Réplique de la République de Guinée

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15947
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

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AFFAIRE AHMADOU SADIO DIALLO

REPUBLIQUE DE GUINEE c.
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO

REPLIQUE

DE LA REPUBLIQUE DE GUINEE

LIVRE I

19 novembre 2008 INTRODUCTION

1. La présente réplique est déposée par la République de Guinée conformément à

l’ordonnance de la Cour du 5 mai 2008 autorisant la présentation d’une réplique par l’Etat

demandeur et d’une duplique par l’Etat défendeur – la date d’expiration du délai pour la

remise de la première ayant été fixée au 19 novembre 2008.

2. Après que la République de Guinée a déposé son mémoire le 23 mars 2001, la
République démocratique du Congo a soulevé le 3 octobre 2002 des exceptions préliminaires

portant sur la recevabilité de la requête, en conséquence de quoi la procédure sur le fond a été

suspendue jusqu’au prononcé de l’arrêt sur les exceptions préliminaires. Celui-ci ayant été

rendu le 24 mai 2007, la Cour a fixé, dans son ordonnance du 27 juin 2007, au 27 mars 2008

la date d’expiration du délai pour le dépôt du contre-mémoire. La République démocratique

du Congo a présenté celui-ci dans le délai imparti. La présente réplique a pour objet d’y

répondre, dans le respect de la directive posée à l’article 49, paragraphe 3, du Règlement de la

Cour .

3. Bien que les phases de la recevabilité et du fond soient distinctes par nature, la Guinée

souhaite préciser dans cette introduction dans quelle mesure l’arrêt rendu par la Cour le

24 mai 2007 n’est pas dénué de toute incidence sur l’examen de la réclamation au fond.

4. Il va de soi tout d’abord que la demande de la Guinée ne peut plus porter désormais

que sur les deux aspects de la requête jugés recevables par la Cour : l’atteinte portée aux

« droits de M. Diallo en tant qu’individu » d’une part, l’atteinte portée aux « droits propres de

M. Diallo en tant qu’associé des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre » d’autre

1 « La réplique et la duplique (…) ne répètent pas simplement les thèses des parties mais s’attachent à faire
ressortir les points qui les divisent encore ».

1part . En revanche, les demandes relatives aux « atteintes alléguées aux droits de [ces deux]

sociétés », ayant été jugées irrecevables , ne peuvent faire l’objet d’un examen au fond . 4

S’agissant des éléments de la requête déclarés recevables, la Guinée maintient la demande de

réparation formulée dans son mémoire comme conséquence des faits internationalement

illicites commis par le Congo, tout comme elle maintient sa demande d’être autorisée par la

Cour à ne pas se prononcer à ce stade de la procédure sur l’évaluation du montant dû par
5
l’Etat défendeur à titre d’indemnisation . La Guinée tient aussi à rappeler qu’elle n’a

cependant pas l’intention de reprendre en l’état les évaluations présentées en annexe à sa

requête quant au montant du préjudice qui lui a été causé en la personne de son ressortissant,

pour les motifs déjà indiqués dans ses observations sur les exceptions préliminaires . 6

5. La Guinée estime utile de rappeler ensuite qu’en vertu du principe de l’autorité de la

chose jugée, les parties sont liées par les constatations de fait et de droit opérées par la Cour

dans son arrêt du 24 mai 2007. Parmi elles, certaines sont susceptibles de revêtir un intérêt

pour l’examen du fond de l’affaire. Il en va par exemple ainsi des faits dont la Cour a

considéré qu’ils ont été admis par les deux Parties . 7

6. La Guinée souhaite enfin souligner que l’irrecevabilité de la demande relative aux

atteintes portées aux droits des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre n’implique

aucunement que ces atteintes sont désormais privées de tout effet ou de toute pertinence dans

l’examen du fond de l’affaire tel qu’il a été délimité par l’arrêt du 24 mai 2007 :

(i) en premier lieu, les mesures prises par l’Etat défendeur contre ces deux sociétés

permettent de comprendre le contexte factuel dans lequel M. Diallo a été arrêté, détenu puis

expulsé en violation du droit international, et à ce titre elles font toujours partie intégrante du

dossier ;

(ii) en deuxième lieu, compte tenu des liens très étroits unissant M. Diallo aux deux

sociétés privées à responsabilité limitée dont il était l’unique gérant et associé à l’époque des

2Arrêt du 24 mai 2007, par. 98, 3.
3
4Id.
Sous réserve de la remarque incidente figurant au paragraphe 59 de l’arrêt.
5V. MG, p. 7, pars. 1.17-1.18, et p. 108, par. 5.2.
6 V. OG, pp. 2-3, par. 0.09 ; v. également CR 2006/51, p. 10, par. 10 (Agent de la Guinée) et C-M, p. 6, par.
0.02.
7
Arrêt du 24 mai 2007, par. 14.

2faits litigieux, la détermination de l’atteinte portée aux droits de M. Diallo et l’estimation du

préjudice subi en conséquence devront nécessairement être opérées en tenant étroitement

compte de l’interdépendance de leurs intérêts juridiques respectifs. Les droits d’associé de

M. Diallo constituent le point de jonction privilégié entre ces intérêts juridiquement protégés.

Il est clair en particulier que toute atteinte portée aux droits des sociétés ne pouvait manquer

d’exercer un effet sur les droits de l’associé unique, et réciproquement. L’Etat défendeur ne

l’a d’ailleurs pas envisagé différemment puisqu’il a décidé d’agir contre la personne de

M. Diallo dans le seul but d’atteindre ses sociétés.

7. Au bénéfice de ces remarques, la République de Guinée répondra aux allégations de

fait et de droit contenues dans le contre-mémoire à l’appui de l’idée selon laquelle la

République démocratique du Congo « n’a[urait] pas engagé sa responsabilité internationale

dans la présente espèce » en traitant successivement des atteintes portées aux droits de

M. Diallo en tant qu’individu (Chapitre 1) et de celles portées à ses droits propres d’associé

(Chapitre 2). La Guinée indiquera ensuite en quoi consiste le droit à réparation qui lui est dû

en conséquence (Chapitre 3) et présentera ses conclusions.

8C-M, p. 7, par. 0.05.

3 CHAPITRE 1

LA VIOLATION PAR LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO

DES DROITS DE M. DIALLO EN TANT QU’INDIVIDU

1.1 Dans ses précédentes écritures, la République de Guinée s’est attachée à retracer en

détail l’histoire de son ressortissant à compter de son arrivée au Zaïre. Y sont notamment

rappelés l’ampleur de son investissement dans ce pays et la qualité des services qu’il a pu

rendre, à travers ses sociétés, tant à la communauté zaïroise des affaires qu’à l’administration

publique . Le contre-mémoire de la RDC n’y consacrant pas une ligne, la présente réplique

n’y reviendra pas.

1.2 Pour autant, ces faits demeurent pertinents en ce qu’ils éclairent la personnalité de M.

Diallo et la nature des activités qu’il avait développées au Zaïre, à travers ses sociétés, avant

que les autorités de ce pays ne recourent à des procédés illégaux et arbitraires pour l’en

éloigner. L’image de M. Diallo qui en ressort est évidemment bien différente de celle que la

RDC cherche à faire voir en s’attachant à répéter que les événements dont il a été victime ne

seraient que la conséquence normale des activités répréhensibles qu’il aurait conduites de

manière quasi obsessionnelle sur le territoire congolais, sous la forme de « corruption et

crimes économiques » , d’« activités criminelles » , ou encore de « corruption de

magistrats » . Mais la litanie, déjà présente dans les exceptions préliminaires , n’est qu’un

écran de fumée et, à lire attentivement les écritures de la RDC, aucune de ces accusations

n’est précise, ni étayée par le moindre élément de preuve.

1.3 Cette pratique congolaise consistant à accuser à tort M. Diallo d’activités illégales n’est

du reste pas une nouveauté ; elle correspond à une habitude prise par le défendeur dès 1988,

date à laquelle l’homme d’affaires guinéen fut interpellé puis incarcéré durant une année de

manière totalement arbitraire pour d’imaginaires faits d’escroquerie inventés aux seules fins

d’empêcher une de ses sociétés de percevoir le montant de créances incontestablement dues

9
MG, pp. 10-31, pars. 2.22-2.65; OG, pp. 9-24, pars. 1.14-1.60.
10Ibid.
11Ibid.
12C-M, p. 12, par. 1.10.
13
Sur ce point, voir OG, p. 5, par. 1.03, et pp. 7-8, pars. 1.09-1.12.

4par le trésor public zaïrois. Vingt ans après, les accusations proférées à l’encontre de M.

Diallo dans le contre-mémoire du 27 mars 2008 s’inscrivent dans la même logique : elles

visent à donner un semblant de justification à son expulsion de janvier 1996, mais sont tout

aussi imprécises, vagues, et surtout infondées – à aucun moment, ni dans son contre-mémoire

ni, a fortiori, au moment des faits, la RDC n’a du reste avancé le moindre élément à leur

appui.

1.4 Pour seule preuve de ses insinuations, la RDC se borne d’ailleurs à dresser l’inventaire

de ce qu’était le Zaïre des années 1990, alors qu’il était marqué par un « climat généralisé de

déliquescence et de dissolution […], de dégradation croissante de l’économie congolaise et de

dépravation des mŒurs à grande échelle sur fond d’affrontements politiques pour le contrôle

du pouvoir dans le pays et l’accès aux privilèges » . Ces faits sont connus, et la Commission

des droits de l’homme avait déjà tiré des conclusions du même ordre en décembre 1994 en

soulignant dans un rapport que : «[a]u Zaïre, la légalité n'est pas respectée depuis des

décennies » . Mais si elles sont exactes, ces observations ne soutiennent cependant en rien

les insinuations et accusations du contre-mémoire tendant à faire de M. Diallo un présumé

coupable de crimes multiples. Bien au contraire, elles rappellent que le contexte dans lequel

M. Diallo a été victime des méthodes expéditives et arbitraires des autorités congolaises était

celui d’un pays où les autorités instrumentalisaient le pouvoir et s’affranchissaient de la loi.

Les pièces du dossier sont du reste constantes à cet égard : M. Diallo a été la victime d’un Etat

qui a commis à son encontre des violations graves des droits que, en tant que personne

physique, il tire du droit international, tant au moment de ses arrestations et détentions

(Section 1) qu’à l’occasion de son « expulsion » (Section 2).

Section 1

Les arrestations et les détentions

1.5 La RDC reconnaît que le mémoire de la Guinée expose « en détail les faits reprochés à

l’Etat défendeur concernant l’arrestation et l’expulsion de M. Diallo » , mais aborde avec une

14
15C-M, p. 10, par. 1.07.
16Rapport sur la situation des droits de l’homme au Zaïre, 19 décembre 1994, par. 183 (E/CN.4/1995/67).
C-M, p.8, par. 1.01.

5grande désinvolture la question de la violation des droits de M. Diallo à raison des arrestations
dont elle ne conteste pas qu’il ait fait l’objet. Elle y consacre en tout et pour tout :

- trois brèves lignes au paragraphe 1.10, p. 11 ;

- une ligne au paragraphe 1.12, p. 12 ;

- les pages 13 à 16.

1.6 Pas un mot n’est consacré à l’arrestation et à la détention dont M. Diallo a été victime en

1988. L’affaire est pourtant connue et fait indubitablement partie des faits illicites à raison

desquels la Guinée entend engager la responsabilité internationale du défendeur. La Cour l’a

du reste elle-même constaté dans son arrêt sur les exceptions préliminaires, en rappelant que,

dans son mémoire au fond, la Guinée a « exposé en détail les violations du droit international

que la RDC aurait commises à l’égard de M. Diallo. Elle y invoque ainsi, entre autres, le fait

que M. Diallo aurait été arrêté et détenu de manière arbitraire à deux reprises, en 1988
17
d’abord, et en 1995 ensuite » . La RDC peut garder le silence sur cet épisode, c’est son droit.
Mais cette posture ne saurait faire oublier que l’arrestation et l’incarcération de M. Diallo en

1988 sont totalement illicites et engagent la responsabilité internationale de la RDC (§1).

1.7 Sur le fond, la RDC se borne à évoquer la période 1995-1996 et à soutenir que les

épisodes d’arrestation et d’incarcération de M. Diallo auraient répondu à des motifs légitimes,

s’inscriraient dans des cadres légaux, n’auraient pas été accompagnés de mauvais traitements,

et n’auraient marqué aucune violation de la convention de Vienne sur les relations

consulaires. Tout est inexact. Les allégations de la RDC à propos des faits de 1995 et 1996

sont sans aucun fondement et relèvent de la plus pure spéculation (§2). Quant aux faits

constitutifs de la violation de la Convention de Vienne de 1963, ils ne font pour leur part

aucun doute (§3).

§1. L’illicéité de l’arrestation et de la détention de 1988-1989

1.8 L’arrestation et la détention de M. Diallo sont des faits établis (A). La violation par la

RDC de nombre des obligations qui pèsent sur elle à leur occasion ne laisse aucun doute sur

leur illicéité (B).

17 CIJ, Affaire Ahmadou Sadio Diallo, arrêt du 24 mai 2007 (Exceptions préliminaires), par. 45.

6 A. L’arrestation et la détention de M. Diallo

1.9 Le seul motif de l’incarcération de M. Diallo en janvier 1988 réside dans le fait que sa

société, Africom-Zaïre, détenait des créances importantes sur l’Etat zaïrois. Afin d’éviter

d’avoir à les régler, le pouvoir en place fit le choix d’accuser son créancier d’escroquerie et de

faire jeter son gérant en prison. Voilà toute « l’affaire du papier listing », dont la Guinée

rendait compte dans ses observations sur les exceptions préliminaires 18 comme dans ses

plaidoiries relatives aux mêmes exceptions , et sur laquelle il convient de revenir au fond.

1.10 Société d’import-export, Africom-Zaïre est devenue durant les années 1980 le

fournisseur attitré de l’administration zaïroise s’agissant de ses besoins en diverses

fournitures, et tout particulièrement en papier-listing. L’administration zaïroise était

pleinement satisfaite des services que lui rendait cette société, mais les payait mal en retour.

Toutefois, une série de paiements, pour certains en souffrance depuis près de 5 ans, furent

ordonnés le 13 novembre 1987 par le commissaire d’Etat délégué aux finances, qui signa cinq

lettres de change pour un total de 178 700 000 zaïres , afin d’honorer des créances datant de

21
1983, 1985 et 1986 .

1.11 Le paiement effectif des sommes dues à Africom-Zaïre devait être réalisé en débitant le

compte général du Trésor, à l’initiative du gouverneur de la Banque du Zaïre dûment saisi à
22
cet effet par le commissaire d’Etat délégué aux finances par une lettre du 22 décembre 1987 .

Mais le premier commissaire d’Etat adressa le 14 janvier 1988 à son commissaire aux

finances une lettre lui intimant de surseoir en urgence au paiement des traites dues à Africom-

Zaïre. Le motif essentiel de cette décision était que :

« des échéances importantes et auxquelles nous devons faire face dans un avenir
immédiat sont annoncées.

18OG, pp. 15-18, pars. 1.35-1.44.
19
20CR 2006/51, pp. 19-20, pars. 14-19.
Le taux de change en 1988 faisait ressortir qu’il fallait 187 Zaïres pour un dollar américain. La créance totale
reconnue par l’Etat zaïrois était donc en 1988 de 955 614 dollars américains. Sur le taux de change de la
monnaie zaïroise en 1988, v. RG, annexe 3.
21OG, p. 16, par. 1.38.
22
MG, annexe 51.

7 Qu’il suffise de citer les élections municipales dont les dépenses sont estimées à plus
d’un demi milliard de zaïres, la conférence au sommet de la CEEAC, sans oublier les

transfer23 de nos ambassades à l’étranger qui connaissent un retard de près de deux
mois » .

1.12 Le commissaire d’Etat ne s’est pas borné à bloquer les paiements. Dans les jours qui ont

suivi son ordre de blocage, il orchestra une intense campagne médiatique mettant en cause la

réalité même des créances, et prétendant que M. Diallo s’était livré, au nom de sa société, à

des actes d’escroquerie. La campagne de dénigrement fut d’autant plus facile à mener que, à

l’époque, l’exécutif contrôlait tous les ressorts du pouvoir, y compris la presse, la radio, et la

télévision . La rapidité de l’opération médiatique tout comme son intensité ressortent du reste

clairement d’une lettre de M. Kouyate, conseiller à l’ambassade de Guinée:

« Monsieur Diallo Amadou Sadio communément appelé « Diallo Cravate » est accusé
d’escroquerie pour un montant de 170 700 000 zaïres et au profit de la société Africom

Zaïre, dont Mr Diallo est le P.D.G.

Cette accusation a été longuement commentée à la Radio et à la Télévision dans

l’émission du 20 janvier 1988, longuement diffusée, elle était à la une de tous les
journaux de la capitale zaïroise.

Veuillez trouver ci-joint un extrait de l’article paru dans l’AZAP (Agence Zaïre
Presse) n° 2300 du 22 janvier 1988 et relatif à cette grave situation » . 25

1.13 C’est sur la base de ces accusations dont l’objet était d’empêcher le paiement des

factures d’Africom-Zaïre que M. Diallo fit l’objet d’une arrestation et d’une incarcération,

sans jugement, pendant une durée d’un an. Il fut en effet arrêté le 25 janvier 1988 par trois

personnes dont un policier. Immédiatement déféré au parquet général de Kinshasa où il resta

enfermé deux jours sans aucun contact et sans alimentation, il fut placé le 27 janvier 1988 en

détention à la prison de Makala . 26

23
24MG, annexe 53.
L’agence Zaïre Presse était à l’époque sous la tutelle de l’exécutif, tout comme la télévision publique. Selon
une publication intitulée Plaquette du Ministère de l’Information et de la Presse, Vingt ans du MPR, réalisation
et Perspectives, radio, télévision, presse écrite, Kinshasa, 1987, p. 4, la politique des médias des gouvernements
zaïrois consistait à en faire un outil de propagande, et était axée sur « la manière d’utiliser l’information, sur le
contenu de celle-ci et sur les objectifs à atteindre » (cité par KASONGO-MWEMA Y’Ambayamba, Enjeux

publics de la télévision en République démocratique du Congo (1990-2005), L’Harmattan, 2007, p. 31. C’est ce
qui explique que « l’opposition n’a cessé de protester contre la mainmise de l’Etat sur les médias officiels (radio,
télévision, agence de presse) », ibid., p. 31. Voir aussi, sur le contrôle exercé par le pouvoir sur les médias, G.
TSHIONZA MATA T, Les medias au Zaïre: S'aligner, ou, se libérer, L'Harmattan, 1996.
25OG, annexe 14.
26
RG, annexe 1, réponse à la question 7 ; voir aussi OG, Annexe 14.

81.14 M. Diallo n’avait pas encore recouvré sa liberté six mois après son arrestation, comme

en atteste un courrier officiel du 4 juillet 1988 signé du premier commissaire d’Etat zaïrois,

M. Sambwa Pida Nbagui, adressé au président du conseil judiciaire de la République du

Zaïre :

« Citoyen Président,

Par sa lettre n° CAB/SGA/MPR/051/EL/88 du 1er avril 1988, dont copie vous a été
réservée, le Citoyen Premier Secrétaire Général adjoint du MPR m’a soumis le dossier
de Monsieur Diallo Amadou, actuellement en détention.

S’agissant d’une affaire qui est actuellement en instruction au niveau du Conseil
judiciaire, je vous prie de bien vouloir examiner le dossier à la lumière des éléments

fournis par le Premier Secrétaire Général Adjoint.

Je tiens à préciser que l’ordre donné par mon prédécesseur de traduire Monsieur Diallo

en justice ne saurait être interprété comme une injonction ou une orientation faite aux
services du Conseil judiciaire sur la manière de traiter ce dossier » .7

1.15 En dehors de la confirmation qu’il apporte quant à la détention de M. Diallo en juillet

1988, il ressort de cet édifiant courrier que l’ordre de traduire M. Diallo en justice avait été

adressé directement par le premier commissaire d’Etat au président du conseil judiciaire ; le

chef de l’exécutif, à l’origine des accusations portées contre M. Diallo six mois plus tôt, avait

donc également été, dans la plus parfaite confusion des pouvoirs, le seul commanditaire et

ordonnateur de ses arrestations et incarcérations. Le successeur de ce premier commissaire

d’Etat cherchera bien à modifier l’histoire en en donnant une nouvelle lecture mais, sous

couvert de préciser au président du conseil judiciaire que cet ordre donné six mois plus tôt par

son prédécesseur « ne saurait être interprété comme une injonction ou une orientation faite

aux services du Conseil judiciaire sur la manière de traiter ce dossier », le premier

commissaire d’Etat reconnaît implicitement mais nécessairement que c’est exactement

comme une ingérence dans les affaires de la justice que cet ordre avait été initialement donné,
28
puis compris et exécuté six mois durant par le pouvoir judiciaire .

1.16 M. Diallo était encore en détention en août 1988 lorsque M. Abdoulaye Sylla prit son
29
poste d’ambassadeur de la République de Guinée à Kinshasa . Le ressortissant guinéen ne

sera remis en liberté que presque un an après avoir franchi la porte de la prison de Makala, le

3 janvier 1989, à la faveur d’une grâce présidentielle obtenue à la suite notamment de

27
28OG, annexe 15.
29V. également infra, par. 1.24.
RG, annexe 2.

9 30
l’intervention de l’ambassadeur de Guinée . A la suite de cette grâce, le procureur général du

parquet général de Kinshasa classa le dossier pour « inopportunité des poursuites » le 28
31
janvier 1988 .

B. L’ illicéité de l’arrestation et de la détention de M. Diallo

1.17 L’arrestation et la détention de M. Diallo durant la période 1988-1989 est comparable à

celles relatées par le Comité des droits de l’homme en 1983 dans l’affaire Luyeye Magana ex-

Philibert C. Zaïre :

“Luyeye Magana ex-Philibert was arrested on 24 March 1977 when three agents of the
Centre National de Documentation furnished with a search warrant, came to his house
to carry out a search for no apparent reason.... His detention continued until 9 January

1978 when he was released following an amnesty pronounced by the President of the
Republic, without ever having been interrogated or given any document relating to' the

detention, though a decree of 22 April 1961 (l’arrêté ministériel No. 05/22) provided
that the agents of the Sûreté Nationale can detain people for inquiry for five days only,
after which they must be served with an internment order” . 32

Dans cette affaire, le Comité des droits de l’homme avait conclu à la violation du Pacte des

droits civils et politiques par le Zaïre, et notamment de son article 9, par. 1, en raison de

l’arrestation arbitraire, de l’article 9, par. 2, en raison du fait que la victime n’avait pas été

informée des raisons de son arrestation ni des charges retenues contre elle, et de l’article 9,

par. 3 et 4, parce que le requérant n’avait pas été déféré devant un juge et qu’aucune

juridiction ne s’était prononcée dans un délai raisonnable sur la légalité de sa détention. Ce

sont les mêmes constatations qui s’imposent dans l’affaire Diallo.

1.18 L’article 9 du Pacte des droits civils et politiques prévoit :

« 1. Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire
l'objet d'une arrestation ou d'une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa

liberté, si ce n'est pour des motifs, et conformément à la procédure prévus par la loi ».

Il ressort essentiellement de ce premier paragraphe que, pour ne pas être illicites au regard du

droit international, l’arrestation et la détention ne doivent pas être « arbitraires ». On sait qu'il

30
31RG, annexe 2.
32OG, annexe 16.
CDH, n°90/1981, Luyeye Magana ex-Philibert C. Zaïre, 21 juillet 1983.

10ne faut pas donner au mot «arbitraire» le sens de «contraire à la loi», mais plutôt l'interpréter

plus largement du point de vue de ce qui est inapproprié, injuste, imprévisible, et contraire à la

légalité . Plus généralement, la notion d'arbitraire doit être entendue au sens d’« action non

34
raisonnable » . Dit autrement :

« Cases of deprivation of liberty provided for by law must not be manifestly
disproportional in view of the circumstances of the case . 35

1.19 Il est également utile de se référer aux travaux du groupe de travail sur la

détention arbitraire, créé par la Commission des droits de l’homme dans sa résolution 1991/42

et dont le mandat a été notamment confirmé par la résolution 60/251 de l’Assemblée générale

et la décision 1/102 du Conseil des droits de l’homme. Selon ce groupe de travail, une

privation de liberté doit être regardée comme arbitraire «[l]orsqu’il est manifestement

impossible d’invoquer une base légale quelconque qui la justifie (comme le maintien en

détention d’une personne au-delà de l’exécution de la peine ou malgré une loi d’amnistie qui

36
lui serait applicable) » .

1.20 L’application de ces critères aux cas de l’arrestation et de la détention de M. Diallo en

1988-1989 démontre leur caractère arbitraire. Elles sont dues à la volonté d’un seul homme, le

premier commissaire d’Etat zaïrois, chef du gouvernement, dans le seul but d’empêcher le

paiement des créances dues à Africom-Zaïre, et n’ont jamais eu aucune base légale. A

l’évidence, les graves accusations d’escroquerie lancées par voie de presse contre M. Diallo

n’ont été qu’une pure invention destinée à servir de prétexte pour justifier son incarcération.

Du reste, si l’Etat zaïrois avait vraiment eu à sa disposition des éléments de nature à laisser

croire à l’existence de faits d’escroquerie, comme le prétendait son premier commissaire

d’Etat, une affaire aussi grave aurait nécessairement connu des suites judiciaires, sous la

forme d’abord d’une instruction destinée à établir les faits en vue de déterminer s’il existait

une base pour d’éventuelles poursuites. Tel n’a pas été le cas puisque M. Diallo a été remis en

liberté sans autre procès ni mesure d’instruction après un an de détention. Dans ce contexte, la

33CDH, n°458/1991, Mukong C. Cameroun, 21 juillet 1994, § 9.8 ; v. aussi Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI)
(Etats-Unis d’Amérique c. Italie), arrêt, C.I.J., Rec. 1989, p. 76, par.128 ; CIRDI, Azurix Corp. c. Argentine,

ARB/01/12, sentence du 14 juillet 2006, par. 393 (disponible sur http://ita.law.uvic.ca/) ; LG&E Energy Corp. c.
34gentine, ARB/02/1, sentence du 3 octobre 2006, par. 157 (disponible sur http://ita.law.uvic.ca/).
CDH, n°794/1998, Jalloh C. Pays Bas, 26 mars 2002, A/57/40, vol. II, p. 132, § 8.2.
35M. NOWAK, United Nations Covenant on Civil and Political Rights, CCPR Commentary, Nijhoff, Den Haag,
2005, p. 225, et bibliographie citée note 86.
36Document de l’Assemblée générale de l’O.N.U., A/HRC/7/4/Add.1, 16 janvier 2008, p. 3, avis n° 32/2006

(Qatar), communication du 10 mars 2006, concernant M. Amar Ali Ahmed Al Kurdi.

11décision de classement de l’affaire pour « inopportunité des poursuites » témoigne de

l’embarras des autorités et vise clairement à laisser planer un doute sur les accusations portées

contre M. Diallo pour justifier, a posteriori, sa longue détention. Elle est d’autant plus dénuée

de sens que, comme l’affirme avec constance le défendeur : « La République du Congo n’a
37
jamais contesté être redevable » des créances qui avaient valu à M. Diallo d’être accusé

d’escroquerie. Or, si les créances n’ont jamais été contestées (elles ont été au contraire

expressément admises par l’Etat congolais), il en résulte nécessairement que M. Diallo n’a

jamais été en réalité soupçonné d’escroquerie et que les autorités congolaises n’avaient

aucunement l’intention de retenir contre lui le moindre fait délictueux ou criminel.

Clairement, la détention poursuivait un autre but, et, du même coup, les autres garanties

offertes par le droit international à toute personne détenue n’ont pas été respectées.

1.21 Le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte a été violé, mais c’est en effet aussi le cas de son

paragraphe 2 aux termes duquel:

« Tout individu arrêté sera informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette
arrestation et recevra notification, dans le plus court délai, de toute accusation portée
contre lui».

1.22 Bien évidemment, l’obligation qui en découle n’est pas de pure forme : au moment de

l’arrestation, l’information donnée à la personne mise en cause doit non seulement exister,
38
mais en outre être suffisamment précise , de manière à ce qu’elle sache à quoi s’en tenir. Or

l’arrestation de M. Diallo constitue une claire violation de cette disposition puisque à aucun

moment le ressortissant guinéen n’a été informé par les autorités des faits qui lui étaient

reprochés. Et si, à la faveur de vagues références aux accusations portées par voie de presse

contre lui, il a pu deviner à quelle autorité il devait son incarcération, jamais ne lui ont été

précisés les actes supposés constitutifs de l’infraction reprochée ni les textes sur la base
39
desquels l’accusation était portée .

1.23 Les autorités congolaises ont également enfreint les obligations découlant de la première

phrase du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte :

37
38CR 2006/50, p. 19, par. 15.
39CDH n° 43/1979, Adolfo Drescher Cadas c. Uruguay, 21 juillet 1983, § 13.2 et 14.
RG, annexe 1, réponse à la question 3.

12 « Tout individu arrêté ou détenu du chef d'une infraction pénale sera traduit dans le
plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des

fonctions judiciaires, et devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré ».

En indiquant que le détenu doit être présenté dans un court délai devant un juge ou une autre

autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires, cette disposition signifie que :

« such a judicial officer must be independent of the executive, personally hear the
person concerned and be empowered to direct pre-trial detention or to release the
person arrested” .40

1.24 M. Diallo a bien été présenté au bureau de l’inspecteur judiciaire, ce qui fut l’occasion

pour ce dernier de lui indiquer que son interpellation était liée au communiqué de presse du

premier commissaire d’Etat. M. Diallo a alors « produit des pièces justificatives », mais en

vain car, indique-t-il « les magistrats en question n’ont pu me relâcher, au motif que des
41
instructions fermes tendant à ma détention jusqu’à nouvel ordre leur avaient été données » .

Cette attitude des magistrats fait clairement référence au fameux ordre donné par le premier
42
commissaire d’Etat de traduire M. Diallo en justice évoqué supra , et confirme au passage

qu’ils l’avaient bien compris comme étant une ingérence de l’exécutif dans le cours de la

justice. Il en ressort indubitablement que les personnes devant lesquelles M. Diallo avait été

déféré n’étaient ni indépendantes de l’exécutif, ni habilitées à relâcher M. Diallo. La première

obligation découlant de l’article 9, par. 3 du Pacte a donc clairement été violée.

1.25 Mais cette disposition a également été violée s’agissant de la seconde obligation qu’elle

pose. La seconde phrase de l’article 9, par 3, dispose en effet que :

« La détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas être de

règle, mais la mise en liberté peut être subordonnée à des garanties assurant la
comparution de l'intéressé à l'audience, à tous les autres actes de la procédure et, le cas
échéant, pour l'exécution du jugement».

Et, selon l’interprétation qu’il convient d’en donner :

« la détention avant jugement doit être l'exception et […] la libération sous caution
doit être accordée sauf dans les cas où le suspect risque de se cacher ou de détruire des
preuves, de faire pression sur les témoins ou de quitter le territoire de l'État partie… le

40
41M. NOWAK, op. cit., p. 232.
42RG, annexe 1, réponse à la question 8.
V. supra, pars. 1.14-1.15.

13 maintien en détention provisoire après une arrestation légale doit non seulement être
légal, mais aussi être raisonnable à tous égards» .43

1.26 Or, en l’espèce, M. Diallo n’a été ni jugé, ni libéré immédiatement, et la durée d’un an

de la détention ne peut trouver aucune justification d’aucune sorte. En premier lieu, il n’y

avait strictement aucune raison judiciaire de placer M. Diallo en détention. En second lieu,

l’affaire ne présentait aucune complexité, puisqu’il n’y avait tout simplement pas d’affaire et,

du reste, il ressort des pièces du dossier que la seule raison du maintien en détention de M.

Diallo était que l’exécutif en avait décidé ainsi « jusqu’à nouvel ordre », et que les autorités

judiciaires estimaient par conséquent n’avoir d’autre possibilité que de le maintenir en prison.

Enfin, la libération immédiate de M. Diallo ne pouvait présenter aucun risque de quelque

nature que ce soit puisque, en tout état de cause, absolument rien ne pouvait lui être reproché,

comme le constate de manière constante le défendeur en reconnaissant sans réserve la réalité

des créances qui avaient suscité son arrestation . Dans ces conditions, il est patent qu’aucune

des circonstances de l’espèce ne saurait justifier le temps mis par les autorités à libérer M.

Diallo.

1.27 Les autres obligations issues de l’article 9 du Pacte des droits civils et politiques n’ont

pas davantage été respectées. Selon le paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte : « [q]uiconque se

trouve privé de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant

un tribunal afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa

libération si la détention est illégale ». En l’espèce, M. Diallo n’a pas été mis en situation

d’introduire un quelconque recours afin qu’il soit statué sur la légalité de sa détention. Enfin,

le paragraphe 5 de l’article 9 dispose que « [t]out individu victime d'arrestation ou de

détention illégale a droit à réparation » et, là encore, il est de fait que M. Diallo n’a obtenu

aucune réparation pour son arrestation et sa détention illégales.

1.28 L’examen de l’affaire du papier listing auquel la RDC n’a pas voulu se livrer dans son

contre-mémoire conduit donc à la conclusion que les faits de 1988-1989 sont non seulement
parfaitement établis mais également manifestement constitutifs de violations caractérisées, par

le défendeur, de ses obligations internationales. Il en va de même des événements qui se

produiront quelques années plus tard, en 1995-1996.

43
CDH, n°1085/2002, Algérie, 16 mai 2006, CCPR/C/86/D/1085/2002, par. 8.3.
44V. notamment CR 2006/50, p. 19, par. 15.

14 §2. L’illicéité des arrestations et détentions de 1995-1996

1.29 La RDC reconnaît que M. Diallo a fait l’objet d’arrestations et de détentions à la fin de

l’année 1995 et au début de l’année 1996 , mais là s’arrête la convergence entre les parties.

Elles s’opposent sur trois points essentiels : le nombre et la durée des détentions (A), leurs

motifs (B), et leur licéité (C).

A. La durée des détentions

1.30 M. Diallo a fait l’objet de deux détentions, la première de 66 jours, la seconde de deux

semaines. Ce sont les faits tels que le dossier permet de les établir . De son côté, pour

justifier que la durée légale de 8 jours de détention posée par l’ordonnance-loi du 12

septembre 1983 n’aurait jamais été dépassée, la RDC élabore un récit dans lequel il y aurait

eu trois détentions, l’une de 48 heures entre les 5 et 7 novembre 1995, la deuxième inférieure
47
à 8 jours au début du mois de janvier 1996 , et la troisième d’une durée indéterminée mais au
48
moins de 6 jours, à la fin du mois de janvier 1996 . Il convient de noter ici que si l’on devait

prendre au mot le défendeur, la durée totale de la détention de M. Diallo précédant son

expulsion serait égale à :

- 48 h en novembre ;
49
- plusieurs jours au début de l’année 1996, et on peut supposer 8 ;
50
- au moins du 25 janvier au 31 janvier , c'est-à-dire 6 jours ;

ce qui conduirait à un total de 16 jours.

1.31 La première détention n’aurait donc opportunément duré que 48 heures selon le

défendeur qui écrit : « le 5 novembre 1995, M. Diallo a été arrêté en vue de son expulsion et

détenu dans les locaux des services d’immigration de la RDC pour être relâché deux jours
51
plus tard » . Le seul élément avancé pour justifier cette affirmation est le billet d’écrou daté

du 5 novembre, sur lequel est écrit : « sieur DIALLO est détenu à la [illisible, mais il semble

45C-M, pp. 11-12, pars. 1.09-1.11 ; v. aussi CR 2006/50, pp. 39-40, pars. 89-92.
46MG, pp. 29-30, pars. 2.63-2.64 et p. 49-53, pars. 3.29-3.32.
47
48C-M, p. 12, par. 1.11.
49C-M, p. 16, par. 1.21.
v. infra, par. 1.37.
50v. infra, par. 1.39.
51C-M, p. 11, par. 1.10.

15 52
que l’on puisse comprendre « permanence»] jusqu’à son expulsion du Zaïre » . Bien

évidemment si ce billet confirme que M. Diallo a été interpellé et incarcéré le 5 novembre
53
1995, point sur lequel les deux parties s’accordent , il n’atteste certainement pas qu’il ait été

libéré deux jours plus tard.

1.32 C’est au demeurant rigoureusement inexact. En réalité M. Diallo ne sera pas remis en

liberté avant le 10 janvier 1996, comme en atteste le billet de mise en liberté portant cette date
54
produit en annexe au mémoire de la Guinée . C’est aussi ce qui ressort du témoignage de M.

Diallo joint en annexe à la présente réplique . En outre, dans son communiqué du 13

décembre 1995 publié dans le journal Le Phare , l’association « Avocats Sans Frontières »

confirme pour sa part qu’il était toujours incarcéré à la mi-décembre, en écrivant qu’elle

« vient de dénicher au cachot de l’immigration, place Kin-Mazière, M. Diallo Amadou

Sadio, homme d'affaires et investisseur guinéen, installé au Zaïre depuis 31 ans et 57
incarcéré le 5 novembre 1995 jusqu'a ce jour pour un motif fallacieux … » .

1.33 Le défendeur conteste la force probante de ces éléments concordants en se bornant à

s’étonner que le 30 novembre, alors qu’il était censé être en prison, M. Diallo a signé de sa

main une série de lettres qui ont par la suite été envoyées à leurs destinataires, et à trouver

étrange que ces lettres ne fassent état que des créances réclamées par Africontainers à

différentes sociétés, sans saisir l’occasion de dénoncer la détention de M. Diallo . 58

1.34 L’étonnement du défendeur repose sur une logique qui joue en trois temps : i) les

personnes détenues au Zaïre au milieu des années 1990 ne pouvaient avoir aucun contact avec

l’extérieur ; donc ii) seule une personne libre a pu être en mesure de signer les lettres du 30

novembre ; donc iii) puisque M. Diallo a signé ces lettres, c’est qu’il ne pouvait être en

détention le 30 novembre. D’apparent bon sens, cette logique est en réalité factice car son

point d’appui est totalement erroné : au Zaïre, à l’époque des faits, les contacts entre les

52
C-M, annexe 7, et OG, annexe 27.
53C’est qui ce qui ressort du contre-mémoire. Il est cependant à noter que dans ses exceptions préliminaires, la
RDC soutenait que « M. Diallo fut … arrêté et détenu pour la première fois au cours du mois de décembre

5495 », EP, p. 41, par. 1.56.
55MG, annexe 194.
RG, annexe 1.
56MG, annexe 191.
57 Voir aussi la lettre de demande d’audience au premier ministre, signée du président d’ »Avocats sans

Frontières », en date du 13 décembre 1995, MG, Annexe 190, et voir également le journal Business and News,
MG, Annexe 193.
58C-M, p. 13, par. 1.13 et p. 18, par. 1.26. V. aussi CR 2006/50, p. 40, pars. 91-92, et EPRDC, pp. 41-42, par.
1.56.

16prisonniers et des personnes extérieures aux prisons étaient fréquents, réguliers, et même à

certains égards institutionnalisés puisque les autorités s’appuyaient habituellement sur eux

pour assurer la subsistance des détenus. En effet, « en règle générale, ce sont les organisations

non gouvernementales, les associations religieuses et les familles mêmes des détenus qui se

chargent de nourrir les prisonniers », selon un rapport sur la situation des droits de l'homme

au Zaïre du 19 décembre 1994 . De fait, durant toute sa détention, M. Diallo n’a été nourri

60
que grâce à l’aide que lui apportait sa famille . Et c’est également parce qu’il avait des

contacts avec l’extérieur qu’il a pu donner instruction de rédiger les lettres du 30 novembre et

qu’il a pu les signer.

1.35 Quant à la remarque selon laquelle il serait étrange que M. Diallo n’ait pas saisi

l’occasion de ces lettres pour dénoncer son incarcération, c’est en réalité le contraire qui aurait

été incompréhensible. Car ces lettres ne visent pas du tout à mettre les autorités publiques en

cause ; tout au contraire, elles s’adressent à ces autorités afin d’obtenir d’elles un certain

soutien. En profiter pour dénoncer l’incarcération de M. Diallo ne pouvait donc y trouver

aucune place, sans compter qu’il aurait été imprudent de mettre frontalement en cause les

autorités qui le détenaient de manière totalement arbitraire, sans aucune perspective de

libération ou de jugement. Du reste, cela n’était manifestement pas nécessaire puisque

d’autres voies ont pu être utilisées pour alerter l’opinion publique : dès le 13 décembre,

« Avocats Sans Frontières » saisissait le premier ministre d’une demande d’audience pour

contester l’incarcération du ressortissant guinéen , tandis que, le 21 décembre, l’ambassadeur

62
de Guinée à Kinshasa rendait compte de la situation à sa hiérarchie .

1.36 La deuxième incarcération alléguée par la RDC se situe dans une période qui recoupe

celle de la première détention dont on vient de démontrer la matérialité. Il s’agit d’une pure

invention, à laquelle la RDC est contrainte de recourir puisque, après avoir inventé une remise

en liberté de M. Diallo le 7 novembre, il lui faut bien justifier d’une nouvelle incarcération,

sauf à se montrer incapable d’expliquer le sens du billet de remise en liberté daté du 10

janvier 1996.

59Commission des droits de l’homme, cinquante et unième session, document E/CN.4/1995/67, par. 173.
60RG, annexe 1.
61
62MG, annexe 190.
MG, annexe 192 et C-M, annexe 11.

171.37 Il n’est donc pas étonnant que la démonstration du défendeur soit très vague à cet égard,

et que le contre-mémoire ne précise même pas la date de cette arrestation imaginaire. Il

évoque le 30 novembre 1995, date à laquelle M. Diallo a signé une série de lettres, puis

indique « c’est dans ce contexte que M. Diallo sera arrêté à nouveau en vue de son expulsion
63
du territoire congolais » . On peut toutefois deviner que, aux yeux du défendeur, la date de

l’incarcération se situerait le 2 janvier au plus tôt dès lors que, selon ses explications : « le 10

janvier 1996, l’administrateur général du service de l’immigration ordonnera sa mise en

liberté du fait que le gouvernement n’arrivait pas à trouver un avion en partance pour Conakry

dans le délai légal de 8 jours maximum de détention en vue de l’expulsion du territoire
64
congolais » .

1.38 Très approximatives, ces explications sont en outre dénuées de tout fondement. D’abord,

rien n’indique que M. Diallo ait été libre de ses mouvements jusqu’à la date du 2 janvier. Et

rien n’indique non plus qu’il ait été interpellé à cette date, ou à une date qui en soit proche. Si

tel avait été le cas, la RDC produirait un billet d’écrou, mais rien de tel ne figure à son

dossier. Quant au seul billet de remise en liberté qui ait été produit, daté du 10 janvier, il
65
mentionne qu’il a été pris « pour raison d’enquête » , motif qui ne confirme certainement pas

le récit de la RDC dans lequel la remise en liberté résulterait d’une soi-disant impossibilité de

« trouver un avion en partance pour Conakry ».

1.39 La seconde incarcération de M. Diallo (la troisième selon le défendeur), postérieure au

10 janvier 1996, intervient là encore à une date indéterminée selon le récit que la RDC en fait

dans son contre-mémoire. Elle se borne à donner deux indices : « quelques jours », après le 10

66
janvier , pour le premier, tandis qu’au titre du second, la RDC explique que le 25 janvier, M.
67
Diallo était « encore en détention à Kinshasa 6 jours avant son expulsion » .

1.40 C’est en réalité seulement quelques jours après avoir été libéré le 10 janvier sur ordre du

président Mobutu 68 que M. Diallo fut à nouveau incarcéré, le 17 janvier . Il resta une

nouvelle fois privé de liberté pendant 14 jours avant d’être éloigné du pays.

63C-M, p. 12, par. 1.11.
64C-M, p. 12, par. 1.11.
65
66MG, annexe 194.
C-M, p. 12, par. 1.11.
67C-M, p. 16, par. 1 .21.
68Voir à cet égard le témoignage de l’ambassadeur de Guinée en poste à Kinshasa durant ces événements, RG,
annexe 2, p. 3. Il convient de noter que la RDC ne conteste pas la réalité de cet épisode (C-M, p. 20, par. 1.33).

18 B. Le motif des arrestations et détentions

1.41 La chronologie des événements de l’année 1995 permet de comprendre de manière très

précise la cause unique de l’interpellation de M. Diallo le 5 novembre 1995, et de ses

détentions subséquentes.

- Le 3 juillet 1995, le tribunal de grande instance de Kinshasa faisait droit aux

réclamations d’une société de M. Diallo, Africontainers, dans le litige l’opposant à la société

Zaïre Shell, et la condamnait au principal au paiement d’une somme de 13 106 704 dollars

70
américains, à quoi s’ajoutait 50 000 dollars de dommages-intérêts . Ce même arrêt ordonnait

l’exécution provisoire du jugement, pour ce qui concernait uniquement la condamnation au
71
principal de 13 106 704 dollars américains .

- Zaïre Shell demanda la suspension de l’exécution de l’arrêt par requête du 24 juillet

1995. La Cour d’appel de Kinshasa Gombe tint une audience pour trancher cette question dès

le 26 juillet , et rejeta la requête comme non fondée le 24 août 1995 . 73

- Le 29 août, Zaïre Shell déposait une nouvelle demande de suspension de l’exécution
74
de l’arrêt . Le même jour, sans même attendre la décision de la Cour d’appel qu’elle

sollicitait à nouveau, Zaïre Shell adressait une lettre au ministre de la justice lui demandant de

prendre une décision de « sauvegarde du patrimoine » de l’entreprise face notamment à la

75
décision de justice prise en faveur de Africontainers .

- Le 13 septembre, le premier président de la Cour d’appel de Kinshasa Gombe

rappelait au greffier que dans l’attente de la seconde décision de la Cour d’appel sur la

seconde demande de suspension de l’exécution de l’arrêt du 13 juillet, ce dernier restait
76
pleinement exécutoire . Mais, ce même 13 septembre, l’exécution du jugement était

suspendue, sur ordre direct du vice-ministre de la justice et garde des sceaux, ordre donné au

69RG, annexe 1, p. 7, réponse à la 22mequestion. Voir aussi MG, p. 30, par. 2.63-2.64.
70MG, annexe 153.
71
72Ibid. ème ème
EP, annexe, 65, (4 et 5 page de l’annexe).
73Ibid. (6mepage de l’annexe).
74EP, annexe 66.
75
76MG, annexe 166.
MG, annexe 170.

19«télécel» de Zaïre Shell, c’est-à-dire par son téléphone cellulaire, comme le rapporte l’huissier
77
de justice qui était alors en train de procéder aux saisies des biens de Zaïre Shell .

- Le 28 septembre, le ministre de la justice invitait cependant, par un courrier dûment

signé, le premier président de la cour d’appel à prendre des dispositions utiles pour exécuter la
78
décision, considérant qu’il s’avérait qu’il n’y avait « aucun mal-jugé manifeste» .

- Le 6 octobre , puis le 9 octobre un huissier procédait alors à des saisies-exécutions,

notamment des comptes de la société Zaire-Shell et de matériels bureautiques. Africontainers
80
allait rentrer dans les droits qui lui avaient été reconnus par le tribunal .

- Mais, le 13 octobre, le premier président de la Cour d’appel de Kinshasa-Gombe

écrivait au ministre de la justice qu’il avait : «l’honneur de [lui] confirmer qu’en exécution de

[ses] instructions verbales reçues ce matin, il a[vait] été procédé immédiatement à la

mainlevée des saisies-exécutions des biens de la société Zaïre Shell dans l’affaire qui l’oppose

à la société Africontainers…» . Un rapport d’huissier du même jour confirme que « sur ordre

de la hiérarchie », il a procédé à la mainlevée et restitutions des biens saisis par le ministère de

82
l’huissier … et au déblocage de tous les comptes sur les différentes banques saisies » .

- Le 31 octobre 1995, soit quelques jours après, le premier commissaire d’Etat Kengo

Wa Dondo mettait définitivement fin au débat judiciaire en signant un décret d’expulsion de
83
M. Diallo .

- Le 5 novembre 1995, M. Diallo était interpellé, et restera incarcéré jusqu’au 10

janvier. Puis sera à nouveau incarcéré le 17 avant d’être « refoulé » le 31 janvier.

77
MG, annexe 171.
78MG, annexe 177.
79MG, annexe 179.
80OG, annexe 26.
81
82OG, annexe 26, p. 194.
Ibid., p. 193.
83C-M, annexe 5.

20 C. L’illicéité des arrestations et détentions

1.42 L’exposé de ces faits pourrait se passer de commentaire. Il révèle crûment les ingérences

illicites des autorités zaïroises dans le cours de la justice , caractéristique en outre de déni de

85
justice . Il en résulte surtout de manière limpide que le seul et unique motif des

interpellations de M. Diallo, puis de son expulsion, aura été de l’empêcher de poursuivre

l’exécution forcée d’une décision de justice favorable aux intérêts d’Africontainers. L’épisode

de la brève remise en liberté de M. Diallo le 10 janvier en apporte d’ailleurs confirmation.

Comme le relate l’ambassadeur de Guinée à Conakry dans son témoignage joint à la présente

réplique, cette libération aura été concomitante à une initiative du ministre de la justice, qui fit

passer à la radio et à la télévision un communiqué indiquant que les créances des sociétés de
86
M. Diallo étaient dues et devraient leur être réglées . Il n’en fallut pas plus pour que M.

Diallo fût à nouveau incarcéré avant d’être éloigné du territoire.

1.43 L’arbitraire de l’ensemble de la procédure est patent, mais la RDC tente de s’abriter

derrière deux arguments pour asseoir sa position : d’une part, la procédure aurait un

fondement juridique dès lors qu’elle constituerait la mise en Œuvre d’un décret d’expulsion

pris à l’encontre de M. Diallo le 31 octobre 1995 ; ensuite, les incarcérations qu’a subies M.

Diallo seraient conformes aux prévisions de l’ordonnance-loi du 12 septembre 1983, leurs

durées n’ayant jamais dépassé 8 jours.

1.44 Concernant la prétendue légalité formelle de la procédure, la RDC invite la Cour à

admettre la logique suivante:

- L’ordonnance-loi du 12 septembre 1983 relative à la police des étrangers permet au

Président de la République de prendre, par ordonnance motivée, une décision d’expulsion

d’un étranger ;

- le premier ministre congolais a pris le décret n° 0043 du 31 octobre 1995 ordonnant

l’expulsion de M. Diallo ;

- aux termes de la loi du 12 septembre 1983, l’étranger à charge duquel une procédure

d’expulsion est entamée peut être incarcéré ;
87
- donc les mesures d’incarcération de M. Diallo ont été prises conformément à la loi .

84Voir aussi sur ce point MG, pp. 44-48, pars. 3.13-3.23.
85Voir aussi sur ce point MG, p. 48-50, pars. 3.24-3.26.
86
87RG, annexe 2.
C-M, p. 17, pars. 1.24-1.26.

211.45 Le seul fait de prendre connaissance de ce raisonnement en trahit l’incohérence : la loi

de 1983 donne compétence au seul Président de la République pour prendre une mesure

d’expulsion ; or la mesure sur laquelle la RDC prétend fonder la légalité de ses actes est un
88
décret d’expulsion pris par le premier ministre. Manifestement illégal , ce décret du 31

octobre 1995 ne saurait fonder juridiquement les arrestations de M. Diallo. Ces dernières

relèvent du plus parfait arbitraire et constituent une violation de l’article 9, par. 1, du Pacte

des droits civils et politiques aux termes duquel « [n]ul ne peut être privé de sa liberté, si ce

n'est pour des motifs, et conformément à la procédure prévus par la loi », tout autant que de

l’article 6 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

1.46 La RDC prétend également que « la détention de M. Diallo n’aurait jamais dépassé la

durée de détention légale » , laquelle serait plafonnée à 8 jours selon l’ordonnance-loi du 12

septembre 1983. Ce texte est en réalité bien plus exigeant que ne le dit la RDC. Aux termes de

son article 15 « [l]’étranger à charge duquel une procédure d’expulsion est entamée et qui est

susceptible de se soustraire à l’exécution de cette mesure peut être incarcéré dans une maison

d’arrêt par l’Administrateur Général du C.N.R.I. ou son délégué pour une durée de quarante-

huit heures. En cas d’absolue nécessité, cette durée pourra être prorogée de quarante-huit

heures en quarante-huit heures sans que la détention puisse dépasser huit jours ». Il en découle

que la légalité de la mise en détention d’un étranger se trouvant sous le coup d’une mesure

d’expulsion repose sur quatre conditions cumulatives, aucune n’ayant été respectée en

l’espèce :

- en premier lieu, une telle mesure ne peut être légale que si elle est prise à l’encontre

d’un étranger « susceptible de se soustraire à l’exécution » de la mesure d’expulsion ; or en

l’espèce jamais la RDC n’a soutenu, ni dans son contre-mémoire, ni dans une quelconque

pièce du dossier, que M. Diallo aurait été, aux dates du 5 novembre 1995, du 2 janvier 1995,

et du 25 janvier 1996 , susceptible de se soustraire à l’autorité zaïroise. Du reste, le simple

fait qu’il ait, si l’on en croit le défendeur, été interpellé trois fois en quelques semaines

démontre l’inexistence d’un quelconque risque de fuite: si M. Diallo avait été homme à se

soustraire aux décisions prises par l’autorité zaïroise, il se serait caché après sa première

88L’illégalité du décret est montrée plus en détail infra, par 1.92-1.95, 1.109-1.113.
89
90C-M, p. 18, par. 1.26.
Ce sont les dates que le récit de la RDC propose de considérer comme étant les dates d’incarcération de M.
Diallo.

22libération, et aurait pris encore plus de précautions après la seconde. Mais rien de tel ne s’est

produit et, du reste, les autorités n’ont jamais eu la moindre difficulté à se saisir de sa

personne quand bon leur semblait ;

- en deuxième lieu, la durée légale d’une détention est de 48 heures. Cela signifie

qu’elle doit normalement s’achever après une période de 48 heures, de sorte que, si la durée

de la détention devait être prorogée de nouvelles périodes de 48 heures, il faudrait à tout le
91
moins que des décisions motivées soient prises à cet effet . Rien de tel n’a jamais existé en

l’espèce : s’agissant des deuxième et troisième incarcérations (selon le récit de la RDC),

toutes deux d’une durée supérieure à 48 heures, le défendeur n’est pas capable d’en donner les

dates exactes, et il est encore moins capable de produire les décisions prorogeant le maintien

en détention au-delà des premières 48 heures ; or

- en troisième lieu, la détention ne peut être prorogée au-delà des premières 48 heures,

et au-delà, qu’en cas d’absolue nécessité. Or, le seul motif des durées de détention de M.

Diallo au-delà de 48 heures qui peut se déduire du contre-mémoire est la difficulté rencontrée
92
par l’administration zaïroise pour trouver un « avion en partance pour Conakry » . Mais de

telles difficultés, à supposer qu’elles soient fondées, donneraient sans aucun doute la mesure

de l’impréparation des interpellations de M. Diallo et de la hâte dans laquelle elles ont été

exécutées, mais ne sauraient justifier d’une quelconque « absolue nécessité » de le maintenir

en détention ;

- en quatrième lieu, et enfin, à supposer que chacune des détentions de M. Diallo ait

été conforme à ce que requiert l’article 15 de l’ordonnance-loi de 1983, force serait de

constater que leur cumul conduit en tout état de cause à une durée d’incarcération totale bien

supérieure à 8 jours, puisqu’elle en atteint 16 jours. Or, il est bien évident que les autorités ne

peuvent s’affranchir de la limite des 8 jours en fractionnant en plusieurs périodes distinctes –

chacune par exemple de 7 jours – la mesure de détention prise dans le cadre d’une procédure

d’expulsion.

91
Sur ce point, si la RDC croit pouvoir tirer du texte qu’il permet que le délai soit « prolongé de 48 heures en 48
heures pour une durée totale ne dépassant pas 8 jours » (C-M, p. 14, note 17, italiques ajoutés), le texte indique
plus précisément que le délai peut être prorogé de quarante-huit heures en quarante-huit heures.
92C-M, p. 12, par. 1.11.

231.47 Comme cela a été démontré supra, les incarcérations de M. Diallo ont été de 66 jours

pour la première et de deux semaines pour la seconde, ce qui caractérise un maintien en

détention dans des conditions contraires à la loi zaïroise et arbitraire. Mais même s’il fallait

accorder foi à la version des faits présentée par la RDC, les détentions dont elle reconnaît la

réalité seraient constitutives de comportements arbitraires en contradiction avec les

prescriptions de la loi zaïroise. Ceci constitue une autre violation de l’article 9, par. 1, du

Pacte des droits civils et politiques et de l’article 6 de la Charte africaine des droits de

l’homme et des peuples.

1.48 Il convient enfin de relever que les conditions des interpellations de M. Diallo

constituent également des violations de l’article 9, par. 2, du Pacte telles que rappelées ci-

93
dessus , dès lors que M. Diallo n’a pas été informé des raisons de ces arrestations ni reçu

notification, dans le plus court délai, des accusations portées contre lui, n’ayant pas même été
94
informé de l’adoption du décret relatif à son expulsion daté du 31 octobre 1995 .

§3. La violation de l’article 36 par. 1, b) de la Convention de Vienne de 1963

1.49 A aucun moment, ni en 1988-1989, ni en 1995-1996, M. Diallo, ressortissant guinéen,

n’a été informé des droits qui lui sont reconnus par l’article 36, par. 1, b) de la convention de
95
Vienne sur les relations consulaires . Pour autant, la RDC prétend ne pas avoir violé ses

obligations au titre de cette disposition au motif que « la Guinée n’a pas apporté la preuve que

M. Diallo avait demandé aux autorités congolaises d’informer les agents consulaires guinéens

à Kinshasa de sa situation et que lesdites autorités auraient refusé d’avertir le poste consulaire

de cette demande » . Elle souligne également que divers documents démontrent que « la

situation de M. Diallo était connue non seulement du consulat guinéen à Kinshasa mais aussi

du Président de la République et du Ministre des affaires étrangères de Guinée » . 97

1.50 La Guinée prend bonne note qu’en se bornant à soutenir que la preuve n’est pas

rapportée que M. Diallo aurait demandé aux autorités congolaises d’informer les agents

93
V. supra, par. 1.21.
94Sur ce point, voir infra, par. 1.112.
95MG, pp. 43-44, pars. 3.11-3.12.
96C-M, p. 15, par. 1.19.
97
C-M, p. 16, par. 1.22.

24consulaires guinéens, ainsi qu’en reproduisant partiellement l’article 36, par.1, b) de la

convention sur les relations consulaires en mettant en exergue les mots « si l’intéressé » pour

bien faire ressortir que l’initiative de la demande repose sur l’étranger incarcéré, la RDC livre

son interprétation de cette disposition : selon le défendeur, elle ne faisait peser sur lui aucune

autre obligation que de répondre favorablement à une éventuelle demande de M. Diallo alors

qu’il était arrêté, incarcéré ou en détention . Il faut donc comprendre que de son point de vue

il est normal, et conforme aux obligations internationales de la RDC, que ses agents n’aient

jamais informé M. Diallo de l’existence et de la nature de ses droits, fait qui n’est nullement

contesté. Selon le défendeur, il revenait à M. Diallo, et à lui seul, de les faire valoir.

1.51 Mais la RDC aurait dû lire l’article 36, par. 1, b) de la Convention de 1963 dans les trois

phrases qui le composent. Selon sa troisième phrase, les autorités compétentes de l’Etat de

résidence :

« doivent sans retard informer l’intéressé de ses droits aux termes du présent alinéa ».

1.52 Ce troisième élément ne saurait être négligé. Dans l’arrêt Avena et autres ressortissants

mexicains, la Cour a d’ailleurs relevé que :

« Cet alinéa contient trois éléments distincts mais liés entre eux : le droit de l’intéressé
d’être informé sans retard des droits qui lui sont reconnus par ledit alinéa ; le droit du
poste consulaire de recevoir sans retard notification de la mise en détention de

l’intéressé, si ce dernier en fait la demande ; et l’obligation de l’Etat de résidence de
transmettre sans retard toute communication adressée au poste consulaire par la
99
personne détenue » .

Elle a en outre souligné :

« que l’obligation sans équivoque de fournir l’information consulaire en vertu de
l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 n’appelle pas de conjectures sur les
préférences de la personne arrêtée, qui pourrait justifier de ne pas l’informer. Elle

donne plutôt à la personne arrêtée le droit, une fois informée, de dire qu’elle ne
souhaite néanmoins pas que son poste consulaire reçoive une notification » 100.

1.53 En l’espèce pesait donc sur le Zaïre en vertu de la Convention de 1963 une obligation
101
« d’informer sans retard … l’intéressé de ses droits » , aussi bien d’ailleurs lors de son

98Ibid.
99C.I.J, arrêt du 31 mars 2004, Rec. p. 43, par. 61.
100
101C.I.J., Affaire Avena et autres ressortissants mexicains, op. cit., p. 46, par. 76.
Ibid., p. 49, par. 87.

25arrestation de 1988 que lors de celles de 1995 et de 1996. Cela ne fut jamais fait, ce qui

constitue une nouvelle violation des droits de M. Diallo.

Section 2

L’expulsion

1.54 Les circonstances, dont la Guinée a rappelé précédemment le déroulement,

dans lesquelles M. Diallo a été arrêté, détenu puis expulsé du territoire congolais, suffisent à

prouver le caractère manifestement arbitraire de la mesure d’éloignement du territoire prise à

son encontre par les autorités congolaises le 31 janvier 1996 102. Les journaux de l’époque ne

s’y sont d’ailleurs pas trompés qui ont dénoncé – de manière d’autant plus crédible qu’ils

osaient accuser le pouvoir en place – l’arbitraire des mesures prises 103. On sait que

l’association « Avocats sans Frontières » adopta une position identique, qu’elle communiqua

104
au premier ministre zaïrois . Le journal L’Ouragan révéla quant à lui, dans son édition du 6

février 1996, que le billet de l’avion par lequel M. Diallo avait été expulsé avait été acheté par

Zaïre-Shell, « comme pour dire que c’est cette entreprise qui fait la loi dans cette scabreuse
105
affaire » .

1.55 Au-delà de son caractère totalement arbitraire, et par conséquent contraire au

standard minimum de protection des étrangers, l’expulsion de M. Diallo constitue une

violation du droit international sous de multiples aspects et à différents titres. Pour l’établir, la

République de Guinée reviendra sur les limites posées au pouvoir d’expulser par les diverses

règles internationales applicables entre les parties (§1) avant d’y confronter les circonstances

dans lesquelles l’expulsion a eu lieu (§2). Cela permettra de répondre à l’argumentation –

passablement expéditive – que le Congo a développée dans son contre-mémoire pour tenter de

106
contester l’engagement de sa responsabilité internationale .

102
103V. supra, Section 1, §2.
104V. MG, annexes 191, 193 et 196.
V. MG, annexe 190.
105MG, annexe 196. Sur le rôle de Zaïre Shell dans les mesures prises par l’Etat zaïrois contre M. Diallo, v.
supra, Section 1, § 2, B, par. 1.41.
106V. C-M, pp. 9-12, pars. 1.04-1.11 ; pp. 14-15, pars. 1.15-1.17 ; p. 17, pars. 1.24-1.25 ; et pp. 18-20 pars. 1.27-

1.34.

26 §1. Les limites posées au pouvoir d’expulser

par les règles de droit international applicables entre les parties

1.56 Bien avant l’émergence du « droit international des droits de l’homme », le

droit international limitait déjà nettement le pouvoir reconnu à chaque Etat d’expulser les

ressortissants étrangers présents sur son territoire 107. En 1892, l’Institut de droit international

s’estimait ainsi autorisé à rappeler dans ses Règles internationales sur l’admission et

l’expulsion des étrangers le principe bien établi selon lequel

« [l]’expulsion ne doit jamais être prononcée dans un intérêt privé, pour empêcher une
concurrence légitime ni pour arrêter de justes revendications ou les actions et recours
108
régulièrement portés devant les tribunaux ou autorités compétentes » ,

ou encore la règle suivant laquelle

« [l]’acte ordonnant l’expulsion est notifié à l’expulsé. Il doit être motivé en fait et en
109
droit » .

1.57 Le fait est, comme le constatait la Commission italo-vénézuélienne en 1903

dans l’affaire Boffolo, qu’il existe en matière d’expulsion (comme ailleurs) « a

broad difference between the right to exercise a power and the rightful exercise of that
110
power » .

1.58 Les limites ainsi posées au pouvoir d’expulser, et notamment celle interdisant

son utilisation à des fins illégitimes, se sont très tôt imposées compte tenu de la nature

107Dès 1927, Charles De Boeck notait ceci : « L’Etat qui recourt à la mesure extrême de l’expulsion agit, non
dans la plénitude discrétionnaire d’une souveraineté qui échappe à tout contrôle, mais en vertu de son droit
incontesté de conservation et de sauvegarde : il écarte de son territoire l’étranger dont la présence constitue un

danger pour sa sécurité intérieure ou extérieure. Les nécessités de la vie internationale, la jurisprudence arbitrale,
la doctrine la plus récente ont progressivement fait abandonner l’idée traditionnelle, d’après laquelle la faculté
d’expulser est un pouvoir discrétionnaire dont les Etats peuvent user à leur guise, dont ils sont absolument
maîtres d’apprécier les conditions d’exercice, sans que l’étranger expulsé et l’Etat dont il est le ressortissant
aient, en principe, rien à réclamer. La pratique internationale a, sur ce point, devancé la doctrine, et il a été admis
depuis près de cent ans et de plus en plus nettement, que la liberté d’expulsion n’est pas absolue, qu’elle

comporte des limites dont l’inobservation donne ouverture à la protection diplomatique de l’Etat auquel
appartiennent les étrangers et à la responsabilité internationale de l’Etat expulsant » (« L’expulsion et les
difficultés internationales qu’en soulève la pratique », Recueil des cours de l’Académie de droit international,
1927-III, volume 18, p. 473 – italiques ajoutés).
108Article 14 des Règles, adoptées lors de la session de Genève le 9 septembre 1892 (www.idi-iil.org). V. tout
aussi clairement l’affaire Paquet, Commission mixte des réclamations Belgique-Venezuela, 1903, Recueil des

sentences arbitrales, volume IX, p. 325 : « (…) the right to expel foreigners from or prohibit their entry into the
national territory is generally recognized ; (...) each State reserves to itself the exercice of this right with respect
to the person of a foreigner if it considers him dangerous to public order, or for considerations of a high political
character, but (...) its application can not be invoked except to that end » (italiques ajoutés).
109Ibid., article 30.
110
Recueil des sentences arbitrales, volume X, pp. 532-534.

27particulièrement grave de l’acte d’expulsion. Celle-ci a toujours pour effet de rompre

brutalement les liens de diverses natures établis par l’étranger avec le territoire de l’Etat

d’accueil et elle est susceptible par ailleurs de porter atteinte à la jouissance d’autres droits

individuels garantis par le droit international, qu’il soit coutumier ou conventionnel 111. Tout

cela a contribué à ce que l’on exige de plus en plus fermement en droit international que les

garanties entourant la procédure d’expulsion soient effectivement respectées 112.

1.59 En l’espèce, le degré de protection qui était dû à M. Diallo couvrait bien
113
entendu celle offerte par le standard minimum de traitement des étrangers . Mais cette

protection couvrait aussi, et au-delà, celle garantie par le Pacte international relatif aux droits

civils et politiques et par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, auxquels le

Congo et la Guinée étaient parties au moment de l’expulsion de M. Diallo. Ceux-ci limitent

considérablement l’utilisation du pouvoir d’expulser, d’une part en le conditionnant au respect

d’un certain nombre de règles internationales (A), d’autre part en renvoyant au respect des

dispositions du droit interne (B).

A. Les limites imposées par le droit international

1.60 En vertu de l’article 12, paragraphe 4, de la Charte africaine,

« [l]’étranger légalement admis sur le territoire d’un Etat partie à la présente Charte ne
pourra en être expulsé qu’en vertu d’une décision conforme à la loi ».

1.61 De manière plus contraignante encore, l’article 13 du Pacte énonce :

« Un étranger qui se trouve légalement sur le territoire d’un Etat partie au présent
Pacte ne peut en être expulsé qu’en exécution d’une décision prise conformément à la
loi et, à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ne s’y opposent, il

doit avoir la possibilité de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion et

111Il faut rappeler que tant qu’il réside sur le territoire de l’Etat d’accueil, l’étranger, du moment qu’il a été
autorisé à y entrer, y dispose du droit de bénéficier de la protection offerte par les règles protectrices de la
personne humaine (v. notamment le rappel opéré sur ce point par l’Observation générale n° 15 du Comité des
droits de l’homme du 11 avril 1986, pars. 6 et s.).
112
A propos de la jurisprudence de la Commission africaine des droits de l’homme, F. Ouguergouz note ainsi :
« [t]he Commission considered that ‘‘[b]y expelling the two victims from Zambia, the State has violated their
right to enjoyment of all the rights enshrined in the African Charter’’, thereby recognizing that expulsion is a
radical measure which can jeopardize the enjoyment of all the rights guaranteed to an individual under the
African Charter ; whence the necessity to scrupulously ensure that the procedural guarantees which must
accompany such a measure are complied with » (The African Charter on Human and Peoples’ Rights, Martinus

113hoff Publishers, The Hague/London/New York, 2003, p. 132).
V. MG, pp. 39-41, pars. 3.2-3.5 et pp. 42-43, pars. 3.8-3.10.

28 de faire examiner son cas par l’autorité compétente, ou par une ou plusieurs personnes
114
spécialement désignées par ladite autorité, en se faisant représenter à cette fin » .

1.62 Ces dispositions sont incontestablement applicables en l’espèce puisque M.

Diallo était entré tout à fait légalement sur le territoire du Congo, qu’il y bénéficiait d’un

« visa d’établissement à durée indéterminée » 115et que les autorités congolaises n’ont à aucun

moment prétendu (ni à l’époque des faits, ni dans leurs écritures, ni lors des audiences

publiques de l’année 2006) que M. Diallo aurait séjourné illégalement sur leur territoire. Au

116
contraire, elles ont souligné elles-mêmes le caractère régulier de sa présence .

1.63 Ces mêmes dispositions s’appliquent en l’espèce sans aucune restriction dans

la mesure où la République démocratique du Congo, à la différence de ce qu’ont fait d’autres

parties à ces conventions qui étaient conscientes du caractère assez contraignant de ces

obligations, n’a formulé aucune réserve à leur égard.

1.64 Ces deux dispositions se décomposent en un certain nombre d’obligations, qui

avaient déjà été, ou qui ont été depuis leur adoption, précisées et complétées par la pratique et

la jurisprudence internationales.

1.65 L’expulsion doit tout d’abord être « prise conformément à la loi », ce qui

implique que l’Etat qui expulse respecte sa propre législation, en tout cas qu’il l’applique de
117
bonne foi et sans abus de pouvoir .

1.66 La personne objet d’une procédure d’expulsion doit ensuite se voir offrir « la

possibilité de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion » d’après le Pacte et se

voir octroyer la « possibilité de faire entendre [sa] cause par les instances nationales habilitées

à le faire » selon la Commission africaine des droits de l’homme 11. Pour que ce droit puisse

114V. également, dans le même sens, l’article 7 de la Déclaration sur les droits de l’homme des personnes qui ne
possèdent pas la nationalité du pays dans lequel elles vivent, du 13 décembre 1985 (A/RES/40/144), cité in MG,
p. 42, par. 3.7.
115V. MG, annexe 7.
116
117V. dernièrement C-M, pp. 18-19, par. 1.28.
118Pour la présentation des règles applicables en droit interne congolais, v. B. infra.
Union interafricaine des droits de l’homme et autres c. Angola, n° 159/96, 11 novembre 1997, par. 20. V.
également l’affaire Chevreau, 9 juin 1931, Recueil des sentences arbitrales, volume II, p. 1131 : « (…) comme
l’état des preuves ne permet pas de constater qu’une enquête présentant les garanties requises ait eu lieu (…),
l’Arbitre trouve que la déportation de M. Chevreau à Bagdad (…) peut donner lieu à une réclamation en droit

international » (v. également p. 1137).

29être effectivement garanti, il est évidemment indispensable que la décision d’expulsion soit

dûment notifiée à la personne intéressée avant d’être exécutée 119.

1.67 La personne visée par une décision d’expulsion doit aussi se voir offrir « la

possibilité (…) de faire examiner son cas par l’autorité compétente », le Comité des droits de

l’homme ayant précisé dans son Observation générale n° 15 que « [l]’étranger doit [à cette

fin] recevoir tous les moyens d’exercer son recours contre l’expulsion, de manière à être en
120
toutes circonstances à même d’exercer effectivement son droit » .

1.68 Dans le cadre de ce recours, la personne doit se voir offrir la possibilité de se

faire « représenter à cette fin ». Le Comité des droits de l’homme a considéré que le droit à

l’assistance juridique dans le contexte de l’article 13 du Pacte impliquait notamment que

« [l]’État partie devrait préciser à quels stades de la procédure [ses destinataires] peuvent la
121
solliciter, et si cette aide est gratuite pour les indigents » .

1.69 Ces trois derniers droits (ceux énoncés supra aux paragraphes 12, 13 et 14), et

eux seuls, sont soumis dans le cadre du Pacte à l’exception des « raisons impérieuses de

sécurité nationale ». L’invocation d’une telle exception ne constitue toutefois évidemment pas

un blanc-seing ; elle est soumise au contrôle juridictionnel qui sera d’autant plus intense que

cette clause n’est pas formulée sous la forme d’une clause « self-judging ». La Guinée

rappellera à ce propos que dans l’affaire relative à Certaines questions concernant l’entraide

judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), la Cour a récemment décidé ce qui suit à

l’égard d’une clause pourtant formulée de manière « self-judging » :

« même si la France est fondée à dire que les termes de l’article 2 donnent un très large
pouvoir discrétionnaire à l’Etat requis, l’exercice de ce pouvoir demeure soumis à

l’obligation de bonne foi codifiée à l’article 26 de la convention de Vienne de 1969 sur

119Sur l’obligation de notifier la décision d’expulsion, v. l’article 30 des Règles de l’Institut de droit international
de 1892 cité supra, paragraphe 1.56; v. aussi Commission africaine des droits de l’homme, affaire Amnesty
International c. Zambie, n° 212/98, 5 mai 1999, par. 41 in fine : « Le fait que ni Banda ni Chinula n’ont pas [sic]

été informés des raisons de l’action prise contre eux [déportation] est un déni du droit de recevoir des
120ormations ».
Italiques ajoutés. Dans l’affaire Hammel c. Madagascar (communication n° 155/83, 3 avril 1987), l’Etat
défendeur a par exemple été condamné par le Comité des droits de l’homme parce que l’individu expulsé n’avait
pas été « indicted nor brought before a magistrate on any charge » et parce que « [h]e was not afforded an
opportunity to challenge the expulsion order prior to his expulsion » (par. 18.2).
121
Observations finales du Comité des droits de l’homme (Danemark), 31 octobre 2000, CCPR/CO/70/DNK,
par. 17.

30 le droit des traités (…). Il doit ainsi être démontré que les motifs du refus d’exécution
de la commission rogatoire relevaient des cas prévus par l’article 2 » 122.

1.70 S’agissant de l’article 13 du Pacte, le juge international doit donc contrôler la
123
réalité de la menace à la sécurité nationale et le caractère nécessaire et proportionnel des

mesures prises pour y parer 124. Ce contrôle devra être opéré en tenant compte du fait que la

protection de la sécurité nationale « vise la protection de la nation dans son ensemble à

125
l’égard de graves et lourdes menaces politiques ou militaires » , ce qui en restreint
126
considérablement les possibilités concrètes d’invocation . En tout état de cause, l’article 13

couvre uniquement les « raisons impérieuses de sécurité nationale ».

1.71 L’Etat qui expulse doit ensuite motiver sa décision d’expulsion, et il doit le

faire d’une manière suffisamment précise, de simples soupçons ne pouvant suffire. La

Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a par exemple considéré que

« l’allégation selon laquelle [les expulsés] ‘‘risquaient’’ de mettre en danger la paix était

vague et sans fondement » (en l’espèce, le motif avancé avait uniquement été que « [l]a

présence [de ces personnes] mettait en danger la paix et l’ordre de la Zambie ») 127. A défaut

d’une motivation suffisante, l’Etat expulsant est bien entendu tenu d’en supporter les

conséquences, comme l’a constaté la Commission italo-vénézuélienne dans l’affaire Boffolo :

122Arrêt du 4 juin 2008, par. 145 (italiques ajoutés). Il en va à plus forte raison ainsi lorsque, comme c’est le cas

ici, la clause n’est pas « self-judging » : v. l’arrêt du 27 juin 1986 dans l’affaire des Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, CIJ Recueil 1986, p. 116, par. 222.
123Le Comité des droits de l’homme refuse par exemple de recevoir l’argument de l’exception de sécurité
nationale lorsque celui-ci est invoqué de manière trop générale sans que l’Etat défendeur ait « specif[ied] the

124cise nature of the threat » invoquée (v. par exemple Sohn c. Corée, n° 518/1992, 3 août 1995, par. 10.4).
V., mutatis mutandis, Cour internationale de Justice, Conséquences de l’édification d’un mur dans le
territoire palestinien occupé, avis du 9 juillet 2004, CIJ Recueil 2004, pp. 192-193, par. 136.
125L. Hennebel, La jurisprudence du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Bruylant, Bruxelles,
2007, p. 72, note 193.
126
V. les Principes de Syracuse concernant les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques qui autorisent des restrictions ou des dérogations, E/CN.4/1985/4, Annexe, 28 septembre
1984 : « 29. La sécurité nationale ne peut être invoquée pour justifier des mesures restreignant certains droits que
lorsqu’il s’agit de mesures prises pour protéger l’existence de la nation, son intégrité territoriale ou son

indépendance politique contre l’emploi ou la menace de la force.
30. La sécurité nationale ne peut être invoquée comme un motif pour introduire des restrictions lorsqu’il s’agit
de prévenir des menaces de caractère local ou relativement isolées contre la loi et l’ordre.
31. La sécurité nationale ne peut servir de prétexte pour imposer des restrictions vagues ou arbitraires et elle ne
peut être invoquée que lorsqu’il existe des garanties adéquates et des recours utiles contre les abus ».
127
Amnesty International c. Zambie, n° 212/98, 5 mai 1999, pars. 5, 41 et 50. V. également l’affaire
Loubriel dans laquelle des « motives of internal order », des « reasons of gravity » ou des « facts well known to
the Government » ont été jugés trop vagues par les Etats-Unis pour justifier l’expulsion de leur ressortissant par
le Venezuela (v. G. H. Hackworth, Digest of International Law, volume III, pp. 699-700).

31 « The country exercising the power must, when occasion demands, state the reason of

such expulsion before an international tribunal, and an inefficient reason or none being
advanced, accepts the consequences » 128.

1.72 Cela signifie notamment que la charge de la preuve pèse sur l’Etat qui expulse,

et non sur l’Etat de nationalité de la personne expulsée. Dans l’affaire Oliva, la Commission

mixte italo-vénézuélienne l’a clairement souligné :

« The Venezuelan Commissioner finds that Mr. Oliva has not proved his innocence. It

is not his place to prove this innocence. Every man is considered innocent until the
proof of the contrary is produced. It was therefore the Venezuelan Government that

should have proved that the claimant was guilty and this is just what it has not done.
When expulsion is resorted to in France or Italy the proofs are at hand. Mere
suspicions may justify measures of surveillance, but never a measure so severe as that

of forbidding the residence in a country of a man who has important interests
therein » 129.

1.73 Enfin, mais cela découle de ce qui précède, l’expulsion doit reposer sur un
130
motif valable . Celui-ci doit dans tous les cas être au moins de ceux que la loi interne

autorise à prendre en compte pour justifier l’expulsion. A défaut d’un tel motif, il va de soi

que les critères de nécessité et de proportionnalité n’ont même pas à entrer en ligne de

compte, puisque ceux-ci supposent que la mesure d’expulsion soit par ailleurs fondée en droit.

128Recueil des sentences arbitrales, volume X, p. 537. La Commission cite à l’appui de son affirmation la

sentence rendue dans l’affaire Zerman c. Mexico par la Commission américano-mexicaine (ibid., p. 534) : « The
umpire is of opinion that, strictly speaking, the President of the Republic of Mexico had the right to expel a
foreigner from its territory who might be considered dangerous, and that during war or disturbances it may be
necessary to exercise this right even upon bare suspicion ; but in the present instance there was no war, and
reasons of safety could not be put forward as a ground for the expulsion of the claimant without charges
preferred against him or trial ; but if the Mexican Government had grounds for such expulsion it was at least

under the obligation of proving charges before this Commission. Its mere assertion, however, or that of the
United States consul, in a dispatch to his Government, that the claimant was employed by the imperialist
authorities, does not appear to the umpire to be sufficient proof that he was so employed or sufficient ground for
his expulsion ».
129Recueil des sentences arbitrales, volume X, p. 607 (1903). V. également CR 2006/53, p. 61, par. 21
(M. Forteau).
130
V. l’affaire Lacoste c. Mexico (Commission mexicaine), sentence du 4 septembre 1875, in John Bassett
Moore, History and Digest of the International Arbitrations to Which the United States Has Been a Party,
volume IV, p. 3347 : « With regard to the expulsion of the claimant from the country, it must be remembered
that, owing to the French invasion, the President of Mexico was invested with great and extraordinary powers ;
(…) such powers ought not generally to be exercised for the expulsion of foreigners without good cause shown

(...) » (italiques ajoutés).

32 B. Les limites imposées par le droit interne congolais 131

1.74 Dans la mesure où les règles internationales applicables renvoient au respect de

la législation interne (notamment en exigeant que la décision d’expulsion soit prise

« conformément à la loi »), il importe, pour être complet, de présenter les limites dans

lesquelles la loi congolaise enserrait à l’époque des faits le pouvoir d’expulser. L’ordonnance-
132
loi n° 83-033 du 12 septembre 1983 relative à la police des étrangers (qui est toujours en

vigueur) impose en la matière un certain nombre de contraintes.

1.75 L’article 2 de l’ordonnance-loi prévoit expressément tout d’abord qu’elle

s’applique « sous réserve des conventions internationales » liant la République démocratique

du Congo. Autrement dit, elle admet l’applicabilité en droit congolais des garanties prévues

par ces conventions y compris dans le cas où celles-ci ne seraient pas formellement intégrées

dans la législation nationale.

1.76 L’ordonnance-loi introduit par ailleurs, et de manière très claire, une différence

de régime entre les décisions de « refoulement » (couvertes par l’article 13) et les décisions

d’« expulsion » (régies par les articles 15 à 17), les unes et les autres s’appliquant à des

situations de nature opposée (le refoulement lorsqu’une personne « se présente au poste

frontière pour entrer au Zaïre », l’expulsion pour éloigner une personne déjà présente sur le
133
territoire national ). Dans la mesure où aucun chevauchement n’est possible entre les deux

types de situations respectivement couvertes par ces deux procédures, il en découle une
134
impossibilité absolue d’utiliser l’une en lieu et place de l’autre .

131
La République de Guinée tient à souligner que, d’une manière générale, elle a rencontré de grandes difficultés
pour prendre connaissance de la législation congolaise : souvent modifiée, celle-ci est d’un accès difficile tant
sur Internet que dans les bibliothèques européennes spécialisées. Et les moyens dont elle dispose ne lui
permettaient pas de s’informer sur place, à Kinshasa.
132EP, annexe 73.
133Cette distinction, reprise dans d’autres législations internes, a été synthétisée de la manière suivante par le

Dictionnaire de droit international public publié sous la direction de Jean Salmon (Bruylant, Bruxelles, 2001) :
l’expulsion est une « mesure de police administrative enjoignant à une personne de quitter le territoire de l’Etat
où elle se trouve » (p. 488) tandis que le refoulement est, au sens propre, un « acte par lequel un Etat s’oppose à
l’entrée d’un étranger sur le territoire et le renvoie vers le pays d’où il vient » (p. 956). Le Dictionnaire cite
notamment à cet effet (id.) le Répertoire de droit international de A. de Lapradelle et J.-P. Niboyet, tome VIII,
p. 109 : « L’expulsion se distingue du refoulement en ce que l’expulsion s’applique à l’étranger qui a été admis à

pénétrer dans un pays et qui y a effectivement séjourné un temps plus ou moins long, tandis que le refoulement
atteint l’étranger non admis et classé comme indésirable, au moment où il tente de franchir la frontière ».
134La législation congolaise intercale entre les deux procédures une tierce possibilité, la procédure dite de
« renvoi » (article 14). Celle-ci concerne les personnes qui ont pénétré illégalement sur le territoire du Congo.
Elle est, elle aussi, exclusive des deux autres procédures. Les personnes visées par une mesure de renvoi ne

peuvent en effet être soumises ni au régime de l’expulsion (qui concerne uniquement les personnes séjournant

331.77 L’ordonnance d’expulsion ne peut être adoptée ensuite que par le Président de

la République (article 15), après consultation préalable de la Commission nationale

d’immigration lorsque la personne en cause est titulaire d’une carte de résidence (article 16).

1.78 L’ordonnance d’expulsion doit être « motivée » (article 15), et elle doit faire

« mention de la consultation de la Commission » (article 16).

1.79 Elle doit être notifiée à l’intéressé, copie de l’ordonnance devant être par

ailleurs « envoyée à la Commission nationale d’immigration ainsi qu’au Département des

Affaires étrangères et de la Coopération internationale » (article 17).

1.80 La loi n’envisage par ailleurs qu’un seul motif valable d’expulsion : le fait que

le ressortissant étranger, « par sa présence ou par sa conduite, compromet ou menace de

compromettre la tranquillité ou l’ordre public » (article 15).

1.81 Enfin, tout étranger expulsé se voit retirer « d’office » sa carte de résidence

(article 9), il est également porté « d’office » sur « une liste des indésirables » (article 20) et il

ne peut pénétrer de nouveau sur le territoire du Congo sans encourir de fortes sanctions

pénales accompagnées d’une mesure de reconduction à la frontière (article 21).

1.82 Dans son troisième rapport périodique présenté au Comité des droits de

l’homme le 30 mars 2005, l’Etat défendeur a confirmé que ces différents éléments
135
correspondaient effectivement au contenu de sa législation en matière d’expulsion . Il a

également apporté la précision suivante :

« L’article 2 de l’ordonnance n° 67-483 bis du 30 novembre 1967 relative à la

procédure de consultation des commissions consultatives des étrangers énonce :

‘‘Lorsqu’une procédure est entamée à charge d’un étranger titulaire de la carte de
résident catégorie B ou à charge d’un réfugié, le Ministre de l’intérieur ou son délégué,

sur la proposition de l’Administrateur en chef de la sûreté ou de son délégué, saisit
immédiatement la commission consultative des étrangers’’ » 136.

légalement au Congo), ni au régime du refoulement (qui est réservé aux personnes qui tentent d’entrer sur le
135ritoire du Congo).
V. CCPR/C/COD/2005/3, 3 mai 2005, pars. 128-140.
136Ibid., par. 140.

341.83 Cela renforce d’autant l’obligation de consultation préalable de cette

commission, qui doit être « immédiatement » saisie au moment même où la « procédure est

entamée ».

1.84 La même ordonnance de 1967 prévoit par ailleurs, et en particulier, que :

« La commission est saisie dès la notification à son président : (…) 2° d’une
expédition conforme du projet d’ordonnance d’expulsion accompagné de l’exposé des
motifs » (article 3) ;

« Le président convoque la commission dans les soixante-douze heures de la
notification visée à l’article précédent » et « La convocation des membres se fait par
écrit ; elle contient la date et l’heure de la réunion ainsi que l’ordre du jour » (article

4) ;

« Les débats de la commission ne sont pas publics. Toutefois, la commission peut
inviter en séance l’étranger intéressé et la ou les personnes qu’elle estime qualifiées

pour l’éclairer. L’administrateur en chef de la sûreté ou son délégué peut requérir la
présence de l’étranger intéressé (…) » (article 7) ;

« L’étranger a le droit de se faire assister en séance ou de se faire représenter par
une personne de son libre choix » (article 8) ;

« La commission délibère à huis clos. Le président soumet au vote le ou les projets

d’avis formulés. Le scrutin est secret. Toute délibération est adoptée à la majorité
absolue » (article 11) ;

« Le président de la commission dresse le procès-verbal du délibéré. L’avis de la
commission, dûment motivé, y est consigné. Le procès-verbal est contresigné par
les deux autres membres » (article 12) ;

« Le président de la commission communique immédiatement, sous pli scellé, le
compte rendu et le procès-verbal au ministre de l’Intérieur. Celui-ci les transmet au
président de la République lorsqu’ils concernent un étranger à charge duquel une
137
procédure d’expulsion est entamée » (article 13) .

1.85 Cette dernière indication confirme la nature exclusive de la compétence du

Président de la République en matière d’expulsion.

137RG, Annexe 4.

35 §2. La violation par la République démocratique du Congo
des règles applicables en matière d’expulsion

1.86 En expulsant M. Diallo de leur territoire le 31 janvier 1996, les autorités de la

République démocratique du Congo ont violé, à de nombreux égards, les obligations

internationales (et les obligations nationales auxquelles celles-là renvoient) qui s’imposaient à

elles. Ce faisant, elles ont brutalement brisé les liens durables et profonds que M. Diallo avait

pourtant établis depuis de très nombreuses années avec le pays congolais.

1.87 La République démocratique du Congo a elle-même souligné dans la présente

instance, et dans les termes les plus forts, l’intensité des liens qui unissaient M. Diallo, tout

ressortissant guinéen qu’il était, à son pays d’accueil. Lors des audiences publiques

consacrées aux exceptions préliminaires, le ministre de la justice et garde des sceaux de la

République démocratique du Congo a solennellement affirmé que

« M. Ahmadou Sadio Diallo est un enfant de la terre africaine qui avait choisi la
République démocratique du Congo comme sa seconde patrie. Il a vécu dans notre
138
pays pendant plus de trente ans. Ce n’est pas rien » .

1.88 M. Diallo a résidé en effet, de manière tout à fait régulière, sur le territoire du

Congo depuis le jour de son établissement jusqu’au moment de son expulsion, et cela pendant

pas moins de trente-deux ans – ce qui contraste très fortement avec les affaires d’expulsion

illicite qui ont été soumises dans le passé, avec succès, aux juridictions internationales où la

durée de résidence de la personne expulsée n’a pas dépassé en général quelques années.

Comme la Cour l’a rappelé, M. Diallo s’était installé au Zaïre en 1964, à l’âge de 17 ans, et
139
c’est le 31 janvier 1996 qu’il a été « renvoyé du territoire zaïrois » , au moment où il venait
140
de fêter ses 49 ans . Au jour de son expulsion, M. Diallo avait donc passé l’entièreté de sa

vie d’adulte, mais aussi de sa vie active, sur le seul territoire du Congo. En tous points, cette

situation est exceptionnelle.

1.89 M. Diallo a été au demeurant un résident très utile à l’économie de son pays

d’accueil, comme l’atteste sa réussite entrepreneuriale qui avait permis de donner du travail à

138CR 2006/50, p. 14 (italiques ajoutés).
139Arrêt du 24 mai 2007, pars. 14-15. A proprement parler, M. Diallo n’a pas été « renvoyé », puisqu’il n’a pas

fait, et ne pouvait pas faire, l’objet d’une mesure de « renvoi », mais seulement d’expulsion, au sens que le droit
140erne congolais donne à ces termes (v. supra, par. 1.76).
M. Diallo est né le 3 janvier 1947. V. MG, annexe 7.

36de nombreux ressortissants congolais et de contribuer au développement industriel du Congo.
Cet entrepreneur inspirait grandement confiance, y compris aux autorités de l’Etat. En

témoignent les nombreux contrats conclus par ses sociétés avec l’Etat congolais ou des

entreprises publiques. La République de Guinée a déjà rappelé ailleurs et en détail cet apport

substantiel de M. Diallo à l’économie de son pays d’accueil 141.

1.90 Compte tenu de l’intensité des liens d’attache de M. Diallo avec ce pays, on

peut légitimement se demander si l’article 12, paragraphe 4, du Pacte comme l’article 2,

paragraphe 2, de la Charte africaine n’ont pas été violés. En reconnaissant en effet le droit de

toute personne de « revenir dans son pays », ceux-ci interdisent toute expulsion des personnes

habilitées à se prévaloir de cette clause. Or, comme l’a souligné le Comité des droits de

l’homme dans son Observation générale n° 27 (Liberté de circulation (article 12)), les

auteurs du Pacte ont volontairement préféré utiliser dans cette disposition l’expression « son

pays » plutôt que « son Etat de nationalité » de manière à faire bénéficier de cette protection
absolue contre l’expulsion les personnes, même de nationalité étrangère, qui auraient établi

des liens durables et profonds avec leur pays de résidence. Tel était sans conteste le cas de

M. Diallo.

1.91 Il n’est pas besoin cependant d’invoquer cette disposition pour fonder

l’engagement de la responsabilité internationale du Congo. L’expulsion de M. Diallo est de

toute manière en effet manifestement contraire aux diverses règles internationales et internes

qui encadrent le pouvoir d’expulser : l’Etat défendeur n’a pas respecté l’obligation de motiver

l’expulsion (A) ; les règles de compétence, de forme et de procédure ont été délibérément

contournées (B) ; la procédure de refoulement a été volontairement et arbitrairement

détournée à des fins d’expulsion (C) ; enfin, à aucun moment M. Diallo n’a été mis en mesure

de faire valoir les raisons qui militaient contre son expulsion et de faire examiner son cas par
l’autorité compétente (D). Chacun de ces éléments suffit à fonder l’engagement de la

responsabilité internationale du Congo. Leur accumulation révèle le caractère totalement

arbitraire de la mesure prise au détriment de M. Diallo.

141V. OG, pp. 9-13, pars. 1.14-1.25.

37 A. L’Etat défendeur n’a pas respecté l’obligation de motiver l’expulsion

1.92 La violation de l’obligation de motiver l’expulsion est doublement constituée

en l’espèce.

1.93 Sur le plan formel tout d’abord, aucune motivation n’apparaît dans le décret

142
d’expulsion du 31 octobre 1995 , pas plus que dans le procès-verbal de refoulement du 31
143
janvier 1996 .

1.94 Le premier se contente d’une référence au « dossier personnel » de M. Diallo

pour justifier que sa présence et sa conduite « ont compromis et continuent à compromettre

l’ordre public zaïrois, et spécialement en matière économique, financière et monétaire ». Cette

dernière indication ne constitue nullement une motivation mais le simple rappel de la base

juridique de la mesure d’expulsion qui, effectivement, ne peut intervenir en vertu de

l’ordonnance-loi de 1983 qu’en rapport avec une telle catégorie abstraite de situations 144.

Quant à la référence au « dossier personnel » censée justifier que l’on se serait bien trouvé en

l’espèce dans une situation habilitant à expulser, elle constitue de manière caractérisée une

motivation inexistante puisqu’elle se limite à se référer au contenant (le « dossier ») sans

donner la moindre indication sur le contenu (quels faits justifiaient la mesure d’expulsion ?).

A ce jour, la République démocratique du Congo n’a jamais annexé ce « dossier personnel » à

ses écritures, si bien que l’on ne sait toujours rien des motifs de l’expulsion. L’eût-elle fait,

d’ailleurs, que cela n’aurait pas remis en cause le fait qu’aucune motivation ne figurait à la
145
date critique dans le décret d’expulsion . La République démocratique du Congo a du reste

indiqué lors des audiences publiques de novembre 2006 que ses autorités n’avaient pas

« indiqu[é] en détail dans [ce] texte légal [il s’agit du décret d’expulsion] tous les faits précis
146
qui étaient reprochés à M. Diallo » . En réalité, aucun fait précis n’y figure.

1.95 La situation est à cet égard tout à fait identique à celle de M. Oliva dans

l’affaire éponyme. Le Commissioner Agnoli y avait souligné l’arbitraire de l’expulsion en

142
143EP, annexe 75.
144MG, annexe 197.
V. supra, par. 1.80.
145V., mutatis mutandis, ce que la Cour a jugé dans l’Affaire relative à certaines questions concernant l’entraide
judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt du 4 juin 2008, par. 151 : « L’obligation juridique de
motiver le refus d’exécuter une commission rogatoire ne saurait être remplie du seul fait que l’Etat requérant a

146s connaissance des documents pertinents dans le cadre du procès, de nombreux mois plus tard ».
CR 2006/52, p. 19, par. 6 (M. Kalala).

38notant que « [t]he decree of expulsion in nowise explains, nor does it even fasten upon the

claimant, the vague and indefinite stain of being ‘notoriously injurious to public order’’ », ce

qui conduisit l’Umpire Ralston à constater l’illicéité de l’expulsion au motif que « the

expulsion of Oliva appears to have taken place without legal rights (…). The mere idle

suspicion of a consul should not (...) in a international commission be received as a sufficient
147
justification for the infraction of an international right » .

1.96 Quant au procès-verbal de refoulement, il se contente d’indiquer « séjour

irrégulier » pour justifier l’expulsion. Là encore, cela ne constitue pas une motivation au sens

juridique du terme dans la mesure où l’indication se contente de renvoyer à une catégorie

abstraite de situations, sans invoquer de faits concrets relatifs au cas particulier de M. Diallo.

En tout état de cause, la mention du « séjour irrégulier » ne constituait pas une base juridique
148
adéquate puisque légalement celle-ci ne pouvait fonder qu’une mesure de renvoi .

1.97 Sur le plan substantiel, les explications données après coup par l’Etat

défendeur pour justifier la mesure d’expulsion ne sont aucunement convaincantes et

confirment en réalité le caractère arbitraire des motifs de l’expulsion. L’Etat défendeur a

d’ailleurs hésité entre des versions différentes des motifs ayant justifié son acte, ce qui

témoigne, pour le moins, d’une certaine inconsistance de sa défense. Aucune des accusations

formulées contre M. Diallo pour fonder l’expulsion n’a au demeurant été étayée à ce jour. Le

seuil du simple « soupçon » n’a pas même été atteint. Il s’agit en réalité de pures pétitions de

principe, destinées à masquer, de manière bien peu défendable, les véritables motifs –

inavouables – de l’expulsion.

1.98 Dans ses Exceptions préliminaires, l’Etat défendeur invoquait d’entrée deux

justifications de l’expulsion : les revendications émises par M. Diallo au nom de ses deux

sociétés ; et son implication prétendue « dans certains trafics de devises » et sa culpabilité

dans « plusieurs tentatives de corruption de magistrats et de responsables politiques
149
zaïrois » .

147
148Recueil des sentences arbitrales, volume X, p. 600 et p. 608.
V. supra, par. 1.76.
149EP, pp. 39-40, pars. 1.53-1.55.

391.99 La première explication mérite à peine qu’on s’y arrête. Le simple fait pour M.

Diallo d’avoir réclamé le paiement de créances qu’il estimait être dues à ses sociétés – et dont

nombre d’éléments montraient le caractère légitime 150 – ne peut assurément constituer un

motif valable d’expulsion. Certes, les sommes réclamées pouvaient paraître excessives, mais

cela s’expliquait par le caractère très élevé des taux d’intérêt bancaires de l’époque et par

l’existence d’une inflation galopante culminant à 23 000 % en 1992. Ces facteurs rendaient

bien entendu très difficile l’estimation financière des préjudices subis par les sociétés de

M. Diallo et ont pu entraîner de sa part la surestimation de ces créances, qu’explique le

contexte économique de l’époque 151.

1.100 Le Congo prétend plus exactement d’ailleurs que ce serait seulement la

« publicité » donnée à ces réclamations qui aurait justifié la mesure prise. Mais le seul

élément de « preuve » avancé par l’Etat défendeur réside dans des lettres envoyées par

M. Diallo le 30 novembre 1995, soit un mois après la signature du décret d’expulsion qui ne

peut donc trouver dans ses lettres la moindre justification. Le fait que le Congo ait jugé

prudent, dès ses Exceptions préliminaires, d’avancer une seconde série d’explications pour

justifier ses actes montre d’ailleurs que lui-même jugeait bien peu crédible l’argument ici

réfuté.

1.101 Cette seconde série d’explications tenant aux prétendues activités criminelles

de M. Diallo n’est d’ailleurs pas plus convaincante. Elle ne repose sur aucun élément de
152
preuve et relève d’une accusation purement gratuite, hautement préjudiciable à la

réputation et à l’honneur de M. Diallo.

1.102 L’Etat défendeur invoque uniquement une lettre envoyée le 15 novembre 1995

par les sociétés Mobil et Fina par le biais de laquelle celles-ci auraient « saisi officiellement

les autorités zaïroises pour dénoncer la conduite répréhensible de Monsieur Diallo » 153. Mais

cette lettre, elle aussi postérieure au décret du 31 octobre 1995, n’avance à son tour aucun

élément de preuve pour étayer cette prétendue « conduite répréhensible ». Elle se contente de

rappeler que M. Diallo avait gagné son procès contre la société Zaïre-Shell, ce qui, dans un

150V. CR 2006/51, pp. 15-18, par. 12, al. 1) à 4) (M. Forteau).
151Ibid., par. 12, al. 5).
152V. ibid., pp. 14-15, pars. 9-10, où il est souligné en particulier que ces accusations n’ont jamais été invoquées
contre M. Diallo dans l’ordre interne congolais, et notamment pas par les personnes pourtant les plus intéressées

153e faire (les débiteurs des sociétés de M. Diallo).
EP, p. 39, par. 1.53, et annexe 74.

40Etat de droit, ne peut évidemment constituer une « conduite répréhensible ». Cette lettre vient

confirmer par ailleurs le bien-fondé de la demande guinéenne, en révélant le véritable motif

de l’expulsion. Les sociétés pétrolières y sollicitent en effet « l’intervention du Gouvernement

pour prévenir les Cours et Tribunaux des agissements de Monsieur Diallo Amadou Sadio ».

Ce faisant, on demandait au pouvoir exécutif de s’ingérer dans des procédures judiciaires en

cours à la seule fin de mettre un terme aux tentatives de M. Diallo de récupérer par la voie

amiable ou contentieuse (donc, par des voies publiques et légales) les créances qu’il estimait

être dues à ses sociétés (au sujet des ingérences du pouvoir exécutif dans les procédures

judiciaires entamées par M. Diallo au nom de ses sociétés, v. supra, section 1, par. 1.41).

1.103 La République démocratique du Congo ne s’est d’ailleurs pas toujours prévalue

de cette seconde série d’explications (les actes criminels dont M. Diallo aurait été l’auteur).

Lors des audiences publiques de la fin de l’année 2006, le seul élément justifiant l’expulsion

s’est réduit à la « très large publicité » donnée par M. Diallo aux réclamations de ses sociétés

dans les lettres précitées du 30 novembre 1995, qui à elles seules auraient fondé « le décret

d’expulsion de M. Diallo (…) pris par le Gouvernement congolais en date du 31 novembre
154
[sic] 1995 » . Mais l’explication est tout bonnement impossible : le décret ne peut avoir été

adopté le lendemain de la date d’envoi des lettres puisque celles-ci – d’après les indications

qui y figurent – ont été reçues par leurs destinataires plusieurs jours plus tard, au début du
155
mois de décembre 1995 . En tout état de cause, le décret d’expulsion a été adopté le 31

octobre, et pas le « 31 novembre ». Des erreurs aussi grossières dans la présentation des faits

en disent long sur la tendance de l’Etat défendeur à refaire l’histoire d’une manière qui lui

permettrait aujourd’hui de justifier ses actes d’une manière un tant soit peu plausible.

1.104 Confrontés à ces erreurs factuelles, les Conseils congolais ont tenté de rectifier

le tir lors du second tour de plaidoiries orales en prétendant que les lettres en question ne

constituaient pas la seule justification de l’expulsion et en avançant à cet effet une nouvelle

explication digne d’un (mauvais) roman d’espionnage. Selon le Congo, « il faut dire que les

services spéciaux de la RDC suivaient M. Diallo depuis plusieurs mois et recevaient des

rapports réguliers sur son comportement général et sur ses contacts. Tout ceci a abouti à son
156
expulsion le 31 janvier 1996 » . Une fois de plus, le Congo, au lieu d’assumer ses actes dans

154
155CR 2006/50, p. 39, pars. 86-87.
V. MG, annexe 187 (lettre reçue le 7 décembre 1995) ou MG, annexe 188 (lettre reçue le 6 décembre).
156CR 2006/52, pp. 19-20, par. 10 (M. Kalala).

41un esprit responsable, se réfugie derrière l’accusation gratuite, injurieuse et évasive (de quels

« contacts » peut-il bien s’agir ?) comme seul moyen de défense.

1.105 Dans le contre-mémoire, la justification de l’expulsion a subi une nouvelle

évolution, dans le sens de son aggravation. M. Diallo aurait été expulsé non plus – comme le

soutenait jusque-là le Congo – en raison d’actes de nature exclusivement individuelle, dont les

157
Exceptions préliminaires minoraient d’ailleurs le caractère criminel qu’elles leur prêtaient .

M. Diallo aurait été expulsé en raison de son implication « dans [d]es crimes économiques »

et dans le cadre d’une « lutte vigoureuse » initiée « au début de l’année 1995 » « contre la

criminalité et la déstabilisation économiques généralisées » imputables à des « groupes

mafieux [qui] cherchaient à profiter de la faiblesse et de l’instabilité des autorités étatiques »

et qui « régnaient sur l’économie du pays, fabriquaient de la fausse monnaie, trafiquaient des
158
devises étrangères et détruisaient les finances publiques » . Le changement et le

durcissement de la qualification juridique sont patents ici (de crimes isolés, on passe à la

criminalité organisée), sans que, de nouveau, le moindre élément de preuve soit avancé au

soutien d’accusations si gravissimes.

1.106 La Guinée ne peut s’empêcher d’observer à ce propos que si ces dernières

accusations avaient la moindre vraisemblance, la mansuétude dont le ministre de la justice

congolais a pu dire, rétroactivement, que son Etat était disposé à faire preuve à l’égard de M.

Diallo juste après son expulsion 159, fait douter de la bonne foi avec laquelle l’Etat défendeur

essaie aujourd’hui de justifier l’expulsion de M. Diallo en s’abritant derrière des accusations

aussi graves qu’elles sont imaginaires. Il est difficile de croire en effet que le Congo aurait

accepté, quelques mois seulement après son expulsion, le retour sur son territoire d’une

personne qu’il dit aujourd’hui avoir été impliquée dans des crimes organisés d’une si grande

ampleur qu’ils étaient susceptibles de déstabiliser l’Etat congolais dans son entier.

157
C’est parce qu’elles auraient été « lassées de la conduite » de M. Diallo (pp. 37-38, par. 1.52) et de sa
« capacité de nuisance » (p. 40, par. 1.55) que les autorités congolaises l’auraient expulsé. On imagine
difficilement que de telles expressions soient employées à l’égard d’une personne expulsée pour avoir commis
des crimes aussi graves que ceux que le Congo attribue désormais à M. Diallo dans son contre-mémoire. On ne
saurait parler de « nuisance » pour viser le banditisme organisé, et on n’expulse pas ses membres simplement

158ce qu’on est « lassé » de leur conduite.
159C-M, pp. 10-11, pars. 1.07-1.08.
V. CR 2006/50, p. 15 : « Si M. Diallo avait souhaité revenir en République démocratique du Congo pour
reprendre ses activités, les autorités congolaises auraient pu accueillir favorablement sa demande.
Malheureusement, ce n’est pas la voie qu’il a choisie. Il a préféré se produire sur la scène internationale en
lançant des accusations contre mon pays. Le Gouvernement de la République démocratique du Congo regrette

que la République de Guinée ait encouragé M. Diallo dans cette voie au lieu d’initier des négociations
diplomatiques sur le plan bilatéral en vue de régler ce problème ».

421.107 L’escalade dans les qualifications juridiques utilisées ne s’arrête d’ailleurs pas

là puisque l’Etat défendeur n’hésite pas non plus à écrire, dans son contre-mémoire toujours,

que les lettres envoyées le 30 novembre 1995 par M. Diallo auraient en elles-mêmes constitué
160
des « activités criminelles » . La Guinée ne voit pas en quoi pourrait bien constituer un acte

« criminel » le fait d’envoyer une lettre, nullement injurieuse mais au contraire couchée dans

les termes les plus respectueux et les moins comminatoires, au premier ministre, au ministre

des finances ou au président de la Cour internationale de Justice, pour les informer de

créances dont M. Diallo estimait que ses sociétés étaient bénéficiaires et dont certaines

avaient été reconnues par leurs débiteurs, par les autorités congolaises et par leurs juridictions
161
internes . Il n’y a évidemment là absolument rien de « criminel », ni même d’attentatoire à

l’ordre public. S’il fallait le démontrer, il suffirait de renvoyer, a contrario, à l’affaire Boffolo

dans laquelle la publication dans la presse d’un article mettant en cause les autorités de l’Etat

et incitant à la lecture de journaux subversifs à une époque d’instabilité politique n’a pas été
162
considérée comme pouvant justifier l’expulsion de son auteur . Comparativement, on ne voit

pas à quel titre de simples lettres, n’ayant rien de subversif ni d’irrespectueux, pourraient bien

emporter cet effet.

1.108 Quoi qu’il en soit, dans la mesure où strictement aucune des accusations très

graves lancées contre M. Diallo n’a jamais reçu (ni ne pouvait recevoir) le moindre

commencement de preuve, il est manifeste que la motivation comme les justifications

avancées postérieurement sont inexistantes et que l’expulsion est bel et bien arbitraire dans

ses motifs.

B. Les règles de compétence, de forme et de procédure ont été délibérément
contournées

1.109 Les règles de compétence, de forme et de procédure imposées par le droit

international et par le droit interne congolais ont par ailleurs été manifestement violées par les

autorités congolaises, qui ont délibérément contourné les obligations qu’elles leur imposaient.

160
161C-M, pp. 11-12, par. 1.10.
V. supra, par. 1.99.
162Recueil des sentences arbitrales, volume X, pp. 536-538.

431.110 Alors tout d’abord que l’ordonnance-loi de 1983 réserve au seul Président de la
163
République le pouvoir d’adopter une « ordonnance » d’expulsion , M. Diallo a fait l’objet
164
d’un « décret » d’expulsion , adopté par le Premier ministre, puis d’un procès-verbal de

refoulement signé de la simple main du « Préposé d’immigration » 165. Ce n’est donc à aucun

moment l’autorité compétente qui a agi. Certes, l’Etat défendeur a produit trois autres décrets

d’expulsion, relatifs à d’autres individus, qui sont signés eux aussi par le Premier ministre, et
166
non le Président de la République . Mais cela ne saurait effacer la violation des règles

légales de compétence. Au demeurant, on relèvera une grande différence entre ces trois

décrets et celui adopté contre M. Diallo : ceux-là mentionnent expressément dans leurs visas

« vu la décision du Conseil des ministres en sa réunion du [suite la date] », qui atteste de la

167
collégialité de la décision prise et du contrôle exercé par le Président de la République . Le

décret pris contre M. Diallo ne comporte rien de tel.

1.111 Par ailleurs, alors que sa consultation était obligatoire et que la mention de sa

consultation figure par exemple dans les autres décrets d’expulsion joints par le Congo à ses

écritures 168, la Commission nationale d’immigration n’a pas été saisie du cas de M. Diallo, et

le décret d’expulsion ne mentionne pas en conséquence dans ses visas qu’elle l’a valablement
169
été (ce qui constitue une double violation des règles législatives internes . Ce faisant, aucune

des nombreuses garanties offertes à la personne objet d’une procédure d’expulsion par

l’ordonnance de 1967 n’a été, et n’a pu être, respectée 170.

1.112 Enfin, et là encore en contrariété avec ce que prévoit expressément la loi
171 172
congolaise et le droit international , le décret d’expulsion n’a fait l’objet d’aucune mesure
173
de notification à M. Diallo . L’Etat défendeur l’admet d’ailleurs sans ambiguïté : « entre les

deux dates » – pourtant bien éloignées dans le temps – du 31 octobre 1995, jour d’adoption du

décret d’expulsion, et du 31 janvier 1996, jour de l’éloignement effectif de M. Diallo, celui-ci

163
164V. supra, par. 1.77.
EP, annexe 75.
165MG, annexe 197.
166EP, annexes 69 et 76
167
Même indication dans le décret du 16 mars 1996 portant levée d’une mesure d’indésirabilité, joint comme
168exe 68 aux EP.
V. les documents cités aux deux notes précédentes, qui indiquent tous : « Vu l’avis favorable de la
Commission nationale d’immigration ».
169V. supra, pars. 1.77-1.78.
170
171V. supra, pars. 1.82-1.83.
V. supra, par. 1.79.
172V. supra, par. 1.66.
173V. RG, annexe 1, réponses aux quinzième, vingtième et vingt-sixième questions.

44 174
ne « sav[ait pas] qu’un décret d’expulsion était pris à son encontre (…) » . Par contraste, M.

Yaghi, qui avait fait l’objet d’un décret d’expulsion le 27 février 1995, s’est vu signifier le 6

mars 1995 un « procès-verbal de notification d’expulsion », soumis à sa signature après qu’il

en eût « pris connaissance » 175. L’absence de notification s’est du reste prolongée. Au

moment de rédiger son mémoire, le demandeur ne disposait toujours d’aucune copie du décret

du 31 octobre 1995 et il lui a fallu attendre que l’Etat défendeur l’annexe à ses Exceptions
er 176
préliminaires (le 1 octobre 2002) pour qu’il en apprenne l’existence .

1.113 La République démocratique du Congo ne saurait de ce dernier point de vue

s’abriter derrière le procès-verbal de refoulement du 31 janvier 1996, effectivement notifié à

M. Diallo, pour les raisons qui sont développées dans le point suivant.

174
175CR 2006/52, pp. 19-20, par. 10 (M. Kalala).
176EP, annexe 69.
La description donnée dans le mémoire annexé à la requête de la Guinée des journées des 28, 29 et 31 octobre
1995 (Requête, pp. 9-10) est d’autant plus intéressante à cet égard qu’elle a été rédigée à une date à laquelle la
République de Guinée ne connaissait pas l’existence du décret du 31 octobre 1995. Les faits qui y sont relatés

permettent de comprendre, après coup, pourquoi et dans quelles circonstances ce décret a été adopté le 31
octobre, et pas à une autre date ; réciproquement, l’information obtenue après coup qu’un décret d’expulsion
avait été adopté le 31 octobre 1995 confirme la version des faits qui figure dans la Requête. Celle-ci indique
qu’après avoir eu confirmation et déclaré le 28 octobre 1995 qu’il n’y avait pas eu de mal jugé manifeste dans

l’affaire Zaïre Shell – le caractère immédiatement exécutoire de l’arrêt rendu au profit de la société M. Diallo
étant ainsi confirmé (v. supra, section 1, par. 1.41), le premier ministre « a ordonné au ministre de la justice de
réunir les deux parties avec leurs avocats pour convenir d’un calendrier d’apurement de la dette afin que la saisie
soit levée ». Une première réunion a eu lieu le samedi 29 octobre au cours de laquelle les responsables de Zaïre
Shell « ont donné leur accord à payer la créance d’Africontainers. Le ministre de la justice a pris acte de cet

accord et a ordonné aux parties de se retrouver le lundi à 9 heures [le 31 octobre] au cabinet de l’inspecteur
général des services judiciaires pour élaborer un calendrier de paiement avant que la saisie ne soit levée ». Les
responsables des compagnies pétrolières ont alors « proposé au premier ministre qui venait de créer un parti dont
son directeur de cabinet est membre de lui donner le montant de la condamnation de Zaïre Shell afin qu’il

expulse M. Ahmadou Sadio Diallo du pays ». Lors de la réunion se tenant le lundi 31 octobre et en conséquence,
« Zaïre Shell a refusé de proposer un calendrier d’apurement de sa créance » et « [l]e premier ministre (…)
ordonn[a] au ministre de la justice de procéder à la levée de la saisie, ce qui a été fait. Une lettre signée du
directeur du cabinet de la primature fut également envoyée au ministre de la justice et au ministre de l’intérieur,

les sommant de donner l’ordre d’expulser M. Ahmadou Sadio Diallo. En exécution de cette instruction, les
forces de l’ordre ont pris ledit sieur le samedi 5 novembre 1995 à 13 heures pour le mettre clandestinement aux
arrêts sans aucune forme de procès ou même d’interrogatoire ». Comme on le sait maintenant, cette
« instruction » a pris la forme d’un décret signé le 31 octobre, sur lequel sont apposées trois signatures : celle du
premier ministre, celle du ministre de la justice et celle du ministre de l’intérieur (on notera que les autres décrets

d’expulsion joints par l’Etat défendeur à titre d’exemples comparatifs dans ses écritures ne comportent pas la
signature du ministre de la justice, mais, de manière plus compréhensible, celle du ministre de la défense
nationale, qui fait défaut sur le décret d’expulsion de M. Diallo (v. EP, annexe 76)).

45 C. La procédure de refoulement a été volontairement et arbitrairement
détournée à des fins d’expulsion

1.114 L’expulsion de M. Diallo a été concrétisée par la signature le 31 janvier 1996

du procès-verbal de refoulement 17. A l’instar du décret d’expulsion, celui-ci heurte à de

nombreux égards les obligations internes et internationales du Congo.

1.115 Dans la mesure où, comme la Guinée l’a déjà indiqué, les procédures de

refoulement et d’expulsion sont absolument distinctes dans leurs cas d’application et leurs

régimes 178, il était impossible de notifier puis d’exécuter le décret d’expulsion par le biais

d’un procès-verbal de refoulement. Il ne fait dès lors pas de doutes que la procédure de

refoulement a été détournée de sa fonction.

1.116 Matériellement, le procès-verbal de refoulement porte d’ailleurs plusieurs

marques de ce détournement, qui en affecte gravement la légalité, et même la

cohérence intrinsèque :

(i) M. Diallo est indiqué être « en provenance de Kinshasa », ce qui était vrai, mais ce

qui rendait du même coup absolument impossible le recours à la procédure de refoulement,

réservée aux personnes ne se trouvant pas encore sur le territoire congolais ;

(ii) l’ordonnance-loi de 1983 autorise en son article 13 le refoulement dans le seul cas

où l’individu qui entend entrer sur le territoire n’est pas « muni des documents prévus à

l’article 3 » (« documents et visas prévus par le Président (…) de la République »). Le

formulaire type de procès-verbal de refoulement comporte pour cette raison deux tirets

dactylographiés (« - immigration sans visa ; - immigration sans carnet de vaccination ») entre

lesquels le Préposé d’immigration doit choisir en biffant la mention inutile ou qu’il peut

retenir cumulativement. Comme bien entendu il ne pouvait s’agir de motifs valables pour

justifier l’expulsion de M. Diallo, le Préposé d’immigration a barré les deux mentions pour
leur substituer à la main un tierce motif : « séjour irrégulier ». Mais ce motif était lui-même

erroné (M. Diallo étant en situation de séjour régulier) et par ailleurs il était juridiquement

absurde : d’une part, parce qu’une personne séjournant irrégulièrement au Congo est par

définition déjà entrée sur son territoire et ne peut donc être refoulée ; d’autre part, parce le cas

177
MG, annexe 197.
178V. supra, par. 1.76.

46du « séjour irrégulier » relève d’une autre procédure que celle du refoulement ou de

l’expulsion, celle du « renvoi » 17.

1.117 Comme la Cour l’a souligné dans son arrêt du 24 mai 2007, l’« erreur »

commise par le préposé d’immigration n’était certainement pas involontaire, puisque

« l’article 13 de l’ordonnance-loi n° 83-033 du 12 septembre 1983 (…) spécifie (…)
180
expressément que la ‘‘mesure [de refoulement] est sans recours’’ » . Selon la Cour toujours,

« la RDC ne saurait aujourd’hui se prévaloir » de cette prétendue erreur, M. Diallo étant

« autorisé à tirer les conséquences juridiques de la qualification juridique ainsi donnée par les

autorités zaïroises (…) » 181. En raison du choix de la procédure de refoulement, celui-ci a été

délibérément privé de la possibilité de contester son expulsion.

1.118 L’autre « avantage » que les autorités congolaises pouvaient tirer du recours à

la procédure de refoulement du point de vue de leur droit interne tenait à la rapidité de son

exécution. En vertu de l’article 13 de l’ordonnance-loi de 1983, non seulement la mesure de

refoulement est sans recours, mais « l’étranger est immédiatement reconduit de l’autre côté de
182
la frontière aux fins de rapatriement[ ], tous frais éventuels étant à charge du transporteur ».

En l’espèce, il n’y avait aucun « transporteur » auquel imputer ces frais, puisque M. Diallo ne

venait pas d’arriver sur le territoire congolais. Cela explique sans doute que ce soit la

personne principalement intéressée à l’expulsion de M. Diallo (la société Zaïre-Shell) qui se

soit acquittée du prix du billet d’avion, marquant par là encore un peu plus le détournement

manifeste du pouvoir de refouler 183.

1.119 Les circonstances dans lesquelles l’expulsion a eu lieu confirment la volonté

des autorités congolaises de prendre M. Diallo au dépourvu et de le mettre le plus tard

possible (et lorsqu’il était trop tard) devant le fait accompli. L’Etat défendeur soutient sur ce

point dans son contre-mémoire la version suivante des faits :

179V. ibid.
180Arrêt du 24 mai 2007, par. 46.
181Id.
182
Le procès-verbal de refoulement indique en conséquence que M. Diallo est « remis (e) immédiatement en
183ors du territoire Zaïrois ».
V. supra, par. 1.54. De son côté, la requête guinéenne précise que « la compagnie aérienne Camair a refusé de
prendre l’homme d’affaires à bord, faute de document de voyage et de dossier judiciaire d’expulsion » et que ce
n’est que sous la contrainte d’une menace de fermeture de ses bureaux de Kinshasa qu’elle a accepté
d’embarquer M. Diallo sur la base d’un procès-verbal de refoulement (Requête, pp. 11-12). V. également RG,

annexe 1, réponse à la vingt-huitième question.

47 « Le 10 janvier 1996, l’Administrateur général du Service de l’immigration ordonnera
sa mise en liberté [celle de M. Diallo] du fait que le gouvernement n’arrivait pas à

trouver un avion en partance pour Conakry dans le délai légal de 8 jours maximum de
détention en vue de l’expulsion du territoire congolais. La solution du problème de
transport de M. Diallo vers Conakry ayant été trouvée quelques jours plus tard, celui-

ci a été int184ellé par la police et expulsé le 31 janvier 1996 du territoire congolais vers
la Guinée » .

1.120 Si cette version des faits était vraie, il devrait s’en déduire trois choses au

moins :

(i) M. Diallo connaissait, le 10 janvier 1996 au plus tard, la raison pour laquelle il

avait été emprisonné et le caractère précaire de sa mise en liberté (celle-ci ne devait durer que

le temps que l’on trouve un avion pour Conakry pour exécuter la mesure d’expulsion), ce qui

devait lui laisser le temps de préparer son départ ;

(ii) une fois trouvée la « solution du problème de transport », rien n’empêchait les

autorités congolaises de procéder dans le respect des règles applicables à une authentique

expulsion, qu’elles avaient le temps de décider et d’organiser en prenant les actes et les

décisions juridiques qui s’imposaient ;

(iii) c’est parce que l’on cherchait à renvoyer M. Diallo vers son pays de nationalité

que l’exécution de l’expulsion aurait pris du temps, mais en définitive, celui-ci aurait été

« expulsé le 31 janvier 1996 du territoire congolais vers la Guinée ».

1.121 Aucune de ces trois déductions ne correspond néanmoins à la réalité :

(i) M. Diallo a bel et bien été mis en liberté le 10 janvier 1996, mais le seul motif porté
185
à sa connaissance qui figure sur le billet de mise en liberté est le suivant : « Monsieur

Diallo Amadou Sadio est mis en liberté », non pas ‘le temps de trouver un avion en partance
pour Conakry afin de mettre à exécution le décret d’expulsion’, mais « pour raison

d’enquête ». Cela montre que celui-ci n’avait toujours pas été informé à cette date qu’il faisait

l’objet d’une décision d’expulsion ; cela indique aussi que les autorités congolaises, en usant

184
C-M, p. 12, par. 1.11.
185MG, annexe 194.

48de ce motif fallacieux et bien peu explicite, entendaient cacher à M. Diallo la mesure qu’elles
s’apprêtaient à exécuter à son encontre ;

(ii) le motif avancé par l’Etat défendeur (le « problème de transport » aurait tenu à la

difficulté de trouver un avion en partance pour Conakry, problème qui aurait été finalement

résolu, puisque M. Diallo aurait été renvoyé « vers la Guinée ») ne correspond pas plus à la

réalité. Contrairement à ce que le Congo écrit, le procès-verbal de refoulement indique que

M. Diallo est remis en dehors du territoire zaïrois « à destination de : Abidjan via Douala »,

en suivant « l’itinéraire : Kinshasa – Douala – Abidjan ». Autrement dit, M. Diallo n’a pas été

renvoyé en Guinée, mais en Côte d’Ivoire, à plus de 500 km à vol d’oiseau de la frontière

guinéenne.

1.122 En définitive, M. Diallo n’a donc appris qu’au tout dernier moment qu’il allait

être expulsé ; cette expulsion a été sciemment réalisée par le biais d’un procès-verbal de
refoulement privé de toute base légale et contre lequel aucun recours n’était juridiquement

ouvert ; et M. Diallo, n’emportant avec lui que les vêtements qu’il portait ce jour-là, a été

renvoyé à l’instant même dans un pays qui lui était non seulement totalement étranger, mais

qui était situé à plusieurs centaines de kilomètres de son pays de nationalité dans lequel il

avait d’ailleurs cessé de vivre depuis plus de trente ans. Dans ces conditions, le qualificatif

d’« arbitraire » paraît faible pour caractériser le comportement de l’Etat défendeur.

D. M. Diallo n’a à aucun moment été mis en mesure de faire valoir les raisons qui
militaient contre son expulsion et de faire examiner son cas par l’autorité
compétente

1.123 Comme la Guinée vient de le souligner et comme la Cour l’a constaté, aucun

recours n’était ouvert contre la mesure qualifiée de refoulement par les autorités congolaises.
La Cour a également souligné dans son arrêt sur les exceptions préliminaires que « quand bien

même il se serait agi en l’occurrence d’une expulsion et non d’un refoulement comme le

prétend la RDC [hypothèse rejetée par la Cour au paragraphe précédent de son arrêt], cette

dernière [la RDC] n’a pas davantage démontré l’existence dans son droit interne de voies de

recours ouvertes contre les mesures d’expulsions » 186. Dès lors, il est acquis que l’Etat

défendeur n’a pas respecté le droit de la personne expulsée de faire valoir les raisons qui

186Arrêt du 24 mai 2007, par. 47.

49 187
militent contre son expulsion et de faire examiner son cas par l’autorité compétente .

1.124 La République démocratique du Congo a cependant fait valoir dans son contre-

mémoire qu’il existait bien des voies de recours ouvertes contre la mesure d’expulsion, en

invoquant à cet effet la Constitution congolaise du 9 avril 1994 et l’ordonnance-loi n° 82-017

du 31 mars 1982. La Constitution congolaise de 1994, entrée en vigueur en 1996,

postérieurement d’ailleurs de plusieurs mois à l’expulsion de M. Diallo, ne fait cependant

qu’affirmer, sans en préciser les modalités concrètes d’organisation et le champ d’application

précis, le principe très général selon lequel la Cour Suprême de Justice « connaît des recours

en annulation des actes et décisions des autorités centrales de la République » 188. Comme

telle, elle est donc privée d’effet direct et les seuls textes probants ne peuvent être que ceux

qui en précisent les conditions de mise en Œuvre. C’est la raison pour laquelle le Congo

invoque parallèlement l’ordonnance-loi n° 82-017 du 31 mars 1982 qui, selon la description

qu’en donne le contre-mémoire, organise « la procédure concernant les demandes

d’annulation des actes, décisions et règlements des autorités centrales qui peuvent être

introduites par tout particulier lésé »89. Mais :

(i) l’ordonnance-loi de 1983 relative à la police des étrangers, située au même niveau

que l’ordonnance de 1982 dans la hiérarchie des normes internes et par ailleurs postérieure à

elle, prévoit expressément que la mesure de refoulement est « sans recours ». Or, dans la

mesure où, comme la Cour l’a reconnu dans son arrêt du 24 mai 2007, la seule qualification

juridique opposable à M. Diallo était celle de « refoulement », l’ordonnance de 1983

dérogeait en l’espèce à celle de 1982 en vertu des principes lex posterior derogat priori et lex

specialis derogat generali ;

(ii) en tout état de cause mais à titre totalement surabondant, même si le décret

d’expulsion, et non la mesure de refoulement, était concerné, celui-ci n’aurait pas pu être

attaqué en annulation devant la Cour Suprême de Justice faute d’avoir jamais été notifié à

M. Diallo, l’article 88 du Code judiciaire zaïrois disposant en effet qu’« [a]ucune requête en

annulation n’est recevable si le requérant n’a pas au préalable introduit, dans les trois mois qui

187
188V. supra, pars. 1.66-1.68.
189C-M, p. 19, par. 1.29.
C-M, p. 19, pars. 1.29-1.30.

50suivent la date de publication à lui faite personnellement de l’acte entrepris, une réclamation
190
auprès de l’autorité compétente tendant à voir rapporter ou modifier cet acte » ;

(iii) rien ne garantit de toute manière que la Cour Suprême de Justice se serait estimée

compétente à l’égard d’un décret d’expulsion, puisque l’article 87 du Code judiciaire dispose

que celle-ci « apprécie souverainement quels sont les actes du Conseil exécutif qui échappent
191
à son contrôle » .

1.125 Tout cela relève au demeurant d’un vain débat puisque le Congo s’est d’emblée

placé dans son contre-mémoire sur le terrain des exceptions au droit que détenait M. Diallo de

contester la mesure d’expulsion. La situation n’est de ce point de vue pas différente de celle

de la Hongrie dans l’affaire relative au Projet Gabcikovo-Nagymaros à propos de laquelle la

Cour a jugé « qu’en invoquant l’état de nécessité pour tenter de justifier [son] comportement,

la Hongrie a choisi de se placer sur le terrain du droit de la responsabilité des Etats,
192
impliquant par là qu’en l’absence d’une telle circonstance sa conduite eût été illicite » .

1.126 En l’espèce, l’article 13 du Pacte de 1966 soustrait les Etats au respect de

l’obligation d’offrir un recours contre la mesure d’expulsion lorsque « des raisons impérieuses

de sécurité nationale (…) s’y opposent ». L’Etat défendeur s’en prévaut expressément dans

son contre-mémoire, d’une manière qui ne laisse aucun doute quant à la volonté qui a été la

sienne de priver M. Diallo d’un tel recours, mais d’une manière aussi qui n’est pas conforme

aux prescriptions de l’article 13 et de la jurisprudence internationale rappelés
193
précédemment .

1.127 Selon la République démocratique du Congo,

« [l]es raisons impérieuses de sécurité nationale sont laissées à l’appréciation

souveraine de chaque Etat. La décision d’expulser un étranger en séjour régulier sur le
territoire d’un Etat n’est pas une mesure qu’un Etat prend avec légèreté. Dans le cas de
M. Diallo, les agissements quotidiens de celui-ci avaient atteint une gravité telle que le

Gouvernement congolais a jugé, de manière discrétionnaire, qu’il était urgent et
impérieux, pour des raisons de sécurité nationale et de maintien de l’ordre public, de
l’éloigner du territoire. Dans ces conditions, (…) il n’était pas requis de donner à

M. Diallo la possibilité de faire valoir les raisons qui militaient contre son expulsion et

190
191C-M, annexe 14 (italiques ajoutés).
192Ibid.
Arrêt du 25 septembre 1997, CIJ Recueil 1997, p. 39, par. 48 (italiques ajoutés).
193V. supra, par. 1.69.

51 de faire examiner son cas par l’autorité compétente, au moment même où il était en
instance d’être expulsé » 194.

1.128 Contrairement à ce qui est affirmé ici, l’article 13 du Pacte ne laisse aucun

pouvoir d’« appréciation souveraine » à l’Etat qui invoque l’exception des raisons
195
impérieuses de sécurité nationale . Il appartient donc à la Cour, comme elle l’a déclaré dans

l’affaire Nicaragua et plus récemment dans l’affaire relative à Certaines questions concernant

l’entraide judiciaire en matière pénale, de vérifier si cette exception pouvait être invoquée en

l’espèce. Clairement, elle ne le pouvait pas.

1.129 La République de Guinée soulignera d’abord le caractère pour le moins étrange

de la conception que l’Etat défendeur se fait de l’urgence. Le comportement de M. Diallo,

soutient-il, aurait « atteint une gravité telle » qu’il aurait été « urgent et impérieux (…) de

l’éloigner du territoire national ». Pourtant, les autorités congolaises ont laissé plus de quatre-

vingt dix jours s’écouler avant de mettre à exécution, dans les conditions que l’on sait, le

décret d’expulsion du 31 octobre 1995. Elles ont d’ailleurs, dans l’intervalle, remis en liberté

(non surveillée) M. Diallo, le 10 janvier 1996. Voilà un comportement pour le moins

imprévoyant de la part d’un Etat se disant confronté à l’époque des faits à des « raisons

impérieuses de sécurité nationale » tenant, selon le même Etat, au comportement même de la

personne que l’on libère. La défense devient d’autant plus invraisemblable quand on sait que

l’Etat défendeur prétend par ailleurs que M. Diallo n’aurait jamais été détenu plus de huit
196
jours au cours de cette même période de quatre-vingt dix jours .

1.130 Quoi qu’il en soit, le Congo n’explique de toute manière pas en quoi il aurait

été impossible, durant ces quatre-vingt dix jours, de permettre à M. Diallo de contester son

expulsion.

1.131 Rien dans le dossier, ni dans les affirmations du défendeur, ne vient enfin au

soutien de l’existence de ces prétendues « raisons impérieuses de sécurité nationale ». Comme

on le sait, celles-ci couvrent quelque chose de différent du trouble à l’ordre public censé

justifier l’expulsion 197. Or, absolument rien dans le comportement que l’Etat défendeur lui-

194C-M, pp. 18-19, par. 1.28.
195
196V. supra, par. 1.69.
197V. supra, section 1, §2, A.
V. supra, par. 1.69.

52même impute – à tort – à M. Diallo ne relève de ce que l’on peut classer parmi les atteintes à
198
la sécurité nationale . Les autorités congolaises n’ont à aucun moment prétendu en effet – à

plus forte raison, elles ne l’ont pas prouvé – que M. Diallo se serait livré à des activités

militaires ou séditieuses, se contentant d’estimer, sans aucune preuve à l’appui, que son

comportement aurait porté atteinte à l’ordre public. Ainsi la défense du Congo n’est-elle non

seulement pas étayée, elle n’est même pas formellement fondée.

1.132 Ne subsiste donc en définitive que l’aveu de l’Etat défendeur selon lequel ses

autorités ont « jugé » qu’« il n’était pas requis de donner à M. Diallo la possibilité de faire

valoir les raisons qui militaient contre son expulsion et de faire examiner son cas par l’autorité

compétente ». De fait, non seulement celles-ci se sont, sans motif valable, abstenues de

prendre les mesures qui s’imposaient pour garantir le respect de ce droit, elles sont allées

jusqu’à violer leurs règles internes pour mieux s’assurer que M. Diallo n’en bénéficierait pas.

A aucun moment en effet elles ne lui ont notifié le décret d’expulsion ; au contraire, elles lui

en ont caché l’existence, avant d’éloigner délibérément M. Diallo par le biais d’une mesure de

refoulement qu’elles savaient être une mesure « sans recours ».

*

1.133 La manière suivant laquelle M. Diallo a été expulsé du territoire congolais

révèle clairement, en définitive, une « méconnaissance délibérée des procédures régulières »,
199
qui « heurte, ou du moins surprend, le sens de la correction juridique » . Grossièrement

arbitraire, l’expulsion de M. Diallo constitue également un manquement caractérisé aux

différentes obligations, coutumières et conventionnelles, qui s’imposaient à l’Etat défendeur.

Ce dernier a engagé en conséquence, et en ces différents points, sa responsabilité

internationale à l’égard de la Guinée.

1.134 Illicite en elle-même, l’expulsion l’est aussi à travers les effets qu’elle n’a pas

manqué de produire sur d’autres droits dont M. Diallo était destinataire.

198V. par exemple ce que l’article XXI, alinéa b), du GATT, inclut dans l’exception de sécurité nationale : les
mesures : « i) se rapportant aux matières fissiles ou aux matières qui servent à leur fabrication ; ii) se rapportant
au trafic d’armes, de munitions et de matériel de guerre et à tout commerce d’autres articles et matériel destinés
directement ou indirectement à assurer l’approvisionnement des forces armées ; iii) appliquées en temps de

199rre ou en cas de grave tension internationale ».
Cour internationale de Justice, Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis d’Amérique c. Italie), arrêt du 20
juillet 1989, CIJ Recueil 1989, p. 76, par. 128.

531.135 Tel est le cas du droit au travail que consacre l’article 6 du Pacte international

relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ce droit comprenant « le droit qu’a toute

personne d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté »).

En expulsant de manière illicite M. Diallo, la République démocratique du Congo a empêché

ce dernier de continuer d’exercer son activité professionnelle de gérant de ses deux sociétés et

notamment de bénéficier du salaire y afférant. Cette entrave à l’exercice du droit au travail

rappelle celle constatée au siècle dernier dans l’affaire Chevreau :

« Il ne paraît pas douteux que la détention de M. Chevreau et sa déportation, dans la
mesure où l’Arbitre a reconnu que ces actes donnent lieu à une réclamation en droit

international, ont causé à M. Chevreau un dommage surtout moral mais aussi un
dommage matériel ; entre autres choses, lesdits actes l’ont mis dans l’impossibilité de
continuer ou de reprendre son activité comme professeur de langues en Perse » 200.

1.136 Elle est toutefois en l’espèce autrement plus grave dans ses conséquences

compte tenu de l’ampleur des activités commerciales que menait M. Diallo au Congo depuis

pas moins de trente ans.

1.137 L’expulsion a également violé le droit de propriété de M. Diallo. Ce droit,

couvert par le standard minimum de protection 201et expressément garanti par l’article 14 de la

Charte africaine des droits de l’homme 202, a été violé s’agissant des biens personnels de

M. Diallo qu’il a dû laisser derrière lui sans que l’opportunité lui soit jamais laissée d’en

organiser le rapatriement ou la vente avant son expulsion brutale (un inventaire en a été dressé

203
seulement le 12 février 1996, sans sa présence ). Contrairement à ce qu’affirme par ailleurs

sans preuve l’Etat défendeur au paragraphe 1.34 de son contre-mémoire, M. Diallo n’a jamais
204
« récupéré tous ses biens personnels qu’il a reçus à Conakry » .

1.138 Le droit de propriété de M. Diallo n’en a pas moins été atteint également pour

ce qui touche aux parts sociales qu’il détenait dans les sociétés Africom-Zaïre et

Africontainers-Zaïre. Dans la mesure où la protection de celles-ci relève des droits propres

d’associé de M. Diallo, elle sera traitée par la Guinée au chapitre 2 de sa réplique.

200
Recueil des sentences arbitrales, volume II, p. 1138. V. également CIJ, Conséquences de l’édification d’un
mur dans le territoire palestinien occupé, avis du 9 juillet 2004, CIJ Recueil 2004, pp. 191-192, par. 134.
201V. MG, pp. 44-48 pars. 3.13-3.23.
202« Le droit de propriété est garanti, il ne peut y être porté atteinte que par nécessité publique ou dans l’intérêt
général de la collectivité, ce, conformément aux dispositions des lois appropriées ».
203
204V. MG, annexe 200.
V. RG, annexe 1, réponse à la vingt-neuvième question.

54 Conclusion du Chapitre 1

1.139 En conclusion du chapitre 1 de la présente réplique, la République de Guinée

maintient que les droits que le droit international reconnaît à M. Diallo en tant qu’individu ont

été violés par la République démocratique du Congo, du fait :

i) des arrestation et incarcération dont il a été victime en 1988-1999 ;

ii) des arrestations et incarcérations dont il a victime en 1995-1996 ; et

iii) de son expulsion de 1996.

1.140 Mais ce n’est pas tout car, contrairement ce que soutient le défendeur, les

mesures prises par la RDC sont également constitutives de violations des droits de M. Diallo

en sa qualité d’associé des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre, comme les

développements du chapitre 2 de la présente réplique le démontrent.

55 CHAPITRE 2

LA VIOLATION PAR LA R.D.C. DES DROITS PROPRES DE M. DIALLO

EN TANT QU’ASSOCIE DES SOCIETES AFRICOM-ZAIRE

ET AFRICONTAINERS-ZAIRE

2.1 Au paragraphe 65 de son arrêt du 24 mai 2007, la Cour a estimé que :

« la Guinée a bien qualité pour agir dans la mesure où son action concerne une

personne ayant sa nationalité, M. Diallo, et qu’elle est dirigée contre des actes
prétendument illicites de la RDC qui auraient porté atteinte aux droits de cette
personne, en particulier ses droits propres en tant qu’associé des deux sociétés

Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre ».

2.2 Cela suggère bien sûr que trois questions de principe doivent faire l’objet des

discussions de fond ; elles concernent: (i) la nature précise des droits de M. Diallo en tant

qu'associé ; (ii) le point de savoir si ces droits ont été violés par des actes de la RDC, et (iii) la

nature des dommages causés par de tels actes. Les deux premières questions sont examinées
dans le présent chapitre qui répond aux courts développements relatifs aux droits des

actionnaires, aux pages 25-32 du contre-mémoire de la RDC, alors que la question de la

réparation est considérée dans le chapitre 3 ci-dessous.

2.3 Comme le paragraphe 62 de l'arrêt du 24 mai 2007 s’en fait l’écho, les droits

des associés dans cette affaire sont fondés sur le droit interne de la RDC, en particulier le
205
décret de 1887, modifié, sur les sociétés commerciales. Au paragraphe 64, la Cour a

également établi que :

« l’acte internationalement illicite revient, dans le cas de l’associé ou de l’actionnaire,
à la violation par l’Etat défendeur des droits propres de celui-ci dans sa relation avec la

personne morale, droits propres qui sont définis par le droit interne de cet Etat, ainsi
que l’admettent d’ailleurs les deux Parties ».

2.4 Comme la Cour le sait, les deux sociétés de M. Diallo n'étaient pas des sociétés

anonymes mais avaient la forme très particulière de sociétés privées à responsabilité limitée

20OG, annexe 35.

56(« SPRL »). La Cour a relevé que les SPRL sont « des sociétés ‘que forment des personnes,

n’engageant que leur apport, qui ne [font] pas publiquement appel à l’épargne et dont les parts

obligatoirement uniformes et nominatives ne sont pas librement transmissibles’ (article 36 du

décret du 27 février 1887 sur les sociétés commerciales). D’après la législation congolaise, les

détenteurs des parts sociales des S.P.R.L., tels que M. Diallo, sont appelés des ‘associés’ (voir
206
par exemple les articles 43, 44, 45 et 51 du décret du 27 février 1887) » .

2.5 Comme le rappelle l’exposé des motifs du décret de 1960 modifiant le décret

de 1887 en ce qui concerne les SPRL, cette forme de société répondait « à un besoin réel pour

les affaires familiales, pour les petites entreprises ou les exploitations comprenant un petit

nombre d’associés » 20. Les SPRL, dans lesquelles l’intuitu personae joue un rôle

fondamental, ont été caractérisées comme une forme hybride d'entreprise, proche à certains

égards du simple partenariat ou de la « société de personnes » 208, avec des droits et protections

particuliers pour l'associé tant en termes de transfert des parts sociales que de droits de

contrôle.

2.6 Dans son contre-mémoire, la RDC a cherché à soulever la question de savoir si

M. Diallo était effectivement un associé d'Africom-Zaïre (mais sans prétendre pour autant le

contraire) : « En ce qui concerne Africom-Zaïre, ses statuts ne sont pas produits par la Guinée

et ne sont pas à la disposition de la RDC. On ne sait donc pas si M. Diallo est associé ou non
209
dans cette société » . En fait, la RDC (et pas la Guinée) est bien placée pour assister la Cour

au sujet de cette question. M. Diallo a été expulsé du territoire du Zaïre où se trouvent

justement les documents pertinents, et d’après certaines pièces du dossier, les statuts de la

société Africom-Zaïre se trouveraient au greffe du tribunal de grande instance de Kinshasa 210.

206
207 Arrêt du 24 mai 2007, par. 25.
Roger Makela Massamba, Droit des affaires - Cadre juridique de la vie des affaires au Zaïre, Cadicec/De
Boecke Université, 1996, p. 295.
208Louis Fredericq, Traité de droit commercial belge, Tome V, Ed. Fecheyr, Gand, 1950, p. 877 ; Roger Makela
Massamba, Droit des affaires - Cadre juridique de la vie des affaires au Zaïre, Cadicec/De Boecke Université,
1996, p. 339 : « En effet, la SPRL est une société de taille moyenne, de type familiale, une société plus ou moins

fermée ». Voir, aussi, en ce qui concerne l’équivalent français de la SPRL, la ‘société à responsabilité limitée’
(SARL), Paul Le Cornu, Droit des sociétés, Montchrestien, Paris, 2003, p. 733 et Philippe Merle, Droit
commercial. Sociétés commerciales, Dalloz, Paris, 2000, p. 189.
209C-M, par. 2.09 Voir aussi CR 2006/52, 29 novembre 2006, p. 29, pars. 51-52 (M. Kalala), et l’arrêt du 24 mai
2007, pars. 22, 24.
210MG, annexe 146 (conclusions du ministère public dans le pourvoi en cassation contre l’arrêt RCA 17244, 11

janvier 1995), p. 2-3.

57Il était donc facile pour l’Etat défendeur de produire ces statuts. Sollicité par la Cour de le

faire, celui-ci ne l’a pourtant pas fait211.

2.7 Pour sa part, la Cour n’a pas eu les hésitations de la RDC, comme le montre le

paragraphe 66 de l'arrêt du 24 mai 2007, qui tire les conclusions évidentes du dossier dans son

ensemble : « La Cour relève que M. Diallo, qui avait la qualité d’associé des deux sociétés

Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre, exerçait également les fonctions de gérant pour

chacune d’entre elles. … ». En tout état de cause, si cette question présentait la moindre

pertinence, la RDC l’aurait vigoureusement soulevée au moment des exceptions

préliminaires. Or, c’est tout le contraire que le défendeur a fait : dans ses exceptions

préliminaires, la RDC affirme à plusieurs reprises, ce qui est exact, que M. Diallo était un

212
associé d'Africom-Zaïre . Du reste, la RDC le reconnaît à nouveau dans d’autres passages

de son contre-mémoire, ce qui atteste, à tout le moins, du caractère superficiel du débat que le
213
défendeur entend initier .

2.8 Les audiences tenues au Palais de la Paix à propos des exceptions préliminaires

en novembre-décembre 2006 ont soulevé une autre question. M. le juge Bennouna a posé une

question au sujet de la possibilité de créer, en droit zaïrois, une société privée à responsabilité
214
limitée avec un actionnaire unique .

2.9 Durant l'audience, la Guinée a expliqué que, bien qu’il soit possible que la

législation congolaise n'autorise pas la création d'une société privée à responsabilité limitée

par une seule personne, le fait de ne pas pouvoir créer une société unipersonnelle n'empêche

nullement une société de devenir unipersonnelle par la suite. Dans le cas d’espèce,

Africontainers n’a jamais été unipersonnelle, ni au moment de sa création, ni depuis, ce qui

n’empêche pas M. Diallo d’en détenir, directement et indirectement, 100 % du capital. Quant

à Africom-Zaïre, si elle est devenue unipersonnelle, sa configuration n’a jamais été contestée

par les personnes intéressées, l’Etat zaïrois inclus. En fait, le ministère public devant la Cour

suprême de justice, qui a été sollicité en 1995 d’examiner les statuts des sociétés Africom et

Africontainers, a expressément confirmé la validité du dépôt de ces statuts, ainsi que de celui

211Arrêt du 24 mai 2007, pars. 21, 23.
212EP, pars. 1.06, 2.03, 2.76.
213C-M, par. 2.10 : « En effet, M. Diallo est l’associé-gérant des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-

214re ».
Arrêt du 24 mai 2007, par. 22.

58de leurs actes modificatifs 215. C’est du reste probablement pour cette raison que la RDC a

décidé de ne pas poursuivre le débat sur ce point au stade du fond.

2.10 Dans les sections 1 et 2 ci-dessous, la Guinée s’attachera d’abord à montrer la

violation commise par la RDC du droit de M. Diallo de prendre part aux assemblées générales

et de choisir un nouveau gérant (section 1), pour ensuite se tourner vers son droit, en tant

qu'associé, de surveiller et de contrôler les actes accomplis par la gérance et les opérations des

sociétés (section 2). Dans la section 3, la Guinée abordera l'expropriation indirecte des parts

sociales de M. Diallo dans les sociétés Africom-Zaïre et Africontainers. C’est à ces trois

égards en effet que la RDC engage en la présente affaire sa responsabilité internationale à

l’égard de la Guinée.

Section 1

Le droit de prendre part aux assemblées générales et de choisir un nouveau gérant

2.11 Conformément à l’article 79 du décret de 1887 :

« Nonobstant toute disposition contraire, tous les associés ont le droit de prendre part

aux assemblées générales et jouissent d’une voix par part sociale ».

2.12 C'est là, bien sûr, l'un des droits généralement reconnus aux actionnaires auquel

l’arrêt rendu par la Cour dans l'affaire de la Barcelona Traction fait expressément

référence 216.

2.13 Ce droit a été violé en l’espèce. L’article 1er de la loi 66-341 prévoit :

« Les sociétés dont le principal siège d’exploitation est situé au Congo doivent avoir
au Congo leur siège administratif.

215
Voir CR 2006/53, pp. 10-13, pars. 6-13; MG, annexe 146 (Conclusions du ministère public dans le pourvoi en
cassation contre l’arrêt RCA 17244, 11 janvier 1995), p. 2-3 ; MG, annexe 149 (Conclusions du ministère public
dans le cadre du pourvoi en cassation de l’arrêt RCA 17229, 20 avril 1995), p. 2-3.
216Affaire de la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, (Belgique c. Espagne), arrêt, C.I.J.
Recueil 1970, p. 3, par. 47 : « La situation est différente si les actes incriminés sont dirigés contre les droits
propres des actionnaires en tant que tels. Il est bien connu que le droit interne leur confère des droits distincts de
ceux de la société, parmi lesquels le droit aux dividendes déclarés, le droit de prendre part aux assemblées
générales et d'y voter, le droit à une partie du reliquat d'actif de la société lors de la liquidation. S'il est porté

atteinte à l'un de leurs droits propres, les actionnaires ont un droit de recours indépendant. ». Voir aussi l’arrêt du
24 mai 2007, par. 53.

59 On entend par ‘Siège Administratif’ au sens de la présente ordonnance-loi, le lieu où
est établie l’administration centrale de la société et où se réunissent les assemblées
générales et le conseil d’administration » 217.

2.14 Dès lors que M. Diallo voulait faire du commerce au Zaïre et qu’il devait le

faire via une société zaïroise, l’obligation de tenir des assemblées générales dans ce pays

s’imposait inévitablement. En expulsant M. Diallo, la RDC a entravé l’exercice effectif de ce

droit au préjudice de M. Diallo : l'assemblée générale devait avoir lieu en RDC ; M. Diallo a

été expulsé ; de manière très concrète, il lui est donc devenu impossible de prendre part à
l’assemblée générale de ses sociétés, et d’y voter.

2.15 A vrai dire, les Parties s’accordent quant à l’existence et à la nature de ce droit

particulier d’actionnaire. La RDC soutient cependant que :

a. Aucune assemblée générale n’a été convoquée, ce dont il s’ensuivrait que

« l’éloignement de M. Diallo n’a eu aucun impact sur son droit de participer

aux assemblées générales ».

b. En ce qui concerne la convocation, celle-ci constitue un acte fonctionnel du

gérant et « c’est donc la société qui convoque les assemblées générales … ce
droit du gérant ne peut être protégé dans la présente instance » 218.

2.16 Cela est à la fois extrêmement artificiel et erroné. La question qui se pose à la

Cour est de savoir si des actes de la RDC ont constitué une réelle ingérence dans l’exercice

des droits de l’associé. Dans ce contexte, on ne saurait admettre que l’Etat en cause fasse

valoir que l’expulsion de l’associé a empêché la convocation de l'assemblée générale et, par

conséquent, la tenue de l'assemblée générale, mais que cela doit être ignoré parce que le droit

de convocation n'est pas à strictement parler un droit de l’associé. Quant au second argument,

le droit à la convocation de l'assemblée générale est, en fait, inévitablement, un droit de

l’associé : s'il en allait autrement, les droits des associés au regard de l'article 79 pourraient

facilement être annihilés par la gérance. En vertu de l'article 83 du décret de 1887 :

« La gérance et les commissaires, s’il en existe, peuvent convoquer l’assemblée

générale en tout temps.

217
OG, annexe 35.
218C-M, pars. 2.12-2.14.

60 Ils doivent la convoquer sur la demande d’associés réunissant le cinquième du

nombre total des parts sociales.

Si la gérance ne donne pas suite à cette demande dans un délai convenable, la

convocation peut être ordonnée par le tribunal. »

2.17 Lors de l’examen des exceptions préliminaires, la RDC a soutenu que M.

Diallo aurait très bien pu exercer ses droits d’associé à partir d’un territoire étranger et qu’il

aurait eu tout loisir de déléguer des tâches d’exécution à des administrateurs locaux, y

compris par la nomination d’un nouveau gérant 219. La Guinée ne conteste pas que l’article 81

du décret du 27 février 1887, concernant la représentation de l’associé à l'assemblée générale,

prévoit que : « Les associés peuvent toujours se faire représenter par un mandataire de leur

choix». Mais il ressort de la lecture de cet article que la désignation d’un mandataire est

uniquement une possibilité offerte à l’associé, dont le droit reconnu est clairement d’avoir le

choix de désigner une personne pour le représenter ou de siéger en personne. Or le

comportement de la RDC a placé M. Diallo dans une position où ce droit lui a été dénié,

puisqu’il s’est trouvé, du fait de son expulsion, dans l’obligation de se faire représenter pour

espérer conserver quelque influence sur ses sociétés. Au surplus, étant donné qu’il était

l’unique associé de celle-ci, se faire représenter à l’assemblée générale plutôt que d’y

participer directement n’avait guère de sens. La contrainte était d’autant plus forte en

l’occurrence que M. Diallo, qui était le seul associé et le seul gérant, se trouvant à l’étranger

et sans ressources, était dans l’incapacité de se faire représenter 220. Faute de disposer d’un

droit de choix, il est donc empêché par la RDC d’exercer normalement ses droits d’associés.

2.18 En ce qui concerne les droits, ou pouvoirs, de l'assemblée générale, l'article 78

du décret de 1887 dispose : « L’assemblée générale des associés a les pouvoirs les plus

étendus pour faire ou ratifier les actes qui intéressent la société. … ». Ainsi, les associés en

assemblée générale jouissent « [des] pouvoirs les plus étendus pour faire ... les actes qui

intéressent la société ». C'est donc un droit d’associé dont l’étendue est très large.

219Arrêt du 24 mai 2007, par. 53.
220RG, Annexe 1, 33èmequestion: Auriez-vous pu convoquer, organiser une assemblée générale, et vous y faire
représenter? Si oui, qu'est-ce qui vous en a empêché ?
- Réponse: J'aurais dû convoquer, organiser une assemblée générale des deux sociétés, Africom-Zaïre et

Africontainers et m'y faire représenter. Mais, l'expulsion qui m'a réduit à l'indigence m'en a empêché, car cela
sous-entend des frais, encore que je suis l'associé unique et le gérant de ces sociétés, donc censé avoir la situation
de celles-ci, à l'exclusion de toute autre personne.

612.19 L'article 65 du décret de 1887 mentionne expressément l'un des droits des

associés au sein de l'assemblée générale, celui de nommer le gérant. Dans le contre-mémoire
221
de la RDC, ceci est caractérisé comme étant un droit de la société, et non un droit d’associé ,

alors qu’au stade des exceptions préliminaires la Cour a rappelé : « La RDC s’accorde

également avec la Guinée sur le fait que, s’agissant du droit congolais, les droits propres de

l’associé sont déterminés par le décret de l’Etat indépendant du Congo, en date du 27 février

1887, sur les sociétés commerciales. Les droits de M. Diallo en tant qu’associé des sociétés

Africom-Zaire et Africontainers-Zaire seraient donc théoriquement les suivants : ‘le droit aux

dividendes et aux produits de la liquidation’, ‘le droit d’être nommé gérant’, ‘le droit de

l’associé gérant à ne pas être révoqué sans motif’, ‘le droit du gérant à représenter la société’,

‘le droit de surveillance [de la gérance]’ et ‘le droit de participer aux assemblées
222
générales’ » . M. Diallo, en sa qualité d’associé, avait effectivement le droit d’être nommé

gérant.

2.20 Par ailleurs, les droits des actionnaires ne changent pas de nature sous prétexte

qu'ils sont exercés collectivement, dans le cadre de l'assemblée générale, par opposition à

ceux qui sont exercés individuellement. Il n'y a pas de fondement juridique aux affirmations

contraires de la RDC, qui sont également en contradiction avec le libellé des articles 51 et 78
223
du décret de 1887 (et avec la position de la RDC lors des exceptions préliminaires) . Tout au

plus l'exercice collectif des droits (en l’espèce celui de nommer le gérant) peut-il donner lieu à

une question de fait, celle de savoir si M. Diallo disposait de suffisamment de parts dans ses

sociétés pour lui permettre de contrôler le vote à l'assemblée générale sur la nomination du

gérant. Comme il était l'unique actionnaire des deux sociétés, il le pouvait évidemment.

2.21 En outre, il convient de rappeler que, conformément à l'article 65, le gérant

peut toujours être nommé dans l'acte constitutif de la société, c'est-à-dire par les fondateurs

lors de la constitution de la société. Par définition, cela ne peut pas être un acte de la société,

qui est seulement en train d'être constituée. Cela souligne simplement que la nomination du

gérant est un acte (et un droit) des associés et non pas de la société.

221
222C-M, pars. 2.08-2.09 ; cf. CR 2006/52, pp. 10-11, par. 7.
223Arrêt du 24 mai 2007, par. 53.
L’article 51 prévoit: « Chaque part sociale confère un droit égal dans l’exercice des prérogatives d’associé
ainsi que dans la répartition des bénéfices et des produits de la liquidation».

622.22 Conformément à l'article 65, M. Diallo avait donc le droit - un droit d'associé -

de se nommer lui-même comme « gérant ». Et, comme cela est parfaitement normal dans une

SPRL et conforme à leur nature intuitu personae marquée, il s’est nommé lui-même, et pour
224
une durée illimitée . Mais, à la suite de sa détention et de son expulsion par les autorités

zaïroises, il a été mis dans l’impossibilité, d’un point de vue pratique, de remplir le rôle de

«gérant » depuis la Guinée, puisqu’il se trouvait hors du territoire. Ce faisant, il s’est vu privé

du droit de nommer le « gérant » de son choix, c'est-à-dire lui-même. Il a également été privé

de son droit de ne pas être révoqué, droit reconnu à l'article 67 : « Sauf disposition contraire

des statuts, les gérants associés, nommés pour la durée de la société, ne sont révocables que

pour de justes motifs par l’assemblée générale délibérant dans les conditions requises pour les

modifications aux statuts. Les autres gérants sont révocables en tout temps ».

2.23 Il convient de ne pas oublier que l’expulsion de M. Diallo n’a pas eu d’autre

finalité que de l’empêcher de bénéficier de l’exécution des décisions judiciaires rendues en
225
faveur de ses sociétés . Ainsi, même s’il était avéré qu’un nouveau gérant aurait pu être

désigné, il semble néanmoins extrêmement douteux que, dans ces circonstances, ce nouveau

gérant aurait eu la possibilité de continuer et d’entamer de nouvelles poursuites judiciaires

pour obtenir le recouvrement des créances des sociétés Africontainers et Africom 226. Comme

cela est souligné ci-dessus, la RDC a voulu faire croire, au stade des exceptions

227
préliminaires , que M. Diallo aurait très bien pu exercer ses droits en tant qu'associé à partir

d’un territoire étranger, par voie de délégation. Cet argument ne tient aucun compte de faits

irréfutables : les droits en cause n’ont pas pu être exercés, et cela au détriment des sociétés de

M. Diallo et de la valeur de ses parts sociales. Il en est résulté par exemple une perte des
228
avoirs de la société Africontainers à la date de l’expulsion (dont plus de cent conteneurs) .

L’impuissance de M. Diallo à diriger ses sociétés depuis la Guinée s’explique en partie par le

fait qu’il manquait de moyens financiers ; mais aussi parce qu’il lui était tout simplement

impossible de contrôler un mandataire quelconque de l’étranger 229.

224
MG, annexe 3.
225Voir supra, par. 1.41.
226Au stade des exceptions préliminaires, la RDC a soutenu qu’un nouveau gérant d’Africontainers avait été
désigné, en la personne d’un M. Kanza. (CR 2006/52, p. 22, par. 19 et MG, annexe 201). Or, cet argument n’est

227 maintenu, et ne le pourrait pas vu les faits pertinents : CR 2006/53, p. 21, par. 9 et MG, annexes 213 et 219.
228Arrêt du 24 mai 2007, par. 53.
MG, annexe 199 ; OG, annexes 31-33.
229 RG, annexe 1, 32 èmequestion: Avez-vous ou auriez·vous pu nommer un autre gérant pour vos sociétés ?

Qu'est-ce qui vous en a empêché?

632.24 La position dans laquelle M. Diallo s’est trouvé lors de son expulsion est donc

similaire à celle de M. Biloune dans l’affaire Biloune c. Ghana. M. Biloune a lui aussi été

arrêté, détenu et expulsé, ce qui a placé sa société, la MDCL, dans l’incapacité de mener à

terme la construction d’un complexe hôtelier, le projet ayant échoué du fait d’une ingérence

du conseil municipal local. Dans cette affaire, le tribunal arbitral, loin de considérer que M.

Biloune aurait pu continuer de faire valoir ses droits par un processus de délégation, a (à juste

titre) mis l’accent sur les conséquences effectives de l’expulsion du personnage-clé du

fonctionnement de la société, et a considéré que cette expulsion du pays avait de fait empêché

la poursuite de l’exécution du projet 230.

2.25 De surcroît, en expulsant M. Diallo de son territoire, la RDC ne l’a pas

seulement empêché de poursuivre ses activités à travers ses sociétés, mais également de les

mener à bien dans des conditions normales, de procéder à la liquidation de ses sociétés et de

réaliser le reliquat d’actif. En vertu des dispositions pertinentes du décret du 27 février 1887
231
sur les sociétés commerciales , la dissolution d’une SPRL fait partie des droits des associés.

L’article 99 dudit décret dispose que :

« [L]a dissolution ou la prorogation de la société ne peut être décidée que par

l’assemblée gén232le délibérant dans les conditions prescrites pour les modifications
aux statuts » .

2.26 Les actes internationalement illicites de la RDC ont privé l’associé unique des

ces deux sociétés de son droit de participer aux assemblées générales et de son droit de

contrôler et de surveiller les activités des ces sociétés. Par la même, ils ont anéanti le droit
233
dont dispose M. Diallo en sa qualité d’associé de les dissoudre et de les liquider .

- Réponse; Je n'ai pas nommé un autre gérant pour mes sociétés et je n'ai pu le faire, compte tenu de ce que ces
sociétés rencontraient déjà des difficultés par la faute délibérée de leurs partenaires, mais aussi de mon
éloignement sans possibilité de me rendre un jour sur place pour constater l'évolution des activités des sociétés,
encore que je suis sans ressource financière et que je n'ai aucun moyen de contrôler les actes du mandataire.
230Biloune and Marine Drive Complex Ltd v. Ghana Investments Centre and the Government of Ghana, 95 ILR

231, 209. Voir infra, pars. 2.93-2.94.
232OG, annexe 35.
Ibid.
233En vertu de l’article 114 du décret de 1887, « les sociétés commerciales, sont, après leur dissolution, réputées
exister pour leur liquidation » (ibid.). Cette procédure de liquidation est généralement soumise au contrôle des
associés : « A défaut de convention contraire, le mode de liquidation est déterminé et les liquidateurs sont

nommés par l’assemblée générale des associés » (article 115 du décret de 1887, ibid.).

642.27 Et si, comme l’affirme la RDC, la dissolution d’office des sociétés a été
234
décidée par les autorités congolaises , cette dissolution est intervenue sans la moindre

consultation avec leur gérant et unique associé.

2.28 En tant que tels, ses droits en tant qu'associé ont été violés par la RDC.

Section 2

Le droit de surveiller et de contrôler les actes accomplis par la gérance

et les opérations des sociétés

2.29 Dans sa décision du 24 mai 2007, la Cour a établi une distinction entre les

droits de l'associé et les droits du gérant :

« L’associé d’une S.P.R.L. est le détenteur de parts sociales dans le capital de celle-ci;
le gérant est, quant à lui, un organe de la société, qui agit en son nom » 235.

2.30 En vertu de cette distinction, la Cour a implicitement rejeté la prétention de la

Guinée selon laquelle elle avait un titre à agir au regard des droits de contrôle de M. Diallo en

tant que gérant, par exemple, conformément à l'article 68 du décret de 1887. Toutefois, la

Cour a poursuivi :

« La Cour n’a pas à déterminer, à ce stade de la procédure, quels sont les droits
spécifiques qui s’attachent au statut d’associé et quels sont ceux qui s’attachent aux
fonctions de gérant d’une S.P.R.L., en droit congolais. C’est, le cas échéant, au stade

du fond qu’elle236ra à définir la nature et le contenu précis de ces droits, ainsi que
leurs limites » .

2.31 La Guinée maintient sa thèse selon laquelle les droits de supervision et de

contrôle qui sont établis par les articles 71 et 75 du décret de 1887 s'attachent au statut

d'associé.

2.32 L'article 71 prévoit, dans les passages pertinents :

234
235V. infra, pars. 3.6 à 3.9.
V. le par. 66 de l’arrêt.
236Ibid.

65 « La surveillance de la gérance est confiée à un ou plusieurs mandataires, associés ou

non associés, appelés commissaires.

...

Si le nombre des associés ne dépasse pas cinq, la nomination de commissaires n’est
pas obligatoire et chaque associé a les pouvoirs des commissaires » 237.

2.33 L'article 71 établit ainsi un droit de contrôle pour l'associé – dans le cas où le

nombre des « associés » est de cinq ou moins. Comme M. Diallo était l'unique actionnaire de

ses deux sociétés, conformément à l'article 71, tous les droits et pouvoirs du « commissaire »

lui ont été accordés, et ce droit est également posé à l’article 19 du Statut d’Africontainers :

« La surveillance de la société est exercée par chacun des associés » 238.

2.34 Le contenu du droit énoncé à l’article 71 est ensuite précisé à l’article 75:

« Le mandat des commissaires consiste à surveiller et à contrôler sans aucune
restriction, tous les actes accomplis par la gérance, toutes les opérations de la société et
le registre des associés ».

2.35 Il découle des articles 71 et 75 que M. Diallo avait le droit de surveiller et de

contrôler, sans aucune restriction, la gestion et l'exploitation de ses deux sociétés – ce qui se

comprend parfaitement dans une société privée à responsabilité limitée. À cet égard

également, du fait de sa détention et de son expulsion, M. Diallo a perdu le bénéfice de ces

droits importants 239.

2.36 Il résulte des articles 71 et 75 que ces droits sont en effet, dans le cadre des

deux sociétés de M. Diallo, des droits qui s'attachent au statut d'associé et, en principe, la

RDC accepte cette proposition 240. Au surplus, il résulte de l'affaire ELSI que les droits de

contrôle peuvent, selon les termes de l'instrument pertinent ou, dans le cas d'espèce, le traité,

241
constituer des droits directs de l'actionnaire . En ce qui concerne la disposition pertinente

dans cette affaire (article III (2) du Traité FCN entre l'Italie et les Etats-Unis), un

237
238Aussi l’article 19 du statut d’Africontainers. MG, annexe 1.
239MG, annexe 1.
Selon l’un commentateur: “Les commissaires jouent un rôle capital dans les sociétés. Ils veillent au bon
déroulement de la vie sociale et à l’observation des dispositions légales et statutaires relatives aux comptes de la
société”, Roger Makela Massamba, Droit des affaires - Cadre juridique de la vie des affaires au Zaïre,
Cadicec/De Boecke Université, 1996, p. 313.
240
241Arrêt du 24 mai 2007, par. 53.
Elettronica Sicula S.P.A. (ELSI), Rec. 1989, p. 15.

66commentateur, le Professeur Lowe, a noté que le droit de s'organiser, de contrôler et de gérer

« is plainly a right of the shareholders. There is no room for argument that this is a right of the

company; and it is hard to see that there is any intelligible sense in which such a right could

belong to the company that shareholders organise, control and manage » 242.

2.37 F.A. Mann a fait la même remarque : « Even the strictest adherent of verbalism

must admit that the right to ‘control and manage’ can only be guaranteed to the (sole)

shareholder rather than the corporation itself » 243.

2.38 On peut dire exactement la même chose ici en ce qui concerne les droits de

surveillance et de contrôle énoncés aux articles 71 et 75 du décret de 1887. Le fait que ces

droits découlent du droit interne et non d’un traité ne peut nullement modifier leur nature et

les transformer en droits de la société et non de l’actionnaire.

2.39 Par ailleurs, l’affaire ELSI établit qu’un acte visant une société est susceptible

de violer le droit de contrôle et de gestion d’un actionnaire. Ainsi, soulignant les

répercussions de la réquisition, la Chambre de la Cour a conclu : « Il est indéniable que la

réquisition de ‘l’usine et des équipements connexes’ d’une entreprise doit normalement

équivaloir à une privation, du moins pour une part importante, du droit de contrôler et de
244
gérer » . La Chambre de la Cour a examiné de manière pragmatique ce que constituent le

contrôle et la gestion afin de se prononcer sur le point de savoir si, dans le cas où l’objet sur

lequel ils portent est supprimé dans les faits, il s’ensuit qu’il y a atteinte au droit de contrôle et

de gestion.

2.40 La situation, en l’espèce, concernant les faits allégués par la Guinée, est encore

bien plus évidente ; c’est l’associé qui est habilité par le droit applicable à surveiller et

contrôler qui a été, en réalité, écarté de la scène :

242
Lowe, “Shareholders’ Rights to Control and Manage: from Barcelona Traction to ELSI”, in Liber Amicorum
243ge Shigeru Oda, eds. N. Ando et al. (2002), p. 269.
F.A. Mann, “Foreign Investment in the International Court of Justice : The ELSI Case”, 86 AJIL, 92, at 97-98.
Voir aussi, Sir Arthur Watts, ‘Nationality of Claims: Some Relevant Concepts’, in V. Lowe and M. Fitzmaurice,
Fifty Years of the International Court of Justice, Grotius, Cambridge, 1996, p. 424, p. 435 : “The Court
proceeded on this basis [that the directs rights of shareholders were affected] in Elettronica Sicula S.P.A. (ELSI),
ICJ Reports, 1989, p. 15: the USA claimed against Italy for loss and damage allegedly suffered by two US
companies as a result of action taken by the Italian authorities against an Italian company the shares of which

244e owned by the US companies, whose direct rights as shareholders were thereby affected”.
Elettronica Sicula S.P.A. (ELSI), Rec. 1989, p. 50, par. 70.

67 (i) En détenant, puis en expulsant M. Diallo, la RDC a cherché à l’empêcher, et l’a

effectivement empêché, d’exercer ses droits de contrôle et de surveillance. Il ne

pouvait pas contrôler ou surveiller ses sociétés, de manière efficace et effective,

depuis la Guinée. Et même s’il avait été en mesure de nommer un nouveau

« gérant » et un « commissaire » (il ne l’était pas, du fait de son éloignement et de

son manque de moyens financiers), il était toutefois privé du droit de nommer

celui de son choix, en violation des articles 65 et 67 du décret de 1887, car on ne

pouvait exiger de lui qu’il remette ou abandonne la gestion de ses sociétés à

quelque tierce partie, vu en particulier la nature des sociétés en tant que SPRL.

(ii) L’intention précise à l’origine de la détention et de l’expulsion de M. Diallo

était de l’empêcher d’exercer ses droits de contrôle et de surveillance. La détention

et l’expulsion de M. Diallo sont directement dues à la lettre adressée au ministre de

la justice le 29 août 1995 par Shell-Zaïre, dans laquelle celle-ci demandait que des
245
mesures soient prises au sujet de l’arrêt Africontainers . C’est parce qu’il avait

exercé, et exerçait, les droits de contrôler et de surveiller ses deux sociétés que M.

Diallo a été expulsé. Conformément à l’intention des autorités zaïroises, cette

expulsion a eu des effets dramatiques sur les deux sociétés, lesquelles furent

définitivement empêchées de poursuivre leurs activités, y compris le recouvrement

de leurs créances.

(iii) L’affaire ELSI constitue un précédent utile, car l’une des précisions apportées

dans la décision est l’accent mis par la Chambre sur l’intention qui était à l’origine

de l’acte illicite allégué. Mettant l’accent sur l’intention à l’origine de la

réquisition de l’usine d’ELSI, la Chambre conclut : « [c]omme la réquisition avait

donc pour dessein d’empêcher Raytheon d’exercer, pendant six mois décisifs, ce

qui constituait à l’époque l’un des aspects les plus importants de son droit de

contrôler et de gérer l’ELSI, la question se pose de savoir si la réquisition était
246
conforme aux exigences du paragraphe 2 de l’article III du traité de 1948 ».

245
246MG, annexe 166.
Elettronica Sicula S.P.A. (ELSI), Rec. 1989, p. 50, par. 70. L’affaire n’ayant ensuite pas abouti au regard des
faits, il n’y eut, en l’occurrence, aucune conclusion à la violation du paragraphe 2 de l’article III.

682.41 Au paragraphe 66 de son arrêt du 24 mai 2007, la Cour a relevé

que : « [l]’associé d’une S.P.R.L. est le détenteur de parts sociales dans le capital de celle-ci ;

le gérant est, quant à lui, un organe de la société, qui agit en son nom ». Si l’on applique cette

distinction au droit d’associé de contrôler la gérance, il va de soi que ceci n’est pas un droit de

la société. De plus, dans le cas où des commissaires sont nommés (cf. l’article 72 du décret de

1887), ils le sont par l'assemblée générale des associés, et c’est aussi celle-ci qui établit les

émoluments des commissaires (article 77) ; c’est à elle que les commissaires doivent

soumettre les résultats de leur mission (article 76). En somme, le commissaire, s’il y en a un,

agit pour le compte des associés, et non pas de la société.

2.42 La RDC n'a qu'une seule réponse à apporter à la Guinée s’agissant des droits de

M. Diallo en vertu des articles 71 et 75 du décret de 1887. Elle consiste à observer que « M.

Diallo est l'associé-gérant des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers », et ensuite à

affirmer : « [o]r, la gérance et le contrôle de la gérance ne peuvent être exercés par la même

personne » 24.

2.43 Ce n’est qu’une affirmation sans fondement. Il n'y a rien dans le décret de 1887

qui laisse penser qu'il serait interdit de détenir le droit d'exercer en même temps ces

différentes fonctions 248; en réalité le décret prévoit expressément des situations dans

lesquelles une personne peut remplir deux fonctions en même temps (par exemple, l’article

67).

Section 3

L’expropriation indirecte des parts sociales de M. Diallo
dans les sociétés Africom-Zaïre et Africontainers

2.44 Dans son contre-mémoire, la RDC soutient, comme elle s’y était déjà employée, non

sans quelque flottement 249, lors de la procédure orale concernant ses exceptions

247C-M, pars. 2.10-2.11 ; cf. CR 2006/52, pp. 10-11, par. 7.
248Alors que l’article 77 du décret de 1887 prévoit que les commissaires « ne peuvent exercer aucune autre
fonction dans la société », il faut se rappeler que M. Diallo n’était pas commissaire en tant que tel. Il n’avait, en

vertu de l’article 71, que les pouvoirs des commissaires. Il s’en suit que l’article 77 n’a aucune pertinence et la
249 n’y fait pas référence.
CR 2006/52, 29 novembre 2006, p. 29, pars. 51-52 (M. Kalala).

69préliminaires 250, que M. Diallo « est toujours le propriétaire de ses parts sociales dans la

société Africontainers » 251. La République de Guinée ne conteste pas, et n’a jamais contesté,

que, sur le papier, M. Diallo est toujours le seul titulaire des parts sociales dans Africom-Zaïre

252
et, par l’intermédiaire de cette dernière société, dans la société Africontainers-Zaïre - si, du
253
moins, celles-ci ont toujours une existence juridique, ce qui n’est pas le cas selon la RDC .

2.45 Le fait que M. Diallo soit formellement resté le propriétaire titulaire des parts

sociales dans les deux sociétés ne peut cependant aucunement impliquer, comme la RDC veut

le faire croire, que « ses droits de propriété en tant qu’individu n’ont en rien été affectés par la

RDC » 254 et que « l’allégation de la Guinée selon laquelle [la RDC] aurait privé M. Diallo de

son droit de propriété sur ses parts sociales et sur les biens des sociétés en cause n’est pas

fondée » 255. Cette pure pétition de principe constitue une affirmation hâtive, qui ne répond pas

à l’argumentation de la Guinée.

2.46 Dans son mémoire, la Guinée ne prétend pas que la RDC a formellement exproprié

les participations de M. Diallo dans les sociétés dont il est l’unique associé. Néanmoins, les

actions commises par les autorités congolaises et dirigées contre la personne de M. Diallo

ainsi que contre les activités d’Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre ont eu pour résultat

l’expropriation de facto des parts sociales dont M. Diallo reste seulement le titulaire formel

(§ 2). C’est que, même dans les cas où le titre formel de propriété n’a pas été atteint par l’État,

il résulte du droit positif que l’ingérence dans les droits de propriété peut aboutir à une

expropriation de facto ou indirecte (§ 1).

2.47 Il convient de préciser que cette argumentation de la Guinée n’entend aucunement

contourner l’arrêt de la Cour sur les exceptions préliminaires rendu le 24 mai 2007. Il ne

s’agit pas de prendre fait et cause pour les sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre en

tant que telles. La Guinée ne vise qu’à protéger les droits propres dont dispose M. Diallo en

tant qu’associé de ces deux sociétés, en l’espèce le droit de propriété de ses parts sociales,

dans le cadre des demandes que la Cour a déclarées recevables 256.

250
251CR 2006/50, 27 novembre 2006, p. 15 (M. Ilunga) ; p. 21, par. 25 (M. Kalala) ; p. 53, par. 37 (M. Kisala).
252C-M, p. 28, par. 2.07, p. 21, par. 1.38.
MG, p. 65, par. 3.61.
253V. infra, chapitre 3, Section 1.
254C-M., p. 28, par. 2.07.
255Ibid., p. 22, par. 1.41.
256
V. l’arrêt du 24 mai 2007, par. 98 (1)(a) et (3)(b).

70 § 1. L’expropriation indirecte en droit international

2.48 La jurisprudence internationale ainsi que la doctrine reconnaissent aujourd’hui

unanimement qu’un État peut être tenu pour responsable d’expropriation même en l’absence

d’une mesure formelle et ouverte transférant ou annulant le titre juridique de propriété (A). La

jurisprudence arbitrale a dégagé les critères généralement acceptés permettant d’établir

qu’une ingérence étatique est constitutive d’une telle expropriation indirecte ou déguisée – ou,

en anglais, indirect ou creeping expropriation (B).

A. L’expropriation indirecte est reconnue en droit international positif

2.49 L’obligation pour un État d’indemniser des dommages patrimoniaux causés par des

actions ou omissions en l’absence d’un acte formel d’expropriation a été reconnue par la

devancière de la Cour dès 1926 dans l’affaire relative à Certains intérêts allemands en Haute-
257
Silésie polonaise . La Cour permanente n’a eu aucune difficulté pour considérer que, par

l’expropriation directe et ouverte de l’usine de Chorzów, qui était préalablement la propriété

de la société allemande Oberschlesische Stickstoffwerke, et l’exploitation subséquente de

celle-ci, la Pologne avait également exproprié de facto des expériences, brevets, licences, etc.,

de la Bayerische Stickstoffwerke, société allemande ayant préalablement géré et exploité

l’usine de Chorzów, bien que les titres juridiques correspondants n’aient été ni annulés ni
258
transférés par la Pologne .

2.50 Dans l’affaire de l’Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI), la Cour actuelle a également

admis, en principe, la possibilité d’une expropriation déguisée, sans pour autant en constater
259
l’existence en l’espèce .

2.51 Dans la jurisprudence arbitrale, le principe même d’une expropriation indirecte ou de

facto a été également reconnu. Dans l’affaire des Armateurs norvégiens, le gouvernement

américain avait réquisitionné, à l’aube de la première guerre mondiale, des paquebots et

bâtiments en construction dans les chantiers navals américains. Plusieurs armateurs de

nationalité norvégienne avaient, peu de temps avant les mesures de réquisition, conclu des

contrats de construction avec les chantiers navals américains, contrats qui, en raison de la

pénurie importante en navires, avaient une valeur non-négligeable. Le tribunal arbitral a

257
258C.P.J.I., arrêt du 25 mai 1926, Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise (fond), Série A, n° 7.
259Ibid., p. 44.
Arrêt du 20 juillet 1989, Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (États-Unis d’Amérique c. Italie), C.I.J. Recueil
1989, p. 69, par. 116.

71considéré que le gouvernement américain n’avait pas seulement confisqué les paquebots et le

matériel nécessaire à la terminaison de leur construction, comme le soutenaient les États-Unis,

mais également les contrats de construction bien que ceux-ci n’aient pas été « expropriés »

formellement par les décrets américains de 1917 260.

2.52 Aujourd’hui, la majorité des instruments relatifs à la promotion et la protection des

investissements tiennent expressément compte des mesures équivalant à des expropriations au
261
même titre que les expropriations et les nationalisations de jure . C’est entre autres le cas de

l’article 1110 de l’ALENA qui dispose :« No Party may directly or indirectly nationalize or

expropriate an investment of an investor of another Party in its territory or take a measure

tantamount to nationalization or expropriation of such an investment (“expropriation”),

except … ».

2.53 De même l’article 13, paragraphe 1, du traité sur la charte de l’énergie de 1994

prévoit :

« Les investissements d'un investisseur d'une partie contractante réalisés dans la
zone d'une autre partie contractante ne sont pas nationalisés, expropriés ou
soumis à une ou plusieurs mesures ayant des effets équivalents à une

nationalisation ou à une expropriation, dénommées ci-après ‘expropriation’, sauf
… ».

2.54 Dans la récente affaire ADM, un tribunal CIRDI s’est déclaré convaincu qu’une

expropriation, au sens de l’article 1110 de l’ALENA, peut résulter d’actes ou omissions qui

ne touchent pas le titre de propriété en tant que tel. Appliquant l’ALENA, il a considéré :

« Expropriation may take place through State measures other than direct taking
of tangible property, such as taxation. When such interference occurs, the legal
title to the property remains in the owner … » 262.

2.55 Dans le même sens, un tribunal arbitral constitué dans le cadre du mécanisme
263
supplémentaire du CIRDI a considéré dans l’affaire Tecmed :

260Sentence du 13 octobre 1922, Amateurs norvégiens (Norvège c. États-Unis d’Amérique), R.S.A., vol. I, p.
325.
261
V. CNUCED, Taking of property, Nations Unies, New York/ Genève, 2000, doc. UNCTAD/ITE/IIT/15,
pp. 19-23 ; G. Sacerdoti, « Bilateral Treaties and Multilateral Instruments on Investment Protection »,
R.C.A.D.I., vol. 269, 1997, pp. 385-386 ; Rudolf Dolzer et Margrete Stevens, Bilateral Investment Treaties,
Nijhoff, La haye, 1995, p. 99.
262Sentence du 21 novembre 2007, Archer Daniels Midland Company et Tate & Lyle Ingredients Americas, Inc.
c. États-Unis du Mexique, affaire ARB(AF)/04/5, par. 238, disponible sur

http://icsid.worldbank.org/ICSID/FrontServlet?requestType=CasesRH&actio…
&caseId=C43.

72 « Although formally an expropriation means a forcible taking by the

Government of tangible or intangible property owned by private persons by
means of administrative or legislative action to that effect, the term also covers a
number of situations defined as de facto expropriation, where such actions or

laws transfer assets to third parties different from the expropriating State or
where such laws or actions deprive persons of their ownership over such assets,
264
without allocating such assets to third parties or to the Government » .

2.56 Sur la base de l’article III du traité bilatéral d’encouragement et de protection des

investissements conclu entre les États-Unis et l’Équateur en 1993, qui est très comparable à la

disposition correspondante de l’ALENA, le Tribunal dans l’affaire Occidental c. Équateur

s’est dit d’accord

« with the Claimant in that expropriation need not involve the transfer of title to

a given property, which was the distinctive feature of traditional expropriation
under international law. It may of course affect the economic value of an
265
investment » .

2.57 Une position comparable a été adoptée par le tribunal arbitral appelé à se prononcer

sur la base du traité bilatéral pour la promotion et la protection des investissements entre les

Pays-Bas et la République tchèque (en sa qualité de successeur de la Tchécoslovaquie) dans
266
l’affaire CME Czech Republic BV c. République tchèque . Bien que le traité ne contienne

pas de définition du terme expropriation qui aurait expressément inclus une référence à des

mesures équivalentes comme c’est le cas de l’ALENA ou du traité sur la Charte de l’énergie,

le tribunal arbitral a constaté :

« De facto expropriations or indirect expropriations, i.e. measures that do not
involve an overt taking but that effectively neutralise the benefit of the property
of the foreign owner, are subject to expropriation claims. This is undisputed
267
under international law » .

2.58 De fait, cette conception très large de l’expropriation n’est aucunement propre ni aux

différends relatifs aux investissements, ni aux tribunaux arbitraux statuant sur la base des

traités bilatéraux de promotion et de protection des investissements qui contiennent, souvent,

des dispositions spécifiques concernant l’expropriation. La jurisprudence de ces tribunaux a

263Sentence du 29 mai 2003, Tecnicas Medioambientales Tecmed S.A. c. États-Unis du Mexique, affaire

264ARB(AF)/00/2, disponible sur http://www.worldbank.org/icsid/cases/laudo-051903%20-English.pdf.
265Ibid., par. 113er
Sentence du 1 juillet 2004, Occidental Exploration and Production Co. c. Équateur, affaire LCIA
n° UN3467, par. 85, disponible sur http://www.investmentclaims.com/ViewPdf/ic/Awards/law-iic-202-2004.pdf.
266 Sentence partielle du 13 septembre 2001, disponible sur http://ita.law.uvic.ca/documents/CME-
2001PartialAward.pdf.
267
Ibid., par. 604.

73été plutôt inspirée par celle du Tribunal irano-américain de réclamations créé en 1981 268. La

déclaration du gouvernement de la République algérienne, démocratique et populaire sur le

règlement du contentieux entre le gouvernement des Etats-Unis d’Amérique et le

gouvernement de la République islamique d’Iran du 19 janvier 1981 – l’acte de constitution

établissant la compétence du tribunal – ne contient aucune définition du terme expropriation,

et se limite à disposer que

« [a]n international arbitral tribunal (the Iran-United States Claims Tribunal) is
hereby established for the purpose of deciding claims of nationals of the United

States against Iran and claims of nationals of Iran against the United States, and
any counterclaim which arises out of the same contract, transaction or

occurrence that constitutes the subject matter of that national’s claim, if such
claims and counterclaims are outstanding on the date of this Agreement, whether
or not filed with any court, and arise out of debts, contracts (including

transactions which are the subject of letters of credit or bank guarantees),
expropriations or other measures affecting property rights … » 269.

2.59 Malgré l’absence d’un texte explicite en ce sens, le Tribunal a sans hésitation

considéré que,

« [i]n the absence of a formal act of expropriation, the possibility of the
occurrence of a deprivation or taking is not excluded » 270.

2.60 Ce principe en lui-même établit le mal-fondé de l’argument avancée par la RDC 271 :

ce n’est pas parce que M. Diallo est toujours titulaire formel des parts sociales dans les

sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre qu’il n’y a pas eu d’expropriation indirecte de

ces parts. Tout au contraire, comme le Tribunal irano-américain l’a précisé expressément,

« [a] deprivation or taking of property may occur under international law
through interference by a state in the use of that property or with the enjoyment
272
of its benefits, even where legal title to the property is not affected » .

268
V. Andrea J. Menaker, « The Enduring Relevance of the Expropriation Jurisprudence of the Iran-U.S. Claims
Tribunal for Investor-State Arbitraions », in Christopher R. Drahozal et Christopher S. Gibson, The Iran-U.S.
Claims Tribunal at 25, Oxford University Press, 2007, p. 336.
269Declaration of the Government of the Democratic and Popular Republic of Algeria concerning the Settlement
of Claims by the Government of the United States of America and the Government of the Islamic Republic of
Iran, Article II, paragraphe 1, in Iran-United States Claims Tribunal Reports, vol. 1, p. 9.
270
Sentence n° 569-419-2, 6 mars 1996, Rouhollah Karubian c. Gouvernement de la République islamique
d’Iran, Iran-United States Claims Tribunal Reports, vol. 32, p. 35, par. 105 ; sentence n° 549-967-2, 6 juillet
1993, ibid., vol. 29, p. 260, par. 28 ; et sentence n° 566-316-2, 14 juillet 1995, Edgar Protiva, et as. c.
Gouvernement de la République islamique d’Iran, ibid., vol. 31, p. 89, par. 53.
271V. supra, par. 2.45.
272Sentence n° 141-7-2, 29 juin 1984, Tippets, Abbet, McCarthy, Stratton (TAMS) c. TAMS-AFFA Consulting

Engineers of Iran, ibid., vol. 6, p. 225. V. aussi sentence n° 19-98-2, 30 décembre 1982, Harza Engineering Co.

742.61 Le Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et

des Libertés fondamentales du 20 mars 1952 qui protège le droit de propriété dans des termes

comparables à la Charte africaine des Droits de l’Homme et des peuples du 27 juin 1981 ne

définit pas la notion d’expropriation. La jurisprudence bien établie de la Cour européenne des

droits de l’homme reconnaît cependant qu’une expropriation peut résulter des actes ou

omissions qui diffèrent du transfert ou de l’annulation formelle du titre de propriété en tant

273
que tel. Dans l’affaire Sporrong et Lönnroth , la Cour a ainsi reconnu :

« En l’absence d’une expropriation formelle, c’est-à-dire d’un transfert de
propriété, la Cour s’estime tenue de regarder au-delà des apparences et

d’analyser, les réalités de la situation litigieuse (…). La Convention visant à
protéger des droits ‘concrets et effectifs’ (…), il importe de rechercher si ladite
situation n’équivalait pas à une expropriation de fait, comme le prétendent les
274
intéressés » .

2.62 Il est donc généralement reconnu par la jurisprudence internationale et arbitrale, ainsi
275
que par la doctrine , qu’une expropriation peut résulter non seulement de l’annulation ou du

transfert du titre de propriété, mais également d’autres mesures prises par les autorités

étatiques qui, tout en se gardant de modifier formellement le titre juridique de propriété,

affectent les droits de propriétés d’une façon similaire. Comme l’ont résumé MM. Reisman et

Sloane :

« In short, international tribunals, jurists, and scholars have consistently

appreciated that states may accomplish expropriation in ways other than by
formal decree; indeed, often in ways that may seek to cloak expropriatory

conduct with a veneer of legitimacy. For this reason, tribunals have increasingly
accepted that expropriation must be analyzed in consequential rather than formal
terms. … For purposes of state responsibility and the obligation to make

c. République islamique d’Iran, ibid., vol. 1, p. 504 ; sentence n° 97-54-3, 20 décembre 1983, Dames and Moore
c. République islamique d’Iran et as., ibid., vol. 4, p. 223 ; sentence n° 245-335-2, 8 août 1986, Thomas Earl
Payne c. Gouvernement de la République islamique d’Iran, ibid., vol. 12, p. 9, par. 20.
273C.E.D.H., arrêt du 23 septembre 1982, Sporrong et Lönnroth c. Suède, Série A, n° 52.
274Ibid., pp. 24-25, par. 63. V. également les arrêts du 24 juin 1993, Papamichalopoulos et autres c. Grèce, Série
A, n° 260-B, par. 42 ; du 22 mai 1998, Vasilescu c. Roumanie, Recueil des arrêts et des décisions, 1998-III, par.
51 ; du 28 octobre 1999, Brumărescu c. Roumanie [GC], ibid., 1999-VII, par. 76 ; du 21 juillet 2005, Străin et

275res c. Roumanie, ibid., 2005-VII, par. 42.
V. notamment G. C. Christie, « What Constitutes a Taking of Property Under International Law? »,
B.Y.B.I.L., vol. 38, 1952, pp. 307-338 ; B.H. Weston, « “Constructive Takings” Under International Law : A
Modest Foray into Problem of “Creeping Expropriation” », Virginia Journal of International Law, vol. 16, 1975,
n° 1, pp. 103-175 ; R. Higgins, « The Taking of Property by the State : Recent Developments in International
Law », R.C.A.D.I., tome 176, 1982-III, pp. 259-391 ; R. Dolzer, « Indirect Expropriation of Alien Property »,

ICSID Review – Foreign Investment Law Journal, vol. 1, 1986, pp. 41-65 ; Y. Nouvel, « Les mesures équivalant
à une expropriation dans la pratique récente des tribunaux arbitraux », R.G.D.I.P., vol. 106, 2002, pp. 79-102.

75 adequate reparation, international law does not distinguish indirect from direct
expropriations » 276.

2.63 Le fait que M. Diallo soit donc resté, formellement, titulaire de ses parts sociales

dans les sociétés Africontainers-Zaïre et Africom-Zaïre ne dégage pas la RDC de sa

responsabilité pour l’expropriation de facto de ces parts. C’est la réalité de la situation plutôt
277
que les actes juridiques adoptés (ou l’absence de telles mesures) qui doit retenir l’attention .

B. Les caractéristiques de l’ingérence étatique constitutive d’une expropriation
indirecte

2.64 Le principe même de l’expropriation indirecte ou de facto étant précisé, il faut

indiquer quelles conditions sont nécessaires pour que l’on soit en présence d’une telle

expropriation. Contrairement aux expropriations ou nationalisations de jure qui restent assez

facilement détectables en raison de leur caractère formel, les expropriations de facto peuvent

prendre plusieurs formes et dépendent sensiblement des circonstances de chaque espèce :

« It is generally accepted that a wide variety of measures are susceptible to lead

to indirect expropriation, and e278 case is therefore to be decided on the basis of
its attending circumstances » .

2.65 Néanmoins, la jurisprudence – en particulier celle du Tribunal irano-américain de

réclamations et celle des tribunaux arbitraux qui ont eu à connaître des différends relatifs à la

protection des investissements – a dégagé un certain nombre de principes qui facilitent

l’identification des expropriations indirectes ou de facto.

2.66 En premier lieu, il convient de souligner que seuls les effets concrets de l’ingérence

dans le droit de propriété sont déterminants pour la qualification d’une expropriation indirecte

ou de facto. Il importe peu que les autorités étatiques aient eu l’intention de priver une

276« Indirect Expropriation and its Valuation in the BIT Generation », B.Y.B.I.L., vol. 74, 2003, p. 121.
277
Tribunal irano-américain de réclamations, sentence n° 141-7-2, 29 juin 1984, Tippets, Abbet, McCarthy,
Stratton (TAMS) c. TAMS-AFFA Consulting Engineers of Iran, ibid., vol. 6, p. 226 : « the form of the measure of
control or interference is less important than the reality of their impact ».
278 Sentence du 3 septembre 2001, Ronald S. Lauder c. République tchèque, par. 200, disponible sur
http://www.investmentclaims.com/ViewPdf/ic/Awards/law-iic-205-2001.pdf. V. aussi sentence du 16 décembre
2002, Marvin Roy Feldman Karpa c. Mexique, affaire ARB(AF)/99/1, ICSID Reports, vol. 7, p. 367, par. 102 ;
Tribunal des réclamations irano-américain, sentence n° 196-302-3, 24 octobre 1985, International Technical
Products Corporations et as. c. Gouvernement de la République islamique d’Iran, Iran-United States Claims

Tribunal Reports, vol. 9, p. 241 ; sentence n° 585-457-1, 5 mars 1998, George E. Davidson c. République
islamique d’Iran, ibid., vol. 34, p. 3, par. 106.

76personne privée de ses biens ou pas. Il est également indifférent que les mesures affectant les

droits de propriété aient été spécifiquement destinées à causer un dommage, ce qui, par

ailleurs, ne fait aucun doute concernant la mesure d’expulsion de M. Diallo qui a été

spécifiquement prise pour empêcher le bon déroulement des activités de M. Diallo et de ses

sociétés et qui a, sans aucun doute, eu un but expropriateur. Comme le Tribunal irano-

américain l’a clairement mis en lumière,

« [t]he intent of the government is less important than the effects of the measures
on the owner, and the form of the measures of control or interference is less
important than the reality of their impact » 279.

2.67 Les tribunaux statuant sur des différends relatifs à des investissements ont également

fait une place très large aux effets que les mesures prises par l’État ont sur le propriétaire

légitime, indépendamment de toute considération relative à la volonté ou à l’intention de

l’État. Dans l’affaire S.D. Myers 28, le tribunal statuant sur la réclamation concernant

l’application de l’article 1110 de l’ALENA a souligné que

« A tribunal should not be deterred by technical or facial considerations from
reaching a conclusion that an expropriation or conduct tantamount to an
expropriation has occurred. It must look at the real interests involved and the
281
purpose and effect of the government measure » .

2.68 Dans sa sentence récente dans l’affaire Sempra Energy International 282, un tribunal

arbitral s’est déclaré d’avis que

279
Sentence n° 141-7-2, 29 juin 1984, Tippets, Abbet, McCarthy, Stratton (TAMS) c. TAMS-AFFA Consulting
Engineers of Iran, Iran-United States Claims Tribunal Reports, vol. 6, pp. 225-226. V. aussi sentence
n° 217-99-2, 19 mars 1986, Phelps Dodge Corporation, et as. c. République islamique d’Iran, ibid., vol. 10,
p. 130 ; sentence n° 549-967-2, 6 juillet 1993, Harold Birnbaum c. République islamique d’Iran, ibid., vol. 29, p.

270 ; sentence n° 560-44/46/47-3, 12 octobre 1994, Shahin Shaine Ebrahimi, et as. c. République islamique
280ran, ibid., vol. 30, p. 190.
Sentence partielle du 12 novembre 2000, S.D. Myers Inc. c. Gouvernement du Canada, I.L.M., vol. 40, 2001,
p. 1408.
281Ibid., par. 285. Voir aussi Sentence du 29 mai 2003, Tecnicas Medioambientales Tecmed S.A. c. États-Unis

du Mexique, affaire n° ARB(AF)/00/2, pars. 114 et 116, disponible sur
http://www.worldbank.org/icsid/cases/laudo-051903%20-English.pdf ; sentence du 30 août 2000, Metalclad
Corp. c. États-Unis du Mexique, affaire ARB(AF)/97/1, ICSID Reports, vol. 5, p. 231, par. 111 (également
disponible sur
http://icsid.worldbank.org/ICSID/FrontServlet?requestType=CasesRH&actio…
&caseId=C155) ; sentence du 27 octobre 1989, A. Biloune et Marine Drive Complex Ltd. c. Ghana Investments

282tre et le Gouvernement du Ghana, compétence et responsabilité, I.L.R., vol. 95, p. 209.
Sentence du 28 septembre 2007, Sempra Energy International c. Argentine, affaire ARB/02/16, disponible
sur
http://icsid.worldbank.org/ICSID/FrontServlet?requestType=CasesRH&actio…
&caseId=C8.

77 « [t]he question of indirect or creeping expropriation requires a more

complex assessment. The Tribunal has no doubt about the fact that such
expropriation can arise from many kinds of measures, and that these have to
be assessed by their cumulative effects » 28.

2.69 Il en découle directement qu’il n’est pas nécessaire que le gouvernement se soit

enrichi du fait de la mesure affectant la propriété de la personne lésée ou d’une autre manière.

Seul l’effet sur cette personne lésée doit être pris en compte pour déterminer s’il y a eu

expropriation indirecte ou pas. Le tribunal dans l’affaire Metaclad a ainsi souligné que les

dispositions pertinentes de l’ALENA concernent également

« covert or incidential interference with the use of property which has the effect
of depriving the owner, in whole or in significant part, of the use or reasonably-

to-be expected economic benefit of property even if not necessarily to the
obvious benefit of the host State » 284.

2.70 La chambre 2 du Tribunal irano-américain de réclamations a partagé les mêmes

préoccupations en soulignant qu’elle

« prefers the term ‘deprivation’ to the term ‘taking’, although they are largely
synonymous, because the latter may be understood to imply that the Government
has acquired something of value, which is not required » 285.

2.71 Ceci conduit à s’interroger sur les effets que doivent produire la ou les mesures

litigieuses sur la propriété de la personne lésée pour que l’on puisse parler d’expropriation

indirecte.

2.72 Le tribunal arbitral constitué dans l’affaire ADM a très clairement résumé la

jurisprudence arbitrale concernant les critères utiles pour identifier une expropriation indirecte

ou de facto :

« The test on which other Tribunals and doctrine have agreed – and on which the

Claimants’ rely – is the ‘effects test.’ Judicial practice indicates that the severity
of the economic impact is the decisive criterion in deciding whether an indirect
expropriation or a measure tantamount to expropriation has taken place. An

283Ibid., par. 283 (italiques ajoutés).
284
Sentence du 30 août 2000, Metalclad Corp. c. États-Unis du Mexique, affaire ARB(AF)/97/1, ICSID Reports,
vol. 5, p. 230, par. 103 (également disponible sur http://icsid.worldbank.org/
ICSID/FrontServlet?requestType=CasesRH&actionVal=showDoc&docId=DC542_En&caseId=C155) (italiques
ajoutés).
285Sentence n° 141-7-2, 29 juin 1984, Tippets, Abbet, McCarthy, Stratton (TAMS) c. TAMS-AFFA Consulting
Engineers of Iran, Iran-United States Claims Tribunal Reports, vol. 6, p. 225 (italiques ajoutés). V. aussi

l’opinion dissidente du juge Brower, in sentence n° 373-481-3, 28 juin 1988, Motorola, Inc. c. Iran National
Airlines Corp. et as., ibid., vol. 19, p. 95.

78 expropriation occurs if the interference is substantial and deprives the investor
of all or most of the benefits of the investment. There is a broad consensus in

academic writings that the intensity and duration of the economic deprivation is
the crucial factor in identifying an indirect expropriation or equivalent
286
measure » .

Et le tribunal de continuer :

« Notwithstanding the fact that previous cases are not identical, and that certain
considerations and decisions have not been uniform, a common principle may be

extracted: only loss of control over the investment or substantial loss of its
economic value may amount to an indirect expropriation » 287.

2.73 Une approche comparable a été en effet adoptée par d’autres tribunaux arbitraux se

prononçant sur l’existence d’une expropriation déguisée, indirecte ou de facto. C’est le cas,

par exemple, des tribunaux dans les affaires Sempra Energy International 288, ADC Affiliate

Limited and ADC & ADMC Management Limited 289, Tokios Tokel÷s 290, Middle East

291 292 293 294 295
Cement , CME , Metalclad , Pope and Talbot et Antoine Goetz .

286
Sentence du 21 novembre 2007, Archer Daniels Midland Company et Tate & Lyle Ingredients Americas, Inc.
c. États-Unis du Mexique, affaire ARB(AF)/04/5, par. 240 (italiques ajoutés), disponible sur
http://icsid.worldbank.org/ICSID/FrontServlet?requestType=CasesRH&actio…
&caseId=C43.
287
288Ibid., par. 242 (italiques ajoutés).
Sentence du 28 septembre 2007, Sempra Energy International c. Argentine, affaire ARB/02/16, par. 285 : « A
finding of indirect expropriation would require more than adverse effects. It would require that the investor no
longer be in control of its business operation, or that the value of the business have been virtually annihilated »
(disponible sur http://icsid.worldbank.org/ICSID/FrontServlet?requestType=CasesRH&actio…;

289Id=DC694_En&caseId=C8).
Sentence du 2 octobre 2006, ADC Affiliate Limited and ADC & ADMC Management Limited c. Hongrie,
affaire ARB/03/16, par. 304 : « There can be no doubt whatsoever that the legislation passed by the Hungarian
Parliament and the Decree had the effect of causing the rights of the Project Company to disappear and/or

become worthless. The Claimants lost whatever rights they had in the Project and their legitimate expectations
were thereby thwarted. » (disponible sur http://icsid.worldbank.org/ICSID/FrontServlet?
requestType=CasesRH&actionVal=showDoc&docId=DC648_En&caseId=C231).
290Sentence sur la compétence du 29 avril 2004, Tokios Tokel÷s c. Ukraine, affaire ARB/02/18, ICSID Review –

291J, vol. 20, 2005, p. 205, par. 92.
Sentence du 12 avril 2002, Middle East Cement Shipping and Handling Co. S.A. c. Egypte, affaire ARB/99/6,
ICSID Reports, vol. 7, p. 195, par. 107 : « When measures are taken by a State the effect of which is to deprive
the investor of the use and benefit of his investment even though he may retain nominal ownership of the

respective rights being the investment, the measures are often referred to as a ‘creeping’ or ‘indirect’
expropriation » (italiques ajoutés).
292Sentence partielle du 13 septembre 2001, CME Czech Republic BV c. République tchèque, par. 604 : « De
facto expropriations or indirect expropriations, i.e. measures that do not involve an overt taking but that

effectively neutralize the benefit of the property of the foreign owner, are subject to expropriation claims »
(italiques ajoutés) (disponible sur http://ita.law.uvic.ca/documents/CME-2001PartialAward.pdf).
293Sentence du 30 août 2000, Metalclad Corp. c. États-Unis du Mexique, affaire ARB(AF)/97/1, ICSID Reports,
vol. 5, p. 230, par. 103 : « incidental interference with the use of property which has the effect of depriving the

294er, in whole or in significant part, of the use or reasonably-to-be expected economic benefit of property ».
Sentence intérimaire du 26 juin 2000 (Phase 1), Pope and Talbot, Inc. c. Canada, ICSID Reports, vol. 7, p.
87, par. 102 : « While it may sometimes be uncertain whether a particular interference with business activities

792.74 Le même standard a été développé et constamment appliqué par le Tribunal irano-

américain de réclamations dans sa très riche jurisprudence concernant les expropriations de

facto. Afin de déceler les mesures équivalant à des expropriations prises par les autorités

iraniennes pendant et après la révolution islamique, dirigées contre des ressortissants ou

entreprises américains, le Tribunal a considéré que

« a taking of property may occur under international law … if a government has
296
interfered unreasonably with the use of property » .

2.75 Le Juge Aldrich a, dans son opinion individuelle dans l’affaire ITT Industries, Inc.,

précisé ce qui constitue une atteinte déraisonnable (unreasonable) ou arbitraire. Il a proposé

de considérer qu’une expropriation a eu lieu

« whenever events demonstrate that the owner was deprived of fundamental

rights of ownership and it appears that this deprivation is not merely
ephemeral ».

2.76 Dans ses sentences ultérieures, le Tribunal a fait sien ce critère tout en précisant la

notion de fondamental rights of ownership. Dans l’affaire George E. Davidson, la chambre 1

du Tribunal s’est déclarée convaincue que

« the Respondent [la République islamique d’Iran] deprived the Claimant of his
fundamental rights of ownership, because he could not control, use or enjoy the
297
benefits of these properties » .

amounts to an expropriation, the test is whether that interference is sufficiently restrictive to support a conclusion
that the property has been ‘taken’ from the owner. Thus, the Harvard Draft defines the standard as requiring
interference that would ‘justify an inference that the owner * * * will not be able to use, enjoy, or dispose of the
property...’ The Restatement, in addressing the question whether regulation may be considered expropriation,

speaks of ‘action that is confiscatory, or that prevents, unreasonably interferes with, or unduly delays, effective
enjoyment of an alien's property.’ Indeed, at the hearing, the Investor's Counsel conceded, correctly, that under
international law, expropriation requires a ‘substantial deprivation.’ » (notes de bas de page omises).
295Sentence du 10 février 1999, Antoine Goetz et consorts c. République du Burundi, affaire ARB/95/3, ICSID
Review – FILJ, vol. 15, 2000, p. 457, par. 124 : « [S]elon les indications fournies au Tribunal par les requérants,
la révocation du certificat d’entreprise franche les a contraints à arrêter toute activité à partir du 13 août 1996,

date de la dernière exportation, ce qui a privé de toute utilité les investissements réalisés et dépouillé les
investisseurs requérants du bénéfice qu’ils pouvaient attendre de leurs investissements, la mesure litigieuse peut
être regardée comme une ‘mesure ayant un effet similaire’ à une mesure privative ou restrictive de propriété au
sens de l’article 4 de la Convention d’investissement » (italiques ajoutés).
296Sentence n° 19-98-2, 30 décembre 1982, Harza Engineering Company c. République islamique d’Iran, Iran-
United States Claims Tribunal Reports, vol. 1, p. 504 (souligné par nous) ; sentence n° 32-211-2, 29 mars 1983,

Ataollah Golpira c. Gouvernement de la République islamique d’Iran, ibid., vol. 2, p. 177 ; sentence n° 196-302-
3, 28 octobre 1985, International Technical Products Corporation, et as., c. Gouvernement de la République
islamique d’Iran, ibid., vol. 9, p. 238.
297sentence n° 585-457-1, 5 mars 1998, George E. Davidson c. Gouvernement de la République islamique
d’Iran, ibid., vol. 34, p. 3, par. 111. Voir aussi sentence n° 518-131-2, 14 août 1991, Petrolane, Inc., et as., c.

Gouvernement de la République islamique d’Iran, et as., ibid., vol. 27, p. 93 ; sentence n° 420-443-3,

802.77 L’atteinte déraisonnable ou arbitraire a été également caractérisée par l’inutilité des

droits de propriété qui en résultait. La sentence Starrett Housing Corporation précise à cet

égard :

« It is recognized under international law that measures taken by a State can
interfere with property rights to such an extent that these rights are rendered so

useless that they must be deemed to have been expropriated, even thought the
State does not purport to have expropriated them and the legal title to the
298
property formally remains with the original owner » .

2.78 Cette inutilité (uselessness) des droits de propriété a été également assimilée à la
299
perte du contrôle et de l’usage effectifs des biens pour le propriétaire légitime .

2.79 La jurisprudence du Tribunal irano-américain, particulièrement cohérente en la

matière 30, a constitué une source d’inspiration évidente pour la jurisprudence arbitrale

concernant les expropriations indirectes ou de facto 301.

2.80 Il ressort de ce corpus de jurisprudence qu’une expropriation a eu lieu s’il y a eu

atteinte au droits de propriété de l’intéressé à un degré tel qu’il a été privé du contrôle effectif,

de l’usage efficace ou de la valeur de ses droits d’une façon durable et ce même si l’intéressé

dispose toujours du titre formel de propriété. C’est le contenu de la propriété qui sert de

standard et non pas le titre juridique. Dans les cas où le titre juridique subsiste, mais ne

constitue plus rien d’autre qu’une enveloppe vide et inutile, on est en présence d’une

expropriation de laquelle l’État peut, sous certaines conditions, être tenu responsable.

31 mars 1989, Seismograph Service Corporation, et as. c. The National Iranian Oil Company, et as., ibid.,
vol. 22, pp. 78 s. Pour d’autres applications de ce critère, v. sentence n° 141-7-2, 29 juin 1984, Tippets, Abbet,
McCarthy, Stratton (TAMS) c. TAMS-AFFA Consulting Engineers of Iran, ibid., vol. 6, p. 225 ; sentence n° 220-

37/231-1, 10 avril 1986, Foremost Tehran, Inc., et as., c. Gouvernement de la République islamique d’Iran, ibid.,
vol. 10, p. 243 ; sentence n° 217-99-2, 19 mars 1986, Phelps Dodge Corporation, et as. c. République islamique
d’Iran, ibid., vol. 10, p. 130 ; sentence n° 298-317-1, 22 avril 1987, Sola Tiles, Inc. c. Gouvernement de la
République islamique d’Iran, ibid., vol. 14, p. 231.
298Sentence interlocutoire n° ITL 32-24-1, 19 décembre 1983, Starrett Housing Corporation, et as., c.
République islamique d‘Iran, ibid., vol. 4, p. 154 (souligné par nous).
299
Ibid. ; sentence n° 528-941-3, 6 mars 1992, W. Jack Buckamier c. République islamique d’Iran, et as., ibid.,
vol. 28, p. 71 ; sentence n° 519-394-1, 19 août 1991, Merrill Lynch & Co. Inc., et as., c. Gouvernement de la
République islamique d’Iran, et as., ibid., vol. 27, pp. 142 ss. ; sentence n° 220-37/231-1, 10 avril 1986,
Foremost Tehran, Inc., et as., c. Gouvernement de la République islamique d’Iran, ibid., vol. 10, pp. 248 ss. ;
sentence n° 360-10514-1, 20 avril 1988, Leonard and Mavis Daley c. République islamique d’Iran, ibid., vol. 3,
pp. 232 s.
300
P. Daillier, A. Moutier-Lopet, A. Robert, D. Müller, « Tribunal irano-américain de réclamations », A.F.D.I.,
vol. XLVIII, 2002, p. 417.
301Andrea J. Menaker, « The Enduring Relevance of the Expropriation Jurisprudence of the Iran-U.S. Claims
Tribunal for Investor-State Arbitraions », in Christopher R. Drahozal et Christopher S. Gibson, The Iran-U.S.
Claims Tribunal at 25, Oxford University Press, 2007, p. 336 ; Ch. N. Brower et J.D. Brueschke, The Iran-

United States Claims Tribunal, Martinus Nijhoff Publishers, La Haye/Boston/Londres, 1998, p. 369.

812.81 Il est évident que l’existence d’une mesure d’expropriation n’engage pas à elle seule

la responsabilité internationale de l’État. Encore faut-il, conformément à l’article 2 (a) des

Articles sur la responsabilité internationale de l’État pour fait internationalement illicite 302,

que cette mesure lui soit attribuable, c'est-à-dire que l’expropriation ait été effectuée par des

actes ou omissions, pris isolement ou cumulativement, de l’État. De surcroît, conformément à

l’article 2 (b) de ces Articles, la mesure d’expropriation doit être illicite, c’est-à-dire contraire

303
aux obligations internationales qui incombent à l’État en la matière .

§ 2. L’ingérence de la RDC dans les droits de propriété de M. Diallo
constitue une expropriation déguisée illicite

2.82 En application des règles et principes développés et reconnus par la jurisprudence

internationale, il apparaît clairement que M. Diallo a été victime d’une expropriation indirecte

de ses parts sociales dans les sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre. Il ne dispose

plus ni du contrôle ni de l’usage efficace de sa participation dont, de surcroît, la valeur

économique a été anéantie (A). M. Diallo a été victime d’une expropriation illicite en raison

de son expulsion arbitraire et contraire aux obligations internationales du Congo. La RDC a,

par les actes de ses propres autorités étatiques, commis une violation du droit international.

Les conditions de licéité d’une expropriation n’ont été aucunement respectées (B).

A. M. Diallo a été privé du contrôle, de l’usage et de la valeur de ses parts sociales

2.83 Il convient de rappeler que M. Diallo a effectué dans les années 1970 d’importants

investissements au Zaïre en constituant les deux sociétés Africom-Zaïre, spécialisée dans

l’import/export, et Africontainers-Zaïre, spécialisée dans le transport de marchandises par

container 30, dont il a par ailleurs, depuis 1980 assumé les fonctions de gérant 305. Suite à la

conclusion de contrats lucratifs par les deux sociétés avec l’État zaïrois, l’ONATRA (Office

national des transports), Zaïre Mobil Oil, Shell Zaïre, Zaïre-Fina et la Gecamines (Générale

des carrières et des mines), l’investissement initial de M. Diallo a fructifié et a permis de

développer considérablement les activités des deux sociétés dont il a été l’associé unique 306.

302Nations Unies, Assemblée générale, résolution 56/83, 12 décembre 2001, doc. A/RES/56/83, Annexe.
303Ibid.
304MG, p. 10, pars. 2.2-2.3.
305
306Ibid., p. 11, par. 2.5.
Ibid., pp. 12-15, pars. 2.7-2.18 ; OG, pp. 9-11, pars. 1.14-1.19.

82M. Diallo a été considéré comme un investisseur actif rendant de grands services au

développement économique du Zaïre 30.

2.84 Il convient de souligner que suite aux difficultés commerciales rencontrées par les

sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre du fait de violations contractuelles et d’une
308
accumulation d’impayés imputables à ses co-contractants , M. Diallo, pour faire face au

risque de diminution de valeur de ses investissements a tenté de régler ces différends par des

moyens aussi bien amiables que judiciaires 309, ceci par l’intermédiaire des organes des

sociétés dont il a été l’associé dans le but de prévenir toute perte éventuelle. Il s’agissait du

comportement d’un investisseur diligent et soucieux de la viabilité de son investissement. Le

Tribunal arbitral dans l’affaire Generation Ukraine a considéré à cet égard que

« an international tribunal may deem that the failure to seek redress from
national authorities disqualifies the international claim, not because there is a

requirement of exhaustion of local remedies, but because the very reality of
conduct tantamount to expropriation is doubtful in the absence of a reasonable -
310
not necessarily exhaustive - effort by the investor to obtain correction » .

2.85 Certes, de simples difficultés commerciales ne peuvent pas raisonnablement être

comparées à des mesures d’expropriation, fussent-elles indirectes. Néanmoins, il est clair que

M. Diallo, par le truchement des organes des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre

ne cherchait qu’à récupérer ce qu’il considérait comme lui étant dû afin de prévenir l’érosion

progressive de ses investissements ; et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a été détenu

puis expulsé.

2.86 Les atteintes au droit de propriété de M. Diallo et l’anéantissement progressif de ses

parts sociales commencent en 1988 quand il fut emprisonné dans le seul but de l’empêcher de
311
recouvrir les dettes, pourtant reconnues, de l’État zaïrois . Cette mesure ne fut pas seulement

entièrement arbitraire et dépourvue de tout fondement juridique 31, mais a eu pour résultat que

non seulement les obligations financières de l’État sont tombées, après quelques ultimes

307
308OG, p. 9, par. 1.13.
V. MG, pp. 16-21, pars. 2.19-2.35 ; OG, pp. 11-12, pars. 1.22-1.24.
309MG, pp. 22-29, pars. 2.36-2.62
310Sentence du 16 septembre 2003, Generation Ukraine Inc. c. Ukraine, affaire ARB/00/9, ILM, vol. 44, 2005,
p. 404, pars. 20.30 ; sentence du 3 juillet 2008, Helnan International Hotels A/S c. Egypte, affaire ARB/05/19,

par. 148, disponible sur http://icsid.worldbank.org/ICSID/FrontServlet?requestType=CasesRH&actio…
showDoc&docId=DC772_En&caseId=C64 ; sentence du 11 septmbre 2007, Parkerings-Compagniet AS c.
Lituanie, affaire ARB/05/8, par. 452, disponible sur http://icsid.worldbank.org/ICSID/FrontServlet?
requestType=CasesRH&actionVal=showDoc&docId=DC682_En&caseId=C252.
311OG, pp. 15-18, pars. 1.35-1.44.
312
V. OG, annexe 16 et V. supra, Chapitre 1, Section 1, §1.

83tentatives de règlement entreprises par M. Diallo après sa libération, aux oubliettes, mais

également qu’un projet d’investissements prometteur n’a pas pu être réalisé 313. La diminution

de la valeur de l’investissement de M. Diallo et les conséquences de ces actes illicites sur ses

droits de propriétés sont évidentes. Sans doute, la privation du contrôle des activités due à
314
l’incarcération ne fut que temporaire, quoique fort longue (une année ), et si M. Diallo a été

dans la possibilité de reprendre le contrôle de son investissement, celui-ci s’en est trouvé

fortement altéré.

2.87 Cet amenuisement s’est poursuivi en 1995 quand, de nouveau, les autorités

congolaises se sont ingérées dans les affaires commerciales ordinaires d’Africontainers en

suspendant, d’abord provisoirement, puis, peu après, définitivement, l’exécution de l’arrêt
315 316
rendu en faveur de la demanderesse dans l’affaire Africontainers c. Zaïre Shell . Cette

mesure, bien qu’elle ne visât pas directement les parts sociales de M. Diallo dans la société

Africontainers-Zaïre, a réduit considérablement la valeur de celles-ci.

2.88 Les ingérences dans les droits de propriétés des parts sociales de M. Diallo ont trouvé

leur point culminant avec son arrestation puis son expulsion du territoire 317. Ce coup de grâce

à l’investissement de M. Diallo, privé de la gestion de ses sociétés, de toute participation dans

les activités des organes de celles-ci, et de toute possibilité de prendre les mesures

nécessaires, a tiré un trait final sur la valeur économique des parts sociales aussi bien

d’Africom-Zaïre que d’Africontainers-Zaïre. Ces mesures ont privé M. Diallo, définitivement,
318
de toute possibilité de contrôle et de tout usage de ses parts sociales.

2.89 L’expulsion, en tant que point culminant de l’ingérence du Congo dans les affaires et

la propriété de M. Diallo, constitue une mesure qui « interfere[s] with property rights to such

an extent that these rights are rendered so useless that they must be deemed to have been

expropriated, even though the State does not purport to have expropriated them and the legal
319
title to the property formally remains with the original owner » . La contrainte exercée par

l’État congolais sur la société et ses réclamations rendait la possession des parts sociales dans

313OG, p. 11, par. 1.21.
314V. supra, Chapitre 1, Section 1, §1.
315OG, pp. 19-23, pars. 1.45-1.55.
316
317MG, annexe 153.
V. supra, Chapitre 1, Section 2.
318V. supra, Chapitre 2, Section 2.
319Sentence interlocutoire n° ITL 32-24-1, 19 décembre 1983, Starrett Housing Corporation, et as., c.
Gouvernement de la République islamique d‘Iran, Iran-United States Claims Tribunal Reports, vol. 4, p. 154

(souligné par nous).

84cette société sans valeur aucune. Si les parts sociales avait été librement négociables, ce qui

320
n’est pas le cas , on se demande qui aurait voulu investir ou reprendre ses parts sociales et,

par là même, la participation dans une société qui venait de se faire anéantir par les

agissements de l’État et qui, à l’évidence, dans ce climat d’hostilité et de contrainte, n’avait

plus aucune chance de poursuivre normalement ses activités commerciales, notamment en

l’absence de son unique dirigeant et animateur, M. Diallo.

2.90 Il est illusoire de reprocher à M. Diallo de ne pas avoir tenté de vendre ses parts
321
sociales, comme la RDC le fait, non sans ironie . Même si la RDC n’a pas empêché

M. Diallo de vendre ses parts sociales, une telle possibilité ne s’est jamais présentée et ne

pouvait pas se présenter. Commercialement, les parts sociales de M. Diallo n’avaient plus

aucune valeur économique réelle. Il ne faut pas oublier, d’une part, le caractère intuitu

personae très marqué qui imprègne largement le statut et le régime juridique d’Africom-Zaïre

et de Africontainers-Zaïre, toutes les deux constituées en tant que S.P.R.L. de droit congolais

dont les « parts sociales ne sont pas librement transmissibles » 32. D’autre part, M. Diallo se

trouvait être, tout à la fois, le seul et unique gérant des deux sociétés – dont il possédait,

directement ou indirectement 100% du capital – et, du même coup, leur seul associé. En

raison de cette imbrication très intense, il était à peu près impossible de distinguer M. Diallo

de ses sociétés qui, sans lui, étaient dénuées de toute valeur pour un éventuel acheteur. La

mesure d’expulsion confirme par ailleurs cette confusion entre M. Diallo et les sociétés : elle

a été prise contre le premier dans le seul but d’anéantir les secondes et leurs activités. « As a

result of the host State measure, the investor's rights to use of the property are rendered

323
nugatory, or lack the economic value they previously had » . « The value of the business
324
ha[s] been virtually annihilated » . Pour paraphraser l’opinion dissidente du juge Holtzmann

dans l’affaire Foremost Tehran, Inc., les parts sociales de M. Diallo

320
321V. infra, par. 2.90.
322C-M, p. 21, par. 1.38.
V. article 36 du décret du 27 février 1887 sur les sociétés commerciales, OG, Annexe 35. V. aussi l’arrêt du
24 mai 2007, par. 25.
323Sentence du 21 novembre 2007, Archer Daniels Midland Company et Tate & Lyle Ingredients Americas, Inc.
c. États-Unis du Mexique, affaire ARB(AF)/04/5, par. 238, disponible sur

http://icsid.worldbank.org/ICSID/FrontServlet?requestType=CasesRH&actio…
&caseId=C43.
324Sentence du 28 septembre 2007, Sempra Energy International c. Argentine, affaire ARB/02/16, par. 285,
disponible sur http://icsid.worldbank.org/ICSID/FrontServlet?requestType=CasesRH&actio…;
docId=DC694_En&caseId=C8.

85 « have become mere pieces of paper, of interest only to scripophilists – the
hobbyists who collect financially worthless share certificates for their historical
or decorative value » 325.

2.91 Il n’y a par ailleurs aucun doute que la mesure d’expulsion, quand bien même elle ne

concerne pas directement les droits de propriété de M. Diallo et ses parts sociales, est

susceptible de les affecter sensiblement et, dans le cas présent, de les anéantir complètement

et définitivement. Le Tribunal irano-américain a reconnu très clairement que

« expulsion is a measure by nature directed against the Claimant himself. Yet, it
326
may, at the same time, directly affect his property or property rights » .

2.92 Les mesures prises par la RDC à l’encontre de M. Diallo et les effets de son

expulsion sur ses parts sociales ressemblent étonnamment à celles prises par les autorités

ghanéennes contre M. Biloune et aux atteintes ainsi portées à ses droits. M. Biloune, de

nationalité syrienne, avait résidé au Ghana pendant vingt-deux ans avant d'en être expulsé en

1987. I1 y avait fondé une société (MDCL) dont il possédait 60 pour cent des actions. Cette

société avait conclu des accords avec des entités ghanéennes pour la construction d'un

complexe hôtelier à Accra. Sous prétexte de l'absence de permis de construire, les autorités de

la ville d'Accra ont arrêté les travaux et ont démoli une partie des constructions. Par la suite,

M. Biloune a été arrêté, détenu pendant treize jours, et expulsé.

2.93 Dans l’arbitrage opposant Antoine Biloune, de nationalité syrienne, et les autorités

ghanéennes, le tribunal arbitral a également considéré que l’emprisonnement et l’expulsion de

M. Biloune constituait, avec d’autres mesures, une expropriation de ses droits dans la société

MDCL, dont il a été associé et gérant. Le tribunal a décidé notamment qu’il

« must determine whether the above facts constitute, as the claimants charge, a
constructive expropriation of MDCL's assets and Mr. Biloune's interest in
MDCL. The motivations for the actions and omissions of Ghanaian

governmental authorities are not clear. But the Tribunal need not establish those
motivations to come to a conclusion in the case. What is clear is that the
conjunction of the stop work order, the demolition, the summons, the arrest, the

detention, the requirement of filing assets declaration forms, and the deportation
of Mr. Biloune without possibility of re-entry had the effect of causing the
irreparable cessation of work on the project. Given the central role of Mr.

325
326Iran-United States Claims Tribunal Reports, vol. 10, p. 259.
Sentence n° 324-10199-1, 2 novembre 1987, Kenneth P. Yeager c. République islamique d’Iran, ibid., vol.
17, p. 99, par. 30 ; sentence n° 440-12183-1, 6 octobre 1989, Jimmi B. Leach c. République islamique d’Iran,
ibid, vol. 23, p. 237, par. 18.

86 Biloune in promoting, financing and managing MDCL, his expulsion from the
327
country effectively prevented MDCL from further pursuing the project » .

2.94 N’étant pas convaincu par les « justifications » fournies par la partie défenderesse, le

Tribunal a conclu :

« The Tribunal therefore holds that the Government of Ghana, by its actions

and omissions culminating with Mr. Biloune's deportation, constructively
expropriated MDCL's assets, and Mr. Biloune's interest therein, not later
than 24 December 1987. The claimants are therefore entitled to
328
compensation » .

2.95 Il ne peut faire aucun doute que, quand bien même les sociétés continueraient à
329
exister formellement – ce que nie l’État défendeur , les parts sociales dont M. Diallo est

resté le propriétaire formel sont désormais dénuées de toute valeur économique réelle et que

M. Diallo, suite à son expulsion, a définitivement perdu le contrôle et l’usage de ses

investissements. Dans ces conditions et conformément aux règles et principes du droit

international dégagés par la jurisprudence internationale, les parts sociales de M. Diallo ont

fait l’objet d’une expropriation indirecte ou de facto.

B. La responsabilité internationale de la RDC est engagée pour l’expropriation
indirecte de M. Diallo

2.96 L’expropriation indirecte de M. Diallo constitue un fait internationalement illicite de

la RDC conformément à l’article 2 des Articles sur la responsabilité de l’État pour fait

internationalement illicite. Les actes à l’origine de l’anéantissement des droits de propriété de

M. Diallo constituent des violations du droit international et sont attribuables à la RDC.

2.97 Il est en effet bien établi en droit international qu’une expropriation, directe ou

indirecte, doit être faite dans l’intérêt public, d’une façon non discriminatoire et être
330
accompagnée d’une compensation prompte et adéquate .

327Sentence du 27 octobre 1989, A. Biloune et Marine Drive Complex Ltd. c. Ghana Investments Centre et le

328vernement du Ghana, compétence et responsabilité, I.L.R., vol. 95, p. 209.
Ibid.; v. également sentences du 8 août 1980, S.A.R.L. Benvenuti & Bonfant c. République populaire du
Congo, I.L.M., vol. 21, 1982, p. 758, par. 4.62, et du 24 juillet 2008, Biwater Gauff (Tanzania) Limited c.
Tanzanie, affaire ARB/05/22, pars. 511-517, disponible sur http://icsid.worldbank.org/ICSID/FrontServlet?
requestType=CasesRH&actionVal=showDoc&docId=DC770_En&caseId=C67
329V. infra, par. 3.7.
330
Voir sentences du 31 mars 1986, Liberian Eastern Timber Corporation (LETCO) c. Libéria, I.L.M., vol. 26,
1987, p. 665. Voir aussi sentences du 10 février 1999, Antoine Goetz et consorts c. République du Burundi,

872.98 La RDC reconnaît par ailleurs ces règles dans son propre droit interne. L’article 5 du

Code d’investissement de 1986 disposait :

« Les droits de propriété individuelle ou collective acquis par l'investisseur,
conformément à la législation zaïroise, sont garantis par la Constitution de la

République du Zaïre.

Il ne peut être porté atteinte à ces droits que pour des motifs d’intérêt général et
en vertu d'une loi, sous réserve d’une indemnité juste et équitable à verser au
titulaire lésé de ses droits. »31

2.99 L’article 26 du Code d’investissement, qui a remplacé le texte précité en 2002,

prévoit également :

« Un investissement ne peut pas être, directement ou indirectement, dans sa
totalité ou en partie, nationalisé ou exproprié par une nouvelle loi, et / ou d'une
décision d'une autorité locale ayant le même effet, excepté : pour des motifs

d'utilité publique et moyennant le payement d'une juste et équitable indemnité
compensatoire.

L'indemnisation est considérée juste si elle est basée sur la valeur de marché de
l'actif qui a été nationalisé ou exproprié ; cette valeur doit être déterminée d'une
manière contradictoire immédiatement avant l'expropriation ou la

nationalisation, ou avant que la décision d'exproprier ou nationaliser ne soit
devenue du domaine public » 332.

2.100 L’expropriation de M. Diallo ne respecte pas ces conditions :

- L’expropriation de M. Diallo n’est pas conciliable avec les exigences de l’intérêt public.

Elle n’a pas été effectuée pour un motif d’utilité publique, mais dans le seul but de se

débarrasser d’un investisseur étranger qui avait le tort d’exiger que soient honorées à son

égard les dettes de l’État (ou reconnues par celui-ci) et celles d’entreprises dans le capital

desquelles le même Etat avait un intérêt. L’expropriation des parts sociales a été réalisée par

l’expulsion illicite de M. Diallo dont la seule motivation était, d’évidence, non plus seulement

de le dissuader, mais plus largement, dans la continuité des mesures déjà prises, de

l’empêcher de poursuivre, au nom de ses sociétés, les différentes procédures judiciaires

affaire ARB/95/3, ICSID Review – FILJ, vol. 15, 2000, p. 457, pars. 124-129 ; sentence du 2 octobre 2006, ADC
Affiliate Limited and ADC & ADMC Management Limited c. Hongrie, affaire ARB/03/16, pars. 428 ss.,
disponible sur
http://icsid.worldbank.org/ICSID/FrontServlet?requestType=CasesRH&actio…

&caseId=C231 ; et Nations unies, Assemblée générale, Résolution 1803 (XVII), Souveraineté permanente sur
331 ressources naturelles, 14 décembre 1962, par. 4.
L’article 5 de l’Ordonnance-loi n° 86-028 du 5 avril 1986 portant Code des Investissements, OG, annexe 35
(italiques ajoutés) ?
332Loi n° 004/2002 du 21 février 2002 portant Code des investissements, RG, annexe 5 (italiques ajoutés).

88entamées. En emprisonnant puis en expulsant l’unique gérant et associé des S.P.R.L.

Africom-Zaïre et Africontainers, le Congo savait en effet pertinemment qu’il entraverait

l’activité de ces deux sociétés et qu’il empêcherait tout recouvrement futur de ce qui leur était

dû. Il n’y a pas de meilleur exemple d’un acte arbitraire 333 que cette expropriation effectuée

par le moyen d’une expulsion en elle-même contraire aux exigences du droit international et

elle-même totalement arbitraire.

- À l’évidence, aucune indemnisation n’a été offerte ou versée par les autorités

congolaises pour l’expropriation des parts sociales de M. Diallo bien qu’une telle
334
indemnisation soit prévue et par le droit international et par le droit congolais .

2.101 L’expropriation de M. Diallo constitue donc une violation du droit international au

sens de l’article 12 des Articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement

illicite.

2.102 Cette violation est également attribuable à la RDC. Il n’est pas contesté par la Partie

défenderesse que les ingérences dans les affaires et le droit de propriété de M. Diallo, ainsi

que son expulsion, qui constitue l’acte culminant de l’expropriation déguisée, ont été prises

par le pouvoir exécutif. En vertu de l’article 4 des Articles sur la responsabilité de l’État pour

fait internationalement illicite 33, les actes des organes de l’État lui sont attribuables.

2.103 Il est ainsi établi que par ses actes d’ingérence dans les affaires des sociétés Africom-

Zaïre et Africontainers-Zaïre et par l’expulsion de M. Diallo intervenue au début de l’année

1996, la RDC a exproprié de manière illicite les parts sociales de M. Diallo dans lesdites

sociétés et a engagé en conséquence sa responsabilité internationale.

333C.I.J., chambre, arrêt du 20 juillet 1989, Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (États-Unis d’Amérique c. Italie),
C.I.J. Recueil 1989, p. 76, par. 128 ; sentence du 3 octobre 2006, LG&E Energy Corp. c. Argentine, affaire
ARB/02/1, par. 157, ICSID Review – FILJ, vol. 21, 2006, p. 203.
334
335V. supra, par. 2.98.
Ibid.

89 Conclusion du Chapitre 2

2.104 En conclusion du chapitre 2 de sa réplique, la République de Guinée maintient que

les droits propres de M. Diallo en tant qu’associé des sociétés Africom-Zaïre et

Africontainers-Zaïre ont été violés par la République démocratique du Congo du fait de

(i) la violation de son droit de prendre part aux assemblées générales et de choisir un
nouveau gérant ;

(ii) la violation de son droit de surveiller et de contrôler les actes accomplis par la
gérance et les opérations des sociétés ;

(iii) l’expropriation indirecte de ses parts sociales dans les sociétés dont il était l’associé.

2.105 La violation par la RDC des droits de M. Diallo en ses deux qualités, de personne
d’une part, d’associé d’autre part, engage sa responsabilité internationale. De ce fait, la RDC

est tenue à une réparation intégrale du préjudice subi par la République de Guinée en la

personne de son ressortissant, comme le montre le chapitre 3 de la présente réplique.

90 CHAPITRE 3

LE DROIT À RÉPARATION

3.1 Dans son bref contre-mémoire, la République démocratique du Congo n’a pas jugé

utile de répondre aux développements du mémoire guinéen consacrés à l’obligation de réparer

incombant à l’État défendeur 336. La République de Guinée ne sait comment il faut interpréter

ce silence – il peut l’être comme l’acceptation de ses arguments dans l’hypothèse, par ailleurs

exclue par l’État défendeur, où la responsabilité de celui-ci serait retenue. Mais il se peut

également que la RDC ait considéré qu’il était inutile de répondre sur ce point puisqu’elle

considère n’avoir commis aucun fait matériellement illicite – ce qui n’est manifestement pas

exact, ainsi que cela ressort des chapitres précédents de la précédente réplique.

3.2 Quoiqu’il en soit, la Guinée, pour sa part, maintient l’intégralité de son

argumentation dans son principe. Toutefois, puisque, par son arrêt du 24 mai 2007 sur les

Exceptions préliminaires de la RDC, la Cour a déclaré « la requête de la République de

Guinée irrecevable en ce qu’elle a trait à la protection de M. Diallo pour les atteintes alléguées
337
aux droits des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre » , il est nécessaire d’ajuster

cette argumentation en conséquence. Tel est l’unique objet du présent chapitre – qui peut, dès

lors, être bref.

3.3 Dans les conclusions de son mémoire, la Guinée a prié la Cour de céans de

« … de dire et juger:

1° Qu’en procédant à l’arrestation arbitraire et à l’expulsion de son ressortissant, M.

Ahmadou Sadio Diallo, en ne respectant pas, à cette occasion, son droit à bénéficier
des dispositions de la Convention de Vienne de 1961 sur les Relations consulaires, en
le soumettant à un traitement humiliant et dégradant, en le privant de l’exercice de ses

droits de propriété et de direction des sociétés qu'il a fondées en R.D.C., en
l’empêchant de poursuivre le recouvrement des nombreuses créances qui lui sont dues,
à lui-même et aux dites sociétés, tant par la R.D.C. elle-même que par d'autres co-

contractants, en ne s’acquittant de ses propres dettes envers lui et envers ses sociétés,
la République démocratique du Congo a commis des faits internationalement illicites
qui engagent sa responsabilité envers la République de Guinée;

336
MG, pp. 68-74, pars. 3.68-3.83.
337Dispositif, par. 98.3).c).

91 2° Que, de ce fait, la République démocratique du Congo est tenue à la réparation
intégrale du préjudice subi par la République de Guinée en la personne de son
ressortissant;

3° Que cette réparation doit prendre la forme d’une indemnisation couvrant l'ensemble
des dommages causés par les faits internationalement illicites de la République
démocratique du Congo, y compris le manque à gagner, et comprendre des
338
intérêts » .

3.4 Du fait de la décision précitée de la Cour internationale de Justice, ces conclusions

doivent nécessairement être amendées. En conformité avec cette décision, la Guinée ne

saurait prier la Cour d’ordonner réparation pour les pertes résultant de l’impossibilité du
recouvrement des créances dues aux sociétés de M. Diallo, Africom-Zaïre et Africontainers-

Zaïre, tant par la R.D.C. elle-même que par d’autres co-contractants. Elle amendera donc ci-

après ses conclusions en conséquence.

3.5 Toutefois, pour importante que soit la portée de la décision de la Haute Juridiction

au point de vue « théorique », pour ce qui est des conséquences des règles applicables en

matière de réparation, concrètement, cette restriction n’a, de l’avis de la Guinée, qu’une

importance limitée. D’une part en effet, les préjudices subis par M. Diallo, tout en ne

s’assimilant pas complètement à ceux de ses sociétés, les recouvrent largement en ce sens que

les actions dirigées contre la personne de celui-ci – et en particulier son expulsion illicite – ont

eu comme conséquence directe les difficultés puis la cessation d’activités de celles-ci qui, à

son tour, a très directement causé un préjudice considérable à M. Diallo (Section 2) ; d’autre
part, comme, selon la RDC, les deux sociétés auraient été radiées du registre des sociétés et

auraient, dès lors, cessé d’exister, c’est bien l’intégralité des actifs et des créances de celles-ci

qui doit faire l’objet de la réparation que la Cour est appelée à ordonner (Section 1). Pour le

reste, la République de Guinée s’en tient aux conclusions de son mémoire (Section 3).

Section 1

La question des dommages subis par Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre

3.6 Au paragraphe 59 de son arrêt du 24 mai 2007, la Cour note

338MG, p. 100, par. 5.1.

92 « l’existence d’un désaccord entre les Parties quant aux circonstances ayant entouré la
création d’Africom-Zaïre et l’exercice de ses activités ainsi que la poursuite de ces
activités après les années quatre-vingt, et quant aux conséquences qui pourraient en

être tirées en droit congolais. Elle estime néanmoins que ce désaccord relève
essentiellement du fond et qu’il est sans incidence sur la question de la recevabilité de
la requête de la Guinée telle que mise en cause par les exceptions congolaises ».

3.7 Or, en la présente espèce, il résulte des dires mêmes de l’État défendeur que :

« 6. II se fait que la société AFRICOM-ZAIRE a cessé toutes ses activités depuis le
milieu des années 1980. Elle ne tenait plus des assemblées générales annuelles des
associés. Elle ne déposait pas non plus ses bilans annuels auprès du greffe du registre
du commerce, sur la base desquels elle devait payer ses impôts à l’État congolais.

Selon le droit congolais, une société commerciale qui se trouve dans une telle situation
est automatiquement radiée du registre du commerce pour cessation d’activités. C’est
ce qui explique la déclaration du greffier divisionnaire du Tribunal de commerce de

Kinshasa selon laquelle la société AFRICOM-ZAIRE n’est pas immatriculée au
registre de commerce de sa juridiction.

7. La situation décrite ci-dessus explique aussi le fait que malgré toutes les
recherches qui ont été menées par les fonctionnaires compétents, ceux-ci n’ont pas mis
la main sur le dossier physique de la société AFRICOM-ZAIRE dans lequel on aurait
pu trouver éventuellement une copie des statuts de cette société.

8. Comme nous l’avons déjà indiqué, lors du départ [sic] de M. Diallo de la
RDCongo en janvier 1996, la société AFRICOM-ZAIRE avait cessé ses activités

depuis près de dix ans. À l’heure actuelle, c’est donc depuis plus de 20 ans que cette
société n’a aucune activité en RDCongo. Dans ces conditions, il est fort possible que
son dossier ait été déclassé, égaré ou détruit par les services administratifs… » 33.

3.8 Pour sa part, la Guinée, qui est beaucoup moins bien placée que la RDC pour

effectuer de telles recherches, a également entrepris tous les efforts possibles pour se procurer

les statuts de cette société – ainsi que le note d’ailleurs la RDC dans le même document :

« Les fonctionnaires du registre du commerce ont également signalé la visite d'un
diplomatique guinéen en poste à Kinshasa dans leurs bureaux à la recherche des statuts
concernés » 340.

3.9 Ces démarches n’ont pas davantage permis de retrouver trace des statuts

d’Africom-Zaïre, ce qui tend à accréditer la thèse de la disparition d’office de celle-ci – étant

toutefois remarqué :

339
Document annexé à la lettre N° 132.52/01/00013/2007 du 31 janvier 2007 de M. l’Agent de la R.D.C.
(transmise à la Partie guinéenne par la lettre du Gr129621 nen date du 2 février 2007).
340Ibid., par. 4.

93 - d’une part, que l’on ne sait selon quelle procédure ni sur la base de quelle règle de

droit congolais elle est intervenue, points sur lesquels la RDC reste muette ; et

- que, en tout état de cause, le processus de cette « disparition » n’a pu débuter avant

au plus tôt l’année 1995 : c’est cette année là qu’une décision de justice est rendue en faveur

d’Africontainers-Zaïre [AFC, et pas AZ ; or le 3.9 concerne seulement AZ ? citer plutôt

l’affaire PLZ/AZ, qui date elle de 1993 si mon souvenir est bon ; et rappeler que la cessation

d’activités d’AZ est consécutive au non paiement de ses créances (affaire du papier-listing de

1988 et ses suites)] (contre Shell-Zaïre) et que M. Diallo multiplie les demandes gracieuses en
vue du recouvrement des autres créances de ces sociétés – ce qui lui vaudra d’être arrêté et

expulsé en vue, précisément d’étouffer ses réclamations et de l’empêcher de poursuivre les

procédures en vue de ce recouvrement 341.

3.10 Au bénéfice de ces remarques, le raisonnement applicable à Africom-Zaïre est en

tous points transposable à Africontainers-Zaïre : pas davantage que la première, cette société

n’a, depuis l’expulsion de M. Diallo, tenu d’assemblées générales annuelles ou déposé ses

bilans annuels auprès du greffe du registre du commerce, sur la base desquels elle aurait dû

payer ses impôts à l’État congolais. Dès lors que, « [s]elon le droit congolais », tel

qu’interprété par la RDC, « une société commerciale qui se trouve dans une telle situation est

automatiquement radiée du registre du commerce pour cessation d’activités », elle doit,

comme Africom-Zaïre, être réputée ne plus exister.

3.11 Dans ces conditions, on se trouve dans une situation comparable à l’une de celles

envisagées par la Cour au paragraphe 64 de son arrêt de 1970 dans l’affaire de la Barcelona
342
Traction : « le cas où la société aurait cessé d’exister » . Bien que tel n’ait pas été le cas en

l’espèce, il résulte a contrario de cette décision que, dans un cas de ce genre, la société ne

bénéficiant plus de la protection juridique, ses droits passent aux actionnaires :

« On ne saurait néanmoins soutenir que la société a disparu comme personne morale ni

qu’elle a perdu la capacité d’exercer l’action sociale. Elle était libre de se prévaloir de
sa capacité devant les tribunaux espagnols et elle l'a fait. Elle n’est donc pas devenue
juridiquement incapable de défendre ses propres droits ni les intérêts de ses
actionnaires. En particulier une situation financière précaire ne peut être assimilée à la

disparition de l’entité sociale, ce qui est l’hypothèse considérée: la situation juridique
de la société est seule pertinente et sa situation économique ne l’est pas, non plus que

341
342Sur la chronologie de l’année 1995, v. supra, par. 1.41.
Arrêt du 5 février 1970, Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Nouvelle requête 1962) –
Deuxième phase, Rec. 1970, p. 40.

94 le fait qu’elle puisse être ‘pratiquement détruite’, expression sur laquelle on a fondé
une argumentation mais qui manque de toute précision juridique. Seule la disparition

de la société en droit prive les actionnaires de la possibilité d’un recours par
l’intermédiaire de la société ; c’est uniquement quand toute possibilité de ce genre leur
est fermée que la question d’un droit d’action indépendant peut se poser pour eux et
pour leur gouvernement » 343.

3.12 En la présente espèce, dès lors que, selon les affirmations de la RDC, qui est la

mieux placée pour interpréter son propre droit interne, les deux sociétés n’ont plus d’existence

juridique, on se trouve donc dans cette même situation.

3.13 Ces informations sont parvenues très tardivement à la connaissance de la Cour et

telle est probablement la raison pour laquelle celle-ci a, par le paragraphe 59 de son arrêt de
344
2007 précité , invité les Parties à en tirer les conséquences non pas au plan de la recevabilité

de la requête mais à celui du fond.

3.14 En tout cas, les conséquences de fond de cette situation sont inévitables et très

claires : dès lors que les sociétés de M. Diallo ont cessé d’exister, celui-ci, qui en a été

l’unique associé, est le titulaire du reliquat de l’intégralité de leurs actifs, y compris des

créances leur appartenant au titre du préjudice subi par elles. En conséquence, alors même que

la République de Guinée ne peut exercer sa protection diplomatique des sociétés dissoutes,

elle n’en peut pas moins réclamer, en faveur de son ressortissant, réparation du dommage qui

lui a été causé par les faits internationalement illicites de l’État défendeur, tels qu’ils sont

présentés dans le chapitre II de la présente réplique.

3.15 La dissolution d’une société n’entraîne aucunement sa disparition immédiate.

Encore faut-il solder son patrimoine. C’est également le cas en RDC. L’article 114 du décret

de 1887 dispose en effet que :

« Les sociétés commerciales, sont, après leur dissolution, réputées exister pour
leur liquidation » 34.

3.16 Cette liquidation est en règle générale, entreprise sous contrôle des associés –
346
contrôle que M. Diallo avait perdu suite à son expulsion . Ce n’est que dans des cas

343
344Ibid., par. 66, p. 41.
Par. 3.6.
345OG, annexe 35.

95spécifiques, que le ou les liquidateurs sont nommés par décision de justice. L’article 115 du

décret de 1887 précise :

« À défaut de convention contraire, le mode de liquidation est déterminé et les

liquidateurs sont nommés par l'assemblée générale des associés. Dans les
sociétés en nom collectif et dans les sociétés en commandite simple, les
décisions ne sont valablement prises que par l'assentiment de la moitié des

associés possédant les trois quarts de l'avoir social; à défaut de cette majorité, il
est statué par les tribunaux.

Dans les cas de nullité de société, les tribunaux peuvent déterminer le mode de
liquidation et nommer les liquidateurs » 347.

Or aucune procédure de liquidation judicaire n’a été engagée par les autorités congolaises.

3.17 L’ingérence dans le droit de liquider ses sociétés n’est pas anodine. Les pouvoirs

d’un liquidateur, et sa fonction essentielle, consistent à payer les dettes de la société (or la

RDC ne prétend pas que les sociétés de M. Diallo étaient endettées), mais également à

recouvrir ses créances. L’article 117 du décret de 1887 dispose :

« À défaut de disposition contraire dans les statuts ou dans l'acte de nomination,
les liquidateurs peuvent intenter et soutenir toutes actions pour la société, recevoir

tous paiements, donner main levée avec ou sans quittance, réa1iser toutes les
valeurs mobilières de la société, endosser tous effets de commerce, transiger ou
compromettre sur toutes contestations. Ils peuvent aliéner les immeubles de la

société par adjudication publique, s'ils jugent la vente nécessaire pour payer les
dettes sociales ou si le nombre des associés est de sept ou plus » 348.

3.18 Dès lors, un liquidateur responsable aurait dû, dans l’exercice de ses fonctions,

poursuivre le recouvrement des créances d’Africom et d’Africontainers une fois pour toutes.

C’est justement ce que la RDC a voulu empêcher en expulsant M. Diallo au début de l’année

1996. C’est probablement aussi la raison pour laquelle aucune liquidation d’office n’a été

ouvertement initiée par les autorités congolaises.

3.19 Il n’en reste pas moins qu’en procédant subrepticement à la dissolution de fait des

sociétés de M. Diallo, la RDC l’a privé de son droit au reliquat de leurs actifs lors de la

liquidation. Ce droit a été reconnu par la Cour dans l’affaire de la Barcelona Traction 349 et

346V. supra, Chapitre 2, Section 2.
347OG, annexe 35.
348
349Ibid.
Arrêt du 5 février 1970, Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne)
(Nouvelle requête: 1962), deuxième phase, Rec. 1970, p. 36, par. 47.

96dans l’arrêt du 24 mai 2007 35. Il est de surcroît expressément reconnu par le droit congolais.

Selon l’article 121 du décret de 1887,

« [a]près le paiement ou la consignation des sommes nécessaires au paiement

des dettes, les liquidateurs distribueront aux sociétaires, les sommes ou valeurs
qui peuvent former des répartitions égales ; ils leur remettront les biens qui
351
auraient dû être conservés pour être partagés » .

3.20 Du fait des agissements arbitraires des autorités congolaises et de son expulsion

illicite, M. Diallo, citoyen guinéen, a ainsi subi un préjudice conséquent. Privé de son droit au

reliquat d’actif de ses sociétés, Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre – qui en 1995 disposait

encore d’une centaine de conteneurs 352–, M. Diallo a dû se résigner à voir son investissement,

fruit de son travail, se déprécier jusqu’à perdre toute valeur sous réserve du recouvrement des

créances dues par la RDC et les sociétés contrôlées (Gécamines) ou protégées (Shell et les

autres sociétés pétrolières) par elle.

3.21 Concrètement, la situation se présente ainsi : si la liquidation des sociétés en

question avait été décidée dans des conditions normales, les actifs et les créances des deux

sociétés seraient revenus à leur unique associé, M. Diallo. Celui-ci, qui a été privé

illégalement de son droit de procéder à la dissolution de ses sociétés 353, aurait dû conserver –

et doit nécessairement être réputé avoir conservé – les actifs de celle-ci.

Section 2

La chaîne de causalité

3.22 Plus généralement, il convient de garder présente à l’esprit la « chaîne de

causalité » qui marque la présente espèce :

- dans les années 1980-1990, M. Diallo est titulaire de créances à l’encontre de l’État

zaïrois, de la Gécamines et de diverses sociétés pétrolières, dont certaines sont expressément

350V. le par. 63 de l’arrêt – a contrario.
351OG, annexe 35.
352MG, annexe 199 ; OG, annexes 31-33.
353
V. supra, par. 2.25-2.27.

97reconnues par les autorités gouvernementales 354 et d’autres par les juridictions zaïroises elles-

mêmes 355;

- en 1988, M. Diallo est emprisonné durant un an, de manière arbitraire et totalement

illicite, afin de l’empêcher de réclamer le règlement de ses créances 356 ;

- une fois libéré, il s’emploie à nouveau à obtenir le paiement de certaines créances

mais, malgré une décision de justice en sa faveur 357 - ou, plutôt, à cause de celle-ci – il est,

tout aussi illicitement, arrêté à deux reprises puis expulsé sans ménagement, à la demande de

la société débitrice (Shell Zaïre).

3.23 Ces faits – qui sont exposés de manière plus précise dans le chapitre 1 de la

présente réplique – établissent non seulement que M. Diallo a été victime d’actes contraires à

ses droits humains commis par le Zaïre à son encontre et pour lesquels une réparation est due,

mais aussi que ces actes avaient pour objet – et ont eu pour effet – de le priver de toute

possibilité de recouvrer les créances qui étaient dues à ses sociétés et, du même coup, ont

constitué une expropriation illicite de ses investissements.

3.24 La Guinée tient à insister sur le fait qu’il n’y a pas de solution de continuité entre

les différents éléments de ce dossier :

- c’est parce qu’il réclamait le règlement des créances de ses sociétés que M. Diallo a

été l’objet et la victime de mesures violant gravement ses droits humains ;

- c’est parce qu’il a été expulsé sans autre forme de procès qu’il n’a pu ni continuer à

jouir de ses droits d’unique associé et, notamment, poursuivre le recouvrement de ses

créances ni procéder à la liquidation éventuelle des deux sociétés dont il aurait dû hériter le

reliquat d’actifs ; et

- c’est parce que ces mesures ont été prises que ses actifs ont disparu et qu’il a été mis

dans l’impossibilité de poursuivre le recouvrement des créances de ses sociétés qu’il a été

victime d’une expropriation déguisée.

3.25 Au plan de la réparation, dès lors que « [l]’État est tenu de réparer intégralement le
358
préjudice causé par le fait internationalement illicite » , il en résulte qu’une réparation est

354V. supra, pars. 1.10 ; 1.20.
355V. supra, par. 1.41.
356V. supra, pars. 1.9-1.15.
357
358MG, annexe 153.
Article 31 des Articles de la C.D.I. sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite.

98due pour tous les préjudices matériels et moraux résultant des faits internationalement illicites

de l’État défendeur :

- les souffrances résultant des arrestations arbitraires et de l’expulsion illicite de M.

Diallo ;

- le manque à gagner à ces occasions ;

- la privation de l’exercice de ses droits en tant qu’unique associé des sociétés

Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre, tels qu’ils sont décrits de manière précise dans le

chapitre 2 de cette réplique ; et

- la perte des actifs et des droits de créance dont il aurait dû bénéficier en cas de

liquidation régulière de ces deux sociétés.

Section 3

Les modalités de la réparation

3.26 Comme elle l’a indiqué dans son mémoire 359, la République de Guinée ne prie pas

la Cour d’ordonner une restitution. En la présente espèce, le rétablissement des choses dans

l’état qui existait avant l’expulsion de M. Diallo se heurte à des impossibilités tant matérielles

que psychologiques. Au surplus, certains des préjudices qu’il a endurés ne se prêtent pas à une

restitutio in integrum ; tel est le cas des atteintes, graves et nombreuses, à ses droits humains

dont il a été victime.

3.27 Dans un cas de ce genre, il est reconnu que :

« 1. L’État responsable du fait internationalement illicite est tenu d’indemniser le
dommage causé par ce fait dans la mesure où ce dommage n’est pas réparé par la
restitution.

2. L’indemnité couvre tout dommage susceptible d’évaluation financière, y compris le
manque à gagner dans la mesure où celui-ci est établi » 36.

361
3.28 Toutefois, comme elle l’a indiqué dans son mémoire , et conformément à la
362
pratique habituelle dans des affaires de ce type , la République de Guinée prie la Cour de

359
360MG, p. 70, par. 3.70.
361Article 36 des Articles de la C.D.I. sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite.
MG, p. 7, pars. 1.17-1.18, et p. 73-74, par 3.83.

99bien vouloir se borner à ce stade à constater que les faits internationalement illicites de la

République du Congo engagent la responsabilité de celle-ci et qu’elle est en droit d’obtenir

réparation intégrale du préjudice subi de ce fait par, ou « la personne de », son ressortissant.

3.29 Il lui semble en effet qu’une fois ces constatations effectuées, il serait approprié de

laisser les Républiques sŒurs de Guinée et Démocratique du Congo, mener des négociations

en vue de fixer le quantum de la réparation – étant entendu cependant que, si les deux États ne

parviennent pas à ce mettre d’accord sur celui-ci dans un délai raisonnable 363, il appartiendrait

à la Guinée de présenter à la Cour les éléments lui permettant de fixer le montant de la

réparation. Une telle évaluation paraît d’autant plus nécessaire que, comme l’a rappelé

l’Agent de la Guinée lors des audiences consacrées à l’examen des exceptions préliminaires

soulevées par la RDC :

« la République de Guinée a déjà indiqué, et je tiens à le confirmer de la manière la
plus formelle, qu’elle n’a, en tout état de cause pas l’intention de reprendre en l’état les

évaluations présentées en annexe à sa requête. Et nous prions sur ce point, la Cour et la
Partie congolaise de bien vouloir excuser ces estimations initiales dont
l’approximation et l’exagération manifeste – que nous reconnaissons bien volontiers
364
comme nous l’avons du reste indiqué dans nos observations , tenait à notre
inexpérience de ce type d’affaires » 365.

3.30 Les conclusions que la Guinée présente ci-après sont fondées sur l’ensemble des

constatations faites dans le présent chapitre et, au-delà, dans son mémoire et dans la présente

réplique.

362
V. par exemple C.I.J., arrêt du 25 juillet 1974, Compétence en matière de pêcheries (République fédérale
d'Allemagne c. Islande), Rec. 1974, pp. 204-206, pars. 76-77 ; arrêt du 24 mai 1980, Personnel diplomatique et
consulaire des États-Unis à Téhéran (États-Unis d'Amérique c. Iran), Rec. 1980, pp. 45 et s. (par. 6 du
dispositif) ; arrêt du 27 juin 1986, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, Rec. 1986, p. 142, par. 284 ; arrêt du 19 décembre 2005, Activités
armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), Rec. 2005, p. 257, par. 260
et p. 282, pars. 345.14).
363La Guinée suggère que ce délai pourrait être de six mois.
364
365OG, pp. 2-3, par. 0.09.
CR 2006/51, p. 10, par. 10 (M. Camara).

100 CONCLUSIONS

4.1 POUR LES MOTIFS exposés dans son mémoire et dans la présente réplique, la

République de Guinée prie la Cour internationale de Justice de bien vouloir dire et juger :

1° Qu’en procédant à des arrestations arbitraires et à l’expulsion de son ressortissant,

M. Ahmadou Sadio Diallo, en ne respectant pas, à cette occasion, son droit à bénéficier des

dispositions de la convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires, en le soumettant
à un traitement humiliant et dégradant, en le privant de l’exercice de ses droits de propriété,

de contrôle et de direction des sociétés qu’il a fondées en R.D.C. et dont il était l’unique

associé, en l'empêchant de poursuivre à ce titre le recouvrement des nombreuses créances

dues aux dites sociétés, tant par la R.D.C. elle-même que par d'autres co-contractants, en

procédant à l’expropriation de fait des propriétés de M. Diallo, la République démocratique

du Congo a commis des faits internationalement illicites qui engagent sa responsabilité envers

la République de Guinée;

2° Que, de ce fait, la République démocratique du Congo est tenue à la réparation

intégrale du préjudice subi par M. Diallo ou par la République de Guinée en la personne de

son ressortissant;

3° Que cette réparation doit prendre la forme d’une indemnisation couvrant l’ensemble

des dommages causés par les faits internationalement illicites de la République démocratique

du Congo, y compris le manque à gagner, et comprendre des intérêts.

4.2 La République de Guinée prie en outre la Cour de bien vouloir l’autoriser à

présenter une évaluation du montant de l’indemnité qui lui est due à ce titre par la République

démocratique du Congo dans une phase ultérieure de la procédure au cas où les deux Parties

101ne pourraient s’accorder sur son montant dans un délai de six mois suivant le prononcé de

l’arrêt.

Le 19 novembre 2008,

L’Agent de la République de Guinée

p.o. l’Agent adjoint Alain PELLET

102 TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION .................................................................................................................................. p. 1

C HAPITRE 1 : LA VIOLATION PAR LA R EPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO DES DROITS
DE M. D IALLO EN TANT QU ’INDIVIDU ...............................................................................................p. 4

Section 1 : Les arrestations et les détentions ...................................................................................p. 5

§ 1 : L’illicéité de l’arrestation et de la détention de 1988-1989 ................................................p. 6
A. L’arrestation et la détention de M. Diallo ...................................................................p. 7

B. L’ illicéité de l’arrestation et de la détention de M. Diallo .......................................p. 10
§2. L’illicéité des arrestations et détentions de 1995-1996 .......................................................p. 15
A. La durée des détentions .............................................................................................p. 15
B. Le motif des arrestations et détentions ......................................................................p. 19

C. L’illicéité des arrestations et détentions ....................................................................p. 21
§3. La violation de l’article 36 par. 1, b) de la Convention de Vienne de 1963 .......................p. 24

Section 2 : L’expulsion ....................................................................................................................p. 26

§1. Les limites posées au pouvoir d’expulser par les règles de droit international applicables

entre les parties ..........................................................................................................................p. 27
A. Les limites imposées par le droit international .........................................................p. 28
B. Les limites imposées par le droit interne congolais ..................................................p. 33
§2. La violation par la République démocratique du Congo des règles applicables en matière

d’expulsion .................................................................................................................................p. 36
A. L’Etat défendeur n’a pas respecté l’obligation de motiver l’expulsion ....................p. 38
B. Les règles de compétence, de forme et de procédure ont été délibérément
contournées .....................................................................................................................p.43
C. La procédure de refoulement a été volontairement et arbitrairement détournée à

des fins d’expulsion .......................................................................................................p. 46
D. M. Diallo n’a à aucun moment été mis en mesure de faire valoir les raisons qui
militaient contre son expulsion et de faire examiner son cas par l’autorité compétent ..p. 49

C HAPITRE 2 : LA VIOLATION PAR LA RDC DES DROITS PROPRES DE M.D IALLO EN TANT
QU ’ASSOCIE DES SOCIETES AFRICOM ZAÏRE ET AFRICONTAINERS ZAÏRE ..................................p. 56

Section 1 : Le droit de prendre part aux assemblées générales et de choisir un nouveau gérant ....
............................................................................................................................................................p. 59

Section 2 : Le droit de surveiller et de contrôler les actes accomplis par la gérance
et les opérations des sociétés........................................................................................................... p. 65

Section 3 : L’expropriation indirecte des parts sociales de M. Diallo dans les sociétés
Africom-Zaïre et Africontainers ....................................................................................................p. 69

§ 1. L’expropriation indirecte en droit international ................................................................p. 71
A. L’expropriation indirecte est reconnue en droit international positif ........................p. 71
B. Les caractéristiques de l’ingérence étatique constitutive d’une expropriation
indirecte .........................................................................................................................p. 76

§ 2. L’ingérence de la RDC dans les droits de propriété de M. Diallo constitue une
expropriation déguisée illicite ....................................................................................................p. 82
A. M. Diallo a été privé du contrôle, de l’usage et de la valeur de ses parts sociales ....p. 82
B. La responsabilité internationale de la RDC est engagée pour l’expropriation

indirecte de M. Diallo ....................................................................................................p. 87

103C HAPITRE 3 : E DROIT A REPARATION ........................................................................................p. 91

Section 1 : La question des dommages subis par Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre........ p. 92

Section 2 : La chaîne de causalité ...................................................................................................p. 97

Section 3 : Les modalités de la réparation .....................................................................................p. 99

C ONCLUSIONS ...............................................................................................................................p. 101

104 LISTE DES ANNEXES

ANNEXE R.G. N° 1 Procès-verbal d’audition de M. Ahmadou Sadio Diallo, établi

le 29 octobre 2008 par Mes Boubacar Télimélé Sylla et
Aboubacar Camara

ANNEXE R.G. N° 2 Procès-verbal d’audition de Son Excellence M. Abdoulaye

Sylla, établi le 28 octobre 2008 par Mes Boubacar Télimélé
Sylla et Aboubacar Camara

ANNEXE R.G. N° 3 Informations relatives au taux de change du zaïre en 1988,

issues de :
- The World Factbook 1993,
www.umsl.edu/services/govdocs/wofact93/wf940250.t
xt ;
- Country Studies Series, Federal Research Division of

the Library of Congress, www.country-data.com/cgi-
bin/query/r-15077.html

ANNEXE R.G. N° 4 Ordonnance n° 67-483bis relative à la procédure de

consultation des commissions consultatives des étrangers

ANNEXE R.G. N° 5 Loi n° 004 du 21 février 2002 portant Code des
investissements

105

Document file FR
Document
Document Long Title

Réplique de la République de Guinée

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