Exposé écrit du Nicaragua sur les exceptions préliminaires de la Colombie

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18792
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Incidental Proceedings
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13846

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

AFFAIRE RELATIVE À DES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE DROITS SOUVERAINS

ET D’ESPACES MARITIMES DANS LA MER DES CARAÏBES

(NICARAGUA C. COLOMBIE)

EXPOSÉ ÉCRIT DE LA RÉPUBLIQUE DU NICARAGUA SUR LES EXCEPTIONS
PRÉLIMINAIRES DE LA RÉPUBLIQUE DE COLOMBIE

20AVRIL2015

[Traduction du Greffe] T ABLE DES MATIÈRES

Liste des acronymes........................................................................................................................... ii
Chapitre 1. Introduction...................................................................................................................1

Chapitre 2. Le pacte de Bogotá........................................................................................................4

I. Le droit applicable ................................................................................................................... 4

II. La position de la Colombie...................................................................................................... 4

III.La position du Nicaragua......................................................................................................... 5

IV.La Colombie fait abstraction de l’article XXXI et force l’interprétation de l’article LVI....... 6

V. Les travaux préparatoires ne confortent pas la thèse de la Colombie.................................... 11

Chapitre 3. L’existence d’un différend..........................................................................................13
I. Il existe objectivement un différend....................................................................................... 13

II. La Colombie savait pertinemment qu’il existait un différend ............................................... 15

Chapitre 4. Le différend ne pouvait, de l’avis des Parties, être résolu au moyen de
négociations directes..................................................................................................................19

I. L’article II du pacte de Bogotá n’exige pas qu’une tentative de négociation ait eu lieu....... 20

II. L’article II impose que l’une des parties seulement, et non les deux, soit d’avis que
le différend ne peut être résolu au moyen de négociations directes....................................... 22

III.A la date critique, les deux Parties étaient d’avis que le différend dont le Nicaragua a
saisi la Cour ne pouvait être réglé au moyen de négociations directes.................................. 27

A. A la date du dépôt de la requête du Nicaragua, la Colombie avait fermé la porte à
la négociation.................................................................................................................... 28

B. Les questions à propos desquelles les Parties avaient laissé la porte ouverte à la
négociation ne sont pas celles faisant l’objet du présent différend................................... 33

Chapitre 5. La Cour possède un pouvoir inhérent lui permettant de connaître de

différends découlant d’un défaut d’exécution de ses arrêts (quatrième et cinquième
exceptions préliminaires)...........................................................................................................38
I. Le pouvoir inhérent cadre avec le caractère consensuel de la compétence ........................... 41

II. Le pouvoir inhérent de la Cour est compatible avec la compétence du Conseil de
sécurité................................................................................................................................... 45

Conclusions......................................................................................................................................50

Attestation.........................................................................................................................................51
Liste des annexes...............................................................................................................................52 - ii -

LISTE DES ACRONYMES

CEDH Cour européenne des droits de l'homme
CIEDR Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination
raciale
CIJ Cour internationale de Justice

CNUDM Convention des Nations Unies sur le droit de la mer
EEN Exposé écrit du Nicaragua

EPC Exceptions préliminaires de la Colombie
MN Mémoire du Nicaragua
OEA Organisation des Etats américains

OLP Organisation de libération de la Palestine
ONU Organisation des Nations Unies
TIDM Tribunal international du droit de la mer C HAPITRE 1

INTRODUCTION

1 1.1. La République du Nicaragua a déposé, le 26 novembre 2013, une requête concernant les
violations des droits souverains et des espaces maritimes qui lui avaient été reconnus par la Cour
dans son arrêt du 19 novembre 2012 et la menace de la Colombie de recourir à la force pour
commettre ces violations. L’affaire a été inscrite au rôle de la Cour sous le titre : Violations
alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes

(Nicaragua c. Colombie). Par ordonnance du 3 février 2014, la Cour a fixé au 3 octobre 2014 et au
3 juin 2015, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt du mémoire du
Nicaragua et du contre-mémoire de la Colombie. La République du Nicaragua a déposé son
mémoire dans le délai ainsi prescrit. La Colombie a présenté des exceptions préliminaires le
19 décembre 2014. Par ordonnance du même jour, la Cour a fixé au 20 avril 2015 la date
d’expiration du délai dans lequel le Nicaragua pourrait soumettre un exposé écrit sur les exceptions
préliminaires soulevées par la Colombie. Le présent exposé écrit est donc déposé conformément à

ladite ordonnance et dans le délai prescrit par la Cour.

1.2. Dans son mémoire,

«1. … la République du Nicaragua prie la Cour de dire et juger que, par son
comportement, la République de Colombie :

a) a manqué à l’obligation lui incombant de ne pas violer les espaces maritimes du
Nicaragua tels que délimités au paragraphe 251 de l’arrêt rendu par la Cour le
19 novembre 2012, ainsi que les droits souverains et la juridiction du Nicaragua
sur lesdits espaces ;

b) a manqué à l’obligation lui incombant en vertu du paragraphe 4 de l’article 2 de la
Charte des Nations Unies et du droit international coutumier de s’abstenir de
recourir à la menace ou à l’emploi de la force ;

c) se trouve, partant, tenue d’effacer les conséquences juridiques et matérielles de ses
faits internationalement illicites, et de réparer intégralement le préjudice causé par
ces faits.

2. Le Nicaragua prie également la Cour de dire et juger que la Colombie doit :

a) cesser tous ses faits internationalement illicites de caractère continu portant atteinte

ou susceptibles de porter atteinte aux droits du Nicaragua ;

b) dans toute la mesure du possible, rétablir le statu quo ante, en

i) abrogeant les lois et règlements promulgués par elle qui sont incompatibles
avec l’arrêt rendu par la Cour le 19 novembre 2012, notamment les
dispositions des décrets 1946 du 9 septembre 2013 et 1119 du 17 juin 2014
relatives aux zones maritimes qui ont été reconnues comme relevant de la

juridiction ou des droits souverains du Nicaragua ;

2 ii) révoquant les permis délivrés à des navires de pêche opérant dans les eaux
nicaraguayennes ; et - 2 -

iii) faisant en sorte que ni la décision rendue le 2 mai 2014 par la Cour
constitutionnelle de la Colombie ni aucune autre décision rendue par une

autorité nationale n’empêche l’exécution de l’arrêt rendu par la Cour le
19 novembre 2012 ;

c) l’indemniser au titre de l’ensemble des dommages causés dans la mesure où
ceux-ci ne sont pas réparés par la restitution, y compris le manque à gagner
résultant, d’une part, des pertes d’investissements qu’ont entraînées les
déclarations à caractère comminatoire faites par les plus hautes autorités

colombiennes et le recours, par les forces navales colombiennes, à la menace ou à
l’emploi de la force à l’encontre de navires de pêche nicaraguayens [ou de navires
explorant ou exploitant le sol et le sous-sol du plateau continental du Nicaragua] et
de navires de pêche d’Etats tiers détenteurs d’un permis délivré par le Nicaragua,
et, d’autre part, de l’exploitation des eaux nicaraguayennes par des navires de
pêche agissant en vertu d’une «autorisation» illicite de la Colombie, le montant de
l’indemnité devant être déterminé lors d’une phase ultérieure de la procédure ;

d) donner des garanties appropriées de non-répétition de ses faits internationalement
illicites.»

1.3. Pour fonder la compétence de la Cour, le Nicaragua invoque l’article XXXI du traité
américain de règlement pacifique (le «pacte de Bogotá» ou le «pacte») du 30 avril 1948. Il soutient
par ailleurs que l’objet de sa requête demeure dans le champ de la compétence de la Cour telle que
celle-ci l’a établie dans l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), sur

laquelle elle s’est prononcée dans un arrêt rendu le 19 novembre 2012.

1.4. En ce qui concerne le pacte de Bogotá, aucune réserve du Nicaragua ou de la Colombie
pouvant entrer en jeu au cas d’espèce n’est en vigueur à ce jour. Le 27 novembre 2012, la
Colombie a fait savoir qu’elle dénonçait cet instrument, conformément à son article LVI, à compter
du jour même. La Colombie soutient que cet avis de dénonciation a pris immédiatement effet à
l’égard de toute nouvelle requête introduite à son encontre après cette date et que, par conséquent,

la Cour ne saurait connaître de la présente affaire.

1.5. A titre subsidiaire, la Colombie soutient qu’il n’existait pas objectivement de différend
au moment où le Nicaragua a déposé sa requête, le 26 novembre 2013. De même, elle considère
que, quand bien même un tel différend aurait existé, la condition préalable énoncée à l’article II du
pacte de Bogotá, qui exige que les parties aient été d’avis que ce différend ne pourrait être résolu au

moyen de négociations directes, n’était pas remplie.

3 1.6. En outre, la Colombie conteste que la Cour possède un pouvoir inhérent lui permettant
de statuer sur la présente affaire et soutient que, en tout état de cause, la Cour n’a pas compétence
s’agissant de l’obligation internationale qui incombe aux parties de se conformer à ses arrêts.

1.7. La Colombie aborde également certaines questions touchant au fond de la présente

instance qui, selon le Nicaragua, ne pourront être dûment traitées que lors de la phase
correspondante. Aussi le Nicaragua, à ce stade, réserve-t-il de manière générale ses droits à leur - 3 -

égard. De1plus, les questions relatives au fond de la présente instance sont analysées dans son
mémoire .

1.8. Le présent exposé écrit se compose des chapitres suivants.

1.9. Au chapitre 2, le Nicaragua répond à la première exception d’incompétence formulée
par la Colombie et démontre que l’interprétation que celle-ci donne de l’article LVI du pacte de
Bogotá, interprétation qui en force le sens, va à l’encontre de l’objet et du but de cet instrument (à
savoir le règlement efficace et définitif des différends), ainsi que du principe de bonne foi, et n’est
pas conforme aux règles d’interprétation des traités.

1.10. Le chapitre 3 est consacré à la deuxième exception préliminaire soulevée par la
Colombie, selon laquelle aucun différend n’opposait les Parties au moment du dépôt de la requête.
Le Nicaragua y apporte la preuve de l’existence objective d’un différend entre lui-même et la
Colombie avant l’introduction de l’instance, dont témoigne le comportement des autorités et des

forces navales colombiennes, et montre qu’il n’existe pas, en droit international, d’obligation de
notifier à la partie adverse l’existence d’un différend par voie de note diplomatique.

1.11. Le chapitre 4 traite de la troisième exception préliminaire soulevée par la Colombie,
concernant les conditions préalables énoncées à l’article II du pacte de Bogotá. Le Nicaragua y

montre que les conditions posées dans cet article sont remplies : les deux Parties considéraient que
4 le différend ne pouvait être résolu au moyen de négociations bilatérales, et, dès lors, le recours
immédiat à la procédure judiciaire visée à l’article XXXI du pacte était permis.

1.12. Le chapitre 5 porte sur les quatrième et cinquième exceptions préliminaires de la

Colombie, concernant le pouvoir inhérent de la Cour, notamment à l’égard d’obligations découlant
de ses arrêts. Il y est démontré que ce pouvoir inhérent n’entre nullement en conflit avec le
caractère consensuel de la compétence de la Cour, qui est elle-même compatible avec celle du
Conseil de sécurité.

1.13. Enfin, le Nicaragua expose ses conclusions.

1Voir, par exemple, MN, par. 2.11-2.21 en ce qui concerne les faits, et par. 3.15-3.31,3.32-3.36,3.37-3.55 en ce
qui concerne les violations, par la Colombie, des obligations lui incombant en vertu du droit international. - 4 -

CHAPITRE 2

LE PACTE DE B OGOTÁ

5 2.1. Le Nicaragua et la Colombie ont tous deux signé le traité américain de règlement
pacifique le 30 avril 1948. Le Nicaragua l’a ratifié le 21 juin 1950 et a déposé son instrument de
ratification le 26 juillet de la même année, sans l’assortir d’une réserve qui pourrait s’appliquer en
l’espèce. Quant à la Colombie, elle l’a ratifié le 14 octobre 1968 et a déposé son instrument de
ratification le 6 novembre de la même année, sans formuler la moindre réserve.

2.2. Le 27 novembre 2012, la Colombie a fait savoir qu’elle dénonçait le pacte, soutenant
que cette dénonciation prenait «immédiatement et pleinement effet à l’égard de toute procédure
qu’une partie pourrait souhaiter engager après [la] transmission [de l’avis qui la signifiait]» .

I. LE DROIT APPLICABLE

2.3. La compétence de la Cour en l’espèce est fondée sur l’article XXXI du pacte de Bogotá,
qui est ainsi libellé :

«Conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour
internationale de Justice, les Hautes Parties Contractantes en ce qui concerne tout
autre Etat américain déclarent reconnaître comme obligatoire de plein droit, et sans
convention spéciale tant que le présent Traité restera en vigueur, la juridiction de la

Cour sur tous les différends d’ordre juridique surgissant entre elles et ayant pour
objet : a) l’interprétation d’un traité ; b) toute question de droit international ;
c) l’existence de tout fait qui, s’il était établi, constituerait la violation d’un
engagement international ; d) la nature ou l’étendue de la réparation qui découle de la
rupture d’un engagement international.»

2.4. En ce qui concerne la dénonciation du pacte de Bogotá, l’article LVI de cet instrument
prévoit ce qui suit :

«La durée du présent Traité sera indéfinie, mais il pourra être dénoncé

moyennant un préavis d’un an ; passé ce délai il cessera de produire ses effets par
rapport à la partie qui l’a dénoncé, et demeurera en vigueur en ce qui concerne les
autres signataires. L’avis de dénonciation sera adressé à l’Union panaméricaine qui le
transmettra aux autres Parties Contractantes.

6 La dénonciation n’aura aucu3 effet sur les procédure en cours entamées avant la
transmission de l’avis en question.»

II. A POSITION DE LA COLOMBIE

2.5. La Colombie soutient que la Cour n’a pas, ratione temporis, compétence au titre du

pacte de Bogotá, étant donné que le Nicaragua a déposé sa requête après la transmission au
secrétariat général de l’Organisation des Etats américains (ci-après l’«OEA») (organisation qui a

2
Exceptions préliminaires de la Colombie, p. 19, par. 2.19 (ci-après «EPC»).
3 Voir le texte du pacte de Bogotá (ci-après, le «pacte») dans les quatre langues faisant foi (espagnol, anglais,
français et portugais), à l’annexe 33 des exceptions préliminaires présentées par la Colombie. - 5 -

succédé à l’Union panaméricaine) de l’avis par lequel la Colombie avait dénoncé le pacte «à
compter d[u 27 novembre 2012]». Elle affirme que, conformément au second alinéa de
l’article LVI du pacte, l’avis de dénonciation a pris immédiatement et pleinement effet à l’égard de

toute procédure qu’4ne partie pourrait souhaiter engager après sa transmission, c’est-à-dire après le
27 novembre 2012 .

III. A POSITION DU N ICARAGUA

2.6. Le Nicaragua estime que l’application à l’article LVI du pacte de Bogotá des articles 31
à 33 de la convention de Vienne sur le droit des traités, reflétant le droit international coutumier ,5
conduit précisément à la conclusion inverse.

2.7. La position de la Colombie est erronée car elle ne tient pas compte de la relation entre
l’article XXXI et l’article LVI, ni de l’effet de cette relation sur les requêtes déposées moins d’un
an après la dénonciation du pacte.

2.8. Aux termes de l’article XXXI du pacte, en effet, les parties «en ce qui concerne tout
autre Etat américain [partie au pacte] déclarent reconnaître comme obligatoire de plein droit, et
sans convention spéciale tant que le présent Traité restera en vigueur, la juridiction de la Cour».

7 2.9. Le premier alinéa de l’article LVI stipule quant à lui que la durée du pacte est indéfinie,
tout en reconnaissant aux parties le droit de dénoncer le traité «moyennant un préavis d’un an»,
étant précisé que, «passé ce délai[, cet instrument] cessera de produire ses effets par rapport à la

partie qui l’a dénoncé».

2.10. Ainsi, en vertu de l’article LVI, le pacte est resté «en vigueur» à l’égard de la Colombie
tout au long de l’année qui a suivi la transmission de son avis de dénonciation. Et, d’après

l’article XXXI, l’acceptation par la Colombie de la juridiction obligatoire de la Cour a continué de
produire ses effets «tant que le présent Traité [c’est-à-dire, le pacte] [est] rest[é] en vigueur»,
c’est-à-dire pendant les douze mois qui se sont écoulés à compter de la dénonciation du pacte par la
Colombie.

2.11. De fait, la Cour elle-même a reconnu que l’acceptation, par un Etat, de sa juridiction
obligatoire en vertu de l’article XXXI du pacte de Bogotá «demeur[ait] valide ratione temporis tant
que cet instrument rest[ait] lui-même en vigueur entre ces Etats» .6

2.12. La Colombie a transmis son avis de dénonciation du pacte le 27 novembre 2012.
Ainsi, cet instrument, d’après les termes exprès de l’article LVI, est demeuré en vigueur, à son
égard, jusqu’au 27 novembre 2013. Et puisque, en vertu de l’article XXXI, la déclaration

d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour faite par la Colombie devait continuer de
produire ses effets «tant que le … Traité rest[erait] en vigueur», elle les a nécessairement produits
de manière constante jusqu’au 27 novembre 2013.

4
EPC, p. 19, par. 2.19 ; p.41-42, par. 3.1, 3.3 ; p. 83, par. 3.73.
5Ibid., p. 49, par. 3.14.

6Voir Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité,
arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 84, par. 34. - 6 -

2.13. Dès lors, entre le 27 novembre 2012 et le 27 novembre 2013, rien n’empêchait le
Nicaragua de déposer une requête auprès de la Cour et d’établir ainsi la compétence de celle-ci.
L’acceptation, par la Colombie, de la juridiction obligatoire de la Cour était toujours valide
ratione temporis le 16 septembre 2013, date de l’introduction de la présente instance. Et il est

8 constant, dans la jurisprudence de la Cour, qu’une fois celle-ci valablement saisie (à la date du
dépôt de la requête), elle demeure compétente indépendamment des changements qui pourraient
éventuellement affecter les bases de sa compétence .

2.14. Cette position est parfaitement conforme à la règle codifiée à l’article 31 de la
convention de Vienne sur le droit des traités, selon laquelle un traité «doit être interprété de bonne
foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son
objet et de son but.»

2.15. L’interprétation que le Nicaragua donne de l’article LVI est en effet conforme à l’objet
et au but du pacte (régler les différends de façon efficace et définitive) et au principe de bonne foi.
Comme son nom l’indique, le pacte de Bogotá est un traité «de règlement pacifique», dont les
termes révèlent en outre nettement, comme l’a relevé la Cour, «que les Etats américains, en

élaborant cet instrum8nt, … entend[aient] renforcer leurs engagements mutuels en matière de
règlement judiciaire» .

IV. L A C OLOMBIE FAIT ABSTRACTION DE L ’ARTICLE XXXI ET

FORCE L INTERPRÉTATION DE L ’ARTICLE LVI

2.16. La Colombie parvient à sa conclusion erronée — selon laquelle la dénonciation du
pacte aurait pris effet immédiatement à l’égard de la requête du Nicaragua — en faisant abstraction
des liens entre l’article XXXI et l’article LVI, puis en donnant de l’article LVI une interprétation

artificielle et totalement contraire à l’article XXXI. A l’appui de son argument, elle invoque le
second alinéa de l’article LVI, qui dispose que «[l]a dénonciation n’aura aucun effet sur les
9 procédures en cours entamées avant la transmission de l’avis en question». Il paraît toutefois clair
que ce libellé ne peut faire échec à la compétence de la Cour en vertu de l’article XXXI et du

premier alinéa de l’article LVI.

2.17. Rien dans le second alinéa de l’article LVI ne vient annuler les effets que l’acceptation
par la Colombie de la juridiction obligatoire de la Cour dans le cadre de l’article XXXI a continué
de produire «tant que le … Traité [est] rest[é] en vigueur». Rien non plus ne vient y faire échec à

la prévision, au premier alinéa de l’article LVI (qui précède immédiatement la phrase sur laquelle
la Colombie semble s’appuyer), selon laquelle le pacte ne «cessera de produire ses effets par
rapport à la partie qui l’a dénoncé» (ici, la Colombie) qu’un an après la transmission de l’avis de
dénonciation (et donc, en l’espèce, qu’à partir du 27 novembre 2013). Ainsi, rien dans l’unique

phrase que renferme le second alinéa de l’article LVI ne permet de contester que l’obligation
imposée à la Colombie par l’article XXXI était applicable le 16 septembre 2013, date à laquelle le
Nicaragua a déposé sa requête. Interpréter autrement cette disposition, comme semble le faire la
Colombie, serait non seulement contraire à la logique et au sens évident du texte, mais encore en

7 Voir Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 111,
122-123 ; Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 28-29, par. 36.

8La Cour a reproduit littéralement l’intervention du délégué colombien à la séance de la commission III de la
conférence, qui s’est tenue le 27 avril 1948, dans laquelle celui-ci expliquait que la sous-commission qui avait établi le
projet estimait que «la principale procédure de règlement pacifique des différends entre les Etats américains devait être la
procédure judiciaire devant la Cour internationale de Justice» (Actions armées frontalières et transfrontalières
(Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 90, par. 46). - 7 -

contradiction directe avec les autres dispositions du pacte citées plus haut, c’est-à-dire
l’article XXXI et le premier alinéa de l’article LVI ; une telle lecture serait dès lors incompatible

avec les règles d’interp9étation des traités énoncées aux articles 31 à 33 de la convention de Vienne
sur le droit des traités .

2.18. Par ailleurs, le second alinéa de l’article LVI ne saurait s’appliquer au consentement
exprimé dans le cadre de l’article XXXI, l’acceptation de la juridiction de la Cour n’étant pas une
«procédur[e] en cours». En exprimant une telle volonté aux termes de l’article XXXI, les Parties

ont pris un engagement contraignant, se suffisant à lui-même et devenant une obligation
internationale à part entière dès la ratification et l’entrée en vigueur du pacte. Il s’agissait d’un acte
10 achevé, et ses conséquences juridiques ont pris effet dès ce moment-là. N’étant nullement «en
cours», il ne saurait constituer la «procédur[e] en cours» au sens du second alinéa de
10
l’article LVI .

2.19. Du reste, ce second alinéa ne dit rien des «procédures en cours» entamées après la

transmission de l’avis de dénonciation, pas plus qu’il ne définit ce concept de «procédures en
cours». Il se borne à indiquer que certaines procédures, à savoir celles entamées avant la
transmission de l’avis, ne seront pas affectées. L’interprétation a contrario qu’en fait la
11 12
Colombie  interprétation qui, nous dit-elle, ne serait «pas sans force»  ne tient pas au regard
du libellé exprès de l’article XXXI et du premier alinéa de l’article LVI, qui garantissent le
maintien en vigueur de l’acceptation, par la Colombie, de la juridiction obligatoire de la Cour
pendant les douze mois qui suivent l’avis de dénonciation . 13

2.20. La Colombie soutient que son interprétation du second alinéa de l’article LVI en
garantit l’effet utile et évite un résultat qui serait «manifestement absurde ou déraisonnable» . Or,14

elle aboutit précisément au résultat inverse. L’on ne saurait faire abstraction du premier alinéa de
l’article LVI, qui précise clairement que le pacte «pourra être dénoncé moyennant un préavis d’un
an [et que] passé ce délai il cessera de produire ses effets par rapport à la partie qui l’a dénoncé».
Si l’on suivait l’interprétation que fait la Colombie de cette disposition (laquelle stipule, sans

prévoir la moindre exception, que le pacte restera en vigueur encore un an à compter de la date de
l’avis de dénonciation), c’est ce premier alinéa qui deviendrait superflu, serait privé d’effet utile et
aboutirait à un résultat «manifestement absurde ou déraisonnable». Car, selon la Colombie, pour

donner effet utile au second alinéa de l’article LVI, il faudrait de fait passer outre à la règle
générale énoncée au premier.

11 2.21. La Colombie est consciente de la faiblesse de son subterfuge. Elle tente de dissocier
l’unique phrase du second alinéa de l’article LVI de cet embarrassant premier alinéa, qui contredit
son argument, et de «concilier» les deux parties en suggérant que le premier des deux alinéas porte
sur les dispositions du pacte autres que les procédures de règlement, auxquelles s’applique en

revanche le second. Si l’on retenait cette interprétation, seules échapperaient à la dénonciation du

9MN, p. 9, par. 1.18.

10Ibid., par. 1.19.
11
Voir EPC, p. 52, par. 3.20 ; p. 80-81, par. 3.69. En réalité, la Colombie invite la Cour à entériner le principe
inclusio unius, exclusio alterius, en se gardant toutefois bien de le mentionner.
12Voir EPC, p. 81, par. 3.69.

13MN, p. 10, par. 1.20.
14
EPC, p. 50, par. 3.15-3.16 ; p.75-78, par. 3.60-3.61. - 8 -

pacte les «procédures» entamées avant la transmission de l’avis et toujours en cours à la date de
prise d’effet de la dénonciation .5

2.22. La Colombie s’évertue sans convaincre à minorer l’ensemble des dispositions du pacte
couvertes par le premier alinéa de son article LVI. Il serait toutefois absurde que la règle principale
(énoncée au premier alinéa) concerne les effets de la dénonciation sur des dispositions accessoires
par rapport à l’objet principal du pacte, tandis que ses effets sur les procédures les plus importantes,
à savoir les procédures de règlement  raison d’être du pacte, qui leur consacre 41 de ses
16
60 articles — seraient relégués au second alinéa .

2.23. Peut-on raisonnablement arguer que c’est pour garantir que les articles I à VIII
et L à LX du pacte continueraient de s’appliquer dans l’année suivant la date de transmission de

l’avis de dénonciation que le premier alinéa de l’article LVI a été introduit ? Peut-on réellement
croire que toutes les autres dispositions du pacte — autrement dit les procédures de règlement —
étaient censées tomber sous le coup d’une exception ménagée discrètement par le second alinéa de
l’article LVI, d’application si large qu’elle prendrait le pas sur la règle générale énoncée au premier

alinéa (en sus de faire échec aux termes de l’article XXXI) ? Par leur nature même, les
articles I-VIII et L-LX n’ont, pour l’essentiel, rien à voir avec la clause de dénonciation.

12 2.24. Une interprétation telle que celle proposée ici par la Colombie serait incompatible avec
le principe de bonne foi. Comme son nom l’indique, le pacte de Bogotá — désormais dénoncé par

Bogotá ! — est un traité «de règlement pacifique» dont l’objet et le but consistent notamment à
offrir certaines assurances quant à la possibilité de saisir la Cour et de recourir aux procédures de
règlement qu’il prévoit.

2.25. Soulignant la distinction entre l’acceptation de la juridiction de la Cour par la voie de
déclarations unilatérales d’Etats faites en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, d’une part,
et son acceptation dans le cadre du pacte de Bogotá, d’autre part, l’ancien président de la Cour
Eduardo Jiménez de Aréchaga a écrit :

«8. Tout Etat ayant fait une déclaration unilatérale en vertu du paragraphe 2 de
l’article 36 du Statut sans limite de durée peut la retirer dans un délai raisonnable
après en avoir signifié l’intention, et formuler de nouvelles réserves en toute
discrétion. La relation découlant de l’article XXXI est, d’un point de vue juridique,

très différente du régime général de la clause facultative. Ainsi, s’agissant du retrait,
le pacte de Bogotá, une fois accepté par un Etat américain, reste en vigueur pour une
durée indéfinie et ne peut être dénoncé que moyennant un préavis d’un an, période
tout au long de laquelle il continue de produire ses effets (article LVI du pacte de
Bogotá). La possibilité de retirer son acceptation de la juridiction obligatoire dès que
17
se profile la menace d’une requête a de la sorte été nettement limitée.» (Les
italiques sont de nous.)

2.26. En résumé, au rebours des règles établies en matière d’interprétation des traités, la

lecture de l’article LVI du pacte proposée par la Colombie en vide de sens le premier alinéa. Or,

15
Ibid., p. 48-53, par. 3.13-3.22. ; p. 76-78, par. 3-62-3.63.
16Articles IX à XLIX du pacte.

17E. Jiménez de Aréchaga, «The Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice under the Pact of
Bogotá and the Optional Clause», International Law at a Time of Perplexity: Essays in honour of Shabtai Rosenne,
Martinus Nijhoff, 1989, p. 356-357. - 9 -

ainsi que la Cour l’a rappelé, le prin18pe de l’effet utile joue un rôle important en droit des traités et
13 dans la jurisprudence de la Cour . Il convient, en effet, d’éviter toute interprétation qui rendrait
superflue une partie d’une disposition ou en réduirait les effets pratiques . 19

2.27. En outre, nulle part dans le pacte n’est-il précisé que sa dénonciation produirait des
effets immédiats. Une telle affirmation va à l’encontre du sens ordinaire des mots interprétés dans

leur contexte, à la lumière de l’objet et du but du pacte, ainsi que du principe de bonne foi.

2.28. La Colombie appelle l’attention sur le fait qu’aucun des Etats — Nicaragua
compris  n’avait, à l’époque ou par la suite, dans le cadre de l’OEA, élevé d’objection à l’égard
de la déclaration ou de la ligne de conduite de la Colombie . Toutefois, ni le Nicaragua ni aucune

autre partie contractante au pacte de Bogotá n’étaient tenus de s’opposer expressément à l’avis de
dénonciation soumis par la Colombie pour éviter des conséquences que celle-ci prête à tort à cet
acte. Le Nicaragua a bel et bien réagi, mais en exerçant le droit que lui reconnaissent les

articles XXXI et LVI d’introduire une requête contre la Colombie avant expiration du préavis
stipulé et avant, donc, que la dénonciation du pacte formulée par celle-ci ne prenne effet.

2.29. Le Nicaragua interprète le second alinéa de l’article LVI comme ne modifiant pas la
règle fixée à l’alinéa qui précède ni ne créant d’exception à son endroit, interprétation qui est

davantage compatible avec : 1) les clauses de dénonciation ad21tées par les traités consacrés à la
même question, qui forment l’«acquis» panaméricain ; et 2) les clauses de dénonciation adoptées
14 dans d’autres traités multilatéraux, universels et régionaux. Si tant est que la liste d’instruments à

laquelle la Colombie a renvoyé pour étayer son argumentation nous enseigne quoi que ce soit, c’est
que toutes les clauses mentionnées — sans exception — prévoient le maintien en vigueur des
traités concernés pendant des périodes de trois, six ou douze mois courant à compter de la date de
22
notification de leur dénonciation .

18
Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 23, par. 47,
p. 25-26, par. 51-52 ; Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt,
C.I.J. Recueil 1998, p. 455, par. 52.
19 Composition du Comité de la sécurité maritime de l’Organisation intergouvernementale consultative de la

navigation maritime, avis consultatif du 8 juin 1960, C.I.J. Recueil 1960, p. 159-171 ; Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011, p. 125-126, par. 133-134.
20
EPC, p. 21, par. 2.21 ; p. 59, par. 3.32.
21Traité d’arbitrage obligatoire du 29 janvier 1902, article 22 : «[s]i l’une des puissances signataires décide de
recouvrer sa liberté, elle dénoncera le traité, dénonciation qui ne produira d’effet qu’à son égard, et seulement un an après
sa formulation. Cette dénonciation n’aura par ailleurs aucun effet sur toute procédure d’arbitrage impliquant la puissance

en question qui demeurerait en cours à l’expiration de ce délai d’un an» [traduction du Greffe] ; traité général d’arbitrage
interaméricain du 5 janvier 1929, article 9 : «[l]e présent traité restera en vigueur indéfiniment, mais il peut être dénoncé
par un avis préalable d’un an ; à l’expiration de ce terme, il cessera d’être en vigueur en ce qui concerne la partie qui l’a
dénoncé, mais restera en vigueur pour les autres signataires». Voir l’article LVIII du pacte de Bogotá, qui dispose que
celui-ci succède à une série d’instruments, dont le traité général de 1929.
22
La Colombie observe qu’«[u]ne comparaison entre le libellé du second alinéa de l’article LVI et les
dispositions relatives à la dénonciation figurant dans d’autres traités multilatéraux prévoyant des procédures de règlement
des différends révèle également qu’il n’est pas rare, dans un traité, de distinguer l’effet général de la dénonciation de son
effet sur les procédures en question» (EPC, p. 55, par. 3.24). Il n’en demeure pas moins que les traités que la Colombie
cite comme exemples (p. 55-58, par. 3.25-3.28) desservent sa thèse plutôt qu’ils ne la confortent. De fait, leurs clauses
prévoient toutes la poursuite des procédures entamées avant que la dénonciation ne prenne effet, ce qui, dans l’ensemble
des cas, se produit soit un an, soit encore six mois ou trois mois après la date de la notification. Il n’existe pas un seul
exemple de clause de dénonciation qui ait un effet immédiat. - 10 -

2.30. La Colombie invoque des déclarations d’acceptation de la juridiction obligatoire de la
Cour faites en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statu23 arguant que certaines d’entre elles
comportent des clauses de dénonciation à effet immédiat . L’argument, toutefois, porte à faux
puisque  contrairement au pacte de Bogotá  ces déclarations attribuent expressément à leur
dénonciation un effet immédiat, et instituent une base de compétence différente de celle établie par

le pacte. Il s’agit là d’une différence fondamentale que la Cour a distinctement relevée il y a plus
de vingt-cinq ans.

2.31. En l’affaire relative à des Actions armées frontalières et transfrontalières
(Nicaragua c. Honduras), la Cour a en effet rejeté l’interprétation proposée par le Honduras et

observé ce qui suit :

«[M]ême si l’on retient la lecture de l’article XXXI défendue par le Honduras et
si l’on regarde cet article comme une déclaration collective d’acceptation de la
15 juridiction obligatoire faite conformément au paragraphe 2 de l’article 36, il convient
de constater que cette déclaration a été incorporée au pacte de Bogotá, en tant

qu’article XXXI. Dès lors elle ne saurait être modifiée que selon les règles fixées par
le pacte lui-même. Or l’article XXXI n’envisage à aucun moment que l’engagement
pris par les parties au pacte puisse être amendé par voie de déclaration unilatérale faite
ultérieurement par application du Statut et la mention du paragraphe 2 de l’article 36
du Statut ne suffit pas par elle-même à produire un tel effet.

Ce silence est d’autant plus significatif que le pacte fixe avec précision les
obligations des parties. L’engagement figurant à l’article XXXI vaut ratione materiae
pour les différends énumérés par ce texte. Il concerne ratione personae les Etats
américains parties au pacte. Il demeure valide ratione temporis tant que cet
instrument reste lui-même en vigueur entre ces Etats.» 24

2.32. A la différence d’une dénonciation de la compétence établie en vertu de la clause
facultative du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, qui est d’ordre purement unilatéral, la
dénonciation de la compétence prévue par le pacte de Bogotá au titre de l’article XXXI produit des
effets régis par les dispositions de cet instrument — en l’occurrence, son article LVI. Toute

dénonciation non conforme à ses prescriptions est donc sans effet.

2.33. L’ancien président de la Cour, M. Jiménez de Aréchaga, l’a réaffirmé dans son article
intitulé «The Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice» :

«6. Malgré ces analogies entre l’article XXXI du pacte de Bogotá et les
paragraphes 2 et 3 de l’article 36 du Statut, l’Annuaire de la Cour ne fait pas
apparaître l’article XXXI dans la liste des déclarations d’acceptation de la juridiction
obligatoire de la Cour. En revanche, le pacte de Bogotá y est répertorié parmi les
«autres instruments régissant la compétence de la Cour». Cette classification est juste,

puisque l’article XXXI du pacte de Bogotá, en dépit de sa formulation, relève en
réalité du paragraphe 1 de l’article 36 du Statut, qui vise les traités et conventions en
vigueur, et non des paragraphes 2, 3 ou 4 de ce même article.

23
EPC, p. 53-55, par. 3.23.
24 Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence de la Cour et
recevabilité de la requête, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 84, par. 34. - 11 -

16 7. En effet, l’article XXXI a pour effet juridique, en ce qui concerne les Etats

américains parties au pacte, de «contractualiser»  c’est-à-dire de transformer en une
relation conventionnelle  les liens plus lâches découlant des déclarations unilatérales
faites en vertu du paragraphe 2 de l’article 36. Cette relation conventionnelle acquiert

de la sorte, entre ces Etats, la force contraignante et la stabilité qui caractérisent les
liens conventionnels, mais non le régime de la clause facultative. Les Etats
latino-américains qui ont adhéré au pacte de Bogotá ont ainsi accepté dans leurs

rapports mutuels, et compte tenu de leur très grande proximité historique et culturelle,
la juridiction obligatoire de la Cour à des conditions bien plus contraignantes que
celles propres au système de déclarations faites conformément au paragraphe 2 de

l’article 36 du Statut. A preuve ces deux caractéristiques essentielles du régime de la
clause facultative : la possibilité de se retirer et celle de formuler de nouvelles
réserves.»25

2.34. En résumé, le Nicaragua réaffirme sa position sur la compétence qu’a la Cour pour
connaître de la présente instance en vertu des articles XXXI et LVI du pacte de Bogotá, telle
26
qu’exposée dans son 27moire , ne voyant dans les réponses apportées par la Colombie aux points
qu’il a développés rien qui justifierait de la modifier. Bien au contraire. La Colombie a mal
compris certains des arguments avancés par le Nicaragua, et mal interprété le sens des

articles XXXI et LVI du pacte.

V. L ES TRAVAUX PRÉPARATOIRES NE CONFORTENT PAS

LA THÈSE DE LA C OLOMBIE

2.35. La Colombie considère que les travaux préparatoires du pacte de Bogotá confirment
son interprétation de l’article LVI . Ayant indiqué que l’origine de son second alinéa remonte à

une proposition présentée par les Etats-Unis d’Amérique au cours de la huitième conférence
internationale des Etats américains tenue à Lima du 9 au 27 décembre 1938 , la Colombie retrace
ensuite la manière dont le projet de texte a évolué d’une version à l’autre, en faisant l’objet de

17 modifications de forme mineures, pour être enfin, dans sa version du 18 novembre 1947, soumis
par le comité juridique interaméricain à l’examen de la neuvième conférence internationale des
Etats américains à Bogotá . C’est à cette occasion que le paragraphe 3 de l’article XXVI du

25
E. Jiménez de Aréchaga, «The Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice under the Pact of
Bogotá and the Optional Clause», International Law at a time of perplexity: Essays in honour of Shabtai Rosenne,
Martinus Nijhoff, 1989, p. 356-357.
26
MN, p. 7-12, par. 1.12-1.23.
27EPC, p. 74-83, par. 3.58-3.72.

28EPC, p. 60-72, par. 3.33-3.53 ; p. 78, par. 3.64.
29
Ibid., p. 63-66, par. 3.39-3.45La dernière phrase de l’article XXII du projet de texte daté du
16 décembre 1938 présenté par les Etats-Unis d’Amérique se lisait comme suit : «La dénonciation sera sans incidence sur
toute procédure en cours introduite avant sa notification.»
30EPC, p. 66-69, par. 3.46-3.49. - 12 -

projet 31est devenu l’article LVI du pacte, après un léger remaniement du texte par le comité de
rédaction .2

2.36. Toutefois, aucune étape de la genèse de cet article ne vient étayer l’interprétation que
donne la Colombie de son second alinéa. La disposition est bien là dans le texte du pacte, mais il

semble que personne ne s’y soit particulièrement intéressé, ne se soit enquis de son sens ni n’en ait
proposé d’interprétation ; il n’y a eu aucun débat au sein de la Commission et les rapports joints
aux projets n’éclairent en rien les raisons sous-tendant le choix des termes employés à

l’article LVI — un constat qui serait fort surprenant si, comme l’affirme la Colombie, son objet
avait été de modifier radicalement la portée des clauses de dénonciation traditionnellement en
vigueur dans le système interaméricain.

2.37. Il n’est pas davantage fait mention de cette disposition dans les rapports du comité ou
dans les procès-verbaux de la conférence. La seule référence à l’article LVI — qui tient en une
seule ligne — est celle faite par M. Enríquez, représentant du Mexique et rapporteur de la troisième

commission (sur le règlement des différends et la sécurité collective), qui, en présentant les
spécificités du projet aux membres de la commission de coordination, a précisé que l’article LVI
trouvait son origine dans le traité général d’arbitrage interaméricain du 5 janvier 1929 . 33

18 2.38. Or, l’article 9 du traité de 1929 était libellé comme suit : «Le présent traité restera en
vigueur indéfiniment, mais il peut être dénoncé par un avis préalable d’un an ; à l’expiration de ce
terme, il cessera d’être en vigueur en ce qui concerne la partie qui l’a dénoncé, mais restera en

vigueur pour les autres signataires». Rien de plus, rien de moins.

2.39. Le pacte de Bogotá a succédé au traité de 1929 . Tout élément ajouté à ce texte doit

être interprété comme un corollaire de la règle, sauf à établir qu’une intention contraire avait été
clairement exprimée ; or la Colombie n’a rien démontré de tel. Le traité de 1929, comme le pacte
de Bogotá, précise clairement que ses dispositions continuent de produire plein effet au cours de

l’année qui suit la dénonciation. Dans le cas du pacte de Bogotá, il s’ensuit nécessairement que
l’article XXXI est resté pleinement en vigueur entre la Colombie et le Nicaragua tout au long de
l’année qui a suivi sa dénonciation par la Colombie, soit jusqu’au 27 novembre 2013.

2.40. En conclusion, le second alinéa de l’article LVI ne saurait faire échec à la compétence
découlant pour la Cour de l’article XXXI du pacte avant l’expiration d’un délai de douze mois
pleins commençant à courir à la date de la dénonciation. La requête du Nicaragua, déposée le

16 septembre 2013, confère donc compétence à la Cour.

31
Le paragraphe 3 de l’article XXVI était libellé comme suit :
«Le présent Traité restera en vigueur indéfiniment, mais il pourra être dénoncé moyennant un
préavis d’un an adressé à l’Union panaméricaine ; à l’expiration de ce délai, il cessera de produire ses
effets par rapport à la partie qui l’a dénoncé, mais demeurera en vigueur à l’égard des autres signataires.
L’avis de dénonciation sera transmis par l’Union panaméricaine aux autres gouvernements signataires.

La dénonciation sera sans incidence sur les procédures en cours introduites avant sa notification.»
32 EPC, p. 69-71, par. 3.50-3.52 : «La dénonciation sera sans incidence sur les procédures en cours entamées
avant la transmission de l’avis en question.»
33
IX Conferencia Internacional Americana, Bogotá, Colombie, 30 mars-2 mai 1948, Actas y Documentos,
vol. II, ministère des affaires étrangères de la Colombie, Bogotá, 1953, p. 541. Le rapporteur a fait un lapsus en
mentionnant l’article 16 au lieu de l’article 9 — le dernier du traité de 1929.
34
Voir article LVIII du pacte de Bogotá. - 13 -

C HAPITRE 3

L’ EXISTENCE D ’UN DIFFÉREND

19 3.1. Au chapitre 4 de ses exceptions préliminaires, la Colombie affirme que la Cour n’a pas

compétence pour le motif suivant :

«[I]l n’existait pas de différend entre les deux Parties puisque, avant le dépôt de
sa requête, le Nicaragua n’avait formulé aucune réclamation, qu’elle fût relative à la

violation de ses «droits souverains et … espaces maritimes» ou à «la menace ou à
l’emploi de la force» par la Colombie, ou encore au décret 1946 promulgué par cette
dernière en 2013, qui pût engendrer un différend, ni n’avait protesté contre le
35
comportement de la Colombie dans les espaces maritimes concernés.»

3.2. La Colombie prétend ainsi exciper d’une «incompétence fondée sur l’absence de

différend en36e les deux Etats en rapport avec les demandes formulées dans la requête du
Nicaragua» . Elle écrit qu’«il mérite tout particulièrement d’être relevé que la seule
correspondance diplomatique que le Nicaragua [lui] ait adressée ... pour se plaindre [de son]
comportement ... date du 13 septembre 2014, soit bien après le dépôt de la requête» . Il convient

de faire la distinction entre les deux volets que recouvre cette exception d’incompétence, basée sur
l’article II du pacte de Bogotá, le premier consistant à dire qu’il n’existe pas réellement ou
objectivement de controverse ou «différend», au sens de l’article II («controversy» dans sa version
anglaise), et le second que, quand bien même un tel différend existerait objectivement, la Colombie

n’en a pas été informée selon les modalités prévues en droit international. Ces deux éléments sont
eux-mêmes distincts du point de savoir si le différend en question est de nature à être réglé au
moyen de négociations, au sens de l’article II du pacte de Bogotá, point qui sera traité au chapitre 4

du présent exposé écrit.

I. L EXISTE OBJECTIVEMENT UN DIFFÉREND

20 3.3. En ce qui concerne le premier point, à savoir l’existence objective d’un différend, les
Parties conviennent que celle-ci demande à être établie objectivement , et que le différend doit
déjà avoir existé au moment du dépôt de la requête , étant toutefois entendu  la précision est

importante  qu’il peut

«être nécessaire, pour déterminer avec certitude quelle était la situation à la date du

dépôt de la requête, d’examiner les événements, et en particulier les relations entre les
parties, pendant une période antérieure à cette date, voire pendant la période qui a
suivi» .

3.4. Les Parties ne semblent par ailleurs pas être en désaccord sur la manière dont il convient
de définir un différend. La Colombie mentionne ainsi la nécessité de «démontrer que la

35EPC, par. 4.1.

36Ibid., par. 4.4.
37
Ibid., et voir par. 4.13.
38Ibid., par. 4.10.

39Ibid., par. 4.8.
40
Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. 95, par. 66 ; citée dans EPC, par. 4.7. - 14 -

réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre» , et ne conteste pas

la définition donnée en l’affaire Mavrommatis, et souvent citée depuis, selon laquelle «[u]n
différend est un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de
thèses juridiques ou d’intérêts entre deux personnes» . 42

3.5. L’argument de la Colombie consiste à soutenir qu’il n’existe en fait pas de différend

concernant les «violations «des droits souverains et des espaces maritimes du Nicaragua» (tels
qu’ils avaient été définis dans l’arrêt de 2012) que celui-ci prête à la Colombie, ainsi que «la
menace … de recourir à la force pour commettre ces violations» . Autrement dit, la Colombie

21 allègue qu’il n’existe pas de désaccord sur un point de droit ou de fait, ni de contradiction ou
d’opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre elle-même et le Nicaragua, ce qui est
manifestement erroné. Il est parfaitement clair que les deux Parties sont en désaccord sur différents

points de droit, et que leurs thèses juridiques et intérêts s’opposent.

3.6. Avec son exception préliminaire, la Colombie cherche à donner l’impression qu’elle agit

dans le respect des obligations lui incombant en vertu du droit international. Pourtant, avant le
dépôt de la requête, elle avait déclaré à maintes reprises «inapplicable» l’arrêt rendu par la Cour
en 2012 . Non contente de ne pas adapter ses mesures et pratiques existantes pour en assurer la

conformité aux obligations découlant de cet arrêt, la Colombie en a même adopté de nouvelles qui
sont si clairement contraires aux dispositions de celui-ci qu’elles font figure de provocation. Or, ce
sont précisément ces nouvelles mesures prises en violation des obligations que la Colombie tient de

l’arrêt de 2012 qui ont motivé l’introduction de la requête.

3.7. Dans la période comprise entre le 19 novembre 2012, date du prononcé de l’arrêt de la

Cour, et le 26 novembre 2013, date du dépôt de la requête du Nicaragua, la Colombie a
notamment :

45
i) rejeté l’arrêt, affirmant qu’il n’était «pas applicable» ;

ii) le 9 septembre 2013, promulgué le décret 1946, faisant valoir des droits sur des espaces
46
maritimes dont la Cour avait expressément reconnu l’appartenance au Nicaragua ;

iii) cherché, en recourant à des navires et aéronefs militaires, ou au moyen de menaces
proférées par ses autorités militaires, à dissuader les bateaux de pêche nicaraguayens de se

41EPC, par. 4.11.

42Voir l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011, p. 70, par. 30, citant les
Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt n° 2, 1924, C.P.J.I. série A n° 2, p. 11. Voir l’Applicabilité de l’obligation
d’arbitrage en vertu de la section 21 de l’accord du 26 juin 1947 relatif au siège de l’Organisation des Nations Unies,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1988, p. 12, par. 37-44 ; Certains biens (Liechtenstein c. Allemagne), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 6, par. 24, citant d’autres renvois à la définition donnée en l’affaire

Mavrommatis.
43EPC, par. 4.13.

44Requête, par. 4-14.
45
MN, par. 2.17.
46Ibid., par. 2.11-2.16, 3.15-3.29. - 15 -

22 hasarder dans des espaces maritimes dont la Cour avait expressément reconnu
47
l’appartenance au Nicaragua ;

iv) lancé un programme d’opérations militaires de surveillance dans des espaces maritimes
48
dont la Cour avait expressément reconnu l’appartenance au Nicaragua ;

v) prétendu délivrer des permis autorisant la pêche dans des espaces maritimes dont la Cour
avait expressément reconnu l’appartenance au Nicaragua . 49

3.8. Tous ces agissements sont antérieurs au dépôt de la requête et en constituent l’objet. La
Colombie n’en soutient pas moins que, «dès lors qu’on les considère dans leur globalité, il apparaît

clairement que [s]es actes ..., et notamment le comportement de ses représentants et les déclarations
de son président, ne constituent pas davantage qu’ils n’impliquent, contrairement aux dires du
Nicaragua, un manquement aux dispositions de l’arrêt» rendu en 2012 par la Cour . Le Nicaragua

n’est pas de cet avis, pour les raisons qu’il a données tant dans sa requête que dans son mémoire. Il
existe donc un désaccord sur ce point de droit. D’un point de vue objectif, il ne fait pas le moindre
doute que les deux Etats nourrissent un désaccord sur différents points de droit, et que leurs thèses

juridiques et intérêts s’opposent. Le différend entre les Parties est bien réel et existe objectivement.

II. LA C OLOMBIE SAVAIT PERTINEMMENT QU ’IL EXISTAIT UN DIFFÉREND

3.9. Le second volet de l’exception d’incompétence soulevée par la Colombie au titre de
l’absence de différend entre les deux Etats consiste à affirmer ou à laisser entendre qu’il n’existe

pas de différend parce que le Nicaragua n’avait pas adressé à la Colombie une notification 51
23 officielle en ce sens, sous forme de note diplomatique, lorsqu’il a déposé sa requête . D’après
cette thèse, aucun «différend» ne pourrait exister en droit international avant d’avoir été pour ainsi
dire «matérialisé» par l’envoi d’une note diplomatique officielle.

3.10. Il convient tout d’abord de souligner que les deux Parties étaient parfaitement au

courant de l’existence du différend.

3.11. La Colombie met en avant le «fait» que le ministère nicaraguayen des affaires
52
étrangères n’a eu connaissance des violations alléguées qu’à un stade tardif . Elle infère ce «fait»
de la lettre que ce ministère a adressée à la marine nicaraguayenne, le 13 août 2014, en vue
d’obtenir des informations sur tout incident susceptible de s’être produit entre ses forces ou des

pêcheurs nicaraguayens, d’une part, et les53orces navales colombiennes, d’autre part, dans les eaux
que la Cour a reconnues au Nicaragua . Or  et ce n’est guère surprenant , cette inférence est
erronée. La Colombie tente de faire passer la demande d’informations d’août 2014, formulée dans

le cadre de la rédaction du mémoire du Nicaragua et tendant à obtenir une liste exhaustive et
détaillée des incidents survenus, pour une demande d’un ministère des affaires étrangères

47 MN, par. 2.8-2.10, 2.25-2.31 ; pour un exposé détaillé et chronologique des incidents, voir la lettre du
26 août 2014 adressée au ministère des affaires étrangères par la marine nicaraguayenne rendant compte d’incidents avec
les forces navales colombiennes dans la zone économique exclusive du Nicaragua (ibid., annexe 23-A).

48Ibid., par. 1.7-1.9, 2.25-2.27.
49
Ibid., par. 2.51.
50EPC, par. 2.1.

51Ibid., par. 4.4, 4.16-4.18 et chap. 4 passim.
52
Ibid., par. 4.19-4.20.
53Ibid., par. 4.19. - 16 -

totalement ignorant de la situation qui s’enquerrait de la survenance même de tels incidents.

L’hypothèse selon laquelle le ministère n’aurait pas eu connaissance avant le mois d’août 2014 des
agissements par lesquels la Colombie entendait donner effet à son rejet de l’arrêt de 2012 est
fausse, et elle est absurde.

3.12. Le fait qu’il ait pu être déclaré que «la communication avec la marine colombienne

était bonne»54que «le calme régnait dans le sud-ouest des Caraïbes et qu’il n’existait aucun
problème» n’y change rien. Le choix du Nicaragua d’adopter une position conciliante en vue
d’éviter l’escalade, face à l’accueil réservé par la Colombie à l’arrêt de 2012 , ainsi que le5

comportement professionnel dont a fait preuve sa marine, ont fort heureusement permis d’éviter
24 une confrontation armée lourde de conséquences, mais cette retenue n’a nullement atténué le
désaccord ou fait disparaître le différend, ni ne justifie de penser que le Nicaragua ne se doutait pas

de l’existence d’un différend relatif au comportement de la Colombie. Leurs réponses montrent
très clairement que les officiers de la marine — et donc agents de l’Etat — nicaraguayens savaient
pertinemment quelle était la portée juridique des incidents relatés . 56

3.13. Le Nicaragua avait parfaitement connaissance des manquements de la Colombie aux
obligations que lui imposait le droit international, et il est tout aussi évident que celle-ci connaissait

la portée juridique de ses actes. Le Nicaragua avait exposé en détail sa position devant la Cour à
l’écrit et à l’oral dans le cadre d’une instance à laquelle la Colombie avait également participé, et à
l’occasion de laquelle elle avait eu tout loisir de développer sa propre argumentation. Lorsque

l’arrêt a été rendu,57a Colombie en a pris connaissance et y a réagi : elle a ainsi déclaré en «rejet[er]
catégoriquement» un aspect — la délimitation —, a expressément affirmé que les pêcheurs
colombiens étaient en droit de pêcher là où ils l’avaient toujours fait, sans avoir à en demander la
58
permiss59n à qui que ce soit , et a décrété que ledit arrêt «était inapplicable en l’absence d’un
traité» . Ce point est d’ailleurs ressorti clairement de plusieurs des échanges qui ont eu lieu entre
des navires colombiens et nicaraguayens . Dans ces circonstances, la Colombie ne saurait affirmer

n’avoir perçu, de la part du Nicaragua, que des «tensions» ou un vague mécontentement général au
sujet des questions maritimes. Elle savait pertinemment qu’un différend existait, et il n’est tout
simplement pas crédible qu’elle ait pu ignorer la portée juridique de ses actes entre la date du
prononcé de l’arrêt et celle du dépôt de la requête.

25 3.14. Si, comme la Colombie cherche à le faire accroire, le fait que le Nicaragua n’ait envoyé

une note diplomatique qu’après avoir déposé sa requête devait avoir une quelconque importance, ce
n’est certainement pas au motif que, avant cette date, la Colombie ignorait l’existence du
différend . Au vu des faits de la présente espèce, cette possibilité est exclue. L’importance que

54 EPC, par. 4.15.
55
MN, par. 1.10-1.11, 2.42, 2.53-2.63.
56 Voir, par exemple, ibid., par. 2.31 et 2.32. Voir également l’annexe 23-B MN contenant la transcription d’un

enregistrement audio daté du 8 mai 2014 et relatif à un incident impliquant les forces navales colombiennes, au cours
duquel le responsable nicaraguayen a déclaré : «Je vous informe que cette conversation est enregistrée afin d’être remise
aux autorités compétentes.»
57 MN, annexe 1.

58 Ibid., annexe 3.
59
Ibid., annexe 4. Voir ibid., annexe 5.
60 Ibid., par. 2.29-2.43. Ces paragraphes décrivent en détail des incidents qui se sont produits avant et après le

dépôt de la requête. Pour la transcription des enregistrements audio y afférents, voir l’annexe 23-B MN.
61 Voir l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011, p. 70, par. 131. - 17 -

62
pourrait revêtir cette note ne saurait donc être qu’une question de forme, et non de fond .
Autrement dit, la Colombie ne peut faire valoir qu’elle lui était nécessaire pour porter
effectivement à sa connaissance ses actes et l’existence d’un différend découlant de leur
incompatibilité avec ses obligations juridiques ; tout au plus pourrait-elle alléguer qu’avoir
effectivement connaissance de certains faits ne suffit pas, en droit international, aux fins

d’engendrer un «différend» entre les parties, l’existence de celui-ci devant encore être signifiée à
l’Etat défendeur au moyen d’une note diplomatique.

3.15. Sur le plan factuel toujours, on peut se demander pourquoi la Colombie considère qu’il

incombait au Nicaragua de lui envoyer une note diplomatique pour «matérialiser» le différend,
alors que c’était elle qui avait rejeté l’arrêt, le jugeant incompatible avec les droits lui revenant. Le
Nicaragua demandait seulement qu’elle honore les obligations juridiques qui venaient d’être
expressément et précisément définies par la Cour.

3.16. Cela étant, la position de la Colombie est aussi indéfendable en droit. Pour
commencer, la Colombie ne cite aucune source reconnue à l’appui de sa théorie selon laquelle un
différend ne peut exister avant d’avoir été notifié à la partie adverse au moyen d’une note
diplomatique formelle. Rien dans la Charte des Nations Unies, le Statut de la Cour ou le pacte de
Bogotá ne permet de conclure à l’existence d’une telle condition. On n’en trouve pas davantage

26 trace en droit international coutumier. Ces sources de droit international semblent même suggérer
précisément le contraire.

3.17. Le paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies énonce ainsi l’obligation

faite aux Etats de régler leurs différends internationaux en veillant à préserver la paix et la sécurité
internationales, tandis que le paragraphe 1 de l’article 33 de la Charte dispose que

«[l]es parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le
maintien de la paix et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution,

avant tout, par voie de négociation, d’enquête, de médiation, de conciliation,
d’arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux,
ou par d’autres moyens pacifiques de leur choix».

3.18. Cette obligation est répétée dans la déclaration de Manille sur le règlement pacifique
63
des différends internationaux , qui s’énonce comme suit :

«I.3. Les différends internationaux doivent être réglés sur la base de l’égalité
souveraine des Etats et en accord avec le principe du libre choix des moyens,
conformément aux obligations découlant de la Charte des Nations Unies et aux

principes de la justice et du droit international.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

I.5. Les Etats doivent rechercher de bonne foi et dans un esprit de coopération
une solution rapide et équitable de leurs différends internationaux par n’importe lequel

des moyens suivants : négociation, enquête, médiation, conciliation, arbitrage,
règlement judiciaire, recours à des accords ou organismes régionaux, ou par d’autres

62
Voir les observations de la Cour sur le fond et la forme en l’affaire relative à l’Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011, p. 70, par. 156-161.
63Résolution 37/10 de l’Assemblée générale des Nations Unies, 15 novembre 1982. - 18 -

moyens pacifiques de leur choix, y compris les bons offices. En recherchant cette
solution, les parties conviendront des moyens pacifiques qui seront appropriés aux
circonstances et à la nature du différend.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

I.7. Au cas où les parties à un différend ne parviendraient pas rapidement à une
solution par l’un des moyens susmentionnés, elles doivent continuer de rechercher une
solution pacifique et se consulter sans délai pour trouver des moyens mutuellement
acceptables de régler pacifiquement leur différend.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

I.10. Sans préjudice du droit au libre choix des moyens, les Etats devraient ne
pas perdre de vue que les négociations directes sont un moyen souple et efficace pour
régler pacifiquement leurs différends. Lorsqu’ils choisissent de recourir à des
négociations directes, les Etats devraient mener des négociations qui aient un sens, de
manière à parvenir rapidement à un règlement acceptable pour les parties. Les Etats
27 devraient également être prêts à chercher à régler leurs différends par les autres
moyens mentionnés dans la présente Déclaration.»

3.19. Ces instruments ne donnent nullement à penser qu’un «différend» ne pourrait exister
avant d’avoir été «matérialisé» par une note diplomatique, et la présence, dans les textes, de
pareille condition préalable limiterait considérablement l’obligation de régler les différends par des
moyens pacifiques.

3.20. En l’espèce, la Colombie fonde en partie ses exceptions sur la référence que fait
l’article II du pacte de Bogotá aux différends qui ne pourraient, de l’avis de l’une des Parties, être

résolus au moyen de négociations directes suivant les voies diplomatiques ordinaires. Cette
question sera traitée au chapitre suivant. Le point à retenir ici est que ni négociation antérieure ni
notification préalable au moyen d’une note diplomatique ne sont nécessaires pour que l’existence
d’un différend soit reconnue en droit international. Celle-ci constitue en effet une question
objective et, dans la présente affaire, il ne fait aucun doute qu’un différend existe et existait au
moment du dépôt de la requête. - 19 -

CHAPITRE 4

LE DIFFÉREND NE POUVAIT , DE L AVIS DES PARTIES ,ÊTRE
RÉSOLU AU MOYEN DE NÉGOCIATIONS DIRECTES

29 4.1. A titre de troisième exception préliminaire, la Colombie soutient que la demande du
Nicaragua est irrecevable parce que les Parties ne considéraient pas, contrairement à ce qu’exige
l’article II du pacte de Bogotá, que le différend ne pourrait être résolu au moyen de négociations

directes suivant les voies diplomatiques ordinaires. Selon elle, «les deux Parties étaient, en
l’espèce, d’avis que les problèmes soulevés par l’arrêt de 2012 pouvaient et devaient être réglés par
la voie d’un accord négocié» .64

4.2. A l’appui de cet argument, la Colombie avance les trois assertions suivantes :

1) au regard de l’article II, il doit y avoir eu tentative de négocier et cette voie doit avoir été
65
épuisée avant qu’il ne puisse être fait appel à la Cour ;

2) ce sont les deux parties (et non une seule d’entre elles) qui doivent être d’avis que le différend
ne peut être résolu au moyen de négociations directes ; et

3) les Parties «étaient … toutes deux partisanes de négocier un accord réglant les questions
apparues entre elles conséquemment à l’arrêt de 2012» . 67

4.3. Les deux premières assertions sont fausses. La Colombie se fonde sur la jurisprudence
de la Cour concernant les clauses compromissoires contenues dans d’autres traités pour étayer
l’argument selon lequel l’article II impose qu’il y ait eu tentative de négociation et que cette voie

ait été épuisée. Or, comme la Cour elle-même l’a clairement indiqué dans l’arrêt qu’elle a rendu
en 1988 sur la compétence et la recevabilité en l’affaire relative à des Actions armées frontalières
et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), l’article II du pacte de Bogotá est unique en son
genre . A la différence des clauses compromissoires figurant dans d’autres traités, il met en effet
69
30 l’accent sur «l’avis des parties» . C’est donc mal à propos que la Colombie cite la jurisprudence
de la Cour. En outre, sa thèse défie le bon sens. Exiger de parties en litige qu’elles négocient alors
même qu’elles estiment les négociations vouées à l’échec reviendrait à exiger d’elles qu’elles

agissent en vain, ce qui serait clairement absurde.

4.4. L’assertion de la Colombie selon laquelle l’article II impose que les deux parties (et non

une seule d’entre elles) estiment impossible de résoudre le différend les opposant au moyen de
négociations directes est également erronée. La Colombie passe opportunément sous silence deux
catégories d’éléments déterminants : premièrement, le texte français, faisant également foi, de
l’article II du pacte, où il n’est bien question que de «l’avis de l’une des parties» ; et,

deuxièmement, les documents cités par la Colombie elle-même (mais dont on relèvera qu’elle s’est
abstenue de les soumettre) prouvant que c’est la version française qui est à retenir, la différence

64EPC, par. 4.29.

65Ibid., par. 4.41-4.47.
66
Ibid., par. 4.30-4.40.
67Ibid., par. 4.37.

68 Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence de la Cour et
recevabilité de la requête, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 94, par. 63.
69
Ibid. - 20 -

avec les autres langues étant due à une erreur de dactylographie. En tout état de cause, la question
est purement théorique dans le contexte de la présente affaire, puisqu’il est manifeste que les
Parties étaient l’une comme l’autre d’avis que le différend dont le Nicaragua a saisi la Cour ne

pourrait être résolu au moyen de négociations directes suivant les voies diplomatiques ordinaires.

4.5. Enfin, la troisième assertion de la Colombie — selon laquelle les deux Etats «étaient, en
l’espèce, d’avis que les problèmes soulevés par l’arrêt de 2012 pouvaient et devaient être réglés par
70
la voie d’un accord négocié» — n’est que partiellement vraie, et en tout état de cause entièrement
dénuée de pertinence. Bien que les Parties aient toutes deux indiqué publiquement qu’elles ne
fermeraient pas, dans l’absolu, la porte à de futures négociations, la Colombie avait signifié on ne
peut plus clairement que la porte était hermétiquement close à la date du dépôt de la requête du

Nicaragua.

4.6. En outre, les points qui devaient, selon les deux Parties, faire l’objet de
négociations étaient distincts de ceux qui constituent l’objet du présent différend. Contrairement

à ce que soutient la Colombie, celui-ci ne porte 71s sur le règlement de questions
«apparues … conséquemment à l’arrêt de 2012» , mais «sur des violations des droits souverains et
31 des espaces maritimes du Nicaragua qui lui ont été reconnus par la Cour dans son arrêt du
19 novembre 2012 ainsi que sur la menace de la Colombie de recourir à la force pour commettre
72
ces violations» . Il ne saurait faire de doute que, en ce qui concerne la question ici mise en jeu
 celle de l’obligation inconditionnelle de respecter les droits du Nicaragua tels que reconnus par
la Cour —, aucune négociation n’était requise.

4.7. A cet égard, le Nicaragua souligne que, s’il a maintenu ouverte la possibilité de discuter
du traité qu’appelle de ses vœux la Colombie, y compris sur des questions  telles que la pêche et
la protection de l’environnement  qui ne tombent en rien sous le coup de l’arrêt de 2012, c’est en
gage de sa bonne foi, et pour éviter que la situation née du refus de la Colombie de se conformer à

la décision de la Cour n’en vienne à s’envenimer, comme elle aurait aisément pu le faire. Il ne
s’agit pas de retourner contre lui cet usage de sa discrétion en s’en servant pour contester la
recevabilité de sa demande concernant la violation flagrante et persistante de ses droits commise
par la Colombie.

4.8. Le Nicaragua traitera chacun de ces trois points dans les sections suivantes.

I. L’ARTICLE II DU PACTE DE B OGOTÁ N ’EXIGE PAS QU ’UNE
TENTATIVE DE NÉGOCIATION AIT EU LIEU

4.9. Citant l’arrêt rendu par la Cour en 1988 sur la compétence et la recevabilité en l’affaire
relative à des Actions armées frontalières et transfrontalières, la Colombie soutient que «l’article II

du pacte «constitue dans tous les cas une condition préalable du recours aux procédures pacifiques

70
EPC, par. 4.37.
71Ibid.

72Requête, par. 2. - 21 -

73
du pacte»» . Le Nicaragua souscrit, bien entendu, à cette affirmation ; en revanche, il conteste
l’existence des prérequis qui, aux dires de la Colombie, découleraient de cet article.

32 4.10. La Colombie affirme qu’«il ne sera satisfait à [la condition préalable énoncée à
l’article II] que si [une] négociation a été recherchée de bonne foi et qu’il devient évident, au terme
d’efforts raisonnables, que les Parties sont dans l’impasse et que le différend ne pourra être résolu
74
par cette voie» . Elle en arrive à cette conclusion en se fondant sur la jurisprudence de la Cour
relative aux clauses compromissoires contenues dans des traités qui ne ménagent la possibilité de
saisir la Cour que dans le cas de différends «n’ayant pas été» ou «ne pouvant être» résolus au
75
moyen de négociations . Puisque, soutient la Colombie, des négociations préalables sont requises
dans de tels cas, force est de considérer qu’elles le sont pareillement en vertu de l’article II du pacte
de Bogotá .76

4.11. Or, la Colombie fait fausse route : l’argument qu’elle avance repose sur un postulat

erroné. L’article II du pacte ne saurait être assimilé à ces autres clauses compromissoires. La Cour
elle-même l’a clairement indiqué dans son arrêt de 1988 en soulignant le caractère unique de
l’article II, qui met l’accent sur l’avis des parties.

4.12. Dans l’affaire relative à des Actions armées, le Nicaragua avait développé — et la Cour

rejeté — un argument très similaire à celui que la Colombie fait ici valoir. Il soutenait alors, à
propos de l’article II, qu’il ne s’agissait pas «de savoir si l’une des parties ou les deux doivent
penser que le différend ne peut être résolu par la voie diplomatique, mais si, en réalité, le différend
77
peut être réglé par ce moyen» . Tout comme la Colombie en l’espèce, le Nicaragua procé78it par
analogie en se référant à «la jurisprudence de la Cour» qui existait alors . Or celle-ci n’a eu
aucune difficulté à rejeter son argument, ce qu’elle a fait en ces termes :

«La Cour constate toutefois que cette jurisprudence concerne des cas où le texte
applicable visait la possibilité d’un tel règlement. Or l’article II vise l’avis des parties

sur cette possibilité. En conséquence la Cour n’a pas à procéder à une évaluation
33 objective d’une telle possibilité, mais à s’interroger sur l’avis des Parties à cet
égard.» 79

73
EPC, par. 4.22 (citant l’affaire relative à des Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua
c. Honduras), compétence de la Cour et recevabilité de la requête, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 94, par. 62) (les italiques
ont été supprimés).
74
Ibid., par. 4.26.
75Ibid., par. 4-23-4.26.

76Ibid.
77
Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence de la Cour et
recevabilité de la requête, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 94, par. 63.
78
Ibid.
79Ibid. - 22 -

4.13. Il convient au demeurant de souligner que la Cour a également indiqué ne pas

«s’estimer … tenue par la simple affirmation de l’une ou l’autre Partie qu’elle est de

tel ou tel avis : la Cour, dans l’exercice de sa fonction judiciaire, doit être libre de
porter sa propre appréciation sur cette question, sur la base des preuves dont elle
dispose.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

[L]es avis exprimés peuvent faire l’objet d’une démonstration et … [la Cour]
peut compter que les Parties donnent la preuve concrète que, de bonne foi, elles
considèrent qu’une certaine possibilité de négociation existe ou n’existe pas.» 80

4.14. Le — seul et unique — critère à l’aune duquel l’application de l’article II doit être
appréciée est donc l’avis des parties quant à la possibilité de règlement du différend au moyen de
négociations directes suivant les voies diplomatiques ordinaires. Si leur avis, déterminé
objectivement, est que le différend ne peut être résolu au moyen de telles négociations, la condition

prévue à l’article II est remplie. Tel est le seul prérequis.

4.15. A cet égard, le Nicaragua relève qu’exiger la tenue de négociations lorsque les clauses
compromissoires en jeu requièrent que le différend «n’ait pas été» ou «ne puisse» être résolu par
voie de négociation tombe sous le sens. Le juge Fitzmaurice faisait ainsi observer, dans son

opinion individuelle en l’affaire du Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume–Uni), qu’

«il ne serait … pas exact d’affirmer qu’un différend «ne peut» être réglé par des
négociations, lorsque le moyen le plus évident de chercher à le faire, à savoir des

discussions directes entre les parties, n’a même pas été es81yé — car on ne peut tenir
pour acquis qu’elles auraient nécessairement échoué…»

4.16. Toutefois, s’agissant de l’article II du pacte de Bogotá, exiger des parties à un différend
qu’elles participent à des négociations quand bien même celles-ci seraient, en toute bonne foi,

34 considérées comme vouées à l’échec, reviendrait à privilégier la forme au détriment du fond en
dépit du bon sens. Si les parties à un différend considèrent, en toute bonne foi, qu’il serait vain de
négocier, à quoi bon les contraindre à consacrer force temps, énergie et argent à un tel exercice ?
Dans de telles circonstances, il ne fait aucun doute que la possibilité d’un recours immédiat à la

procédure judiciaire visée à l’article XXXI du pacte est ce qui correspond le mieux à l’intérêt du
règlement rapide et effectif des différends internationaux.

II. L’ARTICLE IIIMPOSE QUE L ’UNE DES PARTIES SEULEMENT ,ET NON LES DEUX ,

SOIT D ’AVIS QUE LE DIFFÉREND NE PEUT ÊTRE RÉSOLU AU MOYEN
DE NÉGOCIATIONS DIRECTES

4.17. La Colombie soutient en outre que par l’expression «in the opinion of the parties» (qui
se traduit en français par «de l’avis des parties»), il faut entendre l’avis des deux parties à un

différend, et non de l’une seule d’entre elles. Selon elle,

80Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence de la Cour et
recevabilité de la requête, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 95, par. 65 (référence interne et crochets supprimés).

81Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963,
opinion individuelle de sir Gerald Fitzmaurice, p. 123. - 23 -

«[e]n vertu du paragraphe 1 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des
traités, les mots «in the opinion of the parties» [«de l’avis … des parties»] doivent être
interprétés de bonne foi suivant le sens ordinaire à leur attribuer dans leur contexte et à
la lumière de l’objet et du but du pacte de Bogotá. Or, s’il est une certitude, c’est que
82
l’article II renvoie à l’avis des parties, et non de l’une seule d’entre elles.»

4.18. Ce faisant, elle passe sous silence deux faits évidents et essentiels qui contredisent cette
allégation. Le premier est que, dans le texte français du pacte de Bogotá, qui fait tout autant foi que

le texte anglais, l’article II dispose que la Cour peut être saisie lorsque, «de l’avis de l’une des
parties», le différend ne peut être résolu au moyen de négociations directes. D’après les principes
de base d’interprétation des traités, il convient d’harmoniser des versions divergentes en leur
faisant aussi peu violence que possible à l’une comme à l’autre. Le paragraphe 4 de l’article 33 de
la convention de Vienne sur le droit des traités dispose ainsi que,

«lorsque la comparaison des textes authentiques fait apparaître une différence de sens
que l’application des articles 31 et 32 ne permet pas d’éliminer, on adoptera le sens
qui, compte tenu de l’objet et du but du traité, concilie le mieux ces textes».

35 4.19. Appliquer ces principes en l’espèce conduit inévitablement à conclure que seule l’une
des parties doit estimer que le différend ne peut être résolu au moyen de négociations. A première
vue, l’expression utilisée dans la version anglaise «in the opinion of the parties» est ambiguë : elle
se prête aussi bien à l’interprétation avancée par la Colombie qu’à celle avancée par le Nicaragua.

En revanche, l’expression utilisée dans la version française «de l’avis de l’une des parties» ne
saurait être plus claire. Il suffit que tel soit l’avis de l’une des parties.

4.20. Cette interprétation est également plus en harmonie avec l’objet et le but du pacte de

Bogotá. A cet égard, il convient de rappeler que l’article 26 de la charte de l’OEA se lit ainsi :

«Lorsque entre deux ou plusieurs Etat américains survient un différend qui, de
l’avis de l’un d’eux, ne peut être résolu par les voies diplomatiques ordinaires, les
parties devront convenir de n’importe quelle autre procédure pacifique leur permettant

d’arriver à une solution.»

4.21. Le pacte de Bogotá a, pour reprendre les mots employés par la Colombie, «été rédigé
dans le sillage» de cette charte. Son but était de donner effet à l’engagement pris à l’article 26 de

trouver d’«autre[s] procédure[s] pacifique[s] … permettant [aux Etats en litige] d’arriver à une
solution». Les deux documents doivent donc être lus in pari materia.

4.22. Plus généralement, le but du pacte de Bogotá est de permettre de régler promptement et
84
efficacement les différends internationaux à l’aide de «moyens pacifiques» . Cet objectif est
mieux servi si la Cour peut être saisie dès lors que l’une des parties est, de bonne foi, d’avis qu’un
différend ne peut être résolu au moyen de négociations directes. Si ne serait-ce qu’une seule
d’entre elles estime de bonne foi les négociations vouées à l’échec, que gagnerait-on à lui imposer
de consentir néanmoins un effort qu’elle considère sincèrement comme vain ? Dans ces

conditions, l’intérêt de la communauté internationale à voir le différend rapidement résolu
commande qu’il puisse être recouru immédiatement à la Cour.

82
EPC, par. 4.30. (Nous avons supprimé des italiques qui figuraient dans le texte reproduit.)
83Ibid., par. 4.35.

84Pacte de Bogotá, article I. - 24 -

36 4.23. La Colombie soutient curieusement que, «[d]ans l’affaire relative à des Actions armées
frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), le Nicaragua a soutenu [sans convaincre]
que par «in the opinion of the parties», l’on devait entendre «de l’avis de l’Etat qui a saisi la
Cour» . Il est vrai que, dans cette affaire, le Nicaragua avait déjà argué que l’article II nécessitait

seulement que l’une des parties soit d’avis que le différend ne pouvait être résolu au moyen de
négociations directes. Il est faux en revanche de dire que cet argument n’a pas convaincu la Cour.
Au contraire, celle-ci a expressément refusé de trancher la question, estimant qu’il lui était inutile
de le faire dans le cadre de l’affaire dont elle était saisie, puisqu’il apparaissait clairement que les

parties étaient en fait toutes deux d’avis que leur différend ne pou86it être résolu au moyen de
négociations directes suivant les voies diplomatiques ordinaires . La question de savoir comment
il convient d’interpréter l’article II demeure donc ouverte.

4.24. La seconde lacune fondamentale  liée à la première  que présente l’argumentation
de la Colombie tient à ce que celle-ci omet d’analyser des documents dont elle cite elle-même des
passages mais qu’elle a choisi de ne pas soumettre à la Cour. Elle affirme notamment ce qui suit :

«En 1985, le conseil permanent de l’Organisation des Etats américains a prié le

comité juridique interaméricain de déterminer s’il y avait lieu d’apporter des
modifications au pacte. Le rapporteur du comité avait proposé de modifier l’article II
en remplaçant l’expression «in the opinion of the parties» par «in the opinion of one of
the parties», mais le comité a rejeté cette proposition. Cela vient conforter l’idée que
c’est bien intentionnellement que l’article II fait référence à l’avis des deux parties à
87
un différend  et non d’une seule d’entre elles.»

4.25. La Colombie cite en la note de bas de page n° 199 de ses exceptions préliminaires le
rapport établi en 1985 par le comité juridique, sans toutefois le soumettre à la Cour en annexe.

Cette omission flagrante est bien compréhensible, puisque le rapport contredit expressément sa
thèse selon laquelle «c’est bien intentionnellement que l’article II fait référence à l’avis des deux
37 parties à un différend  et non d’une seule d’entre elles». Voici en effet ce qu’on y lit à propos de
l’article II :

«Le second alinéa de l’article II a également été examiné à la lumière de cette
différence que le pacte fait référence au cas où surgirait entre deux ou plusieurs Etats
un différend qui, «in the opinion of the parties» («de l’avis … des parties»), ne peut
être résolu au moyen de négociations directes, les parties s’engageant alors à employer

les procédures établies dans le traité, tandis que l’article 25 de la charte de l’OEA
dispose que, en pareille situation, autrement dit lorsque, entre deux ou plusieurs Etats
survient un différend qui ne peut plus être résolu par les voies diplomatiques
ordinaires, «the opinion of one of them» («l’avis de l’un d’eux») suffit pour avoir

recours à n’importe quelle autre voie diplomatique prévue par le pacte.

Le rapporteur a saisi cette occasion pour présenter en détail les informations
dont il disposait à ce sujet, citant une note explicative apparaissant dans une étude
réalisée par Juan Carlos Puig, intitulée «The Inter-American Treaty of Reciprocal

Assistance and the Contemporary International Regime» et publiée à la page 173 de
l’Annuaire juridique de 1983 de l’Organisation des Etats américains, selon

85
EPC, par. 4.31.
86Voir Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité,
arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 94, par. 64 («[L]e raisonnement de la Cour ne nécessitera pas la solution du problème que
pose cette divergence des textes. La Cour ne va donc pas reprendre tous les arguments qui ont été avancés par les Parties
pour expliquer cette divergence ou pour justifier une préférence pour une version plutôt que pour une autre.»)

87EPC, par. 4.40. - 25 -

laquelle  comme selon la documentation qui y était citée  la modification

introduite dans la version espagnole du pacte de Bogotá serait due à une erreur
dactylographique. La note précisait en outre que le texte français, qui est également
authentique, suit au contraire le texte de la charte de l’organisation. Il a été vérifié que
le texte français est effectivement conforme à celui du projet adopté en 1947 par le
88
comité juridique ainsi que de l’article 25 de la charte de l’OEA.»

38 4.26. Dans une étude de 1983 citée dans le rapport du comité juridique, M. Juan Carlos Puig

en vient à la même conclusion, écrivant notamment :

«En fait, il ressort sans aucun doute possible de l’analyse historique que la
formule retenue est le fruit d’une erreur dactylographique intervenue au moment de

l’établissement du texte définitif soumis à la signature. En réalité, l’expression qui
avait été approuvée était «in the opinion of one of them», qui figurait déjà dans le
projet établi par le comité juridique interaméricain ayant servi de base aux discussions
lors de la neuvième conférence internationale.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il ne fait par conséquent aucun doute que la véritable intention des Etats qui

participaient à la conférence de Bogotá était de maintenir la critère de la référence à
«l’une des parties» («one of the parties») au différend. Rien de plus logique, du reste,
puisque les mêmes Etats avaient, au cours de la même conférence, fait ce même choix

pour la charte [de l’OEA]. Pourquoi les mêmes délégations auraient-elles adopté des
critères différents pour un même sujet ? Ainsi, en appliquant le principe du «sens
clair» (ici dans le cadre restreint de certaines des versions officielles), on obtient des
interprétations qui ne reflètent pas l’intention réelle des parties et modifient totalement
89
le sens du traité qui a été approuvé.»

88Avis du comité juridique interaméricain relatif au traité américain de règlement pacifique (pacte de Bogotá),
Organisation des Etats américains, document OEA/Ser.G, CP/Doc. 1603/85, p. 10, 3 septembre 1985 (EEN, annexe 2).

«Se revisó también el texto del inciso 2, del Artículo II, en lo que respecta a la discrepancia en el
sentido de que el Pacto hace referencia a la circunstancia de que cuando exista una controversia entre dos
o más Estados que, «en opinión de las partes» no pueda ser resuelta por negociaciones directas, las partes
se comprometen a hacer uso de los procedimientos establecidos en el Tratado. En cambio el Artículo 25
de la Carta de la OEA establece que en tal circunstancia bastaría la «opinión de uno de ellos» acerca de
que la controversia ya no pueda ser resuelta por los medios diplomáticos usuales para acudir a cualquiera
de los del Pacto.

En esta oportunidad, el propio Relator amplió su información sobre el particular citando una nota
aclaratoria que aparece en un estudio del Dr. Juan Carlos Puig, intitulado «El Tratado Interamericano de
Asistencia Recíproca y el Régimen Internacional Contemporáneo», publicado en el Anuario Jurídico de
1983, de la Organización de los Estados Americanos, página 173, conforme a la cual y la documentación
que ahí se cita, el cambio introducido en la versión española del Pacto de Bogotá se habría debido a un
error dactilográfico. Añade esa nota que el texto en francés, en cambio, sigue al de la Carta de la
Organización, texto que resulta igualmente auténtico. Se comprobó que el texto francés, en verdad, sigue
el del Proyecto del Comité Jurídico de 1947 y el del Artículo 25 de la Carta de la OEA.»
89
Juan Carlos Puig, «El Tratado Interamericano de Asistencia Recíproca y el Régimen Internacional
Contemporáneo», Organisation des Etats américains, secrétariat général, Washington, Annuaire juridique
interaméricain 1983, p. 175 (EEN, annexe 1). - 26 -

4.27. Il est par conséquent clair que le comité juridique était parvenu à la conclusion que
l’article II visait l’avis de l’une des parties au différend, et non des deux, conclusion qui est à
39 l’opposé de la thèse à l’appui de laquelle la Colombie citait le rapport du comité juridique de 1985.

4.28. Enfin, le Nicaragua fait observer qu’interpréter l’article II comme prévoyant qu’il suffit
qu’une seule des parties soit d’avis que le différend ne peut être résolu au moyen de négociations

directes n90conduirait pas, comme le soutient la Colombie, à «un résultat manifestement
absurde» . Les Etats parties à la charte de l’OEA (c’est-à-dire tous les Etats indépendants
d’Amérique) ne voient manifestement là aucune absurdité. Comme cela a été précisé, l’article 26
prévoit que,

«[l]orsque entre deux ou plusieurs Etats américains survient un différend qui, de l’avis
de l’un d’eux, ne peut être résolu par les voies diplomatiques ordinaires, les parties
devront convenir de n’importe quelle autre procédure pacifique leur permettant
d’arriver à une solution.» 91

Si l’argument de la Colombie était juste, la charte de l’OEA serait elle aussi absurde.

4.29. Mais, bien entendu, il n’en est rien. Les Etats parties à la charte ont évidemment
considéré qu’il existait de bonnes raisons de soumettre le recours à d’autres procédures à la
condition que l’une des parties seulement soit d’avis que le différend ne pouvait être résolu par les
voies diplomatiques ordinaires. Et il n’est pas difficile d’imaginer quelles étaient ces raisons. Si

l’une des parties à un différend estime de bonne foi que les négociations n’aboutiront pas, à quoi
servirait-il de lui imposer de s’atteler à une tâche qu’elle estime vaine ? A rien.

4.30. Quoi qu’il en soit, le débat entre le Nicaragua et la Colombie sur le sens de l’article II,

et sur la question de savoir s’il faut que les deux Parties, ou l’une seulement, soient d’avis que le
différend ne peut être résolu au moyen de négociations directes, est purement théorique en l’espèce.
40 Le Nicaragua démontrera dans la section suivante que, en réalité, la Colombie était tout comme lui
clairement d’avis que le différend porté devant la Cour ne pouvait être ainsi résolu.

«En realidad, el método histórico demuestra, sin dejar lugar a ninguna duda, que esa expresión se
debió a un error dactilográfico al prepararse el texto final para la firma. En efecto, los verdaderos
términos aprobados fueron : «en opinión de una de las partes», que ya se encontraban en el Proyecto
preparado por el Comité Jurídico Interamericano que sirvió de base para la discusión en la Novena
Conferencia Internacional Americana. … No cabe, pues, ninguna duda de que la real intención de los
Estados participantes en la Conferencia de Bogotá fue la de mantener el criterio de la referencia «a una de
las partes» en el conflicto, la cual además es lo lógico habida cuenta de que los mismos Estados, en la
misma Conferencia, mantuvieron ese criterio para la Carta. ¿ Por qué iban a adoptar criterios distintos

para un mismo tema las mismas delegaciones que asistían a la Conferencia ? Es así como el apego al
principio del «plain meaning» (esta vez, limitado a algunas de las versiones oficiales) hace llegar a
interpretaciones que no reflejan la real voluntad de las partes y cambian totalmente el sentido del tratado
que se aprobó.»
90EPC, par. 4.32.
91
Les italiques sont de nous. - 27 -

III. A LA DATE CRITIQUE , LES DEUX PARTIES ÉTAIENT D ’AVIS QUE LE DIFFÉREND
DONT LE N ICARAGUA A SAISI LA C OUR NE POUVAIT ÊTRE RÉGLÉ AU MOYEN

DE NÉGOCIATIONS DIRECTES

4.31. La date critique à retenir pour déterminer la recevabilité de la requête du Nicaragua est
la date à laquelle celle-ci a été déposée, soit le 26 novembre 2013 . En l’affaire relative à des

Actions armées, la Cour a précisé ce qui suit :

«Il peut toutefois être nécessaire, pour déterminer avec certitude quelle était la

situation à la date du dépôt de la requête, d’examiner les événements, et en particulier
les relations entre les parties, pendant une période antérieure à cette date, voire
pendant la période qui a suivi. … En l’espèce, la date à laquelle il faut s’assurer de
«l’avis des parties» aux fins de l’application de l’article II du pacte est le

28 juillet 1986, date du dépôt de la requête du Nicaragua.

Pour s’assurer de l’avis des Parties, la Cour doit analyser les événements qui se
sont succédé dans leurs relations diplomatiques.» 93

4.32. L’analyse des événements qui se sont succédé entre le moment où la Cour a rendu son
arrêt de 2012 et le 26 novembre 2013 montre qu’à cette dernière date, le Nicaragua et la Colombie

étaient tous deux clairement d’avis que le présent différend ne pouvait être réglé au moyen de
négociations directes suivant les voies diplomatiques ordinaires.

4.33. Dans l’affaire Géorgie c. Fédération de Russie, la Cour a indiqué que,

«en droit international comme dans la pratique, c’est en règle générale l’exécutif qui
représente l’Etat dans ses relations internationales et s’exprime en son nom sur le plan

international (Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002)
(République démocratique du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 2006, p. 27, par. 46-47). Une attention toute particulière sera donc
41 94
accordée aux déclarations faites ou entérinées par l’exécutif de chacune des Parties.»

Le Nicaragua suivra cette même approche, en s’intéressant principalement, dans les
développements ci-après, aux déclarations émanant de l’exécutif de chacune des Parties.

4.34. Relevons d’ores et déjà la gêne manifeste de la Colombie à l’égard des déclarations
publiques de son propre président, qu’elle s’efforce gauchement de minimiser. La Colombie

soutient ainsi que, dans sa requête, le Nicaragua a prétendu en «inférer» qu’elle «av95t rejeté l’arrêt
que venait de rendre la Cour [en 2012]», et que «cette interprétation est fausse» . Ailleurs, elle
écrit que son président a toujours «soulign[é] … combien il était important de respecter le droit
international» . Or, sauf son respect, ces affirmations procèdent d’une grossière déformation de la

réalité.

92 Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. 95, par. 66.
93
Ibid., par. 66-67.
94 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 87, par. 37.

95EPC, par. 4.60.
96
Ibid., par. 4.65. - 28 -

4.35. Lors de la première allocution qu’il a donnée après le prononcé de l’arrêt de 2012, le
président Santos a vivement critiqué une décision empreinte, selon lui, «d’omissions, d’erreurs,

d’exagérations et d’incohérences que [les Colombiens] ne pouv[aient] accepter». Et de déclarer :
«Compte tenu de ce qui précède, la Colombie, représentée par son chef d’Etat, rejette
catégoriquement cet aspect [la délimitation] de l’arrêt rendu aujourd’hui par la Cour» . 97

4.36. Dix mois plus tard, en septembre 2013, il ne se montrait guère moins intransigeant :

«[M]a position est … claire et ferme : l’arrêt de la Cour internationale de Justice

n’est pas applicable, et ne le sera pas, tant qu’un traité protégeant les droits des
Colombiens n’aura pas été conclu et adopté conformément aux prescriptions de notre
Constitution. Et je le redis : sans traité, l’arrêt de la Cour internationale de Justice

N’EST PAS APPLICABLE… De fait  et il convient de le rappeler , l’arrêt de
La Haye méconnaît totalement les traités de limites actuellement en vigueur entre nous
42 et [les autres] pays, traités que nous sommes tenus de respecter. C’est aussi pour cette
raison que NOUS NE POUVONS appliquer l’arrêt et que nous sommes contraints de
98
recourir à la voie diplomatique.»

4.37. Le président du Nicaragua s’est montré tout aussi clair. Dans une déclaration relayée

par la presse le 28 novembre 2012, M. Ortega indiquait que «[l]a Colombie reconnaîtra[it] la
décision de la Cour internationale de Justice car c’[était] la seule issue possible» . Et il avait réagi
en ces termes aux propos tenus en septembre 2013 par le président Santos :

«Les décisions de la Cour sont obligatoires ; elles ne souffrent pas de discussion
car cela reviendrait à manquer de respect à la Cour. C’est comme si nous décidions de
ne pas exécuter une décision au motif que nous n’avons pas obtenu tout ce que nous

avions demandé, c’est-à-dire, en l’espèce, l’archipel de San Andrés… Le Nicaragua
aspire à la paix… [N]ous ne voulons rien d’autre que ce qui nous a été accordé par
l’arrêt de la Cour de La Haye.» 100

A. A la date du dépôt de la requête du Nicaragua, la Colombie avait
fermé la porte à la négociation

4.38. Pour se convaincre de ce que les deux Parties étaient d’avis que leur différend
concernant les violations par la Colombie des droits souverains et de la juridiction du Nicaragua ne
pouvait être réglé au moyen de négociations directes au moment où le Nicaragua a déposé sa
requête, il suffit de se référer aux événements qui se sont produits dans la période de deux mois et

demi ayant précédé ce dépôt.

97 Allocution du président Juan Manuel Santos concernant l’arrêt de la Cour internationale de Justice,
19 novembre 2012 (MN, annexe 1).

98Déclaration du président Juan Manuel Santos concernant la stratégie globale de la Colombie face à l’arrêt de la
Cour internationale de Justice, 9 septembre 2013 (MN, annexe 4) (les majuscules sont dans l’original).
99
«Crise des Caraïbes : le Nicaragua peut-il naviguer dans les eaux qu’il a obtenues au détriment de la
Colombie ?», Time World, 28 novembre 2012 (MN, annexe 28).
100
ABC News, «La Colombie entend remettre en cause la frontière maritime avec le Nicaragua»,
10 septembre 2013 (EEN, annexe 7) (http://abcnews.go.com/ABC_Univision/colombia-challenge-maritime-border-
nicaragua/story?id=20217370). - 29 -

4.39. Le 9 septembre 2013, le président de la Colombie a proclamé la création d’une «zone
contiguë unique», laquelle est longuement décrite dans le mémoire du Nicaragua . Il a été 101

démontré dans celui-ci que cette zone contiguë unique, dont la Colombie a unilatéralement déclaré
43 l’existence, empiète très largement sur les espaces maritimes du Nicaragua, tels qu’ils lui ont été
reconnus par la Cour . Or, le décret qui en porte création indique expressément que «[l]’Etat
colombien exercera sur zone contiguë unique … son autorité souveraine … et [ses]
103
compétences…» .

4.40. Lors du discours qu’il a adressé à la nation pour annoncer la création de la zone

contiguë unique, le président Santos a fait la déclaration déjà citée, selon laquelle «l’arrêt de la
Cour internationale de Justice» n’était pas «applicable».

4.41. Trois jours plus tard, et dans la foulée du décret, il déposait, en son nom propre, auprès

de la Cour constitutionnelle de Colombie une demande (demanda) visant à faire déclarer le pacte
de Bogotá inconstitutionnel. Cette inconstitutionnalité découlait, selon lui, du fait que le pacte
permettait la modification des frontières nationales de la Colombie, notamment en vertu d’un arrêt
104
de la CIJ, en l’absence de traité à cet effet . Or, en vertu de la Constitution c105mbienne, pareille
modification n’était selon lui possible qu’en vertu d’un traité dûment ratifié .

4.42. Entre autres arguments avancés dans la demande du président Santos, ceux-ci méritent

d’être cités :

«Il est de notoriété publique que la Cour internationale de Justice a rendu, dans
le cadre du différend opposant le Nicaragua à la Colombie, deux arrêts qui entrent en

conflit avec la Constitution sur eu moins trois points : i) ils ne reconnaissent pas la
frontière courant le long du 82 méridien et modifient par conséquent les frontières de
la Colombie selon un procédé interdit par la charte ; ii) ils transfèrent au Nicaragua
des droits dévolus à la Colombie à l’égard de zones maritimes sur lesquelles celle-ci

est seule à pouvoir exercer une réglementation au titre d’un traité fondé sur la
réciprocité et l’équité ; et iii) ils tracent une nouvelle frontière maritime entre les deux
Etats sans l’assentiment du peuple colombien  s’exprimant par l’intermédiaire de

ses représentants  dans l’exercice de sa souveraineté et de son droit à
l’autodétermination.

44 Cette modification des frontières maritimes de l’Etat colombien, qui a eu pour

effet de limiter les droits de la Colombie et de réaffecter une partie de ses zones
maritimes dans l’archipel, passant outre à la procédure prévue par la Constitution pour
modifier les frontières existantes, est interdite par l’article 101 de la Constitution lu
conjointement avec les articles 3 et 9 de la charte.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

101MN, par. 2.12-2.21.
102
Ibid., par. 2.11-2.15.
103Décret présidentiel 1946 du 9 septembre 2013 (MN, annexe 9).

104Voir, de manière générale, la demande visant les articles XXXI et L du pacte de Bogotá introduite par le
président Juan Manuel Santos devant la Cour constitutionnelle, D-9907, 12 septembre 2013 (MN, annexe 15) (EEN,
annexe 3)
105
Ibid. - 30 -

En effet, bien que les frontières entre la Colombie et les autres Etats ne puissent

pas être modifiées en vertu d’une décision de la Cour internationale de Justice
 laquelle ne représente pas le peuple colombien et ne constitue pas une expression

du droit à l’autodétermination des Colombiens ni l’un des moyens env106gés par
l’article 101 pour fixer ou modifier les frontières du pays…»

4.43. Si le président Santos ne le dit pas explicitement dans cette demande, il a, en d’autres
circonstances, clairement indiqué que, tant qu’un traité n’aurait pas été signé, la Colombie
continuerait à exercer sa souveraineté jusqu’au 82 méridien qu’elle avait toujours revendiqué

comme frontière, et ce, nonobstant l’arrêt de la Cour. Le 18 septembre 2013, il a ainsi déclaré :

45 «La Colombie considère que l’arrêt de La Haye est inapplicable. Et nous

n’allons pas l’appliquer, comme nous l’avons dit à l’époque et comme je le redis
aujourd’hui, jusqu’à ce que nous ayons un nouveau traité… Nous continuerons à
patrouiller, comme nous le faisons aujourd’hui, et nous continuerons à exercer la
souveraineté de la Colombie sur notre territoire et sur nos espaces maritimes.» 107

La présidence de la République de Colombie a réaffirmé sa position dans un communiqué de
presse de mai 2014 soulignant que la frontière maritime avec le Nicaragua demeurerait telle

qu’établie par le traité Esguerra-Bárcenas de 1928, c’est-à-dire, selon la Colombie, une ligne
courant le long du 82 méridien . 108

4.44. A la suite du dépôt de son recours en inconstitutionnalité, le président Santos a indiqué
tout aussi clairement que, en attendant la décision de la Cour, toute négociation était exclue. Il l’a

dit sans équivoque le 18 septembre 2013 : «Nous n’allons prendre aucune initiative, dans aucune

106
Demande visant les articles XXXI et L du pacte de Bogotá introduite par le président Juan Manuel Santos
devant la Cour constitutionnelle, D-9907, 12 septembre 2013 (MN, annexe 15) (EEN, annexe 3).
«Como es de conocimiento público, la Corte Internacional de Justicia profirió dos sentencias
sobre la disputa entre Nicaragua y Colombia que generan una contradicción con la Constitución, al menos
en tres elementos: (i) no reconocen el límite en el meridiana 82 por lo cual constituyen una modificación
de los límites de Colombia por una vía prohibida por la Carta; (ii) transfieren a Nicaragua derechos de
Colombia sobre aéreas marítimas que solo Colombia puede regular mediante un tratado sobre bases de
reciprocidad y equidad; y (iii) trazan un nuevo límite marítima entre los dos Estados sin que estos hayan
sido consentidos por el pueblo de Colombia por medio de sus representantes en ejercicio de su soberanía
y de su derecho a la autodeterminación.

Esta modificación de los límites marítimos del Estado de Colombia, con la consecuente
disminución de derechos de Colombia y la afectación de las aéreas marítimas del Archipiélago, sin seguir
el procedimiento previsto en la Constitución para modificar los limites existentes, está prohibida por el
artículo 101 de la Constitución, en concordancia con los artículos 3 y 9 de la Carta.[…]

En efecto, si bien los límites de Colombia con otros Estados no pueden ser alterados por medio de
una sentencia judicial proferida por la Corte Internacional de Justicia, que no representa al pueblo de
Colombia, no constituye una expresión de la autodeterminación de los colombianos, ni es uno de los
medios previstos en el artículo 101 para fijar o modificar los límites de Colombia...»

107Déclaration du président Juan Manuel Santos lors des manifestations de souveraineté en mer des Caraïbes,
18 septembre 2013 (MN, annexe 5).

108Présidence de la République de Colombie, communiqué de presse, «Les limites entre la Colombie et le
Nicaragua continuent d’être celles qui ont été établies dans le traité Esguerra-Barcenas, a affirmé le
président colombien», 2 mai 2014 (MN, annexe 7). - 31 -

direction, tant que la Cour constitutionnelle ne se sera pas prononcée sur la question du pacte de
109
Bogotá dont je l’ai saisie.»

4.45. Les déclarations du président Santos confirmaient celles faites par le ministère des

affaires étrangères quelques jours auparavant. Dans un entretien paru dans la presse le
15 septembre, la ministre colombienne des affaires étrangères avait en effet indiqué que «[l]a
Colombie [était] prête à dialoguer avec le Nicaragua en vue de signer un traité qui établ[ît] les
frontières et un régime juridique contribuant à la sécurité et à la stabilité de la région» , précisant

toutefois que «[l]e gouvernement a[vait] indiqué qu’il attendait la décision de la Cour
constitutionnelle avant de prendre la moindre mesure». Et d’ajouter : «Là encore, le gouvernement
46 attendra que la Cour se soit prononcée avant d’examiner les détails d’un tel traité.» 111

4.46. Il est donc clair que, dans l’attente de la décision de la Cour constitutionnelle, la
Colombie excluait que des négociations puissent avoir lieu, et, à plus forte raison, qu’elles puissent

aboutir. Le Nicaragua avait tout lieu d’en venir à la même conclusion. Cette situation étant celle
qui prévalait à la date à laquelle le Nicaragua a déposé sa requête, les conditions énoncées à
l’article II du pacte de Bogotá se trouvent remplies.

4.47. La Cour avait eu affaire à un cas de figure analogue dans le cadre de la procédure
consultative sur l’Applicabilité de l’obligation d’arbitrage en vertu de la section 21 de l’accord du

26 juin 1947 relatif au siège de l’Organisation des Nations Unies. Celle-ci portait sur la situation
découlant de la loi contre le terrorisme promulguée en 1987 par les Etats-Unis, qui interdisait à
l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) de maintenir un bureau sur un territoire relevant
de la juridiction des Etats-Unis. Or l’OLP disposait d’une mission permanente d’observation

auprès de l’Organisation des Nations Unies, qui, selon le Secrétaire général, relevait de l’accord de
siège. Les Etats-Unis ne contestaient pas «que certaines dispositions de [l’]accord [de siège]
s’appliquent à la mission de l’OLP auprès de l’Organisation des Nations Unies à New York» mais
112
faisaient «prévaloir sur [celui-ci] la loi contre le terrorisme» .

4.48. Le Secrétaire général avait mis en avant les dispositions de l’accord de siège relatives

au règlement des différends, qui prévoyaient un recours à l’arbitrage en cas de différend qui ne
«[serait] pas réglé par voie de négociations ou par tout autre mode de règlement agréé par les
parties» , ce à quoi la partie américaine avait toutefois opposé qu’elle «[était] encore en train

d’évaluer la situation qui résulterait de l’application de la loi, et … ne p[ouvait] prendre part à la
47 procédure de règlement des différends énoncée à la section 21 de l’accord de siège tant que cette
évaluation n[e serait] pas terminée» . 114

109Déclaration du président Juan Manuel Santos lors des manifestations de souveraineté en mer des Caraïbes,
18 septembre 2013 (MN, annexe 5) (les italiques sont de nous).
110
El Tiempo, «La ministre des affaires étrangères explique en détail la stratégie adoptée contre le Nicaragua»,
15 septembre 2013 (EPC, annexe 42) (EEN, annexe 4).
111Ibid.

112Applicabilité de l’obligation d’arbitrage en vertu de la section 21 de l’accord du 26 juin 1947 relatif au siège
de l’Organisation des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1988, p. 32, par. 48.
113
Ibid., p. 14-15, par. 7.
114
Voir ibid., p. 20, par. 19. - 32 -

4.49. La Cour n’a pas hésité à juger que «le Secrétaire général a[vait] épuisé en l’espèce les
115
possibilités de négociations qui s’offraient à lui» . Elle s’est, à cet égard, référée à la décision
qu’elle avait rendue en l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran,
où elle avait énoncé que, «le Gouvernement de l’Iran ayant refusé toute discussion … [,il]

existait … à cette date non seulement un différend mais, sans aucun doute, «un différend … qui ne 116
[pouvait] pas être réglé d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique»…» . Et de
conclure : «Dans la présente affaire, la Cour estime qu’il est aussi hors de doute que le différend

entre l’Organisation des Nations Unies et les Etats-Unis est un différend qui n’a pas ét117réglé par
voie de négociations» au sens de la section 21, alinéa a), de l’accord de siège.»

4.50. Telle est également la conclusion qui se dégage des faits de la présente espèce. A la
date de la requête du Nicaragua, la Colombie avait clairement indiqué que les négociations avec le
Nicaragua n’étaient plus envisageables. Son président l’avait dit expressément : «Nous n’allons

prendre aucune i118iative, dans aucune direction, tant que la Cour constitutionnelle ne se sera pas
prononcée…» La Colombie affirmait ainsi que toute possibilité de négocier était alors exclue, et
force est d’en conclure qu’elle était d’avis que les négociations ne pouvaient aboutir. Le Nicaragua
était donc fondé à se forger la même opinion, opinion dont atteste le dépôt de sa requête.

48 4.51. Le Nicaragua observe que des parallèles plus profonds encore peuvent être établis avec

l’affaire de l’Accord de siège. Le 11 mars 1988, l’Attorney General des Etats-Unis avait écrit à
l’observateur permanent de l’OLP auprès de l’Organisation des Nations Unies pour l’informer du
caractère «illégal» du maintien de la mission aux Etats-Unis, et exiger que la loi fût appliquée . 119
La mission de l’OLP ne s’étant pas exécutée, le département de la justice des Etats-Unis a saisi le
120
juge américain pour l’y contraindre . Voici comment le représentant des Etats-Unis formulait les
vues de son gouvernement : «Tant que les tribunaux américains n’auront pas décidé si cette loi
exige la fermeture de la mission permanente d’observation de l’OLP, le Gouvernement des
121
Etats-Unis pense qu’il serait prématuré d’envisager l’opportunité du recours au l’arbitrage.» La
Cour n’a toutefois, ainsi que cela a été mentionné, eu aucune difficulté à rejeter la position des
Etats-Unis, considérant que des négociations seraient inutiles et que les Etats-Unis avaient donc

l’obligation, avec effet immédiat, de recourir à l’arbitrage.

4.52. Une analyse analogue s’impose ici : si, en l’affaire de l’Accord de siège, l’existence

d’une procédure interne pendante aux Etats-Unis, dont la partie américaine espérait qu’elle
permettrait de préciser la situation, n’a eu aucune incidence sur la conclusion de la Cour selon
laquelle la poursuite de négociations serait inutile, en la présente affaire, l’existence d’une telle

procédure, pendante devant la Cour constitutionnelle colombienne, pendant la durée de laquelle la
Colombie a clairement indiqué qu’elle ne prendrait «aucune initiative, dans aucune direction»,
mène à la conclusion que, à la date critique, la Colombie était d’avis qu’aucune négociation n’était

envisageable.

115Applicabilité de l’obligation d’arbitrage en vertu de la section 21 de l’accord du 26 juin 1947 relatif au siège
de l’Organisation des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1988, p. 33, par. 55.
116
Ibid., p. 34, par. 55 (citant C.I.J. Recueil 1980, p. 27, par. 51).
117Applicabilité de l’obligation d’arbitrage en vertu de la section 21 de l’accord du 26 juin 1947 relatif au siège

de l’Organisation des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1988, p. 34, par. 55.
118 Déclaration du président Juan Manuel Santos lors des manifestations de souveraineté en mer des Caraïbes,
18 septembre 2013 (MN, annexe 5).

119Voir Applicabilité de l’obligation d’arbitrage en vertu de la section 21 de l’accord du 26 juin 1947 relatif au
siège de l’Organisation des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1988, p. 23, par. 25.
120
Ibid., p. 25, par. 29.
121Ibid., p. 26, par. 31. - 33 -

B. Les questions à propos desquelles les Parties avaient laissé la porte ouverte

à la négociation ne sont pas celles faisant l’objet du présent différend

49 4.53. En tout état de cause, indépendamment du fait que la Colombie avait, en
septembre 2013, résolument fermé la porte à la négociation, la condition énoncée à l’article II du
pacte de Bogotá est remplie pour une autre raison. En particulier, les questions couvertes par
l’éventuel traité en vue de la conclusion duquel les Parties avaient «laissé la porte ouverte» à la
négociation étaient (et sont) distinctes de celles faisant l’objet du présent différend. Du reste, le

comportement de la Colombie, qui exigeait la signature d’un traité portant sur un ensemble de
questions ne tombant pas sous le coup de l’arrêt de 2012 avant même d’envisager de respecter les
droits souverains et la juridiction du Nicaragua, ne fait que souligner que celle-ci ne considérait pas
que le différend dont le Nicaragua a saisi la Cour pût être réglé au moyen de négociations directes.

4.54. L’objet du présent différend est formulé en des termes clairs au paragraphe 2 de la

requête du Nicaragua, sous l’intitulé «Objet du différend» :

«Le différend porte sur des violations des droits souverains et des espaces
maritimes du Nicaragua qui lui ont été reconnus par la Cour dans son arrêt du
19 novembre 2012 ainsi que sur la menace de la Colombie de recourir à la force pour
commettre ces violations.»

4.55. Le Nicaragua le définit plus précisément au chapitre I de son mémoire, sous l’intitulé
«La tâche de la Cour» :

«Afin de dissiper tout doute, le Nicaragua entend préciser en quoi le différend
soumis à la Cour ne consiste pas : il ne consiste pas en une demande en interprétation
de l’arrêt de novembre 2012 puisqu’il ne concerne pas une «divergence d’opinions ou

de vues entre les parties quant au sens et à la portée d’un arrêt rendu par la Cour».

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le Nicaragua ne demande pas non plus à la Cour de réaffirmer ce qu’elle a déjà
décidé dans son arrêt : c’est là chose jugée, et l’article 59 du Statut impose à la
Colombie l’obligation inconditionnelle de s’y soumettre immédiatement et sans

aucune réserve.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le présent différend intervient en aval, puisqu’il trouve son origine dans des
faits de la Colombie postérieurs au prononcé de l’arrêt : la Colombie a d’abord rejeté
ce dernier en le qualifiant d’«inapplicable», puis a formulé de nouvelles
revendications sur des eaux adjugées par la Cour au Nicaragua, exercé ce qu’elle

prétend être ses droits souverains et sa juridiction sur ces eaux et déployé des
manœuvres pour empêcher le Nicaragua d’exercer les droits souverains et la
juridiction qui sont les siens à l’intérieur de ses frontières maritimes telles qu’établies
par la Cour … Dans la présente procédure, le Nicaragua entend voir la responsabilité
50 internationale de la Colombie engagée au titre de la violation de ses obligations
d’exécuter l’arrêt de novembre 2012 et de respecter les droits qui y sont reconnus.»122

122MN, par. 1.34-1.36. - 34 -

4.56. C’est uniquement si les Parties avaient été d’avis que ce différend-là pouvait être réglé
au moyen de négociations directes que la condition posée à l’article II du pacte de Bogotá ne serait
pas remplie. Il ne suffit pas qu’elles aient considéré qu’il existait d’autres questions sur lesquelles

elles pussent un jour négocier. Il doit y avoir identité entre l’objet du différend d’une part, et les
questions à propos desquelles il s’agit de négocier, d’autre part. Ainsi que la Cour l’a rappelé dans
un contexte analogue, en l’affaire Géorgie c. Fédération de Russie,

«[p]our que soit remplie la condition préalable de négociation prévue par cette clause,
ladite négociation doit porter sur l’objet de l’instrument qui la renferme. En d’autres
termes, elle doit concerner l’objet du différend, qui doit lui-même se rapporter aux
obligations de fond prévues par l’instrument en question.» 123

4.57. L’arrêt de la Cour en l’affaire Géorgie c. Fédération de Russie illustre bien le rapport
qui doit exister entre l’objet du différend et celui des négociations. La Géorgie avait invoqué un
différend de longue date concernant l’interprétation ou l’application de la convention internationale

sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CIEDR), et produit un certain
nombre de documents censés en démontrer l’existence. La Cour a estimé que, à l’exception de
quelques communications échangées très tardivement, juste avant le dépôt de la requête, les
documents et déclarations produits n’établissaient nullement l’existence d’un différend relevant de

la CIEDR. A cet égard, elle a souligné que les échanges de communications, même sur des sujets
apparentés, ne concernaient pas nécessairement le même différend. Se référant notamment aux
documents antérieurs à juillet 1999 qu’avait invoqués la Géorgie, la Cour a dit ce qui suit :

51 «[A]ucun de ces documents ou déclarations ne permet d’établir qu’un tel
différend [relevant de la CIEDR] existait en juillet 1999. … [C]es documents ou
déclarations dénonçaient … le prétendu emploi illicite de la force, ou le statut de
l’Abkhazie et non la discrimination raciale ; et, lorsque des faits invoqués

 en général des obstacles mis au retour des réfugiés et des personnes déplacées 
semblent éventuellement pertinents, ils s’inscrivent de manière incidente dans le cadre
d’une revendication plus vaste, concernant le statut de l’Abkhazie, le retrait des
troupes russes ou le prétendu emploi illicite de la force par celles-ci.» 124

4.58. La Cour a considéré que même les échanges touchant clairement à des questions de
discrimination raciale intéressaient un différend distinct. Ainsi d’un communiqué de presse du

ministère géorgien des affaires étrangères critiquant une précédente déclaration de la Fédération de
Russie au motif qu’elle était «en contradiction flagrante avec le mandat de la force collective de
maintien de la paix de la [Communauté des Etats indépendants]» . On y lisait que le «véritable
dessein» de la Fédération de Russie était de

«consacrer juridiquement les conséquences du nettoyage ethnique perpétré par des
citoyens russes à l’instigation de leur gouvernement afin de faciliter l’annexion d’une
partie intégrante du territoire internationalement reconnu de la Géorgie, ce que la
Fédération de Russie tent[ait] de réaliser par l’intervention militaire en Abkhazie
126
(Géorgie)» .

123Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 133, par. 161 (les italiques
sont de nous).
124
Ibid., p. 100, par. 63.
125Ibid., p. 116, par. 104.
126
Ibid. - 35 -

Si ce document faisait ainsi expressément référence à un nettoyage ethnique perpétré par la

Fédération de Russie, la Cour a conclu qu’il :

«conv[enai]t de … situer [cette référence] dans le contexte de ce communiqué de

presse, dont le thème principal était la préoccupation de la Géorgie à propos du statut
de l’Abkhazie et de l’intégrité territoriale de la Géorgie … Celui-ci soulevait en tout
cas la question de la bonne exécution du mandat de la force de maintien de la paix de
la CEI, et non celle du respect par la Fédération de Russie de ses obligations au titre de
127
la CIEDR.»

4.59. La Colombie a pris grand soin de formuler ses exceptions préliminaires de manière à
escamoter les différences essentielles entre l’objet du différend que le Nicaragua a soumis à la Cour
et celui des négociations que les deux Parties s’étaient dites disposées à envisager, ainsi qu’il
ressort des extraits suivants :

52  «les deux Parties étaient … d’avis que les problèmes soulevés par l’arrêt de 2012
pouvaient et devaient être réglés par la voie d’un accord négocié» 128;

 «la Colombie a toujours laissé la porte ouverte à une négociation avec le
Nicaragua» 129 ;

 «les Parties … étaient … toutes deux partisanes de négocier un accord réglant les
questions apparues entre elles conséquemment à l’arrêt de 2012» 130;

 «les plus hauts représentants des deux pays avaient fait état de leur souhait
d’entamer la négociation d’un traité à la lumière de la décision prise par la Cour
131
dans son arrêt de 2012» ; et

 «la Colombie considérait elle aussi que toute question d’ordre maritime découlant
de l’arrêt de la Cour et opposant les deux Parties devait être résolue par des
132
négociations, dans l’optique de la conclusion d’un traité» .

4.60. La raison pour laquelle la Colombie pèse si soigneusement ses mots est évidente : les
questions à propos desquelles elle se déclarait prête à négocier à terme n’étaient pas celles objet du
présent différend. Celui-ci porte sur les violations par la Colombie des droits souverains et de la
juridiction du Nicaragua tels que reconnus par la Cour. Il ne porte pas sur des questions générales

«d’ordre maritime découlant de l’arrêt de la Cour». Il ne porte pas davantage sur des «questions
apparues entre [les Parties] conséquemment à l’arrêt de 2012». Ainsi que le Nicaragua l’a souligné
dans son mémoire, la Colombie a «l’obligation inconditionnelle de s[e] soumettre [à l’arrêt]
133
immédiatement et sans aucune réserve» . Indépendamment de ce que prescrit ou non son droit
interne, le droit international exige le respect immédiat des droits du Nicaragua, tels qu’établis par
la Cour. La Colombie ne peut s’exonérer de cette obligation et continuer à violer délibérément ces

127Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 116, par. 104.

128EPC, par. 4.29.
129
Ibid.
130Ibid., par. 4.37.

131Ibid., par. 4.48.
132
Ibid., par. 4.59.
133MN, par. 1.34. - 36 -

droits jusqu’à ce que, le cas échéant, elle obtienne le traité encadrant les questions objet des

préoccupations qu’elle exprime.

53 4.61. Ses déclarations publiques indiquent elles aussi très clairement que les questions que la

Colombie entend voir régies par tout traité qu’elle pourrait conclure sont sans rapport aucun avec
les droits que la Cour a reconnus au Nicaragua en 2012. Le clivage entre l’objet du présent
différend et celui de l’instrument que la Colombie réclame (et que le Nicaragua s’est dit prêt à
envisager) est on ne peut mieux illustré par cette déclaration du président Santos en date du
er
1 décembre 2012, publiée sur un site officiel du Gouvernement colombien et qui se lit comme
suit :

«Nous  la ministre des affaires étrangères et moi-même  nous sommes
réunis [aujourd’hui] avec le président Ortega. Nous lui avons exposé notre position
dans les termes les plus clairs : nous voulons que soient rétablis et garantis les

différents droits des Colombiens, ceux des Raizals, des droits qui incluent, mais sans
s’y limiter, ceux des pêcheurs pratiquant la pêche artisanale. Il nous a entendus. Nous
lui avons dit qu’il fallait faire preuve de sang-froid et agir diplomatiquement et en
bonne entente en vue d’éviter les incidents. Il nous a entendus.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Nous allons également continuer d’explorer les mécanismes qui sont à la

disposition de la Cour internationale de La Haye et de la diplomatie internationale
pour rétablir les droits auxquels cet arrêt a porté atteinte. Cela n’exclut pas ces voies
de communication avec le Nicaragua qui, à mon sens, constituent un important

complément. En ce sens, nous continuerons à rechercher — et nous l’avons dit
clairement au président Ortega — le rétablissement des droits auxquels cet arrêt a
porté atteinte sur une question chère aux Colombiens.» 134

4.62. Faisant écho à ses propres déclarations, le président Santos a souligné, dans le cadre
d’un entretien paru dans la presse deux jours plus tard, que la Colombie ne se soumettrait pas à

l’arrêt tant qu’il n’aurait pas été «constat[é] que [ceux de ses droits] droits auxquel135l a[vait] été
porté atteinte [étaient] rétablis et [que] leur respect [serait] assuré à l’avenir» . Parmi les droits
auxquels l’arrêt avait manifestement «porté atteinte» figuraient «ceux des Raizals, les droits en
54 matière de pêche — non seulement artisanale mais aussi industrielle —, ainsi que les droits relatifs
136
à l’environnement et à la sécurité» .

4.63. La Colombie n’a cessé, depuis lors, de revendiquer la reconnaissance de ces droits

auxquels l’arrêt de la Cour a prétendument porté atteinte. Dans un article de presse paru le
10 septembre 2013, la ministre colombienne des affaires étrangères a exposé que tout traité conclu
devrait recouvrir «un ensemble d’accords en matière de pêche et de sécurité» . Pas plus tard que

le 22 novembre 2014, l’agent de la Colombie en la présente instance aurait indiqué qu’un accord

134Déclaration du président de la République de Colombie, 1 décembre 2012 (EPC, annexe 9).

135El Salvador Noticias.net, «Le Gouvernement de la Colombie ne mettra pas en œuvre l’arrêt de la CIJ tant que
les droits des Colombiens n’auront pas été rétablis» 3 décembre 2012 (EEN, annexe 5)
(http://www.elsalvadornoticias.net/2012/12/03/gobierno-de-colombia-no-ap…-
derechos-de-colombianos/).
136
Ibid.
137 La Prensa, «Colombia responds to a proposal for dialogue» [«La Colombie répond à une proposition de
dialogue»], Nicaragua, 10 septembre 2013 (EEN, annexe 8) (http://www.laprensa.com.ni/2013/09/10/politica/

161912-colombia-responde-a-propuesta-de-dialogo). - 37 -

avec le Nicaragua devrait «présenter des aspects liés à la protection de la culture raizale et des
droits de pêche et de navigation des communautés peuplant l’ensemble des zones concernées, sans
138
aucune restriction, et à la protection de la réserve Seaflower» .

4.64. De toute évidence, rien de tout cela n’a trait à la violation par la Colombie des droits du

Nicaragua tels que reconnus par la Cour. Par ailleurs, il n’est même pas certain que ces droits
seraient reconnus dans le traité qu’exige la Colombie, et ce, même si le Nicaragua acceptait de faire
les concessions demandées. Dans la demande qu’il a soumise à la Cour constitutionnelle, le

président Santos a ainsi longuement développé l’argument que l’«autorité de chose jugée attachée
aux arrêts rendus par la CIJ ne lie pas les parties à un différend dès lors que celles-ci décident
d’opter pour une solution contractuelle différente de celle énoncée par la CIJ dans son arrêt» . Et 139
l’on pouvait lire dans un article paru le 9 septembre 2013 dans la presse colombienne que, selon un

55 «membre de la commission des affaires internationales du sénat [colombien] …, le
congrès se refuserait à approuver tout traité en vertu duquel les frontières maritimes de
la Colombie correspondraient à celles fixées par la Cour de La Haye dans son arrêt de
140
novembre 2012» .

4.65. Il est donc clair que la Colombie ne s’estimait nullement tenue, à la date de la requête

du Nicaragua  et ne s’estime du reste toujours pas tenue —, de mettre un terme à ses violations
des droits souverains et de la juridiction du Nicaragua tant que les deux Etats n’auraient pas conclu
un traité  traité qu’elle semble de surcroît destiner à légitimer ses violations de l’arrêt de 2012. Il

est par conséquent tout aussi clair que la Colombie n’était pas alors — non plus qu’elle n’est
aujourd’hui — d’avis que le différend spécifique l’opposant au Nicaragua au sujet des violations
des droits de celui-ci auxquelles elle s’est livrée et continue de se livrer pût être réglé au moyen de
négociations directes. Même si, usant de sa discrétion, le Nicaragua s’est montré disposé à

entendre les demandes de la Colombie, il partageait nécessairement ce point de vue. Il s’ensuit que
les prescriptions de l’article II du pacte de Bogotá se trouvent satisfaites.

138 El Tiempo, «Selon Carlos Gustavo Arrieta, il est possible de négocier avec le Nicaragua à La Haye»,
Colombie, 22 novembre 2014 (EEN, annexe 9) (http://www.eltiempo.com/politica/gobierno/carlos-arrieta-dice-que-es-
posible-negociar-con-nicaragua-en-la-haya/14870462).

139 Président Juan Manuel Santos, demande visant les articles XXXI et L du pacte de Bogotá, Cour
constitutionnelle, D-9907, 12 septembre 2013, p. 36 (MN, annexe 15) (EEN, annexe 3). «[L]a cosa juzgada de los fallos
de la CIJ no obliga a las partes en conflicto en caso de que estas opten par una solución contractual diferente a la prevista
por la CIJ en su fallo.»
140
Semana, «Santos ne ferme pas la porte au dialogue avec Ortega», 9 septembre 2013 (EEN, annexe 6)
(http://www.semana.com/nacion/articulo/el-fallo-de-la-haya-no-es-aplicab…).

«Incluso, el senador Juan Lozano, integrante de la comisión de asuntos internacionales del
Senado, aseguró que el Congreso colombiano no aprobaría ningún tratado en el cual los límites marítimos
de Colombia correspondan a los que fijó la Corte de La Haya en su fallo de noviembre del 2012.» - 38 -

C HAPITRE 5

LA C OUR POSSÈDE UN POUVOIR INHÉRENT LUI PERMETTANT DE CONNAÎTRE
DE DIFFÉRENDS DÉCOULANT D ’UN DÉFAUT D ’EXÉCUTION DE SES ARRÊTS
(QUATRIÈME ET CINQUIÈME EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES )

57 5.1. Les quatrième et cinquième exceptions préliminaires de la Colombie sont libellées

comme suit :

«7.5. Quatrièmement, la Cour ne possède pas un «pouvoir inhérent» dont le
Nicaragua pourrait se prévaloir dès lors que la compétence qu’elle tenait du pacte de
Bogotá est devenue caduque. L’allégation du Nicaragua selon laquelle «la

compétence de la Cour réside dans le pouvoir qui est le sien de se prononcer sur les
mesures requises par ses arrêts» ne trouve de fondement ni en droit ni dans la pratique
de la Cour.

7.6. Cinquièmement, l’allégation selon laquelle la Cour possède un pouvoir
inhérent dont elle pourrait s’autoriser pour surveiller et assurer l’exécution de son arrêt
du 19 novembre 2012 ne trouve, de même, de fondement ni en droit ni dans sa
pratique. La Cour n’a pas compétence pour connaître de «différends découlant d’un
141
défaut d’exécution de ses arrêts».»

5.2. Le Nicaragua a quelque peine à comprendre la distinction que fait la Colombie entre ces
deux exceptions : il ne saurait faire de doute que la première des mesures requises par un arrêt de la

Cour est sa propre exécution. Et, de fait, le caractère très répétitif des chapitres 5 et 6, censés
traiter respectivement des quatrième et cinquième exceptions préliminaires de la Colombie,
témoignent de l’aspect artificiel de cette distinction. Il n’y a donc ni raison logique ni motif
juridique de dissocier les deux arguments et le Nicaragua les analysera conjointement dans le
présent chapitre.

5.3. Deux autres précisions s’imposent. Premièrement, il va sans dire que le Nicaragua
fonde la compétence de la Cour sur les deux titres invoqués : d’une part, le pacte de Bogotá  et il

a démontré au chapitre 2 ci-dessus que, à l’époque du dépôt de la requête, ce titre était toujours
valide  et, d’autre part, le pouvoir inhérent que possède la Cour de régler les différends découlant
d’un défaut d’exécution de ses arrêts. Ces deux chefs de compétence ne s’excluent en aucun cas
l’un l’autre. Comme la Cour permanente de Justice internationale («CPJI») l’a relevé dans l’affaire

de la Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie,

58 «la multiplicité d’engagements conclus en faveur de la juridiction obligatoire atteste
chez les contractants la volonté d’ouvrir de nouvelles voies d’accès à la Cour plutôt
que de fermer les anciennes ou de les laisser se neutraliser mutuellement pour aboutir
142
finalement à l’incompétence» .

La Colombie a certes beaucoup insisté sur le fait que, dans cette dernière affaire, la CPJI
«disposait … de deux titres conventionnels de compétence» . 143 Mais la situation n’est pas

différente pour autant. Le fait est que, après avoir relevé que l’examen du premier chef de

141
EPC, p. 165-166.
14Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B n 77, p. 76. Voir également
Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II),
p. 873, par. 135.

14EPC, p. 138, par. 5.14. - 39 -

compétence avait abouti à un résultat négatif, la Cour permanente a considéré qu’elle n’était pas

pour autant dispensée «de procéder à l’examen de l’autre chef de compétence invoqué à titre
distinct et indépendant du premier», et qu’elle a alors procédé à l’examen de l’argumentation
développée par le Gouvernement bulgare sur cet autre chef de compétence . Il est vrai que, «dans
l’affaire de la Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, la question du «pouvoir inhérent» ne
145
s’est pas posée, fût-ce implicitement» ; cependant, si le Nicaragua invoque ce précédent, ce n’est
pas à cet effet, mais simplement parce qu’il établit que lorsqu’un Etat demandeur peut se fonder sur
plusieurs chefs de compétence, ceux-ci ne s’excluent pas mutuellement, mais, au contraire, se
146
renforcent réciproquement .

5.4. Deuxièmement, la Colombie prétend déceler une modification de l’argumentation du

Nicaragua quant au second titre de compétence, ou, plus généralement, quant à l’objet même du
différend dont celui-ci a saisi la Cour. Ainsi, en introduction à ses exceptions préliminaires, la
Colombie soutient que le Nicaragua aurait, dans son mémoire, reformulé les conclusions qui
147
figuraient dans sa requête, afin «de [les] distancier … de la question de l’exécution de l’arrêt» .
59 Voilà qui procède d’un sérieux malentendu : car c’est par suite de l’arrêt du 19 novembre 2012 que
la Colombie a «l’obligation … de ne pas violer les espaces maritimes du Nicaragua tels que
délimités au paragraphe 251 de l’arrêt rendu par la Cour le 19 novembre 2012, ainsi que les droits
148
souverains et la juridiction du Nicaragua sur lesdits espaces» .

5.5. De fait, tout Etat a l’obligation de ne pas violer les espaces maritimes d’un autre Etat.

Mais, comme la Colombie elle-même l’a soutenu dans sa duplique en l’affaire du Différend
territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie),

«[l]orsque deux Etats ont des divergences au sujet d’une frontière maritime, il serait
contraire à la réalité objective et particulièrement contre-productif de traiter la
frontière fixée en définitive dans l’arrêt comme ayant existé «dès le début» et
d’attribuer à la partie ayant obtenu gain de cause une indemnité dans un secteur donné

à raison d149’utilisation antérieure par l’autre partie des ressources litigieuses dans ce
secteur» .

Dans son arrêt du 19 novembre 2012, la Cour a d’ailleurs reconnu le bien-fondé de cette position,
et s’est exprimée en ces termes :

«La Cour fait observer que la demande du Nicaragua est présentée dans le cadre

d’une instance concernant une frontière maritime qui n’a jamais été tracée auparavant.
Le présent arrêt a pour effet de fixer la frontière maritime entre les deux Parties, le
Nicaragua et la Colombie, dans l’ensemble de la zone pertinente. A cet égard, la Cour
relève que son arrêt n’attribue pas au Nicaragua la totalité de la zone qu’il revendique

et alloue au contraire à la Colombie une partie des espaces maritimes à l’égard
desquels le Nicaragua demande une déclaration concernant l’accès aux ressources

144Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B n 77, p. 80.
145
EPC, p. 139, par. 5.14.
146Voir MN, p. 12, par. 1.24.

147EPC, p. 4, par. 1.5 ; voir également p. 21-22, par. 2.23, ou p. 151-152, par. 6.5-6.6.
148
MN, conclusions, p. 107, par. 1 a) (les italiques sont de nous).
149Duplique soumise par la Colombie en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie),

exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), 18 juin 2010, p. 323, par. 9.10. - 40 -

naturelles. Dans ces conditions, elle estime que la demande du Nicaragua sur ce point
150
n’est pas fondée.»

5.6. La situation est différente une fois l’arrêt rendu. Dès son prononcé, chacune des parties
a l’obligation de s’abstenir d’exercer des activités non autorisées dans la zone attribuée à la partie
60 adverse, et de ne prendre ou mettre en œuvre aucune mesure. La Cour «a déjà eu à connaître de
151
situations de ce genre» . Ainsi, dans l’affaire du Temple de Préah Vihear, où, ayant

«jugé que ce temple était situé en territoire relevant de la souveraineté du Cambodge,
[e]lle en avait conclu que : «La Thaïlande est tenue de retirer tous les éléments de

forces armées ou de police ou autres gardes ou gardiens qu’elle a installés dans le
temple ou dans ses environs situés en territoire cambodgien.» (Fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 2002, p. 37.)» 152

Plus récemment, dans l’affaire Cameroun c. Nigéria, la Cour a dit que

«le Cameroun [était] tenu de retirer dans les plus brefs délais et sans condition toutes
administration ou forces armées ou de police qui pou[vaient] se trouver, le long de la
frontière terrestre allant du lac Tchad à la presqu’île de Bakassi, dans les zones
153
relevant, conformément au présent arrêt, de la souveraineté du Nigéria» .

5.7. De même, en l’espèce, la Colombie ne saurait s’abriter derrière une prétendue
154
incertitude ou divergence quant aux limites précises de ses espaces maritimes pour se soustraire
à sa responsabilité. Par conséquent, distinguer les deux aspects n’a aucun sens : dans son arrêt, la
Cour a défini précisément jusqu’où s’étendaient — géographiquement — les droits et obligations
155
respectifs des Parties ; les limites ainsi fixées ont force obligatoire pour les Parties et doivent être
respectées scrupuleusement, sans délai ni condition.

5.8. Disons-le néanmoins, par souci de précaution et pour éviter tout doute (que la Colombie
voudrait bien instiller), le Nicaragua n’exclut pas de réintroduire, dans ses conclusions finales au
61 fond, une demande formelle concernant la violation de l’arrêt de 2012, même si celle-ci serait

redondante eu égard à celles, plus détaillées, qu’il présente quant à la responsabilité de la Colombie
et à ses conséquences.

150 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 718, par. 250.

151Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée équatoriale
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 451, par. 313.
152
Ibid.
153Ibid., p. 451-452, par. 315.

154A tout le moins en ce qui concerne le plateau continental s’étendant en deçà de 200 milles marins des côtes
nicaraguayennes. S’agissant de la zone située au-delà, la Cour s’est abstenue de se prononcer dans son arrêt de 2012
(voir l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 669, par. 129, p. 670, par. 131 et p. 719, par. 251 3) ; le Nicaragua l’a priée de la délimiter
dans la requête qu’il a déposée le 16 septembre 2013 en l’affaire relative à la Question de la délimitation du plateau

continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua
c. Colombie).
155Statut de la Cour, art. 59. - 41 -

156
5.9. En tout état de cause, et comme la Colombie elle-même semble le reconnaître , cet
intéressant débat juridique relève de la phase du fond. La question de savoir si la responsabilité
d’une partie est engagée à raison des violations de l’arrêt lui-même 157 ou des obligations qui

découlent de cet arrêt est sans pertinence aux fins de statuer sur la compétence de la Cour. Se pose
en revanche, dans les deux cas, celle de savoir si la Cour est compétente pour trancher un différend
concernant l’exécution de ses propres arrêts. Il convient assurément d’y répondre par l’affirmative.

En réalité, contrairement à ce qu’affirme la Colombie, il n’y a de conflit ni

 entre la nature consensuelle de la compétence de la Cour et son pouvoir inhérent de connaître

des différends concernant l’exécution de ses arrêts (I) ; ni

 entre ce pouvoir inhérent et la compétence qu’a le Conseil de sécurité de «faire des
recommandations ou [de] décider des mesures à prendre pour faire exécuter» les arrêts de la
Cour 158(II).

I. LE POUVOIR INHÉRENT CADRE AVEC LE CARACTÈRE

CONSENSUEL DE LA COMPÉTENCE

62 5.10. Selon la Colombie, la Cour n’a pas compétence en ce qui concerne la «phase
159
d’exécution» d’une procédure contentieuse . Tel est le cas, soutient-elle, parce qu’aucun des
instruments applicables ne lui confère «de pouvoirs, et en particulier des pouvoirs de contrôle et de
suivi, en ce qui concerne l’exécution de ses arrêts» . Pareille compétence ne trouve ainsi, d’après

la Colombie, «pas davan161e de fondement dans [son] Statut … que dans sa jurisprudence ou dans
le pacte de Bogotá» . La Colombie va même plus loin, affirmant que l’exercice par la Cour d’un
pouvoir inhérent serait «en contradiction flagrante avec son Statut et la Charte des
162
Nations Unies» .

163
5.11. Ainsi qu’il a été exposé dans le mémoire , le «pouvoir inhérent» n’est, par définition,
pas expressément énoncé, mais tient à la nature même de la Cour internationale de Justice en tant
qu’organe judiciaire, et se déduit implicitement des textes régissant la compétence de cette

dernière. Comme le tribunal des réclamations Etats-Unis/Iran l’a clairement dit dans une décision
qui a fait date, les juridictions internationales

«possèdent certains pouvoirs inhérents, c’est-à-dire des «pouvoirs qui ne [leur] sont
pas expressément conférés … mais doivent être considérés comme découlant
nécessairement de l’intention fondamentale des parties de créer une institution à

156Voir EPC, p. 4, par. 1.5 : «[i]l n’y a pas lieu de traiter du fond de l’affaire dans la présente pièce de
procédure».
157
A titre de rappel : l’existence d’un dommage n’est pas une condition de l’engagement de la responsabilité d’un
Etat auteur d’un fait illicite au regard du droit international ; voir l’article 2 des articles de la CDI sur la responsabilité de
l’Etat pour fait internationalement illicite : «Il y a fait internationalement illicite de l’Etat lorsqu’un comportement
consistant en une action ou une omission :

a) est attribuable à l’Etat en vertu du droit international; et

b) constitue une violation d’une obligation internationale de l’Etat.» (A/RES/56/83, 12 décembre 2001).
158Voir le paragraphe 2 de l’article 94 de la Charte des Nations Unies.

159EPC, p. 153, par. 6.9 et p. 163, par. 6.28.

160Ibid., p. 153, par. 6.9.
161
Ibid., p. 150, par. 6.3. Voir aussi p. 133-134, par. 5.6, p. 136 ; par. 5.11 et p. 156, par. 6.14.
162Ibid., p. 157, par. 6.15.

163MN, p. 13, par. 1.26. - 42 -

caractère judiciaire». Il a été avancé que «l’origine des pouvoirs inhérents que
détiennent les juridictions internationales est à rechercher dans le besoin qu’elles ont
de pouvoir s’acquitter des fonctions qui leur sont dévolues».» 164

5.12. Cette conclusion du tribunal des réclamations Etats-Unis/Iran fait écho à celle énoncée

dans les affaires des Essais nucléaires, où la Cour a dit de son pouvoir inhérent qu’un pouvoir de
63 ce genre «découle de l’existence même de la Cour, organe judiciaire établi par le consentement des
165
Etats, et lui est conféré afin que sa fonction judiciaire fondamentale puisse être sauvegardée» . A
ce propos, la Colombie déplore que «le Nicaragua ne précise pas … que les termes «un pouvoir
inhérent de ce genre» renvoient à la première partie d[u] paragraphe [cité] et au paragraphe
166
précédent» . C’est exact, mais cela ne saurait occulter la conclusion à laquelle la Cour a abouti en
se fondant, précisément, sur les deux paragraphes en question quant à sa compétence et à la
recevabilité de la requête. Cette conclusion, dans son intégralité, se lit comme suit :

«Un pouvoir inhérent de ce genre, sur la base duquel la Cour est pleinement
habilitée à adopter toute conclusion éventuellement nécessaire aux fins qui viennent

d’être indiquées, découle de l’existence même de la Cour, organe judiciaire établi par
le consentement des Etats, et lui est conféré afin que sa fonction judiciaire
167
fondamentale puisse être sauvegardée.»

De toute évidence, contrairement à ce que la Colombie voudrait faire croire, ce propos de la

Cour ne vise168s exclusivement les ««limitations inhérentes» restreignant l’exercice de sa fonction
judiciaire» .

5.13. En outre, l’exercice de ce pouvoir inhérent ne signifie pas, contrairement à ce que
soutient la Colombie, que la Cour «existerait et agirait en quelque sorte indépendamment de son
169 170
Statut» ou «en contradiction flagrante avec [ce dernier] et la Charte des Nations Unies» . Le
Statut de la Cour ne dit tout simplement rien à ce sujet. Par conséquent, l’exercice de ce pouvoir
inhérent ne serait pas contra statum, puisqu’aucune disposition du Statut (non plus que de la Charte

des Nations Unies ou du pacte de Bogotá) ne l’exclut.

64 5.14. Cette analyse est notamment confirmée par la pratique de la Cour en ce qui concerne
les violations d’ordonnances en indication de mesures conservatoires, dont il ressort que la Cour
peut, dans une certaine mesure, «sanctionner l’irrespect de ses prononcés antérieurs» . Dans 171

l’arrêt rendu en 2001 en l’affaire LaGrand, il était précisé que,

164 Decision Ruling on Request for Revision by Iran, 1 July 2011, Iran v. United States,
o
Decision n 134-A3/A8/A9/A14/B61-FT, par. 59, citant D. Caron, L. Caplan et M. Pellonpää (sous la dir. de),
The UNCITRAL Arbitration Rules: A Commentary, OUP, 2006, p. 915 et C. Brown, «The Inherent Powers of
International Courts and Tribunals», BYbIL, vol. 76, 2005, p. 228.
165
Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 259-260, par. 22-23 ; Essais nucléaires
(Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 463, par. 23. Voir aussi Cameroun septentrional (Cameroun
c. Royaume–Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, opinion individuelle de sir Gerald Fitzmaurice,
p. 103.
166
EPC, p. 139, par. 5.15.
167Voir note de bas de page 165 supra.

168EPC, p. 140, par. 5.15 (les italiques sont de nous).

169Ibid., p. 133-134, par. 5.6.
170
Ibid., p. 157, par. 6.15 et p. 163, par. 6.28.
171
Robert Kolb, La Cour internationale de Justice (2013), p. 854. - 43 -

«[l]orsque la Cour a compétence pour trancher un différend, elle a également
compétence pour se prononcer sur des conclusions la priant de constater qu’une

ordonnance en indication de mesures rendue aux172ns de préserver les droits des
Parties à ce différend n’a pas été exécutée» .

Dans le même arrêt, la Cour a également estimé que, «si la conclusion de l’Allemagne avait

comporté une demande à fin d’indemnité», elle aurait été compétente pour déterminer les
réparations appropriées .173

5.15. Deux grands constats peuvent être dressées à partir du précédent LaGrand et des
décisions prises dans son sillage :

i) Le fait que son Statut ne dise rien de sa compétence à l’égard de différends ayant trait à la
responsabilité d’une partie pour non-respect d’une ordonnance en indication de mesures
conservatoires rendue par elle n’empêche pas la Cour de se prononcer sur de tels
différends.

ii) Dans l’affaire susvisée, la Cour fait manifestement usage d’un pouvoir inhérent qu’elle
considère à ce point comme allant de soi que, par la suite, elle ne se donne même pas la
65 peine d’en justifier de nouveau l’existence, se contentant de renvoyer à sa compétence
174
telle qu’établie en l’affaire LaGrand .

5.16. Il n’y a aucune raison de ne pas transposer mutatis mutandis la position de la Cour

concernant son pouvoir inhérent de se prononcer sur le non-respect d’ordonnances en indication de
mesures conservatoires aux différends découlant d’un défaut d’exécution de ses arrêts.

5.17. En outre, il existe un autre précédent, plus proche encore de la présente affaire, dans le
cadre duquel la Cour a exercé le pouvoir qui  bien que son Statut n’en fasse nulle part
expressément mention  est le sien de se prononcer sur le respect ou non d’un arrêt rendu par

elle : dans son ordonnance du 22 septembre 1995 relativement à la Demande d’examen de la
situation au titre du paragraphe 63 de l’arrêt rendu par la Cour le 20 décembre 1974 dans
l’affaire des Essais nucléaires soumise par la Nouvelle-Zélande, la Cour a accepté d’examiner la
question de savoir si «le fondement de l’arrêt rendu le 20 décembre 1974 en l’affaire des Essais
175
nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France) … avait … été remis en cause» . Selon la Colombie, les
arrêts rendus dans les affaires des Essais nucléaires confirment que la Cour ne réservera sa
compétence, comme elle l’avait fait au paragraphe 63, «que dans de rares circonstances où par

exemple — et comme c’était … le cas [dans les affaires en question]  le non-respect de
l’engagement unilatéral d’une partie viendrait remettre en cause le principe même sur lequel sa

172LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 484, par. 45. Les tribunaux
constitués par le CIRDI ont suivi la même approche : voir, par exemple, Victor Rey Casado and President Allende
Foundation v. Republic of Chile, ICSID Case No. ARB/98/2, Decision on Provisional Measures, 25 septembre 2001,
par. 17 et 20, City Oriente Limited v. Republic of Ecuador and Empresa Estatal Petroleos del Ecuador (Petroecuador),
ICSID Case No. ARB/06/21, Decision on Provisional Measures, 19 novembre 2007, par. 92 ; Perenco Ecuador
Limited v. Republic of Ecuador, ICSID Case No. ARB/08/6, Decision on Provisional Measures, 8 mai 2009, par. 75-6 et

Tethyan Copper Company Pty Limited v. Islamic Republic of Pakistan, ICSID Case No. ARB/12/1, Decision on
Provisional Measures, 13 décembre 2012, par. 120.
173LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 508, par. 116.
174
Ibid., p. 482-483, par. 42 et 485, par. 48.
175
Demande d’examen de la situation au titre du paragraphe 63 de l’arrêt rendu par la Cour le
20 décembre 1974 dans l’affaire des Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), ordonnance du 22 septembre 1995,
C.I.J. Recueil 1995, p. 306, par. 65. Voir MN, p. 14-16, par. 1.29-1.31. - 44 -

décision était fondée.» 176 Or, tel est le cas lorsqu’une partie refuse catégoriquement d’exécuter un

arrêt de la Cour.

5.18. L’une des fonctions judiciaires fondamentales de la Cour est de régler les différends
entre Etats. L’on ne saurait raisonnablement prétendre qu’elle s’est acquittée de cette tâche lorsque
l’une des parties à une affaire refuse de renoncer à ses prétentions et refuse délibérément de

66 respecter l’arrêt de la Cour. L177olombie a officiellement déclaré à plusieurs reprises (et dès le
jour du prononcé de l’arrêt) :

178
 qu’elle ne se conformerait pas à l’arrêt ; et

 qu’elle entendait que le Nicaragua signe un traité de délimitation maritime établissant une
179
frontière maritime différente de celle fixée par la Cour dans son arrêt du 19 novembre 2012 ,
qui a pourtant, sans l’ombre d’un doute, force de chose jugée, comme la Colombie le reconnaît
par ailleurs .80

5.19. Le principe de la chose jugée ne relève pas de l’expression d’un vœu pieux
in abstracto, non plus qu’il ne se suffit à lui-même. Il a des répercussions systémiques en tant qu’il
181
doit être appliqué de manière concrète ; même si la Cour  comme les autres cours ou
tribunaux  n’a pas de pouvoir exécutoire , elle peut et doit se prononcer sur les différends
concernant l’exécution de ses arrêts, dans le cadre de sa fonction inhérente de règlement des

différends entre Etats.

5.20. Par ailleurs, comme l’a écrit Shabtai Rosenne voici plus de cinquante ans,

«[l]a définition du statut de la Cour en tant qu’organe principal, et qu’organe judiciaire

principal, de ce qui est avant tout une organisation politique  les Nations Unies 
mettait l’accent sur le fait que la fonction de résolution des différends internationaux,
était assurée dans le cadre général de l’organisation politique de la société

internationale, et que le rôle de la Cour se rapportait directement au règlement
pacifique des différends internationaux, et donc au maintien de la paix
internationale» .183

5.21. Trente ans plus tard, le président de la Cour le confirmait :

67 «[L]a Cour apparaît donc comme un rouage essentiel non seulement du
mécanisme de règlement pacifique des différends mis au point par la Charte, mais

176EPC, p. 141, par. 5.17.
177
Voir MN, p. 22-23, par. 2.3-2.5.
178
Voir ibid., p. 21-26, par. 2.2-2.10 et p. 85-93, par. 4.17-4.38.
179Voir ibid., p. 24-25, par. 2.7, p. 87-90, par. 4.22-4.26 et p. 90, par. 4.28.

180Voir, par exemple, EPC, p. 141, par. 5.17.
181
Voir H. Ascensio, «La notion de juridiction internationale en question» in Société française pour le droit
international, La juridictionnalisation du droit international, colloque de Lille, Paris, Pedone, 2003, p. 163-202, par
exemple p. 178 et 183.
182
Voir par. 5.22 ci-après.
183Sh. Rosenne, The Law and Practice of the International Court, Leiden, Sijthoff, 1965, p. 23. Voir aussi
L. Gross, «The International Court of Justice and the United Nations», Recueil des cours, vol. 120, 1967/1, p. 340. - 45 -

aussi du système général de maintien de la paix et de la sécurité internationales qu’elle

a instauré. Aucune d184osition de la Charte ni du Statut de la Cour ne limite son
action à cet égard.»

C’est là un rôle essentiel et très particulier que joue la Cour dans le système général de
maintien de la paix et de la sécurité internationales, et il n’en est que plus nécessaire que «sa
compétence et son autorité soient rendues pleinement effectives» . 185

5.22. Au vu des circonstances de la présente affaire, la Cour doit exercer le pouvoir inhérent
qu’elle détient. Comme cela a été montré dans le mémoire, la Colombie n’a cessé de menacer de

recourir à la force dans des zones de la mer des Caraïbes sur lesquelles le N186ragua jouit de droits
souverains et d’une juridiction que la Cour lui a définitivement reconnus . C’est, en conséquence,
l’intégrité de la fonction de la Cour en tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des
Nations Unies ainsi que son rôle au sein du système de maintien de la paix et de la sécurité

internationales qui sont ici en jeu, et qui risquent d’être mis à mal.

II. LE POUVOIR INHÉRENT DE LA C OUR EST COMPATIBLE
AVEC LA COMPÉTENCE DU C ONSEIL DE SÉCURITÉ

5.23. Outre qu’elle prétend de manière générale que la Cour ne possède pas de pouvoir

inhérent en cas d’inexécution de ses arrêts, la Colombie soutient que la Cour n’a pas compétence
pour connaître de la requête déposée par le Nicaragua le 26 novembre 2013 au motif que pareille
compétence serait «expressément confié[e] à d’autres institutions … [et que,] [a]u regard de la

68 Charte des Nations Unies autant que du pacte187 Bogotá, l’objet de la demande du Nicaragua
[serait] du ressort du Conseil de sécurité» .

5.24. L’interprétation que fait la Colombie de la Charte des Nations Unies et du pacte de
Bogotá est abusive en ce qu’elle procède d’un amalgame entre pouvoir exécutoire (enforcement
power) et compétence en matière d’exécution des arrêts. La Cour n’a, de toute évidence, aucun

moyen d’assurer l’«exécution» de ses arrêts. Contrairement à ce qui prévaut sur le plan national,
elle ne dispose d’aucune force militaire ou de police chargée de faire exécuter ses décisions. Selon
le Dictionnaire de droit international public, la notion de force exécutoire se définit ainsi :

«A. En droit interne, caractéristique d’un acte ou d’une décision juridictionnelle qui
est susceptible d’une exécution forcée par l’autorité publique.

B. En principe, le droit international ne connaî188as de situation analogue, faute
d’autorité publique supérieure aux Etats.»

184Déclaration de M. Mohammed Bedjaoui, président de la Cour internationale de Justice, faite devant
l’Assemblée générale des Nations Unies le 13 octobre 1994 (http://www.icj-cij.org/court/index.php?
pr=93&pt=3&p1=1&p2=3&p3=1&lang=fr).

185Voir tribunal des réclamations Etats-Unis/Iran, E-Systems, Inc. v. Iran, 4 février 1983, Iran-USCTR, vol. 2,
p. 57. Voir aussi Rockwell International Systems, Inc. v. Iran, 1985, Iran-USCTR, vol. 2, p. 311 et Ford Aerospace and
Communications Corporation v. Air Force of Iran, 1986, Iran-USCTR, vol. 4, p. 108-109. Ce qui vaut pour le tribunal
Etats-Unis/Iran est d’autant plus vrai s’agissant de la Cour internationale de Justice.

186Voir MN, p. 33-51, par. 2.22-2.52, p. 70-78, par. 3.37-3.55, et p. 91-93, par. 4.33-4.38.
187
EPC, p. 150, par. 6.3. Voir également p. 155, par. 6.12.
188Dictionnaire de droit international public (dir. publ., J. Salmon), Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 513. - 46 -

5.25. Il est vrai que la Charte des Nations Unies prévoit un mécanisme susceptible d’être
utilisé en cas d’inexécution des arrêts de la Cour. Le paragraphe 2 de son article 94 dispose en
effet que,

«[s]i une partie à un litige ne satisfait pas aux obligations qui lui incombent en vertu
d’un arrêt rendu par la Cour, l’autre partie peut recourir au Conseil de sécurité et
celui-ci, s’il le juge nécessaire, peut faire des recommandations ou décider des
189
mesures à prendre pour faire exécuter l’arrêt» .

Toutefois, le pouvoir ainsi conféré au Conseil de sécurité touche à la force exécutoire des
arrêts, et ne prive pas la Cour de son pouvoir inhérent en cas d’inexécution.

69 5.26. Par ailleurs, ce mécanisme n’est ni obligatoire ni exclusif. Ainsi que l’observe très
justement Robert Kolb, «[l]a première question qui se pose est celle de savoir si cette disposition
est exhaustive dans le sens qu’elle contiendrait le seul mécanisme juridiquement admissible pour
190
assurer l’exécution forcée des arrêts de la Cour. Or, tel n’est pas le cas.» Ainsi qu’il resso191
clairement des termes du paragraphe 2 de l’article 94, ce mécanisme «a un caractère facultatif» .
Le recours au Conseil de sécurité est (comme l’atteste l’emploi du verbe «peut») une simple
possibilité offerte à la partie qui reprocherait à l’autre de ne pas se conformer à l’arrêt. Il n’est en

aucun cas obligatoire.

5.27. Ce caractère facultatif du paragraphe 2 de l’article 94 est parfaitement logique.

Compte tenu de la composition du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui compte
cinq membres permanents disposant chacun d’un droit de véto, ce mécanisme, s’il était exclusif et
obligatoire, aurait une efficacité pour le moins incertaine dans les différends auxquels l’un des
membres permanents est partie. Mais il ne l’est pas et, ainsi que l’a observé un ancien président de

la Cour dans un commentaire faisant autorité,

«[e]n particulier, aucune disposition analogue à l’article 12 de la Charte n’oblig[e]
a priori la Cour à s’abstenir de se prononcer au sujet d’un différend en cours de
traitement par le Conseil de sécurité ou tout autre organe ou institution. Les relations

entre organes principaux sont, d’une manière générale, régies par les principes de
spécialité, d’égalité, de compétence de la compétence et de coordination; l’architecture
de l’Organisation repose tout entière sur la règle de l’autonomie de chaque organe
principal et de sa non-subordination, ainsi que sur celle de la poursuite concertée des

objectifs communs énoncés dans la Charte. En l’absence de toute autre restriction
spécifique, la Cour a donc toujours considéré que la pluralité de saisines n’était pas, en
70 soi, un obstacle à ce qu’elle fasse son devoir.» 192

Cette position est illustrée par le fameux dictum énoncé par la Cour en l’affaire des Activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci : «Le Conseil a des attributions

189
Charte des Nations Unies, paragraphe 2 de l’article 94 (l’italique est de nous).
190R. Kolb, op. cit., p. 863.

191A. Pillepich, «Article 94» in J.P. Cot et A. Pellet (dir.), La Charte des Nations Unies, commentaire article par
article, Paris, Economica, 2005, vol. II, par. 16, p. 1995. Voir également par. 11, p. 1992 ; M. Kamto, «Considérations
actuelles sur l’inexécution des décisions de la Cour internationale de Justice», in T.M. Ndiaye et R. Wolfrum, Law of the
Sea, Environmental Law and Settlement of Disputes. Liber Amicorum Judge Thomas A. Mensah, Leyde/Boston, Nijhoff,
2007, p. 218.
192
Déclaration de M. Mohammed Bedjaoui, président de la Cour internationale de Justice, faite en séance
plénière de l’Assemblée générale à sa quarante-neuvième session, le 13 octobre 1994 (http://www.icj-
cij.org/court/index.php?pr=93&pt=3&p1=1&p2=3&p3=1). - 47 -

politiques ; la Cour exerce des fonctions purement judiciaires. Les deux organes peuvent donc
s’acquitter de leurs fonctions distinctes mais complémentaires à propos des mêmes événements.» 193

Si la Cour se référait alors à l’article 12 de la Charte, rien n’empêche d’appliquer ce même
raisonnement à l’article 94.

5.28. Dans la suite de son raisonnement, la Colombie soutient que sa thèse est confirmée par

l’article L du pacte de Bogotá, qui se lit comme suit :

«Si l’une des Hautes Parties Contractantes ne remplit pas les obligations
découlant d’un jugement de la Cour internationale de Justice ou d’un jugement
arbitral, l’autre ou les autres parties intéressées, avant de recourir au Conseil de

sécurité des Nations Unies, demanderont une réunion de consultation des ministres des
relations extérieures afin que celle-ci convienne des mesures à prendre en vue
d’assurer l’exécution de la décision juridique ou arbitrale.» 194

5.29. Ce dont elle conclut :

«[L]’article L impose (voir l’emploi du futur «demanderont», ou du verbe
«shall» dans la version anglaise) le recours à un mécanisme spécifique, non judiciaire,

en cas de plainte pour manquement aux «obligations découlant d’un jugement de la
Cour internationale de Justice». Il est posé qu’une telle plainte relève du Conseil de
sécurité ; avant de recourir à celui-ci, toutefois, la partie réclamant l’exécution des
obligations doit «demander une réunion de consultation des ministres des relations
extérieures afin que celle-ci convienne des mesures à prendre en vue d’assurer
195
l’exécution de la décision» en question…».»

5.30. Cette interprétation de l’article L du pacte de Bogotá est erronée, et ce, pour au moins

deux raisons.

71 5.31. Premièrement, contrairement à ce que la Colombie avance, l’obligation qui y est établie
n’est pas une obligation de recourir au Conseil de sécurité des Nations Unies. De fait, l’article L

n’attache nullement à l’application du paragraphe 2 de l’article 94 un caractère obligatoire ; il
impose simplement à la ou les partie(s) qui envisagerai(en)t d’avoir recours au Conseil de sécurité
de demander au préalable «une réunion de consultation des ministres des relations extérieures».

5.32. Deuxièmement, la partie dénonçant l’inexécution n’est liée par cette obligation 
«demander une réunion de consultation des ministres des relations extérieures afin que celle-ci
convienne des mesures à prendre en vue d’assurer l’exécution de la décision»  que si elle décide
de saisir le Conseil de sécurité. Telle n’était pas, en la présente instance, l’intention du Nicaragua.

Et quand bien même telle eût été son intention, la Cour n’en serait pas pour autant empêchée

193
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 435, par. 95.
19Pacte de Bogotá, art. L.

195EPC, p. 157-158, par. 6.17. - 48 -

d’exercer son pouvoir inhérent car, comme on l’a vu, «[l]es deux organes peuvent … s’acquitter de
196
leurs fonctions distinctes mais complémentaires à propos des mêmes événements» .

5.33. En tout état de cause, et bien qu’il n’en eût nullement l’obli197ion, le Nicaragua a
largement œuvré en vue d’un rapprochement avec la Colombie . Ainsi que relaté dans le
mémoire , le président Ortega a invité le président Santos à prendre part à un dialogue
199 200
constructif , l’a rencontré à deux reprises 201 et lui a même proposé de conclure un traité afin
72 d’assurer l’exécution de l’arrêt de la Cour  mesure qui ne saurait toutefois être une condition
préalable à cette exécution.

5.34. La Colombie reproche au Nicaragua de chercher à «faire fond sur les pouvoirs qu’il
prête à certaines juridictions internationales régionales relevant pourtant de régimes conventionnels

totalement distincts : la Cour européenne des droits de l’homme (ou «CEDH») et la Cour
interaméricaine des droits de l’homme» ; selon elle, le Nicaragua méconnaît, à cet égard «le fait
que la compétence reconnue en la matière à ces deux juridictions garantes des droits de l’homme

est expressément prévue dans leurs instruments constitutifs, comme le sont les conditions
auxquelles il leur est loisible de l’exercer» . L’argument fait long feu : s’il est vrai que les
conventions de Rome et de San José prévoient l’une et l’autre des mécanismes particuliers en

matière d’exécution  confiés, respectivement, au comité des ministres (article 46 de la
convention européenne des droits de l’homme) et à l’Assemblée générale de l’Organisation des

Etats américains (article 65 de la convention américaine relative aux droits de l’homme) , elles
n’attribuent en revanche à ces deux juridictions aucun rôle direct de surveillance en cas
d’inexécution de leurs arrêts, ce qui, en pratique, ne les a pourtant pas empêchées d’agir. Le
parallèle est d’autant plus pertinent que ces mécanismes, qui font intervenir les organes politiques

des deux organisations régionales, sont infiniment plus efficaces et systématiques que celui
envisagé par le paragraphe 2 de l’article 94 de la Charte des Nations Unies. Or, cela n’a pas
dissuadé la Cour européenne et la Cour interaméricaine des droits de l’homme d’affirmer

clairement leur compétence en cas d’inexécution de leurs arrêts  compétence qui, n’étant pas
expressément prévue dans leurs actes constitutifs respectifs, peut être considérée comme un

pouvoir inhérent.

73 5.35. La Colombie allègue à tort que la CEDH «n’est pas habilitée à surveiller l’exécution

d’une précédente décision ou à contrôler les mesures prises en vue d’en assurer203 mise en œuvre
au titre d’une nouvelle plainte qu’aurait introduite le demandeur» . Cette affirmation est

196
Voir par. 5.27 ci-dessus.
197
Voir MN, p. 51-55, par. 2.53-2.63.
198Ibid.

199 Voir notamment «Message adressé par le président Daniel au peuple nicaraguayen», El 19 Digital,
26 novembre 2012 (MN, annexe 27) (http://www.el19digital.com/articulos/ver/titulo:7369-mensaje-del-presid…-
daniel-al-pueblo-de-nicaragua).
200
«Le Nicaragua invite Bogotá à établir une commission «La Haye»», La Opinion, 22 février 2013 (MN,
annexe 35) (http://laopinion.com.co/demo/index.php?option=com_content&task=view&id=…).
201
Voir «Daniel : 40 ans après le martyre d’Allende, la paix doit prévaloir», El 19 Digital, 11 septembre 2013
(MN, annexe 39) (http://www.el19digital.com/articulos/ver/titulo:13038-daniel-a-40-anos-…-
prevalecer-la-paz); «Le Nicaragua propose à la Colombie de collaborer en vue de la mise en œuvre de l’arrêt de
La Haye», AFP, 9 mai 2014 (MN, annexe 46) (http://www.noticiasrcn.com/internacional-america/nicaragua-propone-
coordinar-fallo-haya-colombia).
202
EPC, p. 159-160, par. 6.23.
203Ibid., p. 160-161, par. 6.25. - 49 -

204
clairement contredite par la pratique de la Cour européenne . La Grande Chambre a très
récemment résumé cette pratique dans une décision où, tout en reconnaissant le rôle du comité des
ministres, elle a estimé qu’elle n’était pas pour autant empêchée d’exercer sa compétence en cas

d’inexécution de ses arrêts :

«L’article 46 § 2 de la Convention [européenne des droits de l’homme] donne

au Comité des Ministres le pouvoir de surveiller l’exécution des arrêts de la Cour et
d’apprécier les mesures prises par les Etats défendeurs. Toutefois, le rôle que joue le
Comité des Ministres dans le cadre de l’exécution des arrêts de la Cour n’empêche pas

celle-ci d’examiner une nouvelle requête portant sur des mesures prises par un Etat
défendeur en exécution de l’un de ses arrêts si cette requête renferme des éléments
pertinents nouveaux touchant des questions non tranchées dans l’arrêt initial (Verein
o
gegen Tierfabrik205Schweiz (VgT) c. Suisse (n°2) [GC], n °32772/02, par. 61-63,
CEDH 2009).»

Cela s’applique plus encore dans les situations où l’Etat défendeur n’a pris aucune mesure
d’exécution. Il est donc tout simplement faux d’affirmer que «tous les pouvoirs qui … sont
dévolus [à la Cour européenne des droits de l’homme] découlent de dispositions expresses de la
206
convention» européenne des droits de l’homme. Ces pouvoirs, tels qu’exercés par la Cour,
dépassent largement le cadre de ce qui est expressément prévu à l’article 46 de ladite convention
européenne des droits de l’homme. Par ailleurs et en tout état de cause, le mécanisme de mise en

œuvre établi par l’article 94 de la Charte est infiniment moins puissant que ceux qui existent en
vertu des instruments régionaux.

5.36. La CIJ a affirmé à maintes reprises qu’elle ««ne p[ouvait] ni d[evait] envisager
74 l’éventualité que l’arrêt resterait inexécuté» (Usine de Chorzów, C.P.J.I. série A n 17, p. 63)» . 207
La Colombie prétend curieusement que «[c]e dictum, loin d’indiquer que la Cour possèderait

implicitement le pouvoir de surveiller l’exécution d’un arrêt lors d’une procédure ultérieure, milite
au contraire contre pareille interprétation» . Or, quoique cette éventualité soit supposément
inenvisageable, il y a bien eu inexécution en la présente affaire. Il y a lieu a pour la Cour de traiter

cette situation de sorte que son autorité ne soit pas affaiblie et que ses arrêts ne soient pas tournés
en ridicule ni foulés aux pieds.

20Voir MN, p. 13-14, par. 1.27 et la jurisprudence qui y est citée (note de bas de page 18).
205 o o
Cour européenne des droits de l’homme [Grande Chambre], Bochan c. Ukraine (n 2) (requête n 22251/08),
arrêt du 5 février 2015, par. 33.
206
EPC, p. 145, par. 5.22.
207Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 437, par. 101, citant Usine de Chorzów, compétence, arrêt n 8,
o
1927, série A n 17, p. 63. Voir également MN, p. 14, par. 1.29.
20EPC, p. 159, par. 6.20. - 50 -

C ONCLUSIONS

75 Pour les motifs exposés ci-dessus, la République du Nicaragua prie la Cour de dire et juger
que les exceptions préliminaires d’incompétence soulevées par la République de Colombie sont
infondées.

La Haye, le 20 avril 2015

L’agent de la République du Nicaragua

Carlos RGÜELLO G ÓMEZ. - 51 -

A TTESTATION

77 J’ai l’honneur de certifier que le présent exposé écrit et les documents qui y sont annexés
sont des copies conformes des documents originaux, et que les traductions anglaises établies par la
République du Nicaragua sont exactes.

La Haye, le 20 avril 2015

L’agent de la République du Nicaragua

Carlos RGÜELLO G ÓMEZ.

___________ - 52 -

L ISTE DES ANNEXES

Documents Page
Annexe 1 Juan Carlos Puig, «El Tratado Interamericano de Asistencia Recíproca y el 53
Régimen Internacional Contemporáneo», Secrétariat général de

l’Organisation des Etats américains, Washington, annuaire juridique
interaméricain, 1983 (extraits)
Annexe 2 Avis du comité juridique interaméricain relatif au traité américain de 54

règlement pacifique (pacte de Bogotá), Organisation des Etats américains,
document OEA/Ser.G, CP/Doc. 1603/85, 3 septembre 1985 (extraits)
Annexe 3 Demande visant les articles XXXI et L du pacte de Bogotá introduite par le 55

président Juan Manuel Santos devant la Cour constitutionnelle, D-9907,
12 septembre 2013 (extraits)
Articles de presse

Annexe 4 «La ministre des affaires étrangères explique en détail la stratégie adopté56
contre le Nicaragua», El Tiempo, 15 septembre 2013

Annexe 5 «Le Gouvernement de la Colombie ne mettra pas en œuvre l’arrêt de la CIJ 59
tant que les droits des Colombiens n’auront pas été rétablis», El Salvador
Noticias.net, 3 décembre 2012

Annexe 6 «Santos ne ferme pas la porte au dialogue avec Ortega», Semana, 60
9 septembre 2013

Annexe 7 «La Colombie entend remettre en cause la frontière maritime avec le 62
Nicaragua», ABC News, 10 septembre 2013
Annexe 8 «La Colombie répond à une proposition de dialogue», La Prensa (Nicaragua), 64

10 septembre 2013
Annexe 9 «Selon Carlos Gustavo Arrieta, il est possible de négocier avec le Nicaragu66à
La Haye», El Tiempo (Colombie), 22 novembre 2014 - 53 -

ANNEXE 1

JUAN C ARLOS PUIG , «L TRATADO INTERAMERICANO DE ASISTENCIA R ECÍPROCA Y EL

R ÉGIMEN INTERNACIONAL CONTEMPORÁNEO », SECRÉTARIAT GÉNÉRAL DE
L’O RGANISATION DES E TATS AMÉRICAINS , WASHINGTON ,
ANNUAIRE JURIDIQUE INTERAMÉRICAIN ,
1983 EXTRAITS )

«En fait, il ressort sans aucun doute possible de l’analyse historique que la
formule retenue est le fruit d’une erreur dactylographique intervenue au moment de
l’établissement du texte définitif soumis à la signature. En réalité, l’expression qui
avait été approuvée était «in the opinion of one of them», qui figurait déjà dans le

projet établi par le comité juridique interaméricain ayant servi de base aux discussions
lors de la neuvième conférence internationale.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il ne fait par conséquent aucun doute que la véritable intention des Etats qui
participaient à la conférence de Bogotá était de maintenir la critère de la référence à
«l’une des parties» («one of the parties») au différend. Rien de plus logique, du reste,
puisque les mêmes Etats avaient, au cours de la même conférence, fait ce même choix
pour la charte [de l’OEA]. Pourquoi les mêmes délégations auraient-elles adopté des

critères différents pour un même sujet ? Ainsi, en appliquant le principe du «sens
clair» (ici dans le cadre restreint de certaines des versions officielles), on obtient des
interprétations qui ne reflètent pas l’intention réelle des parties et modifient totalement
le sens du traité qui a été approuvé.»

___________ - 54 -

ANNEXE 2

AVIS DU COMITÉ JURIDIQUE INTERAMÉRICAIN RELATIF AU TRAITÉ AMÉRICAIN DE
RÈGLEMENT PACIFIQUE (PACTE DE B OGOTÁ ), ORGANISATION DES ETATS

AMÉRICAINS ,DOCUMENT OEA/S ER .G, CP/DOC . 1603/85,
3 SEPTEMBRE 1985 (EXTRAITS )

«Le second alinéa de l’article II a également été examiné à la lumière de cette différence que
le pacte fait référence au cas où surgirait entre deux ou plusieurs Etats un différend qui, «in the

opinion of the parties» («de l’avis … des parties»), ne peut être résolu au moyen de négociations
directes, les parties s’engageant alors à employer les procédures établies dans le traité, tandis que
l’article 25 de la charte de l’OEA dispose que, en pareille situation, autrement dit lorsque, entre
deux ou plusieurs Etats survient un différend qui ne peut plus être résolu par les voies
diplomatiques ordinaires, «the opinion of one of them» («l’avis de l’un d’eux») suffit pour avoir

recours à n’importe quelle autre voie diplomatique prévue par le pacte.

Le rapporteur a saisi cette occasion pour présenter en détail les informations dont il disposait
à ce sujet, citant une note explicative apparaissant dans une étude réalisée par Juan Carlos Puig,
intitulée «The Inter-American Treaty of Reciprocal Assistance and the Contemporary International

Regime» et publiée à la page 173 de l’Annuaire juridique de 1983 de l’Organisation des Etats
américains, selon laquelle  comme selon la documentation qui y était citée  la modification
introduite dans la version espagnole du pacte de Bogotá serait due à une erreur dactylographique.
La note précisait en outre que le texte français, qui est également authentique, suit au contraire le
texte de la charte de l’organisation. Il a été vérifié que le texte français est effectivement conforme

à celui du projet adopté en 1947 par le comité juridique ainsi que de l’article 25 de la charte de
l’OEA.»

___________ - 55 -

A NNEXE 3

DEMANDE VISANT LES ARTICLES XXXI ETL DU PACTE DE BOGOTÁ
INTRODUITE PAR LE PRÉSIDENT JUAN M ANUEL SANTOS

DEVANT LA C OUR CONSTITUTIONNELLE , D-9907,
12SEPTEMBRE 2013
EXTRAITS )

«Il est de notoriété publique que la Cour internationale de Justice a rendu, dans

le cadre du différend opposant le Nicaragua à la Colombie, deux arrêts qui entrent en
conflit avec la Constitution sur au moins trois points : i) ils ne reconnaissent pas la
frontière courant le long du 82 méridien et modifient par conséquent les frontières de
la Colombie selon un procédé interdit par la charte ; ii) ils transfèrent au Nicaragua
des droits dévolus à la Colombie à l’égard de zones maritimes sur lesquelles celle-ci

est seule autorisée à exercer une réglementation au titre d’un traité fondé sur la
réciprocité et l’équité ; et iii) ils tracent une nouvelle frontière maritime entre les deux
Etats sans l’assentiment du peuple colombien  s’exprimant par l’intermédiaire de
ses représentants — dans l’exercice de sa souveraineté et de son droit à
l’autodétermination.

Cette modification des frontières maritimes de l’Etat colombien, qui a eu pour
effet de limiter les droits de la Colombie et de réaffecter une partie de ses zones
maritimes dans l’archipel, passant outre à la procédure prévue par la Constitution pour
modifier les frontières existantes, est interdite par l’article 101 de la Constitution lu

conjointement avec les articles 3 et 9 de la charte.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

En effet, bien que les frontières entre la Colombie et les autres Etats ne puissent

pas être modifiées en vertu d’une décision de la Cour internationale de
Justice  laquelle ne représente pas le peuple colombien et ne constitue pas une
expression du droit à l’autodétermination des Colombiens ni l’un des moyens
envisagés par l’article 101 pour fixer ou modifier les frontières du pays...»

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

«Cela prouve que, comme indiqué plus haut, l’autorité de la chose jugée
attachée aux arrêts rendus par la CIJ ne lie pas les parties à un différend dès lors que
celles-ci désirent opter pour une solution contractuelle différente de celle énoncée par
la CIJ dans son arrêt...»

___________ - 56 -

ANNEXE 4

«LA MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES EXPLIQUE EN DÉTAIL
LA STRATÉGIE ADOPTÉE CONTRE LE NICARAGUA »,
E LT IEMPO , 15SEPTEMBRE 2013

(http://www.eltiempo.com/archivo/documento/CMS-13064198)

María A. Holguín s’exprime sur les quatre axes de la défense de la souveraineté nationale
dans la mer des Caraïbes

La ministre des affaires étrangères, Mme María Holguín, a expliqué à El Tiempo la portée de

la «stratégie globale» visant à défendre la souveraineté colombienne dans la mer des Caraïbes. Elle
a indiqué que le gouvernement n’avait pas désavoué l’arrêt de la Cour de La Haye — dans lequel
celle-ci a reconnu des droits considérables au Nicaragua sur ces eaux —, mais que le pays se
heurtait «à un obstacle juridique» l’empêchant de l’appliquer. (Lire également : Crece el malestar
regional por las pretensiones de los Nicaragüenses).

Comment les quatre points de la stratégie seront-ils appliqués ?

Premier point : la loi prévoyant l’incorporation du pacte de Bogotá a été soumise à la Cour
constitutionnelle. Le président Santos a affirmé que nous ne pouvions pas faire fi de la lettre ou de
l’esprit de la Constitution lorsqu’il était question d’une modification des frontières.

Deuxième point : la déclaration d’une zone contiguë intégrale vise à préciser le statut de cet

espace, que le droit international reconnaît à tout pays disposant d’un littoral, et où sont exercés une
juridiction et un contrôle en ce qui concerne les questions douanières et environnementales, ainsi
que les questions d’immigration. Cette mesure renforce l’unité de l’archipel, étant donné que les
24 milles de Quitasueño sont désormais contigus aux 24 milles de Providencia, et qu’il en va de
même pour ce qui est de Roncador et de Serrana.

Troisième point : nous nous engageons à protéger la réserve Seaflower, dans laquelle les
pêcheurs colombiens pratiquent leur activité depuis des siècles. Il s’agit là d’un point essentiel,
l’UNESCO ayant déclaré cette zone réserve mondiale de la biosphère, ce qui souligne une nouvelle
fois l’importante valeur écologique qu’elle revêt pour l’archipel.

Quatrième point : il convient de contenir l’expansionnisme du Nicaragua, qui cherche à se

faire reconnaître un plateau continental étendu à l’est de l’archipel de San Andrés en vue d’étendre
sa juridiction jusqu’à un point situé à une centaine de milles à peine de Cartagena. Nous nous
opposerons à ces visées expansionnistes avec toute la détermination nécessaire.

Quand et comment entendez-vous dialoguer avec le Nicaragua afin de signer un traité de
limites ?

La Colombie est prête à dialoguer avec le Nicaragua en vue de signer un traité qui établisse
les frontières et un régime juridique contribuant à la sécurité et à la stabilité de la région. Le
gouvernement a indiqué qu’il attendait la décision de la Cour constitutionnelle avant de prendre la
moindre mesure. - 57 -

Ce traité supposerait-il que la Colombie cède au Nicaragua une partie de ses espaces

maritimes dans la mer des Caraïbes ?

Là encore, le gouvernement attendra que la Cour se soit prononcée avant d’examiner les
détails d’un tel traité. En principe, ce n’est qu’au stade des négociations que nous connaîtrons ses
conséquences pour la Colombie.

La Colombie a-t-elle jamais établi sur un plan juridique que le 82 méridien constituait la

frontière dans les Caraïbes ?

Depuis au moins 1969, la Colombie considère que le méridien a valeur de ligne de
délimitation avec le Nicaragua. La Cour internationale de Justice (CIJ), qui a son siège à La Haye,
a toutefois compromis cette position dans l’arrêt qu’elle a rendu en 2007 sur les exceptions
préliminaires.

Si un traité est conclu, la Colombie devra-t-elle renoncer à considérer cette zone comme la
frontière entre les deux pays ?

Ce traité refléterait la volonté des deux Etats et établirait les limites de leurs territoires
respectifs.

Pourquoi la Colombie ne s’est-elle pas encore tournée vers La Haye ?

Cette possibilité a été étudiée par les experts consultés, lesquels ont présenté au
gouvernement plusieurs voies de recours s’ouvrant à lui. Après les avoir dûment évaluées, celui-ci
s’est exprimé à leur sujet, en précisant qu’il se réservait le droit de faire usage des moyens dont
dispose la Cour.

Pourquoi ces informations n’ont-elles été révélées que dix mois après le prononcé de l’arrêt ?

C’est une question délicate, et il convenait d’agir de manière réfléchie et judicieuse. Nous
avons attendu d’avoir les avis et arguments de différents juristes, tant internationaux que nationaux,
pour décider de la marche à suivre.

Quels sont les fondements juridiques des décrets annoncés ?

Il n’y en a qu’un, et c’est le fait que notre Constitution nous empêche d’appliquer la décision

en cause ; quant à la déclaration d’une zone contiguë intégrale, je répète que nous établissons
simplement par décret ce que le droit international reconnaît aux pays disposant d’un littoral, cette
possibilité étant également prévue par notre Constitution.

Sur le plan juridique, un décret de nature et de portée nationales peut-il faire obstacle à la
justice internationale ?

A aucun moment, nous n’avons désavoué la Cour. Nous affirmons seulement que la
Colombie se heurte à un obstacle juridique qui l’empêche d’appliquer sa décision. Le président
Santos a déclaré qu’un traité pourrait éventuellement nous permettre de le surmonter, et nous
attendons également de la Cour constitutionnelle qu’elle nous en offre le moyen.

Avez-vous déjà informé La Haye de la position de la Colombie ?

Vendredi dernier, un représentant de la Colombie a rencontré le vice-président de la Cour et
le secrétaire général, afin de leur exposer les raisons pour lesquelles il est difficile d’appliquer
l’arrêt. Cette situation n’est d’ailleurs pas étrangère à la Cour, la Colombie n’étant pas le seul Etat
dans ce cas. - 58 -

Dans quelle mesure la Colombie, le Panama et le Costa Rica pourraient-ils avoir intérêt à
saisir conjointement les Nations Unies ?

Tous trois sont concernés par les nouvelles prétentions du Nicaragua, qui ont des
répercussions sur plusieurs pays. Or, le droit d’un Etat ne saurait l’emporter sur celui des autres.

La Colombie possède-t-elle à présent un plateau continental intégral entièrement défini la
mettant à l’abri des visées nicaraguayennes sur ses côtes ?

Le plateau [continental] de la Colombie est un plateau continu et d’un seul tenant, et nous

estimons de ce fait que la prétention du Nicaragua ne saurait être valable.

Visite de M. Santos sur l’île

Le président Juan Manuel Santos se rendra à San Andrés mercredi pour exposer aux
habitants de l’île la portée de la stratégie qu’il a élaborée pour défendre [notre] souveraineté.

DANIELVALERO, éditorial politique  publication d’eltiempo.com, rubrique politique,
date de publication : 15 septembre 2013  auteur : DANIEL VALERO

___________ - 59 -

A NNEXE 5

«L E GOUVERNEMENT DE LA C OLOMBIE NE METTRA PAS EN ŒUVRE L ’ARRÊT
DE LA CIJ TANT QUE LES DROITS DES C OLOMBIENS N ’AURONT

PAS ÉTÉ RÉTABLIS », EL SALVADOR NOTICIAS NET ,
3DÉCEMBRE 2012

(http://www.elsalvadornoticias.net/2012/12/03/gobierno-de-colombia-no-ap…-
mientras-no-se-restablezcan-derechos-de-colombianos/)

Le président de la République, Juan Manuel Santos, a rapporté avoir dit à son homologue
nicaraguayen, Daniel Ortega, lors de leur dernière rencontre : «Monsieur le président, nous devons
faire face à la situation en pays civilisés».

Le président a rappelé que le Gouvernement colombien n’exécuterait pas l’arrêt tant qu’il

n’aurait pas «constaté que les droits colombiens auxquels il a été porté atteinte [étaient] rétablis et
[que] leur respect sera[it] assuré à l’avenir».

Considérant que les problèmes se résolvent par le dialogue, le chef de l’Etat colombien a fait
savoir au président Ortega qu’il était tenu de préserver les droits de la communauté de San Andrés,

notamment «[l]es droits des Raizals, les droits en matière de pêche  non seulement artisanale
mais aussi industrielle , ainsi que les droits relatifs à l’environnement et à la sécurité».

M. Santos a déclaré que, à la suite de cette rencontre, les deux gouvernements aborderaient
la question de l’arrêt de la Cour de La Haye avec discernement et circonspection :

«Nous procéderons avec discernement et circonspection, sans nous insulter par
médias interposés. S’il y a un problème, nous nous consulterons par téléphone.»

Le président Santos s’est par ailleurs félicité de l’initiative prise par le Parti vert visant à

réunir l’ensemble des mouvements écologistes de la planète pour protéger la réserve Seaflower,
déclarée réserve de biosphère par l’UNESCO, située dans l’archipel de San Andrés et Providencia.

«C’est un endroit absolument magnifique. J’ignore si certains d’entre vous y
sont déjà allés ou y ont plongé. C’est vraiment impressionnant. Nous ne pouvons
renoncer à ce site, qui est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. L’humanité

ne peut se le permettre. C’est la raison pour laquelle je me félicite de l’initiative
visant à réunir l’ensemble des partis verts, toutes les ONG écologistes, afin que ce site
reste une réserve de biosphère», a conclu le chef de l’Etat.

___________ - 60 -

ANNEXE 6

«S ANTOS NE FERME PAS LA PORTE AU DIALOGUE
AVEC ORTEGA », SEMANA ,9 SEPTEMBRE 2013

(http://www.semana.com/nacion/articulo/el-fallo-de-la-haya-no-es-aplicab…)

Ayant annoncé que l’arrêt était inapplicable, le Gouvernement n’aura d’autre choix que de
négocier directement avec le Nicaragua.

Daniel Ortega et Juan Manuel Santos (photographie de source privée)

Il ressort principalement de l’allocution prononcée lundi soir par le président
Juan Manuel Santos pour présenter les quatre points de la stratégie politique et juridique envisagée
pour défendre l’archipel de San Andrés que son gouvernement ouvre la voie à un dialogue avec le
président nicaraguayen, Daniel Ortega, dans le but de négocier la signature d’un nouveau traité
frontalier entre les deux pays.

Cela fait suite à la décision du président colombien de rappeler les dispositions de
l’article 101 de la Constitution, qui prévoit que «[l]es frontières fixées selon les modalités
prescrites par la Constitution ne peuvent être modifiées qu’en vertu d’un traité approuvé par le
Congrès, dûment ratifié par le président de la République».

Le président a clairement indiqué que l’arrêt de la Cour internationale de Justice ne pourrait

être appliqué que lorsqu’un traité visant à protéger les droits des Colombiens aurait été convenu
entre les deux Etats  et approuvé par le Congrès.

Cette annonce exclut la possibilité que la décision de la Cour soit appliquée dans un avenir
proche, mais ouvre la voie à une négociation avec Managua.

Daniel Ortega avait lui-même proposé à la Colombie d’établir une commission binationale
en vue de parvenir à un accord sur l’exécution de l’arrêt, ainsi que sur la coordination des activités
de pêche, la mise en œuvre de patrouilles mixtes de lutte contre le trafic de stupéfiants et la gestion
conjointe de la réserve de biosphère Seaflower dans la mer des Caraïbes, et ce, sur la base de la
délimitation fixée par la Cour de La Haye.

Mais la Colombie ne peut souscrire à cette solution : selon le juriste international
Enrique Gaviria Liévano, le traité ne saurait se réduire à une simple transposition des termes de
l’arrêt, décision qu’a rejetée le président Santos, réaffirmant le caractère inacceptable des nouvelles
limites qui y sont établies. - 61 -

M. Juan Lozano, membre de la commission des affaires internationales du sénat, a indiqué
que le congrès se refuserait à approuver tout traité en vertu duquel les frontières maritimes de la

Colombie correspondraient à celles fixées par la Cour de La Haye dans son arrêt de
novembre 2012. Les négociations à venir entre la Colombie et le Nicaragua s’annoncent donc, à
son avis, particulièrement complexes.

Par ailleurs, les experts estiment que le décret du président Santos, en vertu duquel le plateau
continental colombien au large de Cartagena se poursuit jusqu’à l’archipel de San Andrés, pourrait
constituer une décision «courageuse et inédite» susceptible, en pratique, d’emporter violation des

dispositions de l’arrêt.

Par ce décret, M. Santos a juridiquement réaffirmé que le plateau continental de San Andrés,
qui s’étend, vers l’est, sur 200 milles marins, rejoint celui auquel la Colombie peut prétendre au
titre de sa côte caraïbe, lequel s’étend lui-même sur au moins 200 milles marins vers le nord-ouest,
en direction de San Andrés, et que, dès lors, la Colombie possède un plateau continental unique et
continu allant de San Andrés à Cartagena.

Le risque de violation tient au fait que les eaux que lui a retirées la Cour sont situées, pour
l’essentiel, au sud de San Andrés ; la décision de faire communiquer les deux plateaux
continentaux est donc susceptible d’empiéter sur les dispositions de l’arrêt.

Certains juristes internationaux, et notamment Carlos Gustavo Arrieta, considèrent toutefois
que la configuration de la zone contigüe intégrale est telle que des espaces s’étendant sur une
distance de 24 milles peuvent être reconnus aux territoires insulaires. De plus, ainsi que l’a
souligné l’ancien président de la Cour constitutionnelle, M. Juan Carlos Henao, le président Santos

a rappelé qu’il était tenu d’appliquer et de respecter la Constitution, en vertu de laquelle les
frontières ne peuvent être modifiées que par voie de traité, ce que n’est pas l’arrêt rendu à La Haye.
Selon lui, «[le président Santos] aurait tort de mettre en œuvre les effets de la décision sans
appliquer la procédure requise en matière de modification des frontières».

Ce ne sont que les premières réactions sur une question qui demeurera à l’ordre du jour
jusqu’à la fin du mandat du président Santos, et peut-être au-delà.

___________ - 62 -

ANNEXE 7

«LA C OLOMBIE ENTEND REMETTRE EN CAUSE LA FRONTIÈRE MARITIME
AVEC LE N ICARAGUA », ABC N EWS , 10SEPTEMBRE 2013

(http//abcnews.go.com/ABC_Univision/colombia-challenge-maritime-border-nicaragua/story ?
id=20217370)

Alors que l’ensemble des eaux situées à l’est du 82 méridien et au sud du 15 parallèle se
trouvait depuis des décennies sous administration colombienne, une décision de la Cour

internationale de Justice attribue désormais au Nicaragua toutes les zones indiquées en bleu clair
(carte établie par Noticias Caracol).

Le Gouvernement colombien a annoncé qu’il n’exécuterait pas l’arrêt rendu par la Cour
internationale de Justice dans un différend qui oppose la Colombie au Nicaragua concernant leur
frontière maritime.

Le président Juan Manuel Santos a indiqué lundi que la décision de la Cour n’était «pas
applicable», à moins qu’un nouveau traité ne soit négocié entre les deux Etats, et que la Colombie
s’emploierait à faire obstacle aux «velléités expansionnistes» du Nicaragua.

Selon M. Santos, «[l]es Colombiens demeurent scandalisés par la décision de la Cour

internationale de La Haye, qui a cru devoir attribuer au Nicaragua une part importante de [leurs]
droits historiques et économiques dans la région caraïbe».

«Nous entendons établir, conjointement avec d’autres nations voisines [Jamaïque,
Costa Rica et Panama], une lettre de protestation que je remettrai moi-même au Secrétariat général

des Nations Unies», a-t-il ajouté.

Les déclarations du président ont été largement applaudies en Colombie, l’ensemble de la
classe politique  tous partis confondus  se félicitant de ce qu’elle considère comme une
décision courageuse et nécessaire pour défendre la souveraineté du pays.

«M. Santos est le président qu’attendaient de nombreux Colombiens», a indiqué le sénateur
Roy Barreras peu après l’allocution présidentielle. «Un président qui s’engage en prenant des
décisions fermes et importantes.»

Au Nicaragua, l’annonce du Gouvernement colombien a été accueillie avec méfiance et
scepticisme.

Le juriste international Norman Miranda a indiqué au quotidien nicaraguayen
El Nuevo Diario que M. Santos était allé trop loin dans ses déclarations en cherchant à rallier
d’autres Etats à sa cause, alors que la décision de la CIJ ne concerne aucun Etats tiers. - 63 -

«La Cour a maintenu les droits de la Jamaïque, du Panama et du Costa Rica», a souligné
M. Miranda. «Contrairement à ce que le président [Santos] voudrait nous faire croire, ces droits ne

sont pas menacés.»

Se livrant à un délicat numéro d’équilibriste, le Gouvernement colombien s’efforce de ne pas
rejeter complètement la compétence de la Cour internationale de Justice, décision qui pourrait
établir un dangereux précédent. Sa stratégie juridique à cet effet, élaborée depuis quelques mois
par des cabinets d’avocats colombiens et internationaux, consiste à mettre en exergue une
contradiction jusqu’alors non décelée entre le pacte de Bogotá  document qui consacre la

compétence de la Cour à l’égard de la Colombie  et la Constitution colombienne.

«Nous ne méconnaissons en rien la compétence de la Cour de La Haye», a indiqué mardi la
ministre des affaires étrangères María Ángela Holguín sur la chaîne de radio Caracol. «Pas plus
que nous ne méconnaissons la décision qu’elle a rendue. Nous disons simplement que notre
Constitution ne nous permet pas de l’appliquer.» M. Santos a affirmé qu’il entendait contester le
pacte de Bogotá devant la Cour constitutionnelle du pays, et que, en attendant que celle-ci se

prononce, le Gouvernement tenterait d’obtenir du Nicaragua la signature d’un nouveau traité qui
soit satisfaisant pour les deux Etats.

«Nous avons l’intention d’engager des discussions avec le Nicaragua concernant la signature
d’un traité», a indiqué Mme Holguín. «Nous [souhaitons connaître] les vues de Daniel Ortega à cet
égard.»

Mardi, le président nicaraguayen a exprimé son souhait de voir la Colombie se soumettre à

l’arrêt de la Cour internationale de Justice, et souligné l’hostilité patente de la position du
Gouvernement colombien.

«Les décisions de la Cour sont obligatoires», a rappelé M. Ortega. «Elles ne souffrent pas de
discussion car cela reviendrait à manquer de respect à la Cour. C’est comme si nous décidions de
ne pas exécuter une décision au motif que nous n’avons pas obtenu tout ce que nous avions
demandé, c’est-à-dire, en l’espèce, l’archipel de San Andrés.» Du fait de leur différend maritime,

les deux Etats se livrent, depuis quelques mois, à une course à l’armement naval léger.

Si l’éventualité d’un conflit a été mentionnée, les états-majors militaires des deux pays ont
exprimé leur volonté d’éviter l’affrontement.

«Le Nicaragua aspire à la paix», a affirmé M. Ortega. «Nous n’avons pas d’ambitions
expansionnistes … nous ne voulons rien d’autre que ce qui nous a été accordé par l’arrêt de la Cour
de La Haye.»

___________ - 64 -

A NNEXE 8

«L AC OLOMBIE RÉPOND À UNE PROPOSITION DE DIALOGUE »,
LA PRENSA (NICARAGUA ), 10SEPTEMBRE 2013

(http://www.laprensa.com.ni/2013/09/10/politica/161912-colombia-responde-
a-propuesta-de-dialogo)

La ministre des affaires étrangères dément que
la Colombie entende désavouer l’arrêt

César Úbeda

[email protected]

La Colombie a répondu à une proposition de dialogue bilatéral faite dernièrement par le
président, Daniel Ortega, et visant à examiner l’applicabilité de la décision prise par la Cour de

La Haye le 19 novembre 2012.

«Nous souhaiterions nous entretenir avec le Nicaragua de la voie à suivre pour aboutir à un
traité, et savoir comment le président (Daniel) Ortega envisage cette possibilité», a déclaré la
ministre des affaires étrangères, Mme María Angela Holguín, à Radio Caracol.

e C’est dans le cadre du discours qu’il a prononcé à l’occasion de la célébration du
34 anniversaire de l’armée nicaraguayenne qu’Ortega a invité la Colombie à dialoguer.

Il a proposé de constituer une commission de travail entre les deux Etats et d’œuvrer à la
rédaction d’un traité qui respecterait la décision de la Cour internationale de Justice de La Haye.

La ministre colombienne a expliqué que cet instrument devrait comporter «un ensemble
d’accords en matière de pêche et de sécurité. Nous sommes tout à fait disposés à discuter avec le
Nicaragua», a-t-elle dit.

Lundi, dans un discours prononcé à la radio et à la télévision, M. Santos, rejetant encore une

fois le verdict de la Cour internationale de Justice, a affirmé que la nouvelle délimitation maritime
avec le Nicaragua établie par la CIJ en 2012 resterait inapplicable tant que les deux pays n’auraient
pas signé de traité. «La décision de la Cour internationale de Justice n’est pas applicable tant que
les deux Etats n’auront pas conclu un traité qui protège les droits des Colombiens, traité qui doit
être approuvé conformément aux dispositions énoncées dans notre Constitution», a déclaré le
président. - 65 -

M. Santos a expliqué que, selon la Constitution colombienne, les traités qui modifient les
frontières ou limites du pays «d[evaient] toujours être approuvés par le Congrès».

La ministre des affaires étrangères a assuré que cette position ne signifiait pas que la
Colombie faisait fi de la décision  rendue à la demande du Nicaragua  ou refusait de
reconnaître la compétence de celle-ci.

«Nous ne disons en aucun cas que nous ne reconnaissons pas la compétence de la CIJ. Ce
que nous disons, c’est que la décision en tant que telle, qui modifie les limites, ne saurait être

appliquée, car elle est contraire à notre Constitution», a-t-elle indiqué.

___________ - 66 -

A NNEXE 9

«S ELON CARLOS GUSTAVO A RRIETA,IL EST POSSIBLE DE NÉGOCIER
AVEC LE N ICARAGUA À L A HAYE »,

EL TIEMPO (COLOMBIE ),
22 NOVEMBRE 2014

(http://www.eltiempo.com/politica/gobierno/carlos-arrieta-dice-que-es-po…

-negociar-con-nicaragua-en-la-haya/14870462)

L’agent de la Colombie près la Cour de La Haye dit qu’il existe une volonté en ce sens de la
part des deux Parties.

Carlos Gustavo Arrieta, agent près la Cour internationale de La Haye dans le cadre de
deux instances introduites contre la Colombie.

L’agent de la Colombie près la Cour internationale de Justice de La Haye,
Carlos Gustavo Arrieta, a affirmé que le traité qu’il s’agirait de conclure avec le Nicaragua pourrait
porter non seulement sur la définition des limites entre les deux pays, mais également sur tous les
sujets d’intérêt commun.

Deux ans après la décision de la Cour internationale qui a privé la Colombie de tous ses
droits économiques en mer des Caraïbes, Arrieta a déclaré à El Tiempo que même les nouvelles
prétentions du pays d’Amérique centrale à l’encontre de la Colombie pourraient en fin de compte
être réglées «à l’amiable» dans le cadre d’un tel accord.

Que signifie le fait que le président Santos ait expressément mentionné un traité avec le
Nicaragua ?

J’estime que c’est un pas très important. Après le prononcé de l’arrêt, le président avait fait

savoir que tout problème avec le Nicaragua devait être résolu au moyen d’un accord de confiance.
En outre, son propos repose sur divers fondements.

Lesquels, par exemple ?

Il revient à appliquer de ce qu’a dit la Cour constitutionnelle. Celle-ci a clairement affirmé
que l’incorporation du droit international dans le droit interne passait par la signature d’un traité
reprenant les dispositions de l’arrêt. - 67 -

Le traité avec le Nicaragua permettra-t-il de dépasser l’inapplicabilité de la décision évoquée
par la Colombie ?

La question de l’inapplicabilité est justifiée ; le gouvernement n’avait pas d’autre choix.
S’agissant des questions de frontières, la Colombie est, de par sa Constitution, un Etat dualiste,
c’est-à-dire qu’elle reconnaît les dispositions du droit international et du doit interne, mais ne
reconnaît pas automatiquement la primauté du premier sur le second en matière de frontières. La
décision de la Cour de La Haye est inévitablement entrée en conflit avec la législation colombienne
et, partant, elle est inapplicable.

C’est-à-dire que le traité permettrait de surmonter l’obstacle…

Bien sûr ; c’est par ce biais que l’arrêt peut être rendu applicable.

Serait-ce l’occasion pour les Parties, au-delà de la décision, de trouver des points d’accord ?

Bien évidemment, un traité avec le Nicaragua constitue une parfaite occasion de surmonter

les innombrables difficultés que les deux pays rencontrent, et nous ne parlons pas là uniquement de
frontières, mais aussi de bien d’autres questions.

En théorie, quel pourrait en être le contenu ?

Il pourrait concerner de nombreuses questions, mais c’est une décision politique, et il
appartient aux gouvernements de décider ce qu’ils veulent y inclure. Il devrait assurément

entériner d’une manière ou d’une autre le statut de l’archipel et en garantir la survie.

Et quels autres éléments doit-il couvrir ?

Il devra présenter des aspects liés à la fois la protection de la culture raizale et des droits de
pêche et de navigation des communautés peuplant l’ensemble des zones concernées, sans aucune
restriction, et à la protection de la réserve Seaflower.

Ce traité devrait-il mettre fin aux autres prétentions du Nicaragua ?

Il s’agit là de décisions politiques, mais bien évidemment. Le contenu d’un traité dépend
entièrement de la volonté des Etats, à ceci près que ses dispositions ne peuvent porter atteinte aux
droits des autres Etats ou enfreindre les dispositions du droit international.

Comment se passe la procédure avec le Nicaragua à La Haye ?

Bien. Il y a deux procédures en cours : une prétention du Nicaragua visant un plateau
continental étendu au-delà des 200 milles marins, qui irait presque jusqu’à Carthagène, et une autre
concernant le prétendu non-respect par la Colombie de la décision rendue précédemment. - 68 -

Conviendrait-il que les Parties parviennent à un accord sur ces prétentions dans le cadre
d’un traité ?

Bien évidemment. Les Etats peuvent régler leurs différends devant la Cour de La Haye
jusqu’au prononcé de la décision elle-même et même après ; si la Colombie et le Nicaragua veulent
régler des questions litigieuses, ils peuvent le faire à tout moment.

Certains disent que la Colombie n’a pas de stratégie de défense…

Elle en a bel et bien une, et en a toujours eu. Il existe des fils conducteurs très précis. C’est

une stratégie bien pensée, à laquelle ont contribué de nombreux intervenants. Bien évidemment,
personne ne peut dire à un Etat que les choses vont se passer comme il le souhaite, cela dépend
toujours d’une troisième partie, un juge, mais je pense qu’elle a été dûment réfléchie.

Quel est l’état d’esprit des Parties ?

Le Nicaragua a exprimé son souhait de négocier à plusieurs reprises et le président Santos

s’est exprimé dans le même sens ; autrement dit, les deux Etats ont fait part de leur volonté de
parvenir à un accord.

___________

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Exposé écrit du Nicaragua sur les exceptions préliminaires de la Colombie

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