Exceptions préliminaires de la République fédérale d'Allemagne

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10875
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Incidental Proceedings
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9163

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

AFFAIRE RELATIVE A LICEITE DE L’EMPLOI DE LA FORCE

(SERBIE ET MONTENEGRO c. ALLEMAGNE)

EXCEPTIONS PRELIMINAIRES DE LA REPUBLIQUE FEDERALE D’ALLEMAGNE

VOLUME I

(Texte des exceptions préliminaires)

5 juillet 2000

[Traduction du Greffe] TABLE DES MATIERES

Page

PLAN DE L EXPOSE DES EXCEPTIONS PRELIMINAIRES .........................................................................1

PREMIERE PARTIE  L’A LLEMAGNE SOULEVE DES EXCEPTIONS PRELIMINAIRES ......................3

D EUXIEME PARTIE  C ONTEXTE FACTUEL ..................................................................................5

I. La situation avant le déclenchement des opérations aériennes de l’OTAN......................5

II. Les événements survenus au cours des opérations aériennes de l’OTAN ......................15

III. La situation après le conflit armé....................................................................................18

TROISIEME PARTIE  L A C OUR N EST PAS COMPETENTE POUR CONNAITRE DE LA
REQUETE INTRODUITE PAR LA YOUGOSLAVIE .........................................21

I. La Cour n’est pas ouverte à la République fédérale de Yougoslavie..............................21

II. La clause compromissoire de la convention sur le génocide ..........................................29
III. La compétence de la Cour ne peut être fondée par forum prorogatum...........................36

IV. Les accusations se rapportant à des événements postérieurs au 10 juin 1999 ne
relèvent pas de la compétence de la Cour.......................................................................38

A. Les événements postérieurs au 10 juin 1999 ne sont pas couverts par la
requête initiale.........................................................................................................38

B. En ce qui concerne la période postérieure au conflit, l’Organisation des
Nations Unies est nécessairement partie au différend.............................................39

C. L’absence totale de justification des accusations en tant qu’obstacle à la

compétence..............................................................................................................39
V. Les exceptions soulevées ont un caractère exclusivement préliminaire .........................40

Q UATRIEME PARTIE  D EMANDES ...............................................................................................43 PLAN DE L’EXPOSE DES EXCEPTIONS PRELIMINAIRES
1

L’exposé des présentes exceptions préliminaires se divise comme suit :

 dans la première partie, l’Allemagne explique qu’elle soulève des exceptions préliminaires
contre la requête de la République fédérale de Yougoslavie. L’Allemagne s’abstient de
commenter les questions touchant au fond de l’espèce;

 dans la deuxième partie, l’Allemagne expose le contexte factuel du présent différend, à seule
fin de démontrer que la Cour n’est pas compétente pour statuer sur les demandes de la
Yougoslavie;

 dans la troisième partie, l’Allemagne explique en détail la nature et la portée de ses exceptions
préliminaires;

 dans la quatrième partie, l’Allemagne expose ses demandes.- 2 - - 3 -

PREMIERE PARTIE
2

L’ALLEMAGNE SOULEVE DES EXCEPTIONS PRELIMINAIRES

3 1.1. La République fédérale de Yougoslavie (RFY) n’a pas qualité pour agir devant la Cour.
N’étant pas membre des Nations Unies, elle n’est pas automatiquement partie au Statut de la Cour
et n’a pas été admise à ce Statut. D’autre part, elle n’a pas effectué la déclaration requise par la
résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité qui permet aux Etats non-membres des Nations Unies de
se prévaloir des services de la Cour. Par conséquent, la Cour n’est pas ouverte ratione personae à
la RFY. La RFY n’est pas autorisée à engager une procédure judiciaire contre d’autres Etats.

1.2. L’Allemagne considère que la requête déposée par la RFY auprès du Greffe de la Cour
le 29 avril 1999 introduisant une procédure contre la République fédérale d’Allemagne ne repose
sur aucune base de compétence. Aucune des conditions mentionnées par l’article 36 du Statut de la
Cour n’est remplie. Il n’existe aucun accord entre les deux parties prévoyant que le présent
différend devrait faire l’objet d’un règlement judiciaire par la Cour (première disposition du
paragraphe 1 de l’article 36). En particulier, le différend ne tombe dans le champ d’aucune clause
de compétence établie par un traité en vigueur applicable entre les deux parties (seconde

disposition du paragraphe 1 de l’article 36). L’article IX de la convention des Nations Unies pour
la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 (ci-après «convention sur
le génocide») ne s’applique pas à la présente affaire. Enfin, l’Allemagne n’est pas soumise à la
juridiction de la Cour en application d’une déclaration unilatérale effectuée en vertu de la clause
facultative énoncée au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut.

1.3. En ce qui concerne la période postérieure au conflit, l’Allemagne est d’avis que, en
l’absence des Nations Unies dans la présente procédure, la Cour ne peut exercer sa compétence,

dans la mesure où toutes les accusations de génocide ou de non-respect de la
résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité visent principalement l’organisation mondiale. La
Cour ne saurait se prononcer sur les droits et les obligations d’un tiers qui n’est pas présent dans
une affaire pendante devant elle.

1.4. Par conséquent, l’Allemagne exerce la faculté qui lui est reconnue par les paragraphes 1
et 2 de l’article 79 du Règlement de la Cour pour contester la compétence de la Cour en soulevant
des exceptions préliminaires. Elle estime que ces exceptions préliminaires doivent être d’abord
4
examinées avant que le différend ne puisse être jugé au fond. L’Allemagne est fermement
convaincue que la phase du jugement au fond ne pourra toutefois être atteinte en la présente affaire.
Au premier chef, il sera démontré, dans les présentes exceptions préliminaires, que l’article IX de
la convention sur le génocide est inapplicable aux relations entre l’Allemagne et la RFY, comme il
est inapplicable aux relations entre la RFY et les autres Etats mis en cause par le requérant
relativement aux opérations aériennes lancées par l’OTAN de mars à juin 1999 en vue de mettre fin
aux atrocités commises par les forces serbes dans la province yougoslave du Kosovo.

1.5. L’Allemagne fait d’emblée observer que la plupart des documents figurant dans les
annexes au mémoire de la RFY sont en serbo-croate. Ces documents ne peuvent être invoqués car
les langues officielles de la Cour sont l’anglais et le français (art. 39 du Statut). L’Allemagne n’est
pas disposée à participer à une procédure fondée sur une langue autre que les deux langues
officielles. En application du paragraphe 3 de l’article 51 du Règlement, des traductions devraient
être fournies.- 4 - - 5 -

5 DEUXIEME PARTIE

CONTEXTE FACTUEL

6 2.0. Dans la présente partie, l’Allemagne résumera sommairement la genèse du conflit entre
la RFY et la communauté internationale, les événements survenus au cours des opérations
aériennes de l’OTAN et les suites de l’affrontement militaire après que les Nations Unies eurent
pris en charge l’administration du Kosovo. Cet exposé a pour unique objet de prouver que la
clause compromissoire de l’article IX de la convention sur le génocide 1 est inapplicable aux
relations entre la RFY et l’Allemagne. L’Allemagne n’examine pas le fond de l’affaire puisqu’elle

est fermement convaincue que la Cour n’est pas compétente pour connaître de la requête de la
RFY.

I. La situation avant le déclenchement des opérations aériennes de l’OTAN

2.1. Il existe un différend de longue date entre les Serbes et les Albanais sur la question de
savoir qui est le propriétaire légitime du Kosovo. Nous ne nous proposons pas ici de 2elater ces
controverses. Il suffira de noter que, en vertu de la Constitution yougoslave de 1974 , le Kosovo
jouissait du statut de province autonome, c’est-à-dire, selon l’article 4, de «communauté
sociopolitique autonome, socialiste, autogérée et démocratique». Peu à peu, toutefois, ce statut fut

aboli. En 1989, la constitution fut amendée pour la première fois afin de conférer des pouvoirs
accrus aux autorités centrales de Belgrade. L’usage de la langue albanaise dans un cadre officiel
fut interdit. Avec l’imposition de l’état d’urgence, l’autonomie du Kosovo prit fin de facto.

2.2. En 1990, cet état de fait fut rapidement officialisé. Le Gouvernement de la République

serbe commença par dissoudre l’Assemblée et le conseil exécutif du Kosovo et, avec l’adoption de
la nouvelle constitution de la république, en septembre de cette même année, le statut d’autonomie
du Kosovo perdit toute substance. La Serbie prit le contrôle total de la province. Lorsque, à la
suite de la désintégration de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, une nouvelle
constitution fut adoptée en avril 1992, toute trace d’un statut d’autonomie pour certaines provinces
avait disparu. Aux termes de cette constitution, qui est toujours en vigueur aujourd’hui, le Kosovo
7
n’est qu’une partie de la République de Serbie sans aucun droit spécial.

2.3. Très peu de temps après ces événements, des rapports faisant état de mesures répressives
de la part des autorités serbes parvinrent aux institutions internationales qui, dès lors, exprimèrent
continuellement leur consternation face à ce qu’ils apprenaient en ce qui concerne les graves

violations des droits de l’homme au Kosovo.

2.4. En juillet 1992, au sommet d’Helsinki, la Conférence sur la sécurité et la coopération en
Europe (CSCE) adopta une déclaration sur la crise yougoslave, dans laquelle elle abordait
spécifiquement la situation au Kosovo (par. 3) :

1
Adoptée par la résolution 260 A (III) de l’Assemblée générale des Nations Unies, 9 décembre 1948.
2Annexe 1. - 6 -

«La situation au Kosovo demeure extrêmement dangereuse et requiert une

action préventive immédiate. Nous demandons instamment aux autorités de Belgrade
de s’abstenir d’aggraver la répression et d’engager un dialogue sérieux avec des
représentants du Kosovo, en présence d’une tierce partie.»3

Quelques mois plus tard, la Conférence décida d’envoyer une mission de longue durée au Kosovo,
une escalade du conflit ethnique se faisant de plus en plus menaçante.

2.5. En août 1993, cette mission dut cependant être retirée en raison du refus des autorités
compétentes de la RFY de lui permettre de poursuivre ses activités. Le Conseil de sécurité des
Nations Unies, dans sa résolution 855 (1993), demanda aux autorités de revenir sur leur refus et de
coopérer avec la CSCE en prenant les dispositions concrètes nécessaires à la reprise des activités de

la mission (par. 2 du dispositif). La RFY ne se conforma néanmoins pas à cette demande.

2.6. A partir de 1992, l’Assemblée générale exprima sa «profonde préoccupation» devant la
gestion de la situation au Kosovo. Dans la résolution du 47/147 du 18 décembre 1992, elle
exhortait toutes les parties (par. 14 du dispositif) :

«à agir avec la plus grande retenue et à régler leurs différends dans le plein respect des
droits de l’homme et des libertés fondamentales … [et] les autorités serbes à s’abstenir
de faire usage de la force, à mettre fin immédiatement à la pratique du «nettoyage
ethnique» et à respecter dans leur intégralité les droits des personnes appartenant à des
communautés ou à des minorités ethniques…».

8 Déjà à ce stade précoce, comme ce texte l’indique, les autorités serbes étaient accusées de
«nettoyage ethnique».

2.7. En 1993, les accusations formulées contre le gouvernement de Belgrade deviennent
encore plus précises. Dans la résolution 48/153 du 20 décembre 1993, l’Assemblée générale :

«17. Se déclare profondément préoccupée par la dégradation de la situation des
droits de l’homme en République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro),
notamment au Kosovo, dont font état les rapports du Rapporteur spécial, et condamne
énergiquement les violations des droits de l’homme qui y sont commises;

18. Condamne énergiquement en particulier les mesures, les pratiques

discriminatoires et les violations des droits de l’homme infligées aux Albanais de
souche du Kosovo ainsi que la répression à grande échelle imputables aux autorités
serbes, notamment :

a) les brutalités de la police à l’égard des Albanais de souche, les fouilles, saisies et
arrestations arbitraires, les tortures et les mauvais traitements infligés aux détenus
et la partialité de l’administration de la justice, qui engendrent un climat

d’illégalité tel que des actes criminels sont commis en toute impunité,
particulièrement quand ils visent des Albanais de souche;

b) l’exclusion discriminatoire des fonctionnaires albanais de souche, qui ont été
radiés notamment de la police et de la magistrature, le renvoi en masse des
Albanais de souche des postes de cadre et d’administrateur et autres emplois

qualifiés dans les entreprises d’Etat et les institutions publiques, ce qui vise

3Document CSCE/HS/1, 10 juillet 1992, annexe 2. - 7 -

notamment les enseignants du système scolaire administré par les Serbes, et la
fermeture des écoles secondaires et des universités albanaises;

c) l’emprisonnement arbitraire des journalistes albanais de souche, la fermeture des
organes d’information en langue albanaise et le renvoi discriminatoire du
personnel albanais de souche des stations locales de radio et de télévision;

d) la répression exercée par la police et l’armée serbes;

19. Presse les autorités de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et

Monténégro) :

a) de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre immédiatement un terme aux
violations des droits de l’homme dont sont victimes les Albanais de souche du
Kosovo, notamment aux mesures et pratiques discriminatoires, aux détentions
arbitraires et au recours à la torture et autres traitements cruels, inhumains ou
dégradants ainsi qu’aux exécutions sommaires;

b) de rapporter toutes les dispositions législatives discriminatoires, en particulier
celles qui sont entrées en vigueur depuis 1989;

c) de restaurer les institutions démocratiques du Kosovo, dont le Parlement et
l’appareil judiciaire;

d) de renouer le dialogue avec les Albanais de souche du Kosovo, notamment sous
les auspices de la conférence internationale sur l’ex-Yougoslavie;

20. Presse également les autorités de la République fédérative de Yougoslavie
(Serbie et Monténégro) de respecter les droits de l’homme et les libertés
fondamentales des Albanais de souche du Kosovo, et se déclare d’avis que la
meilleure façon de protéger les droits de l’homme au Kosovo est de restaurer
l’autonomie de celui-ci.»

Des appels semblables furent adressés à la RFY dans les résolutions 49/196 du 23 décembre 1994
9
(par. 19 du dispositif), 50/193 du 22 décembre 1995 (par. 16-18), 51/116 du 12 décembre 1996
(par. 10-12) et 52/147 du 12 décembre 1997 (par. 15-17).

2.8. Le Conseil de sécurité, pour sa part, suivit de près l’évolution de la situation. Dans sa
résolution 1160 (1998) du 31 mars 1998, il condamna l’usage d’une force excessive par les forces
de police serbes contre des civils et des manifestants pacifiques au Kosovo, ainsi que tous les actes
de terrorisme commis par l’armée de libération du Kosovo. Selon lui, les deux camps avaient

contribué à la spirale de la violence.

2.9. Au cours de l’été 1998, le Conseil de sécurité demanda de nouveau la fin des combats,
soulignant en même temps les graves dangers qui menaçaient la population civile de la province.
Par la voix de son président, il affirma :

«Le Conseil demeure gravement préoccupé par les combats qui ont récemment

fait rage au Kosovo, ont eu un effet dévastateur sur la population civile et ont entraîné
une augmentation considérable du nombre des réfugiés et personnes déplacées… Il
constate en particulier avec une vive inquiétude que l’augmentation du nombre de
personnes déplacées et l’approche de l’hiver font que la situation au Kosovo risque
d’aboutir à une catastrophe humanitaire plus grave encore… Il demeure essentiel que
les autorités de la République fédérale de Yougoslavie et les Albanais du Kosovo - 8 -

reconnaissent qu’il est de leur responsabilité de mettre un terme à la violence au
Kosovo…» 4

2.10. En septembre et en octobre 1998, le Secrétaire général des Nations Unies soumit au
Conseil de sécurité deux rapports dans lesquels il exprimait sa profonde préoccupation vis-à-vis de
la détérioration des conditions dans la province. Dans son rapport du 4 septembre 1998 5, qui fut
complété par un additif le 21 septembre 1998 , il attirait l’attention sur le nombre croissant de

personnes déplacées de leurs foyers, estimant que sur deux cent trente mille personnes dans ce cas,
près de cent soixante-dix mille se trouvaient encore au Kosovo. Il ajoutait dans le corps principal
du rapport :

10 «8. Le HCR estime que le nombre de personnes qui ont dû chercher refuge dans

les forêts et montagnes pourrait atteindre une cinquantaine de milliers. Ces
populations sont extrêmement vulnérables et ont impérativement besoin d’aide. Mais
malgré les assurances données par les autorités, il est très difficile de parvenir jusqu’à
elles et la tâche des organismes humanitaires consiste pour l’instant à les localiser et à

leur faire parvenir les secours indispensables. Il est évident que si ces gens doivent
passer l’hiver là où ils se trouvent actuellement, ils risquent de ne pas survivre. Il faut
donc d’abord soit les aider à rentrer dans leurs foyers, soit les placer dans des familles
d’accueil, ou en dernier ressort dans des centres de regroupement où ils pourront

mieux recevoir une assistance effective.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

11. Si le gouvernement maintient la ligne qu’il suit actuellement, il est probable

que l’exode s’amplifiera. C’est particulièrement inquiétant, car l’hiver approche et ce
qui n’est encore qu’une crise humanitaire pourrait alors devenir une véritable
catastrophe. Les déplacements de population resteront sans doute largement
circonscrits à l’intérieur du Kosovo même, bien que les gens chassés de leurs foyers

soient de plus en plus nombreux à vouloir partir vers d’autres régions de Yougoslavie,
en particulier au Monténégro, ou à l’étranger.»

2.11. Ce rapport et son additif conduisirent le Conseil de sécurité, agissant en vertu du

chapitre VII de la Charte, à adopter, le 23 septembre 1998, la résolution 1199 (1998) dans laquelle
il déclarait (préambule, al. 10) qu’il était : «[p]rofondément préoccupé par la détérioration rapide
de la situation humanitaire dans l’ensemble du Kosovo, alarmé par l’imminence d’une catastrophe
humanitaire telle que décrite dans le rapport du Secrétaire général, et souligna[i]t la nécessité de
prévenir cette catastrophe» et il exigeait (par. 2 du dispositif) que : «les autorités de la République

fédérale de Yougoslavie et les dirigeants albanais du Kosovo prennent immédiatement des mesures
en vue d’améliorer la situation humanitaire et d’éviter le danger imminent de catastrophe
humanitaire». Il exigeait en outre (par. 4 du dispositif) de la RFY les mesures concrètes suivantes :

«a) mettre fin à toutes les actions des forces de sécurité touchant la population civile et
ordonner le retrait des unités de sécurité utilisées pour la répression des civils;

4
Déclaration du président du Conseil de sécurité du 24 août 1998, Nations Unies, doc. S/PRST/1998/25, annexe
3.
5 Rapport du Secrétaire général établi en application de la résolution 1160 (1998) du Conseil de sécurité,
Nations Unies, doc. S/1998/834, 4 septembre 1998, annexe 4.
6
Nations Unies, doc. S/1998/834/Add.1. - 9 -

b) permettre à la mission de vérification de la Communauté européenne et aux missions

diplomatiques accréditées en République fédérale de Yougoslavie d’exercer une
surveillance internationale efficace et continue au Kosovo, y compris en accordant à ces
observateurs l’accès et la liberté totale de mouvement afin qu’ils puissent entrer au
11 Kosovo, s’y déplacer et en sortir sans rencontrer d’obstacles de la part des autorités
gouvernementales, et délivrer rapidement les documents de voyage appropriés au

personnel international contribuant à la surveillance;

c) faciliter, en accord avec le HCR et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), le
retour en toute sécurité des réfugiés et personnes déplacées dans leurs foyers et
permettre aux organisations humanitaires d’accéder librement et sans entrave au Kosovo
et d’y acheminer leurs fournitures;

d) progresser rapidement vers un calendrier précis, dans le cadre du dialogue avec la
communauté albanaise du Kosovo visé au paragraphe 3 ci-dessus et réclamé dans la
résolution 1160 (1998), afin de s’entendre sur des mesures de confiance et de trouver
une solution politique aux problèmes du Kosovo».

7
2.12. Le second rapport fut publié par le Secrétaire général le 3 octobre 1998 . Dans ce
rapport, il affirmait notamment ce qui suit :

«7. La situation désespérée de la population civile demeure l’aspect le plus

préoccupant des hostilités au Kosovo. Je suis particulièrement inquiet de constater
que les civils deviennent de plus en plus la principale cible dans ce conflit. Les
combats au Kosovo ont provoqué des déplacements massifs de civils, la destruction de
nombreux villages et moyens de subsistance ainsi que des traumatismes et un
désespoir profonds au sein des populations déplacées. Un grand nombre de villages
ont été détruits par des bombardements et des incendies à la suite des opérations

menées par les forces gouvernementales fédérales et serbes. On craint que le recours
excessif à la force et les opérations des forces de sécurité ne visent à terroriser et à
soumettre la population à un châtiment collectif destiné à montrer que le prix à payer
lorsque l’on veut soutenir les unités paramilitaires albanaises du Kosovo est trop élevé
et le sera encore plus à l’avenir. Les forces de sécurité serbes ont exigé le dépôt des
armes et, selon des informations, useraient de la terreur et de la violence contre les

civils pour les forcer à quitter leurs foyers ou les lieux où ils ont trouvé refuge, le
prétexte invoqué étant de les séparer des combattants des unités paramilitaires
albanaises du Kosovo. Il est recouru aux tactiques suivantes : bombardements,
détentions, menaces de mort, et enfin, ordre de quitter les lieux sans tarder sous peine
de représailles. Il y a eu des coupures d’électricité et d’autres services ont été

interrompus. Les logements vides ont été incendiés et pillés, les machines agricoles
abandonnées détruites et les animaux brûlés dans les étables ou abattus dans les
champs…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

9. Je suis indigné par les informations faisant état de massacres de civils au

Kosovo, qui rappellent les atrocités commises en Bosnie-Herzégovine…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

7Rapport du Secrétaire général établi en application des résolutions 1160 (1998) et 1199 (1998) du Conseil de
sécurité, Nations Unies, doc. S/1998/912, 3 octobre 1998, annexe 5. - 10 -

11. La tendance des déplacements évolue rapidement et est imprévisible du fait
que les gens fuient face aux actions et aux menaces réelles ou perçues des forces de
sécurité. Même s’il y a eu quelques retours, le Haut Commissariat des Nations Unies
pour les réfugiés (HCR) estime que plus de deux cent mille personnes demeurent
déplacées au Kosovo et environ quatre-vingt mille se trouvent dans les pays voisins et

d’autres régions de Serbie…»

12 2.13. Lorsque, au vu des de ces rapports alarmants, le Conseil de l’OTAN autorisa, le
13 octobre 1998, l’activation d’ordres visant à effectuer des frappes aériennes contre la
Yougoslavie afin d’essayer de pousser le président Milosevic à retirer ses troupes du Kosovo et à

coopérer pour mettre fin à la violence, le président Milosevic fit effectivement quelques
concessions. Il accepta certaines limites sur le nombre de militaires et de membres des forces de
sécurité au Kosovo et accepta également le déploiement d’une mission d’observation de la
province dirigée par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) — la
mission de vérification au Kosovo (KVM) . Le Conseil de sécurité, agissant en vertu du
chapitre VII de la Charte, entérina et soutint cet accord dans sa résolution 1203 (1998) du

24 octobre 1998. La résolution soulignait la nécessité d’empêcher une catastrophe humanitaire
imminente (préambule, al. 11) et exigeait des autorités de la RFY, ainsi que des dirigeants albanais
du Kosovo, qu’ils coopèrent pour empêcher une telle catastrophe (par. 11 du dispositif).
Néanmoins, comme on le verra ci-dessous, la violence, loin de diminuer, continua de plus belle.

2.14. L’évocation d’une «catastrophe humanitaire» n’était pas une formule creuse. La réalité
de la situation était clairement décrite dans le rapport du Secrétaire général en date du
3 octobre 1998 (par. 17) :

«Avec l’arrivée de l’hiver dans quelques semaines seulement, la question du

retour des personnes déplacées et des réfugiés demeure l’un des problèmes les plus
urgents. Environ cinquante mille personnes déplacées sont actuellement sans abri et
n’ont accès à aucun réseau de soutien; elles sont mal préparées pour affronter la
rigueur de l’hiver qui peut arriver dès le mois prochain. Toute stratégie humanitaire
devrait avoir pour objectif prioritaire de fournir une assistance à ces personnes. Les
enfants et les personnes âgées risquent de mourir de froid s’ils restent où ils sont

actuellement pendant l’hiver, en particulier ceux qui se sont réfugiés dans la
montagne.»

2.15. Au cours du mois suivant, le 17 novembre 1998, le Conseil de sécurité, intervenant de
nouveau en vertu du chapitre VII de la Charte, concentra son attention sur la RFY dans un contexte

différent. Notant que les mandats d’arrêt délivrés par le Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie contre trois dirigeants politiques importants n’avaient pas été exécutés par les
autorités de Belgrade, non seulement il demanda instamment à la RFY de corriger son omission
mais il condamna sans ménagement ce manquement (résolution 1207, par. 3 du dispositif).

8Voir le doc. S/1998/994 des Nations Unies, en date du 26 octobre 1998, reproduisant la décision n 263 adoptée
par le Conseil permanent de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe le 15 octobre 1998, annexe 6. - 11 -

13 2.16. Des tueries massives furent perpétrées par les forces serbes même au cours de la
présence de l’OSCE-KVM. En particulier, à Racak, le 15 janvier 1999, quarante-cinq civils furent
assassinés. Cette atrocité suscita des réactions en termes clairs de la part de la communauté
9
internationale. Le Conseil de sécurité «condamn[a] énergiquement» ce massacre. Le gr10pe
islamique à l’Organisation des Nations Unies à New York se déclara «consterné et révolté» .

2.17. Le 29 janvier 1999, le président du Conseil de sécurité fit de nouveau une déclaration,
approuvée par ses quinze membres. Le Conseil de sécurité, profondément préoccupé par la
violence croissante au Kosovo, «soulign[ait] le risque que la situation humanitaire se détériore
11
davantage si des mesures n[’étaient] pas prises par les parties pour réduire les tensions.» Dans la
même déclaration, le Conseil de sécurité se félicitait de la décision des ministres des affaires
étrangères du groupe de contact d’établir un cadre de négociation afin de parvenir à un règlement
politique entre les parties. Le Conseil exigeait que les parties acceptent leurs responsabilités et se

conforment pleinement à ces décisions et à ces exigences, ainsi qu’à ses résolutions applicables.
C’est sur cette base que commencèrent les négociations de Rambouillet visant à aboutir à une
solution de compromis.

2.18. Pendant le premier round des négociations en février 1999, les parties conclurent un
accord substantiel sur une série de solutions visant à régler le différend (les «accords de
12 13
Rambouillet») . En principe, la RFY, elle aussi, acceptait ces textes qui accordaient une
autonomie importante au Kosovo . De nouvelles discussions eurent lieu à Paris du 15 au 19 mars.
Réagissant aux suggestions de la RFY en vue d’introduire dans les accords d’importants

changements qui en auraient sapé les éléments clés, le groupe de contact, composé d’Etats
membres de l’Union européenne (l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni), des Etats-
Unis et de la Russie, fit clairement savoir que, de l’avis unanime de ses membres, seules des

corrections techniques aux accords pourraient être acceptées. Compte tenu du refus de la
14 délégation de la RFY de continuer à faire preuve de l’attitude constructive à laquelle elle s’était
conformée jusqu’alors, les négociations furent ajournées. A l’évidence, les négociations étaient

dans une impasse. Les ministres des affaires étrangères de la France et du Royaume-Uni
envoyèrent un message commun au président de la RFY, lui faisant clairement savoir que les
accords demeuraient la base d’un compromis et l’exhortant à les accepter 15.

2.19. Le même jour, le président en exercice de l’OSCE (le ministre des affaires étrangères
de la Norvège) décidait de retirer la mission de vérification au Kosovo, étant donné qu’en raison de

l’issue infructueuse des pourparlers de Rambouillet, la situation s’était détériorée à tel point que la
sécurité des membres de la mission ne pouvait plus être garantie.

9Déclaration du président du Conseil de sécurité, 19 janvier 1999, Nations Unies, doc. S/PRST/1992/2, annexe 7.

10Nations Unies, doc. S/1999/76, 26 janvier 1999, annexe 8.
11
Déclaration du 29 janvier 1999, Nations Unies, doc. S/PRST/1999/5, annexe 9.
12Annexe 10.

13 Lettre de la délégation du Gouvernement de la République de Serbie, pourparlers de Rambouillet,
23 février 1999, annexe 11.
14
Groupe de contact, conclusions des coprésidents, 23 février 1999, annexe 12.
15Déclaration des coprésidents, Hubert Védrine et Robin Cook, 19 mars 1999, annexe 13. - 12 -

2.20. A cette date, la situation au Kosovo suscitait en effet les pires inquiétudes. Comme
cela fut récemment (en février 2000) indiqué par le Haut Commissaire pour les réfugiés des

Nations Unies sur la base des informations plus complètes qui sont maintenant disponibles, il y
avait environ deux cent soixante mille personnes déplacées à l’intérieur du Kosovo avant le
déclenchement de l’opération de l’OTAN et quelque trente-cinq mille personnes avaient fui vers
des pays faisant frontière commune avec l’ex-Yougoslavie 1.

2.21. Les informations les plus détaillées sur la situation furent fournies par la mission de
vérification au Kosovo, déployée dans la province yougoslave d’octobre 1998 au 20 mars 1999.
L’OSCE a présenté un rapport détaillé 17 sur les atrocités commises par les forces de sécurité serbes

au cours de cette période d’environ six mois, bien avant que le conflit militaire entre l’OTAN et la
RFY ne commence, et couvrant toutefois en même temps la période s’étendant jusqu’au
9 juin 1999, jour où le conflit militaire prit fin. L’enseignement global qui peut être tiré de ce
rapport tient en quelques mots. Le Gouvernement yougoslave avait institué un climat de non-droit

absolu dans la région. Des informations nombreuses démontrent que les autorités responsables non
seulement n’ont pas su protéger la vie et l’intégrité physique de leurs citoyens de souche albanaise,
mais encore que ces citoyens devinrent l’objet d’une persécution constante, et furent soumis à
l’arbitraire le plus absolu. Généralement, il était clairement fait savoir à tous les Albanais de

15 souche que leur présence au Kosovo était indésirable et qu’ils feraient mieux de quitter
définitivement la région. Tout d’abord, il peut être utile de citer un «Document d’information» qui
contient un résumé général du rapport :

«Les conclusions de l’analyse du rapport sont que des stratégies claires se
cachent derrière les violations de droit de l’homme commises par les forces serbes;
que des groupes paramilitaires et des civils armés ont commis les actes les plus
illégaux avec la complaisance voire la complicité des forces militaires et des forces de

sécurité dont les propres actions étaient généralement très organisées et systématiques;
et que les violations infligées à la population albanaise du Kosovo à une grande
échelle après le 20 mars étaient la continuation d’actions entreprises par les forces
serbes qui ne devaient rien à l’improvisation, ces forces s’y étant livrées en beaucoup

d’endroits bien avant cette date. Bien que les deux parties au conflit aient commis des
violations des droits de l’homme, il n’y a aucun rapport ni aucune commune mesure,
quant à leur nature ou à leur ampleur, entre ces violations — à une écrasante majorité,
c’est la population kosovare de souche albanaise qui en pâtit. Le rapport signale

également que des violations persistantes des droits de l’homme sont à l’origine de la
dégradation de la sécurité qui a plongé le Kosovo dans un conflit armé et dans une
catastrophe tant du point de vue humanitaire que de celui des droits de l’homme.» 18

2.22. Les expulsions forcées furent peut-être, dans cette sombre situation, le phénomène le
plus troublant sur le plan des droits de l’homme. Le rapport de l’OSCE déjà cité indique que des
expulsions massives et systématiques furent entreprises dès que la mission de l’OSCE eut quitté la
province le 20 mars 1999, et qu’elles gagnèrent en intensité après le début de l’opération de

l’OTAN contre la RFY.

16
The Kosovo refugee crisis: an independent evaluation of UNHCR’s emergency preparedness and response,
www.unhcr.ch.evaluate/kosovo/toc.htm, février 2000, par. 80 et 81, annexe 14.
17Kosovo/Kosova. As seen, as Told. An analysis of the human rights findings of the OSCE Kosovo Verification
Mission, October 1998 to June 1999, voir l’adresse Internet : www.osce.org/kosovo/reports/hr/part1/index.htm (non
daté).
18
OSCE, Background Paper – Human Rights in Kosovo, 1999, p. 2, annexe 15. - 13 -

«Après le départ de la mission de vérification au Kosovo de l’OSCE le
20 mars 1999 et, en particulier, après le déclenchement des bombardements de
l’OTAN le 24 mars, des policiers et des soldats de l’armée serbe, souvent
accompagnés de groupes paramilitaires, allèrent de village en village et, dans les
villes, de quartier en quartier, menaçant et expulsant la population kosovare de souche

albanaise. Ceux qui avaient échappé à cette première expulsion ou réussi à regagner
leur foyer furent expulsés lors de la reprise de ces opérations quelques jours ou
semaines plus tard. Les autres qui n’avaient pas été directement expulsés de force
s’enfuirent à cause du climat de terreur créé par les passages à tabac, les harcèlements,

les arrestations, les meu19res, les pilonnages et les pillages effectués systématiquement
dans toute la province.»

Afin de ne pas aborder le fond de l’espèce, l’Allemagne s’abstient de citer plus que ces quelques
lignes. Toutefois, ce rapport existe et est accessible à quiconque désire en apprendre davantage sur
l’expérience de la mission de l’OSCE.

16 2.23. En somme, à la fin du mois de mars 1999, la catastrophe humanitaire, évoquée pendant
plusieurs mois comme un événement imminent, s’était pleinement concrétisée. La population
albanaise du Kosovo était privée des garanties les plus élémentaires que tout Etat civilisé doit à ses

citoyens. Personne n’était assuré d’avoir la vie sauve, les expulsions arbitraires menaçaient tout le
monde et il n’était pas possible d’obtenir des mesures de réparation pour le préjudice et l’injustice
subis puisque c’était l’appareil de l’Etat lui-même qui s’était transformé en instrument du mal. Le
climat général de non-droit engendré par les autorités de la RFY constituait un déni de tous les
engagements auxquels la RFY avait souscrit en adhérant au pacte international relatif aux droits

civils et politiques et à d’autres instruments par lesquels elle était liée.

2.24. Malgré l’échec de nombreux efforts entrepris à tous les niveaux, la communauté
internationale s’efforça jusqu’à la toute dernière minute de trouver un moyen d’éviter
l’affrontement. C’est la raison pour laquelle, compte tenu de la situation tendue, l’envoyé spécial,

l’ambassadeur Richard Holbrooke, fit une fois de plus le voyage jusqu’à Belgrade le 22 mars 1999
pour tenter de nouveau de persuader les dirigeants de la RFY de l’importance de saisir toutes les
occasions de parvenir à une solution pacifique. Cette initiative échoua, regrettablement, elle aussi.

2.25. C’est dans ces circonstances que l’OTAN, le 23 mars 1999, prit la décision de
commencer les opérations aérienn20 contre la RFY. Son secrétaire général, Javier Solana, expliqua
dans un communiqué de presse les raisons de cette décision :

«Je tiens à être clair : l’OTAN ne fait pas la guerre contre la Yougoslavie.

Il n’y a pas de querelle entre nous et le peuple de Yougoslavie, qui, depuis trop
longtemps, est isolé en Europe à cause des politiques de son gouvernement.

Notre objectif est de prévenir de nouvelles souffrances humaines et la poursuite
de la répression et de la violence contre la population civile du Kosovo.

19Op. cit., note 17 ci-dessus, chap. 14, p. 1, annexe 16.

20Communiqué PR (1999) 040, 23 mars 1999, annexe 17. - 14 -

Nous devons aussi agir pour empêcher une extension de l’instabilité dans la
région.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Nous devons faire cesser la violence et mettre fin à la catastrophe humanitaire
qui frappe maintenant le Kosovo.»

17 2.26. Le même jour, le chancelier Gerhard Schröder, dans une allocution télévisée, adressait
au peuple allemand un message analogue :

«Ce soir, l’OTAN a entrepris des frappes aériennes contre des objectifs
militaires en Yougoslavie. L’Alliance entend ainsi mettre un terme à de graves et
systématiques violations des droits de l’homme et empêcher une catastrophe
humanitaire. Le président yougoslave Milosevic mène là-bas une guerre sans merci.

Sourdes à tous les avertissements, les forces de sécurité yougoslaves ont intensifié leur
campagne de terreur contre la majorité albanaise de la population. La communauté
internationale des Etats ne saurait rester les bras croisés pendant qu’une tragédie
humaine a lieu dans cette partie de l’Europe. Nous ne faisons pas la guerre mais nous

sommes contraints d’imposer une solution pacifique au Kosovo également par des
moyens militaires.

L’opération militaire n’est pas dirigée contre le peuple serbe. Je tiens à dire

cela en particulier à nos concitoyens d’origine yougoslave. 21us ferons tout ce qui est
possible pour éviter les pertes parmi la population civile.»

Deux jours plus tard, le 25 mars 1999, le chancelier fit une déclaration devant le Parlement
allemand, le Bundestag, sur la situation au Kosovo après le début de l’opération «Force alliée» de
22
l’OTAN . Cette déclaration contenait le passage suivant :

«Mesdames et Messieurs, dans la nuit de mercredi l’OTAN a commencé ses
frappes aériennes contre des objectifs militaires en Yougoslavie. L’Alliance a été

contrainte de prendre cette mesure pour empêcher de nouvelles violations graves et
systématiques des droits de l’homme au Kosovo et éviter une catastrophe humanitaire.
Le ministre fédéral des affaires étrangères, le Gouvernement fédéral et le groupe de
contact n’ont ménagé aucun effort au cours des dernières semaines pour tenter de

trouver une solution pacifique au conflit au Kosovo. Le président Milosevic a trompé
son propre peuple, la majorité albanaise du Kosovo et la communauté des Etats à de
nombreuses reprises … le régime de Milosevic a encore intensifié sa guerre contre la
population au Kosovo. Cette politique a provoqué des souffrances humaines

indicibles. Plus de deux cent cinquante mille personnes ont dû fuir leur foyer ou, pire,
en ont été expulsées de force. Rien qu’au cours des six dernières semaines,
quatre-vingt mille autres personnes ont tenté d’échapper à ce brasier. Si ces chiffres
étaient projetés à l’échelle de la population de la République fédérale d’Allemagne, ils

représenteraient le nombre d’habitants d’une métropole de la taille de Berlin. Il aurait
été cynique et irresponsable de rester les bras croisés face à cette catastrophe
humanitaire…» 23

21 o
Bulletin des Presse- und Informationsamts der Bundesregierung 1999, n 13, p. 140, annexe 18 (le passage
traduit y est indiqué).
22Deutscher Bundestag, Plenarprotokoll (Stenographischer Bericht) 14/31, 26 mars 1999, p. 2571, annexe 19 (le
passage traduit y est indiqué).
23
Loc. cit., p. 2571, annexe 19. - 15 -

18 2.27. Avant le conflit armé au Kosovo, pendant et après ce conflit jusqu’à ce jour, une
immense communauté de citoyens yougoslaves vivait, et vit toujours, paisiblement en Allemagne.
Le 31 décembre 1999, pas moins de sept cent quarante mille citoyens yougoslaves étaient

enregistrés officiellement en Allemagne. Certes, nombreux parmi eux sont ceux qui appartiennent
à la minorité ethnique albanaise, mais le Gouvernement fédéral estime que près des deux tiers sont
des ressortissants soit de la République serbe soit de la République monténégrine. Etant donné que
des Allemands et des personnes de nationalité non allemande vivent pacifiquement ensemble et
côte à côte sur le sol allemand, il semble tout simplement absurde de prétendre que l’Allemagne,
dans le cadre de l’opération de l’OTAN, poursuivait des objectifs génocidaires. De toute évidence,
la communauté serbe en Allemagne ne s’est pas sentie menacée. Personne n’a craint pour sa vie ni
n’a fui. L’Allemagne est demeurée totalement calme, contrairement au débat passionné qui se

déroulait dans les médias, où ces questions étaient abordées presque tous les jours d’une façon
franche et ouverte, voire critique. Malgré le caractère animé de ces discussions, personne n’a
jamais prétendu que la Bundeswehr, les forces armées allemandes, s’était engagée dans le conflit
dans le but d’exterminer un groupe ethnique particulier en RFY.

II. Les événements survenus au cours des opérations aériennes de l’OTAN

2.28. Des rapports impartiaux publiés pendant ou après le conflit armé confirment qu’en

déchaînant la vague désastreuse de violences et de crimes perpétrés au cours de cette période, les
forces de sécurité serbes ne faisaient que continuer de mettre en Œuvre une stratégie soigneusement
planifiée mais qui, avant le début des frappes aériennes, n’avait pas été appliquée à aussi grande
échelle. Ici et là, les formes les plus graves de répression avaient été employées bien avant le 26
mars 1999.

2.29. Ainsi, le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, dans un rapport
sur la situation des droits de l’homme au Kosovo daté du 31 mai 1999, écrivait à propos des

déplacements forcés :

«13. Les déplacements forcés et expulsions d’Albanais de souche du Kosovo
ont brusquement gagné en ampleur, rapidité et brutalité.

19 14. Un grand nombre d’informations glanées sur le terrain confirment que les
forces militaires, les forces de police et les unités paramilitaires serbes ont mis en
Œuvre un programme soigneusement planifié et exécuté d’expulsions sans
ménagement d’Albanais de souche du Kosovo. Plus de sept cent cinquante mille

Kosovars sont des réfugiés ou des personnes déplacées dans les pays et les territoires
voisins et, selon diverses sources, il y aurait des centaines de milliers de personnes
déplacées à l’intérieur du Kosovo. Ces déplacements semblent avoir affecté
pratiquement toutes les régions du Kosovo et certains villages de Serbie du sud, y
compris des localités qui n’ont jamais été visées par les frappes aériennes de l’OTAN
ou dans lesquelles ce que l’on nomme l’armée de libération du Kosovo (ALK) n’a
jamais été présente.

15. Ce dernier fait confirme que les réfugiés ne fuient pas les raids aériens de
l’OTAN, contrairement à ce que prétendent souvent les autorités yougoslaves. Le
caractère délibéré du programme d’expulsion des Albanais de souche du Kosovo est
démontré en outre par les déclarations des autorités et des paramilitaires serbes, qui les
invitent, au moment de leur expulsion, à se rendre en Albanie ou à jeter un dernier
regard sur leurs «terres qu’ils ne reverront plus jamais». Toutefois, en raison de
l’insécurité croissante, certains auraient apparemment décidé de s’enfuir avant d’y être - 16 -

contraints. Un certain nombre de réfugiés, en particulier des intellectuels, ont pris la
fuite après avoir été menacés au téléphone par des individus anonymes qui étaient au
24
courant de leurs moindres faits et gestes.»

2.30. Dans un rapport postérieur du 27 septembre 1999, le Haut Commissaire aux droits de

l’homme affirmait sans ambages (par. 7) :

«Les violations des droits de l’homme ont été l’une des causes fondamentales
de l’exode massif de plus d’un million d’Albanais de souche du Kosovo. Sur les

deux cent soixante-treize réfugiés interrogés, un seulement aurait quitté son village par
crainte des bombardements de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN)
tandis que tous les autres ont déclaré avoir été contraints de le faire soit sous l’effet de
25
violences directes, soit par intimidation.»

2.31. Le mouvement des pays non alignés, dans une déclaration du 9 avril 1999, affirmait ce

qui suit:

«Le mouvement des pays non alignés est profondément préoccupé par la
détérioration de la situation humanitaire au Kosovo et dans d’autres parties de la

République fédérale de Yougoslavie, ainsi que par le déplacement massif, tant à
l’intérieur des frontières que vers les pays limitrophes, de la population civile du
Kosovo.» 26

20 2.32. L’OSCE estime que près de 90 % de la population albanaise du Kosovo avait été
déplacée à la fin des opérations militaires en juin 1999 2. Des flux de réfugiés aussi massifs, à
l’intérieur du Kosovo et au-delà de ses frontières, n’auraient pas été possibles si le Gouvernement

yougoslave n’avait pas établi au préalable une stratégie minutieuse pour débarrasser le Kosovo des
Albanais.

2.33. Au cours des opérations aériennes de l’OTAN, le 7 avril 1999, le Secrétaire général des
Nations Unies publia une déclaration, dans laquelle il exprimait sa profonde affliction devant la
tragédie humanitaire qui se déroulait au Kosovo et dans la région et demandait instamment aux
autorités yougoslaves de :

«premièrement, mettre fin immédiatement à la campagne d’intimidation et
d’expulsion de la population civile;

 deuxièmement, faire cesser toutes les activités des forces militaires et
paramilitaires au Kosovo, et retirer ces forces;

 troisièmement, accepter inconditionnellement le retour dans leurs foyers des
réfugiés et de toutes les personnes déplacées;

24
Rapport du Haut Commissaire aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme au Kosovo,
République fédérale de Yougoslavie, 31 mai 1999, Nations Unies, doc. E/CN. 4/2000/7, par. 13-15, annexe 20.
25Rapport du Haut Commissaire aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme au Kosovo,
République fédérale de Yougoslavie, 27 septembre, Nations Unies, doc. E/CN. 4/2000/10, annexe 21.

26Nations Unies, doc. S/1999/451, 21 avril 1999, annexe 22.
27
Kosovo/Kosova. As seen, as Told, chap. 14, «Expulsion forcée», p. 1, annexe 16. - 17 -

 quatrièmement, accepter le déploiement d’une force militaire internationale pour
garantir que le retour des réfugiés se fera dans des conditions de sécurité et que

l’aide humanitaire sera acheminée librement;

 enfin, permettre à la communauté internationale de vérifier que ces engagements
sont respectés» 2.

En même temps, le Secrétaire général fit clairement savoir qu’une fois que les autorités
yougoslaves auraient accepté ces conditions, l’OTAN suspendrait ses frappes aériennes.

2.34. Il est inutile de fournir davantage de détails sur des faits qui sont soigneusement relatés
dans le rapport de l’OSCE et les rapports pertinents des Nations Unies. Ces faits, dont il n’est
donné ici qu’un compte rendu sommaire à seule fin d’établir l’inapplicabilité de la clause
compromissoire de l’article IX de la convention sur le génocide, parlent d’eux-mêmes. Ils

confirment pleinement que, au début de 1999, il existait vraiment, ainsi que l’ont constaté et établi
des institutions tierces bien informées et impartiales, une situation d’urgence humanitaire causée
par des crimes graves délibérément et intentionnellement commis par les forces de sécurité et les
forces militaires de la RFY, et que cette stratégie criminelle a gagné une ampleur sans précédent

lorsque la mission d’observateurs de la KVM a été retirée, et s’est poursuivie presque jusqu’à la fin
des opérations aériennes de l’OTAN.

2.35. Ces crimes furent l’apogée tragique de plus d’une décennie de violations systématiques
21
des droits de la popu29tion albanaise du Kosovo. Amnesty International, s’efforçant, dans un
rapport de mai 1999 , d’établir un bilan provisoire de la malheureuse succession d’événements de
plus en plus graves intervenus après le 23 mars 1999, écrivait ce qui suit :

«Malheureusement, la tragédie humaine des dernières semaines au Kosovo ne
surprend pas Amnesty International. Depuis plus d’une décennie, notre organisation
réunit des documents et exprime sa préoccupation face à la violation systématique des
droits de l’homme dans cette province. Pendant cette période, rares ont été celles,

parmi les nombreuses victimes des violations des droits de l’homme dont le nom et
l’histoire ont été publiés dans les rapports d’Amnesty International, qui ont obtenu une
réparation quelconque pour les crimes commis à leur encontre par la police et les
forces de sécurité yougoslaves. En fournissant à la communauté internationale une

documentation fondée sur des recherches rigoureuses à propos de la négation de
nombreux des droits les plus fondamentaux de la population de souche albanaise du
Kosovo depuis les années quatre-vingt, Amnesty International a inlassablement alerté
la communauté internationale au sujet du désastre imminent qui se préparait du point
30
de vues des droits de l’homme.»

2.36. Il est très significatif, par ailleurs, que dans aucun des propos ou déclarations des
partisans de la RFY et des critiques de l’OTAN, le mot «génocide» n’ait jamais été prononcé. On

peut se référer, par exemple, à la résolution adoptée le 3 avril 1999 par l’Assemblée
interparlementaire des Etats membres de la communauté d’Etats indépendants concernant la
Déclaration de l’Assemblée interparlementaire relative aux opérations militaires de l’Organisation

28
Proposition par le Secrétaire général de conditions pouvant entraîner la cessation des hostilités au Kosovo,
communiqué de presse SG/SM/6952 du 9 avril 1999, annexe 23.
29Amnesty International, Kosovo Province, Federal Republic of YugoslaviaMémorandum au Conseil de
sécurité des Nations Unies, doc. EUR 70/49/99, mai 1999.
30
Op. cit., p. 9 et 10, annexe 24 - 18 -

du Traité de l’Atlantique Nord sur le territoire de la République fédérale de Yougoslavie . Bien

que cette résolution condamne l’action militaire contre la RFY, elle est loin de laisser entendre que
l’OTAN se soit engagée dans une entreprise de génocide contre la population serbe yougoslave.

2.37. Par ailleurs, on ne saurait passer sous silence que le Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie a annoncé, le 27 mai 1999, qu’il avait mis en accusation pour crimes contre
l’humanité et violation des lois et des coutumes de la guerre au Kosovo le président de la RFY,
22
Milosevic, le président de la Serbie, Milutinovic, le vice-président de la RFY, Sainovic, le chef de
l’état-major de la RFY, Ojdanic et le Ministre de l’Intérieur de la RFY, Stojilkovic.

III. La situation après le conflit armé

2.38. Après l’adoption par le Conseil de sécurité, le 10 juin 1999, de la résolution 1244, dont
il est inutile de rappeler ici le contenu en détail, toutes les opérations aériennes contre la RFY

furent immédiatement arrêtées. Depuis cette date, le Conseil de sécurité assume la responsabilité
de la province du Kosovo. Il a décidé de déployer au Kosovo une présence internationale civile et
militaire, «sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies» (par. 5 du dispositif). Deux organes
(la MINUK et la KFOR) administrent les affaires internes du Kosovo dans les limites du mandat
défini par le Conseil. Il est vrai que la MINUK et la KFOR maintiennent l’ordre public au Kosovo
au prix de grands efforts. Bien qu’elles n’aient pas encore atteint totalement leurs objectifs, la

situation générale s’est nettement améliorée. D’une part, le nombre de victimes est tombé à un
niveau qui est encore trop élevé mais qui ne peut en aucune façon être comparé avec la vague de
meurtres et de destructions qui a déferlé sur le Kosovo lorsque les forces de sécurité serbes étaient
encore présentes dans la province. D’autre part, un saut quantique a été effectué : alors qu’avant le
10 juin 1999, il existait une politique officielle de non-respect des droits de l’homme des Albanais
du Kosovo, y compris une stratégie consistant à méconnaître le droit à la vie de ce groupe ethnique
soumis à une discrimination institutionnalisée, la MINUK et la KFOR ont reçu le mandat de

garantir et de protéger les droits de l’homme de tous les habitants du Kosovo. Toutes les morts qui
ont eu lieu après le 10 juin 1999 sont le résultat d’un comportement criminel que la MINUK et la
KFOR font de leur mieux pour prévenir et sanctionner par des peines appropriées.

2.39. Dans l’annexe 2 de la résolution 1244 (1999), il est précisé que la présence
internationale de sécurité au Kosovo doit être établie sous commandement et contrôle unifiés «avec

une participation substantielle de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord». Mais les pays de
l’OTAN ne sont pas les seuls à fournir des troupes pour permettre à la KFOR d’accomplir son
mandat. Pas moins de quatorze Etats Membres des Nations Unies qui ne sont pas membres de
l’OTAN participent également à la mission de la KFOR : l’Argentine, l’Autriche, l’Azerbaïdjan,
23 les Emirats arabes unis, la Fédération de Russie, la Finlande, la Géorgie, l’Irlande, la Lituanie, le
Maroc, la Slovaquie, la Suède, la Suisse et l’Ukraine. Les contingents de la KFOR sont organisés

en cinq brigades multinationales dont chacune a son secteur spécifique : centre (dirigée par le
Royaume-Uni), nord (dirigée par la France), sud (dirigée par l’Allemagne), ouest (dirigée par
l’Italie) et est (dirigée par les Etats-Unis). Chacune des cinq brigades se compose de forces
militaires d’Etats membres et d’Etats non membres de l’OTAN. Au sein de cette structure, le
contrôle opérationnel est confié au commandant responsable de la KFOR. Les Etats conservent
toutefois des éléments de commandement déterminants, comme le droit de retirer ou de réduire le

contingent de leurs forces nationales.

31Nations Unies, doc. A/53/920 et S/1999/461, 22 avril 1999, annexe 25. - 19 -

2.40. Les unités militaires allemandes, de même que les fonctionnaires de police et

fonctionnaires civils allemands, qui sont envoyés au Kosovo reçoivent pour instruction claire
d’axer leur action — sous la direction de la KFOR et de la MINUK — sur la reconstruction de la
province, sur l’instauration de la paix et de la coopération entre les communautés ethniques, sur la
protection de tous les groupes au Kosovo contre les actes criminels ou racistes, l’oppression, la

persécution et les menaces, sur la restauration de l’administration publique et sur l’édification de
structures démocratiques régies par la primauté du droit. Des actes préjudiciables à des habitants
de la province, malheureusement la plupart du temps d’origine serbe ou d’une autre minorité,

continuent à être commis par des criminels. Ils font l’objet d’enquêtes approfondies. Leurs auteurs
sont passibles de poursuites et de sanctions pénales. Il est évident que toutes les organisations
déployées au Kosovo font de leur mieux pour rétablir la primauté du droit et empêcher toute forme
de discrimination, et faire du Kosovo un foyer pour tous ses habitants. Exprimant sa

reconnaissance pour ces efforts, la Haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies a
affirmé dans son dernier rapport sur la situation des droits de l’homme au Kosovo, daté du 28 mars
2000, :

«La Haut-Commissaire tient à rendre hommage, pour les activités qu’ils ont
menées à bien dans des conditions très difficiles, à la mission d’administration
intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK), à l’OSCE, au Haut Commissariat

des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) 32 et à d’autres organisations
intergouvernementales et non gouvernementales…»

2.41. Le Secrétaire général des Nations Unies a expliqué dans plusieurs rapports les mesures
à adopter et les mesures déjà prises pour améliorer la situation en matière de sécurité pour la
population civile du Kosovo, et en particulier pour le groupe serbe, qui y est minoritaire. Dans un
rapport du 12 juillet 1999, le Secrétaire général a décrit les efforts déployés par la KFOR et la
33
24 MINUK pour contenir la violence . Dans un rapport du 16 septembre 1999, il a souligné que la 34
sécurité des Serbes et des autres groupes vraiment minoritaires constituait une priorité élevée .
Dans un rapport du 23 décembre 1999, des mesures supplémentaires étaient indiquées pour assurer
une protection efficace de la population serbe 35. Le dernier rapport, en date du 3 mars 2000 , 36

comme les précédents, aborde de façon franche et ouverte les difficultés que présente la situation
du point de vue de la sécurité, tout en indiquant clairement une stratégie de lutte contre la
violence 37. Il existe donc une politique bien définie des Nations Unies visant à assurer un

environnement sûr pour chacun des habitants du Kosovo.

2.42. Dans ces circonstances, il est visiblement absurde de soutenir que l’Allemagne puisse

être responsable d’actes de génocide au cours de la période postérieure au 10 juin 1999. En ce qui
concerne cette période postérieure au conflit, le rôle de l’Allemagne est et demeure limité à celui
d’un gardien de la loi et de l’ordre pour la protection des droits de l’homme de tous les habitants du
secteur placé sous sa responsabilité. De ce point de vue, l’Allemagne relève qu’il n’y a dans le

mémoire de la RFY pas le moindre indice établi qui démontre que, en tant que l’un des pays qui
contrôlent les cinq secteurs, elle aurait pu mener une politique anti-serbe. Quiconque soutient

32Rapport du Haut Commissaire aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme au Kosovo,
Nations Unies, doc. E/CN, 4/2000/32, 28 mars 2000, annexe 26 (version non officielle disponible à l’adresse Internet
www.unhchr.ch).

33Nations Unies, doc. S/1999/779, par. 4-7, 26, 85-90, annexe 27.
34
Nations Unies, doc. S/1999/987, par. 2-6, 45-50, annexe 28.
35Nations Unies, doc. S/1999/1250, par. 24-28, annexe 29.

36Nations Unies, doc. S/2000/177, par. 20-25, annexe 30.
37
Ibid., par. 23. - 20 -

qu’un génocide a été commis après le 12 juin 1999, jour où la KFOR a effectivement assumé son
mandat, accuse inévitablement les Nations Unies d’être responsables des atrocités alléguées, car

c’est le Conseil de sécurité qui a investi cette mission des Nations Unies de l’autorité sur le
territoire et le peuple du Kosovo, y compris de tous les pouvoirs législatifs et exécutifs ainsi que de
l’administration du pouvoir judiciaire. - 21 -

25 TROISIEME PARTIE

LA COUR N’EST PAS COMPETENTE POUR CONNAITRE DE LA REQUETE
INTRODUITE PAR LA YOUGOSLAVIE

I. La Cour n’est pas ouverte à la République fédérale de Yougoslavie
26

3.1. Pouvoir ester devant la Cour constitue, en principe, une prérogative des parties au Statut
de celle-ci (art. 35, par. 1). Alors qu’en vertu de l’article 93 de la Charte, tous les Membres de
l’Organisation sont automatiquement parties au Statut, les non-membres peuvent être autorisés à
accéder à cet instrument. De plus, le paragraphe 2 de l’article 35 du Statut dispose que même les
Etats n’appartenant à aucun de ces deux groupes peuvent éventuellement bénéficier de la
possibilité d’avoir recours aux services de la Cour. La RFY ne remplit cependant pas les

conditions posées par l’article 93 de la Charte et par l’article 35 du Statut. N’étant pas membre des
Nations Unies, elle n’est pas partie au Statut. Plus encore, elle ne saurait invoquer le paragraphe 2
de l’article 35 car elle n’a pas présenté la déclaration prescrite par la résolution 9 (1946) du Conseil
de sécurité qui lui permettrait de se présenter devant la Cour. Elle s’est contentée de déposer, le
26 avril 1999, une déclaration d’acceptation de la juridiction de la Cour. Une telle déclaration
déposée en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, et ouverte aux Etats parties au Statut, ne
correspond pas à la déclaration prescrite par la résolution 9 (1946). Au paragraphe 2 de cette

résolution, une distinction claire est en effet établie entre cette déclaration et la déclaration
préliminaire qu’un Etat non partie au Statut doit présenter avant de pouvoir reconnaître la
compétence de la Cour au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut. La RFY a apparemment
supposé qu’elle était toujours Membre des Nations Unies et qu’elle n’était pas tenue de prendre ce
double engagement pour s’insérer dans la communauté des Etats jouissant de l’accès à la Cour. De
plus, en tant que non-partie au Statut, elle ne pouvait introduire une requête en vertu du paragraphe

2 de l’article 36. Il est explicitement prévu au paragraphe 2 de la résolution 9 (1946) du Conseil de
sécurité qu’un tel Etat ne saurait «hors le cas de convention expresse» se fonder sur sa propre
acceptation de la juridiction de la Cour vis-à-vis d’Etats parties au Statut qui ont effectué une
déclaration conformément au paragraphe 2 de l’article 36.

3.2. La conclusion formulée ci-dessus n’est pas contredite par le passage pertinent de la

décision rendue par la Cour en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (mesures conservatoires) où, à propos des mots «sous
réserve des dispositions particulières des traités en vigueur», figurant au paragraphe 2 de l’article
35 du Statut, la Cour a dit ce qui suit :

27 «en conséquence la Cour estime qu’une instance peut être valablement introduite par
un Etat contre un autre Etat qui, sans être partie au Statut, est partie à une telle

disposition particulière d’un traité en vigueur, et ce indépendamment des conditions
réglées par le Conseil de Sécurité dans sa résolution 9 (1946) … une clause
compromissoire d’une convention multilatérale, telle que l’article IX de la convention
sur le génocide, invoqué par la Bosnie-Herzégovine en l’espèce, pourrait être
considérée prima facie comme une disposition particulière d’un traité en vigueur;
qu’en conséquence, si la Bosnie-Herzégovine et la Yougoslavie sont toutes deux

parties à la convention sur le génocide, les différends auxquels s’applique l’article IX
relèven38en tout état de cause prima facie de la compétence ratione personae de la
Cour.»

38C.I.J. Recueil 1993, p. 14, par. 19. - 22 -

3.3. Au premier regard, il semblerait qu’il ne soit plus utile de se demander si la Yougoslavie
est Membre des Nations Unies et, par conséquent, partie au Statut. Cette impression paraît
confirmée par l’arrêt rendu dans l’affaire relative à l’Application de la convention pour la

prévention et la répression du crime de génocide mentionnée ci-dessus, où 39 Cour a examiné et
rejeté toutes les exceptions préliminaires soulevées par la Yougoslavie . Il est toutefois également
clair que, dans cette affaire, la Yougoslavie n’a pas bâti sa défense sur le fait qu’elle n’était pas
partie au Statut et ne pouvait par conséquent se présenter devant la Cour. Elle s’appuyait, dans ses
40
sept exceptions préliminaires, sur d’autres moyens pour contester la compétence de la Cour . On
comprend aisément pourquoi il n’était de l’intérêt d’aucune des deux parties d’insister pour que la
Cour sonde la question du statut juridique de la RFY en tant que Membre ou non-membre des
Nations Unies. La RFY elle-même a toujours maintenu qu’elle se confondait juridiquement avec

l’ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie (RFSY). En invitant la Cour à
examiner la valeur de cette thèse, elle aurait pu affaiblir sa position. D’autre part, il était essentiel
pour la Bosnie-Herzégovine de ne pas voir disparaître son opposant en l’affaire. En prétendant
devant la Cour, comme elle l’a fait à d’autres tribunes, qu’un nouvel Etat était né du fait de la

succession, elle risquait de mettre brutalement fin à la procédure qu’elle avait engagée et de devoir
renoncer au stade de l’examen au fond auquel elle avait le plus grand intérêt.

28 3.4. Dans la doctrine, il a été souligné à juste titre que le passage cité, dans lequel la Cour
semble écarter les conditions posées par la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité, ne constitue
qu’une appréciation provisoire. Shabtai Rosenne fait observer : «Cette conclusion provisoire ne
tranche pas définitivement la question.» 41 Il souligne que l’opinion de la Cour doit être comprise

dans le cadre d’une instance où une partie cherche à obtenir des mesures conservatoires pour une
période. Dans de telles circonstances, la Cour procède à une évaluation prima facie de la situation
de droit et s’abstient de se prononcer de façon définitive.

3.5. En fait, à l’occasion d’une analyse minutieuse du paragraphe 2 de l’article 35 du St42ut,
Sienho Yee a effectué des recherches approfondies sur la genèse de la rédaction de ce texte . Il en
conclut que la formule «sous réserve des dispositions particulières des traités en vigueur» doit être
comprise comme faisant référence aux accords sur le règlement des différends relatifs à la seconde

guerre mondiale, et en tout cas, aux traités qui étaient déjà entrés en vigueur au moment où le Statut
a été adopté. Mais, à titre d’avis purement personnel, afin d’offrir une explication de la
jurisprudence de la Cour dans l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide, il ajoute que cette formule devrait également pouvoir être

invoquée dans les affaires concernant des normes de jus cogens. Une appréciation aussi large
remettrait totalement en cause la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité, qui pose les
dispositions générales réglant la question du recours à la Cour pour les Etats non membres des
Nations Unies, et déformerait la signification de cette exception. En fait, l’un des principaux

objectifs de la résolution est de s’assurer que les Etats se conforment effectivement à toute décision
rendue par la Cour. Ils doivent être soumis aux mêmes obligations que les Membres de
l’Organisation en vertu de l’article 94 de la Charte.

3.6. La Cour n’a pas explicité les raisons pour lesquelles elle s’est abstenue d’apporter une
solution à la question qu’elle avait abordée dans son ordonnance en indication de mesures

39
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, exceptions
préliminaires, C.I.J. Recueil 1996, p. 595.
40
Ibid., p. 604-606.
41The Law and Practice of the International Court, 1920-1996, vol. III, The Hague et al., Martinus Nijhoff
Publishers, 1997, p. 630.
42
The Interpretation of «Treaties in Force» in Article 35 (2) of the Statute of the ICJ, 47 ICLQ (1998),
p. 902-903, annexe 31. - 23 -

43
conservatoires . On doit supposer qu’elle a agi ainsi parce qu’aucune des deux parties ne désirait
voir le différend prendre fin pour cette raison. En la présente affaire, la situation est totalement
différente. Il est rappelé que l’Allemagne demande officiellement à la Cour de rejeter la requête de
29 la RFY en raison d’une absence de compétence. En ce qui concerne la question de la qualité de
Membre des Nations Unies de la RFY, il ne peut, en aucun cas, être dit que la question a été réglée

une fois pour toutes dans l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide. Dans son opinion individuelle jointe à l’affaire relative à la
licéité de l’emploi de la force, le juge Rosalyn Higgins souligne (par. 21) :

«En l’espèce, la Cour n’a pas non plus statué définitivement sur la question du
statut de la République fédérale de Yougoslavie ou sur d’autres questions concernant

son appartenance aux Nations Unies et donc sa qualité de partie au Statut ayant le
droit de faire une déclaration conformément au paragraphe 2 de l’article 36 dudit
Statut. Ce sujet revêt clairement une complexité et une importance considérables et il
est normal qu’il n’ait pas fait l’objet de conclusions complètes et systématiques au
cours de la procédure orale à propos des mesures conservatoires.»

Le juge Kooijmans est encore plus catégorique dans son opinion individuelle. Il écrit (par. 25) :

«J’en suis arrivé à la conclusion qu’il y a de fortes raisons de s’interroger sur la
question de savoir si la République fédérale de Yougoslavie est un Membre à part
entière des Nations Unies et, en cette qualité, capable d’accepter la juridiction

obligatoire de la Cour en tant que partie à son Statut.»

Enfin, le juge Oda affirme carrément (par. 4) : «la République fédérale de Yougoslavie n’étant pas
membre des Nations Unies et donc pas partie au Statut de la Cour, elle n’a pas qualité pour porter
sa requête devant la Cour». Il est dès lors indispensable de procéder à l’examen de ces questions
d’«une complexité et [d’]une importance considérables» .

3.7. Il a déjà été signalé que l’actuel Etat de Yougoslavie, la République fédérale de
Yougoslavie (RFY), se considère comme la même personne juridique que l’ex-République
fédérative socialiste de Yougoslavie (RFSY). Lorsque le nouvel Etat fut proclamé le 27 avril 1992,
la déclaration officielle ci-après fut adoptée :

«La République fédérale de Yougoslavie, assurant la continuité de l’Etat et de la
personnalité juridique et politique internationale de la République fédérative socialiste
de Yougoslavie, respectera strictement tous les engagements que la République
fédérative socialiste de Yougoslavie a pris à l’échelon international.»44

30 3.8. En 1992, un haut fonctionnaire du gouvernement, Vladislav Jovanović, qui participa, il
n’y a pas si longtemps, le 26 mars 1999, au débat devant le Conseil de sécurité lorsque fut examiné
(et rejeté) le projet de résolution sur le Kosovo figurant dans le document S/1999/328, chercha à
justifier cette thèse comme suit :

«Les critères essentiels pour la continuité et la personnalité d’un Etat sont : des
portions de territoire importantes qui maintiennent son existence; une partie
importante de la population; un gouvernement et une organisation de l’autorité
indépendants agissant conformément à la constitution du pays. Le noyau de la
Yougoslavie était formé de la Serbie et du Monténégro qui investirent ensemble leur

qualité d’Etat dans l’Etat de Yougoslavie avec tous leurs droits et obligations, leurs

43
Voir également Yee, loc. cit., p. 887.
44Reproduit dans C.I.J. Recueil 1996, p. 610. - 24 -

traités internationaux et leurs qualités de membres des organisations
internationales… Par conséquent, nous réunissons toutes les conditions physiques,
matérielles ainsi que juridiques requises pour assumer l’identité et l’existence
ininterrompues de la Yougoslavie. Cette vision de continuité et d’identité ne porte pas

atteinte à la possibilité pour les nouveaux Etats d’ac45érir une reconnaissance
internationale conformément au droit international.»

3.9. La prétention à assurer la continuité de la personnalité juridique internationale — par

opposition à une succession d’Etat — ne fut pas accueillie par le Conseil de sécurité des
Nations Unies. Peu de temps après l’adoption de la déclaration yougoslave du 27 avril 1992, le
Conseil notait, dans la résolution 757 (1992) du 30 mai 1992 (al. 10 du préambule) que
«l’affirmation de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) selon laquelle
elle assure automatiquement la continuité de l’ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie

comme Membre de l’Organisation des Nations Unies n’a pas été généralement acceptée». Alors
que cette première déclaration sur le statut de la «Yougoslavie» prenait la forme d’un simple
considérant, ne reflétant pas une décision du Conseil de sécurité lui-même, celui-ci fut bien plus
énergique quelques mois plus tard lorsqu’il adopta la résolution 777 (1992), le 19 septembre 1992.

Dans le préambule de cette résolution (al. 2), il est affirmé sans équivoque que «l’Etat
antérieurement connu comme la République fédérative socialiste de Yougoslavie a cessé
d’exister».

31 3.10. S’agissant des conséquences de cette constatation, le Conseil de sécurité adopta une
position tout à fait cohérente, lorsqu’il se prononça comme suit (résolution 777, par. 1 du
dispositif) :

«[le Conseil de sécurité c]onsidère que la République fédérative de Yougoslavie

(Serbie et Monténégro) ne peut pas assurer automatiquement la continuité de la qualité
de Membre de l’ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie aux
Nations Unies et par conséquent recommande à l’Assemblée générale de décider que
la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) devrait présenter une
demande d’adhésion aux Nations Unies et qu’elle ne participera pas aux travaux de

l’Assemblée générale».

Si, la RFSY a effectivement cessé d’exister en tant qu’Etat, sa qualité de Membre des
Nations Unies a pris fin et la RFY, en tant que nouvel Etat, devait déposer une demande
d’admission conformément à la procédure prévue à l’article 4 de la Charte des Nations Unies.

Dans ces circonstances, il était inutile de préciser que la RFY ne pouvait participer aux travaux de
l’Assemblée générale. Cette précision fut ajoutée dans le seul but d’énoncer clairement la situation
juridique.

3.11. A partir de 1992, le Conseil de sécurité est demeuré tout à fait cohérent dans son
traitement de la question de la RFY. Chaque fois qu’un représentant de la RFY était invité à
participer à un débat devant le Conseil de sécurité, il était invariablement invité en sa qualité
personnelle et non comme représentant de la RFY. Un communiqué officiel concernant une
réunion du Conseil de sécurité du 16 février 2000 4, par exemple, fait largement ressortir cette

distinction. Alors qu’un certain nombre de représentants d’Etats non membres du Conseil de

45 Vladislav Jovanovic, 9 mars 1992, Review of International Affairs (Belgraavril 1992, p. 14 et 15,
reproduit par M. Weller, The International Response to the Dissolution of the Socialist Federal Republic of Yugoslavia,
86 AJIL (1992), p. 595.

46Nations Unies, doc. S/PV. 4102, 16 février 2000, annexe 32. - 25 -

sécurité sont mentionnés sans que soit indiqué leur nom, une procédure inverse a été suivie en ce
qui concerne M. Jovanović, l’ambassadeur de la RFY. Dans son cas, son nom apparaît dans le
communiqué alors que le nom du pays qu’il représente est introuvable dans le texte.

3.12. Il est certainement vrai que, au cours de la discussion sur le projet de texte qui aboutit
finalement à la résolution 777 (1992) du Conseil de sécurité, les représentants de deux membres
permanents du Conseil demandèrent que la qualité de Membre des Nations Unies de la
Yougoslavie ne soit pas modifiée au-delà de sa non-participation aux travaux de l’Assemblée
générale. Leurs interventions consistèrent cependant à préciser qu’aux termes de la résolution 777,
47
32 la Yougoslavie n’était pas exclue de l’Organisation . Ce ne fut effectivement pas le cas. Les
propositions énoncées dans la résolution 777 (1992) ne sont rien de plus que les conséquences
naturelles de la disparition de la RFSY . 48 Si, sur le territoire d’un ancien Membre des
Nations Unies, un Etat successeur s’établit, ce nouvel Etat doit présenter une demande d’admission
comme l’ont fait tous les autres Etats successeurs de l’ex-RFSY, c’est-à-dire la

Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Macédoine et la Slovénie. Il n’y a pas de succession
automatique en ce qui concerne la qualité de Membre des Nations Unies.

3.13. Dans la résolution 47/1 du 22 septembre 1992, l’Assemblée générale se conforma
respectueusement à la recommandation du Conseil de sécurité. Elle décida que la RFY ne pouvait

assumer automatiquement la qualité de Membre de l’ONU à la place de la RFSY, que par
conséquent elle ne participerait pas aux travaux de l’Assemblée générale et qu’elle devrait
présenter une demande d’admission à l’Organisation. L’Assemblée omit seulement de dire en
termes explicites, comme le Conseil de sécurité l’avait fait, que l’ex-RFSY avait cessé d’exister.

3.14. Le bur49u des affaires juridiques des Nations Unies, dans un avis du
29 septembre 1992 , analysa la situation juridique créée par la résolution 47/1 de l’Assemblée
générale dans les termes suivants :

«[L]a résolution n’emporte pas pour la Yougoslavie l’abolition ni la
suspension de sa qualité de Membre de l’Organisation. En conséquence le siège
et les plaques sont maintenus mais dans les organes de l’Assemblée générale,
les représentants de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) ne peuvent pas prendre place derrière le panonceau

«Yougoslavie». Les missions yougoslaves au siège de l’ONU ainsi qu’aux
sièges de ses bureaux peuvent continuer de fonctionner et peuvent recevoir et
distribuer des documents. Au siège, le Secrétariat continuera de hisser le
drapeau de l’ancienne Yougoslavie vu qu’il est le dernier utilisé par lui. La
résolution n’abolit pas le droit de la Yougoslavie de participer aux travaux

d’organes autres que ceux de l’Assemblée générale. L’admission de la nouvelle
Yougoslavie à l’Organisation des Nations Unies conformément à l’article 4 de
la Charte mettra fin à la situation créée par la résolution 47/1.»

3.15. Mais la question ne fut pas réglée avec la fermeture des portes de l’Assemblée générale
33
devant la RFY. Il était toujours possible de soutenir que l’interdiction imposée à la RFY
n’entravait pas sa participation à d’autres domaines d’activité importants des Nations Unies. S’il

47Russie, Nations Unies, doc. S/PV. 3116, 19 septembre 1992, p. 2-6; Chine, ibid., p. 14; ainsi qu’une
argumentation similaire de l’Inde, ibid., p. 6, annexe 33.
48
19 septembre 1992, p. 13, annexe 33. Etats-Unis au cours du même débat, Nations Unies, doc. S/PV. 3116,

49Annuaire juridique des Nations Unies 1992, p. 428, annexe 34. - 26 -

demeurait encore une échappatoire, cependant, elle fut rapidement colmatée. Par la résolution 821

(1993) du 28 avril 1993 (par. 1 du dispositif), le Conseil de sécurité recommanda que la «RFY
(Serbie et Monténégro) ne participe pas aux travaux du Conseil économique et social».
L’Assemblée générale se conforma à ce souhait dans sa résolution 47/229 du 5 mai 1993, par

laquelle elle «décid[ait] que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne
participera[it] pas aux travaux du Conseil économique et social». Par cet acte, la RFY fut
définitivement écartée de tout l’éventail des activités des Nations Unies. Les Etats Membres des

Nations Unies qui ne sont pas membres du Conseil de sécurité peuvent participer aux travaux de
l’Assemblée générale et de ses organes subsidiaires ou aux travaux du Conseil économique et
social et de ses organes subsidiaires. Tertium non datur. Un Etat tenu à l’écart de ces deux

organes a perdu toute relation institutionnelle avec l’Organisation.

3.16. Bien que l’Organisation des Nations Unies ait grosso modo suivi dans sa pratique les

conseils du service des affaires juridiques — la «Yougoslavie» est toujours comptée comme
Membre de l’Organisation, ses plaques et son drapeau ont toujours leur place dans les locaux de
l’Organisation, la «Yougoslavie» est toujours mise à contribution pour le budget de l’Organisation

conformément aux quotes-parts fixées par le barème — , ces considérations factuelles ne sauraient
faire oublier la situation juridique véritable. Ainsi que cela a déjà été souligné, des raisons
déterminantes militent contre l’idée que, dans les circonstances actuelles, la Yougoslavie puisse

être considérée comme un Membre de l’Organisation.

3.17. Il est de notoriété publique que, dans le cadre de la conférence pour la paix réunie par
la Communauté européenne et la Yougoslavie, une commission d’arbitrage fut établie avec pour
mandat de statuer sur les désaccords entre les autorités compétentes 5. La première question que la

commission d’arbitrage fut invitée à trancher concernait précisément le statut de la Yougoslavie
après que la Croatie et la Slovénie eurent déclaré leur indépendance. Répondant à cette question, la
34 commission d’arbitrage statua dans son avis n o 1 du 29 novembre 1991, que «la République
51 o
socialiste fédérative de Yougoslavie est engagé52dans un processus de dissolution» . L’avis n 8,
rendu sept mois plus tard, le 4 juillet 1992 , constatait que la désintégration s’était poursuivie et
que de nouveaux Etats souverains s’étaient constitués. En conséquence, elle fut d’avis «que le
processus de dissolution de la RSFY mentionné dans l’avis n 1 du 29 novembre 1991 est arrivé à
o 53
son terme et qu’il faut constater que la RSFY n’existe plus». Le même jour, dans son avis n 9 , la
commission affirmait par conséquent que «[d]e nouveaux Etats ont été créés sur le territoire de
l’ancienne RSFY et se sont substitués à elle. Ils sont tous des Etats successeurs de l’ancienne
54
RSFY» , ajoutant dans ses conclusions que :

«il doit être mis un terme à la qualité de membre de la RSFY dans les organisations

internationales conformément à leurs statuts respectifs et qu’aucun des Etats
successeurs ne peut revendiquer en tant que tel et pour lui seul le bénéfice des droits
détenus jusqu’alors par l’ancienne RSFY en sa qualité de membre» 5.

50
Voir A. Pellet, «Note sur la commission d’arbitrage de la conférence européenne pour la paix en Yougoslavie»,
AFDI 1991, p. 329-348.
51
31 ILM (1992), p. 1497 (en français in RGDIP, 1992, p. 264 et suiv.).
5231 ILM (1992), p. 1523 (en français in RGDIP, 1993, p. 588 et suiv.) annexe 35.

53Ibid., p. 1523.
54
Ibid., p. 1524.
55Ibid., p. 1525. - 27 -

o
Enfin, dans son avis n 10, également daté du 4 juillet 1992, la commission d’arbitrage jugea que :
«la RFY (Serbie et Monténégro) appara[issait] comme un Etat nouveau qui ne saurait être
considéré comme l’unique successeur de la RSFY» 56.

3.18. Si les conclusions de la commission d’arbitrage ne produisent pas d’effets juridiques
obligatoires pour tous les Etats, nouveaux ou anciens, sis sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, elles
ont un poids considérable car elles dépeignent la situation juridique vue par une tierce partie
objective. La commission fut créée par une déclaration commune sur la Yougoslavie adoptée le

27 août 1991, lors d’une réunion extraordinaire des ministres dans le cadre de la coopération
35 politique européenne, et cet arrangement fut accepté par les six républiques yougoslaves lors de
l’ouverture de la conférence de paix le 7 septembre 1991. De cette manière, la Serbie et le
Monténégro, qui devinrent par la suite la RFY, se soumettaient à la juridiction de la commission
d’arbitrage57.

3.19. Ce n’est pas uniquement l’argumentation convaincante de la commission d’arbitrage
qui pousse à conclure que la RFY est un nouvel Etat, dont la situation ne diffère en rien de celle des
autres Etats successeurs de l’ancienne RFSY. La Yougoslavie fut créée après la première guerre

mondiale en tant que Royaume des Croates, des Serbes et des Slovènes. Ces trois nations étaient
placées sur un pied d’égalité. Même la constitution de la RFSY de 1974 conserva cette structure
égalitaire entre les différentes composantes, son article 2 disposant ce qui suit :

«La République fédérative socialiste de Yougoslavie se compose de la

République socialiste de Bosnie-Herzégovine, de la République socialiste de Croatie,
de la République socialiste de Macédoine, de la République socialiste du Monténégro,
de la République socialiste de Serbie … , et de la République socialiste de Slovénie.»

3.20. Apparemment, rien dans cette structure ne conférait à la République de Serbie une
préséance juridique quelconque. Ceci étant, il n’y a aucune raison qui permette de soutenir que la
Serbie et le Monténégro aient constitué une sorte de «noyau de la Yougoslavie». Si un Etat se
désintègre et que tous ses éléments constitutifs acquièrent la qualité d’Etat indépendant, le
processus en question ne saurait être appelé «sécession». Ainsi que l’a justement dit la
o
Commission d’arbitrage dans son avis n 1, la Yougoslavie est passée par un processus de
dissolution.

3.21. Le fait que la «Yougoslavie» figure dans la liste des Etats Membres des Nations Unies

et que ses plaques et son drapeau aient été conservés n’est pas susceptible d’influer sur
l’appréciation juridique requise de la situation de droit. Lorsqu’on examine ces éléments de fait, il
faut se rendre compte en particulier que tout Etat Membre dispose d’un droit absolu de participer
aux délibérations de l’Assemblée générale à moins d’une décision prise en application de l’article 5

de la Charte. Une telle décision n’a jamais été prise à l’encontre de la «Yougoslavie». Une
appartenance normale à l’Organisation sans la capacité de siéger à l’Assemblée générale serait
dépourvue de toute signification réelle.

56Op. cit., p. 1525-1526.

57 Voir Interlocutory Decision by the Arbitration Commission of 4 July 1992 (Décision interlocutoire de la
commission d’arbitrage du 4 juillet 1992) 31 ILM (1992), p. 1520, annexe 35. - 28 -

36 3.22. Dans le cas de l’Afrique du Sud, qui a également été privée pendant de nombreuses
années de toute participation aux séances plénières de l’Organisation, l’Assemblée générale était
motivée par le désir de sanctionner cet Etat en raison de ses politiques racistes : le gouvernement
composé uniquement de Blancs n’était pas reconnu comme le représentant légitime d’un pays

comptant une grande majorité noire. Le 12 novembre 1974, le président de l’Assemblée générale
prit une décision portant que le rejet des lettres de créance de la délégation sud-africaine équivalait
à dire que «l’Assemblée générale refus[ait] de faire participer la délégation sud-africaine à ses
travaux» 5.

59
3.23. On sait que la légalité de cette exclusion fut contestée . En tout cas, elle était fondée
sur un motif plausible. En aucune circonstance, toutefois, un Etat ne saurait être arbitrairement
privé des droits liés à sa qualité de membre par les organes politiques qui, eux aussi, doivent se
conformer aux dispositions de la Charte. Ni le Conseil de sécurité, ni l’Assemblée générale ne sont

maîtres de la Charte. La Charte est un instrument rédigé et appliqué par les Etats Membres de
l’Organisation. Ceux-ci ont seuls le pouvoir de modifier, le cas échéant, le régime juridique établi
par la Charte. Toutes les institutions créées en vertu de la Charte tirent leurs pouvoirs de cet
instrument constitutif. L’un des principes fondamentaux des Nations Unies est l’égalité
souveraine. Tous les Etats Membres jouissent des mêmes droits de participation, comme l’indique

explicitement l’article 9. Tout traitement discriminatoire est incompatible avec la philosophie de la
Charte.

3.24. La résolution 777 (1992) du Conseil de sécurité et la résolution 47/1 de l’Assemblée
générale, ainsi que la résolution 821 (1993) du Conseil de sécurité et la résolution 47/229 de

l’Assemblée générale demeurent totalement silencieuses sur un quelconque motif de discrimination
légitime à l’encontre de la «Yougoslavie». En 1992 ou 1993, l’idée qu’un nouvel Etat puisse être
privé des droits inhérents à sa qualité de Membre était totalement inconcevable pour les organes
compétents des Nations Unies, sans parler du fait qu’une telle privation n’est pas prévue par la
Charte des Nations Unies. Ainsi, le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale, s’ils avaient
37
recommandé ou décidé que la RFY ne devait plus être autorisée à participer aux travaux de
l’Assemblée générale, auraient commis une infraction grave à leurs obligations vis-à-vis de cet Etat
— s’il avait été Membre de l’Organisation. Il ne saurait être supposé que les principaux organes
politiques des Nations Unies se soient engagés sur une pente aussi glissante. En fait, ainsi qu’il a
été rappelé ci-dessus, le Conseil de sécurité indiqua de façon tout à fait précise pourquoi il

considérait que la RFY était incapable d’exercer les droits de Membre de la RFSY : parce que cet
Etat avait cessé d’exister et que la RFY, en tant que l’un des cinq Etats successeurs, devait suivre la
procédure ordinaire d’admission prévue par l’article 4 de la Charte. Soutenir toutefois, d’une part,
que la «Yougoslavie» sous son nouveau nom est un Etat Membre mais, d’autre part, lui dénier tout
droit de participation à l’organe principal de l’Organisation où tous les Membres sont représentés

est totalement contradictoire et tourne en ridicule la primauté du droit, qui est une caractéristique
fondamentale des Nations Unies en tant qu’incarnation institutionnalisée de la communauté
internationale. Aucun Etat ne peut être tenu à l’écart de son siège légitime à l’Assemblée générale.
La seule explication possible des deux résolutions applicables réside dans le simple fait que,
jusqu’à présent, la RFY n’est pas un Etat membre de l’Organisation.

58
Voir le mémorandum du service des affaires juridiques des Nations Unies, 27 août 1975, Annuaire juridique
des Nations Unies 1975, p. 168, annexe 36.
59Voir, par exemple, S. Magiera, commentaire de l’article 9 de la Charte des Nations Unies, in B. Simma (dir. de
publ.), The Charter of the United Nations, Oxford, Oxford University Press, 1994, p. 225, par. 35. - 29 -

3.25. Dans la doctrine, la plupart des auteurs sont d’avis que telle est en effet la juste
conclusion qui ressort de l’examen de la résolution 777 (1992) du Conseil de sécurité et de la
60
résolution 47/1 de l’Assemblée générale . Il est vrai que, comme il a déjà été relevé, certaines
anomalies persistent. Le fait, en particulier, que la «Yougoslavie» soit considérée comme un Etat
Membre aux fins de l’article 17 de la Charte est en contradiction flagrante avec sa
non-appartenance à l’Organisation. Par ailleurs, en fixant le barème des quotes-parts des Etats pour
la répartition des dépenses des Nations Unies, l’Assemblée générale (résolution 52/215 du
61
22 décembre 1997 et résolutions antérieures) , ne saurait conférer à la dérobée la qualité de
Membre à un Etat. On peut certainement parler de relation spéciale ou de statut sui generis comme
le suggère M. Kelly Malone . Si la RFY verse de temps à autre des contributions au budget des
38 Nations Unies, de tels paiements peuvent établir au mieux une forme de relation de facto. De fait,

il existe une déclaration faisant autorité aux termes de laquelle, après la désintégration de la RFSY,
la RFY jouissait seulement d’une position de fait au sein du système des Nations Unies. Dans la
résolution 48/88 du 20 décembre 1993, l’Assemblée générale priait instamment les Etats Membres
et le Secrétariat (par. 19) «de mettre fin à la participation de fait de la Serbie et du Monténégro aux

travaux de l’Organisation». Un statut extra-juridique aussi confus est simplement insuffisant pour
bénéficier des dispositions de l’article 35 du Statut. Afin de jouir d’un droit véritable d’ester
devant la Cour ratione personnae, comme le demande la RFY, un Etat doit être Membre des
Nations Unies.

3.26. Pour résumer, comme il a été démontré ci-dessus, la RFY n’a pas la qualité de membre
des Nations Unies. N’étant pas identique à l’ex-RFSY, elle ne peut avoir repris la qualité de
Membre de son prédécesseur. Depuis le démembrement de la RFSY, la RFY s’est abstenue de
déposer une demande d’admission et, pour cette raison, n’a pu être admise. Enfin, le statut

sui generis douteux dont la RFY jouit pour le moment ne constitue pas une base valable pour
prétendre aux droits conférés par le Statut de la Cour.

3.27. Il s’ensuit des considérations qui précèdent que la requête doit être rejetée a limine
puisque la RFY n’a pas personnellement qualité pour ester devant la Cour.

II. La clause compromissoire de la convention sur le génocide

3.28. En ce qui concerne l’Allemagne, la RFY ne peut fonder son argument selon lequel elle
est autorisée à porter le présent différend devant la Cour que sur la clause compromissoire de
l’article IX de la convention sur le génocide. Il n’existe aucune autre base juridique à la
compétence alléguée de la Cour. L’article IX dispose :

39 «Les différends entre les parties contractantes relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la présente convention, y compris ceux relatifs à la
responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes

énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête
d’une partie au différend.»

60
Voir notamment Correspondents’ Agora : UN Membership of the Former Yugoslavia : V.-D. Degan, 87 AJIL
(1993), p. 244; O. E. Bring, ibid., p. 245; M. Kelly Malone, ibid., p. 247; K. Ginther, commentaire de l’article 4 de la
Charte des Nations Unies, in Simma, op. cit. (note 50), p. 174, par. 64; contra : Blum, UN Membership of the « New»
Yugoslavia, 86 AJIL (1992), p. 830-833; id., 87 AJIL (1993), p. 248-251.
61RFY, annexes, p. 474.
62
Correspondents’Agora, p. 249. - 30 -

Même un coup d’Œil rapide au mémoire de la RFY révèle instantanément qu’il est fait référence à
cette disposition dans un ultime effort de trouver une base pour soumettre l’affaire à la Cour. A la
page 5 de son mémoire (par. 2), la RFY résume en quelques mots les accusations qu’elle aimerait
voir examinées par la CIJ. En énumérant une longue liste de toutes les violations des règles du
droit international que les dix Etats membres de l’OTAN mis en cause devant la Cour auraient

commises, elle admet ouvertement que, même à ses yeux, l’essentiel du différend se situe en dehors
du champ d’application de la convention sur le génocide. D’autre part, en ce qui concerne en
particulier le principe de non-recours à la force, le principe de non-intervention et l’obligation de ne
pas nuire à l’environnement, la compétence de la Cour n’a jamais été établie, que ce soit dans la
Charte ou «dans les traités et conventions en vigueur» (paragraphe 1 de l’article 36 du Statut).

3.29. L’Allemagne a ratifié la convention sur le génocide le 24 novembre 1954; elle est liée
par cette convention depuis le 22 février 1955. D’après la décision de la Cour dans l’affaire
relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(exceptions préliminaires), la «Yougoslavie» est liée par la convention de toute façon depuis le
27 avril 1992, date à laquelle la constitution d’un nouvel Etat fut proclamée et la mission

permanente de la «Yougoslavie» confirma dans une note officielle, adressée au Secrétaire général
des Nations Unies, que son pays demeurerait lié par les traités internationaux auxquels
l’ex-Yougoslavie était partie 6. Ainsi, une relation de réciprocité, telle qu’elle est requise par
l’article IX de la convention sur le génocide, existe entre les deux parties au différend.

3.30. Tout d’abord,64l convient de souligner que le consentement est la base de la
compétence de la Cour . Bien que la Cour soit définie dans l’article 92 de la Charte des
Nations Unies comme «l’organe judiciaire principal» des Nations Unies, elle n’est pas dotée d’une
compétence automatique vis-à-vis de tous les Etats membres de l’organisation mondiale. Des
règles strictes ont été posées dans l’article 36 de son Statut. Ce n’est que si un Etat a donné son
40
consentement dans l’une quelconque des formes indiquées dans cet article qu’il peut être mis en
cause devant la Cour. Le plus grand soin est nécessaire pour interpréter les termes dans lesquels un
Etat s’est soumis à la compétence de la Cour. Il doit être clairement établi que le consentement
donné couvre bien ratione personae ou ratione materiae le différend en cause. Dans la présente
affaire, la question concerne la compétence ratione materiae.

3.31. La spécificité de la présente espèce réside dans le fait qu’aucun différend n’a surgi
entre les parties sur l’interprétation de la convention sur le génocide. A la page 326 de son
mémoire, la RFY se contente de reproduire le texte de l’article II et de l’article IX de la convention.
Elle ne s’est nullement efforcée d’interpréter ces dispositions de manière à démontrer qu’elles

doivent être comprises d’une certaine façon compte tenu des faits de l’espèce. Seul le texte est cité.
A l’évidence, le défendeur ne peut contester cette description purement factuelle. La convention
sur le génocide existe, elle est en vigueur et son texte ne diffère pas de la version offerte par la
RFY.

3.32. Le même procédé peut être observé aux pages 346 à 349 du mémoire, où la RFY
prétend démontrer que l’article IX de la convention sur le génocide offre un fondement à sa
demande. Le lecteur est encore une fois placé devant l’extrême indigence de l’argumentation
juridique. La RFY reproduit d’importants extraits des ordonnances rendues par la Cour le
2 juin 1999 sans ajouter le moindre commentaire à ce que la Cour a dit. Elle ne trouve même pas
nécessaire de s’attarder sur le passage dans lequel la Cour souligne que le génocide est caractérisé

par un élément d’intentionnalité qui n’est pas nécessairement inhérent à l’emploi de la force contre

63
C.I.J. Recueil 1996, p. 610, par. 17.
64Voir l’affaire Timor oriental (Portugal c. Australie), C.I.J. Recueil 1995, p. 101. - 31 -

un autre Etat. Dans le dernier paragraphe avant ses conclusions (par. 3.4.3, p. 349), elle prétend
simplement que, dans son mémoire, elle a fourni des éléments de preuve d’une intention de
commettre un génocide. En somme, aucun effort d’interprétation de la convention sur le génocide

n’est fait. Selon toute apparence, la RFY est d’avis que les termes de la convention parlent d’eux-
mêmes et que la violation alléguée de ses dispositions ressort des seuls mots du texte.

3.33. Nul n’est besoin d’une longue démonstration pour établir qu’une présentation des faits
et une argumentation juridique aussi insuffisantes ne correspondent pas aux éléments qu’une partie
41 doit présenter au minimum pour étayer sa demande, selon les dispositions pertinentes des
paragraphes 1 et 2 de l’article 38 du Règlement de la Cour. La RFY n’a absolument pas, comme
elle l’aurait dû, établi qu’il existait un lien entre ses conclusions et les critères permettant de définir

le crime de génocide (en espagnol la tipificación). Il y a solution de continuité totale entre les
allégations factuelles et la conclusion selon laquelle une accusation de génocide contre l’Allemagne
mérite d’être portée devant la Cour et examinée par elle. Ce vide ne pourra être comblé et il est si
important que, dans ces circonstances, l’exception qui en découle et qui, dans des circonstances
ordinaires, porterait sur la recevabilité, touche la compétence même de la Cour.

3.34. Il n’est pas nécessaire de souligner que l’Allemagne ne souscrit pas aux conclusions

que dégage la RFY de sa présentation des faits. Mais il convient de faire observer qu’aucun
différend ne saurait exister quant à l’interprétation ou à l’analyse qu’il convient de faire de la
convention sur le génocide, étant donné que la RFY s’est totalement abstenue de toute exégèse et
s’est sentie à l’évidence incapable d’indiquer la moindre conséquence à tirer des dispositions de la
convention dans le cadre de la présente affaire.

3.35. Au stade actuel de la procédure, alors que seule est en jeu la compétence de la Cour
pour connaître du fond du différend, le défendeur choisit de ne pas commenter les faits allégués par

la RFY. Ces faits demeurent essentiellement contestés. Le défendeur se réserve le droit, si
l’affaire parvenait au stade de l’examen au fond, d’examiner et de réfuter une par une toutes les
allégations formulées par la RFY. Une seule chose est certaine : un conflit armé a eu lieu entre les
membres de l’OTAN et la RFY et ce conflit a entraîné des destructions ainsi que, fort
malheureusement, des pertes en vies humaines. Sur ce point au moins, il semble que les deux
parties soient d’accord.

3.36. Les faits tels qu’ils sont présentés par la RFY ne révèlent pas cependant la moindre

trace d’un crime de génocide. Le génocide se compose de deux éléments distincts. D’une part, il
doit exister un élément objectif qui fait l’objet d’une énonciation rigoureuse dans l’article II de la
convention. D’autre part, ainsi qu’il est explicitement précisé dans le chapeau de cet article, le
génocide nécessite une intention spécifique : «Dans la présente convention, le génocide s’entend de
l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un
groupe national, ethnique, racial ou religieux…»

3.37. La Cour elle-même a attiré l’attention sur cet élément de l’infraction en 1996 dans le
42
cadre de son avis consultatif en l’affaire relative à la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires :

«[L]’interdiction du génocide serait une règle pertinente en l’occurrence s’il
était établi que le recours aux armes nucléaires comporte effectivement l’élément
d’intentionnalité, dirigé comme un groupe comme tel, que requiert la disposition - 32 -

sus-citée. Or, de l’avis de la Cour, il ne serait possible de parvenir à une telle
conclusion qu’après avoir pris dûment en considération les circonstances propres à
65
chaque cas d’espèce.»

3.38. En 1996 également, la Commission du droit international (CDI) a identifié les éléments

constitutifs du génocide lorsqu’elle a adopté le projet de Code des crimes contre la paix et la 66
sécurité de l’humanité. La commission a recensé quatre composantes de l’intention nécessaire .
Premièrement, l’intention doit viser la destruction d’un groupe et non pas uniquement d’un ou

plusieurs individus qui se trouvent à être membres d’un groupe particulier. Deuxièmement,
l’intention doit être de détruire un groupe «comme tel», c’est-à-dire en tant qu’entité séparée et
distincte, et non simplement quelques individus en raison de leur appartenance à ce groupe
particulier. Troisièmement, l’intention doit être de détruire un groupe «en tout ou en partie».

Enfin, l’intention doit être de détruire l’un des types de groupes visés par la convention sur le
génocide, à savoir un groupe national, ethnique, racial ou religieux.

3.39. Dans la jurisprudence des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et
pour le Rwanda, ces éléments constitutifs du crime de génocide ont également été dûment pris en
compte. Dans l’affaire Le Procureur c. Goran Jelisic, le Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie notait :

«Outre son caractère discriminatoire, l’acte criminel sous-jacent se caractérise
par le fait qu’il s’inscrit dans un projet plus vaste visant à détruire, en tout ou en
partie, le groupe comme tel. Comme l’indiquait la CDI, «l’intention doit être de

détruire le groupe ‘comme tel’, c’est-à-dire comme entité séparée distincte, et non
simplement quelques individus en raison de leur appartenance à ce groupe». En tuant
l’individu membre du groupe visé, l’auteur n’exprime donc pas seulement sa haine

pour le groupe auquel sa victime appartient, mais il inscrit cet acte, en conscience,
dans une volonté plus large visant à détruire le groupe national, ethnique, racial ou
religieux dont cette victime est membre.» 67

43 3.40. Dans le même sens exactement, le Tribunal pénal international pour le Rwanda jugea
dans l’affaire Le Procureur c. Akayesu 68:

«Le génocide se distingue d’autres crimes en ce qu’il comporte un dol spécial,
ou dolus specialis. Le dol spécial d’un crime est l’intention précise, requise comme
élément constitutif du crime, qui exige que le criminel ait nettement cherché à
provoquer le résultat incriminé. Dès lors, le dol spécial du crime de génocide réside

dans «l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial
ou religieux, comme tel».»

3.41. Il n’est nul besoin d’approfondir le raisonnement exposé ici sur la structure et les
caractéristiques du crime de génocide, puisque, au stade actuel, la procédure porte, et est centrée
uniquement, sur la question de la compétence de la Cour. Il suffit de faire observer que, en tout

état de cause, le génocide présuppose l’intention spécifique définie plus haut. Cependant, le

65
C.I.J. Recueil 1996, p. 240, par. 26.
66 Rapport de la CDI sur les travaux de sa quarante-huitième session, 6 mai-26 juillet 1996, GAOR,
cinquante et unième session, supp. n 10 (A/51/10), p. 88-89, Annuaire de la Commission du droit international1996,
vol. II/2, p. 45 par. 6.

67Jugement du 14 décembre 1999, par. 79, annexe 37.
68
Jugement du 2 septembre 1998, 37 ILM (1998), p. 1406, par. 42, annexe 38. - 33 -

mémoire de la RFY se borne à faire état des préjudices allégués qui auraient résulté des frappes

aériennes de l’OTAN sur le territoire de la Yougoslavie. Le mémoire n’évoque même pas le fait
que l’OTAN et ses membres pourraient avoir poursuivi des objectifs différents de ceux qu’ils
avaient officiellement déclarés. Même si l’on admettait, dans l’intérêt de la discussion, la véracité
des assertions énoncées dans le mémoire, les accusations ne tomberaient pas sous la rubrique du
génocide. Le fait que l’OTAN ait bombardé des usines chimiques à Pancevo et celui que des
munitions à base d’uranium appauvri aient supposément été utilisées ne constituent pas des
éléments de preuve d’une intention génocidaire. Le seul fait que la RFY, bien qu’elle dénonce les

effets à long terme que pourraient produire les substances relâchées par l’usine endommagée
(mémoire, p. 183-188), ne puisse spécifier un quelconque effet préjudiciable réel sur les êtres
humains, hormis le fait que deux employés auraient péri pendant le bombardement (mémoire,
p. 184), suffit à réfuter cette assertion (mémoire, p. 282-284). En outre, l’Allemagne note que la
RFY n’a pas allégué que les unités allemandes participant aux frappes aériennes auraient utilisé de
l’uranium appauvri. Enfin, le fait qu’à un certain moment une organisation non gouvernementale

ait cru entendre une déclaration répréhensible d’un haut responsable militaire de 69une des nations
participant à l’opération («L’aviation a reçu l’ordre de détruire la vie en Serbie») n’est pas une
base fiable pour présumer la compétence de la Cour, outre que ce fait ne démontre pas ce que la
RFY prétend prouver.

3.42. En particulier, il ne ressort pas du mémoire de la RFY que l’Allemagne aurait visé un
44
groupe spécifique de la population yougoslave qui a souffert des conséquences de l’opération
aérienne de l’OTAN. La population d’un pays engagé dans des hostilités armées avec une force
extérieure ne constitue pas, comme telle, un groupe au sens de la convention sur le génocide. Les
conséquences des frappes aériennes furent supportées par chaque individu qui, résidant sur le
territoire de la RFY, s’est trouvé à proximité d’un des objectifs militaires touchés par des bombes.
L’appartenance à un groupe n’a joué aucun rôle. Même des étrangers pouvaient compter parmi les

victimes d’une frappe aérienne. Plus d’une fois, dans sa relation des faits, la RFY répertorie des
réfugiés albanais parmi les victimes des raids (par exemple, mémoire, p. 137, par. 1.2.1.2.; p. 138,
par. 1.2.1.3. et p. 140, par. 1.2.1.22.), même si, selon sa thèse principale, les «Serbes et autres
groupes non albanais» étaient visés par l’OTAN (mémoire, troisième conclusion, p. 352). Ces
contradictions dans l’argumentation de la RFY confirment ce qui est de toute façon clair pour tout
observateur extérieur, c’est-à-dire que des hostilités armées ont opposé l’OTAN et la RFY qui,
malencontreusement, et lors de quelques incidents regrettables, ont également touché des civils.

3.43. Par conséquent, les faits tels qu’ils sont présentés n’entrent pas dans le champ
d’application de la clause compromissoire de l’article IX de la convention sur le génocide. Le
mémoire contient de longues listes de dommages matériels et de morts qui auraient été causés par
les opérations aériennes de l’OTAN. Mais aucun fait n’est avancé qui pourrait démontrer qu’il
existait en fait une intention génocidaire et que l’OTAN a lancé son opération aérienne dans le but

de viser un groupe national, ethnique ou racial, ainsi que l’exige l’article II de la convention sur le
génocide.

3.44. Il n’appartient pas au défendeur d’expliquer cette carence évidente dans
l’argumentation de la RFY, mais les raisons en sont néanmoins claires. L’échec flagrant du
mémoire de la RFY doit être attribué à la simple circonstance qu’on ne saurait trouver dans le

monde des faits rien qui puisse démontrer que l’OTAN ait eu une intention quelconque de frapper
un groupe au sens de la convention sur le génocide. Des opérations militaires, en tant que telles,
entre deux Etats ou entre une alliance d’Etats et un Etat tiers n’équivalent pas automatiquement à
45 un génocide. Cela étant, il est évidemment impossible de soutenir, preuves à l’appui, que les
opérations menées par l’OTAN avaient des relents de génocide. Ce fait a été récemment confirmé

6RFY, annexe 162. - 34 -

par le rapport du Procureur en chef du TPIY daté du 8 juin 2000 portant sur sa décision de ne pas
ouvrir une enquête officielle sur l’OTAN en raison des allégations selon lesquelles l’OTAN aurait
violé le droit international au cours de la campagne aérienne au Kosovo : «Si l’on accepte les
chiffres indiqués dans cette compilation … il n’y a simplement pas d’éléments de preuve du
fondement criminel nécessaire pour des accusations de génocide ou de crimes contre l’humanité.» 70

3.45. De plus, il est clair, sur le fondement de la condition de l’intention génocidaire, que des
allégations globalisantes qui ne font même pas la différence entre les divers défendeurs, ne
satisfont pas aux exigences minimales de la clause compromissoire. Chaque instance fait naître

une relation juridique spécifique entre la RFY et le défendeur concerné. L’OTAN, étant une
organisation internationale, ne pouvait pas être poursuivie. Etant donné le caractère individuel de
chaque procédure, la RFY était tenue d’appuyer par des éléments de preuve dans chacun des cas
que ses allégations, si elles s’avéraient fondées, pourraient constituer une violation de l’interdiction
de commettre un génocide. Il n’existe en aucun cas une responsabilité solidaire de tous les pays de

l’OTAN pour un crime supposé de génocide. Chacun des défendeurs doit être traité en fonction de
ses propres actes.

3.46. Enfin, il est fort possible que la RFY ait négligé les nombreuses différences qui
existent entre les Etats défendeurs quant à leur acceptation de la juridiction de la Cour. Il convient

par conséquent de répéter qu’en ce qui concerne l’Allemagne, seul l’article IX de la convention sur
le génocide peut offrir une base de compétence. Toutefois, étant donné le manque absolu
d’informations concernant l’élément subjectif du crime de génocide, cette disposition est tout
simplement inapplicable. Il ne peut être question d’un différend relatif «à l’interprétation,
l’application ou l’exécution» de la convention.

3.47. Un Etat ne saurait se contenter de soutenir que la demande qu’il a introduite devant la
Cour tombe dans le champ d’une clause compromissoire régissant sa relation avec l’Etat défendeur.
46 Comme la Cour l’a souligné dans l’affaire des Plates-formes pétrolières :

«La Cour ne peut se borner à constater que l’une des Parties soutient qu’il existe
un tel différend et que l’autre le nie. Elle doit rechercher si les violations du traité
de 1955 alléguées par l’Iran entrent ou non dans les prévisions de ce traité et si, par
suite, le différend est de ceux dont la Cour est compétente pour connaître ratione
71
materiae.»

3.48. Il est vrai que la Cour ne s’est pas concentrée sur les spécificités factuelles du génocide
dans l’instance introduite par la Bosnie-Herzégovine contre la Yougoslavie. Dans cette affaire, la
«Yougoslavie» n’avait toutefois soulevé que deux exceptions préliminaires, à savoir, d’abord, que

le conflit se déroulant dans certaines parties de son territoire était de nature interne et,
deuxièmement, que la responsabilité de l’Etat, telle qu’elle était mise en cause dans les demandes
du requérant, était exclue du champ d’application de l’article IX. Ces deux exceptions furent
rejetées par la Cour sur la base d’une interprétation rigoureuse — et exhaustive — de cette
disposition. Il semble en découler que la Yougoslavie n’avait pas contesté l’allégation selon

laquelle des crimes avaient été commis qui méritaient largement d’être mesurés à l’aune de la
notion de génocide. La Cour s’est bornée à faire remarquer que les parties soutenaient «des points
de vue radicalement différents» sur la question de savoir si la «Yougoslavie» avait pris part

70
Rapport final remis au procureur par le comité chargé d’examiner la campagne de bombardement de l’OTAN
contre la République fédérale de Yougoslavie (table des matières et par. 90), annexe 39.
71Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires,
C.I.J. Recueil 1996, p. 810 par. 16. - 35 -

― directement ou indirectement — au conflit. De toute évidence, les éléments de preuve réunis
par la Bosnie-Herzégovine en l’espèce étaient si abondants qu’il était simplement exclu de soutenir
qu’il manquait un lien raisonnable avec l’infraction.

3.49. Il serait certes déraisonnable d’exiger du requérant qu’il prouve, dès le stade de
l’établissement de la compétence d’une procédure engagée par lui, qu’un génocide a été commis.
Les questions relatives aux éléments de preuve appartiennent à la phase de l’examen au fond.
Engager une procédure sur la base de l’article IX deviendrait impossible si ce qui ne peut être

déterminé qu’à la phase de l’examen au fond constituait une condition préalable au dépôt d’une
requête. Pour le moins, cependant, les faits soutenus doivent établir une connexité directe avec la
clause compromissoire.

47 3.50. Dans un certain nombre de décisions, la Cour a été d’avis qu’il doit effectivement
exister une relation étroite entre les faits allégués par la partie demanderesse et la disposition
invoquée pour fonder la compétence de la Cour. D’un examen plus poussé, il ressort qu’aucune
des décisions en question ne concerne directement la présente affaire. La Cour a invariablement
concentré son attention sur la signification à donner à la clause compromissoire concernée. Elle

s’est penchée sur des questions d’interprétation juridique alors que maintenant, d’après les deux
décisions susmentionnées (Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide, exceptions préliminaires; Plates-formes pétrolières, exceptions préliminaires),
elle applique une règle rigide et procède à l’interprétation exhaustive de la disposition en question.

Dans la présente affaire, comme il a été montré ci-dessus, la situation juridique ne laisse aucune
place au doute. Néanmoins, les opinions de la Cour peuvent servir à résoudre la question de savoir
quelle doit être la proximité entre les faits allégués et la portée ratione materiae de la clause
compromissoire.

3.51. Dans l’affaire Ambatielos, jugée en 1953, la Cour statua : «Il ne suffit pas que le
gouvernement qui présente la réclamation établisse un rapport lointain entre les faits de la
réclamation et le traité de 1886.» 72 Dans son avis consultatif sur les Jugements du Tribunal
administratif de l’OIT sur requêtes contre l’UNESCO, elle exigea dans le même sens «que la requête
73
fasse apparaître un rapport réel entre le grief et les dispositions invoquées…» . Enfin, dans
l’affaire relative aux Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, elle
formula la proposition suivante : «le Nicaragua … doit prouver l’existence d’un rapport raisonnable
entre ce traité et les demandes présentées à la Cour»74.

48 3.52. Ces verdicts ont été infirmés par les deux arrêts de 1996 en ce qui concerne les
questions d’interprétation juridique. Ils peuvent cependant toujours être considérés comme
pertinents en ce qui concerne l’établissement du rapport nécessaire entre la loi et les faits. Les faits
doivent pouvoir être raisonnablement appréciés à l’aune du régime juridique auquel il est fait

référence dans la clause compromissoire en question. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Dès la
première analyse, les allégations de la RFY se révèlent déjà non pertinentes relativement à
l’accusation de génocide. L’intention de commettre le crime de persécution contre un groupe
protégé n’a jamais été ni prouvée ni même alléguée avec preuves à l’appui, en dehors de
l’affirmation globale figurant au paragraphe 3.4.3. du mémoire (p. 349). La situation de guerre ne

saurait être assimilée au génocide.

72
C.I.J. Recueil 1953, p. 18.
73C.I.J. Recueil 1956, p. 89.

74C.I.J. Recueil 1984, p. 427. - 36 -

3.53. Dans son ordonnance du 2 juin 1999 (par. 27), la Cour a fait remarquer, à juste titre,
que

«le recours ou la menace du recours à l’emploi de la force contre un Etat ne sauraient
en soi constituer un acte de génocide au sens de l’article II de la convention sur le
génocide; et que, de l’avis de la Cour, il n’apparaît pas au présent stade de la
procédure que les bombardements qui constituent l’objet de la requête yougoslave
«comporte[nt] effectivement l’élément d’intentionnalité, dirigé contre un groupe
comme tel, que requiert la disposition sus-citée»…».

3.54. La RFY aurait dû voir dans ce commentaire une indication qu’elle devait compléter ses
allégations avec les éléments manquants qui étaient requis. Même si elle a disposé de sept mois
pour rédiger son mémoire, elle a été incapable de présenter le moindre élément de preuve pouvant
établir que, lorsqu’ils lancèrent leurs attaques aériennes contre la Yougoslavie, l’OTAN et ses
membres poursuivaient des buts génocidaires. Il doit par conséquent être répété que les conditions
minimales posées par l’article 38 du Règlement ne sont pas remplies.

3.55. Pour résumer, l’Allemagne conclut que la profusion de faits rassemblés dans le
mémoire de la RFY n’a de fait rien à voir avec l’accusation de génocide. Elle sort clairement du
champ d’application de l’article IX de la convention sur le génocide.

3.56. Puisque la procédure engagée par la RFY n’est soutenue par aucune clause
juridictionnelle applicable aux relations entre l’Allemagne et la RFY, la requête doit être rejetée

pour défaut de compétence.

49 III. La compétence de la Cour ne peut être fondée par forum prorogatum

3.57. La compétence de la Cour ne peut être fondée par forum prorogatum. L’Allemagne
affirme une fois encore sans équivoque que la Cour n’a pas compétence pour statuer dans la
présente affaire. L’Allemagne n’est pas disposée, en l’absence de toute clause juridictionnelle

préexistante que la RFY pourrait invoquer, à accepter un accord ad hoc que ce soit de façon
explicite ou implicite.

3.58. Les quelques éléments de fait mentionnés au début du présent exposé d’exceptions
préliminaires ne doivent pas être interprétés comme des considérations relatives au fond de
l’espèce. L’Allemagne s’est délibérément abstenue d’un tel examen. Mais elle n’a pas pu éviter
totalement d’aborder les antécédents du conflit armé, les faits survenus au Kosovo au cours de ce

conflit et la période qui a suivi l’affrontement, dans la mesure où elle était contrainte de démontrer
que la disposition de l’article IX de la convention sur le génocide est inapplicable. L’accusation
très lourde selon laquelle elle aurait commis un génocide à l’encontre des citoyens yougoslaves
serbes et, par conséquent, le présent différend serait susceptible d’être examiné par la Cour en
application de l’article IX, devait être réfutée catégoriquement. A cette fin, un exposé sommaire
des faits était indispensable pour éclairer la grave décision qui fut prise d’engager une action armée
contre un autre Etat européen dont le peuple a entretenu d’excellentes relations d’amitié et

d’entente avec le peuple allemand pendant plus d’un demi-siècle, depuis la seconde guerre
mondiale.

3.59. La notion de forum prorogatum doit être maniée avec la plus grande prudence et ne
saurait être présumée contre la volonté clairement exprimée de la partie au litige concernée. Dans
l’affaire du Détroit de Corfou (exception préliminaire), la Cour considéra que l’Albanie était - 37 -

soumise à sa compétence parce qu’une lettre écrite par les autorités albanaises constituait «une
75
acceptation volontaire [et] indiscutable» de cette compétence . Ce prononcé conserve à ce jour sa
validité dans la jurisprudence de la Cour. Ainsi, dans l’affaire relative à l’Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, mesures conservatoires, la
76
50 Cour s’est référée explicitement à la décision antérieure, en la citant mot pour mot . Elle a
confirmé cette position prudente lorsque, dans la même procédure, elle a statué sur les exceptions
préliminaires soulevées par la RFY . Un exemple qui illustre bien la prudence nécessaire dans

l’application du concept de forum prorogatum se trouve dans l’affaire Anglo-Iranian Oil Company,
dans laquelle la Cour a rejeté les allégations du Royaume-Uni selon lesquelles l’Iran aurait, par son
comportement, accepté la compétence de la Cour. La Cour a statué comme suit :

«Pour pouvoir s’appliquer en l’espèce, le principe du forum prorogatum devrait
être fondé sur quelque acte ou déclaration du Gouvernement de l’Iran impliquant un

élément de consentement à l’égard de la compétence de la Cour. Mais ce
gouvernement n’a pas cessé de contester la compétence de la Cour. Après avoir
déposé une exception préliminaire aux fins d’incompétence, il a maintenu cette
78
exception pendant toute la durée de la procédure.»

3.60. Nul n’est besoin pour l’Allemagne de s’attarder longuement sur cette question. Les

commentateurs s’accordent à dire que la plus grande prudence s’impose lorsqu’on évalue la
conduite d’un Etat afin d’en tirer des conclusions sur l’application de la notion de forum
prorogatum. Ainsi, Shabtai Rosenne prend acte d’un ton approbateur de la jurisprudence de la
79
Cour et Malcolm Shaw écrit, succinctement mais de façon convaincante, que «la doctrine du
forum prorogatum … est prudemment interprétée pour éviter de donner l’impression que la Cour
étend subrepticement sa compétence par des moyens fictifs. Le consentement doit être clair même
80
s’il est implicite, et ne doit pas être une création purement technique.»

3.61. Toute autre approche du concept porterait atteinte au principe fondamental qui veut que

les Etats ne soient soumis à la justice internationale qu’en vertu d’un consentement librement
exprimé. L’Allemagne n’a pas donné et ne donnera pas son consentement à un règlement
judiciaire du présent différend, malgré le fait que, tant à titre individuel que conjointement avec ses

partenaires de l’Union européenne et de la communauté internationale dans son ensemble, elle
tente d’Œuvrer de son mieux pour ramener la RFY au sein des peuples d’Europe.

51 3.62. Sur la base de ce qui précède, l’Allemagne conclut qu’il n’existe pas le moindre
élément qui permette de présumer qu’elle a accepté la compétence de la Cour par sa conduite

depuis le début de la procédure dans la présente affaire.

75
C.I.J. Recueil 1947-1948, p. 27.
76C.I.J. Recueil 1993, p. 342.

77Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, exceptions
préliminaires, C.I.J. Recueil 1996, p. 620-621.

78Anglo-Iranian Oil Co., compétence, C.I.J. Recueil 1952, p. 114.
79
Op. cit. (supra note 42), p. 585.
80Malcolm N. Shaw, International Law, 4 éd., Cambridge, Cambridge University Press, p. 755. - 38 -

IV. Les accusations se rapportant à des événements postérieurs au 10 juin 1999
ne relèvent pas de la compétence de la Cour

3.63. Ce qui a été dit en ce qui concerne les événements survenus au cours de la période des
opérations aériennes de l’OTAN s’applique également à ceux qui sont survenus après

le 10 juin 1999, que la RFY a inclus dans le champ ratione materiae de ses demandes. La lacune
fondamentale liée au fait que la RFY n’a pas le droit d’ester devant la Cour n’a, à aucun moment,
été comblée et les nouvelles accusations ne se rapprochent pas davantage de la clause
compromissoire de l’article IX de la convention sur le génocide. Au contraire, en ce qui concerne
ces événements plus tardifs, des motifs supplémentaires excluent définitivement la compétence de

la Cour. Ces motifs sont exposés ci-dessous.

A. Les événements postérieurs au 10 juin 1999 ne sont pas couverts par la requête initiale

3.64. Il découle de l’exposé factuel du mémoire de la RFY, davantage que de

l’argumentation juridique quasi inexistante qui y est exposée, que le requérant souhaite étendre la
portée de sa demande à des événements survenus après le 10 juin 1999. A la page 8,
paragraphe 12, de cet exposé, il est affirmé que, après que la Cour eut rendu ses ordonnances du
2 juin 1999, le différend s’est «aggravé et étendu». Il est allégué que «les défendeurs» n’ont pas
respecté les obligations qui leur sont imposées par la résolution 1244 du Conseil de sécurité et par

la convention sur le génocide. L’une des conclusions semble refléter cette assertion. Elle est
formulée comme suit (p. 352) :

«en s’abstenant d’empêcher les meurtres, les coups et blessures ou l’épuration
ethnique dont furent victimes les Serbes et d’autres groupes non albanais au

Kosovo-Metohija, le défendeur a agi contre la République fédérale de Yougoslavie en
violation de son obligation d’assurer l’ordre et la sécurité publics dans cette province,
ainsi que d’empêcher le génocide et les autres actes énumérés à l’article III de la
convention sur le génocide».

52 3.65. En essayant d’inclure des événements postérieurs au 10 juin 1999 dans le champ
ratione materiae du différend, la RFY fait bien plus que développer un raisonnement déjà exposé
dans sa requête. Avec la fin des frappes aériennes, résultant de l’adoption de la résolution 1244 par
le Conseil de sécurité, une toute nouvelle situation est apparue dont les caractéristiques n’avaient

rien en commun avec les événements survenus au cours des hostilités. Comme cela a déjà été
souligné, la KFOR n’est pas un instrument de l’OTAN. En mai 2000, pas moins de trente-neuf
pays coopéraient en son sein. En substance, sous le couvert de sa requête initiale et tout en
prétendant rester dans la logique de l’objet du différend, la RFY tente donc d’engager une nouvelle
procédure. Cependant, l’objet du différend est déterminé par la requête initiale (par. 1 de l’article

40 du Statut et par. 2 de l’article 38 du Règlement). Il ne peut être modifié arbitrairement par le
requérant ou le défendeur.

Dans l’affaire Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), la Cour a déclaré
que préserver le caractère identique d’un différend était essentiel «au regard de la sécurité juridique
et de la bonne administration de la justice»8. Elle a fait une déclaration similaire plus récemment
82
dans l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada) .

81C.I.J. Recueil 1992, p. 267, par. 69.

82Arrêt du 4 décembre 1998, par. 29. - 39 -

B. En ce qui concerne la période postérieure au conflit, l’Organisation des Nations Unies est
nécessairement partie au différend

3.66. Ainsi qu’il a déjà été souligné (supra, par. 2.39), en vertu de la résolution 1244 du
Conseil de sécurité, le Kosovo a été placé sous l’autorité de l’Organisation des Nations Unies qui y
a établi une présence civile et une présence militaire. Soutenir qu’après l’établissement de ces deux

présences un génocide fut commis revient à affirmer que les Nations Unies, parce qu’elles n’ont
pas offert une protection suffisante, ont commis une infraction grave à leurs devoirs juridiques. La
responsabilité de cette affirmation outrancière incombe entièrement au Gouvernement de la RFY.

3.67. Il tombe sous le sens qu’en tout état de cause, pour ce qui a trait à la période

postérieure au conflit, aucune décision judiciaire ne saurait être rendue sur les questions en litige en
l’absence des Nations Unies. Bien que la RFY ait formulé ses nouveaux griefs relatifs aux
événements survenus après le 10 juin 1999 à l’encontre des défendeurs initiaux, ce qu’elle soutient
en substance est que l’Organisation des Nations Unies a grossièrement échoué dans ses efforts pour
53 observer le mandat qui lui avait été confié par la résolution 1244 du Conseil de sécurité. De telles

allégations ne peuvent toutefois être examinées en l’absence de l’entité à laquelle est imputée la
responsabilité principale d’un certain nombre d’événements qui sont, certes, profondément
déplorables. Selon la jurisprudence de la Cour, il est clair qu’un différend dont elle est saisie doit
concerner des questions intéressant les parties en litige. Si un différend touche directement les
droits et devoirs d’une tierce partie, la Cour ne peut exercer sa compétence, ainsi qu’elle l’a
83 84
souligné dans les affaires relatives à l’Or monétaire et au Timor oriental . Certes, les
Nations Unies, en tant qu’organisation internationale, n’ont pas qualité pour agir devant la Cour
dans le cadre d’une procédure contradictoire, étant donné que le Statut limite l’accès de la Cour aux
Etats (art. 34). Ce n’est toutefois pas là une caractéristique spécifique qui autoriserait une atteinte
aux compétences des Nations Unies. La situation juridique ne diffère en rien de celle où l’Etat tiers
concerné n’est pas assujetti à la compétence de la Cour, comme ce fut le cas tant dans l’affaire de

l’Or monétaire (Albanie) que dans celle du Timor oriental (Indonésie). Compte tenu de l’absence
de la principale partie concernée, la Cour est également incompétente pour cette raison.

C. L’absence totale de justification des accusations en tant qu’obstacle à la compétence

3.68. La nature totalement artificielle de la tentative visant à lier l’Allemagne aux atrocités
prétendument commises au cours de la période postérieure au 10 juin 1999 est également
confirmée par le fait que la RFY ne formule même pas la moindre allégation concernant une
implication éventuelle du défendeur dans de telles atrocités. Pas un fragment de preuve en ce sens
n’a été produit. Le mémoire ne contient pas une seule phrase prétendant démontrer que le

personnel allemand au service des Nations Unies aurait intentionnellement participé à une
conspiration visant à nuire à la population serbe du Kosovo ou aurait manqué à son devoir de
prendre les mesures de protection nécessaires. De ce point de vue, le lecteur se trouve devant un
vide absolu. Il n’y a aucun raisonnement juridique quel qu’il soit. La RFY se borne à détailler des
faits qui ont eu lieu sur le terrain, sans faire le moindre effort pour en attribuer la responsabilité au
défendeur. Il n’y a pas trace d’un élément qui vienne étayer l’accusation sous-jacente à la

quatrième conclusion de la page 352 («qu’en s’abstenant d’empêcher…»). Même au stade
54 préliminaire de la détermination de la compétence et de la recevabilité, une argumentation aussi
rudimentaire ne répond pas aux exigences minimales du paragraphe 2 de l’article 38 du Règlement.
L’Allemagne ne saurait même pas ce qu’elle devrait réfuter si elle devait rédiger un
contre-mémoire.

83
Or monétaire pris à Rome en 1943 (question préliminaire), arrêt, C.I.J. Recueil 1954, p. 32.
84Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 105, par. 34. - 40 -

3.69. Quoi qu’il en soit, il est simplement impossible de comprendre sur la base de quel
raisonnement l’Allemagne pourrait être tenue responsable d’incidents déplorables qui, même au

prix du plus grand effort d’imagination, ne peuvent lui être attribués. L’Allemagne fournit à la
KFOR un contingent qui est évidemment soumis aux ordres de la KFOR et la KFOR, de son côté, a
été invitée à assumer des fonctions militaires au Kosovo en vertu de la résolution 1244 du Conseil
de sécurité. La KFOR est donc tenue de mettre en Œuvre la politique établie par le Conseil de
sécurité. Comme il a déjà été dit, l’Allemagne assure la direction des opérations dans l’une des
zones d’activité de la KFOR (le sud) et, dans cette mesure, elle en assume la responsabilité, mais
ses troupes dépendent d’une chaîne de commandement placée sous l’autorité du commandant de la

KFOR. Tout le personnel allemand de la KFOR et de la MINUK travaille à la réalisation des
objectifs définis par le Conseil de sécurité.

3.70. Etant donné le manque total et irrémédiable de preuves à l’appui de l’allégation de la
RFY selon laquelle l’Allemagne serait responsable d’actes de génocide commis au cours de la
période postérieure au conflit, ce vice de procédure non seulement relève de l’irrecevabilité, mais a
également une incidence sur la question de la compétence. L’absence d’allégations factuelles

permettant de tirer des conclusions, ne serait-ce que provisoires, sur la violation par l’Allemagne de
l’interdiction du génocide entraîne nécessairement que les conclusions de la RFY ne peuvent être
évaluées à travers le prisme du génocide.

3.71. Pour un Etat qui a été accusé, par les organes représentatifs compétents des institutions
regroupant la communauté internationale, d’avoir commis les crimes les plus graves contre un
groupe ethnique de sa propre population, il est certainement particulièrement délicat de lancer au

hasard, sans discernement, des accusations de génocide à l’encontre d’autres Etats. La nature
singulière de ces accusations est accentuée par le fait qu’en choisissant le 25 avril 1999 comme
date limite d’examen des événements passés, la RFY a, à l’évidence, tenté de prévenir toute
demande reconventionnelle. Dans ces circonstances, on est certainement autorisé à qualifier le
dépôt de la requête comme un acte de mauvaise foi.

3.72. Dans ces conditions, il est clair que les conclusions de la RFY portant sur la période
55
postérieure au conflit ne relèvent pas du champ d’application de l’article IX de la convention sur le
génocide, et ce encore moins que ses conclusions portant sur la période des opérations aériennes.

V. Les exceptions soulevées ont un caractère exclusivement préliminaire

3.73. La quasi-totalité des exceptions préliminaires qui ont été soulevées ci-dessus a un
caractère exclusivement préliminaire (par. 7 de l’art. 79 du Règlement). Il est clair, dans ces

circonstances, qu’elles doivent être retenues au stade actuel de la procédure. Aucun Etat ne peut
être entraîné à la légère dans une procédure où il pourrait être arbitrairement tenu de répondre
d’allégations d’actes de génocide. Il incombe à la Cour d’examiner avec la plus grande rigueur si
de telles allégations répondent aux critères du crime tels qu’ils sont définis dans la convention
de 1948. Ce serait imposer un fardeau intolérable au défendeur que de lui demander de répondre
sur le fond aux accusations portées contre lui, alors que, comme dans la présente affaire, les faits
avancés ne correspondent même pas à la définition du génocide qui sous-tend la clause

juridictionnelle de l’article IX. Le génocide, ce crime des crimes, ne doit pas être banalisé. Une
accusation de génocide est l’accusation la plus grave qui puisse être portée contre un Etat. Le
principe de régularité de la procédure exige que toute allégation contenant une accusation de
génocide soit scrupuleusement examinée avant que n’en soit déterminé le bien-fondé. A
l’évidence, les rédacteurs de la convention sur le génocide ont estimé nécessaire de conférer
compétence à la Cour pour toute affaire où l’ombre du génocide plane sur un conflit violent. Mais
l’article IX ne doit pas dégénérer en arme servant à discréditer un adversaire sans motif sérieux. - 41 -

L’un des principaux objectifs des exigences juridictionnelles de l’article 36 est justement de

protéger un défendeur contre des prétentions complètement dénuées de fondement. Il convient par
conséquent de vérifier avec le plus grand soin que ces exigences sont satisfaites. Cela est
particulièrement nécessaire si l’on veut éviter que l’on fasse un usage abusif de l’autorité de la
convention sur le génocide dans des instances où toutes les autres tentatives pour trouver une base
de compétence de la Cour ont échoué.

56 3.74. Bien que l’article 79 du Règlement n’établisse pas de distinction, en son paragraphe 7,
entre les questions de compétence et les questions de recevabilité, la jurisprudence de la Cour
établit clairement que, par principe, toutes les questions de compétence doivent être examinées de
manière exhaustive avant que l’on puisse aborder le fond d’une affaire pendante. Dans l’affaire
relative aux Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, la Cour a fait

remarquer :

«Il est certes impossible de prévoir tous les problèmes que peuvent soulever les
exceptions, mais la pratique de la Cour montre qu’il existe certains types d’exceptions
préliminaires que la Cour peut régler rapidement sans avoir à examiner le fond. Il est
clair avant tout que les questions de compétence sont de celles qui doivent être
85
résolues au stade préliminaire de la procédure.»

3.75. Ainsi, seules les questions de recevabilité peuvent être traitées au stade de l’examen au
fond si, et dans la mesure où, elles ne sont pas de nature exclusivement préliminaire. Toutes les
exceptions soulevées par l’Allemagne se rapportent à la compétence de la Cour, également
lorsqu’elle met en cause le manque de justification à l’appui de l’accusation de génocide. En fait,

cette absence de justification montre clairement que la procédure engagée par la RFY ne relève pas
de la clause compromissoire de l’article IX de la convention sur le génocide. La Cour doit donc
d’abord statuer sur ces questions avant de pouvoir examiner l’affaire au fond. Comme cela a été
démontré dans le présent mémorandum, les demandes de la Yougoslavie ne reposent sur aucune
base de compétence. Par conséquent, la requête doit être rejetée a limine sans examen au fond.

3.76. D’autres motifs d’irrecevabilité peuvent être invoqués contre la tentative de la RFY
d’étendre la portée de sa requête au-delà de la date du 10 juin 2000. Ainsi qu’il a été expliqué
ci-dessus (par. 3.64 et 3.65), les événements plus tardifs auxquels la RFY se réfère à présent ne
sont pas couverts par la requête initiale.

85C.I.J. Recueil 1986, p. 30-31.- 42 - - 43 -

QUATRIEME PARTIE
57

DEMANDES

58 Sur la base des observations qui précèdent, l’Allemagne demande à la Cour de décider
qu’elle ne peut statuer sur le différend qui lui a été soumis dans la requête déposée par la
République fédérale de Yougoslavie le 29 avril 1999, compte tenu des exceptions préliminaires
suivantes :

Première exception préliminaire

N’étant pas partie au Statut de la Cour, soit en qualité de Membre des Nations Unies, soit par
voie d’admission spéciale, la République fédérale de Yougoslavie n’a pas le droit d’introduire une
instance devant la Cour, étant donné qu’elle ne remplit pas les conditions particulières qui
s’appliquent aux Etats non parties au Statut.

Deuxième exception préliminaire :

Le différend ne relève pas de l’article IX de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide. Il n’est même pas soutenu par la République fédérale de Yougoslavie que
l’Allemagne a agi dans l’intention de commettre un génocide au détriment d’un groupe particulier
de sa population. Les allégations non étayées selon lesquelles l’Allemagne est accusée d’avoir
violé ses engagements découlant de la convention sur le génocide ne remplissent pas les conditions

des paragraphes 1 et 2 de l’article 38 du Règlement de la Cour et n’entrent donc pas dans le champ
d’application de l’article IX de la convention.

Troisième exception préliminaire :

S’agissant de la période postérieure au conflit, en l’absence de l’Organisation des
Nations Unies, la Cour est en outre empêchée de présumer sa compétence dans la mesure où, au

stade de l’examen au fond, elle devrait nécessairement statuer sur les droits et obligations de
l’Organisation. De plus, en ce qui concerne cette même période, les nouvelles demandes formulées
par la RFY sont irrecevables puisqu’elles créeraient un nouveau différend qui n’est pas couvert par
la requête initiale.

Le 5 juillet 2000.

Le coagent et conseil, L’agent du Gouvernement de la République
fédérale d’Allemagne,

Christian TOMUSCHAT . Gerhard W ESTDICKENBERG .

___________

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Exceptions préliminaires de la République fédérale d'Allemagne

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