Exceptions préliminaires des Etats-Unis d'Amérique

Document Number
175-20190823-WRI-01-00-EN
Document Type
Incidental Proceedings
Date of the Document
Document File

Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
16239
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
VIOLATIONS ALLÉGUÉES DU TRAITÉ D’AMITIÉ, DE COMMERCE ET DE DROITS CONSULAIRES DE 1955
(RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE D’IRAN c. ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE)
EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
VOLUME I
23 août 2019
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE 1. INTRODUCTION ET PRÉSENTATION GÉNÉRALE ......................................................... 1
Section A. Historique de la procédure ..................................................................................... 3
Section B. Présentation générale des exceptions des Etats-Unis ............................................. 4
Section C. Structure des présentes exceptions préliminaires ................................................... 5
PARTIE I. FONDEMENTS FACTUELS ET JURIDIQUES DES EXCEPTIONS
PRÉLIMINAIRES DES ÉTATS-UNIS ........................................................................... 7
CHAPITRE 2. CONTEXTE FACTUEL ................................................................................................ 7
Section A. Les sanctions imposées avant l’adoption du plan d’action afin de répondre
aux menaces posées par l’Iran, notamment au mépris flagrant manifesté
par celui-ci à l’égard de ses obligations en matière nucléaire ................................ 7
Section B. Présentation générale du plan d’action ................................................................ 12
Section C. Les conséquences sur les sanctions de l’adoption du plan d’action puis de
la décision des Etats-Unis de ne plus y participer ................................................ 15
Section D. Décision des Etats-Unis de ne plus participer au plan d’action ........................... 19
CHAPITRE 3. LE TRAITÉ D’AMITIÉ ............................................................................................... 28
CHAPITRE 4. CADRE JURIDIQUE APPLICABLE ............................................................................. 32
Section A. Les exceptions doivent généralement faire l’objet d’une décision au stade
préliminaire .......................................................................................................... 32
Section B. La Cour n’est pas compétente à l’égard des demandes de l’Iran qui
n’entrent pas dans les prévisions du traité d’amitié ............................................. 33
Section C. Même lorsqu’elle est compétente, la Cour doit refuser de connaître d’une
affaire dans certaines circonstances exceptionnelles ........................................... 36
Section D. Nécessité de statuer dès ce stade sur d’autres exceptions revêtant un
caractère exclusivement préliminaire ................................................................... 38
PARTIE II. EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DES ÉTATS-UNIS .............................................. 40
CHAPITRE 5. LE DIFFÉREND SOUMIS PAR L’IRAN PORTE SUR LE PLAN D’ACTION, ET NON
SUR LE TRAITÉ D’AMITIÉ, DE SORTE QUE LA COUR DEVRAIT DÉCLARER QU’IL ÉCHAPPE
À SA COMPÉTENCE OU, À TITRE SUBSIDIAIRE, QUE LA REQUÊTE EST IRRECEVABLE ............. 40
Section A. La Cour n’est pas compétente pour connaître du différend faisant l’objet
de la présente affaire, qui porte exclusivement sur la décision des
Etats-Unis de cesser de participer au plan d’action et de rétablir les
sanctions liées au nucléaire précédemment levées en application dudit plan ...... 40
Section B. A titre subsidiaire, la Cour devrait refuser d’exercer sa compétence en
l’espèce au motif que les demandes de l’Iran procèdent d’un abus de
procédure et engendreraient, s’il y était donné suite, une injustice soulevant
de graves questions d’opportunité judiciaire ....................................................... 45
- ii -
CHAPITRE 6. LES DÉROGATIONS CONTENUES AU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE XX DU
TRAITÉ FONT IRRÉMÉDIABLEMENT OBSTACLE AUX DEMANDES DE L’IRAN EN L’ESPÈCE ..... 53
Section A. Les dérogations énoncées au paragraphe 1 de l’article XX peuvent et
doivent être examinées au stade préliminaire de la présente affaire, qu’elles
aient ou non une incidence sur la compétence de la Cour ................................... 54
Section B. Les mesures américaines concernent les substances fissiles (alinéa b) du
paragraphe 1 de l’article XX)............................................................................... 60
Section C. Les mesures américaines étaient nécessaires à la protection des intérêts
vitaux des Etats-Unis sur le plan de la sécurité (alinéa d) du paragraphe 1
de l’article XX) .................................................................................................... 64
CHAPITRE 7. LES MESURES CONCERNANT LE COMMERCE OU LES TRANSACTIONS ENTRE
L’IRAN ET UN PAYS TIERS, OU ENTRE LEURS RESSORTISSANTS ET SOCIÉTÉS
RESPECTIFS, N’ENTRENT PAS DANS LE CHAMP D’APPLICATION DU TRAITÉ ........................... 74
Section A. La grande majorité des mesures du 8 mai sont des mesures concernant les
Etats tiers .............................................................................................................. 76
Section B. Le traité d’amitié n’établit de protections qu’à l’égard de certaines
activités commerciales bilatérales entre l’Iran et les Etats-Unis, et non à
l’égard des activités de l’Iran avec des pays tiers ................................................ 81
CHAPITRE 8. OBSERVATIONS FINALES ........................................................................................ 94
CONCLUSIONS .............................................................................................................................. 95
CERTIFICATION ............................................................................................................................ 96
___________
CHAPITRE 1
INTRODUCTION ET PRÉSENTATION GÉNÉRALE
1.1. Depuis de nombreuses années, les Etats-Unis estiment nécessaire de s’employer, par
divers moyens diplomatiques, économiques, juridiques et autres, à contrer la grave menace que la
République islamique d’Iran (ci-après l’«Iran») fait peser sur leur sécurité et leur sûreté ainsi que
sur celles de leurs ressortissants, de leurs alliés et partenaires et de la communauté internationale.
L’un des aspects du comportement de l’Iran qui inquiète vivement les Etats-Unis sur le plan de la
sécurité et les oblige à déployer tout l’arsenal diplomatique dont ils disposent concerne le
programme nucléaire que cet Etat développe en vue de pouvoir acquérir rapidement une capacité
d’armement nucléaire. Mais ce programme est loin d’être le seul à soulever des craintes. Parmi les
autres politiques iraniennes qui préoccupent profondément les Etats-Unis et la communauté
internationale, citons la tentative de l’Iran de se doter de missiles balistiques capables de
transporter une ogive nucléaire, avec les risques que cela comporte pour les Etats-Unis et leurs
alliés ; le soutien que l’Iran apporte à des activités terroristes de par le monde qui, bien trop
souvent, mettent en péril ou coûtent des vies américaines ; la détention arbitraire par l’Iran de
ressortissants américains, dont certains ont une double nationalité ; ou encore les soutiens politique,
financier et matériel apportés par l’Iran afin de semer la discorde et d’enhardir les forces de
déstabilisation à l’oeuvre dans la région du Moyen-Orient et au-delà.
1.2. Le 8 mai 2018, les Etats-Unis, dont les craintes en matière de sécurité ne cessaient de
croître face aux activités de l’Iran et aux insuffisances du plan d’action global commun (ci-après
«le plan d’action»), ont annoncé qu’ils ne participeraient plus audit plan, et donc qu’ils
n’assureraient plus la levée des sanctions prévue dans cet instrument. Le plan d’action ne leur
interdisait nullement d’agir ainsi. Le traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955
qu’ils avaient conclu avec l’Iran (ci-après le «traité d’amitié» ou le «traité») ne leur interdisait pas
davantage de rétablir les mesures de sanction qu’ils avaient levées en application dudit plan.
1.3. Pour l’essentiel, l’Iran tente, au moyen de l’instance qu’il a introduite devant la Cour, de
faire annuler la décision des Etats-Unis de ne plus participer au plan d’action et d’obliger ceux-ci à
remettre en vigueur la levée des sanctions qu’ils assuraient précédemment au titre et en application
de cet instrument non juridiquement contraignant, qui est distinct de celui invoqué en l’espèce.
Cette conclusion inéluctable ressort de trois considérations fondamentales, qui mettent toutes en
évidence la nécessité pour la Cour de débouter dès ce stade préliminaire l’Iran de ses demandes,
conformément aux exceptions soulevées ci-après par les Etats-Unis.
1.4. Premièrement, l’Iran prétend contester les mesures de sanction réimposées par les
Etats-Unis tout en soulignant que ces mêmes mesures étaient en vigueur avant le 14 juillet 2015,
date du plan d’action, voire depuis des années pour certaines d’entre elles. Le traité d’amitié est
resté applicable tout au long du processus. Et pourtant, ce n’est qu’au moment où les Etats-Unis se
sont retirés du plan que l’Iran a décidé d’engager une procédure pour contester les mesures
réimposées.
1.5. Deuxièmement, dans la demande en indication de mesures conservatoires qu’il a
soumise à la Cour en l’espèce, l’Iran s’employait clairement à tenter, par le biais de cette procédure
incidente, de faire annuler le rétablissement des sanctions consécutif au retrait américain du plan
d’action, un instrument non juridiquement contraignant, et d’obtenir précisément ainsi que la levée
des sanctions prévue par ce plan lui soit à nouveau accordée, cette fois par une ordonnance de la
Cour.
3
4
- 2 -
1.6. Troisièmement, l’Iran a beau prétendre dans son mémoire que l’affaire porte sur le traité
d’amitié de 1955 et «rien d’autre» que le traité d’amitié1, ses demandes sur le fond sont de son
propre aveu axées sur les mesures de sanction que les Etats-Unis ont rétablies à la suite de leur
retrait du plan d’action, un instrument non juridiquement contraignant. Il importe également de
relever que ces mesures ont été prises en réponse aux vives inquiétudes que les Etats-Unis
éprouvaient de plus en plus pour leur sécurité face aux activités de l’Iran, et qu’elles visaient à
couper les sources de financement essentielles auxdites activités, de sorte qu’elles relèvent
clairement des dérogations établies par le traité. En outre, la grande majorité des mesures
contestées ici par l’Iran concerne non pas le commerce et les transactions entre les Etats-Unis et lui,
ou entre leurs sociétés et ressortissants, mais le commerce et les transactions entre l’Iran et des pays
tiers ou leurs sociétés et ressortissants. Ce fait démontre à lui seul que la tentative de l’Iran de
contester les mesures en question sur la base d’un traité commercial bilatéral revêt un caractère
artificiel et doit être rejetée.
1.7. Dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires en l’espèce, la Cour a
conclu, aux fins de l’établissement de sa compétence prima facie nécessaire à l’indication de telles
mesures, que «le fait que le différend entre les Parties [fût] né à l’occasion et dans le contexte de la
décision des Etats-Unis de se retirer du plan d’action n’exclu[ait] pas, par lui-même, la possibilité
que ce différend [eût] trait à l’interprétation ou à l’application du traité d’amitié». Et d’ajouter :
«D’une manière générale, certains actes peuvent entrer dans le champ de
plusieurs instruments juridiques et un différend relatif à ces actes peut avoir trait «à
l’interprétation ou à l’application» de plusieurs traités ou autres instruments. Pour
autant qu’elles puissent constituer des manquements à certaines obligations découlant
du traité de 1955, les mesures que les Etats-Unis ont adoptées après leur décision de se
retirer du plan d’action ont un rapport avec l’interprétation ou l’application de cet
instrument»2.
1.8. Les Etats-Unis respectent l’ordonnance en indication de mesures conservatoires de la
Cour et saisissent cette occasion pour réaffirmer qu’ils se conforment à ses dispositions. Ils
s’attacheront toutefois, par les présentes exceptions préliminaires, à convaincre la Cour que
l’analyse prima facie qui a pu apparaître appropriée au stade des mesures conservatoires ne résiste
pas à un examen plus approfondi des questions de compétence, lequel conduit à un résultat
différent.
1.9. A cette fin, les Etats-Unis soulèvent dans le présent exposé, conformément au
paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement de la Cour, deux exceptions préliminaires
d’incompétence, une exception d’irrecevabilité et deux exceptions préliminaires demandant une
décision avant la procédure sur le fond. Chacune de ces exceptions revêt un caractère
exclusivement préliminaire et peut faire l’objet d’une décision à un stade précoce de la procédure.
Abstraction faite de l’une des exceptions d’incompétence, chacune des exceptions des Etats-Unis
porte sur l’ensemble de la thèse iranienne et, si elle était retenue, lui ferait entièrement échec.
L’exception restante, relative au fait que l’Iran conteste des mesures ayant trait à son commerce et
à ses transactions avec des pays tiers, couvre le vaste éventail des mesures dont l’Iran tire grief,
1 Voir, par exemple, mémoire de la République islamique d’Iran (ci-après le «mémoire de l’Iran» ou «MI»,
par. 1.2. Les renvois à des documents annexés au mémoire de l’Iran sont indiqués ci-après comme suit :
«MI, annexe xx».
2 Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique
d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique) (ci-après «Violations alléguées du traité d’amitié»), mesures conservatoires,
ordonnance du 3 octobre 2018 (ci-après l’«ordonnance en indication de mesures conservatoires du 3 octobre 2018»),
C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 634, par. 38.
5
- 3 -
sans viser une catégorie distincte. Elle peut néanmoins, elle aussi, faire l’objet d’une décision de la
Cour à un stade préliminaire.
SECTION A
HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE
1.10. Avant d’exposer les grandes lignes des exceptions préliminaires soulevées par les
Etats-Unis, il est utile de rappeler brièvement l’historique de la procédure en l’espèce.
1.11. La présente procédure a été engagée le 16 juillet 2018 avec le dépôt d’une requête dans
laquelle l’Iran alléguait que le rétablissement par les Etats-Unis, le 8 mai 2018, de mesures de
sanction à son encontre en conséquence de leur retrait du plan d’action (ci-après les «mesures du
8 mai») constituait une violation du traité d’amitié. Par sa requête, l’Iran demandait à la Cour
d’ordonner aux Etats-Unis de mettre fin auxdites mesures3. Comme fondement de la compétence
de la Cour, l’Iran invoquait le paragraphe 2 de l’article XXI du traité. Le même jour, l’Iran a
déposé une demande en indication de mesures conservatoires tendant à ce que la Cour ordonne
notamment aux Etats-Unis de s’abstenir d’appliquer et de faire respecter l’ensemble des mesures
du 8 mai et de permettre la pleine exécution des transactions déjà autorisées4.
1.12. Le 3 octobre 2018, la Cour a rendu une ordonnance en indication de mesures
conservatoires prescrivant aux Etats-Unis de supprimer, par les moyens de leur choix, toute entrave
que les mesures du 8 mai 2018 mettaient à la libre exportation vers l’Iran de médicaments et de
matériel médical, de denrées alimentaires, de produits agricoles et de certains biens et services
nécessaires à la sécurité de l’aviation civile, ainsi que de veiller à ce que les permis et autorisations
nécessaires fussent accordés et les paiements, exempts de restrictions s’agissant des éléments
susmentionnés5 .
1.13. Le 24 mai 2019, l’Iran a déposé son mémoire. Sur les presque 250 pages que compte
cette pièce, dix phrases à peine sont consacrées à la question de la compétence de la Cour, l’Iran se
contentant à cet égard de formuler de simples affirmations, comme : «le présent différend a trait à
l’application du traité d’amitié, en particulier aux paragraphes 1 et 2 de l’article IV, au
paragraphe 1 des articles V et VII, aux paragraphes 1 et 2 de l’article VIII, aux paragraphes 2 et 3
de l’article IX et au paragraphe 1 de l’article X, ainsi qu’aux violations dudit traité par les
Etats-Unis. Ce différend n’a pas pu être réglé de façon satisfaisante par la voie diplomatique. Les
hautes parties contractantes n’ont pas convenu d’un règlement de leur différend par un moyen autre
que la saisine de la Cour.»6
1.14. Conformément au paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement de la Cour, les Etats-Unis
soumettent les présentes exceptions relatives à la compétence de celle-ci, à la recevabilité de la
3 Voir requête introductive d’instance (ci-après la «requête de l’Iran»), par. 50.
4 Voir Violations alléguées du traité d’amitié, ordonnance en indication de mesures conservatoires du 3 octobre
2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 625, par. 4.
5 Ibid., par. 102. L’Iran affirme à tort dans son mémoire que les Etats-Unis ne se conforment pas à l’ordonnance
en indication de mesures conservatoires. Voir, par exemple, MI, par. 1.27. Les Etats-Unis contestent vigoureusement
cette affirmation. Toutefois, cette question ne saurait être examinée à ce stade des exceptions préliminaires. Comme la
Cour l’a déclaré dans sa lettre du 19 juin 2019 (no 152412), «tout problème ayant trait à l’exécution desdites mesures
pourrait être résolu plus tard, si l’affaire venait à être examinée au fond.»
6 MI, par. 1.31.
6
- 4 -
requête de l’Iran ainsi qu’à d’autres questions revêtant un caractère exclusivement préliminaire.
Compte tenu desdites exceptions, ils prient respectueusement la Cour de débouter l’Iran dès ce
stade préliminaire de la procédure.
SECTION B
PRÉSENTATION GÉNÉRALE DES EXCEPTIONS DES ETATS-UNIS
1.15. Comme il a été indiqué plus haut, les Etats-Unis soulèvent deux exceptions
préliminaires d’incompétence, une d’irrecevabilité et deux autres demandant une décision avant la
procédure sur le fond, chacune de ces exceptions revêtant un caractère exclusivement préliminaire7.
1.16. Pour fonder la compétence de la Cour en l’espèce, l’Iran invoque le paragraphe 2 de
l’article XXI du traité d’amitié. Cette disposition prévoit notamment la soumission à la Cour des
différends «quant à l’interprétation ou à l’application du … traité»8. La première exception
d’incompétence et l’exception connexe d’irrecevabilité reposent sur le libellé et la portée du
paragraphe 2 de l’article XXI du traité et sur le fait que l’objet véritable de la présente affaire est un
différend relatif à l’application du plan d’action, un instrument qui est totalement distinct dudit
traité et n’a aucun rapport avec lui. Une clause compromissoire par laquelle les Parties consentent à
la compétence de la Cour à l’égard des différends relatifs à l’interprétation ou à l’application d’un
instrument ne confère pas compétence à celle-ci à l’égard de différends concernant l’application
d’un autre instrument. Les efforts déployés par l’Iran pour porter devant la Cour ce différend relatif
au plan d’action sur la base de la clause compromissoire du traité constituent également un abus de
procédure en l’instance.
1.17. En ce qui concerne la compétence, l’Iran cherche sous le couvert de cette procédure à
pouvoir bénéficier à nouveau pleinement de la levée des sanctions américaines prévue par le plan
d’action. Il ne saurait affirmer de manière crédible que l’objet du présent différend est
l’interprétation ou l’application du traité d’amitié.
1.18. L’absence fondamentale de tout lien entre la levée des sanctions prévue par le plan
d’action que l’Iran cherche à obtenir et le traité d’amitié rend également la requête irrecevable.
L’Iran a beau s’évertuer à présenter ses demandes comme juridiquement distinctes d’un différend
relatif au plan d’action, la Cour ne pourrait se prononcer sur ses demandes sans se trouver prise
dans un enchevêtrement inextricable de questions diplomatiques sensibles soulevées par cet
instrument politique sur le plan multilatéral, contrairement à l’intention des participants audit plan.
Un tel résultat permettrait à l’Iran de faire aboutir un abus de procédure.
1.19. Dans l’hypothèse où la Cour conclurait que, nonobstant ses origines dans le plan
d’action et son caractère, la présente affaire met également en cause le traité d’amitié, quod non, les
deuxième et troisième exceptions sont fondées sur le paragraphe 1 de l’article XX du traité. Les
Etats-Unis affirment que deux dérogations distinctes énoncées dans cet article font totalement
obstacle aux demandes de l’Iran et que lesdites exceptions revêtent un caractère «exclusivement
préliminaire» dans les circonstances de l’affaire. Il s’agit des dérogations que le paragraphe 1 de
l’article XX énonce en son alinéa b), relativement aux «mesures … [c]oncernant les substances
7 A supposer qu’une quelconque partie de la thèse iranienne soit examinée au fond, les Etats-Unis se réservent
tout droit d’opposer des exceptions supplémentaires aux demandes de l’Iran.
8 Nations Unies, traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires conclu entre les Etats-Unis d’Amérique et
l’Iran (ci-après le «traité d’amitié»), 15 août 1955, Recueil des traités, vol. 284, p. 93 (MI, annexe 1), art. XXI, par. 2.
7
8
- 5 -
fissiles», et en son alinéa d), relativement «à la protection des intérêts vitaux [des Etats-Unis] sur le
plan de la sécurité».
1.20. S’agissant de ces exceptions, les Etats-Unis n’ignorent pas que, dans son arrêt sur les
exceptions préliminaires en l’affaire relative à Certains actifs iraniens (République islamique
d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique) (ci-après l’affaire relative à «Certains actifs iraniens»), la Cour a
conclu que le paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié ne restreignait pas sa compétence,
encore que les dérogations y énoncées pussent offrir une défense au fond. Bien que les Etats-Unis
soient respectueusement en désaccord avec cette conclusion, les exceptions préliminaires soulevées
ici ne visent pas la compétence de la Cour mais sont des exceptions qui, aux termes du
paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement de la Cour, «demande[nt] une décision avant que la
procédure sur le fond se poursuive».
1.21. Les Etats-Unis estiment qu’il existe en l’espèce d’impérieuses raisons pour lesquelles
la Cour peut et doit statuer sur leurs exceptions relatives à ces dérogations à titre préliminaire.
Comme il sera expliqué en détail au chapitre 6, la présente affaire diffère de celle relative à
Certains actifs iraniens puisque les exceptions soulevées ici par les Etats-Unis sur le fondement des
alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX concernent l’une et l’autre la thèse iranienne dans
son ensemble. Le paragraphe 1 de l’article XX soustrait expressément à l’application des
obligations de fond énoncées dans le traité les mesures concernant les substances fissiles ou
nécessaires à la protection des intérêts vitaux d’une Partie sur le plan de la sécurité. Les mesures
contestées par l’Iran en l’instance sont précisément de cet ordre. Le paragraphe 1 de l’article XX
indique clairement que, lorsque l’une des dérogations y énoncées s’applique, les Etats-Unis ne sont
nullement empêchés par le traité de prendre de telles mesures. Pour savoir si ces dérogations
entrent en jeu, il faut procéder à un examen qui est dissociable et distinct de l’analyse au fond, la
réponse résidant dans une catégorie particulière de faits que les Etats-Unis portent ici à la
connaissance de la Cour. Statuer sans attendre sur l’applicabilité de ces dérogations au lieu de les
réserver pour le stade du fond serait clairement dans l’intérêt de l’équité, de l’économie de procès
et de la bonne administration de la justice.
1.22. La dernière des exceptions préliminaires des Etats-Unis est l’exception mentionnée
plus haut quant à la compétence de la Cour à l’égard de mesures concernant les Etats tiers. Comme
les Etats-Unis le démontreront, la grande majorité des mesures contestées par l’Iran ne relèvent pas
du traité d’amitié, qui est un accord commercial et consulaire bilatéral visant à favoriser la stabilité
des relations commerciales entre les Parties, leurs entreprises et leurs ressortissants. Or les mesures
du 8 mai dont l’Iran tire grief concernent principalement le commerce et les transactions de celui-ci
avec des pays tiers, ou entre leurs sociétés et ressortissants respectifs, et non avec les Etats-Unis. Le
traité d’amitié ne régit pas ces mesures et ne prévoit aucune obligation leur étant applicable. Ainsi,
lorsque l’Iran prétend contester des mesures concernant les Etats tiers, ses prétentions n’entrent pas
dans le champ d’application du traité et ne peuvent relever de sa clause compromissoire.
SECTION C
STRUCTURE DES PRÉSENTES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES
1.23. Le présent exposé est organisé en deux parties. La partie I, qui comprend les
chapitres 2 à 4, décrit les fondements factuels, contextuels et juridiques des exceptions
préliminaires des Etats-Unis. Le chapitre 2 présente en détail le contexte factuel essentiel à la
compréhension de la thèse de l’Iran et des exceptions préliminaires des Etats-Unis, y compris les
mesures de sanction qui avaient été prises avant l’adoption du plan d’action contre le programme
nucléaire de l’Iran, la négociation dudit plan et ses limites, la décision des Etats-Unis de s’en retirer
9
- 6 -
et toute la série d’activités iraniennes dangereuses pour la sécurité nationale américaine qui a
conduit à cette décision. Le chapitre 3 porte sur le traité d’amitié, notamment sur son contexte
historique, sur son objet et son but, ainsi que sur ses limites inhérentes. Le chapitre 4 expose
brièvement la jurisprudence applicable à l’examen de la Cour au présent stade des exceptions
préliminaires.
1.24. La partie II présente les exceptions préliminaires des Etats-Unis, dont la teneur est
exposée aux chapitres 5 à 7. Au chapitre 5, les Etats-Unis expliquent en détail que l’instance
introduite par l’Iran concerne non pas le traité d’amitié mais le plan d’action et ne relève donc pas
de la clause compromissoire énoncée au paragraphe 2 de l’article XXI du traité ; ils y avancent à
titre subsidiaire que la Cour devrait déclarer les demandes de l’Iran irrecevables pour abus de
procédure. Au chapitre 6, ils formulent leurs arguments fondés sur l’article XX, et concluent
notamment que ces questions ⎯ du moins aux fins de la présente affaire ⎯ revêtent un caractère
exclusivement préliminaire. Enfin, au chapitre 7, ils expliquent que la grande majorité des mesures
contestées par l’Iran concerne des pays tiers et n’entre donc pas dans le champ d’application du
traité et de sa clause juridictionnelle.
1.25. La présente pièce de procédure se termine par le chapitre 8, qui énonce certaines
observations finales suivies des conclusions des Etats-Unis.
- 7 -
PARTIE I
FONDEMENTS FACTUELS ET JURIDIQUES DES EXCEPTIONS
PRÉLIMINAIRES DES ÉTATS-UNIS
CHAPITRE 2
CONTEXTE FACTUEL
2.1. Dans cette affaire, l’Iran conteste un ensemble précis de mesures de sanction liées au
nucléaire que les Etats-Unis avaient convenu de lever dans le cadre de leur participation au plan
d’action et qu’ils ont maintenant rétablies ⎯ nous les appellerons les mesures du 8 mai9. Le
rétablissement de ces sanctions résulte de la décision des Etats-Unis, annoncée le 8 mai 2018, de
cesser de participer au plan d’action pour des raisons de sécurité nationale (ci-après la «décision du
8 mai»).
2.2. Le présent chapitre expose le contexte factuel essentiel à l’examen en l’espèce des
demandes de l’Iran et des exceptions préliminaires des Etats-Unis. La section A porte sur les
mesures de sanction qui avaient été prises avant l’adoption du plan d’action, tant par les Etats-Unis
que par d’autres pays, en réaction au non-respect par l’Iran de ses obligations en matière nucléaire.
La section B décrit le plan d’action, à savoir l’accord diplomatique conçu pour régler ces questions
nucléaires, y compris son architecture fondamentale et ses principes clés. La section C traite du
rétablissement par les Etats-Unis des sanctions liées au nucléaire qui avaient été levées en
application du plan d’action ⎯ les sanctions rétablies étant désignées comme les mesures du 8 mai.
La section D expose les considérations de sécurité nationale qui ont conduit les Etats-Unis à cesser
de participer au plan d’action et, par suite, à rétablir les sanctions par leurs mesures du 8 mai.
SECTION A
LES SANCTIONS IMPOSÉES AVANT L’ADOPTION DU PLAN D’ACTION AFIN DE RÉPONDRE
AUX MENACES POSÉES PAR L’IRAN, NOTAMMENT AU MÉPRIS FLAGRANT MANIFESTÉ
PAR CELUI-CI À L’ÉGARD DE SES OBLIGATIONS EN MATIÈRE NUCLÉAIRE
2.3. Le non-respect par l’Iran de ses obligations en matière de non-prolifération nucléaire est
largement attesté et incontestable. A partir de juin 2003 et pendant de nombreuses années, l’Agence
internationale de l’énergie atomique (AIEA)10 a signalé que l’Iran ne respectait pas les obligations
lui incombant au titre de l’accord de garanties qu’il avait conclu en application du traité sur la
9 Dans son mémoire, l’Iran lui-même prétend se concentrer sur les mesures que les «Etats-Unis avaient
imposé[es] … par le passé, puis … avaient levées dans le cadre de la mise en oeuvre du plan d’action». MI, par. 2.5 ;
requête de l’Iran, par. 2. Dans la mesure où l’Iran prétend y contester des mesures «promises qui ne sont pas encore
réglementées en droit» (voir MI, par. 1.6), sa demande doit être rejetée en raison de son caractère excessivement vague,
puisque l’Iran n’en indique pas la nature précise, pas plus qu’il ne fournit un exposé succinct des faits et moyens sur
lesquels sa demande repose, contrairement aux exigences du paragraphe 2 de l’article 38 du Règlement de la Cour.
10 Les fonctions de l’AIEA sont définies, dans la partie pertinente, comme suit : l’institution et l’application de
mesures visant à garantir que les produits fissiles spéciaux et autres produits, les services, l’équipement, les installations
et les renseignements ne sont pas utilisés de manière à servir à des fins militaires, et l’établissement d’un contrôle sur
l’utilisation des produits fissiles spéciaux reçus par l’agence, de manière à assurer que ces produits ne servent qu’à des
fins pacifiques. Voir Statut de l’Agence internationale de l’énergie atomique (avec annexe) en date du 26 octobre 1956
(tel qu’amendé au 28 décembre 1989) (annexe 1). Cette mission est importante, notamment parce que les installations et
capacités d’enrichissement de l’uranium utilisées pour produire du combustible nucléaire destiné à la production
d’énergie civile, par exemple, pourraient également servir en principe à produire de l’uranium enrichi pour une arme
nucléaire.
10
11
- 8 -
non-prolifération des armes nucléaires (ci-après l’«accord de garanties»11). Entre autres problèmes,
l’Iran avait passé sous silence la construction de nouvelles installations nucléaires importantes et
les activités très sensibles qu’il y avait entreprises, en contradiction avec ses déclarations à l’AIEA.
Ainsi, l’AIEA a trouvé des particules d’uranium hautement enrichi sur certaines centrifugeuses, ce
qui donnait fortement à penser que l’Iran s’était livré à l’enrichissement d’uranium sur ce site et
qu’il avait omis de le signaler ou de permettre à l’AIEA de protéger les matériaux12. L’AIEA a
également constaté que l’Iran s’était soustrait à ses obligations «dans plusieurs cas et sur une
longue période»13. En conséquence, le conseil des gouverneurs de l’AIEA (le «conseil de l’AIEA»)
a pris une série de mesures. En septembre 2005, il a conclu que l’Iran était en «violation» du Statut
de l’AIEA en raison de ses «nombreux manquements et … infractions» à ses obligations découlant
de l’accord de garanties14.
2.4. En février 2006, le conseil de l’AIEA a adopté une résolution prescrivant à l’Iran de
«rétabli[r] la suspension complète et durable de toutes les activités liées à l’enrichissement et de
retraitement, y compris des activités de recherche-développement, qui doit être vérifiée par
l’Agence»15. Fait rare, la même résolution chargeait également le directeur général de l’AIEA de
faire rapport au Conseil de sécurité des Nations Unies et de faire part à celui-ci des mesures que le
conseil de l’AIEA estimait devoir être prises par l’Iran afin de régler les questions en suspens et de
rétablir la confiance quant au caractère purement pacifique du programme nucléaire iranien16.
i. Action de la communauté internationale et
du Conseil de sécurité des Nations Unies
2.5. Parallèlement à ces démarches au sein de l’AIEA, plusieurs Etats ont lancé une initiative
diplomatique visant à convaincre l’Iran de se conformer à ses obligations en matière nucléaire.
Pour ce faire, ils ont recouru à «une double stratégie alliant dialogue et pression des sanctions», ce
qui a conduit à «des tentatives répétées de négocier avec l’Iran, lesquelles se sont révélées
improductives en raison des réserves de celui-ci … et de l’absence d’une quelconque volonté
véritable de négocier de sa part au cours des années suivantes»17.
2.6. Après avoir été saisi par l’AIEA, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la
résolution 1696 (2006) exigeant de l’Iran qu’il «suspende … toutes ses activités liées à
11 Voir AIEA, rapport du directeur général, «Mise en oeuvre de l’accord de garanties TNP en République
islamique d’Iran», doc. GOV/2003/40 (6 juin 2003), p. 7 (annexe 2).
12 Voir AIEA, rapport du directeur général, «Mise en oeuvre de l’accord de garanties TNP en République
islamique d’Iran», doc. GOV/2003/63 (26 août 2003), p. 7 (annexe 3).
13 Voir AIEA, rapport du directeur général, «Mise en oeuvre de l’accord de garanties TNP en République
islamique d’Iran», doc. GOV/2003/75 (10 novembre 2003), p. 9 (annexe 4).
14 Voir AIEA, résolution du conseil des gouverneurs, «Mise en oeuvre de l’accord de garanties TNP en
République islamique d’Iran», doc. GOV/2005/77 (24 septembre 2005), p. 2, par. 1 (annexe 5).
15 Voir AIEA, résolution du conseil des gouverneurs, «Mise en oeuvre de l’accord de garanties TNP en
République islamique d’Iran», doc. GOV/2006/14 (4 février 2006), p. 2, par. 1-2 (annexe 7) ; voir aussi rapport du
directeur général, «Mise en oeuvre de l’accord de garanties TNP en République islamique d’Iran», doc. GOV/2006/15
(27 février 2006), p. 11, par. 53 (annexe 6) (où il est dit que l’AIEA n’est pas en mesure de «conclure qu’il n’y a pas de
matières ou d’activités nucléaires non déclarées en Iran»).
16 Voir AIEA, résolution du conseil des gouverneurs, «Mise en oeuvre de l’accord de garanties TNP en
République islamique d’Iran», doc. GOV/2006/14 (4 février 2006), p. 2, par. 1-2 (annexe 7).
17 L. Fabius, «Inside the Iran Nuclear Deal: A French Perspective», The Washington Quarterly, automne 2016,
par. 1, accessible à l’adresse suivante : https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/0163660X.2016.1232630?
needAccess=true (annexe 8).
12
- 9 -
l’enrichissement et au retraitement, y compris la recherche-développement»18. L’Iran s’obstinant à
refuser de coopérer avec l’AIEA ou de satisfaire à l’exigence formulée dans la résolution 1696, le
Conseil de sécurité a, par ses résolutions 1737 (2006), 1747 (2007) et 1803 (2008), imposé une
série d’interdictions et de restrictions contraignantes dans le but de répondre à la menace que les
activités nucléaires illicites que l’Iran menait sous cape faisaient peser sur la paix et la sécurité
internationales19.
2.7. En 2009, la communauté internationale a découvert que l’Iran avait construit une
installation d’enrichissement jusque-là inconnue à Qom, sans que l’AIEA en soit informée (jusqu’à
ce que le fait soit révélé publiquement)20. En réaction à cette activité clandestine et à «l’existence
possible en Iran d’activités passées ou actuelles non divulguées liées à la mise au point d’une
charge nucléaire pour un missile»21, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la
résolution 1929 (2010) qui a imposé de nouvelles interdictions à l’égard de l’Iran, notamment en
matière de non-prolifération, et qui a eu entre autres effets celui d’étendre considérablement le gel
des avoirs et l’interdiction de voyager pour les appliquer aux individus et entités associés au corps
des gardiens de la révolution islamique (CGRI) et à la compagnie de transport maritime de la
République islamique d’Iran (Islamic Republic of Iran Shipping Lines, ou IRISL), compte tenu du
rôle joué par l’un et l’autre dans le développement du programme nucléaire de l’Iran ; de nouvelles
interdictions concernant les armes, les missiles et le transport maritime y étaient également
énoncées22.
2.8. En réponse, l’Iran a persisté à défier la communauté internationale. De 2006 à 2013, il a
entrepris, au mépris des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies et du conseil de
l’AIEA, une série d’activités nucléaires dont voici quelques exemples : recherche-développement
visant à se doter de centrifugeuses perfectionnées, poursuite de l’enrichissement de l’uranium
jusqu’à des niveaux toujours plus élevés, poursuite de la construction d’un réacteur à eau lourde
posant un risque de prolifération et exploitation d’une usine de production d’eau lourde23. De 2008
à 2014, l’AIEA a fait état de l’existence possible en Iran d’activités nucléaires non déclarées faisant
intervenir des organisations liées à l’armée, et notamment d’«informations [indiquant que] l’Iran
a[vait] exécuté [d]es activités … qui [avaient] trait à la mise au point d’un dispositif nucléaire
18 Nations Unies, résolution 1696 du Conseil de sécurité, doc. S/RES/1696 (31 juillet 2006) (annexe 9).
19 Voir AIEA, rapport du directeur général, «Mise en oeuvre de l’accord de garanties TNP en République
islamique d’Iran», doc. GOV/2006/64 (14 novembre 2006) (annexe 10) ; Nations Unies, résolution 1737 du Conseil de
sécurité, doc. S/RES/1737 (27 décembre 2006) (annexe 11) (demandant notamment à l’Iran de suspendre toutes ses
activités liées à l’enrichissement, au retraitement ou à l’eau lourde et aux Etats membres d’infliger des sanctions
financières aux individus et entités désignés qui sont directement associés ou apportent un appui aux activités nucléaires
de l’Iran posant un risque de prolifération et à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires) ; résolution 1747 du
Conseil de sécurité, doc. S/RES/1747 (24 mars 2007) (annexe 12) (étendant les sanctions financières prévues dans la
résolution 1737 à d’autres individus et entités concourant aux activités de l’Iran dans le domaine nucléaire ou des
missiles balistiques) ; résolution 1803 du Conseil de sécurité, doc. S/RES/1803 (3 mars 2008) (annexe 13) (laquelle, entre
autres, élargit la liste des individus et entités désignés comme étant frappés de sanctions financières afin d’inclure les
personnes physiques et morales impliquées dans les activités nucléaires de l’Iran ainsi que les contractants participant aux
programmes de celui-ci dans le domaine du nucléaire ou des missiles balistiques).
20 Voir AIEA, rapport du directeur général, «Mise en oeuvre de l’accord de garanties TNP et des dispositions
pertinentes des résolutions 1737 (2006), 1747 (2007), 1803 (2008) et 1835 (2008) du Conseil de sécurité en République
islamique d’Iran», doc. GOV/2009/74 (16 novembre 2009), p. 2-4, 7 (annexe 14).
21 Voir AIEA, rapport du directeur général, «Mise en oeuvre de l’accord de garanties TNP et des dispositions
pertinentes des résolutions 1737 (2006), 1747 (2007), 1803 (2008) et 1835 (2008) du Conseil de sécurité en République
islamique d’Iran», doc. GOV/2010/10 (18 février 2010), p. 9 (annexe 15).
22 Voir Nations Unies, résolution 1929 du Conseil de sécurité, doc. S/RES/1929 (9 juin 2010) (annexe 16).
23 Voir Nations Unies, Conseil de sécurité, doc. S/2013/103, AIEA, rapport du directeur général, «Mise en oeuvre
de l’accord de garanties TNP et des dispositions pertinentes des résolutions du Conseil de sécurité en République
islamique d’Iran», doc. GOV/2013/6 (21 février 2013) (annexe 18).
13
- 10 -
explosif»24. Dans ce contexte, l’Iran avait alors affirmé qu’il «ne reculerait pas d’un iota dans sa
marche vers la victoire nucléaire»25.
ii. Les mesures de sanction adoptées en parallèle et en renfort
par les Etats-Unis
2.9. A l’appui de l’effort multilatéral et parallèlement à celui-ci, les Etats-Unis ont mis en
place un certain nombre de mesures de sanction. Par exemple, en 2005, le président américain a
pris le décret 13382, qui autorisait des mesures visant à limiter les ressources financières des
acteurs ou soutiens de la prolifération des armes de destruction massive, afin de contrecarrer leurs
agissements menaçants. Ce décret a eu pour effet de bloquer les biens de l’organisation iranienne
de l’énergie atomique ainsi que de plusieurs entités iraniennes participant à la mise au point de
missiles balistiques, qui se sont ainsi trouvées inscrites sur la liste des personnes physiques ou
morales issues de pays spécialement désignés ou visées par le gel d’avoirs (ci-après la «liste SDN»)
établie par le département du trésor américain (les personnes physiques ou morales seront
simplement dénommées ci-après les «personnes»)26. Nombre des individus ou entités liés à l’Iran
qui ont été désignés par les Etats-Unis en application de ce décret ont également été désignés par le
Conseil de sécurité des Nations Unies dans ses résolutions susmentionnées sur l’Iran, qui ont été
adoptées en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies.
2.10. L’Iran s’obstinant à défier la communauté internationale et à développer son
programme nucléaire même après l’imposition des mesures du Conseil de sécurité des
Nations Unies, les Etats-Unis ont tenté de répondre aux préoccupations que ce programme
continuait de susciter en adoptant plusieurs lois supplémentaires, dont beaucoup ont vu leur effet
renforcé par des mesures parallèles de l’Union européenne.
2.11. Il convient de citer en l’espèce les instruments suivants, qui ont été adoptés pour
répondre à la situation de plus en plus alarmante causée par le programme nucléaire iranien et qui
contiennent des mesures que les participants au plan d’action, y compris l’Iran, ont par la suite
reconnues comme étant liées au nucléaire. En général, ces mesures de sanction ont été mises en
place pour inciter l’Iran à changer de comportement et pour réduire les sources de revenus dont il
disposait aux fins de ses activités nucléaires préoccupantes (pour de plus amples informations sur
les lois pertinentes, voir l’annexe 80) :
⎯ Iran Sanctions Act of 1996 (ci-après la «loi ISA»)27 : cette loi été adoptée en application de la
politique des Etats-Unis visant à «priver l’Iran de la capacité d’appuyer des actes de terrorisme
international et de financer la mise au point ou l’acquisition d’armes de destruction massive et
de leurs vecteurs en limitant sa capacité d’explorer, d’extraire, de raffiner ou de transporter par
oléoduc ses ressources pétrolières». La loi ISA frappait notamment d’une première série de
24 AIEA, rapport du directeur général, «Mise en oeuvre de l’accord de garanties TNP et des dispositions
pertinentes des résolutions du Conseil de sécurité en République islamique d’Iran», doc. GOV/2011/65 (11 novembre
2011) (annexe 20). En novembre 2012, le directeur général de l’AIEA a signalé que l’Agence demeurait dans l’incapacité
de «conclure que toutes les matières nucléaires dans ce pays [étaient] affectées à des activités pacifiques» ; rapport du
directeur général, «Mise en oeuvre de l’accord de garanties TNP et des dispositions pertinentes des résolutions du Conseil
de sécurité en République islamique d’Iran», doc. GOV/2012/55 (16 novembre 2012), p. 9, 12 (annexe 21) ; voir aussi
Nations Unies, Conseil de sécurité, doc. S/2014/681, AIEA, rapport du directeur général, «Mise en oeuvre de l’accord de
garanties TNP et des dispositions pertinentes des résolutions du Conseil de sécurité en République islamique d’Iran»,
doc. GOV/2014/43 (5 septembre 2014) (annexe 19).
25 «Iran Vows Not to «Retreat One Iota» in Nuclear Pursuit», CNN (22 février 2007), accessible à l’adresse
suivante : http://edition.cnn.com/2007/WORLD/meast/02/21/iran.nuclear/index.html (annexe 17).
26 Executive Order 13382, Fed. Reg., vol. 70, p. 38567 (1er juillet 2005) (annexe 22).
27 Iran Sanctions Act of 1996, U.S.C., titre 50, art. 1701 note (1996) (annexe 80).
14
- 11 -
sanctions les personnes qui réalisaient sciemment un investissement supérieur à un certain
montant en rapport avec les ressources pétrolières de l’Iran. Comme indiqué ci-dessous, la
loi ISA a été modifiée par la loi intitulée Comprehensive Iran Sanctions, Accountability and
Divestment Act, puis par l’Iran Threat Reduction and Syria Human Rights Act de 2012 afin
d’étendre l’arsenal des sanctions à un éventail d’activités faisant intervenir le secteur iranien de
l’énergie, notamment les ressources pétrolières, produits pétroliers raffinés et produits
pétrochimiques en provenance ou à destination d’Iran.
⎯ Comprehensive Iran Sanctions, Accountability and Divestment Act of 2010 (ci-après la «loi
CISADA»)28 : cette loi a été adoptée pour répondre aux préoccupations concernant, entre
autres, le refus de l’Iran de se conformer à ses obligations en matière nucléaire ou aux
exigences de l’AIEA et du Conseil de sécurité des Nations Unies. Pour autant que cela soit
pertinent aux fins de l’espèce, cette loi a modifié la loi ISA, comme il a été dit ci-dessus. En
outre, la loi CISADA a frappé de sanctions les institutions financières étrangères qui
facilitaient certaines transactions pour des personnes désignées comme ayant un rapport avec le
soutien de l’Iran au terrorisme international ou avec sa contribution à la prolifération des armes
de destruction massive ou de leurs vecteurs29. (Ainsi qu’exposé plus loin, ces dernières
dispositions sont demeurées en vigueur tout au long de la participation des Etats-Unis au plan
d’action, encore que certaines personnes désignées par les instruments relatifs à la prolifération
ont été radiées de la liste par l’effet du plan d’action, de sorte que la disposition y afférente de
la loi CISADA ne leur était plus applicable.)
⎯ National Defense Authorization Act for Fiscal Year 2012 (ci-après la «loi NDAA de 2012»),
section 124530 : ce texte a été adopté afin de réduire les exportations pétrolières de l’Iran au
moyen de mesures ciblées sur la Banque centrale d’Iran, qui était le principal intermédiaire
financier pour ce type d’exportations, et de lutter contre les activités des institutions financières
iraniennes visant à échapper aux sanctions américaines et internationales. Cet article frappe
notamment de sanctions les institutions financières étrangères qui entreprennent ou facilitent
des transactions importantes avec la Banque centrale d’Iran ou certaines institutions financières
iraniennes, telles que désignées dans cette loi.
⎯ Iran Threat Reduction and Syria Human Rights Act of 2012 (ci-après la «loi TRA»)31: adoptée
dans le but d’inciter l’Iran à renoncer à sa tentative d’acquisition d’une capacité d’armement
nucléaire, cette loi indique que «le secteur énergétique de l’Iran continue de poser un risque de
prolifération alarmant, puisque le Gouvernement iranien s’obstine à détourner des fonds
substantiels provenant de la vente de ressources pétrolières pour financer ses activités illicites
concernant le nucléaire et les missiles» ; elle établit des sanctions, notamment en étendant
celles prévues par la loi ISA et en en créant de nouvelles à l’encontre des personnes qui se
28 Comprehensive Iran Sanctions, Accountability, and Divestment Act, U.S.C., titre 22, art. 8501 et suiv. (2010)
[Comprehensive Iran Sanctions, Accountability, and Divestment Act of 2010 (loi de 2010 sur la responsabilité, le
désengagement et les sanctions générales contre l’Iran [résumé]] (MI, annexe 16). La loi CISADA est mentionnée dans
le plan d’action à deux endroits : il est ainsi fait référence aux dispositions de la section 102 modifiant l’Iran Sanctions
Act et à la section 104(c)(2)(E)(ii)(I) s’agissant des transactions faisant intervenir certaines personnes désignées au titre
d’instruments particuliers régissant la lutte contre la prolifération et le terrorisme. Dans le premier cas, la levée des
sanctions a été mise en oeuvre par l’abandon des dispositions applicables de la loi ISA. En conséquence, la loi CISADA
elle-même n’a pas été distinctement citée dans les décisions portant abandon des dispositions législatives applicables ou
lors du rétablissement des mesures liées au nucléaire. Dans le second cas, la levée des sanctions a été mise en oeuvre par
le retrait de certaines personnes de la liste des personnes désignées par l’instrument pertinent de lutte contre la
prolifération, de sorte que la disposition concernée de la loi CISADA ne leur était plus applicable.
29 U.S. Department of State, «Fact Sheet: Comprehensive Iran Sanctions, Accountability, and Divestment Act»
(2011), accessible à l’adresse suivante : https://2009-2017.state.gov/e/eb/esc/iransanctions/docs/160710.htm (annexe 23).
30 National Defense Authorization Act for Fiscal Year 2012, section 1245, U.S.C., titre 22, art. 8513(a) (2011)
(annexe 80).
31 Iran Threat Reduction and Syria Human Rights Act of 2012, U.S.C., titre 22, art. 8701 et suiv. (2012)
(annexe 80).
15
16
- 12 -
livrent à certaines opérations d’assurance au profit de la National Iranian Oil Company et de la
National Iranian Tanker Company, ou à l’émission de titres de la dette souveraine iranienne.
De plus, la loi TRA a modifié la loi CISADA afin d’autoriser les mesures contre les institutions
financières étrangères engagées dans certaines activités de prolifération préoccupantes.
⎯ Iran Freedom and Counter-Proliferation Act of 2012 (ci-après la «loi IFCA»)32 : adoptée en
réponse à la poursuite et à l’accroissement par l’Iran de ses activités de développement
nucléaire ou autres activités déstabilisatrices, cette loi reflète le constat selon lequel «les
secteurs de l’énergie, du transport maritime et de la construction navale ainsi que les ports
d’Iran facilitent les activités de prolifération nucléaire du Gouvernement iranien en fournissant
les fonds nécessaires» et que la National Iranian Tanker Company est «un maillon-clé de la
chaîne d’approvisionnement pétrolière dont les revenus financent les activités nucléaires
illicites du Gouvernement iranien»33. En conséquence, la loi IFCA frappe notamment de
sanctions les personnes qui se livrent à certaines transactions faisant intervenir les secteurs
iraniens de l’énergie, du transport maritime ou de la construction navale, la fourniture de
certains métaux et matières premières utilisés par ces secteurs, ou la fourniture de services
d’assurance à ces personnes ou à d’autres désignées dans une série d’instruments.
2.12. L’ensemble de ces mesures a été adopté dans le cadre d’un effort concerté et soutenu
dont le but était non seulement de convaincre l’Iran de répondre aux préoccupations grandissantes
de la communauté internationale concernant ses manquements à ses obligations en matière
nucléaire, mais aussi de priver cet Etat des moyens de mener à bien son programme nucléaire.
SECTION B
PRÉSENTATION GÉNÉRALE DU PLAN D’ACTION
2.13. La campagne multilatérale alliant diplomatie et pression des sanctions pour contrer les
ambitions nucléaires de l’Iran a finalement abouti à l’adoption de l’arrangement consigné dans le
plan d’action. Dans un premier temps, le 24 novembre 2013, les cinq membres permanents du
Conseil de sécurité des Nations Unies plus l’Allemagne et l’Union européenne (ci-après dénommés
collectivement le «groupe E3/UE+3») ont conclu avec l’Iran un accord nucléaire provisoire, connu
sous le nom de plan d’action conjoint, en vue de geler l’avancée du programme nucléaire de l’Iran
pendant la poursuite des négociations sur une solution globale à long terme34. Ce plan provisoire
énonçait également les grands principes devant présider aux négociations à mener pour trouver un
arrangement plus complet, lequel devait comprendre ⎯ entre autres ⎯ l’adoption par l’Iran de
mesures en matière nucléaire en échange de la levée totale «des sanctions multilatérales et
nationales liées [à son] programme nucléaire»35. Le plan d’action conjoint ne définissait pas les
catégories de sanctions nationales considérées comme «liées au nucléaire», cette question ayant été
réservée pour les négociations du plan d’action global commun.
32 Iran Freedom and Counterproliferation Act of 2012, U.S.C., titre 22, art. 8801 et suiv. (2013) (annexe 80).
33 Ibid. Cette conclusion relative auxdits secteurs de l’économie iranienne fait écho à l’observation formulée par
le Conseil de sécurité dans sa résolution 1929 (2010) concernant l’existence d’un «lien potentiel entre les recettes que
l’Iran tire de son secteur de l’énergie et le financement de ses activités nucléaires posant un risque de prolifération» et le
rôle-clé joué par la compagnie nationale de transport maritime de l’Iran dans la chaîne d’approvisionnement en pétrole du
pays. Nations Unies, résolution 1929 du Conseil de sécurité, doc. S/RES/1929 (9 juin 2010) (annexe 16).
34 Voir The White House, «Fact Sheet: First Step Understandings Regarding the Islamic Republic of Iran’s
Nuclear Program» (23 novembre 2013), accessible à l’adresse suivante : https://obamawhitehouse.archives.gov/the-pressoffice/
2013/11/23/fact- sheet-first-step-understandings-regarding-islamic-republic-iran-s-n (annexe 24).
35 Plan d’action conjoint (24 novembre 2013), accessible à l’adresse suivante : https://www.iaea.org/sites/default/
files/publications/documents/infcircs/2013/infcirc855_fr.pdf (annexe 25).
17
- 13 -
2.14. Environ 18 mois plus tard, le 14 juillet 2015, le groupe E3/UE+3 et l’Iran ont conclu un
accord ⎯ le plan d’action global commun ⎯ visant à répondre aux préoccupations éprouvées de
longue date par la communauté internationale quant au programme nucléaire de l’Iran. Le 20 juillet
2015, comme prévu par les participants au plan d’action, le Conseil de sécurité des Nations Unies a
adopté à l’unanimité la résolution 2231, qui donnait effet à la levée des sanctions de l’ONU
envisagée par ledit plan36. Dans cette résolution, le Conseil de sécurité approuvait le plan d’action,
demandait à l’AIEA d’assurer la vérification et le suivi du respect par l’Iran de ses engagements en
matière nucléaire, prévoyait l’abrogation et le remplacement des dispositions de ses résolutions
antérieures concernant l’Iran lorsque certaines conditions seraient remplies, et établissait un
mécanisme permettant de rétablir ces dispositions dans certaines circonstances.
i. Architecture fondamentale du plan d’action
2.15. Cet instrument multilatéral détaillé et hautement technique reflète un quid pro quo
fondamental. L’Iran y souscrivait des engagements liés au nucléaire afin de «garantir[] le caractère
exclusivement pacifique d[e son] programme nucléaire»37. En contrepartie de ses engagements en
matière nucléaire, il obtenait «la levée de toutes les sanctions imposées par le Conseil de
sécurité … et des sanctions multilatérales ou nationales relatives [à son] programme nucléaire»38.
2.16. Pour leur part, les Etats-Unis s’engageaient à lever certaines mesures de sanction liées
au nucléaire qui visaient les activités menées par les personnes ne relevant pas de leur juridiction
(ci-après les «personnes non américaines», les personnes sous juridiction américaine étant
dénommées les «personnes américaines »)39 dans divers secteurs de l’économie iranienne, dont
ceux de l’énergie, des finances et de la banque, du transport maritime, des métaux et de l’industrie
automobile ⎯ des engagements qu’ils ont mis en oeuvre en abandonnant les dispositions
législatives applicables en la matière ainsi qu’en abrogeant certaines mesures adoptées par décret.
Les Etats-Unis s’engageaient également à radier des personnes particulières de la liste SDN ou
d’autres listes de sanction analogues. Enfin, ils prenaient des engagements concernant la délivrance
de certaines autorisations, notamment pour permettre l’importation sur leur sol de denrées
alimentaires et de tapis d’origine iranienne, pour faire en sorte que les filiales étrangères de sociétés
détenues ou contrôlées par les Etats-Unis puissent participer à certaines transactions faisant
intervenir l’Iran et pour que soient favorablement envisagées, au cas par cas, les demandes
d’autorisation visant l’exportation vers l’Iran d’aéronefs de transport commercial de passagers ainsi
que de pièces ou de services connexes destinés exclusivement à l’aviation commerciale civile.
2.17. En particulier, le plan d’action ne prévoyait pas la suspension ou la levée de toutes les
sanctions multilatérales ou nationales dont l’Iran faisait l’objet. Au contraire, comme on le verra
plus loin, les engagements pris dans le plan ont été expressément et soigneusement délimités pour
36 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 2231 (2015), doc. S/RES/2231 (2015), 20 juillet 2015
(MI, annexe 10).
37 Plan d’action global commun, 14 juillet 2015 (ci-après le «plan d’action»), préface (MI, annexe 10) (le plan
d’action est reproduit à l’annexe A de la résolution 2231 du Conseil de sécurité).
38 Ibid., préface et texte principal, par. v (les italiques sont de nous).
39 Ibid., annexe II, note 6 (MI, annexe 10) («Les sanctions que les Etats-Unis cesseront d’appliquer et, par la
suite, supprimeront ou modifieront pour y mettre fin, conformément à l’engagement pris dans la présente section 4, sont
celles qui visent des personnes ne relevant pas de la juridiction des Etats-Unis»). Ces sanctions applicables aux
transactions entre les personnes non américaines et l’Iran sont souvent appelées «sanctions secondaires»). Voir, par
exemple, département d’Etat américain, directive pour la levée de certaines sanctions américaines en application du plan
d’action global commun au jour de mise en oeuvre, 16 janvier 2016 (MI, annexe 24) (ci-après les «directives pour la levée
des sanctions en application du plan d’action»).
18
- 14 -
ne toucher que les mesures de sanction «liées au nucléaire», et elles seules40 . Les mesures de
sanction que les Etats-Unis avaient adoptées en réponse à d’autres sujets de préoccupation
étrangers au nucléaire, tels que le soutien de l’Iran au terrorisme international, ses activités en
matière de missiles balistiques, ses violations des droits de l’homme ou son engagement auprès
d’autres acteurs également visés par des sanctions (comme le Gouvernement syrien) débordaient le
cadre de la levée prévue par le plan d’action. Dans ces domaines, les Etats-Unis ont préservé et
affirmé leur droit d’appliquer ces sanctions lorsqu’ils ont adhéré au plan d’action et l’ont d’ailleurs
exercé par la suite41.
ii. Le règlement des différends dans le cadre du
plan d’action global commun
2.18. Les négociateurs du plan d’action ont soigneusement défini non seulement la nature, la
portée et la durée des engagements des participants respectifs, mais aussi les moyens par lesquels
ces derniers pourraient traiter les différends ou les questions d’inexécution. Le plan a été rédigé de
manière à refléter la nature politique et non juridiquement contraignante des engagements qu’il
renferme. Il importe de relever que le plan ne garantissait nullement à l’Iran que les mesures de
sanction levées ne seraient pas rétablies. En fait, la duplicité dont l’Iran avait fait preuve par le
passé dans le domaine du nucléaire est l’une des raisons pour lesquelles le plan d’action a été conçu
de façon à permettre à tout participant de cesser sa participation et de rétablir les mesures de
sanction précédemment levées.
2.19. Le plan d’action ne prévoit aucun recours judiciaire permettant d’obtenir une décision
sur le retrait d’un participant ou de rappeler de toute autre façon celui-ci à ses engagements. Au lieu
de cela, les participants ont décidé que le règlement des différends relevant du plan d’action se
ferait uniquement par la voie politique, établissant un mécanisme de règlement des différends très
particulier, ainsi que des recours en cas d’inexécution par un autre participant.
2.20. Une commission conjointe, établie par le plan et composée exclusivement des
participants à celui-ci, est chargée d’examiner les différends relatifs aux manquements allégués
dans le cadre d’une procédure de règlement limitée dans le temps42. Plus précisément,
conformément au paragraphe 36 du texte principal du plan, si un participant estime qu’un autre
participant ne respecte pas ses engagements, il peut soumettre la question à la commission
conjointe pour règlement. Ce renvoi est examiné par la commission pendant quinze jours. Si la
question n’est pas résolue au terme de ce délai, elle est examinée par les ministres des affaires
étrangères des participants pendant quinze jours encore. Ces brefs délais ⎯ deux quinzaines
successives ⎯ ne peuvent être modifiés que si tous les participants acceptent une prorogation43.
40 Ainsi, l’Union Européenne a maintenu des sanctions relatives aux droits de l’homme en Iran, ainsi que des
mesures restrictives liées au terrorisme. Voir Service européen pour l’action extérieure, «Note d’information sur les
sanctions de l’UE qui doivent être levées en vertu du plan d’action global commun» (16 janvier 2016), accessible à
l’adresse suivante : https://eeas.europa.eu/sites/eeas/files/sn10176-re01.fr17.pdf (annexe 28).
41 Par exemple, en janvier 2016, les Etats-Unis ont désigné 11 entités et individus participant à des acquisitions
aux fins du programme de l’Iran relatif aux missiles balistiques. U.S. Department of the Treasury, «Treasury Sanctions
Those Involved in Ballistic Missile Procurement for Iran» (17 janvier 2016), accessible à l’adresse suivante :
https://www.treasury.gov/press-center/press-versions/Pages/jl0322.aspx (annexe 29). En avril 2017, les Etats-Unis ont
désigné l’organisation des prisons de Téhéran et un haut fonctionnaire du service pénitentiaire de l’Etat iranien en rapport
avec de graves violations des droits de l’homme. U.S. Department of the Treasury, «Treasury Takes Action to Target
Serious Human Rights Abuses in Iran» (13 avril 2017), accessible à l’adresse suivante : https://www.treasury.gov/presscenter/
press-releases/Pages/sm0043.aspx (annexe 30).
42 Plan d’action, préambule, al. ix (MI, annexe 10).
43 Ibid., texte principal, par. 36.
19
20
- 15 -
2.21. Lorsque le plan d’action prévoit l’examen d’un différend par une autre voie que celle
de la commission conjointe ou des ministres des participants, il le fait de manière très circonscrite.
Cette voie de recours limitée consiste, en parallèle ou au lieu d’un examen par les ministres, à saisir
un «conseil consultatif» ad hoc composé de trois membres, qui se prononcera là encore dans un
délai de quinze jours. Ledit conseil n’est expressément habilité qu’à formuler un avis non
contraignant44.
2.22. Enfin, et ce point n’est pas le moins important, le mécanisme de règlement des
différends établi dans le plan d’action prévoit le cas où l’une des parties ne serait pas satisfaite de
l’issue de la procédure. Si un participant conclut que la question n’est pas résolue et constitue un
«non-respect manifeste» des engagements pris dans le plan d’action, il peut alors cesser de
«respect[er] … la totalité ou … une partie de ses propres engagements au titre du … Plan d’action
et décider d’aviser le Conseil de sécurité de ce qu’il considère comme constituant un non-respect
manifeste des engagements» contractés45. Tels sont les recours que les participants ont négociés,
sans aller au-delà.
SECTION C
LES CONSÉQUENCES SUR LES SANCTIONS DE L’ADOPTION DU PLAN D’ACTION
PUIS DE LA DÉCISION DES ETATS-UNIS DE NE PLUS Y PARTICIPER
i. Les sanctions américaines liées au nucléaire qui ont été levées
en application du plan d’action
2.23. Dans le plan d’action, les Etats-Unis se sont engagés à lever un sous-ensemble très
particulier de leurs sanctions contre l’Iran (celles que les participants ont reconnues, à l’issue de
longues discussions et négociations, comme étant «liées au nucléaire»), lesquelles sont énumérées
aux sections 4 et 5 de l’annexe II46. Trois caractéristiques fondamentales de la levée des sanctions
américaines méritent d’être soulignées d’emblée : 1) la levée visait généralement les personnes
non américaines, les interdictions existantes concernant les transactions des personnes américaines
avec l’Iran étant demeurées essentiellement les mêmes qu’avant l’adoption du plan ; 2) les
personnes non américaines pouvaient toujours tomber sous le coup des instruments de sanction
contre l’Iran sur lesquels le plan n’avait pas d’incidence ; 3) la levée ne s’appliquait pas aux
transactions ou activités faisant intervenir des personnes toujours inscrites sur la liste SDN47.
44 Plan d’action, texte principal, par. 36 (MI, annexe 10).
45 Ibid. Le paragraphe 37 du texte principal du plan d’action décrit simplement ce qui s’ensuit lorsqu’un
participant décide d’en appeler au Conseil de sécurité des Nations Unies.
46 Ibid. Texte principal, par. 21-22, et annexe II.
47 Directives pour la levée des sanctions en application du plan d’action, voir note 39 ci-dessus, p. 6-7
(MI, annexe 24). Voir aussi plan d’action, annexe II, par. 4, note 6 (MI, annexe 10) (où il est précisé que les sanctions
que les Etats-Unis lèveront en vertu de leurs engagements «sont celles qui visent des personnes ne relevant pas de la
juridiction des Etats-Unis» et qu’«[i]l restera généralement interdit aux personnes relevant de la juridiction des Etats-Unis
et aux entités étrangères détenues ou contrôlées par elles d’effectuer des opérations du type qu’autorise le présent Plan
d’action, à moins d’y être autorisées par l’Office of Foreign Assets Control, l’autorité américaine chargée du contrôle des
avoirs étrangers (ci-après «l’OFAC»). Cette disposition du plan d’action définit en outre «une personne ne relevant pas
de la juridiction des Etats-Unis» aux fins de la levée des sanctions comme «toute personne physique ou entité, à
l’exclusion de : i) tout citoyen américain, tout résident permanent étranger et toute entité organisée suivant la législation
des Etats-Unis ou de toute autre juridiction sur le territoire des Etats-Unis (y compris les succursales à l’étranger), ou
toute personne se trouvant sur le territoire des Etats-Unis ; ii) toute entité détenue ou contrôlée par une personne relevant
de la juridiction des Etats-Unis.» Ibid.
21
- 16 -
2.24. Les Etats-Unis ont mis en oeuvre la levée des sanctions promise au moyen de quatre
sortes de mesures :
1) mesures d’abandon («waivers») de certaines dispositions législatives48 ;
2) révocation ou modification de certains décrets par la promulgation d’un nouveau décret, le
décret 1371649 ;
3) radiation de certains individus et entités énumérés dans le plan d’action (dans la pièce jointe 3
de l’annexe II) de la liste SDN du département du trésor (ainsi que d’autres listes de sanction, le
cas échéant)50 ; et
4) adoption de certaines mesures d’autorisation en vue i) de permettre, au cas par cas,
l’exportation, la réexportation, la vente, la location ou le transfert à destination de l’Iran
d’aéronefs de transport commercial de passagers ainsi que de pièces ou de services connexes
destinés exclusivement à l’aviation commerciale civile ; ii) d’autoriser les entités
non américaines mais détenues ou contrôlées par une personne américaine à mener certaines
activités faisant intervenir l’Iran ; et iii) d’autoriser l’importation aux Etats-Unis de tapis et de
denrées alimentaires d’origine iranienne, comme les pistaches et le caviar51.
2.25. Pour l’essentiel, exception faite des cas mentionnés dans la quatrième catégorie
ci-dessus, la levée des sanctions américaines prévue par le plan d’action ne portait pas et n’a pas
influé sur les mesures de sanction bilatérales qui étaient applicables aux transactions et au
commerce entre les personnes américaines et l’Iran. Les mesures levées étaient celles qui
«vis[ai]ent» les personnes non américaines et les transactions effectuées à l’extérieur des
Etats-Unis ou du système financier américain52.
ii. Les sanctions américaines sur lesquelles le plan d’action
n’a eu aucune incidence
2.26. La délimitation minutieuse de la levée des sanctions prévue dans le plan d’action a
permis de maintenir d’autres mesures de sanction américaines. Surtout, à quelques très rares
exceptions près, le plan d’action n’a pas eu d’incidence sur les mesures bilatérales qui interdisaient
de manière générale toute transaction faisant intervenir des personnes américaines, ou
non américaines mais sous juridiction américaine (comme la succursale américaine d’une banque
48 Voir, par exemple, Secrétaire d’Etat américain, Dispositions concernant l’abandon de sanctions et l’octroi de
dérogations, 18 octobre 2015 (MI, annexe 23).
49 Executive Order 13716, Fed. Reg., vol. 81, p. 3693 (21 janvier 2016) (annexe 32).
50 Directives pour la levée des sanctions en application du plan d’action, voir note 39 ci-dessus, p. 6-7
(MI, annexe 24).
51 Voir département du trésor américain, OFAC, déclaration relative à la politique d’autorisations pour les
activités liées à l’exportation ou à la réexportation vers l’Iran d’aéronefs de transport commercial de passagers et de
pièces détachées ou de services connexes, 16 janvier 2016, révoquée à compter du 8 mai 2018 (MI, annexe 26) ;
département du trésor américain, OFAC, autorisation générale H, 16 janvier 2016, révoquée à compter du 27 juin 2018
(MI, annexe 25) ; département du trésor américain, OFAC, modification de la réglementation relative aux transactions
avec l’Iran et aux sanctions s’y rapportant (Iranian Transactions and Sanctions Regulations), 21 janvier 2016, Fed. Reg.,
vol. 81, p. 3330 (MI, annexe 27) ; département du trésor américain, OFAC, autorisation générale I, 24 mars 2016,
révoquée à compter du 27 juin 2018 (MI, annexe 29).
52 Voir plan d’action, annexe II, par. 4, note 6 (MI, annexe 10), et note 47 ci-dessus.
22
- 17 -
étrangère ou la filiale immatriculée aux Etats-Unis d’une société étrangère) et l’Iran. Ces types de
sanctions bilatérales sont en vigueur, sous une forme ou sous une autre, depuis 198753.
2.27. Les principaux éléments de ces sanctions bilatérales ressortent de plusieurs décrets que
le président des Etats-Unis a pris dans l’exercice de son pouvoir de répondre aux menaces pour la
sécurité nationale, la politique étrangère ou l’économie des Etats-Unis54. Les instruments pertinents
établissent des interdictions applicables aux personnes américaines, y compris : i) des interdictions
générales visant l’importation de biens ou services d’origine iranienne ou l’exportation vers l’Iran
de biens, de technologies ou de services (y compris les services financiers et les investissements) ;
ii) l’obligation de bloquer tous les biens et participations dans des biens du Gouvernement et des
institutions financières iraniens ; et iii) des interdictions visant les activités des entités étrangères
détenues ou contrôlées par une personne américaine (filiales étrangères, par exemple) lorsque les
activités en question sont interdites aux personnes américaines55. Abstraction faite de la quatrième
catégorie limitée dont il a été fait mention plus haut au paragraphe 2.24, la participation des
Etats-Unis au plan d’action n’a pas eu d’incidence sur ces mesures de sanction bilatérales contre
l’Iran, qui ne sont donc pas en cause dans cette affaire.
2.28. Plusieurs autres instruments de sanction sans rapport avec le nucléaire sont également
restés en vigueur pendant la participation américaine au plan, lesquels avaient pour objet les
préoccupations plus larges que l’Iran faisait peser sur la sécurité. Ces textes prévoient notamment
des sanctions générales à l’encontre de tout Etat qui se livrerait au transfert de certaines armes de
destruction massive, technologies de missiles, armes classiques et technologies liées à
l’enrichissement de substances nucléaires. Des sanctions sont également demeurées en vigueur
concernant, entre autres, le soutien de l’Iran au terrorisme (s’agissant notamment du CGRI), ses
activités en matière de missiles balistiques, ses violations des droits de l’homme et ses actes de
censure, son appui aux auteurs de violations des droits de l’homme en Syrie et son soutien à des
personnes menaçant la paix et la stabilité du Yémen56.
2.29. En résumé, la participation des Etats-Unis au plan d’action n’a entraîné la levée que
d’un sous-ensemble particulier de sanctions américaines contre l’Iran, à savoir celles dirigées
contre les personnes non américaines dont les Etats-Unis et l’Iran avaient conjointement conclu
qu’elles étaient liées au nucléaire.
53 Voir Executive Order 12613, Fed. Reg., vol. 52, p. 41940 (30 octobre 1987) (interdisant les importations en
provenance d’Iran) (annexe 34). Ce décret a par la suite été abrogé et ses dispositions, largement reprises par le
décret 13059 : voir Executive Order 13059, Fed. Reg., vol. 62, p. 44531 (21 août 1997) (annexe 162).
54 Voir, par exemple, International Emergency Economic Powers Act, U.S.C., titre 50, art. 1701(a) et suiv.
(annexe 36).
55 Les prescriptions de ces décrets ont été mises à exécution par une série de règlements collectivement
dénommés l’ITSR (Iranian Transactions and Sanctions Regulations, réglementation fédérale relative aux transactions
avec l’Iran et aux sanctions s’y rapportant), dont l’administration relève de l’OFAC (département du trésor américain),
CFR, vol. 31, art. 560 (2019) (annexe 35). De plus, certaines prescriptions desdits décrets ont par la suite été codifiées
dans des lois. Les interdictions s’appliquent selon les modalités prévues par ces textes, sauf exception (énoncée par
exemple dans la réglementation américaine) ou autorisation de l’OFAC. Comme les Etats-Unis l’ont expliqué en détail
dans le cadre de la procédure consacrée à la demande en indication de mesures conservatoires présentée par l’Iran, il
existe un certain nombre d’exceptions et d’autorisations applicables, entre autres, aux opérations d’exportation vers l’Iran
de certains produits humanitaires (médicaments, matériel médical, produits agricoles ou denrées alimentaires, par
exemple). CFR, vol. 31, art. 560.530, 560.532, 560.533 (annexe 35).
56 Directives pour la levée des sanctions en application du plan d’action, voir note 39 ci-dessus, par. VII.B
(MI, annexe 24).
23
- 18 -
iii. Le rétablissement des sanctions précédemment levées
(les mesures du 8 mai)
2.30. Lorsqu’il a annoncé le 8 mai la décision des Etats-Unis de ne plus participer au plan
d’action, le président américain a publié un mémorandum sur la sécurité nationale enjoignant aux
secrétaires d’Etat et du trésor de se préparer au rétablissement, dans un délai maximum de cent
quatre-vingts jours, de l’intégralité des sanctions américaines précédemment levées ou
abandonnées en application du plan d’action57. Par conséquent, le 5 novembre 2018, toutes les
mesures de sanction américaines liées au nucléaire qui avaient été levées ou abandonnées en
application du plan d’action étaient rétablies. Il s’agit des mesures en cause en l’espèce, à savoir les
«mesures du 8 mai».
2.31. Comme celles prises pour la mise en oeuvre du plan d’action, ces mesures rétablissant
les sanctions peuvent être réparties en quatre catégories générales :
1) rétablissement des dispositions de lois américaines qui avaient été abandonnées en application
du plan d’action (lois ISA, IFCA, TRA et section 1245 de la loi NDAA de 2012) ;
2) rétablissement, par la promulgation du décret 13846, de certaines mesures de sanction établies
par des décrets précédemment abrogés ou modifiés58 ;
3) réinscription de certaines personnes sur la liste SDN59 ; et
4) révocation de certaines mesures d’autorisation60.
2.32. Comme nous le verrons au chapitre 7, les mesures du 8 mai ont eu pour principal effet
de rétablir les conséquences des sanctions à l’égard de certaines catégories de transactions entre des
personnes non américaines et l’Iran.
57 Présidence des Etats-Unis, «Cessation de la participation des Etats-Unis au plan d’action et prise de mesures
supplémentaires pour contrer l’influence malveillante de l’Iran et barrer à celui-ci toutes les voies menant à l’arme
nucléaire», mémorandum présidentiel, 8 mai 2018 (ci-après le «mémorandum américain du 8 mai»), par. 3
(MI, annexe 31).
58 Executive Order 13846, Fed. Reg., vol. 83, p. 38939 ([6] août 2018) (annexe 37). De plus, le décret 13846 a
étendu le champ d’application de ces textes d’autres façons. Voir département du trésor américain, «Liste des questions
fréquemment posées établie par l’OFAC : les sanctions contre l’Iran», question 601, accessible à l’adresse suivante :
https://www.treasury.gov/resource-center/faqs/Sanctions/Pages/faq_iran… (dernière consultation le 7 août 2019)
(annexe 151).
59 Plan d’action, annexe II, par. 4.8.1, al. 3 ; annexe V, par. 17.3 (MI, annexe 10). Certaines divergences peuvent
apparaître entre les personnes radiées de la liste SDN conformément au plan d’action et celles dont la désignation a été
rétablie, par exemple, lorsque l’entité concernée a cessé d’exister.
60 Cela comprenait la révocation, à l’issue d’un délai de liquidation : i) de la déclaration relative à la politique
d’autorisation prévue dans le plan d’action [JCPOA Statement of Licensing Policy (SLP)], en vertu de laquelle les
personnes relevant ou non de la juridiction des Etats-Unis pouvaient solliciter des autorisations spéciales aux fins de
transactions visant la vente à l’Iran d’aéronefs de transport commercial de passagers et de pièces ou de services connexes
destinés exclusivement à l’aviation commerciale civile, pourvu que ces transactions ne fissent pas intervenir de personnes
figurant sur la liste SDN ; ii) d’autorisations spéciales accordées en vertu de ladite politique d’autorisation ; iii) d’une
autorisation générale concernant les transactions normalement liées à la négociation et à la conclusion de contrats pour
des activités susceptibles d’autorisation au titre de la politique d’autorisation (autorisation générale I) ; iv) d’une
autorisation générale, pour les entités étrangères dé(tenues ou contrôlées par une personne américaine, de mener certaines
activités faisant intervenir l’Iran (autorisation générale H) ; et v) d’autorisations générales concernant l’importation aux
Etats-Unis et le commerce de certains tapis et denrées alimentaires d’origine iranienne, ainsi que certaines lettres de
crédit et services de courtage connexes (précédemment CFR, vol. 31, art. 560.534 et 560.535) (MI, annexes 25-26, 27 et
29). Voir U.S. Department of the Treasury, «Frequently Asked Questions Regarding the Re-Imposition of Sanctions
Pursuant to May 8, 2018 National Security Presidential Memorandum Relating to the Joint Comprehensive Plan of
Action (JCPOA)» (8 mai 2018 ; mise à jour 6 août 2018) (ci-après «Re-Imposition FAQs»), p. 10-12 (annexe 144).
24
- 19 -
SECTION D
DÉCISION DES ETATS-UNIS DE NE PLUS PARTICIPER AU PLAN D’ACTION
2.33. Il est bien connu que le plan d’action portait exclusivement sur les questions
nucléaires : l’Iran y avait pris des engagements en la matière en échange de la levée des sanctions
internationales et nationales liées au nucléaire. Il est également bien connu que le plan n’avait pas
trait à un certain nombre d’autres activités de l’Iran qui préoccupaient grandement les Etats-Unis et
la communauté internationale. Au cours des deux premières années et demie de mise en oeuvre du
plan, ces activités préoccupantes ont persisté voire pris de l’ampleur, tandis que des doutes
grandissaient quant à l’efficacité du plan d’action pour répondre aux activités nucléaires de l’Iran.
2.34. Les Etats-Unis ont continué d’exercer une surveillance étroite et d’exprimer
publiquement leurs préoccupations au sujet des activités déstabilisatrices et alarmantes menées par
l’Iran en dehors du cadre du plan d’action, comme son soutien au terrorisme et son appui à des
groupes armés dans la région, ses activités liées aux missiles balistiques et ses violations des droits
de l’homme, notamment la détention injuste de ressortissants américains sur le sol iranien. En avril
2017, le secrétaire d’Etat Rex Tillerson s’est dit préoccupé par la menace que représentaient les
provocations de l’Iran dans ces autres domaines et a fait savoir au Congrès des Etats-Unis que le
président avait chargé le Conseil de sécurité nationale de conduire un examen interinstitutions du
plan d’action pour déterminer s’il était dans l’intérêt des Etats-Unis de maintenir la suspension des
sanctions nucléaires contre l’Iran prévue dans cet instrument 61. En octobre 2017, le président
Donald Trump a annoncé que, à la suite de cet examen, les Etats-Unis avaient conclu que la levée
des sanctions prévue par le plan d’action n’était ni «appropriée ni proportionnée» eu égard aux
mesures prises par l’Iran dans le cadre de son programme nucléaire, et a annoncé une stratégie
destinée à «répondre à tout l’éventail des actes destructeurs de l’Iran»62. Le secrétaire d’Etat
Rex Tillerson a fait part de cette décision au Congrès en exprimant ses préoccupations face au large
éventail de menaces posées par les activités iraniennes, et a déclaré : «De plus, en dehors du cadre
restreint de l’accord nucléaire, l’Iran n’a pas réduit mais a, au contraire, accéléré ses activités
malveillantes dans la région et au-delà, mettant nos intérêts et nos alliés en péril.»63 Les Etats-Unis
ont clairement indiqué que face à ces menaces, et sauf modification substantielle du plan d’action
lui-même ou autre mesure destinée à y répondre, ils cesseraient prochainement de participer audit
plan. Pourtant, même après que les préoccupations des Etats-Unis en matière de sécurité lui eurent
été publiquement signifiées, l’Iran n’a pas mis un terme à ses agissements menaçants. Il a poursuivi
ses activités dans le domaine des missiles balistiques et a continué de prêter assistance à des
groupes militants et terroristes au Moyen-Orient, ainsi que de soumettre des ressortissants
américains à des détentions injustes.
2.35. En outre, en avril 2018, des dizaines de milliers de pages de documents ont été mises
au jour concernant le programme secret d’armement nucléaire que l’Iran avait mené par le passé,
confirmant que ce dernier avait menti sur l’historique de son programme à l’AIEA et tout au long
des négociations ayant préludé à l’adoption au plan d’action64. A la lumière de cette vaste mine de
documents iraniens relatifs à des activités d’armement nucléaire, que l’Iran poursuivait
61 Letter from U.S. Secretary of State Rex W. Tillerson to Hon. Paul D. Ryan, Speaker of the House of
Representatives (24 avril 2017) (annexe 38).
62 President Donald J. Trump, Remarks on Iran Strategy (13 octobre 2017) (annexe 140).
63 Letter from U.S. Secretary of State Rex W. Tillerson to Congress (13 octobre 2017) (printed in
Non-Proliferation, Digest of United States Practice in International Law, 2017, p. 787-788) (annexe 39).
64 L. Morris and K. DeYoung, «Israel Says It Holds a Trove of Documents From Iran’s Secret Nuclear Archives»,
The Washington Post (30 avril 2018), accessible à l’adresse suivante : https://www.washingtonpost.com/
world/israel-says-it-holds-a-trove-of-documents-from-irans-secret-nuclear-weapons-archive/2018/04/30/16865450-4c8d-
11e8-85c1-9326c4511033_story.html?utm_term=.1639dd4ead05 (annexe 41).
25
26
- 20 -
apparemment alors que le plan d’action était en vigueur, il était permis de se demander si l’on
pouvait en toute confiance laisser cet Etat enrichir ou contrôler des substances nucléaires65.
2.36. Le 8 mai 2018, prenant acte notamment de la poursuite par l’Iran de sa campagne de
déstabilisation régionale, de la menace que le comportement malveillant de ce pays continuait de
faire peser sur eux et sur le monde, et de l’inadéquation du plan d’action pour répondre à
l’ensemble de leurs préoccupations concernant le comportement de l’Iran, les Etats-Unis ont décidé
de cesser leur participation à cet instrument et de rétablir les sanctions levées en vertu de ses
dispositions66.
2.37. Comme ils l’ont expliqué, pendant leur participation au plan d’action, les Etats-Unis
ont vu perdurer voire croître les menaces posées par l’Iran. Grâce à la levée des sanctions et à sa
relative réintégration dans l’économie mondiale par l’effet du plan d’action, l’Iran s’est trouvé à la
fois enrichi et enhardi, ce qui a finalement fait de lui un acteur régional plus dangereux
qu’auparavant67. Le programme iranien de mise au point de missiles balistiques a continué de
progresser après l’entrée en vigueur du plan d’action et l’Iran a poursuivi ses détentions arbitraires
de ressortissants américains. De surcroît, le plan d’action a permis au régime iranien d’accroître ses
ressources économiques et d’utiliser le système financier international, ce dont il s’est servi pour
continuer à financer, pourvoir en armes illicites et entraîner des groupes terroristes et militants, de
sorte que toute la région s’est trouvée déstabilisée et les intérêts américains, menacés. En fait, au
cours des années pendant lesquelles les Etats-Unis ont participé au plan, le budget militaire de
l’Iran a augmenté de près de 40 %68. Les activités de l’Iran au Yémen, en Iraq et en Syrie ont
aggravé les conflits dans ces pays et aidé des groupes qui attaquaient les forces américaines, de
même que les alliés et partenaires des Etats-Unis69. Comme on le verra plus loin, pareilles activités
déstabilisent la région et constituent une grave menace pour la sécurité des Etats-Unis, de leurs
ressortissants et de leurs intérêts. Il convient également de noter que les Etats-Unis ne sont pas les
seuls à percevoir ainsi la menace posée par l’Iran. Dans une déclaration commune publiée le 8 mai
2018, les dirigeants de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni sont convenus que «d’autres
sujets majeurs de préoccupation d[evaient] être pris en compte», y compris «les
préoccupations … partagées liées au programme balistique de l’Iran et à ses activités régionales
déstabilisatrices, en particulier en Syrie, en Iraq et au Yémen.»70 Les Etats-Unis analyseront
ci-dessous, successivement, chacune de ces menaces pour la sécurité.
65 Press Statement from Secretary of State Michael R. Pompeo (30 avril 2018), accessible à l’adresse suivante :
https://www.state.gov/iran- atomic-archive/ (annexe 42).
66 Mémorandum américain du 8 mai, voir note 57 ci-dessus, par. 3 (MI, annexe 31). Voir aussi President
Donald J. Trump, letter from the President to the Speaker of the House of Representatives and the President of the Senate
(6 août 2018) (annexe 43).
67 C. A. Ford, Assistant Secretary of State for the Bureau of International Security and Nonproliferation, Remarks
at the DACOR Bacon House, «Moving American Policy Forward in the Aftermath of the Iran Nuclear Deal» (25 juillet
2018) (ci-après «Remarks of Christopher A. Ford»), accessible à l’adresse suivante : https://www.state.gov/remarks-andreleases-
bureau-of-international-security-and-nonproliferation/moving-american-policy-forward-in-the-aftermath-of-theiran-
nuclear-deal/ (annexe 45).
68 President Donald J. Trump, Remarks on the Joint Comprehensive Plan of Action (8 mai 2018), accessible à
l’adresse suivante : https://www.whitehouse.gov/briefings-statements/remarks-president-trump…-
action/ (annexe 141).
69 Remarks of Christopher A. Ford, voir note 67 ci-dessus (annexe 45).
70 Déclaration conjointe du président de la République Emmanuel Macron, de la première ministre Theresa May,
et de la chancelière Angela Merkel à la suite de la déclaration du président Donald Trump sur l’Iran (8 mai 2018),
accessible à l’adresse suivante : https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/secu…-
et-non-proliferation/actualites/actualites-et-evenements-lies-au-desarmement-et-a-la-non-proliferation-
5181/article/accord-sur-le-nucleaire-iranien-declaration-conjointe-de-la-france-du-royaume (annexe 46).
27
- 21 -
i. Le soutien de l’Iran à des activités et à des groupes terroristes
ainsi qu’à d’autres groupes armés de la région
2.38. Depuis l’invasion de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran et la prise en otage de
personnel diplomatique américain en 1979, l’Iran persiste à fomenter et à soutenir la commission
d’actes de terrorisme international contre les Etats-Unis et leurs ressortissants, ainsi que contre
ceux de nombreux autres pays. Des responsables iraniens ont proféré des menaces de mort et
appelé publiquement à commettre des actes de terrorisme et l’Iran a reconnu financer et soutenir
des entités terroristes, lesquelles ont à leur tour reconnu que cette assistance était essentielle à la
poursuite de leurs opérations. Le soutien de l’Iran au terrorisme est largement reconnu. Des organes
de l’ONU ont exigé que l’Iran «cesse sans délai de participer à des meurtres et à des actes de
terrorisme organisés sous l’égide de l’Etat perpétrés à l’encontre d’Iraniens vivant à l’étranger et de
nationaux d’autres Etats ou de faire preuve de tolérance à cet égard»71 ; ces organes ont réaffirmé
que «les gouvernements [étaient] comptables des assassinats ou des attaques contre des personnes
perpétrés par leurs agents sur le territoire d’un autre Etat, ainsi que de l’incitation et de
l’assentiment à de tels actes ou de l’indulgence délibérée à leur égard»72. Comme ses intermédiaires
et lui-même l’ont publiquement confirmé, l’Iran apporte depuis des dizaines des années un soutien,
notamment financier, à l’action d’organisations terroristes en violation du droit international, qui
impose à tous les Etats de «[s’] abstenir d’apporter quelque forme d’appui que ce soit, actif ou
passif, aux entités ou personnes impliquées dans des actes de terrorisme»73.
2.39. De l’avis des Etats-Unis, l’Iran demeure le principal soutien étatique du terrorisme et a
continué d’apporter un appui direct à des intermédiaires terroristes dans toute la région. Il a mis en
place un appareil d’Etat très organisé, maintenu et contrôlé aux plus hauts niveaux de son
gouvernement, afin d’utiliser les actes de terrorisme comme un instrument de politique étrangère. Il
prête notamment son soutien aux activités du Hezbollah au Liban et en Syrie, ainsi qu’aux milices
chiites iraquiennes dont les actes ont coûté la vie à des centaines d’Américains en Iraq et qui ont
ensuite été déployées en Syrie afin de lutter pour le régime d’Assad. Le soutien de l’Iran à ses
intermédiaires terroristes vise à déstabiliser les gouvernements de la région, y compris ceux qui
sont alliés aux Etats-Unis74.
2.40. L’Iran ne fait pas mystère de son appui continu au Hezbollah75, dont il est le principal
soutien financier et fournisseur d’entraînement. Dans un discours prononcé en juin 2016, le
dirigeant du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a confirmé le soutien direct et exclusif de l’Iran à l’égard
du groupe, déclarant : «nous ne cachons pas que le budget du Hezbollah, ses revenus, ses dépenses,
tout ce que ses membres mangent et boivent, ses armes et roquettes proviennent de la République
71 Nations Unies, Conseil économique et social (ECOSOC), Commission des droits de l’homme, rapport de la
Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, doc. E/CN.4/1995/2,
E/CN.4/Sub.2/1994/56 (28 octobre 1994), p. 56 (annexe 49).
72 Nations Unies, ECOSOC, Commission des droits de l’homme, supplément no 3, «Situation des droits de
l’homme en République islamique d’Iran» (1996), doc. E/1996/23, E/CN.4/1996/177, p. 296 (annexe 50).
73 Nations Unies, résolution 1373 du Conseil de sécurité, doc. S/RES/1373 (28 septembre 2001), par. 2 a)
(annexe 51).
74 Hearing on Understanding the Role of Sanctions Under the Iran Deal Before the Committee on Banking,
Housing, and Urban Affairs of the Senate, 114th Congress (2016) (Statement of the Hon. Juan C. Zarate, Chairman and
Co-Founder of the Financial Integrity Network) (annexe 52). L’aide de l’Iran ne se limite pas non plus au Hezbollah. Des
chefs talibans ont confirmé que des responsables iraniens les avaient payés pour suivre en Iran des cours destinés à leur
apprendre comment attaquer les troupes et les convois de l’OTAN, y compris avec des engins explosifs improvisés.
«Captured Taliban Commander: «I received Iranian Training»», RadioFreeEurope/RadioLiberty (23 août 2011)
(annexe 57) ; «Iranians Train Taliban to Use Roadside Bombs: Report», The Nation Pakistan (21 mars 2010)
(annexe 56).
75 Voir, de manière générale, M. Levitt, «The Origins of Hezbollah», The Atlantic (23 octobre 2013) (annexe 54).
28
- 22 -
islamique d’Iran»76. Les Etats-Unis estiment que l’Iran a continuellement fourni au Hezbollah des
milliers de roquettes, de missiles et d’armes légères, en violation des résolutions 1701 (2006) et
2231 (2015) du Conseil de sécurité, le Secrétaire général de l’ONU s’étant lui-même inquiété de ce
que l’Iran pourvoyait le Hezbollah en armes et en missiles, au mépris des résolutions applicables du
Conseil de sécurité77.
2.41. Le soutien de l’Iran à d’autres groupes armés de la région s’est également poursuivi
sans relâche. Par exemple, le 4 février 2019, le Conseil de l’Union européenne s’est alarmé du
soutien militaire, financier et politique apporté par l’Iran à des acteurs non étatiques en Syrie et au
Liban, ainsi que du non-respect par le régime iranien de l’embargo sur les armes imposé par l’ONU
à destination des Houthistes au Yémen78. Au lendemain de l’adoption du plan d’action, des forces
navales internationales ont intercepté des cargaisons d’armes iraniennes qui devaient
vraisemblablement parvenir aux rebelles houthistes au Yémen, en violation des résolutions du
Conseil de sécurité des Nations Unies79. Le Secrétaire général de l’ONU s’est déclaré préoccupé
par la saisie signalée, dans le golfe d’Oman en mars 2016, d’une cargaison d’armes dont les
Etats-Unis ont conclu qu’elle provenait d’Iran et était vraisemblablement destinée au Yémen80. Le
groupe d’experts des Nations Unies sur le Yémen a confirmé la fourniture par l’Iran d’une aide
létale aux Houthistes au Yémen, ce qui n’a fait qu’empirer une situation humanitaire déjà
catastrophique. Par exemple, le groupe «a identifié des débris de missiles, de l’équipement militaire
nécessaire à leur lancement et des véhicules aériens téléguidés militaires d’origine iranienne qui
[avaient] été introduits au Yémen après la mise en place de l’embargo … sur les armes» à
destination des houthistes81. De fait, le groupe a conclu que l’Iran ne se conformait pas à l’embargo
sur les armes décidé par l’ONU à l’encontre des houthistes au Yémen au motif que les autorités
iraniennes ne prenaient pas les mesures nécessaires pour empêcher le transfert, au profit de
l’alliance qui unissait à l’époque les houthistes et les pro-Saleh, de missiles balistiques à courte
portée, de citernes de stockage d’oxydant pour missiles et de véhicules aériens téléguidés82. Le
Yémen a également annoncé que, «de multiples signalements faisant état d’interceptions similaires
ayant été reçus, on sait que des quantités considérables d’armes et de munitions parmi lesquelles se
trouvaient, d’après les autorités yéménites, des missiles antichars, des fusils d’assaut, des fusils de
précision Dragounov, des AK-47, des barils de rechange, des tubes de mortier et des centaines de
76 «In first, Hezbollah confirms all financial support comes from Iran», Al-Arabiya English (25 juin 2016)
(annexe 55).
77 Nations Unies, Conseil de sécurité, «Deuxième rapport du Secrétaire général sur l’application de la
résolution 2231 (2015) du Conseil de sécurité», doc. S/2016/1136 (30 décembre 2016), par. 8 (annexe 58). Récemment, il
a également été révélé qu’en 2015 des individus liés au Hezbollah avaient caché des tonnes de matières explosives à
Londres dans une fabrique secrète de bombes ; ces individus ont été arrêtés par le Gouvernement britannique. Cet
incident s’est produit peu après l’adhésion de l’Iran au plan d’action. Voir également B. Riley-Smith, «Iran-linked
terrorists caught stockpiling explosives in north-west London», The Telegraph (9 juin 2019), accessible à l’adresse
suivante : https://www.telegraph.co.uk/news/2019/06/09/iran-linked-terrorists-caug…
(annexe 53).
78 Communiqué de presse du Conseil de l’Union européenne, «Iran : le Conseil adopte des conclusions» (4 février
2019), accessible à l’adresse suivante : https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2019/02/04/iran…-
conclusions/ (annexe 59).
79 Hearing on Understanding the Role of Sanctions Under the Iran Deal Before the Committee on Banking,
Housing, and Urban Affairs of the Senate, 114th Congress (2016) (Statement of the Hon. Juan C. Zarate, Chairman and
Co-Founder of the Financial Integrity Network) (annexe 52) ; Nations Unies, groupe d’experts sur le Yémen, «Rapport
final du groupe d’experts sur le Yémen», doc. S/2018/594 (26 janvier 2018), p. 2 et par. 79 (annexe 61).
80 Nations Unies, Conseil de sécurité, «Premier rapport du Secrétaire général sur l’application de la
résolution 2231 (2015) du Conseil de sécurité», doc. S/2016/589 (12 juillet 2016), par. 8 et 20 (annexe 60).
81 Nations Unies, groupe d’experts sur le Yémen, «Rapport final du groupe d’experts sur le Yémen»,
doc. S/2018/594 (26 janvier 2018), p. 2 (annexe 61).
82 Ibid.
29
- 23 -
roquettes et lance-grenades de type RBG, ont été saisies»83. La déstabilisation causée par le conflit
au Yémen constitue une menace pour la région et a permis aux membres de Daech au Yémen ainsi
qu’à ceux d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique de sévir sans retenue, mettant en péril la sécurité
de la région et des Etats-Unis.
2.42. L’Iran a également continué de soutenir divers groupes terroristes chiites d’Iraq, dont
le Kataëb Hezbollah, une organisation terroriste étrangère désignée par les Etats-Unis qui a
coutume d’attaquer des cibles iraquiennes, américaines ou de la coalition en Iraq et qui s’est
également employée à soutenir le régime d’Assad en Syrie84. De fait, le département de la défense
américain estime que 603 membres du contingent américain ont été tués en Iraq par des milices
soutenues par l’Iran, ce qui représente environ 17 % de tous les décès de membres du personnel
américain ayant participé à l’opération Liberté pour l’Iraq85. Les forces iraniennes ont aussi soutenu
directement les opérations de milices en Syrie avec des véhicules blindés, de l’artillerie et des
drones86. En outre, le CGRI a continué d’envoyer des milliers de combattants en Syrie pour
appuyer le régime d’Assad, ce qui a eu pour effet de perpétuer un conflit ayant entraîné le
déplacement de plus de six millions de Syriens, de déstabiliser considérablement la région, et a
permis à Daech d’y prendre pied87.
ii. Le programme iranien de mise au point de missiles balistiques
2.43. Une autre inquiétude pour la sécurité qui a contribué à la décision des Etats-Unis de
cesser de participer au plan d’action tenait au fait que l’Iran poursuivait la mise au point et ses
essais de missiles balistiques capables de porter une ogive nucléaire88. Les tentatives de l’Iran de
développer des systèmes de missiles balistiques de plus en plus perfectionnés font depuis
longtemps peser une menace constante sur la sécurité des Etats-Unis, de la région et du monde.
L’AIEA a également fait état de liens possibles entre les activités passées respectivement menées
par l’Iran dans le domaine nucléaire et dans celui des missiles89. En 2016 encore, peu après avoir
83 Nations Unies, Conseil de sécurité, «Troisième rapport du Secrétaire général sur l’application de la
résolution 2231 (2015) du Conseil de sécurité», doc. S/2017/515 (20 juin 2017), par. 33 (annexe 62).
84 U.S. Department of State, «Country Reports on Terrorism 2016, «Chapter Three: Iran»» (juillet 2017)
(annexe 63).
85 Voir K. Rempfer, «Iran killed more US troops in Iraq than previously known, Pentagon says», Military Times
(4 avril 2019), accessible à l’adresse suivante : https://www.militarytimes.com/news/your-military/2019/04/04/irankilled-
more-us- troops-in-iraq-than-previously-known-pentagon-says/ (annexe 163).
86 U.S. Department of State, «Country Reports on Terrorism 2016, «Chapter Three: Iran»» (juillet 2017)
(annexe 63).
87 M. R. Pompeo, U.S. Secretary of State, «After the Deal: A New Iran Strategy», Remarks at the Heritage
Foundation (21 mai 2018) (ci-après «Pompeo Iran Strategy Remarks»), accessible à l’adresse suivante :
https://www.state.gov/after-the-deal-a-new-iran-strategy/ (annexe 139).
88 Voir, par exemple, B. Starr, N. Gaouette and V. Stracqualursi, «Iran Test-Fires Medium-Range Ballistic
Missile, US Official Says», CNN (26 juillet 2019), accessible à l’adresse suivante : https://www.cnn.com/2019/07/26/
politics/iran-test- fires-ballistic-missile/index.html (annexe 64) ; «U.S. Confirms Iran Tested Nuclear-Capable Ballistic
Missile», Reuters (16 octobre 2015), accessible à l’adresse suivante : https://www.reuters.com/article/us-iran-missilesusa-
idUSKCN0SA20Z20151016 (annexe 65).
89 Voir, par exemple, AIEA, rapport du directeur général, «Mise en oeuvre de l’accord de garanties TNP en
République islamique d’Iran», doc. GOV/2007/48 (30 août 2007), par. 16, accessible à l’adresse suivante :
https://www.iaea.org/sites/default/files/gov2007-48_fr.pdf (annexe 66) ; voir aussi rapport du directeur général, «Mise en
oeuvre de l’accord de garanties TNP et des dispositions pertinentes des résolutions 1737 (2006) et 1747 (2007) du Conseil
de sécurité en République islamique d’Iran», doc. GOV/2008/4 (22 février 2008), par. 35, 37, 39-40 et 54, accessible à
l’adresse suivante : https://www.iaea.org/sites/default/files/gov2008-4_fr.pdf (annexe 67).
30
31
- 24 -
adhéré au plan d’action, l’Iran a procédé à des essais répétés de missiles balistiques constituant des
actes dangereux et provocateurs90.
2.44. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a continuellement maintenu des restrictions
sur le transfert à l’Iran d’éléments liés aux missiles balistiques et d’armes classiques, ainsi qu’une
interdiction sur le transfert d’armes ou de matériel connexe depuis l’Iran. Il a également exhorté
l’Iran à s’abstenir d’entreprendre certaines activités liées aux missiles balistiques91 — et pour
cause : bien qu’il lui eût été interdit de lancer des missiles balistiques par la résolution 1929 (2010)
du Conseil de sécurité, l’Iran a quand même procédé à des lancements92. Dans la résolution 2231
(2015), qui a remplacé la résolution 1929, il a été demandé à l’Iran de ne mener aucune activité liée
aux missiles balistiques conçus pour pouvoir emporter des armes nucléaires, y compris les tirs
recourant à la technologie des missiles balistiques93. Ce nonobstant, depuis l’adoption du plan
d’action et de la résolution 2231, l’Iran a continué d’accorder la priorité à la mise au point de ses
missiles, comme en témoignent ses lancements incessants de missiles balistiques. Plusieurs de ces
lancements visaient à tester des systèmes qui intégraient des technologies applicables aux missiles
balistiques conçus pour pouvoir transporter des armes nucléaires. Parmi les exemples de
lancements récents, citons des tirs en mars 2016 du missile balistique à courte portée Qiam et du
missile balistique à moyenne portée Shahab-3. En janvier 2017, l’Iran a procédé à un essai du
missile balistique à moyenne portée Khorramshahr, ce qui a été signalé au Conseil de sécurité des
Nations Unies par la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis94. Le même groupe de
pays s’est publiquement inquiété de la poursuite de ces activités et a alerté le Conseil à propos du
lancement par l’Iran, en juillet 2017, du lanceur spatial Simorgh, grâce à une technologie de
missiles balistiques intrinsèquement capable de transporter des armes nucléaires95. Le Secrétaire
général de l’ONU a fait part en 2016 de ses préoccupations et a exhorté l’Iran à «s’abstenir de
procéder à de tels tirs»96.
2.45. D’autres Etats ont également fait des déclarations concernant des essais encore plus
récents de missiles balistiques par l’Iran, essais qu’ils ont qualifiés de provocateurs, de
90 Nations Unies, Conseil de sécurité, «Premier rapport du Secrétaire général sur l’application de la
résolution 2231 (2015) du Conseil de sécurité», doc. S/2016/589 (12 juillet 2016), par. 8 et 20 (annexe 60).
91 Nations Unies, résolution 2231 du Conseil de sécurité, doc. S/RES/2231 (20 juillet 2015), annexe B, par. 3-5,
6 b), (MI, annexe 10).
92 Nations Unies, groupe d’experts chargé d’aider le comité des sanctions contre l’Iran établi par la
résolution 1737, «Rapport final du groupe d’experts créé par la résolution 1929 (2010)», doc. S/2012/395 (12 juillet
2012), p. 3 (annexe 68).
93 Nations Unies, résolution 2231 du Conseil de sécurité, doc. S/RES/2231 (20 juillet 2015) par. 7 a) et annexe B,
par. 3 (MI, annexe 10).
94 Nations Unies, «Troisième rapport semestriel du facilitateur chargé par le Conseil de sécurité de promouvoir
l’application de la résolution 2231 (2015)», doc. S/2017/537 (22 juin 2017), par. 16-17 (annexe 69).
95 Nations Unies, Conseil de sécurité, «Quatrième rapport du Secrétaire général sur l’application de la
résolution 2231 (2015) du Conseil de sécurité», doc. S/2017/1030 (8 décembre 2017), par. 21 et 25 (où il est également
question d’une déclaration conjointe faite par la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis le 28 juillet 2017
au sujet du lancement par l’Iran de missiles balistiques sur des cibles en Syrie, ainsi que de l’essai en vol d’un missile
balistique à moyenne portée en juillet 2017) (annexe 40).
96 Nations Unies, Conseil de sécurité, «Premier rapport du Secrétaire général sur l’application de la
résolution 2231 (2015) du Conseil de sécurité», doc. S/2016/589 (12 juillet 2016), par. 8 (annexe 60).
32
- 25 -
déstabilisateurs et d’incompatibles avec la résolution 223197. Pourtant, l’Iran a poursuivi ses
activités dans le domaine des missiles balistiques et a déclaré effectuer jusqu’à 50 tirs d’essai par
an98. Un haut responsable de l’armée iranienne a récemment déclaré que l’Iran voulait augmenter la
portée de ses missiles99.
iii. Violations de droits de l’homme par l’Iran, dont la détention injuste
de ressortissants américains
2.46. Le sinistre bilan de l’Iran en matière de droits de l’homme est bien connu et largement
attesté100. Aux fins de la présente procédure, il est particulièrement important de souligner que les
mesures iniques et ciblées que l’Iran a prises afin de détenir des individus de nationalité américaine
et d’autres ayant la double nationalité ou une nationalité étrangère (mais non iranienne) et de les
priver des garanties d’une procédure équitable constituent une menace directe pour la sécurité des
ressortissants américains. En septembre 2018, Human Rights Watch a indiqué que 14 ressortissants
étrangers ou ayant une double nationalité avaient été arrêtés par les services de renseignement du
CGRI depuis 2014101. Ceux qui avaient une double nationalité, souvent des Irano-américains, ont
été accusés de coopérer avec un «Etat hostile» sans preuve à l’appui. Human Rights Watch a
rapporté que, «[a]ux yeux des autorités, ces personnes avaient en commun de pouvoir faciliter les
relations entre l’Iran et des entités occidentales échappant au contrôle des services de sécurité
iraniens»102. Des personnes ayant une double nationalité, comme d’autres en Iran, ont été privées
des garanties d’une procédure équitable de diverses manières, notamment en étant empêchées
d’avoir rapidement accès à l’avocat de leur choix et en étant soumises à une procédure sommaire
au cours de laquelle elles n’ont pas été autorisées à se défendre103. En outre, durant la période où les
Etats-Unis participaient au plan d’action, l’Iran a arbitrairement détenu plusieurs ressortissants
américains, comme l’attestent les deux exemples éclairants présentés ci-dessous.
97 «France Says Iran Ballistic Test Provocative and Destabilizing», Reuters (3 décembre 2018), accessible à
l’adresse suivante : https://www.reuters.com/article/us-iran-nuclear-france/france-says-iran…-
destabilizing-idUSKBN1O21UR (annexe 70) ; déclaration du ministère des affaires étrangères de la France,
«Iran ⎯ Tir spatial iranien du 15 janvier 2019» (16 janvier 2019), accessible à l’adresse suivante :
https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/iran/evenements/article…-
01-19 (annexe 71) ; Nations Unies, lettre adressée au Secrétaire général de l’ONU par les représentants permanents de la
France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni, doc. S/2019/177 (20 février 2019) (annexe 72).
98 B. Dehghanpisheh, «Iran Confirms Missile Test in Defiance of U.S.», Reuters (11 décembre 2018), accessible
à l’adresse suivante : https://www.reuters.com/article/us-iran-security-missiles/iran-confirms…-
s- idUSKBN1OA0U7 (annexe 73).
99 «Iran Wants To Expand Missile Range Despite U.S. Opposition», U.S. News & World Report (4 décembre
2018), accessible à l’adresse suivante : https://www.usnews.com/news/world/articles/2018-12-04/iran-wants-to-exp…-
range-despite- us-ire (annexe 74).
100 Voir, par exemple, Nations Unies, «Rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en
République islamique d’Iran», doc. A/HRC/40/67 (30 janvier 2019) (annexe 75). D’autres rapports récents de
l’Organisation des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme en Iran peuvent être consultés en ligne à l’adresse
suivante : https://www.ohchr.org/FR/Countries/MENAregion/Pages/IRIndex.aspx.
101 Human Rights Watch, «Iran: Targeting of Dual Citizens, Foreigners, Prolonged Detention, Absence of Due
Process» (26 septembre 2018), accessible à l’adresse suivante: https://www.hrw.org/news/2018/09/26/iran-targetingdual-
citizens-foreigners (annexe 76).
102 Ibid.
103 U.S. Department of State, «2018 Country Reports on Human Rights Practices: Iran» (13 mars 2019),
accessible à l’adresse suivante : https://www.state.gov/reports/2018-country-reports-on-human-rights-prac…
(annexe 77).
33
- 26 -
2.47. En octobre 2015, Siamak Namazi, un Irano-américan en visite en Iran pour affaires, a
été arrêté pour espionnage présumé104. Son père, Baquer Namazi, également irano-américan, a été
arrêté en février 2016 après avoir tenté à plusieurs reprises de rendre visite à son fils105. Soumis à
des mois d’interrogatoire sans avoir accès à un avocat, tous deux ont été jugés en octobre 2016.
Selon certaines informations, l’audience n’a duré que deux heures et ni l’un ni l’autre n’a été
autorisé à présenter la moindre preuve ou à appeler des témoins, de sorte qu’il leur a été impossible
de contester valablement l’un ou l’autre des griefs ou éléments de preuve retenus à leur encontre106.
Les deux hommes auraient été condamnés à dix ans de prison pour «collusion avec un Etat
ennemi»107. Ils auraient été soumis à des conditions d’enfermement très dures qui auraient
gravement nui à leur santé108. Le groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire a conclu que
la détention des Namazi revêtait un caractère arbitraire109.
2.48. En août 2016, Xiyue Wang, doctorant à l’Université de Princeton aux Etats-Unis, a été
arrêté en Iran où il effectuait des recherches pour sa thèse sur l’histoire de la dynastie Qajar110. En
juillet 2017, des médias publics d’Iran ont rapporté qu’un tribunal révolutionnaire avait condamné
M. Wang à dix ans de prison pour «coopération avec un Etat ennemi»111. En août 2018, le groupe
de travail de l’ONU a constaté que la détention de M. Wang revêtait un caractère arbitraire et «était
motivée par le fait qu[e l’intéressé était] un citoyen américain», considérant que le remède
approprié consistait à libérer M. Wang immédiatement112.
2.49. Le groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire «a constaté à maintes reprises
que la République islamique d’Iran avait pour pratique de cibler les ressortissants étrangers afin de
les placer en détention» et a considéré les affaires Wang et Namazi comme relevant de cette
pratique113. Plus généralement, il a conclu que de nombreuses arrestations et détentions par l’Iran
d’étrangers ou de personnes ayant une double nationalité revêtaient un caractère arbitraire et que
les autorités iraniennes visaient des personnes en raison de leur «origine nationale ou sociale», en
tant que personnes ayant une double nationalité ou une nationalité étrangère114. Cette propension de
104 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, «Avis adoptés par le groupe de travail sur la détention
arbitraire à sa soixante-dix-neuvième session (21-25 août 2017) : avis no 49/2017 concernant Siamak Namazi et
Mohammed Baquer Namazi (République islamique d’Iran)», doc. A/HRC/WGAD/2017/49 (22 septembre 2017),
par. 6-11 (annexe 78).
105 Ibid., par. 12-21.
106 Ibid., par. 22-24.
107 Ibid., par. 25.
108 Ibid., par. 29-32.
109 Ibid., par. 51.
110 Human Rights Watch, «Iran: Targeting of Dual Citizens, Foreigners, Prolonged Detention, Absence of Due
Process» (26 septembre 2018), accessible à l’adresse suivante : https://www.hrw.org/news/2018/09/26/iran-targetingdual-
citizens-foreigners (annexe 76).
111 Ibid.
112 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, «Avis adoptés par le groupe de travail sur la détention
arbitraire à sa quatre-vingt-deuxième session (20-24 août 2018) : avis no 52/2018 concernant Xiyue Wang (République
islamique d’Iran)», doc. A/HRC/WGAD/2018/52 (21 septembre 2018), par. 71, 81 et 91 (annexe 79).
113 Ibid. ; Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, «Avis adoptés par le groupe de travail sur la détention
arbitraire à sa soixante-dix-neuvième session (21-25 août 2017) : avis no 49/2017 concernant Siamak Namazi et
Mohammed Baquer Namazi (République islamique d’Iran)», doc. A/HRC/WGAD/2017/49 (22 septembre 2017),
par. 43-44 (annexe 78).
114 Human Rights Watch, «Iran: Targeting of Dual Citizens, Foreigners, Prolonged Detention, Absence of Due
Process» (26 septembre 2018), accessible à l’adresse suivante : https://www.hrw.org/news/2018/09/26/iran-targetingdual-
citizens-foreigners (annexe 76).
34
- 27 -
l’Iran à détenir injustement et arbitrairement des ressortissants américains a perduré sans
discontinuer tout au long de la participation américaine au plan d’action.
iv. Les insuffisances du plan d’action
2.50. Aux inquiétudes pour la sécurité nationale abordées dans les sous-sections précédentes,
il convient d’ajouter les doutes importants qui ont subsisté, une fois le plan d’action adopté, quant à
l’aptitude de celui-ci à répondre aux activités nucléaires de l’Iran.
2.51. La raison en était notamment que le plan d’action était limité dans le temps et
comprenait des clauses d’extinction dans des domaines critiques115. Ces questions se sont posées
avec d’autant plus d’acuité que l’Iran a transgressé à deux reprises la limite du stock d’eau lourde
fixée par le plan116. L’Iran a de surcroît déclaré publiquement qu’il refuserait à l’AIEA l’accès à ses
sites militaires, suscitant de vives inquiétudes quant à son respect des engagements qu’il avait
souscrits dans le plan en matière de transparence et de vérification117. Enfin, comme indiqué au
paragraphe 2.35, il est devenu évident que l’Iran n’avait pas dit la vérité sur le passé de son
programme d’armement nucléaire lors de ses négociations avec les Etats-Unis et les autres
participants au plan d’action.
2.52. La nécessité de barrer la route de l’Iran vers l’arme nucléaire était et demeure cruciale
pour répondre à toutes les menaces posées par ce pays.
v. Conclusion
2.53. La décision des Etats-Unis de cesser de participer au plan d’action a été prise au plus
haut niveau du Gouvernement américain, pour les considérations impérieuses de sécurité nationale
décrites ci-dessus, compte tenu de l’ensemble des menaces posées par l’Iran. Ces considérations
comprennent le soutien de l’Iran à des groupes terroristes et militants dans la région, ses activités
de mise au point de missiles balistiques au mépris de la résolution 2231 du Conseil de sécurité des
Nations Unies, ses détentions injustes et arbitraires de ressortissants américains, l’aggravation de
ces menaces pendant la participation des Etats-Unis au plan d’action et les insuffisances dudit plan
face aux menaces nucléaires posées par l’Iran. Les Etats-Unis ont cessé de participer au plan
d’action et ont donc rétabli les sanctions par les mesures du 8 mai en réponse à ces menaces
dirigées contre eux, leurs ressortissants et leurs intérêts. Le différend que l’Iran a porté devant la
Cour dans cette affaire a exclusivement trait à cette décision américaine : il est bien loin de
concerner le traité d’amitié.
115 Remarks of Christopher A. Ford, voir note 67 ci-dessus (annexe 45).
116 Mémorandum américain du 8 mai, voir note 57 ci-dessus (MI, annexe 31).
117 Ibid.
35
- 28 -
CHAPITRE 3
LE TRAITÉ D’AMITIÉ
3.1. Le traité d’amitié est bien connu de la Cour. Cela étant, puisqu’il s’agit du seul moyen
invoqué par l’Iran pour tenter de fonder la compétence de la Cour en l’espèce, il nous paraît à la
fois approprié et important de revenir sur cet instrument, son objet et son but, ainsi que sur ses
limites.
3.2. Les Etats-Unis et l’Iran ont signé le traité d’amitié le 15 août 1955, à une époque où ils
entretenaient des liens d’amitié, dans l’espoir de renforcer encore davantage leurs relations
commerciales et consulaires. Cet objectif général se retrouve dans le préambule du traité, où il est
précisé que, dans l’esprit des Parties, cet instrument était censé «encourager les échanges et les
investissements mutuellement profitables et l’établissement de relations économiques plus étroites
entre leurs peuples et de régler leurs relations consulaires»118. Par ses termes, le traité favorise la
réalisation de cet objectif en conférant aux sociétés et ressortissants de chaque Partie certaines
protections dans le cadre de leurs activités ordinaires de commerce et d’investissement sur le
territoire de l’autre Partie, ou des échanges entre l’une et l’autre.
3.3. Le traité d’amitié faisait partie d’une série de traités commerciaux et consulaires
bilatéraux que les Etats-Unis ont conclus après la seconde guerre mondiale avec d’autres pays
amis119. Le programme de traités commerciaux des Etats-Unis constituait l’une des initiatives
diplomatiques les plus pérennes de ce pays. Les premiers traités conclus dans ce contexte ne
visaient pour l’essentiel qu’à établir des relations commerciales élémentaires avec un pays tiers120.
Après la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis ont entrepris de mettre à jour et de moderniser
sous certains aspects ces premiers accords commerciaux, qui sont ensuite devenus des traités
d’amitié, de commerce et de navigation (ci-après les «traités d’amitié»). Ces traités étaient destinés
à faciliter le commerce avec les pays en bons termes avec les Etats-Unis et à protéger les
investissements américains dans ces pays121. Ils reposaient sur le principe de réciprocité, offrant des
protections à l’autre partie dans le cadre de son commerce avec les Etats-Unis et de ses
investissements dans ce pays. En 1951, le secrétaire d’Etat adjoint Willard Thorp décrivit ces
traités comme relevant d’un «programme visant à étendre et à moderniser la protection
conventionnelle des ressortissants, des entreprises, des capitaux, du commerce et du transport
maritime américains à l’étranger, l’accent étant mis en particulier sur la création de conditions
118 Traité d’amitié, préambule (MI, annexe 1). Voir, par exemple, Plates-formes pétrolières (République
islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 813, par. 27.
119 Le traité d’amitié a été présenté en 1958 comme étant une «version abrégée» du traité classique d’amitié, de
commerce et de navigation adopté par les Etats-Unis. H. Walker, Jr., «Modern Treaties of Friendship, Commerce and
Navigation», Minnesota Law Review, 1958, vol. 42, p. 805 et 807 (annexe 82).
120 Voir, de manière générale, H. Walker, Jr., «The Post-War Commercial Treaty Program of the United States»,
Political Science Quaterly, 1958, vol. 73, p. 57-58 (annexe 83) ; K. J. Vandevelde, The First Bilateral Investments
Treaties: U.S. Postwar Friendship, Commerce, and Navigation Treaties, 2017, p. 57-60 (annexe 84).
121 Voir, de manière générale, H. Walker, Jr., «The Post-War Commercial Treaty Program of the United States»,
Political Science Quaterly, 1958, vol. 73, p. 57-58 (annexe 83) ; H. Walker, Jr., «Treaties for the Encouragement and
Protection of Foreign Investment: Present United States Practice», 1956, American Journal of Comparative Law, vol. 5,
p. 229, 230-231 (annexe 85) (expliquant que les traités d’amitié «ont acquis au fil des ans une forme et un caractère
familiers et distinctifs, étant devenus un outil courant de réglementation générale concernant les droits des ressortissants
de chaque partie, leurs biens ou autres intérêts sur les territoires de l’autre, ainsi que leurs activités mutuelles de
commerce et de transport maritime». Herman Walker a travaillé pour le département d’Etat entre 1946 et 1962 et a été
décrit comme «l’architecte du traité d’amitié moderne». Voir W. Saxon, «Herman Walker, 83, Professor and
U.S. Foreign Officer, Dies», The New York Times (13 mai 1994), B8 (annexe 86).
36
37
- 29 -
favorables aux investissements privés»122. De même, en 1952, le sous-secrétaire d’Etat adjoint
Harold F. Linder expliqua que ces traités d’après-guerre visaient à atténuer les risques encourus par
les investisseurs américains à l’étranger en «établissant des normes de traitement mutuellement
convenues pour les ressortissants et les entreprises d’un pays sur les territoires d’un autre»123.
3.4. Comme il sera expliqué plus en détail au chapitre 7, le traité énumère diverses
protections applicables aux sociétés et ressortissants d’une Partie dans le cadre de leurs activités de
commerce et d’investissement sur le territoire de l’autre Partie, ou dans le cadre des transactions
avec l’autre Partie ou ses sociétés et ressortissants. En transmettant le traité d’amitié au président
des Etats-Unis, puis au Sénat américain pour avis et accord, le secrétaire d’Etat américain expliqua
que, comme les instruments antérieurs de même nature, le traité «cont[enait] des dispositions
relatives aux libertés individuelles fondamentales, aux droits de propriété, à la fiscalité, à la
réglementation des changes, au droit de faire des affaires, au traitement des importations et des
exportations, à la navigation et à d’autres questions concernant le statut et les activités des
ressortissants et entreprises d’un pays sur les territoires de l’autre»124.
3.5. La dimension essentiellement bilatérale du traité ressort de l’ensemble de ses
dispositions. Voici quelques exemples tirés de dispositions dont l’objectif principal est commercial
(plutôt que consulaire) :
⎯ l’article II concerne les droits des ressortissants de l’une des Parties d’entrer et de séjourner
dans les territoires de l’autre Partie afin de s’y livrer au négoce et au commerce et d’y exercer
certaines activités, ainsi que de bénéficier de certaines protections dans lesdits territoires ;
⎯ l’article III concerne la reconnaissance du statut juridique des sociétés, et l’accès aux tribunaux
des sociétés et des ressortissants, dans les territoires de l’autre Partie ;
⎯ l’article IV concerne le traitement des ressortissants et des sociétés d’une Partie ⎯ y compris la
protection des biens ⎯ et s’articule principalement autour des mesures applicables dans les
territoires des Parties ;
⎯ l’article V prévoit certaines protections supplémentaires en matière de propriété, qui
concernent notamment l’aliénation des biens et les droits de propriété intellectuelle
fondamentaux, dans les territoires de l’autre Partie ;
⎯ l’article VI concerne l’imposition des ressortissants et des sociétés de l’une des Parties dans les
territoires de l’autre ;
122 Memorandum from Willard Thorp, Assistant Secretary for Economic Affairs, to Jack K. McFall, Assistant
Secretary for Legislative Affairs (29 décembre 1951) (annexe 87). Voir aussi Commercial Treaties with Iran, Nicaragua,
and the Netherlands: Hearing Before the Senate Committee on Foreign Relations, 84th Congress (1956), p. 1-2
(Statement of Thorsten V. Kalijarvi, Deputy-Secretary of State for Economic Affairs) (annexe 88) (expliquant que le
traité d’amitié, ainsi que les traités d’amitié avec le Nicaragua et les Pays-Bas, obéissaient à une directive du Congrès
américain, reflétée dans le Mutual Security Act, selon laquelle le président devait «hâter la négociation de traités relatifs
au commerce et aux échanges … pour encourager et faciliter l’afflux d’investissements privés vers les pays participant
aux programmes visés par cette loi»).
123 Treaties of Friendship, Commerce and Navigation Between the United States and Colombia, Israel, Ethiopia,
Italy, Denmark, and Greece: Hearing Before the Subcommittee of the Senate Commission On Foreign Relations,
82nd Congress (1952), p. 4 (Statement of Harold F. Linder, Deputy Assistant Secretary for Economic Affairs)
(annexe 89).
124 Message du président américain transmettant un traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires entre les
Etats-Unis d’Amérique et l’Iran, signé à Téhéran le 15 août 1955 (12 janvier 1956) (les italiques sont de nous)
(annexe 90).
38
- 30 -
⎯ l’article VII concerne les restrictions en matière de paiements, remises et autres transferts de
fonds à destination ou en provenance des territoires de l’autre Partie ;
⎯ l’article VIII concerne le traitement des produits destinés à l’importation ou à l’exportation
entre les territoires des deux Parties ;
⎯ l’article IX concerne l’application des procédures et règlements douaniers de chacune des
Parties à l’autre Partie, c’est-à-dire, en substance, le traitement des importateurs d’une Partie
dans le territoire de l’autre ; et
⎯ l’article X concerne la liberté de commerce et de navigation entre les territoires des deux
Parties, ainsi que les droits des navires de l’une des Parties s’agissant d’accéder aux ports,
mouillages et eaux de l’autre Partie.
Ces dispositions montrent bien que la portée du traité a été délimitée de manière à ce que les
protections y énoncées s’appliquent aux sociétés et ressortissants de l’une des Parties dans le cadre
de leurs activités sur le territoire de l’autre Partie, voire de leurs transactions avec des ressortissants
de celle-ci.
3.6. Ces précisions textuelles et historiques confirment une limitation importante du traité :
celui-ci n’était censé imposer et n’impose aucune obligation aux Parties en ce qui concerne le
commerce de l’une ou de l’autre, ou de ses ressortissants, avec des pays tiers ou leurs
ressortissants. Cette catégorie d’activités ⎯ le commerce d’une Partie ou de ses ressortissants avec
des pays tiers ou leurs ressortissants ⎯ ne relève clairement pas des protections prévues dans le
traité, pas plus que de l’objet et du but de cet instrument, qui étaient de favoriser les relations
commerciales entre les Parties.
3.7. De fait, les actions des Parties à l’égard des pays tiers ne sont envisagées dans le traité
qu’aux fins d’assurer, par certaines dispositions, un traitement non moins favorable à l’autre partie
contractante125. En d’autres termes, le traité ne réglemente pas les choix qu’une Partie peut faire à
l’égard des tiers, mais prévoit (dans certains de ses paragraphes) que, si ces choix reviennent à
accorder un bénéfice ou un avantage à un pays tiers, un traitement non moins favorable doit être
assuré à l’autre Partie126.
3.8. Le traité énonce d’autres limitations essentielles au paragraphe 1 de son article XX.
Cette disposition établit des dérogations qui soustraient certaines mesures, relevant de différentes
catégories, à l’application de l’ensemble des obligations formulées dans le traité. Deux de ces
catégories sont particulièrement pertinentes en l’espèce. L’alinéa b) du paragraphe 1 prévoit que le
traité ne fera pas obstacle à la prise de mesures «[c]oncernant les substances fissiles, les
sous-produits radioactifs desdites substances et les matières qui sont la source de substances
fissiles». L’alinéa d) du paragraphe 1 prévoit ensuite que le traité ne fera pas obstacle à la prise de
mesures «nécessaires à la protection des intérêts vitaux [d’une Partie] sur le plan de la sécurité».
Des dérogations identiques ou très similaires figurent dans d’autres traités d’amitié négociés par les
125 Voir traité d’amitié, art. II, par. 1, art. III, par. 2, art. IV, par. 4, art. V, par. 1, art. VI, par. 1, art. VII, par. 3,
art. VIII, par. 1-3, art. IX, par. 2, art. X, par. 3-4, art. XI, par. 2, art. XIII, par. 1 (MI, annexe 1).
126 Les travaux préparatoires du traité d’amitié ainsi que des articles scientifiques contiennent des éléments
permettant de penser que même cette caractéristique du traité préoccupait l’Iran, qui cherchait à obtenir l’assurance que
celui-ci ne serait pas utilisé par des pays tiers pour obtenir plus de droits de manière non réciproque et qu’il n’ait pas non
plus pour effet d’ouvrir son territoire à une «pénétration économique» par un pays tiers. Voir K. J. Vandevelde, The First
Bilateral Investments Treaties: U.S. Postwar Friendship, Commerce, and Navigation Treaties, 2017, p. 311 (citant
différentes sources) (annexe 84).
39
- 31 -
Etats-Unis au cours de la même période et révèlent l’accord des Parties pour soustraire de telles
mesures à l’application des obligations établies dans les dispositions de fond du traité127.
3.9. Il convient enfin, pour parachever la discussion sur le traité d’amitié, de rappeler que les
Parties ont conclu cet instrument à une époque où elles entretenaient des relations bilatérales
amicales qu’elles entendaient renforcer encore, notamment sur les plans commercial et consulaire.
Or, les fondements de ces relations ont tragiquement volé en éclats lorsque le Gouvernement
iranien a approuvé et soutenu la mise à sac de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran et pris en
otage le personnel diplomatique américain et d’autres personnes128. L’Iran a renié les objectifs du
traité par sa réaction à la prise de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran, ce qui a foncièrement
altéré les relations bilatérales entre les Parties. Les relations bilatérales amicales qui sous-tendaient
le traité d’amitié ont donc brutalement pris fin le 4 novembre 1979. Bien qu’il eût été possible,
après la libération des otages américains, que les Parties renouent certaines relations (fût-ce dans
une moindre mesure) sur la base des accords d’Alger et des principes consacrés dans le traité, l’Iran
s’est malheureusement obstiné dans la voie de la déstabilisation et de la violence envers les
Etats-Unis et d’autres pays, voie dans laquelle il demeure engagé à ce jour.
3.10. Le 3 octobre 2018, les Etats-Unis ont annoncé qu’ils mettaient fin au traité d’amitié de
1955 et notifié leur décision à l’Iran par voie de note diplomatique, officialisant ainsi ce qui était
déjà devenu une évidence, à savoir que les politiques et les activités menées par le Gouvernement
de la République islamique d’Iran au fil des ans, notamment son soutien matériel, financier ou
autre à des attaques et à d’autres actes hostiles contre des personnes, des agents et des biens
américains, avaient créé une situation incompatible avec un accord d’amitié, de commerce et de
navigation entre les deux Etats129.
127 Voir C. H. Sullivan, département d’Etat américain, projet type de traité d’amitié, de commerce et de
navigation : analyse et contexte (1981) (ci-après l’«étude de M. Sullivan»), p. 306 (annexe 111) (où il est dit qu’il s’agit
dans l’ensemble d’«exceptions générales» aux dispositions du traité et où il est expliqué que l’article contient «un groupe
d’exceptions, de natures diverses, qui sont devenues coutumières dans les instruments internationaux traitant de questions
d’établissement et de commerce», groupe qui inclut «les exceptions les plus essentielles, comme celles relatives à la
sécurité nationale»).
128 Voir Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt,
C.I.J. Recueil 1980, p. 12-15, par. 17-27 ; p. 33-34, par. 70-71 ; p. 35, par. 74 ; et p. 40-41, par. 87.
129 Voir M. R. Pompeo, U.S. Secretary of State, «Remarks to the Media» (3 octobre 2018), accessible à l’adresse
suivante : https://www.state.gov/remarks-to-the-media-3/ (annexe 91). En fait, cette annonce a été faite peu de temps
après que les Etats-Unis eurent ordonné la réinstallation temporaire à Bassorah du personnel de leur consulat de Bagdad,
à la suite d’attaques contre le consulat et l’ambassade situés dans la capitale iraquienne par des milices soutenues par
l’Iran. Voir ibid.
40
- 32 -
CHAPITRE 4
CADRE JURIDIQUE APPLICABLE
4.1. Les Etats-Unis présentent ces exceptions préliminaires en application du paragraphe 1
de l’article 79 du Règlement de la Cour (ci-après le «Règlement»). Cette disposition indique que le
défendeur peut solliciter une décision sur des exceptions préliminaires «avant que la procédure sur
le fond se poursuive», et qu’il peut s’agir d’exceptions d’incompétence de la Cour, d’exceptions
d’irrecevabilité de la requête ou de «toute autre exception sur laquelle le défendeur demande une
décision avant que la procédure sur le fond se poursuive». Le présent chapitre expose la base
juridique des exceptions sur laquelle les Etats-Unis prient la Cour de statuer à ce stade préliminaire.
Il expose ensuite les fondements jurisprudentiels régissant l’examen par la Cour de sa propre
compétence et de la recevabilité de la requête ainsi que l’analyse préliminaire de l’applicabilité du
paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié.
SECTION A
LES EXCEPTIONS DOIVENT GÉNÉRALEMENT FAIRE L’OBJET
D’UNE DÉCISION AU STADE PRÉLIMINAIRE
4.2. La Cour a établi qu’elle devait statuer sur les exceptions préliminaires d’un défendeur
avant de procéder à l’examen au fond d’une affaire dès lors que ces exceptions revêtaient un
caractère exclusivement préliminaire. Une exception revêt un tel caractère lorsque la Cour dispose
de tous les faits nécessaires pour trancher la question et qu’elle est en mesure d’y répondre sans
préjuger le différend ou l’un quelconque de ses aspects de fond130.
4.3. La présomption en faveur d’une décision immédiate sur une exception préliminaire est
confortée par les modifications que la Cour a apportées en 1972 à ce qui est devenu l’article 79 de
son Règlement131. Ces modifications visaient à servir les objectifs de l’économie de procès et de la
bonne administration de la justice, en évitant «toute prolongation inutile de la procédure au stade de
la compétence»132 ou de voir des questions «abondamment examinées une première fois au stade
préliminaire … devoir l’être une deuxième fois»133. Les modifications visaient également à éviter
des retards tels que ceux survenus dans l’affaire de la Barcelona Traction, dans laquelle le
demandeur a finalement été débouté au motif qu’il n’avait pas qualité pour agir six ans après que
l’exception soulevée par le défendeur quant à cette qualité eut été jointe au fond134. Elles
répondaient enfin aux réactions des représentants de certains Etats, à la Sixième Commission
130 Voir, par exemple, Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 852, par. 51.
131 C. Tomuschat, «Article 36», The Statute of the International Court of Justice: A Commentary, troisième
édition (2019), sous la dir. de A. Zimmermann et C. J. Tams, p. 792-793 (annexe 92).
132 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 31, par. 41 ; Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal
de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 28, par. 49.
133 C. Tomuschat, «Article 36», The Statute of the International Court of Justice: A Commentary, troisième
édition (2019), sous la dir. de A. Zimmermann et C. J. Tams, p. 793 (annexe 92).
134 Voir Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions
préliminaires, arrêt (ci-après «Certains actifs iraniens, arrêt du 13 février 2019 sur les exceptions préliminaires»),
C.I.J. Recueil 2019, opinion individuelle commune de MM. les juges Tomka et Crawford, p. 47, par. 4 ; Barcelona
Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1964, p. 46-47 ; Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962)
(Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 51, par. 102.
41
42
- 33 -
(juridique) de l’Assemblée générale des Nations Unies, qui avaient suggéré d’«inciter la Cour à se
prononcer sur les exceptions préliminaires aussi rapidement que possible et à s’abstenir de les
joindre au fond à moins que cela ne [fût] strictement indispensable»135.
4.4. Les Etats-Unis ont exposé dans la présente pièce tous les faits nécessaires à la Cour pour
statuer immédiatement sur les exceptions préliminaires qu’ils y soulèvent, conformément à
l’article 79. De plus, il peut être statué sur lesdites exceptions sans statuer sur le fond du différend
ou l’un quelconque de ses aspects136. Par conséquent, les exceptions américaines revêtent un
caractère exclusivement préliminaire et doivent faire l’objet d’une décision à ce stade.
SECTION B
LA COUR N’EST PAS COMPÉTENTE À L’ÉGARD DES DEMANDES DE L’IRAN
QUI N’ENTRENT PAS DANS LES PRÉVISIONS DU TRAITÉ D’AMITIÉ
4.5. La Cour a constamment rappelé le principe fondamental selon lequel aucun Etat ne peut
être soumis à sa compétence sans y avoir consenti137. Lorsque la clause compromissoire d’un traité
lui confère compétence, «cette compétence n’existe qu’à l’égard des parties au traité qui sont liées
par ladite clause, dans les limites stipulées par celle-ci»138. L’Iran prétend fonder la compétence de
la Cour pour examiner ses demandes sur la clause compromissoire du traité d’amitié, à savoir le
paragraphe 2 de l’article XXI 139, lequel se lit comme suit :
«Tout différend qui pourrait s’élever entre les Hautes Parties contractantes
quant à l’interprétation ou à l’application du présent traité et qui ne pourrait pas être
réglé d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique sera porté devant la Cour
internationale de Justice, à moins que les Hautes Parties contractantes ne conviennent
de le régler par d’autres moyens pacifiques. »
4.6. Lorsqu’elle examine la question de sa compétence, la Cour doit commencer par «établir
objectivement ce sur quoi porte le différend entre les Parties en circonscrivant le véritable problème
en cause et en précisant l’objet de la demande»140. Pour ce faire, elle examine la requête ainsi que
les exposés écrits et oraux des parties, tout en accordant une attention particulière à la formulation
135 Nations Unies, rapport de la Sixième Commission, «Examen du rôle de la Cour internationale de Justice»,
doc. A/8568 (10 décembre 1971), p. 21, par. 47 (annexe 93), cité dans Certains actifs iraniens, arrêt du 13 février 2019
sur les exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 2019 (I), opinion individuelle commune de MM. les juges Tomka et
Crawford, p. 47, par. 5.
136 Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception préliminaire, arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (II), déclaration de M. le juge Bennouna, p. 2.
137 Voir, par exemple, Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 307, par. 42 ; Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002)
(République démocratique du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006, p. 32, par. 65, et
p. 39, par. 88.
138 Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo
c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006, p. 32, par. 65.
139 MI, par. 1.28.
140 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 308, par. 48 ; Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 602-603, par. 26 ; Différend territorial et maritime (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 848, par. 38.
43
- 34 -
de la requête141, qui doit indiquer l’objet du différend142. Comme il sera exposé plus avant au
chapitre 5, il ressort clairement de la requête et du mémoire de l’Iran que le véritable problème en
cause porte sur la décision des Etats-Unis de cesser de participer au plan d’action, et donc de
rétablir les sanctions liées au nucléaire qu’ils avaient levées en vertu de cet accord, et qu’à travers
ses demandes, l’Iran cherche à obtenir la remise en vigueur de la levée des sanctions dont il
bénéficiait lorsque les Etats-Unis participaient audit plan. Ainsi, l’objet du différend porte
exclusivement sur le plan d’action et non, contrairement à ce qu’affirme l’Iran, sur l’interprétation
ou l’application du traité d’amitié ; ne serait-ce que pour cette raison, la Cour devrait conclure
qu’elle n’a pas compétence pour connaître des demandes de l’Iran.
4.7. A supposer toutefois qu’elle n’estime pas que le véritable problème en cause et l’objet
des demandes de l’Iran se rapportent exclusivement au plan d’action, la Cour poursuivra son
analyse juridictionnelle pour déterminer si le traité d’amitié lui confère compétence. Comme elle
l’a expliqué dans l’affaire relative à Certains actifs iraniens et dans celle des Plates-formes
pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique) (ci-après l’«affaire des
Plates-formes pétrolières»), elle «doit rechercher si les actes dont l’Iran tire grief entrent dans les
prévisions du traité d’amitié et si, par suite, le différend est de ceux dont elle est compétente pour
connaître ratione materiae»143. Pour reprendre la formulation de cette norme énoncée par la
juge Higgins dans son opinion individuelle en l’affaire des Plates-formes pétrolières, «[l]a Cour ne
peut établir l’existence d’un différend relatif à l’interprétation et à l’application du traité de 1955
qui relève des dispositions du paragraphe 2 de l’article XXI qu’en interprétant les articles que l’Iran
prétend … violés» du fait du rétablissement des sanctions par les Etats-Unis144.
4.8. L’analyse à mener pour déterminer si une demande «entre dans les prévisions du traité
d’amitié» n’a fondamentalement rien à voir avec le critère que la Cour applique pour établir sa
compétence prima facie lorsqu’il s’agit d’indiquer des mesures conservatoires en vertu de
l’article 41 de son Statut. Au stade des mesures conservatoires, la Cour doit seulement rechercher
«si les actes dont le demandeur tire grief sont, prima facie, susceptibles d’entrer dans les
prévisions» de l’instrument invoqué par cette partie pour fonder la compétence et si, par
conséquent, le différend est de ceux dont elle «pourrait avoir compétence pour connaître ratione
materiae»145. La Cour «n’a pas besoin de s’assurer de manière définitive qu’elle a compétence
quant au fond de l’affaire» pour indiquer des mesures conservatoires146. En particulier, au stade des
mesures conservatoires, la Cour ne bénéficie pas encore de l’éclairage des parties quant à la nature
des griefs formulés, à la portée des dispositions conventionnelles invoquées comme base de
141 Voir Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 308, par. 48 ; Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 602-603, par. 26 ; voir aussi Différend territorial et maritime (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 848, par. 38.
142 Règlement de la Cour, art. 38, par. 1.
143 Certains actifs iraniens, arrêt du 13 février 2019 sur les exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 2019 (I),
p. 23, par. 36 ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception
préliminaire, arrêt, CIJ. Recueil 1996 (II), p. 809-810, par. 16.
144 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), opinion individuelle de Mme la juge Higgins, p. 855, par. 29.
145 Violations alléguées du traité d’amitié, ordonnance en indication de mesures conservatoires du 3 octobre
2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 632, par. 30 (les italiques sont de nous) ; Immunités et procédures pénales (Guinée
équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1155,
par. 31.
146 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 413,
par. 14 ; Affaire Jadhav (Inde c. Pakistan), mesures conservatoires, ordonnance du 18 mai 2017, C.I.J. Recueil 2017,
p. 236, par. 15.
44
- 35 -
compétence et à toute autre règle applicable concernant sa saisine, afin de pouvoir s’assurer
définitivement qu’elle a compétence.
4.9. L’analyse à mener ici doit nécessairement être plus rigoureuse que celle à mener dans le
cas d’une demande en indication de mesures conservatoires. Au stade des exceptions préliminaires,
la Cour doit déterminer si elle est compétente en vertu de l’article 36 de son Statut. Or les
dispositions dudit article «diffèrent entièrement de la clause spéciale énoncée à l’article 41» et
reposent sur le «principe selon lequel la compétence de la Cour, pour connaître d’une affaire au
fond et pour la juger, dépend de la volonté des Parties»147. La Cour doit maintenant «procéder à une
analyse détaillée»148, ce qui lui impose d’examiner une par une «chacune des
dispositions … invoquées par l’Iran, afin de déterminer si elle permet de considérer que [les griefs
de l’Iran] entre[ent] dans le champ d’application ratione materiae du traité d’amitié»149. L’analyse
juridictionnelle plus rigoureuse à mener en vertu de l’article 36 du Statut pourrait fort bien conduire
la Cour à conclure qu’elle n’a pas compétence à l’égard d’une affaire ou qu’elle doit s’abstenir d’en
connaître pour d’autres raisons alors qu’elle s’était précédemment déclarée compétente prima facie
et avait indiqué des mesures provisoires dans cette même affaire150. En l’espèce, il existe également
de bonnes raisons pour la Cour de se déclarer incompétente, des raisons qui n’avaient pas été
invoquées au stade des mesures conservatoires151.
4.10. Dans le cadre de son analyse juridictionnelle, la Cour interprétera le traité
conformément au droit international coutumier tel qu’il est consigné dans les articles 31 et 32 de la
convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités (ci-après la «convention de Vienne»)152. Selon
ces articles, le traité d’amitié «doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer à
ses termes dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. Selon l’article 32, il peut
être fait appel à titre complémentaire à des moyens d’interprétation tels que les travaux
préparatoires et les circonstances dans lesquelles le traité a été conclu.»153 La Cour a reconnu que
l’objet et le but poursuivis par les parties au traité d’amitié étaient non pas «d’organiser les
relations pacifiques et amicales entre les deux Etats de manière générale»154 mais, comme indiqué
dans le préambule, d’«encourager les échanges et les investissements mutuellement profitables et
147 Anglo-Iranian Oil Co. (Royaume-Uni c. Iran), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1952, p. 103.
148 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), opinion individuelle de Mme le juge Higgins, p. 855-856, par. 29-31.
149 Certains actifs iraniens, arrêt du 13 février 2019 sur les exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 2019 (I),
p. 26, par. 52 ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 809-810, par. 16.
150 Voir Anglo-Iranian Oil Co. (Royaume-Uni c. Iran), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1952,
p. 102-103, 114 ; Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 255, par. 5, et p. 271-272, par. 59
et 61 ; Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 76, par. 7, p. 124, par. 129,
et p. 140, par. 184-186.
151 Voir Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), opinion dissidente
commune de M. le juge Owada, président, et de MM. les juges Simma et Abraham, Mme la juge Donohue et M. le juge
ad hoc Gaja, p. 168, par. 86.
152 Voir, par exemple, Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique),
exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 812, par. 23.
153 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 812, par. 23 ; voir aussi Certains actifs iraniens, arrêt du 13 février 2019 sur les
exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 32, par. 70 ; Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale
c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 320-321, par. 91 ; Licéité de l’emploi de la force
(Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 318, par. 100.
154 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 814, par. 28.
45
46
- 36 -
l’établissement de relations économiques plus étroites entre leurs peuples et … [de] régler leurs
relations consulaires»155. Comme il a été dit au chapitre 3, le traité favorise la réalisation de cet
objectif en conférant aux sociétés et ressortissants de chaque Partie certaines protections dans le
cadre de leurs activités ordinaires de commerce et d’investissement sur le territoire de l’autre
Partie, ou des échanges entre l’une et l’autre. Ce n’est qu’après avoir interprété chaque disposition
du traité invoquée conformément à ces règles que la Cour pourra déterminer si les actes dont l’Iran
tire grief entrent ou non dans les prévisions de la disposition concernée.
4.11. L’analyse rigoureuse de la Cour contribue à faire en sorte qu’une partie ne se trouve
pas soumise à une procédure sans y avoir consenti. Ainsi qu’exposé plus haut, lorsque, comme en
l’espèce, le demandeur invoque la clause compromissoire d’un traité pour fonder la compétence de
la Cour, cette compétence n’existe qu’à l’égard de ce traité et dans les limites stipulées par celui-ci.
Et pour déterminer si les griefs du demandeur entrent dans le champ d’application dudit traité, la
Cour doit examiner l’objet et le but de cet instrument, ainsi que procéder à une interprétation
minutieuse des dispositions conventionnelles invoquées. En outre, la Cour a conclu à plusieurs
reprises qu’il lui était impossible de lire dans un traité d’autres règles, par exemple de droit
international coutumier, que celles qui y étaient énoncées156. Au chapitre 7, les Etats-Unis
démontreront que les articles du traité d’amitié cités par l’Iran, lus dans leur contexte et à la lumière
de l’objet et du but de cet instrument, ne régissent ni n’introduisent dans celui-ci aucun droit ou
obligation à l’égard des mesures concernant le commerce de l’Iran avec des pays tiers ou leurs
ressortissants. La Cour n’est donc pas compétente pour connaître de demandes en la matière.
SECTION C
MÊME LORSQU’ELLE EST COMPÉTENTE, LA COUR DOIT REFUSER DE CONNAÎTRE
D’UNE AFFAIRE DANS CERTAINES CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES
4.12. Indépendamment des questions de compétence, il est bien établi qu’il existe certaines
circonstances dans lesquelles la Cour doit refuser, au stade des exceptions préliminaires, de statuer
sur une affaire157. Ce pouvoir de refuser de connaître d’une demande «découle de l’existence même
de la Cour, organe judiciaire établi par le consentement des Etats, et lui est conféré afin que sa
fonction judiciaire fondamentale puisse être sauvegardée»158. Il procède du «caractère judiciaire [de
la Cour] et du fait qu’elle doit disposer de moyens pour réglementer des questions liées à
l’administration de la justice, dont tous les aspects peuvent ne pas être prévus par le Règlement»159.
155 Traité d’amitié, préambule (MI, annexe I) ; Certains actifs iraniens, arrêt du 13 février 2019 sur les exceptions
préliminaires, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 28, par. 57.
156 Voir, par exemple, Certains actifs iraniens, arrêt du 13 février 2019 sur les exceptions préliminaires,
C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 28, par. 57-58, p. 30, par. 65, p. 32, par. 70, p. 33, par. 74, p. 34, par. 79 ; Plates-formes
pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt,
C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 814, par. 28 ; Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 322, par. 96.
157 Voir, par exemple, Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie
au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 123, par. 48 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 456, par. 120.
158 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 259-260, par. 23.
159 Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2004 (III), opinion individuelle de Mme le juge Higgins, p. 1361-1362, par. 10.
47
- 37 -
4.13. La Cour a reconnu que l’abus de procédure était l’un des motifs susceptibles de la
conduire à refuser de statuer sur une demande160. Un tel abus «se rapporte à la procédure engagée
devant une cour ou un tribunal et peut être examiné au stade préliminaire de ladite procédure»161.
Bien que la Cour ne rejette une demande pour abus de procédure que dans «des circonstances
exceptionnelles», lorsqu’il existe des «éléments attestant clairement que le comportement du
demandeur procède d’un abus de procédure»162, le fait est que pareilles circonstances existent en
l’espèce. Comme expliqué au chapitre 5, la tentative de l’Iran de saisir la Cour de griefs concernant
exclusivement l’application du plan d’action sous le couvert d’un différend relatif au traité d’amitié
constitue en un abus de procédure et rend sa requête irrecevable.
4.14. Outre l’abus de procédure, la fonction de la Cour «est soumise à des limitations
inhérentes qui, pour n’être ni faciles à classer, ni fréquentes en pratique, n’en sont pas moins
impérieuses en tant qu’obstacles décisifs au règlement judiciaire»163. Par exemple, la Cour peut
refuser de connaître d’une affaire lorsqu’un tel refus lui permettrait de protéger l’intégrité de sa
fonction judiciaire164. Ainsi qu’elle l’a exposé dans l’affaire du Cameroun septentrional, «[i]l y a
des limitations inhérentes à l’exercice de la fonction judiciaire dont la Cour, en tant que tribunal,
doit toujours tenir compte»165.
4.15. Le juge Fitzmaurice a reconnu, dans son opinion individuelle en l’affaire du Cameroun
septentrional, qu’une considération éventuellement importante qui pouvait entraîner un refus de
statuer tenait à «ce que la Cour [était] priée de faire [au] sujet [de la demande] eu égard aux
circonstances»166. Comme il sera expliqué davantage au chapitre 5, si elle devait en l’espèce
examiner plus avant la demande de l’Iran, la Cour se trouverait prise dans un profond
enchevêtrement de questions mettant en jeu le mécanisme, l’architecture et l’application du plan
d’action, c’est-à-dire d’un accord politique multilatéral, d’une manière qui pourrait compromettre
son intégrité judiciaire.
4.16. Pour citer la juge Higgins, «[l]a vraie question» que la Cour doit se poser, lorsqu’elle
envisage d’exercer son pouvoir inhérent de refuser de connaître d’une affaire, est celle de savoir «si
les circonstances sont telles qu’il est raisonnable, nécessaire et indiqué qu[’elle] raye l’affaire du
rôle dans l’exercice d[udit] pouvoir inhérent en vue de préserver l’intégrité de la procédure
judiciaire»167. Les Etats-Unis démontreront au chapitre 5 que les circonstances entourant la
présente espèce revêtent le caractère exceptionnel qui justifie que la Cour exerce son pouvoir
inhérent et rejette les demandes de l’Iran.
160 Voir, par exemple, Certains actifs iraniens, arrêt du 13 février 2019 sur les exceptions préliminaires,
C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 41, par. 103 ; Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 336, par. 150.
161 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 336, par. 150.
162 Certains actifs iraniens, arrêt du 13 février 2019 sur les exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 2019 (I),
p. 43, par. 113 ; Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 336, par. 150.
163 Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963,
p. 30.
164 Ibid., p. 29.
165 Ibid.
166 Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963,
opinion individuelle de Sir Gerald Fitzmaurice, p. 106.
167 Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2004 (III), opinion individuelle de Mme le juge Higgins, p. 1362, par. 12.
48
- 38 -
SECTION D
NÉCESSITÉ DE STATUER DÈS CE STADE SUR D’AUTRES EXCEPTIONS REVÊTANT
UN CARACTÈRE EXCLUSIVEMENT PRÉLIMINAIRE
4.17. Enfin, l’article 79 du Règlement autorise la présentation d’autres exceptions que celles
d’incompétence et d’irrecevabilité. En 1972, cette disposition a été modifiée de manière à faire
expressément état d’une troisième catégorie, à savoir «toute autre exception sur laquelle le
défendeur demande une décision avant que la procédure sur le fond se poursuive». Depuis lors, la
Cour a reconnu à plusieurs reprises qu’il n’était pas nécessaire que les exceptions relèvent de l’une
ou l’autre des deux premières catégories. Par exemple, dans son arrêt en l’affaire des Essais
nucléaires, elle a déclaré que, «quand elle examin[ait] ces questions de caractère préliminaire,
[elle] a[vait] le droit et, dans certaines circonstances, p[ouvait] avoir l’obligation de prendre en
considération d’autres questions qui, sans qu’on puisse les classer peut-être à strictement parler
parmi les problèmes de compétence ou de recevabilité, appel[aient] par leur nature une étude
préalable à celle de ces problèmes»168. Par la suite, dans l’affaire Lockerbie, la Cour a en outre
confirmé que le «champ d’application ratione materiae [de l’article 79] n’[était] donc pas limité
aux seules exceptions d’incompétence ou d’irrecevabilité»169. Par conséquent, une exception n’a
pas nécessairement à être qualifiée d’exception d’incompétence ou d’irrecevabilité pour pouvoir
être examinée par la Cour, pourvu qu’elle revête un caractère exclusivement préliminaire.
4.18. Comme il sera indiqué au chapitre 6, les Etats-Unis ne demandent pas à la Cour en
l’espèce de réexaminer la question de savoir si les dérogations prévues à l’article XX sont de nature
à faire obstacle à sa compétence. Leur argument est que leurs exceptions fondées sur les alinéas b)
et d) du paragraphe 1 de l’article XX revêtent en l’instance un caractère exclusivement
préliminaire. Ainsi qu’exposé au chapitre 6, le paragraphe 1 de l’article XX prévoit expressément
que le traité n’empêche pas l’adoption de certaines mesures. La question de savoir si les mesures en
cause relèvent des dérogations prévues par cette disposition ⎯ en tant qu’elles concernent des
substances nucléaires ou qu’elles sont nécessaires à la protection des intérêts vitaux d’une Partie
sur le plan de la sécurité ⎯ peut et doit être tranchée sur la base des faits dont la Cour dispose et
sans préjuger le fond, ou des éléments de fond. Cela vaut d’autant plus dans le contexte particulier
de la présente instance, dans laquelle la thèse tout entière de l’Iran repose sur deux dérogations
indépendantes. En conséquence, les exceptions des Etats-Unis fondées sur le paragraphe 1 de
l’article XX revêtent un caractère exclusivement préliminaire et doivent être tranchées à ce stade de
la procédure.
4.19. Il est donc clair que, avant de passer à l’examen au fond, la Cour doit examiner les
exceptions préliminaires des Etats-Unis. Cela lui imposera nécessairement de déterminer si l’objet
du différend a trait à l’interprétation ou à l’application du traité d’amitié, ou si chacune des
demandes de l’Iran «entr[e] ou non dans les prévisions de ce traité et si, par suite, le différend est
de ceux dont [elle] est compétente pour connaître ratione materiae»170. Elle devra également se
poser la question de savoir si, même à supposer qu’elle soit compétente, elle n’en devrait pas moins
refuser de connaître de l’affaire afin d’empêcher un abus de procédure ou toute autre atteinte à
l’intégrité de sa fonction judiciaire. Elle devra en outre examiner les exceptions des Etats-Unis en
168 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 259, par. 22.
169 Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident
aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 26, par. 47 ; voir aussi Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 851, par. 49.
170 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 308, par. 46, citant Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis
d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 810, par. 16.
49
50
- 39 -
se fondant sur les dérogations énoncées à l’article XX du traité d’amitié. La Cour est à même de
procéder à toutes ces vérifications sur la base des faits exposés jusqu’ici par les Parties, sans
aborder le fond des demandes iraniennes.
- 40 -
PARTIE II
EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DES ÉTATS-UNIS
CHAPITRE 5
LE DIFFÉREND SOUMIS PAR L’IRAN PORTE SUR LE PLAN D’ACTION, ET NON
SUR LE TRAITÉ D’AMITIÉ, DE SORTE QUE LA COUR DEVRAIT DÉCLARER
QU’IL ÉCHAPPE À SA COMPÉTENCE OU, À TITRE SUBSIDIAIRE,
QUE LA REQUÊTE EST IRRECEVABLE
5.1. Le différend soumis par l’Iran a exclusivement trait au plan d’action et ne relève
manifestement pas du traité d’amitié. La section A explique que la Cour n’a pas compétence à
l’égard de la présente affaire puisque celle-ci porte exclusivement sur l’application du plan et non
sur l’interprétation et l’application du traité d’amitié. Plus précisément, le véritable problème en
cause ici tient à la décision des Etats-Unis de cesser de participer au plan d’action et de rétablir
ainsi des sanctions liées au nucléaire à l’encontre de l’Iran. Ce fait ressort abondamment de
l’exposé que l’Iran fait de ses griefs, et se trouve encore confirmé par les remèdes que cet Etat
sollicite, dont l’octroi par la Cour aurait pour effet d’annuler le retrait américain du plan d’action.
5.2. La section B explique que, même si elle devait se déclarer compétente, la Cour n’en
devrait pas moins déclarer les demandes de l’Iran irrecevables au motif qu’elles constituent un abus
de procédure et que leur examen soulèverait de graves questions d’opportunité judiciaire. Tel est le
cas parce que, rappelons-le, l’affaire porte en vérité sur le plan d’action et y est inextricablement
liée, le traité d’amitié étant simplement instrumentalisé. En outre, l’octroi des remèdes sollicités par
l’Iran procurerait à cet Etat un avantage illégitime et donnerait lieu à une injustice, puisque le
marché multilatéral conclu dans le cadre du plan d’action (un instrument non juridiquement
contraignant) se trouverait de fait transformé en une injonction pour les Etats-Unis ⎯ et
uniquement pour eux ⎯ de respecter certains engagements politiques qu’ils honoraient avant de
cesser de participer au plan d’action. Pour ces raisons, la Cour devrait refuser de connaître des
demandes de l’Iran et débouter celui-ci.
SECTION A
LA COUR N’EST PAS COMPÉTENTE POUR CONNAÎTRE DU DIFFÉREND FAISANT L’OBJET
DE LA PRÉSENTE AFFAIRE, QUI PORTE EXCLUSIVEMENT SUR LA DÉCISION
DES ETATS-UNIS DE CESSER DE PARTICIPER AU PLAN D’ACTION ET DE
RÉTABLIR LES SANCTIONS LIÉES AU NUCLÉAIRE PRÉCÉDEMMENT
LEVÉES EN APPLICATION DUDIT PLAN
5.3. La seule base de compétence invoquée par l’Iran en l’espèce est le paragraphe 2 de
l’article XXI du traité d’amitié, qui s’applique expressément aux seuls «différend[s] qui
pourrai[en]t s’élever entre les Hautes Parties contractantes quant à l’interprétation ou à
l’application du … traité»171. Or, l’Iran ne cherche pas à saisir la Cour d’un différend quant à
l’interprétation ou à l’application du traité d’amitié, même s’il prétend le contraire. En fait, le
véritable problème en cause tient à la décision des Etats-Unis de cesser de participer au plan
d’action, qui les a conduits à rétablir les sanctions qu’ils avaient levées en vertu dudit plan, et, à
travers sa demande, l’Iran cherche à obtenir la remise en vigueur de la levée des sanctions que les
171 Traité d’amitié, art. XXI, par. 2 (MI, annexe 1).
51
52
- 41 -
Etats-Unis assuraient lorsqu’ils participaient encore à cet accord. Le présent différend porte
exclusivement sur ces décisions relatives au plan d’action et échappe à la compétence de la Cour.
5.4. Une précision d’emblée : les Etats-Unis ne plaident pas que l’existence d’un rapport
entre le différend et leur décision de cesser de participer au plan d’action suffit, en elle-même, à
empêcher la Cour de se déclarer compétente pour connaître des demandes de l’Iran fondées sur le
traité d’amitié172. Ils ne plaident pas non plus que la compétence prévue par le traité est exclue pour
la simple raison que le différend dont l’Iran tente de saisir la Cour s’inscrit dans un contexte plus
large englobant le plan d’action173. Ce qu’ils soutiennent, c’est que l’objet précis des demandes de
l’Iran en l’espèce ⎯ le différend lui-même ⎯ a exclusivement trait au plan d’action et non au traité
d’amitié.
5.5. Comme il a été dit au chapitre 4, à ce stade, la première question de compétence à
examiner consiste à rechercher non pas si les demandes de l’Iran sont prima facie «susceptibles de
relever du champ d’application ratione materiae du traité de 1955», mais si elles portent
effectivement sur l’interprétation et l’application de cet instrument. La Cour a reconnu de longue
date qu’un tel examen suppose pour elle le «devoir de circonscrire le véritable problème en cause et
de préciser l’objet de la demande»174. Le véritable problème en cause, comme il sera expliqué plus
loin, tient à la décision des Etats-Unis de cesser de participer au plan d’action, qui s’est soldée par
le rétablissement des sanctions liées au nucléaire précédemment levées au titre de ce plan. Et le
véritable objectif de la requête iranienne est de faire annuler cette décision en obtenant la remise en
vigueur de la levée des sanctions. La tentative de l’Iran de faire passer ses griefs pour un différend
fondé sur le traité d’amitié doit être rejetée.
i. Le présent différend concerne la décision des Etats-Unis de cesser
de participer au plan d’action et la tentative iranienne
d’en faire annuler les conséquences concrètes
5.6 Cette affaire concerne le plan d’action, auquel elle est inextricablement liée. L’Iran l’a
clairement fait savoir dès le départ, en commençant dans sa note diplomatique datée du 11 juin
2018 par laquelle il prétend avoir «notifié aux Etats-Unis l’existence d[u] différend» porté
aujourd’hui devant la Cour175. Ladite note est dépourvue d’ambiguïté : l’Iran s’y plaint de ce qu’il
dit être la «décision illicite du Gouvernement des Etats-Unis, annoncée le 8 mai 2018, de «rétablir
toutes les sanctions américaines qui [avaient] été levées ou abandonnées en application du plan
d’action»»176. De fait, cette note ne mentionne même pas le traité d’amitié. Le noeud de la discorde
transparaît également dans la note diplomatique du 19 juin 2018, où l’Iran déclare «notifie[r] … au
Gouvernement américain que la décision annoncée par celui-ci le 8 mai 2018 et le rétablissement
des sanctions constituent un manquement aux obligations internationales incombant aux
Etats-Unis, en particulier à celles prévues par le traité d’amitié, de commerce et de droits
172 Voir Violations alléguées du traité d’amitié, ordonnance en indication de mesures conservatoires du 3 octobre
2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 634, par. 38.
173 Voir, par exemple, Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique
c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 19-20, par. 36-37.
174 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 262, par. 29. Voir aussi Immunités et
procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 308,
par. 48 («Il appartient toutefois à la Cour d’établir objectivement ce sur quoi porte le différend entre les parties en
circonscrivant le véritable problème en cause et en précisant l’objet de la demande»).
175 Requête de l’Iran, par. 7 et note 3.
176 Note verbale n° 381/289/4870056 adressée le 11 juin 2018 à l’ambassade de Suisse par la République
islamique d’Iran pour transmission au Gouvernement des Etats-Unis (les italiques sont de nous) (MI, annexe 342).
53
- 42 -
consulaires conclu entre les deux Etats en 1955»177. Ces deux notes sont manifestement axées sur
⎯ et exclusivement sur ⎯ la décision des Etats-Unis du 8 mai de cesser de participer au plan
d’action et donc de rétablir leurs sanctions liées au nucléaire précédemment levées en application
dudit plan.
5.7. La manière dont l’Iran lui-même présente les choses dans ses écritures confirme encore
que le plan d’action constitue bien l’objet du différend. On peut notamment lire dans son mémoire
que la présente affaire a pour «unique objet» «les mesures annoncées dans la décision du 8 mai»178,
à savoir le rétablissement des sanctions américaines liées au nucléaire qui avaient été levées en
application du plan d’action. L’Iran déclare également dans sa requête que la présente instance
«concerne exclusivement les faits internationalement illicites dont les Etats-Unis se sont rendus
responsables en décidant de rétablir avec plein effet et de faire appliquer les sanctions
précédemment levées en application du plan d’action global commun … , et en annonçant
l’imposition de nouvelles sanctions»179. De même, dans sa demande en indication de mesures
conservatoires, l’Iran réaffirmait que ses griefs découlaient du «rétablissement et du durcissement
annoncé, par une décision des autorités américaines en date du 8 mai 2018, de tout un arsenal de
mesures restrictives ou qualifiées de «sanctions»»180. Face à ces déclarations figurant dans ses
premières pièces en l’instance, la Cour devrait prendre l’Iran au mot.
5.8. L’Iran s’inscrit en faux dès les premières pages de son mémoire en soulignant que ses
griefs ne concernent «rien d’autre» que le traité d’amitié181. Ces tentatives de dénégation sont mises
à mal non seulement par la description que l’Iran a lui-même faite de ses griefs dans ses pièces
antérieures, mais aussi par les faits qu’il met en avant et par les remèdes qu’il sollicite.
5.9. Premièrement, la requête de l’Iran démontre clairement que le différend porte sur la
décision des Etats-Unis de cesser de participer au plan d’action et donc de ne plus accorder la levée
de leurs sanctions prévue par cet instrument. L’exposé des faits contenu dans la requête est axé sur
la décision du 8 mai182. Le mémoire de l’Iran suit la même trame narrative : conclusion du plan
d’action, décision des Etats-Unis de s’en retirer et de rétablir les sanctions liées au nucléaire
précédemment levées en vertu de cet instrument, puis conséquences censées en avoir découlé183.
Dans sa requête, l’Iran s’en prend aussi aux motifs avancés par les Etats-Unis pour justifier le
rétablissement de ces sanctions, qui sont selon lui «sans fondement»184. Le fait est simplement ici
qu’il est manifeste, à en juger par le thème central de la requête et du mémoire de l’Iran, que le
véritable problème en cause tient à la décision des Etats-Unis de cesser de participer au plan
d’action et que, à travers ses demandes, l’Iran cherche à obtenir la remise en vigueur de la levée des
sanctions assurée par les Etats-Unis avant leur retrait du plan.
177 Requête de l’Iran, par. 7 et note 4. Note verbale no 381/210/4875065 adressée le 19 juin 2018 à l’ambassade
de Suisse par la République islamique d’Iran pour transmission au Gouvernement des Etats-Unis (MI, annexe 343).
178 MI, par. 1.13 (les italiques sont de nous).
179 Requête de l’Iran, par. 2 (les italiques sont de nous).
180 Demande en indication de mesures conservatoires de l’Iran, par. 2.
181 MI, par. 1.2. Voir aussi Violations alléguées du traité d’amitié, CR 2018/16, p. 30, par. 6 (où M. Pellet
déclare, au nom de l’Iran, que le plan d’action n’est que le «contexte» dans lequel les sanctions américaines contestées
ont été levées, puis réimposées).
182 Voir requête de l’Iran, par. 9-28.
183 Voir MI, par. 2.5-2.114, 3.1-3.150 (où est définie à plusieurs reprises la période pertinente, aux fins de
l’évaluation des conséquences alléguées des mesures contestées, comme étant postérieure au 8 mai 2018 («avant le 8 mai
2018», «depuis le 8 mai 2018», «après le 8 mai 2018» et «à partir du 8 mai 2018»).
184 Requête de l’Iran, par. 14.
54
- 43 -
5.10. Deuxièmement, les remèdes sollicités confirment que l’Iran invoque le traité d’amitié
pour tenter de bénéficier à nouveau du marché conclu dans le plan d’action, un accord entièrement
distinct et non contraignant. Dans ses conclusions, l’Iran demande à la Cour d’ordonner aux
Etats-Unis de mettre fin aux sanctions liées au nucléaire qu’ils ont rétablies par leur décision du
8 mai185. L’Iran a beau s’évertuer à la convaincre que sa thèse n’en porte pas moins sur le traité
d’amitié, la Cour doit tenir compte du fait que, de toute évidence, son but est d’obtenir précisément
la remise en vigueur de la levée des sanctions que les Etats-Unis assuraient lorsqu’ils participaient
au plan d’action. En d’autres termes, l’Iran, en prétendant se fonder sur le traité, demande à la Cour
d’ordonner aux Etats-Unis qu’ils se tiennent aux engagements qu’ils exécutaient en matière de
sanctions à l’époque où ils participaient au plan. Il s’agit là d’une proposition extraordinaire. Il
serait impossible à la Cour de faire droit à la demande de l’Iran sans annuler la décision des
Etats-Unis de cesser leur participation au plan d’action.
5.11. L’Iran n’a fourni ni explication ni analyse quant au fait qu’il n’a dénoncé l’illicéité
alléguée, au regard du traité d’amitié, des mesures indiquées que lorsque celles-ci ont été rétablies
par suite du retrait des Etats-Unis du plan d’action ⎯ et ce, en dépit du fait que les mesures en
question avaient été en vigueur avant l’adoption de ce plan (voire pour certaines depuis des
dizaines d’années) ; il n’a du reste apporté aucun élément attestant qu’il en ait dénoncé l’illicéité au
regard du traité à un moment quelconque des négociations longues et intenses qui ont débouché sur
l’adoption du plan, alors que ces mesures étaient pourtant au coeur des débats186.
5.12. Le fait mérite d’être répété : les mesures de sanction américaines dont l’Iran tire grief
sont antérieures au plan d’action, et l’Iran n’en avait pourtant aucunement contesté l’imposition,
que ce soit avant ou pendant les négociations dudit plan, en faisant valoir le traité d’amitié.
D’ailleurs, dans sa requête et son mémoire, l’Iran n’affirme pas que l’imposition des mesures de
sanction violait le traité d’emblée. Les griefs dont il souhaite saisir la Cour ont pour «unique objet»
les mesures de sanction une fois réimposées, en application de la décision des Etats-Unis de cesser
de participer au plan d’action187.
5.13. La portée des demandes iraniennes est également révélatrice à un autre égard. Comme
il a été dit au chapitre 2, le plan d’action ne prévoyait pas la suspension ou la suppression des
sanctions multilatérales ou nationales qui étaient en vigueur pour d’autres motifs que ceux liés au
nucléaire, comme le soutien apporté par l’Iran au terrorisme international, son programme de mise
au point de missiles balistiques, ses violations des droits de l’homme ou son appui au régime
d’Assad188. Les Etats-Unis ne s’étaient pas non plus engagés dans le cadre du plan à s’abstenir
d’imposer des sanctions supplémentaires en réponse à ces activités ou à d’autres actions
malveillantes ou déstabilisatrices menées par l’Iran indépendamment du nucléaire. Par sa requête,
l’Iran conteste la réimposition d’un ensemble de sanctions américaines âprement négociées et
méticuleusement organisées, qui sont répertoriées à l’annexe II du plan d’action. Cela montre là
encore que, par le biais de la présente instance, l’Iran cherche à ce que la Cour l’aide dans sa
tentative de faire annuler la décision des Etats-Unis de cesser leur participation au plan d’action, en
ordonnant à ceux-ci de mettre en oeuvre leurs dispositions antérieures, de façon à rétablir la levée
prévue par ledit plan.
185 Requête de l’Iran, par. 50, al. b). Voir aussi MI, p. 245, al. b).
186 Voir chap. 2, par. 2.9-2.12.
187 MI, par. 1.13.
188 Voir chap. 2, par. 2.17 et 2.28.
55
56
- 44 -
5.14. Dans sa requête, l’Iran non seulement demande à la Cour d’annuler de fait la décision
des Etats-Unis de cesser de participer au plan d’action, mais laisse également entendre qu’il a en
quelque sorte droit à la levée des sanctions au regard de ce plan189. Pareil droit n’existe pas sur le
plan juridique, et quand bien même il existerait, comme nous l’expliquerons dans la section
suivante, la Cour n’aurait pas compétence pour assurer la mise en oeuvre du plan d’action. Ce
dernier n’a créé aucune obligation juridiquement contraignante qui imposerait aux Etats-Unis de
continuer à y participer, ou même de maintenir la levée des sanctions liées au nucléaire y énoncée.
Ce fait crucial semble être à l’origine du mécontentement actuel de l’Iran. Mais ce
mécontentement, aussi profond soit-il, ne suffit pas à transformer le véritable problème en cause en
un différend relevant du traité d’amitié.
ii. Le véritable instrument en cause, le plan d’action, est distinct du traité d’amitié
et ne confère nullement compétence à la Cour
5.15. Ainsi qu’exposé au chapitre 2, le groupe E3/UE+3 a négocié le plan d’action avec
l’Iran afin d’essayer de répondre aux graves préoccupations de la communauté internationale
concernant la nature du programme nucléaire iranien. Cet instrument multilatéral complexe
reposait fondamentalement sur un quid pro quo : l’Iran s’engageait à freiner son programme
nucléaire et à permettre certaines mesures de vérification en échange de la levée, par le
groupe E3/UE+3, de certaines sanctions liées au nucléaire.
5.16. Conclu en 2015, le plan d’action n’a rien à voir avec le traité d’amitié de 1955 et porte
sur des questions qui débordent largement le cadre de ce dernier. Il a été conclu entre de nombreux
participants, outre les Etats-Unis et l’Iran. Il a été négocié dans un contexte historique et
géopolitique différent de celui du traité : il s’agit d’un arrangement politique entre ses participants
qui traite avec force détails techniques les principaux sujets de préoccupation, à savoir les
restrictions nucléaires imposées à l’Iran et les mesures de sanction liées au nucléaire. Et comme il a
été dit plus haut, c’est cet instrument, et non le traité, qui est au coeur du différend que l’Iran a
soumis à la Cour.
5.17. Nul ne conteste que le plan d’action ne confère aucune juridiction à la Cour. Même si
cette dernière a fait observer à juste titre que le plan ne contenait aucune clause expresse faisant
obstacle à sa saisine, le texte, la structure et le contexte de cet instrument révèlent que les
participants entendaient exclure une telle possibilité. En fait, le plan d’action envisage précisément
le type de situation qui s’est fait jour en l’espèce ⎯ à savoir le cas d’un participant cessant de
mettre en oeuvre tout ou partie de ses engagements ⎯ et les participants ont prévu des moyens
précis pour y remédier. Ainsi qu’exposé au chapitre 2, le mécanisme de règlement des différends
défini au paragraphe 36 du texte principal du plan prévoit que les différends relevant de celui-ci
sont traités et réglés par la voie politique. Cette disposition ne ménage qu’une possibilité limitée
d’examen par un groupe «consultatif» extérieur, sur une base strictement non contraignante et dans
des délais serrés, ce qui montre bien que les participants voulaient se doter d’un mécanisme qui
leur permettrait de réagir rapidement compte tenu de la gravité des questions traitées, lesquelles
mettaient en jeu la paix et la sécurité internationales 190. En outre, le mécanisme de règlement des
différends établi dans le plan d’action prévoit expressément le cas où l’une des parties serait
mécontente de l’issue de la procédure. Là encore, il n’établit aucun droit d’ester devant une
juridiction particulière. Au contraire, si un participant conclut qu’une question n’a pas été résolue et
qu’il s’agit d’un «non-respect manifeste» des engagements pris, le plan d’action l’autorise à cesser
de «respect[er] … la totalité ou … une partie de ses propres engagements au titre
189 Voir requête de l’Iran, par. 14-17.
190 Voir chap. 2, par. 2.18-2.22.
57
- 45 -
du[dit] … plan … et [à] décider d’aviser le Conseil de sécurité de ce qu’il considère comme
constituant un non-respect manifeste des engagements»191. Tels sont les recours envisagés par les
participants dans l’éventualité où le mécanisme de règlement des différends ne permettrait pas de
régler une question. La saisine de la Cour n’en fait pas partie. Ces éléments mettent en évidence
que le plan d’action a été rédigé de manière à faire en sorte que les participants règlent leurs
différends concernant sa mise en oeuvre par la voie politique, et non par la voie judiciaire.
5.18. Les Etats-Unis soutiennent que le véritable problème en cause ici tient à leur décision
de cesser de participer au plan d’action et que, à travers sa demande, l’Iran cherche à obtenir la
remise en vigueur de la levée des sanctions qu’ils assuraient lorsqu’ils participaient encore à cet
accord. Etant donné que le présent différend se rapporte exclusivement à l’application du plan
d’action et que, de par son texte et sa structure, cet instrument exclut nécessairement le
consentement à la compétence de la Cour pour le règlement d’un tel différend, celle-ci n’a pas
compétence pour connaître des demandes de l’Iran. En d’autres termes, il n’y a pas en l’espèce
chevauchement d’instruments. L’Iran tente de faire passer un différend relatif au plan d’action, à
l’égard duquel la compétence de la Cour a été intentionnellement exclue et n’a jamais été envisagée
par les multiples participants à cet instrument, pour un différend relevant du traité d’amitié
bilatéral. La Cour devrait rejeter la tentative de l’Iran de recourir à un tel artifice.
SECTION B
A TITRE SUBSIDIAIRE, LA COUR DEVRAIT REFUSER D’EXERCER SA COMPÉTENCE EN L’ESPÈCE
AU MOTIF QUE LES DEMANDES DE L’IRAN PROCÈDENT D’UN ABUS DE PROCÉDURE ET
ENGENDRERAIENT, S’IL Y ÉTAIT DONNÉ SUITE, UNE INJUSTICE SOULEVANT
DE GRAVES QUESTIONS D’OPPORTUNITÉ JUDICIAIRE
5.19. Indépendamment et sans préjudice des exceptions d’incompétence formulées ici par les
Etats-Unis sur la base du paragraphe 2 de l’article XXI du traité, la Cour devrait déclarer les
demandes de l’Iran irrecevables. En particulier, la Cour devrait exercer son pouvoir inhérent de
refuser d’examiner les demandes de l’Iran au motif que celles-ci constituent un abus de procédure
et qu’elles l’invitent à jouer un rôle incompatible avec sa fonction judiciaire. L’Iran invoque le
traité dans une affaire relative à un différend qui concerne exclusivement l’application du plan
d’action et, ce faisant, tente de conserver, grâce à une ordonnance de la Cour, le bénéfice de
l’intégralité des engagements non contraignants que les Etats-Unis avaient contractés en matière de
sanctions dans le cadre du plan d’action tout en restant lui-même libre de cesser d’exécuter des
engagements clés qu’il tient dudit instrument. Un tel résultat donnerait lieu à une grave injustice.
De plus, les demandes de l’Iran tendent à attirer la Cour dans une voie qui débouchera
inévitablement sur un profond enchevêtrement de questions mettant en jeu le mécanisme,
l’architecture et l’application du plan d’action, un accord politique multilatéral, d’une manière qui
pourrait faire naître des doutes quant à son intégrité judiciaire. Enfin, si la Cour devait se mêler de
ces questions, cela pourrait avoir des répercussions importantes bien au-delà du traité ; les
tentatives de règlement de différends complexes et délicats par des accords politiques pourraient
s’en trouver compliquées en cas d’incertitude quant aux risques d’un règlement judiciaire
international.
191 Plan d’action, texte principal, par. 36 (MI, annexe 10). Le paragraphe 37 du texte principal du plan d’action
indique simplement ce qui s’ensuit lorsqu’un participant décide de s’adresser au Conseil de sécurité des Nations Unies.
58
- 46 -
i. La Cour a le pouvoir inhérent de réglementer sa propre procédure dans l’intérêt
de la justice et pour la sauvegarde de son intégrité, y compris celui de débouter
un demandeur pour abus de procédure
5.20. La Cour a incontestablement le pouvoir de refuser d’exercer sa compétence. Elle a
reconnu qu’elle avait le pouvoir inhérent de réglementer sa propre procédure dans l’intérêt de la
justice et pour la sauvegarde de son intégrité, y compris celui de refuser de connaître d’une affaire
contentieuse lorsque les circonstances s’y prêtent, même si elle s’estimait compétente pour
connaître des prétentions du demandeur192.
5.21. Une circonstance dans laquelle la Cour peut exercer ce pouvoir inhérent est celle où le
comportement du demandeur constitue un abus de procédure. La Cour a reconnu à plusieurs
reprises que l’abus de procédure était un élément à considérer lors de l’examen de la recevabilité
d’une requête193. L’abus de procédure a été décrit comme «une application spéciale de
l’interdiction de l’abus de droits»194. En substance, il suppose un abus du droit d’ester devant une
juridiction195. Un tel abus peut résulter de divers actes, comme le dépôt d’une requête devant un
tribunal196.
5.22. L’abus de procédure ne peut être complètement défini dans l’abstrait et dépend des
faits et circonstances particuliers d’une affaire197. D’après M. Kolb, l’abus de procédure inclut le
recours à une procédure judiciaire afin, notamment, d’«obtenir un avantage illégitime»198. Il
convient de rappeler à ce propos que, selon le vice-ministre iranien des affaires étrangères, le but de
l’Iran en l’espèce n’est pas de rechercher un règlement judiciaire favorable : il s’agit de «démontrer
la légitimité de la République islamique d’Iran à la communauté internationale» et d’exercer «une
pression politique et psychologique sur les Etats-Unis»199. Bien que l’abus de procédure soit
souvent considéré comme étroitement lié au principe de bonne foi200, il n’est pas forcément
192 Voir chap. 4, par. 4.12-4.16.
193 Voir Certains actifs iraniens, arrêt du 13 février 2019 sur les exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 2019 (I),
p. 42-43, par. 107-115 ; Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 334-337, par. 139-152 ; Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 255, par. 38 ; Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée-Bissau
c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 1991, p. 63, par. 26-27.
194 R. Kolb, «General Principles of Procedural Law», The Statute of the International Court of Justice:
A Commentary, troisième édition (2019), sous la dir. de A. Zimmermann et C. J. Tams, p. 998 (annexe 95).
195 Y. Fukunaga, «Abuse of Process under International Law and Investment Arbitration», ICSID Review (2018),
vol. 33, p. 181, 184 (annexe 96) ; R. Kolb, «General Principles of Procedural Law», The Statute of the International
Court of Justice: A Commentary, troisième édition (2019), sous la dir. de A. Zimmermann et C. J. Tams, p. 998
(décrivant l’abus de procédure comme «l’utilisation d’instruments ou de droits procéduraux par une ou plusieurs parties à
des fins étrangères à celles pour lesquelles lesdits droits ont été établis ») (annexe 95).
196 Voir Y. Fukunaga, «Abuse of Process under International Law and Investment Arbitration», ICSID Review
(2018), vol. 33, p. 181 et 184 (annexe 96).
197 R. Kolb, «General Principles of Procedural Law», The Statute of the International Court of Justice:
A Commentary, troisième édition (2019), sous la dir. de A. Zimmermann et C. J. Tams, p. 999 («La notion d’abus de
procédure ne peut pas être appréhendée de manière totalement abstraite, dans la mesure où elle peut se rapporter à des
situations diverses et variées.») (annexe 95).
198 Ibid., p. 998.
199 «Complaint Against US To Prove Iran’s Legitimacy; Hague’s Ruling Not Binding», Mehr News Agency
(Tehran) (29 août 2018) (citant des remarques du vice-ministre iranien des affaires étrangères Abbas Araghchi)
(annexe 94).
200 Voir, par exemple, R. Kolb, «General Principles of Procedural Law», The Statute of the International Court of
Justice: A Commentary, troisième édition (2019), sous la dir. de A. Zimmermann et C. J. Tams, p. 998-999 (annexe 95).
59
- 47 -
nécessaire de rechercher si l’acteur concerné a agi ou agit de bonne ou de mauvaise foi. Comme la
France l’a récemment déclaré devant la Cour,
«[q]ue l’on parle d’abus de droit ou de procédure, il s’agit toujours de notions
objectives que l’on peut déduire des circonstances sans qu’il soit nécessaire de porter
un jugement de valeur sur les intentions de leur auteur. Le test n’est pas celui de la
bonne ou de la mauvaise foi, mais du caractère raisonnable ou non de la saisine du
juge au regard de l’ensemble des circonstances de la cause»201.
5.23. L’abus de procédure n’est pas le seul motif qui puisse fonder la Cour à exercer son
pouvoir inhérent de rejeter une requête même si elle s’estime compétente. La Cour a reconnu qu’il
n’était pas «facile de classer» ex ante tous les types d’affaires susceptibles de nécessiter qu’elle
exerce son pouvoir inhérent de «sauvegarder sa fonction judiciaire»202. Elle a ainsi reconnu qu’il
n’était pas possible de délimiter à l’avance toutes les circonstances dans lesquelles elle devait user
de son pouvoir inhérent de refuser d’exercer sa compétence, ce qui confirme que toute décision en
la matière exige un examen au cas par cas des circonstances particulières entourant les prétentions
d’un demandeur.
5.24. La juge Higgins s’est exprimée dans le même sens dans son opinion individuelle en
l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force. Examinant les précédents dans le cadre
desquels la Cour avait débouté un demandeur dans l’«exercice de ses pouvoirs inhérents», la
juge Higgins a noté que ces cas «ne constitu[ai]ent pas [les] catégories exclusives auxquelles la
Cour d[eva]it se rapporter si elle souhait[ait] exercer ses pouvoirs inhérents en l’absence d’un
désistement»203. S’agissant des pouvoirs inhérents de la Cour, la juge Higgins a déclaré qu’ils
«découl[ai]ent d[u] caractère judiciaire [de celle-ci] et du fait qu’elle d[eva]it disposer de moyens
pour réglementer des questions liées à l’administration de la justice, dont tous les aspects
p[ouvai]nt ne pas être prévus par le Règlement»204. Partant, la vraie question pour Mme Higgins
était de savoir non pas «si les circonstances de l’espèce [étaient] exactement identiques aux rares
cas dans lesquels la Cour, de sa propre initiative, a[vait] rayé une affaire du rôle (cas qui, d’ailleurs,
étaient sans doute «nouveau» à l’époque et n’entraient dans aucune des catégories établies
auparavant)», mais «si les circonstances [étaient] telles qu’il [était] raisonnable, nécessaire et
indiqué que la Cour raye l’affaire du rôle dans l’exercice de son pouvoir inhérent en vue de
préserver l’intégrité de la procédure judiciaire»205.
5.25. Lorsqu’il était excipé devant elle d’un abus de procédure, la Cour a dit qu’elle ne
rejetterait une demande fondée sur une base de compétence valable que dans «des circonstances
exceptionnelles», sur la base d’«éléments attestant clairement que le comportement du demandeur
proc[édait] d’un abus de procédure»206. Pour reprendre les propos du juge Fitzmaurice, une
201 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), CR 2018/2, p. 46, par. 4 (Pellet).
202 Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963,
p. 38.
203 Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2004 (III), opinion individuelle de Mme le juge Higgins, p. 1361, par. 9 (où il est également déclaré que
«[r]ien dans la jurisprudence ne permet de … soutenir» que les circonstances dans lesquelles la Cour peut exercer ses
pouvoirs inhérents sont si limitées, et que l’«[o]n voit mal d’ailleurs quelle pourrait être la source juridique d’un droit
permettant de rayer une affaire du rôle à la seule condition qu’il soit limité à ces deux exemples»).
204 Ibid., p. 1361-1362, par. 10.
205 Ibid., p. 1362, par. 12.
206 Jadhav (Inde c. Pakistan), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (II), par. 49 (citant Certains actifs iraniens, arrêt du
13 février 2019 sur les exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 42-43, par. 113 ; Immunités et procédures
pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 336, par. 150).
60
61
- 48 -
circonstance potentiellement importante qui pourrait ainsi conduire la Cour à exercer ce pouvoir
inhérent tient à «ce que [celle-ci] est priée de faire [au] sujet [de la demande] eu égard aux
circonstances»207. De l’avis des Etats-Unis, non seulement il n’existe pas de base de compétence
valable dans la présente affaire, et il s’agit là d’un fait essentiel, mais encore les circonstances de
l’espèce sont exceptionnelles, de sorte que la Cour peut et doit exercer son pouvoir inhérent et
rejeter les demandes de l’Iran.
ii. Par ses demandes, l’Iran cherche à imposer aux Etats-Unis des engagements
non contraignants qu’ils honoraient avant leur retrait du plan d’action, sans
être lui-même soumis à des obligations contraignantes réciproques
s’agissant de son programme nucléaire
5.26. Comme il a été expliqué dans la section précédente, le différend que l’Iran a porté
devant cette Cour concerne exclusivement l’application du plan d’action. Le dépôt par l’Iran de sa
requête et sa tentative de soumettre ses griefs à la Cour sous couleur de la saisir d’un différend
relatif au traité d’amitié sont manifestement déraisonnables au regard de l’ensemble des
circonstances de l’espèce, et constituent un abus de procédure. Abstraction faite de la description
qu’il fait lui-même de l’affaire208, l’Iran cherche par ses demandes à obliger les Etats-Unis à lui
accorder la levée des sanctions qui avait été convenue par un quid pro quo très clair dans le plan
d’action : l’Iran devait respecter certaines restrictions concernant son programme nucléaire pour
obtenir la levée de sanctions spécifiques en la matière209. Comme nous l’expliquons plus loin,
permettre à l’Iran d’obtenir, par le biais d’une ordonnance de la Cour, le bénéfice de cet
arrangement intentionnellement conçu pour être non contraignant soulèverait de graves questions
d’opportunité judiciaire ⎯ d’autant plus que, en l’espèce, l’Iran n’est pas juridiquement tenu
d’honorer ses propres engagements au titre du plan d’action. (De fait, l’Iran a déjà cessé d’honorer
des engagements clés et a indiqué qu’il ne comptait pas s’arrêter là.)210 Ce serait également fermer
les yeux sur un abus de procédure, puisque la saisine de la Cour par l’Iran donnerait lieu à une
injustice et permettrait à celui-ci de rechercher un avantage illégitime au moyen d’une requête
fondée sur le traité d’amitié. Dans ces circonstances exceptionnelles, la Cour devrait déclarer les
demandes de l’Iran irrecevables.
5.27. Comme il ressort clairement de la structure et du libellé du plan d’action, les
participants à cet instrument ont ménagé un équilibre délicat sur les plans politique et technique
afin de tenter de répondre à une grave menace pour la sécurité internationale. Cet accord a été
rendu possible en particulier par deux caractéristiques de sa conception, qui ont été l’une et l’autre
décrites plus haut : i) sa forme juridiquement non contraignante et ii) la procédure de règlement des
différends, qui énonce clairement les attentes des participants en cas de non-respect d’engagements
souscrits dans le plan d’action, et notamment les recours disponibles en pareil cas.
207 Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963,
opinion individuelle de Sir Gerald Fitzmaurice, p. 106.
208 Voir par. 5.3 et 5.8 ci-dessus. L’Iran fait valoir que, aux fins de parvenir à une conclusion sur la compétence et
la recevabilité, seule importe la manière dont il a lui-même formulé ses demandes relatives à de prétendues violations du
traité d’amitié. Toutefois, c’est à la Cour, et non au demandeur, qu’il appartient de déterminer l’objet véritable des
prétentions de ce dernier. Voir, par exemple, Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 263,
par. 30.
209 L’Iran lui-même reconnaît, comme il se doit, que ce quid pro quo était au coeur de l’accord. Voir Violations
alléguées du traité d’amitié, CR 2018/16, p. 21, par. 10 (où M. Mohebi, plaidant pour l’Iran, a déclaré ce qui suit :
«L’Iran a accepté le plan d’action parce qu’il s’agissait d’un compromis viable entre, d’une part, la levée des sanctions
«liées au nucléaire» dont pâtissaient l’économie et la société iraniennes et, d’autre part, les engagements et le contrôle
renforcés demandés par certains Etats, dont les Etats-Unis, à l’égard de son programme nucléaire civil.»).
210 Voir Letter from Hassan Rouhani, President of the Islamic Republic of Iran, to the Heads of State of the
Remaining Participants of the JCPOA (mai 2019) (annexe 101).
62
- 49 -
5.28. Premièrement, et conformément à l’intention délibérée des participants, le plan
d’action a été rédigé de manière à refléter le caractère non juridiquement contraignant des
engagements contractés. On ne saurait trop insister sur l’importance de ce choix d’une forme non
contraignante ; il a facilité l’obtention d’une solution pratique et rapide qui a permis de lever divers
obstacles politiques internationaux tout en tenant compte d’importantes considérations internes sur
les plans juridique et politique211. Le choix des Etats, au moment de conclure un accord
international, entre une forme contraignante ou une forme non contraignante est l’une des décisions
les plus fondamentales212.
5.29. De par sa conception, le plan d’action revêt une forme juridiquement non
contraignante. En tant que tel, et sans que cela enlève quoi que ce soit à l’importance des
engagements politiques pouvant être consignés dans des arrangements non contraignants de cette
nature, ledit plan n’a pas fourni à l’Iran de garantie juridique contre le rétablissement des mesures
de sanction considérées.
5.30. Deuxièmement, les négociateurs du plan d’action ont soigneusement défini non
seulement la nature, la portée et la durée des engagements des participants respectifs, mais aussi les
moyens par lesquels ces derniers pourraient réagir en cas d’inexécution par l’un d’eux de ses
engagements. En effet, compte tenu des difficultés soulevées de longue date par la question
nucléaire iranienne, les participants au plan d’action, y compris l’Iran, savaient que des différends
risquaient de se faire jour quant à l’exécution d’engagements établis dans le plan et ont élaboré un
mécanisme de règlement pour y répondre. Ainsi qu’exposé plus haut, ce faisant, les participants
n’ont manifesté d’aucune manière leur consentement à la compétence de la Cour, privilégiant le
règlement de telles questions par des voies purement politiques et des recours fondés sur le
caractère réciproque des engagements contractés.
5.31. L’Iran a fait appel au mécanisme de règlement des différends prévu par le plan au sujet
de la décision américaine du 8 mai, et il s’est prévalu ⎯ et continue activement de se prévaloir ⎯
de recours envisagés dans cet instrument. Les actes qu’il dénonce sont les mêmes que devant la
Cour : le rétablissement par les Etats-Unis des sanctions liées au nucléaire précédemment levées en
application du plan d’action. En mai 2018, l’Iran a demandé une réunion de la commission
conjointe à propos de la décision américaine du 8 mai en invoquant le paragraphe 36 du texte
principal du plan et en affirmant que les actes des Etats-Unis constituaient un «non-respect
manifeste» du plan d’action213. La commission conjointe s’est alors réunie, tant au niveau des
211 Voir, par exemple, U.S. Department of State, Negotiations with Iran: Blocking or Paving Tehran’s Path to
Nuclear Weapons? Hearing Before the House Committee on Foreign Affairs, 114th Congress (mars 2015), p. 39
(Statement of Antony Blinken, Deputy Secretary of State) («Le caractère non contraignant de l’accord nous offre la
souplesse nécessaire pour réimposer immédiatement des sanctions au besoin, sans attendre que les partenaires
internationaux soient d’accord ou pas.») (annexe 97).
212 Voir K. Raustiala, «Form and Substance in International Agreements», American Journal of International
Law, 2005, vol. 99, p. 581-587 (annexe 98) ; A. T. Guzman, «The Design of International Agreements», European
Journal of International Law, 2005, vol. 16, p. 579, 591-594 (où est analysée la question de savoir pourquoi les Etats
préfèrent parfois des arrangements non contraignants à des accords internationaux, la «souplesse» et les «considérations
domestiques» étant désignées comme «les deux principales» raisons) (annexe 99).
213 Nations Unies, lettre datée du 10 mai 2018 adressée à l’Organisation des Nations Unies par M. Javad Zarif,
ministre des affaires étrangères de la République islamique d’Iran, doc. A/72/869-S/2018/453 (annexe 100). Voir aussi
Letter from M. Javad Zarif, Minister for Foreign Affairs of the Islamic Republic of Iran, to Federica Mogherini, EU High
Representative for Foreign Affairs and Security Policy (8 mai 2019) (annexe 102) (où il est indiqué que l’Iran «a invoqué
le paragraphe 36 du plan d’action en réponse, au premier chef, à de graves violations et inobservations par les Etats-Unis
des engagements prévus dans cet instrument, surtout après leur décision, unilatérale et illicite, de se retirer dudit plan») ;
Letter from Hassan Rouhani, President of the Islamic Republic of Iran, to the Heads of State of the Remaining
Participants of the JCPOA (mai 2019) (annexe 101) (où il est dit que l’Iran a «invoqué le mécanisme prévu au
paragraphe 36 du plan d’action» en réponse à la décision des Etats-Unis de cesser de participer à cet accord).
63
- 50 -
directeurs politiques qu’au niveau ministériel, mais, de l’avis de l’Iran, la question n’a pas été
résolue214. Bien que l’Iran ait choisi de poursuivre les négociations avec les autres participants au
plan d’action, son président Hassan Rouhani a finalement annoncé que son pays cesserait d’honorer
certains de ses engagements au titre de cet accord en réaction au retrait des Etats-Unis et au
rétablissement par ces derniers de sanctions liées au nucléaire215.
5.32. Dans cette annonce et des déclarations connexes, l’Iran a clairement indiqué que, en
réaction au retrait américain, il cessait d’honorer certains engagements-clés découlant du plan
d’action, un comportement qu’il prétendait justifier en invoquant les dispositions dudit plan
relatives au règlement des différends216. Pourtant, par le biais de la présente instance, l’Iran cherche
à créer une nouvelle voie de règlement des différends ⎯ devant la Cour sur la base du traité
d’amitié ⎯ qui n’a jamais été envisagée ni acceptée par les participants au plan d’action.
5.33. Les participants au plan d’action n’avaient nullement pour intention ou dans l’idée que
l’Iran pourrait obtenir une injonction obligatoire d’un tribunal, et encore moins de la Cour, pour
contraindre l’un quelconque d’entre eux à honorer des engagements non contraignants découlant du
plan. Le fait que l’Iran ne demande pas expressément à titre de remède la mise en oeuvre du plan
d’action, ou un retour forcé des Etats-Unis dans les rangs des participants, est sans importance.
L’injonction qu’il prie la Cour de formuler aurait le même effet. Et permettre que la thèse iranienne
soit examinée au fond (alors que les participants au plan d’action ont manifesté leur intention
délibérée que ces questions sensibles soient traitées par des moyens politiques et non juridiques)
pourrait fort bien entacher d’incertitude d’autres tentatives en cours pour résoudre des problèmes
transnationaux complexes par des arrangements politiques, avec à la clé des conséquences
difficilement prévisibles.
214 Letter from M. Javad Zarif, Minister for Foreign Affairs of the Islamic Republic of Iran, to
Federica Mogherini, EU High Representative for Foreign Affairs and Security Policy (8 mai 2019) (annexe 102) (où il est
avancé que la question du «non-respect manifeste» dénoncé par l’Iran est «restée sans solution» après «plusieurs réunions
de la commission conjointe établie en vertu du plan d’action»).
215 Hassan Rouhani, President of the Islamic Republic of Iran, Remarks at Cabinet Meeting (8 mai 2019),
accessible à l’adresse suivante : president.ir/en/109589 (annexe 103). Voir aussi Letter from M. Javad Zarif, Minister for
Foreign Affairs of the Islamic Republic of Iran, to Federica Mogherini, EU High Representative for Foreign Affairs and
Security Policy (8 mai 2019) (annexe 102) (où il est indiqué que «dans l’exercice des droits que lui confèrent les
paragraphes 26 et 36 du plan d’action, l’Iran a décidé «de cesser d’exécuter partiellement ses engagements» à compter de
ce jour»). La lettre du 8 mai 2019 indique que l’Iran cessera immédiatement d’honorer ses engagements ⎯ souscrits dans
le cadre du plan d’action ⎯ de maintenir ses stocks d’uranium à moins de 300 kilogrammes et de ne pas dépasser
130 tonnes métriques d’eau lourde. Ibid. La lettre indique également que l’Iran cessera dans les 60 jours d’honorer
d’autres engagements souscrits dans le plan d’action si les autres participants à ce plan ne se conforment pas à ses
exigences concernant «le rétablissement du quid pro quo perdu à la suite du retrait des Etats-Unis», faisant référence aux
engagements de l’Iran de ne pas enrichir l’uranium au-delà de 3,67 % et de modifier son réacteur à eau lourde d’Arak.
Ibid.
216 L’Iran a clairement fait savoir qu’il estimait avoir formellement invoqué et utilisé le mécanisme de règlement
des différends prévu au paragraphe 36 du plan d’action. Voir, par exemple, Javad Zarif (@JZarif), Twitter (10 juillet
2019), accessible à l’adresse suivante : https://twitter.com/JZarif/status/1148917515256500225 (où figure un tableau
intitulé «Comment l’Iran a épuisé la voie de règlement des différends (telle qu’établie au paragraphe 36 du plan
d’action)») (annexe 104) ; Javad Zarif (@JZarif), Twitter (1er juillet 2019), https://twitter.com/
JZarif/status/1145749802975711233 (où, afin d’expliquer la décision de l’Iran de cesser d’honorer certains engagementsclés
souscrits dans le plan d’action en matière nucléaire, il est indiqué : «[n]ous avons utilisé et épuisé la voie de
règlement prévue au paragraphe 36 après le retrait américain») (annexe 106) ; Javad Zarif (@JZarif), Twitter (7 juillet
2019), https://twitter.com/JZarif/status/1147806420936658944 (annexe 105) ; Iran, Non Paper: «Iran’s Decision to
Exercise Its Rights Under Paragraphs 26 and 36 of the JCPOA» (mai 2019) (annexe 107) (document non publié diffusé
par l’Iran par la voie diplomatique). Voir également Statement by the Supreme National Security Council of the Islamic
Republic of Iran (8 mai 2019) (annexe 108).
64
65
- 51 -
5.34. L’avantage illégitime qui serait obtenu et l’injustice qui en résulterait si la Cour
acceptait de connaître de la thèse iranienne sont particulièrement évidents lorsque l’on considère
les conséquences possibles d’un octroi des remèdes sollicités par l’Iran. Un tel octroi signifierait
que l’Iran obtiendrait la levée, sous l’autorité d’une injonction de la Cour, d’un ensemble très
précis de sanctions américaines liées au nucléaire ⎯ celles qui étaient au coeur du marché conclu
dans le cadre du plan d’action. L’Iran se trouverait ainsi dans une situation juridique que personne,
pas même lui avant le plan d’action, n’a jamais imaginée ou voulue. Cela lui permettrait de fait, par
une sorte d’alchimie utilisant le traité d’amitié, de transformer en prescriptions de la Cour des
engagements pris par les Etats-Unis dans un arrangement multilatéral non contraignant dont ils se
sont retirés depuis. Le fait que l’Iran ait introduit et maintienne sa requête afin d’obtenir de tels
remèdes constitue dans ces circonstances un abus de procédure, et l’octroi des remèdes qu’il
sollicite donnerait lieu à une injustice qui placerait la Cour dans une position incompatible avec sa
fonction intrinsèquement judiciaire.
5.35. De plus, suivant sa logique, l’Iran pourrait se servir de la Cour pour obtenir le quid sans
donner le quo convenu dans le plan d’action, c’est-à-dire de contraindre les Etats-Unis à lever leurs
sanctions comme prévu dans ledit plan sans aucune garantie, et certainement aucune garantie
juridiquement contraignante, qu’il respecte lui-même ses engagements énoncés dans le plan en
matière nucléaire. En effet, l’Iran demande que la Cour formule une injonction concernant les
mesures de sanction sans tenir compte des restrictions imposées à son programme nucléaire dans le
cadre de cet accord, ni même de la possibilité qu’il décide lui aussi de s’en retirer totalement. Le
simple fait d’énoncer cette possibilité paradoxale met en évidence l’abus que commet l’Iran en
saisissant la Cour et le caractère exceptionnel des circonstances de la présente affaire.
5.36. Le scénario décrit ci-dessus n’est pas que pure fiction étant donné que, il y a quelques
mois, l’Iran a annoncé qu’il cessait d’honorer certains engagements-clés qu’il avait pris en matière
nucléaire dans le plan d’action217. A travers sa requête, l’Iran cherche à obtenir une injonction qui
obligerait les Etats-Unis à lever ou à abroger d’une autre manière les sanctions qu’ils ont rétablies
en quittant le plan d’action ⎯ et lui permettrait de fait de conserver le bénéfice de la participation
américaine ⎯ alors qu’il a lui-même proclamé à maintes reprises qu’il n’entendait plus respecter
ses engagements liés au nucléaire découlant du plan218. L’Iran n’a donné aucune assurance, que ce
soit à la Cour ou de quelque autre façon, qu’il se conformerait de nouveau à ces engagements ⎯ et
qu’il continuerait de s’y conformer par la suite ⎯ si la Cour lui accordait les remèdes qu’il
demande. Mais de toute façon, ces assurances seraient insuffisantes : l’Iran serait libre de ne pas les
respecter, tandis que les Etats-Unis, s’il leur était ordonné d’accorder à l’Iran la levée des sanctions
qu’il réclame, seraient tenus de lui assurer le bénéfice du plan d’action.
5.37. Que la Cour ne se méprenne pas : les Etats-Unis ne lui demandent pas de transformer
les engagements souscrits par l’Iran dans le plan d’action en obligations juridiquement
contraignantes, ce qui excéderait du reste sa juridiction ou sa compétence. Ils font simplement
valoir que, si elle acceptait de connaître de la présente affaire, il existerait une possibilité bien réelle
que l’Iran obtienne une décision juridique imposant aux Etats-Unis de fournir le quid prévu dans le
plan d’action sans qu’il soit lui-même tenu de fournir le quo. Une telle éventualité ne serait en
elle-même guère propice à l’apaisement des très graves craintes pour la sécurité nationale qui
217 Hassan Rouhani, President of the Islamic Republic of Iran, Remarks at Cabinet Meeting (8 mai 2019),
accessible à l’adresse suivante : president.ir/en/109589 (annexe 103).
218 Voir, par exemple, Letter from M. Javad Zarif, Minister for Foreign Affairs of the Islamic Republic of Iran, to
Federica Mogherini, EU High Representative for Foreign Affairs and Security Policy (8 mai 2019) (annexe 102) ; Letter
from Hassan Rouhani, President of the Islamic Republic of Iran, to the Heads of State of the Remaining Participants of
the JCPOA (mai 2019) (annexe 101) ; Statement by the Supreme National Security Council of the Islamic Republic of
Iran (8 mai 2019), accessible à l’adresse suivante : http://www.president.ir/en/109588 (annexe 108).
66
- 52 -
sous-tendent le différend entre les Etats-Unis et l’Iran, d’autant que l’on ne sait actuellement pas
encore jusqu’où celui-ci ira dans le rejet de ses engagements liés au nucléaire découlant du plan et
qu’il agite la menace d’une escalade, notamment d’un retrait du traité sur la non-prolifération des
armes nucléaires219.
5.38. La requête de l’Iran place la Cour dans une position qu’elle ne devrait pas accepter.
Permettre au demandeur de plaider sa cause plus avant reviendrait à le laisser réclamer les fruits
d’un marché qu’il n’a jamais conclu, c’est-à-dire d’une levée des sanctions américaines liées au
nucléaire prescrite par la Cour sans être lui-même tenu en droit de se conformer aux engagements
qu’il a pris en la matière dans le plan d’action. Compte tenu de l’avantage illégitime que l’Iran
obtiendrait dans ces circonstances, sa requête constitue un abus de procédure.
5.39. Dans ces circonstances exceptionnelles, l’exercice par la Cour de sa compétence non
seulement ne permettrait pas de mettre fin au véritable différend entre les Parties ni aux
préoccupations qui le sous-tendent, mais risquerait même d’aggraver la situation. De toutes les
considérations exposées ci-dessus, il ressort clairement que de solides raisons devraient conduire la
Cour à conclure à l’irrecevabilité de la requête que l’Iran prétend baser sur le traité d’amitié, mais
qui porte sur des griefs concernant exclusivement des mesures prises par les Etats-Unis en rapport
avec le plan d’action.
219 Letter from M. Javad Zarif, Minister for Foreign Affairs of the Islamic Republic of Iran, to
Federica Mogherini, EU High Representative for Foreign Affairs and Security Policy (8 mai 2019) (annexe 102).
67
- 53 -
CHAPITRE 6
LES DÉROGATIONS CONTENUES AU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE XX DU TRAITÉ
FONT IRRÉMÉDIABLEMENT OBSTACLE AUX DEMANDES
DE L’IRAN EN L’ESPÈCE
6.1. La requête de l’Iran n’est pas défendable et devrait être rejetée au stade des exceptions
préliminaires pour une autre raison encore. Elle repose de toute évidence entièrement sur deux
dérogations indépendantes consignées dans le traité qui soustraient certaines mesures à
l’application de cet instrument. En acceptant de telles dérogations, l’Iran a expressément convenu
que ce traité commercial et consulaire ne pourrait faire obstacle à des mesures concernant les
substances fissiles ou nécessaires à la protection des intérêts vitaux d’une Partie sur le plan de la
sécurité, c’est-à-dire précisément le type de mesures de sécurité nationale que l’Iran conteste en
l’instance. L’Iran a reconnu dans le plan d’action que toutes les mesures de sanction alors
considérées (et qui sont en cause ici) étaient «liées au nucléaire» ; elles ont été imposées pendant de
nombreuses années dans le cadre d’un effort multilatéral visant à répondre à son programme
nucléaire illicite. Et les Etats-Unis ont décidé de cesser de participer au plan d’action, d’où le
rétablissement desdites mesures, en réaction à des préoccupations graves et croissantes concernant
non seulement le programme nucléaire de l’Iran, mais aussi d’autres menaces que cet Etat faisait
peser sur leur sécurité nationale. L’affirmation de l’Iran selon laquelle les dérogations prévues au
paragraphe 1 de l’article XX sont «inapplicables» aux fins de l’espèce n’est pas défendable. Le
marché conclu par l’Iran dans le traité consistait à réserver expressément aux deux Etats leur droit
souverain de mettre en oeuvre précisément ce type de mesures et les remèdes que l’Iran demande en
l’instance entrent directement en conflit avec cette limitation importante.
6.2. Le texte du paragraphe 1 de l’article XX du traité est clair :
«Le présent traité ne fera pas obstacle à l’application de mesures :
a) réglementant l’importation ou l’exportation de l’or ou de l’argent ;
b) concernant les substances fissiles, les sous-produits radioactifs desdites substances
et les matières qui sont la source de substances fissiles ;
c) réglementant la production ou le commerce des armes, des munitions et du
matériel de guerre, ou le commerce d’autres produits lorsqu’il a pour but direct ou
indirect d’approvisionner des unités militaires ;
d) ou nécessaires à 1’exécution des obligations de l’une ou l’autre des Hautes Parties
contractantes relatives au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité
internationales ou à la protection des intérêts vitaux de cette Haute Partie
contractante sur le plan de la sécurité.»
6.3. Nonobstant la récente décision de la Cour, dans l’affaire relative à Certains actifs
iraniens, de reporter au stade du fond l’examen de l’exception formulée en celle-ci par les
Etats-Unis sur la base du paragraphe 1 de l’article XX, il existe de bonnes raisons permettant et
même exigeant que, en l’espèce, la Cour traite à titre préliminaire les exceptions américaines
relatives à ces dérogations. En effet, contrairement à celle soulevée en l’affaire relative à Certains
actifs iraniens, les exceptions que les Etats-Unis fondent ici sur le paragraphe 1 de l’article XX
touchent l’ensemble de la thèse iranienne. En l’instance, tous les griefs de l’Iran portent sur des
mesures de sanction adoptées pour des raisons vitales de sécurité nationale, dans des domaines qui
ont été expressément exclus du champ d’application des articles de fond du traité. Le paragraphe 1
68
69
- 54 -
de l’article XX indique clairement que le traité n’empêche pas les Etats-Unis de prendre de telles
mesures. Ainsi qu’exposé en détail dans le présent chapitre, deux dérogations indépendantes
figurant dans cet article ouvrent directement la voie au rejet de toutes les demandes de l’Iran.
6.4. L’applicabilité de ces dérogations est une question autonome dont l’examen peut être
dissocié de celui du bien-fondé des demandes de l’Iran et nécessite un nombre limité de faits, que
les Etats-Unis portent ici à la connaissance de la Cour. Une décision dès ce stade servirait l’objectif
des dérogations, par lesquelles les deux Etats ont reconnu qu’il était impératif pour eux de
conserver leur liberté d’action dans ces domaines très sensibles touchant la sécurité nationale,
aucun traité commercial et consulaire ne pouvant édicter de restrictions à cet égard. De plus, le fait
de statuer d’emblée sur les présentes exceptions serait clairement dans l’intérêt de l’équité, de
l’économie de procès et de la bonne administration de la justice. L’Iran a invoqué neuf dispositions
différentes du traité. Un examen, dès ce stade préliminaire, des exceptions américaines fondées sur
le paragraphe 1 de l’article XX permettrait d’éviter la tenue devant la Cour d’une procédure inutile,
coûteuse et longue qui ferait intervenir des questions pointues de fait et d’interprétation concernant
chacune de ces dispositions.
6.5. Comme il sera expliqué dans la section A du présent chapitre, que les dérogations du
paragraphe 1 de l’article XX soient interprétées comme limitant ou non la compétence de la Cour,
le Règlement indique que leur applicabilité doit être déterminée à ce stade si les exceptions
américaines revêtent un caractère exclusivement préliminaire. Tel est le cas en l’espèce, puisque les
exceptions américaines touchent l’intégralité des demandes avancées par l’Iran et peuvent être
examinées sur la base d’un ensemble de faits autonome, sans qu’il soit nécessaire d’apprécier le
bien-fondé de l’interprétation ou de l’application des articles de fond du traité que l’Iran invoque
relativement aux mesures en cause. Ainsi qu’exposé dans la section B, les mesures américaines se
rapportent clairement à des substances nucléaires et relèvent de la dérogation prévue pour les
mesures concernant les «substances fissiles» à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX. En
outre, ainsi qu’exposé à la section C, les mesures de sanction contestées par l’Iran sont nécessaires
à la protection des intérêts vitaux des Etats-Unis sur le plan de la sécurité, au sens de la dérogation
énoncée à l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX. Chacune de ces dérogations justifie de rejeter
la thèse iranienne d’emblée, dès ce stade de la procédure.
SECTION A
LES DÉROGATIONS ÉNONCÉES AU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE XX PEUVENT
ET DOIVENT ÊTRE EXAMINÉES AU STADE PRÉLIMINAIRE DE LA PRÉSENTE
AFFAIRE, QU’ELLES AIENT OU NON UNE INCIDENCE SUR
LA COMPÉTENCE DE LA COUR
i. Une exception n’a pas à viser la compétence pour revêtir
un caractère exclusivement préliminaire
6.6. Il est important de souligner dès le départ que les Etats-Unis ne plaident pas ici que leurs
exceptions fondées sur le paragraphe 1 de l’article XX sont des exceptions d’incompétence. Bien
que le caractère juridictionnel du paragraphe 1 de l’article XX ait été récemment beaucoup débattu
devant la Cour lors de la phase de la présente affaire consacrée aux mesures conservatoires ainsi
que dans l’affaire relative à Certains actifs iraniens, les exceptions soulevées par les Etats-Unis
contre les demandes de l’Iran sur le fondement de cette disposition du traité, telles qu’elles sont
avancées ici, ne portent pas sur la question de savoir si la disposition en question doit être
70
- 55 -
interprétée comme limitant la compétence de la Cour220. Le paragraphe 1 de l’article 79 du
Règlement autorise expressément les exceptions préliminaires fondées sur les failles d’une
demande qui ne touchent ni la compétence ni la recevabilité mais qui appellent néanmoins une
décision à titre préliminaire, avant de passer au fond de l’affaire.
6.7. Comme il a été dit au chapitre 4, le texte de l’article 79 du Règlement de la Cour dispose
expressément que les exceptions préliminaires ne se limitent pas aux exceptions d’incompétence ou
d’irrecevabilité221. L’article 79 permet expressément au défendeur de soulever «toute autre
exception sur laquelle [il] demande une décision avant que la procédure sur le fond se
poursuive»222. En outre, depuis la révision de son Règlement en 1972, la Cour ne peut réserver
l’examen d’une exception préliminaire au stade du fond que lorsque celle-ci ne revêt pas «un
caractère exclusivement préliminaire»223. L’objectif de cette révision du Règlement était de
répondre au problème des questions qui, bien qu’«abondamment examinées une première fois au
stade préliminaire de la procédure … dev[aient] l’être une deuxième fois»224. Comme la Cour l’a
reconnu dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) (ci-après l’«affaire des Activités militaires et
paramilitaires»), la version révisée de l’article 79, «en qualifiant certaines exceptions de
préliminaires, … montre bien que, lorsqu’elles présentent exclusivement ce caractère, les
exceptions doivent être tranchées sans délai»225. De plus, une exception n’est pas privée de
caractère exclusivement préliminaire pour la simple raison qu’elle «effleur[e] certains aspects du
fond de l’affaire» ; une telle exception doit faire l’objet d’une décision au stade préliminaire sauf si
«la Cour ne dispose pas de tous les éléments nécessaires pour se prononcer sur les questions
220 Dans un souci de clarté, précisons que les Etats-Unis, bien qu’ils ne demandent pas à la Cour de réexaminer la
question de la compétence, n’en restent pas moins d’avis que les mesures relevant de l’une ou de l’autre des dérogations
prévues au paragraphe 1 de l’article XX du traité échappent au champ d’application de cet instrument, et donc à la
compétence de la Cour. Voir Certains actifs iraniens, exceptions préliminaires des Etats-Unis, par. 7.5 ; Certains actifs
iraniens, CR 2018/29, p. 11-14 (Daley) ; Violations alléguées du traité d’amitié, CR 2018/17, p. 33-37 (Grosh). La Cour
a qualifié autrement les dérogations établies au paragraphe 1 de l’article XX, qu’elle a considéré non pas comme faisant
obstacle à sa compétence mais comme étant susceptibles d’offrir une «défense au fond». Violations alléguées du traité
d’amitié, ordonnance en indication de mesures conservatoires du 3 octobre 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 635, par. 41 ;
Certains actifs iraniens, arrêt du 13 février 2019 sur les exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 25,
par. 45-47 ; voir aussi ibid., opinion individuelle de M. le juge ad hoc Brower, p. 69, par. 9. Les Etats-Unis s’inscrivent
respectueusement en faux mais n’insistent pas sur ce point aux fins des présentes exceptions préliminaires.
221 Voir aussi Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de
l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1998, p. 26, par. 47 (où la Cour a estimé que le «champ d’application ratione materiae [de l’article 79]
n’[était] donc pas limité aux seules exceptions d’incompétence ou d’irrecevabilité»).
222 Voir aussi Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 850, par. 47.
223 Article 79 du Règlement de la Cour ; C. Tomuschat, «Article 36», The Statute of the International Court of
Justice: A Commentary, troisième édition (2019), sous la dir. de A. Zimmermann et C. J. Tams, p. 793 (annexe 92).
224 C. Tomuschat, «Article 36», The Statute of the International Court of Justice: A Commentary, troisième
édition (2019), sous la dir. de A. Zimmermann et C. J. Tams, p. 793 (annexe 92) ; Certains actifs iraniens, arrêt du
13 février 2019 sur les exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 2019 (I), opinion individuelle commune de MM. les juges
Tomka et Crawford, p. 47-48, par. 6–7, (où il est expliqué que la révision de 1972 était «censé[e] avoir un effet
substantiel : il ne s’agissait pas d’une simple question de formulation» et que, selon l’opinion formulée par le juge
Jiménez de Aréchaga en dehors de ses fonctions judiciaires, cette révision excluait que la Cour adoptât «[l]a solution de
facilité, à savoir la solution neutre et, dans certains cas, diplomatique, d’une jonction au fond ⎯ mais qui, de fait,
revenait à reporter toute décision»).
225 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 31, par. 41.
71
- 56 -
soulevées ou si le fait de répondre à l’exception préliminaire équivaudrait à trancher le différend,
ou certains de ses éléments, au fond»226.
6.8. Dans ces conditions, même si les dérogations prévues au paragraphe 1 de l’article XX
sont qualifiées de défenses «au fond», la Cour peut et doit se prononcer sur leur applicabilité dès ce
stade préalable si l’examen à mener revêt un caractère exclusivement préliminaire. Cela nécessite
une analyse minutieuse de l’exception invoquée au regard des circonstances de l’espèce ; il ressort
clairement de la jurisprudence de la Cour que les décisions en la matière ne souffrent pas de
conclusions catégoriques227. La Cour n’a pas encore déterminé si les exceptions fondées sur le
paragraphe 1 de l’article XX pouvaient être considérées comme telles, que ce soit dans son récent
arrêt sur les exceptions préliminaires des Etats-Unis en l’affaire relative à Certains actifs iraniens
ou au stade des exceptions préliminaires dans les affaires des Activités militaires et paramilitaires
ou des Plates-formes pétrolières, qui sont les seules autres instances dans lesquelles elle a examiné
cette disposition ou une clause de dérogation analogue figurant dans un traité d’amitié, de
commerce et de navigation.
ii. Dans les circonstances de l’espèce, les exceptions des Etats-Unis fondées
sur le paragraphe 1 de l’article XX revêtent un caractère
exclusivement préliminaire
6.9. L’applicabilité des dérogations prévues au paragraphe 1 de l’article XX devrait être
déterminée au stade préliminaire de la présente affaire pour plusieurs raisons.
6.10. La première concerne la nature des dérogations et le fait que celles-ci sous-tendent
l’intégralité des demandes iraniennes en l’espèce. Il n’est pas contesté que, si l’une des dérogations
établies au paragraphe 1 de l’article XX s’applique à une mesure donnée, cette mesure n’est pas
interdite par le traité. Comme la Cour l’a expliqué dans l’affaire des Activités militaires et
paramilitaires à propos d’un article comparable du traité d’amitié conclu entre les Etats-Unis et le
Nicaragua, «les Parties s[e so]nt réservé chacune par [cet] article … la faculté de déroger aux autres
dispositions de cet instrument»228. Si les mesures contestées par l’Iran en l’espèce relèvent de l’une
ou des deux catégories invoquées qui sont décrites au paragraphe 1 de l’article XX, le traité ne les
assujettit à aucune restriction et il n’y a pas lieu de poursuivre la procédure. La Cour n’aurait ainsi
pas besoin d’interpréter les dispositions du traité que l’Iran invoque pour alléguer la violation,
puisque la thèse de celui-ci échouerait sans qu’il soit nécessaire de résoudre ces questions
d’interprétation. Cela signifierait en d’autres termes que, au regard du libellé du traité, la
dérogation ferait incontestablement et irrémédiablement obstacle à l’octroi des remèdes sollicités,
226 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 852, par. 51.
227 Voir M. N. Shaw, Rosenne’s Law and Practice of the International Court : 1920-2015, cinquième édition
(2015), vol. II, p. 906-907 (annexe [109]) (décrivant la souplesse avec laquelle la Cour aborde la question de savoir si une
exception revêt un caractère préliminaire ou constitue un moyen de défense au fond et citant des affaires dans lesquelles
une exception de même nature a, selon les circonstances, été considérée tantôt comme préliminaire tantôt comme un
moyen de défense à faire valoir au fond).
228 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 117, par. 225.
72
- 57 -
et que les demandes devraient être rejetées229. Lorsque, comme en l’espèce, une dérogation
sous-tend l’intégralité des demandes d’un demandeur, une décision rapide est dans l’intérêt de
l’équité due aux parties, de l’économie de procès et de la bonne administration de la justice, autant
de principes qui ont présidé à la révision du Règlement de la Cour en 1972. Statuer sur l’exception
à ce stade ouvrirait directement la voie au règlement de l’affaire et permettrait de faire l’économie
d’une longue procédure portant sur un large éventail d’autres questions230.
6.11. Deuxièmement, la propre jurisprudence de la Cour confirme que l’applicabilité de ce
type de dérogation peut être déterminée d’emblée, avant d’aborder toute question relative au
bien-fondé des demandes basées sur les dispositions de fond du traité. La décision en l’affaire des
Plates-formes pétrolières démontre que la Cour peut suivre cet ordre d’analyse s’agissant du traité
qui nous occupe ici. Dans son arrêt sur le fond de cette affaire, la Cour s’est d’abord penchée sur la
dérogation relative aux intérêts vitaux sur le plan de la sécurité avant de se demander si les mesures
contestées violaient une disposition de fond du traité. Dans cette affaire, les Etats-Unis n’avaient
pas présenté d’exception préliminaire fondée sur le paragraphe 1 de l’article XX, mais la Cour,
lorsqu’il lui a fallu analyser au stade du fond l’argument des Etats-Unis basé sur la dérogation
relative aux intérêts vitaux sur le plan de la sécurité, l’a fait avant d’aborder toute question relative
au bien-fondé des demandes de l’Iran. Elle a reconnu que, dans son arrêt en l’affaire des Activités
militaires et paramilitaires, elle avait d’abord traité les dispositions de fond du traité d’amitié
concerné avant de passer à son article consacré aux dérogations. Toutefois, la Cour a expliqué que
cet ordre d’analyse n’était à son sens pas «dicté par l’économie du traité ; [il] illustr[ait] plutôt le
principe selon lequel [elle] rest[ait] libre dans le choix des motifs sur lesquels elle fondera[it] son
arrêt», et qu’il existait dans l’affaire des Plates-formes pétrolières «des considérations
229 Même si, au paragraphe 69 de son ordonnance en indication de mesures conservatoires du 3 octobre 2018, elle
a estimé que «les droits de l’Iran ayant trait à l’importation et à l’achat de biens nécessaires à des fins humanitaires ou à
la sécurité de l’aviation civile ne p[ouvaient] être plausiblement considérés comme donnant lieu à l’invocation des
alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX», la Cour n’a fourni aucune explication sur le fondement de cette
conclusion, pas plus qu’elle n’a cité le moindre élément à l’appui. Les dérogations prévues au paragraphe 1 de
l’article XX du traité sont formulées de manière générale et n’indiquent pas qu’une quelconque catégorie de mesures soit
en elle-même exclue des catégories de mesures exemptées. Comme la Cour l’a reconnu dans l’affaire des Activités
militaires et paramilitaires, même un embargo total sur tout commerce avec un pays, comme celui imposé par les
Etats-Unis au Nicaragua en 1985, ne serait pas exclu s’il relevait de l’une des dérogations contenues dans un article
analogue du traité d’amitié entre les deux Etats. Voir Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 140-141, par. 280. A supposer qu’elle ait laissé
entendre que le traité d’amitié contenait selon elle des limitations implicites aux types de mesures relevant des
dérogations établies à l’article XX, la Cour n’a pas donné d’éléments étayant une telle lecture ni précisé les contours
qu’auraient ces limitations, les activités d’un pays étranger pouvant susciter des craintes en matière de sécurité même
dans le domaine de l’aviation civile ou dans le domaine humanitaire, selon les circonstances et les faits. Quoi qu’il en
soit, comme nous l’avons vu au chapitre 2, les mesures américaines en cause prévoient des exemptions et des
autorisations visant à faciliter de telles transactions.
230 Voir, par exemple, Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 463, par. 22
(opinion individuelle de M. Petrén, p. 488-489 : «Le motif principal de la revision des dispositions du Règlement…a été
d’éviter que la Cour, en réservant sa position sur une question préliminaire, ouvre une longue procédure sur les aspects de
fond d’une affaire pour constater en fin de compte que la réponse à la question préliminaire rendait cette procédure
superflue … Si la question préliminaire revêt un caractère relativement simple, tandis qu’un examen au fond donnerait
lieu à une procédure longue et compliquée, la Cour se doit de trancher tout de suite la question préliminaire.»)
73
- 58 -
particulières» justifiant d’analyser l’article XX en premier231. Il existe de même ici des
«considérations particulières» justifiant un tel ordre d’analyse.
6.12. Troisièmement, la nature de l’examen que la Cour doit mener pour déterminer
l’applicabilité des dérogations prévues au paragraphe 1 de l’article XX est dictée par les termes de
ces dérogations ; cet examen n’a absolument rien à voir avec celui qui sera éventuellement mené
pour apprécier le bien-fondé des demandes au regard des articles de fond du traité. Les faits
nécessaires pour statuer sur les dérogations sont également distincts des informations permettant
d’apprécier le bien-fondé des demandes de l’Iran et peuvent être présentés à un stade précoce de la
procédure. Comme il sera exposé plus avant à la section B, la seule question à trancher s’agissant
de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX est celle de savoir si les sanctions constituent des
mesures «[c]oncernant les substances fissiles, les sous-produits radioactifs desdites substances et
les matières qui sont la source de substances fissiles», une question qui peut être rapidement
tranchée en se reportant au texte du plan d’action. Comme nous le verrons plus en détail à la
section C ci-après, la seule question qui se pose à la Cour au sujet de l’alinéa d) du paragraphe 1 de
l’article XX est celle de savoir si les mesures du 8 mai étaient nécessaires à la protection des
intérêts vitaux des Etats-Unis sur le plan de la sécurité, et l’appréciation des Etats-Unis à cet égard
mérite une grande considération de la part de la Cour.
6.13. Pour autant que l’examen des dérogations prévues au paragraphe 1 de l’article XX
fasse intervenir des questions d’interprétation du traité ou en rapport avec des faits essentiels
concernant les mesures sous-jacentes, ces questions peuvent être réglées sur la base des faits
présentés à ce stade de la procédure, sans préjuger les demandes de l’Iran, ni même certains de
leurs éléments, au regard des articles de fond du traité invoqués par celui-ci. Point n’est besoin pour
ce faire de déterminer si les mesures particulières en cause emportent manquement à une
quelconque obligation envers les sociétés ou ressortissants iraniens qui découlerait d’articles de
fond du traité ⎯ concernant, par exemple, le standard minimum de traitement des biens étrangers
dans l’Etat hôte (paragraphe 2 de l’article IV) ou les protections en matière d’aliénation des biens
(paragraphe 1 de l’article V). En outre, le large pouvoir discrétionnaire que ces dérogations
relatives à la sécurité nationale confèrent à l’Etat qui les invoque distingue encore davantage ces
dernières des autres «défenses au fond», dont l’examen par la Cour serait de nature très différente.
6.14. Par conséquent, la présente instance peut aisément être dissociée de celles dans
lesquelles la Cour a jugé une exception dépourvue d’un caractère exclusivement préliminaire. Par
exemple, dans les affaires Lockerbie, les Etats-Unis soutenaient que les demandes de la Libye
fondées sur la convention de Montréal avaient été privées d’objet par des résolutions ultérieures du
Conseil de sécurité des Nations Unies. La Cour a reconnu dans ces affaires que le fait que
l’exception pût être considérée comme une défense au fond ne l’empêchait pas, en soi, de statuer à
un stade préliminaire pourvu que l’exception concernée présentât un caractère exclusivement
préliminaire. Elle a toutefois conclu que, dans les circonstances de ces affaires, l’exception était
«inextricablement liée» au fond puisque, pour statuer à son sujet, il fallait rendre «une décision
231 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003,
p. 179–180, par. 35-37. La Cour et d’autres juridictions ayant eu à analyser des dérogations analogues ont adopté la
même démarche et ont vérifié l’applicabilité de la dérogation avant d’examiner le bien-fondé des demandes basées sur
d’autres dispositions de l’accord pertinent. Voir, par exemple, Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie
c. Japon ; Nouvelle-Zélande (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, p. 249, par. 50 (dans lequel la Cour s’est
interrogée sur l’applicabilité d’une exception concernant l’ensemble de la convention avant de déterminer s’il y avait eu
violation d’une quelconque obligation de fond découlant de cet instrument, expliquant que «[l]es questions concernant
l’interprétation et l’application de l’article VIII de la Convention [étaient] au coeur de la présente espèce, et [que] c’[était]
donc par elles que la Cour entamera[it] son examen.» Voir aussi WTO Panel Report, «Russia — Measures Concerning
Traffic in Transit», doc. WT/DS512/R (5 avril 2019), section 7.4 («Order of Analysis») (annexe 110) (traitant l’argument
de la Russie relatif à la protection de ses intérêts vitaux sur le plan de la sécurité en vertu de l’alinéa iii) du litt. b) de
l’article XXI du GATT de 1994 avant d’examiner l’une quelconque des demandes de l’Ukraine au fond).
74
- 59 -
établissant que les droits revendiqués par la Libye aux termes de la convention de Montréal
[étaient] incompatibles avec les obligations découlant pour elle des résolutions du Conseil de
sécurité», ainsi qu’une décision faisant prévaloir les obligations prévues par lesdites résolutions.
Sur cette base, la Cour a décidé que l’exception ne revêtait pas un caractère exclusivement
préliminaire et ne pouvait donc être appréciée en tant qu’exception préliminaire232.
6.15. Dans la présente instance, en revanche, l’examen à mener au regard du paragraphe 1 de
l’article XX n’est, par définition, pas «inextricablement li[é]» au bien-fondé des demandes basées
sur les articles de fond du traité. Contrairement à la situation dans les affaires Lockerbie, point n’est
besoin ici d’examiner les droits de l’Iran au titre des articles de fond que celui-ci invoque pour
déterminer si les mesures contestées relèvent des dérogations établies à l’alinéa b) ou d) du
paragraphe 1 de l’article XX. En effet, ledit paragraphe vise précisément à prévoir des
circonstances dans lesquelles les obligations établies ailleurs dans le traité ne s’appliqueront pas.
Par suite, l’exception est indépendante et le fait d’aborder le fond n’apporterait rien233.
6.16. Quatrièmement, une décision dès le début de la présente affaire, avant tout examen au
fond, sur les exceptions américaines fondées sur le paragraphe 1 de l’article XX serait conforme à
l’objet des dérogations prévues dans le traité puisqu’elle permettrait de préserver les prérogatives
des Etats-Unis en matière de sécurité nationale. Cela vaut d’autant plus que, en l’espèce, les
dérogations sont invoquées à l’égard de toutes les mesures contestées par le demandeur. Comme on
l’a vu au chapitre 3, les dérogations ménagées au paragraphe 1 de l’article XX l’ont été pour faire
en sorte que les obligations établies par le traité, qui ont trait au commerce et aux investissements
privés entre les sociétés et ressortissants respectifs des Parties ou sur le territoire de celles-ci,
n’empêchent pas les Parties de prendre les mesures nécessaires pour servir ou protéger leurs
intérêts s’agissant de questions importantes et sensibles de sécurité nationale. En adoptant l’article
relatif aux dérogations, les Parties sont expressément convenues que le traité ne régirait pas de
telles mesures et ont exclu ces dernières du champ d’application des obligations y énoncées. Ce
faisant, elles ont expressément préservé leur droit souverain de prendre pareilles mesures. Comme
on le verra plus en détail aux sections B et C ci-après, les restrictions relatives aux substances
nucléaires et les sanctions économiques adoptées pour des raisons de sécurité nationale constituent
exactement le type de mesures envisagé. Les différends quant aux questions y afférentes devaient
être réglés indépendamment du traité. La tentative de l’Iran, qui vise à entraîner les Etats-Unis dans
une procédure complexe et prolongée sur la base d’articles conventionnels qui ne régissent tout
bonnement pas les questions en cause, va directement à l’encontre de la liberté d’action souveraine
que l’article relatif aux dérogations a expressément ménagée aux Etats-Unis.
6.17. Enfin, l’Iran ne saurait faire échec aux exceptions préliminaires en refusant simplement
de les envisager, et la Cour ne doit pas le laisser faire. Il serait totalement incompatible avec les
principes de l’équité et de l’économie de procès que le refus d’un demandeur d’examiner la teneur
d’une exception exclusivement préliminaire soit considéré comme une raison de réserver la
question pour le stade du fond. Lorsque, comme en l’espèce, une exception a été dûment présentée
et justifiée et que le demandeur a eu la possibilité de répondre aux points soulevés, la Cour doit
peser les éléments de preuve dont elle dispose et trancher immédiatement, nonobstant le refus du
demandeur d’entrer dans le vif du sujet. Tel est particulièrement le cas lorsque, comme ici, l’Etat
232 Voir Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident
aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1998, p. 131-134, par. 45-50.
233 Voir, par exemple, Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 852, par. 51 ; Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 610, par. 53.
75
76
- 60 -
défendeur invoque des dérogations relatives à la sécurité nationale prévoyant que le traité «ne fera
pas obstacle» à des mesures qui sont précisément de l’ordre de celles en cause.
SECTION B
LES MESURES AMÉRICAINES CONCERNENT LES SUBSTANCES FISSILES
(ALINÉA B) DU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE XX)
6.18. Toutes les mesures en litige sont des mesures de sanction que les participants au plan
d’action, y compris l’Iran, ont expressément qualifiées de «liées au nucléaire», ce qui signifie
qu’elles ont été imposées en relation avec le programme nucléaire iranien. Selon les termes de
l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX, le traité d’amitié n’impose aucune obligation de fond
aux Parties relativement aux mesures «[c]oncernant les substances fissiles, les sous-produits
radioactifs desdites substances et les matières qui sont la source de substances fissiles». Par
conséquent, cette disposition fait obstacle aux demandes de l’Iran, qui doivent être rejetées.
i. L’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX exclut catégoriquement
les mesures concernant les substances nucléaires
6.19. Lorsque le texte de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX est lu dans son contexte
et à la lumière de l’objet et du but du traité, il apparaît clairement que ce dernier exclut
catégoriquement de son champ d’application tout un éventail de mesures liées aux substances
nucléaires. Par ses termes, cette dérogation autonome exclut toutes les mesures «[c]oncernant les
substances fissiles, les sous-produits radioactifs desdites substances et les matières qui sont la
source de substances fissiles».
6.20. L’Iran a beau soutenir que la dérogation a une portée restreinte puisque limitée aux
mesures régissant directement le commerce de telles substances234, le texte et le contexte de
l’alinéa b) du paragraphe 1 confirment que cette disposition ménage une exception pour tout un
éventail de mesures «concernant» ces substances. Le terme «concernant» qui est utilisé dans le
traité offre manifestement aux Parties davantage de souplesse et de latitude que d’autres termes du
même article. Par exemple, le libellé de cette dérogation prévue à l’alinéa b), qui ménage une
exception pour les mesures «[c]oncernant les substances fissiles», tranche avec celui de la
dérogation énoncée à l’alinéa a), qui exclut uniquement les mesures réglementant «l’importation
ou l’exportation de l’or ou de l’argent». Cette différence textuelle révèle que l’alinéa b) du
paragraphe 1 vise à l’évidence bien davantage que les restrictions à l’importation et à l’exportation
des substances fissiles, de leurs sous-produits radioactifs ou des matières qui en sont la source.
L’alinéa b) vise également bien davantage que les mesures «réglementant» l’utilisation de ces
substances puisque le terme «concernant» y a été utilisé, alors que le terme «réglementant» a été
retenu aux alinéas a) et c). La formulation souple de l’alinéa b) du paragraphe 1 contredit
l’interprétation rigide de l’Iran et laisse une large place à toute une série de mesures élaborées et
adoptées pour contrôler et prévenir la prolifération de substances nucléaires sensibles.
6.21. L’Iran s’oppose à cette interprétation, affirmant qu’interpréter l’alinéa b) du
paragraphe 1 comme exemptant les mesures «liées à l’activité nucléaire au sens large» priverait le
traité de son objet et de son but235. Cette affirmation générale ne repose sur aucune preuve ou
analyse. L’objet et le but du traité ne suggèrent nullement que l’alinéa b) du paragraphe 1 signifie
autre chose que ce que dit clairement son libellé. Le traité a pour objet «d’encourager les échanges
234 MI, par. 9.11 et 9.18.
235 Ibid., par. 9.15-9.16.
77
- 61 -
et les investissements mutuellement profitables et l’établissement de relations économiques plus
étroites entre [les] peuples [des Parties]», ainsi que de régler les relations consulaires entre les deux
Etats236. Mais il n’a pas pour objet de restreindre le champ d’action de l’une ou l’autre des Parties à
l’égard des questions indiscutablement délicates et complexes concernant l’utilisation, les
applications ou la prolifération des substances fissiles, pas plus qu’à l’égard d’autres catégories de
mesures de sécurité exemptées par le paragraphe 1 de l’article XX.
6.22. Le contexte historique étaye l’interprétation que les Etats-Unis font du libellé de
l’alinéa b) du paragraphe 1. Dans son étude sur les traités d’amitié, à laquelle l’Iran a lui aussi fait
référence dans ses exposés, Charles Sullivan explique que la dérogation relative aux substances
fissiles est inspirée d’une dérogation analogue figurant dans le projet de charte de l’Organisation
internationale du commerce (OIC), ainsi qu’au point i) de l’alinéa b) de l’article XXI de l’accord
général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT)237. Comme les traités d’amitié, la charte de
l’OIT énonçait un vaste éventail d’engagements relatifs aux relations économiques, à l’emploi et au
commerce, et la dérogation concernant les substances fissiles, entre autres dérogations liées à la
sécurité nationale, figurait dans un article établissant des «Exceptions générales» à l’ensemble des
dispositions de fond de la charte238. L’importance fondamentale de cette dérogation, en tant qu’elle
préserve le pouvoir discrétionnaire des Etats de prendre un large éventail de mesures économiques
lorsque ces substances sensibles sont en jeu, a également été discutée par le Congrès des Etats-Unis
lors des débats relatifs à la ratification de traités d’amitié239. Au lendemain de la seconde guerre
mondiale, les questions relatives aux substances nucléaires constituaient une préoccupation
majeure pour la sécurité nationale et faisaient l’objet d’intenses discussions et négociations, dans
d’autres enceintes et sous l’angle d’autres instruments. Les Etats-Unis venaient tout juste d’adopter
leur loi sur l’énergie atomique pour réglementer et contrôler les substances fissiles, et ils
participaient aux efforts menés sur le plan international en vue de l’établissement de l’agence
internationale de l’énergie atomique et de la négociation d’accords de coopération entre alliés dans
le domaine du nucléaire civil. Ces efforts se sont poursuivis et ont continué à porter leurs fruits au
fil des ans, débouchant par exemple sur la conclusion du traité sur la non-prolifération des armes
nucléaires et la création du groupe des fournisseurs nucléaires240. La dérogation concernant les
substances fissiles qui figurait dans les traités d’amitié conclus par les Etats-Unis permettait de
faire en sorte que les engagements contractés par ceux-ci dans le cadre de traités commerciaux ne
vinssent pas entraver leurs efforts dans ce domaine nouveau et extrêmement sensible. L’utilisation
du terme général «concernant» est logique dans ce contexte, puisque celui-ci offrait une certaine
souplesse alors que de nouvelles mesures étaient élaborées, au-delà de celles réglementant le
236 Voir Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 813, par. 27.
237 Etude de M. Sullivan, p. 306 (annexe 111)
238 Les exceptions concernant les substances fissiles ou d’autres raisons de sécurité nationale avaient été
initialement incluses dans un ensemble différent d’exceptions qui n’avait d’incidence que sur les dispositions de la charte
relatives au commerce, mais les Etats-Unis proposèrent de déplacer les exceptions relatives à la sécurité pour les placer
dans un article prévoyant des exceptions générales à la charte dans son ensemble. Cette proposition ayant été acceptée par
les autres Etats, le projet final reflète le caractère distinct et spécial de ces exceptions fondées sur la sécurité. Voir
Nations Unies, deuxième session de la commission préparatoire de la conférence du commerce et de l’emploi, 6 mai
1947, doc. E/PC/T/W/23 (délégation des Etats-Unis), p. 5 (annexe 112) (proposant que cette exception, entre autres, soit
supprimée de «l’article 37, qui ne se rapporte qu’au chapitre V … et d’en faire, dans un article nouveau à insérer à une
place appropriée, vers la fin de la Charte, des exceptions générales applicables à l’ensemble de la Charte»).
239 Voir Hearing on the Proposed Treaty of Friendship, Commerce and Navigation between the United States and
Italian Republic, 80th Congress, 2nd Session (30 avril 1948), p. 22 (Statement of William Thorp) (annexe 113) (où il est
expliqué que cette disposition ne figurait pas dans le traité de 1948 entre les Etats-Unis et la République de Chine, lequel
avait été négocié avant la création de la Commission de l’énergie atomique et «avant qu’un quelconque organe
gouvernemental n’eût déterminé l’importance d’une telle disposition»).
240 Voir, par exemple, J. B. Schwartz, «Controlling Nuclear Proliferation: Legal Strategies of the United States»,
Law and Policy in International Business, 1988, vol. 20, nos 1 et 2 (annexe 114).
78
- 62 -
commerce direct des substances fissiles elles-mêmes241, pour prévenir les utilisations illicites de
substances nucléaires dans un pays étranger, et notamment pour entraver l’accès aux ressources
nécessaires aux activités posant un risque de prolifération242.
6.23. Dans la pratique, les sanctions économiques sont devenues un outil central dans la lutte
contre la prolifération. Cependant qu’ils négociaient leurs traités d’amitié et par la suite, les
Etats-Unis ont, par de multiples lois et règlements, mis au point un arsenal de mesures de sanction
destiné à leur permettre de contrer de telles menaces et de peser à cette fin sur les négociations. Par
exemple, en vertu du droit américain, les Etats étrangers qui violent les accords de garanties de
l’AIEA ou qui se livrent à des activités de prolifération préoccupantes sont assujettis non seulement
à des restrictions à l’exportation de substances nucléaires, mais aussi à des conditions relatives à
l’aide étrangère, à des restrictions à l’importation et à l’exportation, à une opposition des Etats-Unis
aux prêts des institutions financières internationales ainsi qu’à des sanctions de blocage visant à
empêcher les entités visées d’accéder au système financier américain243. Toutes ces catégories de
mesures débordent largement le cadre des traités commerciaux bilatéraux et satisfont aisément au
critère élémentaire établi par l’emploi du terme «concernant» à l’alinéa b) du paragraphe 1 de
l’article XX du traité.
ii. Les sanctions en litige relèvent de l’alinéa b)
du paragraphe 1 de l’article XX
6.24. Pour constater que l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX fait obstacle aux
demandes de l’Iran dans cette affaire, il suffit à la Cour d’examiner ce que celui-ci cherche en
substance à obtenir ainsi que le texte du plan d’action. L’Iran a clairement indiqué que cette affaire
avait pour «unique objet» les mesures du 8 mai, c’est-à-dire les mesures précédemment levées par
les Etats-Unis en application du plan d’action puis rétablies par leur décision du 8 mai. Il demande
à la Cour de lui permettre de bénéficier à nouveau de la levée des sanctions prévue dans le plan
d’action en ordonnant aux Etats-Unis de cesser de mettre en oeuvre les instruments de sanction qui
sont visés dans ledit plan244. Toutes les mesures en question sont des mesures «concernant» les
substances fissiles au sens de l’alinéa b) du paragraphe 1, et l’Iran ne devrait pas être autorisé
aujourd’hui à les présenter autrement afin de tenter de contourner la dérogation claire qu’il avait
acceptée dans ce paragraphe du traité.
241 Dans son étude, M. Sullivan note que la référence aux «sous-produits radioactifs» a été incluse «à des fins
d’exhaustivité et de cohérence, sur le plan terminologique, avec les dispositions de l’Atomic Energy Act de 1946 (60 Stat.
755) et la législation ultérieure sur ce sujet». Etude de M. Sullivan, p. 306 (annexe 111).
242 Voir, par exemple, R. R. Wilson, U. S. Commercial Treaties and International Law, 1960, p. 153-154
(annexe 115) (où il est relevé que cette dérogation pourrait s’appliquer à l’équipement utilisé dans les activités minières) ;
voir aussi General Agreement on Tariffs and Trade, Summary Record of the 22nd Meeting, doc. GATT/CP.3/SR.22
(8 juin 1949) (annexe 117) et General Agreement on Tariffs and Trade, Statement by John W. Evans, Vice Chairman of
the Delegation of the United States, doc. GATT/CP.3/38 (2 juin 1949) (annexe 116) (où la dérogation relative aux
substances fissiles analogue du GATT est invoquée s’agissant de restrictions à l’exportation de foreuses minières qui
étaient recherchées pour l’extraction du charbon mais qui auraient également pu servir à l’extraction d’uranium).
243 Par exemple, l’Arms Export Control Act (AECA) prévoit une série de sanctions contre les Etats qui violeraient
les garanties de l’AIEA ou les Etats non dotés d’armes nucléaires qui feraient exploser un dispositif explosif nucléaire ou
se livreraient à certains autres actes préoccupants. L’Export-Import Bank Act annule le droit de bénéficier de garanties,
d’une assurance ou d’un crédit et le Foreign Assistance Act restreint l’aide, pour des motifs semblables. Voir
J. B. Schwartz, «Controlling Nuclear Proliferation: Legal Strategies of the United States», Law and Policy in
International Business, 1988, vol. 20, no 1, p. 51-55 (annexe 114).
244 Voir, par exemple, MI, par. 1.13 (expliquant que la présente affaire a «pour unique objet» les mesures du
8 mai) ; ibid., par. 2.5 («Les Etats-Unis avaient imposé ces mesures par le passé, puis les avaient levées dans le cadre de
la mise en oeuvre du plan d’action.»)
79
80
- 63 -
6.25. Toutes les mesures en cause sont énumérées à l’annexe II du plan d’action et ont été
classées et définies par les participants à ce plan, y compris l’Iran, comme des
«sanctions … nationales relatives au programme nucléaire de l’Iran»245. De fait, la relation entre les
sanctions et le programme nucléaire iranien a revêtu une importance fondamentale aussi bien pour
l’Iran que pour les Etats-Unis (ainsi que d’autres participants au plan d’action) tout au long des
négociations approfondies qui ont été menées, étant donné que c’est à son aune que l’ampleur de la
levée des sanctions a été négociée, et à elle que cette levée était conditionnée. En concluant
l’accord nucléaire provisoire, connu sous le nom de plan d’action conjoint, l’Iran, les Etats-Unis et
leurs partenaires ont posé le principe fondamental selon lequel la mise en oeuvre par l’Iran des
mesures liées au nucléaire «entraînera[it] la levée de toutes les sanctions imposées par le Conseil de
sécurité [de l’Organisation] des Nations Unies et des sanctions multilatérales ou nationales
relatives [à son] programme nucléaire»246. De même, à un tournant des négociations relatives au
plan d’action, lorsque les parties ont défini les paramètres de l’accord final, l’Iran et l’Union
européenne ont fait une déclaration commune présentant ce principe fondamental en ces termes :
«les Etats-Unis cesseront d’appliquer toute sanction économique et financière secondaire liée au
nucléaire»247. Ainsi qu’il ressort du texte final du plan d’action, s’agissant de leurs sanctions, les
Etats-Unis se sont engagés à «cesser[] … d’appliquer, conformément au … Plan d’action, les
sanctions énoncées à l’annexe II, et [à] continuer[] de le faire, parallèlement à l’application par
l’Iran, vérifiée par l’AIEA, des mesures convenues relatives au nucléaire, comme indiqué à
l’annexe V»248, l’annexe II contenant «une liste complète et détaillée de toutes les sanctions et
mesures restrictives liées aux activités nucléaires»249.
6.26. Comme il a été dit au chapitre 2, les Etats-Unis se sont dotés de tout un arsenal de
mesures de sanction pour répondre aux menaces particulières posées par l’Iran, mais les mesures
qui sont en cause ici sont uniquement celles qu’ils ont imposées en réaction aux manquements
répétés de l’Iran à ses obligations en matière de non-prolifération nucléaire et à la poursuite de ses
activités nucléaires illicites. Ces mesures visaient à priver l’Iran des ressources et des fonds dont il
avait besoin pour concrétiser ses ambitions nucléaires ou mettre au point une arme nucléaire. Ce
sont ces sanctions, et elles seules, que les Etats-Unis se sont engagés à lever en application du plan
245 Plan d’action, préambule, al. V, texte principal, par. 24 ; section 4 de l’annexe II (MI, annexe 10) («Les
Etats-Unis s’engagent à cesser d’appliquer toutes les sanctions liées au nucléaire énoncées dans les sections 4.1 à 4.9
ci-après, et à s’efforcer d’obtenir des mesures législatives appropriées ou la modification des textes en vigueur pour y
mettre fin, et à abroger les décrets présidentiels 13574, 13590, 13622 et 13645, et des articles 5 à 7 et 15 du décret
présidentiel 13628, conformément à l’annexe V») ; voir aussi Joint Statement by EU High Representative
Federica Mogherini and Iranian Foreign Minister Javad Zarif (14 juillet 2015) (annexe 118) («Le [plan d’action]
comprend le propre plan de l’Iran à long terme avec les limitations convenues concernant son programme nucléaire, et
entraînera la levée générale de toutes les sanctions du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies ainsi que
des sanctions multilatérales et nationales liées au programme nucléaire de l’Iran, y compris des mesures relatives à
l’accès dans les domaines du commerce, de la technologie, de la finance et de l’énergie.»).
246 Plan d’action, préambule (MI, annexe 10).
247 Déclaration commune de Mme Federica Mogherini, haute représentante de l’UE, et de M. Javad Zarif,
ministre iranien des affaires étrangères (2 avril 2015) (accessible à l’adresse suivante : https://eeas.europa.eu/genericwarning-
system-taxonomy/404/5653/node/5653_fr (annexe 119).
248 Plan d’action, texte principal, par. 21 (MI, annexe 10).
249 Ibid., par. 24.
81
- 64 -
d’action250 et ce sont ces mesures, et elles seules, que l’Iran cherche, au moyen de présente affaire,
à faire lever par les Etats-Unis.
6.27. L’Iran a beau tenter de faire croire que l’«objet» des sanctions levées dans le cadre du
plan d’action ne concerne pas les substances fissiles, il reconnaît lui-même que «le plan d’action a
levé des sanctions qui avaient été motivées par l’existence d[e son] prétendu programme militaire
nucléaire»251. Ainsi qu’exposé précédemment, l’alinéa b) du paragraphe 1 ne vise pas uniquement
les mesures qui sont directement applicables aux substances nucléaires elles-mêmes ou en
réglementent l’utilisation, mais prévoit une dérogation pour les mesures «concernant» ces
substances. Le fait que les sanctions aient finalement été réimposées à la fois pour des raisons liées
au nucléaire et pour d’autres raisons importe peu, comme nous le verrons plus loin. Les Etats
prennent souvent des mesures pour atteindre plusieurs objectifs ; cela n’enlève rien au fait que, en
l’espèce, les mesures en cause sont liées au programme nucléaire de l’Iran.
6.28. Le lien qui existe entre les mesures en litige ici et le programme nucléaire iranien a été
inscrit noir sur blanc dans le plan d’action et il délimite les contours des remèdes que l’Iran réclame
en l’instance. Celui-ci ne saurait redessiner aujourd’hui ces contours pour prétendre autre chose.
Les sanctions liées au nucléaire qui sont en cause sont des mesures qui relèvent de la dérogation
catégorique ménagée dans le traité «[c]oncernant les substances fissiles, les sous-produits
radioactifs desdites substances et les matières qui sont la source de substances fissiles», et la thèse
de l’Iran devrait être rejetée pour ce motif.
SECTION C
LES MESURES AMÉRICAINES ÉTAIENT NÉCESSAIRES À LA PROTECTION DES INTÉRÊTS
VITAUX DES ETATS-UNIS SUR LE PLAN DE LA SÉCURITÉ
(ALINÉA D) DU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE XX)
6.29. L’article XX oppose un autre obstacle, indépendant, à la thèse iranienne : il s’agit de la
dérogation relative aux intérêts vitaux sur le plan de la sécurité qui est énoncée à l’alinéa d) de son
paragraphe 1. L’analyse superficielle que l’Iran fait de cette dérogation dans son mémoire ⎯ qu’il
rejette comme «inapplicable» et dont l’invocation par les Etats-Unis ne repose selon lui sur aucune
«réalité» ⎯ défie l’entendement. C’est l’Iran qui semble avoir perdu le sens des réalités. Depuis
1979, le régime iranien mène une politique d’hostilité envers les Etats-Unis. La proposition selon
laquelle la dérogation prévue dans le traité d’amitié quant aux intérêts vitaux sur le plan de la
sécurité ne serait pas pertinente à l’égard des mesures de sanction en cause en l’espèce est
dépourvue de toute crédibilité.
250 Tout comme les engagements pris par l’Union européenne à l’égard de ses mesures de sanction, ceux des
Etats-Unis étaient sans préjudice des sanctions appliquées en vertu d’autres instruments juridiques, ce qui était précisé
expressément. Voir annexe II, note 14 (MI, annexe 10) («Sauf stipulation contraire explicite, la levée des sanctions
décrites dans la présente section ne s’applique pas aux transactions faisant intervenir des personnes inscrites sur la «Liste
SDN» et s’entend sans préjudice de l’application de sanctions pouvant découler de dispositions juridiques autres que
celles citées dans la section 4») ; voir aussi note 4 (relative aux mesures de l’UE) («Sauf indication contraire, la levée des
sanctions décrite dans la présente section ne concerne pas les transactions impliquant des personnes restant visées par des
mesures de restriction et est sans préjudice des sanctions qui pourraient s’appliquer en vertu de dispositions juridiques
autres que celles visées dans la section 1.»). Comme l’a déclaré publiquement le secrétaire d’Etat Kerry le 14 juillet 2015,
«ce que nous annonçons aujourd’hui, c’est un accord répondant à la menace posée par le programme nucléaire de l’Iran,
un point c’est tout ; il s’agit uniquement de ce programme... Ainsi, un certain nombre de sanctions américaines
demeureront en vigueur, notamment celles liées au terrorisme, aux droits de l’homme et aux missiles balistiques.
U.S. Department of State, «Press Availability on Nuclear Deal with Iran» (15 juillet 2015), accessible à l’adresse
suivante : https://2009-2017.state.gov/secretary/remarks/2015/07/244885.htm (annexe 120).
251 MI, par. 9.21.
82
- 65 -
6.30. Les sanctions liées au nucléaire que les Etats-Unis se sont engagés à lever dans le cadre
du plan d’action en 2015 constituaient un puissant arsenal de mesures imposées sur une période de
plusieurs années dans le contexte d’efforts multilatéraux visant à priver l’Iran des ressources et des
sources de financement nécessaires à son programme nucléaire. En mai 2018, les Etats-Unis ont
conclu que la levée de ces sanctions permettait à l’Iran d’engranger des ressources qu’il pouvait
utiliser pour se doter de missiles balistiques et mener d’autres activités déstabilisatrices dans la
région, en sus d’ouvrir une large brèche dans l’arsenal à leur disposition pour faire face aux
diverses menaces (nucléaires et autres) que l’Iran continuait de faire peser sur eux et leurs
ressortissants252. Les Etats-Unis ont finalement décidé que le rétablissement de ces mesures était
nécessaire pour répondre à ces menaces et protéger ainsi leurs intérêts vitaux sur le plan de
sécurité, des menaces qui étaient liées non seulement aux ambitions nucléaires de l’Iran, mais aussi
aux activités de développement de missiles balistiques menées par celui-ci, à son soutien au
terrorisme international, à sa campagne croissante de déstabilisation régionale et à sa pratique
consistant à détenir arbitrairement des ressortissants américains. La décision des Etats-Unis de
recourir à cet arsenal plus complet d’outils de sanction pour contrer les menaces de l’Iran et obtenir
finalement une solution au problème relève fondamentalement de la sécurité nationale. Il s’agit de
mesures dont les Parties sont expressément convenues, par l’alinéa d) du paragraphe 1 de
l’article XX, qu’elles ne seraient pas interdites par le traité et la décision des Etats-Unis à cet égard
mérite une grande considération de la part de la Cour. Les remèdes sollicités par l’Iran en l’espèce
entrent clairement en conflit avec les droits réservés aux Etats-Unis par cette dérogation, et la Cour
devrait rejeter les demandes de l’Iran pour cette raison également.
i. La dérogation relative aux intérêts vitaux sur le plan de la sécurité figurant
à l’alinéa d) du paragraphe 1 accorde une grande latitude pour répondre
aux préoccupations en la matière
6.31. Aux termes de l’alinéa d) du paragraphe 1 de son article XX, le traité «ne fera pas
obstacle à l’application de mesures … nécessaires … à la protection des intérêts vitaux
[d’une] … Partie … sur le plan de la sécurité». La portée de cette dérogation et le large pouvoir
discrétionnaire qu’elle confère à l’Etat qui l’invoque ressortent clairement du libellé de cette clause,
et est confirmée par le contexte de celle-ci, par l’objet et le but du traité, ainsi que par des moyens
complémentaires d’interprétation.
6.32. Comme la Cour l’a reconnu dans son arrêt sur le fond de l’affaire des Activités
militaires et paramilitaires, la notion d’«intérêts vitaux sur le plan de la sécurité» est large ; elle
«déborde certainement la notion d’agression armée et a reçu dans l’histoire des interprétations fort
extensives»253. Par exemple, à la différence des autres dérogations énoncées au paragraphe 1 de
l’article XX, celle relative aux intérêts vitaux sur le plan de la sécurité n’est pas limitée à un type
précis de menace ou d’objet, pas plus qu’elle n’exige que les mesures exemptées servent à
permettre à une Partie de s’acquitter de ses obligations en matière de maintien ou de rétablissement
de la paix et de la sécurité internationales. Ainsi, tandis que la première clause de l’alinéa d) du
paragraphe 1 recouvrirait la mise en oeuvre des sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies
ou d’autres obligations imposées par le chapitre VII de la Charte des Nations Unies254, la clause
distincte relative aux intérêts vitaux sur le plan de la sécurité offre une base indépendante justifiant
de soustraire des mesures au champ d’application du traité. Dès lors, par ses termes mêmes, cette
disposition recouvre clairement les mesures qui ne vont pas de pair avec une action du Conseil de
252 Pompeo Iran Strategy Remarks, voir note 87 ci-dessus (annexe 139).
253 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 117, par. 224.
254 Voir ibid., p. 116, par. 223.
83
- 66 -
sécurité ou une autre initiative multilatérale et dont l’objet ne va peut-être pas jusqu’à constituer ce
que le Conseil a qualifié de menace pour la paix et la sécurité internationales.
6.33. En ce qui concerne le sens du terme «nécessaire», l’appréciation de l’Etat qui a pris les
mesures pour protéger ses intérêts vitaux sur le plan de la sécurité mérite une grande considération.
L’histoire des négociations de cet instrument et d’autres traités d’amitié confirme que la dérogation
en question visait à faire en sorte que le traité ne vienne pas entraver les décisions relatives à la
sécurité nationale ou l’évaluation des moyens à utiliser pour réagir aux menaces en la matière. Par
exemple, lorsque l’Iran a proposé une modification du paragraphe 1 de l’article II du traité au cours
des négociations afin de conférer aux parties une certaine latitude en matière de réglementation de
la sécurité intérieure, le département d’Etat a noté que les «[i]ntérêts liés à la sécurité» étaient déjà
«couverts par l’article XX-1-d» et que le «[d]roit suprême de l’Etat de prendre des mesures pour se
protéger et assurer la sécurité publique [était] pleinement reconnu dans le traité»255. L’Iran en est
apparemment convenu puisqu’il a approuvé le texte final du traité sans la modification qu’il
proposait. Dans son étude, M. Sullivan relève de même la «grande latitude conférée à chaque
partenaire du traité par la réserve relative aux intérêts vitaux sur le plan de la sécurité», qu’il décrit
comme préservant le droit des parties de s’écarter des obligations de fond du traité lorsque les
conditions appropriées sont réunies256.
6.34. La dérogation à l’examen réserve donc à chaque Etat le droit souverain de décider des
mesures les plus appropriées à son sens pour faire face à de telles menaces pour la sécurité
nationale, et elle était destinée à s’appliquer dès lors qu’elle était invoquée de bonne foi. Dans le
contexte d’un débat sur la ratification en 1953, le sénateur Hickenlooper a ainsi souligné que
«[p]areils traités [avaient] été formulés de manière à préserver de toute atteinte ou limitation le
droit des Etats-Unis de prendre les mesures de sécurité pouvant leur sembler nécessaires... Chacun
des traités … contient une réserve générale indiquant clairement qu’aucune de ses dispositions ne
sera réputée entamer le droit de l’une ou l’autre des parties de prendre les mesures
«nécessaires … à la protection de[ ses] … intérêts vitaux … sur le plan de la sécurité»»257. Au
cours des négociations relatives à leur traité d’amitié avec l’Allemagne, qui fut examiné à la même
époque que leur traité d’amitié avec l’Iran, les Etats-Unis avaient donné à l’Allemagne l’assurance
que
«le texte [avait] été rédigé de manière à conférer aux deux parties un large pouvoir
discrétionnaire afin qu’elles puissent prendre les mesures requises dans un futur
indéterminé … [Les négociateurs américains avaient alors] souligné que les mots
«nécessaires» et «vitaux» avaient été ajoutés pour insister sur le fait que la réserve ne
devait pas être invoquée à la légère»258.
Les Etats-Unis avaient en outre relevé que «les juridictions nationales et internationales
accorderaient probablement beaucoup de poids aux arguments présentés par le gouvernement
255 Télégramme no 1561 en date du 15 février 1955 adressé à l’ambassade américaine à Téhéran par le
département d’Etat américain (les italiques sont de nous) (annexe 121).
256 Etude de M. Sullivan, p. 308 (annexe 111) ; voir aussi dépêche no 238 en date du 15 septembre 1954 adressée
au département d’Etat américain par l’ambassade américaine à La Haye, p. 2 (annexe 122) (où il est souligné que «la
présence dans le traité d’une vaste réserve relative à la sécurité est cependant jugée essentielle par les Etats-Unis»).
257 Hearing before the Senate on the Treaty of Friendship, Commerce and Navigation between the United States
of America and Israel, 99th Congress (21 juillet 1953) (annexe 123).
258 Dépêche no 2254 en date du 17 février 1954 adressée au département d’Etat américain par la haute
commission des Etats-Unis à Bonn, p. 1-2 (annexe 124) (les italiques sont de nous).
84
85
- 67 -
invoquant la réserve et qu’il leur serait difficile de trouver un motif de contestation dont elles
pourraient connaître»259.
6.35. Dans l’esprit des Etats-Unis et pour qu’ils acceptent la clause compromissoire figurant
dans les traités d’amitié (dont la première remonte au traité d’amitié sino-américain de 1948), il
était essentiel que les mesures de sécurité vitales fussent soustraites (et non soumises) à
l’application des obligations de fond du traité. Comme l’a expliqué le département d’Etat lors d’un
débat sur la ratification :
«La clause compromissoire … est limitée aux questions d’interprétation ou
d’application de ce traité, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une clause compromissoire
spéciale et non générale. Elle s’applique à un traité dont la négociation fait l’objet
d’une documentation volumineuse indiquant l’intention des parties. Ce traité porte sur
des sujets communs à un grand nombre d’autres traités, conclus sur une longue
période par presque toutes les nations. Leur teneur générale, et parfois leurs termes
presque identiques, ont été largement examinés par les juridictions de ce pays et
d’autres. Les autorités à consulter pour interpréter ce traité sont donc amplement
établies et connues. En outre, certains sujets importants ⎯ notamment l’immigration,
le commerce de fournitures militaires et les «intérêts vitaux du pays en temps
d’urgence nationale» ⎯ sont spécifiquement exclus du champ d’application du
traité.»260
6.36. Certes, comme la Cour l’a déjà fait observer, la clause relative aux intérêts vitaux sur le
plan de la sécurité ne précise pas expressément que des mesures sont exemptées dès lors que la
partie concernée les «estime» nécessaires pour la protection de ses intérêts en la matière
⎯ contrairement à la disposition analogue du GATT261. Néanmoins, la dérogation en question est
interprétée depuis longtemps comme laissant à l’Etat qui l’invoque une vaste latitude et liberté
d’appréciation dans les décisions souveraines à prendre pour protéger ses propres intérêts en
matière de sécurité, conformément à l’objet de la dérogation et à l’histoire de sa négociation. La
Cour l’a confirmé dans l’affaire Djibouti c. France, où elle a cité le traité d’amitié en cause et celui,
très similaire, conclu entre les Etats-Unis et le Nicaragua comme des exemples de traités dont les
259 Dépêche no 2254 en date du 17 février 1954 adressée au département d’Etat américain par la haute
commission des Etats-Unis à Bonn, p. 3 (annexe 124).
260 Hearing Before a Subcommittee of the Senate Commission on Foreign Relations on a Treaty of Friendship,
Commerce, and Navigation Between the United States of America and the Republic of China, 80th Congress,
2nd Session (26 avril 1948) (Statement of Charles Bohlen, Department of State), p. 30 (annexe 125).
261 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 116, par. 222, et p. 141, par. 282 ; voir aussi Certains actifs iraniens, arrêt du
13 février 2019 sur les exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. xx, opinion individuelle de M. le juge ad hoc
Brower, p. 69-70, par. 9-10 (établissant une distinction entre le texte de l’article XX et l’exception du GATT relative aux
intérêts vitaux sur le plan de la sécurité). Bien que les Etats-Unis n’avancent pas cette thèse en l’espèce à la lumière des
décisions antérieures de la Cour, ils précisent pour mémoire que les dérogations relatives aux intérêts vitaux sur le plan
de la sécurité revêtent selon eux un caractère discrétionnaire, même lorsque ce n’est pas dit expressément, et conviennent
que chaque partie attend de l’autre qu’elle applique de bonne foi les dispositions pertinentes. Il convient de noter que,
dans les documents joints aux traités bilatéraux d’investissement contenant des clauses au caractère expressément
discrétionnaire, il est indiqué que le changement de formulation ne traduit pas un changement de politique, mais vise
simplement «à expliciter ce qui était implicitement entendu, à savoir que les mesures visant à protéger les intérêts vitaux
d’une partie sur le plan de la sécurité revêtent un caractère discrétionnaire, encore que chaque partie attende de l’autre
qu’elle applique de bonne foi les dispositions pertinentes». Voir, par exemple, Message from the President of the United
States Transmitting the Treaty between the Government of the United States of America and the Government of the State
of Bahrain Concerning the Encouragement and Reciprocal Protection of Investment with Annex and Protocol, Signed at
Washington on September 29, 1999 (24 avril 2000) ; voir également Letter of Submittal, Article 14 (Measures Not
Precluded), annexed to U.S.-Bahrain Bilateral Investment Treaty (annexe 126).
86
- 68 -
clauses relatives aux intérêts vitaux sur le plan de la sécurité conféraient un «large pouvoir
discrétionnaire» à tout Etat les invoquant de bonne foi262.
6.37. Enfin, il importe de souligner que des mesures économiques adoptées pour répondre à
des préoccupations en matière de sécurité nationale, telles que des restrictions et des sanctions
visant les biens, ont été expressément envisagées au nombre des mesures qui seraient exemptées
par la clause relative aux intérêts vitaux sur le plan de la sécurité. De telles mesures constituent des
outils fondamentaux de protection de la sécurité nationale qui sont utilisés depuis des dizaines
d’années pour répondre à des menaces touchant la sécurité ainsi que pour favoriser le règlement
négocié de problèmes de sécurité nationale épineux. Comme l’a fait remarquer Robert Wilson :
«Par le passé, la question s’est parfois posée de savoir si une action sous la
forme de sanctions, comme celles adoptées contre l’Italie en 1935-1936, était
susceptible d’aller à l’encontre d’engagements que les Etats à l’origine des sanctions
pouvaient avoir souscrits envers le pays sanctionné dans le cadre de traités
commerciaux. Les traités commerciaux conclus par les Etats-Unis après la seconde
guerre mondiale indiquent clairement que leurs dispositions ne doivent pas empêcher
l’une ou l’autre des parties de prendre les mesures nécessaires au respect de ses
obligations de maintien ou de rétablissement de la paix et de la sécurité
internationales. Ils comportent une clause permettant à chaque partie de prendre les
mesures « nécessaires à la protection de ses intérêts vitaux sur le plan de la
sécurité».»263
Ainsi, en réponse à une question posée par le Sénat américain en 1948 dans le contexte de la
ratification du traité d’amitié italo-américain, le département d’Etat a expliqué que les mesures
prises en vertu de la loi relative au commerce avec l’ennemi («Trading with the Enemy Act»)
⎯ une loi américaine qui, comme des instruments de sanction plus récents, autorise le président à
geler les biens sous juridiction américaine de personnes étrangères désignées ⎯ relèveraient de la
dérogation relative aux intérêts vitaux sur le plan de la sécurité et, partant, continueraient de
constituer un outil viable pour les Etats-Unis, nonobstant le traité264. De même, lors des
négociations avec l’Allemagne, les Etats-Unis ont déclaré (en réponse à une question de celle-ci)
qu’une interdiction d’exporter des matières stratégiques relèverait de la clause relative aux intérêts
vitaux sur le plan de la sécurité265. Lors des négociations avec les Pays-Bas, les négociateurs
américains «ont souligné qu’il ne devait être laissé entendre d’aucune façon que les Etats-Unis
s’engageaient à renoncer aux restrictions existantes en matière de sécurité, même s’il était peu
probable que ces dernières fussent effectivement incompatibles avec l’une quelconque des
dispositions du traité dans le contexte des relations entre les Etats-Unis et les Pays-Bas»266. Du
262 Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt,
C.I.J. Recueil 2008, p. 229, par. 145 («même si la France est fondée à dire que les termes de l’article 2 [du traité en cause
en l’espèce] donnent un très large pouvoir discrétionnaire à l’Etat requis, l’exercice de ce pouvoir demeure soumis à
l’obligation de bonne foi codifiée à l’article 26 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités [références
omises] ; sur la compétence de la Cour à l’égard de dispositions accordant un large pouvoir discrétionnaire, voir
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 116, par. 222, et Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis
d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 183, par. 43).») (Les italiques sont de nous.)
263 R. R. Wilson, U.S. Commercial Treaties and International Law, 1960, p. 22-23 (annexe 127).
264 Hearing on the Proposed Treaty of Friendship, Commerce and Navigation between the United States and
Italian Republic, 80th Congress, 2nd Session (30 avril 1948), p. 3 (Response from State Department to question from
Senator Thomas of Utah) (annexe 113).
265 Dépêche no 2254 en date du 17 février 1954 adressée au département d’Etat américain par la haute
commission des Etats-Unis à Bonn, p. 2 (annexe 124).
266 Dépêche no 238 en date du 15 septembre 1954 adressée au département d’Etat américain par l’ambassade
américaine à La Haye (annexe 122).
87
- 69 -
reste, dans la pratique, les Etats-Unis n’ont jamais considéré que les traités d’amitié entravaient leur
capacité de choisir les mesures de sanction à prendre face aux menaces pour leur sécurité.
ii. Les mesures du 8 mai sont nécessaires à la protection des intérêts vitaux
des Etats-Unis sur le plan de la sécurité
6.38. Les raisons pour lesquelles les Etats-Unis invoquent la dérogation relative aux intérêts
vitaux sur le plan de la sécurité à l’appui de leur décision de rétablir les sanctions levées en
application du plan d’action sont bien connues. L’Iran a refusé d’aborder cet argument, se
contentant d’affirmer simplement dans quelques paragraphes de son mémoire que les risques pour
la sécurité des Etats-Unis sont «imaginaires» et les mesures prises, superflues. La tentative
flagrante de l’Iran d’éluder cette faille fondamentale de sa thèse ne convainc absolument pas. Ses
actes constants de violence et de déstabilisation attestent clairement la menace que cet Etat
représente pour les intérêts des Etats-Unis en matière de sécurité ainsi que la nécessité, constatée
par ces derniers, de rétablir leurs sanctions liées au nucléaire. Les Etats-Unis ont amplement
démontré qu’il ne s’agissait pas ⎯ contrairement à ce que l’Iran voudrait faire croire à la Cour ⎯
d’une décision fantaisiste ou sans réel fondement factuel.
6.39. L’Iran ne tente nullement de contester que ces mesures étaient nécessaires à la
protection des intérêts vitaux des Etats-Unis sur le plan de la sécurité à l’époque de leur adoption
initiale. Comme on l’a vu plus en détail au chapitre 2, les mesures de sanction dont il tire grief
étaient en vigueur bien avant le plan d’action. En fait, les décrets présidentiels pertinents, y compris
celui promulgué le 6 août 2018 pour rétablir certaines de ces sanctions, sont fondés sur une
déclaration d’urgence nationale faite en 1995 sur la base du constat selon lequel «les actions et
politiques du Gouvernement iranien constitu[ai]ent une menace inhabituelle et extraordinaire pour
la sécurité nationale, la politique étrangère et l’économie des Etats-Unis»267. Les mesures
américaines visaient à compléter et à renforcer un vaste arsenal de sanctions que la communauté
internationale avait imposées concernant le commerce avec l’Iran et certains acteurs iraniens, en
réaction au non-respect par cet Etat de ses obligations en matière de non-prolifération nucléaire, et
notamment à la communication par l’AIEA d’«informations [indiquant que] l’Iran a[vait] exécuté
[d]es activités … qui [avaient] trait à la mise au point d’un dispositif nucléaire explosif»268. A
l’instar du Conseil de sécurité des Nations Unies, les Etats-Unis ont mis en place un système de
restrictions destinées à priver l’Iran des ressources et des sources de revenus nécessaires à ses
activités nucléaires illicites afin de tenter de l’empêcher, par ce levier économique, de se doter
d’une capacité d’armement nucléaire. Lorsque les activités préoccupantes de l’Iran se sont
poursuivies, même après que le Conseil de sécurité des Nations Unies eut imposé des restrictions
plus strictes en matière de non-prolifération, les Etats-Unis ont jugé essentiel d’adopter des mesures
supplémentaires sur la base de leur droit interne, notamment pour cibler certains secteurs de
l’économie iranienne tels que ceux de l’énergie, du transport maritime et de la construction navale,
lesquels «facilit[ai]ent les activités de prolifération nucléaire du Gouvernement iranien en
fournissant les fonds nécessaires à ces activités»269. L’Union européenne et d’autres pays ont
également étendu les restrictions imposées par l’ONU en adoptant des mesures au niveau national.
Et en fin de compte, ces sanctions se sont révélées cruciales pour contraindre l’Iran à s’asseoir à la
table des négociations.
267 Executive Order 13846, Fed. Reg., vol. 83, p. 38939 (6 août 2018) (annexe 37). Executive Order 12957,
Fed. Reg., vol. 60, p. 14615 (15 mars 1995) (annexe 128).
268 Voir chap. 2, par. 2.8 et note 25 (où sont passés en revue les rapports publiés par l’AIEA entre 2008 et 2014).
269 Iran Freedom and Counterproliferation Act of 2012, U.S.C., titre 22, art. 8803 (2013) (annexe 80) ; voir aussi
chap. 2, par. 2.9-2.12 (où sont présentés en détail d’autres instruments de sanction adoptés par les autorités américaines
afin de priver l’Iran des fonds nécessaires à ses activités nucléaires illicites).
88
- 70 -
6.40. Même lorsque le plan d’action a été conclu, les Etats-Unis ont reconnu qu’ils
demeuraient préoccupés par la menace que l’Iran faisait peser sur leurs intérêts en matière de
sécurité, et la décision de lever les sanctions liées au nucléaire montrait que ces risques avaient été
soigneusement pesés. Comme l’a fait observer l’ambassadrice Samantha Power, représentante
permanente des Etats-Unis auprès de l’Organisation des Nations Unies, à l’époque de l’adoption de
la résolution 2231 du Conseil de sécurité :
«Malgré cet accord sur le nucléaire, nous demeurons profondément préoccupés
par … l’instabilité qu’alimente l’Iran au-delà de ses programmes nucléaires ⎯ allant
de l’appui à ses sbires terroristes aux menaces répétées contre Israël en passant par
d’autres activités de déstabilisation dans la région. Voilà pourquoi les
Etats-Unis … maintiendront les sanctions qu’ils ont à titre individuel imposées à l’Iran
en raison de son appui au terrorisme, de son programme de missiles balistiques et de
ses violations des droits de l’homme. Cet accord n’atténue en aucun cas l’indignation
des Etats-Unis face au fait que le Gouvernement iranien emprisonne de manière
injuste des ressortissants américains.»270
Le président Obama, le jour de la mise en oeuvre du plan d’action, a reconnu ces préoccupations
persistantes concernant l’Iran :
«Nous restons fermement opposés au comportement déstabilisateur dont l’Iran
fait preuve par ailleurs, notamment à ses menaces contre Israël et nos partenaires du
Golfe, et à son soutien à de violents intermédiaires dans des pays comme la Syrie et le
Yémen. Nous lui imposons toujours des sanctions pour ses violations des droits de
l’homme, son soutien au terrorisme et son programme de missiles balistiques … Nous
ne faiblirons pas dans la défense de notre sécurité ou de celle de nos alliés et
partenaires.»271
Les Etats-Unis ont dit haut et fort que toutes les activités déstabilisatrices de l’Iran demeuraient
«contraires aux intérêts américains et constitu[aient] une menace fondamentale pour toute la région
et au-delà»272.
6.41. L’Iran sait pertinemment que le plan d’action a ses limites et n’aborde pas certaines
questions de sécurité qui préoccupent depuis longtemps les Etats-Unis et la communauté
internationale. Il sait également pertinemment que les clauses d’extinction et les limites imposées
aux inspections ont suscité d’âpres discussions et une vague de consternation aux Etats-Unis. Dans
ces conditions, il ne peut être pris au sérieux lorsqu’il affirme dans son mémoire que les Etats-Unis
«tenaient pour acquis» que leurs intérêts en matière de sécurité seraient préservés tant qu’il
respecterait les engagements nucléaires qu’il avait souscrits dans le plan d’action273. Et même si la
Cour n’a pas besoin, et doit s’abstenir, de rechercher si l’appréciation que les Etats-Unis ont faite
270 Nations Unies, Conseil de sécurité, 7488e séance, doc. S/PV.[7488] (20 juillet 2015), p. 3 (explication du vote
de l’ambassadrice américaine Samantha Power) (annexe 129).
271 President Barack Obama, «Statement by the President on Iran» (17 janvier 2016), accessible à l’adresse
suivante : https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/2016/01/17/statem… (annexe 130) ; voir
aussi U.S. Department of the Treasury, «Statement by Treasury Secretary Jacob J. Lew on Reaching Implementation Day
under the Joint Comprehensive Plan of Action Regarding Iran’s Nuclear Program» (16 janvier 2016), accessible à
l’adresse suivante : https://www.treasury.gov/press-center/press-releases/Pages/jl0321.aspx (annexe 131) («Comme nous
l’avons toujours dit, si le plan d’action aborde les questions nucléaires, il ne résout pas les autres aspects du
comportement de l’Iran qui demeurent inacceptables. Nous continuerons de cibler les activités répréhensibles
indépendamment du plan d’action ⎯ y compris les activités de l’Iran liées au soutien au terrorisme, à la déstabilisation
régionale, aux violations des droits de l’homme et à la mise au point de missiles balistiques.»).
272 Hearing on Iran’s Recent Actions and Implementation of the JCPOA Before the Senate Foreign Relations
Committee, 114th Congress (2016) (Statement of Under Secretary of State Thomas A. Shannon) (annexe 47).
273 MI, par. 9.31.
89
90
- 71 -
des menaces pesant sur leurs intérêts de sécurité était exacte ou justifiait les modalités de leur
réponse, il existe des preuves bien connues à l’appui de cette appréciation qui a conduit les
Etats-Unis à décider de réimposer les sanctions le 8 mai, comme il est exposé dans la présente
pièce.
6.42. Une fois acquis les avantages du marché conclu dans le cadre du plan d’action, l’Iran a
poursuivi voire, dans certains cas, accru ses activités malveillantes. Comme il est expliqué en détail
au chapitre 2, il a fait progresser son programme de mise au point de missiles balistiques en
procédant à des essais techniques sur des engins susceptibles de transporter à terme des armes
nucléaires, en violation de la résolution 2231 du Conseil de sécurité des Nations Unies274. Fidèle à
ses habitudes, il a continué d’apporter un soutien matériel et financier à des groupes terroristes
menaçant les intérêts des Etats-Unis et il est avéré que ces groupes, ainsi enhardis, ont lancé de
nouvelles actions contre les intérêts occidentaux275. Comme l’a souligné M. Pompeo, secrétaire
d’Etat, l’Iran a utilisé les ressources devenues disponibles non pas pour améliorer la situation
économique de son peuple, mais pour «attiser des guerres par procuration à travers le
Moyen-Orient et pour garnir les caisses du corps des gardiens de la révolution islamique, du
Hezbollah, du Hamas et des Houthistes»276. Les déclarations publiques faites en juin 2016 par
Hassan Nasrallah, qui a alors reconnu que l’Iran soutenait le Hezbollah et fournissait notamment à
celui-ci ses armes et roquettes en violation directe des résolutions du Conseil de sécurité des
Nations Unies, ne sont qu’un exemple inquiétant parmi d’autres, de plus amples détails ayant été
fournis au chapitre 2. L’Iran a continué à détenir arbitrairement des ressortissants américains sur
son sol277. Et il a accru ses activités déstabilisatrices en Syrie et au Yémen278. Les Etats-Unis ont
activement et publiquement exprimé leurs préoccupations au sujet de ces activités, notamment
devant le Conseil de sécurité des Nations Unies279.
6.43. Le plan d’action a eu pour effet non seulement d’ouvrir au régime iranien des sources
de revenus supplémentaires pour financer ses activités menaçantes, mais aussi de restreindre la
274 Voir chap. 2, par. 2.43-2.45 ; voir aussi Nations Unies, Conseil de sécurité, «Troisième rapport du Secrétaire
général sur l’application de la résolution 2231 (2015) du Conseil de sécurité», doc. S/2017/515 (20 juin 2017), par. 16-17
(annexe 62) ; Nations Unies, Conseil de sécurité, «Quatrième rapport du Secrétaire général sur l’application de la
résolution 2231 (2015) du Conseil de sécurité», doc. S/2017/1030 (8 décembre 2017), par. 20-26 (annexe 40).
275 Voir chap. 2, par. 2.38-2.42 ; voir aussi B. Daragahi, «Iranian-Backed Militias Set Sights on U.S. Forces»,
Foreign Policy (16 avril 2018), accessible à l’adresse suivante : https://foreignpolicy.com/2018/04/16/iranian-backedmilitias-
set-sights-on-u-s-forces/ (annexe 132) ; M. Levitt, «Iran’s Deadly Diplomat», CTC Sentinel (août 2018),
accessible à l’adresse suivante : https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/irans-deadly-d…
(annexe 133) ; U.S. Department of State, «Country Reports on Terrorism 2016, «Chapter Three: Iran»» (juillet 2017)
(annexe 63).
276 Pompeo Iran Strategy Remarks, voir note 87 ci-dessus (annexe 139).
277 Voir chap. 2, par. 2.46-2.49 ; Nations Unies, «Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de
l’homme en République islamique d’Iran», doc. A/HRC/34/65 (17 mars 2017) (annexe 143).
278 Voir chap. 2, par. 2.41-2.42 ; voir aussi M. Eisenstat, «Managing Escalation Dynamics with Iran in
Syria ⎯ and Beyond», Washington Institute (5 juillet 2017), accessible à l’adresse suivante :
https://www.washingtoninstitute.org/policyanalysis/view/managing-escala…
(annexe 134) ; Nations Unies, groupe d’experts sur le Yémen, «Rapport final du groupe d’experts sur le Yémen»,
doc. S/2018/594 (26 janvier 2018), p. 2 (annexe 61).
279 Voir, par exemple, déclaration conjointe de la France, de l’Allemagne, du Royaume-Uni et des Etats-Unis
(27 février 2018) (annexe 135) (soulignant les préoccupations concernant les violations par l’Iran de l’embargo sur les
armes établi par la résolution 2216 du Conseil de sécurité) ; U.S. Ambassador Nikki Haley, Remarks to the Security
Council (2 août 2017) (soulignant les préoccupations concernant les transferts par l’Iran d’armes à des terroristes)
(annexe 136) ; U.S. Ambassador Nikki Haley, Remarks to the Security Council (29 juin 2017) (annexe 137) (faisant état
des préoccupations concernant les violations par l’Iran de la résolution 2213 du Conseil de sécurité et soulignant les
insuffisances du plan d’action) ; U.S. Ambassador Nikki Haley, Remarks to the Security Council (9 mai 2017)
(annexe 138) (où Mme Haley déclare attendre avec impatience que l’Union européenne et les Etats-Unis coopèrent plus
étroitement pour contrer les activités déstabilisatrices de l’Iran).
91
- 72 -
capacité de réaction des Etats-Unis en limitant les outils de sanction à leur disposition. Dans ce
contexte, les Etats-Unis en sont venus à la conclusion que la levée des sanctions prévue par le plan
d’action ajoutait de fait à la menace que l’Iran représentait pour leur sécurité et qu’il était
nécessaire de rétablir le vaste volet de sanctions qui avait été levé en application dudit plan.
6.44. Cette décision fondamentale relevant de la sécurité nationale a été prise au plus haut
niveau du Gouvernement américain à l’issue d’un examen, sous la direction du Conseil national de
sécurité, de la politique que les Etats-Unis menaient depuis un an à l’égard de l’Iran, et à la suite de
communications régulières avec le Congrès280. Les raisons essentielles de sécurité qui ont conduit
les Etats-Unis à cesser de participer au plan d’action étaient indiquées dans le mémorandum
présidentiel du 8 mai sur la sécurité nationale. Ce mémorandum précise tout d’abord que les
décisions y énoncées touchent «la sécurité et la sûreté des Etats-Unis et du peuple américain»281. Il
décrit ensuite en détail une série d’activités iraniennes malveillantes qui, dans leur ensemble, ont
conduit à la décision du président, au nombre desquelles figurent le soutien de l’Iran au terrorisme
et son assistance à des organisations terroristes ciblant spécifiquement les Américains, le
développement intensif de son programme de mise au point de missiles et les détentions arbitraires
de ressortissants américains sur son sol282. Il est notoire que le plan d’action ne répondait pas à ces
aspects profondément inquiétants du comportement de l’Iran. Le mémorandum indiquait
clairement que les activités déstabilisatrices de l’Iran avaient connu une escalade depuis la mise en
oeuvre du plan d’action et que le «comportement de l’Iran mena[çait] l’intérêt national des
Etats-Unis»283.
6.45. La décision des Etats-Unis était également liée aux insuffisances de l’accord nucléaire
lui-même284. Dans le mémorandum, il était clairement conclu que le plan d’action ne répondait pas
suffisamment aux préoccupations entourant le programme nucléaire iranien et que des mesures
supplémentaires étaient nécessaires pour «fermer à l’Iran toute voie d’accès à l’arme nucléaire.»285.
Les Etats-Unis ont fait part de leurs vives inquiétudes quant au fait que le plan n’apportait pas de
réponse définitive aux menaces que le comportement de l’Iran représentait en matière de
prolifération nucléaire, puisque cet instrument contenait des «clauses d’extinction qui, après
quelques années seulement, mettr[aient] un terme à des restrictions essentielles imposées au
programme nucléaire de l’Iran», notamment à la capacité d’enrichissement de celui-ci286. Compte
tenu de ces inquiétudes et du fait que le plan d’action ne répondait pas à la pléthore d’autres
préoccupations graves qu’ils éprouvaient pour leur sécurité, les Etats-Unis ont décidé de rétablir les
sanctions liées au nucléaire qui avaient été levées précédemment en vertu dudit plan.
6.46. Ainsi, la décision de rétablir ces mesures en mai 2018 a été prise parce qu’il a été jugé
nécessaire de pouvoir réutiliser ces outils de sanction essentiels pour répondre aux menaces graves
et grandissantes que le régime iranien faisait peser sur la sécurité des Etats-Unis et de leurs
280 Voir chap. 2, par. 2.34 (faisant référence aux remarques du président Trump et à la communication du
secrétaire Tillerson au Congrès).
281 Mémorandum américain du 8 mai, voir note 57 ci-dessus (MI, annexe 31).
282 Ibid.
283 Ibid., p. 2. Voir aussi Pompeo Iran Strategy Remarks, voir note 87 ci-dessus (annexe 139).
284 Mémorandum américain du 8 mai, p. 2, voir note 57 ci-dessus (MI, annexe 31).
285 Ibid.
286 President Donald J. Trump, Remarks on Iran Strategy (13 octobre 2017) (annexe 140) ; voir aussi, par
exemple, President Donald J. Trump, Remarks on the Joint Comprehensive Plan of Action (8 mai 2018), accessible à
l’adresse suivante : https://www.whitehouse.gov/briefings-statements/remarks-president-trump…-
action/ (annexe 141) ; Pompeo Iran Strategy Remarks, voir note 87 ci-dessus (annexe 139) ; Remarks of Christopher
A. Ford, voir note 67 ci-dessus (annexe 45).
92
- 73 -
ressortissants, du fait non seulement de ses ambitions nucléaires, mais aussi de ses actes consistant
à financer le terrorisme, y compris contre des ressortissants américains, à favoriser la prolifération
de missiles ou à déstabiliser les Etats de la région287. Comme il a été exposé plus amplement au
chapitre 2, les mesures de sanction ciblent des sources de revenus capitales pour le Gouvernement
iranien, frappant particulièrement certains secteurs économiques dont celui-ci utilise les revenus
pour appuyer ses activités militaires et autres activités déstabilisatrices, ainsi que le soutien à des
Iraniens désignés comme étant visés par des sanctions. Ce sont ces mêmes outils qui avaient permis
par le passé d’amener l’Iran à la table des négociations, et qui pouvaient donc permettre de l’y
ramener pour discuter de l’ensemble de ses activités préoccupantes. Ces mesures sont précisément
de celles qui relèvent de la grande latitude laissée aux Etats-Unis dans l’appréciation des mesures
nécessaires pour répondre aux menaces que le comportement de l’Iran fait peser sur leur sécurité.
6.47. Le mémoire iranien aborde à peine ces questions, dont beaucoup avaient pourtant été
soulevées par les Etats-Unis au stade des mesures conservatoires. Au lieu de cela, l’Iran s’évertue à
brosser un tableau qui n’a aucun rapport avec le dossier de l’espèce : il prétend que les Etats-Unis
«tenaient pour acquis … que leur sécurité serait assurée tant qu[’il]» respecterait les engagements
qu’il avait souscrits dans le cadre du plan d’action, puis auraient subitement, le 8 mai 2018,
invoqué un «risque imaginaire» pour leur sécurité quand ils ont décidé de se retirer du plan et de
rétablir les sanctions288. Mais ce tableau est démenti par les faits et les éléments de preuve que les
Etats-Unis ont présentés, lesquels témoignent des facteurs et activités qui ont réellement fait
craindre aux Etats-Unis pour leurs intérêts vitaux sur le plan de la sécurité et qui les ont conduits à
décider de rétablir les sanctions levées en application du plan d’action. Le fait que l’Iran
désapprouve la décision des Etats-Unis est dépourvu de pertinence aux fins de l’examen à mener au
regard de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX. La dérogation prévue sous cet alinéa vise à
soustraire de tels différends à l’application du traité. Reconnaissant le caractère extrêmement
sensible des questions de sécurité nationale pour les Etats, la dérogation laisse à ceux-ci une grande
latitude dans l’évaluation et la détermination des mesures nécessaires à la protection de leurs
intérêts vitaux en la matière. Les Etats-Unis ont amplement démontré que les mesures en cause en
l’espèce relevaient de l’alinéa d) du paragraphe 1 et que le traité n’y faisait donc pas obstacle.
6.48. Pour les raisons qui précèdent, la requête de l’Iran devrait être rejetée au motif que
toutes les mesures contestées par celui-ci concernent des «substances fissiles» et étaient
«nécessaires … à la protection des intérêts vitaux de[s Etats-Unis] sur le plan de la sécurité», de
sorte qu’elles relèvent clairement des dérogations prévues au paragraphe 1 de l’article XX.
L’applicabilité de ces dérogations est une question simple dont l’examen peut être dissocié de celui
du bien-fondé des demandes de l’Iran et nécessite un nombre limité d’informations qui sont à la
disposition de la Cour. La Cour peut et doit répondre aux présentes exceptions d’emblée, dans
l’intérêt de l’équité, de l’économie de procès et de la bonne administration de la justice.
287 Pompeo Iran Strategy Remarks, voir note 87 ci-dessus (annexe 139).
288 MI, par. 9.31-9.32.
93
- 74 -
CHAPITRE 7
LES MESURES CONCERNANT LE COMMERCE OU LES TRANSACTIONS ENTRE
L’IRAN ET UN PAYS TIERS, OU ENTRE LEURS RESSORTISSANTS
ET SOCIÉTÉS RESPECTIFS, N’ENTRENT PAS DANS
LE CHAMP D’APPLICATION DU TRAITÉ
7.1. Outre les exceptions susmentionnées, qui s’appliquent à l’intégralité de la thèse
iranienne, la grande majorité des prétentions de l’Iran ne porte pas sur l’interprétation ou
l’application du traité d’amitié et doit donc être rejetée comme échappant à la compétence de la
Cour. Les mesures au coeur de la présente affaire ⎯ à savoir les mesures du 8 mai ⎯ visent
essentiellement le commerce ou les transactions de l’Iran (ou de ses sociétés et ressortissants) avec
des pays tiers (ou leurs sociétés et ressortissants). Aux fins du présent exposé, les Etats-Unis
appelleront ces mesures qui concernent le commerce ou les transactions entre l’Iran (ou ses sociétés
et ressortissants) et des pays tiers (ou leurs sociétés et ressortissants), ou qui débordent autrement le
cadre des relations commerciales bilatérales entre les Etats-Unis et l’Iran, les «mesures concernant
les Etats tiers». Pour simplifier, les mesures dont l’Iran tire grief sont essentiellement des mesures
concernant les Etats tiers. Le traité ne s’applique pas à de telles mesures, et les demandes de l’Iran
y afférentes doivent donc être rejetées comme échappant à la compétence de la Cour.
7.2. Les mesures concernant les Etats tiers sont à distinguer des mesures bilatérales. Les
Etats-Unis rappellent qu’ils maintiennent une série de sanctions bilatérales à l’égard de l’Iran,
lesquelles interdisent généralement aux personnes américaines d’effectuer des transactions avec
l’Iran ou avec des individus ou entités situés en Iran, et interdisent l’utilisation du système financier
américain aux fins de transactions faisant intervenir l’Iran. Or, à l’exception d’une catégorie
distincte de mesures d’autorisation examinée ci-dessous, ces sanctions bilatérales n’ont pas été
modifiées par la participation des Etats-Unis au plan d’action et sont demeurées en vigueur pendant
toute la période où ceux-ci ont appliqué cet instrument, c’est-à-dire jusqu’au 8 mai 2018. Ces
sanctions bilatérales n’ont jamais été levées et ne font donc pas partie des mesures «réimposées» le
8 mai qui sont à la base des demandes de l’Iran.
7.3. Comme il a été exposé en détail au chapitre 3, le traité d’amitié énonce certaines
obligations touchant les relations commerciales et consulaires bilatérales entre les Etats-Unis et
l’Iran, c’est-à-dire «des règles instaurant la liberté de commerce et d’échanges entre les Etats-Unis
et l’Iran, dont des règles spécifiques interdisant les restrictions à l’importation et à l’exportation de
produits provenant de l’un ou l’autre pays, ainsi que des règles relatives aux paiements et aux
transferts de fonds entre eux»289. Le traité n’a ni pour objet ni pour effet d’imposer aux Etats-Unis
des obligations relativement au commerce ou aux transactions entre l’Iran et un pays tiers, ou entre
les sociétés ou ressortissants iraniens et ceux d’un pays tiers290. Il s’ensuit que, lorsque les mesures
du 8 mai concernent les Etats tiers (en ce sens qu’elles ne concernent pas le commerce ou les
transactions entre l’Iran et les Etats-Unis, ou entre leurs sociétés et ressortissants respectifs), elles
n’entrent pas dans les prévisions du traité, qui n’énonce aucune obligation à leur égard. Les
demandes de l’Iran fondées sur ces mesures concernant les Etats tiers doivent être rejetées à un
stade préliminaire comme échappant à la compétence de la Cour.
289 Violations alléguées du traité d’amitié, ordonnance en indication de mesures conservatoires du 3 octobre
2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 635-636, par. 43 (les italiques sont de nous).
290 De même, le traité n’impose pas d’obligations concernant le commerce ou les transactions entre les Etats-Unis
(ou leurs sociétés et ressortissants) et des pays tiers (ou leurs sociétés et ressortissants).
94
95
- 75 -
7.4. Le paragraphe 2 de l’article XXI du traité ne confère compétence à la Cour que pour
connaître de tout différend «quant à l’interprétation ou à l’application [de ses dispositions] qui ne
pourrait pas être réglé d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique». Par conséquent, la
Cour «doit rechercher si les actes dont l’Iran tire grief entrent dans les prévisions du traité d’amitié
et si, par suite, le différend est de ceux dont elle est compétente pour connaître ratione materiae par
application du paragraphe 2 de son article XXI»291.
7.5. La question est de savoir si, comme il a été dit au chapitre 4, les mesures mises en cause
par l’Iran relèvent de la compétence de la Cour par application des articles du traité invoqués par
celui-ci292. La Cour «doit … procéder à une analyse détaillée» en interprétant les articles du traité
sur lesquels l’Iran base ses demandes. Elle ne peut fonder sa compétence sur «quelques
impressions»293.
7.6. Suivant cette logique, lors de la phase des exceptions préliminaires de l’affaire relative à
Certains actifs iraniens, la Cour a analysé les demandes de l’Iran au regard du texte du traité et a
examiné le libellé particulier de chaque article cité par cet Etat à la lumière de l’objet et du but du
traité afin de déterminer si les violations alléguées relevaient des dispositions de celui-ci294. De
même, dans l’affaire des Plates-formes pétrolières, la Cour a examiné les demandes de l’Iran au
regard du texte des dispositions du traité invoquées, lues à la lumière de l’objet, du but, du contexte
et de l’histoire de cet instrument, et notamment par rapport à des traités d’amitié analogues conclus
par les Etats-Unis pendant la même période. Elle a expliqué que l’objet et le but du traité d’amitié
étaient non pas «d’organiser les relations pacifiques et amicales entre les deux Etats de manière
générale», mais de régir leurs relations relativement aux «domaines précis prévus par le traité»295.
Examinant plus avant la portée des articles invoqués par l’Iran sous cet éclairage, la Cour a jugé
291 Certains actifs iraniens, arrêt du 13 février 2019 sur les exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 2019 (I),
p. 23, par. 36 (citant Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 809-810, par. 16) ; Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay
(Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 40-42, par. 48-52 ; voir aussi Activités armées sur le territoire
du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 2006, p. 32, par. 65.
292 Voir, par exemple, Certains actifs iraniens, arrêt du 13 février 2019 sur les exceptions préliminaires,
C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 26, par. 52 (décrivant la tâche de la Cour comme étant d’examiner «chacune des dispositions
ainsi invoquées par l’Iran, afin de déterminer si elle permet de considérer que [les mesures contestées] entre[nt] dans le
champ d’application ratione materiae [du traité]»). Cette description est en outre parfaitement conforme à ce que la Cour
a dit en l’espèce dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires, dans laquelle elle a pris soin de noter que
certaines mesures prises par les Etats-Unis à l’égard de l’Iran «pou[v]aient être considérées comme ayant un lien avec
certains droits et obligations des Parties découlant de ce traité» et n’a cité que des mesures bilatérales comme exemples
de ces mesures. Violations alléguées du traité d’amitié, ordonnance en indication de mesures conservatoires du 3 octobre
2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 635-636, par. 43, et p. 643, par. 67.
293 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), opinion individuelle de Mme la juge Higgins, p. 855, par. 29 ; voir aussi Question de la
délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte
nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 115-123, par. 31-46
(où la Cour a répondu à l’exception de la Colombie quant à sa compétence ratione temporis en procédant à un examen
approfondi du texte de l’article pertinent du pacte de Bogota, à la lumière de son contexte, de l’objet et du but du pacte,
ainsi que de la pratique des parties et des travaux préparatoires).
294 Certains actifs iraniens, arrêt du 13 février 2019 sur les exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 2019 (I),
p. 26, par. 52 («La Cour examinera ci-après chacune des dispositions ainsi invoquées par l’Iran, afin de déterminer si elle
permet de considérer que la question des immunités souveraines entre dans le champ d’application ratione materiae du
traité d’amitié.») ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 812, par. 23 ; voir aussi Immunités et procédures pénales (Guinée
équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 320-321, par. 91.
295 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 814, par. 28 (citant Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 137, par. 273, dans le cadre de l’examen de
l’objet et du but du traité d’amitié de 1956 entre les Etats-Unis et le Nicaragua).
96
- 76 -
que les demandes fondées sur le paragraphe 1 de l’article IV concernant l’emploi de la force contre
certaines plates-formes pétrolières iraniennes devaient être rejetées comme échappant à sa
compétence au motif que cette disposition «ne pos[ait] … pas de normes applicables au cas
particulier» et ne pouvait dès lors «fonder [s]a compétence»296. Aussi la Cour a-t-elle reconnu
qu’elle devait, à titre préliminaire, rejeter les demandes qui nécessitaient d’étendre la portée de
l’accord des parties ou de lire des règles juridiques supplémentaires dans un traité lorsque le texte
et le contexte de celui-ci ainsi que la pratique des Parties à son sujet n’appuyaient pas une telle
lecture.
7.7. La même conclusion s’impose en l’instance. La Cour devrait déclarer que les demandes
de l’Iran ayant pour objet des mesures concernant les Etats tiers n’entrent pas dans le champ
d’application du traité, et donc celui de sa compétence. Il sera expliqué dans la section A de ce
chapitre que les mesures du 8 mai sont, dans leur grande majorité, des mesures concernant les Etats
tiers. Il sera démontré dans la section B que le traité d’amitié ne prévoit des protections qu’à
l’égard de certaines activités commerciales bilatérales entre les Etats-Unis et l’Iran, et ne pose pas
de normes applicables aux mesures concernant les Etats tiers.
SECTION A
LA GRANDE MAJORITÉ DES MESURES DU 8 MAI SONT DES MESURES
CONCERNANT LES ETATS TIERS
7.8. La demande de l’Iran a pour «unique objet» les mesures du 8 mai, à savoir les sanctions
que les Etats-Unis ont rétablies après les avoir levées dans le cadre de leur participation au plan
d’action297. Les mesures du 8 mai, dans leur grande majorité, visent le commerce ou les
transactions entre l’Iran (ou ses sociétés et ressortissants) et les pays tiers (ou leurs sociétés et
ressortissants)298, et sont donc des mesures concernant les Etats tiers299.
7.9. Les mesures du 8 mai peuvent être classées en quatre catégories, selon leur objet :
i) remise en vigueur de certaines dispositions législatives américaines régissant les sanctions qui
avaient été abandonnées en application du plan d’action ; ii) remise en vigueur, par la promulgation
du décret 13846, de certains instruments de sanction précédemment abrogés ; iii) réinscription de
certaines personnes sur la liste SDN du département du trésor américain ; et iv) révocation de
certaines mesures d’autorisation concernant les tapis, les denrées alimentaires, les aéronefs de
transport commercial de passagers ou leurs pièces détachées, ainsi que les activités d’entités
296 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 816, par. 36.
297 MI, par. 1.13.
298 Dans certains cas, les mesures du 8 mai touchent le commerce ou des transactions entre les Etats-Unis (ou
leurs sociétés et ressortissants) et des pays tiers (ou leurs sociétés et ressortissants). Par exemple, les personnes physiques
et morales relevant de la juridiction des Etats-Unis peuvent être tenues de geler les biens et participations dans les biens
de personnes ni américaines ni iraniennes qui ont été inscrites sur la liste SDN par suite des mesures du 8 mai. Ces
mesures, puisqu’elles touchent les Etats-Unis ou leurs sociétés et ressortissants d’une part et des pays tiers ou leurs
sociétés et ressortissants d’autre part, constituent également des mesures concernant les Etats tiers.
299 Les propres écritures de l’Iran montrent clairement à quel point les mesures du 8 mai peuvent être considérées
comme des mesures concernant les Etats tiers. Le mémoire de l’Iran contient en effet une description détaillée des
répercussions alléguées des mesures du 8 mai sur les ressortissants et les sociétés de pays tiers, et notamment sur les
«non-Américains», «institutions financières non américaines», «fournisseurs étrangers», «banques étrangères», et «toute
personne physique ou morale, quelle que soit sa nationalité». Voir MI, par. 2.31, 2.22, 1.12, 2.38 et 2.18.
97
- 77 -
étrangères détenues ou contrôlées par des Américains300. Les mesures des trois premières
catégories, qui constituent la grande majorité des mesures du 8 mai, concernent les Etats tiers. Les
Etats-Unis ne soulèvent pas d’exception préliminaire fondée sur les arguments exposés dans le
présent chapitre en ce qui concerne la quatrième catégorie de mesures, qui n’est donc pas examinée
en détail ici301.
i. Dispositions législatives
7.10. La première catégorie de mesures a consisté à annuler l’abandon des dispositions
législatives régissant les sanctions qui sont énumérées aux paragraphes 4.1 à 4.7 de l’annexe II du
plan d’action302. Les dispositions législatives pertinentes sont les suivantes303 :
⎯ Dispositions de la loi ISA frappant de sanctions les personnes physiques ou morales qui se
livrent à certaines transactions en relation avec le secteur iranien de l’énergie.
⎯ Dispositions de la loi IFCA frappant de sanctions les personnes physiques ou morales,
y compris les institutions financières étrangères, qui se livrent à certaines transactions en
relation avec les secteurs iraniens de l’énergie, du transport maritime et de la construction
navale, la fourniture de certains métaux ou matières premières à l’Iran et les assurances.
⎯ Dispositions de la loi TRA frappant de sanctions les personnes physiques ou morales qui se
livrent à certaines transactions en relation avec les services d’assurance et la dette souveraine
iranienne.
⎯ Dispositions de la loi NDAA de 2012 frappant de sanctions les institutions financières
étrangères qui effectuent ou facilitent certaines transactions avec la banque centrale d’Iran et
des institutions financières iraniennes désignées.
300 Les mesures de cette quatrième catégorie sont celles que les Etats-Unis ont prises pour révoquer ou annuler, au
terme d’un délai de liquidation : i) la déclaration relative à la politique d’autorisation prévue dans le plan d’action, en
vertu de laquelle les personnes relevant ou non de la juridiction des Etats-Unis pouvaient solliciter des autorisations
spéciales aux fins de transactions visant la vente à l’Iran d’aéronefs de transport commercial de passagers et de pièces ou
de services connexes destinés exclusivement à l’aviation commerciale civile, pourvu que ces transactions ne fissent pas
intervenir de personnes figurant sur la liste SDN ; ii) les autorisations spéciales accordées en vertu de ladite politique
d’autorisation ; iii) une autorisation générale concernant les transactions normalement liées à la négociation et à la
conclusion de contrats pour des activités susceptibles d’autorisation au titre de la politique d’autorisation (autorisation
générale I) ; iv) une autorisation générale, pour les entités étrangères détenues ou contrôlées par une personne américaine,
de mener certaines activités faisant intervenir l’Iran (autorisation générale H) ; et v) les autorisations générales concernant
l’importation aux Etats-Unis et le commerce de certains tapis et denrées alimentaires d’origine iranienne, ainsi que
certaines lettres de crédit et services de courtage connexes (précédemment CFR, vol. 31, art. 560.534 et 560.535)
(MI, annexes 25, 26, 27 et 29). Re-Imposition FAQs, voir note 60 ci-dessus, p. 10-12 (annexe 144). Voir aussi
U.S. Department of State, «May 2018 Guidance on Re-imposing Certain Sanctions with Respect to Iran» (5 novembre
2018) (annexe 146).
301 Les Etats-Unis se réservent le droit de faire valoir que tout ou partie des demandes de l’Iran ayant pour objet la
révocation de certaines mesures d’autorisation ne relèvent pas du champ d’application du traité.
302 Alors que les mesures d’abandon prévues dans le plan d’action étaient révoquées, les Etats-Unis ont prévu
certaines dispenses pour permettre la clôture des opérations ou des transactions faisant intervenir l’Iran qui avaient été
menées en vertu des mesures d’abandon applicables lors de la participation des Etats-Unis au plan d’action. Ce délai de
liquidation a pris fin le 7 août 2018 pour certaines activités et le 5 novembre 2018 pour d’autres. Re-Imposition FAQs,
voir note 60 ci-dessus, p. 1-3 (annexe 144).
303 Voir plan d’action, annexe II, par. 4.1-4.7 (MI, annexe 10). Voir aussi les lois relatives aux sanctions revêtant
une pertinence aux fins de la présente affaire (annexe 80). Il convient de signaler que la loi CISADA mentionnée par
l’Iran dans son mémoire n’est pas incluse dans cette liste. Bien que l’article 104(c) 2) E) ii) I) de cette loi soit mentionné
au paragraphe 4.1.1 de l’annexe II du plan d’action, les Etats-Unis se sont engagés à rendre cette disposition inapplicable
à certaines personnes, ce qu’ils ont fait en radiant les intéressés de la liste SDN. Par conséquent, cette disposition n’a pas
été abandonnée et elle est demeurée en vigueur pendant toute la période où les Etats-Unis ont participé au plan d’action.
Directives pour la levée des sanctions en application du plan d’action, voir note 39 ci-dessus, p. 13 (MI, annexe 24).
98
- 78 -
7.11. La remise en vigueur de ces dispositions législatives constitue une mesure concernant
les Etats tiers. Il importe de souligner que, même si certaines lois pourraient s’appliquer à première
vue à des «personnes» au sens large (ce qui suppose qu’elles pourraient frapper de sanctions aussi
bien les personnes américaines que les personnes non américaines)304, les mesures du 8 mai ont une
portée plus limitée. Les mesures d’abandon abrogées par suite de la décision du 8 mai visaient les
personnes non américaines et s’appliquaient expressément à elles305. Cette démarche était conforme
aux termes du plan d’action, où il était expressément précisé que, à quelques exceptions près
(relevant de la quatrième catégorie), les sanctions américaines ne seraient levées ou abandonnées
que dans la mesure où elles s’appliquaient à des personnes non américaines306. Le fait que la levée
des sanctions fût limitée aux personnes non américaines était également confirmé dans des
directives à l’intention du public et des listes de «questions fréquemment posées» publiées par les
Etats-Unis dans le cadre de la mise en oeuvre du plan d’action (après consultation de l’Iran, comme
prévu dans le plan)307, où il était indiqué que, «[à] l’exception de [la quatrième catégorie de
mesures], aucun des engagements relatifs aux sanctions qui sont décrits dans les présentes
directives ne s’applique aux personnes américaines» et que «les personnes américaines, y compris
les personnes morales américaines, continuent d’être généralement interdites de participation à des
transactions ou des opérations avec l’Iran ou son gouvernement, à moins que ces activités ne soient
exemptées ou autorisées par l’OFAC»308. Etant donné que, pendant la période où les Etats-Unis
participaient au plan d’action, ces dispositions législatives n’avaient pas été levées à l’égard des
personnes américaines, elles n’avaient pas à être rétablies à leur encontre le 8 mai 2018. L’Iran le
reconnaît lui-même lorsqu’il déclare que la révocation des mesures d’abandon «a rétabli
l’application aux personnes non américaines des sanctions liées au nucléaire309». Ainsi, le
rétablissement des sanctions législatives qui faisait partie des mesures du 8 mai visait uniquement à
304 Certaines des dispositions législatives pertinentes ne s’appliquent, selon leurs modalités, qu’aux institutions
financières étrangères effectuant certaines opérations concernant l’Iran. Voir National Defense Authorization Act for
Fiscal Year 2012, section 1245 (d)(1), U.S.C., titre 22, art. 8513(a) (2011), Pub. L. No. 112-239, 126 Stat. 2006 ; Iran
Freedom and Counterproliferation Act of 2012, U.S.C., titre 22, art. 8803(d)(2), 8803(h)(2), 8804(c), 8806(a) (2013).
Voir aussi les lois relatives aux sanctions revêtant une pertinence aux fins de la présente affaire (annexe 80).
305 Voir Secrétaire d’Etat américain, dispositions concernant l’abandon de sanctions et l’octroi de dérogations,
18 octobre 2015 (MI, annexe 23). Les avis d’abandon contenaient deux dispositions limitées, concernant la loi IFCA, qui
étaient applicables aux transactions faisant intervenir des personnes américaines dans la mesure nécessaire à la mise en
oeuvre des mesures d’autorisation adoptées au sujet de l’aviation civile. Les mesures relatives à l’exportation vers l’Iran
d’aéronefs de transport commercial de passagers et de pièces ou de services connexes entrant dans la quatrième catégorie
de mesures prises le 8 mai, elles ne sont pas décrites en détail dans la présente section.
306 Plan d’action, annexe II, par. 4, note 6 (MI, annexe 10) («Les sanctions que les Etats-Unis cesseront
d’appliquer … conformément à l’engagement pris dans la présente section 4 sont celles qui visent des personnes ne
relevant pas de l[eur] juridiction.»). Le plan d’action contient également la précision suivante : «Il restera généralement
interdit aux personnes relevant de la juridiction des Etats-Unis et aux entités étrangères détenues ou contrôlées par elles
d’effectuer des opérations du type qu’autorise le présent Plan d’action, à moins d’y être autorisées par le bureau du
contrôle des avoirs étrangers du département du trésor américain).»
307 Plan d’action, texte principal, par. 27 (MI, annexe 10) (où «les Etats-Unis s’engagent à consulter l’Iran,
régulièrement et chaque fois qu’il y a lieu, au sujet de la teneur de ces directives et déclarations» relatives à la levée des
sanctions) ; voir aussi ibid., annexe V, par. 13.
308 Directives pour la levée des sanctions en application du plan d’action, voir note 39 ci-dessus, par. 5
(MI, annexe 24). Voir aussi U.S. Department of State and U.S. Departement of the Treasury, «Frequently Asked
Questions Related to the Lifting of Certain U.S. Sanctions Under the Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA) on
Implementation Day» 5 (2016) (ci-après «FAQs on Lifting Sanctions») (annexe 150) («L’embargo commercial intérieur
des Etats-Unis à l’égard de l’Iran demeure en vigueur. Même après la date d’entrée en vigueur du plan, il demeure
généralement interdit, à quelques exceptions près, aux personnes américaines ⎯ y compris aux personnes morales
américaines ⎯ d’effectuer des transactions ou des opérations avec l’Iran ou son gouvernement.»).
309 MI, par. 2.61 (les italiques sont de nous).
99
100
- 79 -
faire en sorte que ces dispositions s’appliquent aux personnes non américaines310. Ces mesures
ayant trait au commerce et aux transactions entre l’Iran (ou des personnes iraniennes) et des pays
tiers (ou des personnes relevant de leur juridiction), il s’agit de mesures concernant les Etats tiers.
ii. Le décret 13846
7.12. La deuxième catégorie de mesures prises le 8 mai concerne la promulgation du
décret 13846, qui a remis en vigueur certains décrets antérieurs qui avaient été abrogés ou modifiés
dans le cadre de la mise en oeuvre du plan d’action311. Le décret 13846 autorisait le secrétaire au
trésor et le secrétaire d’Etat américains à imposer des sanctions à l’égard de certaines transactions
en relation avec les secteurs iraniens de l’énergie, du transport maritime, de la construction navale
et de l’automobile, de transactions avec certaines personnes iraniennes inscrites sur la liste SDN, de
l’acquisition par l’Iran de billets de banque des Etats-Unis ou de métaux précieux, et des opérations
en rial iranien312.
7.13. Ces sanctions promulguées par décret qui ont été levées puis rétablies par le
décret 13846 dans le cadre des mesures du 8 mai «sont celles qui visent des personnes ne relevant
pas de la juridiction des Etats-Unis»313. Comme les dispositions législatives mentionnées plus haut,
bien que certaines dispositions de ces décrets puissent s’appliquer à première vue aux «personnes»
au sens large, leur but et leur effet consistent fondamentalement à établir les conséquences des
sanctions pour les personnes non américaines dans le cas de transactions qui ne font pas intervenir
une personne américaine ou une institution financière américaine314. De fait, indépendamment du
décret 13846, les transactions faisant intervenir des personnes américaines ou le système financier
américain étaient déjà largement interdites par l’effet des mesures de sanction bilatérales. A cet
égard, les dispositions du décret 13846 sont des mesures concernant les Etats tiers puisque, comme
les dispositions législatives, elles visent et donc concernent le commerce et les transactions entre
l’Iran et un pays tiers (ou leurs sociétés ou ressortissants respectifs).
310 En outre, la possibilité que ces dispositions législatives s’appliquent aux transactions avec des personnes
américaines est plus théorique que pratique, étant donné que les mesures de sanctions bilatérales interdisent déjà
généralement aux personnes américaines de faire les transactions qui entraîneraient pareilles conséquences (c’est-à-dire
quasiment toute opération avec l’Iran ou avec des personnes physiques ou morales relevant de la juridiction iranienne).
311 Afin d’assurer la mise en oeuvre des engagements pris par les Etats-Unis dans le plan d’action relativement
aux décrets, le président Obama avait publié un nouveau décret, le décret 13716, qui abrogeait ou modifiait les
dispositions des décrets nos 13574, 13590, 13622, 13628 et 13645. Voir plan d’action, annexe II, par. 4, et annexe V,
par. 17.4 (MI, annexe 10).
312 De plus, le décret 13846 a étendu l’application de ces instruments de différentes manières. Par exemple, les
sections 4 et 5 contiennent une liste mise à jour des conséquences encourues par une personne dont le comportement est
jugé passible de sanctions. Cette modification porte principalement sur les conséquences pouvant être imposées, et non
sur les circonstances de leur imposition. De plus, la section 2 a) ii) étend le pouvoir d’imposer des sanctions aux
institutions financières étrangères dont il est établi qu’elles ont sciemment effectué ou facilité une transaction financière
importante pour y inclure les personnes apportant un soutien à certaines personnes visées par le gel d’avoirs. Voir
Executive Order 13846, Fed. Reg., vol. 83, p. 38939 (6 août 2018) (annexe 37). Voir aussi département du trésor
américain, «Liste des questions fréquemment posées établie par l’OFAC : les sanctions contre l’Iran», question 601
accessible à l’adresse suivante : https://www.treasury.gov/resource-center/faqs/Sanctions/Pages/faq_iran… (dernière
consultation le 7 août 2019) (annexe 151).
313 Plan d’action, annexe II, par. 4, note 6 (MI, annexe 10) («Les sanctions que les Etats-Unis cesseront
d’appliquer et, par la suite, supprimeront ou modifieront pour y mettre fin, conformément à l’engagement pris dans la
présente section 4, sont celles qui visent des personnes ne relevant pas de la juridiction des Etats-Unis.»).
314 En outre, comme les dispositions législatives, certaines sections du décret 13846 ne s’appliquent expressément
qu’aux «institutions financières étrangères» dans le cadre de leurs transactions avec ou faisant intervenir l’Iran. Voir
Executive Order 13846, Fed. Reg., vol. 83, p. 38939, 38940 (6 août 2018) (annexe 37).
101
- 80 -
iii. Réinscription de personnes sur la liste SDN
7.14. La troisième catégorie de mesures prises le 8 mai a consisté à réinscrire certaines
personnes et certains biens sur la liste SDN du département du trésor américain. Dans le cadre de la
mise en oeuvre de la levée des sanctions prévue par le plan d’action, les Etats-Unis avaient radié de
la liste SDN plus de 400 individus et entités, ainsi que plusieurs centaines de navires et
d’aéronefs315. Et lorsqu’ils ont mis en oeuvre leur décision du 8 mai de se retirer du plan d’action,
les Etats-Unis ont effectué les démarches nécessaires pour réinscrire ces personnes, navires et
aéronefs sur la liste SDN316. Ces démarches, annoncées dans le cadre de la décision du 8 mai et
achevées le 5 novembre 2018 au plus tard, font partie des mesures du 8 mai dont l’Iran tire grief.
7.15. Les personnes réinscrites sur la liste SDN dans le cadre des mesures du 8 mai se
répartissent en trois groupes : i) les entités ou individus définis par le droit américain comme
relevant du «Gouvernement iranien» ou d’une «institution financière iranienne» ; ii) les entités ou
individus iraniens résidant habituellement en Iran et ne relevant pas de la catégorie précédente ; et
iii) les individus ou entités de pays tiers. En ce qui concerne le premier groupe, dans la mesure où
les griefs de l’Iran ont trait à la réinscription de personnes définies comme relevant du
«Gouvernement iranien» ou d’une «institution financière iranienne»317, ni le plan d’action ni les
mesures du 8 mai n’ont eu le moindre effet sur le gel des biens de ces personnes ou de leurs
participations dans des biens. En effet, ces personnes définies comme relevant du «Gouvernement
iranien» ou d’une «institution financière iranienne» sont restées inscrites sur une autre liste, la liste
du décret 13599, tout au long de la participation des Etats-Unis au plan d’action. Leurs biens et
leurs participations dans des biens sous juridiction américaine sont restés gelés, et les personnes
américaines sont demeurées soumises à une interdiction générale d’effectuer des transactions ou
des opérations avec elles, sauf exemption ou autorisation de l’OFAC318. Par conséquent, la
réinscription sur la liste SDN, à la suite de la décision du 8 mai, des personnes répertoriées par le
décret 13599 n’a pas entraîné un nouveau gel des biens de celles-ci ou de leurs participations dans
des biens ; elle a simplement modifié le mécanisme de notification de ce gel antérieur. En fait, cette
réinscription a principalement touché les ressortissants et les sociétés de pays tiers puisqu’elle a
entraîné des sanctions à l’encontre des personnes fournissant sciemment des biens, des services ou
un soutien importants à des personnes iraniennes inscrites sur la liste SDN319.
315 Plan d’action, annexe II, par. 4.8.1 et pièce jointe 3 ; annexe V, par. 17.3 (MI, annexe 10). Dans certains cas,
des personnes ou des biens ont également été radiés d’autres listes tenues par le département du trésor américain. FAQs
on Lifting Sanctions (2016), 4, voir note 308 ci-dessus (annexe 150).
316 Voir U.S. Department of the Treasury, «Publication of Updates to OFAC’s Specially Designated Nationals
and Blocked Persons List and 13599 List Removals» (5 novembre 2018) (annexe 152). Dans certains cas limités, des
personnes n’ont pas été réinscrites sur la liste, par exemple lorsque l’entité concernée avait cessé d’exister.
317 Voir Iranian Transactions and Sanctions Regulations (ITSR), CFR, vol. 31, art. 560.304, 560.324 (annexe 35).
318 Directives pour la levée des sanctions en application du plan d’action, voir note 39 ci-dessus, p. 35
(MI, annexe 24) («Les individus et entités définis comme relevant du Gouvernement iranien ou d’une institution
financière iranienne, au sens des sections 560.304 et 560.324 de l’ITSR, demeurent des personnes dont les biens et les
participations dans des biens sont gelés en vertu du décret 13599 et de la section 560.211 de l’ITSR. Par conséquent, il
est toujours généralement interdit aux personnes américaines de se livrer à des transactions ou à des opérations avec ces
individus et entités, sauf dérogation ou autorisation de l’OFAC.»). Voir aussi Executive Order 13599, Fed. Reg., vol. 77,
p. 6659 (5 février 2012) (annexe 153).
319 Voir Iran Freedom and Counterproliferation Act of 2012, U.S.C., titre 22, art. 8803 (c)(1) (2013) (annexe 80).
Cette conséquence a également été relevée dans les directives publiées par les Etats-Unis dans le cadre de la mise en
oeuvre de leurs engagements au titre du plan d’action. Voir, par exemple, note 39 ci-dessus, directives pour la levée des
sanctions en application du plan d’action, p. 34 (MI, annexe 24) (où il est expliqué que, à la suite du transfert de
personnes de la liste du décret 13599 à la liste SDN, «les personnes ne relevant pas de la juridiction des Etats-Unis ne
sont plus soumises à des sanctions secondaires pour avoir effectué des transactions avec les personnes physiques et
morales énumérées dans l’annexe II, pièce jointe 3, du plan d’action, notamment la Banque centrale d’Iran et les autres
institutions financières iraniennes, pourvu que ces transactions ne concernent pas … des personnes physiques ou morales
qui demeurent ou sont inscrites sur la liste SDN»).
102
- 81 -
7.16. En ce qui concerne les personnes du deuxième groupe ⎯ les entités ou individus
iraniens résidant habituellement en Iran qui ont été réinscrits sur la liste SDN dans le cadre des
mesures du 8 mai ⎯, il était déjà généralement interdit aux personnes américaines (et aux
personnes non américaines mais sous juridiction américaine) de faire affaire avec elles du fait des
mesures de sanction bilatérales qui étaient demeurées en vigueur pendant la participation des
Etats-Unis au plan d’action320. Ces mesures interdisent aux personnes américaines de faire des
transactions avec l’Iran ou avec des individus ou entités en Iran, et notamment d’exporter ou
d’importer des biens ou services à destination ou en provenance de cet Etat, sauf exemption ou
autorisation321. Partant, les réinscriptions liées aux mesures du 8 mai ont eu des conséquences
concrètes limitées sur la capacité des personnes de ce groupe de faire du commerce ou des
transactions avec les Etats-Unis ou des personnes américaines ⎯ ce qui nous importe aux fins du
traité. De fait, comme il a été dit plus haut, ce sont les ressortissants et les sociétés de pays tiers qui
ont été principalement touchés puisque les réinscriptions ont entraîné des sanctions à l’encontre des
personnes fournissant sciemment des biens, des services ou un soutien importants à des personnes
iraniennes inscrites sur la liste SDN.
7.17. S’agissant des personnes du troisième groupe, à savoir les individus ou entités de pays
tiers réinscrits sur la liste SDN dans le cadre des mesures du 8 mai, il n’était généralement pas
interdit auparavant aux personnes américaines de faire affaire avec elles, du moins pour autant que
ces affaires ne fussent pas menées pour le compte de l’Iran ou en son nom. Après leur réinscription,
en revanche, les personnes américaines étaient tenues de geler les biens des intéressés sous
juridiction américaine ou leurs participations dans de tels biens, et il leur était quasiment interdit
d’effectuer toute transaction ou opération avec elles, sauf exemption ou autorisation. Cela étant, les
obligations énoncées dans le traité visent uniquement le commerce et les transactions entre les
Parties et leurs sociétés ou ressortissants ; dès lors, l’ajout de ces personnes de pays tiers sur la liste
SDN n’entre pas dans le champ d’application de cet instrument.
SECTION B
LE TRAITÉ D’AMITIÉ N’ÉTABLIT DE PROTECTIONS QU’À L’ÉGARD DE CERTAINES
ACTIVITÉS COMMERCIALES BILATÉRALES ENTRE L’IRAN ET LES ETATS-UNIS,
ET NON À L’ÉGARD DES ACTIVITÉS DE L’IRAN AVEC DES PAYS TIERS
7.18. Comme il a été exposé en détail au chapitre 3, le traité d’amitié énonce certaines
obligations concernant les relations commerciales bilatérales entre les Etats-Unis et l’Iran. La Cour
a reconnu que ces obligations constituaient «des règles instaurant la liberté de commerce et
d’échanges entre les Etats-Unis et l’Iran, dont des règles spécifiques interdisant les restrictions à
l’importation et à l’exportation de produits provenant de l’un ou l’autre pays, ainsi que des règles
relatives aux paiements et aux transferts de fonds entre eux»322. Or l’Iran ne désigne pas (puisqu’il
ne le peut pas) la moindre disposition du traité qui imposerait aux Etats-Unis soit de prendre soit de
320 Comme il a été indiqué au chapitre 2, ces mesures de sanctions bilatérales sont en grande partie énoncées dans
l’ITSR (Iranian Transactions and Sanctions Regulations) du département du trésor américain, CFR, vol. 31, art. 560
(annexe 35). FAQs on Lifting Sanctions, 5, voir note 308 ci-dessus (annexe 150) («L’embargo commercial intérieur des
Etats-Unis à l’égard de l’Iran demeure en vigueur. Même après la date d’entrée en vigueur du plan, il demeure
généralement interdit, à quelques exceptions près, aux personnes américaines ⎯ y compris aux personnes morales
américaines ⎯ d’effectuer des transactions ou des opérations avec l’Iran ou son gouvernement.)».
321 Comme les Etats-Unis l’ont déjà fait remarquer, il existe des autorisations générales concernant les
transactions faisant intervenir des personnes américaines, ou des biens d’origine américaine, pour l’exportation ou la
réexportation vers l’Iran de médicaments, de matériel médical (y compris certains logiciels et services connexes), de
produits agricoles et de denrées alimentaires, ainsi que les transactions financières et de courtage y afférentes. Voir CFR,
vol. 31, art. 560.530, 560.532, 560.533 (annexe 35).
322 Violations alléguées du traité d’amitié, ordonnance en indication de mesures conservatoires du 3 octobre
2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 635-636, par. 43 (les italiques sont de nous).
103
- 82 -
s’abstenir de prendre des mesures à l’égard du commerce ou des transactions de l’Iran avec un pays
tiers, ou entre les sociétés ou ressortissants iraniens et ceux d’un pays tiers. Ces mesures concernant
les Etats tiers n’entrent pas dans le champ d’application du traité.
7.19. Dans la présente section, les Etats-Unis examinent tout d’abord les termes du traité,
dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but de cet instrument, puis analysent les différents
articles cités par l’Iran relativement aux mesures concernant les Etats tiers.
i. Le traité régit certaines activités commerciales bilatérales
entre l’Iran et les Etats-Unis
7.20. Les termes du traité, interprétés dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but de
cet instrument, démontrent que celui-ci établit certaines protections aux fins des relations
commerciales bilatérales entre l’Iran et les Etats-Unis.
7.21. Pour commencer, les termes du traité cités par l’Iran n’imposent aux Etats-Unis aucune
obligation à l’égard du commerce ou des transactions faisant intervenir des pays tiers ou les
sociétés et ressortissants de pays tiers. Comme il a été expliqué au chapitre 3, le préambule du traité
reflète l’objet et le but de celui-ci, qui sont d’«encourager les échanges et les investissements
mutuellement profitables et l’établissement de relations économiques plus étroites entre le[s]
peuples [des deux Parties] et de régler leurs relations consulaires»323. Il n’y a donc rien d’étonnant à
ce que le traité ne s’applique pas au commerce ou aux transactions de l’Iran avec les pays tiers,
étant donné qu’il régit les relations commerciales et consulaires entre l’Iran et les Etats-Unis. Si les
pays tiers sont mentionnés dans le traité, c’est uniquement à des fins de comparaison, c’est-à-dire
dans des dispositions prévoyant que l’autre Partie ne doit pas être traitée de manière moins
favorable qu’un pays tiers. Ces dispositions ne régissent pas les choix de l’une ou l’autre des
Parties à l’égard des tiers, mais (pour certaines d’entre elles) prévoient que, si un choix confère un
avantage ou un bénéfice à un pays tiers, la Partie à l’origine de ce choix doit accorder un traitement
non moins favorable à l’autre partie au traité324.
7.22. A supposer que le sens du traité reste ambigu ou obscur, des moyens complémentaires
d’interprétation confirment que cet instrument n’était pas destiné à réglementer les activités des
Parties dans le cadre de leur commerce ou de leurs transactions avec des pays tiers ou avec les
sociétés et ressortissants de pays tiers. Comme nous l’avons expliqué au chapitre 3, les traités
d’amitié négociés par les Etats-Unis au lendemain de la seconde guerre mondiale obéissaient à une
directive du Congrès américain, reflétée dans le Mutual Security Act, selon laquelle le président
devait «hâter la négociation de traités relatifs au commerce et aux échanges … pour encourager et
faciliter l’afflux d’investissements privés vers les pays participant aux programmes visés par cette
323 Traité d’amitié, préambule (MI, annexe 1) ; voir aussi Certains actifs iraniens, arrêt du 13 février 2019 sur les
exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 28, par. 57 (où la Cour s’inspire du libellé du préambule pour
déterminer si les immunités souveraines entrent dans le champ d’application du traité) ; Plates-formes pétrolières
(République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 813,
par. 27 (où la Cour s’inspire du libellé du préambule aux fins de son examen du champ d’application de l’article premier
du traité).
324 La pratique des Parties corrobore également la conclusion selon laquelle les mesures relatives au commerce ou
aux transactions avec des Etats tiers (ou leurs sociétés et ressortissants) ne relèvent pas du champ d’application du traité.
Les Etats-Unis maintiennent de telles mesures depuis longtemps, mais l’Iran n’a jamais intenté une seule action en justice
en vertu du traité avant la présente affaire.
104
105
- 83 -
loi»325. Les traités d’amitié visaient à protéger les droits des personnes physiques ou morales
américaines ⎯ principalement des sociétés privées ⎯ d’entreprendre des activités commerciales
avec les Etats parties à ces instruments ou sur leur territoire, ainsi que d’accorder aux personnes
physiques ou morales de l’autre partie les mêmes protections aux Etats-Unis326.
7.23. Les ouvrages de doctrine consacrés à l’objet historique des traités d’amitié confirment
cette interprétation. Herman Walker, Jr. a ainsi expliqué que la réticence des rédacteurs américains
à accorder davantage de protections aux sociétés étrangères «pouvait découler en partie de la
crainte que de tels engagements ne permettent l’acquisition sous cape de certains droits au profit
d’intérêts liés à des Etats tiers … Les récents traités signés par les Etats-Unis, en tout cas,
démontrent qu’il faut parer au risque que des intérêts liés à des Etats tiers puissent obtenir des
avantages sans contrepartie»327. Et M. Walker de conclure que les traités d’amitié «ont acquis au fil
des ans une forme et un caractère familiers et distinctifs, étant devenus un outil courant de
réglementation générale concernant les droits des ressortissants de chaque partie, leurs biens ou
autres intérêts sur les territoires de l’autre, ainsi que leurs activités mutuelles de commerce et de
transport maritime»328.
7.24. En revanche, rien dans l’histoire des négociations n’autorise l’Iran à soutenir que le
traité impose aux Etats-Unis des obligations concernant son commerce ou ses transactions, ou ceux
de ses sociétés et ressortissants, avec des pays tiers ou leurs sociétés et ressortissants.
ii. Aucun des articles du traité cités par l’Iran ne s’applique
aux mesures concernant les Etats tiers
7.25. A en juger par le texte et le contexte du traité dans son ensemble, aucun des articles
particuliers cités par l’Iran ne prévoit de protections à l’égard des mesures concernant les Etats
tiers, c’est-à-dire du commerce et des transactions entre l’Iran (ou des personnes sous sa
juridiction) et des pays tiers (ou des personnes sous leur juridiction). Au contraire, chaque
disposition limite l’obligation concernée au contexte commercial bilatéral, conformément à la
nature de cette obligation. L’Iran a beau citer des mesures particulières en se référant à chacun de
325 Commercial Treaties with Iran, Nicaragua, and the Netherlands: Hearing Before the Senate Committee on
Foreign Relations, 84th Congress, p. 1-2 (1956) (Statement of Thorsten V. Kalijarvi, Deputy-Secretary of State for
Economic Affairs) (citations omises) (annexe 88) ; voir aussi le message du président américain transmettant un traité
d’amitié, de commerce et de droits consulaires entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Iran, signé à Téhéran le 15 août 1955
(12 janvier 1956), p. 2 (annexe 90) («Le présent traité inscrit les relations économiques entre les Etats-Unis et l’Iran dans
un cadre conventionnel bilatéral»).
326 Commercial Treaties with Iran, Nicaragua, and the Netherlands: Hearing Before the Senate Committee. on
Foreign Relations, 84th Congress (1956), p. 1-2 (Statement of Thorsten V. Kalijarvi, Deputy-Secretary of State for
Economic Affairs) (annexe 88) (où il est dit que la «motivation majeure et directe de la négociation de ces traités» était
«le désir de contribuer à créer des conditions favorables à l’investissement privé étranger» et qu’«un effet
particulièrement souhaitable des traités» était «de renforcer la capacité du Gouvernement [des Etats-Unis] de protéger les
intérêts des ressortissants américains à l’étranger dans de nombreux domaines d’activité») ; ibid (commentaires du comité
du droit étranger de l’association du barreau de la ville de New York, tels que consignés au procès-verbal) («De tels
traités servent les intérêts des Etats-Unis en matière de commerce et d’investissement, même si les traités conclus avec
des nations souveraines obéissent nécessairement au principe de réciprocité.») (annexe 88).
327 H. Walker, Jr., «Provisions on Companies in United States Commercial Treaties», American Journal of
International Law, 1956, vol. 50, p. 373, 388 (annexe 156) ; voir aussi H. P. Connell, «United States Protection of Private
Foreign Investment through Treaties of Friendship, Commerce and Navigation», Archiv des Völkerrechts, t. 9, no 3,
p. 256, 258 (septembre 1961) (notant que les traités d’amitié visent à résoudre un conflit «entre deux principes
fondamentaux, celui de la souveraineté d’un Etat à l’égard de tout ce qui se trouve sur son territoire et celui du respect
de la propriété privée des ressortissants d’un autre Etat») (les italiques sont de nous) (annexe 157).
328 H. Walker, Jr., «Treaties for the Encouragement and Protection of Foreign Investment: Present United States
Practice», American Journal of Comparative Law, 1956, vol. 5, p. 229-230 (annexe 15[9]).
106
- 84 -
ces articles, il ne parvient absolument pas à démontrer que l’article invoqué s’applique aux mesures
du 8 mai dont il tire grief.
a) Les mesures concernant les Etats tiers n’entrent pas dans le champ d’application des
paragraphes 1 et 2 de l’article IV et du paragraphe 1 de l’article V
7.26. Les paragraphes 1 et 2 de l’article IV et le paragraphe 1 de l’article V disposent de
manière générale qu’un traitement particulier doit être accordé aux ressortissants et aux sociétés
iraniens. Ces dispositions ne prévoient aucune obligation à l’égard des pays tiers ou des sociétés et
ressortissants de ces derniers. De plus, le paragraphe 2 de l’article IV et le paragraphe 1 de
l’article V sont expressément limités au comportement à tenir sur le territoire des Etats-Unis329.
7.27. Le paragraphe 1 de l’article IV se lit comme suit :
«Chacune des Hautes Parties contractantes accordera en tout temps un
traitement juste et équitable aux ressortissants et aux sociétés de l’autre Haute Partie
contractante, ainsi qu’à leurs biens et à leurs entreprises ; elle ne prendra aucune
mesure arbitraire ou discriminatoire pouvant porter atteinte à leurs droits ou à leurs
intérêts légalement acquis et, en conformité des lois applicables en la matière, elle
assurera des voies d’exécution efficaces à leurs droits contractuels légitimement
nés.»330
7.28. Le paragraphe 2 de l’article IV se lit comme suit :
«La protection et la sécurité des biens appartenant aux ressortissants et aux
sociétés de l’une des Hautes Parties contractantes, y compris les participations dans
des biens, seront assurées de la manière la plus constante dans les territoires de l’autre
Haute Partie contractante, et ne seront inférieures en aucun cas aux normes fixées par
le droit international. Lesdits biens ne pourront être expropriés que pour cause d’utilité
publique et moyennant le paiement rapide d’une juste indemnité. Cette indemnité
devra être fournie sous une forme aisément convertible en espèces et correspondre à la
valeur intégrale des biens expropriés. Des dispositions adéquates devront être prises,
au moment de la dépossession ou avant cette date, en vue de la fixation et du
règlement de l’indemnité.»331
7.29. Le paragraphe 1 de l’article V se lit comme suit :
«Les ressortissants et les sociétés de l’une des Hautes Parties contractantes
pourront, dans les territoires de l’autre Haute Partie contractante : a) prendre à bail,
pour des durées appropriées, les biens immeubles dont ils ont besoin à des fins de
résidence ou qui sont nécessaires à la bonne marche des activités prévues par le
présent Traité ; b) acquérir, par voie d’achat ou par tout autre moyen, des biens
329 Les Etats-Unis notent qu’ils se concentrent ici sur les prescriptions particulières des articles du traité qui
revêtent une pertinence à ce stade des exceptions préliminaires. L’omission d’un aspect particulier desdits articles ne
saurait être interprétée comme valant accord avec la position de l’Iran quant à la substance de l’article concerné, et est
sans préjudice des autres arguments que les Etats-Unis sont susceptibles de faire valoir dans leurs futurs exposés devant
la Cour. Ainsi, rien dans la présente pièce ne saurait être interprété comme confortant la portée territoriale excessivement
large que l’Iran prête au paragraphe 1 de l’article IV.
330 Traité d’amitié, art. IV, par. 1 (MI, annexe 1).
331 Ibid., par. 2 (MI, annexe 1).
107
- 85 -
mobiliers de toute nature et c) aliéner des biens de toute nature par voie de vente, de
testament ou par tout autre moyen. Le traitement dont ils bénéficient en ces matières
ne sera, en aucun cas, moins favorable que celui qui est accordé aux ressortissants et
aux sociétés de tout pays tiers.»332
7.30. Premièrement, les obligations de protection établies à la charge des Etats-Unis par
chacune de ces dispositions sont limitées aux ressortissants et aux sociétés iraniens ou, dans
certains cas, à leurs biens. A titre liminaire, pour présenter une réclamation au titre du paragraphe 1
de l’article IV, l’Iran doit établir que les Etats-Unis ont «accordé» ou appliqué à ses ressortissants
ou sociétés, ou aux biens ou entreprises de ceux-ci, un traitement ou des mesures déraisonnables ou
discriminatoires333. Le paragraphe 1 de l’article V prévoit de même que le «traitement … accordé»
par les Etats-Unis aux sociétés et ressortissants de l’Iran doit répondre à certaines exigences334. Le
paragraphe 2 de l’article IV utilise une formulation légèrement différente : il faut qu’une protection
et une sécurité soient «assurées» de la manière la plus constante aux biens des ressortissants et des
sociétés iraniens335.
7.31. Dans chaque cas, pour présenter une demande au titre de ces dispositions, l’Iran doit
établir que les mesures en cause constituaient un traitement «accordé» à ses propres sociétés et
ressortissants (ou à leurs biens dans le cas du paragraphe 2 de l’article IV). Des mesures régissant
le traitement des ressortissants et des sociétés de pays tiers, ou de leurs biens aux Etats-Unis
⎯ c’est-à-dire des mesures concernant les Etats tiers ⎯ ne constituent manifestement pas un
traitement «accordé» aux sociétés et ressortissants iraniens.
7.32. Deuxièmement, le paragraphe 2 de l’article IV et le paragraphe 1 de l’article V
établissent l’un et l’autre clairement et expressément une limitation territoriale. Il est précisé au
paragraphe 2 de l’article IV que celui-ci ne s’applique que dans la mesure où les biens en question
sont situés «dans les territoires» des Etats-Unis336. De fait, en l’affaire relative à Certains actifs
iraniens, la Cour a décrit la portée de disposition comme s’étendant aux ««ressortissants» et aux
«sociétés» de l’une des parties exerçant des activités économiques sur le territoire de l’autre»337.
332 Traité d’amitié, art. V, par. 1.
333 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 816, par. 36 (où la Cour conclut, en ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article IV, que
«ces dispositions détaillées ont pour objet le traitement par chacune des parties des ressortissants et sociétés de l’autre
partie ainsi que de leurs biens et entreprises»).
334 MI, par. 4.42 (où l’obligation est décrite comme visant les «sociétés et ressortissants»).
335 Ibid., par. 4.34 (où la protection est décrite comme visant «les biens des sociétés et ressortissants iraniens»).
336 Traité d’amitié, art. IV, par. 2 (MI, annexe 1) (les italiques sont de nous).
337 Certains actifs iraniens, arrêt du 13 février 2019 sur les exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 2019 (I),
p. 28, par. 57 ; voir aussi Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 816, par. 35 (dans lequel la Cour reconnaît que le texte de ce paragraphe
contient une limitation territoriale). Les ouvrages de doctrine et les travaux préparatoires de dispositions similaires de
traités d’amitié viennent encore conforter cette thèse. Ainsi, le traité sino-américain de 1948, dont la disposition
correspondante contient des termes identiques, «faisait référence, comme les traités de l’entre-deux-guerres, à «la
protection et la sécurité les plus constantes» devant être accordées aux ressortissants d’une partie sur le territoire de
l’autre». R. Wilson, «Property Protection Provisions in United States Commercial Treaties», American Journal of
International Law, 1951, vol. 45, p. 83 et 100 (annexe 15[8]). En outre, M. Wilson a noté que «chacun des traités
commerciaux généraux que les Etats-Unis ont signés depuis 1923 prescrivait «la protection la plus constante» des biens
des ressortissants de l’une des parties sur le territoire de l’autre». Ibid., p. 103.
108
- 86 -
7.33. Le paragraphe 1 de l’article V est lui aussi circonscrit aux ressortissants et aux sociétés
iraniens situés «dans les territoires» des Etats-Unis. Cette disposition utilise la même formule
limitative que le paragraphe 2 de l’article IV et devrait donc être interprétée de la même façon, dans
la logique de son application à la protection des biens immobiliers et personnels. L’Iran semble en
convenir dans son mémoire, puisqu’il relève que l’obligation vise «l’achat ou l’acquisition de biens
aux Etats-Unis par les sociétés et ressortissants iraniens»338.
7.34. Dans ses écritures en l’instance, l’Iran estime que les dispositions suivantes emportent
violation des paragraphes précités : i) certaines dispositions des lois IFCA et TRA et de la loi
NDAA de 2012 ; ii) certaines dispositions du décret 13846 ; iii) la réinscription de certaines
personnes sur la liste SDN ; et iv) la révocation de certaines autorisations339. Pourtant, comme il a
déjà été expliqué plus en détail, les mesures du 8 mai ne font entrer en jeu ces dispositions
législatives que dans le cas des transactions en relation avec des personnes non américaines. De
même, les mesures de sanction prévues dans le décret 13846 s’appliquent aux transactions
effectuées par l’Iran avec des personnes non américaines, en dehors du territoire américain. Si les
personnes réinscrites sur la liste SDN sont des entités ou des individus iraniens résidant
habituellement en Iran, il était déjà généralement interdit aux personnes américaines d’effectuer
quasiment toute transaction ou opération avec elles, y compris par l’intermédiaire du système
financier américain. Les mesures de sanctions bilatérales y faisaient déjà obstacle, sauf exemption
ou autorisation. Si les personnes réinscrites sur la liste SDN sont des personnes relevant de la
juridiction de pays tiers, les biens concernés sont ceux d’un ressortissant ou d’une société d’un pays
tiers et les transactions concernées ont lieu entre les Etats-Unis et des pays tiers, non entre les
Etats-Unis et l’Iran.
7.35. En résumé, lorsque les demandes de l’Iran au titre des paragraphes 1 et 2 de l’article IV
ou du paragraphe 1 de l’article V ont pour objet des mesures concernant les Etats tiers, la Cour
devrait les rejeter comme n’entrant pas dans le champ d’application de ces articles.
b) Les mesures concernant les Etats tiers n’entrent pas dans le champ d’application du
paragraphe 1 de l’article VII
7.36. Ensuite, l’Iran voit à tort des violations du paragraphe 1 de l’article VII dans les
mesures des Etats-Unis touchant les paiements «à destination ou en provenance» d’un pays tiers,
plutôt qu’«à destination ou en provenance» du territoire iranien.
7.37. Le paragraphe 1 de l’article VII dispose, dans son intégralité, que :
«Aucune des Hautes Parties contractantes n’imposera de restrictions en matière
de paiements, remises et transferts de fonds à destination ou en provenance des
territoires de l’autre Haute Partie contractante sauf : a) dans la mesure nécessaire afin
que les ressources en devises étrangères soient suffisantes pour régler le prix des
marchandises et des services indispensables à la santé et au bien-être de sa
population ; et b) dans le cas d’un membre du Fonds monétaire international, s’il
s’agit de restrictions expressément approuvées par le Fonds.»340
338 MI, par. 4.42.
339 Ibid., par. 4.45-4.91.
340 Traité d’amitié, art. VII, par. 1 (MI, annexe 1).
109
- 87 -
7.38. L’Iran dénonce la prétendue imposition, par les Etats-Unis, de «restrictions en matière
de paiements, remises et transferts de fonds à destination ou en provenance d[e son] territoire[]»341.
Pour présenter une demande en vertu de cette disposition, l’Iran doit au minimum établir que la
prétendue restriction qu’il conteste vise les paiements, remises ou autres transferts de fonds dès lors
que ces paiements, remises ou autres transferts doivent entrer sur le territoire iranien ou en partir.
Ainsi, lorsqu’une mesure vise un transfert entre deux comptes bancaires dont aucun n’est situé sur
le territoire iranien, il n’est pas satisfait aux conditions minimales permettant de présenter une
contestation fondée sur le paragraphe 1 de l’article VII, et il ne saurait y avoir violation de cette
disposition.
7.39. L’Iran estime que les dispositions suivantes emportent violation du paragraphe 1 de
l’article VII : i) certaines dispositions de la loi TRA et de la loi NDAA de 2012 ; ii) certaines
dispositions financières et monétaires du décret 13846 ; et iii) la réinscription de certaines
personnes sur la liste SDN342. Ainsi qu’exposé plus haut, les mesures du 8 mai ne font entrer en jeu
ces dispositions législatives que dans le cas des transactions en relation avec des personnes
non américaines. A l’exception d’une catégorie distincte relative à la délivrance d’autorisations, les
mesures du 8 mai n’ont rien changé à la règle fondamentale, qui a été maintenue tout au long de la
participation des Etats-Unis au plan d’action, à savoir que les transactions avec l’Iran, des entités
iraniennes et des individus résidant habituellement dans ce pays ne pouvaient se faire par
l’intermédiaire du système financier américain. Les dispositions pertinentes du décret 13846
s’appliquent aux transactions entre l’Iran et les personnes non américaines, y compris les
institutions financières étrangères, à l’extérieur des Etats-Unis, que la transaction touchée ait ou
non été effectuée à destination ou en provenance du territoire iranien. Si les personnes réinscrites
sur la liste SDN sont des individus ou des entités se trouvant en Iran, il leur était déjà généralement
interdit, par l’effet des mesures de sanctions bilatérales, de faire des paiements à destination ou en
provenance des Etats-Unis, ou par l’intermédiaire du système financier américain, sauf autorisation
spéciale. Si les personnes réinscrites sur la liste SDN sont des personnes de pays tiers, les biens
touchés appartiennent à ces dernières et la transaction a lieu entre les Etats-Unis et le pays tiers
concerné.
7.40. En résumé, lorsque les demandes de l’Iran au titre du paragraphe 1 de l’article VII ont
pour objet des mesures concernant les Etats tiers ou des mesures qui n’appliquent pas des
restrictions aux flux «à destination ou en provenance des territoires» de l’Iran, la Cour devrait les
rejeter comme n’entrant pas dans le champ d’application de cet article.
c) Les mesures concernant les Etats tiers n’entrent pas dans le champ d’application des
paragraphes 1 et 2 de l’article VIII
7.41. L’Iran allègue également des violations des paragraphes 1 et 2 de l’article VIII,
lesquels énoncent certaines obligations concernant l’importation et l’exportation de produits à
destination ou en provenance du territoire de l’autre haute partie contractante.
7.42. Le paragraphe 1 de l’article VIII se lit comme suit :
«Chacune des Hautes Parties contractantes accordera aux produits de l’autre
Haute Partie contractante, quelle qu’en soit la provenance et indépendamment du
mode de transport utilisé, ainsi qu’aux produits destinés à l’exportation vers les
territoires de cette autre Haute Partie contractante, quels que soient l’itinéraire et le
341 Ibid. (les italiques sont de nous).
342 MI, par. 5.15-5.35.
110
111
- 88 -
mode de transport utilisés, un traitement non moins favorable que celui qui est accordé
aux produits similaires provenant de tout pays tiers ou destinés à l’exportation vers
tout pays tiers, pour toutes les questions qui ont trait : a) aux droits de douane et autres
taxes ainsi qu’aux règles et formalités applicables en matière d’importation et
d’exportation ; et b) à la fiscalité, la vente, la distribution, l’entreposage et l’utilisation
desdits produits sur le plan national. La même règle s’appliquera au transfert
international des sommes versées en paiement des importations ou des
exportations.»343
7.43. Le paragraphe 2 de l’article VIII se lit comme suit :
«Aucune des Hautes Parties contractantes ne restreindra ou n’interdira
l’importation d’un produit de l’autre Haute Partie contractante ou l’exportation d’un
produit destiné aux territoires de l’autre Haute Partie contractante, à moins que
l’importation d’un produit similaire provenant de tout pays tiers, ou l’exportation d’un
produit similaire à destination de tous les pays tiers ne soient, de la même manière,
interdites ou restreintes.»344
7.44. Pour commencer, l’Iran semble reconnaître que les produits relevant des deux
dispositions sont uniquement, soit a) des produits d’Iran destinés à l’importation vers le territoire
des Etats-Unis, soit b) des produits des Etats-Unis destinés à l’exportation vers le territoire
iranien345. Cela signifie que les prétentions de l’Iran au titre de l’article VIII excluent par définition
les mesures du 8 mai qui ne régissent pas les importations de produits iraniens aux Etats-Unis ou
les exportations américaines à destination de l’Iran. Et cette exclusion vaut nécessairement pour
l’ensemble des mesures du 8 mai, à l’exception de celles de la quatrième catégorie, qui porte sur la
révocation de certaines autorisations relatives aux tapis, aux denrées alimentaires et aux aéronefs de
transport commercial de passagers ou pièces détachées de ces appareils, catégorie qui n’est pas
visée par l’exception préliminaire présentée par les Etats-Unis dans ce chapitre.
7.45. La dernière phrase du paragraphe 1 de l’article VIII a également une portée limitée :
«La même règle s’appliquera au transfert international des sommes versées en paiement des
importations ou des exportations.» Dans ce contexte, lesdites «importations ou … exportations»
sont celles décrites dans la phrase précédente, à l’égard desquelles la «même règle» s’applique, à
savoir les importations de produits iraniens vers les Etats-Unis ou les exportations américaines à
destination de l’Iran346.
343 Traité d’amitié, art. VIII, par. 1 (MI, annexe 1).
344 Ibid., par. 2.
345 MI, par. 6.6 («Selon les alinéas a) et b) du paragraphe 1 de l’article VIII, les Etats-Unis doivent accorder aux
produits iraniens destinés à être importés vers leur territoire … ainsi qu’aux produits destinés à être exportés vers le
territoire iranien») ; ibid., par. 6.16 (où le paragraphe 2 de l’article VIII du traité est présenté comme ayant une incidence
sur les restrictions ou interdictions américaines frappant «les importations d’Iran [et] les exportations vers ce pays»).
346 Le projet-type de traité d’amitié, de commerce et de navigation utilise la même expression («transfert
international des sommes versées en paiement des importations ou des exportations»), mais inclut l’expression dans une
phrase unique et plus longue formant l’intégralité du paragraphe. Cet agencement démontre en outre que les
«importations ou … exportations» mentionnées dans la dernière phrase du paragraphe 1 de l’article VIII sont celles
décrites dans la phrase précédente. Etude de M. Sullivan, p. 229-230 (annexe 160).
112
- 89 -
7.46. Or, en soutenant obstinément que les «importations ou … exportations» mentionnées
dans la dernière phrase «ne se limite[nt] pas aux importations et exportations entre les territoires
des Parties»347, l’Iran cherche à étendre la portée de cette disposition pour y inclure les importations
ou exportations entre son territoire et celui de tout autre pays du monde. L’interprétation de cette
phrase proposée par l’Iran, à la lumière du contexte immédiat de celle-ci, ne résiste pas à l’examen.
Son résultat serait intenable puisqu’il consisterait à lire l’expression «la même règle» dans cette
phrase comme s’appliquant à des produits qui ne sont pas ceux visés par la phrase précédente,
à savoir les produits destinés à l’importation ou à l’exportation en provenance ou à destination des
territoires des Parties. La théorie de l’Iran conduirait également à prêter à l’expression
« importations ou … exportations » dans la dernière phrase un sens différent de celui prêté à ces
termes dans la phrase précédente du même paragraphe. Lorsqu’elle est dûment interprétée dans son
contexte, il est clair que l’obligation énoncée dans la dernière phrase vise à protéger la partie
important ou exportant des biens entre les territoires des deux pays qui souhaite transférer des
fonds en paiement de ces opérations348.
7.47. Dans son mémoire, l’Iran reste flou à propos des mesures qu’il prétend contraires à ces
dispositions, employant des formules telles que «la quasi-totalité des mesures américaines décrites
au chapitre II»349. Les allégations les plus précises semblent se rapporter à la révocation de
certaines autorisations350. L’Iran mentionne également, parmi les prétendues violations, des
restrictions et interdictions «dans d’autres pays, et [visant] les exportations vers l’Iran de produits
en provenance de pays tiers»351. Cet argument n’est pas défendable au regard des termes du traité et
le flou entretenu par l’Iran ne peut occulter la faille fondamentale de sa thèse.
7.48. Lorsque les demandes présentées par l’Iran au titre des paragraphes 1 et 2 de
l’article VIII ont pour objet des mesures concernant les Etats tiers, ou n’ont pas trait à des
importations de produits iraniens vers les Etats-Unis ou à des exportations de produits des
Etats-Unis vers l’Iran, la Cour devrait les rejeter comme n’entrant pas dans le champ d’application
de ces dispositions.
d) Les mesures concernant les Etats tiers n’entrent pas dans le champ d’application des
paragraphes 2 et 3 de l’article IX
7.49. L’Iran allègue en outre des violations des paragraphes 2 et 3 de l’article IX, lesquels
imposent d’accorder un certain traitement aux sociétés et ressortissants de l’autre haute partie
contractante s’agissant des questions d’importation ou d’exportation et des mesures touchant la
capacité des sociétés de souscrire une assurance maritime.
7.50. Premièrement, l’Iran fait état d’une violation du paragraphe 2 de l’article IX, aux
termes duquel :
347 MI, par. 6.8.
348 Voir étude de M. Sullivan, p. 230 (annexe 160) (où il est expliqué que, tandis que l’article sur les restrictions
en matière de change visait à protéger les ressortissants et les sociétés souhaitant transférer des fonds depuis le territoire
de l’autre partie à la convention, cet article protégeait ceux qui souhaitaient transférer des fonds depuis leur propre pays
vers le territoire de l’autre partie au traité).
349 MI, par. 6.20.
350 Ibid., par. 6.10.
351 Ibid., par. 6.21.
113
- 90 -
«Les ressortissants et les sociétés de l’une des Hautes Parties contractantes
bénéficieront, pour toutes les questions qui ont trait aux importations et aux
exportations, d’un traitement non moins favorable que celui qui est accordé aux
ressortissants et aux sociétés de l’autre Haute Partie contractante ou de tout pays
tiers.»352
7.51. Comme l’Iran le fait observer, cette obligation concerne le traitement accordé aux
sociétés et ressortissants iraniens en matière d’importation et d’exportation353. La demande de
l’Iran doit donc porter sur des mesures américaines ayant «accordé» un traitement particulier aux
sociétés et ressortissants iraniens, et non aux sociétés et ressortissants de pays tiers, en matière
d’importation et d’exportation. Les mesures qui ne concernent pas les importations ou les
exportations américaines, ainsi que celles qui régissent le traitement des sociétés et ressortissants de
pays tiers ou de leurs biens situés aux Etats-Unis, ou entre les mains de personnes américaines,
n’entrent pas dans le champ d’application de cet article, dont les termes sont clairs.
7.52. Deuxièmement, l’Iran fait état d’une violation du paragraphe 3 de l’article IX, aux
termes duquel :
«Aucune des Hautes Parties contractantes n’imposera de mesures de caractère
discriminatoire ayant pour effet d’empêcher, directement ou indirectement, les
importateurs ou les exportateurs de produits originaires de l’un ou l’autre pays,
d’assurer lesdits produits contre les risques maritimes auprès de compagnies de l’une
ou l’autre des Hautes Parties contractantes.»354
7.53. Lu en son sens ordinaire, ce texte ne s’applique qu’aux importateurs ou exportateurs
d’Iran ou des Etats-Unis. Dans son contexte, l’expression «de l’un ou l’autre pays» précise «les
importateurs ou les exportateurs de produits». Partant, pour qu’une demande puisse être fondée sur
cette disposition, la société ou le ressortissant qui importe ou exporte des produits doit être soit
iranien, soit américain.
7.54. Cette interprétation est conforme aux visées de la disposition en question, à savoir
«offrir [aux assureurs maritimes] des possibilités égales de concurrence dans le cadre des relations
bilatérales entre les parties au traité»355. Comme expliqué dans l’étude de M. Sullivan,
l’Association of Marine Underwriters of the United States (association des assureurs maritimes des
Etats-Unis) avait milité pour que la disposition empêchât l’adoption de mesures discriminatoires
chez les Etats parties qui exigeaient de leurs acheteurs ou vendeurs assumant le risque d’une
expédition qu’ils souscrivent une assurance auprès d’une compagnie nationale356.
7.55. L’Iran demande à la Cour d’étendre le champ d’application de cette disposition à tout
importateur ou exportateur, où qu’il se trouve, qui se livrerait au commerce de marchandises de
l’une ou l’autre Partie, indépendamment de la nationalité de l’intéressé, de l’origine des
352 Traité d’amitié, art. IX, par. 2 (MI, annexe 1).
353 MI, par. 7.2 (où il est déclaré que le paragraphe 2 de l’article IX «exige que chaque Partie accorde … aux
ressortissants et sociétés de l’autre partie un traitement» particulier) (les italiques sont de nous).
354 Traité d’amitié, art. IX, par. 3 (MI, annexe 1).
355 Etude de M. Sullivan, p. 267-268 (les italiques sont de nous) (annexe 161).
356 Ibid.
114
- 91 -
importations ou de la destination de l’exportation357. Une telle interprétation est non seulement
contraire au texte clair de la disposition, mais également illogique. Elle revient à exiger que l’Iran
et les Etats-Unis ouvrent le marché de l’assurance maritime à un nombre illimité et en constante
évolution d’importateurs et d’exportateurs de pays tiers, sans aucune réciprocité de la part de ces
derniers. Une telle interprétation va bien au-delà de l’intention des auteurs de cette disposition, qui
n’entendaient influer que sur le marché de l’assurance maritime pour les importations et
exportations entre l’Iran et les Etats-Unis.
7.56. L’Iran estime que les dispositions suivantes emportent violation des paragraphes 2 et 3
de l’article IX : i) certaines dispositions de la loi IFCA ; et ii) certaines dispositions du
décret 13846358. Comme il a été dit précédemment, les mesures du 8 mai ne font entrer en jeu ces
dispositions législatives que dans le cas des transactions en relation avec des personnes
non américaines. De même, les sanctions relevant du décret 13846 s’appliquent aux transactions
réalisées entre l’Iran et des personnes non américaines, en dehors des Etats-Unis.
7.57. Les demandes présentées par l’Iran au titre des paragraphes 2 et 3 de l’article IX ayant
pour objet des mesures concernant les Etats tiers, la Cour devrait les rejeter comme n’entrant pas
dans le champ d’application de ces dispositions.
e) Les mesures concernant les Etats tiers n’entrent pas dans le champ d’application du
paragraphe 1 de l’article X
7.58. Enfin, l’Iran fait état de violations du paragraphe 1 de l’article X, qui prévoit la liberté
de commerce et de navigation entre le territoire des Etats-Unis et le sien.
7.59. Le paragraphe 1 de l’article X se lit comme suit : «Il y aura liberté de commerce et de
navigation entre les territoires des deux Hautes Parties contractantes.»359
7.60. Comme la Cour l’a dit dans son arrêt en l’affaire des Plates-formes pétrolières, dans la
mesure où il confère des protections et des droits de fond, le paragraphe 1 de l’article X contient
une «limitation territoriale importante»360. Cette disposition limite expressément sa portée au
commerce entre les territoires de l’Iran et des Etats-Unis. Par conséquent, l’article s’applique
uniquement aux échanges de biens effectués directement entre le territoire iranien et celui des
Etats-Unis, et non aux biens faisant l’objet de transactions intermédiaires avec des pays tiers. Dans
son arrêt en l’affaire des Plates-formes pétrolières, la Cour s’est arrêtée sur cette restriction,
expliquant que l’élément déterminant aux fins de son analyse était la nature des transactions
commerciales relatives au produit considéré361. A propos des exportations de pétrole en cause dans
cette affaire, la Cour a déclaré :
357 L’Iran déclare à tort dans son mémoire que «rien ne précise» les termes «importateur» ou «exportateur», qui
s’étendent donc à «tout importateur ou exportateur, indépendamment de leur nationalité ou du pays de provenance ou de
destination de leurs opérations» (MI, par. 7.5).
358 Ibid., par. 7.8-7.12.
359 Traité d’amitié, art. X, par. 1 (MI, annexe 1).
360 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003,
p. 214, par. 119.
361 La Cour a rejeté sans ambages toute analyse axée sur la question de savoir si le produit concerné conservait
«un caractère iranien» ou s’il pouvait être désigné comme un produit iranien selon les critères du droit commercial
international. Ibid., p. 206, par. 96.
115
- 92 -
«Ce que l’Iran considère comme un commerce «indirect» de pétrole entre lui et
les Etats-Unis impliquait une série de transactions commerciales : la vente par l’Iran
de pétrole brut à un client en Europe occidentale, ou à un pays tiers autre que les
Etats-Unis ; peut-être une série de transactions intermédiaires ; et pour finir la vente de
produits pétroliers à un client aux Etats-Unis. Il ne s’agit pas là de «commerce» entre
l’Iran et les Etats-Unis, mais de commerce entre l’Iran et un acheteur intermédiaire, et
de «commerce» entre un vendeur intermédiaire et les Etats-Unis.»362
7.61. En d’autres termes, la Cour a clairement indiqué qu’elle décomposerait les transactions
faisant intervenir une série de mesures avec des personnes de pays tiers pour n’examiner que celles
concernant les ventes directes de pétrole entre l’Iran et les Etats-Unis. Le même principe s’applique
en l’espèce, c’est-à-dire que la limitation territoriale prévue au paragraphe 1 de l’article X exige
que, pour entrer dans son champ d’application, les demandes iraniennes portent sur un commerce
direct entre les territoires des Etats-Unis et de l’Iran, sans faire intervenir aucune transaction
intermédiaire avec un pays tiers.
7.62. Toutefois, l’Iran semble tenter de se prévaloir du paragraphe 1 de l’article X pour se
protéger de toutes les mesures du 8 mai au simple motif que celles-ci pourraient nuire à ses
activités commerciales ou à sa compétitivité sur le plan international363. Cette tentative ne résiste
pas à un examen du traité et de la jurisprudence de la Cour. Comme il a été dit plus haut, les
mesures du 8 mai sont dans leur grande majorité des mesures concernant les Etats tiers et n’ont pas
trait au commerce entre les territoires de l’Iran et des Etats-Unis. En même temps, l’Iran reconnaît
dans son mémoire que seules certaines de ces mesures, appartenant à une catégorie limitée,
pourraient éventuellement se rapporter à un commerce direct entre les deux pays, à savoir celles de
la quatrième catégorie. Ledit mémoire comprend une section distincte intitulée «La révocation des
autorisations dérogatoires aux sanctions américaines contre l’Iran qui élargissaient le champ des
relations commerciales directes entre les deux pays»364. S’agissant des «relations commerciales
directes entre les deux pays», l’Iran ne désigne que les mesures du 8 mai relevant de la quatrième
catégorie, qui concerne i) l’exportation ou la réexportation vers l’Iran d’aéronefs de transport
commercial de passagers et de pièces ou services connexes et ii) l’importation aux Etats-Unis de
tapis et de denrées alimentaires d’origine iranienne365. Comme l’Iran semble le reconnaître, le reste
des mesures du 8 mai ⎯ à savoir le rétablissement de certaines sanctions prévues par diverses lois,
la promulgation du décret 13846 et la réinscription de personnes sur la liste SDN ⎯ ne concerne
manifestement pas un commerce direct entre les Etats-Unis et lui.
7.63 Et pourtant, l’Iran affirme que les dispositions suivantes emportent violation de
l’article X, sans presque jamais expliquer en quoi elles intéressent un commerce direct entre les
Etats-Unis et lui : i) certaines dispositions des lois IFCA et TRA et de la loi NDAA de 2012 ;
ii) certaines dispositions du décret 13846 ; et iii) la révocation de certaines autorisations liées aux
tapis, aux denrées alimentaires et aux aéronefs de transport commercial de passagers366. Les
mesures du 8 mai ne font entrer en jeu ces dispositions législatives que dans le cas des transactions
en relation avec des personnes non américaines. Et les mesures de sanction figurant dans le
362 Ibid., p. 207, par. 97. Contrairement à ce que soutient l’Iran dans son mémoire, l’analyse de la Cour reposait
sur une lecture du paragraphe 1 de l’article X en son sens ordinaire, sans tenir compte de l’intention ou des prévisions
initiales de l’exportateur quant à la destination finale du produit. Voir MI, par. 8.6.
363 MI, par. 8.8 («Il résulte de ce qui précède que les mesures américaines décrites au chapitre II posent une
entrave distincte et supplémentaire au commerce, et sont donc contraires au paragraphe 1 de l’article X.»).
364 Ibid., p. 34 (les italiques sont de nous).
365 MI, par. 2.41.
366 Ibid., par. 8.8-8.13.
116
117
- 93 -
décret 13846 s’appliquent aux transactions effectuées entre l’Iran et des personnes
non américaines, en dehors du territoire américain. Il ne reste donc que la révocation de certaines
autorisations qui pourrait être liée à un commerce direct entre les Etats-Unis et l’Iran.
7.64. Lorsque les demandes de l’Iran ont pour objet des mesures concernant les Etats tiers, la
Cour devrait les rejeter comme n’entrant pas dans le champ d’application du paragraphe 1 de
l’article X.
7.65. Pour contester l’ensemble des mesures du 8 mai, l’Iran avance une théorie
fondamentalement viciée selon laquelle le traité imposerait aux Etats-Unis des obligations envers
lui en ce qui concerne le commerce et les transactions avec des pays tiers. Cet argument, s’il était
accepté par la Cour, pourrait s’appliquer sans limite apparente et est fondamentalement
incompatible avec le concept même d’un traité bilatéral destiné à favoriser les relations
commerciales entre les Parties. Le traité, s’il est dûment interprété comme il est indiqué dans le
présent chapitre, ne corrobore pas les affirmations de l’Iran. Plus simplement, cet instrument ne
garantit pas que les Etats-Unis s’abstiendront de prendre des mesures ayant une incidence sur le
commerce de l’Iran avec des pays tiers. Il prévoit un ensemble de protections particulières aux fins
de certaines activités commerciales bilatérales, dans la logique non seulement de son objet et de
son but exprès, à savoir encourager le commerce bilatéral «entre le[s] peuples» des deux Parties,
mais aussi du libellé des obligations de fond y énoncées. Partant, s’agissant des mesures concernant
les Etats tiers, c’est-à-dire les mesures qui concernent le commerce ou les transactions entre l’Iran
(ou des sociétés et ressortissants iraniens) et des pays tiers (ou leurs sociétés et ressortissants), les
Etats-Unis soutiennent que les mesures du 8 mai ne relèvent pas des dispositions du traité. Leur
exception y afférente peut être examinée sans empiéter sur des questions touchant le fond de la
thèse iranienne, ni se pencher sur les faits relatifs aux demandes de l’Iran dans tel ou tel contexte
pour savoir si ces faits étayeraient l’existence d’une violation des règles prétendument établies par
le traité, ou si d’éventuels moyens de défense seraient disponibles. La Cour devrait rejeter les
demandes de l’Iran en la matière dès ce stade préliminaire comme échappant à sa compétence.
- 94 -
CHAPITRE 8
OBSERVATIONS FINALES
8.1. Il ne fait aucun doute que la présente affaire n’a absolument rien à voir avec le traité
d’amitié mais que l’Iran l’a simplement engagée pour tenter de faire annuler la décision des
Etats-Unis de cesser de participer au plan d’action en demandant à la Cour d’ordonner à ceux-ci de
remettre en vigueur la levée des sanctions qu’ils assuraient en vertu dudit plan. Il s’agit là d’un
résultat que le plan d’action n’autorise nullement l’Iran à obtenir et qui est incompatible avec les
prérogatives souveraines que les participants à cet instrument s’y sont expressément réservées.
8.2. Quand bien même la Cour déciderait de passer outre au caractère foncièrement artificiel
de la thèse iranienne, les mesures du 8 mai que l’Iran a portées devant elle relèvent pleinement de
deux dérogations expresses qui sont prévues à l’article XX du traité. Elles constituent, comme
l’Iran l’a expressément reconnu dans le plan d’action, des mesures de sanction «liées au nucléaire»
qui échappent donc, par l’effet de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX, à l’application des
obligations de fond énoncées dans le traité. De plus, les mesures du 8 mai faisaient suite aux
craintes notoires que les Etats-Unis éprouvaient pour leur sécurité face à tout l’éventail d’activités
déstabilisatrices, destructrices et menaçantes menées par l’Iran. Etant donné qu’elles étaient
nécessaires à la protection des intérêts vitaux des Etats-Unis sur le plan de la sécurité, ces mesures
échappent donc également, par l’effet de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX, à l’application
des obligations de fond énoncées dans le traité. Les Etats-Unis ne font pas valoir ces deux
dérogations établies à l’article XX comme faisant obstacle à la compétence de la Cour, mais
soutiennent que l’examen de leur applicabilité en l’espèce revêt un caractère exclusivement
préliminaire et que la Cour devrait les envisager l’une et l’autre au stade des présentes exceptions
préliminaires pour des raisons d’équité, d’économie de procès et de bonne administration de la
justice.
8.3. Enfin, même si elle en venait à rejeter les arguments ci-dessus, la Cour devrait conclure
que les griefs de l’Iran quant aux mesures concernant les Etats tiers (lesquelles constituent la
grande majorité des mesures du 8 mai) n’entrent manifestement pas dans le champ d’application de
ce traité commercial et consulaire bilatéral. Alors que le traité d’amitié prévoit certaines protections
à l’égard du commerce et des transactions entre les Parties (et leurs sociétés et ressortissants), les
mesures du 8 mai concernent essentiellement le commerce et les transactions entre l’Iran et les
pays tiers. Il est loisible à l’Iran de considérer que ces mesures concernant les Etats tiers sont
«inamicales» de manière générale, ou même de s’insurger contre ce qu’il dit être leur «caractère
extraterritorial». Mais ses critiques ne remettent pas en question la portée matérielle ou
juridictionnelle du traité. Celui-ci n’énonce pas d’obligations applicables aux mesures concernant
les Etats tiers, et les griefs que l’Iran nourrit à cet égard n’entrent pas dans le champ d’application
de sa clause compromissoire.
8.4. Pour les raisons qui précèdent, la Cour devrait rejeter la requête de l’Iran comme
échappant à la compétence qu’elle tient du paragraphe 2 de l’article XXI du traité d’amitié, qui est
limitée aux différends «quant à l’interprétation ou à l’application» de cet instrument et ne s’étend
pas à l’objet de la présente affaire, lequel est lié au plan d’action. Ces mêmes préoccupations
fondamentales font que la requête de l’Iran constitue un abus de procédure, puisque son examen
donnerait lieu à une grave injustice, et la Cour devrait la déclarer irrecevable pour ce motif.
A supposer qu’elle en décide autrement, la Cour devrait examiner les exceptions des Etats-Unis
fondées sur le paragraphe 1 de l’article XX, lesquelles revêtent un caractère exclusivement
préliminaire et constituent deux motifs autonomes justifiant de rejeter les demandes de l’Iran dans
leur intégralité. Enfin, la Cour devrait conclure que, lorsque les mesures du 8 mai contestées par
l’Iran sont des mesures concernant les Etats tiers, elles ne sont manifestement pas régies par le
traité et ne peuvent donc relever de sa clause compromissoire.
118
119
- 95 -
CONCLUSIONS
Compte tenu de ce qui précède, les Etats-Unis d’Amérique demandent à la Cour de retenir
les exceptions soulevées ci-dessus quant aux demandes présentées par l’Iran dans sa requête du
16 juillet 2018 et de décliner sa compétence en l’espèce. En particulier, les Etats-Unis d’Amérique
demandent à la Cour de :
a) rejeter dans leur intégralité les demandes de l’Iran comme échappant à sa compétence ;
b) rejeter dans leur intégralité les demandes de l’Iran comme étant irrecevables ;
c) rejeter dans leur intégralité les demandes de l’Iran comme étant exclues par l’alinéa b) du
paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié ;
d) rejeter dans leur intégralité les demandes de l’Iran comme étant exclues par l’alinéa d) du
paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié ;
e) rejeter comme échappant à sa compétence toutes les demandes, quelle que soit la disposition du
traité d’amitié invoquée à l’appui, qui ont pour objet des mesures concernant les Etats tiers[367].
Respectueusement,
L’agent des Etats-Unis d’Amérique,
(Signé) M. Marik A. STRING.
Le 23 août 2019.
[367] Voir, plus haut, chap. 7.
120
- 96 -
CERTIFICATION
Je soussigné, Marik A. String, agent des Etats-Unis d’Amérique, certifie par la présente que
les copies de cette pièce et de tous les documents y annexés sont conformes aux originaux et que
toutes les traductions fournies sont exactes.
L’agent des Etats-Unis d’Amérique,
(Signé) M. Marik A. STRING.
Le 23 août 2019.
___________
121

Document file FR
Document Long Title

Exceptions préliminaires des Etats-Unis d'Amérique

Links