Annexe à la requête introductive d'instance du Gouvernement de la République de Guinée-Bissau (Sentence arbitrale du 31 juillet 1989)

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11289
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COURINTERNATIONADEJUSTICE

AFFAIRERELATIVE
ÀLASENTENCARBITRALQU31JUILL1989
(GUINEE-BISC.SENÉGAL)

ANNEXE
À LA REQUÊTE INTRODUCTIVED'INSTANCE

DU GOUVERNEMENT DE LA REPUBLIQUE
DE GUINÉE-BISSAU COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

AFFAIRERELATIVE
À LA SENTENCE ARBITRALEJUILLE1989
(GUINÉE-BISC.SÉNÉGAC)

ANNEXE
À LA REQUÊTE INTRODUCTIVE D'INSTANCE

DU GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE
DE GUINÉE-BISSAU Page

SENTENC DE31 JUILLE1989 ................. 1

OPINIONDISSIDENTEDM. MOHAMME BDEDIAOUI ......... 75 TRIBUNAL ARFiITRAL TRIBUNALARBITRAZ

POUR LA DÉTERMINATION PARA A DETERMINACÀQ

DE LA FRONT~&REMARITIME DA FRONTEIRAMARfTMA

Sentencdu 31juill1989

M.Barberis,Président Sr.Barberis,Presidentc

M.GrosM. Bedjaoui, Arbitres Sr. Bedjaoni, Sr. Gros,~rbitros
M.Torreseroadez, Greffier Sr. TorBemirdezEscrivlo

Genhe,1989
Genebra1989 1 En l'affaire de la détermination de la frontière
maritime

1 entre

reFiréçentée par

Son Excellence Monsieur idel l Cabral de Almada,
ministre de l'éducation, de la. culture et des sports,

1comme agent,

Son Excellence Monsieur Pio Correia, secrétaire dtEtat
aux transports,

1comme CO-agent,

Son Excellence Monsieur Boubacar our ré, ambassadeur de
la ~uinée-~is~au auprès de 11 Belgique, de la

Communauté &,conornique europeenne et de la Suisse,

Monsieur JO& Aurigema Cruz Pinto, juge à la Cour
suprême,

Le lieutenantde vaisseau Feliciano Gomes, chef de
1'Etat-~a)or de la Marine,

Monsieur ~ario Lopes, chef de cabinet du président du
Conseil d'~tat,

Madame Monque Chernillier- Gendkeau, professeur 5
1'~niversité de Paris VII,

Monsieur Miguel G~IV~O ele es, abocat,

Monsieur ~ntbnio Duarte Silva, ancien assistant de la
~aculté de droit de Lisbonne, ancien professeur à
1'~cole de droit de Guinée- Bissau,

comme conseils,

Monsieur Maurice Baussart, geophysicien,

Monsieur André de Cae, géophysicien,

comme experts;représentée par: '

Son Excellence Monsieur Poudou Thiam, avocat à la Caur,

ancien bâtonnier, membre de la Commission du droit
international,

comme agent,

Monsieur Birame Ndiaye, professeur de droit,

Monsieur Ousmane Tanor Dien, conseiller diplomatique du
Président de la ~é~ubli~ue du s6négal,

Monsieur Tafs~r Malick Ndiage, professeur de droit,

comme CO-agents,

Monsieur Daniel Bardonnet, professeur à 1'~niversité de
droit, d'économie et de sciences sociales de Paris,
associé de l'institut die droit international,
*.

Monsleu r Lucius Caflisch, professeur 5 L'1n stitut
universitaire de hautes études internationales de
Genève, membre de 1'1nstituk de droit internatronal,

Monsieur Paul De Visscher, professeur émérite à la
Faculté de droit de 1'~niversité catholique de
Louvain, membre de l'institut de droit International,

Monsieur Ibou Diaïte, professeur à La Faculté des
sciences juridiques et économiques de -Dakar,

comme conseils,

Monsieur Samba Diouf, ingénieur géologue,

Monsieur ~ndré Roubertou, ingénieur hydrographe,

Madame Isabella Niang, maître-assistant à la ~aculté

des sciences de Dakar,

Mon sieur Amadou Tahirou Diaw, maître-assistant 2 la
~akulté des sciences de' Dakar,

comme experts,-LE TRIBUNAL, a~nsi composé,

rend la sentence suivante:

1. Les Gouvernements de la ~é~,ubli~ue du senégal et de

La ~épublique de ~uinée-Bissau ont signé à Dakar le 12 mars

1985 un accord de compromis d'arbitlrage ainsi conçu:

"~e Gouvernement de la F?épublique, du ~énggal et le
Gouvernement de la ~é~ublique de Guinee- Bissau,

Reconnaissant qu'ils n'ont pu résoudre par voie de
négociation diplomatique le di£ férend relatif à la
détermination de leur frontière maritime,

~ésirant, étant donné leurs relations amicales, par-
venir au règlement de ce différend dans les meilleurs
délais, et à cet effet ayant décidi! de recourir à un

arbitrage,

Sont convenus de ce qui suit:

Article premier

7. Le Tribunal arbitral (ci-dessous appelé _le Tribu-
nal) sera composé de trois membres designes de la
maniere suivante:

Chaque Partie nommera un arbitre de son choix;

Le troisième arbitre qui fera fonction de président
du Tribunal sera nommé d'un commun accord, par leAs deux
Parties; ou défaut, ce choix sera effectue d'un
commun accord, par les deux arbitres, après çonsulta-
tion des deux Parties.

2. Les trois membres du Tribunal sont abligatoire-
ment des ressortiçsants dl~tats-Tiers.

Les arbitres devront être désign&s dans un délai de
60 jours après la signature du présent compromis.

S. Au cas 'où le président ou un autre membre du
Tribunal viendrait 5 faire d'éfaut, la vacance serait
comblée par un nouveau membre désigné par Ye Gouverne-
ment qui a nommé le membre qui doit être remplacé dans
le cas des deux arbitres désignés respectivement par
les deux Gouvernements, ou par renouvellement de la

procédure prévue au paragraphe précédent dans le cas du
~resident. Article 2

IL est demandé au Tribunal de statuer conformément
aux normes du droit international sur les questions
suivantes:

1. L'Accord conclu par un échange de lettres, le
26 avril 1960, et relatif à La frontière en mer,
fait-il droit dans les relations entre la ~6pubLi~ue de

Guinée-~issau et la ~Gpublique du Sénégal?

2. En cas de réponse negative à la première
question, quel est le tracé de la ligne délimitant les
territoires maritimes qui relèvent respectivement de la
République de Guinée-Bissau et de la ~gpublique du
Sénégal?

Article 3

Le siège du Tribunal est fixe à ~enève (Suisse).

Article 4

1. Le Tribunal ne pourra statuer que s'il est au
complet.

2. Les décisions du Tribunal relatives à toutes
questions de fond ou de procédure, y compris toutes les
questions concernant la cornpetence du Tribunal et l'in-

terprétation du compromis, seront priçes à la majorité
de ses membres.

Article 5

1. Les Parties, dans un délai de trente jours à
partir de La signature du pr&sent compromis, désigne-
ront chacune, pour les besoins de l'arbitrage, un agent
et des CO-agents, et communiqueront le nom et l'adresse
de leurs agents respectifs à l'autre Partie et au

Tribunal.

2. Le Tribunal, dès sa constitution, apres consulta-
tion avec les deux agents, désignera un greffier.

Article 6

1. La procédure devant le Tribunal sera contradic-
toire. Elle comportera deux phases: l'une écrite et
l'autre orale. 2, La phase écrite consistera en:

a) un mémoire qui sera soumis par la République de
Guinée-~issau, au plus tard quatre mois après la
constitution du Tribunal;

b) un contre- mémoire qui sera 1soumis par la- lépubl+q;e
du siinégal, au plus tard quatre mois apres le depot
du mémoire présenté par da ~epublique de ~uinge-

Bissau;

c) une réplique, par la ~gpublique de ~uinée-
Bissau, ceux mois au plus tard après le dépôt du
contre- memoire par la ~épublique du ~énégal;
l
dl une duplique présentée par la ~épubli~ue du sénégal,
deux mois au plus tard après le dép6t de la réplique
de la République de ~uinée-Bissau.
I
3. Le Tribunal aura la pokçibilité de prolonger le
délai ainsi fixé sus la requête de l'une des Parties.

Article 7
I
1. Les plaidoiries écrites Ct orales seront en fran-
çais et/ou en portugais; les décisions du Tribunal
seront dans ces deux langues.

2. Le Tribunal, en tant quel de besoin, pourvoira aux
traductions et aux interpréFations, sera habilité 2
engager le personnel de se~rgtariat, à nommer des
experts, et. prendra toutes mesures quant aux locaux et
à l'achat ou à la location dféqdipementç.

Article 8!

L~S dépenses générales de 1 l'arbitrage seront arrê-
tées, par le Tribunal et su~~prtées également par les
deux Gouvernements; mais chaque Gouvernement supportera
les frais propres entrainés pidr ou pour la préparation
et la présentation de ses thèçels.
l
Article 9,

1. Quand les procédures devant le Tribunal auront
pris fin, celui-ci fera connaitre aux deux Gouyerne;
ments sa décis~on quant aux questions énoncees a
l'article 2 du présent cornpromi?.I

2; Cette décision doit coiprendre le tracé de la
ligne frontière sus une carte. a cette fin, Le
Tr~bunal sera habilité à désSgner un ou des experts
techniques pour l'assistes dans la préparation de cette
carte. 3. La décision sera pleinement motivée.

4. Les deux Gouvernements décident ou non de publier
la sentence et/ou les piGces de procédure écrites ou
orales.

Article 10

1. La sentence arbitrale sera revêtue de la signa-
ture du président du Tribunal et du greffier. Celul-ci
remettra une copie conforme établie dans les deux
langues aux agents des deux Parties.

2. La sentence sera définitive et obligatoire pour
les deux Etats qul seront tenus de prendre toutes les
mesures que comporte son exécution.

3. Le texte original sera déposé aux archives des

Nations Unies et de la Cour internationale de Justice.

Article 11

1. Aucune activité des Parties pendant La durée de
la procedure ne pourra être considérée comme préjugeant
de leur souveralneté dans la zone objet du compromis
d'arbitrage.

2. Le Tribunal a le pouvoir de prescrire, à la

demande de l'une des Parties et si les circonstances
l'exigent, toutes les mesures provisoires à prendre
pour sauvegarder les droits des Parties.

Article 12

Le présent compromis entrera en vigueur à la date de
sa signature.

En foi de quoi, les soussignés, dûment autorisés par

leurs Gouvernements respectifs, ont s~gné le present
compromis.

Fait en double exemplaire à Dakar, le 12 mars 1985,
en langues française et portugaise, les deux textes
faisant également foi." 2. En vertu de l'article premi)er de ce compromis, ont

et& nommés membres du Tribunal, par la ~uinée-~issau,

M. Mohammed Bedjaoui et, par le ~é4.6~a1, M. ~ndr6 Gros dans

le délai prévu de 60 jours. En apLlica'tiio du même article

du compromis, la ~uinge-Bissau et le senégal ont nommé d'un

commun accord M. Julio A, Barberis l comme troisième arbitre

et président du Tribunal après un délai d'une année.
l
3. Dès sa constitution, le 6 juin 1986, le Tribunal,

apres avoir consulté les agents des Parties, a désigné

M. Etienne Grise1 comme greffier du Tribunal, confarrnérnent

à l'article 5, paragraphe 2, du compromis. M. Etienne

Grise1 ayant par la suite démissionné, le Tribunal, après
l
avoir consulté les agents des Parties, a désigné, le

6 septembre 1988, M. Santiago Torres ~ernardez comme

greffier du Tribunal.
i

4. En application de l'articdeI 5, paragraphe 1, du

compromis, le Gouvernement de la ~uinge- Bissau a désigné

comme agent S.Exc. M. idé élis de Almada et Le

Gouvernement du ~énégal S.Exc. M.

5. Genève ayant été fixee par l'article 3 du compromis

comme siège du Tribunal, un accord l relatif au statut, aux

privilèg,es et aux immunités du Tribunal en Suisse a été

conclu entre les Parties et 1'Etat hôte. accord a pris

la forme d'un échange de notes entde lI népartement fédéral

des ~ffaires étrangeres de La Sui se et les Ambassades dela Rgpubligue du Sénégal à Berne et de la République de la

~uinée- ~issau à Bruxelles.

6. La séance constitutive du 6 juin 1986 a eu lieu, en

présence des Parties, au Centre international de conf&-

rences de ~enève.

7. Le 14 mars 1988, le Tribunal a tenu une ~éance

spéciale en la salle de 1'~labama à 1'~Ôtel de Ville de,

Genève où, au cours d'une c&rémonie, les Membres du Tribu-

nal et des d&l&gations des Parties ont été reçus par le

Conseil d'~tat de la ~6publi~ue et Canton de Genève.

8. Les séances du Tribunal ont eu lieu, tout d'abord,

dans des locaux mis à ça disposition par les autorités

suisses au Centre international de conférences de ~enève et

à la Villa Lullin à Genthod (~enève), puis dans des locaux

que le Tribunal s'est procurés lui-même, notamment au ~iège

de l'organisatron internationale du Travail.

9. En ce qui concerne la procedure, le Tribunal est

convenu de s'inspirer autant que posçkble des règles de

procédure de la Cour internationale de Justice et d'adopter

en tant que de besoin des décisions de proc&dure complérnsn-

taires.

10. Le mémoire de la ~uinée-Bissau a été déposg le

6 octobre 1986 et le contre-mémoire du senégal le 6 février

1987, dans les délais fixés par les dispositions de l'ar-

ticle 6, paragraphe 2, alinéas a) et b), du compromis du

12 mars 1985, A la demande des Parties, le Tribunal a accepté de prolonger les déeis prkvus à l'article 6, para-

graphe 2, alinéas cl et d), du cornpromis pour la rgplique

de la Guinée-~issau et la duplique du sénegal. La Guinée-

Bissau a déposé sa réplique le 6 juin 1987 et le ~énégal sa
l
duplique le 6 octobre 1987, à savbir dans les délais tels
I
que prorogés par le Tribunal.

17. L'affaire s'étant alors trouvée en gtat, le Tribu-

nal, après avoir consulté les agenks des Parties, a fixé la

date de l'ouverture de la procédurk orale. au 14 mars 1988.

Il a été convenu que les repr6sentants de la ~uinée-~issau

prendraient la parole en premier.

12. AU cours des seize audieAces pr~vges tenues à la

Villa Lullin à Genthod, (~enève) les 14, 15, 16, 21, 22, 23,

26 et 29 mars 1988, le Tribunal a entendu, pour la ~uinée-

Bissau, LL.Exc. MM. Cabral de ~lhada et Plo Correia, le

lieutenant de vaisseau Gomes, Lopes, Mme Chemillier-
l
Gendreau, et MM. ~alvaa Teles, ~ua?te Silva, Baussart et de

Cae; et, (pour le ~&négal, S.Exç. M. Thiam, MM. De Vlsscher,

Bardonnet, Caflisch, Diaïte, Roubertou et Diouf et Mme

Niang.

13. La Guinée-Bissau a fait comparaître comme expert

M. Grandin. M. Grandin a fait une déclaration et a répondu

aux questions qui lui ont été posées par le conseil de la

Guinée-~içsau Le senégal n'a pas fa'it comparaître d'autres

experts que ceux qui faisaient partie de sa délégation.
I

Aucune des Parties n'a fait compara?tre de témoins.

I 14. Se prévalant de la faculté ouverte par l'article 9,

paragraphe 2, du compromis, le Tribunal a design&, après
1
consultation des agents - des Parties, le capitaine de

frégate Peter Bryan Beazley comme expert technique du

Tribunal.

15. Dans la phase &crite de la procédure, les conclu-

sions ci-après ont été présentées par les Parties:

Au nom de la ~uinge-~issau, dans le mémoire:

"Plaise au Tribunal décider que:

- Les règles de la succession d'Etatç en matière de
traités (art. 11, 13 et j 4 de la Convention de Vienne
du .23 août 1978 sur la suecession d'~tats en matière de
traités) ne permettent pas au senégal d'opposer à la
~uinée-~issau l'échange de lettres passé le 26 avril
1960 entre la France et le Portugal et qui est d'ail-
leurs frappé de nullitéabsolue et d'inexistence;

- Ainsi La délimitation maritime n'a jamais été
fixée entre le senégal et la Guinee-Bissau;

- La délimitation des mers territoriales des deux
Etats se fera en application de l'article 15 de la
Convention sur le droit de la mer du 10 décembre 1982
selon le tracé d'une Ligne d'équidistance (azimut 247' )
à partir des lignes de base des deux Etatç;

- Pour la délimitationdes plateaux continentaux et
des zones économiques exclusives, l'examen de toutes
les circonstayes pertinentes et la recherche de
méthodes adaptees afin d'aboutir à une solution &qui-
table donnant des résultats voisins se situant entre
les azimuts 264" et 270°, c'est entre ces deux lignes
que devra être fixée la délimitation maritime entre les
deux Etats."

Les conclusions dans la réplique de la Guinge-~issau

réitèrent celles du mgmoire reproduites ci-dessus à ceci

I que dans le premier alinéa le mot "conclu" remplace le

mot "passé" pour qualifier l'&change de lettres du 26 avril1960 et que l'adjectif "absolue" lqualifiant la nullité ne
l
figure plus dans la rgpligue.
l
AU nom du ~énéqai, dans ke condre-mérnorre:

"Plaise au Tribunal:
l
Rejeter les conclusions de ia ~épubliqiue de ~uinée-

Bissau;

l
Dire et juger:
l
Que par l'échange de lettrés du 26 avril 1960 'au
sujet de la frontiere en mer) entre la Republigue du
Sénégal et la Province portugaise de Guinée', la France
et le Portugal ont, dans le (plein exercice de leur
souveraineté et conformément aux principes qui régis-
sent l? yalidité des traités et accords internationaux,
procgde a la délimitation d'une frontière en mer;

Les conclusions dans la duplique \ du ~énégal réitsrent

celles du contre-mémoire reproduitAs ci-dessus, à ceci près
I
que dans le dernier alinéa les mots "et complété" sont insé-

rés entre le mot "conforté" et lesl mots "par le comporte-

ment ultérieur".
l
16. Au cours de la procédure drale, les conciusions ci-
l
après ont ét& présenbées par les ~aktieç:
I
Au nom de la ~uinée-~iççau, à l'audience du 26 mars

1988, aprgs-midi:

"~laiçe au Tribunal décider q?e:

1) Le ~énégal ne peut opLosel: à la ~épublique de
Guinée-Bissau l'échange de leptres du 26 avril 1960
entre la France et le Portugal. Une telle inopposabilité découle:

- d'une interprétation correcte des règles de l'&
ossidetis juris, qui concernent uniquement les fron-
tières terrestres et ne s'étendent pas aux délimita-
tions maritimes;

- de la non-publication de l'hccord au Portugal et
en Guinée;

- du droit des peuples à disposer dkux-mEyes et du
processus de libération du peuple de Guinee-Bissau,
déjà entamé à la date de 1'~ccord franco-portugais;

- du prlncipe de la souveraineté permanente des
peuples et des Etatç sur leurs richesses et leurs

ressources naturelles, aujourd'hui exprimé dans l'ar-
ticle 13 de la Convention de Vienne sur la succession
d'~tats du 23 août 1978.

échange de lettres franco-portugais se trouve en
outre frappé de nullité absolue pour violation des prin-
cipes du jus coqens; et de nullit6 pour non-conformité
avec La norme fondamentale du droit contemporain en

matière de délimitation maritime, et pour vlelatlon
manif este de normes du droit interne d'importance fonda-
mentale concernant la compétence pour conclure des
traités. 11 se trouve également frappé de non-exiç-
tence.

Ainsi, 1'~çcord conclu par l'échange de lettres du
26 avril 1960 ne fait pas droit dans les relations
entre la ~épublique de la ~uinée-~issau et la Répu-

blique du si?néqal, aucune délimitation maritime n'étant
fixée entre elles,

2 La délim~tiatlon des eaux territoriales entre
. les deux Etats devra se faire.par application de l'ar-
ticle 15 de la Convention sur le droit de la mer du 10
décembre 1982, selon le tracé d'une Ligne dréquidis-
tance en direction de l'azimut 247", à partir des
lignes de base des deux Etats.

Pour la délimitation des plateaux continentaux et
des zones économiques exclusives, l'examen de toutes
les circonstances pertinentes et la recherche des
méthodes appropriées afin d'aboutir à une solution
équitable donnant des résultats se situant entre Les
directions des azimuts de 264" et 270°, c'est entre ces
deux lignes que devra être fixée la delimitation

maritime entre les deux ~tats." Au nom du ~&n&gal, à l'audience du 29 mars 1988, après-

rn~di:

"plaise au Tribunal:
I
Rejeter les conclusians Gouvernement de la
~gpublique de Guinée- Eàiççau;
Pu
Dire et juger:
l
Que, par l'échange de letkres du 26 avril 1960 'air
sujet de la frontière en mer entre la République du
~én&gal et la Province portugaise de Guineev, la France

et le Portugal ont, dans le1 plein exercice de leur
souveraineté et conformement aux principes qui
régissent la validité des t+ités et accords inter-
nationaux, procéd& à la délimitation d'une frontière en
mer;

Que cet Accord, conforté et cornplété par le cornporte-
ment ultérieur des Parties conFractantes autant que par
celui des Etats souverains gui leur ont succ&dé, fait
droit dans les rapports entre lla ~épublique du senégal
et la IZ&pub1ique de la Guinée-Bissau;
l
Quelle que soit la réponse du Tribunal à l'article
2, paragraphe 1, du compromis, et pour l'ensemble des

motifs exposés par la ~épublique du sénégai, la fron-
t~ère en mer entre la ~épulli~ue du sénégal et la
~épubligue de Guinée-Bissau es;t coristituge par la ligne
d'azimut 240" du phare du cap Raxo et par son prolonge-
ment rectiligne exhaussg & IL colonne d'eaux surja-
centes;
l
Que son point d'aboutissement est situé à l'inter-
section de cette même ligne d'azimut 240" et de la
limite des 200 milles marins."

17, Par Ordonnance du 18 janvier 1989 du Tribunal, les
I
parties ont été priées de préseAter, avant le ler avril
l
1989, une note supplémentaire sur tout renseignement dont

l
elles pourraient avoir connaissance ou qu'elles seraient à

même de se procurer relativement Aux ressources effectives
I
ou potentielles en matière de pêche et d'hydrocarbures de

la zone :contestée et à Leur localdçation g&ographique. Enrgponse à cette demande, le sénggal et la ~uinée-~issau ont

déposé, dans le délai fixe, des notes concernant les ren-

seignements mentionnés.

18. Le différend soumis au Tribunal en vertu du compro-

mis d'arbitrage du 12 mars 1985 reproduit au paragraphe 1

ci-dessus est un différend d'ordre juridique entre la

~épublique du ~énégal et la ~é~ublique de ~uinée-Bissau,

c'est-2-dlre entre deux Etatç qui sont Limitrophes et qui

occupent la partie de 1'~Erique occidentale baignée par

l'océan Atlantique comprise entre, d'une part, la Maurita-

nie çktuée au nord du S&négal et, d'autre part, la ~uinée

située au sud de la Guinée-Bissau, l'exception, bien

entendu, de la partie qui appartient à la Gambie, laquelle

est enclavée dans le senégal et possède également un litto-

ral sur l'océan Atlantique. En tant que tel, ce différend

n'a pu naître qulapr&s l'accession à la pleine souveraineté

et indépendance, sur le plan international, du territoire

non autonome gui a été le dernier à être déçolon~çé. Cela

est admis tant par La E?épublique du sénégal que par la

~é~ubli~ue de ~uinée- ~issau. Cependant, dans la naissance

du différend, l'appréciation que ces deux Etats ont du senset de la portée à attribuer -5 ce tains accords et agisse-

ments de leurs Etats prédécessei. rs respectifs a joué un

rôle de toute première importance.

19. Le ~énégal, territoire fr, nçais d 'outre- mer depuis

1946, devint le 25 novembre 1958, par décision de lfAssem-

blée territoriale sénégalaise, un
:kat autonome au sein de

la Communauté snstituée alors p r La Constitution fran-

çaise, choix qui avait été accep le 28 septembre de la

même année en rgférendum par 11 peuple sénégalais. En

janvier 1959, Le ~&n&gal, toujours au sein de la Communau-

té, forma avec le Soudan françaj ; la ~gdération du Mali.

Cette ~édération obtint ltindépç idance le 4 avril 1960,

accédant pleinement 2 la çouverali et6 le 20 juin 1 960. Par

la suite, la ~édération du Mali 'étant dissoute, le Séné-

gal devint le 20 aofit 1960, sous le nom de ~é~ublique du

~Gnégal, un Etat indépendant t souverain distinct et

separé de celui ae la ~épubliqu~ du Mali (ancien Soudan).

La ~gpublique du ~énégal a été a( mise aux Nations Unies le

28 septembre 1960. De son cÔt la ~uinge-Bissau, dont

l'indépendance fut proclange le 24 septembre 1973 par

l'~ssembl6e nationale populaire, valt été jvsqu1alors sous

l'administration du Portugal, L'i idépendance de la ~uinée-

Bissau a été le fruit d'une 11 Igue lutte de libération

nationale d'abord politique, pui , à partir du début de

1963, menée militairement par le 1 arti africain pour l'indé-

pendance de la ~uinée et du Cc p Vert (FAIGC) contre lePortugal, qui était à cette &poque sous le régime du

Dr ~ntbnio de Oliveira Salazar. Par un traité Conclu 5

Alger le 26 août 1974, le Portugal reconnut la ~ulnee-

Bissau comme Etat indépendant et souverain. L'admission de

la Guinée-~issau aux Nations Unies a eu lieu le 17 sep-

tembre 1974.

20. ~ntérieurement aux év6nements qui ont conduit à la

souverainete et à llindÉ.pendance internationales de la

~Gpublique du Sénégal et de la ~épublique de ~uinge-B~SS~U,

la France et le Portugal avaient conclu certains accords de

délimitation entre leurs possessions respectives d' A£rique

occidentale. C'est ainsi que, par une Convention signée à

Paris le 22 mai 1886, le Portugal et la France établirent

une délimitation entre la Guinée portugaise (aujourd'hui

~épublique de Guinée-~lsçau), d'une part, et les colonies

françaises du Sénégal (aujourd'hui ~é~ubligue du s6nGgal)

au nord et de la ~uinée (aujourd'hui ECÉ.publique de ~uinée)

au sud et à L'est, d'autre part, en vertu de laquelle la

frontière terrestre entre la ~uinee-Bissau et le ÇgnegaL

aboutit sur l'océan Atlantique au cap Roxo. 11 convient

également de noter que la Convention spécifie qu'appar-

txendront au Portugal:

"toutes les îles comprises entre le méridien du cap
Roxo, la c6te et la Limite sud formée par une ligne qui
suivra le thalweg de la riviere Cajet et se dirigera
ensuite au sud-ouest à travers la passe des Pilotes

pour gagner 10' 40' latitude nord avec lequel elle se
confondra jusqu'au méridien du cap ~oxo".11 n'est pas contesté entre les Parties au présent diffé-
I
rend que la delimitation effectuée par cette Convention
I
fsanco-portugaise de I 886 definid la frontière terrestre

entre la ~épubli~ue du ~énégal et la ~é~ubligue de Guinée-

Bissau. Les deux Parties s'accordent également à considérer

que La Convention franco-portugaiçle de 1886 ne définit pas

la frontière maritime entre la ~épublique du sénégal et la

~é~ublique de Guinée- ~issau.

21. Or, si les Parties au présent différend sont

d'accord sur le sens et la portGe de la Convention franco-

portugaise de 1886, elles ne le sant pas du tout en ce qui

concerne 1'~ccord conclu, par échange de lettres, le

26 avril 1960 entre la France et le Portugal en vue de

définir la frontière en mer entre La ~épublique du ~énégal

[a l'époque Etat autonome au sein de la ~omrnunauté) et le

territoire portugais de ~uinée. Un décret portuga~s du

26 février 1958 autorisant le ~dnistre de l'outre-mer à

signer un contrat de concession a?ec la société Esso avait
l
provogug des abjections de la p rance. 11 s'ensuivit une
I
négociation 5 Lisbonne, du 8 au 101 septembre 1959, afin de

parvenir à un accord de délimitation de la mer territo-
l
riale, des zones contiguës et du plateau continental. Le

10 septembre 1959 les n6gociateurç &ablirent des "recomman-

dations" qui furent soumises aux deux Gouvernements. La

première de ces "recommandations" est a l'origine du

contenu de Ithccord du 26 avril 1660. ~'~ccord futCommunauté et de la ~édération du Mali, mais non dans le

Journal Officiel du Portugal ni de sa Province de Guinée,

et ne fut enregistré au secrétariat des Nations Unies ni

par la France ni par le Portugal.

22. La République de Guinge-Bissau considère que

l%change de lettres. franco-portugais ci-dessus est frappé

de nullité et d'inexistence et que, en tout état de cause,

il ne lui serait aucunement opposable. Par contre, selon

la ~épubli~ue du Sénégal, 1'~ccord franco- portugais du 2 6

avril 1960 ferait droit dans les rapports entre elle et la

République de Guinée;Bisçau en ce qui concerne leur fron-

tière maritime. Il en résulte que pour la ~GpubLique de La

~uinée- ~issau il n'y aurait aucune délimitation maritime

entre elle et -la ~épublique du sénégal, une telle délimita-

tion devant en conséquence stre effectuée ex novo, tandis

que pour la ~épublique du Sénégal une delimitation maritime

existerait déjà et correspondrait 5 celle résultant de

l'Accord franco-portugais du 26 avril 1960. Ces positions

divergentes des Parties expliquent que l'article 2 du

comprornlç d'arbitrage du 12 mars 1985 demande au Tribunal

de répondre, en premier lieu, 5 la question de savoir si

1'~ccord du 26 avril 1960 fait droit dans les relations

entre la ~épubligue du .Sénégal et la ~épublique de

~uinée-~issau, et qu'il demande également au Tribunal, en

cas de réponse negative à cette question, quel serait le

tracé de la Ligne délimitant les territoires maritimes deBissau.

23. La I?épublique de ~uinée-~'issau affirme que quand,

en septembre 1977, des negociadions entre les Parties
I
commencGrent, sur son initiative, en vue de résoudre la

question de la détermination de la frontière maritime entre
I
elles, la ~uinée- ~issau n'avait *pas même connaissance de
l
l'existence de l'échange de .lettres franco-portugais du 26

avril 1960 et que la ~épubliqde d? ~énégal ne s'en serait
l
prévalue au cours des négociations qu'à partir de 1978.

Pour sa part, le sénégal affirme- qu'il a toujours &té au

courant des négociations franco-pdrtugaiçes à l'origine de

l'Accord du 26 avril 19.60, la dékégation française ayant

inclus un membre> s&nég&lals, qu'il s'est constamment appu y6

sur la frontière maritime des 240" définie par 1'~ccord de

1960 et que la ~urnée-Bissau a égallement respecté l'hccord,

n'a pas protesté contre celui-ci pendant de nombreuses

années et que la proclamation d'indépendance de la ~uinée-

Bissau, en se référant aux fronthres des eaux territo-

slaleç, admettait implicitement la limite des 24 0".

24. Il convient également de signaler dès maintenant

que le désaccord entre les Parties au présent différend 2

propos de l'échange de lettres franlco-portugais du 26 avril

1960 ne concerne pas seulement la période postérieure à

l'indépendance de la Gurnée-Bissa? ou la période posté-
l
rieure au commencement des négociAtions de 1977 ci-dessus

mentionnées. Le desaccord s'étend aussi à la queçtron del'application gui a été faite de l'hccord de 1960 avant ces

dates. Par exemple, La ~uinée- Bissau soutient que quand,

en 1963, les autorités portugaises ont autorisé les

recherches d'hydrocarbures dans la zone, elles l'ont fait

sans aucun souci d'une frontière maritime, ce qui prouve-

rait qulelLes consideraient une telle frentière comme

inexistante. De son côté, le ~énégal souligne que l'Accord

franco-portugais de 1960 a été appliqué par tous les

intéressés et que, malgré les incidents survenus dès 1963

entre lui et le Portugal, ce dernier pays n'aurait jamais

contesté 1'~çcord et l'aurait respecté. Le .Sénégal sou-

tient qu'il s'est glisse une erreur matérielle dans une

réponse donnée par l'administration s6négalaise 2 1'~mbas-

sade d'~talie, erreur qui aurait été corrigée un mois plus

tard, et affirme qu'il a toujours exercé ses comp&tences

&tatiques dans la zone (octroi des permis de ou de

recherches et d'exploitation d'hydrocarbures, protestations

contre des violations, etc.) en s'appuyant sur la frontière

en mer établie par l'Accord franco-portugais de 1960.

r-
25. D'autres évgnernents marquèrent encore la genèse du

différend. Quelques incidents en mer survinrent en effet,

en particulier en 1977, en 1978 et, de nouveau, en 1984,

quand le sénggal autorisa la construction de plates-formes

de forage dans la zone contestée, ce qui provoqua une

protestation de la part du Gpuvernement de la République de

~uinée- ~içsau. D'autre part, en 1985, une loi de la

~epublique de ~uinée-~issau concernant un nouveau systèmede lignes de base droites de ce pays donna lieu 2 une
l
protestation du ~énégal auprès du iiecrétaire général. de

l'Organisation des Nations Unies.

26. Ces événements n'empêchèrent pas cependant de pour-
l
suivre les negociations entre les Parties commencées en

1977, négociations qur, d&s 1982, portèrent, pour Ilessen-

tiel, sur la conclusion d'un comp&ornis d'arbitrage. Le 72
I
mars 1985 ce compromis était conclu et, le 7 avril 1986, le

choix des trois arbitres était lnterbenu.

27. Le seul objet du différend soumis par les Parties
l
au Tribunal porte donc sur la détermination de la frontière

l
maritime entre la Republique du. sén1égal et la ~épublique de

Guinée-Bissau, question qu'elles n''nt pu résoudre par voie
I
de négociation. Il s'agit d'une délimitation entre terri-

toires maritimes adjacents qui conLerne des espaces mari-

times situés dans Ilocéan Atlantique au large des côtes du
l
s&négal et de lai ~uinée-Bissau. Les Parties n'ont pas

manqué de signaler à l'attention du Tribunal, dans leur

pieces écrites aussi bien qu'au cours des plaidoiries,

toute une série de donnees géographiques, g&ologiques et

morphologiques relatives à la zone koncernée par la délimi-

tation et à leurs côtes, en vue d'dclairer le Tribunal dans
l
sa tâche. A ce stade du raisonnerdent, le Tribunal ne voit

pas la n6cessité de donner une définition précise de La

zone 06 la détermination de la
,trontiere maritime doit

s'effectuer, ni de dire quel sedait, pour le Tribunal,

Ilkeffet des diverses particularités, geographiques notam-

ment, sur la situation juridique.

28. La ~uinée-Bissau, dont la côte est très découpGe

par des estuaires de cours d'eau et bordée par les ?les de

l'archipel des ~ijagbs, est située entre la frontière de la

Guinée-~issau avec la Guinee et le Cap Roxo. Le ~énégal

est au nord de la ~uin&e-Bissau, et ses côtes s'étendent

tout d'abord entre le Cap Roxo et la frontière avec le sud

de la Gambie, puis de la frontière avec le nord de la

Gambie ]usqu% la front~ère avec la Mauritanie. Selon le

~&négal, l'accord franco-portugais de 1960 faisant droit

entre les Parties, la frontière maritime entre le sénégal

et la ~uinée-~issau serait constituée par la ligne d'azimut

240" du phare du Cap Roxo et par son prolongement recti-

ligne vers le large. Pour La 6uinge-Bissau, par contre, la

délimitation des eaux territoriales entre les deux pays

suivrait le tracé d'une ligne d'équidistance correspondant

à l'azimut 247" à partir de la ligne de base des deux

Etats, et celle relative à la delimitation du plateau

continental et des zones ~conomiques exclusives, qui lui

ferait suite, se situerait entre les azimuts 264' et 270°,

ce dernier azimut correspondant 5 un parallèle. 29. après l'article 2 du 1cornpromis arbitral, le

Tribunal *oit répondre d'abord à la question suivante:

"L1~ccord conclu par un échange de lettres, le 26 avril
1960, et relatif 3 la frontièlre en mer, Eait-11 droit
dans les relations entre la ~6bubli~ue de Guinée-~issau
et la ~epubli~ue du ~&négal?"

30. Avant de passes à l'exambn de cette question, il
l
convient de preciser la cornpétencé du Trlbunal à ce sujet.

Ce Tribunal. a 6té créé par un traité international conclu
l

entre La ~é~ubli~ue de ~uinée-~iisau et La ~épubllque du

~énégal pour décider, en premier lieu, si l'Accord franco-

portugais du 26 avril 1960 fait droit entre elles. L'O~
I
pourrait s'interroger sur la cornpGtence d'un tribunal

arbitral pour examiner la validité d'un traité conclu par
I
deux Etats qui n'ont pas donné ldur consentement 2 un tel

examen et qui n'ont pas part~cipe à la procédure arbitrale,

De même, la question pourrait se de savoir comment un
I

pays qui n'est pas partie à un tdaité peut en invoguer la

validité ou la nullité.

3î. 11 convient de relever qu'en l'espèce 11 ne s'agrt

pas de deux Etats ayant crée un Tribunal pour qu'il décide

de la validité ou de la nullité d'un accord conclu entre

d'autres pays qui leur seraient totalement étrangers, comme

ce serait le cas, par exemple, si ce Tribunal avait 2 se

prononcer sur la valid~té ou La nullité d'un accord entre la

~orvèqe et l'Uruguay.

Le présent litige concerne un accord entre deux pays

dont les, Parties sont Les success,eurs. Le séné9al et la

lGuinée- ~issau sont, respectivement, les successeurs de la

France et du Portugal. Quoique la Guinée-~isçau ait déclaré

la "table rase" quant 2 l'application des traités conclus

par le Portugal, les deux Parties ont reconnu le princ~pe de

l'uti possldetis africain proclamé par l'Organisation de

l'unité africaine et ils l'ont réitéré expressément dans le

présent arbitrage.

En outre, de la'conduite observée par la ~épubli~ue de

Guinée-~issau et par la ~é~ubli~ue du sénégal dans cet

arbitrage on peut infGrer qu'elles agissent en tant que

successeur du Portugal et de la France respectivement,,

c'est-à-dire en tant qul~tatç qui, par le jeu de la succes-

sion dtEtats, se sont substitués au Portugal et à la France

dans la responsabilité des relations internationales du

territoire de la ~uinée- ~issau et du territoire du senégal,

respectivement. En effet, le fait d'invoquer devant le

Tribunal des causes d'inexistence au de nullité de l'Accord

de 1960 ou de se présenter devant lui comme détenteur des

droits dérivés de cet Accord implique que l'on se reconnait

comme successeur d'un des Etats qui l'ont conclu.

32. Les deux pays admettent être les successeurs des

Etats qui ont conclu l'Accord de 2960, mais leurs avls sont

divergents quant aux normes régissant la succession entre

Etats, Ainsi, alors que le sénégai affirme que La succes-

sion joue pour 1'~ccord de 1960, la ~uinée-~lssau soutient

la thèse contraire. 33. Un Etat successeur peut1 faire valoir devant un

tribunal tous les moyens et toute; les exceptions qu'aurait
I

pu invoquer 1'Etat auquel il suc!cède, Par conçéquent, la
I '
~,uin&e-Bissau, en tant qu'~tat successeur, a la facultg
l
d'invoquer devant: le Tribunal toutes les causes de nullité

qu'aurait pu soulever le Portugal au sulet de l'Accord de

1960. La ~uinée-~içsau peut aussi exposer devant le Tribu-

nal les motifs d'inopposabilité qui, d 'après elle, feraierit

obstacle 5 la succession en ce qui concerne cet Accorà. De

même, le ~énégal peut aussi faire valoir devant le Tribunal

toutes les causes qui, à s&n avis, confirmeraient

l'existence et la validitg de lqÀccord et ses effets en

l'espèce.

34. Le Tribunal va donc analyser l'Accord de 1960, dans
I
la mesure où il pourrait faire l'objet d'une succession

entre Etats et quant à ses effets dans les relations entre

la ~uinée-Bissau et le s&négal. I validité ae cet Accord

dans Les' relations entre le et la France et les

effets qu'il pourrait encore avoir !entre ces deux pays n'est

pas mise en cause par la présente sentence, laquelle n'aura

évidemment d'effet qu'entre les Parties "à l'arbitrage. 35. La ~uinée-Bissau a exposé les diverses raisons sur

lesquelles elle se fonde pour affirmer que 1'~ccord de 1960

ne fait pas droit' dans ses relations avec le sénegal. D'un
I
point de vue juridique, il est possible de classer ces
I
1 raisons en quatre catégories: 1) Causes d'inexistence et de
l
nullité, II) Causes d'inopposabilité, III) Non-enregistre-
~
ment de lt&ccord au secrétariat de llOrganisation des
l
Nations Unies, et IV) Existence d'un droit de vérification
~
ou de révision. Le Tribunal analysera séparément chacune
1
des raisons invoquées,

I - Les causes d'inexistence et de nullité invoquées par la

~uinée- Bissau

36. Dans quelques passages de son mernoire (par exemple

pp. 117, 129, 130, 158, 164 et .246) et de sa réplique

(pp. 203 et 3391, La ~uinéel-~içsau parle de l'inexistence de
l
ll~ccord de 1960. La cornpetence de ce Tribunal est fondée
1
l sur le compromis arbitral dont i1 tire son existence et il y

trouve les limites de sa juridiction. La première question a

I laquelle doit répondre le Tribunal est celle-ci: "~'kccord
I

I ... fait-il droit dans Les relations entre la ~é~ubli~ue de
Guinge- Bissau et la ~épubligue du ~én&gal?" Cette question
1
implique l'existence d'un traité. Si, par contre, la ques-

tion était "Y a-t-il un accord relatif à la frontière en mer

... ?", le probleme serait différent. Dans cette deuxième
lhypothèse, ltEtat qui plaiderait l'existence de 1'~çcord

aurait à la prouver. Mais, étant donné les termes de la

première question contenue dans 'article 2 du compromis

arbitral, l'Accord est présumé exi rer et celui qui allègue

sa nullité doit établir celle-ci. Par conséquent, pour ce

qui est de l'onnuç probandi, les ci ises d'inexistence çlgna-

lees par la ~uinée-~issau seront c ?sidérées par le Tribunal

comme causes de nullité.

A ) ~ncompatibilité de l'hc ord de 1960 avec des

normes internationales du
jus cogens

37. La première cause de nuIlil ! invoquee par la Guinée-

Bissau est que k'~ccord du 26 avr~ 7960 serait incompatible

avec certaines normes juridiques i ternationales appartenant

au jus cogens. En ce sens, la E inGe-~issau dit dans son

mémoire que la règle qui consacr le droit des peuples 2

disposer d'eux-mêmes aurait le car -t&re d'une norme smpéra-

tive. A son tour, cette norme ser it "accompagnée de corol-

laires", qui auraient aussi La :aractéristique de faire

partie du droit international impE atif (p. 140). Parmi ces

corolla~res se trouverait le pri cipe de la souveraineté

permanente sur les ressources aturelles, principe qui, - 29 -

d'après la ~uinée-Bissau (PV/~, p. 1JI), ne serait que "le

développement logique" du principe d'autodétermination des

peuples.

Pour la ~uin&e-~issau la violation, dans le cas présent,

des normes du jus coqens concernant le droit des peuples à

disposer d'eux-mGmes ainsi que la souverainete permanente

sur les ressources naturelles se présenterait sous deux

aspects différents: en premier lieu, il y aurait une

contradiction avec l'Accord de 1960, car celui-ci

constituerait une aliénation de territoire, ce gui serait

contraire au prlncipe de la souveraineté permanente sur les

ressources naturelles; a) en second lieu, le processus de

libération aurait déjà été en cours au moment de la signa-

ture de l'Accord, ce qui rendrait celui-ci incompatible avec

le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

38. La règle de la souveraineté permanente sur les res-

sources naturelles est précisée dans les résolutions 1803

(XVII) et 2158 (XXI) de l'Assemblée générale des Nations

Unies. Le paragraphe 1, 1, de la résolution 1803 (XVII)

concerne le "droit de souveraineté permanente des peuples et

des nations sur Leurs richesses et leurs ressources naturel-

les", et le paragraphe 1, 1, de la résolution 2158 IXXIl

reaffirme "le droit inaliénable de tous Les pays d'exercerleur souveraineté permanente sur leurs ressources naturel-

les". La règle contenue dans ces r~solutkons de 1'~ssernblée

générale des Nations Unles garantit à chaque Etat le droit

d'explait,er ses propres ressources et reconnait à chacun le

droit de nationaliser les richesLes se trouvant sur son
l
territoire et qui seraient explohes par des entreprises

étrangeres.

39. ~'ap~lication du principe de la souveraineté per-

manente sur les ressources natu?elleç présuppose que les

ressources dont il s'agit se trouvent dans le territoire de
I
1'Etat qui invoque ce principe. Dans le cas prgsent, l'Ac-

cord de 1960 a détermine quel était le territoire relevant

de chaque Etat, c'est-à-dire qu'il établit ce qui appartient

limites maritimes n'étaient
à chacun. Avant ll~ccord, les
I
pas fixées et, par conséquent, aIcun des deux Etats ne

pouvait' a£ firmer qu'une fraction déterminée de la zone

maritime , etait "sienne". e un pllnt de vue loqlque, la

Guinée-Bissau ne peut soutenir tqud la norme qui a déterminé

quel était son territoire maritime (1'~ccord de 1960) lui a

enleve une partie du territoire maritime qui etait "le

sien". Cette affirmation ne pourrait avoir de sens que s'il

y avait eu une norme juridique antérieure qui aurait attri-

I
bue ce territoire à la ~uinée-Bissau, ce qui n'a pas éti!

demontré au cours du présent arbitrage. Celui qui prétend

avoir été dépouillé d'une partie de son territoire ou de ses

ressources naturelles doit d 'aba;rd démontrer qu'ils lui

appartengient.
i Il en resulte que le principe de la souveraineté perma-

nente sur les ressources naturelles n'est pas applicable au

cas présent.

4O. La ~uinée-~issau affirme que la signature de

l'Accord de 1960 est en contradiction avec un corollaire qui

découle du principe de l'autodétermination des peuples selon

lequel, apres le déclenchement d'un processus de libération,

1'Etat colonisateur ne pourrait conclure des traités portant

sur des éléments essentiels du droit des peuples. Cette

norme, n'étant qu'un corollaire, dgriveralt son exlstence

juridique et son caractere impératif du prlncipe fondamental

mentionné. Donc, selon La Guinée- Bissau, le principe d'auto-

détermination des peuples aurart pour conséquence logique

une restriction du jus tractatus de 1'~tak colonisateur à

partir du début d'un processus de libération nationale. En

outre, cette restriction aurait le caractère de norme de lus

cogens.

41. La doctrine actuelle du droit international s'est

abondamment occupée du jus coqens, surtout à partir de la

Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969. Une

partie de cette doctrine fait appasaTtre le jus coqens comme

composé de normes d'une hiérarchie supérieure. Les études

sur Ta notion de jus coqens et l'identification des normes

ayant un tel caractère ont été souvent influencées par desconceptions idéologiques et par des attitudes politiques.

Du point de vue du droit des traités, le JUS cogens est

simplement la caractéristique propre à certaines normes

juridiques de ne pas être çuçce~tîbles de dérogation par

voie conventionnelle.

42. Le respect du principe de l'égalité des droits des
I
peuples et de leur droit 2 disposer I d'eux-mgmes est mention-

né au paragraphe 2 de l'article Premier de la Charte des

Nations Unies comme étant un des buts de l'Organisation. et
l
ce principe a fait l'objet ultérieurement de formulations

globales ou partielles, dans certains instruments et docu-
l
ments internationaux, notamment dans certaines résolutions

de lt~sçemblée générale des ~ationL Unies comme celles con-

cernant la "Déclaration sur lloct!oi de l8ind&pendance aux
l
pays et aux peuples coloniauxi1 (résolution 1514 (XV)) de
I
1960, invoquée à plusieurs repriaek pas la ~uinée-Bissau au

cours du présent arbitrage (voir p. ex. mémoire, vol, 1,

pp. 139, '1 41 et 145; PV/1, pp. 113 et 122; PV/13, pp. 112 et

11 31, et, la "~éclaration relative aux principes du droit

international touchant les relatiotis amicales et la coopg-
I
ration entre les Etats conformémen; à la Charte des Nations

Unies" (résolution 2625 (XXV)) de 1970.

43. La Guinée-~issau présente la règle suivant laquelle
l
le jus tractatus serait frappé d'une restriction à partir du

début d'in processus de libération nationale comme un corol-

laire du principe du droit des $euples à disposer d'eux-
I
mêmes. l'avis du Tribunal, entre ces deuxpropositions n'est pas un cas de corollaire dans lequel la

vézité d'une proposition peut être dgduite de l'autre par

une simple operation de logique formelle. La Guinke- ~isçau

n'a pas apporté la preuve ou la démonstration de ce que la

relation logique qui existe entre les normes soit celle d'un

corollaire. La simple a£firmation qu'entre deux proposi-

tions il y a une certaine relation logique n'est pas suf-

fisante. La règle invoquée par la Guinée-Bissau a un

contenu qui ne peut etre déduit du droit des peuples à

disposer d'eux-mêmes, Elle constitue une norme juridique

indépendante du principe de l'autodétermination et qui est

li&e au principe de l'effectivite et aux règles sur

la formation de llEtat dans la sphère internationale.

44. Un Etat né d'un processus de libération nationale a

le droit d'accepter ou non les traités qu%urait conclu

1'Etat colonisateur après le déclenchement du processus.

Dans ce domaine, le nouvel Etat jouit d'une liberté totale

et absolue, et 11 n'existe aucune norme impérative qui

l'oblige à déclarer' nuls Les traités conclus pendant cette

période ou à les récuser.

La ~uinée-~issau n'a pas établi dans le présent arbi-

trage que la norme invoquée par elle serait devenue une

règle de jus coqens, soit par la voie coutumière, soit par

la formation d'un principe ggnéral de droit.

45. Dans le cas la ~uinée-Bissau allègue que la

France, en signant ll~ccord de 1960, a violé au préjudice du

~éné~al un corollaire du principe de l'au toclétermination des - 34 -

peuples selon lequel 1'~tat colonisateur ne pourrait
I
conclure, après le déclenchement d'un processus de libéra-

tion nationale, des traités portant sur des éléments esçen-

tiels du droit des peuples. ~'apsrès la ~uinée-~issau cet
l
Accord serait nul et, s'agissant d'une norme du jus couens,

le ~énégal n'aurait pas le droit de confirmer le traité. La

norme sur laquelle se fonde la ~uidée-~iççau existe en droit
l
international, mais, comme il est kit au paragraphe précé-

dent, elle n'appartient pas au jus Icogens. Le ~énégal avait

donc la liberté totale et absolue d'accepter ou non l'Accord

de 1960. En vertu de cette faculké, le sénégal l'a accepté

et il inirogue maintenant son applkcation devant ce Tribu-

nal. La Guinée-Bissau, pour sa $art, n'a pas le droit de
l
demander au Tribunal la nullité de l'Accord de 1960 en se

fondant sur une violation par la France de la norme invo-

quée, au préjudice du Sénégal.
l
46. La ~uinée-~issau soutient &alement que le Portugal
I
aurait v~oké, à son préjudice, la hême règle déjà rnention-

née, laquelle ne serait qu'un carollaire du principe de

l'autod &termination des peuples. ~lle affirme plus préciçé-

ment que le Portugal n'avait en 7960 la comp6tence

nécessaire pour signer l'Accord: ïNi Ihue ni l'autre des

Puissances coloniales en 1966 ne disposaient plus de la

plénitude de souveraineté nécessaire pour conclure" (PV/S,
l

47.' +fin de prouver lmapplicab(ilité de cette règle au

cas ~uinge- Bissau cherche démontrer qu'enavril 1960, date de 1'~ccol-d f ranco-portugais, le processus

de libération nationale en ~uinée était déjà commencé.

Aussi bien dans ça replique qu'au cours des audiences,

la Guinée- ~issau a surtout retracé l'évolution du processus

de libération nationale dans la province portugaise de

Guinée. D'aprss les preuves fournies, la période qui va de

1955 2 1960 est caractérisge par la fondation, en ~uinée ou

à l'étranger, de diverses associations, quelques-unes clan-

destines, qui dgclaraien. avoir pour but: ultime l'indgpen-

dance de leur pays. Ainsi, il se crée en 1955 à Bissau le

Mouvement d'indépendance nationale de la Guinée portugaise

(MING), formé d'un groupe de comrneri;ants, de fonctionnaires

et d'étudiants, mouvement qui disparaîtra l'année suivante,

En septembre 1956 est fondé à Bissau le Parti africain de

l'indépendance IPAI), lequel, à partir d'octobre 1960, s'ap-

pellera PAIGC. En 1958 appara?t le Mouvement anticolonial

(MAC) qui est le résultat des travaux d'un petit groupe

d'études, reuni à Paris en novembre 1957, sur la situation

et Les perspectives de lutte dans les colonies portugaises.

En 1959 est constitué le Front de liberation de la Guinée et

du Cap Vert (FLGCV). En 7960, le PAIGC et le Mouvement

populaire de libération de 1'~ngola (MPLA) créent le FRAIN

(Front révolutionnaire africain pour l'indépendance des

colonies portugaises). Cet organisme n'aura qu'un an

d'existence et il sera remplacé en 1961 par la conférence

des organisations nationalistes des colonies portugaises

(CONCP). I
Pendant cette période, et plus précisgrnent le 3 août

1959, a heu la répression ouvriè!, de Pidjiguiti, au cours

de laquelle cinquante personnes troLvent la mort. Cet &&ne-

ment devient le symbole de la lutte de libération nationale.

Le 3 août 1961 le PAIGC le passage de la lutte

politique à l'insurrection nationale. Quelques actes de

sabotage sont alors commis, ce qui provoque un grand nombre

d'emprisonnements. La lutte armée en ~uinée ne commencera

qu'en janvier 1963 (réplique,vol. 1, p. 213; PV/3, p. 64).

48. Pour sa part, le Portugal l4 avait pour politique de

l
nier L'existence de ses propres cohonies. 11 se considérait

comme un Etat unitaire constitué de provinces situées sur

plusieurs continents. Pendant le& années 60, le Portugal

continua de représenter ses provinces d'outre-mer auprès

aussi bien de L'Organisation des ~lations Unies que d'autres

organisations internationales. En 1 972 ll~ssernblée

des Nations Unies, dans sa résolution 2918 (XXVII), affirma

"que les :mouvements de libération nationale de l'Angola, de

la ~uinée (Bissau) et du Cap Vert et du Mozambique sont les
l
représentants authentiques des véritables aspirations des

peuples de ces territoires", ""Ji sans designer lesdits

mouvements par leur nom. La 1'6soluti0n 31 13 (XXVIII) réitéra

cette idée, et enfin la résoluti'n 3294 (XXIX) réaffirma

l
"que le Frente Nacionai para a ~ibertaqzo de Angola, le

Movimento Popular de Libertaça0 de Angola, le Partido Afri-

Cano da Independencia da Guiné e Cabo Verde, le Frente de

~ibertaçà~ de Moçarnbique et le Movimento de ~ibertaçao deÇa0 Tomé e Principe ... sont des représentants authentiques

des peuples intéressés". Jusgu'en 1973 le Portugal exerça

aux Nations Unies la repr&sentation de la province d'outre-

mer de ~uinée. Le 17 décembre 1973 la résalution 3181 I

(XXVIII) de 1'~ssernblé.s générale reconnut les pouvoirs des

représentants du Portugal uniquement pour 1'~tat situe à

l'intérieur des frentières européennes, en leur déniant

toute représentativité pour le Mozambique, 1'~ngoLa et la

Guinée-~issau. Cette r6solution n'était que La conséquence

logique de la rgsolution 3061 (XXVIII) du 2 novembre 1973

par laquelle lf~ssernb16e gén&rale se félicitait de l'acceç-

sion à l'indépendance de la Guinée- Bissau.

49. Le Sénégal affirme que le principe d'autodétermina-

tion des peuples est apparu après 1960 et ne peut être appki-

qu& rétroactivement. Quant au corollaire que la ~uinée-

Bissau tire de ce principe, selon lequel 1'~tat colonisateur

ne pouvait conclure certains traités concernant son

territoire colonial à partlr du moment où un processus de

Libération était déclenché, le sénégal l'a accepté dans Les

plaidoiries (PV/~, p. 621, mais il nie que la situation en

~uinée en 1960 puisse être considérée comme étant celle du

déclenchement d'un processus de ce genre.

50. Dans un processus de libération nationale il y a

toujours 2 l'origine un petit groupe d'hommes décidés qui

s'organise et qui, petit 2 petit, développe une activité sur

les plans intellectuel, politique et militaire j usqu'à ob-

tenir ltindGpendance de leur pays. La durée de ce processuset les méthodes à appliquer déper/dent de divers facteurs,
l

parmi lesquels on peut citer la I de 1'Etat colonisa-

teur et l'aide que le mouvement de libération reçoit de

l'étranger. Dans le processus de libération l'on parvient à
I
un stade où les aspirations du moivernent sont précisées et

où il est organisé institu tionnellernent. Après s'être struc-

turé, le mouvement peut commencer à agir et il sort de la

clandestinité. action n'est pas forcément rnenee sur le

plan de la guérilla, il peut s'agir seulement d'une activité

politique. Mais il faut souligner que l'élément décisif du

succès ou de l'gchec d'un mouvement de libération est

toujours Le concours de la volonté $apu~aire.

51. Dans ce processus de forrhation d'un mouvement de
l
libération nationale, la question juridique ne consiste pas

à identifier l'instant précis où celui-ci est né en tant que

tel. Ce quY1 importe de savoir, c'est à partir de quand
l

son activité a eu une portée interndtilnale.

~însi que l'a fait observer I le ~énégal, il existe

aujourd'hui en Europe occidentale et dans d'autres parties

du monde divers mouvements indépendantistes. Il n'est pas

possible d'affirmer que l'activité de tel ou tel d'entre eux

a une portée internationale du simple fait qu'il s'est

constitué on organisation ou qu'il s'est livré à certaines

rnanif estationç publiques.

De telles activitgç ont une portGe sur le plan inter-

national à partir du moment où elle,s constituent dans la vie

1'Etat territorial anormalqui le force à prendre des mesures exceptionnelles, c'est-à-

dire lorsque, pour dominer ou essayer de dominer les événe-

ments, il se voit amen6 à recourir à des moyens qui ne sont

pas ceux que l'on emploie d'ordinaire pour faire face à des

troubles occasionnels.

Dans le cas de ce qui &ait alors la Guinée portugaise,

le Tribunal n'a pas à examiner si le processus de libération

nationale avait ou non commencé en avril 1960; ce qu'il faut

rechercher c'est si les activités par lesquelles ce proces-

sus se manifestait en avril 1960 avaient ou non une postée

internationale.

52. La Guinge-~issau a dit 5 ce propos dans son mémoire

(p. 62) en se reférant à la période de la signature de

k'hccord du 26 avril: "1959/1960, on ne peut pas dire encore

que l'intégrité des compétences portugaises soit entamée sur

le plan territorial". En outre, à plusieurs reprises a été

confirmée dans le présent arbitrage l'a£ f irmation de la

sentence arbitrale du 14 février '1985 entre la ~uinée et la

~uinée-~issau en ce sens que la guerre de libération n'a

commencé qu'en 1963 en Guinée portugaise (réplique, vol. 1,

p. 21 3; Pv/~, p. 64). Quant aux Nations Unies, ce n'est

qu'en novembre 1973, c'est-à-dire après la proclamation de

l'indépendance de la ~uinée- ~issau, qu'elles adoptent une

résolution selon laquelle le Portugal ne représente plus ce

pays. 11 n'a pas été apporté, en l'espèce, de preuves

établissant qu'en 1960 la vie institutionnelle de ce qui - 40 -

l

était alors la ~ulnée portugaise cbnnaissait des bouleverse-

ments tels que 1'~tat dfit recourir à des mesures extra-

ordinaires pour assurer le déroulement normal des activités

civileset pour garantir la sécurité publique.
I
Pour toutes ces raisons, la noirne qui restreint la capa-

cité de 1'Etat une fois qu'un processus de libération est

déclenché n'est pas applicable à la situation qui existait

en 1960 en Guinée portugaise. I

l

I

B1 Violation du droit interne

5.3. La Guinée- Bissau soutient ,que 1'~ccord par échange

de notes du 26 avril 1960 est nul ;car,lors de sa signature,

aussi bien le Portugal que la ~iance auraient commis une

I
violation de normes du droit inteme d'importance fondamen-
,
tale.

Pour ce qui est du droit portugais, à la signature de

l'Accord de 1960, c'est la Constitution du II avril 1933 qui

était en vigueur. Son article 2 dispose que 1'~tat ne peut

aliéner aucune partie du territoird national sans le consen-

tement de l'~ssembl&e nationale. ! autre part, 1'article

91. paragraphe 9, précise que 1'~ssernblée nationale a cornp&-

tence pour "de£inir os limites dos territbrios da ~açao".

En ce qui concerne la conclusion $es accords, la procédure serait indiquée dans les articles 81, paragraphe 7, 91,

paragraphe 7, et 102, paragraphe 2. après ces articles,

il appartenait l'~ççemb1ée nationale d'approuver les

conventions et accords internationaux conclus par le Gouver-

nement, exception faite des cas d'urgence. La Constitution

de 1933 ne prévoyait pas le système d'accords en forme

simplifiée. Cette pratique aurait néanmoins été acceptée

par le Portugal et elle aurait &tg utilisée pour les accords

i
portant sur des sujets qui n'étaient pas de la compétence de
I
1'~ssemblée nationale (m&noire, p. 1 12). De l'analyse de

ces dispositions la ~uinée-~issau conclut que, selon la

Constitution portugaise de 1933, l'Accord de 1960 aurait dû

être soumis à l'approbation de kiAssernbl&e nationale. Cette

violation du droit constitutionnel aurait un caractère "mani-

feste" et, en vertu de la règle codifiée à l'article 46 de

la Convention de Vienne sur le droit des traités, l'Accord

franco-portugais serait nul.

Le ~énégal n'est pas de cet avis. Son argumentation se

fonde sur une interprétation différente des textes constitu-

tionnels ainsi que sur le fait que, en plus du texte écrit

de la Constitution, il faudrait considérer "un ensemble de

coutumes et de pratiques qui ont sensiblement altéré la

signification première des textes constitutionnels" (contre-

mémoire, p. 40)* En particulier, le ~énégal affirme que la

compétence accordée à I'~sçemb1ée nationale par l'article 91

de la Constitution nkst pas exclusive et qu'elle pouvait

Stre déléguée au Gouvernement (article 91, paragraphe 13).Pour faire cette affirmation II se fonde sur le fait que le

chapitre III, titre III de la par'tie II de la Constitution

en vigueur en 1960, concernant les attributions de 1'Aç-

semblée nationale, fait une différence entre celles

indiquées à l'article 91 et celles mentionnées à l'article

93. Pour ces dernières, la Constitution spécifie qu'il

s'agit de "matesia da exclusiva competencia da Assembleia

Nacional", alors que l'article 911 ne contient rien à ce

sujet. Cette circonstance, ajoutée à ce qui est dit au

paragraphe 13 de l'article 91, permettrait de déduire que

les matières mentionnées dans cet article pourraient être

d6léguées. De même, le Sgnggal soutient que l'article 2 ne

serait pas applicable à l'~ccord,de 1960 parce qu'il ne

s'agit pas d'une aliénation de territoire mais d'une délimi-

tation territoriale. Le ~énégal: expose d'autre part la

jurisprudence internationale et les précédents diplomatiques

sur la nullité des trait& poux cause de violation du droit

interne. ' Sur cette question il parvient à la constatation

que la conclusion de 1'~ccord de 1960 n'implique aucune

violation manifeste du droit interne portugais. Il dit à ce

propos:

accord de 1960 a été conclu par échange de notes à
l'intervention, du côté portugais, d'un homme qui
cumulait les fonctions de Chef du Gouvernement-, de
Ministre des Affaires étrang,ères et d'homme fort du
régime politique du Portugal et qu'à ce seul titre un
tel engagement bén_éficie d'une prgsomption absolue de

validité" (contre-memoire, p. 1 131. Le Sénégal affirme aussi que
1
"la 'dérive constitutionnelle' que le Portugal a cannue
durant plus de 35 ans sous le régime autoritaire établi
par le président Salazar a eu pour effet de réduire à
un rôle symbolique l'autorité de l'Assemblée nationale
et, notamment, les fonctions qui lui avaient été con-
fiées par la Constitution en matière d'approbation des
traités internationaux'' (contre- mémoire, p. 1 313.

Dans sa replique, La Guinée-Bissau réitère que, selon la

Constitution de 1933, la comp&tence assignée à LL~ssernblée

nationale par l'article 97 n'était pas susceptible de dglega-

tion (p. 144). La Guinée-Bissau signale que parmi les

accords en forme simplifiée souscrits par le Portugal il n'y
~
en a aucun concernant la délimitatian {p. 38). Quant à la
~
l réalité constitutionnelLe vécue pendant le régime du

Dr Antbnio de Oliveira Salazar, la réplique dit que "la

Constitution de 1933 n'est jamais devenue, spécialement en

ce qui concerne les normes de campetence et de forme, une

Constitution nominale" (p. 1 66). Et, plus loin, elle
l
ajoute: "la Constitution portugaise de 1933 avait force
l
normative et la répartition de compétences et les formes

qu'elle établissait devaient être respectées" (p. 168).

La duplique du senégal confirme la position de cet Etat
~
sur le régime en vigueur au Portugal en 1960 et sur la
~
validité internationale de l'Accord signé cette année-là.
1
Quant à la pratique portugaise en matière de délimitation,

la duplique fait etat de deux accords par échange de lettres

conclus avec le Royaume-Uni en 1936/1937 et en 1940. I

Dans leurs plaidoiries, les deux Partles ont développé

les arguments exposés dans la phase écrite de la procédure.

54. Avant d'analyser la question de la nullité éven-

tuelle de L'~ccord franco-portugais pour violation manifeste

du droit interne, il faut commencer par déterminer quelle

est la Loi applicable.

11 existe un principe g6néra.l selon lequel le droit à

appliquer à une situation déterminée doit être celui qui

était en vigueur au moment où eile s'est produite (affaire

de llIle de Palmas, ONU, Recueil des sentences arbitrales,

vol. II, p. 845). Par consgquent, le cas doit être

examiné à la lumière du droit initernational en vigueur en

1960. Le Tribunal ne s'attardera donc pas à analyser la

Convention de Vienne sur le droilt des traités (1 969), pas

plus que la question, débattue dans ce litige, de savoir si

l'une de ses clauses, en particuljer l'article 46, constitue

ou non la codification d'une nor@e du droit international

général. ' l

55. Le fait pour un Etat d'etre ou non en conformité
1
avec son droit interne lorsqu'i; signe un traité inter-

national et l'importance de ce fait sous l'angle du droit

des gens n'&aient régis par aucu!n traité général en 1960.

Les normes applicables en la matière appartenaient au droit

coutumier. Quant 5 la pratique jludiciaire et arbitrale, il

n'existait aucun précédent de traité déclare nul parce que

l'un des. Etatç contractants aurai; violé son droit interne

en le signant. Les précédents diplomatiIues n'étaient pasuniformes mais, en général, l'on peut en déduire que seule

une violation grave et évidente du droit interne aurait pu

justifier une declaration de nullité d'un traité.

Le Tribunal estime que sa décision à ce sujet doit être

régie par le principe de la bonne foi. Celui-ci était,

indubitablement, la règle observée par les Etats en 1960 en

ce qui concerne La conclusion d'un accord international.

56. Pour examiner si un traité a été conclu conformé-

ment au droit interne d'un Etat, il faut tenir compte du

droit en vigueur dans le pays, c'est-à-dire du droit tel

qu'il est réellement interprété et appliqué par les organes

de 1'Etat, y compris par ses organes judiciaires et adminiç-

tratif S.

57. Dans cet ordre d'idées, il faut tout d'abord ana-

lyser ha Constitution politique de la ~épublique portugaise

de 1933, qui était en vigueur en 1960. D'après ce texte, le

président de la République représente la Nation, dirige la

politique extérieure et a la faculté de "ajustar convençges

internacionais" (article 81, paragraphe 71. L'exercice de

cette faculté constitutionnelle du président fut attribué en

1938 au ministre des Affaires étrangères par le décret-loi

29319. article 91, paragraphe 7, dispose que 1'~ssemblée

nationale est compétente pour 'laprovar, nos termos do No. 7'

do artigo 81 O, as convençoes e tratados internacionais".

D'autre part, le paragraphe 9 du même article confere à

1'~ssernblée nationale La compétence de "de£inir oç limites I
dos territbrios da ~agao". De Iplus, l'article 81, para-

graphe 7, déjà cité, spécifie que iles traités souscrits par

le Président seront soumis par le ;Gouvernement à I'approba-

tion de 1'Asçernblée nationale.
1
I
Il résulte de ces clauses que la Saqon ordinaire de

conclure un accord international selon la Constitution por-

tugaise était la suivante: signature autorisée par le

résident de la népubligue, par le Gouvernement
1

à ~'~ssemblée et approbation par celle- ci. La Constitution

prévoyait aussi que le ~ouvernemlent pouvait "em casos de
#
urgencia, aprovar as convençoes 6 tratados internacionais"

{article 109, paragraphe 2).

58. Dans la pratique, la 6ompetence de ll~ssernblée

nationale s'est vue restreindre p1ur deux raisons psinci-

pales. En premier lieu, au Portugal, ainsi que dans la

plupart des pays, la pratique se développa de conclure des

accords par &change de lettres. En second lieu, le Eouver-

nement finit par invoquer rébuilèrement des raisons

d'urgence afin de se substituer 21l'~ssernbl6e dans l'appro-

bation des traités internationaux.' Le fait, de la part du

Gouvernement, d 'invoquer systém'atiquement des raisons
I

d'urgence fit que, ainsi que le dist un commentateur, "quase

tivesse desaparecido a aprovaçao parlamentar" (Marcello

Caetano, Manual de ~iêncla ~olikica e Direito Conçtltu-

cional, 6a. ed., Lisboa, 1972, tomo II, p. 617).

après la ~uinée-Bissau, les accords par &change de

lettres portaient sur des sujets qui n'étaient pas de lacornpeten ce de 1'Assembl6e nationale. Pourtant, la pratique

de cette époque fait apparaitre les choses sous un jour

différent. c'est ainsi que 1'~ssemblée nationale n'est pas

intervenue pour approuver la Charte de l'Organisation des

Nations Unies, ni les accords de 1943 et de 1971 avec les

Etats-Unis d'~méri~ue sur la base des iles Açores, ni les

accords de limites des 11 mai 1936/28 décembre 1937 et

29 octobre 1940 avec le Royaume-Uni.

La ~uinge-~isçau invoque la nullité de l'Accord de 1960

pour défaut d'approbation parlementaire. Dans le texte de

cet instrument, le Ministre des Affaires étrangères du

Portugal par interim laissait entendre à son cosignataire,

l'Ambassadeur de France, que l'accord entrait en vigueur au

moment de la signature. Lorsque deux pays concluent un

accord par échange de lettres, accord qui, pour des raisons

constitutionnelles, exige l'approbation du parlement de l'un

d'eux, il est d'usage de faire mention de cette circonstance

dans le texte ou au cours de la négociation. Cela ne s'est

pas fait en k'occurrence,

59. Si l'on considère le texte de l'Accord du 26 avril

1960, l'intervention sporadique de l'asçembl~e nationale

dans l'approbation des conventions internationales, le fait

que quelques textes aussi importants que La Charte des

Nations Unies n'ont pas té approuvés par elle et que

1'~ccord a été signé par le Dr ~ntbnio Oliveira Salazar,

chef incontesté du régime 2 caractere autoritaire qui

existait alors au Portugal, l'on peut conclure que leGouvernement français a eu des raisons de croire, en toute

bonne foi, que le traite signe &tait valable,

60. La ~uinée-~issau fait valdir aussi, comme preuve de

la nullité de ll~ccard de f960, que la France aurait violé

son droit interne lors de ça con~luçion. Le seui Etat qui

pourrait invoques cette cause de bullité est le ~énégal. La

Guinge-Bissau n'a pas qualit&; pour soumettre cette

reclamation au Tribunal.

II, Les causes d'inopposabilitg 'invoquées par la

~uinge- ~issau

61. En plus des causes de nullité mentionnées, la

~uinée-~issau soutient que l'Accord conclu entre la France

et le Portugal le 26 avril 1960 'ne lui est pas opposable,

c'est-;-dire que, supposer même que cet Accord fût

valable, la succession d'~tats ne s'opérerait pas dans le

cas d'espsce et ses règles ne s'appliqueraient donc pas dans

les relations entre le ~énégal et la ~uinée-Bissau.

La question de la succession d'Etats en matigre de

limites a revgtu une importance toute particulière en

~mérique pendant le XIXème siècle'en raison de l'accession à

l'indgpendance des Etats nés de l'empire colonial espagnol. Dans certains cas, les nouveaux Etats décidèrent d'un commun

accord que les limites internationales de leurs territoires

respectifs seraient celles qui existaient déjà pour marquer

les divisions administratives de l'Gpoque coloniale. Dans
i
d'autres cas, les Etats revendiquerent comme faisant partie

de leur territoire national ce qui correspondait auparavant

à une vice-royaut&, à une audience ou à une capitalnerie

ggnérale. Dans toutes ces h.ypothèses, l'on avait recours à

l'ancien droit colonial ("derecho de Indias") afin de déter-

miner les limites internationales entre Les nouveaux Etats.

Cette façon de fixer les limites internationales est connue

sous le nom de uti possidetis ou uti possidetis juris.

En Afrique, par contre, l'uti possidetis a un sens plus

large car il concerne aussi bien les limites entre des pays

nés d'un même empire colonial que celles qui à l'époque

coloniale avaient déjà un caractère international du fait

qu'elles séparaient des colonies appartenant à des empires

coloniaux différents.

62. Dans le cas présent, les Parties sont d'accord sur

le fait que les traités de limites signés pendant la période

coloniale continuent d'être valables entre les nouveaux

Etats. Pour ce motif, la "table rase" dgclarée par

1'~ssemblée populaire de la Guinée- ~issau le 2 4 septembre

1973 pour les traités conclus par le Portugal n'est pas

Ainsi, le
applicable aux traités sur les frontières.

s&négal et la ~uinée-Bissau reconnaissent que leur frontièreterrestre est déterminée par la Convention f ranco-portu-

gaise du 12 mai 1886. De même, il est utile de rappeler que

l'organisation de l'unité a£riçaine, dont les deux Parties

sont membres, a adopté le 21 juillet 1964 au Caire une

résolution par laquelle ''tousles Etats Membres siengagent à

respecter les frontières existant au moment où ils ont

accédé à l'indépendance" (doc. AGHIFéç. 16).

Bien que les deux Parties soient d'accord sur le fait

que la succession est la règle dans le domaine des traités

de frontières, elles diffèrent en ce qui concerne l'étendue

du contenu de cette norme. Le ~énégal soutient quYl y a eu

succession dans le cas présent,, tandis que La Guinée-

Bissau affirme que jouent des exceptions diverses qui ont

pour conséquence que la succession n'opère pas pour l'Accord

de 1960.

Le Tribunal analyse ci-dessous les exceptions à la

règle de la succession en matière de traités de limites

exposées par la ~uinée-~issau.

A) La délimitation des frontières maritimes

63. La ~uinée- Bissau soutient' que la succession dlEtats

frontières ma,ritimes.
ne s'applique pas aux Une frontière internationale est la ligne formée par la

succession des points extrêmes du domaine de validité

I spatial des normes de l'ordre juridique d'un Etat. La

délimitation du domaine de validité spatial de 1'Etat peut
I
concerner la surface terrestre, les eaux fluviales ou

lacustres, la mer, le sous-sol ou l'atmosphère. Dans tous
~
les cas, le but des traités est le même: déterminer d'une
~
manière stable et permanente le domaine de validité spatial
~
des normes juridiques de I'Etat. D'un point de vue juri-
l
dique il n'existe aucune raison d'établir des régimes

differents selon l'clément materiel OU la limite est fixée.

arrêt de la Cour internationale de Justice en l'affaire du

Plateau continental de la mer ~qée constitue en ce sens un

précédent (C.I.J. Recueil 1978, pp. 35-36. Voir aussi

a£f aire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe

libyenne)i C.I.J. Recueil 1982, pp. 98 et 131; affaire de la

~6limitation de la frontière maritime dans la région du

Golfe du Maine, C.I.J. Recueil 1984, pp. 246 ss.).

64. u un des arguments invoqués par la Guinée-Bissau
I
est L'absence des cas où la question de la succession s'est

posée pour les frontieres maritimes. Le droit de la mer,

sauf pour des questions de navigation et pour quelques
l
autres concernant la pêche, ne s'est développé qu'à une

période relativement récente et l'on ne peut @rétendre

trouver des précédents au siècle dernier, époque où les

Etata de ll~m&rique latine accédèrent à l'indépendance. Une

analyse des litigeç survenus dans cette partie du monde et
1concernant les frontières démontre qu'il n'a été question

des frontières maritimes que dans deux cas : celui du canal

de Beagle et celui de la baie de Fonseca. Dans le premier

il s'agissait de l'interprétation du rai té de limites

argentino-chilien de 1881 et, par cons&quent, la règle de

l'uti possidetis n'a pas &té appliquée. Par contre,

s'agissant de la baie de Fonseca, la Cour centramericaine de

Justice décida que les limites avec la haute mer que la

Couronne de Castille avait établiys dans cette baie étaient

dévolues en 7821 à la Républiqule fédérale de l'Amérique

centrale et, au Salvador, au Honduras et au

Nicaragua (Anales de la Corte de Justicia centroamericana,

t. VI, no 16-18, pp. 100 et 131).

Un autre précédent que l'on ;eut citer est la Conven-

tion anglo-danoise du 24 juin 19101 concernant les limites

des pêcheries qui, par successlon du Danemark, est restée

applicable 2 1'1slande jusqu'en 1951; mention en fut faite

par sir Hurnphrey Waldock dans çOn opinion individuelle en

l'affaire de la Compétence en matière de pêcheries IC.1.J.

Recueil 1974, pp. 106 SS.).

II est possible enfin de faire état de plusieurs cas de

succession en matière de limices maritimes concernant

1'~sie, conséquence de la décoloniçation qui a suivi La

~euxième Guerre mondiale. Les cartes géographiques de la

Malaisie, des Philippines et de Brunei, par exemple, pré-

sentent comme limites maritimes les lignes dont l'origine

remonte à l'époque coloniale. S'i les cas de successiond'mats aux frontières maritimes ne sont pas nombreux, la

~uinée-~issau, pour ça part, n'a invoqué aucun précédent

dans lequel on aurait appliqué la "table rase" à une

frontière maritime établie à l'époque coloniale.

65. Un autre argument avancé pas la ~uinée-~issau pour

différencier les frontisres terrestres des frontieres mari-

times est que ces dernigres ne fixent de limites que pour

certaines matières, telles que la pêche ou L'exploitation

des ressources naturelles. Au contraire, les frentières

terrestres fixeraient des limites juridictionnelles qui

seraient valables pour toute activité ou dans tous les

domaines. En réalité cela n'est pas exact. Il existe de

nombreux cas où la frontière terrestre entre deux pays n'est

pas concrétisée par une ligne unique mais par plusieurs.

Ainsi l'on peut citer des exemples où la limite sur la sur-

face terrestre ne cofncide pas avec la limite fixée pour le

saus-sol, en g&néral quand l'exploitation de mines se trouve

en jeu. Dans des fleuves séparant deux Etats il y a parfois

une limite pour ce qui concerne la division des îles et une

autre, différente, pour la division des eaux. La ville où

siège ce Tribunal est précisément sépar6e de la France par

deux lignes de delimitation di£ f grentes.

Le falt qu'une frontière délimite des juridictions dans

tous les domaines ou seulement pour quelques-uns d'entre eux

n'est pas une raison valable d'établir des rggimes juri-

diques différents, - 54 -

66. La thèse soutenue par la ,~uinée-Bissau au cours du

présent arbitrage n'est pas compatible avec l'attitude qui

avait été la sienne jusqu'à ce jour. En effet, dans la note

3032/CNE/SG/77 adressée le 4 novembre 1973 par le Comissa-

riado de Estado dos Negocios Estr~angeiros à l1~rnbassade du

senégal il était affirrng que la frontière maritime entre les

deux Etats était f ixee par la Convention f ranço-portugaise

de 1886 (mémoire, annexe 6 blç).' Le même critère était

maintenu dans la note du 3 avril 1979 adressée par le

représentant de la ~uinée-Bissau au reprgçentant spécial du

secrétaire gznéral de l'Organisation des Nations Unies à la

~roisième conférence sur le dra,it de la mer (replique,

annexe 3). Bien que, plus tard, ed comme conséquence de la

sentence arbitrale du f 4 février '1985 dans l'affaire de la

~glimitation de la frontière ma~itime (~uinée/~uinée -is-

çau), il ait été reconnu que fa ,Convention de 1886 avait

seulement défini les frontières; terrestres, ces notes

démontrent que la ~uinge- ~issau acceptait la succession

d'~tats en matière de f rontieres 'maritimes. Le campramis

arbitral du 18 février 1983, souscrit par la ~uinée-~issau

et la Guinée, invoque "la déclaration solennelle de la

réunion des Chefs d'~tat et de gouvernement de l'organisa-

tion de l'unité africaine tenue au 'Caire du 17 au 21 juillet

1964, au cours de Laquelle les 'Etats Membres firent le

serment de respecter les fronti~rkç existant au moment où

ils ont accédé à l'indGpendancet'. Etant donné que le compro-

mis arbitral cancernait seulement la délimitation d'unefrontière maritime, cette mention signifie que les deux

Parties ont reconnu que ce principe était applicable à cette

catégorie de frontières. Et dans les plaidoiries du même

arbitrage la ~ulnée-Bissau a aussi reconnu que la succession

diEtats opsre en matière de traités sur les frontières

maritimes {plaidoiries, compte rendu integral no 8, pp. 76

et 77).

BI Duree de l'Accord

67. La question de l'ancienneté de 1'~ccord est exposée

de deux points de vue par la Guinée-~issau. u une part,

elle soutient que sont nuls les traités internationaux

conclus par un Etat colonisateur au sujet d'un territoire

dépendant, dès lors que le processus de libération est

entamé et que les traités en question portent sur des &lé-

ments essentiels du droit des peuples à disposer d'eux-

mêmes. D'autre part, elle affirme que seuls sont opposables

à llEtat successeur les traités Internationaux ayant une

certaine durée, durée qu'elle ne précise pas. Ainsi, dans

son mémoire, La ~uinée-~issau se réfere à I'uti possidetis

et déclare que "... la logique et les fondements du principe

entrainent qu'il ne s'applique qu'aux traités conclus de

Longue date" (p. 87). Et plus loin, elle signale "la néces-

sité de distinguer les délimitations anciennes de cellesplus récentes qu'il faudrait albrç soustraire au champ

d'application de la règle de l'uti possidetisi' (p. 89).

68. Le Tribunal a déjà précisé que l'Accord de 1960 fut

souscrit treize ans avant l'indépendance de la Guinée-~isçau

et à une époque où le proceççusj de libération en Guinée

portugaise n'avait pas d'effets sbr le plan du droit des

gens. Les accords portant sur le4 limites signés par llEtat

colonisateur avant que le pracesshs de libération n'ait eu
1
une portée internationale ne 'doivent remplir aucune

condition spéciale d'antériorité !pour être oppesables à

1'~tat successeur, La 'Guinée-~iissau nia pu prouver, au

cours de cet arbitrage, l'existence I d'aucune norme de droit

international exigeant cette condition.

I

Ç) Absence de publicité de li~ccord

69. La question de la publicité de ll~ccord de 1960 a

été présent6e de diverses faqons 'au cours de la procédure

arbitrale.

La Guinée-Bissau a exposé dans son mémoire que l'Accord

du 26 avril ne fit l'objet d'aucun+ publication au Portugal.

Elle a précise à ce propos que l'obligation de le publier

était prévue par les articles 81, paragraphe 9, et 150,1 paragraphe 2, de la Constitution portugaise de 1933. Ce

dernier article se rapporte à la publication des actes

devant entres en vigueur dans les provinces d'outre-mer et

il a été renforcé par la suite par la loi organique d'outre-

mer des 27 ~uin 1953 et 25 mai 1955. Cette absence totale

l de publicité aurait eu comme conséquence que 1'~ccord de

1960 aurait été ignoré des autorités de la ~uinée-3issau au

moment de l'indépendance. A lkppui de cette thèse, ce pays

décrit la situation où il se trouvait lors de la déclaration

d'indépendance. Il venait de sortir d'une Longue guerre de

libération gui avait épuisé son peuple et l'avait enfoncé

~
encore davantage dans la pauvreté. En outre, la population

était en grande partie analphabète et son niveau culturel

était bas (mémoire, p. 64).

70. s'appuyant sur ces faits, la Guinée-Bissau a

soutenu que l'Accord de 1960 lui était inopposable parce

qu'il lui était inconnu et elle a aussi affirmé que l'inob-
l
çervatian des dispositions constitutionnelles concernant la

I publicité implique une violation manifeste du droit interne,

ce qui justifie la nullité de ll~ccord (mémoire, pp. 150 et

152).

Le ç6négal, de son côté*,a apporté plusieurs preuves

tendant à démontrer que l'Accord de 1960 avait fait l'objet

de quelque publicité et, dans une certaine mesure, etait

connu dans les milieux internationaux.

71. Le défaut de ~ublicité a donc &té invoqué dans le

mémoire de La ~uinée-~issau comme cause de nullit& pour I

violation manifeste du droit interne et comme cause d'inoppo-

sabilitg de l'Accord.

Cette attitude a &tg abandonnée danç Les plaidoiries,

où la Guinée-Bissau a déclaré qulelle ne posait pas "l'in-

validité internationale de 1'~ccord par absence de publica-

tion" mais que "la publicité et, l'efficacité interne d'un

traité dans une colonie conditionnent la succession à ce

traite de 1'Etat nouvellement indépendant" (PVJ14, p. 164).

72. L'Accord du 26 avril 1960 n'a pas été conclu dans

le secret et, au moment de l'indépendance de la ~uinée-

Bissau FI9731, il avait déjà fajt l'objet d'une certaine

publicité. Son texte fut publié au Journal officiel de la

~épublique française du 30-31 mai' 1960, au Journal officiel

de la ~omrnunaut6 du 15 juin 1960 et au Journal officiel de

la ~édération du Mali du 20 août 1960. De mhe, 1'~ccord

figure dans le Recueil des traités et accords de la France

(t. II, pp. 12-1 4) publie en 1966, ainsi que dans la Revue

g6nérale de droit international public (vol. 64, 1960,
I
pp. 891-8921. ~'~ccord fut aussi 5nvoqué par les Parties en

litige dans les affaires du Plateau continental de la mer du

Nord et il fut mentionné par le Ju,ge Fouad Rmmoun dans son

opinion individuelle jointe à, l'arrêt de la Cour inter-

l nationale de Justice dans ces affaires (C.I.J.Recueil 1969,

p. 126). 11 est.aussi mentionné dans le volume 4 du Diqest

of International Law de W hiteman !(1 965), danç L'ouvrage de
l
J. Lang intitulé "~e plateau continental de la mer du ~ord"
l1 (Paris, 1970, p. 11 4) et dans le commentaire publié dans

l'Annuaire français de droit international (1969, p. 236).

7 3. ~'argurnentation de la ~uinée- ~içsau ~rocède de
i
l'idée que, en raison de l'absence de publicité, l'Accord de

1960 n'était pas opposable 2 la population de la Guinée

portugaise d'après la législation alors en vigueur. Partant
i
de ce fait la Guinée-Bissau affirme que, si le traité

n'était pas opposable à la population de la colonie portu-

gaise, il ne l'est pas davantage à 1'Etat successeur dans ce

territoire ( PVJ3, p. 21).

74. Il faut souligner d'abord que l'obligation du Portu-

gal de publier 1'~ccord dans sa province africaine de ~uinée

relevait exclusivement du droit interne portugais. De même,

l'obligation que le Portugal aurait pu avoir de publier

officiellement cet Accord à Lisbonne était aussi une obliga-

tion du droit interne portugais. Le manquement à cette

obligation ne peut donc pas gtre considéré comme un manque-

ment par le Portugal à une obligation qui lui serait imposée
~
par le droit international. Le seul aspect de la publica-

tion des traités qui fasse l'objet d'une réglementation

internationale est celui qui a trait à l'enregistrement des

traites, notamment au Secrétariat de l'organisation des

Nations Unies, question qui sera examinée par le Tribunal

plus loin.

75. Cela dit, il convient maintenant de reprendre

l'argumentation de la Guinée-~isçau, exposée au para-

graphe 73. Selon Ce raisonnement, 2 cause de l'indépendance
i - 60 -

la succession aurait eu lieu entre la Guinée portugaise et

la ~uinge-Bissau. Du point de vue du droit international,

ce point de départ est erroné, car ;la succession de souverai-

neté s'est produite entre le Portugal et la Guinée-Bissau,

Une succession d'mats a toujours lieu entre Etats, le

Portugal et la Guinée-Bissau dans le cas d'espèce, pas entre

une partie d'un Etat, comme l'était la Guinée portugaise en

1960, et un Etat nouveau créé sur le même territoire. La

violation éventuelle du droit interne consistant en ce que

le Portugal n'a pas dûment publié l'Accord de 1960 dans son

ancienne colonie africaine ne peut être invoquée par son

successeur sur le plan international comme cause d'inopposa-
I
bilite de cet Accord. Et l'on 'peut encore moins faire

valoir cette inopposabilit& par rapport à un Etat tiers qui

a donné à l'Accord la publicité requise. Il faut ajouter

aussi que, comme i1 a été indique au paragraphe 72, l'accord

de 1960 n'était pas un traité secrlt. Les concepts d'accord
I
non publié et d'accord secret ne sont nullement synonymes.
I
76. La ~uin&e-~issau dit aussi qu'elle n'a pas reçu de

notsication de la part du Portugal relativement à 1'~ccord

de 1960, qu'elle lui a même dema$dé des éclaircissements à

ce sujet, mais qu'elle n'a jamais reçu de réponse (PV/~,

p. 92). La question des notifications échangées entre le

Portugal et la Guinée-Bissau sur 1:Accord de 1960 et l'&en-

tuelle responsabilité qui en decouler intéressentles rapports entre ces deux pays et ne relevent pas de la

compétence de ce Tribunal. -

*

* *

III. Non-enreqistrement de l'Accord de 1960 au

Secrétariat de l'urqanisation des Nations Unies

77. En plus des causes de nullité et d'inopposabilité

examinées, la Guin6e- Bissau soutient aussi (mémoire,

pp, 152-156 et 159) que, comme l'Accord de 1960 n'a pas &te

enregistré au Secrétariat de l'Organisation des Nations

Unies (article 102 de la Charte), il ne peut être invoqué

dans le présent arbitrage.

78. Sur ce point, il y a lieu de souligner que le Tribu-

nal n'est pas un organe des Nations Unies et que, par consé-

quent, la disposition de l'article 102, paragraphe 2, de la

Charte n'est pas applicable.

En outre, il convient de relever qu'il ne semble pas

logique d'affirmer que l'Accord de 1960 ne peut être invoqué

devant ce Tribunal, de la part d'un pays qui a conclu un

compromis arbltral attribuant à ce même Tribunal compétence

pour décider pr~cisérnent si cet Accord fait droit entre les

Parties. Lkbsence d'enregistrement de l'accord du 26 avril1960 n'est pas une raison valable pour empêcher les Parties

de s'en prévaloir dans le présent arbitrage.

I
IV. Existence d'un droit de vérification ou de

révision

79. La Guinée-Bissau soutient aussi que, si l'Accord de

1960 lui &tait opposable, elle

"serait fondée à exiger la vgrification du caractère
équitable de la ligne découlant de cet accord, y
compris dans le cadre d'une kentuelle application de
cet accord'Yréplique, p. 274). ,

Selon elle, ce droit de vérif3cation ou de révision ae

L'Accord existe lorsqu'untraité c,onclu sous le régime des

Conventions de ~enève de 1958 rég;it, par le jeu de la suc-

cession, Les relations d'un Etat 9ui nh jamais été partie

à ces conventions, mais qui est :en revanche partie à la

Convention de Montego Bay. 1

Cet argument est présenté par, la Guinee-Bissau à titre

subsidiaire [réplique, pp. 273- 27;4), dans l'hypothèse OU

l'Accord de 1960 lui serait opposible. La thèse principale

de ce pays est que L'Accord de 1960 lui est inopposable,

car il s'agit d'une frontière maritime pour laquelle lasuccession serait inopérante (voir supra, paragraphes

63-66).

Le droit de vérification ou de révision invoqué par la

Guinée-Bissau peut avoir son orlgine, soit dans le droit

conventionnel, soit dans le droit non écrit. En ce qui .

concerne le droit conventionnel, la ~uînée- ~issau se fonde

sur la Convention de Montego Bay, particulièrement sur les

articles 74 et 83. Le Tribunal se borne à constater que la

Convention ae 1982 ne s'applique pas en l'espèce attendu

qu'elle n'est pas encore entrée en vigueur. Cela ne veut

pas dire qu'il interprète les articles 74 et 83 de cette

Convention de manière à reconnaitre l'existence d'un droit

de révision ou de vérification. Pour ce qui a trait au

droit non écrit, il n'existe actuellement en droit inter-

national positif aucune norme coutumière ni aucun principe

général de droit autorisant les Etats qui ont conclu un

traité valable concernant une délimitation maritime, ou

leurs successeurs, à vérifier ou à reviser son caractere

équitable. V, Le dsrnaine de validité matériel de l'Accord de

1960 1

80. De l'analyse faite par le Tribunal dans les çec-

tions I, II, III et IV de La sentence se dégage la

conclusion que 1'~ccord de 1960 est valable et opposable au

Quant à la frontière maritime, cet Accord prescrit:

"~us~u'à la limite extérieure1 des mers territoriales,
la frontière serait définie par une ligne droite,
orientée à 240a, partant du point d'intersection du
prolongement de la frontière terrestre et de la laisse
de basse-mer, représenté à cet effet par le phare du
cap Roxo.
En ce qui concerne les zones contiguës et le plateau

continental, la délimitation serait conçtituee par le
prolongement rectiligne, dans la même direction, de la
frontière des mers territoriales."

Ce texte détermine clairement la frontière maritime

pour ce qui a trait à la mer terrYtoriale, à la zane conti-

guë et au plateau continental. Cbs trois domaines consti-

tuaient le droit de la mer en 1960, date de la signature de

1'~ccord. toute foi^ le ~énégal a développé devant le Tribu-

na2 la thèse selon laquelle l'Accord de 1960 devrait être

interprété comme s'appliquant aussi à la dglimitation des

zones cono or niques exclusives et, :en ce sens, il a avancé

plusieurs arguments que le Tribunal analysera séparément.

81. Le premier argument est énoncé dans le contre-

mémoire (p. 316, note 534) et fait référence au compromis

arbitral. Le Sénégal constate que iles Parties,chacune pour - 65 -

des motifs différents, interprètent: l'article 2 du compro-

mis arbitral dans le sens qu'on devrait arriver à fixer une

frontière en mer unique. Cela signifierait, d'après le

Sénégal, que si Le Tribunal parvenait à La conclusion que

l'Accord de 1960 fait droit, la frontière tracée par cet

Accord devrait valoir pour toute l'étendue du plateau conti-

nental et &galement pour les zones économiques exclusives.

Le compromis arbitral du 12 mars 1985 est le traité qui
I
a cré6 le Tribunal et qui en définit la compétence, les

pouvoirs délégués par les Parties et les règles principales

régissant sa constitution, mais il ne contient aucune règle

particulière sur le droit matériel à appliquer aux

questions auxquelles le Tribunal doit répondre. L'article 2

du compromis dit simplement que le Tribunal doit statuer

I "conformément aux normes du droit international". Il n'y a

pas dans le compromis de dispositions énoncant des règles

matérielles spéciales applicables 2 l'affaire. Par rapport

au droit de fond, le compromis de 1485 ne contient donc

aucune norme spécifique et se borne à demander au Tribunal

de decider selon le droit des gens.

82. Un deuxième argument a été présenté par le senégal

au cours des plaidoiries (PV/IO, p. 213). Selon cet argu-

ment, interpréter l'ilccord de 1960 dans le sens qu'il ne

s'appliquerait qu'à certains territoires et non pas à

l'ensemble des espaces maritimes reviendrait à soutenir

implicitement que cet Accord est partiellement valable etpartiellement nul. ce qui serait bontraire à certaines rè-

gles sur la divisibilité des disposjtions des traites.

11 ne s'agit pas ici d'une question de nullité, Le

Tribunal a déjà dit clairement dans la présente sentence

que 1'~ccord de T960 est valable, entièrement *valable. La

question que le Tribunal doit maiitenant résoudre concerne

exclusivement l'interprétation de cet Accord et non pas sa

validité ou sa nullité. Or l'interprétation du sens et de

la d'un texte conventionnel est une opération juri-

dique qui ne doit pas être confondue avec celle tendant à

déclarer ka nullité d'un traité ou d'une de ses clauses.

83. Le sénégal considère ausSi que la pratique subsé-

quente à 1'~ccord 'de 1960 et l'acqUiescement de chaque Etat

à la législation de l'autre sur l'étendue vers le large des

di£férent ç espaces maritimes auraient donné naissance 2 un

accord tacite ou à une coutume ~ilatérale qui aurait Six6

comme limite pour les eaux de la zone économique exclusive
I
ou la zone de pêche la' ligne même de l'Accord de 1960

Idupligue, pp. 183 ss.; PV/11, pp. 34, 41 et 42).

Le ~ribunal ne recherche pas k,ci s'il existe une d&limi-

tation des zones economiqves excluçive~ fond& sur une
I
norme juridique autre que 1'~ccord de 1960, telle qu'un

accord tacite, une coutume bilatekale ou une norme g&n&-

rale. Il cherche seulement 5 voir si l'Accord, en lui-

même, peut être interprété de manière à englober la délimi-

tation de l'ensemble des espaces maritimes actuellement

existant S. 84. Le Sénégal soutient enfin que l'Accord de 1960

doit être interprgté en tenant compte de l'évolution du

droit de la mer. 11 faudrait prolonger et exhausser ha

frontière maritime établie par 1'~ccord selon les exigences

fonctionnelles, tout à fait essentielles pour maintenir des

rapports de bon voisinage et de sécurité. Un accord de

délimitation ne devrait pas comporter de lacunes, et

celles-ci doivfint être comblées selon le bon sens et la

nature des choses (~v/11, p. 42).

85. Le Tribunal estime que l'Accord de 1960 doit être

interprété 5 la lumière du droit en vigueur à la date de sa

conclusion. C'est un principe général bien établi qu'un

fait juridique doit etre apprécié à ka lumière du droit en

vigueur au moment oii il se produit, et l'application de cet

aspect du droit intertemporel à des cas comme celui de la

présente espèce est confirmée par la jurisprudence en

matière de droit de la mer (International Law Reports,

1951, pp. 161 ss.; The International and Comparative Law

Quarterly, 1952, pp. 247 ss.).

A la lumigre de son texte et des principes de droit

intertemporel applicables, le Tribunal estime que l'Accord

de 1960 ne délimite pas les espaces maritimes qui n'exiç-

taient pas à cette date, qu'on les appelle zone économique

exclusive, zone de pgche ou autrement. Ce n'est, par

exemple, que très récemment que la Cour internationale de

Justice a confirmé que les règles relatives à la "zone

économique exclusive'~eevvent être considérées commefaisant partle du droit international ggnéral en la matière

IC.I.3. Recueil 1982, p. 74, Recueil 1984, p. 294, Recueil

-185 p. 33). Interpréter un accord conclu en 1960 de

manière à comprendre aussi la délimitation d'espaces comme

"la zone économique exclusive" impliquerait une véritable

modification de son texte et, selon un dicturn bien connu de

la Cour internationale de Justice,' un tribunal est appelé à

intefpreter les traites et non ?as à les reviser (C.T.J.

Recueil 1950, p. 229, Recueil 1952, p. 196, Recueil 1966,

p. 48). Il ne s'agit pas ici de l'évolution du contenu,

ni même de l'étendue, d'un espace maritime qui aurait

existé en droit international loqsque 1'~ccord de 1960 a

été conclu, mais bel et bien d$ l'inexistence en droit

international d'un espace marith= comme la "zone écono-

mique exclusive" à la date de la concluçlon de 1'~ccord de

1960.

Par contre, en ce qui concerne la mer territoriale, La

zone contiguë et le plateau continental, la question se

présente tout autrement. Ces trois notions sont expressé-
I
ment mentionnees dans l'~ccord de: 1960 et elles existaient

5 L'époque de sa conclusion. E; fait, 1'~ccord lui-même
I
spécifie que son objet est de déginir la frontiere en mer

"en tenant compte des Convention? de Genève du 29 avril

1958tt, élaborées par la prerniere: conférence des Nations

Unies sur le droit de la mer, j et ces Conventions de
I
codification dé£ iniçsent les notions de "mer territoriale",

de "zone contiguë" et de "plateau jcontinental". En ce quiconcerne le plateau continental, la question de savoir

jusqu'à quel point la ligne frontière se prolonge peut se

poser aujourd'hui, étant donné L'évolution accomplie par la

définition du concept de "plateau continental". En 1 960

deux critères servaient à déterminer l'étendue du plateau

continental: celui de la ligne bathyrnétrique de 200 rngtzes

et celui de l1exploitabilit&. Ce dernier impliquait une

conception dynamique du plateau continental, puisque sa

limite extérieure était fonction du développement de la

technologie et, par conséquent, susceptible de se déplacer

de plus en plus vers le large. En vertu du fait que le

"plateau continental" existait dans le droit international

en vigueur en 1960 et que la définition du concept d'un tel

espace maritime comportait alors le critère dynamique

indiqué, on peut conclure que l'Accord franco-portugais

délimite le plateau continental entre les Parties dans

toute l'étendue de la déf~nition actuelle de cet espace

maritime.

Pour ce qui est de cette question, il ne reste donc

qu'à préciser le sens et la portée de l'expression "une

ligne droite orientée à 240'" dans l'Accord de 1960.

86. Au sujet de l'expression qui vient d%tre mention-

née, la ~uinée-Bissau a fait observer (réplique, p. 252)qu'il n'y a pas de "ligne droite" ;sur le globe terrestre et

qu'il en résulte une imprécision technique qui rendrait

l'Accord inapplicable, car il nies$ pas précisé si la ligne

en question est uns ligne loxodrbmique ou géodésique. A

une distance de 200 milles de la côte, l'écart entre Les

deux types de ligne serait de plusieurs kilornêtres,

L'~ccord de 1 960 comporte-t-il vraiment une imprécision

technique sur ce point qui le rendrait inapplicable? Pour

répondre à cette question il faut déterminer le sens exact

de l'expression "une ligne droite orientGe à 240°" dans

l'Accord de 7960. Il est certain que les mots "ligne

droite" peuvent se rapportes à une ligne tracée aussi bien

sur une carte en projection de Mercator que sur une carte

utilisant un autre système. Il n'est pas douteux non plus

qu'une ligne droite tracée sut unie carte en projection de

Mercator acquiert une certaine courbure lorçqu'elle est

reportée sur une autre carte marine, de meme qu'une ligne

droite tracée sur une carte marine, employant une projection

autre que la projection de Mercator devient courbe après sa

transposition sur une carte &ablie selon ce dernier

système.

Mais le texte de l'Accord de '1960 ne parle pas seule-

ment d'une "ligne droitei', il £dit également état d'une

"ligne .., orient& 5 240°''. cella permet d'écarter toute

ligne géodesique, car une telle ligne ne remplirait pas la

condition d'observer l'orientation jde 240°, attendu qu'elle

offre la particularité de ne pas couper les méridiens et les parallèles sous un angle constant. La seule ligne qui
I
remplirait une telle condition serait une loxodromie. En

outre, sur le croquis attaché aux travaux preparatoires de

1'~ccord de 1960, ka ligne de 240' apparah comme une ligne

laxodromique. Il y a donc lieu de conclure que la "ligne

droite orientée à 240'" que vise 1'~ccord de 1960 est une

ligne loxodromique,

l
87. En tenant compte des çoncluçionç ci-dessus aux-

quelles le Tribunal est parvenu et du libellé de l1ar-

ticle 2 du compromis arbitral, la deuxième question, de

l'avis du Tribunal, n'appelle pas une réponse de sa part.

Au surplus, le Tribunal n'a pas jugé utile, étant donné

ça décision, de joindre une carte comprenant le tracé de la

ligne f rentière. 88. Vu les motifs qui ont 'été exposgs, le Tribunal
l
décide par deux voix contre une: '

De rbpondre à la première question formulée dans

l'article 2 du compromis arbitrad de la faqon suivante:

l'Accord conclu par un échange ,de lettres, le 26 avril

1960, et relatif à la frontière en, mer, fait droit dans les

relations entre la ~gpublique de ~uinée-~issau et la

~epubligue du Sénégal en ce qui concerne les seules zones

mentionnées dans cet Accord, à savoir la mer territoriale,

la zone contiguë et le plateau , continental. La "ligne

droite orientée à 24Q0'' est une ligne loxodromigue.

Pour: M. Julio A. Barberis, ~réçident,

M. ~ndré Gros (Arbitre!
I

Contre: M. Mohammed Bedjaoui (Arbitre)

Fait à Geneve, le trente et Ln juillet mil neuf cent

quatre-vingt-neuf, en deux exempljaires, en français et en

portugais, le texte français faisant foi. Ces exemplaires seront déposés aux archives du secrétariat de l'organisa-

tion des Nations Unies et de la Cour internationale de

Justice.

Le Président

Isigné) Julio A. Barberis

Le Greffier

(signé) Santiago Torres ~ernardez

M. Julio A. Barberis, Président, joint une déclaration

à la sentence.

M. Mohammed Bedjaoui, Arbitre, joint 2 la sentence
l

ltexpos& de son opinion dissidente.

(Paraphé) J.R.B.
IParaphé) Ç.T.B. J'estime que la réponse donnée par le Tribunal à la

première question posée par le compromis arbitral aurait pu

être plus précise, En effet, j'aurais rgpondu à cette
1
question de la façon suivante:

"L'Accord conclu par un échange de lettres, le 26 avril

1960, et relatif à la frontière en mer, fait droit dans
les relations entre la ~épubli~ue de Guinée-~issau et
la ~é~ublique du ~énégal en ce qui concerne la mer
territoriale,la zone contiguë et le plateau continen-
tal, mais il ne fait pas dro* quant aux eaux de la
zone économique exclusive ou \à la zone de pêche. La
'ligne droite-orientée à 240"' visée dans 1'~ccord du
26 avril 1960 est une ligne loxbdromique."

Cette rgponse partiellement affirmative et partielle-

ment négative est, à mon avis, la :description exacte de la

situation juridique existant entre les Parties. Comme la

~uinée-Bissau l'a suggéré au Fours de cet 'arbitrage

(réplique, p. 2481, cette réponse aurait habilité le
1

Tribunal à traiter dans la sentepce la deuxième question

posée par le compromis arbitral. ;La réponse partiellementnégative à la question aurait attribué au Tribunal

une compétence partielle pour répondre à la deuxième,

c'est-à-dire pour le faire dans la mesure 03 la repense à

la premkgre question eût été négative.

Dans ce cas, le Tribunal aurait été compétent pour déli-
*
miter les eaux de la zone gconornique exclusive ou la

zone de pêche entre les deux pays. De cette façon, le Tri-

bunal aurait pu trancher le différend d'une manière com-

plète car, en vertu de la rgponse à la première question du

compromis arbitral, il aurait déterminé la Limite puus la

mer territoriale, la zone contiguCi et le plateau continen-

tal, comme la sentence vient de le faire, et moyennant la

réponse à la deuxième question, le Tribunal aurait pu

determiner la limite pour les eaux de la zone économique

exclusive ou la zone de pêche, limite qui aurait pu ou non

coPncider avec la ligne &ablie par 1'~ccord de 1960.

* Je me réfère aux "eaux" ae la zone économique exclusive
et je crois necessaire d'apporter cette précision car
il arrive parfois que cette notion englobe aussi le
plateau continental comme, par exemple, à l'article 56
de la Convention de Montego Bay de 1982.

(signé) Julio A. Barberiç - 76 - ,

1

Opinion dissidente

de M. Mohammed Bedjaaui

1. Je regrette de ne pouvoir rejoindre le point de vue

de mes deux c0ll6~ues du Tribunal. Ilç ont pu affronter de

grands problèmes tels que les normes de jus cogens concer-

nant le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et la

souveraineté permanente sur les 'ressources et richesses

naturelles. Au sujet de ce derni'er principe, la sentence

décide en son paragraphe 39 que: ap application du principe

de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles

présuppose que les ressources do'nt il s'agit se trouvent

dans le territoire de llEtat gui invoque ce principe ...

Avant l'accord (de t 960), les limites maritimes n'étalent

pas fixées et, par conséquent, aucun des deux Etats ne

pouvait affirmer qu'une fraction déterminée de la zone

maritime était: 'sienne'."

Je crains que la sentence ne' fasse ici une confusson

entre le "droit" de tout Etat à un domaine maritime et 1'

"exercice" effectif de ce droit par une opération concrète

de délimitation de la frontière maritime. La Cour

internationale de Justice avait considéré le droit de

chaque Etat sur "son" plateau continental (c'est-à-dire sur

les zones de ce plateau qui doivent lui revenir) comme un

droit "inhérent", et plus tard la Convention de Montego Bay

a consacré elle aussi ce droit dans le même esprit. Leraisonnement du paragraphe 39 de la sentence perd donc de

vue le droit "inhGrentl' de chaque peuple sur "son" domaine

maritime même si celui-ci n'est pas encore concrètement

délimité. L'une des grandes nouveautés du droit de la mer

actuel est qu'il consacre un droit à un territoire maritime

qui existe indépendamment et antérieurement à toute

délimitation.

Ce paragraphe de la sentence ajoute que "d'un point de

vue logique, la ~uinée-~issau ne peut affirmer que la norme

qui a déterminé quel était çon territoire maritime (l'ac-

cord de 1960) lui a enleve une partie du territoire mari-

time qui était 'le sien'." Cela me paraît comporter une

erreur de raisonnement essentielle. En réalité La ~uinge-

Bissau conteste que l'accord ae 1960 puisse représenter "la

norme qui a déterminé quel était çon territoire maritime"

et c'est la raison pour laquelle elle a prgcisément soutenu

que cet accord est nul. La norme est pour la Guinée-~issau

non pas l'accord de 7960 mais le droit "inhérent" de tout

Etat côtier.

2. Mais était-il nécessaire pour le Tribunal de s'enga-

ger dans ces voies qui l'entrainaient vers des solutions

contestées? Pour exprimer mon opinion dans le présent

différend, il me suffira, quant 2 moi, d'examiner la

question de l'opposabilité de l'échange de notes franco-

portugais du 26 avril 1969 avant celle de sa validité. Lepremier point à déterminer me paraît en effet de savoir si

la Guinse-~issau est liée ou non: par cet accord, Ce n'est

qu'après avoir vérifié qu'un accord est opposable à un Etat

que l'examen de la validité de dot accord revêt un sens,

faute de quoi cet examen demeure d'un intérêt théorique.

3. La présente opinion dissidente comporte deux

volets. Je suis parvenu à la conclusion que l'accord du
,
26 avril 1960 est inopposable à ia Guinée-~issau de sorte

que je n'ai nullement à me prononcer sur la validité de cet

accord. ai ainsi le devoir tout d'abord d 'expliquer, dans

un premier volet, comment je sui's arrivé à cette conclu-

sion. Celle-ci m'imposera alors, et ce sera Le second

volet, de proceder à une délimîtaition ex novo des espaces

maritimes relevant de chacune des deux Parties.

4. Dans la première partie, l'eproblème qui se pose 5

titre de pomt de départ est celdi de la qualité juridique

de la ~épublique de ~uinée-~kssai par rapport à l'échange

de lettres franco-portugais du 26 avril 1960. Le Portugal

et la France, Etats ayant eu chacun en ce qui le concerne

La responsabilité des relations internationales l'un de la

~uinge-~'issau et l'autre du ~éni?4al, ont nggocié les 8, 9

et 10 septembre 1959 deux "rgcommandations" dont la

!première a fait L'objet le 26 avril 1960 d'un échange de

lettres constituant un accord en forme simplifiée. Au

moment de la négociation comme 2 celui de la signature de

cet accord, le Portugal était encore la puissance adminis-

trante de la Guinée-Bissau. La libération de la ~uinee-

Bissau a entraine une succession diEtats par décolonisation

et l'on peut dire que le Portugal avait la qualité diEtat

préd&cesseur et la ~uinée- ~issau celle dfEtat successeur.

ni même approxima-
Je ne me prononce pas sur la date exacte,

tive, à laquelle ils ont pris l'un et l'autre ces qualités

respectives, date sur laquelle les deux parties au diffé-

rend ont amplement disputé. Je me barne à considérer le

fait.

5. La relation rance-senégal est un peu plus com-

plexe. Certes l'indépendance du Sénégal a donné naissance

là aussi à une situation de succession d'Etats par décoloni-

sation et le ~énggal est juridiquement un Etat successeur

de la France, Etat juridiquement prédécesseur. Mais quelle

était la qualité du ~énégal à la date précise de la conclu-

sion de l'accord de 1960? A La date du 26 avril 1960, sinon

mêmeà celle du 8 septembre 7959, date du début des négocia-

tions, le ~énégal n'était plus juridiquement un "territoire

d'outre-mer" de la France, c'est- à-dire un territoire

encore dépendant de celle-ci.A La différence de la Guinée-

Bissau, qui n'est $ aucun moment apparue comme un Etat dans

toute la phase de nggociation et de conclusion de l'accord,le Sénégal, lui, a figuré déjà comme un Etat. c'est ainsi

que le territoire maritlme à délimiter concernait, selon

les termes memes de l'accord, d'une part la ll~~pübliquet' du

Sénégal et d'autre part la "~rovince portugaise" de Guinée.

un czté nous sommes en présence d'une délégation du or-

tugal", Etat affichant et profeçshnt une volonté unitaire,

et de l'autre d'une délégation ;dite de la "~ommunaut&"

française. Le Portugal déclarait ,agir pour son compte au

sujet de "sa" "province" guinéenne, tandis que la France se
I

pri!sentait "au nom de la ~epublique franqaise et de la

Communauté", selon l'accord.

6. Mais il faut être plus précis encore à ce sujet,
l
car il ne semble pas que, à cette! date finale du processus

d'indépendance du senégal, la s ranc a it pu entreprendre

quoi que ce fGt dans cette région' "en son nom propre". Par

ailleurs Isi les formes juridiques,: en rapport avec la nais-
1
sance de la Communauté fran~aise pe 1958, imposaient effec-

tivement que la France parlât au: nom de la "~ornrnunauté",

d'autres textes et d'abord l'accord lui-même, ont précisé

qu'elle agissait plus précisément '"au nom de La ~é~ublique

du Sénégalf\ La note interne du 216 avril 1960, no 941.1 de

M. Franco Nogueira, indique en son paragraphe 2 que le Gou-

vernement français a conclu l'accqrd "en son nom propre et

au nom de La ~épubllque du al". Un spécialiste du

droit d'outre-mer francais, Te professeur François

Luchaire, considère qu'au rega:rd de la Constitutian
Ifrançaise de 1958, les pays africains sous administration

française devaient être réputés avoir obtenu leur indépen-

dance juridiquement au jour où, en septembre 1958, leurs

populations ont été appelées à se prononcer sur leur statut

futur. Leur vote pour savoir s'ils entendaient au non

rester dans la ~ornmunauté franqaise constituait un véri-

table vote d'autodétermination; l'option de l'indépendance

immgdiate complète était en ef£et offerte, tout comme celle

de membre de la ~ornmunauté française; elle y était aussi

ouverte que la seconde. La ~uinée de Conakry en avait du

reste profité 111 .

7. De fait La ~8publique du ~énégal, c'est-à-dire

1'~tat que cette ~é~ubli~ue suppose nécessairement, a été

crgée 2 la suite de ce vote d'autodétermination. De fait

aussi, et: a fortiori en 1960, le senégal &tait autonome

Lors de la conclusion de l'accord. Il ne fait donc pas de

doute qu'il n'est pas possible de considérer le sén&gal

comme ayant accedé à l'accord par voie de succession. Du

(3) C.I.J., ~ifférend frontalier Burkina ~aso/~aLi,
arrêt du 22 décembre 1986, Recueil 1986, p. 653, opinion
individuelle du juge ad hoc François Luchaire:
"... Le processus colonial doit être considérg comme
totalement acheve lorsque les populations d'une colonie ont
&te à même d'exercer Eleur) droit de libre détermination.
Pour ce qui concerne les territoires d'outre-mer francais*
le phenornene colonial a donc disparu le 28 septembre 1958
lorsque par un acte de libre détermination - par un référen-
dum dont personne n'a contesti! ka sincérité - ces terri-
toires ont choisi leur statut." C'est ainsi que le ~énégal

avait alors choisi le statut "dlEtat membre de la Communau-
té" en 1958 et "3 compter de cette date Les territoires
d'outre-mer français ne peuvent donc plus être considérés
comme des colonies".
* Le ~énégal était un territorte d'outre-mer français.reste il était clair dans les termes que le Sénégal avait

"particip&" à la n&gociation et à la conclusion de cet

accord. Sa participation intervint même à un double titre,

dans la mesure dhun part où la délégation qui a négocié et

conclu cet accord était celle de , la "Communauté" dont le

~énégal faisait partie, et d'autre part où l'un des membres

de la délégation, M. Latrihle, était de nationalité sérié-

galaise, aux dires de la partie' sénégalaise au présent

diffbrend. Ainsi il paraît évident, que le ~énégal a parti-

cipg et non paç succédé à l'accorq. Par ailleurs, la Partie

sénégalaise au diffgrend a produit devant Le Tribunal une

correspondance diplomatique du ministre des Affalres étran-

gères de France au Premier Ministre du .Senégal annonçant à

ce dernier l'ouverture de la négociation à Lisbonne et le

priant de désigner un reprgsentant à cette nggociation. Le

~énégal se trouve ainsi dans une situation hybride. S'SI

est certain qu'il n'est pas partie à l'accord de 1960 par

voie de succession, c'est qu'il &ait une partie contrac-

tante originaire, tant par la voie de la représentation

dqEtat que par celle de la participation directe au titre à

la fois de membre de la communauté; et de membre participant:

effectif. Il devait être considgr6 d'une part comme ayant

danne un mandat de representation à la France et d'autre

part comme participant direct et: effectif par l'intermé-

diaire de' l'un ae ses ressortisçants.

I
I I 8. Si l'analyse ci-dessus est correcte, il en ressort

qu'au regard de cet accord, la situation juridique de

chacune des deux Parties 5 la présente instance était

radicalement différente: le senégal était un Etat partie à

l'accord, tandis que la Guinge-~issau était un Etat tiers

au même accord. Avant d'en venir à cette qualité de la

Guinée-~issau, il importe de relever au passage que le

reproche fait par la ~uinée-~issau au s&négal de n'avoir

pas fait une déclaration de successian à l'accord ne paraît

nullement fondé. Le sénégal n'était pas successeur à l'ac-

cord mais bien un Etat partie qui n'avait aucunement à

faire une telle déclaration.

9. Ainsi donc, sur le point particulier des "acteurs"

de la succession d'~tats, on doit tenir pour établi d'une

part que le sénégal n'&tait pas un Etat successeur mais

bien un Etat partie à l'accord, pour y avoir tant participé

que s'y être fait représenter, et que la France n'était pas

un Etat pzédécesseur, mais plut& un Etat partie elle-même,

ou du moins un Etat mandaté ayant pouvoir de représenta-

tion. Si la France estime avoir agi au nom du sénggal,

c'est alors une affaire de représentation et de mandat et

non une question de succession d'Etats. Dans la relation

Portugal/Guinée-Bissau par contre, le Portugal était en

1958 et 1960 un Etat unitaire responsable de "sa province

de ~uinge'' et était donc 1'Etat partie a cet accord, tandisqu'à son indépendance la ~uinée- ~issau pouvait être consid &-

rée comme un Etat tiers à l'accord), à la suite de la décla-

ration générale de non-succession faite par l'~ssembl&e

populaire de ~uinée- ~iççau le 24 Septembre 197 3. Autrement

dit le droit de la succession a'~'tats ne peut être intro-

duit comme droit applicable 5 l'espèce, ni du fait de la

France, ni de celui du Portugal, ;d'ailleurs étrangers tous

deux au procès, non plus que du fait du senégal, mais seule-

ment grâce à la Guinée-~issau, qui du reste en a vite

épuisé la ressource en se déclarant Etat tiers au regard de

l'accord.

10. Si de la question des "acteurs" de la succession

dlEtats, l'on passe à présent à cellle de la "matière succeç-

sorale", on observe que l'échange de lettres franco-postu-

gais de 1960 est un instrumedt conventionnel, disons

"bilatéral" pour simplifier la repation complexe, hybride

et ambiguë qu'il établissait entre le Portugal d'une part

et la France, la Communauté et le' d en égal d'autre part; à

ce titre disons que I

1) c'est un traite (sans qualikier davantage le nombre

dei Etats participants);

2) c'est un traité de frontière! et

3) c'est un trait6 de frontière; maritime. 11. Sur le premier point relatif au contenu formel de

l'acte, la Guinée-Bissau a adoptg une position claire et

constante. Par application du principe de la tabula rasa,

elle a rejeté toute succession à l'échange de lettres

franco-portugais du 26 avril 1960, pour avoir écarté tous

les traités conclus par le Portugal et applicables à la

province guineenne. Si L'on s'en tient à la déclaration

générale de 1973, ainsi qu'à la pratique des

Nations Unies et au droit coutumier de La succession

d'Etats, 1'Etat successeur est, au nom du principe de la

tabula rasa, surtout dans le cas de succesçion par d6coloni-

sation, un Etat "tiers" par rapport à tous les accords et

traités auxquels il. n'a pas expressément fait acte de

succession. Le principe de la eabula rasa évoque bien cette

condition juridique particulière dans laquelle se trouve

1'~tat successeur. Le principe est la non- succession, sauf

décision contraire, tacite ou expresse, de 1'Etat considé-

ré. Aussi bien pour les traltgs multilatéraux que pour les

accords bilatéraux, 1'Etat successeur part d'une situation

de non-succession qui fait de lui un Etat tiers aux accords

dès le point de départ de la tabula rasa. L'idge essentiel- I

le qui anime en effet la Convention de Vienne du 23 aoiît

1978 sur la succession dlEtats en matière de traités est

que 1'Etat successeur, sauf cas exceptionnels précis&s par

la Convention, ne devient pas automatiquement partie aux

traités conclus par son pr6décesseur pour le territoire

transférg. article 16 de La Convention de Vienne précitéedispose que dans le cas de la déc?lonisation: "Un Etat nou-

vellement independant n'est pas tenu de maintenir un traité

en vigueur et d'y devenir partie du seul fait qu'à la date

de la succession dl~tats le trait6 était en vigueur 2

L'égard du territoire auquel 'se' rapporte la çuccesçion

d'EtatsU. 11 faut relever de surcroît la circonstance diri-

mante en l'espsce, à savoir que l'accord de 1960 ne parais-

sait nullement avoir été mis en vigueur par la puissance

administrante en ~uinée aîte portugaise. Et dans son rap-

port à l'~ssemb1ée générale, la Commission du droit inter-

national, qui transmettait à cetti dernière Le projet qui

allait devenir la Convention de Vienne, dgclarait: "Un Etat

nouvellement indépendant aborde son existence internatio-

nale libre de toute obligation de continuer à appliquer les

traites en vigueur l'&gara de ! son territoire" (2' (çou-
I
ligne par moi). pans la présente affaire, la ~uiage-~isçau

ne s'est pas content& d'invoquey, pour un cas d'espèce

déterminé, dans une circonstance iparticulisre, le principe
!
ae la tabula rasa relativement 2 tel traité; elle a fait

beaucoup plus, une déclaration générale de non- succession.

C'est un fait aont il serait difficile de ne pas tenir

compte juridiquement.

12. c'est dire, au passage, jqu'il n'est pas possible

de souscrire à 1'affirmation dq paragraphe 31 de la

(2) Rapport ~/9610, in ~nnuiire de la Commission du
droit international, 1974, vol. 111, 1ère partie, --. 166-
280 (voir, corn mentaire sous article numérote -15).
l sentence où l'on relève que "le fait d'invoquer devant le

Tribunal des causes d'inexistence ou de nullité de 1'~ccard

de 1960 .., implique que l'on se reconnait comme successeur

d'un des Etats qui l'a conclu1' (souligné par moi). Le rai-

sonnement qui inspire le paragraphe 31 aurait &té irré-

prochable si la ~uinée- ~issau avait elle- même "invoquét' le

bénéfice de l'accord. Tel n'est pas le cas. Elle se défend

au contraire contre son application. De plus, la Guinée-

Bissau ne fait pas valoir seulement l'inexistence ou La

nullité de cet accord, mais surtout son inopposabilité

qu'elle a plaidée à titre principal, fait qu'il importe de

souligner et que le paragraphe 31 semble regrettablement

perdre de vue. Or I'inopposabilité implique, elle, et de

toute évidence, que la Guinée-Bissau n'est pas Successeur à

cet accord. Ce serait une situation paradoxale que de

considérer une déclaration générale de non-succession aux

traités comme impliquant 5 titre de point de départ ... une

succession à l'un d'entre eux. La tabula rasa ne peut pas
l
"impliquer" son contraire. (3)

(3) Cela dit on ajoutera, à titre tout à fait subsi-
diaire, que la qualité d'Etat successeur ne dépend pas
nécessairement de la position adoptée par cet Etat à
l'egard d'un accord déterminé. D'abord parce qu'on peut ima-
giner qu'un Etat qui n'a nullement la qualité d'Etat succes-
seur, puisse invoquer dans une instance le bénéfice d'un
traite tout en étant tiers par rapport à celui-ci, si sa
situation entre dans les exceptions qui existent au prin-

cipe de l'effet relatif des traités. Ce seul fait d'inva-
quer le traité ne peut Lui valoir la qualité générale
dlEtat successeur. Ensuite et à l'inverse la qualit6 d'Etat
successeur n'est conditionnée excluçivement ni par la
succession aux traités ni par la succession à l'un d'entre
eux en particulier, l'accord de 1960. La succession dtEtats
embrasçe d'autres traités que celui de 1960 et d'autres 13. Si l'on prend en considération l'élément factuel

incontestable de déclaration de don-succession, la situa-
V
tion se présente sous une double face:

a) La ~uinée-~iççau, et c'est son droit, a rejet&

toute successian à tous les accords sauf manifestation de

volonté contraire. Ik n'y a pas eu, concernant Ifaccord de

1 960, dont elle ignorait d'ai11eur;s l'ex~stence, une telle

manifestation. Force donc est de considérer comme point de

départ, et selon la norme de la tàbula rasa en matière de

succession dl~tats, que la ~uinée-i~içsau est un Etat tiers

b) Il convient de rechercher,'à travers ce mécanisme,

ou d'autres, de la succession 'dlEtats, si, malgré ça

déclaration générale de non- succesçion, la ~uinée- ~issau

pourrait Gtre liée néanmoins par un tel accord, en raison

en particulier de la nature de celui-ci.

I 1
1
14, '11 reste en effet 2 çavpir si, par son contenu

matériel de traité de "frontière",,et de frontière "mari-
1
tirne", l'&change de leitres de 196"comporte une spécifici-

té telle qu'elle permettrait de meftre en échec ce principe
I
du droit international de la succession d'~tats qu'est la

tabula rasa. c'est le second poinq à examiner. De fait, la

i

(3)(suite) matières que les tkaitéç. blême si un Etat
invoque l'application intggrale de, la tabula rasa, il n'en
est pas moins vrai qu'il peut être un Etat dit successeur,
au regard d'autres domaines. C'est bien le cas de la
~uinée-Bissau, qui est un Etat suc:cesseur du Portugal mais
nullement 5 cause du fait, inexact d'ailleurs, qu'il aurait
II.
invoqué" l'accord de 1960. 1 théorle de la tabula rasa comporte une exception pour les

traités et régimes de frontière. Je m'abstiens pour

L'instant de préciser davantage la nature de celle-ci.

25. un premier temps de la dgmonstration est
~

I nécessaire:

Il faut tout d'abord se demander si la ~uinée-~issau

adhère à l'idée d'automatisme dans la succession aux trai-

tés de frontières. La question n'est pas superflue dès lors

que l'uti possidetis pour les frontières terrestres a été

combattu dès l'origine par quelques Etats africains. Il

faut donc savoir si la Guinée-Bissau comptait au nombre de

ceux-là et si dans la présente affaire elle a marqué

quelque distance à l'&gara de cette exception au principe

de la tabula rasa en matière de traités de frontières.

16. L'OUA a admis le principe de I'uti possidetis

qu'elle a consacré indirectement dans sa Charte de mai 1963

et plus directement dans sa résolution du Caire de 1964.

Comme le dit l'arrêt de la Chambre de la C,I.J. dans l'af-

faire du Burkina Faso/ ~ali:

"Les nombreuses déclarations faites par des respan-
sables africains, lors de l'indépendance de leur pays,
contenaient en germe les Glérnents de l'uti possidetis:
elles con£irmaient le maintien du statu quo territo-
rial au moment de l'accession à l'indépendance et posaient le principe du resp'ect aussi bien des fron-
tières résultant des accords internationaux que de

celles issues de simples divisions administratives
internes. La Charte de l'organisation de l'unité afri-
caine n'a pas négligé le principe de l'uti possidetis,
mais elle ne l'a qu'indirectement évoqué en son ar-
ticle 3 aux termes duquel les Etats membres affirment
solennellement le principe du respect de La souverai-
neté et de l'intégrité territoriale de chaque Etat.
Mais dès la première conférence au sommet qui suivit
la création de l'organisation de l'unite africaine,
les chefs d' Etat africains,par leur résolution çusmen-
tionnée (AGH/R&S. 16 (I)), adoptée au Caire en juillet
1964, tinrent à préciser et à,renforcer le principe de
l'uti poçsidetis juris gui n'apparaissait que de façon
implicite dans la charte de leur organisation."( 4)

I
17. La Guinée-Bissau n'a pas ;manifesté son hoçtilitg 5

l'égard de ce principe, alors qbe certains autres Etats

l'ont fait, tels le Maroc ou la Somalie. On peut donc tenir

pour acquis que le pr'incipe s'impose a elle, dès lors

qu'elle n'a jamais nié son caractère obligatoire, ni au

cours de sa lutte de libération jnationale, ni depuis son

indépendance. Par ailleurs, elle n'a à aucun moment plaidé,

en la présente affaire, contre lei principe de l'uti poçsi-

detis, alors qu'elle aurait pu !tenter de le faire. Au

reste, l'un des points d'accord entre les Parties . dans

cette instance est précisément le' respect du principe de

lhti possidetis. L$ 03 elles divergent entre elles, c'est

sur l'étendue de ce principe et non pas sus son existence

et son caractère obligatoire.

(4) 1 C.I.J.,Arrêt du 22 déc&mbre 1986, Recueil 1986,
pp. 565-566, paragraphe 22.~ 18. ~ès lors il est tout a £ait superflu, aux fins de

la présente affaire, de s'appesantir plus longuement sur le

I caractère et obligatoire du principe de L'uti possi-
I
detis. Toute réserve, héçitation, discussion ou interroga-

tion portant sur le principe est sans pertinence ici,

qu'elle se fonde sur le principe de l'autodétermination qui

a paru comme conceptuellement contradictoire avec l'uti pos-

sidekis, ou qu'il s'agiçse de toute autre considération,

des lors que, pour la présente affaire, les deux Parties

ont affirmé clairement leur adhésion à ce principe. C'est à

mes yeux un élément du droit applicable voulu par les

Parties, au-delà de toute autre considération de droit

international géngral qui pourrait justifier et imposer

l'application de ce principe.

19. Dans la sentence il est question d'un principe

d'uti possidetis gui serait spécifiquement a£ricain. Au

paragraphe 61, notamment, la sentence a voulu distinguer

entre d'une part L'expérience de l'Amérique latine au XIXe

siècle, où seules les frontières coloniales administra-

tives, comme celles de la Couronne d'Espagne, avaient été

érigées en frontières internationales intangibles, et

d'autre part l'expgrience de l'Afrique au XXe siècle, oc

toutes les frontières, qu'elles aient existé entre deuxempires coloniaux ou au sein d'un même empire colonial, ont

été érigées en f rontieres internationales également intan-

gibles. Est-ce 2 dire que le principe de l'uti possidetis

ne protège pas les frontières anciennement établies entre

deux empires coloniaux en Ilmgrique latine, et héritées par

exemple aujourd'hui tant par le Brésil antérieurement

portugais que par les Etats voisins, ex-colonies espa-

gnoles, anglaises, françaises ou hollandaises? En tout état

de cause, je ne crois pas qu'il faille opposer l'&

possidetis latino-américain à un uti possidetis qui serait

proprement "africain" et typiquement tel. Cela me

infonde, La doctrine ne me sembl'e le faire nulle part. La

sentence fait ici une innovation aux conséquences incontrô-
!
lables et à lhtilitf: indémontrée.

20. Mais ce qu'il est piquant d'observer à ce sujet

pour la suite, c'est que la sentence opère ainsi une dis-

tinction, à des fins juridiques ,je suppose, donc en vue

d'établir un rggkrne juridique dikf érencié entre les fron-

tières terrestres selon qu'elles séparent deux anciens

empires coloniaux ou au contraire qu'elles existent dans le

cadre d'un même ancien empire colonial. Ce faisant, la

sentence parait prête 2 prendre deux directions contradic-

toires, d'une part pousser implicitement à une différencia-

tion de régimes juridiques pour des frontières terrestres,

mais d'alutre part affirmer une unité de régime pour des

frontières terrestres et maritimesl. Si l'on trouve assez deraisons pour distinguer déja entre les régimes des fron-

tières terrestres, à plus forte raison devrait-on s'inter-

dire de reconnaître un même régime juridique à la fois aux

frontières terrestres et maritimes.

27. IL convient maintenant de savoir si Les délimita-

tions maritimes donnent naissance sur le plan juridique à

de véritables frontières, à l'instar des frontières terreç-

tres. La GulnGe-~issau a soutenu qu'il était illegitime

d'assimiler les délimitations maritimes aux frentières

terrestres de sorte que l'uti posçidetis, dont elle ne nie

pas le caractère obligatoire pour les frontières terres-

tres, ne trouve pas, selon elle, application pour les déli-

mitations maritimes. Le senégal, qui soutient le contraire,

a alors reproché à la Guinée-~issau de tenter de nier aux

limites maritimes La qualit& et le caractère de frontières.

22. Sur ce point, j'estirne que les délimitations

maritimes donnent lieu à l'existence de "frontières" véri-

tables. L'étendue des compétences de 1'Etat est sans doute

différente pour les limites mar~times par rapport aux

froptières terrestres. Mais cette différence est de degré

non de nature, meme si certaines limites mar~times ne

"produisent" pas une exclusivité et une plénitude decompétence étatique. Serait- elle une di£ férence de nature

qu'elle n'empêcherait nullement, à mon point de vue, de

considérer une limite maritime comme équivalant à une

"frontière", dès lors que l'on entend par là une ligne

ayant pour fonction de distinguer le domaine d'exercice des

compétences de 1'Etat par rapport, aux espaces où se déve-

loppe la juridiction d'un autre Etat. Il est exact que le

droit de la mer, du moins dans l'état actuel de son dévelop-

pement, a mis en forme une série d'e compétences reconnues à

1'~tat côtier qu'il serait difficile d'assimiler toutes à

une souveraineté étatique, c'est-à-dire à une plénitude et

à une exclusivité de compétences ,par 1'Etat qui en bénéfi-

cie. Mais cela ne suffit pas pour créer une différence

fondamentale entre les limites maritimes et les frentières

terrestres, au point de soutenir que les premières ne con-

stitueraient pas des frontieres; d'autant plus d'ailleurs

que même dans le domaine des front~ères terrestres, on

observe bne certaine diversification de régimes.

23. D'ailleurs je ne pense pas que le Sénégal inter-

prète correctement la position de la ~uinée-Bissau. Celle-
1

ci ne me paraTt pas avoir soutenu que les limites maritimes

ne sont pas des frontières, Elle a simplement soutenu que

ces limites-là, qui sont des frontières aussi, obéissent

toutefois à un régime juridique diistinct et récent qui les

différencie des frontières terrestres, au point que cettedif £grence justifie, selon elle, une di£f érence de traite-

ment quant $ l'uti possidetis. C'est cette question qu'il

convient d'examiner à présent.

24. Dans le souci de vgrifier le sens des mots par

application des règles d 'interprgtation codifiées par la

Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, les

Parties se sont livrées à des considérations sémantiques -

qui me paraissent toutes secondaires et superflues. La

~iiinge-~isçau s'est plu à relever de nombreux textes, dont

ceux des Conventions de Genève de 1958 et de la Convention

de Montego Bay de 1982 sus Le droit de la mer, qui vont

ju squ'à éviter apparemment d'utiliser l'expression "f ron-

tière" pour désigner les "délimitations" maritimes. Sans

nier que ces dernieres "produ~sent" des lignes séparatrices

gui sont de véritables frontières, la Partie guinéenne

observe toutefois que le sens ordinaire du terme "fron-

tière", et surtout son sens juridique, rgsesvent l'usage de

ce mot aux terres et que l'uti poçsidetis n'est applicable

qu'à ces frontières terrestres. Tel n'est pas le point de

vue du Sénégal, qui estime que l'on ne peut exclure les

délimitations maritimes de la catégorie de frontieres assu-

jetties à I'uti possidetis pour la seule raison que ces

délimitations ne sont mentionnées ni dans les textes pertinents visant P'uti possidetiis, ni dans les travaux

ni dans la doctrine;

25. A. Thomas, dans son Dictionnaire qenéral de la

lanque française du commencement du XVIIe siècle à nos

jours (1890-1 9001, a défini la "limite" comme la "partie

extreme où s'arrête un territollre, un domaine", et la

"frontière" comme la "limite qui sépare le territoire d'un

Etat de celui d'un Etat voisin''. Le Tribunal arbitral des

deux Guinée, dans sa sentence du 14 février 1985, considère

quant à lui que le "terme 'limite: ... n'a pas le sens juri-

dique précis de frontiere mais un sens plus large". On ne

peut aller plus loin sur le plan sémantique et il convient

de relativiser beaucoup les consequences que l'on peut

'tirer de l'usage de tous ces mots.: (5)

26., Pas contre, il est un fait incontestable et nulle-
I
ment contesté par les Parties q,ue les textes pertinents

relatifs au principe de l'uti possidetis n'indiquent nulle

part que l'expression "frontière" vise aussi les frontières

(5) On remarquera simplement qu'après que la chambre

de la Cour internationale de Justice eut utilise l1expres-
sion 'If rontièrel' maritime dans son arrêt concernant le
Golfe du Maine en empruntant cette formulation au texte du
compromjls conclu entre les deux Parties, la Cour a décidi!
prudemment dans une autre affaire de ne plus suivre la
formulation des Parties. L'affaire en cours intitulée
d'abord "Frontière maritime dans la région située entre le
Groënland et Jan May en" est ainsi devenue "Délimitation
maritime dans la rggion située entre le Groënland et Jan
Mayen".maritimes. Mais les Parties tirent de ce fait des çonsé-

quences diamétralement opposées. La ~uinée- ~issau en con-

clut que le principe ne s'étend pas & cette catégorie de

frontières (RGB, p. 88), tandis que le Sgnégal en déduit

pour sa part que le silence des textes signifie simplement

que ceux-ci n1étabLiçsent aucune distinction entre fron-

tières terrestres et maritimes {CMS, p. 162). Le silence

est effectivement d'une interprétation toujours difficile

et parfois hasardée en droit. Je considère que dans le cas

présent il s'agit d'un silence d'exclusion plutet que d'in-

clusion implicite. L'obligation de succéder aux traités de

frontières ne s'applique pas aux d6limitations maritimes

car les auteurs des textes en question n'avaient eu à aucun

moment en vue cette catégorie particulière de traites et il

n'existait d'ailleurs pas de traités de limites maritimes

que l'on pût transmettre à 1'Etat successeur. Et de fait je

ne connais pas personnellement d'exemple d'un accord de

cette sorte imposé à un Etat successeur par application du

principe de I'uti possidetis.

27. 11 n'existe pas de "travaux préparatoires" suscep-

tibles d'éclairer sur les intentions des auteurs de la

Charte de l'organisation de l'unit6 africaine et de la

résolution adoptée au Caire en 1964 par les chefs d'~tat

dl~frique, lorsqu'ils se sont référgs, implicitement dansla Charte et explicitement dans c,ette résolution, au prin-

cipe de l'intangibilité des frontières héritges de la

colonisation. Ayant été toutefois melé d'assez près, à un

titre ou à un autre, aux préoccupations africaines des

années 60, je puis porter un témoignage personnel. En

donnant droit de cité 2 l'uti possidetis, les dirigeants

africains avaient exclusivement en vue la question de

l'intangibilité des fro'ntieres terrestres. A la suite des

indépendances africaines en chaine des annees 60, il a été

donné naissance à une situation 'où d'une part plusieurs

ethnies coexistaient dans un mgme Etat (Etat poly-ethnique)

et où d'autre part une même ethnie se trouvait à cheval sur

deux ou plusieurs Etats (ethnie multinationale). Seule la

crainte des Etats africains nouvellement indépendants de

voir cette s~tuation potentiellement exp bosive faire écla-

ter des Etats encore fragkles après Les reflux coloniaux, a

poussé les dirigeants africains à ' consacrer l'intangibilité

des frontières terrestres et à "ratifier" sagement, une

seconde fois en quelque sorte, l'Acte g&neral de Berlin

qui, par le partage de lt~frique, avait été historiquement

à l'origine de cette situation. On *n'avait jamais songé aux

frontières maritimes, qui ne pouvaient intéresser qu'un

horizon différent, le milieu aq~ia~tique, où par dé£inition

ces problèmes ethniqùes ne se posaient pas.

28. On aura aussi remarqué qu'à aucun moment dans les

travaux : préparatoires, ceux - 15 'accessibles, concernantd'une part la Convention de Vienne sur la succession

dFEtats en matière de traités, et d'autre part celle sur la

succession dlEtatç en matière de biens, archives et dettes

diEtat, toutes deux ayant consacré sur le plan internatio-

nal le principe de l'intangibilité de l'héritage colonial

dans le domaine des traités et régimes frontaliers, on ne

trouve nulle part dans les dgclarations des délégations

participantes la moindre allusion aux frontieres maritimes,

à des &poques pourtant (1978 et 1983) où la Convention sur

le droit de la mer de 1982 était largement dans tous les

esprits. ai vécu ces travaux préparatoires en une

quadruple qualité de membre de la Commission du droit inter-

national, de rapporteur spécial sur la succession dmEtats

en matigre de biens, archives et dettes d'~tat, de chef de

délégation 2 la ~onférence des plénipotentiaires de Vienne

de 1978, et d'auteur-expert des Nations Unies à celle de

1983.

29. Il ne faut pas non plus perdre de vue la réalit&

que le simple bon sens rappelle, à savoir que pour protéger

un héritage, il faut encore que cet héritage ... existe!

11 serait vain de crées une règle concernant une catégorie

qui n'existe pas. Les pkes fondateurs des institutions

politiques africaines pouvaient d'autant moins songer àlégiférer sur la question de l'intangibiliké des frontières

maritimes que celles-ci n'existaient pratiquement pas. En

fait il n'y avait tout simplement pas d'héritage colonial à

préserver en matière de fronti5,res maritimes: 11 n'est

donc pas exact d'affirmer que les dirigeants africains (et

même les plénipotentiaires de Vienne de 1978 et de 1983)

visaient les frontières maritime's lorçqu'ils l&if &raient

sur la question de l'intangibilité des frontières héritees

de la colonisation.

30. Il faut egalement bien se représenter que la pré-

tention visant à étendre aujourd'hui le champ d'application

de l'uti possidetiç aux frontières maritimes survient au

moment où l'application de ce principe aux frontières ter-

restres 'elles-mêmes ne va pas # sans difficultés(6'. En

effet, on observe dans Les temps: présents une résurgence

des critiques adressees au principe de l'uti possidetis en

Afrique et au moins un des c!nseils du Sén&gaL, gui

soutient auj ourd'hui devant le Tribunal l'extension du

prlncipe aux frontières maritimes, s'était interrogé dans

ses travaux scientifiques sur La saliditg et la validité du

(6) Cf. parmi une trgs abondante littérature,
l'ouvrage' recent de Marie-Christine Aquarone, Les fron-
tières du refus. Six s&paratisrnes africains, Paris,
éd~tions du C.N.R.S., 1988.même principe pour les frontières terrestres elles-mêmes.

Des conflits frontaliers ont éclaté sur le continent. On

présente l'utk possidetis sans jamais oublier de rappeler

qu'il s'applique à des f rontièreç présentées par ailleurs

avec une insistance aujourd'hui renouvelée, comme "in-

justes", "artificielles" et conçues au gré des intérêts des

empires coloniaux. Cela alimente encore plus les impa-

tiences à l'égard de ce gui est considéré comme un droit

certes, mais un droit "injuste" cependant et: cela menace la

solidite de l'édifice. Un nouveau discours politique sur

les frontigres terrestres africaines se développe, à tel

point que les instances régionales tentent de saisir toutes

occasions pour faire confirmer la validitg du principe

ainsi menacé - sans du reste jamais songer l'étendre aux

frontières marrlkimes. 11 est un fait que dans ce nouveau

discours, on revient sans cesse sur ce caractère "arbi-

traire" des frontières (terrestres) parce qu'elles en-

ferment les Etats dans des cadres spatiaux qui ne cofn-

cident pas avec, entre autres, les réalités ethniques et

historiques des peuples africains. Cela n'est pas du tout

une démarche de nature à favoriser le maintien du statu

quo, c'est-à-dire le respect dû au principe de l'uti possi-

detis juris. D'autant plus que ce discours, sensible à la

crise économique et aux fléaux du sous-développement qui

frappent plus durement que jamais le continent africain,

n'hésite plus à opposer les pays "favorisés" (grandeétendue territoriale, richesse dp sous-sol et du sol,

débouches sur la mer ...) et ' les pays "défavorisés"

(minuscules, pauvres en ressources, enclavés ..1, clivage

que les partages coloniaux ont ,aggravé par les tracés

frontaliers. 1

31. Or c'est précisément en cette periode où le prin-

cipe de l'uti possidetis re~oit dan'gereusement des coups de

boutoir et ne parvient que difficilement à maintenir son

intégrit6 en vue d'une saine application 5 ces frontières

coloniales terrestres, qu'il est priopoçé d'étendre le champ

d'application de ce principe aux limites maritimes. Le

moins que l'on puisse dire est que cette proposition de

développement spatial du principe prend à rebrousse-poil

une certaine opinion publique africaine.

32. L'on doit bien noter cependant que le Sénégal

s'était défendu de l'assimilation pure et simple des deux

types de frontières. Il recannait lkxistence de spécifici-

tés propres 5 chacun d'eux et soutient qu'aujourd'hiii s'est

d6weloppée une diversification du concept de f sontigre au

fur et à mesure que de nouveaux espaces sont découverts par

l'homme. 'Cela me parfaitedent exact, Ce qui l'est

moins enm revanche c'est de précisément de cette constatation comme justification pour aligner en toute

autornaticité le statut juridique des délimitations de ces

nouveaux espaces sur celui des territoires terrestres. Une

réaction plus naturelle nous préparerait à tout le con-

traire, c'est-à-dire qu'à cette diversification du concept

devrait correspondre une diversification corrélative de

statuts. ~'6volutîon dira plus tard si une unification de

statuts ou de régimes s'imposera, en faisant valoir par

exemple une certaine identitg d'objet et ae finalité pour

ces différentes limites et frontières. Elle dira aussi,

cette évolution, jusqutoÙ l'unification de statuts pourra

aller. Mais partir de l'unification, par un postulat invé-

rifiable, serait préjuger de cette évolution d'une part et

assimiler, par des analogies sinon douteuses du moins

fragiles, des espaces differents pas nature d'autre part.

Le droit, dans ses processus de création normative, ne

procède pas ainsi. Je n'aperçois pas, dans l'état actuel du

droit, au nom de quel critère on pourrait justifier l'appli-

cation automatique de l'uti possidetis à deux types d'es-

paces différents et le faire ainsi pour un principe qui,

comme celui-là, constitue une exception à la tabula rasa et

- à la souveraineté de l1Etat, donc d'interprétation stricte.

33. En d'autres termes, les deux Parties sont sinon

d'accord, du moins pas très éloignées l'une de l'autre, sur

le fait que les règles applicables en droit international à

la frontière terrestre ne sont pas toutes tsansposables àla frontière rnarltime, ne serait-ce qu'à cause de la diffé-

rence physique des deux espaces ,et à la nature différente

des deux milieux. De 12, le prob:lSme est de savoir si le

principe de l'uti posçkdetis figure parmi ces règles non

transposables d'une catégorie de frontière à l'autre. Pour

sa part La Guinée-Bissau a longuement insisté sur la nature

différente des espaces en cause, sur Les liens radicalement

différents que chacun d'eux entretient avec les populations

concernées, et sur la nature distincte des droits que

lfEtat exerce dans chaque cas. ~e ~énégal pour sa part ne

conteste pas les différences de s'tatut juridique entre Les

deux institutions puisque manifestement chacune d'elles

obéit à certaines règles gui lui 'sont propres. Mais il ne

va pas jusqu'à reconnaître que le principe de l'uti possi-

detis compte au nombre des normes qui doivent rester
I
propres aux frontières terrestres1 et il l'étend aux fron-

tières maritimes principalement :parce qu'il trouve une

parente d'objectif entre les deux institutions, dont La

finalité est d'éviter les conflits et d'instaurer la paix

entre les populations.

34. Je considère que les différences de milieux sont *

patentes et irréductibles; que la notion de souveraineté et

ses conç&quences telles que l'inviolabilité territoriale

n'ont pas, ou pas encore, leur place dans les espaces mari-

times dei sorte que 1'Etat étranger: peut mener certaines ac-

tivités dans ces espaces placés s6us juridiction d'un autreEtat; que de même une autre notion, celle d'effectivité,

dgveloppe ses effets, jusqu'à ce jour, plus difficilement

dans les espaces maritimes que dans les espaces terrestres;

et qu'enfin, contrairement aux accords frontakiers tesres-

tres, qui sont librement négociés çans devoir obéir à une

Logique préetablie, les accord ç de dslimitations maritimes

obéissent aujourd'hui quant 2 eux à un principe général

d'équité. Mais surtout, si ces règles et d'autres encore

existent pour différencier les deux institutions, à plus

forte raison il me paraît imprudent d'aligner l'une sur

l'autre ces deux institutions, sans motif impérieux, en

appliquant à toutes les deux indifféremment une norme telle

que l'uti possidetis qui est pourtant un principe très

vigoureux et très "lourd" au point de tenir en respect le

principe sacro-saint de la souvera~neté de 1'Etat. Si dans

l'état actuel de développement du droit de la mer, le sta-

tut et le régime juridiques des délimitations maritimes

n'accordent pas de souveraineté à 1'Etat côtier, comme je

l'ai relevé, je ne vois pas comment on peut logiquement

affirmer que l'accord qui établit précisément ces délimita-

tions maritimes est assimilable au traité de frontière

terrestre qui établit, lui, en revanche Pa souveraineté de

ltEtat.

35. En cons&quence il ne me parait pas douteux que les

limites maritimes sont des fronti&res, mais d'une nature ou

d'une catégorie di£ f&rente. Elles connaissent, et doiventconnaitre de ce seul fait, un sFatut et un régime juri-

diques que cette différence a dkjà imposés pour ce qui

concerne les procédures de conclusion des accords qui les

créent. De ce seul fait aussi elles n'appellent pas néces-

sairement l'application du principe de l'uti possidetis.

36. Certes la sentence préqise avec raison, en son

paragraphe 63, que "la délimitation du domaine de validité

spatiale Ides normes de l'ordre juridique de L'Etatl peut

concerner la surface terrestre, les eaux fluviales ou

lacustres, la ner, le sous-sol ou l'atmosphère1'. Elle

ajoute que "d'un point de vue juridique il n'existe aucune

raison d'établir des régimes différents selon l'clément

matériel 06 la limite est fix6e1'. (Je crains de ne pouvoir

suivre le Tribunal. En matière de frontières, le droit

aérien, le droit de l'espace et le ' droit de la mer n'obéis-

sent pas aux mêmes principes, règles et schémas que le
1
droit des frantièzes terrestres. 71 est parfaitement exact

que dans tous les cas de délimitation le but est Le mgme, à

savoir déterminer d'une manière ;stable et permanente le

domaine de validité spatial des, normes juridiques d'un

Etat. Mais les normes applicables' pour réaliser de telles

d%lirnitations doivent nécessairement être adaptees au

milieu auquel elles s'appliquent ,et l'élément matériel

propre a' ce milieu. Le droit n'est pas une construction

abstraite complètement détachée ' de la r&alité quklle

entend régir. La différence entre les éléments matérielsappelle trgs naturellement une différence de régimes

juridiques et lorsqu'il n'en va pas ainsi dans certains

cas, parce qu'une même construction juridique comporte

parfais assez de plasticité pour s'adapter partiellement à

deux gléments matériels différents, ce n'est là qu'une

exception qui confirme la règle.

37. La sentence rejette, en son paragraphe 55, l'argu-

ment de la Guinée-Bissau d'après lequel les frontières

maritimes ne fixent de limites que pour certaines matières,

telles que la pêche ou l'exploitation des ressources natu-

relles, alors que les frontieres terrestres établissent

toutes les compétences en' toute plénitude. La sentence

relève au contraire qu' "il existe de nombreux cas où la

frontière terrestre entre deux pays n'est pas concrétisée

par une ligne unique mais par plusieurs". 11 est exact en

effet que l'on peut citer des exemples où la limite sur la

surface terrestre ne colncide pas avec la limite fixée pour

le sous-soli en général quand l'exploitation de mines se

trouve en jeu. Mals la sentence ne répond pas directement à

l'argument de la Guinée-Bissau. Cette dernière a raison de

faire observer que le droit commun des frontières maritimes

et celui des frontières terrestres diffèrent matérielle-

ment, en ce que le premier est particulier et le second

genéral. Si toutefois on constate dans la réalité des

régimes particuliers danç les f rontièses terrestres aussi,

cela ne constitue que l'exception confirmant la règle.Cette exception, pour aussi fréqiuente qu'on peut l'imagi-

ner, n'est rien d'autre qu'un arnénaqement conventionnel

précis qui est toujours possible, mais qui n'en reste pas

moins exorbitant du droit commun des frontières terrestres.

38. Je ne puis suivre la 'partie s&n&galaise lors-

qu'elle fait valoir que "La distinction que la ~uinée-

Bissau établit entre accords de délimitations maritimes et

accords de délimitations terrestress du point de vue de Leur

forme et du point de vue de leur statut au regard des

règles de la succession d8Etats ne repose sur aucune règle

de droit internationalpositif. Au contraire, tous les

auteurs sant d'accord pour dire qu'il n'y a pas de

dif fgrence d'objet ou d'autoritg1 entre traltés en forme
1
solennelle et accords en forme simplifiée. (PV 9, p. 21 1.

11 est exact que les deux catégories de traités possèdent

juridiquement une autorité &+le; mais la différence

essentielle réside dans leur mode de conclusion justifié

par le fait que les traités en forme solennelle passent par

une procédure lourde parce sont cançidérés comme

politiquement plus importants. Le ~énégal a rappelé que

l'accord: de Munich du 29 septembre 1938 portant cession de

terr~toire a &té conclu en !forme simplifiée. C'est

justement l'exemple à éviter ca; beaucoup d'auteurs ontconclu à la nullité de cet accord. Si, comme le déclare le

~énégal, la stabilité des frontières terrestres se justifie

par des raisons tenant à la paix des populations qui

occupent ces territoires, cette ratio leqis suffit par

elle- même à j uçtifier une non-assimilation pour les espaces

maritimes qui ne peuvent être occupes de la même manière

par les populations.

39, Je vois un autre argument se profiler pour re-jeter

la thèse du sénégal. Celui-ci invoque le point de vue, du

juge Gilbert Guillaume qui, alors qu'il était directeur des

affaires juridiques au ministère français des Affaires

étrangères, écrivait ce. qui suit: "~i la zone écanomlque

exclusive, ni le plateau continental, ne peuvent être assi-

milés au territoire au sens de l'article 53 de la Constitu-

tion franqaise", celui qul règlemente la cession de terri-

to~re. C'est dire qu'au moins en ce gui concerne la manière

de les traiter dans la Constitution française, les limites

maritimes possèdent leur spécificité et ne peuvent être

assimilées au territoire terrestre. N'est-ce pas tout ce

que souhaitait démontrer la Guinée-Bissau? Il y a dans

cette remarque assez de raisons pour considérer comme tout

le contraire d'une évidence le fait d'appliquer automatique-

ment le principe de lktti possidetis en le transposant,

sans aucune précaution et par un simple et irrésistible

automatisme, du cas des frontières terrestres à celui des

limrtes maritimes. 40, La prudence sympose en effet, car il ne faudrait

pas perdre de vue le fait que le principe de I'uti possi-

detis constitue une exception au caractère relatif des

traités, donc une exception qui limite le principe de la

souveraineté di Etat. Or, en saine doctrine, une exception

doit être d'interprétation stricte. Qn ne saurait étendre

automatiquement une exception imposant à 1'Etat successeur

un traité de frontière terrestre au cas d'une délimitation

maritime. L'avenir pourra peut-être conduire à I'assirnila-

tion des frontières maritimes aux frontières terrestres, à

la suite d'une évolution possible. Mais il ne parart pas

légitime de procéder dès maintenant à une confusion automa-

tique de statuts.

41. Il faut observer qu'en fin de compte la Partie

sénégalaise, ce faisant, esquisse ,un régime juridique assez

sélectif des limites maritimes. D'bn côté elle soutient que
I 1
les accords portant sur des délimitations maritimes sont

des instruments fondamentaux pour'la paix des peuples et de

ce fait doivent être protégés par une intangibilité que

fournit opportunément une extens3on du champ d'application

initial du principe de l'uti possidetis. Mais dans le même

temps elle affirme que ces accords, pour aussi fondamentaux

et elevés qu'ils soient, peuvent être conclus selon la pro-

cédure la plus légère et la plus dépouillée qui soit en

droit international, c'est- à-dire' celle des accords en

forme simplifiée qui ne requiert ni d'un côté ni de l'autrele contrôle et l'approbation des représentants des peuples,

ceux-12 même dont on cherche 2 garantis la paix et la sécu-

rité,

42. Je crains qu'en déclarant l'accord de 1960 oppo-

sable à la Guinée-Bissau contre ça volontg manifestée dès

1973 et toujours presente aujourd'hui, le tribunal de céans

n'ait apporté une innovation juridique de taille aux con-

séquences majeures. L'une de ces implications signifierait

que les espaces maritimes sont soumis à la compétence ex-

clusive et plgnière de 1'Etat côtier, c'est-à-dire à sa

souveraineté totale, ce qui bouleverserait le droit de la

mer actuel tel qu'il vient d'être codifié par la cornmunaut6

internationale dans la Convention de Montego Bay, Il est

difficile d'échapper à cette çons&quence: on ne peut par

exemple prgtendre que les limites maritimes sont assimi-

lables aux frontières terrestres qui sont tributaires du

principe de l'uti possidetis, sans toutefois aller juçqu'à

affirmer que toutes les regles du droit international

applicables aux frontières terrestres sont transposables

pour les frontières maritimes. Le souci de cohérence

interdit une sélection opportune de règles en fonction de

critères indéterminés. 43. Selon le ~&n&gal, la Guinée-~issau qui soutient

devant le tribunal de céans l'inapplicabilité de lt&

posçidetis aux limites maritimes,, a elle-même fait valoir

le contraire en d'autres circonstances. Le Sénégal rappelle

en effet que dans le passé la Partie guineenne "elle-même

n'a fait aucune distinction entre, frontièreç terrestres et

maritimes en ce qui concerne le Iprincipe de l'uti possi-

detis" (CMÇ, p. 158). C'est ainsi que le représentant

permanent de la ~uinée-~iççau auprèç des Nations Unies à

New York, l'ambassadeur Gil Fernalndez, a pu déclarer en sa

lettre du 30 avril 1979 que :'!Le Gouvernement de la

~é~ubli~ue de ~uinée- ~issau, fidele aux principes de

l'Organisation de l'unité af rlcaine (OUA), réa£ f irme son

engagement à respecter les frontières héritées de la

colanisation. En conséquence le seul document juridigue que

nous reconnaissons comme valable' pour la délimitation des

eaux territoriales et du plateau! continental entre notre
1
pays et la ~épubllque du Sénégal est la Convention

franco-portugaise de 1886." IPV 9, p. 321, sur La base de

laquelle la seconde recommandation du 10 septembre 1959

avait été mise au point par les négociateurs du futur

accord de 1960. Le tribunal a repris à son compte

l'argument sén6galais (paragraphe 166 de la sentence). Je ne

puis le suivre. Il est indéniable que par cette lettre la

Guinée-~issau aurait admis llapFflication de l1uti poçsi-

detis aux frontières maritimes si la Convention de 1886

avait réellement établi une frentière maritime. Mais cela

n'est pas le cas si l'on veut bien, se référer à la sentence arbitrale rendue le 14 février 1985 par le tribunal

arbitral dans l'affaire des deux Guinée.

44. Invoquant: le même type d'argumentation, le sénégal
I
a rappelé un autre fait sur lequel le Tribunal l'a sulvi

(paragraphe 66 de la sentence)- Par une note de protesta-

tion du 4 novembre 1977 contre l'arraisonnement qu'il a

fait d'un chalutier guinéen, I'ILha de Fago, au parallèle

du cap Roxo, la Guinée-Bissau a souligné les conséquences

graves, selon elle, de "toute tentative de rgvision

unilatérale du traité franco-portugais de 1886 quant à

l'intangibilité des frontieres héritées de la colonisatian"

(PV 9, p. 33-34/40). On sait que selon la sentence du 14

février 1985 la Convention de 1886 avait établi un polygone

enveloppant les Iles de Guinée-Bissau et délimitant ce que

le Portugal considérait comme "ses eaux intérieures1' dans

sa colonie. Un tel polygone n'est pas une frontière mari-

time.

Le tribunal de céanç relève que le compromis arbitral

passé le 18 février 1983 entre la ~uinée-Bissau et la

Guinée s'est référé au principe de l'intangibilité des

frontières héritees de la colonisation, Le Tribunal en a

conclu qu' "étant donné que le compromis arbitral

concernait seulement la délimitation dl une f rontiere

maritime, cette mention signifie que les deux Parties ont

reconnu que ce principe était applicable 2 cette catégoriede frontières" (paragraphe 66 de, la sentence). Cette vue

des choses nkst pas fondée. Danls l'affaire citée ~uinée/

Guinée-Bissau, la Convention de 1886, qui était en cause,

déterminait les frontières terrestres et cela suffit pour

expliquer la référence à la daclaration de 1964 SUr

l'intangibilité des frontières coloniales.

45. Dans le mgme esprit, le Sénégal a fait valoir - et

le Tribunal a retenu - la thèse qie la ~uinée-~isçau serait

d'au tant moins credible qu'elle aurait elle-même soutenu un

point de vue radicalement contraire dans une instance

oppoçant les deux Guinée (PV 9, p. 33). La Cour internatio-

nale de Justice a précise les conditions dans lesquelles

l'estoppel peut être invoqué 4Barcelona Traction, première

phase, Recueil 1964, p. 23; Plateau continental de la Mer

du Nord, Recueil 1969, p. 26, paragraphe 30; et surtout

Golfe du Maine, Recueil 1984, paragraphes 130 à 146).
1
L'estoppel a été vu par la doctrine sous l'angle de l'ex-
I
pression unilatérale de volonté d'un Etat formulée en des
1
circonstances anterieures et sur Aaquelle il ne peut reve-

nir sans porter atteinte aux prinlcipes fondamentaux de la

bonne foi et de l'équité. Selon la Cour "L'estoppel [est]

lié l'id& de forclusion1' (Golfe du Maine, paragraphe

1 30) plus qu'à celle d'acquiescement. "La forclusion serait

d 'ailleurs l'aspect pr ocgdural et l'estoppel l'aspect de

fond du j même principe" Iibid,). :Un Etat ne peut faire

aujourd'hui ce qu'il a contesté hie^. Mais en l'espèce je ne peux pas suivre les conclusions

du Tribunal (paragraphe 66 de la sentence). D'une part il y

a lieu de nuancer beaucoup la réalité, les points de vue

successifs de la Guinée-Bissau, d'une procédure à l'autre,

n'étant nullement aussi contradictoires qu'on le dit ici.

Il ne faut pas se borner à la référence aux pages 76 et 77

du compte rendu des plaidoiries guinéennes dans cette

procédure-là. La lecture complète des pages 75, 76, 77 et

78 de ce compte rendu montre au contraire que la

Guinée-Bissau a contesté très nettement et très clairement

l'applicabilité de l'& possidetis aux limites maritimes.

D'autre part il est clair que le principe de l'autorité

relative de la chose jugée fait que chaque affaire est un

"unicum" indépendant de celui qui le précède et de celui

qui le suit. Ensuite la stratégie des Parties est libre et

elle peut varier d'une affaire à une autre. Les Parties ne

sont nullement liées par une attitude prise antérieurement

par elles; à plus forte raison un tribunal reste-t-il

entièrement souverain et libre par rapport tant à la

décision d'un autre tribunal arbitral que, plus encore, par

rapport à la stratégie retenue par une Partie dans une af-

faire qui lui est soumise et davantage encore dans une

af faire qui l'a précédé devant une instance différente.

Enfin et surtout - et à supposer même que la Guinée-Bissau

eût plaidé dans la précédente affaire l'application de

l'uti possidetis aux frontières maritimes, ce qui n'est pas

le cas - ce n'est pas parce que la Guinée-Bissau a cru àune erreur que le Tribunal doit impérativement adopter

celle-ci. Une erreur reste une erreur même si celui qui la

dénonce aujourd'hui l'a faite hier, comme la ~uinée-~issau.

46. Restait enfin l'analyse de la jurisprudence de la

Cour internationale de Justice à laquelle les deux Parties

à la présente instance se sont livrées pour y rechercher un

appui à leurs thèses respectives. Le tribunal de céans y a

fait une allusion (paragraphe 63 de la sentence) en épou-

sant le point de .vue sénégalais. Cette jurisprudence se

réduit en vérité à un seul arrêt, celui rendu par la Cour

internationale de Justice en l'affaire de la mer ~qée et où

un passage se lit comme suit:

"Qu'il s'agisse d'une frontière terrestre ou d'une
limite du plateau continental, l'opération de délimi-
tation entre Etats voisins est essentiellement la
même. Elle comporte le même élément inhérent de stabi-
lité et de permanence et est soumise à la règle qui
veut qu'un traité de limites ne soit pas affecté par
un changement fondamental de circonstances."

Les deux Parties à la présente instance interprètent

différemment cette jurisprudence. On sait que, pour établir

l'incompétence de la Cour, la Turquie avait invoqué la ré-

serve que la Grèce avait faite à 1'~cte d'arbitrage de 1928

pour exclure les différends sur le statut territorial. La

Cour n'a pu donner raison à la Turquie qu'en comprenant par- .

mi les différends de cette nature ceux concernant l'étenduegéographique du plateau continental, ce qui lui valut des

critiques sévères de la doctrine. Langavant souligna que la

Cour, en cet arrêt, avait donné à la notion de plateau con-

tinental un effet rétroactif alors même que cette notion

était juridiquement inconnue en 1928.

47. Il ne faut pas non plus perdre de vue que cet

arrêt isolé et peut-être même de circonstance, doit être

ramené 5 ses proportions réelles. La Cour aurait été la

dernière à nier que les espaces maritimes sont des "terri-

toires". En tant que tels, ils devaient donc être couverts

par la reserve grecque à l'Acte d'arbitrage de 1928 qui

visait les différends sur le statut "territorial". Par

ailleurs l'arrêt se réfère au "changement fondamental de

circonstances". La Partie sénégalaise à la présente

instance assimile la succession d%tats à un changement fon-

damental de circonstances, ce qui n'est peut-être pas tout

à fait illégitime. Mais on peut se demander toutefois si

l'invocation de cette circonstance ne doit pas être ré-

servée seulement à 1'~tat contractant originaire pour tout

bouleversement qui se produirait chez lui, 1'~tat succes-

seur étant un Etat tiers non concerné par le traité ou par

quelque changement chez lui. Quoi qu'il en soit, cette ju-

risprudence de 1978 inspirée assurément par une conception

"territoriale" et géographique du plateau continental fon-dée sur la notion de prolongement, naturel, est aujourd'hui

dépassée par la définition juridique de ce plateau gui

prend largement en compte le critèr,e de distance.

48. On ne peut pas considgrer comme allant tout à fait

de soi l'extension de l'uti possidetis aux frontières mari-

times, alors mêmeque celles-ci ne sont apparues que récem-

ment en droit moderne de la mer. c'est pourquoi d'ailleurs

le tribunal de céans n'a pu relever que deux cas, et il le

reconnaît (paragraphe 64 de la sentence),où des frontières

maritimes ont été en jeu en Amérique latine, continent par

excellence de l'utk possidetis (7). Encore le premier cas,

(7) Tout au plus pourra-t-on ajouter, vraiment en
marge, une affaire entre le Nicaragua et le Royaume-Uni
concernant la souverainete du premier sur "la côte des Mos-
quitos" &t tranchée par ane sentence arbitrale de 1'~rnpe-
ier
reur d'Autriche François- Joseph , . Dans cette affaire
le principe de l'uti possidetis, bien solidement implanté
sus la terre ferme, est alle pour ainsi dire jusqu'à son
extrême limite lorsqulil parvint jusqu'à la côte des
Indiens Mosquitos et jusqu'au port franc de San Juan del
Norte, sans jamais s'aventurer au-delà, en mer. Le mémoire
du gouvernement du Nicaragua {"Exposé par le gouvernement
de Nicaragua des faits relatifs aiux points en discussion
avec le gouvernement de Sa ~ajesti! britannique", Paris,
Typographie Georges Charnerot, 1879, en français) précisait
que "le port de San Juan del Norte et la côte de Mosquitos
ont appartenu, de tout temps, à la souveraineté de
L'Espagne, aux droits de laquelle a succédé le Nicaragua1'
(p. 24).' Et faisant toujours: application d'un uti
possidetis exclusivement terrestre, le même mémoire
ajoutait: ' "Tous les droits territoriaux de ll~spagne sur

les anciennes possessions ont fait 'retour aux Etats qui se
sont formés plus tard, et cetlie propriété dait êtrecelui du canal de Beagle, n'est-il nullement pertinent, la

règle de l'uti possidetis n'ayant pas &té appliquée, comme

l'indique le Tribunal lui-même. 11 ne reste donc plus qu'un

-as isolé et a-typique, celui de la baie de Fonseca, gui

met en jeu un problème plutôt de mer territoriale et de

baie historique et pour lequel la Cour centramericaine de

justice décida, selon le tribunal de céans, que les limites

avec la haute-mer que la Couronne de Castille avait

établies dans cette baie étaient dévolues en 1821 2 la

~épublique fedérale dl~mérique centrale et, postérieure-

ment, au Salvador, au Honduras et au Nicaragua.

49. L'affaire est très spécifique, intgressant un

golfe ceinturé par trois Etats, le Honduras, el Salvador

(7)(suite) considérée comme appartenant à ces mémes
Etats. ..." (ibid., 5. 59). Le Royaume-Uni n'avait meme pas
accepté que la cote fut nicaraguayenne pas succession
d1Etats, à plus forte raison une quelconque portion
d 'espace maritirne.Les conclusions du contre- mémoire du
Royaume-Uni comportent un point 15 ainsi rédigé: ''(5) That
the limitç of the port of Greytown (c'est le port de San
Juan del Norte) described in the decree of 20 February 2867
(c'est un décret du Nicaragua), as extended three miles to
the East and three to the West, £rom the central point of
the City should be revised, and that the northern lirnits of
the Port çhoulb be defined". (Tous les documents concernant
cette affaire, ecritures des Parties .ek sentence de 1'~mpe-

reur d'Autriche, sont regroupés, certains en documents
manuscrits en espagnol ou en allemand gothique, dans
l'ouvrage récent "Der Wiener Schiedsspruch von 1881: e.
Dokumentation zur Schlichtung d. Konflikteç zwischen
Grossbritannien u. Nicaragua um Masquitia (eingeleitet u.
hrçg. von Günter Kahle unter Mitw. von Barbara Potthast. -
~8ln; Wien: Bohlau, 1983").et le Nicaragua, et consid&& comme une "baie historique" à

l'instar "des baies de Cheçapeak et Delaware aux Etats-Unis

ou de celles de Conception, Chaleur et Miramiche au

Canada", déclare l'arrêt de la :cour centramérieaine. Le

Golfe de Fonseca fut découvert aq XVIe siecle par les Es-

pagnols et, 2 l'émancipation de {'~méri~ue centrale, cette
I
possession fut transférée, indivise, au "patrimoine" de la

République fédérale centranéricaige formée de cinq Etats.

Le Golfe de Fonseca constituait In réalité une mer terri-

tsriale indivise. Si l'wti possidetis avait réellement éti!

appliqué à la frontière maritime; entre cette baie et la

haute mer pacifique, les cinq pays, fédérés, et non pas seu-

lement les trois côtiers (~ondur$ç, El Salvador et Nica-

ragua) auraient chacun eu droit (je ne sais pas comment
1
d'ailleurs) à une partie de cett'e baie indivise. Par la

suite, lorsque la République fédérale fut dissoute, ce ne

sont pas les trois Etats cÔtie:rs mais seulement deux
1
d'entre eux, le Honduras et le Nicaragua, qui conclurent en

1960 un traité de partage de la baie. C'est un traité qui a

déterminé leurs droits respectifs et non pas l'uti poççi-

detis. La Convention pour la délimitation des f rentières

entre le Nicaragua et le Honduras .a fixé en 1900 les fron-

tières terrestres entre les deux, pays ainsi qu'une ligne

divisoire, dans les eaux du Golfe de Fonseca, consider&

comme eaux territorialeset eaux d'une baie historique. 50. Je n'aperçois donc rien dans la sentence de la

Cour centraméricaine du 9 mars 1917, rendue dans cette

affaire très particulière du Golfe de Fonseca, dont les

eaux étaient traditionnellement et intégralement assirnil&es

aux territoires terrestres, qui puisse indiquer clairement

que la haute juridiction centraméricaine de San osé* de

Costa Rica a entendu appliquer et consacrer le principe de

l'uti possidetis aux frontières maritimes proprement dites.

5'1.Changeant de continent, la sentence du tribunal de

céans invoque "un autre pr&c&dent1' (paragraphe 64) qui

aurait été créé par la Convention anglo-danoise du 24 juin

2907 concernant les limites des p&cheries, qui, par succes-

sion du Danemark, est restée applicable à lllslande

jusqu'en 1951. La sentence prête un peu trop à l'opinion

individuelle de Sir Humphrey Wald~ck EC.I.J.,Recueil 1974,

p. 106). Il y aurait eu application de l'uti possidetis

pour les frontières maritimes si en l'espèce la Convention

anglo-danoise de 1901 avait et6 imposée automatiquement à

l'Islande. or tel n'est pas le cas. L'Islande, devenue indé-

pendante, a négocié directement avec le Royaume-Uni un nou-

veau traité, en forme d'échange de lettres, en date du 11

mars 1961, Ainsi le Royaume-Uni a conservé, pour peu de

temps d'ailleurç, son activite traditionnelle de pêche dans

les eaux proches de 1'1slande non pas en vertu de l'G

/
posçidetis, mais par accord entre les deux Parties. 52. Quant à la référence aux limites maritimes'

concernant l'Asie i Malaisie, Philippines et Brunei), aux-

quelles le tribunal de céans renvoie (paragraphe 63 &

-ine), elle n'est absolument pas pertinente. 11 ne suffit

pas d'affirmer que "les cartes géographiques de la Malai-

sie, des Philippines. et de Brunei, par exemple, présentent

comme limites maritimes les lignesi dont l'origine remonte à

l'époque coloniale". Il faut surtout prouver que lesdites

lignes ont été imposées à ces Etats nouvellement indépen-

dants par application d 'une règle, supposée d'obligation de

succeder aux traités coloniaux de délimitation maritime. La

réponse est radicalement non. C'est par la voie convention-

nelle que ces limites ont t acceptées par les Etats

intéressés.

53. Je pasçerai très rapidement sur la question sou-

levée par la ~uinée-~issau et selon laquelle un traité de

frontière hgriti! par 1'Etat successeur en vertu de l'&

possidetis implique en géneral une certaine ancienneté. La

sentence décide en son pasagraGhe 68 in fine que "la

Guinée-Bissau n'a pu prouver, au cours de cet arbitrage,

l'existence d'aucune norme de droit international exigeant

cette condition" Icelle de la "durée" de l'accord en vue de
I
son opposabilité). 11 y a 12 une: erreur. Tout d'abord laGuinée-Bissau n'a jamais soutenu devant le Tribunal

"l'existence d'une norme de droit international". Elle a

invoqué non pas une norme mais la logique de l'institution.

Mais de plus et quoique postérieure à l'accord franco-portu-

gais de 1960, la résolution 2625 (XXV) adoptee à l'unanimi-

té par l'Assemblée générale des Nations Unies le 24 octobre

1970 et portant Declaration sur les sept principes de droit

international. touchant les relations amicales et la coopé-

ration entre Etats conformément à la Charte, est applicable

à l'espèce car elle ne faisait que codifier des principes

coutumiers. Or cette ~éclaration avait tenu a préciser 5

deux reprises que le territoire d'une colonie est llsépar&

et distinct" de celui de la puissance administrante et le

demeure aussi longtemps que ce territoire n'a pas obtenu

son indépendance. 11 est clair en effet que sous l'empire

de la Charte des Nations Unies, il n'est pas du pouvoir de

la puissance administrante de disposer du statut territo-

rial de la colonie, surtout dans la période dite "suspecte"

O elle est en difficultés avec un mouvement d'indépen-

dance, comme c'était le cas en ~uinée-Bissau en 1969.

Ainsi l'accord de 1960 parait avoir disposé du statut

territorial d'un territoire non autonome qui jouissait d'un

droit "inhérenttt à un espace maritime, Un tel droit est

préexistant 2 toute délimitation. I

54. . Le principe fondamental de l'effet relatif des

traités ne permet de toute évidence de développer cet effet

qu'entre les Parties contractantes,, sauf exceptions légales
l
limitativement prévues. La ~uinée-Bisçau n'existait pas en

tant gul~tat en 1960, date de la conclusion de l'accord con-

sideré ici et il. est donc clair q<'elle n'était pas un Etat

partie à cet instrument. D~S lors, elle ne peut avoir que

la qualiti! d'Etat tiers par rapport à l'accord en question.

Ce statut est d'ailleurs dans Lai logique du droit inter-

national de la succession dtEtatsi dont le principe de la

tabula rasa signifie bien que 1'Etat successeur aborde la

succession ex nihilo, en n'accueillant un accord que par

l'effet de sa volonté exprimée d'y succéder. La ~uinée-

Bissau est incontestablement un Etat tiers de ce point de

vue.

55. Elle le serait, dans cette perspectivet même si
I
1'accord considéri! avait: et6 préalablement "reçu" réqu-
1
lièrernent dans le droit colonial eh vigueur dans la provin-

ce portugaise de Guinée. Or tel n'est même pas le cas et la

Guinée-Bissau n'avait même pas ei connaissance de l'exiç-

tence de cet échange de lettres d,e 1960. La condition for-

melle de validité et d'opposabilité de l'accord dans ce

territoire alors dépendant était sa publication en ~uinée-

Bissau par les autorités administrantes portugaises. Les

Parties à la présente instance se :sont opposées à diverses

reprises 'sur la question de la no%oriété et de la publicité
1de l'accord de 1960 par les divers Etats ou entités

concernés. Bien des démonstrations présentées sur ce point

me paraissent superflues ou non pertinentes. Il importe peu

que l'accord considéré ait été publié par la France, tant

dans son "Journal officiel" que dans celui de la Comrnunau-

té, ou par le ~enegal dans le "Journal officiel de la

~édération du ~a11"'~'. Le propos exclusif ici est de

savoir si, d'une mani&re ou d'une autre, l'accord considéré

a bénéficié d'une notoriété et d'une publicité en

territoire guinéen.

56. De ce point de vue, Le seul qui devrait intéresser

le Tribunal sur cette question, la situation est à la fais

claire et édifiante. Tout drabor;d il n'est pas contesté par

Le sénégal que l'échange de lettres n'a fait l'objet d'au-

cune publication officielle à Lisbonne de la part de la par-

tie contractante portugaise. Ce fait est déjà par lui-même

assez inexplicable, même par une dérive constitutionnelle.

Une condition de forme fait donc défaut. Je fais cette

constatation sans me prononcer sur les conséquences juri-

diques internes ou internationales de cette imperfection

juridique formelle. Je l'évoque tout simplement parce que

(8) On remarquera au surplus que même cette publica-
tion Dakar n'a pas empêché les autorités s&négalaises
elles-mêmes d'ignorer l'existence de cet accord
lorsqu'elles ont officiellement répondu 2 1'~mbassade
d'1talie sur ce point comme suit: "11 n'existe pas d'accord
international, les deux pays acceptent pour le moment le
tracé de la frontière maritime héritée de l'époque
coloniale, c'est-à-dlre: le tracé au 272 à partir du point

de chute de la frontière terrestre." (contre-mémoire, vol.
II A: Annexe 31.Lisbonne est un des relais indispensables pour le passage

de l'accord de l'ordre jurrdique métropolitain à celui de

la province portugaise de Guinée., Donc ce relais "métropo-

litain", ou ce point d'appui, est inexistant.

57. Mais même s'il avait 'existé, il n'aurait pas

suffi, à lui seul, à faire entrer' l'accord franco-portugais

dans l'ordre juridique colonial ' en vigueur en ~uinée-

Bissau. Car en effet, traditionnelilement - et sur ce point

le système juridique portugais r~çsemble au franqais pour

l'outre-mer - un texte de loi adopte ou de traité conclu

par la puissance administrante ne lpeut être automatiquement

étendu à la colonie ou au territoire d'outre-mer, sans quoi

les habitants de la métropole , et ceux de la colonie

auraient eu exactement les mêmesi droits et les memes de-
:
voirç, ce qur n'aurait pas correspondu à la philosophie du

système colonial. Pour qu'un textie pût trouver application

dans un 'territoire non autonome, il devait y être expressé-
I
ment introduit dans Le droit de :ce territoire, pas çeule-

ment d'ailleurs par une simple de ce texte dans

ce territoire, mais par une décision appropriée des autori-

tés métropolitaines. Bref, le terqitoire non autonome était

placé sous l'empire de ce que PI& appelait le principe de

spéciaLit6 léqiçlative et le principe de spécialité conven-

tionnelle; leur dénomination m&m= est suf f içamnent évoca-
1
trice du, régime législatif et conventionnel très spécial du

territoire non. autonome. I 58. Or, 2 l'inexistence du "relais" mgtropolitain,

s'est ajoutée l'absence de toute dgcision d'application à

la Guinée-Bissau et de toute publication d'ailleurs, si

bien que l'accord de 1960, conclu à Lisbonne, est resté en

quelque sorte juridiquement "retenu" dans cette même capi-

tale, comme s'il n'intéressait nullement le territoire

guinéen qui en était pourtant le support, ou plus exacte-

ment comme si la puissance administrante entendait, contrai-

rement à son propre droit, affirmer que l'application de

l'accord ne regardait pas le peuple et Le territoire gui-

neens mais dépenda~t exclusivement du pouvoir central de

Lisbonne. Cela ~ara?t si vrai que le Portugal non seulement

n'a pas publié l'accord en Guinée-Bissau ni pris une déci-

sion réglementaire ou législative pour le déclarer

applicable à ce territoire, mais parait avoir tout fait

pour rendre cet accord véritablement "étranger" à la

Guinée- Bissau.

59. C'est ainsi que le décret portugais du 22 novembre

1 963, qui aurait été une occasion idéale et: exceptionnelle

de rendre la ~uinée-Bissau concernée par cet accord

puisqu'il définissait ou redéfinissait le territoire de

cette province portugarse, a complètement ignoré cet

accord. A moins de considérer que le Portugal avait une

conception du territoire qui se limitait au territoire

terrestre en excluant complètement le territoire maritime 1

(ce qui serait une justification' supplémentaire et inat-

tendue de la distinction entre ,frentières terrestres et

frontières maritimes aux fins 'd'inapplication de l'&

posçidetis 5 ces dernières!), forcé est de constater que la

puissance administrante semblait ,avoirune conception qui

lui était propre quant au destrnataire final de l'accord.

Pour le Portugal cet instrument :exprimait ça souveraineté

et sa responsabilitG internationales, le territoire de

~uinge- Bissau ne constituant gu :un point d'appui ou un

support de cette souveraineté.

60. De même Pe gouvernement du Portugal ne semble nul-

lement avoir cherché à mettre à [profit l'adoption de son

dgcret-loi du 27 juin 1967 fix;ant les lignes de base

droites de la Guinge-Bissau, pour faire référence à cet

échange de lettres du 26 avril 11960. On ne trouve pas la

moindre , trace de celui-ci meme dans le préambule du
I
décret-loi. Et pourtant si l'on popvait à la rigueur consi-

dérer Le décret de 1963 comme visant exclusivement le terri-

toire terrestre, on ne peut p:lus en dire autant du

décret-loi de 1967.

1

61. Il n'entre pas dans ma mission de rechercher l'ex-

plication de ce comportement du &rtuqal. Je me borne à le

constater. De même me contenterai-je de constater qu'après

ces textles réglementaires de 1963 et 1967 qui concernaient

directement la ~uinée-Bissau, le Portugal a pris un texte

I
1 1intéressant, lui, un de ses organes centraux, en l'occur-

rence I1&tat-major de la marine nationale portugaise, sans

pour autant viser non plus l'accord de 1960. 11 s'agit des

instructions du pouvoir central de Lisbonne à sa marine de

guerre, dites "~nstructions militaires confidentielles",

datées de 1971., et visant assez étrangement les deux ''recom-

mandations'' du 10 septembre 1959, comme si ni l'une ni

l'autre n'avaient été concrétis&es par l'accord du 26 avril

1960. IL y a là une énigme et selon toutes apparences une

manière de meconnaître cet instrument, qui va au-delà de sa

non-pu blication, comme s'11 s'agissait d 'une dénonciatian

de l'accord considéré.

62. Quelle que soit l'explication que l'on trouverait

à ce comportement, il reste, et c'est l'essentielici, que

le Portugal n'a procédé ni pour ce qui concerne son terri-

toire m&tropolrtain (aux fin s d'application de l'accord par

ses organes centraux) ni pour ce qui regarde sa province

d'outre-mer directement intéressée, à une publicité offi-

cielle de l'accord. Je ne puis qu'en conclure que l'accord

du 26 avril 1960 est juridiquement inachevé. Cela suffit à

bloquer, pour ce qui concerne cet instrument, le mécanisme

de la succession dlEtats déclenché en 1974 par l'accession

de la ~uinge- Bissau à l'indépendance. 63. Mais de plus, 2 l'inexistence du "relais" juridi-

que de Lisbonne, et à celle de l'autre relais dans La pro-

vince coloniale, sla]oute l'absence de tout relais établi

par la ~uinée- Bissau indgpendante. Celle- ci, Etat su cces-

seur du Portugal, mais Etat tiers 1; l'accord particulier de
l
1960 qui n'était d'ailleurs jamais entré dans son ordre in-

terne colonial, a applique par la dgclaration genérale de

non- succession formulée par l'Assemblée populaire le 24 sep-

tembre 1973, le principe de la tabula rasa qui suppose les
1
traités anterieurs effacés de son ,territoire. Du reste, sur

ce point, la ~uinée-Bissau n'a eu ;aucun mal gommer l'ac-

cord de 1960 dont on sait qu'elle ne pouvait le reconnartre

faute même de le connaitre et dont;on a observé aussi qu'il

nIy avait laissé aucune trace par la volont6 du Portugal.

1
64. Par la suite, la ~uinée-;Bissau avait demande au

Portugal de lui communiquer la k~ste des accords conclus

I
par lui et intéressant l'ancienne province coloniale. La

partie guinéenne a signalé, et la partie s6négalals.e n'a
1
pas contest;, que la Guinée-~issa4 a demandé le 3 janvier

7978 au Portugal des renseignements sur les engagements

internationaux du Portugal concernant la Guinée- Bissau

(PV 1, traduction p. 5). En particulier la ~uinée-Bissau,

qui venait d'avoir quatre mois auparavant des entretiens

avec le 'sénégal, en septembre 1477, sus la délimitation

maritime entre les deux pays, a demandé au Portugal de la
I
renseigner sur l'existence ou Gori d'un traité en ce
1
domaine, sur la valeur juridique Ides recommandations duIO septembre 1959, ainsi que sur les procédures internes

portugaises de signature, ratification et publication du

traité éventuel de delimitation maritime. Le Portugal n'a

donné aucune réponse à ces demandes (PV 1, p. 6 traduction

et p. 74/11 3 du texte original) jusqu'à la fin de la

procédure orale en mars 1988 en la présente affaire.

65. Ce silence du Portugal est à rapprocher du

comportement de la puissance adrninistrante en 1963, 7967

et 1971 qui sembla~t ignorer l'accord de 1960 pour des

raisons inconnues. Un tel s~lence paraît bien se situer

dans la logique de ces divers comportements antgrieurç. Il

y a là un faisceau d'éléments cohérents dont le résultat

inévitable sera d'empêcher le declenchernent automatique du

phénomène de la succession dlEtats. Un tel blocage de

celle-ci par le fait du comportement du Portugal se

conjugue avec le fait volontaire de non- succession

souverainement décidé par la ~uinée- Bissau. ~e

non-consentement 2 être lié par l'accord de 1960 a connu

trois manifestations significatives, l'une ggnérale en

1 973, lorsque 1'~çsemblée populaire de Guinée-Bissau a

déclaré faire application du principe de la tabula rasa

pour tous les traités antérieurs à l'indépendance, l'autre

particulière, lorsque les dirigeants du nouvel Etat ont

proclamé leur indépendance sans mentionner les limites

maritimes du nouvel Etat dont la déclaration d'indépendance

avait pourtant défini l'assiette territoriale d'une manière la troiçisrne enfin, également spécifique, lorsque

le Gouvernement de ~uinée-~issau ;a prié celui du Portugal

de le renseigner tout particul4èrernent sur l'existence

éventuelle d'un accord de délim(tation maritime et n'a
1
obtenu aucune réponse.

66. Dans Leur déclaration d 'indépendance les diri-

geants de la ~uinée-Bissau ont :poussé le souci de la

précision jusqu'à livrer des chiffres sur la superficie de

leur territoire; ils auraient sûrement été aussi précis et

n'auraient pu oublier ou négliger ;l'accord de 1960 sur la

limite maritlme avec le sénégal j s'ils en avaient connu

l'existence et accepté d'y aucc4der. Le territoire, dit
I
cette déclaration, "couvre une Isuperficie terrestre de
I
36.125 km2 et les eaux territoriales, ce qui correspond 2

la zone désignée dans le passe comme colonie de ~uinée

portugaise". Pour aussi assimilable au territoire terrestre

qu'elles le soient en raison du; plein exercice de la
1

souveraineté sur Leur étendue, I la mention des "eaux

territoriales" dans cette déclaration n'en témoigne pas

moins du souci évident des dirigeants de la Guinée-Bissau

de ne pas négl~ger le milieu maritime. Ils auraient de ce

fait fait référence à la limite en mer avec le sénégal si,

la connaissant, ils avaient eu l'intention d'y succéder. Tenus par leur déclaration générale de tabula rasa, ils se

devaient alors d'y apporter une exception expresse et

I
1 claire s'ils avaient "connu" et "reconnu" l'accord.

67. C'est dire, pour toutes les raisons évoqu&es

ci-dessus, que je regrette de ne pouvoir suivre le point de

vue exprimé aux paragraphes 70 à 76 de la sentence. On y

décrit abondamment la reçue pas l'accord de 1960

dans "les milieux internationaux", ainsi qu'en France, au

Mali et au sén6gal. Ces développements-15 sont strictement

sans pertinence, car:

a) "~a publicité et l'efficacité interne d'un traité

dans une colonie conditionnent la succeçskon de 1'~tat

nouvellement indépendant à ce traité" (PV 14, p. 1641.

C'est bren cela "l'inopposabilité". Cela signifie que le

problème n'est pas la connaissance de l'accord par les

''milieux internationaux" (paragraphe 70 de la sentence), ou

par la France, le senégal ou le Mali (paragraphe 72 de la

sentence], mais par la ~uinée-Bissau à laquelle on oppose

ledit accord. Or, sur ce point, La sentence n%pporte pas

et ne peut pas apporter la preuve de la connaissance du 1
traité par la ~uinée-Bissau, faute; de sa publication danç

ce territoire (en plus de la non-publicité dans le

territoire métropolitain).

b) La Guinée-Bissau n'a jamais soutenu que "l'accord

du 26 avril 1960 ... a . &te 'conclu dans le secret"

(début du paragraphe 72 de la sentence). Elle affirme, et

c'est la réalité, que le cornportemient du Portugal (absence

de publication tant à Lisbonne qu'à Bissau, abstention

soigneuse de citer l'accord au m'oins à deux importantes

occasions danç deux textes fondamentaux où il aurait dû

normalement figurer et intéressant la ~uinée- Bissau1 a

abouti à entourer cet accord d'une grande discrétion, du

côté portugais, tant au Portugal que dans la colonie.

cl Les séfÉirenceç données au paragraphe 72 sont donc

sans pertinence et auraient dû rester étrangeres 5 la

sentence. Les publications qu'elles visent ont au surplus
9
été faites dans des pays étrang&rs et dans des langues
1
étrangères à la ~uînée-Bissau.
I

68. 11 est clair, certes, que le Portugal n'avait pas

une obligation imposée par le droit international de

publier tant à Lisbonne qu'à Bissau l'accord de 1960 (cf.

le paragraphe 74 de la sentenGe). Il est exact qu'il

s'agissait seulement d 'une obligation de droit interne

portugais. Si la ~uinée-~issau avait engagé une action en

responsabilité contre le Po~tuqal :pour cette violation, le

Tribunal 'arbitral aurait ét6 en dr&t de la débouter car ilne s'agit pas d'une obligation de droit international. Mais

la situation est toute différente ici; la Guinge-~isçau ne

revendique rren contre Le Portugal; elle se borne à se

défendre dans une instance et à se protéger contre un texte

que le Portugal s'est abstenu de Lui faire connaTtre et

qu'un Etat tiers par rapport à elle, le Çénggal, lui

oppose. Vouloir traiter de la meme rnaniere ces deux situa-

tions différentes n'est pas correct. La guinée-~issau n'a

pas demandé au Tribunal de condamner le Portugal et ce, ni

pour violation d'une obligation de droit international (qui

d'ailleurs n'existe pas), ni pour manquement à une obliga-

tion de droit interne portugais (pour lequel le Tribunal

est d'ailleurs incompétent). Par contre elle demande bien

au Tribunal de prendre cette violation du droit interne

portugais 5 tout le moins comme un fait et de tirer de la

constatation de ce simple fait les conséquences évidentes

gui en découlent quant à i'inopposabilité de L'accord (et

non quant 2 sa nullité ou son inexistence). Je ne vois pas

comment il serait possible d'esquiver ce fait et de ne pas

tenir compte de cet élément, capital en l'espece, de l'igno-

rance de l'accord par la Guinée-Bisssau. 69. Je dois à présent vérifier çi l'inopposabilité à

la ~uinée-Bissau de l'échange de lettres du 26 avril 1960,

que je déduis tant de l'inagpliicabilité du principe de

l'uti possidetis aux délimitations maritimes que de

l'absence de publicité, trouve con£irrnation ou infirmation

dans la pratique &tatique subsgquente à l'accord en

question. Du fait que je n'examine pas le probleme de la

validité de l'accord entre toutes les parties

contractantes, je n'envisagerai pas. la question de la

confirmation de cette validité par le comportement

subséquent de la France, du Portugal ou du Sénégal. II

importe donc de limiter l'examen à la pratique de la

Guinée-Bissau, la seule pertinente dès lors qu'il s'agit de

vérifier uniquement l'inopposabilité de l'accord de f960 à

cet Etat.

70. Mais avant de procéder 2: cet examen, je vaudrais

rappeler comme suit le contexte jurîdique et l'esprit dans

lequel cette analyse de la pratique de la Guinée-~issav me

paraTt devoir être entreprise:

a) 11 est plus qu'évident qu'un Etat ne peut imposer

une délimitatian territoriale unilatéralement 5 un autre

Etat (C.I.J., a£f aire du plateau continental Tunisie-Libye,

Recueil 1982, paragraphes 87, 90; 92 et 95; affalre du

Golfe du Maine, Recueil 1984, paragraphes 81 et 112). Le

tribunal des deux Guinée a considéré comme contraires au

droit international et inopposables à la ~uinée-Bissau les
1 décrets par lesquels le président de la ~epublique de

~uinée, M. Çékou our ré, prétendait fixer la frontière

maritime internationale entre son pays et la ~uinée- Bissau

en suivant des parallèles. Me réfgrant à un cas pourtant
~
moins radical, je ne partage pas pour autant l'opinion
~
individuelle du juge Ago qui, en l'affaire du plateau
~
continental Tunlsie-Libye 1982, avait estime que la regle-
~
mentation adoptée le 16 avril 1919 par le Gouvernement

italien de la Tripolitaine et de la cyrénaïque délimitait

la frontière maritime entre la Tunisie et la Libye, du seul

fait que la voix de la Tunisie ne s'était pas élevée pour

s'y opposer. ~orsqu'il s'agit d'une frontière, qu'elle soit

maritime au terrestre d'ailleurs, officiellement reconnue

comme telle, l'on doit nécessairement etre plus exigeant en
~
1 raison de l'importance politique de l'opération. En tout

cas l'établissement d'une frontiere doit résulter d'un

accord et ne pas se fonder fragilement sus l'absence
I
d'opposition de la part de l'unedes parties.

b) Dans l'évaluation soigneuse de la pratique ulté-

1 rieure des Etats, il faut rappeler que jamais une pratique

ne peut aboutir à créer des effectivités dans le domaine

maritime comme elle pourrait en établir dans le domaine

terrestre.

C) Comme l'a dit la Cour internationale de Justice

dans son arrêt de 1969 en l'affaire du plateau continental

de la mer du Nord, "l'acquiescement ... suppose ... une acceptation claire et constante" I C.I.J., Recueil 1969,

p. 26, paragraphe 145). La pratique d'un Etat n'engendre de

droits et d'obligations que dans la mesure où elle s'avère
l
suffisamment uniforme, constante kt non contradictoire pour

fonder l'existence d 'un accord explicite.

1 d) Enfin, nous croyons applTquer le droit là où nous

ne créons parfois qu'un climat d'un saisissant surréalisme.

C'est ce qui risque de se produire en particulier si an
l
applique les mgmes critères pour déceler et analyser la
l
1 pratique dans deux Etats aussi différents qu'un Etaé
développé et un autre qui ne l'est pas. La pratique exprime
1
rgellement un choix, une volonté et une rationalité

lorsqu'elle est le fait d'un Etat ;développé maîtrisant son
l
arsenal juridique, connaissant parfaitement l'état de ses
l
engagements internationaux et possgdant les moyens
1
matériels et technologiques appropriés pour les
l
comportements qu'il adopte en toute connaissance de cause.

Par contre, est-on certain que la pratique reflète

effectivement un choix et une wolonté libres lorsqw 'elle
l 1
est le fait de pays gcrasgs par ,un sous-développement en

tous domaines, ne possédant parqois même pas dans leur

administration centrale un service juridique, si modeste ou
l
nominal soit-il, ne disposant soIvent pas des archives
l
l coloniales, ni d'agents en nombre et en qualification, ni

encore moins de moyens matériels ou techniques pour

connattre leurs droits et les exelcer en fait conformément

à leurs intérêts? Dans ce contextje réel, je n'ai nullement été surpris par exemple que la Guinée-~isçau n'ait jamais

connu le texte de l'accord de 1960. De même n'ai-je eu à

I aucun moment le moindre doute sur la parfaite bonne foi du

I
I ~énégal à travers ses attitudes successives, quand d'abord

il parut ignorer l'existence de l'accord de 1960 - tant en

1977 lors des premières négociations avec la Guinée-Bisçau

que dans ses correspondances contradictoires avec

1'~mbassade d 'Italie - et lorsqu'ensuite il découvrit et

opposa à La ~uinée-Bissau l'existence de cet accord. Il y a

12 quelques exemples qui expriment certaines réalités de

beaucoup de pays en voie de développement quir confront&s à

de dures difficultés de toute nature, agissent ponctuelle-

ment dans le quotidien bien plus pour assurer une survie

précaire que pour faire valoir intégralement leurs droits

ou en créer correctement d'autres. De telles réalitgs secom-

mandent une grande prudence, voire une sérieuse réserve,

pour accueillir la pratique comme source de droit en de

telles circonstances. Ce serait un droit bien fragile que

celui qui reposerait exclusivement sur une pratique

observée dans ces conditionç.

71. C'est sous le bénéfice de ces observations que je

voudrais analyser la pratique subséquente de la Guinée-

Bissau. Ce qui frappe c'est que tout laisse penser que la

~uinée- Bissau n'a jamais connu l'existence de l'accord de

1960 avant que le s&négal ne l'invoque devant elle et

qu'elle n'adresse en 1918 une note au Portugal le priant del'informer sur d'éventuelles négacliations à son sujet. Tout

examen de la pratique de la ~uinée-~issau depuis la procla-

mation de son indépendance j usgulau x premières négociations

sénégalo-guinéennes (1 973-1 977) me parait donc slexclure de

lui-même, comme me paraît s'exçlure aussi tout examen por-

tant sur la periode postérieurem à La cristallisation du

différend (1985 à aujourd'hui). C'est donc de l'automne

2977 au printemps F 985 qu'il faut examiner le comportement

de la ~uinée-~isçau. IL est da+, et ce nkest pas une

surprise car on pouvait s'y attendre, que rien dans le

comportement de la Guinge-Bissau ne permet d'accréditer

1'idi.e qu'elle a accepté la ligne d'azimut de 240' établie

par l'accord de 1960.

72. La partie sénégalaise a cependant fait valoir que

la Guinée-Bissau a respecté cette l~gne pendant cette

période et a considéré ce fait comme une reconnaissance de

l'accord 'de 1960, argument est dangereux. S'il fallait le
,
suivre, cela signifierait que la banne foi ne peut jamais
I
exister entre Etaés et qu'il ne faut jamais la présumer

I
dans les relations internationales. Et pourtant, quoi de

plus normal, en tout cas de plus recommandable, que ce

devoir d'abstention de 1'~tat en tout ce qui'peut préjuger

d'une négociation ou d'une décision juridictionnelle à

venir? Je ne vois pas de raison - et la partie sénégalaise

n'en a avancé aucune - de suspecter la ~uinée-Bissau d'un - 141 -

comportement contraire 2 celui de tout Etat qui est tenu de

bonne foi de respecter la zone litigieuse en attendant

l'issue du règlement en cours.

73. Je ne peux que tenir pour irréprochable l'attitude

de la Guinée-Bissau quand, pendant toute cette période,

elle s'est abstenue d'entreprendre une quelconque activité

dans la zone litigieuse en attendant l'issue du différend.

Attitude irréprochable et aussi parfaitement cohgrente car,

durant la même période, la Guinée-Bissau a élevé des

protestations chaque fois qu'elle apprenait que le Sénégal

déployait quant à lui des activites dans cette zone. Ces

deux attitudes de la Guinée-Bissau se complètent et

s'éclairent mu tuellement. En respectant la ligne des 2 40°,

cet Etat n'a pas acquiescé à l'accord de 1960 puisqu'il a

fait des représentations au sén&gal pour des activités dans

la zone litigieuse.

74. Les parties se sont livrées à de longues démons-

trations pour se rGpondre mutuellement sur de nombreux

I points touchant la pratique subséquente, mais ne me parais-

sant pas pertinents. e en évoque quelques-uns à titre
i -
surabondant. La partie sénégalaise a en particulier soutenu

que "les comportements de 1'Etat prédécesseur peuvent égale-

ment lier 1'~tat successeur" (PV 9, p. 1041, en interpré-

tant la sentence Palmas du 4 avril 1928 et celle du

Tribunal des deux ~uinée du 14 février 1985. Autrement dit,un Etat successeur qui a dûment exprimi? son refus de

succéder à un accord déterminé, reste néanmoins lié ... par

un tel accord du fait de la pratique de son prédécesseur

fondée elle-même sur cet accord: c'est d'abord remettre en

cause le principe de la tabula. un des principes

fondamentaux du droit de La succesçion d%tatç en matière

de traités, parce qu'en effet, dans cette conception,

1'Etat successeur, quoiqu'il fasse, ne parvient jamais à se

défaire d'un accord conclu par son prédécesseur: s'il

l'évacue par la grande porte, par une déclaration de non-

succession, cet accord lkenvahit par la fenêtre, grâce à

une succession forcée à la pratique subséquente de 1'Etat

pr&décesseur. Et la situation s,erait la même, selon le

sénégal, si lkaccord n'avait pas existé du tout: "Quand

bien même l'accord de 1960 n'aurait pas existe, la Guinée-

Bissau se serait trouvée liée pas la frontière en mer de

240Q du Cap Roxo en raison du seul comportement notoire du

Portugal" (PV 9, p. 104). Cette thèse est inacceptable

parce q~'aboutiçsant à un résukat absurde et pour de

nombreuses autres raisons dont la moindre est que: "qui

peut le plus peut le moins"; si l'l~tat successeur est admis

à invoquer le principe de la tabula rasa pour écarter un

accord, on ne voit pas comment il pourrait être lié par une

simple pratique, ou par n'importe, quelle autre conséquence

de cet accord.
- 8 75. bu surplus ce serait faire en la circonstance

grand cas de la pratique erratique, incoherente et sans

épaisseur du Portugal, lequel n'a d'ailleurs jamais invoqué

l'accord dans ses relations internationales, et dent les

textes pertinents de droit colonial se rapportant à la

Guinée-Bissau ont &té pris dans l'ignorance ou la méconnais-

sance de cet accord. Si le droit international tire, assez

prudemment du reste, des conséquences juridiques de la

pratique des Etats, la démarche ne peut être légitime que

pour autant qu'elle concerne les Etats auteurs et acteurs

directs de cette pratique. Hors de là, et en particulier

s'il s'agit d'Etats successeurs, on débouche inévitablement

sur des absurdités,

76. Le sénégal s'est ainsi référé, entre autres, à la

pratique pétrolière de la ~uinée- Bissau, dans laquelle il

aperçoit deux phases. Durant la premi6re (1973-19373, le

nouvel Etat est resté silencieux et ce silence est inter-

prété par le Sénégal comme un assentiment au comportement

de l'ancienne puissance administrante. Outre qu'il vient

d'etre répondu à cet argument, 11 faut observer que le

silence est d'interprétation périlleuse en droit et que

skgissant de pratique relative à un traité de frontière,

ce silence parait insuffisant. Durant la seconde phase, le

Sénégal considère que le respect par lh Guinée-~issau de la

ligne de 240' dans les contrats pétroliers (accord Petro-

minas du 9 février 7984) constitue une pratique confirma-

tive. 11 a iité répondu à cet argument aussi, qui perd devue le principe de la bonne foi ,avec laquelle un Etat: doit

agir pour respect:ti-r la zone litig4eriseen attendant l'issue

du différend.

77. Au terme de l'analyse ci-dessus, il mtappara?t que

l'&change de lettres .franco-portugais du 26 avril 1960 est

un traité pour lequel la ~uinée-~issau n'a pas exprimé son

consentement à gtre IL&@. De ce fait, il ne lui est pas

opposable en tant que "traité': d'abord. Il m'apparaît

ensuite que sa nature de traité établissant une "frontière

maritime" ne permet pas de le placer sous l'empire du

principe de I'uti posçidetis juris et ne saurait donc lui

valoir de la part de ka 6uinée-Bissau une succession

automatique et obligatoire par exception aux principes de
1
la souveraineté des Etats, du libre consentement à être lié

par un traité et de l'effet relatif :des traités.
I
I
I
78. Etant ainçl parvenu 2 la conclusion que l'échange
1
de lettres franco-portugais de 1960 n'est pas opposable 2

la ~uinée-Bissau et ne peut donc 'faire droit entre celle-ci

et le sénégaL pour la d&lirnitat+on de leur frontière en

mer, je me dois à de procéder ex novo à cette

délimitation.

* ,* 79. La première quest~on qui se pose est celle du

droit applicable pour réaliser une telle opération.

L'accord de 1960 n'étant pas opposable, ni cet accord ni

les sources de droit auxquelles il renvoie ne seraient

pertinents en lksspèce. En conséquence, et en particulier,

on ne peut prendre en considération les "principes contenus

dans le rapport de la Commission du droit maritime des

Nations Unies et des textes des articles 1, 2 et 4 de La

Convention sur la mer territoriale et la zone contiguë

conclue à la conférence sur le droit de la mer qui a eu

lieu Genève en 1958"'9). Ce passage déterminait le

droit appliqué pour conclure L'accord de 1960 et non pas le

droit applicable au présent litige désormais sans lien avec

ledit accord. Le rejet de l'accord de 1960 entraîne le
(10)
rejet du droit qui a servi 2 le conclure .

(9) Compte rendu des conversations du 70 septembre
1958, fait par le ministre portugais des affaires étran-
gères, point II, paragraphe A.
(10) On aura sans doute observé que le droit de réfé-
rence pour les deux parties contractantes de l'accord de
1960 est conçtitue par l'une, et non par toutes les Con-
ventions de ~enève de 1958, la seule convention sur la mer
territoriale et la zone contiguë, ce qui pourrait confirmer

que les parties non seu.lernent n'avaient pas en vue la zone
économique exclusive, a l'époque inconnue, mais ne vou-
laient en fait, au aépart, délimiter conventionnellement
que la mes territoriale et la zone contigu&, -

t - 146 -

Et de toutes les façons l'accord ne pouvait pas concerner

la zone exclusive, inconnue 2 l'époque. Par ailleurs le

~énégal, qui avait ratifié les Conventions de Genève de

1958, avait dénoncg d'abord le 9 juin 1971 la Convention 5

laquelle il est fait référence ci-dessus et relative à la

mer territoriale et à la zone contiguE! et ensuite le ler

mars 1976 la Convention sur le plateau continental, tandis
I
que la Guinée-Bissau n'a jamais adhéré 2 aucune de ces

Conventions, de sorte que les parties au présent différend

sont toutes deux étrangères à ce droit conventionnel inter-

national.

I

80. Quant à la Convention de Montego Bay du

10 decembre 1982 sur le droit del la mer, la ~uinée-Bissau

et le sénégal l'ont ratifige tous deux; mais elle n'est pas

encore entrée en vigueur. 11 est Clair cependant que cette

particularité ne les fait nullement Gchapper à I'applica-
l
tion de cette Convention. Celle-ci;doit s'imposer à eux non

pas en tant qu'ensemble de règlek conventionnelles inter-
I
nationales (puisque non encore ent~ées en vigueur), mais en

tant de règles acceptées par eux. Certes, en

l'espèce les deux Parties ne sont pas d'accord entre elles

et se contestent mutuellement le droit d'invoquer telle ou

telle règle ou à l'inverse la li6erté de s'en affranchir.

Mais l'opération de ratification; I de la Convention par

chacune ,des deux Parties signifie disponibilité de chaque

partie à l'appliquer à toute auTre qui accepterait d'en
1
I

i , faire autant. La ratification représente un engagement

définitif et final qui, en toute bonne foi, impose à chacun

des deux Etats de se considérer comme obligatoirement Il6 à

l'ggard de l'autre par la Convention.

i 81. Mais pour couper court à toute discussion, il faut

observer que le ~énégal et la ~uinée-Bissau ont prié le
l
tribunal de céans de trancher le différend i'confor-

mément aux normes du droit international". Cela justifie à

l'évidence de tenir compte des règles coutumières et de

tout ce qui est devenu coutumier dans le droit convention-

nel international de la mer tant de 1958 que de 1982, et

quelles que soient les positions ou le statut

juridique spécifique de chaque partie à l'égard de l'une ou
~
1 de l'autre convention. ~6-jà le tribunal franco-britannique
1
dans l'affaire de la mer d'Iroise avait, dans sa sentence

du 30 juin 1977, déclaré devoir "prendre en considération
I
l'&volution du droit de la mer", et de son côté, la Cour

internationale de Justice, dans l'a£ aire de délimitation

du plateau continental Tuniçie/Libye, avait estimé qu'elle

~ aurait "tenu compte d'office des travaux de la conférence

1 même si les parties n'en avaient rien ait dans le

compromis" (lequel l'avait ef fectivernent priée de les

prendre en considération). Les juridictions

I internationales, tant arbitrales que judiciaires, ont donc

pris en compte ex officio les règles coutumi&res du droit

de la mer dans son '%évolutiontt et à travers les "travaux"

de la conférence. A plus forte raison doit-on retenir letexte définitif de ces "travauxt' concrétisant cette

évolutian, chaque fois que ce texte recèle une règle

coutumière.

82. D~S lors il n'est pas n+cessaire de se prononcer

sur des questions, devenues secondaires dans cette perspec-

tive, et soulev6es par l'une des Parties à l'encontre de

l'autre. C'est ainsi que tout examen parait superflu sur 1e

point de savoir si le droit de dénonciation unilatérale par

un Etat d'un traité multilatéral est ou non possible alors

que le traité conçidéré ne l'a pas prévu, comme c'est le

cas pour les Conventions de Geneve de 1958.

83. En conclusion, le Tribunal ayant été prié de juger

conformément aux normes de droit international, le droit

applicable est bien ce droit international coutumier,

appliqué, interprété et développé, par les décisions judi-

ciaires et arbitrales. En fin de 'compte, les deux parties

au présent différend sont diacco,rd, somme toute, sur le

droit applicable, lorsque l'une considère qu'il se ramène à

la "recherche d'une solution équitable au moyen de prin-

cipes équitables, l'équidistance étant une méthode parmi

tant d'autres pour parvenir à une8 tekle solution" (Contre-

mémoire du ~énéqal, paragraphe 330) et que l'autre partie

en convient parfaitement (~épkiqGe de la ~uin&e-~iççau, 84. Il importe de dgterminer la zone litigieuse le

plus simplement possible. Elle me tout naturellement

délimitée par les prétentions des parties consignées dans

leurs conclusions respectives: au sud, il s'agit de la

ligne des 240" partant du phare du Cap Roxo et obtenue par

application de l'échange de lettres franco-portugais du 26

avril 1960 telle que la demande la République du Sénégal;

au nord, c'est une ligne qui partirait du Cap Roxa et qui

aurait pour direction un parallèle d'azimut 2 7Do, telle que

semble la demander la ~épublique de ~uinée-~issau. C'est à

l'intérieur de ce triangle représentant la zone disputée

que la ligne séparatrice des domaines maritimes respectifs

des deux parties devra être tracée.

85. La zone litigieuse est bien celle comprise entre

les lignes d'azimuts 270" et 240' qui situent les

prétentions extrêmes des deux parties à partir du Cap

Roxo Il1)

(1 1) Les pr6tention.s du Sénégal sont bien détermi-
nées: c'est la ligne des 240' fixée par l'accord franco-
portugais de 1960; celles de la ~uinée-Bissau sont néces-
sairement indeterminées car elle réclame une délimitation
ex novo et attend précisément du Tribunal qu'il fixe une
ligne. Toutefois, la vision que la 6uinee-~issau croit
avoir d'un résultat équitable de la délimitation l'a
poussée à proposer au Tribunal des chiffres qui, au fil de
l'argumentation, se situent dans une fourchette entre 262'
et 270°, sans d'ailleurs jamais atteindre ce dernier

chiffre maximal correspondant 5 un parallèle. Je le prends
ici à titre indicatif comme limite extrême.La ligne séparatrice que je dois tracer se situera donc

nécessairement à l'intgrieur de l'angle formé par ces deux

lignes d'azimuts 270"/240°. ais ; alors il peut paraître

etrange et même contraire à l'équité que la position de la

ligne soit ainsi par avance enfermée dans un angle dBfini

par les Parties, c'est-à-dire qu'elle soit "prédéterminée"

alors même que je suis invité à procéder à une délimitation

ex novo dont ni les Parties ni moi-même ne pouvons

connaître Le résultat avant même toute application des

principes équitables aux circo4stances pertinentes de

l'affaire. Cela paraîtrait une manière d'arienter le choix

des arbitres ou de dicter leur solution, cette limitation

de la 1iberte d'appréciation iet de jugement étant

incompatible avec la fonction juridictionnelle. L'hypothèse

dans Laquelle une ligne "produite" par application des
i
principes équitables du droit moderne de la mer se
I
situerait soit en deçà de 24Q0,; soit au-delà de 270°,

serait aiors embarrassante pour l'arbitre comme pour les

parties. Il naitrait par là un conflit entre les exigences
1

de l'équité qui imposeraient en ce, cas une ligne en dehors

de cet angle 240"/270° et les demandes respectives des

Parties au-delà desquelles l'arbitre ne peut se prononcer

sans enfreindre le principe "ultra petita". En cette

situation on ne doit pas perdre ae vue que l'arbitre est

tenu par, les termes du compromis jet par ceux des conclu-

sions de,s Parties. Ce sont les :uns et les autres qui

assignent: et déterminent ça mission sans laquelle if ne
1

1pourrait exister ni délimitation équitable, ni délimitation

de quelque nature que ce soit.

86. Cependant avant de se demander si le conflit

envisagé dans l'hypothèse embarrassante cansidérée

ci-dessus est soluble et comment il peut l'être, il faut

savoir si un tel conflit peut effectivement surgir dans la

réalité concrète. Car chacune des deux Parties considère

que sa solution est équitable, soit à la suite de l'accord

de 1950, soit par application de principes et méthodes

appropriés. Il est donc hautement du domaine du raisonnable

d'escompter que la solution équitable à laquelle l'arbitre

doit parvenir en toute indépendance de jugement, se situera

nécessairement quelque part entre les prétentions extrgmes

des deux parties et nullement ailleurs. Les deux Parties

ont travaillé devant le tribunal sous le contrôle critique

et vigilant l'une de l'autre. IL est raisonnable de penser

qu'elles ont balisé toutes Les plages du possible pour les

arbitres. Il reste malgré tout que la manière dont le juge

ou l'arbitre est amené à apprécier l'équité d'une solution

se trouve limitée en fait par la volonté des Parties

elles-mêmes. 87. Bien entendu, cette zone disputée à laquelle je me

dois de limiter mon examen ne se confond nullement avec

l'ensemble plus vaste des domaines maritimes des deux Par-

ties. Celui de la Guinge-Bissau est compris entre une ligne

encore indéterminGe située quelque part dans la zone Ilti-

gieuse et une seconde ligne coïncidant avec l'azimut de

236' au départ du point de chute Ide la frontière terrestre

entre la ~uinge-Bissau et la ~uinée (frontière tracée par

I
la sentence arbitrale du 14 février; 1985).

88. Quant au domaine rnariti4e du Sénégal, il a la

particularitg d'être constitug par deux espaces très
l
distincts, l'un situé en deçà dè la frontière maritime
l
sud-gambienne et représenté par tput ou partie ae la zone
1
disputée selon la sentence du tribunal de céans et l'autre

correspondant à une toute autre zone s'étendant au-delà de

la frontière maritime nord- garnbi;enne et se pour suivant
I
jusquts ;la limite maritime pour l'instant indéterminée
I
entre le Sénégal et La Mauritanie (12) .

(1 2) Le sénégal a soutenu avbir etabli conventionnel-
lement avec la Mauritanie la fron$i&re maritime qui sépare
ces deux Etats. Le document produit par lui devant le Tri-
bunal, outre qu'il constituait un diocurnent "nouveau" sur le
plan de la procédure, et qu'il etait par endroits illi-
sible, n'était en réalité qu'un simple procès-verbal d'une
reunlon ministérielle tenue en j an,vier 1971 à Saint-Louis-
du-Sénégal et poursuivie à Nouakchott. A la section VI de

ce procès-verbal consacrée à la "d!étermination et délimita-
tion de la frontière maritime", on lit que "la frontigre
maritime , sera déterminge par la \ normale à la côte de
l'océan A'tlantiqueà partir de la borne définie ci-dessus",
Cette borne est celle qui était prévue par le décret fran-
çais du 8 décembre 19.. (33 ou 35?, chiffres illisibles) et
qui devait être construite sur l'emplacement des ruines de
la "maison G..." {nom illisible). Il flaut donc observer: Cette situation d'un ~énégal possédant deux domaines

maritimes séparés très distinctement par le domaine d'un

autre Etat est assez exceptionnelle dans le monde sans être

toutefois unique. 'Dans la mer des CaraEbes, le domaine

maritime des Pays-Bas (au titre des îles d'Aruba, de Curaçao

et de Bonaire) scinde celui du Venezuela, ainsi que celui de

la ~epublique dominicaine; une situation analogue est

observable entre les Antilles françaises et la même

~épubli~ue dominicaine; dans le Golfe arabo-persique, le

domaine maritime de IlErnirat de Ajman sépare en deux celui

de 1'Emirat de Sharj ah; sur l'Atlantique, l'espace maritime

portugais divise en deux celui de l'Espagne; en éditers sa née

le domaine maritime de la ~rincipauté de Monaco interrompt

celui de la France; il en est de même de toutes les enclaves

comme Hong Kong ou Singapour ou Gibraltar ou Ceuta. Mais il

est incontestable que le cas du sénégal est le plus typique

et le plus saisissant sans doute à cause du fait que les

frontières maritimes gambiennes sont constituées par deux

parallèles qui hachent au couperet les espaces maritimes du

Sén kg al.

(12)(suite)
i) qu'il ne s'agit pas dbu traité;
ii) que ce simple procès-verbal illisible n'est même
pas signg et qu'il peut n'avoir constitué qu'un simple
projet dans des négociations qui n'auraient pas abouti;
iii) qu'il comporte d'ailleurs un paragraphe 4 pré-
cisant qu' "apr6,s approbation ae ces conclusions, les deux
gouvernements designeront une commission $'experts qui de-
vra matérialiser sur le terrain le trace proposé, à une
date dont le choix est laissé à l'initiative du gouverne-

ment du Sénégalt';
iv) et que le ~énégal n'a apporté aucune preuve de
"l'approbation1' de cette "proposition" de tracé par les
deux gouvernements. 89. Contrairement cette réalite, le ~énégal a plaids

l'unité de son territoire maritime, en enclavant le domaine

maritime de la Gambie, apparemment d'une part pour mieux

justifier la prise en compte par le Tribunal de la longueur

de l'ensemble du littoral sénégalais et, dkutre part, pour

mieux vérifier le caractère équitable de la ligne deç 240'

par un calcul de proportionnalité entre les longueurs de

côtes et les surfaces maritimes. Il a en effet soutenu que

"la zone économique gambienne se trouve complètement

enclavée dans celle du Sénégal, et de façon nette ... La

zone économique du senégal est bien d'un seul tenant et

(...) la ~resence de la Gambie nyintroduit aucune rupture

incontournable (~épli~ue de la Guinée-~issau, p. 329)'' (PV

12, p. 211). 1
1

90. Ce point de vue me infondé. L'espace

maritime prolongeant vers le lakge celui de la Gambie

au-delà de 200 milles ne peut pas revenir au çénégal et

permettre à celui-ci d'assurer la jonction entre ses deux

domaines maritimes de part et d'autre de la Gambie. Si le

sénégal se réfère bien à la zone économique exclusive, l'es-

pace considéré vers le large au-delà des 200 milles ne peut

appartenir ni la Gambie ni au s,énégal; il relève soit de

la haute-mer, soit de la zone economigue de 1'Etat en

vis-à-vis, le Cap-Vert, puisque ,la Largeur de La zone

économiq~e exclusive ne saurait excé'.r les 200 milles. Et

si l'on se réfère au plateau :continental, cette même

étendue 'située au-delà de 200 milles en prolongement dudomaine gambien ne pourrait pas non plus appartenir au

senégal. OU bien elle reviendrait à la Gambie si son

plateau continental peut se poursuivre

au-delà des 200 milles (2 supposer d'ailleurs que les

droits de l'Etat en vis-à-vis, le Cap-Vert, le permettent),

ou bien elle relèveraitde la zone internationale des fonds

marins constituant le patrimoine commun de l'humanité.

Qu'il s'agisse donc de la zone économique exclusive ou du

plateau continental, an ne voit pas quelle peut être la

base du titre juridique du ~énégal. Ainsi l'espace gambien

représente une barrisre étanche scindant en deux le domaine

maritime sénégalais.

91. Quoi qu'il en soit, meme si l'espace maritime du

Sénégal était d'un seul tenant, cela ne serait pas une

circonstance propre à faire prendre en considération Pa

totalité de la longueur du littoral sénégalais pour la

solution de la présente espèce. Comme je le préciserai plus

loin, il convient de prendre en compte uniquement la côte

pertinente dans l'espèce considérée et celle-ci est ici Le

littoral de la Casamance. Par ailleurs, pour vérifier

posteriori l'équité du résultat obtenu, il n'est pas

nécessaire de se référer la superficie totale des deux

domaines maritimes du Sénggal de part et d'autre de celui

de la Gambie. La surface de la zone sud est la seule

pertinente à cette fin, car l'&quit6 exige seulement qu'un

kilomètre de c6te du s&negal puisse avoir approximativementle même pouvoir de zonjes du plateau continental

qu'un même kilomètre de côte de la Guinée-~issau.

92. La détermination du droit applicabk 5 laquelle il

a 6té aux paragraphes 74 à 83 ne fournit en matière

de 2élimitation maritime que cer,tains principes de base

visant à réaliser un but essentiel qui est d' "aboutir à

une solution équitable" (articles 74 et 83 de la Convention

de Montego Bay ); C'est ce que le ~ribunal arbitral franco--

britannique de 1977, puis la Chambre de la Cour en l'affai-

re du Golfe du Maine ont appel& la "norme fondamentale".

Les règles applicables sont celles qui permettent de consi-

dérer que des étendues de sol s'ous-marin adjacentes aux

c6tes d'un Etat font partie du! plateau continental de
I

celui-ci ' (règles sur le titre jiuridique) et celles qui

permettent, au vu de titres juridiques concurrents avancés

pas des Etats voisins, de proceder, à une délimitation entre

ces Etatç (règles de délimitation proprement dites). Les

facteurç à prendre en consideration pour procéder à cette

délimitation ne sont plus qualifiés expressément di

"éq~itables", puisqu'il ne s'agit pas là d'une qvaliti!

intrinsèque mais d'un caractère ,qui se vérifie dans un

contexte : déterminé. L'adjectif j~~uitable semble ainsi

rgservé 'au résultat au point qu'il a été soutenu quel - 157 -

l%quité est passée du plan des moyens à celui du résultat.

93. Cette &volution a rencontré de sévères critiques

dans la doctrine, d'ailleurs curieusement adressées plus

souvent au juge ou 2 l'arbitre qu'au législateur lui-même,

qui en est pourtant le vrai responsable. On a pu regretter

que soient détruits "les acquis de La construction juridi-

que de 1958, de llarret de 1969 et de la sentence de 1977

par l'emploi d'une formule vide de contenu 11(13). On a

parlg de "l'impressionnisme juridique" dont la Cour aurait

fait preuve dans l'affaire du plateau continental

~unisie-~ibye"~). On a déploré le caractère intuitif et

arbitraire de ses jugements (15). Mais c'est le

(1 3) Opinion dissidente du juge Gros, affaire du Golfe
du Maine, C.1.J- Recueil 1984.
(1 4) Decauxi in Annuaire français de droit
international, 1982, p. 358; Elizabeth ZolLer, "Recherche
sur les méthodes de délimitation du plateau continental1',
-n Revue qénérale de droit international public, 1982, p,
655.
(1 5) Opinion dissidente du juge Koretsky, C.I.J., Mer
du Nord, Recueil 1969, p. 166; opinions dissidentes du juge
Gros, C.I.J., Tunisie-Libye, Recueil 1982, pp. 150, 152,
156 et C.I.J., Golfe du Maine, Recueil 1984, pp. 377, 379,
382; opinions dissidentes des juges Oda et Schwebel,
Recueil 1982, pp. 361, 187 et 183; Elizabeth Zoller,
op.cit., ,pp. 677-678; Eric David "~a sentence arbitrale du

14 fevrier 1985 sur la délimitation de la frontière mari-
time Guinée - Guinée-~kssau", & Annuaire franqais de droit
international, 1985, p. 365; Queneudec, "L1af faire du pla-
teau continental entre la France et Le Royaurw-Uni,
Revue qénérale de droit international public, 1 979,
p. 74-75.législateur international lui-même ' gui a conféré au juge et

a l'arbitre un tel pouvoir d'appréciation, en lui donnant

comme outil cette norme, qui méritait d'autant moins d'être

baptisée norme "fondamentale" qu'&le etait quasiment vide
1
de contenu, Comme le remarque un auteur, "la liberté
1
d'appréciation dont jouissent tes j uses reflète très

fidèlement leur situation d'un drbit dont les tensions et

les mouvements contradictoires q{i le parcourent en tous

sens débouchent sur des compromis O; la souplesse confine

parfois à la vacuitéi'(16'. A cette relative vacuité de la

norme s'ajoute la fluidité, voire l'insaisissabilité du

concept d'équité, gui m'ont amené avec les Présidents

Jimenez de Arechaga et José Maria' Ruda à défendre la Cour

et à appeler la doctrine à ne pas s'étonner d'un certain

"subjectivisme prétorien lqve'l les plus belles

dissertations juridiques sur l'équkté ne parviendront pas à

1,(17). I
éliminer ...

94. Je n'en suis que plus à l'aise pour regretter la

conception que la Cour internationale de Justice s'est

faite de la "norme fondamentale", dont Le contenu, vidé dé-
I
jà par le l&gislateur, l'a été davantage et inutilement par

(16) Eric David, op.çit., p. 365.
(17) Opinion conjointe des juges Ruda, Bedjaoui et de
Arechaga, C.I.J., ~élirnitation du plateau continental
Malte-Libye, Recueil 1985, p. 99.

1 sa jurisprudence. La Cour internationale de Justice a en

effet pris position sur cette question dans l'affaire du

plateau continental entre la Tunisie et la Libye. Elle a

çonçidéré que la formule suivant laquelle "l'application de

principes équitables doit aboutir à un résultat équitable''

est une simple façon de s'exprimer qui "bien que courante,

n'est pas entièrement satisfaisante, puiçque l'adjectif

'équitable' qualifie à la fois le résultat à atteindre et

les moyens 5 employer pour y parvenir". Elle a alors ajou-

té:

"C'est néanmoins le rgsultat qui importes ies
principes sont subordonnés à l'objectif à atteindre.
~'équitg d'un principe doit être appréciée d'après
l'utilité qu'il représente pour aboutir à un résultat
Gquitable. Tous les principes ne sont pas en soi ;qui-
tables; c'est l'équité de la solution qui leur confère
cette qualité. Les principes qu'il appartient à la Cour
d'indiquer doivent être choisis en fonction de leur ad&-
quation à un résultat équitable. 11 s'ensuit que l'ex-

pression principes équitables ne saurait être interpré-
tee dans l'abstrait: 'c'est une vérité première de dire
que cette détermination doit être équitable, le problè-
me est surtout de définir les moyens par lesquels la dé-
limitation peut être fixée de manière à être reconnue
comme équitable.' "( 18)

95. Mais s'il est vrai que, comme l'affirme la Cour,

'"tous les principes ne sont pas en soi &quitables", alors

le fait de préciser que les principes (en plus du résultat)

1 (1 8) C.I.J., Recueil 1982, paragraphe 70. I
doivent être Gquitables n'est pas dépourvu de sens. Cela

signifie donc que le juge devrait ,écarterles principes gui
l
ne sont pas équitables. Ainsi, il paraît nécessaire d'af-

firmer que la rédaction nouvelle de l'article 83 de la

Convention de Montego Bay n'avait pas pour but de préco-

niser n'importe quel principe pourvu que le résultat final

soit: équitable. Cet article devait en réalité etre inter-

prété de faqon plus exigeante en' obligeant de vérifier le
l
caractère équitable tant au niveau des principes retenus

qu'à celui du résultat obtenu. C'est à une double opération

et à une pesée double que l'artidle 83 devrait inviter. Et

c'est la seule voie pour sortir l,e droit des délimitations

maritimes de l'arbitraire.

I
96. ailleurs le passage cité ci-dessus de l'arrêt de

la Cour de 1982 ne semble pas avair tenu compte réellement

des circonstances dans lesquellek. l'expression "principes

&quitables" a finalement disparu du texte définrtif de
I
l'article 83. Cela fut le résultat, d'un compromis aux ter-

mes duquel l'expression "principes équitables" n'a été

supprimée que moyennant la suppression auçsi de la mention

"la méthode de l'équidistance le cas échéant".

1

97. Il est vrai que la Con/vention de 1982, oeuvre

monumentale de compromis divers, 'a ramené, dans ça diffi-

cile recherche du consensus géngeal, à la portion congrue

la "norme fondamentale". Mais ce n'est pas une raison pourque les juridictionsinternationales ramènent celle- ci à

moins encore. Dans un premier mouvement la Cour a affirmé

en 1982, en l'affaire Tunisie-Libye citée ci-dessus, que

l'expression "principes équitables" devait être entendue

comme si l1&pithGte "équitable" n'existait pas. Et deux ans

plus tard dans un second mouvement, la même Cour, par sa

Chambre en 1984, a consideré que même les "principes" en

question n'existent pas encore (c.1.~. Recueil 1984,

p. 290) et qu'il conviendrait de les qualifier plus

modestement de "critères" (C.I.J. Recueil 1984, p. 292). 11

y a 1; une dérive judiciaire assez fâcheuse, dans la mesure

où de proche en proche disparaissent tant le caractère équi-

table des principes que les principes eux-mêmes, pour enfin

ne retenir que le réçultat. Le juge ou l'arbitre ne saurait

posséder un pouvoir discrétionnaire dans le choix des prin-

cipes a appliquer. Il doit dégager des principes qui sont

eux-mêmes équitables. La vérification du caractère .&qui-

table doit en conséquence s'effectuer à deux niveaux diffg-

rents: celui des moyens employés et celui du résultat

obtenu grâce à ces moyens.

98. La présente espèce pose un problème de délimitation

essentiellement latérale entre deux Etats qui sont limi-

trophes, même si une partie des côtes de la Guinée-Bissauapparait en très discrète opposition vis-$-vis des côtes du

~énégal. Les règles valables pour le titre juridique d'un

Etat sur son plateau continental sont distinctes des normes

applicables pour une operation de delimitation et un

problème de cohérence entre ces deux séries de règles se

pose alors, surtout lorsqu'il s'agit de procéder une

dglimitation frontale. Mais s'agissant ici d'une

délimitation Latérale, cette question de cohgrence se pose
l
moin S.

99. Examinons les facteurs géAgraphiques pertinents en

l'espèce. 115 sont au nombre de trois: la configuration du

littoral, la direction g6nérale de celui-ci et ça longueur.

Pour appréhender ces trois caractékistiques de ka nature et
1 I
pracéder à une comparaison qui, dans certains cas, doit

être chiffrge, l'homme est contraint de se livrer & des opé-

rations, de procéder à des constructions et de faire diver-

ses mesures, les unes et les autres ne pouvant qu'approxi-

mativement respecter la nature. C'est ainsi qu'il donne une

évaluation chiffrée des longueulr s d'un littoral, îles

comprises, qu'il "lisse" la façade maritime pour livrer

arithmétiquement une direction ggnërale des côtes, et qu'il

trace des lignes de base norrnaleg ou droites aux fins de

délimitation. Les évaluations ains~ fournies par les Etats

à travers leur législation, ou par: leurs conseils dans une instance juridictionnelle, sont de ce fait fort rarement

convergentes, 12 où pourtant la géographie fournit des

éléments physiques irrgductibleç et: ineçcarnotables d'une

réalité qui devrait slimpoçer indiscutablement 5 tous.

~'équitg doit en conséquence rester vigilante à ce premier

stade déjà, face à ces approximations certes nécessaires

pour l'entendement de l'homme, mais par£ ois trop complai-

samment sollicitées par lui dans ses tentations de corriger

la nature à son avantage.

100. Les deux Parties n'ont en effet pas la même vision

de La réalité géographique; elles possèdent deux lectures

différentes d'une question pourtant de pur fait. Elles ont

chacune sa perspective et ont fait chacune ses prises de

vue selon la distance que l'on prend pas rapport à l'objec-

tif à examiner. Pour trancher ces désaccords partisans,

j'ai le devoir de ne pas examiner de très loin comment se
I
présente toute la c6te occidentale de 1'~frique. Je ne
1 '
puis, du moins dans cette phase d'identification et de

prise en compte des facteurs géographiques pertinents, se-

garder encore de plus haut, comme d'un satellite, toute la

carte de l'Afrique. Cela ne m'intéresse pas non plus de

regarder la Terre à partir de Sirius, et de dire, détaché,

qu'elle est ronde et convexe. Ce qui est pertinent c'est la

côte, ou plus exactement la portion de côte de chacun des

deux Etats qui demandent la détermination de leur frontière

en mer. Il faut envisager et retenir ces littoraux telsqu'ils sont en configuration réelle, avec ce qu'ils ont et

rien que ce qu'ils ont.

1
101. Pour toutes ces raisons,'je ne ferai usage, dans

toute la mesure possible, que des données brutes de la na-

ture en recourant au strict minimum aux extrapolations de

l'homme. Je ne voudrais ici, en particulier, nullement uti-

liser les lignes de base droites sur lesquelles les deux

Parties ont savamment et longuement discuté.

102. Si je m'en tiens à cette ligne de conduite de re-

cherche équitable des facteurs g%ographiques je constate ce

qui suit:

Tout d'abord un regard global sur les deux pays montre

que la situation ici est un mélange de banalité et de forte

originalité à la fois. Le Senégal et la ~uin&e-Bissau sont

deux Etatç limitrophes, dont la position géographique l'un

à l'egard de l'autre gtablit un r'apport d'adjacente entre

eux et appelle donc une délirnitatioh latérale.

Mais l'un de ces deux Etats limitrophes, le ~énégal, a

la quadruple particularité

i) 'de possgder un littoral à configuration "banale"

surtout a,u sud, où la côte est redtiligne de manière frap-

pante; ' ii) d'avoir un Etat tiers en vis-à-vis, le Cap-Vert, à

une distance inférieure à deux fois 200 milles;

iii) de posséder un littoral interrompu par un autre

Etat tiers, la Gambie, avec lequel il a conclu en f 975 un

accord de delimitation maritime donnant comme frontières en

mer deux parallèles; et enfin

iv) de n'avoir produit aucun document pertinent

établissant que la délimitation ait eu lieu avec le

Cap-Vert à l'ouest et avec la Mauritanie au nord.

Le second Etat partie à la rése ente instance arbitrale,

la ~uinée-Bissau, a quant à lui la triple particularité

il d'avoir une fa~ade maritime qui est tout le con-

traire de la banalité, grâce d'une part, à ses côtes par-

ticulièrement échancrées et déchiquetées et, d'autre part,

la présence d'un grand "boucliert' d''îles conférant à

cette façade une convexité certaine;

ii) de posséder de ce fait une partie de ses c0teç en

tres partielle et très discrète opposition pas rapport 2

celles du Sénégal; et

iiij d'avoir obtenu par une sentence arbitrale du

14 février 1985, une frontière en mer avec la ~uinée--

Conakry constituée par une ligne brisée épousant un azimut

de 236".

103. Le littoral du sénégal a une configuration lissée

par les soins de la nature elle-même sur la majeure partie

de sa longueur. La côte ne connazt pas un dessin tourmenté. Elle n'éclate pas en îles, îlots et rochers. La partie per-

tlnente de cette côte à prendre en' consid&ration en la pr&-
I
1 sente affaire est celle limitge au' sud de la Gambie. Cette

démarche me parait entièrement justifiée à ce premier sta-
~
de, o; doit prévaloir l'approche micro-dimensionnelle
~ tenant compte des longueurs de cetes pertinentes,
l
c'est-à-dire de celles qui, en toute équité, possèdent un
~
pouvoir générateur de zones de plateau continental sans riç-
~
que d'entrainer un effet d'enclavement, un butoir ou un
~
écran pour d'autres langueurs de côtes, ou une divergence
I
~ trop injustifiée. De ce point de vue, la côte sénégalaise
de Casamance me constituer équitablement le littoral

"pertinent" aux fins de la présente délimitation. Ce lit-

toral pertinent de Casamance est pratiquement rectiligne et

"poli", à une exception près, cePlle de la &te allant du

Cap Roxo au Cap Skixring, qui n,'est dkilleurs que de 5

milles. LI nature vient ici au sedours de l'homme, qui n'a
pas besoin de recourir à des extrapolations hasardées pour
l
déterminer tant La direction générale de cette côte per-

tinente que sa longueur. Le sénéga:l a &té doté là par cette

nature d'un littoral qui n'est ni convexe ni concave mais
bien rectiligne et épousant une direction ggnérale prati-
l
quement nord- sud, d'azimut 358 environ, à dire d'expert
1
indépendant qui lui trouve une longueur de 44 milles. 1 04. Dans toute opération de délimitation,qu'elle soit

frontale ou latérale, la jurisprudence internationale ne

prend en général en considération que les longueurs de

&tes "pertinentes1'. Elle écarte les portions de &tes géo-

graphiquement &ranggres à l'opération de délimitation à ef -

fectuer (19) .

(19) En vérité la jurisprudence internationale offre
une gamme complète de solutions, depuis la prise en compte
d'une portion seulement du littoral de chaque Partie,
jusqu'à l'invocation des longueurs de côtes d'~tats tiers
(voisins), en passant par la prise en considération de la

totalite des cotes des deux Parties au différend. Mais il
s'agit, pour les deux dernieses hypothèses, de cas
d'espgce; seule me parait être d'une solide permanence
jurisprudentielle le recours à la notion d'une partie
qualifiée de "pertinente1'. des &tes des deux Etats
litigants. La totalité de la longueur du littoral des deux
Parties a été retenue par le Tribunal arbitral des deux
~uinge, depuis le Cap Roxo jusqu'à la pointe Sallatouk,
parce que "les parties ont fondé leur argumentation sur le
littoral ainsi entendu" (paragraphe 92 de la sentence du 14
février 1985). Le même Tribunal arbitral est même allé

au-delà en intégrant les longueurs de côtes d'stats voisins
parce qu'il était préoccupé de répartir en toute &quité le
facteur de la "divergence", et il a forgé le concept de
"littoral long" qu'il a opposé à celui de "littoral court".
11 négligeait ainsi le point de vue du juge Koretsky selon
lequel "les considérations 'macro-géographiques' n'ont
absolument aucune pertinence, sauf dans l'hypothèse
improbable eÙ l'on souhaiterait redessiner la caste
politique d'une ou de plusieurs régions du monde" ( C.I.J.,
affaire du plateau continental de la mer du Nord, Recueil
1969, p. 162). Il me parait cependant légitime de recourir,
en tant que de besoin, à la macro-géographiei mais
seulement a posteriori et à titre de simple vérification du
caractère équitable du réçultat obtenu par la
micro- geographie des côtes "pertinentes", et encore
seulement lorsque les circonstances peuvent s'y prêter.

Ckest à ces conditions que ce double champ de vision
successif serait valable.
Dans beaucoup d'autres affaires, c'est la notion logique de
cotes "pertinentes" qui est appliquée par la jurisprudence
internationale. 11 suffit de citer lkaffakre de
délimitation du plateau continental Malte-Libye (C.I.J.
Recueil 1985) ou encore celle du plateau continental
Tunisie-Libye (C.I.J. Recueil '1982, paragraphes 131 et
132). 105. Je reviendrai plus loin plus complètement sur cet-

te question lorçqu'il faudra vérifier le caractère équi-

table d'une delimitation par la prise en compte du rapport

de proportionnalité entre les longueurs de côtes et les sur-

faces maritimes attribuées. Je me borne pour l'instant aux

remarques ci-apses. Dans l'affaire de délimitation du pla-

teau continental entre Malte et la Libye, un conseil de

Malte avait développé une thgorie quaLifige de "projection

radiale" ou multidirectionnelle des &tes de Malte pour

faire valoir en l'espèce considérée la majeure partie de la

longueur des c8tes de Malte face à celles beaucoup plus

étendues de la Libye. Ecartant sans hésitation cette théo-

rie de la projection tous azimuts des côtes, La Cour a rete-

nu les parties des côtes maltaises qui font strictement

face 5 celles de la Libye. A la théorie de la projection

multidirectionneLle, elle a préféré celle de la projection

frontale. Il en va de même lorsq,u'il s'agit d'une délimi-

tation latérale concernant deux Etats limitrophes dont la

Cour ne prend que les longueurs des parties de côtes adja-

centes qu'elle estime "pertinentes", c'est-à-dire néces-

saires à l'opération de délimitation. La relation géogra-

phique entre les côtes de deux Etats ne peut être généra-

trice d'un rapport juridique créateur d'espaces maritimes

que si cette relation géographique est possible. Or elle ne

peut l'stre que si elle est établie entre des parties de

côtes aqpropriées ou pertinentes; Dans une délimitation

entre la France et l'Italie oui l'Espagne, le juge ne prendrait pas en considération la longueur de toutes les

estes françaises, celles de la Manche et de 1'~tlantique

comprises. Il n'existe pas de relation géographique

créatrice de droit entre ces deux dernières et les côtes

méditerranéennes de l'Italie ou de 1'~spagne. Elles sont

étrangères les unes aux autres. De plus, le juge ne

retiendrait même pas toute la longueur de la côte franqaise

en ~gditerranée, mais plus sûrement La longueur des côtes

I du Golfe du Lion pour une d6limitation avec 1'~spagne, et

I celles des cztes du Golfe de Gênes pour une délimitation

I avec l'Italie.

106. Mais au surplus, dans la présente affaire, la dg-

limitation faite entre la Gambie et le Sénégal crée une si-

tuation juridique très particulière,décrite déjà ci-dessus

et aboutissant à l'existence de deux espaces maritimes dis-

tincts relevant du Sénégal. Seul le littoral sénégalais de

Casamance générateur dkn espace maritime et d'un plateau

continental dans la partie sud concerne la présente affai-

re. La délimitation sénégalo-gambienne constitue une cir-

constance établissant une rupture dans l'ensemble du litto-

ral sénégalais dont le juge ne saurait éviter de tenir

compte. On ne peut établir de relation entre les cetes &né-

galaises, au nord de la Gambie et les côtes de la

~uinée- Bissau, mais seulement entre ces dernières et les

côtes sénégalaises au sud de la Gambie qui leur sont adja-

centes. Cette rupture est "incontournable". 107. Il sera enfin observé au passage que le ~énégal ne

pouvait pas emporter la conviction dès lors qu'il a demandé

la prise en compte de la longueur de l'ensemble de ses

&tes, alors que dans le même temps il a proposé au Tribu-

nal de retenir un tronçon Long de 5 milles entre le Cap

Roxo et le Cap Skiriring dont l'influence dans le cadre

d "ne ligne d'équidistance se serait fait sentir jusqu'à

200 milles au large, rendant ainsi nulle toute autre in-

fluence du restant de la côte s&n'&galaise dont il revendi-

quait la prise en compte.

108. Quant à la Guinge-~issau, elle offre en revanche à

la vue du géographe, de l'expert et du juriste, un littoral

dont l'originalité est assez marquée pour ne pas passer

inaperçue. Le littoral de ~uinée- Bissau , avec ses grandes

îles, ses ilots, ses rochers et ses fragments de masses ter-

restres, a la particularitg incontestable d'avancer dans la

mer. C'est un "bouclier" terrestre tenu par un gigantesque

Neptune face aux flots. Cet ensemble d'?les est consub-

stantiel à la masse terrestre et 'constitue une partie du

littoral 5 de nombreux endroits submergé par les eaux. La

mer a envahi la terre en laissant visibles des parties de

ce littoral sous forme d'îles. S'il: existe une caractéristi-

que très frappante, c'est bien en lce pays la présence des iles. c'est ce qui identifie et singulariçe la ~uinée-

l Bissau. La capitale de cet Etat est elle-même située dans
I
une ile et le nom du pays est lui-même emprunté à une ile.

~'inçularité d'une partie de la Guinée-~issau, dont la ca-
1
pitale, constitue bien une circonstance pertinente comme

rarement c'est le cas. De plus il existe une relation si

étroite entre la mer et la terre, une telle intimité entre

elles, que l'on ne sait plus distinguer le bras de mer du

bras de terre. L'expressionde Saint-John Perse 2 propos de
l la presqu'ile de Giens, endroit privilégié oc "la terre ac-

compagne l'homme 5 la mer1', s'applique parfaitement à la

l ~uinée- Bissau.

109. Si par la pensée l'on découvre un instant ce terri-

toire des eaux qui Le submergent, l'on s'aperçoit que la

terre ferme se continue en une pente très douce de 0,4%,à

raison donc de 4 mètres par kilomètre, jusqu'à une distance

de de 100 km vers le grand large. Enlevons, toujours

par la pense@, cette mince pellicule d'eau et l'on s'aper-

çoit alors que le pays possède un prolongement qui mérite

pleinement ici d'être qualifié de "naturel". La façade mari-

time de ~uinée-~içsau n'est pas composée d';les lointaines,

isolées de la terre et éloignées les unes des autres. La

réalité montre au contraire que ces îles constituent une

avancée du territoire terrestre sur la masse duquel elles

sont chevillées. Toutes ensemble elles figurent le socle

terrestre 6mergé, après inondation du continent. Ellesconnaissent une faible profondeur (d'eau, moins de 20 mètres

pour certaines et moins de 10 'mètres pour la plupart.

Certaines iles toutes proches du continent, comme celle de

Bolama, sont telles que les animaux peuvent les atteindre à

marée basse, comme l'a fait remarquer le Président Grant

des Etats-Unis dans sa sentence arbitrale du

21 avril 1870 (20)
1

11 0. Quand j 'essaie d'enlever par la pensée cette mince

pellicule d'eau pour découvrir ce spectacle de la nature,

en fait je n'ai pas besoin de le, faire; la nature Le fait

tous les jours pour moi. Le phénomène de la marée montre

cette intimité extraordinaire entri la terre et la mer puis-
2
que 8.000 km , c'est-à-dire un quart du territoire terres-

tre de la Guinée-Bissau, sont tous les jours découverts et

recouverts par la mer dans un flux et reflux incessants. 11

est rare de trouver un pays comparable dont le quart du

territoire disparaTt tous les jours pour ressurgir ensuite.

On ne peut trouver une circonstance plus pertinente que ce

bouclier d'îlesd'une Guinée "semi-insulaire",

111. Il n'est donc pas possibl'e de gommer ces îles qui

constituent Le vrai littoral de la ~uinée-~issau. Si en

effet la façade maritime est toute terre qui borde la rn-er,

et si le littoral est la limite de la terre ou le lieu de

(20) Moore, History and ~l~est:of International Arbitra-
1 Washing-
ton, 1898, vol. II, p. 1921.jonction ou de contact de la terre avec la mer, c'est bien

alors ce bouclier dense composé d'une multitude d'?les,

c'est cette gigantesque patte d'oie, ou ces hippopotames

assoupis dans l'eau, qui constituent le littoral de la

Guinée-Bissau. Celle-ci n'est pas du tout un Etat archi-

pélagique au sens où l'entend la Convention de Montego Bay

ou au sens géographique commun; mais elle est sûrement un

Etat semi- insulaire, dont les iles revêtent une grande im-

portance pour la détermination de la courbure de la façade

maritime de ce pays, de la direction générale de celle-ci

et de la longueur de son littoral.

11 2. En conséquence le fait géographique ainsi consi-

déré, et ne pouvant l'être autrement, confere à la façade

maritime de la ~uinee-~issau une forme incontes-

tablement convexe. La longueur du littoral guinéen, en

tenant compte des ikes et selon une méthode pondérée, est

de 754 milles à dire d'expert indépendant.

11 3. Mais les données de la nature, à prendre normale-

ment en compte dans une délimitation, ne se ramènent pas

exclusivement à celles livrées par la géographie c6tière

des deux parties au prgçent diffgrend. Faut-il retenir pour

examen les donnees géologiques et géomorphologiques commeéléments pertinents aux fins de la 'délimitation? Sur cette
1
question, ma repense, articulee en deux temps, s'alimentera
8 -
aux considérations théoriques qui ont, à la suite d'une ra-

pide évolution, négligé le recours1 aux solutions décryptées

dans les plis et replis mystérieux des sites géologiques et

géomorphologiques, puis, dans un second temps, aux considé-

rations purement pratiques qui, en l'espèce, montrent que

ces facteurs géologiques et autres'ne sont d'une pertinence

que très limitée et tout compte fait d'aucun secours pour

l'approche d'une solution.

114. L'idée de "limite naturelle", constituée par des

montagnes, des cours d'eau, ou divers accidents caracté-

ristiques de la nature, n'a jamais pu s'imposer aux Etats

pour la délimitation de leurs fronti&es terrestres alors

même que cette limite est visible à l'oeil nu. Il est dou-

teux que la science juridique accepte pour les espaces mari-

times ce qu'elle refuse pour les espaces terrestres, et

donne droit de cite à des "limites naturelles" constituées

par un accident géologique important et significatif alors

qu'une telle limite, elle, n'est même pas visible à l'oeil

nu. L'homme qui a toujours boudé le relief terrestre pour-

tant visible, ne pouvait que bouder davantage le relief

sous-marin qui échappe à sa vue. '

115. c'est peut-Etre la notion de "prolon-

gement naturel" a çi mal résisté 5 ,la poussée du concept de"distance" qui tend à occulter les facteurs géologiques et

g~om~r~hologiques. C'est aussi pourquoi le juriste possede

une définition juridique du plateau continental assez af-

franchie de celle du géologue ou du géographe. C'est encore

pourquoi les facteurs géologiques et g~omorphol.ogiques re-

vêtent une importance quasiment nulle dans la pratique

conventionnelle des Etats (21'. C'est enfin pourquoi la

jurisprudence. internationale n'a tenu compte ni de la

"fosse norvégienne'' (C.I.J., plateau continental de la mer

du Nord, Recueil 1969, paragraphes 4 et 451, ni de la

"fosse centrale" (Tribunal franco-britannique pour la mer

d'Iroise, 1937, paragraphe 1071, ni du "sillon tripolitain"

CI.., plateau continental Tunisie/Libye, Recueil 1982,

paragraphe S6), ni du "chenal nord-esttr IC.I.J., délimita-

tion dans le Golfe du Maine, Recueil 1984, paragraphes 51

et 561, ni enfin de la "rift zone" ou "zone d'effondrement"

(C.I.J., plateau continental Malte/~ibye, Recueil 1985).

116. Mais il convient tout aussitôt d'observer qu'au

stade actuel d'évolution du droit -de la mer et de la

jurisprudence internationale correspondante, il serait sans

doute hasardeux d'affirmer que les facteurs géologiques et

g~omorphologiques ont complètement perdu toute pertinence

(21) L'accord de délimitation entre la Colombie et la

~épublique dominicaine n'a pas pris en compte la fosse
d'Aruba pourtant profonde de 4.600 mètres; la prodigieuse
"fosse des Caymans" (profonde de 2.900 m, longue de 1.700
km et large de 100 km) ne semble pas avoir beaucoup çomptg
dans l'accord Cuba- HaYti.et ne sont d'aucune conséquence juridique. La

jurisprudence de la Cour en l'affaire du plateau contlnen-

ta1 de la mer du Nord de 1969 et celle du Tribunal arbitral

de la mer d'Iroise de 1977 ne sont peut-être pas assez

nettes sur ce point. Mais dès l'affaire TuniçieJLibye

(C.I.J., Recueil 1982, paragraphe 801, et celle du Golfe du

Haine CI., Recueil 19841, la Cour et l'une de ses

Chambres ont bien montré que si le "sillcxn tripolitain"

pour la première ou le "chenal noxd-est'' pour la seconde,

avaient l'un et l'autre marqué une solution de continuite

certaine, elles auraient consid &ni! ce facteur geologique

comme pertinent. Ainsi la jurisprudence internationale n'a

jamais indiqué express6rnent que ces facteurs géologiques

doivent être toujours écartés dans lkbsolu et quelles que

soient les circonstances. Le fait que la jurisprudence

n'ait pas tenu compte de la géologie s'explique semble-t-il

non pas par la non-pertinence en soi de ce facteur, mais

par l'insu£ fiçance des preuves scientifiques avancées dans

tel ou tel cas d'espèce. C'est l'absence de tel phénomène

géologique pertinent, ou le caractère douteux de sa

présence, qui a entrainé la jurisprudence à ne pas tenir

compte de la géologie.

117. Dans l'affaire ~unisie~~ibye, la Cour internatio-

nale de Justice est même allée jusqu'à dgclarer qu'elle

"n'exclut pas forcément que certaines conf igurationç géo-

morphologiques du fond de la 'mer ne constituant pasvraiment des interruptions du prolonqement naturel d'une

partie par rapport au prolongement naturel de l'autre,
-
puissent neanmoins être retenues aux fins de la

délimitation comme circonstances pertinentes, propres à la

région" (C.I.J., Recueil 1 982, paragraphe 68, p. 58).

II8. En v&rit& la Cour, qui a pour fonction d'appliquer

et non pas de créer le droit, n'a pas décidé elle-même de

l'eclipse des facteurs géologiques, due plutôt à l'action

du législateur international. Le destin des facteurs géolo-

giques est nécessairement Lié à celui du concept de prolon-

gement naturel. Or la Convention de Montego Bay du 10 décern-

bre 1982 a reconnu le titre juridique de I'Etat côtier sur

son plateau continental par la mise en oeuvre d'un concept

de "distance", venu s'ajouter, et parfois se substituer, à

celui de ''prolongement naturel". Si la Convention de 1982

n'a nullement négligé le concept de "prolongement naturel"

(son article 76 s'y réfère des le premier paragraphe), elle

n'en a pas moins introduit spectaculairement un autre cri-

tère, celui de distance.

11 9. Le relatif effacement du concept de prolongement

naturel par rapport à celui de distance ne pouvait

qu'entraîner l'éclipse des considérations géalogiques et

morphologiques. La Cour internationale de Justice qui mit

en avant, dans son arrêt de 1969 en l'affaire du plateau

continental de la mer du Nord, la notion de prolongementnaturel, l'a tenue elle- même pour un principe essentielle-

ment relatif. L'absence de corncidence entre la notion

juridique de plateau continental et sa réalité physique,

l'absence de lien impératif et né,ceçsaire entre le fonde-

ment du titre de 1'Etat cotier sur son plateau continental

et les principes de délimitation, ie fait que la Cour a le

devoir de faire triompher l'équité comme résultat plus que

le principe du prolongement naturel qui parfois n'y con-

court pas, et enfin les nouvelles tendances du droit de la

mer exprimées dans les articles 76 et 83 de la Convention

de Montego Bay, ont contribué à ,ce relatif effacement de

l'institution du prolongement naturel et, par voie de consé-

quence, des facteurs géologiques etl géamorphologiques.

120, Je n'ai pas observé de dl&saccord fondamental sur

le plan théorique entre la ~uinée-~issau et le Sénégal au

sujet tant du concept de prolongement naturel que des fac-

teur s géologiques et g&omorpholog~gues. Minimisant plus ou

moins ou négligeant peu ou prou les considérations théori-

ques et analyses jurisprudentielles évoquées ci-dessus, les

deux Parties se sont laissées entrainer l'une et l'autre à

recourir à la géologie. Sur la légitimité de ce recours aux

facteurs physiques sous-marins ainçi que sur la place de la

notion de prolongement naturel, elles s'accordent 1Contre-

mémoire, paragraphes 31 9 et 322; ~gplique, pp. 286- 2873.

Mais chaque Partie a tenté de déduire de ces caractéris-

tiques physiques de la zone des éléments favorables à sathèse. Selon la Guinée-~issau, la structure et les sédi-

ments des fonds marins de la région donnent aux failles gui

s'y trouvent une direction est- ouest qui justifierait une

ligne de délimitation d'azimut 270' entre les espaces mari-

times des deux Etats I~éplique, p. 287; PV 5, pp. 153-1541.

Mais pour le ~én&gal le relief et les structures géolo-

giques des fonds marins de la region donnent une direction

nord-est (contre-mémoire, paragraphes 319 et 322; ibid.,

paragraphes 19 49 et annexes 7 et 8; Duplique, para-

graphes 434-454, PY II, pp. 153, 154/60, 161 et 251).

121. Je ne peux suivre aucune des deux Parties sur ce

terrain-là. D'abord pour les raisons que j'ai indiquées

ci-dessus et qui montrent assez, 2 la suite de l'analyse de

la jurisprudence internationale, une relative défaveur à

l'ggard du relief et des structures des fonds sous-marins.

"La géographie oui, La geologie non". Et ensuite parce que,

de l'avis même des deux Parties, la ggalogie sous-marine de

la région ne connalt pas d'accidents exceptionnels et ma-

jeurs. La ~uinée-Bissau a reconnu que "ces failles ... =

sont pas importantes", même si elles sont "non négligea-

bles". Les différenciations géologiques ou morphologiques

des fonds marins devant le s&négal et la ~uinée-~issau ne

se révèlent pas suffisantes pour constituer des limites

naturelles pour leurs domaines maritimes respectif S. On ne

perdra pas de vue non plus le fait qu'il ne s'agit pas en

l'espèce de délimiter seulement le plateau continental,mais de tracer aussi avec une limite Latérale unique, la

ligne divisoire établissant la zone économique exclusive,

pour laquelle la structure géologique ou géomorphologigue

des fonds marins est strictement sans pertinence. C'est

tout au plus si les indikateurs géologiques ou

géomorphologiques, pour aussi ,discrets qu'ils soient,

peuvent constituer des élgrnents complémentaires de vérif i-

cation a posteriori du caractere équitable de la dglirnita-

Lion obtenue par la combinaison d'autres facteurs.

122. Il convient 5 prgsent de 'songer à une méthode de

délimitation permettant d'obtenir i une ligne, c'est-à-dire

de faire 'une construction intellectuelle qui, appliquée aux

facteurs pertinents déjà identifiés, produirait une solu-
1
tion équitable. R la différence d'une règle, une mgthode

n'est par définition pas obligatoire.

Si la vise le lien ,juridique existant entre

le dessin de la façade maritime dl'un Etat et les surfaces

maritimes engendrées par celle- cb, la manière classique

d'appliquer la rggle de la proximité est de faire appel

tout naturellement à la méthode ,de l'&quidistance. Aucun

point de, la ligne obtenue par ce 'mode de délimitation ne

doit etre plus proche de la côte d'un Etat que de celle de

l'autre Etat, sur toute la longueur :decette ligne. Mais les lignes de base choisies par les Parties

peuvent devenir en l'espèce assez determinantes. Si l'on

choisit par exemple l'une des trois lignes de base de la

Guinée-Bissau et qu'on la rapporte à la ligne de laisse

normale du Sénégal, on obtiendra, selon la ~uinée-~issau,

non pas une mais trois lignes d'équidistance et le résultat

en serait 20.900 km2 de différence entre les cas extrêmes

IPV 6, p. 183).

1.23. Par ailleurs, la méthode d'équidistance risque en

l'espèce de produire certains effets ttpervers''. Par exemple

si l'on calculait les distances à partir du rivage continen-

tal sans tenir compte de l'existence des :les Bijagos qui

forment un vaste archipel, on méconnaitrait la forte réalî-

té géographique de la Guinée-Bissau. En revanche le fait de

traiter comme un point de la cÔte un îlot isolé et éloigné

de l'archipel peut comporter l'inconvénient de crger un

littoral fictif. Si l'on s'appuie sur un saillant de la

côte très proche du point de départ de la délimitation mais

qui s'écarte de la direction gén&rale de la côte, on crée

aussi un littoral fort éloigné du réel. C'est ce qui se

produit avec le pr.omontoire formé par le cap Skirring qui

joue le rôle d'un butoir dans le mécanisme de liequi-

distance et empêche la ligne obtenue d'exprimer tout le

dessin de la cÔte cachée par ce butoir. Ainsi la cÔte du

s6négal ne serait prise en compte que pour 5 milles

(distance entre le cap Roxo et le cap Skirring) alors quela ligne d'équidistance est censée avoir effet jusqu'à 200

milles. Et si l'on prend des points saillants proches l'un

de l'autre pour déterminer des points d'équidistance, la

position de ces derniers devient de plus en plus incertaine

à mesure que l'on s'éloigne de la côte, ce qui risque

d'aboutir à des marges d'erreur considérables. Une ligne

d'équidistance jusqu'à 200 milles risque d'être très

inéquitable si elle est prédéterminée par la prise en

compte des points du cap Skirring et du cap Roxo situés

seulement à 5 milles l'un de l'autre.

Bref l'équidistance, qui n'est pas du tout en soi

inéquitable, aboutit, à partir d'une certaine distance de:

la c6te, 50 à 100 milles, à une indétermination qui rend

arbitraire le tracé ae la ligne avec tous les risques

d'iniquité (~gplique, p. 304). Comme au surplus le méca-

nisme de, son tracé ne prend en compte que certains points

critiques du littoral, ourlets ou saillants de la côte,

elle n'assure pas l'équité dans les surfaces attribuées.

124. Etant donné ces inconvénients et quelques autres

de la méthode d'équidistance en l'espèce, la ~uinge-~issau

a suggéré l'application d'autres modes de delimitation,

dont l'un est celui de La "courbe médiane". Celle-ci a &te

définie par des points en mer situés à la même distance

curviligne du point frontière que les deux points associ&s

sur chaque littoral et à égale distance de ces deux points{~émoire, p. 225). Elle aurait le m&rite "de franchir

l'opacité des points butoirs", de rester "insensible aux

accidents de la ligne de rivage quels qu'ils soient1' et de

"prendIrel en compte tout le littoral de chacun des deux

pay ç voisins" (ibidl. Cette méthode produirait, selon la

Guinée- ~issau, une ligne d'azimut 264'.

125. Le senégal considsre que cette méthode peut se

révéler utile dans des situations très complexes, mais

qu'elle ne serait pas adaptée 2 des configurations simples

ou caractéris6es par les lignes de base droites. 11 la

tient pour "parfaitement arbitraire" car son résultat

dépendrait de la distance choisie entre d'une part le point

d'aboutissement de la frontière terrestre (cap Roxo) et

d'autre part les points de construction sur les lignes de

base. Ainsi le résultat de la méthode serait tributaire de

la ligne de base utilisée par la ~uinée-Bissau et contest&e

par le Sénégal. Celui-ci ajoute que la courbe médiane

proposée par la Guinée- Bissau donnerait "une frontière

complète qui serait construite pour sa grande partie sur

deux éléments géographiques seulement: c6té ~énégal, un

tronçon de cote très voisin de la frontière sud de la

Gambie; côté Guinée, les seuls bancs du Rio Grande. Dans

les deux cas un butoir parfait qui masque complètement La

géographie des deux pays" (PV 12, p. 184).méthode d'une part l'effet très réduit qu'elle donnerait au

segment Cap Roxo-Cap Çkirrîng et d'autre part la prise en

compte intégrale des lignes de balse droites guinéennes du

17 mai 7985 joignant le cap Rexo aux bancs du Rio Grande

(PY 12, p. 21 3; contre-~grnoire, paragraphes 447/448; Du-

plique, paragraphe 433).
,

126. L'expert du Tribunal a analysé la méthode de la

courbe médiane et son application à l'espèce. Les résultats

de cette méthode. paraissent dépendre assez largement des

distances retenues. En d'autres termes, la methode semble

un élément de subjectivité. ~ppliquée à des

lignes de côtes rhelles, elle peut, selon les intervalles

choisis, profiter 5 l'une ou à l'a'utre Partie. De surcroît,

s'il s'agit de lignes droites (lignes de base ou direction

générale ,de la cote), le recours s'cette méthode devient un

cas particulier d'application 3e l'équidistance consistant

à prendre la bissectrice de l'angle formé par les lignes

considérées. La mgthode proposée ni Glimine pas entièrement

ni ne corrige en l'espèce les effets négatifs qu'aurait

l'application de l'équidistance classique.

127. Une seconde méthode proposée par la ~uinée- Bissau

est celle de la "courbe de la distance moyenne" qu'elle

définit ainsi: "en chaque point e'n mer on calcule toutes

les distances à l'ensemble des points visibles du littoralet on en prend la valeur moyenne; la courbe sera le lieu

des points d'égale distance moyenne" (~émoire, p. 225).

Cette méthode donnerait, selon la ~uinée-~issau, une Ligne

d'azimut 265'.

Le sénégal admet que cette méthode permet de corriger

deux effets pervers de la methode classique d'équidistance:

le premier est que dans certains cas la totalité d'une fron-

tisre maritime peut être conditionnée par un nombre minime

de points sur la côte d'un pays donné, voire par un seul

point; et le second est que l'équidistance peut conduire à

attribuer à des iles un poids disproportionné leur impor-

tance (contre- ~émoire, paragraphe 366).

128. Le ~énégal reconnait aussi que la méthode proposée

ne privilégie aucun point de la côte, Mais il relève

qu'elle n'accorde pas à ces points une valeur équitable, ce

qui aboutit, selon lui, à des résultats inacceptables. Elle

pénaliserait notamment les Etats dotés d'une langue cote

visible et favoriserait les Etats ayant des côtes courtes.

Par ailleurs elle aggraverait les inconvénients de la

methode d'équidistance classique paur ce qui concerne les

?les, En fait, si la côte visible insulaire entrait en

ligne de compte, La distance moyenne serait écourtée du

côté de 1'Etat exerçant la souveraineté sur les iles

considérées et l'espace maritime masqué par les côtes

insulaires serait traité comme s'il s'agissait d'un

territoire émergé (Contre- ~Gmoire, p. 366). 129. Le senégal résume ci-laprès d'une façon plus

ramassée les griefs qu'il articule à l'encontre de la

méthode de la distance moyenne:

i) Elle ~rivilégie 1'~tat dont le littoral visible

est moins étendu;

ii) Elle llEtat daté d'îles situées à son

large. De plus, la Guinée-Bissau fait intervenir 5 la fois

le secteur d'une ?le visible d'un point en mer et son

secteur invisible ou son "ombre propre" (~éplique,

pp. 308-309), ce,qui a pour conçéquence de pousser vers le

nord les points situes en mer à égale distance moyenne;

iii) En au calcul d'e la la

Guinée-Bissau a tenu compte du s,eul littoral pertinent du

Sénégal, c'est-à-dire la Casamance, mais s'agissant en

re-.*che de l'application de la ,methode de la distance
1
moyenne, cette restriction disparait (PV 12, pp. 21 4 et

130. Dans sa réplique, la ~uin'ée-~issau a reconnu très

çimplement certains des incenvénients de la méthode de la

distance moyenne qu'elle a proposée: "participant d'une

recherche de proximité, la courbe de la distance moyenne

garde les défauts inhérents à toute introduction de diç-

tance au Littoral, notamment avec ses indéterminations

lorsque l'éloignement s'accroit, Aussi n'est-elle pas

proposGe au Tribunal comme po~~a,nt constituer en soi un

moyen de délimitation" (~éplique, p. 310). Compte tenu de1 cette déclaration et des inconvénients déjà signalés de

cette méthode, il n'y a pas lieu d'apprkcier ici plus avant
I
1 son utilité pour la présente espèce.

I

131. La ~uknée-~issau a proposé enfin une troisième

méthode de dglimitation, celle assez originale de "l'iso-

distance" (Mémoire, p. 226). Elle est expliquée comme suit.

"Selon la logique à la fois naturelle et juridique, le

littoral n'est pas une frontière mais une courbe de transi-

tion entre zones relevant de la meme juridiction. Le litto-

ral est là oii aujourd'hui le niveau de la mer s'ekt arrgte;

il a pu s'arrêter plus haut ou plus bas, il pourra le faire

dans des siècles. Le littoral n'est donc qu'une des

nombreuses courbes. Une ligne de &te n'est pas autre chose

qu'une courbe de niveau terrestre d'altitude zéro, c'est-à-

dire une isobathe zéro et n'a pas plus de signîflcation que

les autres courbes de niveau terrestres ou sous- marines"

/PV 6, p. 21 1). Compte tenu de cela, "ka courbe d'isodis-

tance se définit, à partir de la limite des eaux territo-

riales, comme la ligne d'équidistance des isobathes

successives ou bien comme .la perpendiculaire 2 ces iso-

bathes" (PV 6, p. 193). "Courbe dl&guidiçtance des lignes

littorales successives qui rgsulteraient d 'un retrait

progressif de llOci?an,l'isodistance fait la synthèse de la

méthode de l'équidistance et des caractères essentiels

actuels du plateau continental. au sens physique" {PV 6,

p. 194/200). L'isodistance intègre en somme les deuxcritères du prolongement naturel,et de la distance à la

côte IPV 6, p. 201).

132. Ainsi fondée sur le relielf sous-marin, cette tech-

nique semble contredire l'évolution du droit international

contemporain qui enregistre ke déclin des facteurs géolo-

giques et géomorphologiques et celui en particulier de la

notion de prolongement naturel. Mais cette méthode ne peut

pas être récusée en soi pour ce seul, fait. Le ~énégal

considère que "son originalité n'est égalée que par l'ab-

sence de tout fondement dans la pratique et la jurispru-

dence" IPV 12, p. 251). Mais le fait qu'une méthode niait

pas requ la consécration de la pratique des Etats et de la

jurisprudence n'est pas décisif car il s'agit précisément

d'une méthode encore neuve. Une (objection plus forte est

que l'isodistance semble ne pouvoir "s'appliquer qu '2 des

ggographies convenablement lissées ... dont tous les

éléments perturbateurs, gén&rateurs l d'effets pervers inéqui-

tables, ont été éliminés au préalable, par des procédés
1
nécessairement étrangers à la méthode elle-meme" (PV 12,

p. 201 1, "qui lui enlèvent donc route objectivité''(PV 12,

133. Ce panorama des méthodes de délimitation, de I'é-

quidistance et de ses versions améliorées (courbe médiane,

courbe d,e la distance moyenne et'courbe de l'isodistance)suggère l'impossibilité de prendre en compte aucune d'elles

en l'espèce.

134. Dans la présente affaire, il s'avère manifeste que

le facteur géographique Ye plus caractéristique est la-pré-

sence d'un large bouclier d'?les en ~uinée- Bissau. Celle- ci

s'est définie comme semi- insulaire, ou même comme amphibie

en raison de la remarquable intimité existant entre la

terre et la mer dans ce pays. Le probl&ne majeur est donc

de déterminer ce que l'équité peut recommander et produire

comme traitement pour ces iles. Cela revient à évaluer leur

importance exacte par rapport au domaine continental de la

~uinée- Bissau (super£ icie, population, activité économique)

et leur degré de rattachement (distance, terrain découvert

à marée basse, eaux saumâtres). Ces fles, dont la majorité

constituent un -ensemble traditionnellement dénommé

"archipel des Bija90ç" (arquipélago dos Bi-jag&s), sont en

fait déterminantes, comme on l'a déjà vu, pour

l'appréciation de la nature du littoral de Guinée-~içsau et

de la configuration générale de ses côtes. La Guinée-

Bissau ne serait pas ce qu'elle est sans les Bijagos. La

présence de l'archipel des Bijagos est déterminante en

l'espèce autant pour le calcul de la longueur des côtes que

pour l'établissement de la délimitation latérale. Quels quesoient la méthode ou le procédé, de delimitation que l'on

applique, il convient de tenir compte de ce trait essentiel

de la façade maritime de la ~uinée-Bissau constitué par la

présence de ces ?Les et pas leur lien étroit avec le conti-

nent, ce qui n'est pas sans conséquence sur l'établissement

de la direction générale de la côte de la ~uinée-Bissau.

135. Le Tribunal des deux Guinée a, quant à lui,distin-

gué trois catégories d':les:

i) les iles c&tières, proches de la terre ferme et

souvent reliées à celle-ci à marée basse, sont "considérées

comme partie intégrante du continent";

ii) les iles Bijagos, dont la plus éloignée est à 37

milles du continent et la plus proche 2 2 milles et: qui ne

sont jamais distantes de plus de 5 milles les unes des

autres; ,

iii) les îlots éparpillés plus au sud au milieu des

(221
hauts fonds
1

1 36. La troisième catégorie s'élimine d'elle-mgme en

lleçpèce. Tout ce qui existe au-delà de la grande île

d'Orango vers le sud ne peut avoir aucune influence sur la

présente délimitation. L'on ne retiendra ici que les deux

premières catégories. A leur sujet, il surgit cependant le

problème: de savoir jusquloÙ l'on ioit aller vers l'ouest au

(22) , Sentence du 14 février 1985, paragraphe 95.large et cela pose d'une part la question de la prise en

compte de l'ensemble dit "~aixos do Rio Grande" (hancs du

Rio Grande, avec leurs hauts fonds dgcouvrants, leurs

rochersl leurs autres éléments naturels et leur phare) et

d'autre part de l'île dl~nhocomo avec sa pointe extrgme

sud-ouest a'~nqueiêramedi. La ~uinée- Bissau a plaidé pour

la prise en compte des bancs du Rio Grande et du phare,

arguant du Sait que sans cela la ligne des 240' paraîtrait

inéquitable parce qu'elle serait plus proche de ces bancs

que de la c6te sénégalaise.

137. Les deux Parties se sont très longuement expli-

quées sur les "Baixos do Rio Grandei1, lorsgu'elles ont fait

valoir chacune son système de lignes de base. Le droit de

La mer permet à certaines conditions l'utilisation de hauts

fonds découvrants comme point d'appui pour des lignes de

base. Selon l'article 33 de la Convention de Montego Bay

qui définit le haut fond découvrant, la laisse de basse mer

sur un tel haut fond peut être prise comme ligne de base si

ce haut fond se trouve entièrement ou en partie à une dis-

tance du continent ou d'une île câtière ne dépassant pas la

largeur de la mer territoriale, soit 12 milles. Or la

distance existant entre ce phare (installé sur ce haut

fond) et l'?le de Caravela, ?le &tigre comme l'a indiqué

le Tribunal arbitral des deux ~uinée~ est de 11,3 milles. 138. article 7, alinéa 4, ae la même Convention de

1982 sur le droit de la mer prescrit que les hauts fonds

decouvrants ne doivent pas être utilisgs comme extrémités

ou points d'appui de lignes de base droites "à moins que

des phares n'y aient été construits". Le Sénégal considère

qu€2 les lignes de base droites adoptées par la ~uinge-

Bissau par sa loi du 77 mai 1985, ne lui sont pas oppo-

sables principalement ratione temporis, d'abord parce

qu'elles sont postérieures au compromis du 72 mai 1985 par

lequel la Guinée-Bissau et le Sénégal ont constitue et

saisi le tribunal de ceans, et ensuite parce qu'elles re-

posent sur un haut fond découvrant qui, au moment de leur

établiççement, ne comportait ni phare, ni installation si-

milaire.

\
139. Il est certain que le projet de construire un

pha,re sur les bancs du Rio Grande date de la fin des années

cinquante, que ce projet a été évoqué au cours des

n6gociations franco-portugaises de 1959 (rapports du

capitaine de Boavida), et que le phare a été finalement

construit par les autorités de Guinge-~issau en 1984,

c'est-à-dire avant la date du compromis et avant la loi du

17 mai 1985 par laquelle la Guinée-Bissau a défini a

nouveau ses lignes de base. L'une des fonctions d'un

compromis est d'empêcher les "parties de modifier

unilatéralement et à leur profit une situation existante.

La loi guineenne du 17 mai 1985 n'a pas à proprement parler

modifié la situation 5 l'avantage de la Guinée-Bissau encréant un droit. Celui-ci a été créé antérieurement,

lorsgu'en 1984 la ~uinge-~issau a installé le phare, et

cette installation était destinée, depuis 1959 déjà, 5

permettre de prendre les bancs du Rio Grande comme point

d'appui d'une ligne de base droite. Au surplus, s'il

fallait écarter les lignes de base établies en 1985, on

retomberait sur celles qui avaient été construites en 1978

et gui sont encore plus favorables à la ~uinée-Bissau.

140. Mais quoi qu'il en soit, et quel que soit le

bien-fondé de la position de la Guinée-Bissau en ce qui

concerne les bancs du Rio Grande, il ne me parait ni

nécessaire ni approprié de poursuivre l'examen des

arguments échangés par les Parties à propos de leurs

systèmes de lignes de base respectifs. avais plus haut

pris le parti d'éviter de recourir chaque fois que cela est

possible aux constructions de l'homme à partir des données

de la nature. Et les systèmes de lignes de base, produit

des artifices humains, ont donné lieu, un peu partout, à

des pouss6es vers le large déplorées par la doctrine et

prises en compte seulement en partie par le nouveau droit

de la mer.

141. Reste Le problème de l';le d'llnhocomo, "senti-

nelle avancée de l'archipel des Bkjagos" selon 1'expression

d'un repréçentant du ~énégal (PV 12, pp. 205/210). C'est

une ?le assez exiguë et relativement Gloignée de la côte,de sorte que sa prise en considération ne se recommande pas

avec une force particulière.

142. 11 convient à présent d'indiquer quel effet

l'équité imposerait de donner aux îles. di urée des îles,

la direction générale des côtes est calculée

comme étant de 132", mais cette estimation n'est pas équi-

table car elle ne tient pas compte des îles et la ligne

obtenue pour cette direction générale va jusqu'à exclure

Bissau, la capitale de 1'Etat située dans une ?le derrière

laquelle passerait cette direction générale des côtes. Une

orientation générale de la côte tenant compte des :les les

plus pertinentes (Caravela à sa pointe extrême sud-ouest

d'~cudama, Uorno, et Orango à sa pointe extrême sud-ouest)

donnerait' une orientation générale de la côte guinéenne de

160°.

143. Ainsi si l'on écarte, conime indiqué ci-dessus,

les iles du sud de l'archipel des (Bijagos, de même que la

petite ?le d'unhocomo à l'extrême ouest de cet archipel, la

direction générale du littoral de la Guinée-Bissau est

donnee par la ligne d'azimut 160" tracée du cap Roxo

jusqu'à la pointe dl~cudarna qui : est le point le plus

occidental des îles principales de l'archipel. Une telleépure permet d'éviter de donner une importance inconsidérée

à l'?le exiguë et désolée d'unhocoma. Quant à la direction

générale de la côte continentale de la ~uinée-~issau, elle

peut être représentée par la ligne partant du cap Roxo vers

le rivage de l':le de Catunco située au nord du Rio

Cumbija. Cette direction ggnérale de La c8te jusqu'à

l'extrémité sud des principaux éléments de l'archipel des

Bijagos est reprgsentée, comme cela a &tg déjà indiqué, par

un azimut de 132'.

144. Le senégal a soutenu que la tendance actuelle de

la pratique des Etats et de la jurisprudence internationale

est de n'accorder qu'un effet partiel aux territoires insu-

laires. Le Tribunal franco- britannique pour la délimitation

en mer d'Iroise n'a accordé qu'un demi-effet à l'archipel

côtier des Sorlingues distant de 21 milles seulement des

côtes britanniques. La Cour internationale de Justice n'a

reconnu qu'un demi-effet à l'archipel c6tier des Kerkennah

dans L'affaire Tunisie-Libye, alors même que cet ensemble

insulaire n'est qu'à 11 milles de la côte continentale dont

il est separ& par un bras de mer dont la profondeur n'est

supérieure à 4 mstres que dans certains chenaux et fosses.

De plus, l'archipel est entouré de hauts fonds découvrants

formant autour de lui une ceinture large de 9 à 27 km

(C.I.J. Recueil 1982, paragraphe 128). La Chambre de la

Cour, en l'affaire de délimitation dans La région du Golfe

du Maine n'a accordé qu'un demi-effet pour l'île de Seal au large de Pa Nouvelle-Ecosse (C.I.J. Recueil 1984, para-

graphe 222) et c'est un effet seukement d'un quart que la

Cour a reconnu aux iles maltaises {C.I.J. Recueil 1985,

paragraphe 73).

145. La longueur de la façade occidentale de l'archi-

pel, figurée par une ligne allant de la pointe diAcudama

dans l';le Caravela à la pointe d'hncumbe dans l'!le

duOrango est d'environ 33 milles selon l'expert du Tribu-

nal. Cette longueur est relativement comparable à la côte

. pertinente du sénégal (Casamance) qui est de 44 milles et

qui ne possède pas d'?les. Il ne serait pas équitable de

donner 5 la façade occidentale de l'archipel, allant

d'Acudama à Rncumbe, la même importance pour la délimita-

tion qu'à la côte continentale du1 sénggal. C'est pourquoi

un demi-effet devrait suffire.

146. D~S lors, il convient de tracer à cette fin une

ligne constituant la bissectrice de l'angle ayant pour

sommet le cap Roxo et pour c6tés d'une part la direction

générale de la façade occidentale de l'archipel des

Bijagos. (Roxo- Acudama, 160') et d'autre part la direction

générale de la côte continentale (Roxo-Catunco, 132").

Cela donne une ligne d'azimut 146" concrétisant ce demi-

effet insulaire. 147. La République du ~énégal a soutenu que la

~épublique de ~uinée-~issau a accepté une ligne d'azimut

24O0déterminant la mer territoriale de chacun des deux

Etats. Si tel est le cas, la délimitation 5 laquelle

l'arbitre procède pour les espaces maritimes autres que La

mer territoriale doit avoir pour point de départ un point

situé à la limite extérieure de cette mer territoriale

définie pas une ligne orientée à 240'. L'arbitre ne peut

pas en effet juger ultra petita. Mais en réalite je ne vois

nulle part que la ~uinée-Bissau ait accepté l'azimut 240'

pour sa mer territoriale. Dans ses conclusions, qui la

lient et lient le Tribunal, elle a demandé, paur cette

partie, l'application du droit de la mer, c'est-à-dire

l'équidistance qui, contrairement à l'accord de 1960, donne

un azimut de 247' pour la mer territoriale. Au surplus, ni

dans les écritures de la ~épublique de Guinée-Bissau, ni

I danç ses plaidoiries, ni explicitement, ni implicitement,

l'azimut 240" n'a été accepté par elle jusquis 12 milles.
I
Par consgquent, la question ne se pose pas en termes de

jugement ultra petita. La ligne qui doit être tracée

partira donc n&cessairement du Cap Roxo sans tenir compte

1 de l'azimut 240".

148. Il est possible à présent de tracer la ligne qui

constitue, dans cette délimitation ex novo, la limite

maritime entre la ~épublique de ~uinée-Bissau et la

I ~epublique du ~énégal. On prendra la bissectrice del'angle ayant: pour sommet le cap Roxo et pour côtés d'une

part la direction générale de la faqade maritime guinéenne

obtenue après attribution d'un demi-effet à ses iles

prrncipales (146') et d'autre parti la direction générale de

la côte pertinente sénégalaise (358'). Cela donne une

ligne d'azimut 252'. Limite maritime entre
la ~épublique de ~uinée-~issau
et la ~épublîque du Sénégal
(252' ) 149. 11 importe maintenant de vérifier le caractère

équitable du résultat obtenu. La notion de "longueur de

côtes" est un fait physique que la jurisprudence internatio-

nale s'est limitée jusqu'ici 5 utiliser a posteriori comme

élément de vérification du caractère équitable d'une délimi-

tation proposée, à la suite de la' traduction juridique de

ce fait physique dans un critère de à

observer entre les longueurs des &tes et les surfaces

maritimes qu'elles génèrent. Les juridictions internatio-

nales continuent de prendre la "proportionnalité" comme un

critère subsidiaire ou à titre d'élément accessoire.

150. Je le prendrai ici comme élément de vérification

aussi, car un autre usage ne se justifierait pas en l'es-

pèce. Mais auparavant, je voudrais faire observer que ce

facteur physique devralt être considéré comme plus que

cela, c'est-à-dire comme un critere de délimitation 2 l'ins-

tar des autres, spécialement d'ailleurs dans les délimita-

tions frontales comme celle à laquelle la Cour interna-

tionale de Su stice a procédé en l'affaire Malte-Libye.11

est certes clair que ce facteur d= proportionnalité n'a pas

trouvé sa place dans le fondement du titre car la "norme

fondamentale" de l'article 83 de la Convention de 1982 ne

le mentionne nulle part. Mais en vgrité la norme fondarnen-

tale ne mentionne guère plus les autres principes que L'on

applique Ipourtant. Elle se borne ' à prescrire un résultat

équitable. La raison de retenir ce principe est en réalitétrès forte, car "ce rapport (de proportionnalité) doit être

respecte en vertu du principe fondamental suivant lequel la

delimitation doit être équitablefr (Tunisie-Libye, C.I.J.

Recueil 1982, p.75, paragraphe 103). Donc déjà une puis-

sante raison qu'il y aurait de le retenir est tirée du lien

étroit qu'il entretient tout naturellement avec la notion

d'équité qui, elle, est contenue dans la norme fondamen-

tale.

151. Il existe une nécessit& logique de prendre en

compte, et pas seulement au stade du test a posteriori, le

facteur de la Longueur des côtes exprimé dans le "rapport

de proportionnalit&", car c'est lui qui exprime quantitati-

vement le pouvoir générateur de zones maritimes. Un tel

pouvoir dépend, entre autres, de la longueur des côtes.

Chaque Etat c8tier possédant un titre égal sur des espaces

maritimes, ses cetes sont présumées disposer d'un pouvoir

égal d'engendrer un domaine de juridiction maritime. c'est

en ce sens que l'an peut parler ici du principe de l'égali-

té des Etats. Comme l'a dit la Cour c'est la côte, et donc

sa longueur, "qui est déterminante pour créer le titre sur

les étendues sous-marines bordant ces côtes" (C.I.J. Re-

cueil 19&2, paragraphe 73). Certes ce n'est pas le fait

physique de l'adjacence qui crée le titre juridique sur le

plateau continental (a£ faire du Golfe du Maine, Etats-Unis/

Canada, C.I.J. Recueil 1984, paragraphe 103). Ce qui cr&e

un tel titre, c'est bien l'existence d'une règle de droitqui a établi un lien logique entre la souveraineté

territoriale d'un Etat et les droits que ce mgme Etat doit

avoir sur le plateau continental et les surfaces maritimes

qui lui sont adjacents, Mais il ne faut pas trop jongler

avec 1 abstractions uniquement pour refuser de recen-

naitre le rôle de la longueur des côtes. La souverairiet&

territoriale permet d.'engendrer des droits sur des espaces

maritimes, mais elle est Lrnpuissa~nte de toute manière 5

permettre par elle-même de "concrétiser" ces droits, de

quantifier l'étendue des superficies, de tracer une délimi-

tation.. La souveraineté territoriale de 1'Etat donne

çeulement "vocation" au plateau continental. L'étendue et

les limites de celui-ci sont, quant à elles, déterminées

concrètement par la façade maritime en fonction de la g&o-

graphie de celle-ci, laquelle comprend toutes les caracté-

ristiques physiques, longueur des &tes comprises. Le

littoral marin est un paramgtre permettant l'utilisation de

la mer; il est un moyen (plus ou moins étendu) d'accès à La

mer; il est pour cela traduit en unités de mesure.

152. La souverainete territoriale génère des droits

sur des espaces maritimes grâce au littoral (la preuve est

qu'elle ne peut pas les engendrer lorsqu'il s'agit d'~tats

sans cette façade maritime). Et ce littoral génère une

certaine superficie d'espaces maritimes entre

autres, 5; sa longueur. Dès lors que la souverainete crée le

titre j ur'idique mais qu'elle ne peut le matérialiser qu'aumoyen du "support1' cE>tier, c'est ce support qui devient

determinant dans la concrétisation de la superficie de la

zone attribuée, Ce support se définit par tous ses él6rnents

contitutif s, dont la longueur.

153. Dans toute affaire de délimitation maritime, Le

fait physique de la longueur des côtes est un des éléments

de La I1g&ographie côtière" qui permet d'établir la "rela-

tion côtière" entre deux Etatç 3 cette fin. Cette relation

côtière est la somme des caractéristiques que connaissent

les côtes pertinentes des deux Etats et elle ne s'gtablit

et se traduit en rapport juridique qu'en intégrant tous les

élernents susceptibles de personnaliser ces côtes: leur con-

figuration, leur courbure, leur direction générale, leur

projection (radlale ou frontale), le changement de direc-

tion de certains de leurs segments, leurs échancrures,

leurs saillies, leurs irrégularités, leurs caractéristiques

llnormales" ou spéciale^^^, leurs particularités "non essen-

tielles" ou "inhabituelles", leurs relations en tant que

côtes adjacentes ou se faisant face, etc... Et bien entendu

il serait surprenant et insolite de ne pas tenir compte

aussi de leur longueur respective.

154. De fait, la jurisprudence internationale n'a

exclu dans aucune affaire le facteur de la longueur des

côtes, comme s'il avait, plus que d'autres facteurs, une

permanence certaine. Je ne citerai que l'affaire du Golfe du Maine OU la Chambre de la Cour a fortement précisé qu'à

son avis "on ne saurait négliger la circonstance d'une

importance indéniable dans le cas présent, qu'il existe une

différence de langueur entre les cetes des deux Etats

voisins... Ne pas recannaitre cette réalite serait nies

L'évidence" (C.I.J. Recueil 1984, paragraphe 218). 11 en

est allé de même dans l'affaire Malte-Libye, où les

longueurs de cotes des deux Parties étaient si dispropor-

tionnées.

155. Comme la Cour internationale de Justice l'avait

indiqué en 1969, le test de proportionnalité n'est pas un

"rapport mathématique" mais un "rapport raisonnable"

(C.I.J., Recueil 1969, p. 54). Pour que la différence de

longueur de côtes s'mcarne dans un critère juridique

équitable, il convient d'gviter de l'exprimer dans un

rapport arithmétique aveugle par son automatisme et sa

rigidité. La recherche d'un résultat équitable appelle la

prise en compte de la différence de longueurs dans une

formule souple et maniable exprimant dans une mesure

.raisonnable une correspondance entre le rapport de ces

longueurs et celui des surfaces attribuées.

156.: Le principe de l'égalitg; des Etats vient confor-

ter et n'on pas déstabiliser le critère de proportionnalité

ainsi déFini. D'abord, une délimitation n'est pas un par-

tage; c'est une opération juridique. égalité entre Etatçsignifie que les souverainetés de la Guinée-Bissau et du

~énégal sont juridiquement d'&gale valeur et d'égale portée

et donc qu'elles sont susceptibles, l'une comme l'autre, de

générer, par leurs projections respectives en mer des zones

de plateau continental. Mais le principe de l'égalité entre

Etats ne dit pas que chaque Etat a droit 5 un plateau conti-

nental égal en étendue à celui d'un autre Etat. On

n'atteint l'égalité juridique qu'en traitant di£férernrnent

aeux éléments physiques eux-mêmes diffgrents:les longueurs

de côtes.

157. La souveraineté de la Guinée-Bissau n'est pas

plus "intense" que celle du senégal en qualité,et vice-

ver sa. Mais sa traduction concrète, materielle, quanti-

tative, est différente. Le pouvoir générateur de surfaces

maritimes dont chaque Etat dispose avec une "intensitéi'

égale, dépend concrètement de facteurs physiques dont les

Etats ne sont pas dotés de manière égale. égalité

juridique des deux Etats est satisfaite si les côtes de

chacun d'eux produisent sensiblement les mêmes effets et

donc si chaque kilomètre de l'une ou de l'autre produit le

même effet pour l'un comme pour L'autre Etat et génère la

même étendue maritime. ès lors, c'est bien le critgre équi-

table de la proportionnalité qui rend le mieux compte de

l'égalité entre Etats. 158. Pour vérifier, par réference aux longueurs de

côtes des deux Parties, le caractgre &quitable de la dglimi-

tation faite ex novo, il faut définir les espaces maritimes

à rapporter à ces longueurs. Cette zone n'est ni la zone

litigieuse définie par l'angle 2 40°/270Q enfermant les

lignes extrgmea des prétentions des deux Parties, ni la

totalité de la superficie de chacun des domaines maritimes

des deux Etats.

159. La limite septentrionale de la zone pertinente

est identifiable sans difficulté. Elle est constituée par

la limite maritime meridionale existant entre le ~énégal et

la Gambie. Mais il convient de déterminer aussi la longueur

de ce parallèle. Cette longueur est celle qu'aurait la

ligne établissant une zone économique exclusive, c'est-2-

dire 200 milles, car il est: hautement probable que le titre

-
sénégambien ne puisse être concurrencé par le titre de

IfEtat situé en vis-à-vis, c'est-à-dire le Cap Vert. .

Au sud, les espaces maritimes de la partie méridionale

de l'archipel des Bijagoç ne peuvent en aucun cas être en

chevauchement sur ceux du ~énégal, et c'est pourquoi ces

surfaces devraient 8tre exclues de la zone pertinente que

l'on cherche à déterminer aux fins au test de proportionna-

lité. En 'conséquence, la limite méridionale de cette zone

doit part:ir ae l'intersection de la limite des 200 milles

avec la ligne frontière définie par le Tribunal arbitralGuinée-~issau/~uin&e. La limite est donc déterminée par le

point de Ponta Rncumbe.

Pas ailleurs, et comme on le sait, la convention

franco-portugaise du 12 mai 1886 a disposé qu'appartien-

dront au Portugal

"toutes les Iles comprises entre le méridien du cap
Roxo, la &te et la limite sud formée par une ligne
qui suivra le thalweg de la rivière Cajet et se
dirigera ensuite au sud-ouest à travers la passe des
Pilotes pour gagner 10D40' latitude nord avec lequel
elle se confondra jusqu'au méridien du cap Roxo".

Les espaces maritimes à l'intérieur du polygone ainsi

constitue sont donc des eaux intérieures, relevant de la

~uinée- ~issau, hors toute délimitation. II serait donc

deraisonnable d'inclure ces super£ icies dans la détermina-

tion de La zone pertinente.

Pour &tre cohérente avec cette approche, l'évaluation

des étendues d'eau dans la zone pertinente doit exclure

toutes les eaux intérieures ainsi que bien entendu le

territoire des $les et des hauts fonds découvrants à marge

basse.

160. Les longueurs côtières sont, pour le 56negal, la

distance directe du cap Roxo à La frontière méridionale

avec la Gambie, soit 44 milles, et, pour la Guinée-Bissau,

la distance du cap Roxo à Ponta Ancumbe, soit 85 milles,à

dire d'expert. Les longueurs de côtes pertinentes sont donc

dans un rapport de 33 à 67. Les superficies maritimes quireviennent à chacune des deux Parties avec la limite

d'azimut 252': sont, selon l'expert, pour le Sénggal, de

52.260 km2 et, pour la ~uinée-~iççau de 103.176 km2 '

soit un rapport sensiblement identique au rapport établi

entre les longueurs de côtes.

Si toutefois la façade maritime de la ~uinée-Bissau

est déterminée comme étant la côte continentale pertinente

(du cap Roxo à l'île de Catunco), sa langueur serait alors

de 111 milles et le rapport serait de 28 à 72. Cela n'est

pas disproportionné non plus.

161, Je ne voudrais pas achever cette opinion sans

faire une remarque finale concernant la portGe exacte de la

mission confiée au Tribunal par le compromis arbitral. Les

Parties ont chargé le Tribunal de trancher leur différend

de manière camplète et définitive, par l'établissement

d'une ligne unique délimitant l'ensemble de leurs espaces

maritimes respectifs. Il ne me parait pas que la sentence

ait répondu à ce voeu. Celle-ci a donné une réponse

partiellement positive à la première question posée par le

compromis arbitral dans la mesure où elle a décidé que

l'accord de 1960 fait droit entre, les Parties pour la mer

territoriale, la zone contiguë et le plateau continental, àl'exclusion de la zone économique exclusive, institution

inconnue à la date de la conclusion de cet accord. La

sentence rendue est donc partielle en ce qu'elle n'a, en

suivant ça propre logique, ni établi une ligne pour la zone

économique exclusive, ni trouvé une solution, impossible

d',ailleurs, au problème nouveau auquel elle a abouti, à

savoir l'existence de deux lignes la où les Parties,

légitimement soucieuses d'éviter tout risque de conflit

futur entre elles, souhaitaient une ligne unique. La

déclaration du président du Tribunal montre combien la

sentence est incomplète et non conforme à la lettre et à

l'esprit du compromis quant à la ligne unique voulue par

les Parties. Emanant du président du Tribunal lui-même,

cette déclaration, par son existence autant que par son

contenu, justifie de s'interroger plus fondamentalement sur

l'existence d'une majorité et la réalitéde la sentence.

(signé) Mohammed Bedjaoui

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Annexe à la requête introductive d'instance du Gouvernement de la République de Guinée-Bissau (Sentence arbitrale du 31 juillet 1989)

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