Réponse écrite du Nicaragua aux questions posées par M. le juge Cançado Trindade à l'audience tenue dans la matinée du 2 octobre 2015

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19244
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Lettre HOL-EMB-179 adressée au greffier par l’agent du Nicaragua
en date du 9 octobre 2015

[Traduction]

J’ai l’honneur de me référer aux questions posées par M. le juge Cançado Trindade à la fin

de l’audience tenue le vendredi 2 octobre 2015 dans le cadre de l’affaire relative à des Violations
alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie).

Dans votre lettre en date du 2 octobre 2015 (n 146132), vous informiez le soussigné que la
Cour avait fixé au 9 octobre 2015 la date d’expiration du délai dans lequel le Gouvernement de la
République du Nicaragua était invité à répondre par écrit auxdites questions.

Conformément à cette instruction, la République du Nicaragua présente la réponse écrite
ci-jointe.

Veuillez agréer, etc.

___________ Q UESTIONS POSÉES PAR M. LE JUGE CANÇADO TRINDADE

Question n 1 : «Les facultés ou pouvoirs inhérents des juridictions internationales contemporaines

découlent-ils de l’exercice même de leurs fonctions judiciaires internationales ?»

Question n 2 : «Les différentes bases pouvant fonder la compétence des juridictions internationales
contemporaines ont-elles une incidence sur la portée de leur compétence de la compétence ?»

o
Question n 3 : «Les différentes bases pouvant fonder la compétence des juridictions internationales
contemporaines conditionnent-elles le fonctionnement des mécanismes correspondants de
contrôle de l’exécution de leurs décisions, jugements et arrêts respectifs ?»

Les réponses exposées ci-dessous viennent complé1er les passages pertinents des plaidoiries
présentées par M. Pellet les 29 septembre et 2 octobre . Le Nicaragua n’entend pas répéter ici ce
qui a déjà été dit et invite respectueusement M. le juge Cançado Trindade et les autres membres de
la Cour à considérer ces passages comme faisant partie intégrante de la présente réponse.

Avant de répondre aux différentes questions posées, le Nicaragua souhaite faire deux
remarques générales valant pour l’ensemble de celles-ci.

En premier lieu, le pouvoir inhérent (ou la compétence inhérente) des juridictions

internationales tient à la nature même de celles-ci. De fait, les contours précis de la compétence
propre à chacune sont tracés dans l’acte qui la constitue, mais, du fait de sa nature judiciaire, la
mise en cause et le maintien de ses fonctions judiciaires peut mener à la reconnaissance soit de
pouvoirs complémentaires, soit de limites à l’exercice de ses pouvoirs.

En second lieu, le contexte international revêt une importance particulière, notamment en ce
qui concerne le suivi des décisions de ces juridictions, puisqu’elles ne bénéficient pas, en matière
d’exécution, de l’appui d’un appareil étatique (police, armée, administration).

Cela posé, le Nicaragua abordera à présent les questions individuelles de

M. le juge Cançado Trindade.

Question n 1 : «Les facultés ou pouvoirs inhérents des juridictions internationales contemporaines
découlent-ils de l’exercice même de leurs fonctions judiciaires internationales ?»

Comme il est mentionné plus haut, le Nicaragua estime que le pouvoir inhérent des
juridictions internationales leur vient non seulement de l’exercice de leur fonction judiciaire, mais
plus largement de leur existence et de leur nature mêmes en tant qu’organes judiciaires. Cela dit,
lorsqu’un tel organe a exercé la compétence qui est la sienne, en indiquant des mesures

conservatoires ou en prononçant un jugement ou un arrêt, par exemple, il peut se prévaloir de son
pouvoir inhérent pour sanctionner juridiquement l’inexécution ou l’exécution incomplète de sa
décision. Autrement — et sauf dans des circonstances exceptionnelles (voir ci-dessous notre
réponse à la question n 3) — le caractère obligatoire de ses décisions serait privé de toute assise et
les parties seraient libres de passer outre à ses jugements, arrêts et ordonnances sans craindre le

moindre châtiment (au sens strict de punition), voire la moindre conséquence juridique non
punitive.

1CR 2015/23, p. 53-56, par. 21-28, et CR 2015/25, p. 37-40, par. 12-17 (Pellet). - 2 -

o
Question n °2 : «Les différentes bases pouvant fonder la compétence des juridictions
internationales contemporaines ont-elles une incidence sur la portée de leur compétence de la
compétence ?»

Le Nicaragua est d’avis que la compétence de la compétence (Kompetenz Kompetenz, soit la
faculté qu’a une juridiction de se prononcer avec autorité sur sa propre compétence) est un principe
bien établi en droit et d’application générale . L’on peut, en ce sens, considérer que ce pouvoir est
inhérent, en ce qu’il n’a pas à être expressément conféré à la juridiction par son statut (comme le

fait le paragraphe 6 de l’article 36 du Statut de la Cour), et ne dépend donc pas des bases de
compétence, si l’on entend par là les différents fondements sur lesquels peut reposer la saisine de la
juridiction (par exemple, pour la Cour, la clause compromissoire ou la déclaration d’acceptation
facultative).

Le Nicaragua estime par ailleurs que, si l’expression «bases de compétence» est censée
renvoyer à l’acte constitutif de la juridiction internationale en cause, le principe de compétence de
la compétence emporte pour celle-ci, dans tous les cas, le pouvoir ou la faculté de trancher la
question de l’existence et de la portée de son pouvoir inhérent. Les conclusions diffèrent toutefois

en fonction du statut applicable.

Autrement dit, sauf disposition expresse de leur statut à l’effet contraire, toutes les
juridictions sont, du point de vue du Nicaragua, habilitées de la même façon à déterminer l’étendue

des pouvoirs (exprès, implicites et inhérents) qui leur sont conférés.

Question n °3 : «Les différentes bases pouvant fonder la compétence des juridictions
internationales contemporaines conditionnent-elles le fonctionnement des mécanismes

correspondants de contrôle de l’exécution de leurs décisions, jugements et arrêts respectifs ?»

Là encore, le Nicaragua fait valoir que ce ne sont pas tant les bases de compétence, soit le
fondement sur lequel la juridiction est saisie, que l’acte constitutif de celle-ci qui détermine les
mécanismes de contrôle de l’exécution de ses décisions (y compris ses jugements et arrêts).

Autrement dit, le Nicaragua est d’avis que, en l’absence de disposition expresse de leur statut,
toutes les juridictions sont également habilitées à déterminer la portée des pouvoirs (exprès,
implicites et inhérents) qui leur sont conférés, en gardant à l’esprit, cela va de soi, le rôle qui leur
est propre au sein des organisations ou mécanismes dont elles peuvent, plus largement, faire partie.

L’on ne saurait concevoir qu’une juridiction soit impuissante devant l’Etat qui ne ferait
aucun cas de ses décisions, mais l’existence, au sein du système dont elle fait partie, d’un autre
organe doté de pouvoirs de contrôle influe sur l’étendue des pouvoirs supposés inhérents à sa
constitution.

Ainsi que l’a exposé le conseil du Nicaragua à l’audience et qu’il a été rappelé ci-dessus,
l’une des raisons pour lesquelles les juridictions internationales doivent absolument disposer d’une
certaine compétence pour assurer l’exécution de leurs décisions tient à l’absence d’organe

d’exécution à l’échelle mondiale. Cette compétence inhérente peut toutefois cesser d’être
indispensable lorsqu’un organe politique est investi de pouvoirs pour l’exécution de pareilles
décisions, du fait que le respect de leur force obligatoire est dès lors assuré par l’organe en
question . C’est pour cette raison que la Cour européenne des droits de l’homme n’exerce que de

2Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 119 : «Depuis
l’affaire de l’Alabama, il est admis, conformément à des précédents antérieurs, qu’à moins de convention contraire, un
tribunal international est juge de sa propre compétence et a le pouvoir d’interpréter à cet effet les actes qui gouvernent
celle-ci.»
3
Sur les questions (et faux problèmes) concernant, en particulier, l’article 94 de la Charte, voir CR 2015/23,
p. 58-60, par. 33-38 (Pellet), et CR 2015/25, p. 46, par. 30 (Pellet). - 3 -

façon marginale son pouvoir inhérent pour l’exécution de ses arrêts, à la différence de la Cour
interaméricaine qui, elle, ne dispose d’aucun mécanisme en la matière.

Le Nicaragua espère avoir dûment répondu aux questions posées. Dans le cas contraire, ou
si la Cour souhaitait obtenir des éléments complémentaires sur un point particulier, le Nicaragua se
ferait un plaisir de compléter sa réponse.

___________

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