Exposé écrit de l'Argentine (traduction du Greffe)

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Lettre en date du 17 avril 2009 adressée au greffier par l’ambassadeur de la République

argentine auprès du Royaume des Pays-Bas

[Traduction]

o
Me référant à votre note n 133310 du 20octobre2008 concernant la demande d’avis
consultatif que l’Assemblée générale des Nations Un ies a soumise à la Cour sur la question de la
Conformité au droit international de la déclar ation unilatérale d’indépendance des institutions
provisoires d’administration autonome du Kosovo , j’ai l’honneur de vous faire tenir ci-joint, au

nom du Gouvernement de la République argentin e, le texte d’un exposé écrit consacré à cette
question. Conformément à votre recommandation, la présente lettre est accompagnée de trente
(30) exemplaires imprimés et reliés de l’exposé, dont une (1) copie électronique est également

fournie sur CD-ROM.

Veuillez agréer, etc.

___________ E XPOSE ECRIT DE LA R EPUBLIQUE ARGENTINE

[Traduction]
Table des matières
Page

Introduction........................................................................
................................................................ 3

Section I. Compétence de la Cour et opportunité de son exercice................................................ 5

A. La Cour est compétente pour donner l’avis consultatif demandé....................................... 6

1) L’Assemblée générale est compétente pour demander l’avis consultatif..................... 6

2) Par définition, la question posée est de nature juridique .............................................. 7

B. Il n’existe pas de raisons décisives pour que la Cour s’abstienne d’exercer sa
compétence consultative........................................................................
............................. 8

1) La question est depuis longtemps un sujet de préoccupation pour l’Organisation
des Nations Unies, qui portent une responsabilité spéciale à so
n égard....................... 8

2) L’avis consultatif de la Cour aura des conséquences concrètes pour l’action
future de l’Organisation des Nations Unies et d’autres organisations
internationales, ainsi que des Etats Membres des Nations Unies................................. 9

3) L’Etat directement intéressé a donné son consentement............................................ 11

Section II. Principes et règles relatifs a la question soulevée par la résolution 63/3 de
l’Assemblée générale........................................................................
..................................... 12

A. La date critique : le 17 février 2008........................................................................
.......... 12

1) La déclaration unilatérale d’indépendance doit être examinée par rapport au
moment où elle a été adoptée..................................
.................................................... 13

2. Les événements survenus postérieurement à la déclaration unilatérale
d’indépendance n’ont pas modifié la situation........................................................... 14

B. La déclaration unilatérale d’indépendance ....................................................................... 15

C. Les pouvoirs des institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo
n’incluent pas l’adoption de la déclaration d’indépendance du territoire......................... 17

D. Le cadre établi par la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité............................... 17

E. Le principe du respect de l’intégrité territoriale des Etats................................................ 18

F. L’obligation de respecter les droits de l’homme individuels et les droits des
minorités........................................................................
................................................... 22

G. Le principe de l’autodétermination n’est pas applicable .................................................. 23

H. L’obligation de parvenir à un règlement au moyen de la négociation.............................. 27 - 2 -

I. L’obligation accessoire de ne pas adopter de mesures unilatérales qui tentent
d’imposer un fait accompli ........................................................................
....................... 28

Section III. La réponse à la question soulevée par l’Assemblée générale .................................. 30

A. Les institutions provisoires d’administration autonome n’ont pas compétence pour

proclamer l’indépendance du Kosovo ........................................................................
...... 30

B. La déclaration unilatérale d’indépendance est contraire à la résolution 1244 (1999)....... 30

C. La déclaration unilatérale d’indépendance viole l’intégrité territoriale de la Serbie........ 31

D. La déclaration unilatérale d’indépendance constitue une violation de l’obligation de
régler les différends par des moyens pacifiques ............................................................... 32

E. La déclaration unilatérale d’indépend ance ne peut s’appuyer sur des motifs
juridiquement valables........................................................................
.............................. 32

Conclusions........................................................................
......................................................... 34 - 3 -

INTRODUCTION

1. Le présent exposé écrit est soumis c onformément à l’ordonnance de la Cour du
17octobre2008, relative à la demande d’avis consultatif adoptée par l’Assemblée générale des

Nations Unies par sa résolution 63/3 du 8 octobre 2008.

2. Le libellé de la question posée est le suivant :

«La déclaration unilatérale d’indépendance des institutions provisoires
d’administration autonome du Kosovo est-elle conforme au droit international ?»

3. La question posée à la Cour porte sur un vaste éventail de questions revêtant une
importance particulière, non seulement pour le maintien de la paix et de la sécurité dans la région
concernée, mais encore pour ce qui a trait aux pr incipes fondamentaux du droit international et au

respect de celui-ci, principes dont l’intérêt est général.

4. Eu égard à la pertinence aussi bien particulière que générale de la demande de
l’Assemblée générale, la République argentine (c i-après «l’Argentine») a voté en faveur de la
résolution 63/3. Le représentant de l’Argentine a expliqué ce vote dans les termes suivants :

«Dans le cas du Kosovo, la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité, pour
laquelle l’Argentine a voté, établit claireme nt les paramètres juridiques et politiques
d’un règlement de la situation de la minor ité kosovare en territoire serbe, garantissant
la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Serbie ainsi que le règlement des

différends à la faveur d’un accord négoci é qui soit mutuellement accepté par les
parties concernées. L’Argentine estime que cette résolution est claire. Néanmoins,
nous rejoignons la majorité qui sollicite un avis consultatif sur cette question.» 1

5. L’Argentine, alors membre du Conseil de sécurité, avait voté en faveur de la
résolution1244 (1999). En soulignant l’importan ce ainsi que la signification historique de cette

résolution, le représentant de l’Argentine avait fait observer ce qui suit :

«La résolution qui vient d’être adoptée par le Conseil de sécurité revêt une

importance toute particulière pour diverses ra isons. Tout d’abord elle marque la fin
d’une tragédie humanitaire qui a eu pour premières victimes des milliers de civils
innocents dont les droits humains fondamentaux ont été bafoués de façon
systématique et persistante. Deuxièmement cette résolution pose les bases d’une

solution politique définitive à la crise du Kosovo qui respecte la souveraineté et
l’intégrité de la République fédérale de Yougoslavie. Les droits des minorités et de
tous les habitants du Kosovo sans exception à vivre dans un climat de paix et de

tolérance doivent être également reconnus sans équivoque. Troisièmement cette
résolution confirme le rôle central et irremp laçable des NationsUnies, en particulier

1M. Argüello (Argentine), Assemblée générale, soixante-troisième sessioséance plénière, 8octobre2008,

Nations Unies, doc. A/63/PV.22, p. 12. - 4 -

du Conseil de sécurité et du Secrétaire généra l, lorsqu’il s’agit d’unir les efforts pour

maintenir la paix et la sécurité internationales. Enfin elle représente une interprétation
de la Charte qui reflète la reconnaissance actu elle des droits de l’homme au sein de la
communauté internationale.» 2

6. A la suite de la déclaration unilaté rale d’indépendance du 17février2008, le
DrJorgeTaiana, ministre des affaires étrangères, du commerce international et du culte de

l’Argentine, fit une déclaration qui a été résumée comme suit :

«Le ministre Taiana a réaffirmé que la République argentine ne reconnaît pas

ladite déclaration unilatérale et qu’elle a ppuie, dans toute la mesure de sa force
obligatoire, la résolution 1244 (1999) du Conse il de sécurité. Dans ce contexte le
ministre des affaires étrangères a rappelé l’importance du respect des principes de
souveraineté et d’intégrité territoriale en tant que bases pour une solution politique

dans la région, conformément aux dispositions de ladite résolution, et en signalant
qu’une solution durable réglant le statut du Kosovo doit être le résultat d’un accord
négocié qui est mutuellement acceptable pour toutes les parties intéressées.» 3

7. Le statut juridique du Kosovo au moment ou la déclaration unilatérale d’indépendance a
vu le jour ne souffre pas de discussion. Le Kosovo était alors et est encore un territoire soumis à la

souveraineté de la Serbie, placé sous administra tion internationale et jouissant d’une autonomie
substantielle, en conformité avec la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité. Il est également
hors de doute que les institutions provisoires d’administration autonome, créées comme un élément

de l’administration internationale, n’avaient pas la capacité juridique nécessaire pour pouvoir
déclarer l’indépendance du Kosovo. Même les Etats qui ont encouragé l’indépendance du territoire
et qui ont par la suite reconnu la prétendue «R épublique du Kosovo» ne peuvent nier ces faits

incontestables.

8. La résolution 1244 (1999) envisageait aussi un processus politique devant déterminer le

statut futur du Kosovo. Des négociations ont été me nées dans cette intention. Il est notoire qu’au
niveau international des voix se sont élevées en faveur de l’indépendan ce du Kosovo et que les
souhaits ainsi exprimés se sont traduits par des actions. Le représentant spécial,

M.MartiiAhtisaari, a présenté une proposition da ns ce but, laquelle n’a pas abouti à un accord
entre les parties aux négociations et n’a pas été entérinée par le Conseil de sécurité.

9. Tel est le contexte par rapport auquel doit être examinée la question posée par
l’Assemblée générale. L’Argentine tient à souligner d’emblée combien il importe de faire en sorte
que tous les acteurs concernés ⎯l’Organisation des Nations Unies, tous ses Etats Membres, les

institutions autonomes locales du Kosovo et les diverses communautés constituant la population du
Kosovo ⎯ agissent de manière à respecter clairement les règles du droit international. Seule une
solution fondée sur le respect du droit internati onal aboutira à une issue durable pour le Kosovo,

apportant la stabilité à la région et permettant à tous les élémen ts de la population du Kosovo de
jouir des droits de l’homme dans le cadre d’une société multiethnique. Outre l’avenir du Kosovo et
la stabilité des Balkans, est en jeu, plus générale ment, le respect de la règle de droit au niveau

international.

2 e
M.Petrella (Argentine), Conseil de sécuritédes Nations Unies, cinquante-quatrième année, 4011 séance,
10 juin 1999, Nations Unies, doc. S/PV.4011, p. 18-19.
3Traduction, communiqué de presse n 105/108, texte disponible sur : www.mrecic.gob.ar. - 5 -

10. L’attachement de l’Argentine au maintien de la paix et de la sécurité dans la région, ainsi
que son rôle dans les actions menées par les Nations Unies dans ce but, est manifeste. Il convient

de rappeler, en particulier, que depuis 1992 l’Argentine a participé aux opérations de maintien de la
paix et d’autres opérations autorisées par les Nations Unies sur le territoire de l’ancienne
République fédérative socialiste de Yougoslavie (ci-après «la RFSY»). L’Argentine mis des

troupes à disposition en Croatie et en Bosnie -Herzégovine, de la Force de protection des
NationsUnies (FORPRONU), de l’Opération des Nations Unies pour le rétablissement de la
confiance (ONURC), de l’Administration transitoir e des Nations Unies pour la Slavonie orientale,
la Baranja et le Srem occidental (ATNUS O), du Groupe d’appui à la police civile des

Nations Unies, de la Mission d’observation des Nations Unies à Prevlaka (MONUP), de la Mission
des Nations Unies en Bosnie-Herzégovine (MINUBH) et de la Force de stabilisation multinationale
(SFOR); en ex-République Yougoslave de Macé doine, l’Argentine a participé à la Force de
déploiement préventif des Nations Unies (F ORDEPRENU). En République fédérale de

Yougoslavie (plus tard la Serbie-et-Monténégro et actuellement la Serbie), du personnel militaire et
civil argentin a participé à la Force de paix au Kosovo (KFOR) et à la Mission d’administration
intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) à partir de juillet 1999. Du personnel argentin

a, en particulier, contribué à la création de la nouvelle police locale et à l’établissement d’un
système de justice criminelle. Un diplomate argentin a rempli les fonctions de maire de Mitrovica
en 2002. L’Argentine a participé à la KFOR de 1999 à 2003. Sa participation à la MINUK n’a pris
fin qu’en décembre2008. Sept membres des tr oupes argentines participant dans ces opérations

sont tombés au service des Nations Unies, c’est-à-dire en contribuant à l’exécution de décisions du
Conseil de sécurité.

11. L’Argentine promeut vigoureusement le r espect des droits de l’homme fondamentaux,
ainsi que l’obligation de régler les différends par d es moyens pacifiques. De l’avis de l’Argentine,
si la communauté internationale désire que l’Or ganisation des Nations Unies demeure au centre du

système international, une importance capitale doit être accordée à ses résolutions.

12. Dès lors l’Argentine est convaincue que l’ avis consultatif que la Cour donnera au sujet

de la situation au Kosovo aura une importance pr atique. Comme la Cour l’a fait observer: «La
compétence qu’a la Cour en vertu de l’article 96 de la Charte et de l’article 65 du Statut pour
donner des avis sur des questions juridiques perm et à des entités des Nations Unies de demander
conseil à la Cour afin de mener leurs activités conformément au droit.» 4 Les Nations Unies et la

communauté internationale dans son ensemble ont grand besoin de l’orientation que la Cour pourra
apporter à cet égard.

13. Le présent exposé écrit est divisé en trois parties principales. Dans la première on
examinera la compétence qu’a l’Assemblé générale pour demander un avis consultatif et les raisons
pour lesquelles la Cour doit exercer cette compéten ce en l’espèce. La seconde partie traite des
principes et règles relatifs à la question que pose la résolution 63/3 de l’A ssemblée générale. La

troisième partie s’occupe de la réponse qui doit être donnée à cette question. Dans une section
finale figurent les conclusions de l’Argentine.

Section I. Compétence de la Cour et opportunité de son exercice

14. Dans la présente section il sera démontré que l’Assemblée générale est compétente pour
demander l’avis consultatif en question, car il s’agit clairement d’une question juridique rentrant

dans le cadre de ses pouvoirs et fonctions. Il sera démontré auss i qu’il n’existe pas de raisons

4
Applicabilité de la section 22 de l’article VI de la convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1989, p. 188, par. 31. - 6 -

décisives pour que la Cour use de son pouvoir di scrétionnaire de ne pas exercer sa compétence

consultative.

A. La Cour est compétente pour donner l’avis consultatif demandé

15. La compétence de l’Assemblée générale pour demander un avis consultatif à la Cour

internationale de Justice découle de l’article96, paragraphe1, de la Ch arte des Nations Unies,
lequel se lit comme suit : «L’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité peut demander à la Cour
internationale de Justice un avis consultatif sur toute question juridique.»

16. La référence dans cette disposition de la Charte à l’Assemblée générale, un des deux
organes principaux des Nations Unies cités, et les mots «toute question juridique» mettent en relief

l’ampleur de la compétence conf érée à l’Assemblé générale pour demander des avis consultatifs.
Dès lors, en demandant l’avis consultatif en qu estion ici, 1)l’Assemblée générale a exercé à bon
droit sa compétence, et 2) la question soulevée est de nature juridique.

1) L’Assemblée générale est compétente pour demander l’avis consultatif

17. La Cour a relevé que l’article 10 de la Charte «a conféré à l’Assemblée générale u5e
compétence à l’égard de «toutes questions ou affaires» entrant dans le cadre de la Charte» .

18. La demande d’avis consu ltatif de la part de l’Assemblée générale a pour objet une
déclaration d’indépendance éman ant d’institutions provisoires d’administration autonome créées
par les Nations Unies dans un territoire soumis à leur administration. Cette déclaration soulève des

questions concernant le respect dû à la Charte, en pa rticulier au regard de ses buts et principes, et
aux décisions des organes des Nations Unies, ainsi que l’importance de s’en tenir aux principes
fondamentaux du droit international. Conformément au chapitreIV de la Charte, l’Assemblée

générale a le pouvoir de s’occuper de ces questions.

19. Il faut noter que l’Assemblée générale 6 s’occupe spécifiquement de la situation au
Kosovo depuis plus d’une dizaine d’années . De même au cours des débats relatifs à la
résolution 63/3, aucun Etat n’a contesté la compéten ce de l’Assemblé générale de demander l’avis

consultatif en question.

20. On pourrait être tenté de soutenir que, comme c’est le Conseil de sécurité qui, en sa

qualité d’organe des Nations Unies, a adopté la résolution ayant pour l’essentiel établi le régime

5
Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 233, par. 11 ;
Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dan s le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004, p. 145, par. 17.
6
Voir les résolutions de l’Assemblée générale 54/62 (« Maintien de la sécurité internationale-stabilité et
développement de l’Europe du Sud-Est»), 10 janvier 2000; 55 /27 («Maintien de la sécurité internationale-relations de
bon voisinage, stabilité et développement de l’Europe du Sud-Est»), 20 déce mbre 2000 ; 56/18 («Maintien de la sécurité
internationale-relations de bon voisinage, stabilité et développement de l’Euro pe du Sud-Est»), 9 janvier 2002; 57/52
(«Maintien de la sécurité internationale-relations de bon voisinage, stabilité et développement de l’Europe du Sud-Est»),
30 décembre 2002 ; 59/59 («Maintien de la sécurité internationale-relations de bon voisinage, stabilité et développement
de l’Europe du Sud-Est»),16 décembre 2004; et 61/53 («Main tien de la sécurité internationale-relations de bon
voisinage, stabilité et développement de l’Europe du Sud-Est»), 19 décembre 2006. - 7 -

international applicable au Kosovo (résolution 1244 (1999)), c’est à lui et non à l’Assemblée
générale qu’il appartient de demander l’avis consultatif en questi on. Mais cette manière de voir

n’est pas fondée, et ce pour plusieurs raisons.

21. Tout d’abord, aux termes de l’article10 de la Charte, «[l]’Assemblée générale peut
discuter toutes questions ou affaires rentrant dans le cadre de la présente Charte ou se rapportant
aux pouvoirs et fonctions de l’un quelconque des organes prévus dans la présente Charte».

Deuxièmement, l’article12 de la Charte limite les pouvoirs de l’Assemblée générale à l’adoption
de recommandations à l’égard d’un différend ou d’une situation par rapport auxquels le Conseil de
sécurité exerce les fonctions que lui attribue la Char te. Mais en interprétant cette disposition, la

Cour a relevé «l’existence d’une tendance croissan te à voir l’Assemblée générale et le Conseil de
sécurité examiner parallèlement une même question relative au maintien de la paix et de la sécurité
internationale» . Troisièmement, et en tout état de cause, la limitation que prévoit l’article12 ne
8
s’applique pas à une requête pour avis consultatif, qui ne constitue pas une «recommandation» .

22. De plus, dans le passé l’Assemblée généra le a aussi eu affaire à des conflits surgissant
par suite d’autres tentatives de création d’Etat s de manière incompatible avec des principes
fondamentaux de droit international. C’était le cas, par exemple, des bantoustans et de la prétendue
9
«République turque de Chypre nord» .

23. Il est clair que l’Assemblée générale a un intérêt direct à assurer que l’on respecte le droit
international en général, par ticulièrement quand il s’agit d’une question concernant directement
l’Organisation, comme c’est le cas du défi posé par la déclaration unilatérale d’indépendance. Dès

lors l’Argentine considère que la compétence de l’Assemblée générale pour demander l’avis
consultatif est bien fondée.

2) Par définition, la question posée est de nature juridique

24. La seconde condition à remplir pour que la Cour puisse être valablement saisie d’une
requête pour avis consultatif est que la question posée soit de nature juridique. Comme l’a fait
observer la Cour, une question est juridique si elle est libellée «en termes juridiques», soulève «des

problèmes de droit10nternational» et est par sa «nature même» susceptible de «recevoir une réponse
fondée en droit» .

25. La question posée à la Cour en l’espèce est clairement de nature juridique. Elle porte en
effet sur la conformité au droit international de la déclaration unilaté rale d’indépendance des

institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo. Jusqu’à un certain point on peut
considérer que rien ne peut être rangé avec pl us de certitude dans la catégorie de «question
juridique» que la détermination de la conformité au droit applic able d’un acte, d’un fait ou d’une

situation. Comme l’a dit la Cour elle-même, pour répondre à la question qui vient d’être posée il
faut se prononcer sur le point de savoir «si [la d éclaration unilatérale d’indépendance] viole ou non

7
Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004, p. 149, par. 27.
8 Ibid., p. 148, par. 25.

9 Résolutions de l’Assemblée générale 31/6 (Politique d’ apartheid du Gouvernement sud-africain), du
26 octobre 1976, et 37/253 (Question de Chypre), du 13 mai 1983.

10Voir Sahara occidental, avis consu ltatif, C.I.J.Recueil1975 , p.18, par.et Licéité de la menace ou de
l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 233, par. 11. - 8 -

11
certaines règles et principes de droit international» . En tant que telle, «elle est, par sa nature
même, susceptible de recevoir une réponse fondée en droit; elle ne serait guère susceptible
d’ailleurs de recevoir une autre réponse» . 12

B. Il n’existe pas de raisons décisives pour que la Cour s’abstienne d’exercer sa compétence

consultative

26. La compétence de la Cour pour donner l’av is consultatif qui lui est demandé ayant été

établie, il reste à démontrer qu’il n’existe pas de raisons décisives justifiant l’usage par la Cour de
son pouvoir discrétionnaire de ne pas donner suite à la requête pour avis consultatif 13. Eu égard à

ce que la question implique pour les activités des Nations Unies, la réponse que donnera la Cour à
la requête pour d’avis consultatif sera un ex emple de sa participation aux activités de
l’Organisation en sa qualité d’organe judiciaire principal 14. Il y a par conséquent des raisons

décisives pour que l’avis consultatif demandé soit donné. Ces raisons sont les suivantes: 1)la
question est depuis longtemps un sujet de préocc upation pour les Nations Unies, qui portent une
responsabilité spéciale à son égard; 2)l’avis demandé aura des conséquences concrètes non

seulement pour la conduite future des Nations Unies et d’autres organisations internationales, mais
aussi pour celle des Etats Membres; de plus, 3)le point de savoir si le consentement de l’Etat

intéressé est nécessaire pour que l’avis consultatif puisse être donné ne se pose pas, puisque cet
Etat, à savoir la République de Serbie, a donné son consentement à la requête pour avis consultatif.

1) La question est depuis longtemps un suje t de préoccupation pour l’Organisation des
Nations Unies, qui portent une responsabilité spéciale à son égard

27. Les Nations Unies jouent un rôle essentiel à l’égard de la situation au Kosovo. Elles
s’engagèrent sur cette voie en participant à la conférence pour la paix en Yougoslavie, dont la

coprésidence, exercée initialement par les commu nautés européennes qui existaient alors, fut
confiée aux Nations Unies lors de l’effondrement de l’ancienne RFSY en 1991. La conférence fut
conçue comme un organe perman ent devant fonctionner jusqu’à ce qu’une solution définitive du
15
problème de l’ancienne Yougoslavie fût trouvée . Ce processus prit fin avec la transformation des
républiques qui composaient la RFSY en Etats nouveaux. A aucun moment fut-il question de la
transformation en Etats des entités qui faisaient partie des Républiques, telles que les régions

autonomes existantes, comme Kosovo ou Vojvodine en Serbie, ou de nouvelles entités créées en

11
Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien o ccupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004, p. 154, par. 39.
12 Ibid., p. 153, par. 37.

13 Certaines dépenses des Na tions Unies (article17, paragraphe2, de la Charte), avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1962 ; Demande de réformation du jugement n o333 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1987, p. 31 ; Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 21, par. 23 ; Licéité de

la menace ou de l’emploi d’ar mes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 235, par. 14, p. 155 ; Différend
relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spéciade la Commission des droits de l’homme, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p.78-79, par.29; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire
palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 157, par. 45.
14
Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, deuxième phase, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p.71 ; Certaines dépenses des Nations Unies (a rticle 17, paragraphe 2, de la Charte),
avis consultatif, C.I.J.Recueil 1962, p. 155 ; Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la
Commission des droits de l’homme, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1999 (I), p.78-79, par.29 ; Conséquences juridiques
de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 156, par. 44.

15 Voir: The International Conference on the Former Yugoslavia, Official Papers (B. Ramcharan, dir. publ.),
La Haye, Kluwer, 1997, p. 3. - 9 -

Bosnie-Herzégovine ou en Croatie. Par conséquent la participation des Albanais du Kosovo fut
limitée à un des six groupes de travail s’occ upant de questions relatives aux communautés
nationales ou aux minorités . 16

28. Une deuxième phase des activités des Nati ons Unies concernant le Kosovo s’ouvrit

en 1998, année où le Conseil de sécurité déclara que la situation au Kosovo constituait une menace
contre la paix et la sécurité internationales et adopta des mesures en vertu du chapitre VII de la
Charte .17

29. Comme on le sait, après l’aggravation de la lutte civile et les violations des droits de

l’homme commises au Kosovo, l’OTAN entrepr it, le 24 mars 1999, une opérati18 armée qui,
comme l’a noté la Cour, «soulève des problèmes très graves de droit international» . Suite à la fin
de cette intervention armée, une troisième phase du rôle des Nations Unies au Kosovo s’ouvrit par

l’adoption, le 10 juin 1999, de la résolution 1 244 (1999) du Conseil de sécurité, par laquelle le
Conseil établit une présence internationale civile et autorisa une présence de sécurité «pour une
période initiale de 12 mois», devant se poursuivre «ensuite tant que le Conseil n’en aura pas décidé
19
autrement» . Les deux présences ont continué d’exercer leurs activités jusqu’à ce jour, puisque le
Conseil n’en a pas décidé autrement. La décl aration unilatérale d’i ndépendance pose un sérieux
défi à ce régime.

30. Etant donné l’administration du territoire pa r les Nations Unies, ce qui arrive au Kosovo

n’intéresse pas seulement les Nations Unies; il s’agit d’une affaire intéressant directement la
responsabilité directe et le rôle des Nations Unies. Sont également mis en cause la responsabilité
du Secrétaire général au regard de l’administra tion du territoire, le rôle et la responsabilité du

Conseil de sécurité en tant qu’organe ayant seul le pouvoir de décider ce qu’il adviendra des deux
présences au Kosovo, et le rôle de l’Assemblée générale en tant qu’org ane pouvant discuter du
fonctionnement des autres organes et s’occupant des questions relatives aux buts et principes de

l’Organisation. S’agissant de la Cour, on peut considérer qu’il n’y a pas d’affaire illustrant mieux
les circonstances dans lesquelles l’exercice par elle de sa compétence consultative «ne devrait pas
20
être refusé…» , puisqu’«[e]nprêtant son assistance à la solution d’un problème qui se pose à
l’Assemblée générale, la Cour s’acquittera de ses fonctions d’organe judiciaire principal des
Nations Unies» 21. Il appartient par conséquent à la C our de fournir une orientation de nature

juridique aux autres organes des Nations Unies à pr opos de cette affaire, qui intéresse directement
les Nations Unies.

2) L’avis consultatif de la Cour aura des co nséquences concrètes pour l’action future de
l’Organisation des Nations Unies et d’autres or ganisations internationales, ainsi que des

Etats Membres des Nations Unies

31. En expliquant le but de l’exercice de sa compétence consultative, la Cour s’est exprimée

en ces termes :

16MarcWeller, The Crisis in Kosovo 1989-1999 (Cambridge: International Documents & Analysis, 1999),
p. 89-90.

17Résolution 1160 (1998), du 31 mars 1998.
18
Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 132, par. 17.
19
Résolution 1244 (1999), par. 19.
20Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 21, par. 23.

21Ibid. - 10 -

«La fonction de la Cour est de donner un avis fondé en droit, dès lors qu’elle a
abouti à la conclusion que les questions qui lui sont posées sont pertinentes, qu’elles
ont un effet pratique à l’heure actuelle et que par conséquent elles ne sont pas
22
dépourvues d’objet ou de but.»

32. Ces observations s’appliquent au présent cas. La question posée par l’Assemblée

générale n’est pas d’un intérêt purement académique. L’élimination des doutes sur la question de
savoir si la déclaration unilatérale d’indépendance est légale ou non est d’une importance
fondamentale en vue de la détermination des actions concrètes que doivent prendre les organes des

Nations Unies, ainsi que les Etats Membres et les au tres acteurs intéressés. Ce qui est en jeu c’est
la crédibilité des décisions adoptées avec force obligat oire par le Conseil de sécurité, l’organe des
Nations Unies auquel incombe la responsabilité princi pale du maintien de la paix et de la sécurité

internationales; le respect de la souveraineté et l’intégrité territoriale d’un Etat Membre des
Nations Unies ; et l’aptitude de l’Organisation à mener des négociations entre les parties intéressées
de manière à ce que ces négociations aient une valeur réelle et ne puissent pas être unilatéralement

stoppées par une des parties qui essaie d’imposer ses propres vues à l’autre.

33. Tout en continuant d’exercer ses r esponsabilités conformément à la résolution1244
(1999) du Conseil de sécurité, le Secrétaire général a annoncé une politique de «neutralité»
vis-à-vis de la déclaration unilatérale d’indépe ndance, étant donné que le Conseil de sécurité ne
23
peut lui donner de directives su r son rôle et ses responsabilités . Cette position suscite de sérieux
problèmes juridiques aussi bien que pratiques et à long terme porte atteinte au fonctionnement et à
la crédibilité de l’Organisation et ses organes. Il est hors de doute que l’avis consultatif aidera à

aplanir ces difficultés.

34. L’avis consultatif sera particulièrement important du fait de l’assistance que la Cour
prêtera dans l’exercice de ses fonctions au représen tant spécial du Secrétaire général au Kosovo.
Aux termes du cadre constitutionnel pour un gouvernement autonome provisoire au Kosovo,

promulgué en vertu des pouvoirs que lui confère la résolution 1244 du Conseil de sécurité :

«L’exercice des responsabilités des in stitutions provisoires du gouvernement

autonome en application du cadre constitutionne l n’entame ni ne limite les pouvoirs
du représentant spécial du Secrétaire général de garantir l’application intégrale de la
résolution 1244 (1999) du Conseil de sécur ité de l’Organisation des Nations Unies,

notamment de superviser les institutions provisoires du gouvernement autonome, ses
responsables et ses représentations, et de prendre les mesures appropriées dès qu’une
décision prise par les institutions provisoires est en contradiction avec la
24
résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité ou avec le cadre constitutionnel» .

35. On a fait valoir que la déclaration unilatérale d’indépendance a créé un «fait irréversible»
25
et que partant la requête pour un av is consultatif serait sans effet concret . Ce faisant ceux qui
sont en faveur de l’indépendance du Kosovo et essaient d’imposer sa prétendue indépendance au
reste de la communauté internationale ne font que prendre des désirs pour des ré
alités. Si on laisse

22
Ibid., p. 37, par. 73.
23
Voir le rapport du Secrétaire général sur la Mission d’administration intérimaire de s Nations Unies au Kosovo,
24 novembre 2008, Nations Unies, doc. S/2008/692, p. 8, par. 26 ; p. 11, par. 46 ; p. 12, par. 49 et 50.
24Représentant spécial du Secrétaire général, Règlement n o2001/9 sur un cadre constitutionnel pour un
gouvernement autonome provisoire au Kosovo, 15 mai 2001, chap. 12 (les italiques sont de nous) UNMIK/REG/2001/9.

25NationsUnies, doc. A/PV.22, 8 octobre 2008. Voir en particulier les comment aires de sirJohnSawers
(Royaume-Uni) et Mme DiCarlo (Etats-Unis) (p. 2 et 5, respectivement). - 11 -

de côté l’inexactitude objective de ces allégations, on peut dire que c’est là une position qui soulève
des préoccupations sérieuses du fait que ses tenants s’ efforcent de mettre le droit international sur
une voie de garage. Il n’en demeure pa s moins que l’administration internationale

(MINUK/EULEX) et la présence de sécurité (KFOR) continuent d’être déployées au Kosovo
conformément à la résolution 1244 (1999) et qu’elles sont investies du pouvoir suprême en
matières administratives et de sécurité dans le terr itoire. On est même très loin d’avoir démontré

qu’il existe de fait un exercice d’autorité souveraine de la part des institutions provisoires
d’administration autonome (sous la forme de l’autoproclamé «Gouvernement de la République du
Kosovo»).

36. A l’évidence, la Cour ne pourrait apporter son soutien à l’«irréversibilité» de la situation
qui a surgi par suite de la déclaration unilatérale d’indépendance sans priver le droit international
26
de toute pertinence. Comme il sera expliqué plus bas dans le détail , pour le droit international
moderne la création des Etats n’est pas une question de pur fait ; c’est aussi une question de droit.
Et cela est particulièrement le cas lorsque les Na tions Unies elles-mêmes administrent le territoire

dont il s’agit et il n’a pas été décidé, comme cela a été le cas d’autres territoires placés sous leur
administration, que l’objectif final de l’administration serait l’indépendance.

3) L’Etat directement intéressé a donné son consentement

37. La Cour a dit plus d’une fois que «le fait qu’un Etat intéressé ne consent pas à l’exercice
de la compétence consultative de la Cour concerne non pas cette compétence mais l’opportunité de
son exercice» . En l’espèce il n’est pas nécessaire de se demander si un tel consentement est

requis sur le plan de l’opportunité, puisque le seul Etat directement intéressé, c’est-à-dire la Serbie,
a donné son consentement. C’est d’ailleurs la Serbie qui a pr oposé que l’Assemblée générale
demande un avis consultatif à la Cour . 28

*

* *

38. Pour les raisons exposées ci-dessus, l’Argentine considère que la Cour est compétente

pour donner l’avis consultatif dema ndé. De plus il n’existe pas de raisons décisives pour que la
Cour s’abstienne de ce faire. Bien au contrair e, la requête pour avis consultatif soulève des
questions fondamentales sur lesquelles il est nécessaire que la Cour fournisse une orientation en

exerçant sa compétence consultative.

26
Infra, par. 129.
27 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J.Recueil1975, p.20, par.21; Conséquences juridiques de
l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 158, par. 47.

28Projet de résolution présenté par la Serbie et intitulé «Demande d’avis consultatif de la Cour internationale de
Justice sur la question de savoir sila déclaration unilatérale d’indépenda nce du Kosovo est conforme au droit
international», 23 septembre 2008, point 71 de l’ordre du jour, Nations Unies, doc. A/63/L.2. - 12 -

Section II. Principes et règles relatifs a la question soulevée par la résolution 63/3 de
l’Assemblée générale

39. La question soulevée par l’Assemblée gé nérale porte sur la conformité au droit
international de la déclaration unilatérale d’i ndépendance adoptée par les institutions provisoires
d’administration autonome du Kosovo. Pour répondr e à cette question, «[l]a Cour doit déterminer

les principes et règles existants, les i29erpréter et les appliquer…apportant ainsi à la question
posée une réponse fondée en droit» .

40. Les organes qui ont unilatéralement déclaré l’indépendance sont une création directe des
Nations Unies. La première question à laquelle il faut apporter une réponse est celle de savoir si,
en conformité avec les règles pertinentes des Nations Unies, ces organes avaient le pouvoir de

prendre une telle décision. En deuxième lieu la déclaration doit être examinée dans le cadre de la
résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité, qui a établi le régime juridique international pour le
Kosovo sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations Unies et envisagé un processus

politique devant conduire à la détermination du statut futur du territoire. En troisième lieu, la
déclaration unilatérale doit être analysée à la lumière des principes fondamentaux du droit
international pouvant être en cause. A ce propos on soulignera que le principe du respect de

l’intégrité territoriale des Etats revêt une importance capitale, comme le reconnaît la
résolution 1244 (1999). Le principe du respect des droits de l’homme fondamentaux et des droits
des minorités est également en cause, mais ne c onduit pas à l’existence d’un droit à déclarer

l’indépendance du territoire. Il faut également s ouligner qu’un autre principe fondamental du droit
international, à savoir le droit des peuples à l’au todétermination, n’est pas applicable dans la
situation sous examen, ce qui veut dire que les habitants du Kosovo ne constituent pas un «peuple»

ayant droit à l’autodétermination. En outre l’obl igation de régler les différends par des moyens
pacifiques est également pertinente ici. En quatrième lieu, on passera en revue, afin de parachever
l’analyse juridique, d’autres argume nts qui pourraient servir à justif ier la déclaration unilatérale

d’indépendance. En tout état de cause, avant d’aborder la question de l’application des règles
pertinentes à l’objet de la requête pour un avis consultatif, il conviendra d’examiner, comme point
de départ, la question de la date critique. Comme il est possible que la Cour veuille évaluer les

arguments avancés par les auteurs de la déclarati on unilatérale d’indépenda nce afin d’évaluer les
justifications pouvant être présentées à cet égard, le présent exposé écrit les examinera également.

A. La date critique : le 17 février 2008

41. La procédure actuelle n’a pas pour objet un différend territorial. Néanmoins la notion de
date critique est applicable, de la manière dont la Cour en a fait application dans le contexte
d’autres affaires .0

29 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C. I.J. Recueil 1996 (I), p.234,
par. 13.

30 Nottebohm (Liechtenstein c.G uatemala), exception préliminaire, arrêt, C.I.J.Recueil1953 , p.111, 122-123;
Droit de passage sur territoire indien (Portugal c.Ind), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil1957 , p.125,
142-144 ; Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicar agua c.Honduras), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. 69, 95, par. 66 ; Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971

résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1998, p. 9, 25-26, par. 43-44 ; Ibid., p.115, 130-131, par.42-43; Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 275, 318, par. 99 ;
affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force ((Yougoslavie c. Belgique), (Yougos lavie c. Pays-Bas), (Yougoslavie
c.anada), (Yougoslavie c.spagne), (Yougoslavie .o rtugal), (Yougoslavie .oyaume-Uni)), mesures
conservatoires, ordonnance du 2juin1999 , C.I.J. Recueil 1999, p.826 , Opinion individuelle de Mme Higgins, p. 867,
par. 4 ; Demande en interprétation de l’arrêt du 11juin1998 en l’affaire de Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), excepti ons préliminaires (Nigéria c. ameroun), arrêt,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 31, Opinion dissidente du vice-président Weeramantry, p. 46-47. - 13 -

42. La conformité d’un acte au droit doit êt re déterminée au moment de l’accomplissement
de l’acte. Les actes postérieurs ne peuvent modifier cette détermination initiale. La question posée
à la Cour concerne exclusivement la légalité de la déclaration unila térale d’indépendance

proclamée par les institutions provisoires d’admini stration autonome. C’est à l’Organisation des
Nations Unies et à ses Etats Membres qu’il appartient de décider, à la lumière de l’avis de la Cour,
de leurs actions futures à cet égard.

1) La déclaration unilatérale d’indépendance do it être examinée par rapport au moment où
elle a été adoptée

43. La règle selon laquelle un acte doit être examiné à la l
umière du droit en vigueur au
moment où il s’est produit est bien établie en droit international 31. La question que soulève la

requête de l’Assemblée générale ne concerne que la conformité au droit international d’un acte
donné qui est survenu à une date précise, à savoir le 17 février 2008. Dès lors l’examen que doit
faire la Cour doit porter sur le point de savoir si la déclaration unilatérale était ou non, au moment

où elle a été adoptée, en conformité avec le droit international.

44. Les actes qui sont survenus postérieurement à cette date critique ne sont pas pertinents
aux fins de déterminer la conf ormité au droit international de la déclaration unilatérale
d’indépendance. Dans le contexte d’un différend territorial, mais dans des circonstances telles que

la position qu’elle a prise est néanmoins applicable au présent cas, la Cour a observé qu’elle :

«ne saurait prendre en considération des actes qui se sont produits après la date à

laquelle le différend entre les Parties s’est cristallisé, à moins que ces activités ne
constituent la continuation normale d’activ ités antérieures et pour autant qu’elles
n’aient pas été entreprises en vue d’améliorer la position juridique des Parties qui les
32
invoquent…» .

45. Par conséquent, ce qu’on doit prendre en considération afin de parvenir à une conclusion

sur les problèmes juridiques que soulève la situati on sous examen, c’est la déclaration unilatérale
d’indépendance adoptée par les institutions provi soires d’administration autonome du Kosovo le
17février2008, la réaction y afférente de l’Etat c oncerné le même jour et les principes et règles

pertinents de droit international applicables à l’époque.

46. En paraphrasant ce que la Cour a fait observe r dans un de ses avis consultatifs : «il n’en
résulte pas que les données concernant [le] statut [de la déclaration unilatérale
d’indépendance] … à d’autres moments soient entièrement dépourvues de pertinence aux fins de

l’avis consultatif. Cela signifie néanmoins que ces données ne présentent d’intérêt que dans la

31Comme l’a affirmé Max Huber dans l’affaire de l’ Ile de Palmas (ou Miangas) (Etats-Unis d’Amérique

c. Pays-Bas), «un acte juridique doit être apprécié à la lumière du dr oit de l’époque, et non à celle du droit en vigueur au
moment où s’élève ou doit être réglé un différend relatif à cet acte». (VoiRecueil des sentences arbitrales , vol.II,
p. 829 et 845 [texte authentique anglais] et traduction française dans Revue générale de droit international public, t. XLII
[1935], p. 156 et 172.) Rosalyn Higgins a noté que «peu de dicta arbitraux ont été plus souvent cités, ou sont parvenus à
occuper une place plus importante dans le droit international que cdictum du juge Huber dans l’affairede l’Ile de
Palmas». Rosalyn Higgins, «Some Observations on the Intertemporal Rule in International Law», dans Jerzy Makarczyk
(dir. de publ.), «Theory of International Law at the Threshold of the 21stCentury, Essays in Honour of Krysztof
Skubiszewski» (La Haye: Kluwer Law International [1977]), réimprimé dans Rosalyn Higgins, «Themes and Theories,
Speeches and Writings in International Law», vol. 2 (Oxford : Oxford University Press, 2009), p. 867.

32 Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J.Recueil2002 , p.682,
par. 135. Voir aussi Différend territorial et maritime entre le Niragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes
(Nicaragua c. Honduras) arrêt du 8 octobre 2007, par.117; Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle
Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour), arrêt du 23 mai 2008, par. 32. - 14 -

mesure où elles contribuent à préciser … [quel était] le statut juridique [de la déclaration unilatérale
d’indépendance] … pendant cette période.» 33

2. Les événements survenus postérieurement à la déclaration unilatérale d’indépendance
n’ont pas modifié la situation

47. Par souci de ne rien laisser de côté, il faut préciser qu’il n’y a absolument pas eu
d’événements ou de décisions postérieurs, ni de changements dans le droit, susceptibles de

modifier, de quelque manière que ce soit, la situation pour ce qui est du statut juridique du territoire
auquel la déclaration unilatérale prétend s’appliquer.

48. A ce jour, 56 des 192 Etats Membres des Na tions Unies ont reconnu l’entité qui prétend

être un Etat aux termes de la déclaration d’in dépendance. Comme i34est bien établi en droit
international général, la reconna issance n’a pas d’effet constitutif . Il convient de rappeler ici ce
qui a été affirmé à ce propos par la Cour s uprême du Canada dans sa décision relative à la

sécession du Québec : «la reconnaissance internationale ne confère à elle seule le statut d’Etat et il
faut souligner qu’elle ne remonte pas à la date de la sécession pour servir de source d’un droit
juridique initial de faire sécession» 35. A plus forte raison, la reconnaissance ne peut changer la

qualification juridique de l’acte unilatéral en question lorsqu’une large majorité d’Etats ne
reconnaît pas l’entité prétendument créée par la déclaration unilatérale du 17 février 2008. Ceci est
vrai également pour les organisations internationales : pas une seule d’elles, que ce soit au niveau

international ou régional, n’a reconnu l’entité prétendant être un Etat en vertu de la déclaration.

49. Et, ce qui est plus important, les présen ces internationales civiles et de sécurité
demeurent sur place au Kosovo. Après avoir porté la déclaration unilaté rale d’indépendance à

l’attention du Conseil de sécurité, le Secrétai re général des Nations Unies a «réaffirmé qu’en
attendant l’avis du Conseil de sécurité, l’ONU considérerait que la résolution 1244 (1999) restait en
vigueur et constituait le cadre juridique de l’exercice du mandat de la MINUK» 36. Comme déjà

indiqué, le Conseil de sécurité n’a pris aucune décision nouvelle concernant l’application de la
résolution 1244 (1999) et partant le régime établi par elle demeure en vigueur. En conséquence le
Secrétaire général a continué de soumettre au C onseil de sécurité ses rapports périodiques sur la
37
Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo .

50. En outre, la présence de sécurité demeure sur place au Kosovo, et ce sur la seule base de
la résolution 1244 (1999). Dans une déclaration de l’OTAN du 18 février 2008, il est signalé que
«[s]uite à la déclaration d’indépendance du Kosovo hier, l’OTAN réaffirme que la KFOR

33Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 38, par. 78.

34Article 3 de la convention de M ontevideo sur les droits et les de voirs des Etats, adoptée par la 7 conférence
internationale américaine, tenue à Montevideo le 26 décembre 1933, Société des Nations, Recueil des traités, vol. CLXV,
p. 20.

35 Par. 42. (Version française disponible sur http://scc.lexum .umontreal.ca/fr/1998/1998rcs2-217/1998
rcs2-217.html.)

36Nations Unies, doc. S/2008/211, 28 mars 2008, par. 4.
37
Rapports du Secrétaire général sur la Mission d’admini stration intérimaire des Na tions Unies au Kosovo des
17 mars 2009, Nations Unies, doc. S/2009/149; 24 novembre 2008, NationsUn ies, doc. S/2008/692; 15juillet2008,
NationsUnies, doc. S/2008/458; 12 juin 2008, NationsUn ies, doc. S/2008/354; et 28 mars 2008, NationsUnies,
doc. S/2008/211. - 15 -

demeurera au Kosovo, sur la base de la résoluti on 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies,
comme les ministres des affaires étrangères l’ont décidé en décembre 2007, sauf décision contraire
38
du Conseil de sécurité des Nations Unies» .

51. Et, chose frappante, même après la déclar ation unilatérale, des organes des institutions
provisoires d’administration autonome ont, même s’ ils prétendent être des organes d’un Etat,
continué à participer à des événements au niv eau international seulement en tant que parties

intégrantes de la délégation de la MINUK. Lorsqu’ils ont essayé de participer pour leur propre
compte ils n’ont pas été acceptés et le Secrétaire général a qualifié leur tentative de participation
39
d’«irrégulière» .

52. La Mission de l’Union européenne au Kos ovo (EULEX), laquelle devrait, si la position
de ceux qui ont proclamé ou encouragé l’indépendance du Kosovo est bien fondée, agir de manière
à refléter la prétendue «nouvelle réalité» créée par la déclaration unila térale, opère néanmoins

«sous l’autorité générale de l’ONU et dans le contexte d’une initiative unique des Nations Unies
conduite par [le] représentant spécial [du Secrétaire général], et conformément à la résolution 1244
(1999)» . Cet arrangement a été entériné par l’Etat titu laire de la souveraineté sur le territoire et a
41
reçu l’appui du Conseil de sécurité .

53. Des observations qui précèdent il ressort que les événements postérieurs n’ont pas amené
de changement dans la situation juridique existant au 17 février 2008; elles démontrent aussi que
sur le plan des faits la situation continue d’être, pour l’essentiel, celle qui existait auparavant.

B. La déclaration unilatérale d’indépendance

54. Le paragraphe clef de la déclaratio n unilatérale d’indépenda nce du 17février2008 est
conçu en ces termes :

«Nous, les représentants de notre peuple, démocratiquement élus, déclarons par
la présente que le Kosovo est un Etat indé pendant et souverain. Cette déclaration

reflète la volonté du peuple et est en plei ne conformité avec les recommandations de
l’envoyé spécial des Nations unies, Martti Ahtisaari, et avec sa proposition globale de
42
règlement portant statut du Kosovo» .

55. Le passage cité contient trois affirmations : 1) les auteurs de la déclaration ont été élus
démocratiquement; 2) le «peuple» a exprimé sa volonté et 3) la déclaration est conforme au
plan Ahtisaari. A titre préliminaire ces affirmations appellent un certain nombre de commentaires.

38
Texte disponible sur (http://www.nato.int/docu/pr/2008/p08-025f.html).
39Rapport du Secrétaire général sur la Mission d’administ ration intérimaire des Na tions Unies au Kosovo du
17 mars 2009, Nations Unies, doc. S/2009/149, par. 28.

40Rapport du Secrétaire général sur la Mission d’administ ration intérimaire des Na tions Unies au Kosovo du
24 novembre 2008, Nations Unies, doc. S/2008/692, par. 23, voir aussi par. 50.

41 Voir la déclaration du Président du Conseil de sécurité, NationsUnie s, doc. S/PRST/2008/44,
26 novembre 2008.

42 Une traduction française de la déclaration est disponible su r : http://www.assembly-kosova.org/
common/docs/declaration_d_independance_fr.pdf. - 16 -

56. Tout d’abord, le fait qu’un organe ait été élu démocratiquement n’implique pas
automatiquement qu’une décision prise par cet organe est conforme au droit international.
L’organe doit être compétent pour prendre l’acte en question. Il s’agit là d’un principe
43
universellement accepté qui est applicable à toutes sortes d’institutions . Le point de savoir si les
institutions provisoires d’administration au tonome étaient compétentes pour proclamer
44
l’indépendance du Kosovo est examiné plus bas .

57. En deuxième lieu, l’invocation de la volont é du «peuple» fait penser qu’on se réfère 45
principe de l’autodétermination. Mais, comme on le démontrera également plus bas , seulement
des «peuples» au sens du droit international ont droi t à l’autodétermination. En d’autres termes ce

n’est pas n’importe quel groupement humain qui peut revendiquer ce droit.

58. En troisième lieu, la proposition globale de M.Ahtisaari pour le règlement du statut du
Kosovo n’est qu’une recommandation présentée par l’envoyé spécial du Secrétaire général des
Nations Unies. Dans sa première apparition publique à Pristina après sa nomination, l’envoyé

spécial a lui-même déclaré :

«En fin de compte, ce n’est pas moi, comme je l’ai aussi expliqué clairement, ce

n’est pas moi, ce n’est aucun de nous deux, qui décidera des échéances ; le Secrétaire
général a un rôle important, et, finalement, c’ est au Conseil de sécurité qu’il reviendra
de décider à quoi va ressembler le statut final que nous aurons.» 46

59. Dès lors le plan Ahtisaari n’a rien d’oblig atoire. Il ne peut, par conséquent, constituer

une base juridique sur laquelle on pourrait fonder la déclaration d’indépendance.

60. La déclaration unilatérale prétend en outre que «le Kosovo est un cas spécifique résultant
de l’éclatement non-consensuel de la Yougoslavie et ne constitu e aucunement un précédentpour
47
une quelconque autre situation» . Ceci appelle trois observati ons. En premier lieu, à aucun
moment dans le courant de la conférence pour la paix en Yougoslavie, qui a commencé au début du
processus d’effondrement de la RFSY, a-t-on envisagé ne serait-ce que la moindre possibilité d’un

Kosovo indépendant. Deuxièmement, la commis sion d’arbitrage de ladite conférence (connue
aussi sous le nom de commission Badinter) a conclu que le processus de dissolution de la RFSY
s’était achevé avec l’adoption de la Constitution de la République fédérale de Yougoslavie et que

cet Etat était composé de la Serbie, y compris ses deux régions autonomes, le Kosovo et
Vojvodine, ainsi que le Monténégro 48. Troisièmement, la simple invocation de la prétendue
indépendance du Kosovo en tant que «cas spécial» et non «un précédent» ne peut pas, que cette

position soit bien fondée ou non, fournir, en soi, une justification juridique. On n’a pas indiqué
quelles seraient précisément les règles du droit intern ational qui permettraient de considérer qu’il y

aurait un dénouement spécial si le Kosovo constitu ait un «cas spécial». Pour ce qui est de la
possibilité que le cas puisse être considéré comme un «précédent», il n’y a pas de doute que si la

43
Voir par exemple, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 66, 74, par. 18.
44
Voir infra, par. 61-64.
45
Voir infra, par. 88-91.
46Bureau de l’envoyé spécial du Secrétaire général poule statut futur du Kosovo (UNOSEK), conférences de
presse, 23 novembre 2005, disponible surww.unosek.org.

47[Déclaration d’indépendance du Kosovo du 17 février 2008.]

48Avis n 8 de la Commission d’arbitrage de la conféren ce pour la paix en Y ougoslavie, 4 juillet 1992, Revue
générale de droit international public, t. XCVI (1992), p. 588-589. - 17 -

déclaration était conforme au droit international elle constituerait un «précédent». Si, en revanche,

elle n’est pas conforme au droit international, elle ne peut constituer ni un «précédent» ni un «cas
spécial», conformément au principe ex injuria jus non oritur.

C. Les pouvoirs des institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo n’incluent
pas l’adoption de la déclaration d’indépendance du territoire

61. Au paragraphe 10 du dispositif de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité, il est
prévu que la présence internationale civile doit ex ercer les fonctions administratives civiles, en
assurant «la mise en place et la supervision des institutions d’auto-administration démocratiques

provisoires».

62. Le représentant spécial du Secrétaire générale a été investi de la plus haute autorité en ce
qui concerne la présence civile. Les institutions provisoires d’administration autonome ont été
créées par le règlement de MINUK n oUNMIK/REG/2001/9 du 15mai2001, promulgué par le
49
représentant spécial . Elles ont été conçues comme des organes gouvernementaux locaux placés
sous la supervision des Nations Unies. Dès lors les affaires étrangères se rapportant à
l’administration du territoire continuèrent d’être une attribution du représentant spécial 5. Dans

l’énumération, longue et détaillée, des pouvoirs et responsabilités assignés aux institutions
provisoires d’administration autonome, on ne trouve rien qui, d’une manière explicite ou implicite,
leur permette de prendre des décisions se rapportant à la souveraineté sur le Kosovo.

63. Au contraire, le cadre constitutionnel dis pose clairement que les institutions provisoires
d’administration autonome et leurs fonctionnaires a) «[e]xercent leurs attributions conformément

aux dispositions de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité et à celles énoncées dans le
cadre constitutionnel» et que «[l]exercice d es responsabilités des institutions provisoires
d’administration autonome ne peut empêcher en aucun cas le représentant spécial du Secrétaire

général de st51uer en dernier re ssort sur la mise en Œuvre de la résolution 1244 (1999) du Conseil
de sécurité» .

64. Il est clair que les deux sources des pouvoirs et responsabilités des institutions
provisoires d’administration autonome, c’est-à -dire la résolution 1244 (1999) et le
règlement2001/9 de la MINUK, n’autorisent pas ces institutions à déclarer l’indépendance du

Kosovo.

D. Le cadre établi par la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité

65. La résolution 1244 (1999) est l’instrument qui d’une manière spécifique établit le régime

juridique international applicable au Kosovo et en tant que tel elle constitue l’instrument juridique à
l’aune duquel il faut déterminer si la déclaration unilatérale d’indépendance est conforme au droit
international.

66. Les caractéristiques principales du régime juridique établi par cette résolution sont les
suivantes :

49
Règlement MINUK 2001/9. Disponible sur: http://www.unmikonline.org/pub/misc/FrameworkPocket_
ENG_Dec2002.pdf [texte anglais].
50
Chapitre 8 du Cadre constitutionnel.
51Chapitre 2 et préambule du Cadre constitutionnel. - 18 -

⎯ le respect de la souveraineté et de l’intégr ité territoriale de la République fédérale de
Yougoslavie (actuellement la Serbie) 52 ;

⎯ l’administration internationale du territoire, au moyen de présences civile et de sécurité 53 ;

⎯ une autonomie substantielle pour le Kosovo 54 ;

55
⎯ un processus politique pour déterminer le statut politique futur du territoire ;

⎯ le retour chez eux au Kosovo, en toute sécurité et sans entrave, de tous les réfugiés et personnes
déplacées et l’assurance que tous les habitants de la province pourront vivre en paix une
existence normale 56 ;

⎯ l’absence de délais pour ce régime, qui se poursuivra tant que le Conseil de sécurité n’en aura
57
pas décidé autrement .

67. Voilà le cadre juridique par rapport auque l la déclaration unilatérale du 17février2008
doit être examinée. Le Conseil de sécurité n’a pas décidé de mettre fin, ni en tout ni en partie, au

régime établi conformément à sa résolution du 10 juin 1999. Comme indiqué plus haut, la situation
qui dans les faits existe sur le terrain continue de correspondre à ce régime, tel qu’il a été établi.

68. La plupart des éléments qui constituent le régime juridique établi par la résolution 1244
(1999) sont également des principes et règles fondamentaux du droit international général et partant

la base sur laquelle repose leur application n’est pas seulement la résolution 1244 (1999); elle
repose aussi sur le droit international général.

E. Le principe du respect de l’intégrité territoriale des Etats

69. Le respect de l’intégrité territoriale des Etats est un principe bien établi du droit
international, en l’absence duquel l’ existence même du droit international, en tant que corps de

règles applicables au premier chef aux relations entre des entités souveraines, ne serait pas
imaginable. Dans son premier arrêt, la Cour a s ouligné qu’«entre les Etats indépendants le respect
58
de la souveraineté territoriale est l’«une d es bases essentielles des rapports internationaux» .
Quelques années plus tard, la Cour a réaffirmé «[l]obligation de tout Etat de respecter la
souveraineté territoriale des autres» . 59

52
Voir dixième paragraphe du préambule, principe 6 de l’annexe l et pa ragraphe8 de l’annexe 2 de la
résolution 1244 (1999).
53
Ibid., par. 5-11, 14-16 et 19 du dispositif.
54
Ibid., onzième paragraphe du préambule, par. 10 et 11 a) du dispositif, et par. 5 de l’annexe 2.
55Ibid., par. 11 e) du dispositif.

56Quatrième et septième par. 4 et 7 du préambule, par. 9 c), 10, 11 k) et 13 du dispositif, principe 5 de l’annexe l
et par. 4, 5 et 7 de l’annexe 2.

57Ibid., par. 19 du dispositif.

58Détroit de Corfou, fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 35.
59
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt du 26 juin 1986, C.I.J. Recueil, 1986, p. 111, par. 213, et p. 128, par. 251-252. - 19 -

70. Le principe de l’intégrité territoriale vise à protéger un attribut essentiel de l’Etat, à
savoir son territoire. En vertu du principe, toute modification de la souveraineté territoriale d’un

Etat doit se réaliser en conformité avec le droit in ternational, c’est-à-dire, dans la plupart des cas,
sur la base du consentement de l’Etat intéressé. En tant que corollaire du principe de l’égalité

souveraine des Etats, le principe du respect de l’intégrité territoriale est un principe fondamental du
droit international. La déclaration de 1970 sur l es principes de droit international touchant les
relations amicales énonce, à titre d’ un des éléments de l’égalité souveraine des Etats, le principe
60
suivant lequel «[l]intégrité territoriale et l’indépendance politique de l’Etat sont inviolables» .

71. La déclaration du millénaire des Nations Unies et le document final du sommet mondial
de 2005 apportent également leur soutien à tous les efforts «pour défendre l’égalité souveraine et le
61
respect de l’intégrité territoriale», ainsi que «l’indépendance politique», de «tous les Etats» .

72. Le respect de l’intégrité territoriale des Etats est étayé par un nombre impressionnant
d’instruments internationaux, dont les dispos itions correspondantes sont accompagnées tantôt de
références à l’«inviolabilité des frontières», tant ôt de réaffirmations de la souveraineté,
62
l’indépendance politique et la sécurité des Etats . Le respect du statu quo territorial a également
été mentionné comme équivalent de l’intégrité territoriale . 63

73. Au niveau régional, le respect de l’inté grité territoriale a été, comme dans d’autres
64
régions, un sujet d’inquiétude particulière en Amérique latine. Dans le système interaméricain , la
nécessité de respecter l’intégrité territoriale des Etats a été mise en relief à tous les niveaux, y
compris les niveaux sous-régionaux 65, et ceci dans le contexte d’une large gamme de questions

différentes et quel que soit l’Etat intéressé. Il ne s’agit pas seulement d’une préoccupation
régionale, ni de l’expression d’une règle particulière qui ne s’applique pas au reste du monde. Il

s’agit d’une aspiration commune à ce que ce principe fondamental soit universellement respecté, en
tant qu’un des fondements principaux du système juri dique international dans son ensemble et en
tant que manifestation concrète de l’égalité souveraine des Etats.

60
Résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale, du 24 octobre 1970, d).
61
Résolutions 55/2 et 60/1 de l’Assemblée générale, 8 septembre 2000 et 24 octobre 2005, respectivement.
62En particulier: article 10 du Pacte de la Société des Nati ons, art.2, par.4, de la Charte des Nations Unies et
acte final d’Helsinki, adopté le 1oût 1975 par la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe.

63Voir par exemple l’avis n 3 de la Commission d’arbitrage de la conférence pour la paix en Yougoslavie, Revue
générale de droit international public, t. XCVI (1992), p. 267-269.

64Parmi d’autres instruments on peut citer les suivants: art.1, 13, 28 et 29 de la Charte de l’Organisation des
Etats américains; AG/RES. 2250 (XXVI-O/06), «Obligation de s Etats Membres de respecter les normes et principes de

droit international consacrés da ns la Charte de l’Organisation des Etats américains pour préserver et renforcer la paix
continentale»; A/RES/41/128, 4 décembre 1986; Déclarat ion sur le droit au développement; ASCP/Res. 935
(1648/08);Appui à la démocratie institutionnelle, au dialogu e et à la paix en Bolivie;Déclaration de l’OEA sur la
sécurité aux Amériques, 2003, doc. OE A/SER.K/XXXVIII, CES/dec./1/93 rev. 1; résolution CP/RES 859 (1397/04)
«Appui au processus de paix en Colombie»; Déclaration de Managua, OEA/SER.K/XLI.1, EPICOR/doc.05/04 rev. 6,
9 juillet 2004 ; Résolution CP/RES 930 (1632/08) ; Résolution de la vingt-cinquième ré union de consultation des
ministres des relations extérieures, RC/25/RES.1/08, 17 mars 2008; Avis juridique du Comité juridique interaméricain

sur la résolution CP/RES.586 du Conseil permanent de l’Orga nisation des Etats américains sur la décision de la Cour
suprême des Etats-Unis dans l’affaire US c. Alvarez Machain, Rio de Janeiro, 15 août 1992.
65Groupe de Rio : «Déclaration des chefs d’Etat et de gouvernement du groupe de Rio sur les événements qui se

sont récemment produits entre l’Equateur et la Colo mbie», adoptée à Saint Domi ngue, République dominicaine,
7 mars 2008 (OEA/Ser.G CP/INF.565308) ; UNASUR: Traité constitutif de l’ Union des nations sud-américaines,
23 mai 2008, Préambule, texte disponible sur http://www.integracionsur.com/sudamerica/TratadoUnasurBrasil08.pdf. - 20 -

74. Il ressort de la pratique des Etats que les principaux éléments constituant le noyau de la
notion d’intégrité territoriale, lesquels sont au nombre de trois, sont les suivants. Il y a en premier
lieu la notion de plénitude. Elle consiste en la capacité de remplir toutes les fonctions de l’Etat

partout sur le territoire de l’Etat. Cette plénitude ne peut être limitée que par suite du consentement
de l’Etat intéressé lui-même, ou d’une résolution ay ant force obligatoire adoptée par le Conseil de
sécurité en vertu du chapitreVII de la Charte . L’administration internationale du Kosovo

exemplifie ces deux possibilités. Il faut souligne r, en second lieu, la notio n d’inviolabilité. Cette
notion impose à tout Etat l’obligation de ne pas ex ercer sa juridiction sur le territoire d’un autre
Etat sans son consentement. La Cour permanente a mis l’accent sur la conséquence que ceci

entraîne pour les autres Etats en ces termes: « [l]a limitation primordiale qu’impose le droit
international à l’Etat est celle d’exclure ⎯ sauf l’existence d’une règle permissive contraire ⎯ tout
exercice de sa puissance sur le territoire d’un autre Etat» 66. Le troisième élément est l’existence

d’une garantie contre tout démembrement du territoire. Ceci explique, par exemple, pourquoi la
prestation l’appui à des mouvements sécessionnistes est considérée comme violation de l’intégrité
territoriale de l’Etat intéressé .

75. Dans le droit international contemporain, le principe du respect de l’intégrité territoriale

comporte une obligation qui s’applique non seulement aux Etats et aux organisations
internationales, mais encore à d’autres acteurs internationaux, en particulier ceux qui ont des
rapports avec des conflits internes qui menacent la pa ix et la sécurité internationales. Le cas

d’espèce appuie cette thèse. Le Conseil de sécurité s’ est référé au respect de la souveraineté et de
l’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie (actuellement la Serbie). Ainsi la
résolution 1203 (1998) du Conseil de sécurité vise di rectement les dirigeants albanais du Kosovo.

Après y avoir réaffirmé l’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie, le Conseil
exige que «les dirigeants albanais du Kosovo et tous les autres éléments de la communauté
albanaise du Kosovo respectent strictement et ra pidement les résolutions 1160 (1998) et 1199

(1998)».

76. La résolution 1244 (1999) a réaffirmé «l’a ttachement de tous les Etats membres à la

souveraineté et à l’intégrité territoriale de la République fédérale de Youg oslavie et de tous les
autres Etats de la région, au sens de l’acte fi nal d’Helsinki et de l’annexe2 à la présente
résolution». Pour sa part, l’annexe 2 énumère l es principes à appliquer pour le règlement de la

crise au Kosovo, parmi lesquels figure un «pro cessus politique en vue de l’établissement d’un
accord-cadre politique intérimaire prévoyant pour le Kosovo une autonomie substantielle, qui

tienne pleinement compte des accords de Rambouille t et du principe de la souveraineté et de
l’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie et des autres pays de la région, et la
démilitarisation de l’ALK» . 68

77. Le Conseil de sécurité a pris la même position dans d’ autres cas. Ainsi dans la
résolution787 (1992) il «réaffirme avec force son appel lancé à toutes les parties et aux autres

intéressés pour qu’ils respectent strictement l’ intégrité territoriale de la République de
Bosnie-Herzegovine et affirme qu’aucune entité uni latéralement proclamée ni aucun arrangement
imposé en violation de ladite intégrité ne seront admis» . 69

66Lotus, arrêt n 9, 1927, C.P.J.I. série A n 10, p. 18.
67
Voir, entre autres, les résolutions du Conseil dsécurité 145 (1960), du 22 juillet 1960, 169 (1961), du
24 novembre 1961, 404 (1977), du 8 février 1977 et 496 (1981), du 15 décembre 1981.
68
Principe 8.
69Les italiques sont de nous. - 21 -

78. De même, dans la déclaration prononcée pa r le Président du Conseil de sécurité, en son
nom, le 2 Décembre 1994, il est affirmé :

«Le Conseil de sécurité a pris conna issance avec une profonde préoccupation
d’un rapport du Secrétariat concernant une déclaration du 26 novembre attribuée au
Soviet suprême d’Abkhazie (République de Géorgie). Il exprime sa conviction que

tout acte unilatéral prétendant établir un e entité abkhaze souveraine constituerait une
violation des engagements pris par la pa rtie abkhaze de rechercher un règlement
politique globale du conflit géorgeo-abkhaze. Le Conseil de sécurité réaffirme son

attachement à la souveraineté et à l’inté grité territoriale de la République de
Géorgie.» 70

79. Dans sa résolution 981 (1995), le Conseil de sécurité, en se référant à la situation dans la
Krajina, en Croatie, affirma «son attachement à l’ indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité

territoriale de la République de Croatie» et demanda «au Gouvernement de la République de
Croatie et aux autorités serbes locales de s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la
force et de réaffirmer leur engagement en faveur du règlement pacifique de leurs différends» . 71

80. Plus récemment, dans le contexte de c onflits internes et sécessionnistes, le Conseil de

sécurité a réaffirmé l’intégrité territoriale de la Somalie, de la République démocratique du Congo,
du Soudan et de la Géorgie . 72

81. L’utilisation en droit international de deux poids, deux mesures, n’est pas acceptable,
même si elle est dissimulée sous le voile d’un prétendu cas «spécial» qui ne constituerait pas un

«précédent». Ce genre d’argumentation ne peut se justifier sur le plan juridique. Ce qu’il fait, c’est
de saper le respect dû au droit international, dont il change la perception et réduit l’efficacité. Tout
au long de la crise des Balkans l’Argentine poursuivit une politique de respect strict et cohérent

pour l’intégrité territoriale des Etats dans toutes les situations où le principe était en jeu, c’est-à-dire
par rapport à la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et maintenant la Serbie. La même approche
cohérente a été celle de l’Argentine à l’égard des conflits ayant lieu ailleurs 73. L’Argentine se

permet, respectueusement, de suggérer que l’avis consultatif de la Cour mette l’accent sur la
nécessité de respecter l’intégrité territoriale de tous les Etats, quel que soit l’Etat en cause dans un
cas donné.

82. De plus, une telle réaffirmation de la part de la Cour est particulièrement nécessaire dans

le présent cas, où le Conseil de sécurité, en établi ssant une administration internationale dans une
partie du territoire d’un Etat Membre, a expressément garanti le respect de son intégrité territoriale.

70S/PRST/1994/78 (les italiques sont de nous). Vois aussi la résolution 971 (1995).

71Voir aussi les résolutions du Conseil de sécurité 990 (1995), 994 (1995) et 1009 (1995).
72
Voir les résolutions du Conseil de sécurité 1772 (2007) du 20 août 2007, 1784 (2007) du 31 octobre 2007, 1756
(2007) du 15 mai 2007 et 1808 (2008) du 15 avril 2008.
73
Par exemple, au sujet du conflit sévissant en Géorgie en août 2008, «[l]e Gouvernement argentin tient à
exprimer sa satisfaction devant la cessation des hostilités en Géorgie, à laquelle on est parvenu grâce à des mesures prises
par le président de l’Union européenne et exhorte toutes les Parties intéressées à tr ouver une solution négociée et
mutuellement acceptable au conflit actuel qui respecte les principes universellement acceptés en droit international, tels
que l’intégrité territoriale des Etats et le plein respect des droits de l’homme des personnes touchées.» (Communiqué de
presse n 275/08, 14 août 2008), disponible sur http://www.mrecic.gob.arg. - 22 -

Cette garantie était conforme à toutes les résolutions du Conseil de sécurité adoptées avant la
résolution 1244 (1999) , à la suite de laquelle le Conseil de sécurité n’a pas modifié sa position de

principe à cet égard.

F. L’obligation de respecter les droits de l’homme individuels et les droits des minorités

83. La population du Kosovo a subi et continue de subir des violations graves des droits de

l’homme fondamentaux. L’Argentine a condamné ces crimes, quels que soient leurs auteurs et les
victimes, et a insisté sur la nécessité d’assurer le rétablissement effectif de la jouissance de ces

droits, particulièrement les droits de tous les réfugiés et des personnes déplacées de retourner chez
eux en toute sécurité, une solution juste en ce qui concerne la situation des personnes disparues, et
le respect des droits de tous les groupes ethniques constituant la population du Kosovo. Devant le

Conseil de sécurité l’Argentine a fait observer que :

«L’Argentine est d’avis que le Kosovo ne pourra pas connaître un avenir

prospère et pacifique si l’on ne tient pas pleinement compte de la diversité de sa
population. Il est donc nécessaire de parvenir a une solution durable au problème du
Kosovo, en appliquant pleinement le princi pe de l’intégrité territoriale. Dans ce

contexte, nous pensons qu’il est prioritaire d’insister sur l’importance du respect des
droits de l’homme, y compris ceux des réfugiés et des personnes déplacées. Il faut
également respecter le droit international humanitaire ainsi que les droits des
75
minorités.»

84. Peu de progrès a été accompli en ce qui c oncerne le retour des réfugiés ou les personnes
déplacées. Comme l’indique le rapport du Secrétaire général sur la Mission d’administration

intérimaire des Nations Unies au Kosovo du 24 novembre 2008 «[l]e nombre de retours de
membres d’une minorité a fortement diminué par rapport aux années précédentes et reste
décevant» . Dans son plus récent ra pport, le Secrétaire général a indiqué que «[s]elon les

statistiques concernant les retours pour 2008, le nombre de retours volonta77es d’une minorité au
Kosovo a considérablement baissé par rapport aux années précédentes» . La reconstruction d’une
société multiethnique effective reste encore un objectif à atteindre 78. Pour dire le moins, une

déclaration unilatérale d’indépendance n’est certa inement pas le meilleur moyen de réaliser des
progrès sur ces deux plans.

85. Le fait que les Albanais du Kosovo ont été victimes de violations de droits de l’homme et
qu’une tragédie humanitaire a eu lieu en 1999 n’im plique pas qu’un droit à l’indépendance soit né.

Ce droit, qui constitue un des dénouements possibles de l’exercice du droit d’autodétermination par
les peuples titulaires de ce droit, n’est pas octroyé en fonction de la gravité relative de la violence

infligée à des groupes humains particuliers. La soi-disante théorie de la «sécession corrective»

74 Avant d’adopter la résolution 1244 (1999), le Conse il de sécurité adopta les résolutions 1160 (1998), du
31 mars 1998, 1199 (1998), du 23 septembre 1998, 1203 (1998), du 24 octobre 1998, et 1239 (1999), du 14 mai 1999.

75 Intervention de M.Mayoral (Argentine), Conseil de sécurité des Nations Unies, soixante et unième année,
5373 eséance, 14 février 2006, Nations Unies, doc. S/PV. 5373, p.14.

76Nations Unies, doc. S/2008/692, p. 4, par. 11.
77
Rapport du 17 mars 2009, Nations Unies, doc. S/2009/149, p. 7, par. 21.
78
De nombreux incidents de sécurité de nature interet hnique continuent de se pro duire: Rapport du Secrétaire
général sur la Mission d’administration provisoire des Nations Unies, 17 mars 2009, NationsUnies, doc.S/2009/149,
p.3, par.9-11, Rapport du Secrétaire général sur la Mission d’administ ration provisoire des Nations Unies,
24 novembre 2008, Nations Unies, doc.S/2008/692, p.2, par.6, Rapport du Secrétai re général sur la Mission
d’administration provisoire des Nations Unies, 28 mars 2008, Nations Unies, doc. S/2008/211, p. 3-4, par. 11-12. - 23 -

n’est qu’un argument mis en avant en doctrine et qui n’a pas été retenu du tout sur le plan juridique.
Comme l’a dit la Cour suprême du Canada, «on ne…[sait] pas encore avec certitude si
79
cette…thèse reflète réellement une norme juridique internationale établie» . Les règles
conventionnelles ou coutumières relatives aux droits des minorités, aux niveaux tant individuel que

collectif, ne reconnaissent pas aux minorités le dr oit à l’autodétermination et ne font pas de
distinction sur la base de la gravité relative d es violations des droits de l’homme qu’elles ont
subies .0

86. Dans le cas concret du Kosovo, il faut noter que pendant la période la plus tragique du

conflit, au cours de laquelle de graves violations des droits de l’homme fondamentaux et des règles
du droit international humanitaire ont été commises, toutes les résolutions du Conseil de sécurité

adoptées en 1998 et 1999 sur la situation au Ko sovo ont souligné la nécessité de respecter
l’intégrité territoriale de la RFY, ce qui équivaut à la négation de toute espèce de «sécession
corrective» .81

G. Le principe de l’autodétermination n’est pas applicable

87. L’Argentine a toujours promu et défendu le droit des peuples à l’autodétermination. A

l’heure actuelle ce droit est un principe fondament82 bien établi du droit international qui est,
comme la Cour a eu occasion de l’affirmer , de nature erga omnes. Le droit à l’autodétermination
est toutefois encadré par le droit international, qui détermine aussi bien les titulaires du droit que

son étendue et ses conséquences.

88. Ce n’est pas n’importe quel groupement humain qui peut être titulaire du droit à
l’autodétermination. Comme la Cour l’a fait noter dans le contexte de la décolonisation :

«La validité du principe de l’autodéte rmination, défini comme répondant à la
nécessité de respecter la volonté librement exprimée des peuples, n’est pas diminuée

par le fait que dans certai ns cas l’Assemblée générale n’a pas cru devoir exiger la
consultation des habitants de tel ou tel territo ire. Ces exceptions s’expliquent soit par
la considération qu’une certaine population ne constituait pas « un peuple» pouvant

prétendre à disposer de lui-même, soit la conviction qu’une consultation eût été sans
nécessité aucune, en raison de circonstances spéciales.» 83

79Par.34-135. Version française disponible su r http://scc.lexum.umontreal.ca/fr/1998/1998rcs2-217/
1998rcs2-217.html.

80Voir l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques; la Déclaration sur les droits des
personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, adoptée par résolution 47/135
de l’Assemblée générale ; Convention-cadre pour la protection de s minorités nationales (ouv erte à la signature le
er er o
1 février 1995, en vigueur le 1 février 1998). Série des traités du Conseil d’Europe, n 157 [Nations Unies, Recueil des
traités, vol. 2151, p. 243.]
81
Voir les résolutions du Conseil de sécurité 1199 (1998), 1203 (1998) et 1244 (1999).
82«la Cour considère qu’il n’y rien à redire à l’affrmation du Portugal selon laque lle le droit des peuples à

disposer d’eux-mêmes, tel qu’il s’est déve loppé à partir de la Charte et de lpratique de l’Organisation des Nations
Unies, est un droit opposable erga omnes …Il s’agit là d’un des principes essentiels du droit international
contemporain.» Timor oriental (Portugal c.Aust ralie), arrêt, C.I.J.Recueil1995 , p.102, par.29; voir aussi
Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dan s le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2004, p. 172, par. 88, et p. 199, par. 156.
83
Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 33, par. 59. - 24 -

89. Une prémisse fondamentale de l’applicati on du principe de l’aut odétermination consiste
en ce que le titulaire du droit doit constituer un «peuple». Il s’agit là d’une qualification à effectuer

sur le plan du droit international, non d’une qualification sociologique ou ethnique.

90. Les organes des Nations Unies ont joué un rôle clef dans l’application du principe de
l’autodétermination et ont adopt é un nombre impressionnant de résolutions relatives aussi bien à
des situations générales qu’à des cas particuliers. Ces résolutions ont été adoptées, notamment, par

l’Assemblée générale, le Conseil de tutelle et le comité de décolonisation. A chaque fois que les
organes pertinents ont reconnu l’existence d’un «peuple» au sens du droit et partant ses droits à

l’autodétermination, ils l’ont déclaré expresséme nt. Les organisations régionales ont également
joué un rôle dans l’attributi on à des groupements humains de la qualité de peuples, pouvant à ce
titre revendiquer le droit à l’autodétermination . 84

91. Même dans le cas de la décolonisation, s ituation dans laquelle le principe a mené à la
85
création d’un nombre considérable d’Etats nouvellement indépendants , l’autodétermination n’a
pas été appliquée en toutes circonstances. Les Nations Unies ont mis au point une méthodologie
pour la détermination des territoires ne se gouvern ant pas eux-mêmes et des différentes manières
86
dont on pouvait mettre fin à une situation coloniale . A cet égard on s’est posé la question de
savoir si le principe de l’au todétermination était applicable ou non. Il y a eu des cas où

l’Assemblée générale et son comité de décolonisation ont considéré que le droit à
l’autodétermination n’était pas applicable aux ha bitants de certains territoires ne se gouvernant pas
eux-mêmes . S’agissant du droit à l’autodétermination de territoires sous occupation étrangère, la

reconnaissance de ce droit a eu lieu en ce qui concerne le peuple palestinien. Comme la Cour l’a
fait observer dans son avis cons ultatif de 2004, «[s]’agissant du principe du droit des peuples à

disposer d’eux88êmes, la Cour observera que l’existence d’un «peuple palestinien» ne saurait plus
faire débat» .

92. Rien de semblable ne s’est produit en ce qui concerne le Kosovo. Aux fins de
comparaison, le cas de Timor-Leste est illustratif, puisque, en 1979, le Conseil de sécurité s’en est

occupé en même temps que du Kosovo. Le dro it du peuple de Timor-Leste et son possible choix 89
de l’indépendance ont été reconnus ; cela ne fut pas le cas pour les habitants du Kosovo .

93. Il est particulièrement important de distinguer entre les peuples titulaires du droit à
l’autodétermination et les minorités ou les popul ations autochtones. Dans l’affaire des Miskitos, la

Commission interaméricaine des droits de l’ho mme, tout en reconnaissant le principe de

84 Tel a été le cas des peuples des anciennes colonies pougaises, de l’Afrique du Sud, de la Namibie et de la
Palestine.

85 Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 31, par. 52.

86 Voir, par exemple, les résolutions 9 (I), 66 (I), 1541 (XVI) et 1654 (XVI).
87
Voir les cas de l’Ifni (résolution 2428 (XXIII) de l’Assemblée générale, du18 décembre 1968), de Gibraltar
(résolution 2353 (XXII) de l’Assemblée générale du 19 décembre 1967) et des îles Malvinas (résolutions de l’Assemblée
générale 2065 (XX) du 16 décembre 1965 et 3160 (XXVIII)) du 14 d écembre 1973), entre autres. Voir aussi le projet
d’amendement au texte qui est devenu la résolution 40/21 du 27 novembre 1985, rejeté par l’Assemblée générale
(Nations Unies, doc. A/40/L.20 du 22 novembre 1985).

88 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif ,
p. 182-183, par. 118.

89 Résolution du Conseil de sécurité 1246 (1999), du 11 juin 1999. - 25 -

l’autodétermination des peuples, ajouta qu’il ne fallait pas en conclure qu’elle reconnaissait ce droit
à n’importe quel groupe ethnique en tant que tel et qu’en décider autrement aboutirait à
l’élimination complète de la dis tinction, que le droit internationa l effectue de manière nette, entre
90
les peuples et les minorités .

94. En tout cas, la reconnaissance du droit à l’autodétermination n’implique pas
automatiquement le droit à l’indépendance. La distinction entre l’autodétermination interne et
l’autodétermination externe est pertinente à cet égard. Par exemple la déclaration des

NationsUnies sur les droits des peuples autoch tones, adoptée le 7 septembre 2007, a reconnu le
droit des peuples autochtones à l’autodétermination . Il est toutefois prévu, à l’article 4, que «[l]es
peuples autochtones, dans l’exercice de leur dr oit à l’autodétermination, ont le droit d’être

autonomes et de s’administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et
locales, ainsi que de disposer des moyens de fi nancer leurs activités autonomes». En outre la
déclaration dispose qu’«[a]ucune disposition de la présente déclaration ne peut être interprétée

comme impliquant pour un Etat, un peuple, un gr oupement ou un individu un droit quelconque de
se livrer à une activité ou d’accomplir un acte contraire à la Charte des Nations Unies, ni

considérée comme autorisant ou encourageant aucun acte ayant pour effet de détruire ou
d’amoindrir, totalement ou partiellement, l’intégr ité territoriale ou l’unité politique d’un Etat
souverain et indépendant» . 92

95. Dans le cas du Kosovo, il n’existe, ni à l’intérieur des Nations Unies, ni dans un contexte
régional, reconnaissance aucune de l’applicabilité du droit à l’autodétermination à un prétendu

«peuple kosovar». De plus, la conférence pour la paix en Yougoslavie n’a pas accepté la demande
faite par les représentants des Albanais du Kosovo à être considérés comme titulaires d’un droit à
93
l’indépendance et ils ne furent même pas autorisés à participer aux séances plénières . En
particulier, la commission d’arbitrage de la conférence pour la paix en Yougoslavie ne consentit
pas à ce que les populations serbes de la Croatie et de Bosnie-Herzégovine eussent le droit à
94
l’autodétermination externe , dans une situation ressemblant à celle des Albanais du Kosovo.

96. D’ailleurs les instruments pertinents relatifs au principe de l’autodétermination ont établi
clairement le rapport entre ce principe et celui de l’ intégrité territoriale. La déclaration sur l’octroi
de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, contenue dans la résolution 1514 (XV) de

l’Assemblée générale, après avoir, au para graphe 2, affirmé le droit des peuples à
l’autodétermination, dispose plus bas, dans un autre paragraphe, que «t]oute tentative visant à
détruire partiellement ou totale ment l’unité nationale et l’inté grité territoriale d’un pays est
95
incompatible avec les buts et l es principes des Nations Unies» . Le septième paragraphe du
principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, contenu dans la
résolution 2625 (XXV) et connu comme la «clause de sauvegarde», dispose :

90
The Misquito Case, Case 7964 (Nicaragua), Inter- American Commission on Human Rights, Report on the
Situation of a Segment of the Nicaraguan population of Mi squito Origin, OEA/Ser.L./V .II.62, doc. 10 rev. 3,
29 November 1983, Part Two (B), par. 9. [Affaire Misquitos, affaire 7964 (Nicaragua), Commission interaméricaine des
droits de l’homme, Rapport sur la situation d’une part ie de la population nicaraguayenne d’origine Mosquito,
OEA/Ser.L/V.II.62, doc. 10 rev. 3, 29 novembre 1983, Partie Deux B), par. 9.]
91
Résolution 61/295 de l’Assemblée générale, annexe, article 3.
92
Ibid., art. 46.
93Voir l’échange de correspondance entre le Dr. Rugova, leader des Albanais du Kosovo, et lord Carrington,
président de la conférence de paix pour la Yougoslavie, 22 décembre 1991 et 17 août 1992, réimprimé dans Marc Weller,

Crisis in Kosovo 1989-1999 (Center of International Studies, University of Cambridge, 1999), p. 81 et 86.
94Avis n 2 de la Commission d’arbitrage de la conférence pour la paix en Yougoslavie, Revue générale de droit
international public, t. XCVI (1992), p. 588-589.

95Résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale, du 14 décembre 1960, par. 6. - 26 -

«Rien dans les paragraphes précédents ne sera interprété comme autorisant ou
encourageant une action, quelle qu’elle soit, qui démembrerait ou menacerait,

totalement ou partiellement, l’intégrité te rritoriale ou l’unité politique de tout Etat
souverain et indépendant se conduisant confor mément au principe de l’égalité des

droits et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes énoncé ci-dessus et doté ainsi
d’un gouvernement représentant l’ensemble du peuple appartenant au territoire en
96
question sans distinction de race, de croyance ou de couleur.»

97. Ce paragraphe a été interprété, a contrario, comme acceptant la s97ession si l’Etat n’est
pas doté d’un gouvernement représentant l’ensemble du peuple . Aucun organe compétent ne l’a
interprété de cette manière. Ni les travaux préparatoires 98, ni la pratique ulté rieure ne permettent
99 100
une telle interprétation . D’ailleurs le fait que, dès le début des années 1990 , la population
albanaise a elle-même choisi de ne pas participer dans les organes étatiques yougoslaves (par la

suite serbes) fait obstacle à l’invocation de cette interprétation doctrinale.

98. L’accord de Rambouillet proposé en février 1999 contenait une clause se rapportant au
statut futur dont le texte était le suivant: «Trois ans après l’entrée en vigueur du présent accord,

une réunion internationale sera convoquée en vue de définir un mécanisme pour un règlement
définitif pour le Kosovo, sur les bases de la volonté du peuple, de l’avis des autorités compétentes,
des efforts accomplis par chacune des Parties dans la mise en Œuvre du présent accord, de l’acte

final d’Helsinki, ainsi que pour réaliser une év aluation d’ensemble de la mise en Œuvre du présent
Accord et d’examiner les propositions de mesures complémentaires formulées par les Parties» 101.

99. Il y a bien là une référence à la «volonté du peuple», mais elle n’équivaut absolument pas

à la reconnaissance d’un «peuple» au sens juridique du terme. Il n’y a aucune référence explicite

96Résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale.

97En ce qui concerne cette position doctrinale, voirCh. Tomuschat, «Secession a nd Self-Determination», dans
Secession: International Law Perspectives , Marcelo G. Kohen (dir.de publ.) (Cam bridge: Cambridge Universty Press,
2006), 48; J. Dugard et D. Raic, «The Role of Recognition in the Law and Practice of Secession», dans Marcelo

G. Kohen (dir. publ.), ibid., 28 ; A. Cassese, «Self-Determination of Peoples : A Legal Reappraisal» (Cambridge:
Cambridge University Press 1995), p. 118.
98
Voir le Rapport du Comité spécial des principes du droit international touchant les relations amicales et la
coopération eotre les Et ats, NationsUnies, Documents officiels de l’Assemblée généréle , vingt-quatrième session,
supplément n 19 (A/7619), p.76, par.187; Déclaration de M. Arangi o-Ruiz au nom de l’Ital ie, Comité spécial (1970)
des principes du droit international touc hant les relations amicales et la c oopération entre les Etats, comptes rendus
analytiques de la cent dixième à la cent quatorzième séan ce, tenues au Palais des Nati ons à Genève du 31 mars au
1 mai 1970, Nations Unies, doc. A/AC.125/SR.110-114, p. 22, et p. 110, par. 221.

99Voir, par exemple, dans l’Acte final d’Helsinki, la Déclaration sur les principes régissant les relations
mutuelles des Etats participants, principe IV — voir aussi les principes I et VIII. Pour d’autres instruments
internationaux confirmant le principe de l’intégrité territoriale des Etats, voir chapitre 6, sections B et C, ainsi que la

Recommandation généraleXXI concernant le droit à l’autodéte rmination, adoptée le 23aot996 par le
Comité pour l’élimination de la disc rimination raciale, disponible à l’adre sse http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/8985
86b1dc7b4043c1256a450044f331/54330fdbe4a1a828c1256d500056e49a/$FILE/G0441303.pdf; voir aussi, dans la
Récapitulation des observations générales ou recommandations générales adoptées par les organes créés en vertu
d’instruments internationaux relatifs a ux droits de l’homme (document des Nations Unies HRI/ GEN/1/Rev.1 (1994),
p. 14), l’Observation générale 12, Article premier, adoptée par le Comité des droits de l’homme (vingt et unième session

du 13mars1984), disponible à l’adresse http://docum ents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G94/180/27/pdf/G9418027.
pdf?OpenElement.
100
Une déclaration d’indépendance av ait été adoptée par l’Assemblée du Ko sovo avant l’établissement de cette
pratique : Résolution d’indépendance, 7 septembre 1991; voir Marc Weller, Crisis in Kosovo 1989-1999 (Center for
International Studies, University of Cambridge, 1999), p. 72.
101
En annexe á la lettre en date du 7 juin 1999, adressée au Secrétaire général par le représentant permanent de la
France auprès de l’Organisation des Nations Unies, Nations Unies, doc. S/1999/648, p. 65, par. 3. - 27 -

au droit à l’autodétermination. On ne peut pas non plus y trouver une référence implicite à

celle-ci : la «volonté du peuple» n’apparaît dans la clause que comme une base devant être prise en
considération. A l’inverse, si le principe de l’ autodétermination était app licable, la «volonté» du
peuple serait primordiale; ce ne serait pas seulement un élément à prendre en compte, parmi

d’autres, en vue de la détermination du statut futur. En outre, la référence à l’acte final d’Helsinki,
lequel a mis en exergue le respect de l’intégrité te rritoriale et l’inviolabilité des frontières, est un
autre élément confirmant que la proposition présentée à Rambouillet n’équivalait pas à une

reconnaissance de l’applicabilité du principe de l’autodétermination aux habitants du Kosovo.

100. En conséquence le principe de l’autodétermination ne peut être invoqué, sur le plan

juridique, pour prétendre que la déclaration d’indépendance du 17 février 2008 est conforme au
droit international.

H. L’obligation de parvenir à un règlement au moyen de la négociation

101. En établissant une administration internationale pour le Kosovo, le Conseil de sécurité a

également déterminé la procédure par laquelle le statut futur du territoire serait arrêté. Il a partant
envisagé la fin de la présence internationale. La résolution 1244 (1999) dispose donc que la
présence civile internationale aurait à «[f]acilite r un processus politique visant à déterminer le
statut futur du Kosovo, en tenant compte des accords de Rambouillet» 102, à la suite de quoi elle

aurait, «[à] un stade final», à «superviser le tr ansfert des pouvoirs des institutions provisoires du
Kosovo aux institutions qui auront été établies dans le cadre d’un règlement politique» 103.

102. Il est clair que, comme il a été d’ailleur s confirmé par la suite, les termes «processus
politique» et «règlement politique» devaient s’ entendre de négociations entre les parties

intéressées, c’est-à-dire le Gouvernement central de la Serbie et les représentants des Albanais du
Kosovo et plus tard le gouvernement local de la province du Kosovo sous administration
internationale. Aux termes de l’annexe 2 de la résolution 1244 (1999), «[l]es négociations entre les
parties en vue d’un règlement ne devraient pas retarder ni perturber la mise en place d’institutions

d’auto-administration démocratiques». Un «r èglement politique» signifie également un accord
conclu grâce à ces négociations. Pour sa part, le te rme «statut futur» implique qu’il existe un
«statut actuel»; tant qu’on n’est pas parvenu à un «règlement politique» le statut actuel subsiste.

Ceci est particulièrement clair dans le présent cas, et ce pour deux raisons. En premier lieu les
négociations mettent en cause le gouvernement d’un Etat et celui d’une de ses composantes
internes; et, en second lieu, les négociations visen t, non pas à régler un différend concernant le

statut juridique d’une situation existante, mais la modification d’une situation existante.

103. Bien que les négociations n’aient pas lieu entre deux sujets du droit international, elles

ont néanmoins un caractère international, car elles fo nt partie d’un régime international établi par
une résolution adoptée par le Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII de la Charte et ayant
force obligatoire. Ce n’est pas le seul cas où une situation telle a pris naissance. Après qu’ils

eurent été qualifiés par le Conseil de sécurité co mme des menaces contre la paix et la sécurité
internationales, d’autres conflits internes furent l’ objet de résolutions par lesquelles cet organe a
demandé que des négociations soient menées entre les parties aux conflits 104.

102Par. 11 e).
103
Par. 11 f).
104C’est ce qui est arrivé dans les cas de la Somalie, de la République démocratique du Congo, du Soudan et de la
Géorgie, mentionnés ci-dessus, par. 80. - 28 -

104. Un élément important des négociations concernant la province du Kosovo a été le rôle

joué par l’envoyé spécial du Secrétaire généra l, M.MarttiAhtisaari, q105a agi en tant que
médiateur. Sa proposition globale, acceptée par le Secrétaire général , n’a pas et ne peut pas
avoir force obligatoire. Pour cette raison il n’est pas nécessaire de se demander ici si cette

proposition satisfait aux exigences de la résolution 1244 (1999), ni même si le processus a été mené
de manière impartiale, puisqu’il ne s’agit que d’une proposition soumise à la considération des
parties et qui en tant que telle ne peut leur être imposée comme si elle avait force obligatoire.

105. La Cour a déjà décrit de manière minutieuse les caractéristiques principales des moyens
pacifiques de régler les différends internationaux :

«Définissant dans son avis consultatif sur le Trafic ferroviaire entre la
Lithuanie et la Pologne la teneur de l’obligation de négocier, la Cour permanente a dit
que cette obligation «n’est pas seulement d’entamer des négociations, mais encore de

les poursuivre autant que possible, en vue d’arriver à des accords», même si
l’engagement de négocier n’impliquait pas celui de s’entendre ( C.P.J.I. sérieA/B
n° 42, p.116). Dans la présente affaire on doit noter que, quels qu’en aient été les

détails, les négociations menées en 1965 et 1966 n’ont pas atteint leur but parce que
les Royaumes du Danemark et des Pays-Bas, convaincus que le principe de
l’équidistance était seul applicable et cela par l’effet d’une règle obligatoire pour la

République fédérale, ne voyaient aucun motif de s’écarter de cette règle, de même
que, vu les considérations d’or dre géographique dont il est fait état au paragraphe7
ci-dessus in fine, la République fédérale ne pouvait accepter la situation résultant de

l’application de cette règle ; les négociations menées jusqu’à présent n’ont donc pas
satisfait aux conditions énoncées au paragraphe 85 a), mais de nouvelles négociations
doivent se tenir sur la base du présent arrêt.» 106

106. Sous réserve des ajustements nécessai res pour l’adapter au cas d’espèce, l’analyse
précédente s’applique au cas du Kosovo. Les négocia tions doivent être conduites de bonne foi. Si

elles n’aboutissent pas, il faut mener de nouvelles négociations dans le but de parvenir à un accord
basé sur ce que prévoit la résolution 1244 (1999) et conforme au droit international.

I. L’obligation accessoire de ne pas adopter de mesures unilatérales qui tentent d’imposer
un fait accompli

107. Par définition négocier implique qu’une des parties ne peut pas unilatéralement imposer
sa position à l’autre. Si des négociations ou une médiation échouent, les pa rties doivent continuer
de rechercher un règlement au moyen de négociatio ns ultérieures ou par un autre moyen de régler
les différends de manière pacifique. Comme le disp ose la déclaration de Manille sur le règlement

pacifique des différends internationaux :

105Lettre en date du 26 mars 2007 adressée au Président du Conseil de sécurité parle Secrétaire général,

Nations Unies, doc. S/2007/168.
106Plateau continental de la mer du Nord (Républiquefédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale
d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J.Recueil1969, p.47-48, par.87. Voir aussi Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.Nigéria; Guinée é quatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p.424,
par. 244. - 29 -

«Au cas où les parties à un différend ne parviendraient pas rapidement à une
solution par l’un des moyens susmentionnés, elles doivent continuer de rechercher une
solution pacifique et se consulter sans dé lai pour trouver des moyens mutuellement
107
acceptables de régler leur différend.»

108. En l’espèce, l’inadmissibilité d’une solu tion unilatérale imposée a été explicitement
mentionnée au début des négociations. Le groupe de contact a adopté des principes directeurs

relatifs à ces négociations,108 déclarant que «[t]oute so lution unilatérale résultant de l’emploi de la
force sera inacceptable» .

109. Auparavant, du temps de la création des institutions provisoires d’administration
autonome, le document commun MINUK/RFY, signé le 5 novembre 2001, réaffirma clairement

que «la situation concernant le statut futur du Kosovo continue d’être celle établi par la
résolution 1244 du Conseil de sécurité et ceci ne pe ut être changé par quelque mesure que ce soit
prise par les institutions provisoires d’administration autonome» 109. Le Conseil de sécurité se

félicita de la signature de ce document et déclar a: «qu’il incombe aux institutions provisoires de
l’administration autonome et à tous les intéressés d’appliquer intégralement les dispositions de la
résolution 1244 (1999) concernant le statut définitif» 110. Il réaffirma «son engagement en faveur

de la pleine application» de la résolution 1244 (1999), «qui reste la base sur laquelle l’avenir du
Kosovo sera bâti».

110. Les principes directeurs établis par le gr oupe de contact en vue du règlement du statut

du Kosovo ont également réaffirmé que «le Conseil de sécurité demeur111 activement saisi de la
question et devra approuver la décision finale sur le statut du Kosovo» .

111. Pour que des négociations soient fructueuses, chaque partie doit veiller à ne pas adopter
de mesures unilatérales susceptibles d’aggraver le différend ou la situation conflictuelle et d’en

empêcher le règlement. Il s’agit là d’un important corollaire de l’obligation de régler les di112rends
par des moyens pacifiques, un des principes fondamentaux du droit international , applicable en
l’espèce.

112. Les considérations qui précèdent sont également pertine
ntes pour les Etats qui ont

appuyé la solution proposée par M.Ahtisaari et ont par la suite encouragé la proclamation de la
déclaration unilatérale d’indépendance, qu’ils ont appuyée dans une campagne lancée par eux en
faveur de la reconnaissance. Le fait que, pour accomplir leur objectif, ces Etats n’aient pas pu

obtenir le consentement de la partie intéressée ne devrait pas mener à une tentative pour imposer
cet objectif au moyen de ce qui n’est qu’un fait accompli. Dans le contexte actuel une telle
politique peut être qualifiée d’intervention et, comme la Cour l’a pertinemment fait observer il y a

107
Résolution 37/10 de l’Assemblée générale, du 15 novembre 1982. Voir aussi la déclaration sur les principes
de droit international, annexée à la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale.
108
Annexe à la lettre en date du 10 nove mbre 2005, adressée au Secrétaire général par le président du Conseil de
sécurité, Nations Unies, doc. S/2005/709, p. 3, par. 6 (les italiques sont de nous).
109Les italiques sont de nous. UNMIK/RFY, Common Document (5 novembre 2001), par.5 (disponible sur

http://www.mfa.gov.yu/Policy/Priorities/KIM/unmik_e.html).
110Les italiques sont de nous. Déclaration du président du 9 novembre 2001, NationsUnies,
doc. S/PRST/2001/34.

111Nations Unies, doc. S/2005/709, 10 novembre 2005 (annexe)

112 Voir la Déclaration sur les relations amicales, adoptée par la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale,
24 octobre 1975. - 30 -

cinquante ans, il s’agit de «la manifestation d’une politique de force, politique qui, dans le passé, a
donné lieu aux abus les plus graves et qui ne saura it, quelles que soient les déficiences présentes de
l’organisation internationale, trouver aucune place dans le droit international» 113.

113. Au cours des débats qui ont conduit à l’adoption de la requête pour avis consultatif, on a

prétendu que c’était la Serbie qui a unilatéral ement fait échouer les négociations en adoptant une
nouvelle constitution qui «réaffirmait unilatéralement le contrôle sur le Kosovo» et partant liait les
114
mains des négociateurs serbes . Ceci n’est pas exact. La nou velle Constitution réaffirmait la
souveraineté serbe sur le Kosovo et prévoyait explicitement qu’il jouirait d’une autonomie
substantielle 115, ce qui est conforme à la résolution 1244 (1999). De plus la Constitution prévoit
116
qu’elle peut être amendée . Cet argument est par conséquent dépourvu de toute pertinence.

114. Au contraire: c’est la déclaration unila térale d’indépendance e lle-même qui tente de
modifier la situation existante et de mettre fin aux négociations entre les parties.

Section III. La réponse à la question soulevée par l’Assemblée générale

115. Les règles et principes du droit international relatifs à la question posée par l’Assemblée
générale ayant été exposés, il reste à déterminer si la déclaration unilatérale d’indépendance du
17février2008 est en conformité avec ces règles et principes. Tel sera l’objectif de la présente

section.

A.Les institutions provisoires d’administra tion autonome n’ont pas compétence pour
proclamer l’indépendance du Kosovo

116. Comme on l’a fait voir, les institutions provisoires d’administration autonome n’ont pas
compétence pour proclamer l’indépendance du Kosovo 117. Dès lors, comme ces institutions sont
des organes créés par le représentant spécial du Secrétaire général dans le cadre des responsabilités

dont l’investit la résolution 1244 (1999) du Co nseil de sécurité, leur déclaration unilatérale
d’indépendance est un acte qui dépasse et leur comp étence et le cadre constitutionnel établi par le

règlement 2001/9 de la MINUK.

B. La déclaration unilatérale d’indépendance est contraire à la résolution 1244 (1999)

117. Comme on l’a fait voir plus haut, le régime juridique international applicable à la
118
situation au Kosovo est conte nu dans la résolution 1244 (1999) . Les institutions provisoires
d’administration autonome, qui ont été créées par cette résolution, sont, naturellement, tenues de
respecter ses dispositions.

113Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 35.
114 e
Sir John Sawers (Royaume-Uni), Assembl ée générale, soixante troisième session, 22 séance plénière,
8 octobre 2008, Nations Unies, doc. A/63/PV.22, p. 3.
115
Préambule et article 182. Texte disponible sur h ttp://www.parlament.sr.gov.yu/content/eng/akta/ustav
/ustav_ceo.asp.
116
Art. 203. Texte disponible sur ibid.
117Ci-dessus, par. 61-64.

118Ci-dessus, par. 65. - 31 -

118. La déclaration unilatérale d’indépendance du 17 février 2008 enfreint la résolution 1244

(1999) d’un certain nombre de manières :

⎯ la déclaration ne tient pas du tout compte du fait qu’il est obligatoire de continuer d’appliquer

la résolution elle-même, et comme telle elle vi se à porter atteinte aux pouvoirs du Conseil de
sécurité au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies ;

⎯ elle va à l’encontre de l’autorité de l’administration internationale établie par la résolution ;

⎯ elle tente de mettre fin à cette présence, établie en vertu de la résolution, ce qui ne peut être fait
que par le Conseil de sécurité lui-même ;

⎯ elle méconnaît le processus politique qui doit mener à la détermination du statut futur du
territoire, c’est-à-dire des négociations entre les parties intéressés ;

⎯ elle cherche à imposer un règlement politique donné, alors qu’un règlement ne peut être adopté
que par suite de négociations ;

⎯ elle ne respecte pas la souveraineté et l’intégr ité territoriale de la Serbie, que la résolution
sauvegarde de manière explicite.

119. Le mépris manifeste avec lequel est traité e une résolution du Conseil de sécurité qui est
en vigueur est mis en évidence dans le dernie r rapport du Secrétaire général sur le Kosovo:

«Soumises à une forte pression de la part des partis d’opposition, les autorités du Kosovo ont
affirmé à maintes reprises au cours des derniers mois que la résolution 1244 (1999) n’était plus
pertinente et que les institutions du Kosovo n’étaient pas légalement tenues de s’y conformer.» 119

120. Si les Etats Membres sont tenus de se conformer aux résolutions du Conseil de sécurité,
il en va de même pour les organes créés directement par des résolutions du Conseil de sécurité. On

ne peut pas tolérer le grave préjudice que les in stitutions provisoires d’administration autonome du
Kosovo ont porté au système de sécurité collective mis en place par la Charte. La crédibilité même
du système est compromise.

C. La déclaration unilatérale d’indépendance viole l’intégrité territoriale de la Serbie

121. Comme on l’a fait voir plus haut, le respect de l’intégrité territoriale des Etats n’est pas
seulement une obligation des Etats; il constitue une obligation opposable de même aux parties à
des conflits armés internes qui sont une menace c ontre la paix et la sécurité internationales 12.

Comme on l’a déjà fait voir, le respect pour la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Serbie est
expressément prévu par la résolution 1244 (1999).

122. Puisque l’objectif de la déclaration un ilatérale d’indépendance du 17 février 2008 n’est
rien d’autre que la création d’un nouvel Etat souverain assis sur le territoire soumis à la
souveraineté d’un Etat existant, la déclaration viole l’obligation de respecter l’intégrité territoriale

de la Serbie.

119
Rapport du Secrétaire général sur la Mission d’ad ministration intérimaire au Kosovo, 17mars2009,
Nations Unies, doc. S/2009/149, par. 4.
120Ci-dessus, par. 69-82. - 32 -

D. La déclaration unilatérale d’indépendance constitue une violation de l’obligation de régler

les différends par des moyens pacifiques

123. En outre la déclaration unilatérale d’indépendance du 17 février 2008 va à l’encontre de

l’obligation des institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo de négocier le statut
futur du territoire avec l’Etat souverain. Cette ob ligation découle non seulement de la résolution
1244 (1999) mais encore du droit international général.

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124. Comme on l’a déjà indiqué , les acteurs autres que des Etats sont, particulièrement
dans les cas de conflits affectant la communauté internationale, tenus de se conformer aux

décisions prises par le Conseil de sécurité en vert u du chapitre VII de la Charte des Nations Unies
et ayant force obligatoire. Lorsque le Conseil de sécurité impose à toutes les parties à un différend
l’obligation de résoudre la crise par des négocia tions ou d’autres moyens de règlement pacifique,
cette obligation implique que les règles générales relatives au règlement pacifique des différends

internationaux sont applicables. Concrète ment, ceci signifie que l’échec d’une ronde de
négociations n’exonère pas les parties de l’oblig ation de poursuivre le règlement du différend en
utilisant les moyens pacifiques disponibles, y compris de nouvelles négociations.

125. En conséquence, la déclaration un ilatérale, du fait qu’elle vise à mettre fin
unilatéralement au processus de négociation, constitue une violation de l’obligation de régler les

différends par des moyens pacifiques.

EL. a déclaration unilatérale d’indépe ndance ne peut s’appuyer sur des motifs
juridiquement valables

126. Après avoir établi que la déclaration unilatérale d’indépendance du 17 février 2008 est

un acte qui dépasse les pouvoirs des institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo
et est au mépris de la résolution 1244 (1999), de l’intégrité territoriale de la Serbie et de
l’obligation de régler les différends par des moyens pacifiques, on doit maintenant examiner si sur

le plan juridique il existe des motifs pouvant justifier la déclaration.

127. La déclaration unilatérale d’indépendan ce du 17 février 2008 ne peut se fonder ni sur

l’existence d’un droit de sécession découlant du droit interne ni sur le consentement donné
ultérieurement par l’Etat parent. En ce qui c oncerne la première possibilité, il faut noter que
certaines constitutions prévoient un tel droit. Cela fut le cas, d’ailleurs, de la constitution de la

RFSY de 1974 ; mais elle limitait ce droit aux républiques constitutives (la Bosnie-Herzégovine, la
Croatie, la Macédoine, le Monténégro, la Serbie et la Slovénie), sans l’accorder aux provinces (le
Kosovo et la Vojvodine) 122. Les constitutions ultérieures, comme celles de la République fédérale

121
Ci-dessus, par. 75.
122La partie I du préambuleintitulée Principes fondamentaux, de la Constitution de la Ré publique socialiste
fédérative de Yougoslavie, 1974, dispos: «[l]es peuples de Yougoslavie…partant du droit de chaque peuple à
l’autodétermination, y compris le droit à la sécession». - 33 -

de Yougoslavie, de la Serbie-et-Monténégro et de la Serbie n’accordaient ce droit aux régions
autonomes non plus 123. Comme tout le monde le sait, la Serbie n’a pas consenti à la sécession du
124
Kosovo. Elle a, tout au contraire, disposé que la déclaration unilatérale était nulle et non avenue .

128. En outre la situation du Kosovo tranche on ne peut plus nettement sur d’autres, comme
celles du Bangladesh, de l’Erythrée et des Etats baltes, où les Etats parents ont accepté le
détachement de certaines parties de leurs territoires et leurs habitants. Dans le cas de l’Erythrée,

d’ailleurs, le territoire de cette ancienne coloni e italienne avait été incorporé à l’Ethiopie par une
résolution de l’Assemblée générale ayant force obligatoire, sous la condition que le territoire
125
jouirait d’autonomie dans le cadre d’une fédération . Dans le cas des Etats baltes, leur annexion
illégale en 1940 est en rapport avec leur séparation u ltérieure de l’Etat parent. Il est clair que ces
situations sont différentes de celle du Kosovo.

129. On pourrait être tenté de soutenir que la création des Etats est une question de fait, non

de droit. Certes un Etat ne peut pas exi126r en l’absence des éléments matériels traditionnellement
reconnus comme composant l’Etat . A l’heure actuelle, toutefois, la création d’Etats doit être le
résultat d’un processus qui assure le respect du dro it international. C’est pourquoi des entités

prétendant au statut d’Etat et établissant qu’elles ont un contrôle effectif et exclusif du territoire et
de ses habitants, mais qui ont été créées en violation du droit interna tional, n’ont pas été
considérées comme constituant des Etats. On peut en donner comme exemples les cas du

«Katanga», de la «Rhodésie du Sud», de la «R épublique turque de Chypre du Nord» et du
«Somaliland», entre autres. Le fait que de nos jours la création des Etats soit une matière juridique

signifie que le droit international ne reste pas ne utre devant la sécession. Pour cette raison la
déclaration unilatérale d’indépendance ne peut produire l’effet auquel elle vise. Et ce d’autant plus
que, comme on l’a indiqué plus haut 127, dans le cas du Kosovo les institutions provisoires

d’administration autonome n’exercent pas de contrôle effectif et exclusif qui soit comparable.

130. En bref, il n’y a aucun motif qui sur le plan juridique justifie la déclaration unilatérale
d’indépendance.

131. Avant de conclure, l’Argentine désire insister sur la nécessité de relancer les
négociations entre les parties intéressées en vue de parvenir à un règlement durable sur la base du

droit international, qui permette à tous les habitants du territoire, y compris les personnes
déplacées, qui ne sont pas en mesure d’exercer leur droit de retour, de jouir pleinement des droits
de l’homme dans le cadre d’une société multiethnique. Des solutions novatrices mais conformes

au droit international sont toujours possibles; or il est certain qu’entre 2005 et 2007, c’est-à-dire

123Voir les articles 2, 3 et 6 de la Constitution de la République fédérale de Yougoslavie de 1992 ; le Préambule
et l’article 5 de la Charte constitutionnelle de l’Union de Se rbie et Monténégro de 2003 ; et l’article 8 de la Constitution
de la République de Serbie de 2006, actuellement en vigueur et disponible sur le site Internet de l’Assemblée nationale de
la République de Serbie <http://www.parlament.sr.gov.yu/content/eng/akta/ustav/ustav_ceo.asp&gt;.

124Voir la lettre en date du 17 février 2008 adressée par M. Boris Tadic, président de la République de Serbie, au
Secrétaire général, Nations Unies, doc. A/62/703-S/2008/111.

125«L’Erythrée constituera une unité autonome, fédérée avec l’Ethiopie sous la souveraineté de la Couronne
d’Ethiopie.»

126Voir l’article premier de la convention de Montevideo sur les droits et les devoirs des Etats, adoptée par la
7econférence internationale américaine, tenue à Montevideo le 26 décembre 1933, Société des Nations, Recueil des
traités, vol.CLXV, p.20. Voir également l’avis n o1 de la Commission d’arbitrage de la conférence pour la paix en
Yougoslavie, Revue générale de droit international public, t. XCVI (1992), p. 588-589.

127Ci-dessus, par. 35. - 34 -

pendant les négociations menées par M. Ahtisaari, toutes ces possibilités n’ont pas été explorées. Il
incombe d’ailleurs aux Etats directement intéressés au processus devant aboutir à un statut définitif

du Kosovo d’exhorter les parties à respecter le dr oit international, en tant qu’élément essentiel du
comportement de tout acteur jouant un rôle dans les relations internationales.

Conclusions

132. Sur la base des arguments exposés plus haut, l’Argentine soumet respectueusement les
conclusions suivantes :

a) la Cour est compétente pour répondre à la question posée par l’Assemblée générale ;

b) il n’y a pas de raisons décisives pour que la Cour s’abstienne d’exercer sa compétence
consultative en l’espèce ;

c) la déclaration unilatérale d’indépendance adoptée par les institutions provisoires
d’administration autonome du Kosovo n’est pas conforme au droit international, puisque :

i) il s’agit d’un acte dépassant les pouvoirs de ses auteurs, tels qu’ils leur ont été conférés par
la résolution 1244 (1999) et le cadre constitu tionnel adopté par le règlement 2001/9 de la
MINUK ;

ii) la déclaration constitue une atteinte aux pouvoirs et responsabilités du Conseil de sécurité
au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies ;

iii) la déclaration viole, de la manière décr ite au paragraphe118 du présent exposé écrit, la

résolution 1244 (1999) ;

iv) la déclaration constitue une violation de l’intégrité territoriale de la Serbie ;

v)la déclaration constitue une violation de l’obligation de régler les différends par des

moyens pacifiques, et en particulier de celle de parvenir à un règlement du statut futur du
Kosovo par la voie de la négociation.

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Exposé écrit de l'Argentine (traduction du Greffe)

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