Observations écrites de l'Espagne (traduction du Greffe)

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Lettre en date du 17 juillet 2009 adressée au greffier par la représentante du
Royaume d’Espagne aux fins de la procédure

[Traduction]

Conformément à la procédure instituée par l’ordonnance rendue par la Cour le

17octobre2008, j’ai l’honneur de vous adresser ci -joint les observations écrites de l’Espagne en
l’affaire relative à la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale
d’indépendance des institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo (requête pour
avis consultatif).

Les exemplaires originaux de la lettre et des observations écrites, ainsi que trente copies
papier et une version électronique de celles-ci, ser ont transmis sous peu à la Cour par l’ambassade
d’Espagne à La Haye.

Veuillez agréer, etc.

___________ O BSERVATIONS ÉCRITES DU R OYAUME D ’E SPAGNE

I. Introduction

1. Etant donné la possibilité offerte aux Etat s Membres de l’Organisation des Nations Unies
de présenter des observations écrites lors du deuxi ème stade de la phase écrite de la procédure

consultative consacrée à la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale
d’indépendance des institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo (ordonnance de
la CIJ du 21octobre2008), le Gouvernement espagnol a décidé d’adresser les présentes
observations écrites à la Cour internationale de Ju stice. La décision de l’Espagne découle de sa

ferme détermination à collaborer activement avec la Cour, en qui e lle place toute sa confiance pour
exercer sa juridiction.

2. Tout d’abord, l’Espagne souhaite réitére r les arguments et les conclusions qu’elle a

présentés dans son exposé écrit du 14 avril 2009, qu’elle continue de juger pertinents et utiles dans
le cadre de la présente procédure consultative.

Néanmoins, ayant procédé à un examen détaillé des exposés écrits présentés par d’autres

Etats et de la contribution écrite soumise par les institutions provisoires d’administration autonome
du Kosovo, l’Espagne souhaite faire de brèves observations qui viennent compléter son exposé
écrit du 14 avril 2009.

Ces observations concernent la portée du principe de l’intégrité territoriale (II), le droit à
l’autodétermination et à la sécession (III) et certaines questions ayant trait à l’acquiescement
prétendument donné par certains organes internationaux à la déclaration unilatérale

d’indépendance(IV). Par ailleurs, l’Espagne n’estime pa s nécessaire, à ce stade, de se prononcer
sur la compétence de la Cour pour exercer sa juridiction ou sur la portée de la question posée. Sur
ces deux points, l’Espagne réitère les arguments qu’elle a présentés dans son exposé écrit du
14 avril 2009.

En tout état de cause, l’Espagne formule les présentes observations en se réservant la
possibilité de procéder à une analyse plus appr ofondie de leur conte nu ou d’autres questions
pertinentes à un stade ultérieur de la procédure.

II. Portée du principe de l’intégrité territoriale

3. Comme elle l’a indiqué dans son exposé écrit, l’Espagne considère le principe de

l’intégrité territoriale comme essentiel pour garantir la stabilité ainsi que la paix et la sécurité
internationales. Le respect de l’intégrité te rritoriale occupe donc une place centrale parmi les
principes fondamentaux du droit international cont emporain et ressortit à deux autres principes:
celui de l’égalité souveraine des Etats et celui qui fait obligation aux Etats de s’abstenir, dans leurs

relations internationales, de rec ourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité
territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, tels que définis dans la résolution 2625 (XXV)
de l’Assemblée générale. Il convient en outre de rappeler que le territoire est l’un des éléments
constitutifs de la qualité d’Etat, ce qui suppose d’anal yser le principe de l’intégrité territoriale

également sous cet angle.

4. Compte tenu de ces éléments, l’Espagne c onsidère qu’il n’est pas possible de faire de

distinction absolue entre la manière dont le princi pe de l’intégrité territoriale peut être invoqué
vis-à-vis d’autres Etats et la manière dont il peut l’être vis-à-vis d’entités internes à un Etat. Une
telle distinction tend à restreindre l’application de cprincipe au seul niveau international. Il en - 2 -

résulte une interprétation purement formelle du prin cipe de l’intégrité territoriale, qui ne tient
compte ni de la réalité interne des Etats ni de la pratique internationale la plus récente.

Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue qu’une violation du principe de l’intégrité territoriale
au travers d’actes accomplis par des acteurs internes à un Etat aura inévitablement des
conséquences internationales. La raison en est que, en premier lieu, cette violation a des incidences

sur un élément essentiel de la qualité d’Etat et pe ut donc en avoir sur la personnalité juridique
internationale et entraîner une violation des obligations erga omnes. En second lieu, on peut
raisonnablement supposer que cette violation aura des conséquences immédiates sur la scène
internationale dans la mesure où d’autres acteurs internationaux, des Etats en particulier, seront

amenés à réagir aux actes précités.

5. En conclusion, l’Espagne estime que le prin cipe de l’intégrité territoriale ne saurait se

réduire à un principe d’applicabilité exclusivement internationale. Autrement dit, ce principe ne
peut être interprété comme une obligation que seuls des Etats ou d’autres sujets du droit
international seraient tenus de respecter. La portée ⎯ en termes d’opposabilité ⎯ du principe de
l’intégrité territoriale ne saurait être ainsi limitée.

III. Autodétermination des peuples et sécession

6. Ensuite, l’Espagne souhaite exprimer son opinion sur le sens et la portée du droit à
l’autodétermination qui, comme chacun sait, est l’un des principes fondamentaux du droit
international contemporain. Ce principe doit être interprété à la lumière des autres principes
fondamentaux de l’ordre juridique international, pa rticulièrement celui de la souveraineté et de

l’intégrité territoriale.

7. Dans cette optique, et d’une manière gé nérale, rien n’empêcherait ce principe de

s’appliquer au cas du Kosovo, dès lors que seraient respectés les conditions de son application et
les paramètres établis à cet effet en droit interna tional. Au nombre de ces conditions, on pourrait
souligner en premier lieu la n écessité de prouver l’existence d’un peuple disposant du droit à
l’autodétermination. Quant aux paramètres à pren dre en compte, il convient de souligner que le

droit à l’autodétermination peut s’exercer selon di fférentes modalités, qui vont des diverses formes
d’administration autonome (spéciales ou générales) au sein d’un Etat préexistant à l’indépendance
des peuples en question et à la création d’un nouve l Etat. D’une manière générale, et par rapport
aux différents modèles d’autodétermination, le droit international actuellement en vigueur ne

favorise pas l’une particulière de ces modalités. Il ne peut donc être conclu qu’il existe en droit
international et dans la pratique interna tionale une tendance à assimiler le droit à
l’autodétermination à l’indépendance.

Dans cette perspective, et laissant pour l’inst ant de côté la question de savoir si nous avons
affaire au Kosovo à un peuple au sens susmentionné ou à une minorité, il convient de souligner que
la résolution1244(1999) est un exemple re marquable de la manière dont le droit à
l’autodétermination a trouvé à s’exprimer sous la forme d’un système d’autonomie relevant ⎯ et

bénéficiant de la garantie ⎯ d’un régime d’administration inte rnationale établi et régi par le
Conseil de sécurité. Le seul motif que cet arrangement n’ait pas automatiquement abouti à l’accès
du Kosovo à l’indépendance ne permet pas de conclu re qu’il est contraire au droit international ou

au droit des peuples à l’autodétermination.

8. En outre, l’Espagne souhaite également e xprimer son opinion au sujet de la sécession
comme forme de sanction ou de remède, deux approches qui n’ont pas de véritable fondement en

droit international contemporain. Une telle inte rprétation de la sécession se prête fort mal à la - 3 -

situation du Kosovo, même quand elle est mise en regard de la clause de sauvegarde définie dans la
résolution2625(XXV) comme moyen de trouve r un juste équilibre entre le droit à

l’autodétermination et l’intégrité territoriale. Qu’il suffise pour l’heure de dire que, du point de vue
de l’Espagne, face aux violations massives et systématiques des droits de l’homme et aux
violations des droits des minorités au Kosovo, ainsi qu’à la suspension du régime d’administration
autonome du Kosovo imposée par la Serbie en 1989, la communauté internationale a, dès 1999,

réagi en mettant en place un régime d’admini stration internationale du Kosovo au sein duquel
existait un système d’auto-administration de cette province serbe. Outre ce régime, qui garantit un
niveau suffisant d’autonomie sous contrôle international, le Conseil de sécurité de l’ONU a lancé
un processus politique visant à déterminer le statut futur du Kosovo. Ce processus est, dans le cas

d’espèce, le seul moyen légitime pour le Kosovo d’ exercer, dans une forme encore à définir, son
éventuel droit à l’autodétermination.

Ayant à l’esprit la solution proposée par la communauté internationale en 1999, l’Espagne

estime qu’aucune autre forme de réaction ou de remède n’est juridiquement défendable, encore
moins au moyen des formules «sécession comme sanction» ou «sécession comme remède» qui,
comme nous venons de le relever, ne sont pas dûme nt fondées en droit international. Cela est
particulièrement vrai dans le cas du Kosovo.

IV. L’acquiescement allégué des organes internationaux à la déclaration
unilatérale d’indépendance

9. Comme l’Espagne l’a souligné dans son e xposé écrit, la Cour, au moment de rendre son
avis consultatif, ne devra tenir aucun compte de s actes postérieurs à la déclaration unilatérale
d’indépendance et accomplis sur la base de celle-ci, étant donné que les actes adoptés sur la base

d’un acte (en l’occurrence «la déclaration») dont la conformité au droit international est mise en
cause ne sauraient guère être considérés comme valables en vue de répondre à la question soumise
par l’Assemblée générale à la Cour. Cette ligne de raisonnement s’applique également à tout
silence et à toute omission postérieurs à l’adoption de la déclaration par les institutions provisoires

d’administration autonome du Kosovo.

10. Dans cette optique, l’Espagne souhaite réaffirmer, comme elle l’a fait dans son exposé

écrit, et comme d’autres Etats l’ont également soute nu en tout ou en partie dans le leur, que le
Conseil de sécurité s’est constamme nt préoccupé de la situation au Kosovo et continue d’être saisi
de la question, que la résolution 1244 (1999) est actuellement en vigueur dans son intégralité et que
la réorganisation de la présence internationale au Kosovo est exclusivement due à la nécessité de

s’adapter aux nouvelles circonstances et aux événements qui se produisent au Kosovo.

Par conséquent, le processus visant à déterminer le statut futur du Kosovo reste ouvert, et ni
son existence ni sa validité juridique ne sauraient être mises en question. Cela est vrai, même si,

compte tenu des différents degrés de collaboration des parties concernées, ce processus a traversé
⎯et traverse encore aujourd’hui ⎯ différentes phases, parfois critiques, et a même connu
d’importantes périodes de ralentissement, voire de stagnation.

On ne saurait néanmoins en conclure que le Conseil de sécurité a mis fin à sa mission et à
son action au Kosovo, ni que son silence, ou celui d’autres organes des Nations Unies, puisse être
assimilé à un acquiescement tacite à la déclaration, lui conférant une validité juridique.

11. En ce qui concerne le premier point, l’Es pagne souhaite réaffirmer, comme elle l’a fait
dans son exposé écrit, qu’il appartient au Conse il de sécurité d’encadrer le processus visant à
déterminer le statut futur du Kosovo. Dans l’exer cice de cette fonction, le Conseil de sécurité ne

peut être unilatéralement remplacé par les institutions provisoires d’administration autonome du - 4 -

Kosovo ou d’autres acteurs internationaux, car cela pourrait être dangereusem ent interprété comme
une atteinte au système mis en place par la Charte des NationsUnies, qui confère au Conseil de

sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Il doit
par ailleurs être rappelé que quand une telle responsabilité est assumée par le Conseil de sécurité,
même l’Assemblée générale, agissant dans le cadre de la résolution «L’union pour le maintien de la
paix», ne peut le remplacer.

12. Pour ce qui est du deuxième point, il est vrai que l’acquiescement peut jouer un rôle
essentiel dans la création d’obligations et de régi mes juridiques internationaux. Néanmoins, il est

également vrai que de tels effets ont leurs limites. En particulier, l’acquiescement peut produire de
tels effets dans le cadre de relations entre sujets . Dans ce contexte, l’action et l’acquiescement se
produisent toujours entre deux sujets (ou deux gro upes de sujets) directement concernés par le
régime juridique que l’on cherche à instituer et qui créera des droits et obligations pour chacun des

sujets ou groupe de sujets concernés.

Cependant, tel n’est pas le système dans le quel s’inscrit l’action du Conseil de sécurité et
d’autres organes de l’ONU au Ko sovo, ni le cadre dans lequel s’inscrit le prétendu silence du

Conseil de sécurité, du Secrétaire gé néral et d’autres organes des Nations Unies concernant la
déclaration, silence qui pourrait alors être interprété comme une sorte d’acquiescement.

Au contraire, le silence du Conseil de sécurité ⎯ considéré strictement comme un organe ⎯

doit être interprété, selon l’Espagne , comme la preuve d’un manque de consensus au sein de la
communauté internationale regroupée au sein de l’ ONU concernant la validité de la déclaration
dans le cadre du processus de détermination du statut futur du Kosovo. Cette absence de consensus
concerne également l’achèvement du processus politique lui-même. En tout cas, ce silence ne peut

en aucun cas être interprété comme une preuve qu e le Conseil de sécurité s’est désintéressé de la
question ni comme une forme d’acquiescement qui étaierait, même implicitement, l’argument selon
lequel le processus lancé par la résolution12 44(1999) serait parvenu à son terme, ou qui

constituerait une reconnaissance de la validité de la déclaration, la rendant ainsi conforme au droit
international. La pratique des Etats concernés est, inutile de le dire, suffisamment révélatrice.

D’autre part, le silence du Secrétaire général, de son représentant spécial et de la MINUK ne
peut être interprété comme une forme d’acquiescement. Même si ni le représentant spécial ni le

Secrétaire général n’ont déclaré nulle et non avenue la déclaration, ils ne l’ont pas pour autant
déclarée valide, pas plus qu’ils n’en ont dédu it le processus achevé. C’est ce qui ressort en
particulier des multiples déclarations du Secr étairegénéral lui-même, selon lesquelles la

résolution1244(1999) demeure en vigueur tant que le Conseil de sécurité n’en a pas décidé
autrement, et du fait que le Secrétairegénéral est maintes fois revenu sur le principe de stricte
neutralité de la présence internationale au Kosovo qua nt au statut de celui-ci. Qu’en serait-il de
cette neutralité si le Secrétairegénéral et s on représentant spécial pouvaient, par leur silence,

indiquer qu’ils considèrent comme valide la déclar ation et approuvent le nouveau statut juridique
international du Kosovo issu de cette déclaration ?

13. Pour conclure, l’Espagne souhaite rappeler l’importance qu’elle attache à la présente

procédure consultative et prie la Cour de bien voul oir tenir compte, si elle le juge approprié, des
présentes observations écrites ainsi que de son exposé écrit du 14 avril 2009.

Madrid, le 17 juillet 2009

(Signé) Concepción E SCOBAR HERNÁNDEZ ,
Représentante du Royaume d’Espagne.

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