Exposé écrit de l'Estonie (traduction du Greffe)

Document Number
15648
Document Type
Date of the Document
Document File
Document

Lettre du 13 avril 2009 adressée au greffier par le ministre des affaires étrangères de la

République d’Estonie

[Traduction]

Objet: Demande d’avis consultatif au titre de la résolution 63/3 de l’ Assemblée générale des

NUatiinss

En réponse à l’invitation contenue dans l’ord onnance de la Cour inte rnationale de Justice
datée du 17 octobre 2008 concernant la demande d’avis consultatif sur la question de la conformité

au droit international de la déclaration unilaté rale d’indépendance des institutions provisoires
d’administration autonome du Kosovo, j’ai l’honneur de soumettre par la présente l’exposé écrit de
la République d’Estonie.

Veuillez agréer, etc.

___________ E XPOSÉ ÉCRIT DE LA R ÉPUBLIQUE D ’ESTONIE

[Traduction]

Page

I. Introduction........................................................................
........................................ .......... 2

II. Rappel des faits........................................................................
............................................ 2

III. Aspects juridiques de la question...........................................................3............
................

1. Proclamationd’indépendance .............................................................3..........
................

2. La sécession du Kosovo, un cas sui generis................................................................... 4

2.1. Principe de l’autodétermination et sécession .........................................4.................

2.1.1. Déni grave et persistant du droit à l’autodétermination interne.................6....

2.1.2. La sécession en tant que dernier recours (ultima ratio).................................. 9

2.1.3. Possibilité d’appliquer le principe d’autodétermination externe au Kosovo.. 11

2.2. Circonstances faisant du Kosovo un cas sui generis..................................12............

3. Conformité à la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité de la
déclaration’indépendance............................................................13..........
....................

IV. Conclusion ........................................................................
.................................................. 15 - 2 -

I. NTRODUCTION

Dans son ordonnance en date du 17octobre2008, la Cour a invité les Etats à présenter des
exposés écrits dans le cadre de la demande d’avis consultatif sur la question de la Conformité au
droit international de la déclaration unilatéra le d’indépendance des institutions provisoires

d’administration autonome du Kosovo.

Les termes de la demande formulée par l’A ssemblée générale des NationsUnies dans la
résolution63/3 (A/63/L.2), adoptée à sa soixante-t roisième session, le 8 octobre 2008, sont les

suivants :

« L’Assemblée générale,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Décide, conformément à l’article96 de la Charte des Nations Unies, de
demander à la Cour internationale de Justi ce, en application de l’article65 de son
Statut, de donner un avis consultatif sur la question suivante :

«La déclaration unilatérale d’indépendance des institutions
provisoires d’administration autonome du Kosovo est-elle conforme au
droit international ? »»

L’Assemblée générale a adopté cette résolution, dont l’initiative revenait à la République de
Serbie (A/63/195), par 77voix contre6 avec 74abstentions, à l’issue d’un vote enregistré
(GA/10764). De nombreux Etats n’ont pas pris part au scrutin. L’Estonie s’est abstenue.

La question posée par l’Assemblée générale est circonscrite et bien spécifique : elle concerne
uniquement la conformité au droi t international de la déclaration d’indépendance du Kosovo et ne
porte ni sur le statut actuel ou futur du Kosovo ni sur la reconnaissance.

Les observations ci-après sont soumises par la République d’Estonie comme suite à
l’ordonnance du 17octobre2008 par laquelle la Cour a fixé la da te d’expiration du délai pour le
dépôt, par l’Organisation des Nations Unies et ses Etats Membres, d’exposés écrits afférents à cette

question.

II. RAPPEL DES FAITS

Entre 1946 et 1963, le Kosovo est un territoir e autonome de la Serbie au sein de la
Fédération de Yougoslavie.

En1963, il devient une province autonome de la Serbie ⎯la province autonome du
Kosovo-Metohija ; il jouira, à partir de 1974, d’un statut semblable à celui des six républiques.

En 1989, abolition du statut spécial du Kosovo au sein de la Serbie et intégration de celui-ci

à la Serbie, sans droits spéciaux. Début de la discrimination à l’encontre des Albanais du Kosovo.

En1990, dissolution du Parlement et du G ouvernement du Kosovo. Début de l’oppression
massive de la communauté albanaise du Kosovo.

En septembre1991, tenue d’un referendum non o fficiel au Kosovo; vote en faveur de
l’indépendance. Formation d’un gouvernement provisoire au mois d’octobre.

En mai 1992, tenue d’élections législatives non officielles, élection du président. - 3 -

De1992 à juin1999, des violations graves et systématiques des droits de l’homme sont
commises au Kosovo. De nombreux textes internationaux condamnent les actes de répression et de

nettoyage ethnique qui y sont perpétrés, et appellent le Gouvernement de la République fédérale de
Yougoslavie et les autorités serbes à mettre un terme aux graves atteintes aux droits de l’homme et
autres pratiques illégales.

En août 1993, les autorités de la République fédérale de Yougoslavie refusent d’approuver la
poursuite de la mission de la CSCE au Kosovo. C’est en vain que l’ONU les exhorte à revenir sur
leur décision.

En février1998, le conflit entre, d’une pa rt, les forces de la République fédérale de
Yougoslavie et de la Serbie et, d’autre part, une faction composée d’Albana is du Kosovo organisée
en «armée de libération du Kosovo» s’intensifie; dans sa résolution1199, le Conseil de sécurité
del’ONU demande aux dirigeants des deux camps de prendre des mesures en vue d’améliorer la

situation humanitaire et de parer au danger imminent de catastrophe humanitaire.

Le 10 juin 1999, le Conseil de sécurité adopte sa résolution 1244 sur la situation au Kosovo ;
il autorise le Secrétaire général, agissant avec le concours des organisations internationales

compétentes, à établir une présence internati onale civile au Kosovo afin d’y assurer une
administration intérimaire dans le cadre de la quelle la population du Kos ovo pourra jouir d’une
autonomie substantielle. En vertu de la résolution1244 (1999), le Kosovo et la Serbie sont
administrés totalement séparément ⎯ situation qui perdure aujourd’hui encore : la Serbie n’exerce

plus la moindre autorité sur le Kosovo depuis le mois de juin 1999.

En novembre 2005, le Secrétaire général nomme M. Martti Ah tisaari envoyé spécial pour le
processus de détermination du statut futur du Kosovo , en le chargeant de parvenir à une solution

négociée au Kosovo.

Fin 2007, l’impossibilité de parvenir à une solution négociée entre le Kosovo et la Serbie est
largement admise. En mars2007, M.MarttiAhtisaari, envoyé spécial du Secrétaire général,

conclut que les parties ne sont pas en mesure de parvenir à un accord sur le statut futur du Kosovo
et recommande pour celui-ci une indépendan ce sous supervision internationale. En
décembre2007, la troïka pour le Kosovo (Etats-U nis, Fédération de Russie et Union européenne)
conclut également que les parties n’ont pu aboutir à un accord négocié sur le statut du Kosovo.

Le 17février2008, le Kosovo proclame son indépendance. Le 15juin2008, une nouvelle
constitution entre en vigueur, qui met en avant le respect des droits de l’ho mme et des libertés, et
les principes de primauté du droit, de non-discrimination, de démocratie et d’égalité.

III. ASPECTS JURIDIQUES DE LA QUESTION

1. Proclamation d’indépendance

La déclaration d’indépendance du Kosovo a été votée et signée par les représentants du

peuple du Kosovo, dont elle exprim ait la volonté. Elle n’émanait pas des institutions provisoires
d’administration autonome, mais de l’Assemblée du Kosovo. Son premier paragraphe se lit
comme suit :

«Nous, dirigeants démocratiquement él us de notre peuple, déclarons par la

présente que le Kosovo est un Etat souverain et indépendant. Cette déclaration reflète
la volonté du peuple et est en pleine conformité avec les recommandations de l’envoyé
spécial du Secrétaire général de l’ONU, Ma rtti Ahtisaari, et sa proposition globale de

règlement portant statut du Kosovo.» - 4 -

Pour répondre à la question posée par l’Assemblée générale sur la conformité au droit international
de cette déclaration, la Cour devra se demander si le droit international interdit d’une quelconque

façon le fait de proclamer son indépendance.

L’Estonie estime que le droit international est muet à ce sujet: il n’existe pas de règle de
droit international interdisant expressément de proclamer son indépendance pas davantage qu’il

n’en existe autorisant expressément cette pratique.

Toutefois, une proclamation d’indépendance est un événement factuel, qui, une fois qu’il
s’est produit, aboutit à la création d’un Etat.

Certaines conditions préalables reconnues par le droit international doivent néanmoins être
remplies pour que soit autorisée une déclaration d’indépendance aboutissant à une sécession. Une
telle déclaration pourra donc, dans la pratique internationale, être considérée comme illicite dès lors

que certains principes du droit international auront été méconnus.

2. La sécession du Kosovo, un cas sui generis

2.1. Principe de l’autodétermination et sécession

Au vu de la situation très particulière du Kos ovo, l’un des éléments qui, conjugué à d’autres,

légitime la déclaration d’indépendance et la sécession du Kosovo est le principe de
l’autodétermination.

En effet, si les principes de souveraineté et d’intégrité territoriale revêtent une grande

importance en droit international, celui-ci reconnaît également le droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes. Or, l’application de ce dernier prin cipe peut, dans certaines circonstances, aboutir à
une déclaration d’indépendance et à la sécession.

Certes, le principe de l’intégrité territorial e est solidement établi en droit international,
puisqu’il est mentionné aussi bien au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies que
dans la déclaration relative aux principes du droit in ternational touchant les relations amicales et la
coopération entre les Etats conformément à la Charte des NationsUnies (ci-après dénommée la

«déclaration sur les relations amicales» de 1970) , résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale
en date du 24octobre1970. Toutefois, le dr oit international reconnaît également le droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce droit, mentionné aux artic les1 et 55 de la Charte des
NationsUnies, a été précisé dans les pactes relatifs aux droits de l’homme de1966 (pacte

international relatif aux droits ci vils et politiques, NationsUnies, Recueil des traités , vol.999,
p.188, articlepremier; pacte international rela tif aux droits économiques, sociaux et culturels,
Nations Unies, Recueil des traités , vol. 993, p. 14, article premier) et dans la déclaration sur les
relations amicales de 1970.

La déclaration sur les relations amicales de1970 place sur un même pied le principe de
l’autodétermination et celui de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des Etats. Cette
déclaration énonce en effet que,

«[e]n vertu du principe de l’égalité de dro its des peuples et de leur droit à disposer
d’eux-mêmes, principe consacré dans la Charte des NationsUnies, tous les peuples
ont le droit de déterminer leur statut po litique, en toute liberté et sans ingérence

extérieure, et de poursuivre leur développem ent économique, social et culturel, et tout
Etat a le devoir de respecter ce droit conformément aux dispositions de la Charte». - 5 -

Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes peut être exercé sur le plan interne et externe. L’acte
final de la conférence sur la sécurité et la coopéra tion en Europe (acte final d’Helsinki de 1975) le

formule ainsi, sous le titre VIII :

«En vertu du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à

disposer d’eux-mêmes, tous les peuples ont toujours le droit, en toute liberté, de
déterminer, lorsqu’ils le désirent et comme ils le désirent, leur statut politique interne
et externe, sans ingérence ex térieure, et de poursuivre à leur gré leur développement
politique, économique, social et culturel.»

Bien que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes consacré par la Charte des Nations Unies ait
essentiellement été destiné à s’exercer dans le cadre du processus de décolonisation, peuvent
également s’en prévaloir les minorités vivant sur le territoire d’un Etat et la population d’un Etat

souverain tombé tout entier sous domination étrangère (K.Doering, «Self-determination» dans e
B. Simma (sous la dir. de), The Charter of the United Nations. A Commentary , vol. I, 2 éd., 2002,
p. 55).

Dans la déclaration du cinquantième anniver saire de l’Organisation des NationsUnies,
(résolution 50/6 du 9 novembre 1995), l’Assemblée générale s’est engagée à

«[c]ontinuer à réaffirmer le droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes, en

tenant compte de la situation particulière des peuples soumis à la domination coloniale
ou à d’autres formes de domination ou d’occ upations étrangères, et [à] reconnaître le
droit des peuples à prendre des mesures légitimes conformément à la Charte des

Nations Unies pour réaliser leur droit inaliénable à l’autodétermination»,

ajoutant :

«Cela ne devra pas être interprété comme autorisant ou encourageant toute
mesure de nature à démembrer ou compromettre, en totalité ou en partie, l’intégrité
territoriale ou l’unité politique d’Etats s ouverains et indépendants respectueux du
principe de l’égalité des droits et de l’au todétermination des peuples et, partant, dotés

d’un gouvernement représentant la totalité de la population appartenant au territoire,
sans distinction aucune.»

Assurément, le droit à l’autodétermination n’emporte pas automatiquement droit de sécession.

Si le droit international ne contient aucune règle écrite concernant la sécession et qu’il ne
prévoit ni n’exclut expressément le droit de faire unilatéralement sécession, le fait que des
circonstances exceptionnelles soient requises pour que la sécession soit autorisée au titre du

principe de l’autodétermination te ndrait, implicitement, à militer cont re le rejet de cette pratique.
La pratique des Etats offre un cadre dans lequel, en fonction des circonstances factuelles, certaines
sécessions sont permises.

De fait, aux fins d’assurer la stabilité du système international des Etats, la sécession ne
devrait normalement pas être envisagée, et l’autodé termination devrait s’exercer au sein de l’Etat
existant. Dans certains cas exceptionnels, le prin cipe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes

peut toutefois légitimer une sécession. Il en ira ainsi lorsque celle-ci constitue le seul recours face à
un déni persistant et marqué du droit à l’aut odétermination interne (K.Doering, Article1:
Self-determination dans B.Simma (sous la dir. de), The Charter of the UnitedNations.
A Commentary, vol. I, 2 éd., 2002, p. 58), dès lors qu’il n’existe aucun autre moyen de régler une

situation et que la sécession représente la seule façon de maintenir ou de rétablir la paix, la sécurité
et la stabilité internationales. - 6 -

Bien qu’il accorde beaucoup d’importance à l’in tégrité territoriale des Etats, comme affirmé
dans la déclaration sur les relations amicales de 1970, laquelle indiquait déjà que

«[r]ien dans les paragraphes précédents ne [saurait être] interprété comme autorisant
ou encourageant une action, quelle qu’elle soit, qui démembrerait ou menacerait,
totalement ou partiellement, l’intégrité te rritoriale ou l’unité politique de tout Etat

souverain et indépendant se conduisant conf ormément au principe … du droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes…et dot é ainsi d’un gouvernement représentant
l’ensemble du peuple appartenant au territoire sans distinction de race, de croyance ou
de couleur»,

le droit international, conjointement avec la pra tique des Etats, admet la sécession dans le cas des
minorités opprimées si deux conditions sine qua non sont réunies.

2.1.1. Déni grave et persistant du droit à l’autodétermination interne

Première condition devant être remplie pour que puisse être invoqué le principe

d’autodétermination externe: le groupe concer né doit s’être vu dénier de manière grave et
persistante, par l’Etat dont il relève, l’exercice de son droit à l’autodétermination interne, ce déni
grave et persistant s’accompagnant souvent de viol ations brutales des droits de l’homme et d’actes

de génocide ou de nettoyage ethnique. Comme l’a dit la Cour suprême du Canada, dans une affaire
concernant certaines questions relatives à la sécession du Québec, l’idée sous-jacente est «que,
lorsqu’un peuple est empêché d’exercer utilement s on droit à l’autodétermination à l’interne, il a
alors droit, en dernier recours, de l’exercer par la sécession» ( Renvoi relatif à la sécession du

Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 134).

L’on sait que le peuple du Kosovo a été victime de graves discriminations et que ses droits
fondamentaux ont été violés de manière systématique et massive jusques et y compris en1999.

Dès lors, la conduite du Gouvernem ent de la République fédérale de Yougoslavie et des autorités
serbes ne saurait être considérée comme une répr ession, licite, de menées sécessionnistes illicites
de la part des Kosovars.

Nombre de documents internationaux rendent compte des violations massives commises par
le Gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie et les autorités serbes à l’encontre des
minorités du Kosovo.

En juillet1992, au sommet d’Helsinki, la c onférence sur la sécurité et la coopération en
Europe (CSCE) adoptait une déclaration sur la crise yougoslave, dans laquelle il était expressément
traité de la situation au Kosovo (par. 3) :

«La situation au Kosovo demeure extrêmement dangereuse et requiert une
action préventive immédiate. Nous demandons instamment aux autorités de Belgrade
de s’abstenir d’aggraver la répression et d’engager un dialogue sérieux avec des
représentants du Kosovo, en présence d’une tierce partie.» (DocumentCSCE/HS/1,

10 juillet 1992.)

Dans sa résolution 47/147 du 18 décembre 1992, l’Assemblée générale (au paragraphe 14) :

« Se déclare vivement préoccupée par le rapport du rapporteur spécial sur la

situation dangereuse au Kosovo, au Sandjak et en Voïvodine…et exhorte les
autorités serbes à s’abstenir de faire usage de la force, à mettre fin immédiatement à la
pratique du «nettoyage ethnique» et à respecter dans leur intégralité les droits des

personnes appartenant à des communautés ou à des minorités ethniques…» - 7 -

Dans sa résolution 48/153 du 20 décembre 1993, l’Assemblée générale

«17. Se déclare profondément préoccupée par la dégradation de la situation des
droits de l’homme en République fédérativ e de Yougoslavie (Serbie et Monténégro),
notamment au Kosovo, dont font état les rapports du rapporteur spécial, et condamne
énergiquement les violations des droits de l’homme qui y sont commises ;

18. Condamne énergiquement en particulier les mesures, les pratiques
discriminatoires et les violations des droits de l’homme infligées aux Albanais de
souche du Kosovo ainsi que la répression à grande échelle imputables aux autorités

serbes, notamment :

a) les brutalités de la police à l’égard des Albanais de souche, les fouilles, saisies et
arrestations arbitraires, les tortures et les mauvais traitements infligés aux détenus

et la partialité de l’administration de la justice, qui engendrent un climat
d’illégalité tel que des actes criminels sont commis en toute impunité,
particulièrement quand ils visent des Albanais de souche ;

b) l’exclusion discriminatoire des fonctio nnaires albanais de souche, qui ont été
radiés notamment de la police et de la magistrature, le renvoi en masse des
Albanais de souche des postes de cadre et d’administrateur et autres emplois
qualifiés dans les entreprises d’Etat et les institutions publiques, ce qui vise

notamment les enseignants du système scolaire administré par les Serbes, et la
fermeture des écoles secondaires et des universités albanaises ;

c) l’emprisonnement arbitraire des journalist es albanais de souche , la fermeture des

organes d’information en langue albana ise et le renvoi discriminatoire du
personnel albanais de souche des stations locales de radio et de télévision ;

d) la répression exercée par la police et l’armée serbes ;

19. Presse les autorités de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) :

a) de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre immédiatement un terme aux

violations des droits de l’homme dont sont victimes les Albanais de souche du
Kosovo, notamment aux mesures et pratiques discriminatoires, aux détentions
arbitraires et au recours à la torture et autres traitements cruels, inhumains ou

dégradants ainsi qu’aux exécutions sommaires ;

b) de rapporter toutes les dispositions législ atives discriminatoires, en particulier
celles qui sont entrée en vigueur depuis 1989 ;

c) de restaurer les institutions démocra tiques du Kosovo, dont le Parlement et
l’appareil judiciaire ;

d) de renouer le dialogue aves les Albanais de souche du Kosovo, notamment sous les

auspices de la Conférence internationale sur l’ex-Yougoslavie.»

Dans sa résolution 49/196 du 23 décembre 1994, l’Assemblée générale

«19. Condamne énergiquement l’accroissement de la brutalité policière contre
les populations non serbes au Kosovo, au Sandjak, en Voïvodine et dans d’autres
secteurs de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), ainsi que
les violations du droit à un procès équitable, dont fait éta
t le rapporteur spécial dans

son dernier rapport.» - 8 -

Dans sa résolution 50/193 du 22 décembre 1995, l’Assemblée générale

«16. Condamne les actes de violence policière dirigés contre les populations
non serbes au Kosovo,…en particulier les actes systématiques de harcèlement, les
brutalités, la torture, les fouilles injustifiées, les détentions arbitraires et les jugements
irréguliers, notamment ceux visant essentiellement des membres de la population

musulmane ;

17. Demande instamment aux autorités de la République fédérative de
Yougoslavie (Serbie et Monténégro) de prendre les mesures voulues pour assurer le

respect intégral de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales et
d’intervenir d’urgence pour faire respecter la légalité afin de prévenir les expulsions et
licenciements arbitraires ainsi que les ac tes discriminatoires contre tout groupe
ethnique ou national, religieux ou linguis tique, notamment dans les domaines de

l’éducation et de l’information ;

18. Met en garde contre toute tentative d’utiliser les réfugiés serbes pour
modifier l’équilibre de la population au Kosovo, … qui contribuerait à y limiter encore

l’exercice des droits de l’homme.»

Dans sa résolution 51/116 du 12 décembre 1996, l’Assemblée générale

«10. Exige instamment que les autorités de la République fédérative de
Yougoslavie (Serbie et Monténégro) fassent immédiatement le nécessaire pour mettre
fin à la répression dont sont victimes les populations non serbes au Kosovo et prévenir
les actes de violence à leur encontre, y compris les actes de harcèlement, les brutalités,

la torture, les fouilles injustifiées, les détentions arbitraires et les procès irréguliers… ;

11. Demande au Gouvernement de la Répub lique fédérative de Yougoslavie
(Serbie et Monténégro) d’agir immédiatement pour permettre à toutes les personnes

résidant au Kosovo de participer libreme nt et pleinement à la vie politique,
économique, sociale et culturelle de la région, en particulier dans les domaines de
l’éducation et des soins de santé, et de gara ntir à toutes les personnes résidant dans la
région égalité de traitement et protection, quelle que soit leur appartenance ethnique.»

Dans sa résolution 52/147 du 12 décembre 1997, l’Assemblée générale

«15. Exige que les autorités de la République fédérale de Yougoslavie fassent

immédiatement le nécessaire pour mettre fi n à la répression dont sont victimes les
populations non serbes au Kosovo et prévenir les actes de violence à leur encontre, y
compris les actes de harcèlement, les brutalités, la torture, les fouilles injustifiées, les
détentions arbitraires et les procès irréguliers… ;

16. Demande au Gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie de
respecter le processus démocratique et d’agir immédiatement pour garantir à toutes les
personnes résidant au Kosovo la liberté d’expression et de réunion et leur permettre de

participer librement et pleinement à la vie politique, économique, sociale et culturelle
de la région, en particulier dans les domaines de l’éducation et des soins de santé, et
de garantir à toutes les personnes résidant dans la région égalité de traitement et
protection, quelle que soit leur appartenance ethnique ;

17. Engage vivement le Gouvernement de la République fédérale de
Yougoslavie à abroger toutes les dispositions discriminatoires de sa
législation et à en
appliquer sans discrimination toutes les autres dispositions, et à faire d’urgence le - 9 -

nécessaire pour empêcher les expulsions et licenciements arbitraires ainsi que la
discrimination à l’encontre de tout groupe ethnique ou national, religieux ou

linguistique.»

Dans un rapport du 3 octobre 1998 (S/1998/912) soum is au Conseil de sécurité, le Secrétaire
général de l’ONU exprimait également de vives préo ccupations au sujet de la dégradation de la

situation dans la province :

«7. La situation désespérée de la popul ation civile demeure l’aspect le plus
préoccupant des hostilités au Kosovo. Je suis particulièrement inquiet de constater

que les civils deviennent de plus en plus la principale cible dans ce conflit. Les
combats au Kosovo ont provoqué des déplacements massifs de civils, la destruction de
nombreux villages et moyens de subsistance ainsi que des traumatismes et un
désespoir profonds au sein des populations déplacées. Un grand nombre de villages

ont été détruits par des bombardements et des incendies à la suite des opérations
menées par les forces gouvernementales fédérale s et serbes. On craint que le recours
excessif à la force et les opérations des forces de sécurité ne visent à terroriser et à
soumettre la population à un châtiment collectif destiné à montrer que le prix à payer

lorsque l’on veut soutenir les unités paramilitaires albanaises du Kosovo est trop élevé
et le sera encore plus à l’avenir. Les for ces de sécurité serbes ont exigé le dépôt des
armes et, selon des informations, useraient de la terreur et de la violence contre les
civils pour les forcer à quitter leurs foye rs ou les lieux où ils ont trouvé refuge, le

prétexte invoqué étant de les séparer des combattants des unités paramilitaires
albanaises du Kosovo…

8. L’ampleur des destructions témoigne sans équivoque d’un recours à la force

inconsidéré et démesuré contre les populations civiles…

9. Je suis indigné par les informations faisant état de massacres de civils au
Kosovo, qui rappellent les atrocités commises en Bosnie-Herzégovine…»

Par ailleurs, le Tribunal pénal internationa l pour l’ex-Yougoslavie a prononcé plusieurs
condamnations pour des crimes contre l’humani té commis au Kosovo en1999: ainsi, le
26février2009, a-t-il déclaré coupables de tels crimes un certain nombre de hauts représentants

serbes, dont N.Šainovi ć, ancien vice-premier ministro de la RFY, et le général Ojdani ć, ancien
chef d’état-major de l’armée yougoslave (affaire n IT-05-87-T).

Les faits survenus avant la déclaration d’ indépendance font clairement apparaître une

situation de répression et de déni grave et persistant de tout droit à l’autodétermination interne. La
première condition préalable justifiant l’exer cice du droit à l’autodétermination externe
⎯ autrement dit la sécession ⎯ est donc remplie.

2.1.2. La sécession en tant que dernier recours (ultima ratio)

Au fait d’être victime d’autorités répressives s’ajoute, pour que le principe

d’autodétermination externe trouve à s’appliquer, une autre cond ition: l’absence de toute autre
solution ; la sécession, est, autrement dit, une solution ultima ratio. Les autres moyens de régler la
situation doivent donc avoir été épuisés. Dans le cas du Kosovo, cette condition est elle aussi
remplie : d’amples négociations avaient eu lieu, sous plusieurs formes, et sur une longue période.

Le 23septembre1998, le Conseil de sécurité adoptait la résolutio n 1199 (1998), dans
laquelle il demandait à la République fédérale de Yougoslavie de - 10 -

«d)[p]rogresser rapidement vers un calendrier précis, dans le cadre du dialogue avec la
communauté albanaise du Kosovo visé au paragraphe 3 … et réclamé dans la

résolution1160 (1998), afin de s’entendr e sur des mesures de confiance et de
trouver une solution politique aux problèmes du Kosovo» (paragraphe 4).

Le 10 juin 1999, le Conseil de sécurité autorisait, dans la résolution 1244 (1999),

«le Secrétaire général, agissant avec le concours des organisations internationales
compétentes, à établir une présence interna tionale civile au Kosovo afin d’y assurer
une administration intérimaire dans le cad re de laquelle la po pulation du Kosovo

pourra[it] jouir d’une autonomie substantielle au sein de la République fédérale de
Yougoslavie…» (paragraphe 10)

et décidait

«que les principales responsabilités de la présence internationale civile ser[aient] les
suivantes :

a) [f]aciliter, en attendant un règlement définitif, l’instauration au Kosovo d’une

autonomie et d’une auto-administration s ubstantielles, compte pleinement tenu de
l’annexe 2 et des accords de Rambouillet» (paragraphe 11).

En novembre2005, le Secrétaire général nomma M.Martti Ahtisaari envoyé spécial pour le

processus de détermination du statut futur du Kosovo, processus qui, selon les termes de son
mandat, devait permettre d’aboutir à un règlement politique de ce statut. Mais, après plus d’une
année de pourparlers directs, de négociations bilatérales et de consultations d’experts, l’envoyé

spécial conclut son rapport (S/2007/168) en ces termes :

«[I]l m’est devenu évident que les parties ne sont pas en mesure de s’entendre
sur le statut futur du Kosovo» (paragraphe 1) ;

«J’ai la ferme conviction que toutes l es possibilités de parvenir à une issue
négociée du commun accord des parties ont été épuisées. La poursuite des
pourparlers, sous quelque forme que ce soit, ne saurait permettre de sortir de cette
impasse» (paragraphe 3) ;

«Le moment est venu de régler le statut du Kosovo. Ayant interrogé
attentivement l’histoire récente du Kosovo et ses réalités présentes e
t tenu des
négociations avec les parties, je suis parvenu à la conclusion que la seule option viable

pour le Kosovo est l’indépendance, en un pr emier temps sous la supervision de la
communauté internationale.» (Paragraphe 5.)

A ce rapport, M.Ahtisaari joignait une «Propositi on globale de Règlement portant statut du

Kosovo» (S/2007/168Add.1). Le Conseil de sécu rité, toutefois, n’adopta pas de résolution
approuvant cette proposition.

Après une période de discussion au sein du Conseil de sécurité, le groupe de contact

(Allemagne, Etats-Unis, France, Italie, Royaume-Uni et Russie) proposa l’engagement, par une
troïka constituée de responsables des Etats-Unis, de la Fédération de Russie et de l’Union
européenne, d’un énième cycle de négociations, devant permettre de parvenir à un accord. Comme
indiqué dans son rapport, pendant quatre mois, la troïka pour le Kosovo (Etats-Unis, Fédération de

Russie et Union européenne) rencontra à maintes re prises les parties, abordant avec elles un large
éventail de possibilités, sans, toutefois, que cela ne débouche sur un accord (S/2007/723, pièce
jointe, résumé, par. 1-2). - 11 -

Dans une lettre en date du5décembre2007 adressée à M.Solana, haut représentant de
l’Union européenne, M.l’ambassadeur Ischinger, représentant de l’Union au sein de la troïka,

résumait ainsi les efforts de cette dernière :

«La troïka n’a, comme promis, rien négligé pour tenter de parvenir à un
règlement négocié sur la question du statut du Kosovo. Les positions des parties à cet

égard sont, toutefois, demeurées diamétralement opposées. Les possibilités de
parvenir à un règlement négocié sont à présent épuisées. D’après moi, quand bien
même les négociations continue raient, sous l’égide de la troïka ou sous une autre
forme, les parties ne seraient pas capables de parvenir à un accord sur la question.»

[Traduction du Greffe.]

Le 3 janvier 2008, le Secrétaire général écriva it dans un rapport au Conseil de sécurité sur la
mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo :

«Les habitants du Kosovo nourrissent encore l’espoir qu’une solution au statut
futur du territoire sera rapidement trouvée. En tant que tel, le statu quo n’est sans
doute pas viable… Le Conseil de sécurité et la communauté internationale doivent

donc s’attacher en priorité à faire avancer le processus de la dé termination du statut
futur du Kosovo…L’incertitude et la perte d’une dynamique favorable, dans le
processus de détermination du statut futur, créent un risque d’instabilité, aussi bien au
Kosovo que dans la région…» (S/2007/768, par. 33-34.)

La question du Kosovo était inscrite à l’ordre du j our des séances tenues par le Conseil de sécurité
les 19 décembre 2007, 16 janvier 2008 et 14 février 2008, mais aucune solution ne fut trouvée.

De ce qui précède, il peut être conclu que tous les moyens envisageables pour parvenir à un
accord négocié sur le statut du Kosovo, médiation internationale comprise, ont été épuisés, et que la
proclamation de son indépendance constituait, pour le Kosovo, une solution ultima ratio.

2.1.3. Possibilité d’appliquer le principe d’autodétermination externe au Kosovo

En règle générale, le principe d’autodétermination externe cesse de pouvoir être invoqué dès
lors que les conditions préalables (déni grave et durable du droit à l’autodétermination interne et

sécession en tant que dernier recours) ne sont pl us remplies. Or, en 2008, plusieurs années
s’étaient écoulées sans que le Gouvernement serbe se soit livré à des violences au Kosovo, et l’on
pourrait faire valoir que le délai pendant lequel le droit de sécession aurait pu être exercé avait alors

expiré.

Il faut néanmoins tenir compte du fait que, da ns le cas, bien particulier, du Kosovo, la
violence et le nettoyage ethnique ont pris fin en raison de l’établisseme nt de l’administration

internationale. Celle-ci, instituée par la résolution S/RES/1244 (1999), a soustrait le Kosovo à
l’emprise serbe. Eventuellement invoquer le droit à l’autodétermination externe n’était dont pas à
l’ordre du jour, puisque des négociations se poursu ivaient avec la Serbie sous les auspices de
l’ONU.

Il y a lieu de présumer que, pour éviter tout e déstabilisation de la région et du système
international des Etats, il fut alors jugé préférable de préserver l’intégrité territoriale de la Serbie
tant que tout n’aurait pas été mis en Œuvre pour pa rvenir à un règlement négocié de la situation au

Kosovo. Mais, même à l’issue de longues médiations et négociations internationales, les parties au
conflit ne purent s’entendre sur un compromis. - 12 -

Il convient en outre de prendre en compte les propos tenus par MarttiAhtisaari, envoyé
spécial du Secrétaire général: «La restaurati on du pouvoir serbe au Kosovo serait inacceptable

pour l’écrasante majorité de sa population. Be lgrade ne pourrait rétablir son pouvoir sans
provoquer une violente opposition.» (S/2007/168, par. 7.)

Il s’ensuit que l’aspect relatif à l’autodétermin ation n’est pas le seul facteur déterminant en

ce qui concerne la sécession du Kosovo. Le Kosovo est un cas sui generis. La sécession du
Kosovo ne peut être appréciée qu’à condition de prendre en compte toutes les circonstances
pertinentes en l’espèce.

2.2. Circonstances faisant du Kosovo un cas sui generis

Une conjonction de plusieurs facteurs fait du Kosovo un cas unique.

L’envoyé spécial de l’ONU, Martti Ahtisaari, en fit le constat en 2007 dans son rapport sur
le statut futur du Kosovo :

«Le Kosovo est un cas inédit qui appelle une solution inédite… En adoptant à

l’unanimité la résolution1244 (1999), le Conseil de sécurité répondait aux
interventions de Miloševi ć au Kosovo en retirant la gouvernance de celui-ci à la
Serbie, en plaçant le Kosovo sous administration temporaire de l’Organisation des
NationsUnies et en instituant un processu s politique visant à déterminer son statut

futur. Ensemble, ces facteurs font la singularité du cas du Kosovo.» (S/2007/168,
par. 15.)

Les ministres des affaires étrangères de l’Unio n européenne confirmèrent cette analyse le

18 février 2008 :

«[Le conseil] a la ferme conviction qu e, au vu du conflit survenu dans les
années 1990 et du maintien, sur une longue pé riode, de l’administration internationale

établie au titre de la résolution 1244 du Conseil de sécurité, le Kosovo constitue un cas
sui generis .» (Conclusions du Conseil sur le Kosovo, 18février2008, dernier
paragraphe.) [Traduction du Greffe.]

Sur la base de ce qui précède, le Kosovo peut être considéré comme un cas unique en raison :

1. de la dissolution non consensuelle et violente de la Yougoslavie ;

2. des actes de violence et de répression massifs perpétrés au Kosovo jusques et y compris
en 1999, qui auraient justifié une sécession au titre du principe d’autodétermination et ont exclu
toute possibilité de parvenir à un règlement du statut du Kosovo au sein de la République de
Serbie ;

3. du maintien, sur une période prolongée, de l’ administration internationale au titre de la
résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité, administration qui avait été mise en place dans le
but de mettre un terme à ces violences. Cette ad ministration internationale, si elle demeurait

attachée au principe de l’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie, devait
également garantir l’autonomie du Kosovo jusqu’à ce qu’un accord négocié pût être conclu. Du
fait de cette présence internationale, la République de Serbie n’a pas gouverné, plusieurs années
durant, le Kosovo ;

4. de la poursuite, sous l’égide de l’ONU, d’un vaste processus devant permettre de parvenir à une
solution négociée quant à la détermination du statut du Kosovo, dont l’aboutissement fut,
en2007, confirmé en ces termes par MarttiAh tisaari, envoyé spécial de l’ONU, dans son

rapport sur le statut futur du Kosovo: «[L] a seule option viable pour le Kosovo est - 13 -

l’indépendance, en un premier temps sous la s upervision de la communauté internationale.»
(S/2007/168, par.5.) Il convient de noter que la situation au Kosovo et dans la région était si

grave que le Conseil de sécurité de l’ONU, a uquel incombe, aux termes du paragraphe1 de
l’article 24 de la Charte des Nations Unies, la responsabilité principale du maintien de la paix et
de la sécurité internationales, dut participer activement au processus de résolution de la crise.

Tous ces aspects, conjugués, font du Kosovo un cas sui generis . Au vu de l’ensemble des
circonstances juridiques et factue lles de l’espèce, le Kosovo était, en droit international, fondé à
faire usage du droit à l’autodétermination externe et à proclamer son indépendance.

3. Conformité à la résolution 1244 (1999) du Conseil de sé
curité
de la déclaration d’indépendance

La résolution1244 (1999) du Conseil de sécu rité a suspendu l’autorité gouvernementale

exercée par la République fédérale de Yougoslavie sur le Kosovo et autorisé le Secrétaire général à
établir une présence internationale civile au Kosovo afin d’y assurer une administration
internationale intérimaire sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies. Le paragraphe 10

de la résolution1244 (1999) envisageait l’étab lissement d’une administration intérimaire du
Kosovo dans le cadre de laquelle la population pourrait jouir d’une autonomie substantielle au sein
de la République fédérale de Yougoslavie.

Si, dans ses précédentes résolutions (résolu tions 1160 (1998), 1199 (1998) et1203 (1998)),
le Conseil de sécurité se déclarait partisan d’un règlement pacifique du problème du Kosovo
prévoyant pour celui-ci un statut renforcé, une autonomie sensiblement accrue et une véritable
autonomie administrative, dans sa résolution 1244 (1999), il alla plus loin, modifiant sensiblement

le cadre d’autonomie envisagé jusqu’alors.

Dans sa résolution1244 (1999), le Conseil de sécurité ne posait pas comme terme du
processus l’autonomie du Kosovo au sein de la Ré publique fédérale de Yougoslavie. Il se

contentait d’établir une administration internationale intérimaire censée, en attendant un règlement
politique, garantir cette autonomie : cette administration, tout en demeurant attachée au principe de
l’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie, devait assurer l’autonomie du
Kosovo jusqu’à la conclusion d’un accord négocié.

C’est ce que confirme en ces termes le texte de la résolution 1244 (1999) :

«10. [Le Conseil de sécurité] autorise le Secrétaire général, agissant avec le

concours des organisations internationales compétentes, à établir une présence
internationale civile au Kosovo afin d’y assu rer une administration intérimaire dans le
cadre de laquelle la population du Kosovo pourra jouir d’une autonomie substantielle
au sein de la République fédérale de Yougoslavie… ;

11. Décide que les principales responsabilités de la présence internationale
civile seront les suivantes :

a) faciliter, en attendant un règlement définitif , l’instauration au Kosovo d’une

autonomie et d’une auto-administration s ubstantielles, compte pleinement tenu de
l’annexe 2 et des accords de Rambouillet (S/1999/648) ;

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

c) organiser et superviser la mise en place d’institutions provisoires pour une
auto-administration autonome et démocratique en attendant un règlement
politique, notamment la tenue d’élections…» (Les italiques sont de nous.) - 14 -

La résolution 1244 (1999) visait donc à titre tr ansitoire une autonomie substantielle du
Kosovo au sein de la République fédérale de Yougoslavie.

Il convient de souligner que, si la réso lution 1244 (1999) envisageait un processus politique
visant à déterminer le statut futur du Kosovo, elle ne prescrivait aucun règlement définitif,
s’abstenant de préciser le terme du processus. Néan moins, il peut être inféré que le Conseil de

sécurité, dès lors qu’il garantissait dans cette ré solution une autonomie s ubstantielle pendant une
période de transition, entendait que le processus politique concernant le statut du Kosovo aboutît, à
terme, au moins à une telle autonomie. Aussi l’autonomie substantielle visée dans la
résolution1244 (1999) peut-elle être considérée comme le point de départ du processus politique

visant à régler le statut du Kosovo.

Le processus politique concernant le statut futur du Kosovo envisagé par la résolution 1244
(1999) commença à l’automne2005 (S/PRST/2005/51): des négociations furent menées sous les

auspices de l’ONU en vue de parvenir à un règlemen t définitif qui convînt aux deux parties. Les
négociateurs internationaux, qui facilitèrent le processus dans le cadre de la résolution 1244 (1999)
et conformément au mandat que leur avait confié l’ONU, envisagèrent plusieurs options ⎯ ce qui
conforte l’argument développé plus haut, selon le quel la résolution 1244 (1999) ne prescrivait pas

de solution définitive.

Dans sa proposition globale de règlement portant statut du Kosovo, M.MarttiAhtisaari,
envoyé spécial du Secrétaire général sur le stat ut futur du Kosovo, indiquait être «parvenu à la

conclusion que la seule option viable pour le Ko sovo [était] l’indépendance, en un premier temps
sous la supervision de la communauté internationale» (S/2007/168, par. 5).

Le rapport de la troïka pour le Kosovo, com posée des Etats-Unis, de la Fédération de Russie

et de l’Union européenne, indique qu’un large éventail d’options furent envisagées s’agissant du
statut futur du Kosovo :

«10. Sous notre direction, les parties ont examiné différentes possibilités, allant

de l’indépendance à l’autonomie ainsi que d’autres modèles tels que des arrangements
confédéraux, voire un modèle fondé sur un «a ccord sur le désaccord» dans le cadre
duquel aucune des parties n’aurait à renoncer à sa position[, chacune] pren[ant]
toutefois des dispositions pratiques propres à faciliter la coopération…et les

consultations avec [l’autre]. D’autres m odèles internationaux, tels que Hong Kong,
les îles Åland et la Communauté d’Etats indépendants, ont été examinés.»
(S/2007/723, pièce jointe.)

En outre, la résolution1244 (1999) envisageait à l’alinéa e) de son paragraphe11 «un
processus politique visant à déterminer le statut futur du Kosovo, en tenant compte des accords de
Rambouillet» ⎯accord intérimaire disposant, au para graphe3 de l’articlepremier de son

chapitre 8, que le statut définitif du Kosovo serait déterminé, entre autres, sur la base de la volonté
du peuple. Ainsi, la résolution1244 (1999) n’excluait pas que le processus politique aboutît à
l’indépendance du Kosovo, si telle devait être la volonté du peuple.

La déclaration d’indépendance du Kosovo fut suivie d’une demande de la Serbie tendant à ce
que le Secrétaire général donne des instructions claires et sans équivoque à son représentant spécial
pour le Kosovo afin que ce dernier déclare nul et non avenu l’acte unilatéral de sécession du
Kosovo. (Procès-verbal de la 5839 séance du Conseil de sécurité, Nations Unies, doc. S/PV.5839,

18 février 2008.)

La licéité des actes unilatéraux de l’Assembl ée du Kosovo figurait déjà parmi les questions
examinées par le représentant spécial du Secrétaire général pour le Kosovo en2002.

MichaelSteiner, représentant du Secrétaire général et chef de la Mission d’administration
intérimaire des NationsUnies au Kosovo, avait, dans une intervention du 23mai2002, déclaré - 15 -

nulle et non avenue la «résolution relative à la protection de l’intégrité territoriale du Kosovo»
adoptée par l’Assemblée du Kosovo. Le Conseil de sécurité, dans une déclaration de son président

en date du 24mai2002, déclara partager l’avis du représentant spécial du Secrétaire général
(S/PRST/2002/16). Le représentant spécial rejetait ainsi les mesures unilatérales à visées
indépendantistes prises par l’Assemblée du Kosovo à un moment où les discussions sur le statut
définitif n’avaient pas encore commencé et où il était toujours possible de parvenir à un

compromis.

Toutefois, au terme de quinze mois de négociations intensives entre les autorités de Serbie et
du Kosovo, menées sous l’égide de l’envoyé spéci al du Secrétaire général, M. Martti Ahtisaari, ce

dernier déclara «que toutes les possibilités de parvenir à une issue négociée du commun accord des
parties [avaient] été épuisées [et que la] poursuite des pourparlers, sous quelque forme que ce [fût],
ne [pouvait] permettre de sortir de cette impasse» (S/2007/168, par. 3).

Une dernière tentative pour trouver un éventuel terrain d’entente entre le Kosovo et la Serbie
fut engagée par la troïka, qui, à l’issue de «discussions intenses de haut niveau sur des questions de
fond entre Belgrade et Pristina», dut également c onstater que «les parties n’[avaient] pu parvenir à
un accord sur le statut final du Kosovo» (S/2007/723, par. 2).

Ce n’est qu’une fois fait le constat que les né gociations ne permettaient pas de parvenir à un
règlement du statut du Kosovo qui convînt aux deux parties que celui-ci déclara son indépendance
conformément à la volonté de s on peuple et, partant, en conf ormité avec le processus politique

envisagé dans la résolution1244 (1999). En dépit des exhortations de la Serbie, le représentant
spécial du Secrétaire général et chef de la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies
au Kosovo ne qualifia pas alors la déclaration d’indépendance du 17février2008 de nulle et non
avenue.

Il s’ensuit que la déclaration d’indépe ndance du Kosovo n’est pas contraire à la
résolution 1244 (1999), puisque :

1) la résolution1244 (1999) contenait des di spositions garantissant l’autonomie du Kosovo
pendant la période d’administration intérimaire ;

2) la résolution 1244 (1999) laissait la porte ouve rte à différentes possibilités quant au statut final

du Kosovo, au nombre desquelles figurait l’indépe ndance, si telle était la volonté du peuple du
Kosovo ;

3) le Kosovo s’est conformé au processus politique envisagé par la résolution 1244 (1999). Cette

conclusion est étayée par le fait que le représentant spécial du Secrétaire général, en dépit des
exhortations de la Serbie, n’a pas qualifié de nulle et non avenue la déclaration d’indépendance.

IV. C ONCLUSION

Pour les raisons développées dans le présent e xposé, nous prions respectueusement la Cour
de dire que la déclaration d’indépendance du Ko sovo en date du 17février2008 est conforme au
droit international.

___________

Document file FR
Document
Document Long Title

Exposé écrit de l'Estonie (traduction du Greffe)

Links