil ne participe pas
directement àcette procédure, saufpour la déclencher. Cependant les Etats ont à s'occupertrès
' directement des effets de cette procédure : ils en ont besoin pour obtenir les informations
420bservationp,ar.1.68 et suiv.
43~roitde passage,C.LJ Recueil 1957146. - 38 -
nécessaires sur le fonctionnementdu système de la clause facultative et ils sont pénaliséssi le
systèmene fonctionne pas comme on l'a voulu.
La Cour a estiméqu'empêcheu rn Etat déclarantde se fonder sur sa déclaration tantqu'elle
n'a pas étécommuniquéeaux autres Etats ((introduiraitun élémentd'incertitudedans le jeu du
systèmede la disposition facultative^^^.
Cependant la Coura reconnu, en mêmetemps, que, dans ce contexte général« , un élément
d'incertitude))est (([inhérent]au fonctionnement du systèmede la disposition fa~ultative))~'.
régularitéaveclaquelledesexceptionspréliminairessontdéposéesindiqueque lesystèmen'ajamais
été ni automatique,ni certain. Onpeutaussi demanderqui est censé profiter de cetterecherchede
la certitude Le demandeur ? Le défendeur ? Ou est-cele systèmejuridique danssonensemble ? w?'
L'unen profitera-t-il aux dépensdes autres? Un système quifonctionnerait, par exemple, sur la
base de la date à laquelle le Secrétairegénéral,par une note distribuéà toutes les missionsà
New York,notifieraitauxparties au Statut que des déclarationsrelativeàla clause facultativeont
étéfaites ne serait pas moinscertain- bien entendu, leseffets pratiques seraient différents,mais
le système serait toutaussi certain.
Mêmeun système fondé sur l'écoulementd'un ((délairaisonnable)) pour son bon
fonctionnement,certessans :re aussiprécis,n'estpasmoinscertainquetouteautrerègle interprétée
sur la base d'unadjectif, par exemple ((équitable,nécessaire», ((raisonnable)e)t ainsi de su:te
nombre de règles de droit international sont de ce genre. Aucun Etat quise comporte avec la *)
transparencequi devraitcaractérisersaconduite auxyeuxde la Cour n'aquoique ce soit à craindre
de l'emploide tels qualificatifs communs. La Cour a déjà indiquéqu'il peut être approprié
d'autoriserun ((délairaisonnable))avant que le retrait d'unedéclarationne puisse prendre effet46;
l'incertitudene serait pas plus grande si l'onadoptait le mêmecritèrepour le moment auquel une
déclarationpeut êtreinvoquée.
46A~tivits ilitaires et paramilitaires auNicaragua et contre celui-ci (Nicaraguac. Etats-Unis &Amérique),
C.Z. J.cueil 1984, p. 420, par.63. - 39 -
0 12 6 Le Camerouna soutenu4'que l'argument du Nigéria selon lequeu lne déclarationen vertu du
paragraphe 2 de l'article36 n'entre pasen vigueur à la dateà laquelleelle est faite và l'encontre
de l'article 102 de la Charte. Cependant, il y a là une fois encore une faussereprésentationde
l'argumentdu Nigéria,qui ne se rapportaitpas du tout à la déclarationdu Cameroun. Le Nigéria
soutienttout autrechose. C'est-à-direque,comptetenudescirconstancesde l'affaireet quellequ'ait
pu êtrela situationdans d'autres circonstancesou vis-à-vis d'autresEtats, larequêtedu Cameroun
- non pas la déclarationelle-mêm- e neproduisait,pour lesraisonsque l'ona expliquées,aucun
effet opposable au Nigériapour fonder la compétence dela Cour.
Comme je l'ai dit, l'affaire du Droit de passage n'oblige pas les parties qui plaident
maintenant devant la Cour. Une fois que l'ona franchice stade,il est de fait,en l'occurrence,que
la Cour a la faculté de nepas appliquer de façon rigide,dans une nouvelle affaire, les conclusions
et le raisonnement qu'elle avait adoptésdans une affaire bien antérieure. Siles circonstances s'y
prêtent et, particulièrements,i les intérêtsla justice et l'évolutiondu droit l'exigentet si l'onse
sert, en cas de besoin, de la terminologiequi consiste «distinguer»,c'estlà une façon d'agir que
la Cour a déjà suivie dans certainesaffaires, au moins«au sensd'une modificationde la rigiditéde
décisions antérieur es^ A^i.si dans l'affairedes Traitésde paix49la Cour s'est-elle écartée dla
règle strictequi avait étédéfinieen I'affairede la Carélie rient tale'u sujet du prononcéd'avis
consultatifs dans des situations susceptibles de se chevaucher avec le fond d'un différendau
contentieux; dans I'affaire de la Barcelona ~raction" la Cour n'a pas accepté de suivrele
raisonnement qui l'avaitincitée à requérir,dans l'affaireNottebohm5',qu'ilexiste, aux fins de la
protection diplomatique,non seulementun lien officiel de nationalité,mais aussi un lien véritable
470bservationsp,1.67-1.77.
"ShahabuddeennP,recedeninthe WorldCowt (1996)p. 150.
49C.I.. ecueil 1950,221.
MC ..J. é rieB n5 (1923).
"C.I.J.Recueil 1970,3.
52C.I.. ecueil 1955,12. - 40 -
entre 1'Etatqui exerce la protection et la personne qu'il cherche à protéger; etil est difficile
047 d'interpréterlesdécisionp slusrécentesdelaCourrelatives aurôle de l'équitédansles délimitations '
maritimes d'une autre manière que comme un écart par rapport à la position qu'elleavait
antérieurement adoptée dans ce contexte53.
Il s'agitdonc de savoir si la présenteaffaireest de celles où ilserait appropriépour la Cour
de réexaminer certains aspectsdesa décisionantérieure. LeNigériaestime quetel est bien lecas.
Après 40 années,lescirconstancesinévitablementdifférentesdesdeuxaffaires,lerenforcementde
l'obligationd'agirde bonne foi, la présentation laCour d'arguments qui n'avaienp tas étéinvoqués
ily a 40 ans, le développement de nouvellesrèglesde droit dans des domaines pertinents,par
exemple lesobligationsqui incombentaux dépositaires,et lesdifférencesqui apparaissentdansles 1
termes des déclarationsfaitespar les Etats autitre de la clausefacultative,tout celadonnà laCour
des raisons valables de ne pas suivre servilement laroute qu'ellea choisi en 1957.
Le Nigérian'estpas le seul à adopter ce point de vue. M. Shabtai Rosenne- l'autoritéla
plus éminente sur le droitet lapratique de la Cour- a posé la questionde savoirs'il conviendrait
deréexaminermaintenantladécisionrendueen l'affaireduDroitdepassage. A son avis,certaines
pratiques récentesadoptéespar les Etats, dont les résultatsn'ontpas ététout à fait satisfaisants,
suscitent:
«des incertitudessérieusessur lepoint de savoir s'ilconvientde continuer à appliquer
sans contrôle la doctrine acceptéepar la Cour dans l'affairedu Droit depassage ...II
est permis de demander si ce qui s'estproduit depuis le Droit de passage ne justifie
pas un nouvel examen dela doctrine de cette affaire au cas où l'occasion dele faire
se présente rait.^^^
S3VoiPrlateaucontinentalde la merduNord, C.I.J.Recueil1969, p. 3;Plateaucontinental(Tunisie/Jamahiriya
arabe libyenne), C.I.J.Recueil1982,p. 18;Délimitationde laj-ontièredansila régiondugolfe du Maine,
C.I.J.Recueil 1984, 246;Plateau continental(Jamahiriyaarabe libyenne/Malte),C.I.J.Recueil1985,p. 13et
Délimitationmaritimdansta région située entrlee Groenlandet Jan Mayen,C.I.J.Recueil 1993,p. 38.
"Rosenne, AnInternationalLaw Miscellany,1993,p. 92. Voiraussi du mêmeauteurTheLawandProcedureof the
International CourtofJustice1920-1996,1997,p. à759. - 41 -
Il a ensuite exprimé l'espoirque l'ontrouve quelquesmoyensde protéger les Etats qui ont accepté
la compétenceen vertu de l'artïcle36, paragraphe 2, contre le dépôtpar surprise d'une déclaration
, auprès de l'organisationdes Nations Unies avant que le défendeurn'aitpu avoir connaissance de
ce dépôt.
Le Nigériaconclut que l'occasionde réexaminerla doctrine esquisséeil y a plus de40 ans
dans l'affaireduDroi dtepassage se présentemaintenantet que, pour les raisons que le Nigéria a
indiquéesdans sa première exceptionpréliminaireet développéesau cours des présentesaudiences
0 4 $ il convient que la Cour fasse dràila premièreexceptionpréliminaireet se déclare incompétente
pour connaître de la requête,ainsi que de la requêteultérieurede modification qu'aprésentéele
Cameroun.
Conclusion
Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, si la Cour fait droàtla première
exception préliminaire du Nigéria, il en résulq teue la totalitéde la requête présentée palre
Cameroun sera rejetéeet qu'iln'yaura lieu d'examiner aucunedes autres exceptionspréliminaires
duNigéria. Cependant,avec la permission de la Cour, et sans préjudice de sapremièreexception
préliminaire,le Nigériava maintenant parler de ses autres exceptions préliminaires.
Je vous demande donc, Monsieur le président,quand vous l'estimerez opportun,de donner
la parole au chef Richard Akinjide, SAN, pour traiter devant la Cour de la seconde exception
préliminairedu Nigéria.
Je vous remercie, Monsieur le président.
Le PRESIDENT : Merci, sir Arthur. L'audienceest suspendue pour 15minutes.
L'audienceest suspenduede II h 40 à II h 55.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Je donne maintenant la partolà M. Akinjide. - 42 -
M. AKINJIDE :
1.Monsieurleprésident,Messieursde laCour,j'aide nouveaul'honneurde prendre la parole
devant vous.
2. Je vous parlerai aujourd'huide ladeuxièmeexception préliminairedu Nigéria,intitulée :
«Les Parties ont l'obligationde régler toutesles questions frontalièresau moyen desmécanismes
bilatéraux existants.))
3. Les fondementsde cette obligation,Monsieur le président, sontainsidécritsdansl'exposé
écritdes exceptions préliminaires du Nigéria :
((Pendantune périoded'aumoinsvingt-quatre ans avant le dépôtde la requêtel ,es
Parties ont, dans leurs relations régulières, acceptél'obligation deréglertoutes les
questions frontalières au moyen des mécanismes bilatéraux existants. Le
Gouvernement nigérianen conclut que cette attitude conjointe constitue un accord
implicite visantà recourir exclusivementaux mécanismebilatéraux existants et àne
pas invoquer la compétencede la Cour.))
049
4. En ce qui concernele lac Tchad,leNigéria affirmeque les problèmesfrontaliersrelèvent
de la compétenceexclusive de la commission du bassin du lac Tchad. M. Ian Brownlie prendra
la parole sur ce sujet lorsqu'ilvous présenterala troisièmeexception préliminairedu Nigéria. Il
s'agitd'une questionmultilatéraleimpliquantd'autresEtats -je vais vous piler du mécanisme
bilatéralqui est en vigueurentre les Partiesdans le cadre desrubriquesque vous voyezmaintenant
à l'écran.
5. Que l'article33,paragraphe 1,de la ChartedesNationsUnies soitounonapplicabled'une
manière stricte à la questiondont est saisie la Cour, il constitue un point de départcommode. 11
dispose que les Parties à certains types de différends
((doiventen rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d'enquêtd e,
médiation,,de conciliation, d'arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux
organismes ou accords régionaux,ou par d'autresmoyens pacifiquesde leur choix».
6. Les différents mécanismes classiques sont utilement rappelés,et le principe de la liberté
de choix est en outre expressémentconsacré. Lagamme des moyens va du plus politisé- la
négociation- au moins politisé- le règlementjudiciaire :
Comme l'écritRosenne : «[La] décisionpolitique [concernant] ...la technique utilisée pourrégler le
différendreposesurlarenonciationvolontairedesparties,dans l'intérêtd'r uènglement,
à leur droit de réglerle différend directement,en faveur d'unrèglementjudiciaire
obligatoire faisant appelà une tierce partie, à la condition que la solution repose
exclusivement sur des motifsjuridiques explicites.))'
«La décisionquant au moyen àemployer, en particulier si...le règlementdirect
par la négociationéchoue,est naturellement la conséquencedu processushabituel de
prise des décisions diplomatiques etpolitiques.))'
7. Monsieur le président,je me dois de souligner à ce stade que le Nigérian'apas renoncé
volontairement àsondroit de réglertout différend directement. Le Camerouna sautéd'unextrême
à l'autre. Il a voulu d'un seulcoup priver le Nigériade sa libertéde choix. Le Nigéria aagi de
bonne foi en choisissant la voie politique du règlementdes différendspar des négociations
bilatérales. Le Nigériasoutient que le Cameroun étaittenu de s'entenir au mécanismebilatéral
jusqu'à ce que les Parties s'entendent surune autre voie.
8. LeNigériaa faitfond surle mécanismebilatéral àson détriment. Ce détrimentrevê dtux
aspects.
9. Premièrement,le mécanismebilatéralest un mécanismesouple. Il permet aux parties de
régler leurs divergences par différents moyens d'une variétépresque infinie. Ceci est
particulièrementvrai encas de différend frontalierhautementlocalisé.Une foi que lesparties sont
devantun tribunal, nombre despossibilités quiexistaientauparavantdisparaissent. Les optionsqui
s'offrentà la Cour, par exemple, sont limitées. Elle peut ordonner le tracé d'uneligne, elle peut
ordonner le versement d'une indemnisation ou elle peut ordonner auxparties de procéder
conjointement à une démarcation. Cette dernièreoption est précisément celle que le Nigéria
s'efforce demettre en Œuvre depuis des années.Ainsi, un des aspects du détrimentdu Nigéria,
Monsieur le président,est la perte de la maîtrise des moyens à utiliser en ce qui concerne la
délimitation. Le second aspect du préjudice duNigéria tient à ce qu'ila cru que le mécanisme
-- -- --
'~~senne: TheLaw and Practice of theInternationalCourt 1920-1996,1997, p. 6.
'Ibid.,p. 14. - 44 -
bilatéral était toujoen place. Cecisignifie que le Nigérian'a pasenvisagé d'autresmoyens de
règlementdes différends. Qui plusest, leCameroun,enagissantunilatéralement,a enfait empêché
le Nigériade pouvoir ainsi envisager d'autresmoyens de règlement.
11.Le Nigéria estime donc aussi quele Camerounne peut plus invoquerla compétencede
la Cour, le Nigéria ayant faitfond sur le comportementdu Camerounson propre détriment.
12.La vérité estu'ence qui concerne lafrontièreentre lesdeuxpays, le Camerounexagère
considérablementlebien-fondé desa position. Si l'onregarde la plus grandepartie de la frontière,
lesproblèmes existantspeuventêtre,t sontnormalement,régléspar desnégociationsraisonnables
entre les Parties au niveauapproprié,ce qui souventsignifieau niveaudu village. Toutefois,dans
le mêmetemps, les deux Etats ont admis qu'une structure formaliséeau sein de laquelle des '1J
négociationsbilatéralespuissentavoilràeunniveaudiplomatiqueappropriéétaitnécessaire. Pour
leNigéria, les Partiesont l'obligation d'uce mécanisme bilatéralvant de recouriàd'autres
moyens de règlement.
13.Monsieur le président,j'aimerais maintenantmontrerla Cour comment le mécanisme
bilatéral enquestion a fonctionnéentre1965et 1994,comme indiqudansl'exposé, par eigéria,
de sa deuxième exception préliminaire. Ce faisant,je commenterai brièvementcertaines des
observations du Cameroun.
14.La premièreréunionviséee3ut lieuenjuin 1965et elleoncernaitun litige localdans les
districts de Danare (Nigéria)et Boudam(Cameroun); c'estce que montre lacote 13. Bien que le -
problèmefût assez localisé,des fonctionnairesde haut niveau participèrentde part et àlautre
réunion. Il ne s'agissaitpas seulement d'uneréunionde responsables locaux. Elle aboàtla
décisionde procéderà une démarcation surune portion de la frontièreplutôt plus longue que les
quelque 4 kilomètres couverts parle secteur s'étendantentre les deux villages. Cette portion plus
longue defrontière est indiquéesurla carte que vous voyez maintenant(cote 14). Elle deétend
3ExceptiosreliminaisuNigeria,annexes10et 11 - 45 -
Obokum à Bashu, soit sur une distance de quelque32 kilomètres. Si on avait procédé à cette
démarcation, elleaurait about1à rétablir lafrontière de la borne 10à la borne 114, comme le
montre la cote 15.
15. Cette réunionconcernant Danare et Boudam est généralemenc tonsidérée tantpar le
Cameroun que par nous-mêmes comme la première utilisationpost-indépendance d'umécanisme
bilatéral formelpour résoudredes différendsfrontaliers.Malheureusement,letravail envisagélors
de cette réunioninitiale n'ajamais éttotalement mené à bien en raison de la guerre du Biafra.
16. Avant de passer à l'histoire descommissions mixtes sur les frontières,je voudrais
brièvement appelerl'attentionde la Cour sur le procès-verbalde la réuniondu9 juin 1969 dans
lequel le porte-parole de chacun des deux villages explique les problèmes auxquels ils sont
confrontés.La confusionétait telle quelesgens mettaient le feu leurpropre case. Les habitants
des deux villages étaientliés par lesang. Ils s'inquiétaient au sujetdu droit de cultiver certains
champs, de prendre l'écorcede certains arbres, et de pêcher dans certains endroits. De telles
questions,trèslocalisées,sont la plupartdutemps régléesdansdesréunionslocales. C'estpourcela
que I'onconstate qu'ily a toujours eu, parallèlementaux réunionsdes commissions mixtes, des
réunionslocales. Les partiesaffectées s'efforcentde régler leursdivergencesharmonieusementen
seréunissantau niveaudel'administration locale.Cesréunionsnefontpasintervenirtout l'appareil
des commissions frontalièresnationalesmaisjouent néanmoinsun rôle précieux dansle règlement
des différends bilatéraux.
17.Toutefois,lesactesdu Gouvernementcamerounais à lafin desannées soixanteontmontré
qu'ilfallait quela commissionmixtesurlesfrontièresseréunissedenouveau. Ces actesremettaient
en cause les droits du Nigériaet ceux de ses citoyens dans la régiondu fleuve Cross et de la
presqu'îlede Bakassi. DesNigérians perdirentla vie et d'autresfurent placésen détention parles
autoritéscamerounaises. Il fut fait allusioàces événements lorsde la premièreréunion de la
commission mixte.
4ExceptionpréliminairedsuNigeria,annexe11. - 46 -
18. Celle-ci eut liàuYaoundé,au Cameroun, entre le 12 et le 14août 1970'. Elle fut
essentiellement consacréeau rétablissementde la paix dans la région dela rivière Càola,
frontière maritime àtla situation dans la presqu'île de Bakassi.
19. On reconnut aussi, comme il ressort de l'ordredujour reproduit au paragraphe 2.8 de
l'exceptionpréliminaire,qu'ilétait nécessaire de pràla démarcation,je souligne,Monsieur
le président,la démarcation,de la frontière terrestredu lacàla mer.
20.Affirmer, commelefait leCameroundans sesobservations6,que ladélégatiduNigéria
àcette réunionn'avaitpas de pouvoir de décisionest trompeuret guèrehonnête.L'objetmdee
la réunionétait d'étarn ordredujour pour ladémarcationetamener les expertsdes deuxParties
àtravailler ensemble. La délégatnigérianeavait toàtfait les pouvoirsnécessairespourtraiter -
de telles questions. Les recommandations faites aux gouvernements par les délégationssont
reproduites dans l'exceptionpréliminairedu Nigériano 14.
21. La réunion tenueen aoûà Yaoundéfut suivie, en octobre 1970,d'uneréuniànLagos
du comité techniquemixteNigériafCameroun.
22.Comme lemontreleprocès-verbal7,unelongueréunioneut lieu entre lesexpertsdesdeux
parties chargésde mettre en oeuvrel'ordredujour de Yaoundé.II ressort du procès-verbal quede
053
nombreuses questions furent abordéesen ce qui concerne les frontières terrestreset les frontières
maritimes et que les unes et les autres furent examinéestrèsen détail.
23.Dans ses observationss,le Camerountente de tirer argument de l'éven passantpar I
l'unde ses représentantsde la possibilitéd'unarbitrage. Un examen du procès-verbal montreque
cette remarque a étéfaiteà n'en pas douter dans la chaleur du débat,alors que les Parties
semblaient dans une impasse sur une question particulière. II est néanmoinsintéressantde noter
que le représentantdu Cameroun ajouta
'ExceptionspreliminairesduNigeria,annexe 13.
60bse~ationsdu Cameroun,par.2.09.
'ExceptionsprkliminairesduNigéria,annexe 15.
'Observationsdu Cameroun,par. 2.14-16. ((11eraitpolitiquementembarrassant ..que l'ondiseque leNigériaet le Cameroun
se sont réuniset qu'iln'ontpu se mettre d'accordsur une question de cette nature et
ont dû recourirà l'arbitrage.~~
24. Le Cameroun semble plutôt, en l'occurrence,souscrire au mécanismebilatéral.
25. Je voudrais aussi indiquer, incidemment, que si l'onregarde un passage antérieur du
procès-verbali0,ladélégationnigériane avaitauparavantformulé l'argumentévidentselonlequel il
était nécessairde déterminerla frontière terrestre avantde passer la frontièremaritime.
26.Aprèslaréuniond'expertsd'octobre 1970,lacommissionmixte sur les frontièress'est de
nouveau réunieau Cameroun, à Yaoundé,entre le26 mars et le 4 avril 19711'.
27.Cetteréunionfut marquéepar lapoursuitedesdélibérationq suis'étaientngagées àLagos
en octobre de l'année précédenteE . lle montra elle aussi que les Parties étaient attachéesau
mécanismemixte. Celles-ci décidèrent dese réunirde nouveau un mois plus tard.
28. Cette réunionde la commissionmixte sur les frontières eutlieu enjuin 1971 à Lagos.
L'objetétaitde poursuivre ladélimitationdelafrontièremaritime. Il est de nouveau intéressantde
noter en passant que la questiond'uneinterventionéventuellede laGuinéeéquatorialefût évoquée
comme préoccupantede part et d'autre1*.
054
29. Les Parties s'entendirent sur certaines recommandations à l'intention de leurs
gouvernements respectifsI3. Onparla de négocierun projet de traité, maisil fut déde reporter
la questionjusqu'à l'achèvement de laéfinitionde latotalité la frontièremaritime14.Làencore,
onvoitclairementque les deuxPartiessont attachées àceprocessusdontonespéraitqu'ilaboutirait
à un traité formel entrele Nigériaet le Cameroun.
%xceptionspreliminaiduNigeria,annexe15.
'%xceptionspreliminaiduNigéria, nnex15.
"Exceptions preliminaeuNigéria,nnexe17.
I2ExceptiosreliminairduNigeria,annexe20.
'3ExceptiosréliminairsuNigéria, nnex21.
14ExceptiosrtliminairduNigeria,annexe21. - 48 -
30. En avril 1971, les chefs d'Etats décidèrentde créerun comitéconsultatif permanent
composéde représentantsdes deux nations. Cet organe devait examiner une vaste gamme de "
. questions, et pas seulement frontalières. Il se réunitpour la première fois les4 età5 mai 1972
Yaoundé.
31. Cette réunion setint au niveau des ministres des affaires étrangères,et c'est
occasion que le Nigéria informale Cameroun qu'il ne pouvaitadopter la déclaration deLagos de
juin 1971concernant lafrontièremaritime. On se souviendraque cette déclarationavaitété signée
par les experts des deux Parties et nécessitaitl'approbationdes go~vemements'~.
32. Après le rejet de cette déclaration, ily eu d'autresréunions entreles ch:às d'Etats
Garoua (Cameroun) en août 19721àKano (Nigéria)en septembre 1974etàMaroua (Cameroun) w
en juin 1975".
33. Si les deux premières de ces réunionsn'étaientpas spécifiquementconsacréesaux
frontières,celle de Maroua abouàla déclaration qui était censée fixelra frontièremàritime
l'ouest de BakassLe Cameroun sait trèsbien que le Nigéria ne se considère pasliépar cette
déclaration parce que celle-cin'apas étépleinement approuvée parle gouvernement.
34. Bien que ne faisant àproprementparlépartie du mécanismebilatéralpermanent,les
réunions des chefs'Etatmontrent que les deux Parties sont attachées aux solutionsbilatérales.
Malheureusement, les événementsqui suivirent la réunionde Maroua, et le renversement du
O
général Gowons,ignatairede la déclaration,entraînèrentune interruptiontemporaire du proce-sus
bilatéral. Néanmoins,il est clair que les Parties y sont demeurées attachées.En 1977et 1978,
divers échanges diplomatiqueseurent lieu en vue d'organiserune nouvelle réuniondu comité
consultatif permanent ou, comme on l'appelleparfois, la commission mixte.
"Exceptions préliminsNigéria,annexe22.
16ExceptionpsréliminsuNigéria,annexe23.
17ExceptionpsréliminsuNigéria,annexe24. - 49 -
35.Cetteréunioneut finalementlieu àJos auNigériaennovembre 1978et, commelemontre
lecommuniquéconjoint1*l,esPartiesétaienteffectivementdésireuse dse poursuivreleurprogramme
de réunionscommunes. Elles ne l'ontpas fait trèsrapidement, en partie àcause des tensions qui
subsistaient entre les deux pays et qui culminèrent dans l'incidentde mai 1981, sur lequel je
reviendrai sous peu.
36.Néanmoins,enjanvier 1982,leschefs d'Etatconvinrent deréactiverlacommission mixte
sur les frontière^'^.
37. Le Cameroun lui-même avait instamment demandéune reprise du mécanismebilatéral
enjuin 1980et diverses tentatives furent effectuées aprèsla réunionde 1982pour le remettre en
route. Néanmoins,une fois encore,diverschangementsétaientintervenussur la scènepolitiqueau
Nigériaet la commission ne put se réunirqu'enaoût 1987".
38. Initialement, les deux Etats décidèrentd'emprunterla voie de la ((commissionmixte»,
organisantdes discussionssurtoute une série de questionsd'intérê mtutuel etpas seulementsur les
frontières.
39.Néanmoins,enaoût 199 1,lesréunionsconjointesdesexpertssurlesquestionsfrontalières
reprirentà Yaoundé2'.
40. Le communiqué conjoint adopté par les ministres des relations extérieures à l'issuede
cette réunionindiquait notamment que
«les deux Parties ont noté avec satisfaction l'engagement des deux présidents
d'organisermutuellementdavantagedeconsultationsrégulièresd ,ans lebutderésoudre
de manière amicale tout différend éventuel entre leseuxEtats, pour leur satisfaction
mutuelle»22.
"ExceptionsprtliminaidusNigtria, p2.16.
IgExceptionsprtliminadueNigéria, anne26.
2"ExceptionsprtliminadueNigtria, anne51.
''ExceptionspréliminadueNigtria, anne52.
UExceptionsprtliminaidusNigtria, p2.20. - 50 -
056 41. Le Camerounz3argue que le Nigériaa mal compris un aspect de cette reprise. Le
Cameroun se réfêre au fait que chaque Partie avait adoptéune législationpour se doter d'une
commissionnationalechargée desquestionsfrontalières. Lesinstrumentscréantces commissions
mentionnaientles commissionsnationaleschargées desquestionsfrontalièresinternationales.Pour
le Nigéria, ceci ne fait qu'officialiser, par l'adoption d'une législation internel,e statut des
organismes nationaux participant de part et d'autreau processusbilatéral continu.
42. Aprèsla réuniontenue à Yaoundé enaoût 1991,une réunioneu lieu en décembre1991
àAbuja. C'étaitla deuxièmeréunionmixted'expertset, une fois encore, l'attachementdes Parties
aux processus bilatérauxest évidentla lecture du procès-verbal".
43. En août 1993, latroisièmesessionde la réunionmixte desexperts eut làeYaoundéen W
présencedes ministres des affaires étrangèresdes deux Etats.
44. Les sessions de la réunion conjointedes experts sur les problèmes frontaliers avaient
désormais lieu parallèlementauxréunions de lacommission mixteNigéria/Cameroun,laquelle se
réunitpour sa deuxièmesessionàAbujaaudébutdu moisde novembre 1993. Comme auparavant,
la commission mixte ne limita pas ses travaux aux frontières. C'estainsi qu'elles'intéressaau
problème des lâchuresdu barrage de Lagdo2',un problèmequi affectedes milliersdeNigériansau
voisinage de Yola (au centre-est du pays, voir cote 15). 11provient des lâchures d'unbarrage se
trouvant du côté camerounais dansla plaine d'inondationde la rivière Benuequi couàeYola.
45. La réunion de lacommission mixte à Abuja en novembre 199326nous amène à quatre
w
mois de la requête introduite par leCameroun devant la Cour. Pendant près detrente ans le
mécanisme bilatéral avait fonctionné de manièreresque continue, interrompuseulement par le
conflit du Biafia et pendant certaines périodesd'incertitudepolitique auNigéria. La diapositive
057 (cote 15)montre les trois principaux élémentconstitutifs de ce mécanismeet les dateà partir
UExceptionspréliminairesdu Nigéria,par. 2.35.
24Exceptiosréliminairesdu Nigéria,par. 2.21.
=Exceptionspréliminairesdu Nigéria,par.2.23.
26Exceptiosréliminairesdu Nigéria, 4.nexe - 51 -
desquelles ils ont commencé à fonctionner. Pour le Nigéria, ceci démontre l'existenced'un
comportement équivalant à un engagementqui lie lesdeux parties.
46. Bien que la commission mixte ne se réunît plus après novembre 1993, il ressort
clairement du dossier que le comportement du Cameroun postulait toujours que le mécanisme
bilatéral étaiten place et continuait de fonctionner. Comme le montre la correspondance
pertinente2',il avait été décién principe, enjanvier 1994,qu'unecommission mixte se réunirait
en févrierà Buea au Cameroun pourserendre dans lesrégions frontalièresdu sud. Le ministredes
affaires étrangèresdu Nigéria,l'ambassadeurBaba Gana Kingibe, se rendît à Buea pour donner
lecture d'unmessage de bonne volontédu général Sani Abacha. Ce message fut suivi d'une lettre
adresséepar legénéral Abacha au président du Cameroun,M. Paul Biya,le 14 février 199428dans
laquelle de nouvelles négociationsétaientroposées.Je reviendrai dans un instant sur le contexte
dans lequel ces échanges eurentlieu.
47. Néanmoins,riendans cetteactiviténepermettaitlemoins dumonde auNigéria depenser
que le Cameroun se préparait à mettre le mécanismebilatéral decôtésans préavis et à saisir
directement la Cour.
48. Pour justifier son comportement récent,le Cameroun formule dans ses observations
diverses afirmations pour amener la Cour à penser que le Nigéria lui-même ne croyait pasà
l'exclusivitduprocessusbilatéral.J'aidéjàévoqulé amention supposéed'une possibilitéd'arbitrage
faitedès 1970.L'autre méthodeutilisép ear leCameroundanssesobservationsconsiste à prétendre
que le Nigériaa, à différentsmoments, manifesté lui-mêmle a volontéde soumettre certaines
questions à des organes ne faisant pas partie du mécanisme bilatéral.Le Cameroun utilise par
exemple l'incident du 16mai 1981 à cette fin. LeNigérian'apas mentionné cet incident danssa
deuxième exception préliminaïre - il l'avaitdéjàexaminé dans l'introductionà ses exceptions
préliminaire^^^.
27ExceptionsréliminairdeuNigér,nnexes5à 59.
*'ExceptiosréliminairdsuNigéri, nnexe60.
29Exceptionsréliminairs,ar.34-37. - 52 -
49. Dans sesobservations30,le Cameroun évoquecet incident pour démontrer que leNigéria
acceptait d'associer des tierces partiesau processus de délimitationdes frontières,contrairemànt
ce qu'affirmele Nigéria danssa deuxièmeexception préliminaire.
50.Ce faisant(comme l'Attorney-Generall'afait observerdansson allocution),le Cameroun
fausse la nature de l'incident et l'objet de la mention de tierces parties comme l'OUA ou
I'Organisationdes Nations Unies.
51.Le Cameroun prétend égalemen qtue le comportementet les actes duNigériadurant les
mois qui ont précédés ls aaisine de la Cour par le Cameroun le 29 mars 1994montrent que le
Nigérialui-même a agi ((contrairement ce qu'ilérige aujourd'hui en engagemen~ tontraignant))~'.
Lesfaits, Monsieurleprésident, sontquelquepeu différents de laversion qu'endonnele Cameroun J
dansses observation^^ d^;fait,ilsdémontrentencoredavantagelaforcede l'attachementduNigéria
au processus bilatéral.
52. Contrairement à ce qu'allèguele Carner~un~~l,e Nigérian'a pas lancédes incursions
militaires au Camerounen décembre1993et en février 1994. LeNigéria a effectivementdéployé
des troupes dans les villages de pêcheurs Bakassi d'Abanaet d'Atabong le 31 décembre1993,
comme le montre la carte, cela afin de faire cesser de violents heurts internes entre des éléments
de 1'Etatnigériand'AkwaIbom et 1'Etatde la rivière Cross(pêcheurs Ibibio eE t fik), les uns et les
autres revendiquant les villages de pêcheursqu'ils habitent depuisplus de cinq cents ans.
53. AuNigéria,iln'est pasrare dedevoirenvoyerdestroupes là où destensionsexistentpour
w
éviter lesheurts entre communautéslocales. La population nigériane,forte de centvingt millions
d'habitants,comprendplus de deux cent cinquante tribus.
54. Malheureusement néanmoins,en raison du caractère ((sensible))de cette région,le
Cameroun a exprimédes craintes au sujet des mouvements detroupes nigérianes.Le chef d'Etat
300bservatiosuCamerounp ,ar.2.27 et suiv.
3'0bservatiosuCamerounp , ar.2.43.
320bservatiosuCamerounp ,ar.2.3à 2.44.
330bservatiosuCamerounp ,ar.2.39. - 53 -
et chef d'Etatmajor duNigéria,legénéralSani Abacha,a immédiatementdépêch sénministredes
O 5 9 affaires étrangèreà Yaoundépour expliquer les raisons des mouvements de troupes nigérianes.
Le présidentPaul Biya a répondu à ce geste par un message au généraA l bacha. Les deux
dirigeants promirent de réglerles problèmes pacifiquement.
55. Alors que ce dialogue se poursuivait entre les chefs d'Etat,le Cameroun a transféré des
troupes dansdes positionssituées Bakassiet a lancédesattaques contre lesforcesnigérianes,tout
d'abordle 14 février puis les 18et 19 février1994. Faceette provocation,lestroupesnigérianes
se sont défendues maisil leur a été donnl'ordrede cesser le feu dès que les attaquesdont elles
faisaient l'objet cesseraient.
56. Le général Abacha était extrêmeme prtéoccupépar cette situation et, une fois de plus,
a dépêché un envoyé auprèsdu président Biyapour l'inviter au Nigériaen vue d'engager des
pourparlers au sujet de la presqu'île enlitige.
57.Le 23 février1994,levice-premierministreduCameroun a remisun message spécialdu
président Biyaau général Abacha danslequel il lui donnait l'assurancede son attachemenà un
règlementpacifique du problèmeet lui faisait part de sonacceptation de l'invitationendre au
Nigériapour engager des pourparlers. C'est le présidentBiya lui-mêmequi a proposéque ces
entretiens aient lieuMaiduguri dans le nord-est du Nigéria.
58. Alors que des dispositions avaient étépriseà une réuniondes ministres des affaires
étrangèrestenueauCamerounle9 mars 1994pourorganiserle sommetdeMaiduguri,leCameroun
a pris diversesmesuresqui ont eu poureffet d'internationaliserleproblèmeet de rendre impossible
latenue du sommet. Ces mesures comprenaientnotammentun appel envue d'un débatau Conseil
de sécurité de l'organisation des NationUs nies, la soumission de la questioà l'attention du
présidentde l'OUA et l'introduction de l'instance actuelle. Aucune de ces mesures n'a été
mentionnée àcette réunionpar M. Oyono, le ministre camerounais des relations extérieures.
59. Ainsi, alorsque, d'unepart, le Cameroun assurait le Nigéria de son re trouver une
solutionau problèmepar le dialogue dans le contextedu mécanisme bilatéral, d'aueart, il avait
entrepris une campagne diplomatique internationale pour susciter un soutien en faveur de sa
position. - 54 -
60. Comme il est indiqué dans lesexceptionspréliminai,n sommetde la commission
du bassin du lac Tchad s'esttenubuja du 21 au 23 mars 1994. Lors dece sommet, le chef de
O 6 O 1'Etatnigérian,le générSani Abacha et les présidentsdu Tchad, du Niger et de la République
centrafricaine ont tous réaffirmé qu'ils étaient as recourà des instances bilatérales de
discussion et bien que le président PaulBiya n'ait pas participé lui-mêmeau sommet de la
commission du bassin du lac Tchad en invoquantdes affairesatpressantes, son représentant,
son ministre de la planification, a souscrit à cette position commune.
61. Comme nous le savons aujourd'hui, le Cameroun a déposésa requêteintroductive
d'instancedevant la Cour une semaine plus tard.
62.Toutefois,desefforts pour aboutirrèglementbilatérl 'ontpaspris fin avecledépôt W
de la requête.Le 13juin 1994,une réunion tripartiteaeu lieudurant le sommetdeàlTunis
entre le générl bacha, leprésidentPaul Biyaet le président EyedemaduTogo. A cette réunion,
le général Abachaet le président Biya sont convenusde se rencontràrKara, au Togo, en
juillet 1994. Ils ont décidé de constituerune commission mixte sous les auspices du président
Eyedema pourrechercher une solution pacifique. Alors que cette réuniontripartite sepoursuivait,
le Cameroun s'est empressé de déposer sarequêteadditionnelle devant la Cour, qui visait
soumettre l'ensemblede la question de la fronàla Cour.
63.Endépitde cettemesure adoptéepar leCameroun, lesministresnigérianet camerounais
des affaires étrangèresse sont ràuKara, au Togo, du 4 au 6 juillet 1994. Cette réunion avait
-
pour objet de préparerun sommet des deux chefsd'Etat. LeNigériaavaitdemandéinstammànt
tous les dirigeants de la sous-région,en particulier ceux qui avaient une influence et des moyens
de pression sur le Cameroun, de soutenir l'initiativede Kara pour aboutirmentbilatéral
du différend conformément au paragraphede i'article33 de la Charte desNations Unies.
64. Le 19juillet 1994, toutefois, le présidentPaul Biya aqu'iln'assisteraitpas au
sommet de Kara si le Nigéria ne retirait passes troupes de la presqu'îlede
"Exceptionsprélimindsela RépublieuNigéri,. 71, 3.11(15). - 55 -
65. Naturellement, le Nigérian'était pasdisposéà évacuerle territoire nigérian,et le
Cameroun avait donc renonce, à l'époqueà déployerdes efforts pour aboutir à un règlement
bilatéral,en soutenant que la questiondevait être réexamiaprèsla fin de la présenteinstance.
66. Peuaprèsque leNigéria adéposé ses exceptionspréliminairesle 15 décembre 1995,des
combats ont encore eulieu dans la presqu'îlede Bakassia suitedes nouveaux actes d'agressions
du Cameroun. Ces combats se sont déroulésle 3 février 1996,et le 12 février1996 leCameroun
a déposé sademande en indication de mesures conservatoires.
O fi1 67. Le président Eyedema, quiétait préoccupé palra reprise des hostilités,a invitéles
ministres des affaires étrangères desdeux paàsengager de nouveaux pourparlers. Ils se sont
réunisles 16 et 17 février1996 à Kara et ont publié un communiqué commun appelantà un
cessez-le-feu
68. En dépit du communiqué de Kara, le Camerouna repris sesattaques contreles positions
nigérianesles 17, 18 et 19 février1996.
69. Le 15mars 1996, la Cour a rendu son ordonnance sur la demande en indication de
mesures conservatoires. La Cour a notammentdécidé que ledeuxParties devraientse conformer
àl'accordde Kara du 17février1996. La Cour a égalementdemandéaux Parties de prêter toute
l'assistancevouluà une mission d'enquêtede l'ONU.
70. Les 21, 22 et 23 avril 1996, le Cameroun a lancéde nouvelles attaques contre les
positions du Nigérià Bakassi. Les deux Partiesont subi de lourdes pertes. A la suite de ces
événements,des activités diplomatiques ontétéentreprises à la fois par l'envoyéspécialde
l'organisation desNations Uniesetl'envospécialduprésident Eyedemadu Togo. Ilsontproposé
detenir un nouveau sommetà Karaentrelegénéral Abacha et leprésidentBiya. Cesommetdevait
avoirlieuàKara lejeudi 20juin 1996. Les 18et 19juin, des responsablesdes deuxpays devaient
se rencontrer pour préparer la venue deschefs d'Etat. Les membres d'unemission préparatoirede
ladélégationnigériane sontarrivésau coursdu week-endàKara, pourapprendre que leCameroun
avait fait savoàrla dernièreminute que le président Biya ne serait pas enmesure d'assiàtla
réunion. 71.Le présidentEyedemaduTogon'avaitpasrelâchéseseffortspour réunirlesdeuxParties.
Enaoût 1997,leministèredesaffairesétrangèree st lacoopérationdelaRépubliquedu Togoa écrit
aux ministèresdes affaires étrangèresdu Nigériaet du Cameroun pour proposer une réunionau
sommetle 5 septembre. Un projet de déclarationconjointedes deuxchefs d'Etata étsoumis par
le secrétairegénéraaldjoint aux affaires politiques de l'Organisationdes Nations Unies pour qu'il
soit examinépar les Parties.
72. Le 2 septembre 1997,le président Paul Biya a écritu président Eyedemapour luidire
qu'ilregrettait de ne pas êtreen mesure de quitter son pays pour assister réunion prévue«en
raison de la prochaine élection présidentielle)).
73. C'étaitla quatrième fois que le Cameroun avait,à la dernièreminute, renoncé à des I
négociations bilatéraleà un niveau élevé.
74. De l'avisdu Nigéria, cette description des effortsconstants déployéspour mener des
négociationsbilatéralestraduitonattachementcontinu à l'égardumécanismebilatéral.LeNigéria
n'a pas demandé à des tiers de se prononcer sur le différend : le rôle de tiers tel que le
présidentEyedema a été d'essayed r'exercerdes pressions pouramenerles deux Parties à assister
à denouvellesréunionsbilatéralesc,e quin'estpas en contradictionavecla position duNigériadans
le cadre de cette exception préliminaire.
75. Monsieur le président, deux secteurs sontparticulièrementimportants dans la présente
instance,Bakassi et, pour utiliser une expressionabrégen vue de désignerlesîles et les villages J
prochesdu lac Tchad,Darak. Ils ne constituentpas l'intégralde lafrontière,maisune très faible
proportion de celle-ci à savoir moins de cinq pour cent. Le Nigériaestime,à propos de cette
deuxièmeexceptionpréliminaire,quelemécanismebilatéral,quiaétéjusqu'à préseunntmécanisme
exclusif, aurait dû être utilisé mêàel'égardde Bakassi.
76. Le Nigéria soutient aussi que dans l'hypothèseet pour autant que les discussions
bilatérales laissentsubsisterun différendqui ne peut êtrerééar lebiais de mécanismesformels, .
les Parties sonttenues de s'efforcerde bonne foi de trouver un moyenmutuellementacceptablede
réglerle différend dansle contexte de mécanismesbilatéraux. Cetteobligation existe avant que
l'une oul'autre des Parties puisse prendre des mesurespour soumettrele différendn règlement - 57 -
par des tiers. En outre, leNigéria estimequetant qu'unesolutionmutuellementacceptable n'apas
été convenue,chaque Partieest dans l'obligationde s'abstenir dechercheà soumettre le différend
à un tiers en vue d'unrèglement.
77.Au lieu d'acceptercette obligationet tout ce qui en découle,le Camerounàmoins qu'il
n'aitchangé d'avis depuisqu'ila rédigé sesobservations, a contesté unilatéralemente écanisme
bilatéral,en prétendantqu'iln'a pasun caractère exclusifet a soumis l'ensemblede la question
la Cour.
78. Monsieur le président, tant qu'unedes Parties à la négociationbilatéralene fera pas
connaître à l'autrePartie une intention d'écartertout dialogue bilatéral,et que l'autre Partieaura
acceptéune telle décision,le Nigériaconsidèreque les Parties restent tenues de poursuivre leurs
pourparlers dans le cadre du mécanisme bilatéral. Il existe un accord implicite d'utiliser
exclusivementle mécanismebilatéral,ettantquecetaccordn'apaspris fin, lesdeux Partiesne sont
pas en droit d'invoquerla compétence dela Cour.
79.Enfin, ilconvientde ne pas oublier, que pendant l'ensemblede la périodedurant laquelle
les réunions bilatéraleont eu lieu, le Cameroun n'était ppartieà lajuridiction facultative de la
Cour. Le mécanismebilatéralétaitdonc non seulement la méthodeprivilégiée pour les Parties,
mais aussi le seul mécanisme.
80. L'expressiond'unaccord est au cŒur de la compétence de la Cour. Dans une situation
où le mécanismebilatéraln'a pas étéintégralement utilisé, lC a our ne devrait pas, de l'avisdu
Nigéria, se déclarer compétento eu devrait dire que la requête estirrecevable au motif qu'une
condition indispensableà la saisine de la Cour n'apas été remplie.
81. Monsieur le président, Madameet Messieurs de la Cour,je vous prie de bien vouloir
donner laparole àM. Ian Brownlie quiva traiterde latroisièmeexceptionpréliminaireduNigéria.
Je vous remercie, Monsieur le président.
Le PRESIDENT :Je vous remercie, M. Akinjide. Je donne la paroleà M. Brownlie.
M. BROWNLIE :Monsieur le Président, Madameet Messieurs de la Cour, j'ai pour tâche
d'examinerles troisième et quatrièmeexceptions préliminairesdu Nigéria. La troisième exception préliminairefigure dans l'exposé écrid tu Nigéria sousla forme
suivante :
«Sans préjuger de ce qui sera décidéau sujet de la deuxième exception
préliminaire,le règlement des différends frontaliersdans la régiondu lac Tchad est
soumis àla compétenceexclusive dela commission du bassin du lac Tchad (CBLT),
crééeen 1964en vertu de la convention et du statut relatifsà la mise en valeur du
bassin du Tchad(exceptionspréliminairesduNigéria,annexe 9). Dansce contexe,les
procédures de règlement par la commission sont obligatoires pour les Parties.
L'utilisation des procédures de règlementdes différendsde la CBLT implique
nécessairement,pour les relations entre leNigéria etle Cameroun inter se, de ne pas
invoquer la compétencedelaCour en vertu de l'article 36, paragraphe2, relativement
à des questions relevant de la compétenceexclusive de la commission.
A ce stade cette exceptionest confirmée sous réserved'unexamen plusdétaillé.Il est déclaré au
nom duNigériaque, mêmesi la Cour estime que les pouvoirs de la CBLT ne l'empêchenp tas
'rl
d'exercersacompétence, àtitre subsidiaire,laCourdevrait,pourdesraisonsd'opportunitéjudiciaire,
imposer des limites à l'exercicede sa fonctionjudiciaire dans la présente affaire.
Il y a ici une analogieavec l'affairedu Cameroun septentrional (C.I.J. Recueil 1963,p. 15).
Dans cette affaire la décisionvalable de mettre fin à l'accordde tutelle par une résolutionde
l'Assembléegénérale imposaid tes limites manifestes à la fonctionjudiciaire. Comme la Cour l'a
fait observerà la page 33 :((L'arrêdte la Cour n'infirmerait pas les décisions del'Assemblée
générale)).
L'analogie surgitsi l'onexamine l'hypothèsesuivante. A supposerque la CBLT ait achevé
de prendre ses décisionset que les chefs d'Etataient approuvéle résultat,les Etats membres
w
auraient-ilsla facultéderemettreen cause la questiondont il s'agitdevant laCour Bien entendu,
la CBLTne se trouve pasexactementdans la mêmesituation que lesorganesde l'organisation des
Nations Unies en l'affairedu Cameroun septentrional, mais les raisons qui inviteàtfaire preuve
de retenue dans l'exercice de lafonctionjudiciaire sont tout aussi applicables.
Certes,noséminentsadversairesferontobserverqu'enl'espècelaprocédurd eerèglementdans
le cadre de la CBLT n'a pas été achevée. Il est pourtant certain que cet élémenttout-à-fait
contingent devrait rester sans incidence sur les limites de la fonctionjudiciaire. b
Il peut êtreutile queje rappelàela Cour lesparties pertinentesde larequêtedu Cameroun.Aucune mention du lac Tchad ne figure dans la requête initialedéposéele 29 mars 1994. Les
questionsrelatives au lacTchadontété soulevéesdans larequête additionnelledejuin1994. Dans
ce document, lesdemandes forméesdevant la Cour sont notamment les suivantes :
«Sur la base de l'exposédes faits et des moyensjuridiques qui précèdentet sous
toutes les réservesformuléesau paragraphe 20 de sa requêtedu 29 mars 1994, la
République du Camerounprie la Cour de dire et juger :
a) que la souverainetésur la parcelle litigieuse dans la zone du lac Tchad est
camerounaise en vertu du droit international, et que cette parcelle fait partie
intégrantedu territoire de la Républiquedu Cameroun;
b) que la Républiquefédérale du Nigéria a vioe lt viole le principe fondamentaldu
respectdes frontièreshéritéesde la colonisation (utipossidetisjuris) ainsi que ses
engagementsjuridiques récentsrelativement à la démarcationdes frontières dans
le lac Tchad;
c) que la République fédérald eu Nigéria,en occupant avec l'appuide ses forces de
sécuritédes parcellesdu territoire camerounaisdans la zone du lacTchad, a violé
et viole ses obligationsen vertu du droit conventionnel et coutumier;
4 que,vu les obligationsjuridiques susvisées, laRépubliquefédérald euNigéria a le
devoir exprès d'évacuersans délaiet sans conditions ses troupes du territoire
camerounaisdanslazonedu lac Tchad ..» (Courinternationalede Justice,Requête
introductived'instanceenregistréeau Greffede la Courle 29 mars 1994, p. 85.)
Compte tenu des diverses allégations de fait et de droit contenues dans la requête
additionnelle, le Nigériaréservesa position de façon générale.
Aux fins qui nous intéressentactuellement, il n'estnécessaire d'établir que les paramètres
procédurauxde l'ordredujour de la CBLT.
Il ressort des documents donton dispose que ces paramètressont les suivants
Premièrement :Aucunedémarcationdes frontièresn'aété entreprisedans les limites du lac
Tchad avant l'inscription de cesquestions à i'ordredujour de la CBLT.
Deuxièmement : La CBLT avait inscrit à son ordre du jour les questions de démarcation
suivantes :
a) l'emplacementprésumd éesdeuxtripoints(NigérialTchadMigeretNigéria/Tchad/Cameroun)
(figure sur le graphique portant la cote 17);et
b) le thalweg des embouchuresdes fleuvesKomadougou-Yobe,Chari et El-Beid (figure sur le
graphique portant la cote 18) Ces graphiques,j'y insiste, ne servent qu'à desfins d'illustration.
Troisièmement : ces questions restenà l'ordredujour de la commission.
A Lagos, enjuillet 1983, le Cameroun avait affirméque les délégations nationales étaient
d'accordsur la déterminationdu tripointNigéria/Tchad/Carneroun(observationssur lesexceptions
préliminairesdu Nigéria,p. 102, par. 3.09). Le Cameroun sefonde sur un document interne
(mémoireduCameroun,annexe 267)d'oùilressortque cequel'onavaitdéterminé étaitsimplement
le fait que les deux tripoints sur le lac constituaientdes pointsde réféimportants auxfins de
la démarcation.
En définitivel'ampledossierdocumentaireétablitque lesquestions inscritesàl'ordredujour J
de la commission se rapportaient exclusivementà la démarcation.
Je dois maintenant aborder l'examendu caractèregénérad le la CBLTet de ses fonctions.
La convention a pour but primordial la mise en valeur des ressources du bassinà des fins
économiques, y compris l'utilisation optimalede ses ressources en eau. Pour atteindre ce but,
l'instrumentest la CBLT, dont le statut estjoint en annexeà la convention, et qui en fait partie
intégrante (article 2de la convention) (EPN9).
066
Les fonctions de la CBLT, telles qu'elles sont définies à l'articIX du statut sont les
suivantes :
«La commission aura les attributions suivantes:
a) depréparerlesrèglementscommuns,permettant lapleineapplicationdesprincipes
affirmés dans leprésentstatut et dans la convention laquelle il est annexé,eten
assurer une application effective;
b) de rassembler, d'examineret de diffuser des informationssur les projets préparés
par les Etats membres et recommanderune planificationde travaux communs et
de programmes conjoints de recherches dans le bassin du Tchad;
c) de suivre l'exécutiondesétudes etdestravaux dansle bassin du Tchadrelevant de
la présente convention,et d'en tenirinforméslesEtats membres au moins une fois
par an, par l'exploitationdes comptes rendus systématiqueset périodiquesque
chaque Etat s'engage àlui adresser;
d) d'élaborerles règlementscommunsrelatifs à la navigation;
e) d'établirles règlements relatifà son personnel et de veilleà leur application; B d'examinerles plaintes et de contribuerà la solution des différends;
g;)de veiller à l'applicationdes prescriptions des présentsstatuts et de la convention
auxquels ils sont annexés.))
Si le texte ne se réfère pas aux questionsde frontièrecommetelles, il n'ya pas de doute que
les fonctions dans l'ensemble ne constituentun systèmecomplet d'ordre publicdans le bassin du
Tchad. De plus, l'alinéag;p)révoit expressémenlte règlementdes différends.Bien entendu, il est
évidentque lapersistancede problèmes fiontaliers feraitinévitablementobstaclàlamiseenvaleur
des ressources du bassin.
On doit comprendre le rôle et le statut de la commission dans le cadre du système des
organisations régionales. Le préambuld ee la convention et des statuts relatifs au développement
du bassin du lac Tchad mentionne la Charte des Nations Unies et la charte de l'organisation de
l'unitéafricaine. Dans ses considérantsla convention déclare :
«Considérantque les Etats membres de l'organisation del'Unitéafricaine ont
résolude coordonneret d'intensifier leur coopérationet leurs effortspour réaliserune
meilleure vie pour les peuples africains...))
A ce propos l'article52 de la Charte desNations Unies est certes pertinent. Sesdispositions
(dans leur partie importante) sont les suivante:
«1.Aucunedispositionde la présente Chartene s'oppose àl'existenced'accords
ou d'organismesrégionaux destinés à réglerles affaires qui, touchant au maintien de
la paix et de la sécurité internationaless,e prêtànune action de caractère régional,
pourvu que ces accords ou ces organismes et leur activité soientcompatiblesavec les
buts et les principes des Nations Unies.
2. Les Membresdes Nations Unies qui concluentces accords ou constituentces
organismes doiventfaire tous leurs efforts pour régler d'une manierepacifique, parle
moyen desdits accords ou organismes, les différends d'ordrelocal, avant de les
soumettre au Conseil de sécurité.
3.Le Conseilde sécuritéencouragele développementdu règlementpacifiquedes
différendsd'ordre localpar le moyen de ces accords ou de ces organismes régionaux,
soit sur l'initiativedes Etats intéressés, soit sur reiu Conseil de sécurité.))
Le Nigéria conclut quela commission exerce un pouvoir exclusif pour les questions de
sécuritéet d'ordre publicdans la régiondu lac Tchad et que ces questions incluentàjuste titre les
affaires de délimitationfrontalière. Cependant la nature de ce caractèreexclusif appelle des éclaircissements. Le caractère
exclusif existevis-à-visdesautresprocéduresde règlementet nonpas desEtatsmembres. Ilressort
donc clairement des statuts de la commission et de la pratique des Etats membres que les
recommandations de la commission sontsujettes à l'approbationde ceux-ci.
Dans cette perspective les décisionsprises par les réunions des chefs d'Etat et de
gouvernement sont sujettes àdes procéduresappropriéesd'approbation interne.
Pour procéder à toute évaluationdes pouvoirs exclusifs de la CBLT, la pratique de la
commission et de ses Etats membres constitue une sourceprimordiale. Cette pratique atteste
amplement de quelle manièreles questionsfrontalières ont été régulièrementconsidéréescomme
intimement liéesauproblèmede la sécurité dans la régiondu lac Tchad. C'étaitsécuritéquiétait *
la condition préalable nécessairde la miseen valeur durable des ressources du bassin du Tchad
conformémentaux dispositions de l'articlepremier des statuts de la commission.
En 1983lestroubles danslarégiondulacTchadontincité àréunirunesessionextraordinaire
de la commission du bassin du lac Tchad à Lagos, du 21 au 23juillet. Dans sa déclaration,
M. Alhaji Bukar Shaib, présidentde la commission,a expliqué la situationen ces termes :
«Cette fois-ci, notre réunionest occasionnée parles récentsévénementui ont
surgi le longde la frontièreentre leNigériaet leTchaddansla zone du Lac du Bassin.
Ce problèmea fait l'objetdesnégociationsbilatéralesentrelesdeuxEtatsmembresqui
ont réussi heureusement à restaurer la situation normale qui existait avant le
déclenchementdes hostilités. Cependant, à l'effetde trouver une solution durable au
problème permanent souventcausé par les longuesfrontièresnon délimitées entrles
Etats voisins quelle que soit la profondeurde leurs relations amicales et dans ce cas
précis,sur le Lac mêmeoù se rencontrentles frontièresde nos quatre Etats, leNigéria
et le Tchad ont convenu, àjuste titre, que la Commission du Bassindu Lac Tchad
devait êtrele lieu privilédes discussionsde toutes les ramificationsimportantesde
ce problèmeet des modalitéspermettantd'ytrouver,une foispour toutes, les solutions
nécessaires, applicables,non seulementaux deux pays, mais àl'ensembledes quatre
Etats membres. Nous le savons tous que les frontières non limitéescréent des
situations anormales que l'onne doit pas faire durer au point qu'ellesdégénèrenetn
incidents fâcheux qui troublent les relations des Etats d'unemanière que l'onn'y
trouve pas parfois rapidement de remède,elles peuvent aboutirà des conséquences
désastreuses voiremême à une guerre.)) (EPN 88, p. 859-860.)
La mêmedéclaration est résumée en des termes analogues dans le rapport de la session
extraordinaire:
«Danssa déclarationliminaire,leministre s'estréjoi'accueillirde nouveau les
autres commissaires au Nigériacetteannée. Il a indiqué queles récents événements
survenus le long de la frontière entre le Nigéria et le Tchad dans la zone du lac avaient rendunécessairela convocationd'urgenced'uneréunionextraordinaire,bienque l'ordre
eût été restauré dans légiongrâce à des négociationsbilatérales entreles deuxEtats
membres. On a cependant estiméqu'envue de résoudre durablementle problèmede
frontières,il aurait lieu de prendre des mesures pour examiner les divers aspects et
modalitéspour dégagerles solutions nécessaires applicablesà l'ensembledes quatre
Etats membres de la commission. C'est pourquoi,il a été à juste titre décidé quela
commission devrait êtrel'instanceappropriéepour examiner le problèmeen vue de
donner aux experts nationaux le mandat et les directives politiques nécessaires pour
recueillirtoutes les donnéesindispensablesafind'établir un cadrecommundanslequel
la sécurité générale de la zone du bassin puisse êtremaintenue et garantie
conjointement par tous les Etats membres.)) (EPN 88, p. 862.)
A cettesessionextraordinaire,lacommissiona décidé d'établirdeux sous-commissions,l'une
chargéede la délimitationdes frontièreset l'autredes questions de sécurité.Leurs ordres dujour
ont étéindiquéscomme suit dans le rapport
«Après la session, les experts se sont réunis sous la présidence de
M. N. O. Popoola, secrétairepermanentdu ministèredes resssourcesen eau. Comme
les deux questions à examiner étaient liées,il a étédécidéque les deux sous-
commissionsse réunissentensembledans leConferenceHall et examinentd'abordles
problèmes de la délimitation des frontièrespuis les questions de sécurité. Sur
proposition duPrésidentetavecl'agrémend t esdélégationpsrésentes, lesordresdujour
ci-après ontétéadoptéspour les deux sous-commissions.
Ordre dujour de la sous-commissionchargéede la délimitationdesj-ontières
1. Echangepossible d'informationset de documentssur les frontières.
2. Programme et méthodede travail de la sous-commission.
3. Equipe commune de délimitation.
Ordre dujour de la sous-commissionchargéedes questions de sécurité
1. Mesurestendant àassurerl'eficacitédes patrouillesmixteschargéesdelasurveillancedes
frontières.
2. Démilitarisation complètedu bassin du lac par les Etats membres.
3. Mesures tendant à assurer la non-violation des accords.
4. Sécuritéde l'équipede délimitationdes frontières.)) (EPN88, p. 864.)
Les modalités d'application des décisions prises à Lagos ont été examinéesaux
vingt-huitième, vingt-neuvième et trentième sessions de la CBLT en 1984 et 1985 (voir
procès-verbalde la treizième session, 22-25 avril 1985, p. 87-97 et annexe A (EPN 61). Les
progrès ont été lents eraison notammentdes problèmesde financement. En 1985s'est tenuela cinquièmeconférencedeschefsd'Etatdes paysmembres de laCBLT.
Le rapport du présidenten exercice, M. Bukar Shaib,figure à l'annexeB duprocès-verbalde la
cinquième conférencd ees chefsdlEtat. (EPN 62, p. 531.)
Souslarubrique ((Démarcation desfrontièresetsécuritésur le lac Tchad)),lerapportcontient
les renseignements utiles suivants:
((32.Suite aux incidentsfrontaliers survenusentre leNigéria etle Tchad sur le
lac en avril 1983et suite la signature du protocole d'accordentre les deux pays en
juillet de la même année, la commissioa nété appeléeà rapprocher lesparties en vue
de réglerdéfinitivement les problèmes frontaliedans la région. Du 21 au 23juillet
1983, la commission a donc tenu à Lagos une session extraordinaire au cours de
laquelle deux sous-commissions ont été constituéesl,'une sur la démarcation des
frontièreset l'autresur la sécurité sur lelac Tchad.
33. Du 12 au 16 novembre 1984, les experts des quatre Etats membres en
matièrede démarcationdesfrontières et de sécuritsur le lac Tchad sesontrencontrés
àLagos et se sont entendussur les documentsjuridiques qui serviraientde base aux
travaux futurs.
34. La sous-commissionsur la démarcationdes frontières a établi le cahier des
charges des travaux à exécuterpour la démarcationdes frontières,la photographie
aérienneet la cartographie. La commission n'étantpas en mesure de financer ces
travaux, on a sollicitédivers organismesdonateurs. Aucune réponsefavorablen'aété
reçue à ce jour.
35.Au chapitrede lasécuritél,esexpertsontdéfiniles objectifs, la composition,
la logistique, les règles de discipline et les bases de rattachement des équipesde
patrouille mixtes crééeslors de la séanceextraordinaire. Cependant, après deux
réunions,tenues enjanvier et en février1985 àMaiduguriet à Maroua, les expertsne
sont pas parvenus à s'entendresur les limites de la zone que les patrouilles mixtes
devraient surveillerdanschaque pays. Au cours dela trentièmesession,on a demandé
aux experts de se rencontrerà nouveau pour régler cettequestion.)) (Procès-verbal,
29 avril 1985, p. 9, EPN 62, p. 539.)
La déclarationduprésident,où la commissiondubassin du lac Tchadest considéréecomme
l'instancedevant permettre de régler de manière permanenteles problèmesde frontière dans la
070 région,figuredansleprocès-verbalofficiellementadoptépar lasixièmeconférencedeschefsd'Etats
le 28 octobre 1987 (procès-verbal,EPN 67, p. 597).
Il est dit dans le communiquéfinal de la conférence que :
«Leschefsd'Etatontnotéavecsatisfactionles mesuresprisesparlacommission
afin detrouver des solutionsdéfinitives aux problèmes dedémarcationdes frontières
et de sécurité surle lac Tchad et ont incitéla commissionà intensifier ses efforts.))
(EPN 62,p. 543.) - 65 -
Parmi les décisions prisesen 1987 par la sixièmeconférence deschefs d'Etats, figure la
décisionsuivante sur la ((démarcationdes frontières))
«- les Etats membresse sontengagés à assumer lecoût destravaux de démarcation,
qui s'élèveà 312 884 000 francs CFA;
- cette somme sera divisée égalemenetntre les quatre Etats membres;
- un compte bancaire spécial sera ouverà cette fin;
- les travaux débuteronten mars 1988~ (EPN 67, p. 611).
La commission a de nouveau examinéles modalités techniqueset financières en 1988
et 1989: 1) procès-verbalde la trente-cinquièmesession, 15-16janvier 1988,passim (EPN 68);
2) procès-verbalde la réunionextraordinairede la CBLT, 1i2 août 1988(EPN 69, p. 650-652 et
EPN98, p. 974-979);3)procès-verbalde latrente-sixièmesession,30 novembre-1"décembre1988
(EPN 70, p. 656-664 et EPN 100, p.990-992); 4) procès-verbalde la trente-septièmesession,
23-24 mai 1989, passim (EPN 71); 5) procès-verbal de la trente-huitième session,
26-30 novembre 1989(EPN 72, p. 676-689 et EPN 103,p. 1006-1008,1010).
Les travauxtechniquesde démarcationont étéeffectuéspar lasociétéfrançaiseGNde 1988
à 1990. Les résultatsont étécommuniqués à la septième conférence des chefsdlEtats en 1990
(EPN 73). Le rapport de 1'IC;Nfigure à la page 121 de la requête duCameroun, ainsi qu'à
l'annexe292 de son mémoire.
La commissiona, lorsde réunions ultérieurese,xaminéen 1990,1992et 1993les problèmes
en suspens en matière de délimitation des frontièreset de sécurité : 1) procès-verbal de la
trente-neuvième session, 20-21 novembre 1990, passim (EPN 74); 2) procès-verbal de la
quarantième session, 15janvier 1992, annexe D (EPN 75, p. 717 et EPN 104, p. 1016-1019);
8 7 1 3) procès-verbalde la quarante et unièmesession, 6 avril 1993, annexe F, p. 2, 11-13 (EPN 76,
p. 724-777 et EPN 105,p. 1024-1026);4) procès-verbalde la quarante-deuxièmesession, 29-30
novembre 1993 (EPN 106,p. 1032-1034).
A sa trente-neuvièmesession,en 1990,la commission ade nouveau reconnules liens étroits
existant entre les questionsde sécuriet de délimitation. l'annexeK du procès-verbal,la sous-commissionsur la démarcation des frontièreset la sécurité arendu compte de l'avenirdes
patrouilles mixtes. Selonle rapport :
«La question fondamentale de la démarcation des frontièresn'ayantpas été
résolue, les délégations onjtugé inopportun de débattrede l'avenir des patrouilles
mixtes.)) (EPN 74, p. 708.)
Le procès-verbal dela quarante et unièmesession de lacommission fait étatde la décision
desoumettre«lesdocumentsrelatifs à ladémarcationdesfrontières)) à l'approbationfinaledeschefs
d'Etatet de gouvernement des pays membres (EPN 76, p. 727, par. 90).
Le procès-verbal du huitièmesommet des chefs d'Etatet de gouvernement,tenu en 1994,
consignela décision no5 intitulée((Démarcationdes frontièreset sécurité dans la zone du bassin
du lac Tchad))comme suit :
((Fidèlesauxprincipes et aux objectifs de l'OUAet de la Charte des Nations
Unies;
Conscients des liens historiques qui unissent les populations riverainesdu lac
Tchad;
Fermement résolus à renforcer et à maintenir la paix et la sécurité dans la
sous-région;
Considérant queles travaux de démarcationdes frontières sont entièrement
achevéset que les documentstechniquesont été signéspar les expert nsationauxet par
le secrétariat exécutif;
Considérant le souci de la CBLT de veiller au développement social et
économiquede la population établie dansle bassin conventionnel;
Considérant l'insécuritécroissante qui règne dans la zone du bassin
conventionnel du lac Tchad;
Considérantla ferme volonté des Etats membres de résoudrece problème
persistant d'insécurité danlsa sous-région;
Les chefs d'Etatont décidé :
A. Démarcation des frontières
- d'approuverledocumenttechniquesurladémarcationdesfrontièresinternationales
des Etats membres dans le lac Tchad, tel qu'il a étéavalisépar les experts
nationaux et par le secrétariat exécutif dela CBLT;
- que chaque pays devra adopter le document conformémentà ses propres lois;
- que le document devra êtresignéavant la tenue du prochain sommet de la
commission; - de demander aux autorités nationalesou locales de chaque pays de lancer des
campagnes de sensibilisation afin d'informer les populations locales de la
démarcation et des droits etprivilèges dontellesjouissent sur le lac;
- de féliciterles commissaires, les experts nationaux, le secrétariatexécutif et
i'entrepreneurIGN-France de leur excellenttravail.
B. Sécurité
- de constituer sur-le-champune force mixte de sécurité dotéde'unmandat précis
et du soutien politique et logistique nécessaire;
- que la direction de cette force devra êtreassuréà tour de rôle, avec un mode
défini d'affectation des ressourceshumaines et matérielles;
- que le quartier général sera étabiBaga Kawa, au Nigéria;
- que le Nigéria accueillerala réunion desexperts visantà préciser lanature, le
matériel,le financementainsiquel'emplacement etlatailledesunités.))(EPN 77,
p. 733-747.)
Monsieur le président,selon nous, leseffetsjuridiques de cette décisionsont incertainset le
Gouvernementdu Nigériaréservesa position sur son caractère définitif.
Au cours de leur neuvièmesommet, tenu les30 et 31 octobre 1996,les chefs d'Etatet de
gouvernement ont adopté la décisionno2 ci-après : ((Rapports nationaux sur l'adoption et la
ratification du document de la démarcation des frontières)).
((Considérantle point sur la ratification du document de la démarcation des
frontières;
Considérantl'aspectsensiblede cettequestion eu égardaux événementsrécents;
Considérantles exigences de paix et de tranquilité dans lasous-région;
Vu l'absencedes chefs dfEtatdu Cameroun et du Nigéria,
Les chefs d'Etatont décidé :
- de différerles discussions sur ce sujet;
- de donner mandat au président dusommet pour intervenir, à travers des
consultationsou réunions avecles deuxchefs d'Etatdu Camerounet du Nigéria
en vue de trouver une solution à l'amiable et dans l'esprit de la fraternité
africaine.)) (EPN 108, p. 1071-1072; Cameroun, nouveaux documents,no2,
P. 9).
Cette décisionde 1996concernedirectementle problèmedont laCourest saisie. Il est clair
que leNiger et le Tchad,à savoir les deuxEtats membres qui ont participéàce sommet, n'ontpas
O 7 3 considéré nécessaireni appropriéde supprimer la question de la démarcationde l'ordredu jour. - 68 -
Cette attitude est significative puisque deux années etdemie s'étaient écouléesdepuis ldeépôt de
la requêtedu Cameroun. Il y a lieu de rappeler que le sommet de 1994avait eu lieu du 21 au
23 mars 1994,quelquesjours avant la présentationde cette requête.
La décisionde 1996est conforme à la pratique des Etats membres depuisque le problème
de ladélimitations'estposé en1983. Le caractèreexclusif despouvoirsde laCBLTet les sommets
périodiques constituentla base constante sur laquelle les Etats membres ontfondéleur conduite.
Le Cameroun a essayé des'enécarter.
Pendant la plus grandepartie de lapériodeconsidérées,eul leNigériaétaitpartie à la clause
facultative.
C'estdonc le Cameroun qui s'est éloigné de ce schémainstitutionnelet régional.
La relation découlantdu comportement des Parties de 1983 à 1994empêched'autre partle
Cameroun de faire appel àun autre mécanisme.Par soncomportement,le Camerouna clairement
et constamment montréson acceptation du régime derecours exclusif à la CBLT.
LaCouraposé lesprincipespertinentsdans l'arrêt qu'ellaerendudanslesaffairesduPlateau
continental de la mer du Nord. Selon la Cour :
«Eu égard à ces considérations de principe, la Cour est d'avis que seule
l'existenced'unesituation d'estoppel pourraitétayerpareille thèse: il faudrait que la
République fédéraln ee puisse plus contester l'applicabilitédu régime conventionnel,
en raison d'uncomportement,de déclarations,etc., quin'auraient passeulementattesté
d'unemanièreclaireet constantesonacceptationdecerégimemaisauraientégalement
amenéle Danemark ou les Pays-Bas, se fondant sur cette attitude, à modifier leur
position àleur détrimentou à subir un préjudicequelconque. Rien n'indiquequ'ilen
soit ainsi enl'espèce.))(C.I.J. Recueil 1969, p. 26, par. 30.)
Dans ces affaires, on avait fait valoir que l'Allemagneavait adoptéle système résultant de
l'article 6 de la convention sur le plateau continental. Dans la présenteaffaire, une institution
régionale est concernéeet cette institution est saisie de la question considérée depuis plus de
quatorze ans.
En l'occurrence,le Nigéria a subi des préjudicesà la suite du comportementdu Cameroun
étant donné en particulier que:
1) leNigéria aperdu l'importanteoccasionpolitiqued'utiliserun systèmesouplefondé sur
la consultation et la concertation; et que 2) le dépôtde la requêtedu Camerouna portéconsidérablementatteinte aux travaux de la
CBLT.
Monsieur le président, il mereste àtraiter certaines questions auxiliaires.
La première de ces questions touche à l'argument formulépar le Cameroun dans ses
observations sur la base de l'affaireduicaraguaet l'article103de la Charte des Nations Unies.
Selon letexte des observations du Cameroun
«Même sila CBLT était reconnue soit comme accord régional,soit comme
organisationrégionaleau sens de la Charte, l'exclusivitéeompétencevis-à-vis de la
Cour ne seraitpas établiepour autant.Dansl'affairerelativeauxActivités militaireset
paramilitaires au Nicaragua, la Cour a eu l'occasionde mettre les choses au point,
alors que l'accord régional en cause, le processus de Contadora, se conformait
beaucoup plus clairement aux critèresde l'article52 que la CBLT :
«La Cour nepensepas queleprocessusdeContadora,quelquesoit
son intérêt, puisse êtcensidéré comme constituant à proprement parler
un accord régionalaux fins du chapitre VI11de la Charte des Nations
Unies. Il importe aussi de ne pas perdre de vue que tous les accords
régionaux,bilatérauxet même multilatéraux, que le Psarties la présente
affaire peuvent avoir conclus au sujetdu règlementdes différendsou de
la juridiction de la Cour internationale de Justice, sont toujours
subordonnésaux dispositionsde l'article 103de la Charte ainsi conçu :
«En cas de conflit entre les obligationsdes Membres
des Nations Unies en vertu de la présenteCharte et leurs
obligations en vertu de tout autre accord international, les
premières prévaudront.)) (C.P. Re.ueil 1984, p. 440.)~
(Observations, p. 113,p. 3.32.)
S'agissant, toutd'abord, de l'article103 dela Charte, la Courconnaît certainement bien les
arguments fondés sur cet article. Endéfinitive,selon nous, ces arguments éludentpeut-êtrela
question. On ne peuténoncerleproblèmequ'entermes de priorité oude compatibilitéune foisque
le contenu de la relation juridique considéréa étédéfini. Et, après tout, la Charte encourage
certainement les recours aux organismes régionauxpour le règlementde différends.
Quoi qu'ilen soit,l'argumentrelatifl'article103nesauraitempêcherd'examinelranécessité
de la retenue judiciaire pour des raisons d'opportunjudiciaire.
Le second point soulevépar le Cameroundans ses observationsa trait au parallèlequiy est
Selon nous,
fait avec le processus de Contadora dont il est question dans l'affaireduaragua.
le processus de Contadoraa un caractèretrès différentdesonctionsde la CBLT. Le processus de - 70 -
Contadora ne revenait qu'àun mécanisme denégociationet on peut se demander s'ilétait censé
075
répondre aux problèmesjuridiques précis soulevépar la requêtedu Nicaragua, tant initialement
qu'aprèsamendement.
.
En outre, ce parallèle est faux pour d'autres raisons.La CBLT s'est ainsi attachée
expressémentau problèmede la délimitation qui figuraità son ordre du jour depuis onze ans
lorsque le Cameroun a déposésa requête.
Il se pose une autre question auxiliaire. 11existe dans le lac Tchad des îles que revendique
le Nigéria etqui, si la délimitation étaitréal, ourraient constituer des enclaves en territoire
camerounais. A cet égard,le Nigéria doit,par mesure de précaution,réserver ses droits.
Monsieur le président,je remercie la Cour pour sa patienàecette heure tardive. Merci. J
Le PRESIDENT :Merci, M. Brownlie. La Cour se réunirade nouveau demain matin
à 10 heures.
L'audienceestlevée à 13 h IO.
Translation