Observations et conclusions de la République islamique d'Iran sur les exceptions préliminaires des Etats-Unis d'Amérique

Document Number
175-20191223-WRI-01-00-EN
Document Type
Incidental Proceedings
Date of the Document
Document File

Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
16244
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
VIOLATIONS ALLÉGUÉES DU TRAITÉ D’AMITIÉ, DE COMMERCE ET DE DROITS CONSULAIRES DE 1955
(RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE D’IRAN c. ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE)
OBSERVATIONS ET CONCLUSIONS DE LA RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE D’IRAN SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
23 décembre 2019
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
CHAPITRE I. INTRODUCTION ............................................................................................................. 1
SECTION 1. OBSERVATIONS LIMINAIRES ...................................................................................... 1
SECTION 2. BREF HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE ........................................................................ 2
SECTION 3. LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DES ETATS-UNIS ET LES GRANDES LIGNES DE L’ARGUMENTATION IRANIENNE ......................................................................................... 5
SECTION 4. STRUCTURE DES PRÉSENTES OBSERVATIONS ET CONCLUSIONS ................................. 7
PARTIE I. LES EXCEPTIONS D’INCOMPÉTENCE SOULEVÉES PAR LES ETATS-UNIS DEVRAIENT ÊTRE REJETÉES ......................................................................... 9
CHAPITRE II. LA COUR A COMPÉTENCE POUR CONNAÎTRE DE L’INSTANCE INTRODUITE PAR L’IRAN ..................................................................................................................................... 9
SECTION 1. L’OBJET DE L’INSTANCE INTRODUITE PAR L’IRAN EST «L’INTERPRÉTATION OU … L’APPLICATION» DU TRAITÉ D’AMITIÉ ..................................................................... 9
SECTION 2. LE FAIT QUE LE PLAN D’ACTION NE FASSE PAS RÉFÉRENCE AU RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS PAR LA COUR EST DÉPOURVU DE PERTINENCE ............................................. 11
CHAPITRE III. LA COUR A COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE À L’ÉGARD DE TOUTES LES DEMANDES FORMULÉES PAR L’IRAN POUR VIOLATION DU TRAITÉ D’AMITIÉ ........................ 13
SECTION 1. INTRODUCTION ........................................................................................................ 13
SECTION 2. LES DEMANDES DE L’IRAN AU TITRE DES PARAGRAPHES 1 ET 2 DE L’ARTICLE IV ET DU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE V DU TRAITÉ D’AMITIÉ .................... 19
A. Paragraphe 1 de l’article IV du traité d’amitié ............................................................ 19
B. Paragraphe 2 de l’article IV du traité d’amitié ............................................................. 23
C. Paragraphe 1 de l’article V du traité d’amitié .............................................................. 25
SECTION 3. LES DEMANDES FORMULÉES PAR L’IRAN AU TITRE DU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE VII DU TRAITÉ D’AMITIÉ ................................................................................ 26
SECTION 4. LES DEMANDES FORMULÉES PAR L’IRAN AU TITRE DES PARAGRAPHES 1 ET 2 DE L’ARTICLE VIII DU TRAITÉ D’AMITIÉ .......................................................................... 31
A. Interprétation des paragraphes 1 et 2 de l’article VIII ................................................. 31
B. Les mesures américaines contestées par l’Iran qui entrent dans le champ d’application des paragraphes 1 et 2 de l’article VIII ................................................. 35
SECTION 5. LES DEMANDES FORMULÉES PAR L’IRAN AU TITRE DES PARAGRAPHES 2 ET 3 DE L’ARTICLE IX DU TRAITÉ D’AMITIÉ............................................................................. 39
- ii -
SECTION 6. LES DEMANDES FORMULÉES PAR L’IRAN AU TITRE DU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE X DU TRAITÉ D’AMITIÉ ................................................................................... 42
PARTIE II. LES EXCEPTIONS D’IRRECEVABILITÉ SOULEVÉES PAR LES ETATS-UNIS ............................................................................................................................ 44
CHAPITRE IV. ABSENCE D’ABUS DE PROCÉDURE OU DE QUESTIONS D’OPPORTUNITÉ JUDICIAIRE ............................................................................................................................ 44
SECTION 1. LES DEMANDES LÉGITIMES DE L’IRAN NE CONSTITUENT PAS UN ABUS DE PROCÉDURE ...................................................................................................................... 45
A. Les circonstances exceptionnelles devant exister pour qu’un abus de procédure puisse être constaté .................................................................................................... 46
B. Les conséquences dont les Etats-Unis allèguent qu’elles témoignent d’un abus de procédure ne constituent pas des circonstances exceptionnelles ................................ 47
i) Demander à ce qu’un accord international valide soit appliqué et fait respecter n’est pas rechercher une injustice ou un avantage indu ......................... 47
ii) Les implications politiques d’un règlement judiciaire international ne sont pas un motif pertinent pour alléguer l’existence d’un abus de procédure ............. 49
SECTION 2. EN EXERÇANT SA COMPÉTENCE EN LA PRÉSENTE AFFAIRE, LA COUR NE COMPROMETTRA PAS L’INTÉGRITÉ DE SA PROCÉDURE JUDICIAIRE .................................. 50
A. Les limitations inhérentes aux fonctions judiciaires de la Cour demeurent exceptionnelles .......................................................................................................... 50
B. Statuer sur les demandes de l’Iran ne mettra pas en péril la fonction judiciaire de la Cour ....................................................................................................................... 51
i) La Cour étant saisie d’un différend concernant le traité d’amitié, rien dans le contexte factuel de la présente affaire ne saurait entamer l’intégrité de sa procédure judiciaire ............................................................................................. 52
ii) Des conséquences politiques alléguées ne sauraient faire obstacle à l’exercice par la Cour de sa fonction judiciaire .................................................... 53
CHAPITRE V. LES DÉFENSES OFFERTES PAR LE PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE XX DU TRAITÉ D’AMITIÉ NE PEUVENT ÊTRE EXAMINÉES QU’AU STADE DU FOND ......................................... 56
SECTION 1. LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES NE DOIVENT PAS EFFLEURER LE FOND................. 57
SECTION 2. LES DÉFENSES OFFERTES PAR LE PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE XX DU TRAITÉ D’AMITIÉ EFFLEURENT LE FOND ....................................................................................... 61
SECTION 3. LES «EXCEPTIONS» SOULEVÉES PAR LES ETATS-UNIS AU TITRE DU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE XX NE SONT PAS DES «EXCEPTION[S] SUR L[ES]QUELLE[S] LE DÉFENDEUR DEMANDE UNE DÉCISION AVANT QUE LA PROCÉDURE SUR LE FOND SE POURSUIVE», AU SENS DU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE 79BIS DU RÈGLEMENT DE LA COUR ................................................................ 63
- iii -
PARTIE III. CONCLUSIONS ........................................................................................................ 67
CHAPITRE VI. OBSERVATIONS FINALES .......................................................................................... 67
CHAPITRE VII. CONCLUSIONS ......................................................................................................... 68
Certification .................................................................................................................................... 69
Liste des annexes ............................................................................................................................ 70
___________
- iv -
LISTE DES ABRÉVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES
AIEA
Agence internationale de l’énergie atomique
CIJ
Cour internationale de Justice
CPJI
Cour permanente de Justice internationale
CISADA
Comprehensive Iran Sanctions, Accountability, and Divestment Act of 2010 ou loi de 2010 sur la responsabilité, le désengagement et les sanctions générales contre l’Iran
EPEU
Exceptions préliminaires des Etats-Unis
Etats-Unis
Etats-Unis d’Amérique
FMI
Fonds monétaire international
HDCH
Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme
IFCA
Iran Freedom and Counter-Proliferation Act of 2012 ou loi de 2012 pour la liberté et contre la prolifération en Iran
IFSR
Iranian Financial Sanctions Regulations ou réglementation relative aux sanctions financières contre l’Iran
ITSR
Iranian Transactions and Sanctions Regulations ou réglementation fédérale relative aux transactions avec l’Iran et aux sanctions s’y rapportant
MI
Mémoire de l’Iran
NDAA …
National Defense Authorization Act for Fiscal Year … ou loi d’autorisation relative à la défense nationale pour l’exercice …
NICO
Naftiran Intertrade Company
NIOC
National Iranian Oil Company
NITC
National Iranian Tanker Company
OACI
Organisation de l’aviation civile internationale
OFAC
Office of Foreign Assets Control, autorité américaine chargée du contrôle des avoirs étrangers
PIB
Produit intérieur brut
Plan d’action
Plan d’action global commun à long terme
RI
Requête de l’Iran
SDN
Personnes physiques ou morales issues de pays spécialement désignés ou visées par le gel d’avoirs
TRA
Iran Threat Reduction and Syria Human Rights Act of 2012 ou loi de 2012 pour la réduction de la menace iranienne et les droits de l’homme en Syrie
___________
CHAPITRE I INTRODUCTION
SECTION 1 OBSERVATIONS LIMINAIRES
1.1. Dans les présentes observations et conclusions, l’Iran répond aux exceptions préliminaires d’incompétence et d’irrecevabilité que les Etats-Unis ont soulevées.
1.2. L’exception centrale des Etats-Unis consiste à soutenir que «l’objet véritable de la présente affaire est un différend relatif à l’application du plan d’action, un instrument qui est totalement distinct du[] traité [d’amitié] et n’a aucun rapport avec lui»1. Cette exception est viciée sur le plan des principes juridiques.
1.3. Premièrement, ainsi que la Cour l’a fait observer, «certains actes peuvent entrer dans le champ de plusieurs instruments juridiques et un différend relatif à ces actes peut avoir trait «à l’interprétation ou à l’application» de plusieurs traités ou autres instruments»2. Le fait que le plan d’action puisse faire partie du contexte factuel de l’affaire n’empêche pas le différend d’entrer dans le champ d’application du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires conclu en 1955 entre les Etats-Unis et l’Iran (ci-après le «traité d’amitié» ou le «traité»).
1.4. Deuxièmement, comme il est indiqué dans la requête et le mémoire, le présent différend concerne des violations du traité d’amitié qui découlent du rétablissement par les Etats-Unis de tout un arsenal de mesures visant l’Iran, ainsi que ses sociétés et ses ressortissants3. Il concerne également l’annonce préalable faite par les Etats-Unis, dans le but de menacer les Etats, entreprises économiques et autres entités souhaitant faire affaire avec l’Iran ou avec ses sociétés et ressortissants, de leur intention de durcir encore leurs sanctions à l’avenir. Plus précisément, ce différend a trait à l’interprétation et à l’application des articles IV (paragraphes 1 et 2), V (paragraphe 1), VII (paragraphe 1), VIII (paragraphes 1 et 2), IX (paragraphes 2 et 3) et X (paragraphe 1) du traité4. Les Etats-Unis ont beau vouloir requalifier ce différend dans l’espoir de faire croire qu’il se rapporte à un autre instrument, la Cour n’a à connaître que de la requête effectivement portée devant elle par l’Iran ⎯ une requête fondée sur le traité d’amitié.
1.5. Les Etats-Unis avancent aussi un argument relatif à un abus de procédure, alléguant que «la Cour ne pourrait se prononcer sur [l]es demandes [de l’Iran] sans se trouver prise dans un enchevêtrement inextricable de questions diplomatiques sensibles soulevées par cet instrument politique sur le plan multilatéral, contrairement à l’intention des participants audit plan»5. Mais il n’y a nullement lieu pour la Cour de formuler la moindre conclusion en rapport avec le plan d’action.
1 EPEU, p. 7, par. 1.16.
2 Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 3 octobre 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 634, par. 38.
3 RI, p. 4, par. 1, et MI, p. 1, par. 1.2.
4 RI, p. 4, par. 1, et MI, p. 11, par. 1.31.
5 EPEU, p. 7, par. 1.18.
1
2
- 2 -
L’unique question qui lui est posée est celle de savoir si les mesures américaines sont compatibles avec le traité d’amitié. En outre, les Etats-Unis sont bien loin d’avoir satisfait au critère rigoureux des «circonstances exceptionnelles» dont la Cour a maintes fois exigé l’existence en droit international pour qu’un argument relatif à un abus de procédure puisse être retenu6.
1.6. Répétant des arguments déjà avancés et rejetés au cours de la phase des mesures conservatoires de la présente espèce, les Etats-Unis contestent la compétence de la Cour en invoquant le paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié. La Cour a systématiquement jugé que cet article offrait une défense au fond et ne pouvait être traité qu’au stade correspondant7. En soulevant une fois de plus cet argument, les Etats-Unis montrent qu’ils font peu de cas des prononcés de la Cour. Au surplus, leurs exceptions relatives au paragraphe 1 de l’article XX n’ont pas un caractère exclusivement préliminaire et ne peuvent être dûment appréciées sur la base des éléments de preuve dont la Cour dispose à ce stade.
1.7. Enfin, les Etats-Unis cherchent à incorporer une restriction artificielle dans le champ du traité d’amitié en affirmant que certaines dispositions «ne prévoient aucune obligation à l’égard des pays tiers ou des sociétés et ressortissants de ces derniers»8. Or on ne trouve aucune restriction en ce sens dans le traité. Leur décision d’introduire une série de mesures ciblant précisément les activités économiques et commerciales de l’Iran, ou de ses sociétés et ressortissants, fait inévitablement entrer en jeu le large éventail des droits et protections que le traité confère à celui-ci, et des obligations qu’il impose aux Etats-Unis, cet instrument visant essentiellement à garantir un traitement équitable et non moins favorable sous diverses formes ainsi que certaines libertés concernant ces activités économiques et commerciales. Que les Etats-Unis mêlent ou non les entités d’Etats tiers à leurs attaques contre l’Iran ne fait aucune différence.
1.8. Aucune des exceptions que les Etats-Unis ont soulevées dans le cadre de cette tentative d’empêcher la Cour d’examiner leurs mesures n’est fondée. Ces exceptions ont retardé le traitement de la présente affaire et, dans l’intervalle, l’Iran subit les conséquences d’un extraordinaire arsenal de mesures qui ciblent des secteurs essentiels de son économie et sont expressément conçues pour lui causer un maximum de dommages, ainsi qu’à sa population et à son économie, posant un risque manifeste de préjudice irréparable que la Cour a déjà constaté lorsqu’elle a statué en octobre 2018 sur sa demande en indication de mesures conservatoires. Ce risque de préjudice irréparable perdure à ce jour et va même en s’aggravant, tant de par sa substance que de par son ampleur.
SECTION 2 BREF HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE
1.9. Le 16 juillet 2018, l’Iran a déposé une requête dans laquelle il soutenait que le rétablissement, par les Etats-Unis, de tout un arsenal de mesures le visant, ainsi que ses ressortissants et sociétés, et l’annonce préalable d’un nouveau durcissement de ces mesures, par suite de la décision
6 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 336, par. 150 ; (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 43, par. 114 ; Jadhav (Inde c. Pakistan), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (II), par. 49. Voir également In the Matter of the South China Sea Arbitration (Republic of The Philippines v. People’s Republic of China), Award on Jurisdiction and Admissibility, 29 octobre 2015, p. 43, par. 128, où est établi un critère des «cas les plus flagrants d’abus ou de harcèlement».
7 Voir plus loin, chap. V, sect. 2.
8 EPEU, p. 106, par. 7.26.
3
- 3 -
américaine du 8 mai 2018, constituaient des violations du traité d’amitié. Il invoquait le paragraphe 2 de l’article XXI du traité pour fonder la compétence de la Cour.
1.10. Ce même 16 juillet 2018, l’Iran a en outre présenté à la Cour une demande en indication de mesures conservatoires. Par lettre datée du 23 juillet 2018, et en application du paragraphe 4 de l’article 74 du Règlement, le président de la Cour a appelé l’attention des Etats-Unis sur la nécessité d’agir de manière que toute ordonnance de la Cour sur ladite demande pût avoir les effets voulus9. Les Etats-Unis sont restés sourds à cet appel.
1.11. Des audiences consacrées à la demande en indication de mesures conservatoires présentée par l’Iran se sont tenues du 27 au 30 août 2018. Le 3 octobre 2018, la Cour a conclu que, «prima facie, elle [étai]t compétente en vertu du paragraphe 2 de l’article XXI du traité de 1955 pour connaître de l’affaire, dans la mesure où le différend entre les Parties a[vait] trait «à l’interprétation ou à l’application» dudit traité»10. Elle a indiqué les mesures conservatoires suivantes11 :
«1) A l’unanimité,
Les Etats-Unis d’Amérique, conformément à leurs obligations au titre du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires conclu en 1955, doivent, par les moyens de leur choix, supprimer toute entrave que les mesures annoncées le 8 mai 2018 mettent à la libre exportation vers le territoire de la République islamique d’Iran
i) de médicaments et de matériel médical ;
ii) de denrées alimentaires et de produits agricoles ; et
iii) des pièces détachées, des équipements et des services connexes (notamment le service après-vente, l’entretien, les réparations et les inspections) nécessaires à la sécurité de l’aviation civile ;
2) A l’unanimité,
Les Etats-Unis d’Amérique doivent veiller à ce que les permis et autorisations nécessaires soient accordés et à ce que les paiements et autres transferts de fonds ne soient soumis à aucune restriction dès lors qu’il s’agit de l’un des biens et services visés au point 1) ;
3) A l’unanimité,
Les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre la solution plus difficile.»
1.12. En réponse, les Etats-Unis ont prétendu se retirer du traité d’amitié le 3 octobre 2018 afin de «limiter la compétence à [leur] égard de la Cour internationale de Justice»12. Dans une note
9 Lettre (no 15075[5]) en date du 23 juillet 2018 adressée aux Etats-Unis par le président de la Cour (annexe 8).
10 Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 3 octobre 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 638, par. 52.
11 Ibid., p. 652, par. 102.
12 MI, p. 8, par. 1.21 ; MI, annexe 336.
4
5
- 4 -
diplomatique adressée au ministère iranien des affaires étrangères, le département d’Etat américain a déclaré que,
«conformément au paragraphe 3 de l’article XXIII du traité et aux droits qui sont les leurs, compte tenu du changement fondamental de circonstances intervenu par rapport à celles qui prévalaient à l’époque de la conclusion de cet instrument, les Etats-Unis notifi[ai]ent par la présente qu’ils mett[ai]ent fin au traité»13.
L’Iran a rejeté toute idée d’un changement fondamental de circonstances et a déclaré que le «revirement des Etats-Unis» concernant leurs obligations au titre du traité «ne port[ait] en aucune manière préjudice aux droits déjà acquis par le Gouvernement, les ressortissants et les sociétés de l’Iran, pas plus qu’aux réclamations juridiques présentées contre les Etats-Unis en application dudit traité»14. Ce point a été développé par le ministère iranien des affaires étrangères dans une note verbale du 2 octobre 201915.
1.13. Depuis que la Cour a rendu son ordonnance, les Etats-Unis ont manqué de mettre en oeuvre les mesures conservatoires y indiquées16. Ces manquements ont été constatés par l’Iran dans ses lettres à la Cour17 et ont suscité l’inquiétude du rapporteur spécial de l’Organisation des Nations Unies sur les effets négatifs des mesures coercitives unilatérales18. Les Etats-Unis ont répondu en se murant dans le silence ou en niant catégoriquement tout manquement à l’ordonnance. Ils ont par exemple affirmé qu’ils n’étaient pas tenus de prendre des mesures pour supprimer les entraves à la libre exportation de médicaments et de matériel médical vers l’Iran, ni de veiller à ce que les paiements et autres transferts de fonds ne fussent soumis à aucune restriction dès lors qu’ils concernaient de tels biens19. Ils ont tenté de faire passer des dérogations et autorisations qui existaient dans leurs lois sur les sanctions avant le 8 mai 2018 pour des mesures prises en exécution de l’ordonnance20. Ils ont encore aggravé la situation en mettant en oeuvre un nouveau train de mesures contre l’Iran le 5 novembre 2018. Leur agent n’a pas répondu à la lettre dans laquelle l’agent de l’Iran avait indiqué que «les Etats-Unis ne respect[ai]ent pas l’ordonnance de la Cour»21.
13 MI, annexe 57 ; voir également MI, annexe 39.
14 MI, annexe 59.
15 Note verbale No. 211543 from I.R. Iran to the Government of the United States, 2 October 2019 (annexe 13).
16 Les Etats-Unis notent simplement à titre incident qu’ils «respectent l’ordonnance en indication de mesures conservatoires de la Cour et saisissent cette occasion pour réaffirmer qu’ils se conforment à ses dispositions» : voir EPEU, p. 5, par. 1.8.
17 Voir les lettres en date du 19 février 2019 (MI, annexe 61) et du 4 juin 2019 (annexe 9) adressées au greffier de la Cour par la République islamique d’Iran.
18 Letter from the Special Rapporteur on the negative impact of unilateral coercive measures on the enjoyment of human rights to the United States (Reference AL USA 22/2018), 5 November 2018 (annexe 2).
19 MI, annexe 43 (2 novembre 2018).
20 Lettre en date du 4 juin 2019 adressée au greffier de la Cour par l’agent des Etats-Unis, sous le couvert de la lettre no 152273 du 5 juin 2019 (annexe 10).
21 Lettre en date du 10 décembre 2018 adressée à l’agent des Etats-Unis d’Amérique par l’agent de la République islamique d’Iran (MI, annexe 60). Le fait est que, en dépit de l’ordonnance de la Cour exigeant «la libre exportation» des biens humanitaires, les mesures américaines concernant les transactions à caractère humanitaire rendent plus difficile encore l’exportation vers l’Iran de tels biens. Voir, par exemple, Nations Unies, rapport du rapporteur spécial sur les effets négatifs des mesures coercitives unilatérales sur l’exercice des droits de l’homme, doc. A/74/165, 15 juillet 2019, par. 40-44 (annexe 3) ; Laura Rozen, «Sanctions experts say new US Treasury measure could inhibit humanitarian trade with Iran», Al-Monitor, 25 October 2019 (annexe 15) ; U.S. Department of the Treasury, Financial Channels to Facilitate Humanitarian Trade with Iran and Related Due Diligence and Reporting Expectations, 25 October 2019 (annexe 6) ; Maya Lester QC, «New US Iran humanitarian mechanism & FinCEN Iran designation», www.europeansanctions.com, 29 October 2019 (annexe 16).
6
- 5 -
1.14. Le 19 juin 2019, la Cour a informé l’Iran qu’elle avait «pris bonne note» des réponses des Parties à sa demande du 29 mars 2019 tendant à obtenir des renseignements sur les dispositions prises par les Etats-Unis pour mettre en oeuvre les mesures conservatoires indiquées par elle. Elle a estimé «que tout problème ayant trait à la mise en oeuvre desdites mesures pourra[it] être résolu à un stade ultérieur, si l’affaire v[enait] à être examinée au fond», et a rappelé aux Parties le caractère contraignant des mesures prescrites22. La compétence de la Cour pour se prononcer, en temps voulu, sur le non-respect des mesures conservatoires par les Etats-Unis est incontestable.
1.15. Le 6 août 2019, l’Iran a adressé à la Cour une lettre dans laquelle il relevait que la manière dont les Etats-Unis prétendaient «exécuter» son ordonnance «ne répond[ait] clairement pas [à ses] besoins essentiels … en matière humanitaire» et emportait manifestement violation de ladite ordonnance23. Il faisait observer que, en annonçant par avance l’imposition de sanctions supplémentaires et en proférant de nouvelles menaces à son encontre, les Etats-Unis avaient encore aggravé le différend24.
1.16. Le 24 mai 2019, l’Iran a déposé son mémoire, dans lequel il expose les effets concrets et les terribles conséquences que les mesures américaines ont sur lui ainsi que sur ses sociétés et ressortissants.
1.17. Les Etats-Unis ont soulevé leurs exceptions préliminaires le 23 août 2019. Ils y précisent qu’ils «se réservent tout droit d’opposer des exceptions supplémentaires aux demandes de l’Iran»25. Quand bien même il leur serait possible de le faire, la décision que la Cour aura rendue sur l’ensemble de leurs exceptions sera contraignante et définitive, et ne pourra être réexaminée ultérieurement26.
SECTION 3 LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DES ETATS-UNIS ET LES GRANDES LIGNES DE L’ARGUMENTATION IRANIENNE
1.18. Bien que, comme il a été relevé plus haut27, leur exception centrale porte sur le plan d’action, les Etats-Unis ont soulevé en tout deux exceptions préliminaires d’incompétence, une exception préliminaire d’irrecevabilité et deux exceptions qui, selon eux, «demand[e]nt une décision avant la procédure sur le fond»28.
22 Lettre (no 152411) en date du 19 juin 2019 adressée aux Etats-Unis et à la République islamique d’Iran par le greffier de la Cour (annexe 11).
23 Lettre en date du 6 août 2019 adressée au greffier de la Cour par l’agent de la République islamique d’Iran (annexe 12).
24 Tableau joint à la lettre en date du 6 août 2019 adressée au greffier de la Cour par l’agent de la République islamique d’Iran (annexe 12).
25 EPEU, p. 7, note 7.
26 Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 16 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 98, par. 132.
27 Voir plus haut, par. 1.2.
28 EPEU, p. 5, par. 1.9.
7
- 6 -
1.19. Avant d’examiner chacune de ces exceptions, l’Iran relève que les Parties semblent s’accorder sur quatre points importants :
a) le traité d’amitié de 1955 demeure en vigueur entre elles aux fins des demandes de l’Iran ;
b) les Parties convenant que le traité est en vigueur aux fins de ces demandes, un différend relevant du paragraphe 2 de l’article XXI les oppose, notamment en ce qui concerne l’interprétation de chacune des dispositions de cet instrument invoquées par l’Iran29 ;
c) la Cour a établi le critère permettant de déterminer si elle a compétence ratione materiae dans son arrêt en l’affaire des Plates-formes pétrolières30 ; et
d) le paragraphe 1 de l’article XX du traité ne limite pas la compétence de la Cour31.
1.20. La première exception préliminaire des Etats-Unis, à laquelle il a déjà été fait référence dans la section 1 ci-dessus, consiste à dire que le différend se rapporte au plan d’action, et non au traité d’amitié. Cet argument non seulement ne tient pas compte du principe juridique selon lequel certains actes peuvent entrer dans le champ de plusieurs instruments, mais dénature en outre l’objet du différend, tel qu’il est défini dans la requête et le mémoire de l’Iran.
1.21. Les Etats-Unis joignent à leur première exception d’incompétence une exception d’irrecevabilité32. Comme au stade des mesures conservatoires de la présente affaire, ils avancent un argument fallacieux relatif à un «abus de procédure» comme prétexte pour se répandre en allégations infondées devant la Cour, le but étant de porter préjudice à l’Iran tout en faisant traîner l’affaire ; dans l’intervalle, les mesures américaines continuent de causer à l’économie et à la population iraniennes de très graves dommages, qui vont en empirant. Les Etats-Unis sont bien loin de satisfaire au critère des «circonstances exceptionnelles» nécessaires au rejet, pour abus de procédure, d’une demande à l’égard de laquelle la compétence de la Cour repose sur un titre valable et applicable, tel que la clause compromissoire du traité d’amitié33.
1.22. Les Etats-Unis soulèvent deux autres exceptions, fondées sur les alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié, tout en prétendant admettre que les dérogations prévues dans ces dispositions offrent une «défense au fond» et ne touchent pas la compétence de la Cour34. Il s’agit clairement là d’une tentative, par les Etats-Unis, de faire à nouveau valoir l’un des aspects sur lesquels ils n’avaient pu obtenir gain de cause lors de la phase des exceptions
29 Voir, par exemple, EPEU, chap. 6 et p. 106-117, par. 7.25-7.65, consacrés au paragraphe 1 de l’article XX, aux paragraphes 1 et 2 de l’article IV, aux paragraphes 1 des articles V et VII, aux paragraphes 1 et 2 de l’article VIII, aux paragraphes 2 et 3 de l’article IX et au paragraphe 1 de l’article X. Voir également Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 3 octobre 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 631, par. 29 («La Cour note que, dans la présente affaire, les Parties ne contestent pas l’existence d’un différend. Elles divergent cependant sur la question de savoir si ce différend a trait «à l’interprétation ou à l’application» du traité de 1955.»).
30 Voir, par exemple, EPEU, p. 43-44, par. 4.7, 4.9, et p. 49, par. 4.19.
31 EPEU, p. 8, par. 1.20, et p. 70, par. 6.6 Les Etats-Unis relèvent qu’ils «s’inscrivent respectueusement en faux» contre la décision de la Cour en l’affaire relative à Certains actifs iraniens, mais «n’insistent pas sur ce point aux fins de[leurs] exceptions préliminaires» : EPEU, p. 70, par. 6.6, note 220.
32 EPEU, p. 7, par. 1.18. 33 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 42, par. 113 ; Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 336, par. 150.
34 EPEU, p. 8, par. 1.19-1.21.
8
9
- 7 -
préliminaires de l’affaire relative à Certains actifs iraniens35. Ainsi que la Cour l’a précisé, les exceptions fondées sur les alinéas c) et d) du paragraphe 1 de l’article XX dans cette affaire ne pouvaient être traitées qu’au stade de l’examen au fond, puisqu’elles ne portent pas, par nature, sur la compétence et qu’elles n’ont pas un caractère exclusivement préliminaire36. Le même raisonnement s’applique à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX37.
1.23. Enfin, les Etats-Unis soulèvent une autre exception préliminaire d’incompétence consistant à alléguer que «la grande majorité des mesures contestées par l’Iran ne relèvent pas du traité d’amitié, qui est un accord commercial et consulaire bilatéral»38. Le demandeur considère que tout acte des Etats-Unis qui, selon les règles classiques codifiées dans la convention de Vienne sur le droit des traités, porte atteinte aux droits qui sont les siens ou ceux de ses ressortissants et entreprises en vertu dudit traité emporte violation de celui-ci, quel que soit le lieu de cet acte ou des éléments d’une série d’actes corollaire39. Ce sont les Etats-Unis qui cherchent à introduire dans le traité une théorie artificielle des «mesures concernant les Etats tiers» qui ne trouve aucun fondement dans cet instrument, pas plus que dans le droit international de manière plus générale.
1.24. Comme ils l’avaient fait avec leurs précédents exposés devant la Cour, les Etats-Unis se sont servis de leur pièce de procédure pour formuler contre l’Iran des allégations infondées et mensongères40. Le fait de formuler de telles allégations préjudiciables devant la Cour constitue un abus. L’Iran rejette catégoriquement les allégations américaines, qui revêtent un caractère politique. Il n’entend pas y répondre dans cette pièce, les jugeant dépourvues de pertinence aux fins de la présente procédure, conformément à ce que la Cour a dit dans des affaires antérieures41.
SECTION 4 STRUCTURE DES PRÉSENTES OBSERVATIONS ET CONCLUSIONS
1.25. Les chapitres suivants des présentes observations et conclusions s’articulent comme suit :
a) au chapitre II, l’Iran réaffirme la nature et l’objet de ses demandes, dont il avait fait un exposé dans sa requête et son mémoire ;
b) au chapitre III, il démontre que la Cour a compétence ratione materiae à l’égard de toutes les demandes qu’il formule pour violation du traité d’amitié ;
c) au chapitre IV, il rejette l’affirmation des Etats-Unis selon laquelle ses demandes constituent un abus de procédure ou tendent à compromettre l’intégrité de la Cour. Il soutient que ses demandes relèvent clairement de la compétence de la Cour et que, en se prononçant à leur égard, celle-ci exercerait son pouvoir de manière tout à fait idoine et habituelle ; 35 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 24, par. 41.
36 Ibid., p. 25, par. 45-47.
37 Voir plus loin, chap. V, et EPEU, p. 8, par. 1.20.
38 EPEU, p. 8, par. 1.22 (les italiques sont de nous) ; voir également p. 34-40, par. 3.1-3.10.
39 Voir plus loin, chap. III, sect. 2.
40 EPEU, chap. 2 ; chap. 5, sect. B ; chap. 6, sect. B et C.
41 Voir, par exemple, Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 44, par. 122.
10
- 8 -
d) au chapitre V, l’Iran répond à l’exception soulevée par les Etats-Unis en ce qui concerne les dérogations énoncées aux alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié en montrant que celles-ci ne peuvent être examinées qu’au stade du fond ;
e) au chapitre VI, il formule ses observations finales.
- 9 -
PARTIE I LES EXCEPTIONS D’INCOMPÉTENCE SOULEVÉES PAR LES ETATS-UNIS DEVRAIENT ÊTRE REJETÉES
CHAPITRE II LA COUR A COMPÉTENCE POUR CONNAÎTRE DE L’INSTANCE INTRODUITE PAR L’IRAN
SECTION 1 L’OBJET DE L’INSTANCE INTRODUITE PAR L’IRAN EST «L’INTERPRÉTATION OU … L’APPLICATION» DU TRAITÉ D’AMITIÉ
2.1. La présente instance est introduite en vertu de l’article XXI du traité d’amitié. L’Iran tire grief de violations de cet instrument, en particulier de ses articles IV (paragraphes 1 et 2), V (paragraphe 1), VII (paragraphe 1), VIII (paragraphes 1 et 2), IX (paragraphes 2 et 3) et X (paragraphe 1). L’on ne saurait nier de manière crédible que l’affaire a pour objet l’interprétation et l’application du traité d’amitié.
2.2. L’exception des Etats-Unis selon laquelle l’objet de l’affaire serait un différend concernant l’application du plan d’action, et non l’interprétation ou l’application du traité d’amitié, est fondamentalement erronée. Ainsi que la Cour l’a dit dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires,
«le fait que le différend entre les Parties soit né à l’occasion et dans le contexte de la décision des Etats-Unis de se retirer du plan d’action n’exclut pas, par lui-même, la possibilité que ce différend ait trait à l’interprétation ou à l’application du traité d’amitié (cf. Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique, exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 811-812, par. 21). D’une manière générale, certains actes peuvent entrer dans le champ de plusieurs instruments juridiques et un différend relatif à ces actes peut avoir trait «à l’interprétation ou à l’application» de plusieurs traités ou autres instruments. Pour autant qu’elles puissent constituer des manquements à certaines obligations découlant du traité de 1955, les mesures que les Etats-Unis ont adoptées après leur décision de se retirer du plan d’action ont un rapport avec l’interprétation ou l’application de cet instrument.»42
2.3. Il s’agit là d’un principe d’application générale, qui ne concerne pas seulement l’établissement de la compétence prima facie requise au stade des mesures conservatoires. C’est une proposition juridique fondamentale qui est bien établie dans la jurisprudence de la Cour43.
42 Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 3 octobre 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 634, par. 38.
43 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 15 octobre 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 387, par. 112.
11
12
- 10 -
2.4. En outre, la Cour a déjà défini l’objet et le but du traité d’amitié en des termes qui englobent largement les demandes formulées par l’Iran dans la présente espèce :
«[L]e traité vise à garantir des droits et à accorder des protections aux personnes physiques et morales qui exercent des activités de nature commerciale, même si ce dernier terme doit être compris dans un sens large.»44
Elle a aussi jugé que «l’objectif de paix et d’amitié proclamé à l’article premier du traité de 1955 [étai]t de nature à éclairer l’interprétation des autres dispositions du traité»45.
2.5. La requête de l’Iran a entièrement et exclusivement trait à des violations du traité d’amitié. Il n’est pas loisible au défendeur de redéfinir la portée d’une requête pour l’accommoder à sa propre ligne de défense, ni d’extraire des phrases isolées de notes diplomatiques et de pièces de procédure pour brosser un tableau faussé de la situation46. C’est à la Cour, et non aux parties, qu’il revient de déterminer la portée de la demande, non sans accorder «une attention particulière à la formulation du différend utilisée par le demandeur»47.
2.6. Les mesures contestées par l’Iran sont celles qui résultent de la décision américaine du 8 mai 2018 ; il s’agit également de la menace et de l’imposition, par les Etats-Unis, de nouvelles mesures plus dures encore le 5 novembre 2018 et par la suite 48. Ces mesures sont notamment destinées à empêcher les transactions faisant intervenir la banque centrale d’Iran, ce qui entrave davantage encore la livraison à celui-ci de denrées alimentaires, de médicaments et de matériel médical49. La menace de nouvelles mesures vise à dissuader les commerçants et toute entreprise économique que ce soit de faire affaire d’une manière ou d’une autre avec l’Iran, et tel est l’effet qu’elle produit, avant même l’adoption de ces mesures supplémentaires. Cela constitue, en soi, une violation du traité d’amitié. L’imposition effective des nouvelles mesures a consisté à étendre l’interdiction des échanges avec l’Iran, et emporte également violation du traité d’amitié.
2.7. Ces mesures, effectives ou à l’état de menace, constituent des violations du traité d’amitié qu’elles soient ou non également associées au plan d’action, ou adoptées avec celui-ci pour toile de fond : la question est simplement de savoir ici si, comme le soutient l’Iran, ces mesures contreviennent au traité, point n’étant besoin de rechercher si elles sont aussi contraires au plan.
2.8. Ces mesures ne marquent que le début d’un programme de grande ampleur et de long cours visant à paralyser l’Iran. Le secrétaire d’Etat américain a affirmé ceci : 44 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 28, par. 57, et p. 38, par. 91, également cité dans EPEU, p. 45, par. 4.10.
45 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 815, par. 31.
46 EPEU, p. 53-54, par. 5.6-5.9.
47 Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 448, par. 30 ; Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 848, par. 38 ; Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 206-207, par. 65 et 69. Voir également le paragraphe 1 de l’article 38 du Règlement de la Cour.
48 RI, p. 10-11, par. 18-19 ; MI, p. 245. Voir également Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 3 octobre 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 632, par. 31.
49 U.S. Department of the Treasury, Update to the OFAC’s SDN List, 20 September 2019 (annexe 5).
13
- 11 -
«[L]es sanctions que nous avons mises en place feront en définitive accuser au régime iranien une baisse de 10 à 15 % dans l’année à venir, [et encore] n’ont[-elles] été appliquées qu’en mai dernier [2019]. Elles sont en vigueur depuis cinq mois. Nous ne sommes qu’au début de cette campagne de sanctions.»50
2.9. L’allégation des Etats-Unis quant au caractère «vague» des demandes de l’Iran51 est infondée. Dans son mémoire, l’Iran a exposé avec force détails les mesures qui ont été progressivement mises en oeuvre par les Etats-Unis, ainsi que leurs premiers effets et leurs effets potentiels sur lui-même, sa population et ses sociétés ; il a également décrit des menaces précises du Gouvernement américain concernant l’imposition de nouvelles mesures52.
SECTION 2 LE FAIT QUE LE PLAN D’ACTION NE FASSE PAS RÉFÉRENCE AU RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS PAR LA COUR EST DÉPOURVU DE PERTINENCE
2.10. A titre subsidiaire, les Etats-Unis répètent l’observation qu’ils avaient formulée au cours de la phase des mesures conservatoires, à savoir que le plan d’action ne confère pas compétence à la Cour. Bien qu’ils reconnaissent à présent que ledit plan «ne cont[ient] aucune clause expresse faisant obstacle à [l]a saisine» de la Cour, ils affirment que «le texte, la structure et le contexte de cet instrument révèlent que les participants entendaient exclure une telle possibilité»53. Ils déclarent en particulier que le mécanisme de règlement prévu dans le plan d’action prévoit que les différends doivent être réglés par la voie politique entre les participants, et non par une quelconque juridiction54.
2.11. Le fait que le plan d’action ne fasse pas référence au règlement des différends par la Cour est toutefois dépourvu de pertinence. Comme il a été rappelé ci-dessus, force est de constater que cet instrument n’est pas l’objet du différend devant la Cour. L’objet du présent différend est le respect du traité d’amitié. Qui plus est, le plan d’action ne précise pas que son mécanisme de règlement des différends confère une sorte de compétence exclusive qui ferait obstacle à toute autre voie de règlement et pourrait, d’une manière ou d’une autre, soustraire à la compétence de la Cour tout différend relatif à des mesures susceptibles d’être également rattachées audit plan. Rien dans celui-ci ne donne à penser qu’il pourrait avoir un tel effet. La Cour a d’ailleurs déjà rejeté cet argument des Etats-Unis, aux fins de la phase des mesures conservatoires. Dans son ordonnance du 3 octobre 2018, elle a dit que «le plan d’action et son mécanisme de règlement des différends ne soustra[ya]ient pas au champ d’application ratione materiae du traité d’amitié les mesures mises en cause ni n’exclu[ai]ent l’applicabilité de sa clause compromissoire»55. Au surplus, l’allégation américaine selon laquelle le plan d’action «prévoit que les différends relevant de celui-ci sont traités et réglés par la voie politique»56 est inapplicable, pareil mécanisme n’étant ouvert qu’aux participants, ce que les Etats-Unis ne sont plus.
50 Transcript: Secretary of State Mike Pompeo on «Face the Nation», www.cbsnews.com, 22 September 2019 (les italiques sont de nous) (annexe 14).
51 EPEU, p. 10, par. 2.1, note 9.
52 MI, chap. II et III.
53 EPEU, p. 57, par. 5.17.
54 Ibid.
55 Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 3 octobre 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 635, par. 39.
56 EPEU, p. 19-20, par. 2.18-2.22, et p. 57, par. 5.17.
14
15
- 12 -
2.12. Les Etats-Unis tentent de fabriquer des «éléments de preuve» pour étayer leur argument selon lequel le différend aurait exclusivement pour objet leur retrait du plan d’action, et relèverait donc exclusivement dudit plan et non du traité d’amitié. Ils affirment que le «but [de l’Iran] est d’obtenir précisément la remise en vigueur de la levée des sanctions qu[’ils] assuraient lorsqu’ils participaient au plan d’action»57.
2.13. Cet argument ne mène nulle part. La question est de savoir s’il y a eu ou non violation du traité d’amitié. A titre d’exemple, si une mesure particulière interdisant l’exportation vers l’Iran de produits américains enfreint cet instrument, le remède approprié et même évident est une décision déclarant cette interdiction illicite et confirmant l’obligation de la lever. S’il en résulte une situation identique à celle qui prévalait avant mai 2018, c’est seulement la conséquence de l’application des principes habituels de la restitutio in integrum.
2.14. Les Etats-Unis allèguent également que l’objet du différend doit être leur retrait du plan d’action puisque «l’Iran n’ … avait … aucunement contesté l’imposition [des mesures en cause], que ce soit avant ou pendant les négociations dudit plan, en faisant valoir le traité d’amitié»58. L’Iran a bel et bien protesté contre les mesures américaines, et il maintient que l’imposition et l’exécution, par les Etats-Unis, de toutes les sanctions unilatérales le visant étaient et demeurent contraires au droit international59. L’Iran a veillé à ce qu’il soit expressément précisé dans le plan d’action que «[r]ien dans [ce dernier] ne tradui[sai]t un changement dans [s]a position … vis-à-vis des sanctions imposées par les Etats-Unis»60.
2.15. Toujours est-il que le choix du moment auquel un différend doit être porté devant la Cour relève d’un processus complexe qui fait intervenir de multiples aspects, y compris des tentatives de règlement par la voie diplomatique, une voie dont les Etats-Unis conviennent aujourd’hui qu’elle a été épuisée en l’espèce61. Un pays fort et résilient tel que l’Iran peut supporter bien des maux délibérément infligés à lui-même et à sa population. Il est toutefois des circonstances dans lesquelles il est approprié de faire usage d’autres moyens pacifiques de règlement des différends internationaux, comme le recours à la Cour conformément aux procédures préalablement convenues avec l’autre Partie. Chaque Etat a le droit et le devoir de déterminer quand ces circonstances existent, et c’est ce que l’Iran a fait en portant le présent différend devant la Cour.
2.16. En résumé, la Cour est compétente pour connaître de l’instance introduite par l’Iran, qui a pour objet l’interprétation et l’application du traité d’amitié, comme il est prévu au paragraphe 2 de l’article XXI de cet instrument. Le fait que le retrait américain du plan d’action fasse partie du contexte du différend entre les Parties n’a pas pour effet de soustraire l’une ou l’autre des demandes iraniennes à la compétence de la Cour. Comme il sera démontré dans les chapitres suivants, les violations du traité d’amitié commises par les Etats-Unis relèvent clairement des dispositions de ce traité. Et la Cour a compétence pour se prononcer sur ces violations et sur leurs conséquences dans l’exercice de sa fonction judiciaire, sans que son intégrité n’en soit nullement compromise.
57 EPEU, p. 54, par. 5.10.
58 EPEU, p. 55, par. 5.12.
59 L’Iran l’a relevé dans sa requête (p. 4, par. 2, note 2), citant en particulier le paragraphe 13 de la lettre datée du 20 juillet 2015, adressée au président du Conseil de sécurité par le représentant permanent de la République islamique d’Iran auprès de l’Organisation des Nations Unies, doc. S/2015/550 (annexe 7).
60 Plan d’action, annexe II, note 14 (MI, annexe 10). Voir également plan d’action, par. 26 («L’Iran a déclaré que le rétablissement ou la reprise de l’imposition des sanctions énoncées à l’annexe II, ou l’imposition de nouvelles sanctions liées au nucléaire, constituerait un motif justifiant de sa part le non-respect de tout ou partie de ses engagements au titre du présent Plan d’action.») (MI, annexe 10).
61 EPEU, p. 6, par. 1.13.
16
- 13 -
CHAPITRE III LA COUR A COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE À L’ÉGARD DE TOUTES LES DEMANDES FORMULÉES PAR L’IRAN POUR VIOLATION DU TRAITÉ D’AMITIÉ
SECTION 1 INTRODUCTION
3.1. Les Etats-Unis soutiennent que «la grande majorité des prétentions de l’Iran ne porte pas sur l’interprétation ou l’application du traité d’amitié et doit donc être rejetée comme échappant à la compétence de la Cour»62. Pour contester ainsi la compétence ratione materiae de la Cour, ils se fondent sur une théorie qu’ils ont introduite, celle des «mesures concernant les Etats tiers»63. Ils prétendent que les demandes de l’Iran concernent dans leur grande majorité de telles mesures, soutenant en substance qu’une mesure américaine qui pénalise une entreprise d’un Etat tiers pour avoir effectué une transaction avec l’Iran, ou avec des sociétés ou ressortissants iraniens, n’entre pas dans le champ d’application du traité d’amitié puisque –– affirment-ils –– celui-ci ne régit que les relations commerciales et consulaires bilatérales entre l’Iran et les Etats-Unis64.
3.2. Ce raisonnement est manifestement vicié, et l’Iran formulera quatre observations liminaires à cet égard.
3.3. Premièrement, la théorie des «mesures concernant les Etats tiers», dont cette exception dépend, est une pure invention des Etats-Unis et est, de surcroît, fort trompeuse ⎯ toutes les mesures américaines en cause dans la présente affaire ciblent précisément l’Iran et ses sociétés ou ressortissants, et non les Etats tiers ou leurs sociétés et ressortissants. Le 5 novembre 2018, le département du trésor américain a par exemple déclaré ceci :
«Il s’agit des sanctions américaines les plus sévères jamais imposées à l’Iran, qui vont viser des secteurs stratégiques de l’économie iranienne, tels que ceux de l’énergie, du transport maritime et de la construction navale, et de la finance.»65
3.4. A bien l’entendre, cette exception d’incompétence des Etats-Unis constitue simplement un moyen pour eux de tenter se soustraire à leur responsabilité au titre du traité d’amitié en faisant purement et simplement valoir les efforts extraordinaires qu’ils ont déployés, et les méthodes particulières auxquelles ils ont eu recours, pour cibler l’Iran ainsi que ses sociétés et ressortissants. Cela n’est pas défendable.
3.5. Deuxièmement, la Cour ne doit se préoccuper que de l’accord des parties au traité, tel qu’il est exprimé dans le libellé de ses différentes dispositions, et n’a que faire de l’application à cet instrument, pris dans son ensemble, d’une approche fondée sur quelques impressions qui, de surcroît, prend pour point de départ la théorie des «mesures concernant les Etats tiers» (une création toute
62 EPEU, p. 94, par. 7.1.
63 Ibid. Les Etats-Unis ne soulèvent pas la question de l’applicabilité des dispositions du traité s’agissant d’une autre catégorie de leurs mesures, qui concerne selon leurs termes la «révocation de certaines mesures d’autorisation concernant les tapis, les denrées alimentaires, les aéronefs de transport commercial de passagers ou leurs pièces détachées, ainsi que les activités d’entités étrangères détenues ou contrôlées par des Américains» : voir ibid., p. 97, par. 7.9.
64 Voir, par exemple, EPEU, p. 39, par. 3.6, et p. 94, par. 7.3.
65 U.S. Department of Treasury, Resource Center, Webpage “Iran Sanctions” (MI, annexe 20).
17
18
- 14 -
nouvelle qui n’a aucune place en droit international, et encore moins dans le traité). Il est utile de prendre comme exemple une disposition bien connue de la Cour, le paragraphe 1 de l’article X du traité. A la différence de certaines des dispositions que l’Iran invoque, ledit paragraphe contient bel et bien une forme de limitation territoriale bilatérale66 et pourrait donc être présumé aller dans le sens de cette thèse des Etats-Unis. Pourtant, lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a eu manquement à l’obligation d’assurer la «liberté de commerce … entre les territoires des deux Hautes Parties contractantes», il est totalement indifférent que l’entrave à ladite liberté prenne la forme :
a) du retrait par les Etats-Unis d’une autorisation permettant à une société américaine de vendre des produits (par exemple des aéronefs et des pièces détachées d’aéronefs, des médicaments ou des produits agricoles) à une société iranienne ; ou
b) d’une sanction américaine frappant une banque, une compagnie d’assurance ou une entreprise de transport maritime d’un Etat tiers qui empêche la société iranienne de payer, d’assurer ou d’acquérir physiquement les produits vendus par la société américaine (ou d’empêcher de la même manière une société américaine de payer (etc.) un produit vendu par une société iranienne).
Ce qui importe dans un cas comme dans l’autre, c’est de savoir si les Etats-Unis ont entravé la liberté de commerce entre les territoires iranien et américain, et non si cette entrave a été causée par une mesure dirigée en premier lieu contre une entité américaine ou contre une entité non américaine.
3.6. Troisièmement, et dans le droit fil de ce qui précède, il convient de souligner que la requête présentée par l’Iran en l’espèce repose sur l’application de certaines dispositions du traité, telles qu’interprétées conformément aux règles classiques qui sont codifiées dans la convention de Vienne sur le droit des traités. Chacune de ces dispositions vise à imposer certaines obligations et limites dans la façon dont une partie contractante peut exercer sa compétence, accordant de ce fait une protection ou un droit particulier à l’autre partie contractante, ou à ses sociétés et ressortissants. Ce n’est pas parce que les Etats-Unis ont choisi d’exercer leur compétence de manières extraordinaires ⎯ en ciblant les liens économiques et commerciaux de l’Iran, ainsi que de ses sociétés et ressortissants, avec des sociétés tant américaines que non américaines, d’une façon que les rédacteurs du traité n’avaient peut-être pas immédiatement à l’esprit en 1955 ⎯ que les règles classiques de l’interprétation des traités cessent de s’appliquer :
a) le sens ordinaire du texte demeure essentiel, et c’est en se référant à ce sens que l’Iran présente ses demandes. Comme l’a relevé Sir Ian Sinclair à la conférence de Vienne,
«nombre des problèmes qui se posent en matière d’interprétation des traités n’étaient même pas venus à l’esprit des auteurs de ces derniers … «il est plus sage et plus équitable de partir du principe que le texte représente l’intention commune de ces auteurs et que l’interprétation a essentiellement pour but d’élucider le sens de ce texte à la lumière de certains facteurs précis et pertinents»»67 ;
b) s’agissant du contexte, il est notable que certaines des dispositions du traité contiennent des limitations territoriales. Lorsque tel est le cas, l’Iran attribue à ces dispositions tout le sens et l’effet qui est le leur. Il relève cependant aussi que l’inclusion de limitations territoriales dans certaines dispositions constitue un élément de contexte important aux fins de l’interprétation de celles qui n’en contiennent pas. La déduction évidente est que cette absence est délibérée, et
66 Paragraphe 1 de l’article X : «Il y aura liberté de commerce et de navigation entre les territoires des deux Hautes Parties contractantes.» (MI, annexe 1).
67 Voir Gardiner, Treaty Interpretation, 2e éd., p. 7, faisant référence à I. Sinclair, Conférence des Nations Unies sur le droit des traités, première session (26 mars-24 mai 1968), documents officiels : comptes rendus analytiques, p. 177, par. 6.
19
- 15 -
qu’une limitation territoriale ne saurait en quelque sorte être lue là où elle a été omise, comme les Etats-Unis tentent de le faire ici ;
c) pour ce qui est de l’objet et du but, ainsi qu’il sera expliqué plus en détail dans la section 2 ci-après, les Etats-Unis mettent indûment l’accent sur une interprétation trop restrictive du préambule du traité. Ils ne tiennent aucun compte de la conclusion de la Cour en l’affaire des Plates-formes pétrolières, à savoir que les paragraphes 1 des articles IV et X de cet instrument doivent être interprétés au regard de son article premier :
«A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que l’objectif de paix et d’amitié proclamé à l’article premier du traité de 1955 est de nature à éclairer l’interprétation des autres dispositions du traité, et notamment celle des articles IV et X. L’article premier n’est ainsi pas sans portée juridique pour une telle interprétation, mais il ne saurait, pris isolément, fonder la compétence de la Cour.»68
Cette conclusion se rapporte à l’interprétation des dispositions invoquées devant la Cour en l’espèce, et le raisonnement s’applique tout autant aux autres dispositions que l’Iran fait valoir. Or, les Etats-Unis font abstraction de l’article premier69. La raison en est que, interprétée à la lumière de l’«objectif de paix et d’amitié proclamé à l’article premier», comme l’exige l’analyse antérieure de la Cour, une disposition conventionnelle telle que le paragraphe 1 de l’article IV ne pourrait être lue que comme interdisant à une Partie de nuire délibérément aux activités économiques des ressortissants et sociétés de l’autre Partie, que ces activités concernent ou non des transactions avec des sociétés ou ressortissants américains. Le fait de porter sciemment un tel préjudice économique aux sociétés et ressortissants iraniens est inconciliable avec l’objectif de paix et d’amitié poursuivi, et l’obligation (entre autres) d’accorder un traitement juste et équitable auxdits sociétés et ressortissants, interprétée à la lumière de cet objectif, ne saurait être restreinte artificiellement comme les Etats-Unis cherchent maintenant à le faire, c’est-à-dire au seul motif que le préjudice économique recherché (le traitement injuste et inéquitable) est obtenu par l’imposition d’une sanction à une société ou à un ressortissant d’un autre Etat.
3.7. Quatrièmement, et à rebours de cette approche, les Etats-Unis cherchent à détourner l’attention du libellé des dispositions particulières du traité, invitant en lieu et place la Cour à analyser le traité d’amitié sur la base
a) d’un récit sélectif de l’histoire de leur programme de traités d’amitié, de commerce et de navigation70,
b) suivi d’une exégèse de leur position quant à l’objet et au but du traité d’amitié71,
c) le sens ordinaire des dispositions du traité, qui devrait pourtant être le point de départ, se trouvant relégué en troisième position dans l’analyse.
3.8. Ce n’est donc qu’après avoir fait une présentation partiale du «texte et [du] contexte du traité dans son ensemble» que les Etats-Unis en viennent aux dispositions particulières de cet
68 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 815, par. 31.
69 Voir l’unique référence, destinée notamment à illustrer le poids à accorder au préambule du traité, dans EPEU, p. 104, note 323.
70 EPEU, p. 36-37, par. 3.3-3.4.
71 EPEU, p. 96, par. 7.6-7.7.
20
21
- 16 -
instrument72. De fait, non seulement ils abordent l’exercice d’interprétation précisément de la manière qu’ils prétendent rejeter, c’est-à-dire sur la base de «quelques impressions»73, mais leur récit du «contexte» du traité, même à le supposer véridique, ne leur est du reste pas d’un grand secours. A titre d’exemple, ils se réfèrent aux écrits de Hermann Walker, qui a
«expliqué que la réticence des rédacteurs américains [des traités d’amitié] à accorder davantage de protections aux sociétés étrangères «pouvait découler en partie de la crainte que de tels engagements ne permettent l’acquisition sous cape de certains droits au profit d’intérêts liés à des Etats tiers»»74.
Or, l’affaire dont la Cour est actuellement saisie n’a rien à voir avec de prétendus droits «d’intérêts liés à des Etats tiers». Elle se rapporte ⎯ exclusivement ⎯ au préjudice économique délibéré causé par l’une des Parties au traité d’amitié aux sociétés et ressortissants de l’autre Partie, ainsi qu’au non-respect des protections conférées à ceux-ci par cet instrument75.
3.9. Dans le présent chapitre, compte tenu de ces quatre observations liminaires, l’Iran répondra, en se référant aux termes précis de chacune des dispositions du traité en cause, à l’exception d’incompétence ratione materiae que les Etats-Unis ont soulevée sur la base de leur théorie des «mesures concernant les Etats tiers».
3.10. S’agissant de la manière dont il convient généralement d’aborder les exceptions d’incompétence ratione materiae, les Parties conviennent que, conformément au critère bien connu énoncé en l’affaire des Plates-formes pétrolières, la Cour
«doit rechercher si les violations du traité de 1955 alléguées par l’Iran entrent ou non dans les prévisions de ce traité et si, par suite, le différend est de ceux dont [elle] est compétente pour connaître ratione materiae par application du paragraphe 2 de l’article XXI»76.
3.11. Il convient également de relever que les Etats-Unis n’ont nullement tenté de réfuter les faits exposés dans le mémoire de l’Iran au sujet des effets concrets de leurs mesures, lesquels faits semblent incontestables. Ces faits doivent, ne serait-ce que pour établir ici la compétence de la Cour,
72 EPEU, p. 106, par. 7.25 et suiv.
73 EPEU, p. 41, par. 4.7, faisant référence à Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), opinion individuelle de Mme la juge Higgins, p. 855, par. 29.
74 EPEU, p. 105, par. 7.23, faisant référence à EPEU, annexe 156.
75 En outre, M. Walker écrivait spécifiquement au sujet de l’abus potentiel de la personnalité morale et donc de l’inclusion, dans les traités d’amitié, de clauses relatives au refus d’accorder des avantages. Le traité d’amitié qui nous occupe ici ne contient pas une telle clause, et l’abus de la personnalité morale est dépourvu de toute pertinence aux fins de la présente affaire. Voir ibid.
76 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 810, par. 16 ; voir la référence à ce point dans EPEU, p. 43, par. 4.7. A cet égard, il est noté que les Parties conviennent qu’il peut être utile de se référer au critère énoncé par Mme la juge Higgins dans l’exposé de son opinion individuelle en l’affaire des Plates-formes pétrolières, à savoir :
«La Cour ne peut établir l’existence d’un différend relatif à l’interprétation et à l’application du traité de 1955 qui relève des dispositions du paragraphe 2 de l’article XXI qu’en interprétant les articles que l’Iran prétend avoir été violés du fait que les Etats-Unis ont détruit les plates-formes pétrolières. La Cour doit … procéder à une analyse détaillée.»
22
- 17 -
être tenus pour vrais77. Aux fins de la présente phase de l’affaire, la Cour devra donc interpréter une série de dispositions conventionnelles — les articles IV (paragraphes 1 et 2), V (paragraphe 1), VII (paragraphe 1), VIII (paragraphes 1 et 2), IX (paragraphes 2 et 3) et X (paragraphe 1) — conformément aux règles classiques qui sont codifiées dans la convention de Vienne sur le droit des traités, et rechercher si, au vu des faits allégués par l’Iran, il pourrait exister une violation d’une ou de plusieurs de ces dispositions. Les faits pertinents sont notamment les suivants :
a) les mesures américaines, y compris celles «concernant les Etats tiers», ont pour objet et pour effet de priver les sociétés et ressortissants iraniens de leurs biens et entreprises, ou de détruire ceux-ci ou d’y porter atteinte, à une échelle presque inconcevable. Ces mesures ont eu pour conséquence ou sont en passe d’annihiler l’existence même de sociétés et d’entreprises iraniennes dans de multiples secteurs78 ;
b) les sociétés et ressortissants d’Iran exerçant leur activité dans les secteurs essentiels de l’économie iranienne sont la cible délibérée des mesures des Etats-Unis, qui ont pour but de leur causer un préjudice économique, ainsi qu’à l’Iran dans son ensemble. Au nombre des secteurs visés figurent ceux du pétrole, du gaz et de l’énergie79, de la finance et de la banque (les établissements bancaires iraniens se trouvant ainsi coupés de la communauté bancaire internationale)80, de l’aviation civile (la sécurité des passagers, équipages et autres clients des compagnies aériennes iraniennes se trouvant ainsi compromise)81, de l’automobile, du transport maritime et de la construction navale82, de l’assurance83, et même ceux de la santé et de l’agriculture84 ;
c) les sanctions détruisent l’économie et la monnaie de l’Iran, poussent des millions de personnes dans la pauvreté et rendent les biens importés inabordables. Selon le FMI, en 2018, le PIB réel de l’Iran a chuté de 4,8 %, les prix à la consommation ont fait un bond de 30,5 % et le chômage a augmenté de 14,5 %85. Le FMI estime en outre que, en 2019, le PIB réel accusera une nouvelle baisse de 9,5 %, tandis que les prix à la consommation et le chômage enregistreront de nouvelles hausses de 35,7 et de 16,8 %, respectivement. Les Etats-Unis ont beau prétendre que certaines activités commerciales échappent en théorie à leurs mesures, ces dernières empêchent l’Iran d’importer des produits humanitaires urgents. Les sanctions américaines ont sur les fournisseurs
77 Même si ces faits fondamentaux étaient contestés d’une manière ou d’une autre, la Cour n’aurait pas à se prononcer à ce sujet au stade des exceptions préliminaires. Voir Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), opinion individuelle de Mme la juge Higgins, p. 855-856, par. 29 et 32 :
«Le seul moyen d’établir en la présente instance si les demandes de l’Iran sont fondées de façon assez plausible sur le traité de 1955 consiste à accepter provisoirement que les faits allégués par l’Iran sont vrais et à interpréter dans cette optique les articles premier, IV et X du traité à des fins juridictionnelles, c’est-à-dire pour voir s’il est possible, sur la base des faits invoqués par l’Iran, qu’il y ait violation de l’une au moins de ces dispositions.»
Voir EPEU, p. 44, par. 4.7, faisant référence à l’opinion individuelle de Mme la juge Higgins, p. 855, par. 29. Il est présumé que les Etats-Unis font également leur l’autre passage cité ci-dessus.
78 Voir, par exemple, MI, p. 106-116, par. 3.81-3.101, et p. 155, par. 4.48.
79 Voir, par exemple, MI, p. 77-87, par. 3.26-3.44, et p. 157-158, par. 4.51-4.56.
80 Voir, par exemple, MI, p. 67-77, par. 3.3-3.25, et p. 161-164, par. 4.57-4.62.
81 Voir, par exemple, MI, p. 88-94, par. 3.45-3.59, et p. 164-167, par. 4.63-4.68.
82 Voir, par exemple, MI, p. 95-106, par. 3.60-3.80, et p. 167-171, par. 4.69-4.76.
83 Voir, par exemple, MI, p. 74-76, par. 3.18-3.20, et p. 173-174, par. 4.77-4.79.
84 Voir, par exemple, MI, p. 116-125, par. 3.103-3.123, p. 127-130, par. 3.130-3.135, et p. 176-180, par. 4.83-4.88.
85 FMI, Perspectives de l’économie mondiale : ralentissement de l’activité manufacturière et augmentation des obstacles au commerce, octobre 2019, p. 63 (annexe 4).
23
24
- 18 -
de tous les Etats un «effet dissuasif» «susceptible d’entraîner des morts silencieuses dans les hôpitaux à mesure que les médicaments s’épuisent»86.
3.12. Enfin, il est rappelé que la Cour a déjà conclu au stade des mesures conservatoires qu’elle avait compétence prima facie à l’égard des demandes de l’Iran et que les droits invoqués par celui-ci sur le fondement du traité étaient plausibles87. Quelque peu sur la défensive, les Etats-Unis affirment que l’analyse applicable au stade des mesures conservatoires n’a «fondamentalement rien à voir» avec celle à mener lors de la phase des exceptions préliminaires88, alors qu’il s’agit de répondre à la même question élémentaire dans les deux cas, la seule différence tenant au seuil applicable : au stade des mesures conservatoires, la question est de savoir si les actes dont le demandeur tire grief sont prima facie susceptibles d’entrer dans les prévisions du traité à l’examen.
3.13. Il est singulier que les Etats-Unis citent à maintes reprises un passage isolé de l’ordonnance du 3 octobre 2018 comme si, d’une manière ou d’une autre, il venait étayer leur thèse89. Dans cette ordonnance, la Cour n’a pas considéré que le libellé du traité d’amitié rendait ce dernier inapplicable relativement à ce qu’ils appellent ici les «mesures concernant les Etats tiers». Au contraire, si elle a déterminé que le remède exceptionnel des mesures conservatoires était justifié, c’était notamment parce qu’elle était préoccupée par les mesures américaines touchant les «banques étrangères», c’est-à-dire par ce que le défendeur appellerait aujourd’hui les «mesures concernant les Etats tiers» :
«A cet égard, la Cour fait observer que, en raison desdites mesures, certaines banques étrangères se sont retirées d’accords financiers ou ont suspendu leur coopération avec les banques iraniennes. Certaines de ces banques refusent aussi d’accepter des transferts ou d’assurer les services correspondants. Il est donc devenu difficile sinon impossible pour l’Iran, ainsi que pour les sociétés et ressortissants iraniens, d’effectuer des transactions financières internationales aux fins d’acquérir certains produits pourtant non visés, en principe, par les mesures américaines, notamment des denrées alimentaires et des fournitures ou équipements médicaux.»90
3.14. Or, selon la thèse des Etats-Unis, ce raisonnement et la protection que la Cour a accordée à cet égard aux droits que l’Iran tient du traité devraient être écartés. Peu importerait de savoir à quel point les sanctions américaines sont spécialement ciblées sur la capacité des sociétés et ressortissants iraniens d’effectuer les transactions internationales les plus élémentaires (dont les opérations bancaires), ou à quel point les mesures américaines visant les sociétés et ressortissants iraniens peuvent être discriminatoires et arbitraires ; peu importerait que ces mesures aient infligé ou aient été destinées à infliger de graves restrictions et pertes aux sociétés et ressortissants iraniens, dont des pertes en vies humaines en raison de l’indisponibilité de médicaments et de produits médicaux ; les
86 OHCHR, “Iran sanctions are unjust and harmful, says UN expert warning against generalised economic war”, 22 August 2018 (MI, annexe 130).
87 Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 3 octobre 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 638, par. 52, et p. 643-644, par. 70.
88 EPEU, p. 44, par. 4.8.
89 EPEU, p. 94, par. 7.3, et p. 103, par. 7.18, faisant référence à Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 3 octobre 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 635-636, par. 43.
90 Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 3 octobre 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 649, par. 89.
25
- 19 -
multiples dispositions du traité d’amitié qui, à première vue, protègent les droits de l’Iran, ou de ses ressortissants et sociétés, dans ces domaines seraient inapplicables, d’après la thèse américaine.
SECTION 2 LES DEMANDES DE L’IRAN AU TITRE DES PARAGRAPHES 1 ET 2 DE L’ARTICLE IV ET DU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE V DU TRAITÉ D’AMITIÉ
3.15. Les paragraphes 1 et 2 de l’article IV et le paragraphe 1 de l’article V du traité d’amitié prévoient un vaste éventail de droits et de protections au bénéfice des sociétés et ressortissants iraniens (et américains). En présentant leur argument au sujet de ces dispositions du traité, les Etats-Unis affirment que celles-ci «ne prévoient aucune obligation à l’égard des pays tiers ou des sociétés et ressortissants de ces derniers»91, ce qui est infondé et erroné. Ils ont beau chercher à introduire une distinction artificielle entre a) leurs mesures d’embargo sur les importations et exportations depuis ou vers l’Iran et b) leurs «mesures concernant les Etats tiers», la réalité est que, comme il a déjà été relevé, toutes les mesures en cause dans la présente affaire ciblent ⎯ de manière tout à fait précise et délibérée ⎯ les sociétés et ressortissants iraniens, ainsi que l’Iran lui-même92.
3.16. La question est de savoir si cette prise pour cible, par les Etats-Unis, des sociétés et des ressortissants iraniens fait entrer en jeu le vaste éventail des droits et protections prévus par les paragraphes 1 et 2 de l’article IV et par le paragraphe 1 de l’article V, et non de savoir si ces dispositions énoncent aussi précisément des obligations à l’égard de pays tiers.
A. Paragraphe 1 de l’article IV du traité d’amitié
3.17. S’agissant tout d’abord du paragraphe 1 de l’article IV, il est rappelé que cette disposition établit trois protections distinctes mais liées au bénéfice des sociétés et ressortissants iraniens :
«Chacune des Hautes Parties contractantes accordera en tout temps un traitement juste et équitable aux ressortissants et aux sociétés de l’autre Haute Partie contractante, ainsi qu’à leurs biens et à leurs entreprises ; elle ne prendra aucune mesure arbitraire ou discriminatoire pouvant porter atteinte à leurs droits ou à leurs intérêts légalement acquis et, en conformité des lois applicables en la matière, elle assurera des voies d’exécution efficaces à leurs droits contractuels légitimement nés.»
3.18. Comme il a été exposé aux paragraphes 4.10 à 4.30 et 4.45 à 4.110 du mémoire de l’Iran, les mesures américaines en cause dans la présente affaire font entrer en jeu les protections prévues par le paragraphe 1 de l’article IV. En résumé, l’argumentation de l’Iran consiste (notamment) à dire que ces mesures sont arbitraires, disproportionnées et discriminatoires. Elles visent expressément, par tous les aspects de leur mise en oeuvre, à porter préjudice aux sociétés et ressortissants iraniens qui en sont la cible, et précisément à eux. Et ce, non pas en réponse à un quelconque acte de ces sociétés et ressortissants, mais du fait de leur importance pour l’économie iranienne. Comme le président américain l’a indiqué dans son mémorandum du 8 mai 2018, «[a]utant qu’il est raisonnablement possible, ces dispositions doivent être conçues de manière que la charge financière
91 EPEU, p. 106, par. 7.26.
92 Voir, par exemple, U.S. Department of Treasury, Resource Center, Webpage “Iran Sanctions” (MI, annexe 20).
26
- 20 -
résultant de la cessation de toute opération ou relation d’affaires pèse principalement sur l’Iran ou sur la contrepartie iranienne»93.
3.19. Selon la thèse des Etats-Unis, toutefois, peu importe qu’une mesure américaine vise les sociétés et ressortissants iraniens et qu’elle leur porte délibérément préjudice ; l’important, selon eux, est de savoir si la sanction américaine est directement dirigée contre une entité d’un Etat tiers et la transaction de cette entité avec la société ou le ressortissant iranien.
3.20. Les Etats-Unis n’avancent qu’un seul argument textuel à l’appui de cette proposition. Ils soutiennent que le paragraphe 1 de l’article IV impose uniquement de se demander s’ils «ont «accordé» ou appliqué [aux] ressortissants ou sociétés [iraniens] … un traitement ou des mesures déraisonnables ou discriminatoires» et prétendent que, dans le cas des «mesures concernant les Etats tiers», c’est «aux» ressortissants et sociétés de pays tiers qu’un traitement a été appliqué 94. Cette interprétation du paragraphe 1 de l’article IV n’est pas défendable :
a) elle est incompatible avec ce que l’on entend d’ordinaire par accorder «un traitement juste et équitable aux ressortissants et aux sociétés». Rien dans cette formulation large ne donne à penser que la mesure en question doit être appliquée directement à ces ressortissants et sociétés. Ce qui importe, c’est la manière dont les ressortissants et sociétés sont traités. Si leurs activités économiques sont délibérément prises pour cible par des mesures dirigées en premier lieu contre une tierce partie (qui n’est toutefois pas la cible réelle mais seulement un moyen de parvenir à une fin), cela tombe naturellement sous le coup de l’exigence d’un «traitement juste et équitable aux ressortissants et aux sociétés». Dans le meilleur des cas, les Etats-Unis entendent introduire le mot «directement» entre «équitable» et «aux», alors que rien n’indique de quelque façon que ce soit que telle était l’intention des Parties (il n’est du reste pas clair que, même moyennant cette insertion, le texte aurait le sens qu’ils défendent) ;
b) un traitement juste et équitable doit au contraire être accordé «en tout temps» aux ressortissants et aux sociétés, ce qui dénote une intention d’assurer la protection la plus efficace possible ;
c) loin de la considérer comme limitée et exigeant une interprétation restrictive, les négociateurs américains des traités d’amitié estimaient que la norme du traitement juste et équitable avait pour rôle de combler une lacune. Ainsi qu’il est relevé dans le mémoire de l’Iran95, ce qui n’a d’ailleurs pas été contesté, cette norme était donc censée constituer «un principe directeur auquel il [était] possible d’avoir recours dans les cas de figure où aucune règle spécifique du traité n’[était] applicable ou pour lesquels les règles spécifiques du traité ne fourniss[ai]ent pas de norme de traitement adéquate»96, et avait vocation à «suggérer une règle générale d’interprétation large et non pas étroite des dispositions du traité»97. Les Etats-Unis cherchent à interpréter et à appliquer
93 Présidence des Etats-Unis, mémorandum du 8 mai 2018 (MI, annexe 31).
94 EPEU, p. 107-108, par. 7.30-7.31.
95 MI, p. 141, par. 4.14.
96 Instruction dated 30 October 1953 from the Department of State to the U.S. High Commissioner in Bonn, NARA, Record Group 59, Department of State File No. 611.62A4/10-653, K. Vandevelde, The First Bilateral Investment Treaties, p. 402-403.
97 K. Vandevelde, The First Bilateral Investment Treaties, p. 405-406, citant Instruction dated 30 October 1953 from the Department of State to the U.S. High Commissioner in Bonn, NARA, Record Group 59, Department of State File No. 611.62A4/10-653 ; Despatch dated 26 February 1954 from the U.S. High Commissioner in Bonn to the Department of State, NARA, Record Group 59, Department of State File No. 611.62A4/ 2-2654 ; Airgram dated 31 December 1951 from the Department of State to the U.S. Political Adviser in Tokyo, NARA, Record Group 59, Department of State File No. 611.944/12-751. Il est ensuite indiqué : «Quand plusieurs interprétations du texte du traité étaient possibles, il convenait de privilégier celle qui aboutirait à un résultat équitable. En d’autres termes, il s’agissait d’un principe d’interprétation pour les autres dispositions du traité.»
27
28
- 21 -
la norme (ainsi qu’à dépeindre leur propre intention au moment où le traité a été négocié) de manière à atteindre précisément l’effet contraire ;
d) à cet égard, si elles avaient entendu assurer un «traitement juste et équitable directement aux» ressortissants et sociétés, les Parties auraient employé une formulation analogue dans le reste du paragraphe 1 de l’article IV. Or on n’en trouve aucune trace. De fait, même si on l’acceptait telle quelle, l’interprétation américaine du «traitement … aux» ne s’appliquerait pas en ce qui concerne l’interdiction des «mesure[s] arbitraire[s] ou discriminatoire[s] pouvant porter atteinte [aux] droits ou … intérêts légalement acquis» par lesdits ressortissants et sociétés. Rien ne donne à penser dans ce passage que, pour constituer une atteinte, la mesure doit être appliquée «aux», et encore moins «directement aux», ressortissants ou sociétés concernés. La même remarque vaut également pour la dernière partie du paragraphe 1 de l’article IV, qui établit l’obligation inconditionnelle d’assurer des voies d’exécution efficaces aux droits contractuels légitimement nés. Pareils droits ne se limitent pas, par exemple, aux droits découlant de contrats conclus entre des sociétés ou ressortissants iraniens et des sociétés ou ressortissants américains.
3.21. En outre, lue en son sens ordinaire, la norme du traitement juste et équitable énoncée au paragraphe 1 de l’article IV ne devrait pas être interprétée comme supposant une quelconque forme de restriction territoriale ; il n’en est rien. C’est là un point évident que les Etats-Unis tentent d’éluder, alors qu’une telle restriction n’aurait pu être omise par inadvertance.
a) Différentes autres dispositions du traité d’amitié contiennent effectivement une restriction territoriale : c’est ainsi que, dans la première phrase du paragraphe 2 de l’article IV, l’obligation d’assurer de la manière la plus constante la protection et la sécurité des biens appartenant aux ressortissants et aux sociétés ne s’applique que «dans les territoires de l’autre Haute Partie contractante». Les Parties conviennent que certaines dispositions du traité renferment une limitation territoriale expresse. Selon l’argumentation des Etats-Unis concernant la portée prévue du traité, l’inclusion d’une telle limitation expresse n’était pas nécessaire et celle-ci devrait être tenue pour superflue, tandis que son absence dans d’autres dispositions n’aurait aucune importance. Cela n’a aucun sens. Au contraire, l’inclusion d’une limitation expresse dans la première phrase du paragraphe 2 de l’article IV reflète le fait que les pouvoirs juridictionnels des Parties sont restreints lorsqu’il s’agit d’assurer des choses comme la protection physique des biens appartenant aux ressortissants et aux sociétés de l’autre Partie. A titre d’exemple, les Etats-Unis ne sauraient assurer la protection physique des biens d’une société iranienne en dehors des limites de leur propre juridiction territoriale. En revanche, la juridiction qu’un Etat peut exercer n’est pas limitée de la sorte lorsqu’il en va de la norme du traitement juste et équitable. L’on conçoit aisément qu’une Partie au traité puisse se livrer en dehors de son propre territoire à quelque acte arbitraire qui cause, peut-être même à dessein, un préjudice à un ressortissant ou à une société de l’autre Partie. Le paragraphe 1 de l’article IV interdit un tel acte.
b) En outre, la Cour a déjà constaté l’absence de limitation territoriale au paragraphe 1 de l’article IV et lui a donné effet. En l’affaire des Plates-formes pétrolières, dans le droit fil de leur argument actuel relatif aux «mesures concernant les Etats tiers», les Etats-Unis avaient affirmé, au sujet de la disposition précitée, que les actes prétendument commis par eux ne concernaient pas des sociétés ou ressortissants iraniens se trouvant sur le territoire américain, de sorte que la Cour n’avait pas compétence. Celle-ci a rejeté cet argument dans les termes suivants :
«La Cour observera tout d’abord que le paragraphe 1 de l’article IV, contrairement aux autres paragraphes du même article, ne comporte aucune limitation territoriale. La garantie générale offerte par le paragraphe 1 a de ce fait une portée plus vaste que les obligations particulières énoncées en matière d’expropriation, de troubles
29
30
- 22 -
de jouissance ou de gestion des entreprises par les autres paragraphes. La Cour ne saurait par suite accueillir l’argumentation des Etats-Unis sur ce point.»98
c) Si elle a rejeté l’argumentation que l’Iran avait alors avancée au sujet de l’applicabilité potentielle du paragraphe 1 de l’article IV, la Cour a toutefois employé des termes qui montrent comment il convient aujourd’hui d’aborder cette disposition. Elle a ainsi dit que les différents éléments de celle-ci «vis[aient] la manière dont les personnes physiques et morales en cause d[evai]ent, dans l’exercice de leurs activités privées ou professionnelles, être traitées par l’Etat concerné»99. Les griefs formulés en l’espèce ont clairement trait à la manière dont les sociétés et ressortissants iraniens sont, dans l’exercice de leurs activités privées ou professionnelles, traités par les Etats-Unis. Les mesures américaines qui sont aujourd’hui en cause entravent délibérément et radicalement l’exercice desdites activités.
d) L’interprétation des dispositions du traité doit tenir dûment compte de la présence ou de l’absence d’une restriction territoriale dans une disposition donnée, et non reposer sur l’hypothèse erronée que cet instrument ne se rapporte qu’à la protection des investissements situés dans un Etat hôte, comme pourrait le faire un traité moderne de protection des investissements. Pareils instruments (ou les chapitres consacrés à la protection des investissements dans les accords de libre-échange) contiennent des exigences spécifiques en matière de compétence — il faut en général qu’il y ait un «investisseur» admissible ayant effectué sur le territoire de l’Etat hôte un «investissement» relevant de l’accord ⎯, et les protections prévues par leurs dispositions de fond sont habituellement subordonnées au respect de ces exigences. Le traité d’amitié ne contient pas d’exigences juridictionnelles équivalentes, et les protections prévues par ses dispositions de fond ne sauraient être en quelque sorte interprétées comme supposant de telles exigences.
3.22. L’exception américaine n’est pas non plus étayée par une interprétation du libellé du paragraphe 1 de l’article IV à la lumière de l’objet et du but du traité d’amitié, alors même que c’est sur ce point que les Etats-Unis entendent axer leur argument. Le défendeur appelle à maintes reprises l’attention sur la déclaration, dans le préambule de cet instrument, selon laquelle les Parties sont animées du désir d’«encourager les échanges et les investissements mutuellement profitables et l’établissement de relations économiques plus étroites entre leurs peuples et de régler leurs relations consulaires»100. Il invoque cette déclaration pour accréditer l’idée que le traité ne se rapporte qu’à la protection des activités de commerce et d’investissement d’une Partie «sur le territoire de l’autre Partie, ou [dans le cadre] des échanges entre l’une et l’autre»101.
3.23. Cela appelle trois observations.
3.24. Premièrement, un examen de l’objet et du but du traité d’amitié est évidemment important pour en interpréter dûment les dispositions102. Cependant, le fait que l’un des objets du traité soit d’encourager les échanges et les investissements mutuellement profitables (etc.) ne signifie pas que cet instrument ou ses dispositions aient exclusivement trait aux activités menées par une Partie «sur le territoire de l’autre Partie, ou [dans le cadre] des échanges entre l’une et l’autre»103.
98 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 816, par. 35.
99 Ibid., p. 816, par. 36.
100 Voir, par exemple, EPEU, p. 36, par. 3.2, p. 45, par. 4.10, et p. 104, par. 7.21.
101 EPEU, p. 36, par. 3.2, et p. 45, par. 4.10.
102 Voir, par exemple, Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 28, par. 57.
103 Voir EPEU, p. 36, par. 3.2, et p. 45, par. 4.10.
31
- 23 -
L’objet consistant à encourager les échanges et les investissements mutuellement profitables est également servi par des restrictions contre le traitement défavorable des ressortissants et sociétés de l’autre Partie dès lors qu’il s’agit d’une affirmation de compétence — et non pas uniquement d’un cas relevant de la juridiction territoriale — de la Partie qui prend une mesure donnée.
3.25. Deuxièmement, les Etats-Unis plaident comme si l’on ne pouvait déduire qu’un seul objet et un seul but du préambule. Tel n’est pas le cas. Le préambule précise expressément que les Parties sont «animé[e]s du désir de développer les relations amicales qui unissent depuis longtemps leurs deux peuples, de réaffirmer dans la direction des affaires humaines les principes supérieurs auxquels [elles] sont attaché[e]s» ; ce n’est qu’ensuite qu’apparaît le passage sur lequel le défendeur se focalise (à l’exclusion de tout le reste). Le paragraphe 1 de l’article IV, de même que les autres dispositions que l’Iran invoque, doit être interprété aussi à la lumière de ces objets également. Le traité n’est pas subdivisé en sections, dont l’une serait consacrée aux échanges et aux investissements et à laquelle un seul des objets indiqués dans le préambule pourrait être considéré comme applicable. Le fait que le traité interdise de porter délibérément préjudice aux activités économiques des ressortissants et sociétés de l’autre Partie s’inscrit également dans la logique des objets consistant à «développer … des relations amicales» et à «réaffirmer dans la direction des affaires humaines les principes supérieurs» des Parties, qui étayent cette interprétation.
3.26. Troisièmement, comme il a déjà été relevé plus haut, les Etats-Unis ne tiennent absolument aucun compte du rôle joué par «l’objectif de paix et d’amitié proclamé à l’article premier du traité» ⎯ nonobstant le dictum exprès que la Cour a prononcé sur ce point en l’affaire des Plates-formes pétrolières104. Ils font donc abstraction du fait que porter sciemment un préjudice économique aux sociétés et ressortissants iraniens est inconciliable avec l’objectif de paix et d’amitié poursuivi, et que l’obligation d’accorder un traitement juste et équitable auxdits sociétés et ressortissants, interprétée à la lumière de cet objectif, ne saurait être restreinte artificiellement au seul motif que le préjudice économique recherché (le traitement injuste et inéquitable) est obtenu par l’imposition d’une sanction à une société ou à un ressortissant d’un autre Etat.
3.27. Au vu de tout ce qui précède, l’exception d’incompétence ratione materiae que les Etats-Unis ont soulevée au sujet du paragraphe 1 de l’article IV devrait être rejetée. Ce n’est pas procéder à une interprétation de bonne foi que de chercher à requalifier une série de mesures ciblant précisément et délibérément l’Iran, ainsi que ses ressortissants et sociétés, pour les présenter comme des «mesures concernant les Etats tiers», puis de tenter d’introduire dans le paragraphe 1 de l’article IV une limitation territoriale stricte qui ne trouve aucune place dans le libellé réel de cette disposition.
B. Paragraphe 2 de l’article IV du traité d’amitié
3.28. Pour ce qui est du paragraphe 2 de l’article IV, il est rappelé qu’il établit deux autres protections distinctes au bénéfice des sociétés et ressortissants iraniens, disposant ce qui suit dans son passage pertinent :
«La protection et la sécurité des biens appartenant aux ressortissants et aux sociétés de l’une des Hautes Parties contractantes, y compris les participations dans des biens, seront assurées de la manière la plus constante dans les territoires de l’autre Haute Partie contractante, et ne seront inférieures en aucun cas aux normes fixées par le droit
104 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 815, par. 31. Voir plus haut, par. 3.6.
32
33
- 24 -
international. Lesdits biens ne pourront être expropriés que pour cause d’utilité publique et moyennant le paiement rapide d’une juste indemnité.»
3.29. L’argumentation de l’Iran relative à la manière dont il convient d’interpréter ces deux éléments figure aux paragraphes 4.31 à 4.40 de son mémoire et celle concernant la violation de cette disposition, aux paragraphes 4.111 à 4.117.
3.30. La première phrase du paragraphe 2 de l’article IV contient une restriction territoriale («dans les territoires de l’autre Haute Partie contractante»), ainsi qu’il a déjà été dit plus haut et que l’Iran l’a pleinement admis dans son mémoire105. L’argumentation du demandeur au sujet de la violation du paragraphe 2 de l’article IV porte donc sur les biens aux Etats-Unis, y compris les fonds des sociétés et ressortissants iraniens qui se trouvent aux Etats-Unis (ce qui inclut les sommes payées à des sociétés américaines pour des biens et services qui ne peuvent être restituées alors que la transaction correspondante a été annulée ou rendue inopérante par les mesures américaines)106.
3.31. Bien que l’Iran ne comprenne pas comment l’exception relative aux «mesures concernant les Etats tiers» peut être invoquée à l’égard de tels faits, et qu’il soit en désaccord avec la position américaine, rien n’empêche en principe de considérer que l’imposition de telles mesures emporte manquement à l’obligation d’assurer «[l]a protection et la sécurité des biens appartenant aux ressortissants et sociétés [iraniens] … de la manière la plus constante dans les territoires de l’autre Haute Partie contractante». Si, par exemple, du fait d’une «mesure concernant les Etats tiers», une société iranienne était empêchée de payer d’une façon ou d’une autre les fonds dus à un propriétaire non américain pour la location d’un bien situé aux Etats-Unis et que, par suite, elle se trouvait privée de ce bien aux Etats-Unis, cela relèverait de la restriction territoriale figurant dans cette disposition107, et il n’existe aucune raison pour laquelle la protection expressément conférée devrait d’une certaine manière être perdue. Il n’importe nullement de savoir si le «traitement» en cause ⎯ dont découle la restriction imposée à la société iranienne ⎯ a, comme l’affirment aujourd’hui les Etats-Unis, été réservé à quelque entité dans un Etat tiers108. De même que pour le paragraphe 1 de l’article IV, cela reviendrait à introduire dans la disposition à l’examen une exigence qui n’y figure pas. S’agissant de la deuxième phrase du paragraphe 2 dudit article, la disposition relative à l’expropriation, les demandes de l’Iran concernent bel et bien les expropriations tant à l’intérieur109 qu’en dehors du territoire américain110. Il en va ainsi parce que, contrairement à la première phrase du paragraphe 2 de l’article IV, la disposition concernant l’expropriation ne contient pas de restriction territoriale. En l’affaire des Plates-formes pétrolières, la Cour semble certes avoir suivi la démarche opposée111, mais aucun argument détaillé n’avait été avancé sur ce point et elle n’avait, dans les circonstances de
105 MI, p. 153, par. 4.39 d). Voir plus haut, par. 3.21.
106 MI, p. 187, par. 4.111-4.112. Voir également EPEU, p. 109, par. 7.34. Dans la mesure où des interdictions générales étaient déjà en vigueur, cela ne fait aucune différence. La Cour doit se prononcer sur la licéité des actes particuliers qui sont mis en cause en l’espèce.
107 Voir EPEU, p. 108, par. 7.32.
108 Voir EPEU, p. 108, par. 7.31, où il est tenté d’interpréter l’expression «bénéficieront de» comme si elle signifiait «accorder un traitement aux», et «accorder un traitement directement aux».
109 MI, p. 187, par. 4.115.
110 MI, p. 187, par. 4.114.
111 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 816, par. 35.
34
- 25 -
l’espèce, été saisie d’aucune demande fondée sur le paragraphe 2 de l’article IV112. La question n’a pas été examinée en l’affaire relative à Certains actifs iraniens113.
3.32. Si les Etats-Unis soutiennent effectivement que l’interdiction d’exproprier figurant au paragraphe 2 de l’article IV comporte une restriction territoriale, l’Iran relève ce qui suit :
a) le paragraphe 2 de l’article IV établit deux protections distinctes d’un point de vue juridique, sous la forme d’une obligation d’assurer la protection et la sécurité les plus constantes (première phrase) et d’une interdiction d’exproprier (deuxième phrase) ;
b) ces protections se recoupent dans la mesure où elles portent toutes deux sur les biens appartenant aux ressortissants et aux sociétés («Lesdits biens ne pourront être …»). Il n’y a toutefois pas de recoupement en ce qui concerne les normes juridiques qu’elles renferment. L’obligation d’assurer la protection et la sécurité les plus constantes et l’interdiction d’exproprier constituent deux protections très bien établies mais distinctes ;
c) l’obligation d’assurer la protection et la sécurité les plus constantes (première phrase) s’accompagne d’une restriction territoriale («dans les territoires de l’autre Haute Partie contractante»), ce qui est prévisible pour les raisons énoncées au paragraphe 3.21 ci-dessus. L’interdiction d’exproprier (deuxième phrase) ne contient pas une telle restriction, que l’on ne s’attendrait d’ailleurs pas nécessairement à trouver. De manière générale, un Etat ne peut assurer la protection de biens d’autrui qui se trouvent sous la juridiction territoriale d’un autre Etat. Il est, en revanche, maître de la décision lorsqu’il s’agit d’adopter une mesure conduisant à une expropriation dans un autre Etat.
3.33. A la lumière de ce qui précède, ainsi que de l’objet et du but du traité d’amitié tels qu’ils ont été examinés plus haut, l’interdiction d’exproprier doit être interprétée comme visant les expropriations effectuées tant aux Etats-Unis qu’en dehors de ceux-ci, dès lors que l’effet recherché à travers les mesures américaines était de priver en substance des sociétés et ressortissants iraniens de leurs biens. Il s’ensuit que l’exception d’incompétence ratione materiae soulevée par le défendeur en ce qui concerne les deux membres du paragraphe 2 de l’article IV du traité est dépourvue de fondement.
C. Paragraphe 1 de l’article V du traité d’amitié
3.34. Dans sa partie pertinente, le paragraphe 1 de l’article V du traité d’amitié dispose ce qui suit :
«Les ressortissants et les sociétés de l’une des Hautes Parties contractantes pourront, dans les territoires de l’autre Haute Partie contractante : … b) acquérir, par voie d’achat ou par tout autre moyen, des biens mobiliers de toute nature et c) aliéner des biens de toute nature par voie de vente, de testament ou par tout autre moyen. Le traitement dont ils bénéficient en ces matières ne sera, en aucun cas, moins favorable que celui qui est accordé aux ressortissants et aux sociétés de tout pays tiers.»
112 Voir EPEU, p. 108, par. 7.32, faisant référence à Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 816, par. 35.
113 Voir EPEU, p. 108, par. 7.32, faisant référence à Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 28, par. 57, où n’a été examinée que la première phrase du paragraphe 2 de l’article IV, c’est-à-dire la disposition prescrivant la protection et la sécurité les plus constantes.
35
- 26 -
3.35. Contrairement à d’autres dispositions du traité d’amitié, le paragraphe 1 de l’article V contient une limitation territoriale. L’argumentation de l’Iran relative à la manière dont il convient d’interpréter cette disposition figure aux paragraphes 4.41 à 4.44 de son mémoire et celle concernant la violation de cette disposition, aux paragraphes 4.118 à 4.120. Comme il ressort clairement de ces passages du mémoire, l’Iran accepte pleinement la limitation territoriale énoncée au paragraphe 1 de l’article V, et sa demande ne concerne que les obstacles à l’achat ou à l’acquisition de biens, ou à leur aliénation, aux Etats-Unis. Si une «mesure concernant les Etats tiers» entrave ces opérations — par exemple parce qu’une banque non américaine refuse de traiter une telle transaction —, rien n’empêche en principe qu’elle tombe sous le coup de la disposition. Le paragraphe 1 de l’article V ne contient assurément aucun élément qui en limite l’application au traitement accordé directement aux sociétés ou ressortissants iraniens114. La seule question est de savoir s’il a été porté atteinte à un droit d’acquérir ou d’aliéner. Il s’ensuit que l’exception d’incompétence ratione materiae que les Etats-Unis ont soulevée au sujet du paragraphe 1 de l’article V du traité devrait également être rejetée.
SECTION 3 LES DEMANDES FORMULÉES PAR L’IRAN AU TITRE DU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE VII DU TRAITÉ D’AMITIÉ
3.36. Le paragraphe 1 de l’article VII énonce un principe général interdisant l’adoption, par l’une ou l’autre Partie, «de restrictions en matière de paiements, remises et transferts de fonds à destination ou en provenance des territoires de l’autre Haute Partie contractante», avec seulement deux exceptions qui sont dépourvues de pertinence en la présente instance, ainsi que l’Iran l’a montré dans son mémoire sans être contredit par les Etats-Unis115.
3.37. L’exception d’incompétence soulevée par les Etats-Unis relativement aux demandes de l’Iran fondées sur la violation du paragraphe 1 de l’article VII du traité d’amitié est étonnamment succincte116 et ne remet pas en question l’interprétation que fait l’Iran de cette disposition, conformément à ses termes, lus dans leur contexte. Les Etats-Unis ne contestent pas que cette disposition soit de large portée ni, en particulier, que
a) le terme «restrictions» englobe tout acte dont l’objet ou l’effet est de restreindre, c’est-à-dire limiter ou empêcher, «les paiements, remises et transferts de fonds» ;
b) tout transfert de fonds, indépendamment de la méthode utilisée, de la nature des fonds ou de l’auteur du transfert, soit protégé des restrictions par le paragraphe 1 de l’article VII, à condition que ledit transfert soit effectué i) depuis un Etat tiers à destination des territoires d’une Partie, ii) depuis les territoires d’une Partie vers un Etat tiers, ou iii) entre les territoires des Parties117.
114 Voir EPEU, p. 107, par. 7.30.
115 MI, p. 192-194, par. 5.7-5.12. Le paragraphe 1 de l’article VII se lit, dans son intégralité, comme suit :
«Aucune des Hautes Parties contractantes n’imposera de restrictions en matière de paiements, remises et transferts de fonds à destination ou en provenance des territoires de l’autre Haute Partie contractante sauf : a) dans la mesure nécessaire afin que les ressources en devises étrangères soient suffisantes pour régler le prix des marchandises et des services indispensables à la santé et au bien-être de sa population ; et b) dans le cas d’un membre du Fonds monétaire international, s’il s’agit de restrictions expressément approuvées par le Fonds.»
116 EPEU, p. 110, par. 7.38-7.39.
117 MI, p. 191-192, par. 5.5-5.6.
36
37
- 27 -
3.38. Les Etats-Unis ne formulent qu’un seul argument : ils isolent et soulignent les termes «à destination ou en provenance» qui figurent dans la disposition en question, sur la base desquels ils affirment que cette dernière s’applique uniquement aux «restriction[s] … vis[ant] les paiements, remises ou autres transferts de fonds dès lors que ces paiements, remises ou autres transferts doivent entrer sur le territoire iranien ou en partir»118.
3.39. En employant les verbes «entrer» et «partir», les Etats-Unis laissent entendre que les transferts de fonds visés au paragraphe 1 de l’article VII sont uniquement ceux qui atteignent le territoire iranien ou en sont originaires physiquement. Cette interprétation restrictive n’est pas conforme au sens ordinaire de cette disposition et ne reflète pas l’intention des Parties.
3.40. En effet, même à l’époque où le traité d’amitié a été négocié, les transferts de fonds internationaux étaient généralement réalisés au moyen de virements, de sorte qu’il aurait été absurde que les Parties ne protègent que les transferts de fonds effectués en espèces.
3.41. Les transferts de fonds par l’intermédiaire du système bancaire sont effectués en débitant le compte bancaire de l’auteur du transfert puis en créditant le compte du bénéficiaire. Ces mouvements sont électroniques. Concrètement, lorsqu’une banque iranienne sise en Iran donne l’ordre à une banque étrangère auprès de laquelle elle possède un compte de transférer des fonds à un bénéficiaire, le territoire iranien est à l’origine de ce transfert au sens du paragraphe 1 de l’article VII du traité d’amitié ; à l’inverse, lorsqu’un débiteur situé hors du territoire iranien donne ordre à sa banque de transférer des fonds sur un compte détenu dans une banque étrangère par une banque iranienne sise en Iran, le transfert est effectué à destination du territoire iranien au sens de cette disposition. En d’autres termes, les transferts effectués au bénéfice ou au nom d’individus se trouvant en Iran relèvent du champ d’application du paragraphe 1 de l’article VII.
3.42. Hormis cette interprétation excessivement restrictive, la lecture que font les Etats-Unis du paragraphe 1 de l’article VII est conforme à celle que fait l’Iran, selon laquelle «les Etats-Unis ont [en application de cet article] pour obligation de s’abstenir de restreindre tout type de paiements, remises et transferts de fonds vers l’Iran ou provenant d’Iran, quelle que soit l’origine ou la destination de l’opération»119.
3.43. En résumé, il n’est pas contesté que le paragraphe 1 de l’article VII englobe les restrictions sur les transferts de fonds effectués dans toute devise, et par quiconque ⎯ y compris les Etats tiers ou les sociétés et ressortissants étrangers ⎯ à destination ou en provenance du territoire iranien.
118 EPEU, p. 108, par. 7.38 (les italiques sont de nous).
119 MI, p. 192, par. 5.6.
38
- 28 -
3.44. Ce que les Etats-Unis contestent, quoique vaguement, c’est la mesure dans laquelle les sanctions désignées par l’Iran120 constituent des violations du paragraphe 1 de l’article VII. Il s’agit là d’une question qui, de par sa nature même, est à examiner au stade du fond. Ce qui est demandé à la Cour à ce stade préliminaire, c’est plutôt ⎯ et exclusivement ⎯ de rechercher si «les violations du traité de 1955 alléguées par l’Iran entrent ou non dans les prévisions de ce traité»121.
3.45. En substance, les Etats-Unis affirment que :
a) la décision du 8 mai n’a fait entrer en jeu les dispositions législatives américaines désignées par l’Iran «que dans le cas des … personnes non américaines», et l’interdiction d’effectuer avec l’Iran, des entités iraniennes et des individus résidant en Iran des transactions passant par le système financier américain n’a pas été réimposée, mais est toujours restée en vigueur122 ;
b) les dispositions pertinentes du décret 13846 en matière de sanctions «s’appliquent aux transactions entre l’Iran et les personnes non américaines … à l’extérieur des Etats-Unis, que la transaction touchée ait ou non été effectuée à destination ou en provenance du territoire iranien»123 ;
c) s’agissant de la (ré)inscription sur la liste SDN, i) si les personnes concernées se trouvent en Iran, il leur était «déjà généralement interdit … de faire des paiements à destination ou en provenance des Etats-Unis, ou par l’intermédiaire du système financier américain» ⎯ encore que les Etats-Unis ne précisent pas au titre de quelle disposition de leur droit interne — ; et ii) si les personnes concernées sont des «personnes de pays tiers», la transaction touchée par la (ré)inscription et les sanctions qui l’accompagnent «a lieu entre les Etats-Unis et le pays tiers concerné»124.
3.46. Aucune de ces affirmations ne peut conduire à exclure l’une quelconque des mesures désignées par l’Iran du champ d’application du paragraphe 1 de l’article VII du traité d’amitié. Elles n’apportent pas la preuve qu’une mesure particulière liée au nucléaire n’entre pas dans le champ d’application de cette disposition, et donc dans celui de la compétence de la Cour, et elles ne sauraient donc étayer une exception préliminaire.
3.47. Premièrement, il importe peu que les dispositions législatives qui ont été remises en vigueur par suite de la décision du 8 mai ne l’aient été que relativement aux personnes que les Etats-Unis qualifient de «non américaines», puisque les «paiements, remises et transferts de fonds»
120 MI, p. 195-203, par. 5.15-5.35. Il s’agit de l’exclusion de l’Iran du système bancaire international et des transferts de fonds que celui-ci permet d’effectuer (section 2 du décret 13846, section 1245 de la loi NDAA de 2012, section 220 de la loi TRA) ; de l’interdiction des transactions financières libellées en rials iraniens (section 6 du décret 13846) ; de l’inscription ou de la réinscription d’entités sur la liste SDN de l’OFAC ⎯ en grande majorité, des entités iraniennes ⎯, mesure dont l’objet et l’effet sont de restreindre la capacité de l’entité inscrite de transférer vers l’Iran ses avoirs sous juridiction américaine ; du gel des avoirs détenus par des acteurs des secteurs iraniens de l’énergie, du transport maritime, de la construction navale ou de l’exploitation portuaire (section 1 a) iv) du décret 13846) ; des mesures excluant les services et appui financiers en lien avec l’émission de titres de la dette souveraine iranienne (section 213 a) de la loi TRA) ; et de la restriction des transferts de fonds en provenance ou à destination de l’Iran du fait de l’«éventail de sanctions» (section 5 du décret 13846).
121 Voir plus haut, par. 3.10.
122 EPEU, p. 110, par. 7.39.
123 Ibid.
124 Ibid.
39
- 29 -
à destination ou en provenance de l’Iran sont protégés par le paragraphe 1 de l’article VII, et ce, quel qu’en soit l’auteur, qu’il s’agisse d’une personne américaine ou non américaine.
3.48. Le fait que les transactions avec l’Iran et les personnes sous juridiction iranienne fussent déjà interdites de passage par le système financier américain avant la décision du 8 mai est tout aussi hors de propos ⎯ en plus d’être erroné, puisque des transactions de ce type étaient alors toujours en cours dans certains secteurs. Cet aspect est hors de propos parce que l’on ne voit tout simplement pas en quoi il pourrait avoir un quelconque effet sur le point de savoir si la mesure entre dans le champ d’application du paragraphe 1 de l’article VII. En outre, cette interdiction de transfert, qu’elle soit entrée en vigueur avant ou après le 8 mai 2018, constitue bel et bien une violation du traité d’amitié et du droit international général ; sa préexistence i) n’exonère pas les Etats-Unis de toute responsabilité pour leurs violations actuelles, et ii) ne saurait être invoquée d’une manière ou d’une autre par ceux-ci en raison du principe nemo auditur propriam turpitudinem allegans, selon lequel nul ne peut tirer profit de son propre manquement.
3.49. La préexistence de l’interdiction d’utiliser le système financier américain est également sans importance parce que l’objet et la portée de chacune des mesures désignées par l’Iran vont bien au-delà d’une telle interdiction. Par exemple :
a) Les institutions financières étrangères ont interdiction de, «en connaissance de cause, effectu[er] ou facilit[er] une quelconque transaction financière substantielle» ⎯ c’est-à-dire tout transfert de fonds dans quelque devise que ce soit ⎯ aux fins, entre autres, du commerce de biens et services utilisés en lien avec l’industrie automobile ou le secteur pétrolier en Iran (section 2 du décret 13846)125 ou avec l’achat ou la vente de rials iraniens ou de produits dérivés (section 6 dudit décret)126, ou de réaliser une «transaction financière substantielle» avec la banque centrale d’Iran ou toute autre banque iranienne visée par les sanctions (section 1245 de la loi NDAA de 2012)127, que la transaction (financière) passe ou non par le système financier américain ; il en va de même de l’interdiction de la fourniture de services de messagerie financière spécialisés à la banque centrale d’Iran ou à toute autre institution financière iranienne (section 220 c) 1) de la loi TRA)128.
Du point de vue du droit, le passage par le système bancaire américain n’est désigné nulle part comme critère d’interdiction dans le décret 13846, la section 1245 de la loi NDAA de 2012, ou la section 220 c) 1) de la loi TRA ;
b) Le gel des avoirs i) des acteurs des secteurs iraniens de l’énergie, du transport maritime, de la construction navale ou de l’exploitation portuaire ou ii) des personnes apportant leur soutien à une quelconque transaction pour le compte d’un acteur de ces secteurs (section 1 a) iv) du décret 13846)129 repose uniquement sur la constatation que l’intéressé fait partie de ces secteurs ou apporte un soutien à une transaction, dans quelque devise que ce soit, pour le compte de telles personnes. Le passage des transactions en question par le système financier américain est dénué de pertinence aux fins de l’application de ces mesures ;
c) Les restrictions relatives à l’émission de titres de la dette souveraine iranienne ou d’une quelconque entité gouvernementale iranienne, en vertu de la section 213 de la loi TRA, visent toute personne qui, en connaissance de cause, achète ou souscrit de tels titres, ou en facilite
125 MI, p. 195, par. 5.15.
126 MI, p. 197, par. 5.20 et suiv.
127 MI, p. 196, par. 5.16.
128 MI, p. 196, par. 5.17.
129 MI, p. 200, par. 5.28 et suiv.
40
41
- 30 -
l’émission130. Pareilles opérations relatives à la dette iranienne ne doivent pas obligatoirement passer par le système financier américain.
3.50. Deuxièmement, l’affirmation selon laquelle, de manière générale, les dispositions relatives aux sanctions que contient le décret 13846 et dont l’Iran tire grief «s’appliquent aux transactions entre l’Iran et les personnes non américaines … à l’extérieur des Etats-Unis, que la transaction touchée ait ou non été effectuée à destination ou en provenance du territoire iranien»131 est tout aussi dénuée de pertinence, les violations alléguées se rapportant chacune à une «transaction touchée» qui relève du paragraphe 1 de l’article VII puisqu’elle est clairement à destination, ou en provenance, du territoire iranien. Par ailleurs, la notion de «personnes non américaines» ne renvoie à aucun terme figurant dans le traité et ne se retrouve assurément pas au paragraphe 1 de l’article VII, qui interdit les mesures «restreignant» les transferts de fonds sans limiter les mesures envisagées à celles visant exclusivement les personnes américaines ou se trouvant en territoire américain.
3.51. Troisièmement, la (ré)inscription de personnes ou d’entités sur la liste SDN entraîne non seulement le gel de leurs avoirs sous juridiction américaine, mais coupe en outre les intéressés de l’ensemble des institutions financières étrangères, qui risquent des sanctions analogues si elles procèdent à une quelconque transaction financière avec eux132. Il s’agit là d’une restriction apportée aux transferts de fonds à destination ou en provenance du territoire iranien que les personnes sur la liste SDN qui sont basées en Iran auraient pu envisager d’effectuer. De la même manière, les personnes sur la liste qui se trouvent hors d’Iran (dites les «personnes de pays tiers») sont empêchées de chercher un soutien financier auprès d’une institution financière non américaine, y compris celles situées en Iran ⎯ c’est-à-dire de transférer des fonds depuis l’Iran.
3.52. Au-delà de leur argument erroné concernant la réinscription sur la liste SDN, les Etats-Unis méconnaissent totalement l’effet des mesures dont l’Iran tire grief ⎯ qui correspond à leur objet ⎯, lequel doit naturellement être pris en compte aux fins de déterminer si ces mesures relèvent du paragraphe 1 de l’article VII du traité d’amitié puisque les «restrictions» prohibées par cette disposition englobent tout acte ayant pour objet ou effet de limiter les transferts de fonds133.
3.53. A cet égard, l’argument des Etats-Unis selon lequel, «lorsqu’une mesure vise un transfert entre deux comptes bancaires dont aucun n’est situé sur le territoire iranien, … il ne saurait y avoir violation [du paragraphe 1 de l’article VII]»134, est clairement erroné : lorsqu’un transfert entre deux comptes bancaires situés hors d’Iran est nécessaire pour que des fonds puissent être transférés à destination ou en provenance de l’Iran, la mesure américaine empêchant ce premier transfert emporte violation du paragraphe 1 de l’article VII. En tout état de cause, les transferts de fonds entre deux comptes bancaires situés hors d’Iran relèvent de la portée de cette disposition dès lors que l’ultime bénéficiaire de la transaction se trouve en Iran135.
3.54. Ainsi que l’Iran l’a montré dans son mémoire, les mesures contestées ont pour effet ⎯ et pour objet ⎯ de décourager ou d’empêcher les paiements, remises ou transferts originaires ou en
130 MI, p. 202, par. 5.33 et p. 31-32, par. 2.31-2.34.
131 EPEU, p. 110, par. 7.39.
132 MI, p. 200, par. 5.27.
133 Voir plus haut, par. 3.37.
134 EPEU, p. 110, par. 7.38.
135 Voir plus haut, par. 3.41.
42
- 31 -
direction du territoire iranien136. Partant, l’exception d’incompétence ratione materiae soulevée par les Etats-Unis au sujet du paragraphe 1 de l’article VII devrait être rejetée.
SECTION 4 LES DEMANDES FORMULÉES PAR L’IRAN AU TITRE DES PARAGRAPHES 1 ET 2 DE L’ARTICLE VIII DU TRAITÉ D’AMITIÉ
3.55. Les paragraphes 1 et 2 de l’article VIII du traité d’amitié sont ainsi libellés, respectivement :
«Chacune des Hautes Parties contractantes accordera aux produits de l’autre Haute Partie contractante, quelle qu’en soit la provenance et indépendamment du mode de transport utilisé, ainsi qu’aux produits destinés à l’exportation vers les territoires de cette autre Haute Partie contractante, quels que soient l’itinéraire et le mode de transport utilisés, un traitement non moins favorable que celui qui est accordé aux produits similaires provenant de tout pays tiers ou destinés à l’exportation vers tout pays tiers, pour toutes les questions qui ont trait : a) aux droits de douane et autres taxes ainsi qu’aux règles et formalités applicables en matière d’importation et d’exportation ; et b) à la fiscalité, la vente, la distribution, l’entreposage et l’utilisation desdits produits sur le plan national. La même règle s’appliquera au transfert international des sommes versées en paiement des importations ou des exportations.»
Et
«Aucune des Hautes Parties contractantes ne restreindra ou n’interdira l’importation d’un produit de l’autre Haute Partie contractante ou l’exportation d’un produit destiné aux territoires de l’autre Haute Partie contractante, à moins que l’importation d’un produit similaire provenant de tout pays tiers, ou l’exportation d’un produit similaire à destination de tous les pays tiers ne soient, de la même manière, interdites ou restreintes.»
A. Interprétation des paragraphes 1 et 2 de l’article VIII
3.56. Selon les Etats-Unis, «l’Iran semble reconnaître que les produits relevant des deux dispositions sont uniquement, soit a) des produits d’Iran destinés à l’importation vers le territoire des Etats-Unis soit b) des produits des Etats-Unis destinés à l’exportation vers le territoire iranien»137.
3.57. C’est là une présentation incomplète de la position de l’Iran concernant le sens de l’article VIII. L’Iran a montré dans son mémoire que les produits visés par les deux premiers
136 MI, p. 58, par. 5.19 ; p. 61, par. 5.27 ; p. 63-64, par. 5.30-5.32 ; p. 65, par. 5.34-5.35. Depuis le dépôt du mémoire, l’on constate une multiplication des cas de paiements internationaux depuis ou vers l’Iran qui ont été empêchés parce que l’autre partie ou la banque concernée a refusé d’y procéder ou de recevoir le paiement par crainte des sanctions américaines, notamment dans les domaines essentiels visés par l’ordonnance rendue par la Cour le 3 octobre 201[8] (les médicaments et matériel médical ; les denrées alimentaires et produits agricoles ; les pièces détachées, équipements et services connexes nécessaires à la sécurité de l’aviation civile).
137 EPEU, p. 111, par. 7.44. Pour faire croire, de manière fallacieuse, qu’il y a un accord entre les Parties au sujet de la portée de l’article VIII du traité d’amitié, les Etats-Unis insistent sur le fait que cet article ne se rapporte qu’aux «importations de produits iraniens vers les Etats-Unis ou [aux] exportations de produits des Etats-Unis vers l’Iran» (EPEU, p. 113, par. 7.48).
43
44
- 32 -
paragraphes de l’article VIII ne se limitaient pas aux deux catégories mentionnées par les Etats-Unis, mais englobaient plus largement :
a) les produits iraniens importés aux Etats-Unis depuis tout territoire et tout produit destiné à l’exportation vers l’Iran (première phrase du paragraphe 1 de l’article VIII), ainsi que tout produit importé ou exporté depuis ou vers l’Iran, quelles que soient leur destination ou leur origine (seconde phrase du paragraphe 1 de l’article VIII, au sujet de tout «transfert international des sommes versées en paiement» de ces importations et exportations)138 ;
b) les produits iraniens importés vers tout territoire et tout produit ⎯ quelle que soit son origine ⎯ exporté vers l’Iran (paragraphe 2 de l’article VIII)139.
3.58. Dans un souci de clarté, l’Iran rappellera dans les paragraphes ci-après la juste interprétation des paragraphes 1 et 2 de l’article VIII, telle qu’elle résulte d’une bonne application des règles d’interprétation consacrées à l’article 31 de la convention de Vienne.
3.59. La première phrase du paragraphe 1 de l’article VIII est ainsi libellée :
«Chacune des Hautes Parties contractantes accordera aux produits de l’autre Haute Partie contractante, quelle qu’en soit la provenance et indépendamment du mode de transport utilisé, ainsi qu’aux produits destinés à l’exportation vers les territoires de cette autre Haute Partie contractante, quels que soient l’itinéraire et le mode de transport utilisés, un traitement non moins favorable que celui qui est accordé aux produits similaires provenant de tout pays tiers ou destinés à l’exportation vers tout pays tiers, pour toutes les questions qui ont trait : a) aux droits de douane et autres taxes ainsi qu’aux règles et formalités applicables en matière d’importation et d’exportation ; et b) à la fiscalité, la vente, la distribution, l’entreposage et l’utilisation desdits produits sur le plan national.»
3.60. Cette disposition énonce l’obligation qui incombe à chaque Partie d’accorder, s’agissant de deux catégories de «questions» (a) et b)), un «traitement non moins favorable»140 :
a) aux «produits de» l’autre Partie. Les «produits» sont expressément définis par référence à leur origine nationale, et non territoriale : les produits importés par l’une ou l’autre des Parties doivent être «de», c’est-à-dire être originaires de, l’«autre Haute Partie contractante», et ce, indépendamment du territoire à partir duquel ils sont importés («quelle que soit leur provenance») et du mode de transport («indépendamment du mode de transport utilisé») ;
b) aux «produits destinés à l’exportation vers les territoires» de l’autre Partie. Les «produits» visés ici ne sont définis que par leur territoire de destination, et non par leur origine nationale ou territoriale. Ils ne se limitent donc pas aux produits des Etats-Unis ou provenant des territoires américains. En outre, les produits destinés à l’exportation vers les territoires de l’autre Partie sont couverts indépendamment de l’itinéraire et du moyen de transport empruntés («quels que soient l’itinéraire et le mode de transport utilisés») ; est clairement concerné tout produit destiné à l’exportation vers les territoires de l’autre Partie.
138 MI, p. 205, par. 6.6-6.7 (première phrase du paragraphe 1 de l’article VIII) et par. 6.8 (seconde phrase du paragraphe 1 de l’article VIII).
139 MI, p. 208, par. 6.16-6.17.
140 C’est-à-dire un traitement non moins favorable que celui accordé aux «produits similaires provenant de tout pays tiers ou destinés à l’exportation vers tout pays tiers».
45
- 33 -
3.61. Un «traitement non moins favorable» doit être accordé pour toutes les questions liées, en particulier, aux taxes et règles «applicables en matière d’importation et d’exportation», ces deux derniers termes n’étant assortis d’aucune précision. En conséquence, une mesure américaine restreignant les importations ou les exportations de i) produits iraniens importés aux Etats-Unis ou de ii) tout produit destiné à l’exportation vers l’Iran relève du champ d’application de la première phrase du paragraphe 1 de l’article VIII141.
3.62. Les Etats-Unis contestent l’interprétation que fait l’Iran de la seconde phrase du paragraphe 1 de l’article VIII du traité d’amitié142. Celle-ci se lit comme suit : «La même règle s’appliquera au transfert international des sommes versées en paiement des importations ou des exportations.»
3.63. Deux éléments ressortent clairement de cette formulation :
a) La «même règle» renvoie au «traitement non moins favorable» mentionné dans la phrase précédente, c’est-à-dire l’obligation d’accorder aux produits qui y étaient visés — y compris les produits iraniens importés aux Etats-Unis et tout produit destiné à l’exportation vers l’Iran — un traitement non moins favorable que celui accordé aux «produits similaires» originaires de tout pays tiers ou destinés à l’exportation vers tout pays tiers ;
b) Les «paiement[s]» ne sont définis que par rapport aux «importations [et] exportations», qui ne sont elles-mêmes assorties d’aucune précision, territoriale ou autre, de sorte que l’application de cette disposition ne se limite pas aux importations et exportations entre les territoires des Parties, ou aux importations et exportations de produits originaires des Parties143.
3.64. Les Etats-Unis prétendent lire cette disposition «à la lumière d[e son] contexte immédiat» ⎯ à savoir, selon eux, la phrase précédente du paragraphe 1 ⎯, contexte qui, soutiennent-ils, indique clairement que «l’obligation énoncée dans la dernière phrase vise à protéger la partie important ou exportant des biens entre les territoires des deux pays qui souhaite transférer des fonds en paiement de ces opérations»144. Cet argument est indéfendable.
3.65. Premièrement, l’interprétation des Etats-Unis fait totalement abstraction du point de départ de tout processus d’interprétation, à savoir le sens ordinaire des termes employés dans la disposition. Puisque rien ne vient préciser ou limiter les «importations [et] exportations» mentionnées dans la seconde phrase, force est de considérer qu’il s’agit de celles qui sont en provenance ou à destination du territoire de l’une ou l’autre Partie, y compris les importations entre une Partie et un quelconque pays tiers.
3.66. Deuxièmement, dans leur interprétation, les Etats-Unis invoquent à mauvais escient le «contexte immédiat» de la disposition en question. Ce contexte est formé par :
a) la phrase précédente du paragraphe 1, qui devrait être lue, comme nous l’avons montré plus haut, comme s’appliquant i) à tout produit destiné à être exporté vers le territoire iranien depuis tout
141 En ce qui concerne les mesures américaines relevant du paragraphe 1 de l’article VIII, voir plus loin, section B.
142 EPEU, p. 111, par. 7.45-7.46.
143 MI, p. 206, par. 6.8.
144 EPEU, p. 112, par. 7.46.
46
- 34 -
autre territoire et ii) aux produits iraniens destinés à être importés vers les Etats-Unis depuis tout territoire ; et
b) d’autres articles du traité d’amitié qui, contrairement à l’article VIII, comportent des limitations territoriales, tels que l’article II, qui accorde aux ressortissants de chacune des Parties le droit d’être «admis dans les territoires de l’autre [Partie] et … [d’]y demeurer … en vue de se livrer au commerce entre les territoires des deux Hautes Parties contractantes», ou l’article X, qui consacre la liberté de commerce et de navigation «entre les territoires des deux Hautes Parties contractantes»145. Lorsqu’elles ont entendu limiter la portée de leurs obligations au commerce entre leurs territoires, les Parties l’ont clairement exprimé.
3.67. Troisièmement, le document invoqué à l’appui de cet argument, la fameuse «étude de M. Sullivan»146, ne dit pas ce que les Etats-Unis tentent de lui faire dire :
a) il n’y a nulle part, à la page 230 de ce document ⎯ ni ailleurs dans le commentaire du modèle d’article XIV, qui est analogue à l’article VIII du traité d’amitié ⎯, de formule
«expliqu[ant] que, tandis que l’article sur les restrictions en matière de change visait à protéger les ressortissants et les sociétés souhaitant transférer des fonds depuis le territoire de l’autre partie à la convention, cet article protégeait ceux qui souhaitaient transférer des fonds depuis leur propre pays vers le territoire de l’autre partie au traité»147 ;
b) bien que l’article XIV du projet type de traité d’amitié commenté par M. Sullivan «utilise la même expression («transfert international des sommes versées en paiement des importations ou des exportations»), [incluse] dans une phrase unique et plus longue formant l’intégralité du paragraphe»148, les Parties au traité qui nous occupe ont précisément décidé de dissocier du reste du texte le membre portant sur le transfert international des sommes versées en paiement des importations ou des exportations, et d’en faire une phrase distincte. Cela montre qu’elles voulaient que cette phrase fût interprétée de manière indépendante. En tout état de cause, l’interprétation de celle-ci dans le contexte de la première phrase du paragraphe 1 de l’article VIII révèle que les «importations ou … exportations» ne se limitent pas aux transactions effectuées directement entre les territoires des deux Parties.
3.68. L’interprétation que fait l’Iran des deux phrases constituant le paragraphe 1 de l’article VIII est également conforme aux objet(s) et but(s) du traité dans sa globalité. Considérer, comme le font les Etats-Unis, que ces dispositions i) imposent d’accorder un traitement non moins favorable dans le seul cas des paiements internationaux des importations ou exportations des produits des Parties qui interviennent directement entre les territoires de celles-ci, mais que, à rebours, ii) elles
145 MI, annexe 1 (les italiques sont de nous).
146 L’étude de M. Sullivan est une étude que Charles Sullivan a réalisée en 1981 à la demande du département d’Etat américain afin de fournir un commentaire et une analyse des dispositions du projet type de traité d’amitié américain. Les Etats-Unis ont soumis à la Cour des extraits de cette étude (EPEU, annexe 160).
147 EPEU, p. 112, note 348 (les italiques sont dans l’original), faisant référence à la page 230 de l’étude de M. Sullivan (EPEU, annexe 160).
148 EPEU, p. 112, note 346. Cette phrase unique et plus longue se lit comme suit : «Chacune des Parties accordera le traitement de la nation la plus favorisée aux produits de l’autre Partie, quelle qu’en soit la provenance et indépendamment du mode de transport utilisé, ainsi qu’aux produits destinés à l’exportation vers les territoires de cette autre Partie, quels que soient l’itinéraire et le mode de transport utilisés, en ce qui concerne les droits de douane et les taxes de toute nature imposés ou ayant trait à l’importation ou à l’exportation ou imposés au transfert international des sommes versées en paiement des importations ou des exportations, en ce qui concerne le mode de perception desdits droits et taxes, et en ce qui concerne l’ensemble des règles et formalités applicables en matière d’importation et d’exportation» (EPEU, annexe 160, p. 229-230).
47
48
- 35 -
autorisent chacune des Parties à imposer des interdictions ou des restrictions concernant les paiements internationaux des importations ou exportations de produits, par l’autre Partie, en provenance ou à destination d’Etats tiers, de manière à porter délibérément atteinte à la capacité économique et commerciale de cette autre Partie, serait contraire à l’objet et au but du traité, qui étaient d’établir des relations amicales en favorisant la prospérité par le commerce.
3.69. En complément du critère du «traitement non moins favorable» que le premier paragraphe de l’article VIII prévoit quant aux importations et aux exportations, ainsi qu’au paiement de celles-ci, le deuxième paragraphe dudit article énonce une obligation analogue de traitement non discriminatoire. Il est ainsi libellé :
«Aucune des Hautes Parties contractantes ne restreindra ou n’interdira l’importation d’un produit de l’autre Haute Partie contractante ou l’exportation d’un produit destiné aux territoires de l’autre Haute Partie contractante, à moins que l’importation d’un produit similaire provenant de tout pays tiers, ou l’exportation d’un produit similaire à destination de tous les pays tiers ne soient, de la même manière, interdites ou restreintes.»
3.70. Les Etats-Unis ne contestent pas l’interprétation que fait l’Iran du paragraphe 2 de l’article VIII. Il suffit donc de rappeler que cette obligation d’accorder un traitement non discriminatoire s’applique aux restrictions ou interdictions concernant :
a) «l’importation d’un produit de» l’autre Partie ; le terme «importation» n’étant pas défini sur le plan territorial, cette disposition se lit selon son sens ordinaire comme protégeant l’importation de produits iraniens vers tout territoire, y compris les Etats-Unis, contre des mesures américaines discriminatoires et restrictives ;
b) «l’exportation d’un produit destiné aux territoires de» l’autre Partie ; le terme «produit» n’étant pas expressément précisé («un produit», sans restriction), cette expression doit se comprendre, conformément au sens ordinaire de ses termes, comme englobant l’exportation vers l’Iran de produits originaires de tout territoire149.
3.71. Comme pour le paragraphe 1, cette interprétation du paragraphe 2 de l’article VIII est conforme aux objet(s) et but(s) du traité dans sa globalité, qui sont d’assurer la prospérité des deux Parties et, ce faisant, de consolider une relation pacifique et amicale entre elles. Cet objectif de paix par la prospérité économique mutuelle des Parties est incompatible avec une interprétation selon laquelle la portée des dispositions relatives aux importations et exportations ⎯ et du traité d’amitié en général ⎯ se limiterait aux échanges bilatéraux, permettant ainsi l’adoption de mesures ayant expressément pour objet de détruire l’économie de l’autre Partie au moyen de sanctions économiques.
B. Les mesures américaines contestées par l’Iran qui entrent dans le champ d’application des paragraphes 1 et 2 de l’article VIII
3.72. Les Etats-Unis prétendent que l’Iran, dans son mémoire, reste «flou à propos des mesures qu’il prétend contraires [aux paragraphes 1 et 2 de l’article VIII du traité d’amitié]»150, et se servent
149 MI, p. 208, par. 6.16-6.17.
150 EPEU, p. 112, par. 7.47.
49
- 36 -
de ce flou allégué pour éviter tout examen du point de savoir si ces actes entrent dans le champ d’application de ces dispositions.
3.73. Ainsi, les Etats-Unis ne répondent pas au mémoire de l’Iran, qui expose en détail l’objet des mesures résultant de la décision du 8 mai (chapitre II) et leurs répercussions sur l’Iran, sa population et ses sociétés (chapitre III), puis analyse ces mesures au regard des dispositions pertinentes du traité d’amitié (chapitres IV à VIII).
3.74. L’Iran rappellera brièvement les arguments qu’il a avancés dans son mémoire pour montrer que les mesures américaines entraient dans le champ d’application des paragraphes 1 et 2 de l’article VIII.
3.75. Comme indiqué plus haut, la première phrase du paragraphe 1 de l’article VIII concerne les règles interdisant, ou entravant, l’importation de produits iraniens ou l’exportation de tout produit vers le territoire iranien151 ; pareilles règles sont proscrites par cette disposition dans la mesure où elles tendent à accorder un traitement moins favorable que celui accordé par les Etats-Unis à tout produit similaire de pays tiers.
3.76. La question de savoir si certains Etats reçoivent, de la part des Etats-Unis, un traitement plus favorable que l’Iran en ce qui concerne les importations et exportations de tout type de produit sera examinée au stade du fond. La seule question devant être tranchée à ce stade de la procédure est celle de savoir si les mesures américaines entrent dans le champ d’application du paragraphe 1 de l’article VIII. Tel est le cas si la mesure en cause constitue un «traitement» concernant le commerce entre l’Iran et tout pays, et si elle a trait «aux droits de douane et autres taxes ainsi qu’aux règles et formalités applicables en matière d’importation et d’exportation», ou à «la fiscalité, la vente, la distribution, l’entreposage et l’utilisation».
3.77. Les dispositions dont l’Iran tire grief dans son mémoire, qui constituent toutes des «règles», répondent clairement à cette définition :
a) la section 201 de l’ITSR, qui interdit l’importation aux Etats-Unis de produits de luxe d’origine iranienne, notamment les tapis et denrées alimentaires152 ;
b) la section 1245 de la loi IFCA, qui interdit de manière générale la vente, la fourniture ou le transfert (c’est-à-dire l’importation et l’exportation) de métaux précieux, de graphite, de métaux bruts ou semi-finis, et de logiciels industriels à destination ou en provenance de l’Iran153 ;
151 Cette première phrase énonce le principe général suivant :
«[c]hacune des Hautes Parties contractantes accordera aux produits de l’autre Haute Partie contractante, quelle qu’en soit la provenance … , ainsi qu’aux produits destinés à l’exportation vers les territoires de cette autre Haute Partie contractante, … un traitement non moins favorable que celui qui est accordé aux produits similaires provenant de tout pays tiers ou destinés à l’exportation vers tout pays tiers, pour toutes les questions qui ont trait»
aux règles en matière d’importation et d’exportation, ou à la distribution interne. Selon ce libellé, les Etats-Unis doivent accorder aux produits iraniens destinés à être importés vers leur territoire, ainsi qu’à tout produit destiné à l’exportation vers le territoire iranien, un traitement non moins favorable que celui qu’ils réservent aux produits similaires provenant de tout pays tiers ou destinés à l’exportation vers tout pays tiers en ce qui concerne les questions visées au paragraphe 1 de l’article VIII.
152 MI, p. 36, par. 2.47.
153 MI, p. 24-29, par. 2.19-2.26.
50
- 37 -
c) la section 1 a) ii) du décret 13846, qui interdit, entre autres, la fourniture de biens ou de services au bénéfice de la NIOC, la NICO ou la banque centrale d’Iran (c’est-à-dire l’importation de biens vers l’Iran)154 ;
d) les sous-sections 2 a) iv)-a) v) du décret 13846, qui s’appliquent à toute «transaction financière substantielle … aux fins de l’achat, de l’acquisition, de la vente, du transport ou de la commercialisation» (c’est-à-dire de l’exportation) de pétrole, de produits pétroliers, ou de produits pétrochimiques en provenance d’Iran155 ;
e) la section 3 a) du décret 13846, qui interdit les «transaction[s] substantielle[s] aux fins de la vente, de la fourniture ou du transfert à l’Iran [c’est-à-dire de l’importation vers l’Iran] de marchandises ou de services substantiels utilisés en lien avec l’industrie automobile iranienne»156 ;
f) la révocation de la déclaration relative à la politique d’autorisation pour les activités liées à l’exportation ou à la réexportation vers l’Iran d’aéronefs de transport commercial de passagers et de pièces détachées ou de services connexes, ainsi que celle de l’autorisation générale I, qui a rétabli l’interdiction prévue par l’ITSR quant à l’exportation ou à la réexportation vers l’Iran d’aéronefs de transport commercial de passagers et de pièces détachées ou de services connexes157.
3.78. De la même manière, les dispositions ci-après entrent dans le champ d’application de la seconde phrase du paragraphe 1 de l’article VIII ⎯ l’obligation de traitement non moins favorable concernant les transferts internationaux de sommes versées en paiement des importations ou des exportations ⎯, puisqu’il s’agit de règles visant lesdits transferts :
a) la section 201 de l’ITSR, qui interdit certaines transactions financières relatives à l’importation aux Etats-Unis de produits de luxe d’origine iranienne ;
b) la section 2 a) iii) du décret 13846, qui interdit de manière générale toute «transaction financière substantielle» avec la NIOC ou la NICO, à savoir les transactions financières en lien avec l’importation vers l’Iran de biens destinés à la NIOC ou la NICO158 ;
c) les sous-sections 2 a) iv)-a) v) du décret 13846, présentées plus haut : dans la mesure où elle concerne les institutions financières non américaines, cette interdiction limite les transactions financières relatives à l’exportation de pétrole, de produits pétroliers ou de produits pétrochimiques en provenance d’Iran159 ;
d) la sous-section c) de la section 1245 de la loi IFCA, qui interdit «les transactions financières substantielles» aux fins de l’importation ou exportation de métaux précieux, de graphite, de métaux bruts ou semi-finis, et de logiciels industriels en provenance ou à destination de l’Iran160 ;
154 MI, p. 44-45, par. 2.69-2.71.
155 MI, p. 45-46, par. 2.72-2.74.
156 MI, p. 32-33, par. 2.35-2.39.
157 MI, p. 34-35, par. 2.42-2.45.
158 MI, p. 45-46, par. 2.71-2.74.
159 MI, p. 45, par. 2.72.
160 MI, p. 28, par. 2.22-2.23.
51
52
- 38 -
e) la section 2 a) i) du décret 13846, qui interdit les «transaction[s] financière[s] substantielle[s] … aux fins de la vente, de la fourniture ou du transfert à l’Iran de marchandises ou de services substantiels utilisés en lien avec l’industrie automobile iranienne»161 ;
f) la section 6 du décret 13846, qui interdit les opérations liées au rial iranien et donc les transferts internationaux de sommes libellées dans cette devise qui sont versées en paiement des importations ou exportations et162 ;
g) la réinscription ou l’inscription sur la liste SDN de personnes iraniennes ou non iraniennes, dont résultent le gel des avoirs sous juridiction américaine qui appartiennent à ces personnes et l’interdiction du transfert de ces avoirs, peut être qualifiée, dans la mesure où lesdits avoirs pourraient être utilisés pour payer l’importation ou l’exportation de produits en provenance ou à destination de l’Iran, de restrictions concernant les transferts internationaux de paiements163 ;
h) la section 1 a) iv) du décret 13846, qui prévoit le gel des avoirs détenus par tout acteur des secteurs iraniens de l’énergie, du transport maritime, de la construction navale ou de l’exploitation portuaire, de façon analogue au gel des avoirs des personnes figurant sur la liste SDN164.
3.79. Enfin, la quasi-totalité des dispositions américaines énumérées par l’Iran au chapitre II de son mémoire entre dans le champ d’application du paragraphe 2 de l’article VIII dans la mesure où celles-ci imposent des restrictions concernant les exportations ou importations de produits en provenance ou à destination de l’Iran. Il s’agit des dispositions ci-après :
a) la révocation de la déclaration relative à la politique d’autorisation et de l’autorisation générale I, qui permettait
«certaines transactions relatives à la négociation et à la conclusion de contrats conditionnels aux fins d’activités susceptibles de bénéficier d’une autorisation au titre de la déclaration relative à la politique d’autorisation pour les activités liées à l’exportation ou à la réexportation vers l’Iran d’aéronefs de transport commercial de passagers et de pièces détachées ou de services connexes»165 ;
b) la révocation de l’autorisation générale H, qui permettait «certaines transactions en lien avec des entités étrangères détenues ou contrôlées par une personne américaine»166 ;
c) la sous-section 1 a) i) du décret 13846 interdisant toute aide apportée à l’achat ou l’acquisition, par le Gouvernement iranien, de métaux précieux, c’est-à-dire l’importation en Iran de tels métaux167 ;
161 MI, p. 33, par. 2.38.
162 MI, p. 29-31, par. 2.27-2.30.
163 MI, p. 37-40, par. 2.50-2.60.
164 MI, p. 41-43, par. 2.62-2.66.
165 MI, p. 34-36, par. 2.42-2.45.
166 MI, p. 62-63, par. 2.109-2.112.
167 MI, p. 23-24, par. 2.15-2.18.
53
- 39 -
d) la section 1245 de la loi IFCA interdisant, conjointement avec la section 5 du décret 13846, les transactions avec l’Iran concernant les métaux précieux, le graphite, les métaux bruts ou semi-finis, et les logiciels industriels168 ;
e) la section 3 a) i) du décret 13846, et d’autres dispositions connexes, interdisant les importations et les exportations en lien avec l’automobile169 ;
f) la réinscription ou l’inscription sur la liste SDN de personnes iraniennes ou non iraniennes, dont résultent le gel des avoirs sous juridiction américaine qui appartiennent à ces personnes et l’interdiction du transfert de ces avoirs, une disposition qui fait obstacle à l’exportation de ces avoirs170 ;
g) la section 1 a) iv) du décret 13846 qui, conjointement avec les dispositions de la section 1244 de la loi IFCA, interdit la fourniture de biens et de services, c’est-à-dire l’exportation, à des exploitants de ports en Iran ou à des acteurs ou soutiens des secteurs iraniens de l’énergie, du transport maritime ou de la construction navale ; diverses dispositions de la section 1244 de la loi IFCA restreignant l’importation et l’exportation de produits en provenance ou à destination de l’Iran en lien avec le secteur iranien de l’énergie (pétrole, gaz, ou tous biens)171 ;
h) les dispositions du décret 13846 et les textes de loi connexes interdisant l’exportation de biens au bénéfice de la NIOC, la NICO ou la banque centrale d’Iran ainsi que, de manière générale, les importations et exportations de pétrole, de produits pétroliers ou de produits pétrochimiques en provenance ou à destination de l’Iran172.
SECTION 5 LES DEMANDES FORMULÉES PAR L’IRAN AU TITRE DES PARAGRAPHES 2 ET 3 DE L’ARTICLE IX DU TRAITÉ D’AMITIÉ
3.80. Le paragraphe 2 de l’article IX du traité d’amitié est ainsi libellé :
«Les ressortissants et les sociétés de l’une des Hautes Parties contractantes bénéficieront, pour toutes les questions qui ont trait aux importations et aux exportations, d’un traitement non moins favorable que celui qui est accordé aux ressortissants et aux sociétés de l’autre Haute Partie contractante ou de tout pays tiers.»
3.81. Cette disposition impose aux Parties d’accorder aux ressortissants et sociétés de l’autre Partie un traitement non moins favorable que celui accordé à ses propres ressortissants et sociétés ou aux ressortissants et sociétés de tout pays tiers, pour toutes les questions ayant trait aux importations et aux exportations. En outre, puisqu’elle ne comporte aucune limitation territoriale ⎯ en particulier en ce qui concerne les «importations [et] exportations» ⎯, cette disposition s’applique à tous les sociétés et ressortissants iraniens prenant part à des opérations d’importation depuis, ou d’exportation vers, n’importe quel territoire, y compris, mais non exclusivement, le territoire américain173.
168 MI, p. 24-29, par. 2.19-2.26.
169 MI, p. 32-34, par. 2.35-2.40.
170 MI, p. 37-40, par. 2.50-2.60
171 MI, p. 41-42, par. 2.62-2.65. Voir également MI, p. 51-53, par. 2.85-2.94.
172 MI, p. 45-48, par. 2.70-2.79.
173 MI, p. 211-212, par. 7.2.
54
55
- 40 -
3.82. Les Etats-Unis contestent l’interprétation de l’Iran en affirmant que les «mesures qui ne concernent pas les importations ou les exportations américaines … n’entrent pas dans le champ d’application de cet article, dont les termes sont clairs»174. Pourtant, ils ne font valoir aucun argument (relatif à l’interprétation) qui montrerait que cette disposition est limitée sur le plan territorial.
3.83. L’exception soulevée par les Etats-Unis concernant le paragraphe 2 de l’article IX repose sur un autre postulat tout aussi indéfendable. Ces derniers prétendent que, puisque le «traitement national» garanti par cette disposition doit être accordé aux sociétés et ressortissants iraniens, leurs «mesures concernant les Etats tiers», qui «régissent le traitement des sociétés et ressortissants de pays tiers ou de leurs biens [sous juridiction américaine]»175, échappent à l’application de cette disposition.
3.84. Cet argument repose sur une interprétation erronée de la notion de «traitement national» ⎯ ou, pour reprendre les termes du paragraphe 2 de l’article IX, de «traitement non moins favorable que celui qui est accordé [par une partie à ses propres] ressortissants». La garantie d’un traitement national interdit légalement toute discrimination à l’encontre d’étrangers. En outre, et à la lumière de la règle de non-discrimination, les termes «accordé aux», sur lesquels les Etats-Unis s’appuient pour étayer leur argument, ne signifient rien de plus qu’«octroyé». Cela englobe deux types de «traitement» : celui qui vise explicitement la personne et celui qui, bien que sa cible déclarée ne soit pas la personne, vise celle-ci dans les faits. L’on en trouve confirmation dans la pratique du droit des traités commerciaux, dans le cadre de laquelle «la disposition relative au traitement national a été interprétée comme prohibant toute mesure discriminatoire interne, ainsi que toute mesure interne supposant indirectement une quelconque discrimination injustifiée, y compris une discrimination de facto alléguée»176. En résumé, toute mesure américaine ayant pour effet direct (et a fortiori pour objet) de conférer des avantages disproportionnés aux ressortissants internes, par rapport aux ressortissants et sociétés iraniens, en matière d’importation ou d’exportation entre dans le champ d’application du paragraphe [2] de l’article IX.
3.85. Le paragraphe 2 de l’article IX énonce donc une règle générale de non-discrimination pour les personnes se livrant à des échanges internationaux. Dans la mesure où elles ciblent expressément les importateurs et exportateurs iraniens tout en laissant leurs homologues américains indemnes, les mesures américaines contestées par l’Iran177 entrent dans le champ d’application de cette disposition et, en conséquence, l’exception d’incompétence soulevée par les Etats-Unis au sujet du paragraphe 2 de l’article IX devrait être rejetée.
3.86. Aux termes du paragraphe 3 de l’article IX,
«[a]ucune des Hautes Parties contractantes n’imposera de mesures de caractère discriminatoire ayant pour effet d’empêcher, directement ou indirectement, les importateurs ou les exportateurs de produits originaires de l’un ou l’autre pays, d’assurer lesdits produits contre les risques maritimes auprès de compagnies de l’une ou l’autre des Hautes Parties contractantes».
174 EPEU, p. 113, par. 7.51.
175 EPEU, p. 113, par. 7.51.
176 R. Vinuesa, «National Treatment, Principle» in R. Wolfrum (sous la dir. de), Max Planck Encyclopedia of Public International Law, édition en ligne, par. 41.
177 L’Iran se réfère, au paragraphe 7.3 de son mémoire, aux mesures américaines qui, dans la mesure où leur objet ou leur effet est d’empêcher les sociétés et ressortissants iraniens de se livrer à des activités de commerce international, relèvent du paragraphe 2 de l’article IX du traité d’amitié.
56
- 41 -
3.87. Dans son mémoire, l’Iran explique que cette disposition doit être lue comme interdisant aux Etats-Unis d’imposer la moindre mesure discriminatoire empêchant, directement ou indirectement, tout importateur ou exportateur, quelle que soit sa nationalité, de produits iraniens ou américains de souscrire une assurance contre les risques maritimes auprès de sociétés américaines ou iraniennes178.
3.88. Les Etats-Unis reprochent à cette interprétation d’être contraire au libellé clair de la disposition à l’examen. Ils avancent que, «[d]ans son contexte, l’expression «de l’un ou l’autre pays» précise «les importateurs ou les exportateurs de produits»» de manière à limiter l’applicabilité du paragraphe 3 de l’article IX aux importateurs et exportateurs iraniens ou américains179.
3.89. Cet argument ne saurait être admis. Non seulement il ne s’agit que d’une simple affirmation mais, en outre, les Etats-Unis ne décrivent pas le contexte dans lequel ils prétendent inscrire cette disposition, pas plus qu’ils n’expliquent pourquoi l’expression «de l’un ou l’autre pays» devrait renvoyer aux «importateurs ou … exportateurs» plutôt qu’aux «produits» ; ils trahissent également le sens ordinaire des termes de cette disposition, pris dans leur contexte.
3.90. Premièrement, si les Parties avaient voulu convenir que les «importateurs ou les exportateurs» visés dans cette disposition étaient exclusivement ceux «de l’un ou l’autre pays», elles n’auraient pas fait figurer les termes «de produits» juste après les «importateurs ou les exportateurs», puisque ce sont seulement des produits qui sont susceptibles d’être couverts par une assurance contre les risques maritimes. Dans le contexte d’une telle assurance, il serait redondant de parler d’importation de produits sauf si le terme «produits» est assorti d’un déterminant. Il y a de nombreuses occurrences où les termes «importation» ou «exportation» sont utilisés seuls dans d’autres dispositions du traité d’amitié : voir les articles VIII 1) a), IX 1) a), IX 2), XI 1) a).
3.91. Deuxièmement, l’adjectif «lesdits», tout comme l’expression «de tels» («such» dans la version anglaise du traité), sert à désigner ce dont on vient de parler180. L’emploi de «lesdits» suppose que l’on se réfère à un antécédent qui a déjà été nommé avec précision. Si le paragraphe 3 de l’article IX dit in fine «lesdits produits», cela signifie qu’à l’occurrence précédente les «produits» ont nécessairement été précisés par un déterminant. La seule expression susceptible de préciser les «produits» dans ce paragraphe est «de l’un ou l’autre pays», qui ne peut donc s’appliquer aussi aux «importateurs ou … exportateurs». Ainsi, ces termes-là ne sont pas précisés et doivent donc se comprendre comme désignant tout importateur ou exportateur quel qu’il soit.
3.92. Cette interprétation est confirmée par le terme «originaires» dans la version française, qui est une traduction de l’Organisation des Nations Unies : la disposition mentionne «les importateurs ou les exportateurs de produits originaires de l’un ou l’autre pays». Il n’aurait aucun sens de préciser que «les importateurs ou les exportateurs» sont «originaires» d’un pays ou d’un autre ; il est évident que «originaires» qualifie ici les «produits».
3.93. A l’appui de leur interprétation, les Etats-Unis se réfèrent aux «visées de cette disposition» –– encore qu’il s’agisse en réalité de leurs propres visées, comme cela ressort de l’étude
178 MI, p. 212-213, par. 7.4-7.6.
179 EPEU, p. 114, par. 7.53.
180 D. Greenberg (sous la dir. de), Stroud’s dictionary of words and phrases, 9e éd., vol. 3, Sweet and Maxwell, Londres, 2016, p. 2496. Voir aussi B. Garner (sous la dir. de), Black’s Law Dictionary, 10e éd., Thomson Reuters, St Paul, 2014, p. 1661, où «such» est notamment défini comme «ce qui vient d’être mentionné».
57
- 42 -
de M. Sullivan181. Pourtant, l’article 31 de la convention de Vienne, qui régit le processus d’interprétation des traités, ne mentionne aucun élément tel que les «visées des dispositions», quoi que cela signifie, au nombre des éléments à prendre en considération.
3.94. En résumé, l’interprétation du paragraphe 3 de l’article IX que proposent les Etats-Unis est incompatible avec le sens ordinaire des termes de cette disposition. Celle-ci doit au contraire être lue comme indiquant que l’Iran (ou les Etats-Unis) ne saurait interdire la fourniture, par des sociétés américaines (ou iraniennes), d’une assurance contre les risques maritimes à des personnes important ou exportant des produits américains ou iraniens.
3.95. Les mesures désignées par l’Iran entrent clairement dans le champ d’application du paragraphe 3 de l’article IX, lorsque celui-ci est dûment interprété182. Il est satisfait au critère défini en l’affaire des Plates-formes pétrolières et l’exception d’incompétence soulevée par les Etats-Unis au sujet de cette disposition devrait être rejetée.
SECTION 6 LES DEMANDES FORMULÉES PAR L’IRAN AU TITRE DU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE X DU TRAITÉ D’AMITIÉ
3.96. Le paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié est ainsi libellé : «Il y aura liberté de commerce et de navigation entre les territoires des deux Hautes Parties contractantes.»
3.97. Les Etats-Unis soutiennent qu’une allégation de violation de cette disposition doit «port[er] sur un commerce direct entre les territoires des Etats-Unis et de l’Iran, sans faire intervenir aucune transaction intermédiaire avec un pays tiers»183. Ils reconnaissent qu’un commerce avait cours entre le territoire de l’Iran et le leur au mois de mai 2018, et admettent que leurs mesures qui, par exemple, ont annulé les autorisations d’exportation d’aéronefs américains tombent sous le coup du paragraphe 1 de l’article X184. Cependant, les Etats-Unis affirment également que les «mesures concernant les Etats tiers» sont exclues. Leur conception du paragraphe 1 de l’article X est indéfendable à deux égards importants.
3.98. Premièrement, il est faux de dire que des échanges comprenant des transactions intermédiaires débordent nécessairement le cadre du commerce entre les territoires des deux hautes parties contractantes. Ainsi que l’Iran l’a expliqué dans son mémoire, si des transactions devaient d’emblée faire intervenir la livraison d’un produit entre les territoires iranien et américain par un intermédiaire dans un pays tiers, elles relèveraient du paragraphe 1 de l’article X185. Les Etats-Unis n’ont pas abordé ce point.
181 D. Greenberg (sous la dir. de), Stroud’s dictionary of words and phrases, 9e éd., vol. 3, Sweet and Maxwell, Londres, 2016, p. 2496. Voir aussi B. Garner (sous la dir. de), Black’s Law Dictionary, 10e éd., Thomson Reuters, St Paul, 2014, p. 1661, où «such» est notamment défini comme «ce qui vient d’être mentionné».
182 MI, p. 213-215, par. 7.7-7.12.
183 Voir EPEU, p. 116, par. 7.61.
184 Voir EPEU, p. 116, par. 7.63.
185 MI, p. 217, par. 8.6, examinant Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 207, par. 97.
58
59
- 43 -
3.99. Deuxièmement, il résulte de ce qui précède, ainsi que de l’examen que la Cour a déjà fait du paragraphe 1 de l’article X, que la question de savoir si telle ou telle mesure porte atteinte à la liberté de commerce entre les territoires des deux Etats dépend grandement des faits. Comme la Cour l’a dit en l’affaire des Plates-formes pétrolières :
«Tout acte qui entraverait cette «liberté» s’en trouve prohibé. Or, sauf à rendre une telle liberté illusoire, il faut considérer qu’elle pourrait être effectivement entravée du fait d’actes qui emporteraient destruction de biens destinés à être exportés, ou qui seraient susceptibles d’en affecter le transport et le stockage en vue de l’exportation.»186
3.100. Il en va exactement de même en ce qui concerne les «mesures concernant les Etats tiers» en l’espèce. «[I]l faut considérer [que la liberté de commerce entre les deux territoires] pourrait» (c’est même une certitude) être entravée du fait d’actes empêchant les sociétés et ressortissants iraniens de payer187, de faire transporter par bateau188 ou de faire assurer189 des biens qu’ils souhaiteraient acquérir auprès des Etats-Unis. Si, par exemple, une société iranienne gérant un hôpital souhaite acheter des fournitures et des équipements médicaux à une société américaine, et qu’elle est dans l’impossibilité de le faire parce qu’elle ne peut procéder à la transaction bancaire internationale nécessaire du fait de «mesures concernant les Etats tiers», la mesure américaine en question entrave clairement la liberté de commerce entre les territoires des deux Etats. Il est déroutant d’entendre affirmer le contraire.
3.101. Le même argument fondamental vaut pour l’ensemble du commerce entre les territoires des deux Etats qui était en cours ou envisagé avant l’introduction des mesures américaines ; lesdites mesures ont de fait rendu la liberté de commerce prescrite complètement illusoire. Comme il l’a clairement dit dans son mémoire, l’Iran n’était alors pas à même de présenter un tableau exact et raisonnablement exhaustif de la mesure dans laquelle il était porté atteinte à son droit à la liberté de commerce190. Cependant, sur la base des faits déjà exposés191, notamment en ce qui concerne les «mesures concernant les Etats tiers», les demandes de l’Iran relèvent bel et bien du paragraphe 1 de l’article X, et l’exception d’incompétence ratione materiae soulevée par les Etats-Unis devrait être rejetée.
186 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 819, par. 50, cité dans Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 201, par. 83. Voir également p. 203, par. 89.
187 MI, p. 219, par. 8.11-8.12.
188 MI, p. 220, par. 8.13.
189 MI, p. 221, par. 8.14.
190 MI, p. 221, par. 8.15.
191 MI, p. 216-221, par. 8.8-8.14.
60
- 44 -
PARTIE II LES EXCEPTIONS D’IRRECEVABILITÉ SOULEVÉES PAR LES ETATS-UNIS
CHAPITRE IV ABSENCE D’ABUS DE PROCÉDURE OU DE QUESTIONS D’OPPORTUNITÉ JUDICIAIRE
4.1. Les Etats-Unis s’efforcent d’amener la Cour à écarter totalement l’affaire en affirmant que les demandes de l’Iran sont impropres à un règlement judiciaire, puisqu’une décision à leur sujet constituerait un abus de procédure et serait incompatible avec l’opportunité judiciaire. Selon eux, «tel est le cas parce que … l’affaire porte en vérité sur le plan d’action et y est inextricablement liée, le traité d’amitié étant simplement instrumentalisé»192.
4.2. Cette exception revêt manifestement un caractère artificiel et inapproprié :
a) elle est artificielle car elle déborde le cadre de la requête de l’Iran, qui porte sur le traité d’amitié et les manquements des Etats-Unis aux obligations leur incombant au titre de cet instrument. La recevabilité de la requête de l’Iran ne peut s’apprécier qu’au regard de l’objet véritable du différend, et non par rapport à un objet artificiellement forgé par le défendeur en vue d’appuyer son argument d’irrecevabilité ;
b) elle est inappropriée car elle vise à empêcher un demandeur d’obtenir le règlement d’un différend relevant de la compétence ratione materiae de la Cour et ayant trait à des violations d’un traité en opposant à ce règlement un argument fondé sur un accord distinct et sans rapport aucun. La compétence de la Cour est le préalable à l’examen d’une allégation d’abus de procédure : ce n’est que parce que l’Iran a «établi une base de compétence valable»193 que la Cour peut se pencher sur une telle exception préliminaire. Les Etats-Unis affirment donc que la Cour, dès lors qu’elle a conclu que «les actes dont l’Iran tire grief entrent dans les prévisions du traité d’amitié et [que], par suite, le différend est de ceux dont elle est compétente pour connaître ratione materiae par application du paragraphe 2 de son article XXI»194, devrait néanmoins refuser de connaître de ce différend au fond en raison du lien supposé de ce différend avec le plan d’action, un accord qui est sans rapport avec le traité d’amitié et qui ne constitue clairement pas le fondement juridique de la présente instance.
4.3. Cette exception est de surcroît fantaisiste parce qu’elle consiste à interpréter de manière erronée, ou à méconnaître, les principes fondamentaux qui régissent les notions d’abus de procédure et d’opportunité judiciaire. Les Etats-Unis soutiennent que la Cour, si elle devait examiner l’argumentation de l’Iran au fond, se heurterait à trois conséquences : i) cela pourrait donner un «avantage illégitime»195 à l’Iran dans le contexte du plan d’action, ii) elle se trouverait prise dans un enchevêtrement de questions mettent en jeu «le mécanisme, l’architecture et l’application»196 du plan d’action, et iii) sa décision pourrait avoir de lourdes répercussions allant au-delà du traité d’amitié, en sapant les efforts politiques qui ont abouti à l’adoption du plan d’action. Suivant cette théorie, ces
192 EPEU, p. 51, par. 5.2.
193 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 336, par. 150.
194 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 23, par. 36.
195 EPEU, p. 51, par. 5.2 ; p. 59, par. 5.22, p. 62, par. 5.26, p. 65, par. 5.34, et p. 66, par. 5.38.
196 EPEU, p. 48, par. 4.15 et p. 58, par. 5.19.
61
62
- 45 -
trois conséquences soit montreraient que l’Iran s’est livré à un abus de procédure, soit soulèveraient des questions d’opportunité judiciaire, voire les deux à la fois.
4.4. Dans le présent chapitre, l’Iran montrera, de manière succincte, qu’aucune de ces conséquences présumées ne pourrait ⎯ même à supposer qu’elle devienne réalité, quod non ⎯ faire obstacle à ce que la Cour exerce ses fonctions judiciaires et règle le présent différend :
a) dans la section 1, l’Iran apportera la preuve qu’il n’a commis aucun abus de procédure en déposant sa requête introductive d’instance ; et
b) dans la section 2, il montrera que, en se penchant et en statuant sur ses demandes, la Cour n’ira pas à l’encontre de sa fonction judiciaire, bien au contraire : elle s’en acquittera.
SECTION 1 LES DEMANDES LÉGITIMES DE L’IRAN NE CONSTITUENT PAS UN ABUS DE PROCÉDURE
4.5. La position de l’Iran n’a pas varié depuis la phase des exceptions préliminaires en l’affaire relative à Certains actifs iraniens : le fait de soumettre à la Cour un différend en bonne et due forme sur la base d’une clause attributive de compétence en vigueur, et dans un cas où les demandes se rapportent aux violations d’un traité, ne peut en principe être considéré comme un abus de procédure. Affirmer le contraire reviendrait à mettre en péril le principe même du règlement pacifique des différends par la voie du règlement judiciaire, qui est consacré au paragraphe 1 de l’article 33 de la Charte des Nations Unies.
4.6. Les Etats-Unis tentent d’éluder cette faille fondamentale de leur argumentation concernant «l’abus de procédure» en affirmant qu’un tel abus «ne peut être complètement défini dans l’abstrait»197. Ils consacrent ensuite de longs passages de leur exposé à décrire les deux circonstances qui, prétendent-ils sans avancer le moindre fondement juridique, établiraient l’existence d’un abus de procédure en la présente espèce.
4.7. Pourtant, la Cour a examiné cette notion et les conditions devant être remplies pour qu’un tel abus puisse être constaté (partie A). Selon sa jurisprudence, ce n’est que dans des circonstances extrêmes ou «exceptionnelles» qu’elle refusera, pour abus de procédure, de connaître d’une demande à l’égard de laquelle elle a compétence. Les demandes de l’Iran ne satisfont en aucune façon à cette exigence (partie B).
197 EPEU, p. 59, par. 5.22.
63
- 46 -
A. Les circonstances exceptionnelles devant exister pour qu’un abus de procédure puisse être constaté
4.8. Dans plusieurs affaires, la Cour a eu à se pencher sur des allégations d’abus de procédure198. Elle n’a toutefois conclu à l’existence de pareil abus dans aucune. Les Etats-Unis ont déjà formulé des allégations d’abus de procédure dans deux autres affaires : tout d’abord dans celle des Activités militaires et paramilitaires, en laquelle ils se sont opposés, en vain, à la requête du Nicaragua au motif que la procédure était superflue et motivée par l’intention de servir une propagande politique199 ; et ensuite dans celle relative à Certains actifs iraniens, lorsque les Etats-Unis ont soulevé une exception préliminaire pour des motifs analogues à ceux invoqués en la présente instance. Ils demandaient à la Cour de voir un abus de procédure dans les demandes de l’Iran au motif, entre autres, que celui-ci s’efforçait de mêler la Cour à un différend stratégique plus large et tentait, par ses demandes, de détourner l’objet du traité200. La Cour a rejeté ces allégations, comme elle l’a fait dans toutes les autres affaires où un abus de procédure était allégué.
4.9. Le seuil à partir duquel peut être établie l’existence d’un abus de procédure est très élevé. La Cour l’a précisé en l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales :
«la Cour ne considère pas que [le demandeur], qui a établi une base de compétence valable, devrait voir sa demande rejetée à un stade préliminaire s’il n’existe pas d’éléments attestant clairement que son comportement pourrait procéder d’un abus de procédure. … Seules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier que la Cour rejette pour abus de procédure une demande fondée sur une base de compétence valable.»201
4.10. En l’affaire relative à Certains actifs iraniens, la Cour, ajoutant à son dictum en l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales202, a conclu qu’il devait exister des éléments de preuve attestant clairement que le comportement du demandeur procédait d’un abus de procédure203. Elle a considéré qu’il n’était pas satisfait à ces conditions dans cette affaire, pour le motif suivant :
«[l]a Cour a déjà relevé que le traité d’amitié était en vigueur entre les Parties à la date de l’introduction de la requête iranienne, … et qu’il contient en son article XXI une clause compromissoire visant sa compétence. La Cour n’estime pas qu’il existe, en
198 Ambatielos (Grèce c. Royaume–Uni), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 22-23 ; Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1957, p. 147-148 ; Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1964, p. 23-24 ; Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 91-92, par. 51-56, et p. 105-106, par. 94 ; Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée-Bissau c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 1991, p. 63, par. 26-27 ; Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 255, par. 37-38 ; Incident aérien du 10 août 1999 (Pakistan c. Inde), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 2000, p. 30, par. 40 ; Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 37-38, par. 44.
199 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 10 mai 1984, C.I.J. Recueil 1984, p. 178-180, par. 21-25.
200 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 42, par. 107-109.
201 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 336, par. 150.
202 Ibid.
203 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 43, par. 113 ; Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 336, par. 150 ; Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 255, par. 38.
64
65
- 47 -
l’espèce, des circonstances exceptionnelles qui justifieraient qu’elle rejette la demande de l’Iran pour abus de procédure.»204
4.11. Ce raisonnement vaut également en la présente espèce.
B. Les conséquences dont les Etats-Unis allèguent qu’elles témoignent d’un abus de procédure ne constituent pas des circonstances exceptionnelles
4.12. Les deux conséquences dont les Etats-Unis prétendent qu’elles témoignent concrètement d’un abus de procédure ⎯ à savoir la décision que l’Iran prie la Cour de rendre en l’instance et les répercussions politiques qui pourraient en résulter ⎯ souffrent d’une faille manifeste : ce sont des conséquences que l’on peut normalement attendre de tout différend entre deux parties au sujet d’un traité et qui ne sauraient en aucune façon être considérées comme des «circonstances exceptionnelles».
i) Demander à ce qu’un accord international valide soit appliqué et fait respecter n’est pas rechercher une injustice ou un avantage indu
4.13. Le principal argument des Etats-Unis est le suivant :
«l’Iran cherche par ses demandes à obliger les Etats-Unis à lui accorder la levée des sanctions qui avait été convenue par un quid pro quo très clair dans le plan d’action : l’Iran devait respecter certaines restrictions concernant son programme nucléaire pour obtenir la levée de sanctions spécifiques en la matière»205.
Estimant que ces engagements n’étaient pas juridiquement contraignants dans le cadre du plan d’action, les Etats-Unis ajoutent : «si [la Cour] acceptait de connaître de la présente affaire, il existerait une possibilité bien réelle que l’Iran obtienne une décision juridique imposant aux Etats-Unis de fournir le quid … sans qu’il soit lui-même tenu de fournir le quo»206.
4.14. L’argument des Etats-Unis comporte deux propositions distinctes : premièrement, la requête de l’Iran équivaudrait au «recours à une procédure judiciaire afin … d’«obtenir un avantage illégitime»»207 ; et, deuxièmement, en soumettant artificiellement une affaire sur la base du traité d’amitié, l’Iran chercherait en réalité à obtenir une décision sur le plan d’action, ce qui constituerait une question distincte à régler «par des moyens politiques et non juridiques»208.
4.15. La Cour a déjà dit que pareilles affirmations, qu’elles soient fondées ou non ⎯ et en l’occurrence, elles ne le sont manifestement pas ⎯ ne sauraient procéder d’un abus de procédure de la part du demandeur. En l’affaire relative à des Actions armées frontalières et transfrontalières, la Cour :
204 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 43, par. 114 ; voir également Jadhav (Inde c. Pakistan), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (II), par. 49.
205 EPEU, p. 61, par. 5.26.
206 EPEU, p. 66, par. 5.37.
207 EPEU, p. 59, par. 5.22.
208 EPEU, p. 65, par. 5.33.
66
- 48 -
a) a, d’une part, répondu à l’affirmation du Honduras selon laquelle le Nicaragua s’employait à l’utiliser «comme moyen d’exercer des pressions politiques sur les autres Etats d’Amérique centrale» en faisant observer ce qui suit :
«en tant qu’organe judiciaire, [la Cour] doit seulement s’attacher à déterminer d’une part si le différend qui lui est soumis est d’ordre juridique, c’est-à-dire s’il est susceptible d’être résolu par application des principes et des règles du droit international, et d’autre part si elle a compétence pour en connaître et si l’exercice de cette compétence n’est pas entravé par des circonstances qui rendent la requête irrecevable. L’objet de la saisine de la Cour est le règlement pacifique de tels différends. La Cour se prononce en droit et n’a pas à s’interroger sur les motivations d’ordre politique qui peuvent amener un Etat, à un moment donné ou dans des circonstances déterminées, à choisir le règlement judiciaire»209 ; et
b) a, d’autre part, répondu à l’accusation d’artificialité formulée contre la requête du Nicaragua, qui n’aurait porté que sur une partie du «conflit général qui se déroul[ait] en Amérique centrale», soulignant :
«La Cour n’ignore pas les difficultés qui peuvent surgir lorsque des aspects particuliers d’une situation générale complexe sont soumis à un tribunal pour qu’il se prononce séparément sur ces aspects. Néanmoins, comme la Cour l’a fait observer dans l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, «aucune disposition du Statut ou du Règlement ne lui interdit de se saisir d’un aspect d’un différend pour la simple raison que ce différend comporterait d’autres aspects, si importants soient-ils» (C.I.J. Recueil 1980, p. 19, par. 36).»210
4.16. Les Etats-Unis ne parviennent pas non plus à satisfaire au critère factuel ⎯ la preuve de «circonstances exceptionnelles» ⎯ qui, selon la jurisprudence de la Cour, doit être rempli pour établir l’existence d’un abus de procédure211. Ils avancent que, dans la présente espèce, les circonstances exceptionnelles résident dans l’«avantage illégitime qui serait obtenu et l’injustice qui en résulterait si la Cour acceptait de connaître de la thèse iranienne»212. Mais il est impossible qu’un droit reconnu à l’Iran en conséquence de la présente procédure soit «illégitime»213. Ce droit ne ferait que découler du traité conclu entre les Parties, tel que confirmé et qu’appliqué par la Cour.
4.17. L’argument des Etats-Unis reviendrait en outre à empêcher d’ester en justice tout demandeur tirant grief de violations conventionnelles ou de manquements à d’autres obligations de droit international dès lors que, par sa décision, l’organe judiciaire saisi risquerait d’interférer avec l’exécution d’un autre instrument international. Une telle définition de l’abus de procédure rendrait irrecevables les multiples demandes présentées pour des manquements présumés à des obligations conventionnelles ou au droit international coutumier, puisque le fait de statuer sur de tels manquements par une partie aurait souvent des implications pour l’exécution, par cette partie, d’autres obligations internationales.
209 Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 91, par. 52.
210 Ibid., p. 92, par. 54.
211 Voir plus haut, p. 51-52, par. 4.9-4.10.
212 EPEU, p. 65, par. 5.34.
213 EPEU, p. 51, par. 5.2 ; p. 59, par. 5.22 ; p. 62, par. 5.26, p. 65, par. 5.34 ; et p. 66, par. 5.38.
67
- 49 -
ii) Les implications politiques d’un règlement judiciaire international ne sont pas un motif pertinent pour alléguer l’existence d’un abus de procédure
4.18. Les Etats-Unis affirment également que, si la Cour devait se prononcer sur les demandes de l’Iran, «cela pourrait avoir des répercussions importantes bien au-delà du traité»214, puisque
«permettre que la thèse iranienne soit examinée au fond (alors que les participants au plan d’action ont manifesté leur intention délibérée que ces questions sensibles soient traitées par des moyens politiques et non juridiques) pourrait fort bien entacher d’incertitude d’autres tentatives en cours pour résoudre des problèmes transnationaux complexes par des arrangements politiques»215.
4.19. Mis à part le fait qu’entendre les Etats-Unis parler d’incertitude au sujet du plan d’action ne manque pas d’ironie, cet argument traduit au fond un déni total de la sécurité juridique requise en droit international public. L’Iran et les Etats-Unis ont conclu le traité d’amitié afin de garantir leurs droits et obligations réciproques. Il n’est ni défendable ni sérieux d’affirmer que l’Iran ne peut présenter de demande pour le non-respect de ces droits et obligations réciproques simplement parce que cela pourrait restreindre les possibilités d’arrangements politiques sur de futures questions «difficilement prévisibles»216.
4.20. En réalité, le fait qu’un différend relatif à l’interprétation ou à l’application d’un accord international puisse avoir des implications politiques est sans importance aux fins du règlement de ce différend.
4.21. La jurisprudence de la Cour à cet égard est constante. Il suffit de rappeler qu’elle a, en 1980, réglé la question de la manière suivante :
«Nul n’a … jamais prétendu que, parce qu’un différend juridique soumis à la Cour ne constitue qu’un aspect d’un différend politique, la Cour doit se refuser à résoudre dans l’intérêt des parties les questions juridiques qui les opposent. La Charte et le Statut ne fournissent aucun fondement à cette conception des fonctions ou de la juridiction de la Cour ; si la Cour, contrairement à sa jurisprudence constante, acceptait une telle conception, il en résulterait une restriction considérable et injustifiée de son rôle en matière de règlement pacifique des différends internationaux.»217
Cette position a été réaffirmée en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires :
«Il convient également de rappeler que, comme en témoigne l’affaire du Détroit de Corfou … , la Cour ne s’est jamais dérobée devant l’examen d’une affaire pour la simple raison qu’elle avait des implications politiques ou comportait de sérieux éléments d’emploi de la force.»218
214 EPEU, p. 58, par. 5.19.
215 EPEU, p. 65, par. 5.33.
216 Ibid.
217 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 20, par. 37.
218 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 435, par. 96.
68
- 50 -
4.22. Rien ne justifie de s’écarter de cette position bien établie, qui protège la sécurité juridique attendue de traités internationaux tels que le traité d’amitié. Les répercussions politiques supposées d’une décision sur les demandes de l’Iran ne sauraient être considérées comme une «circonstance exceptionnelle» constitutive d’un abus de procédure.
SECTION 2 EN EXERÇANT SA COMPÉTENCE EN LA PRÉSENTE AFFAIRE, LA COUR NE COMPROMETTRA PAS L’INTÉGRITÉ DE SA PROCÉDURE JUDICIAIRE
4.23. Les Etats-Unis soutiennent que la recevabilité des demandes de l’Iran peut être contestée sur un autre fondement : le fait que certaines des conséquences qu’auraient, selon eux, ces demandes placeraient la Cour dans une situation incompatible avec sa fonction judiciaire219. Cette allégation est tout aussi infondée que celle relative à l’abus de procédure.
4.24. Le défendeur ne se donne pas la peine de définir ce que recouvre la notion d’opportunité judiciaire et les conditions dans lesquelles cette considération pourrait amener la Cour à déclarer une requête irrecevable. Pour justifier cette absence d’explication, il se réfère à l’arrêt rendu en l’affaire du Cameroun septentrional, dans lequel la Cour a reconnu qu’«il n’était pas possible de délimiter à l’avance toutes les circonstances dans lesquelles elle devrait user de son pouvoir inhérent de refuser d’exercer sa compétence»220. Mais l’impossibilité de «classer»221 toutes les situations susceptibles d’être couvertes par une notion juridique n’exonère pas la partie qui en tire argument de son obligation d’en établir la teneur et de définir les conditions particulières dans lesquelles cette notion peut être opposée à l’autre partie.
4.25. Les Etats-Unis se contentent d’affirmer que les circonstances ou les conséquences de la présente instance menacent l’intégrité de la procédure judiciaire de la Cour. Cette position manque de sérieux et prive leur argumentation de tout fondement juridique.
4.26. L’Iran entend toutefois démontrer que, contrairement aux allégations du défendeur, la notion d’opportunité judiciaire peut être définie, du point de vue tant de sa teneur que de sa portée (partie A), et qu’aucune des circonstances qui, selon les Etats-Unis, sont incompatibles avec la fonction judiciaire de la Cour ne soulève de véritable question d’opportunité judiciaire (partie B).
A. Les limitations inhérentes aux fonctions judiciaires de la Cour demeurent exceptionnelles
4.27. Ainsi qu’il est énoncé à l’article 38 de son Statut, la Cour a pour mission de «régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis»222.
219 EPEU, p. 58, par. 5.19, et p. 65, par. 5.34.
220 Ibid., p. 60, par. 5.23.
221 Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 30.
222 Statut de la Cour, art. 38.
69
70
- 51 -
4.28. Cette fonction judiciaire est essentielle dans tout ordre juridique. En effet, ainsi que l’a rappelé le juge Bustamante dans l’exposé de son opinion dissidente en l’affaire du Cameroun septentrional,
«[l]a garantie judiciaire est, en vérité, un des supports les plus précieux de la société moderne. Elle signifie la priorité du droit sur d’autres facteurs : intérêt, négligence, abus ou force. Elle fortifie le principe de la responsabilité comme régulateur de la conduite sociale et internationale. Elle peut éviter à l’avenir de nouvelles transgressions. Elle constitue, en somme, une garantie multiple dont l’objet est de dire le droit là où il faut le déclarer.»223
4.29. Ainsi, pour faire valablement valoir que, en examinant une affaire particulière, la Cour n’exercerait pas, de fait, la fonction judiciaire qui est la sienne, les circonstances de l’affaire en question doivent être par nature susceptibles d’empêcher la Cour d’examiner les points de droit et de fait précis qu’elle est appelée à trancher, ou d’entraver sa capacité d’examen. Selon Hubert Thierry, la jurisprudence de la Cour fournit des éléments suffisants pour déterminer dans quelles conditions la fonction judiciaire de celle-ci pourrait être mise en jeu par le dépôt d’une requête ou l’examen d’un différend :
«la fonction judiciaire de la Cour n’est pas en jeu lorsque celle-ci n’est pas appelée à dire le droit (tâche étrangère à la fonction), lorsque le différend est sans objet (la fonction judiciaire n’ayant alors rien sur quoi s’exercer) ou enfin lorsque cette fonction ne peut être accomplie sans être dénaturée (conditions incompatibles avec l’exercice de la fonction)»224.
4.30. Aucun de ces cas de figure ne s’applique à la présente espèce, dans laquelle la Cour est appelée à se prononcer sur les violations d’un traité et s’est déclarée compétente ratione materiae pour connaître du différend, et où aucune des demandes de l’Iran ne déborde le cadre de sa fonction judiciaire.
B. Statuer sur les demandes de l’Iran ne mettra pas en péril la fonction judiciaire de la Cour
4.31. Les Etats-Unis avancent que deux des trois conséquences qu’auront, selon eux, les demandes de l’Iran pourraient mettre en jeu l’intégrité judiciaire de la Cour, à savoir :
a) premièrement, le «profond enchevêtrement» de questions faisant intervenir le plan d’action dans lequel la Cour pourrait se trouver prise en examinant ces demandes225 ; et
b) deuxièmement, le risque que l’Iran obtienne un «avantage illégitime» si la Cour devait accueillir ses demandes226.
223 Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, opinion dissidente de M. le juge Bustamante, p. 180.
224 H. Thierry, «L’arrêt de la Cour internationale de Justice dans l’affaire du Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt du 2 décembre 1963», AFDI, vol. 10, 1964, p. 315.
225 EPEU, p. 58, par. 5.19.
226 Ibid., p. 65, par. 5.34.
71
- 52 -
4.32. Or ni l’une ni l’autre de ces vagues allégations ne peut justifier de prier la Cour de débouter le demandeur en vue de protéger l’intégrité de sa procédure judiciaire.
i) La Cour étant saisie d’un différend concernant le traité d’amitié, rien dans le contexte factuel de la présente affaire ne saurait entamer l’intégrité de sa procédure judiciaire
4.33. Ainsi que l’Iran l’a rappelé à maintes reprises227, la présente affaire porte sur le traité d’amitié et les manquements des Etats-Unis aux obligations qui leur incombent au titre de cet instrument. Aucune des demandes formulées par l’Iran dans sa requête et son mémoire n’impose à la Cour de formuler la moindre conclusion juridique concernant le plan d’action. Il n’y a donc aucune raison que celle-ci se trouve inévitablement prise dans une sorte de «profond enchevêtrement de questions mettant en jeu le mécanisme, l’architecture et l’application du plan d’action», si elle devait examiner et juger les demandes de l’Iran228.
4.34. En outre, le fait que le contexte factuel de la présente instance soit en partie lié au plan d’action et à la décision des Etats-Unis de s’en retirer ne saurait en aucun cas placer la Cour dans une position incompatible avec sa fonction judiciaire. Celle-ci a, dans sa jurisprudence, défini les situations dans lesquelles sa fonction judiciaire pouvait être mise en jeu, et aucune ne correspond au «profond enchevêtrement» de questions faisant intervenir le plan d’action contre lequel les Etats-Unis prétendent la mettre en garde :
a) Dans l’affaire du Cameroun septentrional, la Cour a estimé que, si elle examinait une affaire au fond lorsque «les circonstances … rendent toute décision judiciaire sans objet», elle «ne s’acquitterait pas des devoirs qui sont les siens»229. En la présente affaire, toutefois, la décision judiciaire que recherche l’Iran a un objet tout à fait concret qui n’est pas lié au plan d’action : il s’agit de faire constater les violations du traité d’amitié, de faire cesser les mesures mises en oeuvre conformément à la décision du 8 mai ou en lien avec celle-ci, d’obtenir une garantie de non-répétition des violations du traité d’amitié commises par les Etats-Unis et d’obtenir des remèdes appropriés, à titre de restitutio in integrum230.
b) Dans l’affaire des Zones franches, c’est parce que certaines des demandes, dépendant du jeu d’intérêts économiques, se trouvaient «en dehors du domaine où une cour de justice, dont la tâche est d’appliquer des règles de droit, peut aider à la solution de différends entre deux Etats»231 que la Cour a décidé de ne pas y donner suite. De même, dans l’affaire Haya de la Torre, la Cour a estimé qu’il ne relevait pas de sa fonction judiciaire de faire un «choix … [qui] ne pourrait être fondé sur des considérations juridiques, mais seulement sur des considérations de nature pratique ou d’opportunité politique»232. Une telle éventualité n’est toutefois pas en question dans la présente affaire, et les Etats-Unis ne l’ont même pas invoquée. La requête déposée par l’Iran en l’espèce soulève des questions fondées sur des considérations juridiques, qui consistent à savoir si, en rétablissant des sanctions liées au nucléaire après le 8 mars 2018, les Etats-Unis ont manqué aux obligations juridiques qui leur incombaient au titre d’un instrument international valide, le traité d’amitié.
227 Voir notamment plus haut, par. 1.3-1.5 et chap. II, sect. 1.
228 EPEU, p. 58, par. 5.19.
229 Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 27.
230 MI, conclusions, p. 245.
231 Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, arrêt, 1932, C.P.J.I. série A/B no 46, p. 162.
232 Haya de la Torre (Colombie/Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 79.
72
73
- 53 -
c) Enfin, dans cette même affaire des Zones franches, la Cour, consciente de l’indépendance nécessaire à la prise de ses décisions, a refusé de se voir «impos[er] … de choisir entre des interprétations déterminées d’avance [par les Parties] et dont il se pourrait qu’aucune ne correspondît à l’opinion qu’elle se serait formée»233 ou de rendre un arrêt «dont la validité serait subordonnée à l’approbation ultérieure des Parties»234. Une fois encore, on peut exclure pareille hypothèse en la présente espèce. Les Etats-Unis ont beau se focaliser sur le plan d’action, ni l’une ni l’autre des Parties ne soutient que la décision de la Cour pourrait être soumise à certaines limites, compte tenu de la nécessité pour celle-ci de préserver son indépendance.
4.35. Ainsi, le supposé «profond enchevêtrement» de questions faisant intervenir le plan d’action dans lequel la Cour pourrait se trouver prise ne soulève aucun problème d’opportunité judiciaire.
ii) Des conséquences politiques alléguées ne sauraient faire obstacle à l’exercice par la Cour de sa fonction judiciaire
4.36. Les Etats-Unis affirment en outre que, étant donné le caractère «illégitime» de l’«avantage»235 supposé qui serait octroyé à l’Iran dans la présente instance ⎯ c’est-à-dire la levée des mesures découlant de la décision du 8 mai ⎯, «un tel octroi» par la Cour placerait celle-ci «dans une position incompatible avec sa fonction intrinsèquement judiciaire»236.
4.37. De toute évidence, cette thèse ne peut être étayée en invoquant l’une ou l’autre des trois situations susceptibles, selon la jurisprudence de la Cour, de soulever des questions d’opportunité judiciaire237 :
a) premièrement, il serait absurde d’affirmer que l’«octroi des remèdes sollicités»238 dans la requête de l’Iran puisse rendre la présente instance sans objet puisqu’il constitue, précisément, l’objet de la décision judiciaire que celui-ci recherche ;
b) deuxièmement, aux fins de l’«octroi des remèdes sollicités»239, tout ce que la Cour a à faire ⎯ et tout ce que l’Iran la prie de faire ⎯, c’est de dire le droit au regard du traité d’amitié, et rien de plus ;
c) enfin, ce n’est pas parce qu’elle procédera à l’«octroi des remèdes sollicités»240 que la Cour n’agira pas en tant qu’organe judiciaire indépendant, jugeant de manière impartiale les demandes respectives des deux Parties ; le fait que les Etats-Unis s’inscrivent d’emblée en faux contre la
233 Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, ordonnance du 19 août 1929, C.P.J.I. série A no 22, p. 15.
234 Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, arrêt, 1932, C.P.J.I. série A/B no 46, p. 161.
235 EPEU, p. 65, par. 5.34
236 Ibid.
237 Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 27 ; Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, arrêt, 1932, C.P.J.I. série A/B no 46, p. 161 ; Haya de la Torre (Colombie/Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 79 ; Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, ordonnance du 19 août 1929, C.P.J.I. série A no 22, p. 15 ; voir également plus haut, par. 4.34.
238 EPEU, p. 65, par. 5.34.
239 Ibid.
240 Ibid.
74
- 54 -
décision qui pourra être rendue par la Cour ne signifie pas, fort heureusement, que celle-ci n’est pas en mesure de garantir l’indépendance de sa fonction judiciaire.
4.38. En outre, à supposer que la thèse des Etats-Unis repose sur la supposition inédite selon laquelle, pour préserver ses fonctions judiciaires, la Cour doit également s’abstenir de connaître d’une affaire si l’une des parties soutient qu’elle sera désavantagée dans un contexte parfaitement distinct, cette thèse va à l’encontre non seulement de la jurisprudence de la Cour, mais aussi de la notion même d’opportunité judiciaire.
4.39. La Cour n’a, de fait, jamais refusé de connaître d’une affaire en raison des conséquences que sa décision pourrait avoir sur une procédure distincte portée devant un autre organe. Ainsi qu’elle l’a souligné en l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire,
«[l]es raisons en sont évidentes : c’est à la Cour, organe judiciaire principal des Nations Unies, qu’il appartient de résoudre toute question juridique pouvant opposer des parties à un différend ; et la résolution de ces questions juridiques par la Cour peut jouer un rôle important et parfois déterminant dans le règlement pacifique du différend»241.
Ainsi, dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires, la Cour, en réponse à l’allégation des Etats-Unis selon laquelle la question portée devant elle relevait «essentiellement du Conseil de sécurité», s’est dite «d’avis que le fait qu’une question [fût] soumise au Conseil de sécurité ne d[evait] pas empêcher la Cour d’en connaître, et que les deux procédures p[ouvaient] être menées parallèlement»242.
4.40. Mais, plus surprenant encore, les Etats-Unis prient la Cour de faire un choix, s’agissant de la recevabilité des demandes de l’Iran, en se fondant non pas sur des considérations juridiques mais «sur des considérations de nature pratique ou d’opportunité politique»243. Or, si, au lieu de dire le droit, elle rendait une décision fondée sur des considérations politiques, la Cour se trouverait dans une position incompatible avec sa fonction judiciaire. En résumé, les droits que l’Iran cherche à faire respecter au moyen d’une décision sur ses demandes dans la présente affaire ne soulèvent aucune question d’opportunité judiciaire.
4.41. Les allégations américaines d’abus de procédure et d’incompatibilité avec le principe de l’opportunité judiciaire sont donc non seulement artificielles et inappropriées, mais également fantaisistes et infondées. L’Iran a introduit la présente instance dans le seul but de faire sauvegarder les droits qu’il tient du traité d’amitié étant donné que lesdits droits ont été ⎯ et continuent d’être ⎯ bafoués par les sanctions rétablies par les Etats-Unis, ce qui a de tragiques conséquences pour la population et l’économie iraniennes.
4.42. Les Etats-Unis invoquent les difficultés qu’ils ont eux-mêmes créées, à la suite de leur décision de se retirer du plan d’action, afin de priver l’Iran de la voie de recours qui, en vertu du traité d’amitié, lui est ouverte devant la Cour aux fins de l’examen du différend fondamental qui
241 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 22, par. 40.
242 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 433, par. 93.
243 Haya de la Torre (Colombie/Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 79.
75
76
- 55 -
oppose les Parties concernant des violations de cet instrument international. Pourtant, comme la Cour l’a déclaré dans l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire,
«[c]’est précisément au moment où des difficultés se présentent que le traité prend toute son importance ; l’objet même de l’article XXI, paragraphe 2, du traité de 1955 est de procurer le moyen de parvenir au règlement amical de difficultés semblables par la Cour ou par d’autres voies pacifiques. Conclure qu’une action devant la Cour en vertu de l’article XXI, paragraphe 2, ne serait pas ouverte aux parties au moment précis où cette voie de recours est le plus nécessaire serait donc contraire au but même du traité de 1955.»244
244 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 28, par. 54.
- 56 -
CHAPITRE V LES DÉFENSES OFFERTES PAR LE PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE XX DU TRAITÉ D’AMITIÉ NE PEUVENT ÊTRE EXAMINÉES QU’AU STADE DU FOND
5.1. Aux points c) et d) de leurs conclusions,
«les Etats-Unis d’Amérique demandent à la Cour de :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
c) rejeter dans leur intégralité les demandes de l’Iran comme étant exclues par l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié ;
d) rejeter dans leur intégralité les demandes de l’Iran comme étant exclues par l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié».
Les Etats-Unis soutiennent à cet égard que «[l]a requête de l’Iran n’est pas défendable et devrait être rejetée au stade des exceptions préliminaires»245 et que,
«[n]onobstant la récente décision de la Cour, dans l’affaire relative à Certains actifs iraniens, de reporter au stade du fond l’examen de l’exception formulée en celle-ci par les Etats-Unis sur la base du paragraphe 1 de l’article XX, il existe de bonnes raisons permettant et même exigeant que, en l’espèce, la Cour traite à titre préliminaire les exceptions américaines relatives à ces dérogations»246.
Cette position n’est guère compatible avec leur affirmation selon laquelle,
«[s]’agissant de ces exceptions, [ils] n’ignorent pas que, dans son arrêt sur les exceptions préliminaires en l’affaire relative à Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique) … , la Cour a conclu que le paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié ne restreignait pas sa compétence, encore que les dérogations y énoncées pussent offrir une défense au fond»247.
5.2. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la Cour n’a pas davantage de raisons de retenir cette exception dans la présente affaire qu’elle n’en avait dans celle relative à Certains actifs iraniens. L’argument fondé sur le paragraphe 1 de l’article XX a déjà été avancé par les Etats-Unis au stade des exceptions préliminaires de cette instance248, et la Cour l’a écarté en des termes qui ne permettent pas de le présenter à nouveau au stade actuel de la présente affaire. La thèse des Etats-Unis en l’affaire relative à Certains actifs iraniens a été rapportée (en substance) dans les termes suivants :
«En outre, selon les Etats-Unis, même si la Cour venait à considérer que le paragraphe 1 de l’article XX du traité ne saurait servir de base à une exception d’incompétence, il ne lui serait pas pour autant interdit d’examiner à titre préliminaire toute autre exception fondée sur cet article et cela sans traiter du fond. Les Etats-Unis soutiennent ainsi que la première exception qu’ils ont soulevée est une exception sur
245 EPEU, p. 68, par. 6.1.
246 Ibid., p. 68, par. 6.3.
247 Ibid., p. 8, par. 1.20.
248 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires soulevées par les Etats-Unis d’Amérique, p. 65, par. 7.9 ; CR 2018/29, p. 19-22, par. 56-74 (Daley).
77
78
- 57 -
laquelle la Cour devrait rendre une décision avant que la procédure sur le fond se poursuive, conformément au paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement de la Cour.»249
5.3. Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 13 février 2019 en cette affaire, la Cour a estimé que «les alinéas c) et d) du paragraphe 1 de l’article XX [du traité d’amitié] ne restreign[aient] pas sa compétence mais offr[aient] seulement aux Parties une défense au fond»250. Elle a en conséquence rejeté, à l’unanimité, la première exception préliminaire que les Etats-Unis avaient soulevée sur la base de ces dispositions et au regard des éléments du paragraphe 1 de l’article 79 ⎯ devenu paragraphe 1 de l’article 79bis ⎯ du Règlement auxquels ils se réfèrent à nouveau aujourd’hui251. Bien que le raisonnement de la Cour soit, de la même manière, pleinement applicable à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX, qu’ils invoquent conjointement avec l’alinéa d) en la présente espèce, les Etats-Unis affirment que ces deux dispositions constituent des «dérogations» qui sont dissociables du fond des demandes de l’Iran et revêtent un caractère exclusivement préliminaire252.
5.4. Compte tenu de la position exprimée par la Cour de manière répétée et univoque, l’Iran s’abstiendra d’examiner les arguments avancés par les Etats-Unis à cet égard ; il y répondra en temps opportun, c’est-à-dire au stade du fond, lorsqu’il se penchera sur les autres arguments présentés dans ce cadre par les Etats-Unis.
5.5. Les exceptions soulevées en application du paragraphe 1 de l’article 79bis253 du Règlement de la Cour doivent, en substance, concerner la compétence et avoir un caractère exclusivement préliminaire, c’est-à-dire ne pas effleurer le fond (partie A). L’Iran démontrera dans le présent chapitre que les exceptions soulevées par les Etats-Unis au titre du paragraphe 1 de l’article XX ne sont pas des exceptions d’incompétence (partie B) et ne revêtent pas un caractère exclusivement préliminaire puisqu’elles relèvent pleinement du fond de l’affaire (partie C).
SECTION 1 LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES NE DOIVENT PAS EFFLEURER LE FOND
5.6. Les Etats-Unis laissent entendre qu’il existe une règle selon laquelle «[l]es exceptions doivent généralement faire l’objet d’une décision au stade préliminaire»254. Cette affirmation est par trop générale et catégorique, et c’est de façon plus réaliste qu’ils reconnaissent ensuite que «[l]a Cour … d[oit] statuer sur les exceptions préliminaires d’un défendeur avant de procéder à l’examen au fond d’une affaire dès lors que ces exceptions revêt[]ent un caractère exclusivement préliminaire»255. En d’autres termes, les exceptions préliminaires doivent généralement faire l’objet d’une décision au stade préliminaire, sous réserve de l’exception prévue au paragraphe 4 de l’article 79ter du Règlement de la Cour.
249 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 24, par. 41.
250 Ibid., p. 25, par 47.
251 Ibid., p. 44, par. 126, point 1) du dispositif.
252 EPEU, p. 69, par. 6.4-6.5.
253 Les exceptions préliminaires des Etats-Unis sont fondées sur l’ancien paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement de la Cour, tel qu’il existait au moment de la rédaction de cette pièce.
254 EPEU, chap. 4, sect. A.
255 EPEU, p. 41, par. 4.2 (les italiques sont de nous).
79
- 58 -
5.7. L’Iran convient qu’«[u]ne exception préliminaire revêt un … caractère [exclusivement préliminaire] lorsque la Cour dispose de tous les faits nécessaires pour trancher la question et qu’elle est en mesure d’y répondre sans préjuger le différend ou l’un quelconque de ses aspects de fond»256. Il échet toutefois de relever que ces deux conditions doivent être réunies et qu’il découle clairement de la seconde que, pour pouvoir être examinée à titre préliminaire, l’exception doit intrinsèquement concerner la compétence, sans effleurer les questions de substance qui constituent le fond du différend. Dans le cas contraire, le défendeur n’aurait qu’à présenter une défense sur n’importe laquelle de ces questions de substance pour obtenir une décision préliminaire sur le fond du différend.
5.8. L’argumentation des Etats-Unis se heurte inévitablement, de fait, à une contradiction intrinsèque : un Etat ne peut prétendre à la fois qu’une exception n’est pas une exception d’incompétence (lato sensu) et qu’elle ne se rapporte pas au fond. L’article 79bis du Règlement précise et applique les dispositions du paragraphe 6 de l’article 36 du Statut de la Cour, qui concerne les contestations «sur le point de savoir si la Cour est compétente». L’opposition entre, d’une part, la compétence et la recevabilité, et d’autre part, le fond du différend ressort clairement du Règlement lui-même :
a) l’article 79 dispose, en son paragraphe 1, que la Cour peut décider, de sa propre initiative, «qu’il sera statué séparément sur toute question concernant sa compétence ou la recevabilité de la requête», faisant référence, en son paragraphe 2, aux seules «pièces de procédure relatives à la compétence ou à la recevabilité» ;
b) le paragraphe 1 de l’article 79bis donne à penser que les exceptions préliminaires ne peuvent influer sur le fond puisqu’il prévoit une suspension de la procédure au fond ; et
c) le paragraphe 3 de cette même disposition confirme cette lecture.
5.9. Pour étayer leur thèse, les Etats-Unis se réfèrent à l’histoire du Règlement ainsi qu’à deux précédents dont la Cour a eu à connaître par le passé257.
5.10. Pour ce qui est de la jurisprudence, ils se contentent de mentionner les arrêts rendus dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires et dans les affaires Lockerbie. Ces deux précédents contredisent leur position.
5.11. S’agissant de l’arrêt que la Cour a rendu en 1986 en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires, le défendeur ne cite qu’un très bref passage qui, sorti de son contexte, est assez obscur. S’il est dit que la démarche retenue par l’article 79 (devenu 79bis) du Règlement «tend … à décourager toute prolongation inutile de la procédure au stade de la compétence»258, il est également relevé que cette disposition assimile les exceptions préliminaires au «stade de la compétence», de sorte que l’on ne sait pas ce qui constituerait une prolongation inutile de la procédure. Le contexte, qui mérite d’être plus largement cité, apporte un éclairage sur la position de la Cour. Ayant rappelé les raisons pour lesquelles une révision de l’article 79 s’imposait, la Cour a expliqué ce qui suit :
«41. Il est certes impossible de prévoir tous les problèmes que peuvent soulever les exceptions, mais la pratique de la Cour montre qu’il existe certains types
256 EPEU, p. 41, par. 4.2, faisant référence à Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 852, par. 51.
257 EPEU, p. 41-42, par. 4.3.
258 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 31, par. 41.
80
81
- 59 -
d’exceptions préliminaires que la Cour peut régler rapidement sans avoir à examiner le fond. Il est clair avant tout que les questions de compétence sont de celles qui doivent être résolues au stade préliminaire de la procédure. La nouvelle disposition [énoncée au paragraphe 1 de l’article 79] présente … un avantage certain : en qualifiant certaines exceptions de préliminaires, elle montre bien que, lorsqu’elles présentent exclusivement ce caractère, les exceptions doivent être tranchées sans délai, mais que, dans le cas contraire, et notamment lorsque ce caractère n’est pas exclusif puisqu’elles comportent à la fois des aspects préliminaires et des aspects de fond, elles devront être réglées au stade du fond.»259
Ce n’est qu’après avoir donné l’explication qui précède que la Cour a conclu que «[c]e procédé tend[ait] d’autre part à décourager toute prolongation inutile de la procédure au stade de la compétence»260. Cette explication démontre qu’une exception préliminaire, d’une part, doit concerner la compétence de la Cour et, d’autre part, ne peut être retenue que si elle n’effleure pas le fond261.
5.12. Dans l’affaire Croatie c. Serbie, la Cour a rappelé qu’il convenait de suivre cette logique, quand bien même certains aspects seulement de l’exception effleureraient le fond :
«La Cour relève que la Croatie l’a priée de rejeter purement et simplement la troisième exception bien que, s’agissant d’un point en particulier, elle ait avancé qu’un examen serait nécessaire lors de la phase du fond … La Cour rappelle que, en vertu du paragraphe 7 de l’article 79 de son Règlement tel qu’adopté en 1978 [devenu paragraphe 4 de l’article 79ter], elle est tenue de «ret[enir] l’exception, la reje[ter] ou déclare[r] que cette exception n’a pas dans les circonstances de l’espèce un caractère exclusivement préliminaire», cette dernière solution pouvant notamment être retenue lorsqu’une exception comporte «à la fois des aspects préliminaires et des aspects de fond» (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 31, par. 41).»262
5.13. Les affaires Lockerbie, examinées plus en détail ci-après263, illustrent elles aussi cette position. La Cour avait alors relevé qu’il
«ne fai[sait] … pas de doute pour [elle] que les droits de la Libye au fond seraient non seulement touchés par une décision de non-lieu rendue à ce stade de la procédure, mais
259 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 30-31, par. 41.
260 Ibid., par. 41.
261 Dans leur opinion individuelle commune en l’affaire relative à Certains actifs iraniens, MM. les juges Tomka et Crawford vont dans le même sens ; voir notamment Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), opinion individuelle commune de MM. les juges Tomka et Crawford, p. 51, par. 11.
262 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 460-461, par. 132.
263 Voir par. 5.27 et 5.32.
82
- 60 -
constitueraient, à maints égards, l’objet même de cette décision. L’exception soulevée par les Etats-Unis sur ce point a[vait] le caractère d’une défense au fond.»264
De même, en la présente espèce, les droits de l’Iran au fond constitueraient l’objet même d’une décision de non-lieu rendue sur le fondement d’une conclusion quant à l’applicabilité des défenses offertes par le paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié. Il s’agit clairement ici non pas de la compétence de la Cour, mais de l’existence des droits qui sont invoqués au titre du traité, ce qui constitue l’objet même de l’affaire.
5.14. Se référant au prononcé de la Cour en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), les Etats-Unis avancent en outre qu’«une exception n’est pas privée de caractère exclusivement préliminaire pour la simple raison qu’elle «effleur[e] certains aspects du fond de l’affaire»»265. Or, ainsi que la Cour l’a expliqué, la question en cause dans cette instance touchait la compétence :
«Par ailleurs, la Cour a déjà établi que le point de savoir si le traité de 1928 et le protocole de 1930 ont réglé les questions en litige ne constituait pas l’objet du différend au fond. Il s’agit en fait d’une question préliminaire qu’elle doit trancher afin de déterminer si elle a compétence (voir paragraphe 40 ci-dessus).»266
Le prononcé formulé par la Cour en l’affaire Nicaragua c. Colombie ne trouve pas à s’appliquer en la présente espèce, notamment parce que les Etats-Unis ont admis qu’ils «ne plaid[aient] pas ici que leurs exceptions fondées sur le paragraphe 1 de l’article XX [étaient] des exceptions d’incompétence»267.
5.15. L’Iran ne conteste pas que, lorsqu’une exception réellement et exclusivement préliminaire est susceptible d’être jugée, elle doit l’être au stade des exceptions préliminaires. Encore faut-il qu’elle ait ce caractère, et cela n’est pas démenti par les travaux préparatoires que citent les Etats-Unis. La position défendue par la délégation suisse lors de l’examen du rôle de la Cour en 1971 reflète le sentiment général qui a conduit à la révision du Règlement en 1972 :
«323. … Une décision rapide sur les exceptions dans un stade préliminaire de la procédure est sans doute l’idéal, mais, comme l’examen de la pratique de la Cour le montre, les problèmes juridiques les plus délicats et les plus importants, qui constituent le point central d’une cause, sont parfois soulevés sous forme d’objection préliminaire et il est souvent réellement impossible de les trancher sans connaître le fond.
324. … La jonction des exceptions préliminaires au fond correspondra alors aux «intérêts de la bonne administration de la justice», qui sont pour la Cour l’élément décisif en cette matière … Même si tel était le cas, le choix de l’argument décisif peut demander une vue d’ensemble de l’affaire, que seule l’audition du fond est capable de
264 Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 134, par. 49 (voir également Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 134, par. 50).
265 EPEU, p. 71, par. 6.7.
266 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 852, par. 51 (les italiques sont de nous).
267 EPEU, p. 54, par. 6.6 (les italiques sont dans l’original).
83
- 61 -
fournir. On ne saurait donc attendre que la jonction de l’exception au fond limite la Cour dans le choix des motifs qui lui paraissent déterminants.»268
5.16. Dans la récente affaire Ukraine c. Fédération de Russie, la Cour a confirmé qu’elle n’aborderait pas les questions de fond au stade de la compétence :
«58. A ce stade de la procédure, point n’est généralement besoin pour la Cour de procéder à un examen des actes illicites allégués ou de la plausibilité des griefs. La tâche de la Cour, telle que reflétée à l’article 79 du Règlement du 14 avril 1978, tel qu’amendé le 1er février 2001, est d’examiner les points de droit et de fait ayant trait à l’exception d’incompétence soulevée.»269
5.17. Il découle à la fois de la jurisprudence de la Cour et de l’historique de la rédaction de l’article 79 (devenu 79bis) du Règlement que la Cour ne doit examiner une exception au stade préliminaire que si celle-ci fait obstacle à l’exercice de sa compétence. Selon l’ancien paragraphe 4 de l’article 79 du Règlement tel qu’adopté le 14 avril 1978 (actuel article 79ter), si elle estime qu’une exception «n’a pas, dans les circonstances de l’espèce, un caractère exclusivement préliminaire» ⎯ c’est-à-dire qu’elle effleure la substance du différend ⎯, la Cour traite cette exception au stade du fond270.
SECTION 2 LES DÉFENSES OFFERTES PAR LE PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE XX DU TRAITÉ D’AMITIÉ EFFLEURENT LE FOND
5.18. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en 2019 en l’affaire relative à Certains actifs iraniens, la Cour a confirmé la position ferme qu’elle avait adoptée prima facie dans son ordonnance du 3 octobre 2018 sur la demande en indication de mesures conservatoires soumise par l’Iran en la présente affaire, à savoir que les défenses offertes par l’article XX du traité d’amitié relèvent du fond271 :
«45. La Cour rappelle qu’elle a déjà eu l’occasion d’observer dans son arrêt sur l’exception préliminaire en l’affaire des Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique) (exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 811, par. 20) et plus récemment dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires en l’affaire des Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique) (mesures conservatoires, ordonnance du 3 octobre 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 635, par. 41) que le traité d’amitié ne contient aucune disposition excluant expressément certaines matières de sa compétence. Se référant à sa
268 Nations Unies, documents officiels de l’Assemblée générale, rapport du Secrétaire général, «Examen du rôle de la Cour internationale de Justice», doc. A/8382, 15 septembre 1971 [extraits], par. 323-324 (annexe 1). Voir également la position des Etats-Unis, ibid., par. 322.
269 Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt du 8 novembre 2019, par. 58.
270 Les italiques sont de nous. Voir Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 425-426, par. 76 ; ou Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 456-457, par. 120.
271 Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 3 octobre 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 635, par. 41-42.
84
- 62 -
décision en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) (fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 116, par. 222, et p. 136, par. 271), la Cour a estimé que l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX «ne restrei[gnait] pas sa compétence» dans cette affaire «mais offr[ait] seulement aux Parties une défense au fond qu’il leur appartiendra[it], le cas échéant, de faire valoir le moment venu» (Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 811, par. 20). La Cour ne voit aucune raison en l’espèce de s’écarter de ses conclusions antérieures.
46. De l’avis de la Cour, cette même interprétation s’applique également à l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article XX du traité dès lors qu’il n’existe, à cet égard, aucune raison pertinente pour le distinguer de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX.
47. La Cour conclut de ce qui précède que les alinéas c) et d) du paragraphe 1 de l’article XX ne restreignent pas sa compétence mais offrent seulement aux Parties une défense au fond.
La première exception d’incompétence soulevée par les Etats-Unis doit en conséquence être rejetée.»272
5.19. La Cour n’a vu, en cette affaire, «aucune raison … de s’écarter de ses conclusions antérieures» et rien ne justifie qu’elle en décide autrement dans la présente espèce, étant rappelé que «[s]eules des raisons impérieuses pourraient [la] conduire … à s’écarter des solutions retenues dans ces décisions antérieures»273.
5.20. S’il est évidemment
«vrai que, conformément à l’article 59, les arrêts de la Cour ne sont obligatoires que pour les parties en litige et dans le cas qui a été décidé … [, l]a question est en réalité de savoir si, dans la présente espèce, il existe pour la Cour des raisons de s’écarter des motifs et des conclusions adoptés dans ces précédents»274.
Il n’existe véritablement aucune raison pour la Cour de s’écarter de sa position concernant la nature des défenses offertes par le paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié, telle qu’exposée ci-dessus.
5.21. Pour tenter de sortir de cette impasse, les Etats-Unis exposent une thèse artificielle et infondée qu’ils ont déjà soumise sans succès à la Cour en l’affaire relative à Certains actifs iraniens275. Cette tentative est d’autant plus malvenue que, non contents de répéter un argument
272 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 25, par. 45-47.
273 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 429, par. 54.
274 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 292, par. 28 ; voir également, par exemple, Demande de réformation du jugement no 158 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1973, p. 171-172, par. 14, ou Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), mesures conservatoires, ordonnance du 22 novembre 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 360, par. 28.
275 Voir plus haut, par. 5.1-5.2.
85
- 63 -
concernant l’interprétation abstraite d’une règle juridique, les Etats-Unis la font dans un contexte où les parties, la disposition à interpréter et l’argumentation sont les mêmes, et les griefs largement comparables, au moins pour ce qui concerne la sécurité.
5.22. Les Etats-Unis affirment qu’ils «ne demandent pas à la Cour en l’espèce de réexaminer la question de savoir si les dérogations prévues à l’article XX sont de nature à faire obstacle à sa compétence» et, dans le même temps, que «leurs exceptions fondées sur les alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX revêtent en l’instance un caractère exclusivement préliminaire»276. Ils s’enferrent, ce faisant, dans une contradiction consistant à alléguer, pour contourner la position bien établie de la Cour, que leurs exceptions ne concernent pas la compétence de celle-ci mais n’en revêtent pas moins «un caractère préliminaire» ; or une exception vise forcément à faire obstacle à l’exercice de la compétence de la Cour.
SECTION 3 LES «EXCEPTIONS» SOULEVÉES PAR LES ETATS-UNIS AU TITRE DU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE XX NE SONT PAS DES «EXCEPTION[S] SUR L[ES]QUELLE[S] LE DÉFENDEUR DEMANDE UNE DÉCISION AVANT QUE LA PROCÉDURE SUR LE FOND SE POURSUIVE», AU SENS DU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE 79BIS DU RÈGLEMENT DE LA COUR
5.23. Selon les Etats-Unis,
«[l]e paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement autorise expressément les exceptions préliminaires fondées sur les failles d’une demande qui ne touchent ni la compétence ni la recevabilité mais qui appellent néanmoins une décision à titre préliminaire, avant de passer au fond de l’affaire»277.
5.24. A l’appui de cette position, le défendeur se réfère à l’ouvrage Rosenne’s Law and Practice of the International Court qui, déclare-t-il, souligne que, pour se prononcer sur la question de savoir si une exception revêt un caractère exclusivement préliminaire, la Cour doit procéder à «une analyse minutieuse de l’exception invoquée au regard des circonstances de l’espèce», et qu’«il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que les décisions en la matière ne souffrent pas de conclusions catégoriques»278. La première proposition est effectivement juste, la seconde venant encore renforcer la nécessité d’une analyse minutieuse. Mais une telle analyse ne fera que démontrer que, dans les circonstances de la présente affaire, les exceptions soulevées par les Etats-Unis n’ont pas un caractère préliminaire et ne peuvent être examinées qu’au stade du fond.
5.25. L’ouvrage de M. Rosenne fournit, au début de la page à laquelle se réfèrent précisément les Etats-Unis, l’explication suivante :
«Pour schématiser, il est probable que, dès lors que les faits et les arguments avancés à l’appui de l’exception sont, en substance, les mêmes que ceux qui sous-tendent le fond du différend, ou qu’une décision sur l’exception imposerait de
276 EPEU, p. 49, par. 4.18 ; voir également p. 70, note 220.
277 EPEU, p. 70, par. 6.6.
278 Ibid., p. 71, par. 6.8.
86
87
- 64 -
juger des points qui, en l’affaire en cause, constitueraient des questions de substance relevant du fond, la contestation n’est pas une exception mais une défense au fond.»279
5.26. Pour étayer leur argument selon lequel leurs troisième et quatrième exceptions ont un caractère exclusivement préliminaire, les Etats-Unis affirment en premier lieu que les «dérogations» prévues au paragraphe 1 de l’article XX du traité «sous-tend[ent] l’intégralité des demandes iraniennes en l’espèce»280. On comprend mal en quoi le fait qu’une «dérogation»281 couvre l’ensemble des prétentions du demandeur pourrait avoir une quelconque incidence sur la nature de la défense en cause ; cela ne change rien au raisonnement de la Cour sur ce point282.
5.27. Les Etats-Unis arguent que
«[l]orsque, comme en l’espèce, une dérogation sous-tend l’intégralité des demandes d’un demandeur, une décision rapide est dans l’intérêt de l’équité due aux parties, de l’économie de procès et de la bonne administration de la justice, autant de principes qui ont présidé à la révision du Règlement de la Cour en 1972»283.
Or, il s’agit précisément là d’un argument que rejette l’Iran, dont la position consiste à soutenir que les défenses offertes par le paragraphe 1 de l’article XX ne couvrent aucune des mesures adoptées par les Etats-Unis en application de la décision du 8 mai. La Cour devrait, pour résoudre cette opposition de vues, procéder à une analyse factuelle approfondie des mesures et des éléments invoqués pour les justifier. Pareille analyse ne peut être effectuée qu’au stade du fond, et le fait de soulever la question au stade actuel de la compétence n’est ni justifié, ni opportun aux fins qui nous occupent. Comme la Cour l’a rappelé dans les affaires Lockerbie, l’article 79 (aujourd’hui 79bis) du Règlement
«présente … un avantage certain : en qualifiant certaines exceptions de préliminaires, [il] montre que, lorsqu’elles présentent exclusivement ce caractère, les exceptions doivent être tranchées sans délai, mais que, dans le cas contraire, et notamment lorsque ce caractère n’est pas exclusif puisqu’elles comportent à la fois des aspects préliminaires et des aspects de fond, elles devront être réglées au stade du fond. Ce procédé tend d’autre part à décourager toute prolongation inutile de la procédure au stade de la compétence.»284
5.28. Ainsi que la Cour l’a rappelé en l’affaire Croatie c. Serbie :
«La disposition introduite dans le Règlement de la Cour de 1972, qui constitue le paragraphe 7 de l’article 79 du Règlement adopté le 14 avril 1978, a été conçue, comme la Cour l’a indiqué dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua
279 Malcom N. Shaw, Rosenne’s Law and Practice of the International Court 1920-2015, vol. II, 2015, 5e éd., p. 906.
280 EPEU, p. 72, par. 6.10.
281 Etant entendu que le paragraphe 1 de l’article XX contient non pas des dérogations mais des «défenses au fond».
282 Voir plus haut, par. 5.18.
283 EPEU, p. 72-73, par. 6.10.
284 Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 28, par. 49 (citant Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 31, par. 41) (les italiques sont de nous). Voir également Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 133, par. 48.
88
- 65 -
et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), pour préciser que, lorsque des exceptions préliminaires sont de caractère exclusivement préliminaire, elles doivent être tranchées sans délai, «mais que, dans le cas contraire, et notamment lorsque ce caractère n’est pas exclusif puisqu’elles comportent à la fois des aspects préliminaires et des aspects de fond, elles devront être réglées au stade du fond» (fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 31, par. 41 ; voir aussi Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 27-29)»285.
5.29. En deuxième lieu, les Etats-Unis soutiennent que leur exception a un caractère exclusivement préliminaire parce que, en l’affaire des Plates-formes pétrolières, la Cour a analysé le paragraphe 1 de l’article XX avant les autres dispositions du traité286. Or, cela ne prouve rien puisque, de toute façon, cette analyse n’a été faite qu’au stade du fond. Contrairement à ce qu’ils affirment dans le cadre de leurs exceptions préliminaires en la présente affaire287, les Etats-Unis avaient déjà soulevé cette même exception au stade préliminaire de cette instance antérieure, et la Cour l’avait rejetée par 14 voix contre deux288, ayant estimé que «le paragraphe 1 d) de l’article XX ne restrei[gnait] pas sa compétence dans l[’]affaire, mais offr[ait] seulement aux Parties une défense au fond qu’il leur appartiendra[it], le cas échéant, de faire valoir le moment venu»289. En outre, ainsi que le reconnaissent les Etats-Unis290, dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires, la Cour a également traité la question au stade du fond, mais dans un autre ordre. Ce qui importe en tout état de cause, ce n’est pas l’ordre dans lequel les arguments sont examinés, mais le fait que ceux-ci aient été écartés dans les arrêts sur les exceptions préliminaires et examinés au stade ultérieur dans les arrêts au fond.
5.30. En troisième lieu, les Etats-Unis soutiennent que leur exception a un caractère exclusivement préliminaire parce que «[l]es faits nécessaires pour statuer sur les dérogations sont également distincts des informations permettant d’apprécier le bien-fondé des demandes de l’Iran et peuvent être présentés à un stade précoce de la procédure»291. L’Iran s’inscrit catégoriquement en faux et estime que, au contraire, il s’agit de l’une des raisons principales pour lesquelles les exceptions soulevées par les Etats-Unis n’ont pas un caractère exclusivement préliminaire.
5.31. A l’appui de leur exception (tendant à contester toute violation du traité au motif que le comportement de l’Iran justifierait leurs manquements supposés à cet instrument), les Etats-Unis invoquent essentiellement les mêmes faits et arguments que ceux qui sous-tendent le fond de la présente espèce.
5.32. Pour se prononcer sur les exceptions des Etats-Unis, la Cour devrait examiner le détail des mesures complexes et variées que ceux-ci ont adoptées en application de la décision du 8 mai afin de rechercher si ces mesures relèvent, intégralement ou en partie, des défenses offertes par le
285 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 459-460, par. 128.
286 EPEU, p. 73, par. 6.11.
287 Ibid.
288 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 821, par. 55, point 1) du dispositif.
289 Ibid., p. 811, par. 20.
290 EPEU, p. 73, par. 6.11.
291 EPEU, p. 74, par. 6.12.
89
- 66 -
paragraphe 1 de l’article XX. L’analyse factuelle que les Etats-Unis demandent à la Cour d’entreprendre ici est exactement la même que celle à laquelle elle sera tenue de procéder au stade du fond s’ils invoquent l’article XX comme moyen de défense. La situation est donc identique à celle qui prévalait dans les affaires Lockerbie292.
5.33. En outre, le fait qu’un Etat souhaite voir examiner au stade des exceptions préliminaires les faits nécessaires à l’appréciation d’une défense ne confère pas à celle-ci, d’une manière ou d’une autre, un caractère préliminaire. Autrement, un défendeur serait toujours en mesure d’obtenir une décision sur le fond lors de la phase des exceptions préliminaires : il lui suffirait d’exposer à ce stade ses arguments de fait et de droit pour rendre «préliminaire» tout aspect touchant au fond de l’affaire et, ainsi, obtenir la suspension de la procédure et une décision sur sa thèse sans que toutes les questions en jeu aient pu être pleinement examinées. Il va du reste sans dire qu’un défendeur ne saurait recourir à ce prétexte pour contraindre le demandeur à aborder le fond au stade des exceptions préliminaires.
5.34. Le quatrième argument avancé par les Etats-Unis pour appuyer le caractère exclusivement préliminaire de leur exception consiste à affirmer qu’«une décision dès le début de la présente affaire, avant tout examen au fond, sur le[ur]s exceptions … fondées sur le paragraphe 1 de l’article XX serait conforme à l’objet des dérogations prévues dans le traité puisqu’elle permettrait de préserver le[ur]s prérogatives … en matière de sécurité nationale»293. Une fois encore, le défendeur postule que le paragraphe 1 de l’article XX n’est pas une «disposition de fond»294 (mais une «disposition concernant la procédure»), contrairement à la position fermement exprimée par la Cour à maintes reprises.
5.35. La stratégie des Etats-Unis en l’instance consiste à tenter d’obtenir que la Cour tranche des questions qui sont au coeur du différend dont elle a été saisie par l’Iran sans lui permettre d’apprécier sérieusement si une quelconque menace pèse effectivement sur leurs intérêts vitaux sur le plan de la sécurité, ni de se prononcer sur la nécessité et la proportionnalité des mesures contestées. L’Iran ne doute pas que la Cour ne permettra pas à une telle manoeuvre d’aboutir et rejettera les exceptions américaines fondées sur le paragraphe 1 de l’article XX du traité comme n’ayant par un caractère préliminaire.
292 Voir le passage reproduit plus haut au paragraphe 5.12.
293 EPEU, p. 75, par. 6.16.
294 Ibid. ; voir également par. 6.3, 6.5, 6.11, 6.12, 6.13, 6.15 ou 6.18, où les Etats-Unis nient que le paragraphe 1 de l’article XX revête le caractère d’une disposition de fond.
90
- 67 -
PARTIE III CONCLUSIONS
CHAPITRE VI OBSERVATIONS FINALES
6.1. En la présente affaire, l’Iran dénonce des violations des droits qu’il tient du traité d’amitié. Il se réfère à des dispositions et violations précises de cet instrument. Les mesures dont il tire grief ont été expressément décrites par le Gouvernement américain comme visant à infliger un très lourd préjudice à l’Iran, au peuple iranien et à l’économie iranienne. Elles ont causé, et continuent de causer, un préjudice irréversible. Aucun doute crédible ne peut être émis à cet égard. Il existe, de toute évidence, un différend concernant l’interprétation et l’application du traité qui a été soumis à la Cour conformément aux termes de la clause compromissoire contenue dans celui-ci. Pourtant, et alors même que s’aggravent de jour en jour les préjudices qu’ils causent délibérément à l’Iran et à sa population par leurs violations de cet instrument, les Etats-Unis prétendent considérer qu’il n’existe aucun différend relevant du traité dont la Cour pourrait connaître.
6.2. L’Iran a présenté, dans les chapitres qui précèdent, sa réponse aux exceptions préliminaires. L’argument principal des Etats-Unis est qu’il s’agit d’une affaire relative au plan d’action «travestie» en affaire concernant le traité d’amitié. Tel n’est de toute évidence pas le cas. La thèse de l’Iran porte sur des violations alléguées du traité d’amitié, et de lui seul. Ces violations alléguées se rapportent à des dispositions précises de cet instrument. Elles sont exposées en détail dans les écritures de l’Iran, encore que l’arrière-plan factuel de la présente affaire continue de s’étoffer à mesure que les Etats-Unis étendent et durcissent leurs mesures ainsi que leur offensive contre l’économie, la population et l’Etat iraniens.
6.3. Les Etats-Unis ont tenté de reformuler cet argument de différentes manières. Ils ont tenté d’invoquer les dispositions du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié au stade de la compétence, alors que la Cour a clairement indiqué ⎯ à plusieurs occasions faisant intervenir les mêmes parties, le même instrument, et exactement la même disposition ⎯ que le paragraphe 1 de l’article XX avait l’effet d’une défense au fond. Ils tentent d’échafauder une théorie selon laquelle leur exception ne concernerait pas la compétence mais aurait tout de même un caractère préliminaire et s’appliquerait à l’ensemble des demandes de l’Iran. Pour statuer sur les exceptions soulevées, la Cour devrait procéder à une analyse factuelle approfondie et complexe sur la base des exposés des deux Parties, un exercice qui n’a ni de place ni de pertinence dans cette phase préliminaire.
6.4. Les Etats-Unis ont tenté d’exciper d’un prétendu «abus de procédure» sans fournir la moindre justification. Ils n’ont pas expliqué en quoi il serait abusif de la part de l’Iran de se prévaloir de la clause compromissoire contenue dans le traité d’amitié pour tenter d’obtenir le respect des droits que lui confère cet instrument. Il se peut que le refus de l’Iran d’assister sans réagir à la violation de ses droits conventionnels déplaise aux Etats-Unis et contrarie leurs desseins concernant l’économie iranienne, mais il est impossible de le qualifier d’abus de droits ou de la procédure de la Cour. L’exception des Etats-Unis n’est qu’un prétexte pour tenter de discréditer l’Iran devant la Cour et éviter d’avoir à répondre des violations du traité d’amitié qui leur sont reprochées, ou à retarder ce moment.
91
92
- 68 -
CHAPITRE VII CONCLUSIONS
7.1. Compte tenu de ce qui précède, l’Iran prie respectueusement la Cour de :
a) rejeter et écarter les exceptions préliminaires des Etats-Unis d’Amérique ; et de
b) dire et juger que :
i) la Cour a compétence pour connaître de l’intégralité des demandes présentées par l’Iran ; et que
ii) les demandes de l’Iran sont recevables.
Respectueusement,
Le coagent du Gouvernement de la République islamique d’Iran,
(Signé) M. H. ZAHEDIN LABBAF.
93
- 69 -
CERTIFICATION
Je soussigné, H. Zahedin Labbaf, coagent de la République islamique d’Iran, certifie par la présente que les copies des présentes observations et conclusions et des documents y annexés sont conformes aux originaux et que les traductions fournies en langue anglaise sont exactes.
La Haye, le 23 décembre 2019.
Le coagent du Gouvernement de la République islamique d’Iran,
(Signé) M. H. ZAHEDIN LABBAF.
___________
94
- 70 -
LISTE DES ANNEXES
Annexe
PARTIE I — SOURCES INTERNATIONALES
1
Nations Unies, documents officiels de l’Assemblée générale, rapport du Secrétaire général, «Examen du rôle de la Cour internationale de Justice», doc. A/8382, 15 septembre 1971 [extraits]
2
Letter from the Special Rapporteur on the negative impact of unilateral coercive measures on the enjoyment of human rights to the United States (Reference AL USA 22/2018), 5 November 2018
3
Nations Unies, rapport du rapporteur spécial sur les effets négatifs des mesures coercitives unilatérales sur l’exercice des droits de l’homme, doc. A/74/165, 15 juillet 2019
4
FMI, «Perspectives de l’économie mondiale : ralentissement de l’activité manufacturière et augmentation des obstacles au commerce», octobre 2019 [extraits]
PARTIE II — DISPOSITIONS PRISES PAR LE GOUVERNEMENT AMÉRICAIN
5
U.S. Department of the Treasury, Update to the OFAC’s SDN List, 20 September 2019
6
U.S. Department of the Treasury, Financial Channels to Facilitate Humanitarian Trade with Iran and Related Due Diligence and Reporting Expectations, 25 October 2019
PARTIE III — ECHANGES DIPLOMATIQUES ET DÉCLARATIONS
7
Nations Unies, lettre datée du 20 juillet 2015, adressée au président du Conseil de sécurité par le représentant permanent de la République islamique d’Iran auprès de l’Organisation des Nations Unies, doc. S/2015/550
8
Lettre en date du 23 juillet 2018 adressée aux Etats-Unis par le président de la Cour
9
Lettre en date du 4 juin 2019 adressée au greffier de la Cour par le coagent de la République islamique d’Iran
10
Lettre en date du 4 juin 2019 adressée au greffier de la Cour par l’agent des Etats-Unis
11
Lettre en date du 19 juin 2019 adressée aux Etats-Unis et à la République islamique d’Iran par le greffier de la Cour
12
Lettre en date du 6 août 2019 adressée au greffier de la Cour par le coagent de la République islamique d’Iran
13
Note verbale No. 211543 from I.R. Iran to the Government of the United States, 2 October 2019
- 71 -
PARTIE IV — ARTICLES SPÉCIALISÉS ET MÉDIAS
14
Transcript: Secretary of State Mike Pompeo on «Face the Nation», www.cbsnews.com, 22 September 2019
15
Laura Rozen, «Sanctions experts say new US Treasury measure could inhibit humanitarian trade with Iran», Al-Monitor, 25 October 2019
16
Maya Lester QC, «New US Iran humanitarian mechanism & FinCEN Iran designation», www.europeansanctions.com, 29 October 2019
___________

Document file FR
Document Long Title

Observations et conclusions de la République islamique d'Iran sur les exceptions préliminaires des Etats-Unis d'Amérique

Links