Exposé écrit de la Pologne (traduction du Greffe)

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Lettre en date du 14 avril 2009 adressée au greffier par le ministre
des affaires étrangères de la Pologne

[Traduction]

Conformément au paragraphe 2 de l’article 66 du Statut de la Cour internationale de Justice

et à l’ordonnance rendue par celle-ci le 17octobre2008, j’ai l’honneur de communiquer ci-joint
l’exposé écrit de la République de Pologne relatif à la demande d’avis consultatif présentée par
l’Assemblée générale des Nations Unies sur la question de la conformité au droit international de la
déclaration unilatérale d’indépendance des institu tions provisoires d’administration autonome du

Kosovo.

Veuillez agréer, etc.

___________ EXPOSÉ ÉCRIT DE LA RÉPUBLIQUE DE POLOGNE

[Traduction]
T ABLE DES MATIÈRES

pages

I. Introduction.........................................................
....................................................................... 2

II. Portée de la demande et remarques préliminaires.................................................................... 2

III. Contexte factuel et juridique de la demande........................................................................
... 3

IV. Développements postérieurs à la déclaration d’indépendance.............................................. 14

V. Caractère sui generis du cas du Kosovo........................................................................
......... 15

VI. Le principe de l’autodétermination........................................................................
............... 17

VII. Interprétation de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité des Nations Unies....... 21

VIII. Conclusions générales........................................................................
................................ 22 - 2 -

I.INTRODUCTION

1.1. Dans son ordonnance en date du 17octobr e2008, la Cour internationale de Justice a
invité les Etats à présenter des exposés écrits relativement à la demande d’avis consultatif formulée
par l’Assemblée générale sur la question de la Conformité au droit international de la déclaration

unilatérale d’indépendance des institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo.

1.2. La demande a été présentée à la Cour par la résolution A/RES/63/3
de l’Assemblée générale des NationsUnies da tée du 8octobre2008, laquelle a été adoptée par

soixante-dix-sept voix contre six avec soixante-quatorze abstentions.

1.3. Reconnaissant le Kosovo en tant qu’Etat, la République de Pologne s’est abstenue de

voter cette résolution. Elle considère ég alement que la déclaration d’indépendance
du17février2008 n’est contraire à aucune norme de droit international. Ce nonobstant, elle ne
s’est pas opposée à l’adoption de la résolution A/RES/63/3, consciente du fait que l’un des buts de
l’Organisation des NationsUnies est de «[d]ével opper entre les nations des relations amicales

fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer
d’eux-mêmes» et que l’accès à la Cour, «organe judiciaire principal des NationsUnies», est un
facteur important du développement de relations amicales entre les nations.

1.4. Aux termes de ladite résolution, la demande présentée par l’Assemblée générale des
Nations Unies se lit comme suit :

«l’Assemblée générale,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

décide, conformément à l’article 96 de la Charte des Nations Unies, de demander à la

Cour internationale de Justice, en applica tion de l’article65 de son Statut, de donner
un avis consultatif sur la question suivante :

«la déclaration unilatérale d’indépe ndance des institutions provisoires

d’administration autonome du Kosovo est-elle conforme au droit
international ?»».

1.5. En application de l’ordonnance rendue pa r la Cour le 17 octobre 2008, le Gouvernement
de la République de Pologne a décidé de communi quer le présent exposé écrit. Celui-ci porte sur
les questions juridiques ayant trait à la demande de l’Assemblée générale.

II. ORTÉE DE LA DEMANDE ET REMARQUES PRÉLIMINAIRES

2.1. Il convient de préciser que la demande est formulée de manière restrictive puisqu’elle ne

porte que sur la conformité au droit international de la déclaration d’indépendance en tant que telle.
L’appréciation juridique de la qua lité d’Etat du Kosovo ou l’analyse de la conformité au droit
international des déclarations de reconnaissance de celui-ci n’entrent donc pas dans le champ de la
question posée par l’Assemblée générale. - 3 -

2.2. L’on peut considérer que le droit interna tional ne contient pas de règles applicables aux

déclarations d’indépendance. De telles déclarations sont la conséquence logique de ce que
l’existence d’un Etat est une qu estion de fait, et non de droit. Ainsi que l’a indiqué, le
29 novembre 1991, la commission d’arbitrage de la conférence pour la paix en Yougoslavie :

«[l]a commission considère :

a) que la réponse à la question posée doit être faite en fonction des principes du
droit international public qui permette nt de définir à quelles conditions une

entité constitue un Etat; qu’à cet égard, l’existence ou la disparition de l’Etat
est une question de fait ; que la reconnaissance par les autres Etats a des effets
purement déclaratifs ;

b) que l’Etat est communément défini comme une collectivité qui se compose d’un

territoire et d’une population soumis à un pouvoir politique organisé; qu’il se
caractérise par la souveraineté» (Conf érence pour la paix en Yougoslavie,
commission d’arbitrage, avis n 1, p. 1 ; les italiques sont de nous).

2.3. Une déclaration d’indépendance est donc un acte confirmant ces circonstances
factuelles, et il semble difficile de l’apprécier d’un point de vue strictement juridique.

III.C ONTEXTE FACTUEL ET JURIDIQUE DE LA DEMANDE

3.1. Dans cette partie de son exposé, la Ré publique de Pologne rappe llera la situation du

Kosovo au sein de la République fédérative social iste de Yougoslavie (RFS Y), le contexte dans
lequel fut adoptée la résolution 1244 (1999) du Conse il de sécurité des Nations Unies, ainsi que les
circonstances dans lesquelles fut proclamée la déclaration d’indépendance du 17 février 2008.

3.2. Selon la République de Pologne, la déclaration susmentionnée doit être appréciée à la
lumière de la situation exceptionnelle et sui generis qui a conduit à la proclamation de
l’indépendance du Kosovo.

3.3. En 1945, le Parlement de Serbie reconnut le caractère politiquement, ethniquement et
territorialement distinct du Kosovo et établit au sein de son territoire deux entités autonomes, dont
le Kosovo (la région autonome du Kosovo-Metohija). Cette structure autonome fut maintenue dans

la Constitution de la République fé dérale socialiste de Yougoslavie de 1946 (art. 2), sur la base de
laquelle fut créée la région autonome du Kosovo-Met ohija. La situation demeura inchangée dans
le cadre de la loi constitutionnelle fondamentale de la RFSY de 1953. Dans ce texte, le statut des

entités autonomes de la RFSY était cependant énoncé de manière plus précise. Il prévoyait
également que ces entités pouvaient établir leur pr opre statut, lequel pourrait alors servir de base à
leur gouvernement.

3.4. Le principe d’un statut d’autonomi e de certaines régions fut maintenu dans la
Constitution de la RFSY de1963. Celle-ci conf irmait l’existence de de uxrégions autonomes au
sein de la République de Serbie, à savoir le Koso vo-Metohija et la Voïvodine. Les motifs pour
lesquels des régions autonomes avaient pu être établies étaient précisés dans l’amendement de 1968

à la Constitution de la RFSY de1963. Les régions concernées étaient celles qui: a) avaient été
créées à la suite de la lutte commune des nations et des nationalités au cours de la seconde guerre - 4 -

mondiale et de la révolution socialiste ; b) avaient été, en fait, cr éées et constituées notamment sur

la base de la volonté librement exprimée pa r les nations et nationalités d’une région donnée;
c) faisaient partie, en raison de la volonté co mmune librement exprimée des nations et nationalités
de Serbie et de régions particulières de la Serbie, laquelle appartenait, pour sa part, à la RFSY.

3.5. La Constitution de la RFSY de1974 c onserva le système des régions autonomes ainsi
qu’un statut particulier, parm i ces régions, pour le Kosovo et la Voïvodine. Ces deux entités
jouissaient d’un «statut dual». D’une part, elles ét aient sujets de la Fédération (tout comme les

républiques), étaient représentées au sein de la présidence de la Fédération et jouissaient
pleinement du statut d’administration autonome reconnu aux républiques, disposant même de leurs
propres banques centrales. D’autre part, toutefoi s, elles étaient placées sous l’autorité de la
o
République de Serbie (M. Weller, «Negotiating the final status of Kosovo», Chaillot Paper, n 114,
Institute for Security Studies, décembre 2008). La Constitution de 1974 de la RFSY dispose que :

«6. La République socialiste de Se rbie comprend la province socialiste

autonome de Voïvodine et la province socialiste autonome du Kosovo, nées de la lutte
commune des nations et des nationalités de la Yougoslavie lors de la guerre de
libération nationale et de la révolution socialiste et rattachées, conformément à la
volonté librement exprimée par les nations, populations et nationalités des provinces

et de Serbie, à la République socialiste de Serbie au sein de la République socialiste
fédérative de Yougoslavie.

7. Les provinces sont des communautés sociopolitiques autonomes, socialistes,

autogérées et démocratiques ayant une composition ethnique particulière et d’autres
spécificités, dans lesquelles les travailleurs et citoyens, nations et nationalités exercent
leurs droits souverains. » (H.Krieger, The Kosovo Conflict and International Law:

An Analytical Documentation 1974-1999, Cambridge University Press, 2001, p. 5 ; les
italiques sont de nous.) [Traduction du Greffe.]

3.6. En1981, le combat des Kosovars pour obtenir le statut de république au sein de la
RFSY s’intensifia et se traduisit par des manife stations de grande ampleur, lesquelles furent
réprimées par les autorités centrales de Yougoslavi e. Au lendemain de ces événements, la Serbie
demanda que le Kosovo lui soit rattaché. Les autres républiques, notamment la Slovénie, s’y

opposèrent (P.Radan, The Break-up of Yugoslavia and International Law , Routledge, 2002,
p. 154).

3.7. L’une des premières mesures prises par SlobodanMiloševi ć après son accession au
pouvoir en Serbie (en1989) fut d’amender la Constitution de la République de Serbie de sorte à
priver, pour ainsi dire, le Kosovo de toute aut onomie. Du fait des amendements à la Constitution
serbe defévrier1989 et dejuille t1990, les principales compétences des institutions kosovares

furent transférées au gouvernement central de Belgrade et les travaux du Parlement du Kosovo
suspendus.

3.8. La série d’événements exposée ci-dessus incita la Croatie et la Slovénie à annoncer, le
25juin199, leur intention de faire sécession de la Fédération yougoslave, ce qui entraîna la
dissolution de la Yougoslavie. Cela fut confirmé dans l’avis n 1 rendu en 1991 par la commission

d’arbitrage de la conférence pour oa paix en Y ougoslavie (conférence pour la paix en Yougoslavie,
commission d’arbitrage, avis n 1): «la commission d’arbitrage est d’avis que…la République
socialiste fédérative de Yougoslavie est engagée dans un processus de dissolution». Par la suite, la - 5 -

Macédoine (par un référendum tenu en septemb re1991) et la Bosnie-Herzégovine (par une
résolution adoptée par le Parlement le 14 octobre 1991) déclarèrent leur indépendance. A l’époque,

seuls la Serbie, les entités autonomes (Kosovo et Voïvodine) et le Monténégro faisaient donc
encore partie de la Yougoslavie.

3.9. Initialement, deux conférences internati onales furent organisées afin d’analyser la
situation de l’(ex-)Yougoslavie et de se pr ononcer sur les mesures que devait prendre la
communauté internationale à cet égard. La pr emière se tint (à l’initiative de la Communauté
européenne) sous la présidence de LordCarri ngton en1991; la seconde eut lieu du26 au

28août1992 (conférence de Londres sur la Yougosla vie). Il convient de préciser que, pour des
raisons politiques, la question du statut du Kosovo ne fut pas abordée lors de ces conférences.

3.10. Parallèlement au processus de dissolution de la Yougoslavie, la répression de la Serbie

à l’égard du Kosovo s’intensifia. Dans le même temp s, la lutte du Kosovo pour obtenir le statut de
république, initialement au sein de la RFSY, s’intensifia elle aussi. Elle déboucha, le 2 juillet 1990,
sur l’adoption, par l’Assemblée du Kosovo, d’une déclaration d’indépenda nce dans laquelle le

Kosovo demandait à être reconnu en tant qu’«unité indépendante, membre à part entière de la
Yougoslavie» sur le fondement du «droit souverain du peuple du Kosovo, y compris de son droit à
l’autodétermination». Le 19fé vrier1990, la Cour constitutionne lle de Yougoslavie déclara cette
déclaration inconstitutionnelle. Le 5juillet199 0, l’Assemblée du Kosovo et son gouvernement

furent dissouts par les autorités serbes.

3.11. Le 7 septembre 1990 fut adoptée, par la majorité des délégués de l’assemblée dissoute

du Kosovo, la résolution Ka čanik. Ce document soulignait le droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes et réitérait les demandes formulées le 2 juillet 1990 (concernant le statut du Kosovo
en tant que membre à part entière de la Fédéra tion yougoslave). Le j our de l’adoption de la
résolution Kačanik, l’assemblée dissoute du Kosovo proclama la Constitution de la République du

Kosovo. Aux termes de ce texte, le Kosovo faisait sécession de la Se rbie, tout en continuant à se
considérer comme faisant partie de la RFSY. Un référendum sur l’indépendance du Kosovo fut
organisé du 26 au 30 septembre 1991. 87 % des Kosova rs (ayant le droit de vote) se prononcèrent,
à une majorité de 99,87%, pour l’indépendance. Le Kosovo proclama son indépendance le

18octobre1991. Toutefois, l’Albanie fut le seul pays à le reconnaître (le 22octobre1991) et
⎯ainsi que cela a été indiqué ci-dessus ⎯ la question du Kosovo ne fut pas évoquée lors des
conférences internationales tenues sur la questio n de la dissolution de l’(ex-)Yougoslavie.
Conformément à la Constitution de la Républi que du Kosovo, le 22mai1992, des élections

législatives et présidentielles furent organisées ; M. I. Rugova fut élu président du Kosovo.

3.12. Compte tenu de ce qui précède, nous pou vons conclure qu’exist ait, au Kosovo, une

administration parallèle, c’est-à-dire que l’admini stration du Kosovo coexistait avec celle de la
Yougoslavie (Serbie). Il est également important de relever que le Ko sovo exerçait certaines
fonctions étatiques telles que, outre l’organisa tion d’élections, le fait d’assurer une protection
sociale, un service d’éducation et des activités culturelles.

3.13. Parallèlement au processus de suppression de l’autonomie et de l’autogestion du
Kosovo (qui avaient perduré pendant près d’un de mi-siècle), les autorit és serbes lancèrent une

campagne virulente à l’encontre du peuple du Kosovo . La communauté internationale ne tarda pas
à se préoccuper de la détérioration de la situation humanitaire au Kosovo. - 6 -

3.14. Dans sa résolution 47/147, l’Assemb lée générale des NationsUnies se déclara
«vivement préoccupée par le rapport du rapporteur spécial sur la situation dangereuse au Kosovo,

au Sandjak et en Voïvodine», et invita toutes les parties «à agir avec la plus grande retenue et à
régler leurs différends dans le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales»,
exhortant les autorités serbes «à s’abstenir de fair e usage de la force, à mettre fin immédiatement à
la pratique du «nettoyage ethnique » et à respecter dans leur intégralité les droits des personnes

appartenant à des communautés ou à des minor ités ethniques». A partir de ce moment,
l’Assemblée générale ne cessa de condamner fermement les autorités serbes pour la dégradation de
la situation humanitaire dans la région (voir, en particulier, les résolutions de l’Assemblée générale
des Nations Unies : 48/153, 49/204, 50/190, 51/111, 52/139, 53/163, 53/164 et 54/183).

3.15. La Commission des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies (UNCHR)
a également appelé, à maintes reprises, l’atten tion de la communauté internationale sur les

violations massives des droits de l’homme commises au Kosovo. Tout comme l’Assemblée
générale, la Commission avait, dès 1992, accusé la police serbe de se livrer à un nettoyage ethnique
(E/CN.4/1992/S-1/9), de détériorer la situation des droits de l’homme en Serbie, et d’être à
l’origine de brutalités policières, d’actes de tortur e, de mauvais traitement des détenus, de mesures

et pratiques discriminatoires (voir, en particulier, les résolutions de la Commission 1993/7 du
23 février 1993, 1994/76 du 9 mars 1994, 1998/79 du 22 avril 1998 et 1999/2 du 13 avril 1999).

3.16. Dans le cadre du présent examen, il co nvient également d’indiquer que le Tribunal
pénal pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) fut établi en ve rtu de la résolution 827 (1993) du Conseil de
sécurité. L’une des raisons qui incitèrent le C onseil de sécurité des NationsUnies à créer un tel
organe international était qu’il était :

«gravement alarmé par les informations qui continuent de faire état de violations
flagrantes et généralisées du droit humanitai re international sur le territoire de
l’ex-Yougoslavie …particulièrement celles qui font état de tueries massives, de la

détention et du viol massif, organisé et sy stématique des femmes et de la poursuite de
la pratique du «nettoyage ethnique», not amment pour acquérir et conserver un
territoire» (les italiques sont de nous).

3.17. La situation au Kosovo fut inscrite à l’ordre du jour du Conseil de sécurité de
l’Organisation des NationsUnies dès1998. Les résolutions 1160 (1998), 1199 (1998), 1203
(1998), 1239 (1999) et 1244 (1999) du Conseil de sécurité mettaient en particulier l’accent sur

l’usage indiscriminé de la force par les forces de sécurité serbes, les nombreuses victimes civiles,
l’afflux massif de réfugiés et la détérioration rapide de la situation humanitaire dans l’ensemble du
Kosovo. Le Conseil de sécurité se disait égal ement alarmé par la propagation d’une catastrophe
humanitaire dans la région (résolution 1199 (1998) et 1203 (1998) du Conseil de sécurité).

3.18. A la suite de la création du TPIY, le Conseil de sécurité pria instamment, dans sa
résolution1160 (1998), le bureau du procureur du Tribunal de «commencer à rassembler des

informations concernant les actes de violence au Kosovo qui pourraient être de la compétence du
Tribunal».

3.19. L’on peut conclure de ce qui précèd e que la situation humanitaire au Kosovo,

particulièrement entre1998 et1999, devint désastreuse. Selon les statistiques figurant dans le
rapport du Haut Commissaire des NationsUnies pour les réfugiés (rapport sur la situation des
droits de l’homme au Kosovo, HC/K224, 22avr il1999), on comptait près de 600000réfugiés en - 7 -

provenance du Kosovo et près de 800 000 personnes déplacées au sein du Kosovo. Ce rapport met
également en évidence les cas de nettoyage et hnique, de déplacements forcés, d’exécutions

arbitraires et de détentions ainsi que les dispariti ons forcées, lesquels se sont tous produits au
Kosovo.

3.20. Des informations détaillées relatives à ces événements figurent dans un rapport de
l’Organisation pour la sécurité et la coopérati on en Europe (OSCE), établi par la mission de
vérification au Kosovo: «Kosovo/Kosova As Seen , As Told. An Analysis of Human Rights
Findings of the OSCE Kosovo Verification Mission, October 1998 to June 1999». Les passages

pertinents de l’introduction de ce rapport se lisent comme suit :

«les violations du droit à la vie ressortent très clairement de ce rapport, qu’il s’agisse
des nombreuses personnes assassinées de manière arbitraire ou des meurtres de masse

ayant fait de très nombreuses victimes. C’est notamment après le 24mars1999 que
les communautés vivant au Kosovo ont ét é victimes du comportement illicite des
autorités précisément chargées d’assurer la sécu rité et le respect de l’Etat de droit,
autorités qui ont fait preuve d’un grand mépris de la vie et de la dignité humaines.

Après le 24 mars, le conflit est principalement caractérisé par le nombre important de
civils albanais du Kosovo ayant perdu la vie et par le fait que la mission de
vérification de l’OSCE a reçu un très gra nd nombre de rapports et de dépositions de
témoins.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le meurtre de masse perpétré à Racak/Recak (municipalité de Stimlje/Shtime)

le 15 janvier 1999 apparaît à la fois comme un événement déterminant en ce qu’il est à
l’origine de la reconnaissance par la communauté internationale du fait que des
violations des droits de l’homme étaient au cŒur du conflit du Kosovo, et (au même
titre que les autres événements survenus au cours de ce même mois dans la

municipalité de Djakovica/Gjakova, à R ogov/Rogove et Rakovina/Rakovine) comme
un événement préfigurant ce qui allait arriver à partir de la fin du mois de mars.»
[Traduction du Greffe.]

3.21. Dès les années1990, le Parlement eur opéen condamna fermement, dans plusieurs
résolutions, les actes des Serbes sur le territoire du Kosovo et exprima son profond regret quant à la
situation humanitaire (voir, notamment, la résolution sur la situation au Kosovo, J. O. C 328,

26.10.1998, p. 0182 et la résolution sur la situation au Kosovo, J. O. C 115, 14.04.1997, p. 0170).

3.22. Une conférence spéciale fut organisée sous les auspices de l’Organisation du traité de

l’Atlantique nord (OTAN) en vue de stabiliser la situation et de parvenir à un règlement pacifique
et politique au Kosovo. Au cours de ces négociations furent élaborés les «accords de Rambouillet :
accord intérimaire pour la paix et l’autonomie au Kosovo (S/1999/648, 7juin1999)», lesquels
prévoyaient d’accorder au Kosovo une large autonomie. La partie serbe n’accepta pas les solutions

proposées et, le 18 mars 1999, les négociations se soldèrent par un échec.

3.22.1. La disposition pertinente des accords de Rambouillet est l’article premier (qui figure
dans le chapitrepremier intitulé «Constitution»), lequel se lit comme suit: «[l]e Kosovo se

gouverne de façon autonome par l’in termédiaire des organes et institu tions, législatifs, exécutifs,
judiciaires et autres mentionnés ci-après». - 8 -

3.22.2. Ainsi que cela ressort clairement du chapitreVIII des accords de Rambouillet, les
solutions susmentionnées étaient censées n’être que provisoires :

«Trois ans après l’entrée en vigueur du présent accord, une réunion
internationale sera convoquée en vue de définir un mécanisme pour un règlement
définitif pour le Kosovo, sur la base de la volonté du peuple , de l’avis des autorités

compétentes, des efforts accomplis par chac une des parties dans la mise en Œuvre du
présent accord, et de l’acte final de Helsinki, ainsi que pour réaliser une évaluation
d’ensemble de la mise en Œuvre du présent accord et d’examiner les propositions de
mesures complémentaires formulées par les parties.» (Les italiques sont de nous.)

3.23. Le 24mars1999, l’OTAN lança l’opérati on Allied Force contre la Serbie, opération
dont l’objet était énoncé comme suit: «faire cess er la violence et mettre fin à la catastrophe

humanitaire qui frappe maintenant le Kosovo… [N]otre objectif est de prévenir de nouvelles
souffrances humaines et la poursuite de la répression et de la violence contre la population civile du
Kosovo» (communiqué de presse 1999 (040), 23 mars 1999). Il convient également de relever que,
dès 1998, les Etats membres de l’OTAN avaient déclaré ce qui suit :

«Nous sommes profondément préoccupés par la situation au Kosovo. Nous
déplorons la poursuite du recours à la violence pour réprimer la dissidence politique
ou pour obtenir un changement politique. La violence et l’instabilité qui y est associée

risquent de mettre en péril l’accord de paix en Bosnie-Herzégovine ainsi que la
sécurité et la stabilité de l’Albanie et de l’ex-République yougoslave de Macédoine. Il
est particulièrement préoccupant que la récente résurgence de la violence se soit
accompagnée de la création d’obstacles emp êchant les observateurs internationaux et

les organisations humanitaires d’accéder aux zones affectées au Kosovo.»
(Déclaration de l’OTAN sur le Kosovo: communiqué de presse M-NAC-1(98)61
diffusé à l’issue de la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord en session ministérielle
tenue à Luxembourg le 28 mai 1998.)

3.24. Le 10juin1999, le Conseil de sécurité des NationsUnies, en application du
chapitre VII de la Charte des Nations Unies, a dopta la résolution 1244 (1999). Au même moment,

le secrétaire général de l’OTAN décida, après près detrois mois de campagne aérienne, de
suspendre l’opération Allied Force.

3.25. Dans le préambule de sa résolution 1244 (1 999), le Conseil de sécurité se dit «[r]résolu
à remédier à la situation humanitaire grave qui existe au Kosovo (République fédérale de
Yougoslavie) et à faire en sorte que tous les réfugiés et personnes déplacées puissent rentrer chez
eux en toute sécurité et liberté». Il précise qu’il «condamn[e] tous les actes de violence à

l’encontre de la population du Kosovo ainsi que tous les actes de terrorisme, quels qu’en soient les
auteurs».

3.26. En vertu de cette résolution, une présence civile et de sécurité fut déployée, sous les

auspices des NationsUnies. Ainsi fut créée la Mission d’administration intérimaire des
NationsUnies au Kosovo (MINUK), laquelle était composée de quatrepiliers: police et justice
(sous l’autorité de l’Organisation des Nations Unies), administration civile (NationsUnies),

démocratisation et développement des institutions (Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe), reconstruction et développement éco nomique (Union européenne). L’on peut déjà
indiquer, à ce stade de notre examen, que l’établissement, au Kosovo, d’une administration sous les
auspices des Nations Unies a modifié de manière significative le statut juridique de celui-ci. - 9 -

3.27. En vertu du règlement n o1999/1 de la MINUK en date du 25juillet1999
(UNMIK/REG/1999/1), «tous les pouvoirs législatifs et exécutifs afférents au Kosovo, y compris

l’administration de l’ordre judiciaire, sont conférés à la MINUK et exercés par le représentant
spécial du Secrétaire général».

3.28. En mai2000, la MINUK créa une structure administrative intérimaire mixte (JIAS),
laquelle était composée des entités suivantes: une structure administrative intérimaire, un conseil
de transition du Kosovo, des services administratifs et des conseils municipaux.

3.29. Le 15 mai 2001, le représentant spécial du Secrétaire général signa le règlement 2001/9
par lequel était promulgué «Le cadre constitutionnel pour un gouvernement autonome provisoire au
Kosovo» (le cadre constitutionnel). Le préambule de ce document dispose que :

«Reconnaissant l’évolution historique, juridique et constitutionnelle du Kosovo
et prenant en considération les aspirations légitimes du peuple du Kosovo à vivre en
liberté, en paix et à avoir des relations amicales avec les autres peuples de la région.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Considérant que, dans le cadre des lim ites fixées par la résolution1244 (1999)
du Conseil de sécurité, des responsabilités seront transférées aux institutions

provisoires d’administration autonome qui c ontribueront à garantir les conditions
d’une vie paisible et normale à tous les habitants du Kos ovo, en vue de faciliter le
choix du statut futur du Kosovo selon un processus qui, en temps opportun,
conformément à la résolution 1244 (1999) du C onseil de sécurité, tiendra pleinement

compte de tous les facteurs en jeu, notamment la volonté du peuple .» (Les italiques
sont de nous.)

3.30. Conformément aux règlements relatifs au cadre constitutionnel, l’autorité sur le
Kosovo était de facto entièrement confiée au représentant spécial ou aux institutions créées en vertu
dudit cadre, à savoir l’assemblée, le président du Kos ovo, le gouvernement et les tribunaux. En ce
qui concerne le statut du Kosovo, les dis positions pertinentes du chapitrepremier du cadre

constitutionnel se lisent comme suit :

«1.1. Le Kosovo est une entité sous administration internationale provisoire qui,
ainsi que son peuple, présente des caractéris tiques historiques, juridiques, culturelles

et linguistiques uniques.

1.2. Le Kosovo est un territoire uni sur lequel les institutions provisoires
d’administration autonome créées par le présent cadre constitutionnel pour un

gouvernement autonome provisoire (cadre constitutionnel) exercent leurs attributions.

1.3. Le Kosovo se compose de municipalités ⎯unités territoriales de base du

gouvernement autonome local ⎯dont les attributions sont énoncées dans la législation
de la MINUK en vigueur concernant le gouvernement autonome local et les
municipalités au Kosovo.»

Il convient également de relever que, en vertu du chapitre XIV du cadre constitutionnel, «[l]e

représentant spécial du Secrétaire général prend les mesures nécessaires pour faciliter la passation
des pouvoirs et des responsabilités aux institutions provisoires du gouvernement autonome». - 10 -

3.31. Dans son rapport pour l’année2002, M. M. Steiner, représentant spécial du
Secrétairegénéral pour le Kosovo et chef de la Mission d’administration intérimaire au Kosovo,

indiqua que «l’opération des NationsUnies au Kosovo mandatée par la résolution1244(1999)
[était] entrée dans une nouvelle phase, qui …permettait de faire de nouvelles propositions
concernant la voie à venir» (doc.S/PV.4518, 24 avril2002, p.2). Dans ce même rapport,
M.Steiner indiquait qu’il s’engageait dans un processus de repères. «Ces repères doivent être

atteints avant de lancer le débat sur le st atut, conformément à la résolution1244(1999)» ( ibid.,
p.4). Cette méthode a été appelée «les normes avant le statut» (voir S/PRST/2003/1,
6 février 2003, p. 2) et les «repères» susmentionnés étaient les suivants : a) existence d’institutions
efficaces, représentatives et opérationnelles; b)consolidation de l’Etat de droit; c) liberté de

mouvement pour tous ; d) respect du droit de tous les Kosovars de rester ou de rentrer au Kosovo ;
e)développement d’une base solide perm ettant une économie de marché; f) clarté du droit de
propriété ; g)dialogue normalisé avec Belgrade; et h)réduction et transformation du corps de
protection du Kosovo conformément à son mandat. La nécessité d’examiner la question du statut

futur du Kosovo était donc expressément reconnue. Dans le même temps, l’idée était que, avant
d’entamer les discussions, certains principes démocratiques devaient être établis et mis en Œuvre au
Kosovo.

3.32. Après les émeutes survenues en mars 2004 au Kosovo, S.Exc.KaiEide, alors
représentant permanent de la Norvège auprès de l’OTAN, indiqua que «l’approche des «normes
avant le statut» appraîss[ait] guère crédible et [devait] être remplacée par une approche fondée sur

la définition de priorités et l’application de règl es réalistes», ajoutant que «poser prochainement la
question du statut futur sembl[ait] ⎯ en définitive ⎯ être la meilleure solution et [serait]
probablement inévitable» [traduction du Greffe] (M. Weller, op. cit., p. 20 ; voir également la lettre

en date du 17novembre 2004, adressée au pr ésident du Conseil de sécurité par le
Secrétaire général, S/2004/930, le 30 novembre 2004, annexe).

3.33. Le 7 octobre 2005, S. Exc. KaEiide, en sa qualité d’envoyé spécial du
Secrétairegénéral de l’Organisation des NationsUn ies chargé de procéder à un examen global de
la situation au Kosovo, déclara au Conseil de sécurité :

«Le processus doit être mené avec précaution... Il faut que le résultat final soit

stable et viable. Il ne faut pas fixer artificiellement des dates butoirs. Une fois le
processus démarré, il ne devra pas être bl oqué, et devra parvenir à sa conclusion .»
(Lettre datée du 7octobre2005, adressée au président du Conseil de sécurité par le

Secrétaire général, S/2005/635, le 7 octobre 2005, annexe ; les italiques sont de nous.)

3.34.Le Conseil de sécurité des NationU s nies souscrivit aux conclusions de
S. Exc. Kei Eide et autorisa, le 24 octobre 2005, le lancement du processus de définition du statut

futur du Kosovo (déclaration du président du Conseil de sécurité, S/PRST/2005/51, le
24 octobre 2005).

3.35. En novembre2005, le Secrétaire géné ral de l’Organisation des NationsUnies nomma
MarttiAhtisaari représentant spécial chargé de diri ger le processus sur le statut futur du Kosovo.
Par la suite, M.Ahtisaari prit une série de mesures afin de régler la question du statut futur du
Kosovo, avec l’accord des deux parties concernées.

3.36. Toutefois, dans son rapport pour l’année2007 (NationsUnies doc.S/2007/168,
26 mars 2007), M. Ahtisaari conclut : - 11 -

«1. Mais après plus d’un an de pourparlers directs, de négociations bilatérales et
de consultations d’experts, il m’est devenu évident que les parties ne sont pas en

mesure de s’entendre sur le statut futur du Kosovo.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

[3.] J’ai la ferme conviction que tout es les possibilités de parvenir à une issue
négociée du commun accord des parties ont été épuisées. La poursuite des
pourparlers, sous quelque forme que ce soit, ne saurait permettre de sortir de cette
impasse.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

5. Le moment est venu de régler le statut du Kosovo. Ayant interrogé
attentivement l’histoire récente du Kosovo et ses réalités présentes et tenu des

négociations avec les parties, je suis pa rvenu à la conclusion que la seule option
viable pour le Kosovo est l’indépendance, en un premier temps sous la supervision de
la communauté internationale. Ma proposition globale de règlement portant statut du

Kosovo, qui trace les structures de cette supervision internationale, jette les bases d’un
futur Kosovo indépendant, viable, durable et stable, où toutes les communautés et
leurs membres pourraient vivre dans la paix et la dignité.

6. Un passé fait d’inimitié et de dé fiance empoisonne de longue date les
rapports entre Albanais et Serbes du Kosovo. Ces difficultés ont encore été avivées
dans les années 90 par les actes du régime Milosevic. Après des années de résistance
pacifique aux politiques d’oppression de Milosevic ⎯révocation de l’autonomie du

Kosovo, discrimination systématique c ontre la population albanaise largement
majoritaire au Kosovo et son évic tion de fait de la vie publique ⎯, les Albanais du
Kosovo finirent par recourir à la résistance armée. Belgrade répliqua par une

répression accrue et brutale qui provoqua de tragiques pertes en vies humaines dans la
population civile ainsi que le déplacemen t et l’expulsion massive d’Albanais du
Kosovo. La dégradation spectaculaire de la situation sur le terrain suscita
l’intervention de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et, enfin,

l’adoption de la résolution 1244 (1999) le 10 juin 1999.

7. Depuis huit ans, le Kosovo et la Serbie sont administrés comme deux entités
totalement à part. Par suite de la création de la Mission des Nations Unies au Kosovo

(MINUK) par la résolution1244 (1999), qui a assumé tous les pouvoirs législatifs,
exécutifs et judiciaires dans tout le Kosovo, il est de fait que la Serbie n’exerce plus
aucune fonction gouvernementale au Kosovo. Cet état de fait indéniable est
irréversible. La restauration du pouvoir serbe au Kosovo serait inacceptable pour

l’écrasante majorité de sa population. Belgrade ne pourrait rétablir son pouvoir sans
provoquer une violente opposition. L’autonomie du Kosovo à l’intérieur des
frontières de la Serbie ⎯aussi théorique soit-elle ⎯ est tout simplement intenable .»
(Les italiques sont de nous.)

3.37. La «Proposition globale de règlement portant statut du Kosovo» (dénommée «Plan
Ahtisaari») était annexée à ce rapport. Sans pour autant mentionner expressément l’indépendance

du Kosovo, ce document définit cette entité en reco urant à des «caractéristi ques» classiques de la
souveraineté étatique telles que: autorité, populatio n, territoire défini et capacité à conclure des
accords internationaux. - 12 -

«1.1. Le Kosovo est une société multiethnique qui s’administrera
démocratiquement, et dans le strict respect du principe de la primauté du droit, à

travers ses institutions législatives, exécutives et judiciaires.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1.3. Le Kosovo se donnera une Constitution.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1.5. Le Kosovo aura le droit de négocier et de conclure des accords

internationaux, et celui de demande r à devenir membre d’organisations
internationales.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

AnnIex,e

Article premier

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le Kosovo est responsable de la gestion de ses propres affaires, sur la base des

principes démocratiques de l’état de droit, de la responsabilité des pouvoirs publics, de
la protection et de la promotion des dro its de l’homme, des droits de membres de
toutes les communautés et du bien-être général de son peuple. Pour s’acquitter des
responsabilités mises à sa charge par le présent règlement, le Kosovo doit mener

toutes sortes d’activités complexes et délicat es; c’est pourquoi un représentant civil
international supervise l’application du présent règlement qui soutient les efforts en ce
sens des autorités kosovares.»

3.38. Bien qu’il ait été porté à sa connaissance, le Conseil de sécurité n’adopta pas le plan
Ahtisaari (et n’y trouva pas de solution alternative) , ce qui conduisit la communauté internationale
à fournir de nouveaux efforts pour résoudre de manière consensuelle la question du statut futur du

Kosovo. Ainsi, la troïka (composée de représenta nts de l’Union européenne, de la Russie et des
Etats-Unis d’Amérique) favorisa la tenue d’une sér ie de cycles de négociations et fit office de
médiateur entre la Serbie et le Kosovo. Plusieurs possibilités furent examinées, lesquelles allaient
de l’indépendance totale du Kosovo à une indé pendance supervisée voire à une autonomie, en

passant par un «accord sur le désacco rd». Toutefois, pour finir, «les parties n’ont pu parvenir à un
accord sur le statut final du Kosovo. Ni l’une ni l’autre n’était prête à modifier sa position sur la
question fondamentale de la souveraineté du Ko sovo.» (Lettre en date du 10décembre2007,
adressée au président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général, S/2007/723,

10 décembre 2007, pièce jointe.)

3.39. En janvier2008, le Secrétaire généra l de l’Organisation des NationsUnies souligna,

dans son rapport périodique sur la Mission d’administration intérimaire des NationsUnies au
Kosovo, que :

«Les habitants du Kosovo nourrissent encore l’espoir qu’une solution au statut

futur du territoire sera rapidement trouvée. En tant que tel, le statu quo n’est sans
doute pas viable . Si l’impasse continue, les événements sur le terrain pourraient
imposer leur logique, ce qui compromettrait gravement les réalisations et l’acquis des - 13 -

NationsUnies au Kosovo. Le Conseil de sé curité et la communauté internationale
doivent s’attacher en priorité à faire avancer le processus de la détermination du statut

futur du Kosovo.» (S/2007/768, le 3 janvier 2008, par. 33 ; les italiques sont de nous.)

Il était donc précisé que, le Conseil de sécurité des Nations Unies n’étant pas en mesure de
parvenir à un consensus sur la question du stat ut du Kosovo, les événements sur le terrain

imposaient effectivement leur logique.

3.40. Le 17février2008, l’Assemblée du Kos ovo (élue lors des élections démocratiques

tenues le 17 novembre 2007) adopta la déclaration d’indépendance dans laquelle étaient notamment
soulignés le caractère sui generis du cas du Kosovo et confirmées les solutions préconisées
antérieurement dans le plan Ahtisaari ainsi que les principaux principes de la résolution1244
(1999) du Conseil de sécurité des Nations Unies :

« Faisant observer que le Kosovo est un cas sui generis résultant de l’éclatement
non consensuel de la Yougoslavie et ne constitue aucunement un précédent pour une
quelconque autre situation,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Nous, dirigeants démocratiquement él us de notre peuple, déclarons par la
présente que le Kosovo est un Etat souverain et indépendant. Cette déclaration reflète

la volonté du peuple et est en pleine conformité avec les recommandations de l’envoyé
spécial du Secrétaire général de l’ONU, MarttiAhtisaari, et avec sa proposition
globale de règlement portant statut du Kosovo.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Nous affirmons par la présente, clairement, explicitement et de manière
irrévocable, que le Kosovo sera tenu légalement de respecter les dispositions

contenues dans cette déclaration, dont plus particulièrement les obligations qui lui
incombent aux termes du plan Ahtisaari. Pour toutes ces questions, nous agirons en
accord avec les principes du droit international et avec les résolutions du Conseil de
sécurité de l’Organisation des Nations Unies, y compris la résolution 1244 (1999).»

3.41. Il convient de relever que la décl aration d’indépendance repose sur la volonté du
peuple représenté par des dirigeants démocrati quement élus et non, contrairement à ce qui est

indiqué dans la demande figurant dans la résolution63/3 de l’Assemblée générale des
Nations Unies, des institutions provisoires du gouve rnement autonome du Kosovo. A cet égard, il
convient de souligner que la mission d’observation él ectorale du Conseil de l’Europe a contrôlé le
processus électoral qui a conduit, le 17 novembre 2007, à l’élection de l’Assemblée du Kosovo, de

l’assemblée municipale et des maires, et qu’elle a conclu que :

«Les élections se sont en général déroulées conformément aux principes du
Conseil de l’Europe, ainsi qu’aux normes in ternationales et européennes en matière

d’élections démocratiques, eu égard à la da te tardive de leur convocation et à leur
caractère particulier, puisque trois scrutins se tenaient en même temps dans un
environnement politique et social encore complexe.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les élections se sont tenues dans un climat pacifique, malgré le contexte
politique particulièrement tendu à l’approche de la date fixée pour la fin du processus

de négociation sur le futur statut de la province.» - 14 -

IV. D ÉVELOPPEMENTS POSTÉRIEURS À LA DÉCLARATION D ’INDÉPENDANCE

4.1. Depuis que la déclaration d’indépendance a été adoptée, 57Etats, dont 22membres de
l’Union européenne, ont reconnu le Kosovo en tant qu’Etat souverain et indépendant. Il convient
également d’indiquer que les Etats ayant reconnu le Kosovo représentent différentes régions
géographiques, ainsi que des traditions juridiques, culturelles et religieuses diverses (on peut citer,

à titre d’exemple, l’Albanie, l’Australie, la France, le Japon, la Malaisie, les Mald ives, le Panama,
la Corée du Sud, la Turquie, les Emirats arabes unis, le Royaume-Uni et les Etats-Unis
d’Amérique).

4.2. De surcroît, dans sa résolution du 5févr ier2009, le Parlement européen a appelé les
Etats qui ne l’avaient pas en core fait à reconnaître l’indé pendance du Kosovo (résolution du
Parlement européen du 5 février 2009 sur le Kos ovo et le rôle de l’UE, P_6TA_PROV(2009)0052,

B_6-0063/2009).

4.3. Plusieurs Etats ont établi des relations diplomatiques avec le Kosovo. Ce dernier a
également une représentation diplomatique dans certains Etats et a déjà conclu des accords

internationaux.

4.4. Le 9avril2008, l’Assemblée du Kos ovo a adopté la Constitution de la République du

Kosovo (entrée en vigueur le 15 juin 2008), laquelle dispose :

«La République du Kosovo est un Etat indépendant, souvera in, démocratique,
un et indivisible.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La République du Kosovo n’aura de reve ndication territoriale vis-à-vis d’aucun

Etat, ni d’aucune partie d’Etat, et ne cherchera à s’unir à aucun Etat, ni à aucune partie
d’Etat.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La souveraineté et l’intégrité territo riale de la République du Kosovo sont
intangibles, inaliénables, indivisibles et ga ranties par la présente Constitution et les
lois.» (Art. premier et 2 de la Constitution.) [Traduction du Greffe.]

La Constitution dispose également que le Kosovo «se conformera à toutes les obligations qui
lui incombent en vertu de la Proposition globale de règlement portant statut du Kosovo» (par. 1 de
l’article143) et mentionne la question de la présen ce internationale civile et de sécurité sur son

territoire (art. 146, 147 et 153).

4.5. Le 26février2009, la Chambre de première instance du TPIY jugea NikolaŠainovi ć,
vice-premier ministre yougoslave, NebojšaPavkovi ć, ancien général de l’armée yougoslave et

Sreten Lukić, ancien chef de la police serbe, coupables de crimes contre l’humanité et de violations
des lois et coutumes de la guerre. DrgoljubOjdani ć, chef d’Etat-major des armées, fut jugé
coupable de déportation et de transferts forcés, ce qui constitue un crime contre l’humanité, et
Vladimir Lazarević, commandant du corps de Pristina, jugé coupable d’avoir favorisé et encouragé

un certain nombre des déportations et transferts forcés figurant dans l’acte d’accusation. - 15 -

4.5.1. S’agissant de KosovskaMitrovica/Mitrovica, la Chambre de première du TPIY a
jugé :

«que les événements qui s’y sont déroulés constituent des attaques perpétrées contre la
population civile de la ville, lesquelles ontété menées de manière systématique et
s’inscrivaient dans un schéma général et systématique d’attaques contre les civils

albanais du Kosovo dans au moins treizemunicipalités du Kosovo…La Chambre
conclut dès lors que, s’agissant de la ville de KosovskaMitrovica/Mitrovica, tous les
éléments constitutifs du crime de déportation ⎯un crime contre l’humanité ⎯
… sont réunis… En conséquence, la Chambre est convaincue que les éléments

constitutifs d’autres actes inhumains (le transfert forc)sont également
réunis… La Chambre conclut donc que, dans le village de Žabare/Zhabar, ainsi que
dans d’autres villages situés dans l es environs de la municipalité de

KosovskaMitrovica, l’ensemble des éléments constitutifs du crime de déportation
⎯un crime contre l’humanité ⎯ sont réunis.» [Traduction du Greffe.] (TPIY,
affaire n IT-05-87-T, 26 février 2009, par. 1225-1231.)

4.6. Il convient également de relever que l’Union européenne, qui a mené, au Kosovo, une
mission appelée «Etat de droit» (Action comm une 2008/124/PESC du Conseil du 4février2008
relative à la mission «Etat de droit» menée par l’Union européenne au Kosovo, EULEX Kosovo) a

indiqué :

«Il y a lieu d’empêcher, pour des raisons humanitaires, de possibles accès de
violence et actes de persécution et d’intimida tion au Kosovo, en tenant compte, le cas

échéant, de la responsabilité envers la population visée dans la résolution 1674 du
Conseil de sécurité des Nations Unies adoptée le 28 avril 2006.»

EULEX assumait par ailleurs, sous les auspices de la Mission d’administration des

NationsUnies, la plupart des responsabilités inco mbant à cette dernière. Le 18août2008, la
MINUK et EULEX signèrent un accord technique portant sur la vente de l’excédant de matériels et
de véhicules de la MINUK. Le 26juin2008, la MINUK annonça officiellement qu’elle entamait
sa réorganisation (rapport du Secrétaire général su r la Mission d’administration intérimaire des

Nations Unies au Kosovo, S/2008/692, le 24 novembre 2008, par. 21-25).

V. C ARACTÈRE SUI GENERIS DU CAS DU K OSOVO

5.1. Une partie très importante de la comm unauté internationale, ainsi que d’éminents
auteurs dans le domaine du droit international, considèrent que la situation du Kosovo est
exceptionnelle. Le Gouvernement de la Républi que de Pologne partage cette opinion. La
déclaration d’indépendance du Kosovo doit être appr éciée à la lumière de cette conclusion. Il

convient également d’ajouter que la déclarati on elle-même précise que «le Kosovo est un cas sui
generis résultant de l’éclatement non consensuel de la Yougoslavie et ne constitue aucunement un
précédent pour une quelconque autre situation». En fin, ainsi que M.MarttiAhtisaari, envoyé

spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour le processus de détermination du statut futur
du Kosovo, l’a indiqué : «[l]e Kosovo est un cas inédit qui appelle une solution inédite» (lettre en
date du 26mars2007 adressée par le Secrétaire général au président du Conseil de sécurité,
S/2007/168, par. 15). - 16 -

5.2. Les éléments suivants constituent le caractère sui generis et exceptionnel du cas du
Kosovo

5.2.1. Le Kosovo jouit de longue date d’un statut d’autonomie et d’un gouvernement
autonome, lesquels remontent, au moins, au milieu du XX esiècle. Depuis la création de la RFSY
en1945, le Kosovo jouissait d’une importante autonomie, garantie par les Constitutions

yougoslaves ultérieures (voir, en particulier, par. 3.3-3.12 ci-dessus).

5.2.1.1. D’une manière générale, le Kosovo et ses habitants jouissaient de droits particuliers,

tant au sein de la RFSY que de la Serbie. Cela a été indiqué de manière particulièrement claire
dans la Constitution de la RFSY de1974, dans laquelle est s oulignée la volonté du peuple du
Kosovo d’exercer ses droits au sein de la Fédération et de la Serbie (voir par. 3.5 ci-dessus). A la
suite des changements politiques des années1980 et 1990 (lesquels visaient notamment à limiter,

puis à éliminer toute forme d’autonomie pour le Kosovo), et en raison de la détérioration de la
situation humanitaire au Kosovo, la volonté de ses habitants évolua et ils souhaitèrent obtenir leur
indépendance (initialement en restant au sein de la RFSY). Cette volonté fut ensuite maintes fois
réitérée et ce, dans le contexte du processus d’«autonomisation» progressive du Kosovo.

5.2.1.2. Parallèlement au durcissement de la répression serbe à l’encontre du Kosovo, la
volonté des Kosovars ⎯qui n’avaient pas la possibilité de se gouverner de manière autonome ⎯

de créer un Etat indépendant s’intensifia progressi vement. En dépit de la répression menée par les
Serbes dans les années1990, le Kosovo parvin t à conserver ses institutions (y compris
l’Assemblée) parallèlement à celles de la Serbie. Il convient toutef ois de souligner que la Serbie
n’exerçait absolument aucun contrôle ni aucune autorité sur ces institutions, lesquelles sont

caractéristiques d’un Etat. Par la suite, ces ins titutions nationales furent renforcées et favorisées
par les Nations Unies.

5.2.2. Le deuxième élément important et dé terminant en ce qui concerne le caractère sui
generis du cas du Kosovo est le fait que la Serbie s’y est livrée de manière systématique et à une
grande échelle à des violations des droits de l’homme et du droit humanitaire.

5.2.2.1. Ainsi qu’il a été indiqué, les années1980 et1990 ont été marquées par la
généralisation du nettoyage ethnique, des déplaceme nts forcés, des exécutions et des détentions
arbitraires ainsi que par des disparitions for cées et par le déclenchement de violences visant

également la population civile du Kosovo (voir aussi les conclusions de la chambre de première
instance du TPIY, par.5.5 ci-dessus). Ces événem ents ont de plus été la raison majeure pour
laquelle l’OTAN a déclenché une campagne aérienne et pour laquelle le Conseil de sécurité des
Nations Unies a, par la suite, adopté la résolution 1244 (1999).

5.2.3. La troisième differentia specifica du Kosovo est que son statut a été «internationalisé»
du fait des violations systématiques et de grande ampleur des droits de l’homme et du droit

humanitaire commises par la Serbie. La communauté internationale a ainsi introduit une protection
de facto et de jure des Kosovars contre les actes hostiles et violents de la Serbie.

5.2.3.1. A compter de l’adoption par le Conseil de sécurité des NationsUnies de la

résolution1244 (1999), le Kosovo était, en pra tique, gouverné et supervisé par des institutions
internationales ⎯ l’Organisation des Nations Unies, l’Orga nisation du traité de l’Atlantique Nord,
l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et l’Union européenne. - 17 -

5.2.3.2. Des lois ont été adoptées sous le cont rôle du représentant spécial des Nations Unies
pour le Kosovo relativement à un large éventail de questions (notamment en matière douanière,

monétaire, fiscale, en ce qui concerne le système bancaire, les télécommunications, le droit pénal
ou le droit de la famille). Dans le même temps, l’administration publique et municipale,
l’économie, le système judiciaire et de santé étaien t développés, des institutions visant à garantir la
sécurité publique étaient mises en place et des élections tenues.

5.2.4. A la suite du déclenchement de la camp agne aérienne de l’OTAN et de l’adoption de
la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité des Nations Unies, la Serbie a perdu l’autorité et le

contrôle effectifs sur le Kosovo, lesquels ont été assumés dans leur intégralité par l’administration
des NationsUnies et les institutions du Kosovo. Cette situation est née en1999 et, au cours des
neuf années qui ont suivi, la Serbie n’a ni exercé son contrôle sur le Kosovo ni repris ce contrôle.
Aussi, la déclaration d’indépendance adoptée en 2008 n’a-t-elle fait que confirmer la réalité.

5.2.5. L’ensemble des éléments susmentionnés forme le caractère sui generis de la
déclaration d’indépendance du Kosovo. C’est aussi la raison pour laquelle le «cas du Kosovo» ne

saurait être considéré comme un précédent pour une quelconque situation similaire. Si, dans une
situation donnée, un seul ⎯ou plusieurs (mais pas tous) ⎯ des critères susmentionnés
caractérisant la situation sui generis étaient satisfaits, la situation en question ne pourrait pas être
appréciée, en droit, par analogie avec la déclaration d’indépendance du Kosovo.

5.2.5.1. Il convient également de rappel er que la communauté internationale savait ⎯ au
moins depuis2007 ⎯ qu’il était impossible de revenir à la situation d’autonomie du Kosovo au

sein de la Serbie. Ainsi que l’a indiqué M.Ah tisaari, «l’indépendance est la seule option viable
pour le Kosovo» (lettre en date du 26 mars 2007 adressée au président du Conseil de sécurité par le
Secrétaire général, Nations Unies, doc. S/2007/168, par. 5).

5.2.5.2. Le Conseil de sécurité n’ayant pas été en mesure de déterminer le statut futur du
Kosovo au nom de la communauté internationale et tous les moyens diplomatiques ayant été
épuisés, une décision a été prise, pacifiquement, par le peuple du Kosovo lui-même, le

17 février 2009.

VI. L E PRINCIPE DE L ’AUTODÉTERMINATION

6.1. Les quatre formes ci-après du droit à l’au todétermination ressortent de la déclaration
relative aux principes du droit international toucha nt les relations amicales et la coopération entre
les Etats conformément à la Charte des Nati onsUnies (résolution2625 (XXV) de l’Assemblée

générale des Nations Unies, 25 octobre 1970) :

a) le droit à l’autodétermination des peuples sous dépendance coloniale ou soumis à toute autre
forme de domination ;

b) le droit à l’autodétermination des peuples sous occupation étrangère ;

c) le droit à l’autodétermination des peuples qui vive nt dans des Etats ne respectant pas le droit à

l’autodétermination et qui ne peuvent donc pas exercer ce droit de manière effective
(notamment en étant représentés au sein du gouvernement de l’Etat d’accueil qui reflèterait, de
manière non discriminatoire, l’ensemble de la population de l’Etat) ; - 18 -

d) le droit à l’autodétermination des peuples vivant dans un Etat qui respecte le principe de
l’autodétermination et dans lequel le peuple en question est, partant, représenté comme il

convient au sein du gouvernement de l’Etat hôte.

6.2. Dans l’hypothèse mentionnée au d) ci-dessus, la population vivant sur un territoire

donné ne peut pas exercer son droit à l’autodétermination (par exemple par le biais de la sécession),
à moins que ce droit ne soit garanti par un texte c onstitutionnel et que les conditions de sa mise en
Œuvre soient réunies.

6.3. En revanche, dans l’hypothèse c) ci-dessus, le droit à l’autodétermination ne peut être
exercé de manière effective par le peuple d’un pays donné. Il peut donc, dans certaines
circonstances, entraîner la sécession et être exercé par tout moyen juridique.

6.4. L’on peut opérer une distinction la sécession en tant que droit fondamental et la
sécession en tant que droit à titre de réparation. (Voir, par exemple, A.Buchanan, Justice,
Legitimacy and Self-determination. Moral Foundations for International Law , Oxford University
e
Press 2004, p.271 et suiv.; J.Crawford, The Creation of States in International Law , 2 édition,
Oxford University Press 2006, p. 119-128.)

6.5. La sécession en tant que droit à titre de réparation re pose sur l’hypothèse qu’un Etat
s’est rendu coupable de graves violations du droit international des droits de l’homme et
humanitaire à l’encontre de peuples vivant sur son territoire. Ces violations comprennent
notamment: le génocide, les crimes contre l’human ité, les crimes de guerre et autres violations

massives des droits de l’homme et du droit humanitaire.

6.6. Ainsi que la Cour suprême du Cana da l’a indiqué dans l’affaire de la Sécession du

Québec :

«Le droit à l’autodétermination externe (qui, dans le présent cas, pourrait
prendre la forme de la revendication d’un droit de sécession unilatérale) ne naît que

dans des cas extrêmes dont les circonstances sont par ailleurs soigneusement
définies.... Bien que ce troisième cas [d’autodétermination externe] ait été décrit de
plusieurs façons, il repose sur l’idée que, lorsqu’un peuple est empêché d’exercer
utilement son droit à l’autodétermination à l’interne, il a alors droit, en dernier recours,

de l’exercer par la sécession … De toute év idence, une telle situation s’apparente aux
deux autres situations reconnues en ce que la faculté du peuple concerné d’exercer à
l’interne son droit à l’autodétermination est totalement contrecarrée.» ([1998]
2 S.C.R. 217, par. 126-134 ; les italiques sont dans l’original.)

6.7. Dès lors, le recours à la sécession en tant que droit à titre de réparation ne peut intervenir
qu’en dernier ressort, lorsque cela est nécessaire pour protéger les habitants de certains territoires

contre les actes illicites des Etats d’accueil (voir également, The Implementation of the Right to
Self-Determination as a Contribution to Conflict Prevention, Report of the International UNESCO
Conference of Experts held in Barcelona, 21-27 November 1998, Dr. C. Michael van Walt van
Praag with Onno Serro (eds.), p. 22-28).

6.8. Par ailleurs, il est expressément indiqué, dans la déclaration relative aux principes du
droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à

la Charte des Nations Unies, que : - 19 -

«Rien dans les paragraphes précédents ne sera interprété comme autorisant ou
encourageant une action, quelle qu’elle soit, qui démembrerait ou menacerait,

totalement ou partiellement, l’intégrité te rritoriale ou l’unité politique de tout Etat
souverain et indépendant se conduisant conformément aux principes de l’égalité de
droits et du droit des peuples à di sposer d’eux-mêmes énoncés ci-dessus et dotés ainsi
d’un gouvernement représentant l’ensemble du peuple appartenant au territoire sans

distinction de race, de croyance ou de c ouleur.» (Les italiques sont de nous; une
explication similaire est donnée dans: Conférence mondiale sur les droits de
l’homme, Nations Unies, Déclaration et programme d’action de Vienne, 25 juin 1993,
Nations Unies, doc. A/CONF/157/24.)

6.9. L’on peut donc en déduire que la subor dination du principe de l’autodétermination à
celui d’intégrité territoriale n’est en aucun cas abso lue. Le second ne l’emporte pas toujours et il

convient de tenir compte des conditions particulières de la situation en question.

6.10. A la lumière des observations formulées, notamment aux paragraphes 6.1 à 6.7 et dans

le chapitre V du présent exposé, il convient de conclu re que le Kosovo avait le droit d’exercer son
droit de sécession en tant que droit à titre de réparation.

6.11. On soulignera de nouveau que, au sein de la Serbie, le peuple du Kosovo ne pouvait

plus exercer son droit à l’autodétermination. Ce la est confirmé par l’ampleur des violations des
droits de l’homme et du droit humanitaire commise s par la Serbie. Dans ces circonstances, le
Kosovo pouvait légitimement exercer son droit de sécession de la Serbie, en tant que droit à titre de

réparation, afin de protéger et sauvegarder les droits et intérêts les plus fondamentaux de son
peuple.

6.12. Par conséquent, l’intégrité territoriale de la Serbie s’est érodéeet a été compromise

dès 1999, du fait des actes illicites qu’elle a elle-mêm e commis à l’encontre du Kosovo. La Serbie
a ainsi perdu l’autorité et le contrôle effectifs qu’elle exerçait sur le Kosovo et ne les a jamais
recouvrés au cours des années qui ont suivi. En ra ison des violations des droits de l’homme et du
droit humanitaire commises par la Serbie, l’on pe ut également soutenir que cet Etat ne pouvait

continuer de se prévaloir du principe de l’intégrité territoriale pour se protéger contre l’exercice,
par les Kosovars, de leur droit de sécession en tant que droit à titre de réparation.

6.13. Il ne fait par ailleurs aucun doute que certaines règles du droit international concernant
notamment la protection des droits fondamentaux de l’homme ainsi que le droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes sont revêtues d’une valeur et d’une signification juridiques particulières.
Ces normes ont souvent été qualifiées d’impératives (voir, par exemple, A. Cassese, International
e
Law, 2 éd., Oxford University Press 2005, p. 64-67 et bibliographie citée dans cet ouvrage ; Texte
du projet d’articles sur le droit d es traités et commentaires y relatifs, ACDI, 1996, vol. II, p. 248 ;
Commentaires relatifs au projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour faits
internationalement illicites , ACDI, 2001, vol.II, p.110 et suiv.). Cela signifie que, en cas de

graves violations de certains droits fondamenta ux de l’homme et de certaines normes du droit
humanitaire, le principe de l’autodéterminati on ne saurait être limité à son aspect interne
(c’est-à-dire, l’autodétermination au sein d’un Etat «hôte»).

6.14. La Cour internationale de Justice a également réaffirmé à maintes reprises que
certaines normes ou obligations revêtent un caractère spécial. Dans l’affaire du Timor oriental, la
Cour a indiqué : - 20 -

«Il n’y a rien à redire à l’affirma tion du Portugal selon laquelle le droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes, tel qu’il s’est dé veloppé à partir de la Charte et de la

pratique de l’Organisation des Nations Unies, est un droit opposable erga omnes. Le
principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a été reconnu par la Charte des
NationsUnies et dans la jurisprudence de la Cour…; il s’agit là d’un des principes
essentiels du droit international contemporain.» ( Timor oriental (Portugal

c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102.)

La Cour internationale de Justice l’a rappelé dans l’avis consultatif qu’elle a rendu sur les
Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé , dans

lequel elle s’est référée à l’arrêt Barcelona Traction :

«La Cour observera à cet égard qu’a u rang des obligations internationales
violées par Israël figurent des obligations erga omnes. Comme la Cour l’a précisé

dans l’affaire de la Barcelona Traction, de telles obligations, par leur nature même,
«concernent tous les Etats» et, «[v]u l’importance des droits en cause, tous les Etats
peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient
protégés» ( Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, arrêt,

C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33). Les obligations erga omnes violées par Israël sont
l’obligation de respecter le droit du pe uple palestinien à l’autodétermination…»
(Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien
occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, par. 155.)

Dans l’affaire concernant les Réserves à la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide, la Cour a également souligné le fait que :

«Les origines de la Convention révèle nt l’intention des NationsUnies de
condamner et de réprimer le génocide comme «un crime de droit des gens» impliquant
le refus du droit à l’existence de groupes humains entiers, refus qui bouleverse la
conscience humaine, inflige de grandes pert es à l’humanité, et qui est contraire à la

fois à la loi morale et à l’esprit et aux fins des NationsUnies (résolution96 (I) de
l’Assemblée générale, 11décembre1946). Cette conception entraîne une première
conséquence: les principes qui sont à la base de la Conventi on sont des principes
reconnus par les nations civilisées comme obligeant les Etats même en dehors de tout

lien conventionnel. Une deuxième conséquence est le caractère universel à la fois de
la condamnation du génocide et de la coopé ration nécessaire «pour libérer l’humanité
d’un fléau aussi odieux» (Préambule de la Convention).» ( Réserves à la convention

pour la prévention et la répression du cri me de génocide, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1951, p. 23.)

La Cour a repris son raisonnement à cet égard en l’affaire relative à l’ Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide , dans laquelle elle a

notamment indiqué qu’elle avait :

«[r]éaffirmé ses dicta de 1951 et de 1996 au para graphe64 de son arrêt du
3février2006 en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle

requête : 2002) (République démocratique du Congo c.Rwanda) , lorsqu’elle a ajouté
que la norme interdisant le génocide constituait assurément une norme impérative du
droit international (jus cogens).» (Application de la convention pour la prévention et

la répression du crime de génocide (Bosnie- Herzégovine c.Serbie-et-Monténégro) ,
arrêt du 26 février 2007, par. 161.)

6.15. Non seulement la Serbie n’a pas fourni de garanties suffisantes pour la protection des

droits fondamentaux de l’homme, mais c’est elle qui a violé ces droits au Kosovo, le privant de ce - 21 -

fait de son autonomie. En conséquence, le pe uple du Kosovo a demandé que soient exercés ses
droits naturels qui n’auraient aucunement pu l’être au sein de la Serbie.

6.16. Enfin, le droit international doit êt re considéré comme un système dynamique et non
statique, étant donné qu’il évolue et se développe du fait, notamment, de la pratique constante des

Etats. Dès lors, le contenu des règles et principes de ce système juridique (y compris celui des
normes aussi importantes que l’intégrité territori ale et l’autodétermination) est l’objet de
modifications et d’ajustements constants. Ainsi, le système politique et juridique établi sur la base

des conférences et accords de Potsdam et de Yalta, et complété par le processus de l’OSCE/CSCE,
était, à l’époque, considéré comme quasi-permanent. Or, le «pri ntemps des nations» d’Europe
centrale et orientale, qui débuta en Pologne en 1980, entraîna d’importants changements dans le
système international, y compris l’indépenda nce de nombreux Etats, la réunification de

l’Allemagne, l’effondrement de l’Union soviétique et la dissolution de la Yougoslavie.

VII. INTERPRÉTATION DE LA RÉSOLUTION 1244 (1999) DU CONSEIL DE SÉCURITÉ

DES N ATIONS U NIES

7.1. La République de Pologne considère que la déclaration d’indépendance du Kosovo n’est
pas contraire à la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité.

7.2. Bien qu’il soit fait référence, dans cette résolution, à l’intégrité territoriale et à la
souveraineté de ce qui était alors la RFSY, cela n’ est mentionné que dans le préambule et non dans

le dispositif. En outre, cette ré férence ne concerne que la phase provisoire d’administration des
Nations Unies au Kosovo. Elle ne prédétermine donc pas l’applicabilité de ces principes au statut
futur du Kosovo. Les passages pertinents de la résolution1244 (1999) du Conseil de sécurité se
lisent comme suit :

«⎯[Le Conseil de sécurité] [d]écide que les principales responsabilités de la
présence internationale civile seront les suivantes :

a) Faciliter, en attendant un règlement définitif , l’instauration au Kosovo d’une
autonomie et d’une auto-administration substantielle, compte pleinement tenu
de l’annexe2 et des accords de Ram bouillet (S/1999/648)» (par. 10 ; les

italiques sont de nous).

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

«⎯ Processus politique menant à la mise en pla ce d’un accord-cadre politique
intérimaire prévoyant pour le Kosovo une autonomie substantielle, qui tienne
pleinement compte des accords de Rambouillet et des principes de souveraineté et

d’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie et des autres
pays de la région, et la démilitarisation de l’ALK.» (Annexe1, point6; les
italiques sont de nous.)

Des formulations similaires figurent au paragraphe 8 de l’annexe 2 de la résolution.

7.3. L’on peut en déduire que le Conseil de sécurité, tout en décidant que la «crise du

Kosovo» serait résolue en vertu des principes généraux énoncés dans l’annexe 1 et développés dans
l’annexe 2 de la résolution, ne c onsidérait pas que le résultat ne po uvait être atteint que par le biais
de ses propres décisions. - 22 -

7.4. En conséquence, la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité doit être interprétée à
la lumière des considérations expo sées ci-dessus ainsi que du caractère sui generis du cas du

Kosovo.

7.5. Comme cela a déjà été précisé, la communauté internationale estimait que

l’indépendance était «la seule option viable», option présentée de manière on ne peut plus détaillée
dans le plan Ahtisaari. Le fait que ce plan n’ait p as été mis en Œuvre et l’évolution ultérieure de la
situation du Kosovo doivent également être pris en compte afin d’interp réter la résolution1244
(1999) du Conseil de sécurité.

7.6. De surcroît, le Conseil de sécurité n’a p as été en mesure de remplir les fonctions qui lui
incombaient en vertu de la Charte de Nations Uni es, de «rester activement saisi de la question» ou
de proposer des solutions pour le statut futur du Kosovo viables et acceptables par les parties au

conflit et la communauté internationale dans son ensemble.

7.7. L’impasse politique dans la quelle s’est trouvé le Conseil de sécurité et le fait qu’il ait,

dès lors, perdu le contrôle de la situation au Kosovo ont précipité l’exercice par le peuple du
Kosovo de son droit de sécession en tant que droit à titre de réparation. Il convient néanmoins de
relever que le peuple du Kosovo n’a exercé ce droit qu’après l’interruption du processus de
détermination du statut futur du Kosovo mené par les Nations Unies.

VIII. C ONCLUSIONS GÉNÉRALES

8.1. Le Gouvernement de la République de Pologne considère que la déclaration
d’indépendance du 17 février 2008 n’est contraire à aucune norme du droit international.

8.2. Le Gouvernement de la République de Pologne prie respectue usement la Cour de

répondre à la question posée dans la résolution 63/3 de l’Assemblée générale en tenant compte des
remarques formulées dans le présent exposé.

___________

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Exposé écrit de la Pologne (traduction du Greffe)

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