Observations écrites de la Croatie

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14520
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Incidental Proceedings
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10757

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

AFFAIRE RELATIVE À L’APPLICATION DE LA CONVENTION POUR LA
PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE

(CROATIE c. YOUGOSLAVIE (SERBIE ET MONTÉNÉGRO))

EXPOSÉ ÉCRIT DES OBSERVATIONS ET CONCLUSIONS DE LA RÉPUBLIQUE DE
CROATIE SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES SOULEVÉES PAR LA
RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DE YOUGOSLAVIE
(SERBIE ET MONTÉNÉGRO)

VOLUME 1

29 avril 2003

[Traduction du Greffe] T ABLE DES MATIÈRES

Pages

Chapitre 1 Introduction ........................................................................
............................................ 1

Chapitre2 La Cour est compétente (ratione personae) à l’égard de la RFY (Serbie et

Monténégro) ........................................................................
........................................... 5

Chapitr3ea requête est recevable à l’égard de tous les actes ou
omissions allégués par la Croatie, y compris ceux d’avant le

27 avril 1992........................................................................
...........................................9

1) L’exception de la RFY (Serbie et Montén égro) touche au fond et ne soulève
pas de questions portant sur la recevabilité............................................................ 10

2) L’application de la convention sur le génocide n’est pas limitée ratione

temporis........................................................................
.......................................... 12

3) Les moyens invoqués pour contester la responsabilité sont artificiels et sans
pertinence pour la compétence de la Cour ............................................................. 13

a) La RFY (Serbie et Monténégro) a engagé sa responsabilité en tant

qu’Etat in statu nascendi pour les actes de génocide commis en Croatie
avant le 27 avril 1992........................................................................
.............. 13

i) Il est bien établi qu’un Etat peut être responsable d’un
comportement antérieur à sa création officielle........................................ 14

ii) Le principe in statu nascendi est pleinement applicable au cas de la
RFY (Serbie et Monténégro)..................................................................... 17

b) La Croatie s’appuie sur le contrôle qu’exerçaient les dirigeants serbes
sur les responsables des atrocités en cause..................................................... 21

c) La Cour est compétente pour connaître du manquement de la RFY
(Serbie et Monténégro) à son obli gation d’empêcher et de punir les
violations des articles II et III de la Convention, quelle que soit la date à
laquelle celles-ci ont été commises.................................................................. 24

Chapitre4La requête est recevable et n’est pas sans objet relativement aux
mesures demandées concernant la traduction en justice des
responsables, les personnes portées disparues et les biens culturels ............................ 27

Traduction en justice des responsables........................................................................
. 27

Personnes portées disparues ........................................................................
................. 30

Biens culturels manquants........................................................................
.................... 34

Conclusions ........................................................................
.......................................... 36

Conclusions finales ........................................................................
.................................................. 37

Liste des annexes........................................................................
...................................................... 381 CHAPITRE 1

INTRODUCTION

1 L1.1. erseptembre2002, la République fédérale de Yougoslavie (ci-après dénommée la
«RFY (Serbie et Monténégro)») a présenté des ex ceptions préliminaires da ns l’affaire relative à

l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie
c. Yougoslavie). Par une ordonnance datée du 14 novembre 2002, la Cour a fixé au 29 avril 2003 la
date d’expiration du délai dans lequel la Ré publique de Croatie pouvait présenter un exposé écrit
contenant ses observations et conclusions sur l es exceptions préliminaires soulevées par la RFY

(Serbie et Monténégro). Les présentes observations écrites sont déposées conformément à
l’ordonnance de la Cour du 14 novembre 2002.

1.2. Dans ses écritures, la RFY (Serbie et Monténégro) soulève trois exceptions
préliminaires :

⎯ La première exception préliminaire est que la Cour n’a pas compétence pour connaître de la

requête de la Croatie parce que la RFY (Serbie et Monténégro) n’est devenue partie à la
convention sur le génocide qu’en adhérant à cet instrument le 12 mars 2001, avec une réserve à
l’article IX ;

⎯ la deuxième exception préliminaire est que la requê te de la Croatie est irrecevable pour autant
qu’elle se rapporte à des actes ou omissions antérieurs au 27 avril 1992 ; et

⎯ la troisième exception préliminaire est que certaines des conclusions spécifiques de la Croatie

(demandant que M. Milosevic soit traduit en justice, que des informations soient fournies sur le
sort des citoyens croates portés disparus et que les biens culturels soient restitués) sont
irrecevables et dépourvues d’objet.

1.3. La Croatie considère que ces exceptions préliminaires sont dénuées de fondement et
devraient être rejetées par la Cour. Elle soutient que le 2 juillet 1999, date du dépôt de sa requête,
la Cour avait compétence à l’égard de la RFY (Serbie et Monténégro) et qu’elle demeure

compétente à son endroit pour toutes les questions soulevées dans la requête et toutes les époques
concernées. La Croatie affirme en outre que les exceptions relatives à la recevabilité et à l’absence
d’objet peuvent être rejetées dès ce stade préliminaire; subsidiairement, elles devront être jointes
au fond en application du paragr aphe 7 de l’article 79 du Règlemen t de la Cour, au motif qu’elles
2
ne possèdent pas un caractère exclusivement préliminaire.

1.4. Les arguments de la Croatie sur la compétence et la recevabilité sont exposés de manière

détaillée dans les parties qui suivent des présentes observations écrites. Le chapitre2 traite de
l’exception relative à la compétence, et le chapitr e 3 de l’exception à la recevabilité concernant les
actes et omissions antérieurs au 27avril1992. Le chapitre4 traite des exceptions de la RFY
(Serbie et Monténégro) qui se rapportent à la r ecevabilité et à l’absence d’objet de conclusions

spécifiques visant M.Milosevic (mais non les autr es personnes qui devraient être traduites en
justice), ainsi qu’aux personnes portées disparues et aux biens culturels.

*

* * - 2 -

1.5. Avant d’en venir à ces arguments détaillés, il convient d’évoquer brièvement certains

événements survenus depuis que la Croatie a déposé son mémoire. On se rappellera que la Croatie
a soumis sa requête introduisant la présente instance le 2 juillet 1999. Par son ordonnance datée du
27 juin 2000, la Cour a reporté au 14 mars 2001 la date d’expiration du délai dans lequel la Croatie

pouvait déposer son mémoire, lequel a été dûment soumis à cette date.

1.6. Le 1 enovembre2000, la RFY (Serbie et Monténégro) est devenue Membre de
1
l’Organisation des Nations Unies . A la date du dépôt de son mémoire, la Croatie ignorait que, par
une notification datée du 6mars 2001, la RFY (Serbie et Monténégro) avait prétendu adhérer à la
convention de 1948 pour la prévention et la répr ession du crime de génocide (dénommée ci-après
2
la «convention sur le génocide») . La notification était accompagnée de ce qui était censé
constituer une réserve à l’article IX de la Convention, indiquant que la RFY ne s’estimait pas liée
par cette disposition, avec pour conséquence, était-il dit, que la Cour n’aurait dès lors compétence à

l’égard d’aucun différend touchant l’interprétation ou l’application de la Convention, sauf
consentement spécifique et exprès de la RFY dans chaque cas considéré. La notification de la RFY
(Serbie et Monténégro) a été déposée auprès du Secrétaire général de l’Organisation des
NationsUnies le 12mars2001 et rendue publique peu après, moment auquel la Croatie en eut
3
connaissance pour la première fois .

1.7. Le 18mai 2001, la Croatie informa le Secr étaire général qu’elle faisait objection à la
notification de la RFY (Serbie et Monténégro) au motif que cette dernière était déjà liée par la
3 convention sur le génocide. La Croatie faisait également objection à la réserve formulée par la
RFY (Serbie et Monténégro). Sa communication était ainsi conçue :

«Le Gouvernement de la République de Croatie formule une objection contre le
dépôt de l’instrument d’adhésion de la République fédérale de Yougoslavie à la

convention pour la prévention et la répr ession du crime de génocide au motif que la
République fédérale de Yougoslavie est déjà liée par la Convention depuis qu’elle est
devenue l’un des cinq Etats successeurs égaux de l’ex-République socialiste fédérative

de Yougoslavie.

Ce fait a été confirmé par la Républi que fédérale de Yougoslavie dans sa
déclaration du 27avril1992 telle qu’elle a été communiquée au Secrétaire général

(document des Nations Unies publié sous la cote A/46/915). Nonobstant le
raisonnement politique qui sous-tend cette d éclaration, la Répub lique fédérale de
Yougoslavie y a fait savoir qu’elle «respecterait strictement tous les engagements que

la République fédérative socialiste de Yougoslavie a pris à l’échelon international».

A cet égard, la République de Croatie note tout particulièrement la décision de
la Cour internationale de Justice, énoncée dans son arrêt du 11 juillet 1996, aux termes

de laquelle la République fédérale de Yougoslavie «était liée par les dispositions de la
Convention [sur le génocide] à la date du dépôt de la requête [introduite par la
Bosnie-Herzégovine], le 20 mars 1993» (C.I.J. Recueil 1996, p. 595, par. 17).

Le Gouvernement de la République de Cr oatie fait en outre une objection à la
réserve formulée par la République fédérale de Yougoslavie à l’égard de l’articleIX

de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et considère
que cette réserve est incompatible avec l’obj et et le but de la Convention. Le

1Mémoire, par. 2.162.
2
Exceptions préliminaires, annexe 5.
3Exceptions préliminaires, annexe 6, note du Secrétaire général en date du 21 mars 2001. - 3 -

Gouvernement de la République de Croatie considère que la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide, et notamment son articleIX, sont

pleinement en vigueur et exécutoires entre la République de Croatie et la République
fédérale de Yougoslavie.

Le Gouvernement de la République de Croatie estime que ni le procédé
spécieux par lequel la République fédérale de Yougoslavie entend devenir partie à la
convention sur le génocide de façon non rétroactive ni sa spécieuse réserve n’ont
d’effet juridique sur la compétence de la Cour internationale de Justice dans la

procédure en instance que la République de Croatie a introduite contre la Rép4blique
fédérale de Yougoslavie en application de la convention sur le génocide.»

4 1.8. Dans l’intervalle, le 24 avril 2001, la RFY (Serbie et Monténégro) a saisi la Cour d’une
requête introductive d’instance contre la Bosnie-Herzégovine, dans laquelle elle lui demandait de
reviser son arrêt rendu le 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’ Application de la convention pour
la prévention et la répression du crime de génoc ide (Bosnie-Herzégovine c.Yougoslavie),

exceptions préliminaires, arrêt (C.I.J. Recueil 1996 (II), p.595). La requête s’appuyait sur
l’admission de la RFY (Serbie et Monténégro) à l’Organisation des Nations Unies, intervenue le
1 novembre 2000 et que la RFY considérait comme un «fait nouveau». Dans sa requête, la RFY

(Serbie et Monténégro) alléguait en partic ulier que son admission à l’Organisation des
Nations Unies révélait clairement que, avant cette da te, elle n’était ni membre de l’Organisation ni
partie au Statut de la Cour, pas plus qu’elle n’ét ait partie à la convention sur le génocide. Par son
arrêt en date du 3février2003, la Cour a déclar é la requête de la RFY (Serbie et Monténégro)

irrecevable. La Croatie reviendra plus loin sur la portée de cet arrêt en ce qui concerne la demande
de la RFY (Serbie et Monténégro) dans la présente affaire.

1.9. Enfin, à compter du 4février2003, la RFY (Serbie et Monténégro) s’est rebaptisée
Serbie-et-Monténégro. Pour des raisons de commodité, la Croatie utilisera ci-après la
dénomination RFY (Serbie et Monténégro).

4
Exceptions préliminaires, annexe 7, p. 35.- 4 - - 5 -

5 C HAPITRE 2

L A C OUR EST COMPÉTENTE (RATIONE PERSONAE )À L’ÉGARD DE

LA RFY (S ERBIE ET M ONTÉNÉGRO )

2.1. La première exception préliminaire de la RFY (Serbie et Monténégro) est que la Cour

n’a pas compétence ratione personae à son endroit. Cette prétention repose tout entière sur
l’argument selon lequel la RFY «n’a été lié[e] par la convention sur le génocide» qu’à compter du
10juin2001, date à laquelle son a dhésion à la Convention a pris effet . Cet argument est

développé assez longuement dans la troisième partie des exceptions préliminaires.

2.2. La Croatie a traité de la question de la compétence de la Cour à l’égard de la RFY

(Serbie et Monténégro) au chapitre6 de son mémoire, où elle a affirmé que «la RFY [et elle]
étaient toutes deux liées par la convention sur le génocide le 2 juillet 1999» (date de la requête de la
Croatie) . La RFY (Serbie et Monténégro) ne conteste pas que la Croatie ait été liée à cette date

par la Convention. Pour montrer que la RFY (Serbie et Monténégro) l’était elle, aussi, la Croatie a
fait valoir ce qui suit :

«S’agissant de la RFY, la Cour a dé jà reconnu dans son arrêt de 1996 qu’elle
était «liée par les dispositions de la Convention à la date du dépôt de la requête
[introduite par la Bosnie-Herzégovine], le 20mars1993». Depuis cet arrêt, en

avril 1999, la RFY a introduit des instances devant la Cour contre dix Etats sur la base,
notamment, de l’articleIX de la convention sur le génocid e. Dans le cadre de ces
instances, la RFY a affirmé devant la Cour qu’elle «[était] partie à la convention

de1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide». Il ne saurait donc
faire de doute que, à la date où la Croatie soumit sa requête à la Cour, la RFY était liée
par la convention sur le génocide.»

6 2.3. En effet, prétendre comme l’a fait la RFY (Serbie et Monténégro) qu’elle n’était pas liée
par la convention sur le génocide le 2juillet1999 ⎯moins de trois mois après avoir invoqué la

Convention pour engager une procédure contre dix Etats membres de l’OTAN ⎯ semble quelque
peu surprenant.

2.4. L’explication réside dans le virage pris par le nouveau Gouvernement de la RFY (Serbie
et Monténégro) à partir d’octobre 2000, lorsqu’il abandonna la position qui avait toujours été celle

du gouvernement précédent, à savoir que la RFY (Serbie et Monténégro) assurait la continuité de la
RFSY et, dès lors, de sa qualité de Membre de l’ Organisation des Nations Unies et de partie à la
convention sur le génocide. Le nouveau gouvernement adopta une approche nouvelle, présenta une
er
demande d’admission à l’Organisation et en devint Membre le 1 novembre 2000, pour déposer
ensuite son instrument d’adhésion à la convention sur le génocide prenant effet le 10juin2001.
L’acte d’adhésion était assorti d’une réserve à l’articleIX, de sorte que la RFY (Serbie et

Monténégro)4affirme n’être «jamais devenue lié e par l’articleIX de la convention sur le
génocide» .

1Exceptions préliminaires, par. 3.4.

2Mémoire, par. 6.06.
3
Ibid., par. 6.09.
4Exceptions préliminaires, par. 3.7 et 3.8. - 6 -

2.5. Comme indiqué au paragraphe 1.7 ci-dessus, la Croatie a fait objection en temps voulu à
la prétendue adhésion et à la réserve.

2.6. La position adoptée par la RFY (Serbie et Monténégro) en l’espèce est identique à celle
qui sous-tendait sa requête introductive d’instance du 24 avril 2001 contre la Bosnie-Herzégovine,

dans laquelle elle priait la Cour de reviser s on arrêt du 11juillet1996. La RFY (Serbie et
Monténégro) fondait cette requête sur son admi ssion à l’Organisation des NationsUnies du
1 novembre2000, qu’elle considér ait comme un «fait nouveau» au sens de l’article61 du Statut

de la Cour. Dans sa requête introductive d’instance, la RFY exposait sa thèse en ces termes :

«L’admission de la RFY le 1 ernovembre 2000 en tant que nouveau Membre a

résolu les difficultés concernant son statut et il est désormais patent que la RFY
n’assurait pas la continuité de la personnalité juridique de la RFSY, n’était pas
Membre de l’Organisation des NationsUnies avant le 1 ernovembre 2000, et n’était
5
pas un Etat partie au Statut non plus qu’à la convention sur le génocide.»

D’une manière encore plus précise ⎯et des plus pertinentes aux fins de la présente

7 affaire ⎯, la RFY (Serbie et Monténégro) indiquait expressément dans sa requête qu’«[elle] n’était
pas partie contractante à la convention pour la prévention et la répression du crime de

génocide6le 20mars1993 et ne l’avait jamais ét é avant le 11juillet1996, lorsque l’arrêt a été
rendu» .

La position alors adoptée par la RFY (Serbie et Monténégro) était que son admission à
l’Organisation des Nations Unies constituait un fait n ouveau de nature à conduire la Cour à reviser
son arrêt de 1996.

2.7. Au cours de la procédure orale, la RFY (Serbie et Monténégro) reformula ses arguments

relatifs à l’existence de faits nouveaux, invoquant «deux faits décisifs» :

1) elle n’était pas partie au Statut au moment de l’arrêt ; et

2) elle ne demeurait pas liée par l’article IX de la convention sur le génocide en
continuant d’assumer la personnalité de l’ex-Yougoslavie . 7

Aux termes de l’arrêt de la Cour,

«[l]a RFY a également souligné à l’audien ce que ces «faits nouvellement découverts»

n’ont pas eu lieu après le prononcé de l’arrêt de1996. A cet égard, elle affirme que
«la RFY n’a jamais prétendu ni même cons idéré que le fait nouvellement découvert
8
aurait ou pourrait avoir un effet rétroactif.»

5
Demande en revision de l’arrêt du 11 ju illet 1996 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.Yougoslavie), exceptions préliminaires
(Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), requête en revision du 24 avril 2001, p. 38, par. 23.
6Ibid., p. 8, par. 3 a).

7Demande en revision de l’arrêt du 11 ju illet 1996 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.Yougoslavie), exceptions préliminaires
(Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), arrêt du 3 février 2003, par. 19.

8Ibid., par. 20. - 7 -

2.8. Il est clair que les arguments avancés par la RFY (Serbie et Monténégro) dans cette
instance étaient pour l’essentiel identiques à ceux qu ’elle formule maintenant dans la présente
espèce. Dans le cas de la demande en revision, la Cour devait en effet dire si la RFY (Serbie et
Monténégro) était bien liée par la convention sur le génocide le 20mars1993 et/ou le

11juillet1996, ainsi qu’elle l’avait affirmé préc édemment dans son arrêt de 1996. Dans la
présente affaire, s’agissant de la compétence ratione personae, la Cour doit répondre à la question
suivante : la RFY était-elle liée par la convention su r le génocide le 2 juillet 199 9 ? Si elle l’était

le 11 juillet 1996, la RFY (Serbie et Monténégro ) devra démontrer que quelque chose s’est produit
dans l’intervalle, avant le 2juillet1999, pour que la situation juridique ait été différente à cette
dernière date.

8 2.9. Dans son arrêt du 3févr ier2003, la Cour a clairement rejeté la demande de la RFY
(Serbie et Monténégro) et confirmé son arrêt de 1996, selon lequel, à cette date, la RFY (Serbie et
Monténégro) était liée par la convention sur le gé nocide et la Cour exerçait sa compétence à son

égard en vertu de l’articleIX de la Convention. S’agissant de l’argument de la RFY (Serbie et
Monténégro) selon lequel il ne se serait «révélé» qu’en décembre2000 qu’elle n’était pas liée en
1996 par la convention sur le génocide, la Cour a déclaré :

«Ce faisant, la RFY ne se prévaut cependa nt pas de faits existant en 1996. Elle
fonde en réalité sa requête en revision sur les conséquences juridiques qu’elle entend
tirer de faits postérieurs à l’arrêt dont la revision est demandée. Ces conséquences, à

les supposer établies, ne sauraient être regardées comme des faits au sens de
l’article 61 [du Statut]. L’argumentation de la RFY ne peut par suite être retenue.» 9

2.10. Les «faits» invoqués par la RFY (Serbi e et Monténégro) n’étaient apparus que le
1 novembre 2000, plus d’un an après que la Croatie eut déposé sa requête en la présente espèce.
La Cour a également examiné les incidences de la résolution 47/1 de l’Assemblée générale du

22 septembre 1992, dans laquelle celle-ci indiquait que la RFY (Serbie et Monténégro) «ne
p[ouvai]t pas assumer automatiquement la [continui té de la] qualité de Membre» de l’ancienne
République fédérative socialis te de Yougoslavie (RFSY) au sein de l’Organisation des

NationsUnies, et décidé que la RFY (Serbi e et Monténégro) devait présenter une demande
d’admission à l’Organisation. Dans son arrêt de 2003, la Cour a confirmé que, à la date où la
Bosnie-Herzégovine avait introduit l’instance contre la RFY (Serbie et Monténégro) (le
20 mars 1993) et à celle de l’arrêt (le 11 juillet 1996), «la situation qui prévalait était celle créée par
10
lerrésolutio47/1 de l’Assemblée générale» . Cette situation «prévalut» jusqu’au
1 novembre2000, lorsque l’Assemblé e générale adopta la résoluti on 55/12 portant admission de
la RFY (Serbie et Monténégro) à l’Organisation des Nations Unies en qualité de Membre. On ne

peut donc contester que la situation juridique ⎯s’agissant en particulier de savoir si la RFY
(Serbie et Monténégro) était liée par la convention sur le génocide ⎯ était exactement la même le
11juillet1996 et le 2juillet1999, lorsque la Croatie a soumis sa requête à la Cour. A cette

dernière date, la RFY (Serbie et Monténégro) ét ait liée par la convention sur le génocide et, en
vertu de l’article IX de la Convention, la Cour avait compétence ratione personae à son endroit.

2.11. En outre, comme la Cour l’indique cl airement dans son arrêt du 3février2003, la
résolution 47/1 de l’Assemblée générale des Nations Unies ne portait pas atteinte au droit de la

9
Ibid., par. 69.
10
Ibid., par. 70. - 8 -

9 RFY (Serbie et Monténégro) d’ester devant elle, et «ne touchait pas davantage à la situation de la
11
RFY au regard de la convention sur le génocide» . La Cour a également précisé qu’un éventuel
fait nouveau et ses répercussions ne pouvaient avoir d’effet rétroactif :

«La Cour tient en ouere à souligner que la résolution 55/12 de l’Assemblée
générale en date du 1 novembre2000 ne peut avoir rétroactivement modifié la
situation sui generis dans laquelle se trouvait la RFY vis-à-vis de l’Organisation des
NationsUnies pendant la période1992-2000, ni sa situation à l’égard du Statut de la
12
Cour et de la convention sur le génocide.»

2.12. Selon la Croatie, le rais onnement de la Cour est irréfuta ble, et s’applique tout aussi
bien à la situation juridique qui régissait les re lations entre la Croatie et la RFY (Serbie et
Monténégro) pendant la période allant jusqu’au 2 juillet 1999 inclus.

2.13. Les arrêts de la Cour du 11juillet199 6 et du 3février2003 confirment que, à la date
où la Croatie a déposé sa requête in troduisant la présente instance ⎯ le 2 juillet 1999 ⎯, la RFY

était liée par la convention sur le génocide et que, par conséquent la Cour était, et demeure,
compétente à l’égard de cette dernière (Serbie-et-Monténégro) en vertu de l’articleIX de la
Convention.

2.14. Il s’en ensuit que la première exception préliminaire de la RFY (Serbie et Monténégro)
est dénuée de fondement et doit être rejetée par la Cour.

10

11Ibid.
12
Ibid., par. 71. - 9 -

C HAPITRE 3
11

L A REQUÊTE EST RECEVABLE À L ’ÉGARD DE TOUS LES ACTES OU OMISSIONS ALLÉGUÉS PAR
LA CROATIE ,Y COMPRIS CEUX D ’AVANT LE 27 AVRIL 1992

3.1. La deuxième exception préliminaire de la RFY (Serbie et Monténégro) est présentée à
titre subsidiaire par rapport à la prem ière. Elle consiste à soutenir que la requête de la Croatie est
1
irrecevable pour autant qu’elle se rapporte à des actes ou omissions antérieurs au 27avril1992 .
La RFY (Serbie et Monténégro) estime ne pouvoir être tenue responsable que d’actes ou omissions
ayant eu lieu après sa naissance en tant qu’Etat ⎯ le 27 avril 1992 ⎯ et non d’actes ou omissions

antérieurs à cette date. Elle prétend en partic ulier qu’elle ne saurait avoir engagé sa responsabilité
en tant qu’entité in statu nascendi dans la période antérieure au 27avril1992, ni être tenue
responsable au motif de quelque identité de fait av ec la RFSY. Pour sa part, la Croatie considère

que, s’agissant de la compétence de la Cour, ces ar guments sont dénués de fondement et la Cour
devrait les rejeter et, subsidiairement, qu’ils soulèvent des questions de fait et de droit qui touchent
au fond du différend opposant la Croatie et la RFY (Serbie et Monténégro) et ne peuvent être

tranchées au stade actuel des exceptions préliminaires.

3.2. La Croatie note que la RFY (Serbie et Monténégro) ne prétend pas que la requête de la

Croatie soit irrecevable pour ce motif dans son inté gralité. Son argument ne concerne que certains
des «incidents les plus graves» ⎯tels que les atrocités commises à Vukovar et le bombardement

de Dubrovnik ⎯ qui ont eu lieu entre le 25 août 1991 et la fin de la même année. La RFY (Serbie
et Monténégro) admet pouvoir, en principe, être tenue responsable d’actes ou omissions postérieurs
au 27avril1992. Elle ne plaide donc pas l’i rrecevabilité dans ces cas-là, qui sont légion et sont
2
12 exposés de manière détaillée dans le mémoire . De même, elle ne déclare pas irrecevable
l’argument de la Croatie relatif au fait que la RF Y (Serbie et Monténégro) a manqué à déférer à la
justice les auteurs d’actes ou omissions antérieurs au 27 avril 1992 (exposés aux chapitres 4 et 5 du
3
mémoire de la Croatie), dont il est connu qu’ils vivent sur son territoire .

3.3. L’argument d’irrecevabilité avancé par la RFY (Serbie et Monténégro) a donc une

portée très limitée par rapport à l’ensemble de la requê te de la Croatie. Il a trait uniquement à la
partie de la requête qui concerne la responsabilité directe de la RFY (Serbie et Monténégro) à
raison d’actes ou omissions antérieurs au 27avr il1992. Quand bien même cet argument serait

retenu ⎯ce que la Croatie estime impossible ⎯, la Cour demeurerait saisie de parties
substantielles de la demande croate.

3.4. Pour limité qu’il soit, l’argument de la RFY (Serbie et Monténégro) est vicié et voué à
l’échec, ce pour trois raisons principales :

1Exceptions préliminaires, par. 4.1-4.36.

2Pour de nombreux exemples d’actes et omissions intervenus après le 27av ril 1992, voir les chapitres 4 et 5 du
mémoire, dans lesquels sont exposés des incidents concernant des pillages et dest ructions de biens, y compris de biens
culturels, des agressions brutales, y compris des viols et autres délits sexuels et le meurtre de Croates, des cas de travail
forcé, des expulsions et le transport de Croates vers des camps de concentration situés en territoire occupé par les Serbes
ou en RFY proprement dite. Voir, par exemple, les par.4.03, 4.46, 4.77, 4.90, 4.92, 4.93, 4.114, 4.138, 4.192 pour des
exemples de tels actes et omissions en Slavonie orientale. Pour d’autres cas d’actes et omissions intervenus dans d’autres

parties de la Croatie, voir par ple les par.5.14, 5.27, 5.75, 5.15.147, 5.155, 5.207, 5.209, 5.212, 5.214,
5.220-5.222, 5.233.
3Mémoire, conclusions, 2 a), p. 414. - 10 -

⎯ Premièrement, les exceptions soulevées par la RFY (Serbie et Monténégro) ne se rapportent
pas à la recevabilité de la requête mais plutôt à la substance et au fond, c’est-à-dire à la

question de savoir si la RFY (Serbie et Monténégro) est responsable des faits incriminés
(par. 3.5-3.9 ci-après) ;

⎯ deuxièmement, à supposer que la Cour décide d’examiner ces questions dans le cadre d’une

exception préliminaire, il est bien établi que les obligations pertinentes découlant de la
convention sur le génocide ne souffrent au cune limite temporelle , contrairement à ce
qu’affirme la RFY (Serbie et Monténégro) (par. 3.10-3.16 ci-après) ; et

⎯ troisièmement, les moyens relatifs à la «recevabilité» invoqués par la RFY (Serbie et
Monténégro) pour contester sa responsabilité sont ar tificiels et en grande partie dépourvus de
pertinence, puisqu’il est établi en droit international général que la responsabilité de l’Etat ne

saurait être limitée dans le temps à la conduite qu’il a eue une fois son existence en tant qu’Etat
13 reconnue, contrairement à ce que prétend la RFY. D’ailleurs, il ressort abondamment du
mémoire de la Croatie que celle-ci ne fonde pas son argumentation sur quelque prétendue
identité de fait entre la RFY (Serbie et Monténégro ) et la RFSY, mais sur le degré de contrôle

que l’entité qui allait devenir la RFY (Serbie et Monténégro) exerçait sur les auteurs des actes
et omissions (par. 3.17 et suiv. ci-après).

1) L’exception de la RFY (Serbie et Montén égro) touche au fond et ne soulève pas de
questions portant sur la recevabilité

3.5. Il est manifeste que l’exception d’i rrecevabilité présentée par la RFY (Serbie et

Monténégro) est un moyen qui touche au fond de la demande de la Croatie, c’est-à-dire au point de
savoir si la RFY (Serbie et Monténégro) peut êt re tenue responsable d’actes de génocide commis
en Croatie avant le 27 avril 1992, ce qui soulève d es questions de fait et de droit relevant du fond
en matière d’établissement des fa its et d’attribution de responsabilité. Les questions d’attribution
4
sont traitées en tant que telles par la Croatie au chapitre8 de son mémoire . Dans ce chapitre, et
tout au long de son mémoire, la position de la Cr oatie est parfaitement clai re: la RFY (Serbie et
Monténégro) est responsable de violations de la convention sur le génocide, que celles-ci aient eu
lieu avant ou après le 27 avril 1992.

3.6. La Cour a reconnu de longue date que le fond ne peut être examiné au stade des
exceptions préliminaires. Or, l’exception de la RFY (Serbie et Monténégro) tend à ce que la Cour

décide soit que la responsabilité d’un Etat ne peut pas être engagée ⎯ en droit ⎯ à raison d’actes
ou d’omissions intervenus avant que cet Etat n’ait vu le jour, soit, si elle peut être engagée, qu’elle
ne l’est pas en l’espèce au regard des faits. L’ une comme l’autre de ces décisions toucherait au
fond de la demande de la Croatie . Dans les deux cas, les questions en jeu ne peuvent se régler

pendant la phase des exceptions préliminaires: elles demandent une appréciation des points de
droit et de fait concernant le fond, qui aille au cŒur de l’affaire.

3.7. La recevabilité d’une demande soulève d es questions différentes de celles qui se posent
à propos de la compétence ou du fond. La rece vabilité concerne essentiellement l’opportunité de
statuer, eu égard aux circonstances de la requê te. Un éminent commentateur a exposé en ces
termes la règle générale :

«Tant dans les affaires consultatives que dans les affaires contentieuses,
semble-t-il, la règle est que la Cour est tenue de rendre une décision, qu’il s’agisse
d’un arrêt ou d’un avis consultatif; l’ex ception à la règle est que, dans certaines
14

4
Mémoire, par. 8.32 et suiv. - 11 -

circonstances, elle peut ou doit s’abstenir de le faire. Ce que sont ces circonstances

peut se définir au moins dans cette mesure : si rendre la décision amènerait la Cour à
agir de manière inappropriée du point de vue de l’exercice de la fonction judiciaire,
elle doit refuser de le faire.»5 [Traduction du Greffe.]

La question est donc de savoir si les arguments de la RFY (Serbie et Monténégro) montrent
qu’il pourrait se révéler d’une façon ou d’une autr e «inapproprié» pour la Cour de statuer sur le

fond des prétentions de la Croatie, dans la m esure où celles-ci se rapportent à des événements
antérieurs au 27 avril 1992.

3.8. Dans sa pratique, la Cour ne s’est appuyée que sur un nombre limité de facteurs pour
conclure qu’un examen au fond pouva it se révéler inapproprié. Ces fact eurs sont la nature de la
demande, les intérêts des parti es et des tiers concernés, et d’autres circonstances apparentées . Ils 6
7
touchent essentiellement à l’opportunité judiciaire . Il s’agit notamment de considérer :

⎯ si la décision de la Cour revêtirait un caractère hypothétique (voir, par exemple, l’affaire du

Cameroun septentrional (Cameroun cR . oyaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1963, p. 15) ;

⎯ si la question est essentiellement dépourvue d’objet (voir, par exemple, l’affaire des Essais
nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 327) ;

⎯ si l’Etat demandeur a un intérêt suffisant dans l’objet de la demande (voir, par exemple, les
affaires du Sud-Ouest africain (Ethiopie c.Afrique du Sud; Libéria c.Afrique du Sud),
deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1966, p. 6) ; et

⎯ si la décision risque de mettre en jeu les intérê ts juridiques d’Etats tiers (voir, par exemple,
l’affaire de l’Or monétaire pris à Rome en 1943 (Italie c. France, Royaume-Uni et Etats-Unis

d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1954, p. 19).

Dans le cas de l’exception d’irrecevabilité de la RFY (Serbie et Monténégro) fondée sur les

événements antérieurs au 27avri l1992, aucune de ces considérations ne s’applique, et aucune
d’elles n’est un tant soit peu soutenable. La de uxième exception préliminaire ne donne en rien à
penser que la question soit sans objet ou hypothétiq ue. Il existe manifestement un différend entre

les Parties, un différend qui concerne la responsabilité (directe ou indirecte) de la RFY (Serbie et
15 Monténégro) à raison d’actes de génocide perp étrés en Croatie pendant une période où la
convention sur le génocide était applicable. Nul ne prétend que la Croatie n’ait pas d’intérêt
légitime en la matière. Nul ne songerait à préte ndre qu’en poursuivant l’examen de cette question

au fond la Cour exercerait ses fonctions judiciaires de manière inappropriée.

3.9. La Croatie note qu’aucune source faisant autorité ne vient étayer la deuxième exception
préliminaire de la RFY (Serbie et Monténégro). Les exceptions préliminaires ne s’appuient sur
aucune décision de Cour qui justifierait le ra isonnement tenu. Cela confirme à quel point

l’argument de l’irrecevabilité est vicié.

5
H.Thirlway, «The Law and Procedure of the Inte rnational Court of Justice 1960-1989, (Part Eleven)», British
Yearbook of International Law (2000), vol. LXXI, p. 157.
6 Voir J. Collier et V. Lowe, The Settlement of Disputes in International Law, 1999, p. 155-161.

7 Il y a lieu de noter que, dans les affaires où un Etat a tenté de faire valoir des motifs d’irrecevabilité largement
sans rapport avec des considérationsd’opportunité judiciaire, ceux-ci onété rejetés: voir, par exempleActivités
militaires et paramilitaireau Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et
recevabilité, arrêt, C.I.J.Recueil198, p.392, et Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua
c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 69. - 12 -

2) L’application de la convention sur le génocide n’est pas limitée ratione temporis

3.10. L’argument avancé par la RFY (Ser bie et Monténégro) est présenté comme une
exception d’irrecevabilité, et non d’incompétence. Or, en fait, ce que la RFY semble plaider, c’est

que la Cour n’a pas compétence ratione temporis à l’égard des actes ou événements antérieurs au
27avril1992, date à laquelle la RFY (Serbie et Monténégro) a vu le jour. Cet argument est tout
aussi vicié et dépourvu de fondement.

3.11. La Croatie ne traitera ici que brièvement de cette question, l’ayant déjà pleinement
développée dans son mémoire 8. La Croatie relève en part iculier que la RFY (Serbie et

Monténégro) n’a pas contesté les arguments avanc és dans le mémoire et que, dans ses exceptions
préliminaires, elle n’a pas cherché à revenir sur les questions tranchées par la Cour en1996 dans
l’affaire relative à l’ Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie) . 9

3.12. Dans son arrêt de 1996, la Cour a rejeté la thèse de la RFY (Serbie et Monténégro)

voulant qu’elle ne fût pas compétente pour connaître d’événements antérieurs au 29 décembre 1992
(date à laquelle la Bosnie-Herzégovine était devenue partie à la C onvention). La Cour a expliqué
clairement son point de vue :

«la convention sur le génocide —et en pa rticulier son articleIX— ne comporte
aucune clause qui aurait pour objet ou pour conséquence de limiter de la sorte
l’étendue de sa compétence ratione temporis et…les Parties elles-mêmes n’ont

formulé aucune réserve à cet effet, ni à la convention, ni à l’occasion de la signature
des accords de Dayton-Paris. La Cour constate ainsi qu’elle a compétence en l’espèce
pour assurer l’application de la convention su r le génocide aux faits pertinents qui se

16 sont déroulés depuis le début du conflit dont la Bosnie-Herzégovine a été le théâtre.
Cette constatation est d’ailleurs conforme à l’ objet et au but de la convention tels que
définis par la Cour en 1951 et rappelés ci-dessus (voir paragraphe 31).» 10

3.13. Il convient de noter que la Cour n’a introduit aucune limitation temporelle à
l’application de la convention sur le génocide ou à l’exercice de sa compétence en vertu de la

Convention. Elle a confirmé sa compétence à l’égard d’événements survenus avant le
29décembre1992, sans l’exclure pour les événements antérieurs au 27avril1992, et a confirmé
l’applicabilité de la Convention aux «faits pertinents qui se sont déroulés depuis le début du conflit»
(les italiques sont de nous), ce qui inclut manifestement la totalité des événements, y compris ceux

d’avant le 27 avril 1992. La conclusion de la Courest de même applicable aux actes et omissions qui
ont eu lieu sur le territoire de laCroatie, y compris pendant la péroi de antérieure au 27 avril 1992.

3.14. Il n’a été dit à aucun moment que l’approc he de la Cour s’expliquait par les circonstances
propres au cas de la Bosnie ou par quelque décision concernant la date à laquelle la RFY (Serbie et

Monténégro) avait vu le jour. Elle découle de l’a ppréciation qu’a faite la Cour de l’objet et du but
fondamentaux de la Convention, à savoir l’élimin ation du fléau du génocide. Dans son opinion
individuelle, le juge Shahabuddeen a mis l’accent sur cette approche, en relevant que les exceptions
de la RFY (Serbie et Monténégro) auraient condu it à une «interruption inévitable de la protection

que la convention sur le génocide accordait aupara vant à tous les «groupes humains» qui vivaient

8Mémoire, par. 6.13-6.15 et 8.37 et suiv.
9
C.I.J. Recueil 1996, p. 595.
10Ibid., p. 617, par. 34. - 13 -

dans l’ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie», et que cela aurait été incompatible
avec «l’objet et le but» de la Convention. Selon le juge Shahabuddeen, cet objet et ce but «obligent
11
les parties à la respecter de manière à éviter une telle interruption de la protection qu’elle offre» .

3.15. L’applicabilité des obligations découlant de la convention sur le génocide à tous les

événements survenus « depuis le début du conflit » signifie nécessairement que les considérations
formelles relatives à la proclamation par la RFY (Serbie et Monténégro) de sa propre existence sont
sans incidence sur l’application de la Convention. Les obligations prévues par celles-ci
s’appliquaient pendant toute la durée du conflit à toutes les parties et à toutes les autorités

gouvernementales.

17 3.16. A la lumière de cette conclusion, manife stement exacte sur le plan des principes, la
convention sur le génocide doit être considérée comme applicable à tous les événements qui se sont

déroulés dans l’ex-RFSY et au conflit dans son ensemble. La question de savoir dans quelle
mesure la RFY (Serbie et Monténégro) est responsable, au regard de la Convention, de ceux de ces
événements qui constituaient des violations de cet instrument est une question qui touche au fond

de l’affaire. Aux fins de la compétence de la Cour, il suffira de dire que sa responsabilité ne saurait
être exclue à priori par référence à la portée ou à l’applicabilité de la Convention.

3) Les moyens invoqués pour contester la respon sabilité sont artificiels et sans pertinence

pour la compétence de la Cour

3.17. La RFY (Serbie et Monténégro) avance deux arguments pour soutenir qu’elle ne peut
être tenue responsable d’actes ou omissions intervenus en Croatie avant se création formelle, le

27 avril 1992. Le premier est un argument de caract ère général, à savoir que le droit international
n’offre aucune base sur laquelle on puisse se fonder pour tenir des Etats responsables d’actes ou
d’omissions antérieurs à leur création. Le second est un argument lié aux événements particuliers
en cause, à savoir qu’il n’existait aucune identité de fait entre la RFY (Serbie et Monténégro) et la

RFSY. Les deux arguments touchent à des questions de droit et de fait qui concernent le fond et ne
peuvent ni l’un ni l’autre être examinés au stade des exceptions préliminaires. Il paraît néanmoins
approprié d’exposer ⎯ à titre préliminaire ⎯ les vues de la Croatie sur leur manque de plausibilité.

3.18. Ces arguments pèchent pour deux raisons principales. Tout d’abord, il est
généralement reconnu que, en droit international, la responsabilité d’un Etat n’est pas limitée aux

seules actes ou omissions postérieurs à sa création formelle mais peut aussi s’appliquer à des
comportements antérieurs. Cela est particulièrement évident dans le cas d’Etats in statu nascendi.
Rien ne justifie, dans les circonstances du démembrement de la RFSY, de contester l’application de
ce principe général à la présente affaire. Ensu ite, la Croatie ne prétend pas qu’il existait une

identité de fait entre la RFSY et la RFY (Serbie et Monténégro), contrairement à ce que cette
dernière laisse entendre, et les arguments en ce sens sont dans une large mesure dénués de
pertinence aux fins des questions qui nous occupent ici.

18 a) La RFY (Serbie et Monténégro) a engagé sa responsabilité en tant qu’Etat in statu nascendi
pour les actes de génocide commis en Croatie avant le 27 avril 1992

3.19. La RFY (Serbie et Monténégro) avance deux arguments, sous forme d’alternative, pour

rejeter toute responsabilité à titre d’Etat in statu nascendi. Le premier est que «[l]a notion d’Etat in
statu nascendi n’est pas une notion établie, et il n’existe pas, en droit international, de règle établie

11
Ibid., p. 635-636. - 14 -

sur la responsabilité des «Etats in statu nascendi »». Le second est que «[la] notion «in statu
nascendi» n’a pas sa place dans le contexte de la disso lution de la RFSY et de l’apparition de la
RFY» . En dehors même du fait qu’ils se rapportent clairement l’un et l’autre au fond de l’affaire,

ces deux arguments ne sont pas valables, comme il va maintenant être démontré.

i) Il est bien établi qu’un Etat peut être responsable d’un com
portement antérieur à sa
création officielle

3.20. La RFY (Serbie et Monténégro) a relevé que le principe invoqué par la Croatie se
trouvait reflété dans l’article10 des articles de la Commission du droit international (CDI) sur la
responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite . Les articles de la CDI ont été adoptés

après la date du dépôt du mémoire de la Croatie (14mars2001), et l’Assemblée générale en a
désormais pris note et les a annexés à sa résolution 56/83 du 12 décembre 2001.

3.21. Aux termes du paragraphe2 de l’article10: «Le comportement d’un mouvement
insurrectionnel ou autre qui parvient à créer un nouvel Etat sur une partie du territoire d’un Etat

préexistant ou sur un territoire sous son admini stration est considéré comme un fait de ce nouvel
Etat d’après le droit international.»

3.22. Comme la CDI l’indique clairement dans son commentaire, elle a rédigé le
paragraphe2 de l’article10 sachant que son pr incipe était «généralement accept[é]» en droit
14
international, ainsi qu’il ressort de sentences arbitral es, de la pratique des Etats et de la doctrine .
Ce principe recueille une large adhésion.

19 3.23. Ce principe va dans le même sens que l’approche adoptée par la Cour dans d’autres
contextes. Dans son avis consu ltatif de1971 en l’affaire de la Namibie, par exemple, la Cour

affirmait que «[c]’est l’autorité effective sur un territoire, et non la souveraineté ou la légitimité du
titre, qui constitue le fondement de la responsabilité de l’Etat en raison d’actes concernant d’autres
Etats» . Cette approche suggère également l’ex istence d’une responsabilité à raison d’actes

intervenus avant la déclaration formelle du statut d’Etat, comme l’a indiqué un éminent
commentateur :

«une fois la qualité d’Etat bien établie, il est légitime, tant d’un point de vue juridique
que d’un point de vue pratique , de considérer comme acquise la validation rétroactive
de l’ordre juridique qui a précédé pendant un certain temps la reconnaissance générale

12
Exceptions préliminaires, p. 113.
13Nations Unies, doc. A/CN.4/L.602/Rev.1 (2001).

14Entre autres sources faisant autorité, la CDI cite dans son commentaire les sentences arbitrales rendues dans les
affaires Bolivar Railway Company (Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (RSA) , vol.IX (1903), p.453),
Puerto Cabello and Valencia Railway Company (RSA, vol. IX (1903), p. 513), French Company of Venezuelan Railroads
(RSA, vol. X (1902), p. 354), Dix (RSA, vol. IX (1902), p. 119) et Pinson (RSA, vol. V (1928), p. 353). Le principe a été

affirmé dans le cadre des travaux du comité préparatoire dla conférence de codification de 1930 puis réaffirmé dans
l’affaire Minister of Defence, Namibia v. Mwandinghi 1992 (2) SA 355, p. 360. On trouve aussi des exemples analogues
de reconnaissance dans les affaires Irish Free State Guaranty Safe Deposit Co. , cour supérieure du comté de New
York, mai 1927, A.D. 1925/26, affaire n° 77, p. 100, et Fogarty and Others v. O’Donoghue and Others, cour supérieure
de l’Etat libre irlandais (17décembre 1925) A.D. (1925-6) affaire n°76, p.9(qui faisait elle-mêm e suite à une série
d’affaires antérieure, dont King of the Two Siciliesv. Wilson (1851) 1 Simon 301; U.S.A. v. Prioleau (1865) 35
L. J. Ch. 7 ; 2 H. et M. 559 ; U.S.A. v. McRae (1869) L. R. 8 Eq. 69 ; Republic of Peru v. Dreyfus Bros. & Co. (1888) 38
Ch. D. 348.

15Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 54, par. 118. - 15 -

de l’Etat, dès lors qu’il existait un certain degré de gouvernement effectif…[L]e

principe d’effectivité impose d’admettre, à cer taines fins juridiques à tout le moins, 16
une continuité avant et après que so it fermement établie la qualité d’Etat.»
[Traduction du Greffe.]

3.24. Cette approche se justifie aisément. Il s’avère souvent difficile de dater avec précision
le moment à partir duquel un Etat peut être considéré comme existant aux fins du droit
international, et notamment de sa responsabilité en droit international. Une proclamation formelle,

un acte de reconnaissance ou l’admission en qualité de membre dans une organisation
internationale peuvent constituer des éléments de preuve, mais il existe rarement un consensus
suffisant pour pouvoir se prononcer d’une manière décisi ve en faveur d’une da te particulière. La

date à laquelle un Etat déclare formellement sa propre existence ne doit pas nécessairement être
considérée comme celle à partir de laquelle sa responsabilité internationale peut se trouver engagée.
Autrement, ce serait concéder aux Etats la possibilité de modifier unilatéralement l’étendue de leur

responsabilité internationale, en choisissant de diffé rer ou d’avancer la date à laquelle ils «se font
naître», en quelque sorte.

3.25. Ce facteur est particulièrement pertinent dans la présente affaire. La «proclamation»
formelle qui a créé la RFY (Ser bie et Monténégro) le 27avril1992 n’a pas fait naître un Etat
comme par enchantement. Elle a plutôt forma lisé un ensemble de dispositions d’ordre social,
économique et politique qui, à cette date, étaient dé jà en grande partie en place et reflétaient le

contrôle qu’exerçait déjà concrè tement le gouvernement naissant sur le territoire en question. En
d’autres termes, la proclamation a officialisé une si tuation préexistante. Ce serait faire erreur de
20 considérer cette date comme le moment à partir duquel une responsabilité internationale pouvait

être engagée et attribuée à la RFY (Serbie et M onténégro). Cette responsabilité doit plutôt être
datée du moment à partir duquel les organes de ce qui allait devenir ensuite la RFY (Serbie et
Monténégro) eurent cimenté leur existence distinct ement du reste de la RFSY et se livrèrent à des
activités pouvant avoir une incidence au niveau international. Comme l’indique le mémoire, c’était

manifestement le cas bien avant la date du 27avril1992. Après cette date, les responsables de
l’entité devenue la RFY (Serbie et Monténégro) ont été impliqués directement dans les actes ou
omissions qui se produisaient sur le territoire de la Croatie et allaient conduire celle-ci à déposer sa
17
requête, ainsi que la Croatie l’a démontré dans son mémoire .

3.26. La Croatie a conscience qu’il s’agit là, dans une large mesure, de questions de fait qu’il

faudrait examiner au stade du fond. Les éléments de preuve présen tés par la Croatie sur ces faits
sont éloquents, et n’ont pas été contestés par la RFY (Serbie et Monténégro). Depuis que la
Croatie a déposé son mémoire, de nouveaux élémen ts sont apparus (au cours de la procédure du

TPIY contre M. Milosevic), qui confirment les informations et arguments produits dans le mémoire
de la Croatie et démontrent en outre la participation directe des autorités serbes à ces actes ou
omissions. A ce stade, les exemples cités ci-après le sont uniquement à titre d’illustration :

⎯ Le témoignage de Milan Babic, le premier ministre du gouvernement de la SAO (district
autonome serbe) de Krajina en 1991, qui démontre les liens étroits ayant existé entre la SAO de
Krajina, son «gouvernement» et ses unités militaires et l’armée serbe, le ministère de la

défense, le ministère de l’intérieur et d’autr es ministères du gouvernement de la Serbie. Il
confirme notamment que la Serbie fournissait a ux «districts serbes de Croatie» une assistance
militaire sous la forme de fonds, de matériel et d’équipements ; que la JNA (l’armée populaire
yougoslave) agissait de concert avec la TO (for ces de défense territoriale) de la SAO de

Krajina pour «défendre» certaines municipalités; que la structure du commandement des

16 e
I. Brownlie, Principles of Public International Law, 5 éd., 1998, p. 77-78.
17
Mémoire, par. 8.32 et suiv. - 16 -

factions armées présentes dans le secteur était gérée en para llèle et que «Slobodan Milosevic
chapeautait le tout» ; et, enfin, que les lois serbes étaient appliquées dans la SAO de Krajina, et
non les lois croates. D’après le témoin, à partir du mois d’août1991, la JNA assuma le
18
«commandement» des «opérations conjointes» ;

⎯ le témoignage d’Aleksander Vasiljevic, qui fut général de division du SSNO (Secrétariat
fédéral à la défense populaire) et, de ju illet 1990 à mai 1992, adjoint au chef de
21 l’administration de la sécurité avant de prendre la tête de ce service, puis d’être mis à la retraite

de façon anticipée. En avril 1999, l’intér essé fut nommé adjoint au chef de l’armée de
Yougoslavie, un poste qu’il occupa jusqu’en mars 2000, date à laquelle il fut nommé conseiller
en matière de sécurité auprès du chef de l’Etat-major de l’armée, et est désormais à la retraite

depuis le 31 décembre 2000. Son témoignage dém ontre notamment le rôle et la position de la
JNA vis-à-vis de la défense territoriale, évoquant la JNA et son rôle en Croatie, notamment à

Vukovar, l’armement des Serbes en Cr19tie et le «financement» par la Yougoslavie de
l’«armée» de la SAO de Krajina ; et

⎯ le témoignage de Dragan Vasiljkovic, qui dém ontre les liens étr20ts et les structures de
commandement de la JNA, de la TO de Krajina et de «volontaires» .

3.27. Du mois d’octobre1991 au 22décembre1991, M.MilosavDordevic fut le chef du
groupe de coordination pour la SAO de Krajina et tr availla pour le ministre de la défense de la

Serbie. Il put constater personnellement les liens étroits qui existaient entre les dirigeants serbes et
les actes commis en Croatie à l’automne 1991. Dans la déposition qu’il a faite dans le cadre de la
procédure devant le TPIY, il confirme que, en oc tobre1991, la présidenc e de la RFSY n’était
21
qu’une «présidence croupion» qui avait ordonné aux Républiques de Serbie et du Monténégro de
fournir «un soutien matériel» à la JNA 22, qu’un appui logistique éta it fourni à la TO par le
23
Secrétariat fédéral à la défense de ce qui restait de la RFSY , et qu’il exista des liens étroits entre
le ministère serbe de la défense et la TO de la SAO de Krajina à partir du second semestre de 1991
et par la suite , ainsi qu’entre le groupe de coordination du ministère serbe de la défense et la TO
25
de la SAO de Krajina . La déposition de M. Dordevic démont re clairement que le comportement
de la République de Serbie, entre autres, doit à proprement parler être considéré comme étant un
fait de la RFY, dont l’existence fut proclamée à compter du 27 avril 1992.

22
3.28. D’autres éléments d’information nouvellement disponibles sont venus confirmer les

faits présentés par la Croatie dans son mémoire, m ontrant que des districts de Croatie contrôlés par
les Serbes ont reçu dès 1991 un soutien financier et matériel de la République de Serbie et/ou de ce
qui restait de la RFSY. Ce soutien apporté aux unités militaires serbes ainsi qu’aux organes du

gouvernement civil serbe établis dans ces zones consistait en une aide financière et la fourniture

18Voir l’annexe5: témoignage de Milan Babic dans le cadre de la procédure engagée devant le Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie, 19-21 novembre 2002 et 9 décembre 2002 (extraits).

19Voir l’annexe6: témoignage d’Alek sander Vasiljevic dans le cadre de la procédure devant le Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie, février 2003 (extraits).

20Voir l’annexe8: témoignage de Dragan Vasiljkovi ć dans le cadre de la procédure devant le Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie, février 2003 (extraits).
21
Voir l’annexe10: témoignage de Milosav Dordevic da ns le cadre de la procédure devant le Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie, 6 mars 2003 (extraits), par. 22.
22
Ibid., par. 24.
23
Ibid., par. 31.
24Ibid., par. 32-42.

25Ibid., par. 43-46. - 17 -

d’équipements militaires, de vivres, de personnel et d’une assistance d’experts. Les informations

obtenues font clairement apparaître que le financ ement de l’armée de la Republika Srpska Krajina
résultait d’un plan de financement unique pour l’ensemble des trois armées serbes, à savoir la JNA
(puis la VJ), l’armée de la Republika Srpska Kra jina et l’armée de la Republika Srpska. Ce point

est confirmé et exposé de manière très détaill ée dans le deuxième rappor t d’expert rendu par
Morten Torkildsen dans l’affaire Le procureur c. Milosevic, devant le TPIY . Son rapport indique
clairement que :

«L’accusé, M. Milosevic, fut le président de la République de Serbie de1990
à1997. D’après les documents obtenus par le bureau du procureur, les institutions

gouvernementales de la République de Serbie ont fourni le matériel et les fonds
nécessaires aux districts contrôlés par les Se rbes et/ou en ont facilité la fourniture
en 1991 et 1992.» 27

Les documents sur lesquels M. Torkildsen s’appuie révèlent que, dès le 18 septembre 1991, la SAO
de Krajina demanda au ministère de la défense de la République de Serbie ⎯et en obtint ⎯ de

grandes quantités de munitions, de matériel et d’approvisionnement. Les conclusions de
M. Torkildsen sont sans équivoque :

«Ces documents démontrent que, pendan t la période considérée [1991 et 1992],

les plus hautes instances politiques et militaires de la République de Serbie étaient
mêlées de près aux décisions de fournir d es fonds et du matériel aux districts de
Croatie qui étaient tenus par les Serbes.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

98. Le président de la République de Serbie, c’est-à-dire l’accusé,
M.Milosevic, était directement impliqué dans les décisions de prêter assistance aux
districts de Croatie contrôlés par les Serbes.» 28

3.29. Pour conclure, eu égard aux conclusions énoncées par la Cour dans son arrêt de 1996
au sujet de l’applicabilité de la convention sur le génocide, ainsi qu’aux moyens et aux preuves

présentés par la Croatie, la Cour a compétence pour dire s’il y a eu violation de la Convention à
23 raison d’actes commis au cours du conflit, qu’ils l’ai ent été avant ou après le 27 avril 1992, et les
demandes de la Croatie à cet égard sont recevabl es. Toutes les autres questions se rattachent au

fond de l’affaire.

ii)Leprincipe in statu nascendi est pleinement applicable au cas de la RFY (Serbie et
Monténégro)

3.30. La RFY (Serbie et Monténégro) prétend que «la notion d’Etat in statu nascendi ne
29
trouve à l’évidence pas à s’appliquer en l’espèce» . En dehors même du fait qu’il s’agit
manifestement là d’un point concer nant le fond de l’affaire, cette affirmation de la RFY (Serbie et
Monténégro) ne trouve aucune justification en droit international, et est contredite par les faits.

26Voir l’annexe11: deuxième rapport d’expert de Morten Torkildsen dans le cadre de la procédure engagée
devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (sans annexe confidentielle), 18 novembre 2002, par. 5-10.

27Ibid., par. 89.
28
Ibid., par. 92.
29Exceptions préliminaires, par. 4.2. - 18 -

3.31. Le principal argument avancé par la RFY (Serbie et Monténégro) pour défendre ce
point de vue est que le principe reflété dans l’article 10 des articles de la CDI sur la responsabilité

de l’Etat ne correspond pas aux faits ou événements ayant préludé à sa création. La RFY (Serbie et
Monténégro) estime que l’article 10 se rapporte uniquement au cas des «mouvements de libération
ou mouvements insurrectionnels luttant pour l’indé pendance et finissant par prendre le contrôle

d’un territoire, conte30e radicalement différent de celui de la dissolution de la RFSY et de la
création de la RFY» . A l’appui de cette thèse, elle prét end qu’il n’existait pas de mouvement
dont l’objectif eût été de créer la RFY (Serbie et Monténégro) dans ses frontières actuelles, mais
que les ambitions des intéressés étaient au contrair e plus diverses (créer une grande Serbie ou une

Krajina serbe). Il est clair que la RFY (Serbie et Monténégro) tente ainsi d’établir des distinctions
subtiles reposant essentiellement sur des questions de fait et d’appréciati on, dans un contexte où
pareilles distinctions sont totalement inappropriées. Il est clair aussi que cet argument soulève des
questions de fait et de droit qui se rattachent au fond du différend et ne peuvent pas être traitées

dans la phase des exceptions préliminaires.

3.32. En tout état de cause, l’expression «m ouvement insurrectionnel» n’est manifestement

pas censée s’entendre dans le sens étroit que lui donne la RFY (Serbie et Monténégro). Le
commentaire de l’article 10 dit en effet :

«Il est difficile de donner une définition complète des types de groupes que
couvre l’expression «mouvement insurrectionnel» au sens de l’article 10, en raison du
grand nombre de formes que peuvent prendre en pratique les mouvements
insurrectionnels, selon que les troubles intérieurs sont relativement limités ou que l’on

24 a affaire à une véritable guerre civile, une lutte anticoloniale, l’action d’un front de
libération nationale, des mouvements révolutionnaires ou contre-révolutionnaires,
etc.»31

Le commentaire indique clairement que l’idée essentielle de «mouvement insurrectionnel» est tirée
de diverses définitions, dont celle des «forces armées dissidentes» visées au paragraphe1 de
l’articlepremier du deuxième prot ocole additionnel de 1977 aux c onventions de Genève de 1949,

qui fait référence à «des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous la
conduite d’un commandement responsable, exercent sur une partie d[u] territoire [de l’Etat
concerné] un contrôle tel qu’il leur permette de mener des opérations militaires continues et
concertées».

3.33. Quoi qu’il en soit, d’ailleurs, la question de la définition du «mouvement
insurrectionnel» est surtout pertinente pour les besoins du paragraphe1 de l’article10, qui

concerne les mouvements insurrectionnels visant, au sein d’un Etat existant, à se substituer à son
gouvernement par des moyens inconstitutionnels. Le paragraphe2 de l’article10 a trait à une
catégorie plus vaste de mouvements, d’ordre «insurrectionnel ou autre», qui parviennent à créer un
nouvel Etat, et la CDI fait ressortir cette distinction dans son commentaire.

«Lorsque le mouvement insurrecti onnel ou autre réussit à créer un nouvel
Etat…, l’attribution au nouvel Etat du comportement du mouvement insurrectionnel
ou autre est à nouveau justifiée par la conti nuité entre l’organisation du mouvement et

l’organisation de l’Etat auquel celui-ci a donné naissance. En effet, l’entité qui avait
auparavant les caractéristiques d’un mouve ment insurrectionnel ou autre est devenue
le gouvernement de l’Etat pour la création duq uel elle luttait. L’Etat prédécesseur ne

peut être tenu pour responsable de ces ac tions. La seule possibilité est donc que le

30Ibid., par. 4.9.
31
Commentaire de la CDI sur l’art. 10, par. 9). - 19 -

nouvel Etat soit tenu d’assumer la responsabilité du comportement adopté en vue de sa
32
propre création, et telle est la règle acceptée.»

Il ne saurait faire de doute que le mouvement nati onaliste serbe qui est finalement parvenu à créer
la RFY (Serbie et Monténégro) en tant que nouvel Etat peut être considéré comme un «mouvement

insurrectionnel ou autre» aux fins du paragraphe 2 de l’article 10 des articles de la CDI. Ainsi qu’il
est clairement précisé au chapitre 8 du mémoire de la Croatie :

«a) à partir du milieu de l’année1991, la RFSY cessa d’être un Etat opérationnel et

fut reconnue avec autorité comme étant «en cours de dissolution» ;

25 b) ensuite, et en particulier à partir d’octobre 1991, les organes de gouvernement

pertinents et les autres autorités fédérales de la RFSY cessèrent de fonctionner
comme tels et devinrent des organes et autorités de fait de la RFY [(Serbie et
Monténégro)] naissante qui agissaient sous le contrôle direct des autorités serbes,
incarnées en particulier par le président de la Serbie mais aussi par les

fonctionnaires concernés des ministères de la défense et de l’intérieur ;

c) la JNA cessa d’être l’armée de la RFSY et devint, au début, un organe de fait de

la RFY naissante (constituée par les Républiques de Serbie et du Monténégro) qui
recevait ses instructions directement d es dirigeants serbes et était à leur
service» .3

3.34. Le mouvement qui devait devenir par la suite la RFY (Serbie et Monténégro)
comprenait, entre autres éléments, des group es armés organisés qui, sous la conduite d’un
commandement politique responsable, exerçaient sur une partie du territoire de la RFSY un

contrôle leur permettant de me ner des opérations militaires continues et concertées en Croatie et
ailleurs. En tant que tel, il répond parfaiteme nt à la définition du mouvement insurrectionnel ou
autre qui figure dans le commentaire de l’article 10 des articles sur la responsabilité de l’Etat.

3.35. La RFY (Serbie et Monténégro) insiste beaucoup sur le fait que le mouvement
nationaliste serbe ne se considérait pas comme un mouvement insurrectionnel mais que ses

ambitions étaient soit plus modestes, soit plus vastes. Or, il est clair que la définition du
«mouvement insurrectionnel ou autre» énoncée dans l es articles de la CDI ne prend nulle part en
ligne de compte la manière dont, en fait, le mouvement se caractérise lu i-même; ce qui compte,

c’est simplement qu’il finisse par aboutir à la création d’un Etat indépendant à l’intérieur des
frontières de l’Etat prédécesseur. En ce cas, le fait que le mouvement serbe ait initialement nourri
des ambitions allant au-delà de la création de la RFY (Serbie et Monténégro) est en soi dénué de
pertinence.

32
Ibid., par. 6).
33
Mémoire, par. 8.40. - 20 -

3.36. Il peut être relevé da ns ce contexte que le titre de l’article 10 vise «un mouvement
insurrectionnel ou autre » (les italiques sont de nous). Dans le commentaire, il est clairement

précisé que les termes «ou autre» ont été inclus pour refléter l’existence «d’une 34us grande variété
de mouvements dont l’action peut aboutir à la formation d’un nouvel Etat» .

26 3.37. Ce qui importe, pour l’application du pr incipe, c’est que le mouvement finisse par se
cimenter en un nouvel Etat et qu’il y ait une continuité suffisante, en termes de personnel et
d’organisation, entre le mouvement lui-même et le gouvernement subséquent.

3.38. Autrement dit, l’accent est mis sur le lien factuel entre le mouvement et la formation du

nouvel Etat qui lui fait suite. Cela est souligné au paragraphe4 du commentaire, où il est relevé
que :

«lorsque le mouvement parvient à ses fins, et soit devient le nouveau gouvernement de
l’Etat, soit réussit à créer un nouvel Etat sur une partie du territoire de l’Etat
préexistant…, il serait anormal que le nouv eau régime ou le nouvel Etat ne soit pas
35
tenu pour responsable de ses agissements antérieurs» .

3.39. Comme le dit le commentaire, il serait «anormal» d’écarter la responsabilité de la RFY

(Serbie et Monténégro) à raison d’une conduite tenue ou autorisée par les personnes qui allaient
devenir l’administration et les autorités de l’Etat apparu sous ce nom après le 27 avril 1992. Ainsi
que la Croatie le montre clairement dans son mémoire, la RFY a expressément reconnu les liens

qui existaient entre l’administration d’Etat de l’ex-RFSY et les dirigeants de la République
socialiste de Serbie et de la République socialiste du Monténégro 36. Elle ne conteste pas qu’il
s’agissait des mêmes personn es, et que celles-ci appliquaient les mêmes politiques. Elle n’a pas

davantage contesté la liste de figures politiques et m ilitaires de premier plan illustrant la continuité
et les liens personnels qui existaient entre le milieu de 1991 et la date à laquelle la Croatie a déposé
sa requête, le [2]juillet1999. Cette liste peut être consultée à l’appendice8 du mémoire, dans le

volume 5.

3.40. Dans le contexte des faits exposés par la Croatie concernant les pouvoirs
gouvernementaux assumés de facto par les dirigeants serbes, y compris le contrôle de la JNA et des
groupes paramilitaires serbes, «les politiques et la pratique des autorités serbes de Belgrade
37
témoignent d’une continuité ininterrompue» . Comme le fait apparaître clairement le mémoire :

«à [la] date [du milieu de 1991], les seules autorités organisées et fonctionnant sur le

territoire de l’ex-RFSY qui détenaient la capacité d’assumer les responsabilités
imposées par la convention sur le génoc ide étaient celles des six Républiques
27 constitutives de l’ex-RFSY. Le processus de dissolution fut formellement achevé
38
lorsque le dernier Etat successeur se constitua en tant que nouvel Etat.»

34Commentaire de la CDI, par. 10).

35Commentaire de la CDI, par. 4).
36
Mémoire, par. 8.45.
37
Ibid., par. 8.43.
38Ibid., par. 8.44. - 21 -

Les éléments d’information nouvellement obtenus du TPIY qui ont été évoqués plus haut ne font
que confirmer ce point. La RFY (Serbie et Monténégro) ne saurait prétendre de façon plausible

qu’elle ne peut pas ⎯sur le plan des principes juridiques ⎯ être tenue pour responsable d’actes
commis, autorisés ou encouragés par son gouvernement avant le 27avril1992 au motif que la
RFSY n’aurait formellement cessé d’exister qu’une fois que les autorités de Belgrade eurent
proclamé l’existence d’une nouvelle République fédé rale de Yougoslavie. Les arguments de la

RFY contredisent la position qu’elle défendait à l’époque avec insistance (et qui fut la sienne
jusqu’en octobre2000), à savoir qu’elle assura it constitutionnellement et politiquement la
continuité de l’ex-RFSY. Même s’il est admis à pr ésent qu’il n’y a pas eu de continuité juridique

formelle entre la RFSY et la RFY (Serbie et Monténégro) (ce qui a été la position constante de la
Croatie), cela ne change rien à cette évidence que, en matière de personnel et de politique, il y eut
une continuité de facto considérable entre nombre d’organes importants de la RFSY tombés aux
mains des dirigeants serbes et les organes de la RFY (Serbie et Monténégro) après la création

formelle de cet Etat en avril 1992.

b) La Croatie s’appuie sur le contrôle qu’exerça ient les dirigeants serbes sur les responsables
des atrocités en cause

3.41. Le second moyen invoqué par la RFY (Serbie et Monténégro) pour contester la
«recevabilité» des demandes de la Cr oatie en ce qui concerne les év énements antérieurs au mois
d’avril 1992 est l’absence d’identité de facto entre la RFY et la RSFY. Comme nous l’avons déjà

indiqué, la principale conclusion de la Croatie à cet égard est que cette question a trait au fond de
l’affaire et n’a d’incidence ni sur la compétence de la Cour pour connaître de sa demande, ni sur la
recevabilité de celle-ci. Néanmoins, comme la RFY (Serbie et Monténégro) s’étend

considérablement sur la question dans ses exceptions préliminaires, la Croatie répondra sans détour
à ses arguments, dans l’intérêt de la discussion et sans préjudice de sa conclusion principale.

3.42. La RFY (Serbie et Monténégro) présente trois arguments à l’appui de sa thèse : 1) que

la dissolution de la RFSY fut un long processus qui ne prit fin qu’en juillet 1992 ; 2) que les postes
clés de la RSFY n’étaient pas occupés par des Serb es; et 3)que l’origine ethnique ou territoriale
des titulaires de ces postes n’étaye pas l’allégation d’une identité de facto entre la RSFY et la RFY
(Serbie et Monténégro).

28 3.43. La RFY (Serbie et Monténégro) a mal compris l’argumentation de la Croatie ou s’en
fait une idée fausse. La Croatie ne prétend pas qu’il y ait une identité de facto entre la RFSY et la

RFY (Serbie et Monténégro). La Croatie a touj ours considéré la RFY (Serbie et Monténégro)
comme un Etat successeur, en même temps que les quatre autres Etats ayant succédé à l’ancienne
RFSY, position qui est désormais admise par la RFY (Serbie et Monténégro). Au-delà de ce point
de vue, la Croatie considère que, lors des événements survenus dans l’ancienne RFSY après le

mois d’avril1991, le mouvement nationaliste serbe conduit par le président Milosevic prit le
contrôle de plusieurs organes politiques et militaires parmi les plus importants, notamment la JNA.
Le processus de prise de contrô le de certains organes politiques et militaires de la RFSY avait
commencé dès le mois d’avril1991, si bien que ces organes ne représentaient plus la fédération

tout entière et ne pouvaient plus être considérés comme des organes de la RFSY proprement dite,
laquelle était en cours de dissolution et de déme mbrement. Ces organes devinrent l’administration
de facto de la Serbie, qui officialisa sa position en tant que RFY (Serbie et Monténégro) après

le 2739vril 1992. Dans son mémoire, la Croatie a fourni de nombreuses preuves à l’appui de cette
thèse . Depuis que le mémoire a été déposé, d’autres éléments de preuve allant dans le même sens

39
Voir, par exemple, mémoire, par. 2.105-2.112 et par. 3.02-3.03. - 22 -

sont apparus dans le cadre de l’instance engag ée devant le TPIY contre M.Milosevic. Les
éléments fournis par l’ambassadeur Herbert Okun du Foreign Service des Etats-Unis en sont un
exemple .40

3.44. La Croatie et la RFY (Serbie et Monténégro) ne semblent pas être divisées sur le fait
que la dissolution de la RSFY fut un long processu s, ni que la commission Badinter en confirma
o
l’achèvement le 4juillet1992 (avis n 8). Les Parties se trouvent cependant en désaccord quant
aux conséquences de ce processus, dont la commissi on Badinter avait déjà confirmé qu’il était en
cours à la date du 11 janvier 1992 (avis n 1). La RFY (Serbie et Monténégro) estime que tout acte

accompli par des individus au nom de la RFSY avan t la proclamation de la dissolution de la RFSY
ne peut être attribué qu’à cette entité. C’est faire abstraction de la partition du territoire de
l’ancienne RFSY, intervenue bien avant le mois d’avril1992, et du fait que les dirigeants serbes

avaient pris le contrôle effectif des principaux or ganes de l’ancienne RFSY. La Croatie considère
que la commission Badinter a simplement déclaré et confirmé ce qui avait déjà eu lieu.

3.45. La RFY (Serbie et Monténégro) cherche à déplacer le poids de la responsabilité sur un
Etat qui a cessé d’exister, la RFSY. Elle occulte ai nsi le fait que le personne l qui avait le contrôle

des organes pertinents de l’ancienne RFSY dans la période intermédiaire allait ensuite occuper les
29 mêmes postes, ou des postes similaires, au sein du go uvernement de l’Etat nouvellement créé de la
RFY (Serbie et Monténégro). Et il en découle une interruption de la protection accordée par la

convention sur le génocide, ce qui est en totale contradiction avec l’arrêt rendu par la Cour en 1996
dans l’affaire Bosnie-Herzégovine c. RFY . 41

3.46. Les deuxième et troisième arguments de la RFY (Serbie et Monténégro) concernent la
nationalité des personnes qui avaient le contrôle d es organes en cause (et notamment de la JNA).

Ces arguments 42nt réfutés en tous points par les éléments de preuve qu’a présentés la Croatie dans
son mémoire , et que la RFY (Serbie et Monténégro) ne c onteste pas. Et là encore, ils concernent
à l’évidence le fond de l’argumentation relative sur le contrôle et l’attribution, et ne sauraient être

examinés au stade des exceptions préliminaires de la présente instance. En tout état de cause, la
Cour s’est prononcée directement sur ce point dans son arrêt de 1996 sur la compétence et la
recevabilité dans l’affaire Bosnie-Herzégovine c. RFY :

«Pour ce qui est de la question de savoir si la Yougoslavie a été partie prenante
⎯directement ou indirectement— au conflit ici en cause, la Cour se bornera à

constater que les Parties soutiennent à cet égard des points de vue radicalement
opposés et qu’elle ne saurait, à ce stade de la procédure, trancher cette question, qui
relève clairement du fond.» 43

La situation, dans le cas présent, n’est en rien différente.

3.47. Il convient cependant, même à ce stade, de faire deux observations. D’abord, la RFY
(Serbie et Monténégro) axe principalement son argumentation sur des organes dont le
fonctionnement est sans aucune pertinence pour les demandes considérées. Personne n’a jamais

40
Voir annexe 9: Témoignage de Herbert Okun dans le cadre de la procédure devant le Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie, 26 au 28 février 2003 (extraits).
41
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 595.
42
Mémoire, par exemple les paragraphes 2.105-2.112 et 3.02-3.03.
43CIJ Recueil 1996, p. 595, par. 31. - 23 -

prétendu que la Cour constitutionne lle de la RFSY ou les ambassadeurs de la RFSY en poste à
l’étranger fussent directement ou indirectement impliqués dans les actes ou omissions ayant eu lieu
sur le territoire de la Croatie dans la période qui suivit le mois de septembre 1991, ou que leur

conduite ait eu un rapport44uelconque avec la commi ssion d’actes équivalant à un génocide sur le
territoire de la Croatie .

30 3.48. Ensuite, en choisissant de mettre l’accen t sur les personnes qui étaient nominalement
en position d’autorité, la RFY (Serbie et Monténégro ) ne traduit pas les réalités de la situation, à
savoir le fait que dans bien des cas le contrôle e ffectif était exercé par d’autres agents — lesquels,

comme l’a montré la Croatie, agissaient pour le compte du mouvement nationaliste serbe et allaient
par la suite être directement associés à la création de la RFY (Serbie et Monténégro). S’il est vrai
que, d’un point de vue formel, au moins deux postes importants au niveau fédéral étaient occupées

par des Croates (M.Stjepan Mesic, président de la présidence, et M.Ante Markovic, premier
ministre fédéral), il apparaît également qu’au milieu de l’année 1991 ces derniers avaient perdu
tout pouvoir effectif, notamment le contrôle de la JNA, comme l’expose de manière circonstanciée
45
le mémoire . Le fait qu’ils n’exerçaient plus de contrô le sur la JNA est illustré par les attaques à
la roquette lancées contre la résidence du président à Banski dvori le 7octobre1991 46. Il est à
noter que la RFY (Serbie et Monténégro) ne conteste pas la manière dont la Croatie rend compte

des événements dans son mémoire.

3.49. En outre, le fait que, à des fins diplomatiques, le président de la RFSY participait
encore à des réunions avec les représentants de la CE, entre autres, ou que certains Etats
persistaient encore à croire que la cohésion de la RFSY pourrait être maintenue sur le plan politique

(comme l’indiquent les exceptions préliminaires de la RFY (Serbie et Monténégro), p.101-103)
n’est pas pertinent. Cet élément n’influait guère sur les réalités de la situation (comme le montre,
par exemple, la déclaration faite par la Communauté européenne le [6] octobre 1991, indiquant que

ses ministres n’étaient pas disposés à reconnaître des décisions prises par un organe qui ne pouvait
prétendre parler au nom de la Yougoslavie dans son ensemble) 47, et ne saurait altérer le fait qu’ils
n’avaient en réalité aucun contrôle sur le conflit qui s’étendait d’un bout à l’autre de la RFSY et

que la JNA était omniprésente dans le conflit et dans les actes de génocide commis. La RFY
(Serbie et Monténégro) semble cependant admettre que même les membres des organes éloignés de
la RFSY, tels que le personnel d es missions étrangères et le chef de la mission de la RFSY auprès

de l’ONU à New York, furent remplacés au «début de l’année 1992» et, dans de nombreux cas,
bien avant la création de la RFY (Serbie et Monténégro). C’est là un autre exemple du processus
de mainmise systématique des dirigeants serbes sur les organes de la RFSY —processus qui,

naturellement, ne pouvait pas s’accomplir d’un seul coup et qui, en fait, était en cours depuis assez
longtemps.

44La RFY (Serbie et Monténégro) se montre très sélectivedans le choix de ces organe s. Par exemple, elle ne
s’interroge pas sur les dirigeants ou l’affiliation desces de la JNA qui opéraient en fait en Croatie aux dates
considérées, et elle ne conteste pas les nombreuses preuves présentées par la Croatie attestant que ces forces étaient
contrôlées essentiellement par les dirigeants serbes de Belgrade: mémoire, chapitre 3. Au contraire, la RFY (Serbie et
Monténégro) met l’accent sur des organes — tels que le minist ère des affaires étrangères et la Cour constitutionnelle —

qui ne sont en aucune manière impli qués dans les atrocités en question. Même si l’on admet que la Cour
constitutionnelle n’a pas continué à fonctionner pendant cette pé riode, et même si son souci était de préserver le système
constitutionnel de la RFSY, cela n’aide pas à déterminer la RFY était responsable des actes commis par la JNA en
Croatie à l’époque, ou si elle contrôlait effectivement d’autres organes importants de la RFSY. Il est pertinent de noter à
cet égard que la RFY ne produit aucune information concer nant la mesure dans laquell e les décisions de la Cour
constitutionnelle étaient respectées ou appliquées.
45
Mémoire, par. 2.105-2.112.
46Voir articles de Slobodnna Dalmacija (8 octobre 1991) et Večernji list (8 octobre 1991), annexe 7.

47Voir annexe 12, déclaration de la Communauté européenne concernant la présidence de la RFSY, adoptée lors
de la réunion informelle des ministres des affaires étrangères à Haarzuilens, le [6] octobre 1991. - 24 -

31 3.50. Malgré ses quelques assertions et efforts pour obscurcir la question, la RFY (Serbie et

Monténégro) laisse en substance incontestés la pl upart les éléments de preuve présentés par la
Croatie dans son mémoire. Elle ne conteste not amment pas que la JNA était sous le contrôle
effectif des dirigeants serbes (m entionnant simplement que le président (Stepjan Mesic) en était
officiellement et nominalement le commandant en ch ef). Elle ne conteste pas, par exemple, le fait

que les Serbes finirent par prendre le contrôle des organes et institutions de l’ancienne RFSY, mais
indique simplement que, dans certains cas, cela ne se produisit qu’au début de l’année 1992 (et
non, on le notera, le 27avril1992). En outre, e lle fournit très peu d’éléments à l’encontre des

allégations de la Croatie selon lesquelles la J NA elle-même répondait positivement au contrôle
exercé par les dirigeants serbes. En un mot, il n’y a guère d’éléments dans ses exceptions
préliminaires qui viennent ébranler les faits essen tiels cités par la Croatie pour mettre en évidence
la responsabilité de la RFY (Serbie et Monténégro) dans les atrocités commises en territoire croate.

3.51. Sans vouloir s’étendre sur ce point, la Croatie tient à nouveau à souligner que tous ces

aspects touchent à des questions qui ne peuvent pas être examinées utilement au stade des
exceptions préliminaires, car elles mettent en jeu des points de fait précis et relèvent manifestement
du fond.

c) La Cour est compétente pour connaître du manquement de la RFY (Serbie et Monténégro) à
son obligation d’empêcher et de punir les viola tions des articles II et III de la Convention,
quelle que soit la date à laquelle celles-ci ont été commises

3.52. Les demandes de la Croatie couvrent le fait que la RFY (Serbie et Monténégro) a
manqué à son obligation d’empêcher et de punir les vi olations des articles II et III de la convention

sur le génocide.

3.53. Comme il ressort clairement du mémoire de la Croatie 4, la responsabilité des

violations de la convention sur le génocide y est imputée à la RFY (Serbie et Monténégro) pour
deux motifs principaux. Premièrement, les actes génocidaires en cause sont attribuables à la RFY
(Serbie et Monténégro) 49. Deuxièmement, la RFY (Serbie et Monténégro) a manqué à son
obligation d’empêcher et de punir les violations des articles II et III de la convention sur le
50
génocide .

3.54. L’article premier de la convention sur le génocide oblige les Etats à prendre, dans la

mesure de leurs moyens, toutes les dispositions nécessaires pour faire en sorte que les personnes
relevant de leur juridiction, ou soumises à leur contrôle, ne co mmettent pas d’actes de génocide.
Cela impose aux Etats une obligation positive de prendre les mesures nécessaires non seulement

32 pour empêcher la commission d’actes de génocide, mais aussi pour en punir les auteurs.
L’articleIV de la Convention dispose: «Les personnes ayant commis le génocide ou l’un
quelconque des autres actes énumérés à l’article III seront punies, qu’elles soient des gouvernants,

des fonctionnaires ou des particuliers.»

3.55. Nonobstant la disposition de l’article IV, la RFY (Serbie et Monténégro) n’a pris

aucune mesure pour juger et punir les auteurs de l’un quelconque des actes de génocide énoncés
dans le mémoire. Les actes en question avaient un caractère génocidaire, que la RFY (Serbie et
Monténégro) existât ou non ou qu’elle en fût ou non juridiquement responsable à l’époque où ils

48Mémoire, par. 8.32-8.70.
49
Ibid., par. 8.32-8.55.
50
Ibid., par. 8.56-8.70. - 25 -

ont été commis. La dissolution imminente de la RFSY ne faisait pas de ces actes un comportement
innocent ni n’en modifiait le caractère criminel et génocidaire: comme la Cour l’a souligné

en1951, et à nouveau en 1996, l’interdiction frapp ant le génocide a un caractère universel. La
RFY (Serbie et Monténégro) a négligé de prendre la moindre mesure pour juger et punir les auteurs
du génocide, malgré le fait que la plupart d’entre eux étaient ⎯ et demeurent ⎯ connus des

autorités et qu’ils se trouvaient ⎯et se trouvent encore ⎯ sur son territoire ou dans un territoire
sous son contrôle. Il a été ainsi non seulement pour ceux qui occupaient des positions de haut rang,
mais aussi dans le cas de personnes privées (agiss ant au sein des groupes paramilitaires), de leurs
chefs, et des officiers et soldats de la JNA.

3.56. Les articles I et IV de la conventi on sur le génocide imposent aux Etats parties des
obligations continues, de sorte que chaque Etat partie est tenu de traduire en justice les auteurs d’un

génocide quel que soit le moment où le comporteme nt en cause a eu lieu. La RFY (Serbie et
Monténégro) continue à violer cette obligation ch aque jour où elle s’ab stient de prendre des
mesures pour poursuivre et punir ceux qu’elle sait êt re responsables des actes en question. En
conséquence, à supposer même que la responsabilité directe de la RFY (Serbie et Monténégro) ne

soit pas engagée en vertu de la Convention au t itre du comportement en question, au motif qu’il
s’agit d’actes antérieurs à avril1992, date de la création officielle de la RFY (Serbie et
Monténégro), il n’en va pas de même pour la responsabilité qu’elle encourt après cette date pour
avoir manqué d’en traduire les auteurs en justice.- 26 - - 27 -

33 C HAPITRE 4

L A REQUÊTE EST RECEVABLE ET N EST PAS SANS OBJET RELATIVEMENT AUX MESURES
DEMANDÉES CONCERNANT LA TRADUCTION EN JUSTICE DES RESPONSABLES ,LES
PERSONNES PORTÉES DISPARUES ET LES BIENS CULTURELS

4.1. Aux termes de la troisième exception préliminaire de la RFY (Serbie et Monténégro)
(présentée avec la précédente à titre subsidiaire), certaines parti es des demandes de la Croatie
seraient irrecevables et devenues sans objet . Cette assertion vise les demandes de la Croatie

concernant :

⎯ la traduction en justice de certaines personnes rele vant de la juridiction de la RFY (Serbie et
Monténégro) ;

⎯ la communication d’informations sur le sort des citoyens croates portés disparus ; et

⎯ la restitution de biens culturels.

Pour les raisons exposées ci-dessous, la Croatie soutient que ces demandes ne sont (à une exception
près) ni irrecevables ni dénuées d’objet et ne devraient pas être rejetées par la Cour.

T RADUCTION EN JUSTICE DES RESPONSABLES

4.2. Au paragraphe 2 a) de ses conclusions, la Croatie demande à la RFY (Serbie et
Monténégro)

«[de] prendre sans délai des mesures effi caces pour traduire devant l’autorité
judiciaire compétente ses citoyens ou d’autres personnes se trouvant sous sa
juridiction sur lesquels pèse une très forte présomption d’avoir commis les actes de

génocide visés à l’alinéa a) du paragraphe 1, ou l’un quelconque des autres actes visés
à l’alinéa b) du paragraphe1, et en particulier l’ancien président de la République
fédérale de Yougoslavie SlobodanMilosevic, et de veiller à ce qu’ils soient dûment

sanctionnés à raison de leurs crimes s’ils sont déclarés coupables».

34 La RFY (Serbie et Monténégro) oppose deux arguments à cette demande. Le premier est que, la
convention sur le génocide ne permet pas de présenter une demande mettant en cause la

responsabilité de la RFY (Serbie et Monténégro) po ur violation de la Convention et que le cadre
juridique approprié pour les demandes de la Croatie est celui de procédures pénales dirigées contre
des individus. Le second argument de la RFY (Serbie et Monténégro) est que, Slobodan Milosevic
ayant depuis lors été déféré au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), la

demande est devenue sans objet. La Croatie est ime que les deux arguments sont sans fondement,
qu’ils ne sont étayés par aucune source faisant autorité et qu’ils devraient être rejetés par la Cour.

4.3. En ce qui concerne le premier argument, l’intitulé complet de la convention sur le
génocide indique clairement qu’elle a pour objet la «prévention et la répression» du génocide.
L’article premier impose aux Etats parties une obligation positive d’atteindre cet objectif et exige à

cette fin que des poursuites pénales soient engag ées contre les personnes accusées de génocide.
Selon l’article VI, ces poursuites peuvent être engag ées devant un tribunal compétent de l’Etat où
le crime a été commis (en l’occurrence, la Croa tie) ou devant un tribunal pénal international

1
Exceptions préliminaires, par. 5.5, 5.11, et 5.18. - 28 -

2
compétent (en l’occurrence, le TPIY) . L’instance introduite par la Croatie, et particulièrement la
conclusion ci-dessus, visent les personnes qui n’ont pas été déférées à la justice en Croatie ou
devant le TPIY.

4.4. Dans l’affaire relative à l’ Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.Yougoslavie) , la Yougoslavie a concédé

que l’article[IX] de la convention sur le génocide couvre «la responsabilité découlant du
manquement d’un Etat à ses obligations de prévention et de répression telles qu’envisagées aux
articlesV, VI et VII» 3. La Cour a accepté cette proposition et a précisé que l’articleIX de la
4
Convention «n’exclut aucune forme de responsabilité de l’Etat» . Il ne saurait faire de doute que la
requête de la Croatie rentre précisément dans le cadre envisagé par la Cour. Ce que soutient la
Croatie, c’est justement que le manquement de la RFY (Serbie et Monténégro) à l’obligation de

déférer à un tribunal compétent toutes les pe rsonnes en question engage sa responsabilité
internationale en vertu de la convention sur le génocide. Eu égard à l’approche adoptée par la Cour
dans son arrêt de 1996, la position de la RFY (Serbie et Monténégro) est indéfendable.

4.5. En ce qui concerne le deuxième argument, la Croatie donne acte à la RFY (Serbie et

35 Monténégro) des mesures concrètes qu’elle a prises pour déférer Slobodan Milosevic au TPIY. La
Croatie note également avec satisfaction que la RFY (Serbie et Monténégro) a conclu avec le TPIY
un acte de coopération et qu’elle lui a transféré un certain nombre d’autres personnes. La Croatie

reconnaît qu’à l’égard de ces personnes le paragraphe 2 a) de ses conclusions est désormais sans
objet.

4.6. Cela dit, sa conclusion 2 a) ne visait pas uniquement M.Milosevic. Elle se référait à
M. Milosevic «en particulier». Il reste un nombre regrettablement élevé d’autres personnes censées

relever de la juridiction de la RFY (Serbie et Monténégro) qui n’ont été ni livrées au TPIY, ni
traduites en justice en RFY (Serbie et Montén égro), ni remises à la Croatie pour répondre d’actes
ou omissions ayant donné lieu sur le territoire de la Croatie aux actes de génocide qui font l’objet

de la présente instance. Parmi ces personnes fi gurent des officiers de la JNA, un des exemples les
plus flagrants étant celui du chef de bataillon V eselin Slivancanin dont la conduite à l’hôpital de
Vukovar en novembre 1991 est restée impunie, ains i que des autres officiers responsables de

l’offensive de la JNA à Vukovar et de la «libération» de Vukovar par la JNA, qui furent décorés au
lieu d’être sanctionnés. En ce qui concerne ces personnes et d’autres qui sont citées dans le
mémoire, le paragraphe 2 a) des conclusions de la Croatie n’est certainement pas «sans objet»

(moot).

4.7. En anglais britannique, le qualificatif «moot» s’applique à quelque chose de contestable,

ou de discutable, alors qu’en anglais américain, ce terme signifie «sans importance pratique,
devenu abstrait ou purement théorique» . C’est cette dernière acception qu’avait en vue la Cour

2
Statut du TPIY, articles 4 et 9. Le TPIY a la prima uté sur les tribunaux concurremment compétents (Statut du
TPIY, alinéa 2) de l’article 9).
3
Affaire relative à l’ Application de la convention pour la ption et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996, p. 616, par. 32.
4 Ibid.

5 Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court (deuxième édition revisée de 1985), p. 309,
note 1. - 29 -

6
lorsqu’elle a examiné la question de la mootness (absence d’objet) . Par «mootness» il faut
entendre que «les circonstances sont telles que, que lle que soit la réponse apportée à la question,
7
cela ne changera rien au résultat» .

4.8. Une question peut devenir «moot» — perdre son objet — de plusieurs manières.
Prenons l’exemple d’un Etat demandeur qui fonde la compétence sur plusieurs bases différentes;

une fois la compétence établie sur l’une de ces bases, les autres bases de compétence invoquée8 —
36 dans la mesure où elles s’appliquent au même différend —perdent leur objet . Une exception
d’incompétence peut être sans objet si la demande est jugée irrecevable . On peut également parler

d’absence d’objet lorsque sont soumises à la Cour des questions qui se cumulent et que la réponse à
une question ultérieure dépend d’une réponse partic ulière à une question antérieure. Si cette
10
réponse n’a pas été donnée, la question ultérieure n’a plus d’objet .

4.9. Dans l’affaire du Cameroun septentrional, la Cour a examiné la question de l’absence
d’objet dans la perspective de sa fonction judici aire. La Cour a estimé que cette fonction ne
consistait à dire le droit «qu’à l’occasion de cas co ncrets dans lesquels il existe, au moment du

jugement, un litige réel impliquant un conflit d’intérêts juridiques entre les parties». S’agissant des
personnes citées plus haut au pa ragraphe4.6, il existe manife stement un «litige réel». Selon

l’optique de la Cour, son arrêt «doit avoir des conséquences pratiques en ce sens qu’il doit pouvoir
affecter les droits ou obligations juridiques existants des parties, dissipant ainsi toute incertitude
dans leurs relations juridiques» 1, et il faut qu’elle soit en mesure de rendre un arrêt «susceptible
12
d’application effective» .

4.10. Dans l’affaire du Cameroun septentrional, l’extinction de l’accord de tutelle (en raison
de laquelle aucune décision de la Cour, quelle qu’elle fût, n’aurait pu avoir d’effet pratique par la

suite) avait eu lieu avant même l’introduction de l’ instance judiciaire par le Cameroun et coïncidé
avec le transfert définitif et irréversible du terr itoire concerné au Nigeria — transfert qui répondait
aux vŒux exprimés par la population concernée. Cette situation est très éloignée de celle qui existe

dans la présente espèce, où les questions de res ponsabilité restent d’actualité et où les questions du
jugement et de la sanction revêtent un caractère d’urgence. Aucun élément lié à la proclamation

officielle de la RFY le 27 avril 1992 n’a eu d’«effe t juridique définitif» quant à l’application de la
convention sur le génocide. On ne voit pas non plus que les motifs sur lesquels est fondée la

6
Le juge Fitzmaurice s’est penché sur l’usage américain, dans lequel le terme s’applique «à une affaire ou à une
demande qui est, ou est devenue, inutile et sans objet». Affaire du Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni),
C.I.J. Recueil 1963, p. 97, note de bas de page 1 (opinion individuelle du juge Fitzmaurice).
7
Hugh Thirlway, «Reflections on the Articulation of International Judicial Deci sions and the problem of
«Mootness»», in Ronald St John MacDonald (ed.), Essays in Honour Of Wang Tieya (1994), p. 803.
8
A l’inverse, «dès lors qu’il est établi que la demande en revision ne remplit pas l’une des conditions de
recevabilité prévues, la Cour n’a pas à aller plus loin et à se demander si les autres sont satisfaites». Demande en revision
et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne)
(Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 207, par. 29.
9
Affaire de l’ Interhandel (Suisse c. Etats-Unis), C.I.J. Recueil 1959 , p. 29 (l’invocation de la réserve Connally
était sans objet tant que n’avaient pas été épuisés, avec succès, les recours internes).
10
Telle a été la position du Tribunal arbitral dans l’affaire relative àSentence arbitrale du 31juillet1989
(Guinée-Bissau c.Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 1991 , p.60, par.17; voir Hugh Thirlway, «Reflections on the
Articulation of International Judicial Decisions and the pr oblem of «Mootness»», in Rona ld St John MacDonald (ed.),
Essays in Honour Of Wang Tieya (1994), p. 793.

11Affaire du Cameroun septentrional (Cameroun c.Royaume- Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1963, p. 33-34.
12
Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court (deuxième édition revisée de 1985), p. 310. - 30 -

13
37 demande aient cessé d’exister après que la procédure a été engagée . Dans l’affaire des Essais
nucléaires, la majorité de la Cour avait estimé que tel ét ait le cas, concluant que, compte tenu de la
déclaration unilatérale de la France (de mettre fin aux essais nucléaires dans l’atmosphère), «la

demande présentée par l’Australie ne comport[ai14 plus d’objet». D’après la Cour, «aucune autre
constatation n’aurait [eu] de raison d’être» , et «le différend a[vait] disparu parce que l’objet de la
demande a[vait] été atteint d’une autre manière» 15. Il n’en va pas de même dans le cas des

personnes qui n’ont pas encore été livrées par la RFY. On ne peut pas dire qu’en l’espèce la Cour
aurait à «traiter [de] questions dans l’abstrait» et que, «[l]a demande ayant manifestement perdu
son objet, il n’y a rien à juger» .6

4.11. Le fait, très simple, est qu’il reste encore des personnes qui n’ont été déférées n
i à un
tribunal compétent en Croatie ni au TPIY pour répondre des actes ou omissions faisant l’objet de la

présente instance. Il existe toujours un litige entr e la RFY (Serbie et Monténégro) et la Croatie au
sujet de ces personnes. La demande de la Croatie a toujours un objet et la Croatie entend présenter
ses arguments sur ces différents points au stade du fond. En conséquence, la conclusion du

paragraphe 2 a) n’est pas «moot».

P ERSONNES PORTÉES DISPARUES

pA.ra. 2phe b) de ses conclusions, la Croatie demande à la RFY (Serbie et

Monténégro) de :

«communiquer sans délai au demandeur toutes les informations en sa possession ou

sous son contrôle sur le sort des ressorti ssants croates portés disparus à la suite des
actes de génocide dont elle s’est rendue responsable et, de plus généralement, coopérer
avec les autorités de la République de Croatie en vue de déterminer conjointement ce

qu’il est advenu de ces personnes disparues ou de leurs dépouilles».

4.13. La RFY (Serbie et Monténégro) prétend que cette conclusion n’entre pas dans le

champ d’application de la convention sur le génocide. Elle ne four nit toutefois aucune explication
ou raison à l’appui de cette allégation.

4.14. Dans son mémoire, la Croatie indique les raisons pour lesquelles sa conclusion s’inscrit
incontestablement dans le cadre de la Convention . La RFY (Serbie et Monténégro) n’a pas relevé

38 ces arguments. La situation actuelle est exposée en détail dans les lettres du colonel Grujić du
bureau des personnes détenues et portées disparues de la République de Croatie, qui figurent aux
annexes 1 et 2 des présentes observations écrites. Elles confirme
nt que la RFY (Serbie et

Monténégro) dispose d’informations et de documents sur un grand nombre de personnes disparues,
notamment celles détenues dans des prisons et des camps de concentration situés en RFY (Serbie et

13
Administration du prince von Pless (Allemagne c. Pologne), demande en indication de mesures conservatoires,
ordonnance du 11 mai 1933, C.P.J.I. série A/B n° 54 , p. 150. La Cour donna acte du fait que les motifs de la requête
étaient venus à disparaître et qu’un accord avait été conclu entre les Parties sur un règlement du différend, et que
l’Allemagne avait, par conséquent, retiré sa demande.
14
Essais nucléaires (Australie c. France), C.I.J. Recueil 1974, par. 56.
15
Ibid., par. 55.
16Ibid., par. 59.

17Mémoire, par.8.71-8.79. Voir aussi le par.4.06 qui donne le nombre des personnes portées disparues en
Slavonie orientale; d’autres références à des personnes portées disparues figurent aux par.4.28, 4.36, 4.42, 4.43, 4.73,
4.94. Pour d’autres régions, voir, entr e autres, les par.5.04, 5.16, 5.34, 5.79, 5.83, 5.5.152, 5.160, 5.220,
5.237. - 31 -

Monténégro) et dans les anciens territoires occupés de Croatie et qu’à ce jour seuls les restes de
vingt-six personnes ont pu être retrouvés grâce à la coopération de la RFY (Serbie et Monténégro)
avec la Croatie. Mille trois cent neuf personnes restent introuvables.

4.15. Comme nous l’avons indiqué plus haut, da ns son arrêt de 1996, la Cour a admis qu’il
pouvait être approprié d’engager une procédure mettant en cause la responsabilité de l’Etat pour

violation de la convention sur le génocide. Ces procédures peuvent aussi viser la responsabilité des
disparitions de personnes et le devoir de communique r des informations sur leur sort. Une clause
compromissoire —tel l’article IX de la conven tion sur le génocide— donnant compétence à la

Cour pour connaître d’un différend sur l’interpré tation et l’application d’un traité établit sa
compétence pour accorder les réparations voulues 18. Dans l’affaire relative au Personnel
diplomatique et consulaire , par exemple, où la Cour a stat ué en application d’une clause

juridictionnelle similaire, la Cour a ordonné la cessation de la détention des otages, la mise à
disposition de moyens de transport sûrs et — ce qui est le plus pertinent pour la présente espèce —
la remise des biens qui appartenaient à l’ambassad e des Etats-Unis à Téhéran et à leurs consulats
19
[en Iran] . A l’instar des protocoles de signature facultative à la convention de Vienne sur les
relations diplomatiques et à la convention de Vie nne sur les relations cons ulaires (en cause dans
l’affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire), l’article IX de la convention sur le

génocide ne limite pas les réparations qui peuvent être accordées. La RFY (Serbie et Monténégro)
n’a pas expliqué en quoi la communication d’info rmations sur le sort des personnes disparues ne

constituerait pas une rép20ation appropriée, eu égar d à la nécessité de donner effet à l’objet et au
but de la Convention . La Croatie estime que la comm unication de ces informations —qui
concernent plus d’un millier de personnes disparues — est une réparation entièrement justifiée.

39 4.16. La RFY (Serbie et Monténégro) affirme que la conclusion 2 b) est elle aussi sans objet,
en raison de la coopération qui est actuellement en cours entre la RFY (Serbie et Monténégro) et la

Croatie aux fins de découvrir ce que sont devenues les personnes disparues. Témoignent de cette
coopération, notamment, un protocole de 1996 signé en la matière entre la commission
gouvernementale de la RFY sur les questions hu manitaires et les personnes disparues et la
21
commission du Gouvernement croate pour les personnes détenues et disparues et l’accord
de1996 sur la normalisation des relations entre la RFY et la République de Croatie, ainsi que les
mesures prises en vertu de ces accords. Pour la RFY (Serbie et Monténégro), ces accords montrent

que «[l]a forme que doit prendre la poursuite de ces efforts n’est pas celle d’un différend devant la
Cour internationale de Justice» et que la conc lusion de la Croatie est donc irrecevable et sans
objet . La Croatie n’est pas de cet avis.

4.17. Le fait que deux Etats ont conclu des accords de coopération au sujet d’un aspect

particulier d’une affaire soumise à la Cour ne priven t pas d’objet cet aspect de la procédure. Dans
l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries, par exemple, l’Islande et le Royaume-Uni
conclurent un accord provisoire après que la Cour se fut déclarée compétente. Cela offrait au

Royaume-Uni certaines garanties provisoires. L’accord était muet sur la question de la compétence

18
Christine Gray, Judicial Remedies in International law (1990), p. 61.
19
Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c.Iran), arrêt, C.I.J.
Recueil 1980, p. 44, par. 95.
20Sir Hersch Lauterpacht a fait valoir que, s’agissant de la définition des réparations, le principe de l’efficacité est

essentiel: «Une interprétation qui obligerait la Cour à arrêter à la simple constata tion que la Convention a été
inexactement appliquée…, sans pouvoir fixer les conditions dans lesquelles les droits conventionnels lésés peuvent être
rétablis, irait à l’encontre du but plau sible et naturel de la dispThe Development of International Law by the
International Court, p. 246.
21
Exceptions préliminaires, annexe 53, protocole de 1996, articles 2 et 5.
22Exceptions préliminaires, par. 5.11. - 32 -

de la Cour ou sur celle d’une éventuelle renonc iation à de quelconques prétentions. La Cour en

conclut qu’il était clair que le différend existait toujours. L’accord ne devait pas non plus être
considéré comme interdisant la poursuite de la procédure, ni comme censé établir la position
juridique de l’un ou l’autre pays à l’égard de sa demande. Pour reprendre les termes de la Cour :

«Ayant pour premier devoir de s’acquitter de sa fonc tion judiciaire, la Cour ne doit pas refuser de
statuer pour la simple raison que, tout en mainte nant leurs positions juridiques, les Parties ont
conclu un accord ayant notamment pour objet de prévenir la continuation d’incidents.» 23

4.18.La situation n’est pas différente dans la présente espèce. Les deux accords conclus

en1996 par la Croatie et la RFY (Serbie et Monténégro) n’étaient pas censés établir —et ils
n’établissent pas — de quelque manière que ce soit la recevabilité de la requête de la Croatie. Rien
dans ces accords ne tend à limiter la procédure e ngagée par la Croatie en juillet 1999 ni à influer

sur elle. D’ailleurs, les accords sont antérieurs à cette procédure. Avec tout le respect dû à la Cour,
il ne serait guère plausible de dire que des accords conclus troisans auparavant sur une question
connexe mais juridiquement distincte interdisaient à la Croatie de présenter ses demandes.

40 4.19. Conclure différemment compromettrait les efforts de coopération déployés par les Etats
parallèlement à la présente procédure judiciaire. Ce point ressort clairement de la jurisprudence de

la Cour. Dans l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries , par exemple, la Cour a
considéré que décider de ne pas statuer en raison de l’accord provisoire passé par les parties
découragerait les Etats de conclure leurs propres arrangements et serait contraire à l’obligation de
24
règlement pacifique des différends et de maintien de la paix et de la sécurité internationales .

4.20. De même, dans l’affaire LaGrand, la Cour a considéré que ni l’exécution des frères

LaGrand, ni les assurances données par les Etats- Unis quant aux «mesures concrètes» qu’ils
prenaient pour empêcher toute répétition de la violation commise, ne rendaient l’affaire irrecevable
ou ne la privaient de son objet. La Cour a déclaré que

«si, dans le cadre d’une instance, un Etat fait référence de manière répétée devant la
Cour aux activités substantielles auxquelles il se livre aux fins de mettre en Œuvre

certaines obligations découlant d’un traité, ce25 traduit un engagement de sa part de
poursuivre les efforts entrepris à cet effet» .

S’agissant de la coopération entre la RFY (Serbie et Monténégro) et la Croatie pour retrouver la
trace des personnes disparues, bien qu’elle ne soit pas présentée sous l’angle du respect de la
convention sur le génocide, le même pr incipe s’applique. Dans l’affaire LaGrand, la Cour a aussi
admis que les informations communiquées par les Etats-Unis ne pouvaient pas «fournir l’assurance

qu’il n’y aura[it] plus jamais de manquement des autorités des Etats- Unis à l’obligation de
notification prévue à l’article 36 de la convention de Vienne». Elle a ajouté «qu’aucun Etat ne
pourrait fournir une telle garantie» .26

23Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 19, par. 38.
24
Le juge Nagendra Singh a estimé que la conclusi on d’accords provisoires ne pouvait en aucune manière
empêcher la Cour de statuer sur les conc lusions du demandeur; autrement, cela péna liserait l’Etat qui tente de prévenir
les frictions. Affaire de la Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c.Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil
1974, p. 42.
25
Affaire LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, par. 124.
26Ibid. - 33 -

4.21. Dans la présente espèce, un différend persis te entre les Parties quant à l’interprétation
et l’application de la convention sur le génocide pour ce qui concerne la communication
d’informations sur le sort des personnes portées disparues. L’objet de la requête de la Croatie est la

communication elle-même de ces informations, et non la coopération aux fins d’obtenir de telles
informations.

4.22. Malgré un certain degré de coopé ration, la question de la communication
d’informations sur les personnes disparues deme ure pressante. Les informations dont semble
disposer la RFY (Serbie et Monténégro) n’ont pas été communiquées et le différend reste donc tout

41 à fait d’actualité. C’est ce qui ressort clairement, par exemple, des deux déclarations faites par le
colonel Gruji ć, qui dirige le bureau des personnes déte nues et disparues de la République de
Croatie. Dans sa première déclaration, le colonel Gruji ć indique clairement qu’un certain nombre

de questions restent en suspens avec la RFY (Serbie et Monténégro) et que celle-ci dispose
«d’informations et de documentation sur un grand nombre de personnes portées disparues,
notamment celles qui étaient détenues dans des pr isons et dans des camps de concentration en
27
[RFY], [et] dans les territoires ancienneme nt occupés de la Ré publique de Croatie» . Selon le
colonel Grujić, à la date du 17janvier2003, un tota l de quelque 1309 personnes étaient toujours
portées disparues . La liste de toutes les personnes portées disparues figure à l’annexe 3.

4.23. Comme dans l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries, les parties, motivées

en l’occurrence par l’urgence qu’il y avait à s’info rmer du sort des personnes disparues, ont jugé
nécessaire de conclure leurs propres arrangements, et ce notamment dans l’intérêt des familles. De
telles mesures peuvent contribuer à éviter de nouvell es frictions. Toutefois, le protocole de1996
29
ne vise que la communication des «informations disponibles» . Il n’engage pas la RFY (Serbie et
Monténégro) à se renseigner sur le sort des pers onnes disparues, conformément aux obligations
découlant de la convention sur le génocid e et comme la Croatie, au paragraphe2 b) de ses
conclusions, demande à la Cour de l’exiger. Les arrangements conclus entre les Parties le sont sans

préjudice de leurs droits, y compris ceux qui sont liés aux obligations découlant de la convention
sur le génocide.

4.24. La Croatie n’allègue ni n’infère un quelconque manque de coopération future en la
matière de la part de la RFY (Serbie et Monténég ro). Cependant, rien ne garantit que le protocole

restera en vigueur ni que les effe ts de son application seront satisfaisants et répondront à l’objet de
la conclusion 2 b). Dans ces conditions, cette conclusion con serve son objet ; la Croatie considère
même, respectueusement, qu’elle reste d’une grande pertinence pour l’issue de la procédure dans
30
son ensemble , et que, par conséquent, cet aspect de la demande de la Croatie n’est pas devenu
sans objet.

27
Annexe 1, déclaration du colonel Gruji ć, bureau des personnes détenues et disparues, République de Croatie,
17 janvier 2003.
28
Ibid. Voir aussi annexe 2, déclaration du colonel Grujć, bureau des personnes détenues et disparues,
République de Croatie, 26 février 2003.
29Exceptions préliminaires, annexe 53, protocole de 1996, articles 2 et 5.

30Dans l’opinion dissidente commune join te à l’arrêt rendu en l’affaire des Essais nucléaires, il est indiqué que
conclure à l’absence d’objet d’une affaire est une autre ma nière de dire que, pour le de mandeur, l’action «ne présente
plus… aucun intérêt» et qu’il ne fera plus valoir ses moyens de droit et de fait «avec … vigueur». Cela a par conséquent
pour effet d’affaiblir le processus judiciaire. Tel n’est pas le point de vue de la Croatie. Voir Essais nucléaires (Australie
c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 323, par. 24 (opinion dissidente commune). - 34 -

42 B IENS CULTURELS MANQUANTS

4.25. Au paragraphe2 c) de ses conclusions, la Croatie demande à la RFY (Serbie et

Monténégro) de restituer : «tous biens culturels rele vant de sa juridiction ou de son contrôle saisis
dans le cadre des actes de génocide dont elle porte la responsabilité».

4.26. La RFY (Serbie et Monténégro) affirm e qu’il est impossible «[d’]étendre la prétendue
compétence relative au génocide à des demandes de restitution d’objets d’art» et que cette demande
est par conséquent irrecevable 3. Ainsi qu’il est indiqué dans le mémoire, il ressort clairement de

l’articleII de la convention sur le génocide que le génocide se traduit par la destruction
intentionnelle de tout ou partie d’un groupe, défini comme national, ethnique, racial ou religieux,
en tant qu’entité sociale distincte. Que le génocide puisse résulter de la destruction physique du

groupe par le meurtre de ses membres ou de graves atteintes à leur intégrité corporelle se comprend
aisément. Mais, selon la Croa tie, un génocide peut aussi être commis par la destruction de
l’identité culturelle d’un groupe. Comme le TPI Y l’a formulé: «La dest ruction physique est le

mode le plus évident, mais l’on peut aussi envisag er la destruction d’un groupe par une éradication
délibérée de sa culture et de son identité, entraînant à terme son extinction comme entité distincte
du reste de la communauté.» 32

4.27. La notion de génocide a été conçue au départ dans un sens large qui embrassait «tous
33
les actes visant à la destruction de l’identité sociale et/ou culturelle d’un groupe» . La chambre de
première instance du TPIY a relevé que «la d estruction physique ou biologique s’accompagne
souvent d’atteintes aux biens et symboles culturels et religieux du groupe pris pour cible, atteintes

dont il pourra légitimement être tenu compte p our établir l’intention de détruire le groupe
physiquement». Dans son mémoire, la Croatie a fourni de nombreuses preuves étayant la
destruction ou la saisie de biens culturels croat es dans le cadre des actes de génocide qui ont été
34
perpétrés sur le territoire de la Croatie après l’été 1991 . Ces preuves n’ont pas été contestées par
43 la RFY (Serbie et Monténégro). Au contraire, la RFY (Serbie et Monténégro) «reconnaît que
certains biens culturels appartenant à la Croatie se sont trouvés placés sous la « juridiction ou [le]
35
contrôle de la RFY» (Serbie et Monténégro) .

4.28. Ce n’est qu’au stade du fond de la présente instance que l’on pourra déterminer
l’ampleur de ces déplacements de biens culturels de la Croatie vers la RFY (Serbie et Monténégro).
C’est alors que sera tranchée la question de savoir s’il y avait une intention génocidaire dans le

transfert de ces Œuvres d’art vers la Yougoslavie ou si leur enlèvement était destiné à les 36ttre en
sûreté pendant la durée du conflit comme l’affirme la RFY (Serbie et Monténégro) . L’argument
de la RFY (Serbie et Monténégro) selon lequel la conclusion2 c) serait sans objet est

manifestement mal fondé. La RFY (Serbie et Monténégro) admet que, dans les cas où les
propriétaires légitimes des biens culturels se trouvent en Croatie, ces biens devraient être restitués à
la Croatie. Le fait que des biens culturels croates sont restés en RFY et n’ont pas été restitués ne

31Exceptions préliminaires, par. 5.12.

32 Le procureur c. Radislav Krstic , «Corps de la Drina — Srebrenica», IT-98-33, jugement du 2 août 2001,
par. 574.
33
Ibid., par. 575.
34
Pour la Slavonie orientale, voir, par exemple, mémoire, par. 4.36, 4.55, 4.57, 4.92, 4.104, 4.108, 4.120 et 4.150
(Vukovar). Pour d’autres régions, voir par. 512 (Slavonie occidentale), 5.35, 5.76 (Banovina), 5.87, 5.135 (Kordun et
Lika), 5.186, 5.201 (Dalmatie), 5.219 e5.236, 5.237 et 5.241 (Dubrovnik). Pour la liste des régions où des biens
culturels ont été pillés ou détruits, voir l’appendice 7 du mémoire, vol. 5.
35
Exceptions préliminaires, par. 5.1[3].
36Ibid., par. 5.13. - 35 -

fait l’objet d’aucune constatati on entre les Parties. La ques tion figure à l’ordre du jour des

discussions entre la RFY (Serbie et Monténégro) et la Croatie. La Croatie reconnaît que certaines
Œuvres importantes ont été restituées, notamment la collection Bauer . De plus, les Œuvres
religieuses prises dans les églises orthodoxes ser bes en Croatie ne pourront être rendues que

lorsque ces églises seront de nouveau en activité en Croatie, et des négociations sont en cours au
sujet de ces biens culturels. Aussi la RFY (Serbie et Monténégro) estime-t-elle que la question de
la restitution des biens culturels peut se régler en tre la RFY (Serbie et Monténégro) et la Croatie

sans qu’il soit besoin d’une décision de la Cour.

4.29. La Croatie n’est pas de cet avis. Comme pour les personnes portées disparues, le fait

qu’il y ait une certaine coopération (dont la Croatie se félicite) entre la RFY (Serbie et Monténégro)
et la Croatie au sujet de la restitution des biens culturels ne signifie pas qu’il n’y ait pas de motif
d’action au titre de la convention sur le génocide, ni que la demande de la Croatie soit irrecevable

parce que sans objet. Les arguments présentés pa r la Croatie pour démontrer que la question du
sort des personnes disparues n’est pas sans objet valent également pour la restitution des biens
culturels et des Œuvres d’art. La déclaration du ministre Antun Vuji ć confirme qu’un grand
nombre de pièces sont encore manquantes. Par exemple, sur les 8225 pièces de musée concernées,

plus de 5000 ont fait l’objet d’une appropriation illégitime ou ont été pillées et plus de 2000 ont été
détruites. Ces chiffres ne couvrent pas les do mmages subis par le musée municipal de Vukovar,
dont plus de 14000 pièces sont encore manqua ntes (559 Œuvres d’art, sur un total de 2568,

44 manquent dans la collection Bauer et la galerie d’art ; et, des 1325 pièces que comptait à l37rigine
la collection ethnographique du musée municipal de Vukovar, il n’en reste que8) . Le ministre
Antun Vujić déclare dans sa lettre que :

«la RFY ou Serbie-et-Monténégro n’a pas reconnu sa responsabilité pour les
dommages causés aux biens culturels croates et aucune mesure concrète — législative,
administrative ou autre — n’a été prise en vue de la réparation du préjudice ou d’une

complète restitution. Au lieu de cela, des arguments sont avancés pour justifier la
saisie illicite, l’enlèvement, l’aliénation et la dévastation du patrimoine culturel
croate.» 38

4.30. Un différend existe toujours au sujet de la restitution de ces objets, et la Croatie estime
qu’une décision de la Cour aura it un effet pratique en confirmant l’obligation qu’a la RFY (Serbie

et Monténégro) de rendre compte de tous les objets manquants et de les restituer. La Cour n’est
pas simplement priée de fournir une base à l’acti on politique. Il lui est demandé de prendre en
considération les droits effectifs qui sont ceux des parties concernées 39 à la suite des événements

survenus en Croatie après l’été 1991.

4.31. Pour ces raisons, la conclusion 2 c) de la Croatie est recevable. Les questions

concernant l’interprétation à donne r de la convention sur le génocid e, son application aux faits et
les réparations appropriées qui en découlent devront être tranchées lors de la procédure sur le fond.

37Annexe 4, déclar ation faite leavril 2003 par M. Antun Vuji ć, ministre de la culture de la République de
Croatie.
38
Ibid.
39Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), C.I.J. Recueil 1963, p. 37. - 36 -

CONCLUSIONS

4.32. En résumé, les demandes énoncées aux alinéas a), b) et c) du paragraphe2 des
conclusions de la Croatie sont toutes légitimes au regard de la convention sur le génocide. Elles ne
sont pas sans objet, que ce soit au sens qu’il n’ex isterait plus aucun différend entre les Parties ou

qu’aucune décision que rendrait la Cour n’aurait de résultat prati que. Le débat détaillé sur ces
conclusions devra avoir lieu au stade de la procédure au fond, et pour les besoins de la décision
finale que rendra la cour sur le fond à la lumière des faits qu’elle jugera établis. Les questions en
jeu ne sauraient être préjugées au stade des exceptions préliminaires sous couvert de «recevabilité». - 37 -

C ONCLUSIONS FINALES
45

Sur la base des faits et des arguments juridiques présentés dans ces observations écrites, la
République de Croatie prie respectueusement la Cour internationale de Justice de rejeter les
première, deuxième et troisième exceptions préliminaires de la RFY (Serbie et Monténégro) (à
l’exception de la partie de la deuxième excep tion qui porte sur la demande tendant à ce que

M.Slobodan Milosevic soit traduit en justice) et, en conséquence, de dire et juger qu’elle est
compétente pour statuer sur la requête déposée par la République de Croatie le 2 juillet 1999.

Zagreb, le 29 avril 2003.

L’agent de la République de Croatie.

___________ - 38 -

LISTE DES ANNEXES
46

Annexe1: Déclaration du colonel Ivan Gruji ć, bureau des personnes détenues et portées
disparues, République de Croatie, le 17 janvier 2003

Annexe2: Déclaration du colonel Ivan Gruji ć, bureau des personnes détenues et portées
disparues, République de Croatie, le 26 février 2003

Annexe 3 : Liste des personnes portées disparues (au 1 avril 2003)

Annexe4: Déclaration du Dr. Antun Vuji ć, ministre, ministère de la culture, République de
Croatie, le 1 avril 2003

Annexe 5 : Témoignage de Milan Babic dans le cadre de la pro cédure devant le Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie, 19 au 21novembre et 9décembre2002
[extraits]

Annexe 6 : Témoignage d’Aleksander Vasiljevi ć dans le cadre de la procédure devant le
Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, février 2003 (extraits)

Annexe 7 : Articles de journaux extraits du Slobodna Dalmacija (8 octobre 1991) et du Večernji

List (8 octobre 1991)

Annexe8: Témoignage de Dragan Vailjovi ć dans le cadre de la procédure devant le Tribunal
pénal international pour l’ex-Yougoslavie, février 2003 (extraits)

Annexe 9 : Témoignage d’Herbert Okun dans le cadre de la pro cédure devant le Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie, du 26 au 28 février 2003 (extraits)

Annexe10: Déclaration de témoin de Milosav Do rdevic lors de la procédure devant le tribunal
pénal international pour l’ex-Yougoslavie, le 6 mars 2003

Annexe 11 : Deuxième rapport d’expert de Morten Torkildsen dans la procédure judiciaire devant
le Tribunal pénal international pour l’ex-Y ougoslavie (sans l’annexe confidentielle),
18 novembre 2002

Annexe 12 : Déclaration de la CE relative à la présidence de la RFSY, adoptée lors de la réunion
informelle des ministres des affaires étrangères à Haarzuilens, le 5 octobre 1991

___________

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Observations écrites de la Croatie

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