Requête introductive d'instance

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9322
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COURINTERNATIONDEJUSTICE

MÉMOIRES,PLAIDOIRIETDOCUMENTS
-

AFFAIREDE LABARCELONA

TRACTION,LIGHT AND POWER
COMPANY, LIMITED
(NOUVELLEREQUÊTE : 1962)

'(BELGIQUc.ESPAGNE)
VOLUME1
Introducdel'insedébut elaprocecrite

INTERNATiOCOURT OJUSTICE
--
PLEADINGSO,RALARGUMENTS,DOCUMENTS
--

CASECONCERNINGTHE

BARCELONA TRACTION,LIGHT
AND POWER COMPANY, LIMITED

(NEWAPPLICATION1962)
(BELGIUMVSPAIN)

VOLUME1
Institutionof proceedingsandinitialpleadings Référenceabrégée:
C.IJ. Mémoires,Barcdona Traction,Lightand PowerCompany,
Limifed (laoztvellerequ19621,
vol.1

Abbreviated referenc:
I.CJ. ~leadin~s,Barcdolta Traction, Liand Power Company,
Limifed (New APPlicafio: 19621,
Vol.1

Sales numbe:344 / AFFAIREDE LABARCELONA
TRACTION,LIGHTAND POWER
COMPANY,LIMITED
(NOUVELLE REQUETE: 1962)

(BELGIQUE ESPAGNE)

CASECONCERNING
THEBARCELONA TRACTION,LIGHT
AND POWERCOMPANY,LIMITED

(NEW APPLICATION: 1962)
(BELGIUM v. SPAIN) COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

MÉMOIRES,PLAIDOIRIESETDOCUMENTS

AFFAIRE DELABARCELONA
TRACTION,LIGHTANDPOWER

COMPANY,LIMITED
(NOUVELLEREQUETE: 1962)

(BELGIQUc.ESPAGNE)
VOLUME 1
Introduction del'instanceet débutde la procédure écrite

INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE

PLEADINGS,ORALARGUMENTS, DOCUMENTS

CASECONCERNINGTHE

BARCELONATRACTION,LIGHT
ANDPOWERCOMPANY,LIMITED
(NEWAPPLICATION:1962)

(BELGIUMv.SPAIN)
VOLUME1
Institutionof proceedingsand initialpleadings VI1
PLAN GENÉRAL DE LA PUBLICATION

L'affaire de la BarcelonaTraction, Light and PowerCompany. Limited
(nouvelle requête: 196/. inscrite au rôle généralde la Cour sous le numéro
50 le 19 juin 1962, a fait l'objet de deux arrêtsrendus le 24 juillet 1964
(Barcelona Traction. Light and Power Company, Limited, exceptions
préliminairesarrêt, C.Z.J. Recueil 1964, p. 6) et le 5 février1970 (Barce-
lona Traction, Light and PowerCompany,Limited. deuxièmephase, arrêt,
C.I.J. Recueil1970, p. 3).
Les mémoireset $laidairies relatifs à cette affairesont publiés dans
l'ordre suivant:

Volume 1. Introdrction de l'instance et début de la procédure écrite;
Volumes II-III. P::océdureorale (exceptionspréliminaires);
Volume IV. Contrti-mémoire;
Volume V. Réplique;
Volumes VI-VII. lluplique:
Volumes VIII-X. l'rocédureorale (deuxièmephase) et correspondance.
Les documents (annexes aux piècesde procédure écriteet documents
présentésaprès la fiide la procédure écrite) seront traités séparément.
N.B. - Le dossier de la preinièreaffaire de la BarcelonaTraction,Light
and PowerCompany.Limited, introduite en 1958et rayéedu rôle en 1961.
a fait également l'ol~jetd'un traitement séparé(voir C.I.J. Mémoires,
BarcelonaTraclion. Light and PowerCompany, Limited).

GENERAL PLAN OF PUBLICATION

The case concernirig the BarcelonaTraction,Light and PowerCompany,
Limited (New Ap@lication; 1962), entered as No. 50 in the Court's
General List on 19Jiine 1962,was the suhject of two judgments, the first
of 24 July 1964 (Ba,celonaTraction, Light and PowerCompany, Limited.
Preliminary Objections,Judgment, I.C.J. Reports 1964, p. 6) and the
second of 5Februar~ 1970(BarcelonaTraction,Light and PowerComfiany,
Limited, SecondPha.ie,Judgment, I.C.J. Reports 1970. p. 3). ,
The order ofpublii:ation ofthe pleadingsand oralargumentsin this case
is as follows:
Volume 1. 1nstitui.ioii of proceedings and initial pleadings;
Volumes II-III. Oral proceedings (preliminary objections) ;
Volume IV. Counier-Memorial :
Volume V. Reply
Volumes VI-VII. Rejoinder;
Volumes VIII-X. (Oralproceedings (second phase) and correspondence.

The documents (ai~nexesto the pleadings and documents suhmitted
after the closure of the written ~roceedings-,will he treated separately.
N.B. The documr:ntation in the first case concerning the Barcelona
Traction, Light and PowerCompany. Limited. brought hefore the,Court
in 1958 and removecl from the List in 1961, has also been the sublect of
separate treatment (see I.C.J. Pleadiags, BarcelonaTraction, Lzght and
PowerCompany, Lhnited).VI11

MATIGRES DU VOLUME 1

Le présent volume contient les documents suivants:
requéte introductive d'inst:ince:
mhoire du (;oiiverncment belge;
exceptions préliminaires par le Gouvernenient espagnol;
observations et conclusioos du Gouvernement belge.
Cespieces sont reproduitesen offset d'aprksleur texte impriméoriginal.
Seuls les renvois à certaines autres ~ublications de la Cour ont été
modifiésen tant que de besoin; lorsqÙ'ils'agit d'uri renvoià un autre
volume de la présente édition,un chiffre romain gra.5indique le numéro
de ce volume.-Les renvois aux aniiexes aux piècesde.la écrite
ont étélaisséstels quels et visent par conséquentla :pagination du texte
imprimé original. ''
Les pieces ainsi reproduites conservant leur pagination originale, le
présentvolume n'a pas une pagination continue.
Chaque pièce est précédée de sa propre table de!; matières; il n'y a
donc pas de table des matieres générale pourI'enseiribledu volume.

CONTENTS OF VOLUME 1

This volume contains the following texts:
Application instituting proceedings;
Memorial of the Belgian Government;
Preliminary Objections submitted by the Spanish Gi~vernment:
Observations and Submissions of the Belgian Goverriment.
These pleadings are printed by offset reproduction of the original
letterpress. The only modifications are of references to other of the
Court's publications, where necessary; where the reference is to another
volume of the Dresent edition. the volume numbe: is indicated bv a
roman figure in Loldtype. Tlie rcfercnces to ttic Anne~wsto tlie Plead;ngs
have been left iinclianeed. and cunsequeiitl\. relate to the pagination of
the original printed te&. A -
As the pleadings reproduced by this method ri:tain their original
pagination, the pagination of this volume is not con4inuous.
Each pleading is preceded by its own table of contents: there is no
generaltable of contents for the whole volume.REQUET INTRODUCTIVED'INSTANCE TABLE DES MATIÈRES

Page
Objet du différend. .............. z
Exposé desfaits. ...................... 5
a) Structure du gi:oupe de la Barcelona Traction et son activité
avant sa mise en faillite................. 5
6) Les difficultés<lechange de la Barcelona Traction et leur ex-
ploitation par El.Juan March .............. 6
c) La mise en faillitede la Barcelona Traction . . . 8
d) Extension aux sociétés auxiliaires de la prise de possession des
biens de la sociiitéfaillie: évictionde leur oersonnel et de leurs
;idiniiiistr:itt:I<gitimes. et leur rcniplnccmc.nt par dei
lioniriies<leionfiancede 11.Titan llarcli . . . . O
e) Le blocaee des recours ................. I;
i) La liqui$ation idesbiens. ................ 13
g) Mesures prises par le groupe de M. Juan March après que
Fecsa eut étédéclaréeadiudicataire: échecsréoétésdes nou-
veaux recours encore tentés par les intéressés. ....... 15
Exposéde droit ....................... 16
a) Compétencede la Cour ................. 16
6) Recevabilité de la demande belge. ............ '7
c) Fondement de :.ademande. ............... 18 REQUETE INTROIIUCTIVE D'INSTANCE
DEVAN'T LA COUR INTERNATIONALE
1lE JUSTICE'

A hlonsieur le Président,

A hlessieurs les Juges de la Cour internationale de Justice.
Le soussigné,dûment autorisé par le Gouvernement du Royaume
de Belgique et éli;ant domicile à l'ambassade de Belgique à La

Haye,
A l'honneur, par la présente requêteintroductive d'instance
remise au Greffier.ile porter devant la Cour internationale de Justice
le différendqui oppose i'htat belgeàI'Etat espagnol.

1 VoirX.Corresponduncc2 BARCELONA TRACTION

(1) La demande du Gouvernement belge a pour objet la répara-

tion du préjudiceconsidérablecauséà un certain nombre de ressor-
tissants belges par le comportement contraire au droit des gens
de divers oiganes de l'État espagnolA I'égardde la sociétéde droit
canadien BARCELONA TRACTION L,IGHT AND POWERCOMPANY,
I.IMITED,ci-après dénomméela Barcelona Traction, et des autres
sociétésde son groupe.
Les actions de la Barcelona Traction appartiennent depuis plus
de trente ans en très grande majorité à des rei;sortissants belges.
En effet, la Sociétéinternationale d'Énergie hydro-électrique
(SIDRO), sociétéde droit belge ayant son siègeà Bruxelles, possède

à elle seule plus de 75% des actions dela Barcelona Traction.
En outre, le nombre de celles-ci qui sont en mains du public belge
dépasselargement IO%.
(2) La ~arcelona Traction est une sociétéde droit canadien. Elle
a étéconstituée en 1911 à Toronto où elle a son.siège.Elle a, jus-
qu'en 1948, provoquéou favorisé,conformément à son objet social,
la création et le développement en Catalogne, par l'intermédiaire

de sociétésauxiliaires, d'un vaste réseaud'entreprises de production
et de distribution d'énergieélectrique.
(3) M. Juan March, financier espagnol bien (connu, récemment
décédéa,vait depuis longtemps conçu le dessein de mettre la main
sur l'ensemble desentreprises et des biens du groupe de la Barcelona
Traction. Il n'a pu y réussir que grâce aux complaisances et à

l'appui systématique de certaines autorités espa(:noles et, en parti-
culier, de divers tribunaux. Cesmaneuvres, dont le premier résultat
fut le jugement du tribunal de Reus du 12février 1948 prononçant
la faillite de la Barcelona Traction, ont eu successivement pour but
et pour effet:

a) de priver les actionnaires de la Barcelona Traction du pouvoir
de la géreret d'assurer la gestion des sociétésauxiliaires;

b) de procurer à M. Juan March la mainmise par des rhommes
de paille»sur les biens et les entreprises di1groupe;

c) defaire finalement passer les biens et les ent:reprisesdu groupe
à la société espagnoleFuerzas Eléctricas de Cataluii(FECSA),
crééeà cette fin par M. Juan March, au préjudice des action-
naires de la Barcelona Traction.

D'innombrables recours formés par la Barcelona Traction. les
sociétésauxiliaires et d'autres intéressésfurent invariablement
rejetésou tenus indéfinimenten suspens par lestribunaux espagnols. REQUETE 3

(4) Dès le 27 mars 1948, le Gouvernement belge a dénoncéau
Gouvernement espagnol les irrégularitéscommises qui ne pouvaient
irmanquer de lésergravement les intérêtsbelges légitimesdans les
sociétésqui ont exercévalablement leur activité en Espagne.:. n.
De nombreuses autres déniarches ont suivi jusqu'à ce qu'enfin,
dans une note du 31 décembre 1956, le Gouvernement belge mît
formellement en c:iuse la responsabilité de l'État espagnol pour

violation du droit international.
(5) Les négociations diplomatiques n'ayant pas abouti, une
requête tendant à obtenir la réparation du préjudice causé fut
déposéepar le Goiivernement belge au Greffe de la Cour interna-
tionale de Justice le 15 septembre 1958. Elle fut suivie, le 15 juin
1959, du dépôt du mémoire. Des exceptions préliminaires furent
opposées à celui-ci par le Gouvernement espagnol le21 mai 1960.

Au moment où le Gouvernement belge s'apprêtait à déposerau

Greffe de la Cour ses observations et conclusions en réponse à ces
exceptions préliminaires, il fut informé par les représentants de
Sidro qu'il existait une possibilitéde négociation avec le groupe de
M. March en vue ce la fixation d'une indemnité équitable à payer
aux actionnaires de la Harcelons Traction; cette négociation
paraissait s'annoncer sous des auspices particulièrement favorables
en raison du patronage qu'une haute personnalité espagnole avait
consenti à lui apporter; mais le groupe espagnol avait fait savoir
qu'il ne désirait Fias négocier tant que se déroulerait le procès
pendant devant la Cour internationale de Justice.
Le Gouvernemeilt belge, désireux de ne pas faire obstacle à
la tentative de règlement amiable, crut donner satisfactionàl'exi-
gence préalable d-i groupe espagnol en se déclarant disposé à
solliciter de la Cour une suspension de la procédure ou une prolon-
gation du délaiimparti pour le dépôtde sa réponseaux exceptions

préliminaires du iGouvernement espagnol. Cette concession fut
pourtant jugéeinsuffisante par M.March, ce quiamenale Gouverne-
ment belge à se désister de l'instance introduite par sa requêtedu
15 septembre 1958. Une déclaration en ce sens fut déposée le
23 mars 1961 au Greffe de la Cour, conformément à l'article 69 du
Règlement.

Soucieux toutefois d'éviter, dans toute la mesure du possible,
que ce désistement ne fût acquis et ne devînt public avant que les
nkgociations entre:?rises eussent abouti à un accord, le Gouyerne-
ment belge demanda à la Cour d'accorder au Gouvernement espa-
gnol un délaide si:[ semaines pour se prononcer sur le désistement.
Tel fut effectiveme:nt le délai fixépar le Président de la Cour par
application de l'article 69, paragraphe 2, du Règlement. De son
côt&,le Gouvernernent espagnol, interpellé à ce sujet, se refusai

prendre l'engagement de laisser s'écoulerce délai de six semaines
avant de notifier con acceptation, mais déclara que son intention4 BARCELONA TRACTION
était de n'adresser à la Cour aucune notification quelconque. son
acceptation devant résulter tacitement du seul écoulement du
délai.

M. Juan March cependant se prévalut de cette circonstance pour
se refuser à rencontrer les dirigeants de Sidro tant que la Cour
n'aurait pas pris acte du désistement. Par une curieuse coïncidence,
la nouvelle du désistement fut publiée presquesimultanément dans
la presse française.
Le Gouvernement belge estima, dans ces circonstances, ne pou-
voir faire autrement que de porter à la connaissance du Gouverne-
ment espagnol qu'il n'avait plus d'objectionà .ceque celui-ci prît
immédiatement attitude devant la Cour.
C'est dans ces conditions que le désistement notifiépar le Gou-
vernement belge fut accepté le 5 avril1961; la Cour prit acte du
désistement d'instance et de son acceptation par ordonnance du
IO awil 1961 ,t raya l'affaire du rôle.

(6) Cependant. la négociation échouamalgr6 le large esprit de
conciliation dont les représentants de Sidro firent preuve, et le
Gouvernement belge fut aussitôt priéde reprendre en main, sur le
plan international, la protection de ses ressortissants. Dèg oc-
tobre 1961, il saisit à nouveau le Gouvernement espagnol de sa
demande de réparation du préjudiceque les mesures prisesàl'égard
de la Barcelona Traction avaient causé à ses ressortissants, en lui
demandant de bien vouloir lui faire savoir si le:$circonstances qui
avaient entouré la négociation privéeet avaient amené son échec
n'étaient pas de nature à lui faire modifier s;i manière de voir
antérieure.

A cette note, le Gouvernement espagnol répondit le meme jour
en exprimant sa surprise de voir le Gouvernement belge (revenir
sursa décisioniet en réitérantson refus de reconriaitre au Gouverne-
ment belge aucune capacité pour sassumer la protection de cette
sociétécanadienne et des intérets groupésdans celle-cII.
Par note du 5 décembre 1961 ,e Gouvernement belge réaffirma
son droit de protéger.les ressortissants belges actionnaires de la
Barcelona Traction, et souligna que son désistement d'instance
n'avait étéaccompagné d'aucune renonciation aux droits dont il
poursuivait la reconnaissance; ilfitconnaître sa décisionde sou-
mettre en conséquence lelitige au règlement jud:iciaire prévu par le
traité de conciliation. de règlement judiciaire et d'arbitrage entre
la Belgique et l'Espagne, du 19 juille1927 .t demanda au Gou-
vernement espagnol de lui faire savoir s'il était ou non disposéà
signer un compromis à cet effet. 11fallut attendre le dernier jour

du d.éiaide trois mois prévu par l'articl17 dii traité, pour que
le Gouvernement espagnol marquàt son refus dans une note du
5 mars 1962 où, reprenant et développant longueinent les objections
indiquéesdans sa note du g octobre 1961 ,l soutenait que le Gou-
vernement belge avait -renoncé définitivement « non seulement B sa faculté de réintroduire l'action devant la Cour internationale
de Justice, mais égalementàla possibilitéde poursuivre par d'autres
movens sa prétention antérieure l'-gard du Gouvernement
espagnol II.
A cette note purement négative, qui allait jusqu'à mettre en
cause la bonne foi du Gouvernement belge, celui-ci répondit par
une communicatior. en date du 16 mars 1962, notifiant le préavis
d'un mois prévu à l'article 17 du traité hispano-belge du 19 juillet
1927 et indiquant que les allégations du Gouvernement espagnol

seraient dûment réiutéesau cours de la procédure.
C'est dans ces conditions que le Gouvernement belge a étéamené
à déposerla présente requête, quiintroduit une nouvelle instance
devant la Cour.

A. Structuredu groqbede la BarcelonaTraction
et son activitéavantsa mise en faillite

(7) Il paraît souhaitable, pour la compréhension des modalités
particulières et de: anomalies de la procédure de faillite dont la
Barcelona Tractiori fut I'objet, de décrire de façon succincte la
structure de cette sociétéet de son groupe, ainsi que le mode de
financement des entreprises.
(8) La Barcelona Traction, société holding, possède la totalité
ou la quasi-totalith des actions des sociétéssuivantes, que nous
qualifierons ci-aprè:;deK sociét6sauxiliaires 11:

- Ebro Irrigation and Power Company, Limited (appelée ci-des-
sous Ebro) ;
- Catalonian Land Company, Limited (appeléeci-dessous Cata-
lonian Land) ;
- International Utilities Finance Corporation, Limited;

ces trois sociét,is, de droit canadien, ont leur siège social à
Toronto, mais les deux premières poss6dent égalementun siège
d'exploitation à Barcelone;
- Union Eléctrica de Catalufia. S. A. (appeléeci-dessous Union);
et
- Electricista Catrlana, S. A.;
ces deux derniires sociétéssont de droit espagnol et ont leur
siège socialà Brrcelone.

Ebro et Union possèdent à leur tour la totalité ou la quasi-
totalité du capital actions d'une sériede sociétésde droit espagnol,
que la Barcelona Traction contrôle ainsi indirectement.
(9) L'ensemble de ce groupe de sociétés disposaitdès 1915 d'une
puissanceinstalléetle 75.000kW., chiffreconsidérablepour l'époque.
En 1948, à la veille de la faillite, cette puissance totale avait plus6 BARCELONA TRACTION

que quintuplé avec une production annuelle-de plus d'un milliard
de kWh., et assurait à 80% les besoins de la Catalogne, principale
régionindustrielle d'Espagne; aucune autre régionne possédait un
système de production et de distribution de cette importance.

(IO) Le financement de ces entreprises était a:jsurépar la Barce-
lona Traction à la fois à l'aide de ses fonds propres et à l'aide de
ceux qu'elle tirait d'emprunts placés parfois en Espagne, le plus
souvent à l'étranger; en ce cas ils étaient libellésen Livres sterling.
Ces émissions étaient faites en vertu de tr:ustdeeds. Suivant
ceux-ci, qui étaient rédigésdans la forme usuelle en droit anglo-
saxon, le trusteeétait titulaire des sûretés consistant principale-
ment dans le portefeuille de la Barcelona Traction, et il était seul
autorisé à agir en justice aux fins de réaliserle gage ou de recouvrer
les montants dus aux obligataires; c'est seulement si le trustee,
dûment requis, refusait ou négligeait de procéder à la réalisation
du gage, que les obligataires avaient le droit d'introduire indivi-
duellement une procédure à cette fin. Le trusteedes obligations en
jlétait la National Trust Company, Limited, de Toronto.

B. Les dificultésde changedela BarcelonaTraction
et leur exploitationparM. Juan March

(II)Ce sont les difficultésrelatives au service des obligations en
jlde la Barcelona Traction qui allaient êtremises à profit par le
groupe de M. Juan March pour provoquer la faillite decette société.
Le payement des coupons d'obligations à l'étranger devait, en
effet, normalement êtreassuré par la conversion en devises, par
les sociétésauxiliaires d'exploitation, principalement I'Ebro, des
sommes revenant à la Barcelona Traction à titre de dividendes ou
d'intérêts.Ces sociétéss'étaient rapidement rel-vées des destmc-
tions et pertes subies pendant la guerre civile, et dès 1940 dispo-
saient en pesetas des sommes suffisantes pour reprendre leurs
versements à la Barcelona Traction, lesquels auraient permis à
celle-ci d'assurer à nouveau le service de sa dette enjl,interrompu

en juin 1936 par suite de la guerre civile. Mais leurs demandes
d'octroi de devises étrangères furent invariab?ement repoussées
par l'Institut espagnol de la Monnaie.
(12) Connaissant les difficultésde change ainsicrééesàlaBarcelona
Traction, M. Juan March était décidéà les exploiter. Dès 1940,
il avait vainement proposéaux dirigeants de la Ilarcelona Traction
de lui céderà vil prix le contrôle de l'ensemble idesentreprises, eu
laissant entendre que ces difficultés ne feraient que s'accroître à
l'avenir. Comme en 1944 cette situation subsistait toujours, il
fità la Barcelona Traction de nouvelles ouvertures qui furent éga-
lement repoussées.
Quand en 1945 la Barcelona Traction proposa à ses obligataires
un plan d'arrangement (Plan of compromise) qui prévoyait le REQUETE 7

remboursement de la dette en L et devait éviter dans l'avenir à
la sociétéles difficrltésinhérentes aux restrictions de change, cette
proposition se heurta à une vive opposition de la.part de M. Juan
March. Néanmoins, comme il ne possédait à l'époque qu'unpetit
nombre d'obligations, le plan d'arrangement fut approuvé par

les assenibléesd'ot~ligataires convoquées à cette fin par le trzutee.
Il le fut égalementpar le Supreme Cozcrt[le l'Ontario, devant lequel
M. Juan March ne crut pas utile de marquer son opposition.
Tandis que des négociations étaient en cours avec les autorités
espagnoles pour obtenir les autorisations nécessaires à l'exécution
du plan ainsi approuv6, RI. RIarch déclencha contre le groupe de
la Barcelona Traction une campagne acharnée; en m&metemps, il
se mettait à acheter de grandes quantités d'obligations en L de la
Barcelona Traction, démontrant ainsi sa conviction que ses efforts
seraient couronnésde succèset que le plan finirait par échouer. De
fait, le ministre espagnol de l'Industrie et du Commerce opposa à

l'exécutiondu plan un refus qu'il maintint mêmelorsque fut pro-
posé, en 1946, un mode d'exécution qui ne comportait plus pour
l'Espagne aucune contribution en devises étrangèreset ne néces-
sitait l'accord de l'Institut du Change que pour le remboursement
anticipé par 1'Ebro des obligations en pesetas de la Barcelona
Traction '.
(13)L'injustifiable refus des autorités espagnoles fut accompagné
d'une attaque violente à laquelle le ministre espagnol de l'Industrie

et du Commerce se livra contre la Barcelona Traction dans son
discours aux Cortes du 12 décembre 1946. L'étroite concordance
et la synchronisation entre les attaques du ministre et les accusa-
tions formulées par M. Juan March dans sa campagne contre le
groupe de la Bar(:elona Traction, font apparaître le redoutable
appui qiie, dès cette époqiie, les projets de M. Juan March ren-
contraient de la pa.rt de certaines autorités espagnoles.
(14 ) près I'éche du plan d'arrangement. M. Juan March inten-
sifia encore ses achats d'obligations eL de la Barcelona Traction

jusqu'à en acquérir une large majorité. Lorsque au début de. 1947
il rencontra h nouveau les dirigeants de la Barcelona Traction,
son attitude leur :Fitclairement comprendre que son but ultime
n'était pas d'obtenir le remboursement en devises ou par équiva-
lence de ses obligat.ions, mais de se servir de celles-ci pour imposer
aux actionnaires 1;i cession du contrôle de l'affaire. Certaines de
ses propositions inipliquaient l'obtention d'autorisations de change

1Pour des raisons qu'il serait trode développer ici, le remboursement
anticipdesobligations en pesetas de la Barcelona Traction était nécessaire pour
permettre l'exécution tu plan d'arrangement. L'Ebro. qui disposait d'une ample
trésorerie pesetaselEspagne, avait néanmoins besoin d'une autorisation de
4trangère. I'areille autmisation lui etait d'ailleurs régulièrement accordéepour
assurele servidesinterets de ces mèmw obligations en pesetas de la Barcelona
Traction. 8 BARCELONA TRACTION

et témoignaient de la part de leur auteur d'une étrange confiance
dans l'accueil favorable qu'il trouverait chez les autorités espagnoles
si radicalement hostiles i toute demande semblable introduite par
les dirigeants de la Barcelona Traction en fonction à l'époque.
Ses exigences exorbitantes n'ayant pas étéacceptées,il s'enquit
, auprès du trusteecanadien des possibilités d'obtenir du Supreme

Courtde l'Ontario la vente du portefeuille de la I5arcelona Traction
que letrusteedétenait en gage. Quand on l'eut informéqu'une telle
demande serait difficilement accueillie par les tribunaux canadiens
vu la solvabilité foncière de la sociétédébitrice et la nature de
l'obstacle entravant le service de ses obligations, il renonça à
toute idée de recourir à la procédure canadienne, la seule qui
s'ouvrait légalement à lui, .pour se lancer dans une vaste entre-
prise judiciaire: l'organisation de la faillite en Espagne.

C. La mise enfaillite dela BarcelonaTraction

(15) C'est devant le juge de Reus que, le IO février 1948. la
demande de faillite, signée le9, fut présentée.
Reus est une ville de province située à120 krn de Barcelone, et
rien ne désignait son tribunal pour êtresaisi di: pareille requête;
ni la Barcelona Traction, ni mêmeaucune société auxiliaire, n'y
avaient leur siège. et les trois demandeurs à la faillite habitaient
Madrid.

(16) Ces requérants étaient manifestement des hommes de paille,
car en se présentant comme porteurs d'obliga.tions en L de la
Barcelona Traction. ils faisaient état dans la retluête.dela longue
patience dont ils avaient fait preuve en tolérant le non-payement
des coupons venus à échéance; maisl'acte d'acbat de leurs titres
portait la date du 5 février 1948, et le pouvoir donnéaux avoués
(procuradores) de Reus, cellé du lendemain. La manŒuvre était
d'autant plus Aagrante que, sile rapport du Conseil d'administra-
tion et le bilan de la Barcelona Traction produits en annexe à la
requ&tede faillite faisaient apparaître le non-payement des obliga-

tions en L,ces documents mettaient cependant aussi en évidence
la prospéritéde la sociétéet de son groupe qui avaient, au cours
des années, accumulédes rése.wesde plus de 20 milüons de $ et
disposaient en Espagne de liquidités équivalente!; près de 14 mil-
lions de$, montant largement supérieur aux intérêtsamér6s sur
les obligations enL.
Ces circonstances ressortaient suffisamment du dossier pour
faire apparaître le caractère suspect de la requ&te.Le juge l'accueillit
néanmoins le jour mêmede son dépôt par son ordonnance du
IO février 1948, et après avoir procédé le II à un interrogatoire
sommaire des témoins produits par les requérarits, il rendit le 12
un jugement touffu prononçant la faillite avec toutes les modalités
proposéespar les requerants. REQUÊTE 9

Comme il s'agissait d'une faillite sur requ&te, la sociétén'avait
pas étécitéeet.n'était pas représentéeà l'instance.
(17) Le jugement de faillite comportait nécessairement la nomi-

nation d'un comm?ssaire et d'un séquestre provisoire(depositario).
Le choix de l'un et de l'autre que fit le juge de Reus, ne pouvait
s'expliquer que par la suggestion des requérants ou de celui dont
ils étaient les inst~uments, car le premier, qui était prétendument
commerçant A Reus, ne s'y était fait inscrire que depuis trois jours
sans pouvoir indiquer de domicile, tandis que le second était un
directeur de banque A Barcelone. Les services que ce dernier rendit
au groupe de M. Juan March dans ses fonctions de séquestre pro-
visoire furent largement récompensés,car lorsqo'il cessa ses fonc-
tions lors de la nomination des syndics, ceux-cile désignèrentcomme
directeur généraldes entreprises contrôlkes par la Barcelona Trac-
tion, et cette fonction lui fut conservéem&meaprès que ces sociétés
eussent passé officiellement sous le contrôle du groupe de M. Juan
March.
(18) Il semble d'autre part que les demandeurs aient eu le souci
d'hviter que la sociétémise en faillite fùt officiellement.informée
par une notification de la mesure prise contre elle. Aussi demandè-
rent-ils que la publication de la faillite eût lieu au seul Bulletin
officiel de la province de Tarragone (dont Reus est le chef-lieu)
et le juge n'eut aucun scmpule à l'admettre sous le prétexte que

cette société de réputation internationale était «sans domicile
connu n,bien que le rapport du Conseil d'administration, déposé
en annexe A la requête en faillite, portât l'indication du siège
social de Toronto. Cette illégaliténe fut en rien redressée par le
deuxième jugement, rendu le m&mejour sur nouvelle requ&te, par
lequel fut ordonné,:une nouvelle publication tout aussi irrelevante
dans le Bulletin othciel de la province de Barcelone.

D. Extensionaux sociétéaszrxiliairesde la prise.
de possessiond~sbiens dc la sociLté faillie;
dvictionde leur personnelet de leurs admi-
nistrateurslégitimese,tleurremplacementpar
des hommesde #:onfiancee M. Juan March
(19) Restait A vaincre la principale difficulté: la déclaration de
faillite ne paraissait pas par elle-m&mede nature à servir les des-
seins de M. Juan IiIarch. Certes, elle comportait la prise de posses-
sion(ocupacidn) par le iéquestre provisoire de tous les biens, livres

et documents de 1:société faillie, maisla Barcelona Traction n'en
avait aucun en Espagne, en sorte que les mesures de dessaisisse-
ment décrétées à son égard devaient normalement rester lettre
morte. Il fallait dcinc atteindre les sociétésd'exploitation, du reste
véritable objet der;ambitions de M. Juan March.IO BARCEI.ONA TRACTION

On selimita tout d'abord àdeuxd'entre eiles, I'Ebro et une de ses
sociétés auxiliaires, la Compaiiia Barcelonesa. de Electricidad,
S.A. Commeelles ne pouvaient &treelles-memes déclarées en faillite
vu qu'elles faisaient face à tous leurs engagements. les demandeurs
imaginèrent, et firent admettre sans difficulté par le juge, qu'en
dépitdeleur personnalité distincte la prise de possession soit éten-

due par le jugement de faillite à leurs biens & raison du fait que
les actions de ces deux sociétésétaient la propriété directe ou
indirecte de la société faillie.Paradoxalement, et en sens inverse.
cette prise de possession des biens sis en Espagne était décrite
dans le jugement, à la suggestion des requérants, comme assurant
aux organes de la faillite la apossession médiate et civilissime I)
des actions de ces sociétésdont la sociétéfaillie était propfiétaire
et qu'elle détenait à l'étranger. Constmction juridique pour le
moins étrange et. à première vue, superflue, mais dont la suite des
événementsallait bientôt révélerqu'eile avait étCconçue et adoptée
pour servir les desseins de M. Juan March.

Ces décisions,une fois prises dans le jugemeni: de faillite, furent
aussitôt mises à exécution. Dès le lendemain di1 prononcé, soit le
13 février 1948, un juge de Barcelone, agissarit sur commission
rogatoire, se présentait dans les bureaux des deux sociétés
auxiliaires avec les organes de la faillite pour y procéderà la prise
de possession, et le 14 le commissaire à la faillite de la Barcelona
Traction prononçait la destitution du personnel dirigeant de ces
deux sociétés.

(20) Pour le remplacement de leurs administrateurs la décision
fut prise par le séquestreprovisoire avec l'approl~ation du commis-
saire. Le procédé employé fut particulièrement audacieux. Aprhs
avoir obtenu la mise en sa possession des biens des deux sociétés
auxiliaires, le séquestre provisoire se prévalut de la npossession
médiate et civilissime »,c'est-à-dire fictive, de leurs actions. que
le jugement lui avait si opportunément reconnue, pour s'ériger à
lui seul en assembléegénéralede ces sociétés,auxquelles il recon-
naissait ainsi la personnalité juridique propre Gue le m&mejuge-
ment de faillite avait arbitrairement écartée.Ce furent ces assem-

bléesgénéralestrès spéciales qui prononcèrent la révocation des
administrateurs en fonction et leur remplacement, par après, par
des hommes ayant la confiance de M..Juan March. C'est évidem-
ment pour permettre d'atteindre des résultats-de ce genre qu'a-
vaient étéinséréesdans le jugement de faillite les jongleries juri-
diques extraordinaires analysées plus haut.
Après.quoi, le 13 avril 1948, le commissaire constata solennel-
lement dans une #rovidenc( iordonnance) que les organes statu-
taires étaient ainsi i<normalisés » (sic) et décida que les conseils
d'administration modifiés reprendraient la gestion des affaires
sociales sous la seuleréserve du contrôle des organes de la faillite. REQUÊTE II

(21) Dans l'intervalle, les demandeurs à la faillite avaient, sans
difficulté,obtenu qiie la prise de possession des biens fût étendue à
toutes les autres sociétésauxiliaires, et leur personnel, ainsi que
leurs conseils d'administration, avaient subi une même (norma-
lisation)I.

(22) Toutes ces mesures furent apprpuvées par le juge de Reus
quand, par ordonnance du 16 avril 1948, il constata que la com-
mission rogatoire avait étéexécutée.Ce fut d'ailleurs un de ses
derniers actes. car le mème jour un juge spécial ' était nommé
pour la conduite di: l'affaire de la Barcelona Traction et il entrait
peu après en fonctian. Le premier objectif de M. Juan March avait

étéatteint: le contrôle de l'affaire était passéentre les mains de
son groupe.

E. Le blocagedes rtcozirs
(23) M. Juan hfarch avait naturellement prévu que les victimes,
c'est-à-dire les sociétésauxiliaires, le personnel destitué et la
Barcelona Traction elle-méme, s'efforceraient de se défendre en

s'adressant aux tribunaux; il lui fallait dès lorsbloquer ces recours.
Les mesures singulières que nous venons d'analyser, combinées
avec de nouveaux artifices, lui permirent d'atteindre ce résultat,
avec le concours de.divers tribunaux espagnols.
Il n'est pas poss,ible d'entrer ici dans le détail des moyens de
procédure et des' innombrables arguties juridiques qui furent
imaginéspour atteindre ce réçultat et que les tribunaux espagnols

qui en furent saisi!; accueillirent trop facilement. On se bornera à
signaler le principal et, sansdoute, le plus extraordinairedes artifices
employés, qui consista à faire contester successivement, par deux
nouveaux hommes de paille nantis de quelques obligations de la
Barcelona Traction, la compétence du tribunal de Reus auquel les
premiers hommes de paille avaient présenté leur demande de
faillite. Les uns et les autres, dont la connivence manifeste ne parut

pas impressionner les juges, unirent leurs efforts pour donner à
ces déclinatoires siiccessifs de compétence, dans toute la mesure
souhaitée, l'effet de suspendre les recours des victimes fondés sur
l'illégalitédu jugement de faillite et de ses extensions. tout en
veillant à ce qu'ils ne fassent pas obstacle A la prise de possession
des biens par les organes de la faillite ni à leur administration, ou
même, commeon 11:verra, à la désignationdes syndics et à la liqui-

dation finale des biens de la masse.
(24) Par un preniier déclinatoire la compktence du juge de Reus
était contestée au profit de celle du tribunal de Barcelone. Ce

Un décret-loi du 17 jui1947prévoyait la possibilita desoumeàtun juge
spécial certains litigesNpar leur grande importance. le nombre extraordinaire
de personnes qu'ilaficctent et parfois mème les rdpercussions qu'ils produisent
le17ifhvrie1948.demtmdégiLadésignation d'un juge sp6cialne fut cependantt, dhs
nommé quo le 16avril1948.12 RARCELOSA TRACTION

déclinatoire fut présentédès le lendemain du jugement de iaillite
par un sieur Garcia del Cid. et bientôt invoquécomme motif justi-
fiant la suspension de divers recours. Cependant, on s'aperçut peu
après que l'incident contrecarrait une autre manŒuvre, non moins
audacieuse, tendant à obtenir que le juge de Reus déclare que son
propre jugement avait force de chose jugée.Au!isi,le5 mars r(jq8,
l'intervenant se désista-t-il, et l'on put croire un instant que la
procédure allait pouvoir suivre son cours et I'examen des recours

êtreabordépar les tribunaux.

(25) Le répit fut toutefois de brèvedurée, et dèsle 30 mar1948
un autre comparse, M. Boter, intervint à la procédure et souleva
un nouveau déclinatoire, cette fois général,tendilitfaire déclarer
non que le juge de Reus était incompétent, mais que les juridictions
espagnoles dans leur ensemble étaient sans pouvoir pour prononcer
la faillite de la Barcelona Traction et que celle..cirelevait des tri-
bunaux de Londres. Le juge spécialayant rejeté cette prétention

le 12 février1949, son jugement fut aussitôt irappé d'appel par
M. Boter, après quoi la procédure devant la Cour fut tenue en sus-
pens par de nouvelles manŒuvres.
Plus rien, dès lors, ne devait venir modifier cette situation qui
s'est prolongéejusqu'à ce jour. C'est ainsi-qu'a.ujourd'hui encore.
c'est la suspension résultant du déclinatoire de compétence de
M. Boter - déclinatoire tenu lui-m&meen suspens devant la cour
d'appel de Barcelone - qui bloque les recours introduits contre
les decisions des organes de la faillite révoqu:xnt une partie du
personnel et des administrateurs des sociétésdu groupe. C'est elle,
de m&me,qui fut utiliséeà l'égardde la Barcelona Traction lorsque,
le 18juin 1948 ,ans plus attendre les f.ormalité.;de notification et
de publication, cette société décidad'entrer elle-mêmeen lice et
présentason opposition au jugement de faillite, suivie de prèsd'une
demande de nullité de toute la procédure qui s'était déroulée
jusqu'alors.

(26) A l'égard des sociétésauxiliaires toutefois, le procédéne
joua qu'un rôle épisodique. D'assezbonne heure, en effet, M. Juan
March trouva pour paralyser leurs recours un remède plus radical.
II s'adressa aux hommes de confiance que le séquestre provisoire
avait, comme on l'a vu, promus administrateurs de ces sociétéset
qui s'empressèrent de réaliser la manŒuvre suivante. L'Ebro
s'était,dèsle16 févrie1948 ,ourvue auprès du juge de Reuscontre
la partie du jugement de faillite qui avait ordonné la prise de pos-
session de ses biens. Ce recours ayant été rejel:é,elle demandaà
pouvoir appeler du jugement. C'est à ce momi:nt qu'intervint le
nouveau conseil d'administration pour retirer :rl'avouéconstitué
au nom de 1'Ebro les pouvoirs que lui avait conférésle conseil

d'administration légitimeet nommer à sa place un autre avouéqui
comparut A l'instance pour se désisterde l'appel. Des substitutions analoguesd'avoués lurent pratiquées danstouteslesautresinstances
introduites tant par l'Ebro que par les autres sociétésauxiliaires.
Ces substitutions furentadmises comme valables par les tribu-
naux espagnols àtortsles degrésdejuridiction, y compris leTribunal
supr&me; et ainsi SItrouvèrent définitivement vouéesà leur tour
à une stérilité certaine toutes les tentatives poursuivies au nom
des sociétésauxiliaires pour s'opposer en justice aux mesures de
dépossessiondont elles étaient les victimes.

F. La liquidationdes biens
(27)L'appropriation des biens du groupéde la Barcelona Trac-
tion, qui était le but final-vers lequel tendaient tous les efforts de
M. Juan March, supposait essentiellement que le portefeuille de
la Barcelona Traction pût lui &tre vendu. Deux circonstances

s'opposaient toutefois à ce qu'il fût procédéà cette vente. D'une
part, le fait que la fa.illite.par suite dela suspension de la procédure,
n'était pourvue qut! d'organes provisoires et non pas de syndics,
dont la nomination appartenait A l'assemblée des créanciers.
D'autre part, le fait que les actions des sociétésauxiliaires, que
M. Juan March souhaitait acquérir, se trouvaient au Canada.
De nouvelles manŒuvres particulièrement audacieuses lui per-
mirent de surmonter ces difficultés.Une fois de plus. elles bénéfi-
ci6rent de l'appui des autorités judiciaires.
(28) Tout d'aber?,,,une sociétédu groupe de M. Juan March, la
sociétéGenora,s'adressaconime obligataire, en avril1949 ,la Cour
d'appel de Barcelone devant laquellela question du déclinatoire de
compétence était demeuréependante, et obtint un arr&t exceptant
de la suspension de la procédure les mesures relativeàla convoca-

tion de l'assembléedes créanciers en vue de l'électiondes syndics.

Puis les syndics, une fois éluspar lésvotes de M. Juan March
et de son groupe, se basèrent sur leur i<possession médiate et
civilissime».c'est-à-dire, en fait, purement fictive, des actions des
sociétésauxiliaires, pour décider, en décembre 1949, dans de soi-
disant assemblées généralesdes sociétésauxiliaires, la création en
Espagne de nouvesux titres de ces sociétéset l'annulation des
titres originaux qui se trouviient au Canada.
Comme ces mesures paraissaient particulièrement choquantes
pour les deux soci4:téscanadiennes Ebro et Catalonian Land, les
syndics cmrent bon de déclarer que le siègede ces sociétés étaità
Barcelone et qu'elles étaient, par suite, soumises intégralement
aux lois espagnoles.
Tandis que tous les recours introduits en Espagne contre ces
mesures étaient uniformément bloqués, un jugement du Sufiverne
Court de l'Ontario, ii12mai 1954 déniaformellement toute valeur
aux nouveaux titres.14 XARCELONA TRACTION
(29) Il ne suffisait pas toutefois que les syndics eussent été
nomméset eussent, en remplacement des titres originaux, imprimé
en Espagne de nouveaux titres, pour que la mise en vente de ceux-

ci pût avoir lieu dans une procédure de faillite qui était paralysée
par un enchevktrement de suspensions et dont la validité faisait
l'objet de multiples recours encore pendants. lJne telle opération
ne rentrait pas en effet, en principe, dans la catégorie des actes
d'administration des biens de la sociétéfaillie au:uquels,vu la situa-
tion de la procédure,les syndics devaient se limiter.

(30) Pour surmonter cette difficulté,on eut recours &,untroisième

subterfuge auquel les autorités espagnoles prêtèrent, unenouvelle
fois, un concours empress.4.
Le Gouvernement espagnol tira parti des accusations de fraude
formuléescontre les dirigeants du groupe de la 13arcelonaTraction
par un certain M. Andany, membre espagnol d'un collèged'experts
constitué au débutde 1950 par les Gouvernementsanglais, canadien
et espagnol dans le but de déterminer le mont.ant des investisse-
ments en Espagne du groupe de la Barcelona Traction. Malgréle
refus des experts anglais et canadien de s'associei:à ces accusations,
le Gouvernement espagnol les fit siennes et annonça, en juin 1951,
des poursuites rigoureuses contre les responsables. Aussitôt, en

août 1951, les syndics firent valoir qu'une telle menace pouvait
avoir les conséquences lesplus redoutables pour la valeur des titres
des sociétésauxiliaires, et pour cette raison -- ou, plus exacte-
ment, sous ce prétexte - demandèrent l'autorisation de procéder
sans retard à leur vente avant leur dépréciatiori,n'hésitant pas à
invoquer à cette fin les pouvoirs que la loi leur concédait pour les
denréespérissables.
(31) Le caractère fallacieux de la menace alliiguéeallait cepen-
dant apparaître clairement au lendemain méme de la vente, lorsque

les seules poursuites dirigéescontre le groupe de la Barcelona Trac-
tion aboutirent, en novembrerg5z. au payement d'une amende de
66 millions de pesetas (1.1 million de $ environ au cours actuel)
du chef de délit monétaire ', somme qui représentait moins de
I % de la valeur de l'entreprise. D'ailleurs, auparavant, lorsque la
cour d'appel de Barcelone avait eu, en février1952, à se prononcer
sur la validité de l'autorisation de vente donnée:parle juge spécial,
elle avait négligépurement et simplement le motif tout artificiel
invoqué.par les syndics et admis par le premier juge. et elle avait
préféré approuver, fût-ce au prix d'une illégalitéflagrante, l'opé-
ration pour ce qu'elle était réellement, c'est-il-dire un acte de
liquidation des biens de la masse.

(32) Entre-temps, le 4 janvier 1952, la vente avait eu lieu par

lors dea deuxieme guerre mondiale,avaient servi .i couvrir le!,fraisd'administration
de la Barcelona Traction. REQUÉTE 15

adjudication publique. Il ne s'agissait àvrai direqued'un simulacre.
11tombait sous le sens,en effet, que le seul groupe de M.Juan March
pourrait s'y présenter, car. sûr de la complaisance des tribunaux,
il avait tous ses apaisements quant au sort que connaîtraient les
nombreux recours toujours pendants qui mettaient en cause la
validité du jugement de faillite, des mesures qui en étaient résul-
téeset de la fabrication en 'Espagne des nouveaux titres offerts en
vente.
En outre, le cahier des'charges de la vente, document unique dans
les annales judiciaires espagnoles, dont l'analyse dbtaillée sera
faitedans le mémoirede la requérante, avait étéfaçonnéàla mesure

exacte de la situation particulière du groupe de M. Juan March,
qui, seul, était à m6me de s'y conformer et d'en tirer le maximum
d'avantages.
De fait, la sociétg:Fuerzas Eléctricas de Cataluiia, SA. (FECSA),
nouvellement constituée à cette fin par le groupe de M: Juan
March au capital minime de 5 millions de pesetas, fut la seule à se
présenter à l'adjudication et elle acquit les biens aux conditions
minima imposbes.
(33) Le prix payiJ par elle était sans aucune proportion avec.la
valeur de I'entreprrse. Il comportait,, outre l'obligation de régler

le passif social (environ 28 millions $ à l'époque),le payement, à
titre d'enchère minimum, de IO millions de pesetas. soit environ
z5o.000 $, somme qui fut entièrement absorbéepar les frais de la
faillite, en sorte qu'il ne restait aucun solde pour les actionnaires de
la Barcelona Traction.
(34) Quant au résultat de l'opération pour l'adjudicataire, il se
résume en cette sinple constatation: il acquérait tout L'actifnet
de la Barcelona Traction. c'est-à-dire i'excédent de son'actif sur
ses dettes. pour la somme dérisoire de z50.000 dollars.
Or, comme il sera montré en cours d'instance, la valeur de cet

actif est d'environ go millions de $.
Telle est la mesure de la spoliation dont les actionnaires de la
Barcelona Traction ont étévictimes au profit du groupe deM. Juan
March.
Tous les recours que la Barcelona Traction intenta contre les
actes judiciaires qiii permirent, réalisèrent ou approuvèrent la
vente qui consacrait son dépouillement, furent rejetés par les tri-
bunaux espagnols à tous les degrésde juridiction.

G. Mesures prises par le gruupede M. Juan March
afirèsque Fecsa ?utété déclaréaedjz~dicataire;
échecsrépétédses nouveauxrecoursencoretentés
par les intéressés

(35) Sans doute les titres imprimés en Espagne, et acquis par
Fecsa lors de la verite du portefeuille de la Barcelona Traction, lui
avaient-ils procuré le contrôle de fait des diverses sociétbs du16 BARCELONA TRACTION

groupe de la Barcelona Traction; encore fallait:-il assurer à cette
situation un caractère pratiquement irréversible en rendant im-
possible la restitution d'une valeur quelconque aux anciens titres
au cas où, contre toute attente, des décisions judiciaires déclare-
raient illégales la procédure suivie et l'impression des nouveaux
titres.
Aussi FeEsa s'empressa-t-elle de transformc:r radicalement la
structure du groupe, notamment en faisant disparaître les sociétés
dont elle avait acquis les «nouveaux titres n:elles furent dissoutes

et leurs biens transférbsà d'autres sociétés.
La sociétéadjudicataire s'efforça en outre de placer ses propres
titres dans le public, après avoir pris la singulii:re precaution d'in-
sérer dans ses statuts une clause par laquelle le droit des action-
naires d'attaquer les décisions socialeset de pou.rsuivre les adminis-
trateurs en responsabilité était limité aux seul!; actes et décisions
postérieurs à l'acquisition de leurs titres.
(36) Il serait trop long. dans lecadre de ia présente requéte,
de décrire, fût-ce sommairement. les tentatives encore faites au
cours de cette période par la Barcelona Traction et les autres in-

téresséspour redresser les illégalitésqui s'étaient succédé.Celles
d'entre les actions intentees qui ne furent pas définitivement
rejetées,se heurtèrent invariablement à l'obstac:lede la suspension
de la procédure par suite du déclinatoire de conipétence.
Ainsi, l'action en faillite, détournéede son but légal,avait permis
à M. Juan March de s'emparer à vil prix, au détriment des +don-
naires de la Barcelona Traction, d'un réseau d'entreprises pros-
pères, et la sociétéfaillie avait étévidéede tout contenu patrimo-
nial, alors que la validité de sa mise en faillitemeurait contestée
formellement dans de nombreux recours qui, paralysés par des
artifices de procédure,perdaient définitivement toute raison d'&tre.

A. Compétence de la Cour
(37) L'Espagne et la Belgique sont liéespar le traité de concilia-

tion, de règlement judiciaire et d'arbitrage signb le 19 juillet 1927,
entréen vigueur le 23mai 1928pour IOans et renouvelédepuis par
périodes de IO années, à défaut de dénonciation par l'une des
Parties:
11est prévu à l'article 17 de ce traité que chaque Partie peut, &
défaut d'accord sur un compromis et après écoidement de certains
délais, porter directement par voie de requéte, devant la Cour
permanente de Justice internationale, les litiges au sujet desquels
lesparties se contesteraient réciproquement uri droit. REQUÊTE 17

. (38) L'article 37 du Statut de la Cour internationale de Justice
dispose que a Lorsqu'un traité ou une convention en vigueur prévoit
le renvoi à une juridiction que devait instituer la Société des
Nations ou à la Cour -permanente de Justice internationale, la
Cour internationale de Justice constituera cette juridiction entre

les parties au présent Statut ».

(39) La Belgique et l'Espagne étant parties au Statut de la
Cour, il énrésulte que la Cour est compétente pour connaître du
présent litige dans 11:quella Belgique, exerçant sa protection diplo-
matique au profit ?..eses ressortissants, soutient que l'Espagne a

manqué aux règlesdu droit international concernant le traitement
des étrangers.

B. Recevabilité de la demandebelge
(40) Le Gouvernement espagnol a réaffirmé,dans sa note du
g octobre 1961, son attitude permanente de ne reconnaître au
Gouvernement belgs aucune capacité pour assumer la protection
de la N Barcelona Traction ~iet des 'intérêtsqui y sont intégrés II.
Selon ce Gouvernement, la Belgique tenterait de protéger fune

sociétécanadienneet les intérêtsqu'elle couvre II.
Le Gouvernement belge estime l'objection non fondée.Bien que
la BarcelonaTraction soit une sociétéde droit canadien, les intérêts
canadiens qu'elle recouvre sont insignifiants, ce qui explique que
le Gouvernement canadien ait cesséd'exercer sa protection diplo-
matique. Par contre, depuis 1948. le Gouvernement belge a estimé
que les importants intérêts belges dans la sociétéjustifiaient son
intervention en fawur de ses ressortissants, et que les règles du
droit international ].'autorisaient à agir par la voie diplomatique,
comme il estime acl.uellement êtreen droit de le faire sur le plan

judiciaire.
L'existence de ces intérêtsbelges a étéportéeàla connaissance du
Gouvernement espagnol. Ils sont d'ailleurs de notoriété publique
et c'est avec la sociétéde droit belge Sidro que les intéressés espa-
gnols, bénéficiairesdes décisionsincriminées, ont traité en vue d'un
règlement amiable de l'affain:.

(41) Par ailleurs,il ne serait pas possible, dans la présente affaire,
d'invoquer l'article 3 du traité de conciliation, de règlement judi-
ciaire et d'arbitrage entre la Belgique et l'Espagne, qui est ainsi
rédigé :
uS'il s'agit d'une contestation dont l'objet, d'aprésla législation
intérieure de l'une des Parties, relève de la compétence des tribu-

naux nationaux, cette Partie pourra s'opposer à ce qu'elle soit
soumise à la procéc.ureprévue par le présent traité avant qu'un
jugement définitif :rit 6té rendu, dans un délai raisonnable, par
l'autorité judiciaire compétente. ii18 BARCELONA TRACTION

En effet, le grief au fond consiste essentiellement dans le dénide
justice reprochéà l'État espagnol; or, au nombn: des faits constitu-
tifs de celui-ci figure le défaut de jugement définitif dans un délai
raisonnable sur de nombreux recours.

C. Fondementdela demande

(42) L'exposé desfaits de la cause a mis.en évidenceles circons-
tances insolites dans lesquelles, avec le concours actif de divers
tribunaux, la faillite d'une sociétéétrangère,dont l'actif net valait
quelque go millions de $, a étéprononcéepar uri tribunal espagnol,
puis poursuivie jusqu'à sa liquidation, de façon à réaliserla spolia-
tion des actionnaires au bénéfice deM.Juan Mari:h et de son groupe.

Il ne s'agit nullement. en effet, d'une nationalisation, dans l'in-
térêtgénéraldu pays ou à des fins sociales, des entreprises hydro-
électriques établieset développéesen Catalogne par le groupe de
la Barcelona Traction, mais de mesures de spoliation dans I'intérkt
exclusif dTunparticulier, M. Juan March, et de son.groupe.

(43) La-responsabilité internationale de l'Espagne est engagée
du fait que ses organes étatiques ont violé lesre-les du droit inter-
nationairelativesau traitement des étrangers par diverscomporte-
ments aui ont abouti à la s~oliation d'une entn:~rise dans laauelle
des ress'ortissants belges oni des intérêtss'élevakt à plus de 85%.
Cette spoliation a étévoulue et organiséepar M. Juan March, mais
son plan n'a pu aboutir au résultat recherchéque grâce à l'attitude
de diverses autorités espagnoles qui, dans leurs multiples inter-
ventions dans cette affaire, n'ont pas observéles prescriptions du
droit international et, par des mesures génératrices d'inégalitée st
d'iniustices. ont fait meuve d'arbitraire.de ~artialité et de discrimi-
nation. .

Les griefs formulés par le Gouvernement belge visent donc un
ensemble de mesures positives, d'acte ou d'omissions souvent
contradictoires, qui s'enchevêtrent et s'intègrent les uns dans les
autres, et dont le caractère illicite au regard du droit des gensse
manifeste de manière particulièrement évidente dans .le résultat
final auquel ilsont abouti. Maismêmesi on les considère isolément,
la plupart de ces mesures, actes et omissions sont contraires au
droit international. Ils peuvent êtregroupés en deux catégories:
a) mesures administratives manifestement arbitraires ou discrimi-
natoires; b) décisionsde justice accusant un défaut d'impartialitb,
un mépris du principe de l'égalitédes parties devant le juge et
d'autres vices constitutifs de dénisde justice au sens du droit inter-
national. Tout en se réservant de faire dans son mémoireun exposé
exhaustif de ces mesures, le Gouvernement belge estime nécessaire
d'attirer d'ores et déjà l'attention de la Cour sur quelques-unes
d'entre elles qui lui paraissent particulihement graves. REQUETE 19

(44) Il faut re1evc:rtout d'abord l'appui sérieux que trouvèrent
les desseins de M. Juan March dans le refus systématique que le
ministre espagnol de l'Industrie et du Commerce opposa en 1946
à toutes modalités d'exécution du plan d'arrangement, même à
celle qui ne comportait pour l'Espagne aucun transfert de devises
à l'étranger. On noiera en outre que la violence avec laquelle le
ministre s'exprima j>ubliquement dans son discours du 12 décem-
bre 1946,témoignait.d'une véritable animositéenvers le groupe de
la Barcelona Traction et ses dirigeants.

(45) L'appui du Gouvernement espagnol aux projets de hl. Juan
March se manifesta encore à diverses reprises, soit lorsqu'il fournit
aux syndics, par des menaces grossièrement exagéréed se poursuites,
le prétexte qui devait leur servir i précipiter la vente du porte-
feuille de la Barceloila Traction, soit lorsque au lendemain de cette
vente les autorités administratives facilitèrent i l'adjudicataire,
en exécution du cahier des charges, le règlement en devises des
obligations de la Barcelona Traction, alors qu'elles s'étaient anté-
rieurement opposéesaux efforts poursuivis en ce sens par la société
faillie.

(46) Comment expliquer, en outre, l'acquiescement des autorités
espagnoles à la perpétration, par les syndics de la faillite, d'actes
condamnés par la lé(:islationde tous les pays civilisés, telles l'émis-
sion et la diffusion en Espagne de faux titres de sociétés espagnoles,
voire mêmede sociktésétrangères, enremplacement des véritables
titres qui étaient iiiscrits ou déposésau Canada, sinon par la
volonté de n'opposer aucune entrave aux opérations illégalesde
M. Juan March et de son groupe?

(47) Quant au corriportement des autorités judiciaires espagnoles,
il soulèvede multiples griefs du point de vue des principes les mieux
établis du droit international public.

Que les tribunaux espagnols aient permis la consommation d'une
injustice aussi grossiiire et l'exécutiondu plan soigneusement établi
par l'instigateur de la procédure en faillite, en dépit des recours
incessants tentés par les victimes, constitue déjà en soi le dénide
justice au sens. large que la doctrine et la jurisprudence interna-
tionales donnent à cette expn:ssion.

(48) La responsabilité de l'État espagnol est d'autant plus enga-
géeen l'espèce, que l'injustice dénoncée nepeut êtreconsidérée
comme résultant uniquement de simples négligences des tribu-
naux saisis, ni d'erreurs grossièresqu'ils auraient commises, ni des
imperfections que prhsenterait la législationdont il fut fait applica-
tion. Les faits démontrent que, dans de nombreux cas, il y eut, de
la part de certains tribunaux espagnols, une volonté arrêtéede
favoriser les desseins de M. Juan March.20 BARCELONA TRACTION

(49) Cet arbitraire et cette partialité peuvent seuls expliquer
l'accueil par les tribunaux espagnols de la demande de faillite dans
les circonstances éminemment suspectes de la cause, de memeque
l'extension du dessaisissement à des sociétés :auxiliairesdont la
faillite n'était cependant pas déclaréeet doot la personnalité
distincte pouvait d'autant moins êtrecontestée qu'elle avait anté-

rieurement étéreconnue par toutes les autorités espagnoles pen-
dant de nombreuses années.
(50) Il n'y a pas d'autre explication non plus aux solutions con-
tradictoires et partiales données par les tnbunaux espagnols aux
mêmesquestions juridiques selon qu'une soluticin déterminéeétait
favorable ou défavorable aux demandeurs Ala faillite ou la société

faillie et à ses sociétés auxiliaires.
(51) Dès l'origine, c'est par une véritable usiirpation de compé-
tence quede juge de Reus avait accueilli la requêteen faillite dirigée
contre une société étrangèrequin'avait ni siègeni biens en Espagne.
C'est par une nouvelle usurpation de compétence particulièrement
flagrante que les syndics recoururent ultérieureinent, avec l'appro-
bation des tribunaux espagnols, au stratagème iriouide l'impression

de faux titres. des sociétésauxiliaires pour confisquer les droits
inhérentsauxtitres originaux situésen dehors du temtoire espagnol.

(52) Constituait, d'autre part, manifestement un dénide justice,
au se-s~ ~rict du terme..~e ~efus d'audienceODDO:;~ Darles tnbunaux
espagnols aux avouésrégulièrementdé~i~n&'~ar iesconseils d'ad-
ministration légitimes des sociétéa suxiliaires.

(53) Enfin, on ne peut qu'être frappépar la lenteur excessive de
l'administration de la justice dans l'ensemble des innombrables
procédures poursuivies par les vicitimes: elle s'est manifestéespé-
cialement par l'ajournement sine die, sous les prétextes les plus
divers, du jugement des griefs élevéspar les 'intéressés,du chef
d'illégalités,contre le jugement de faillite et diverses décisions

ultérieures.
(54) Le préjudice causéaux ressortissants belges par suite des
actes des autorités espagnoles contraires au droit international
résulte clairement de l'exposé desfaits. Privés depuis 1948 du
droit de faire gérer la Barcelona Traction par des mandataires de
leur choix, les actionnaires de cette sociétéont dû assister impuis-

sants à un ensemble de manŒuvres permettant d'accaparer l'inté-
gralit dée l'avoir social, sans qu'il leur restat le moindre actif à se
répartir. Le préjudice consiste donc essentiellement, pour les res-
sortissants belges, dans la perte d'une affaire prospère et en plein
développement, dans laquelle ils possèdent une :participation active
et prépondérante qui dépasse largement 85%.

(55)Conformément aux principes du droit international général REQUETE 21

et de l'article21 di1traité précitédu 19 juillet1927, la réparation
adéquate doit tendre, en ordre principal,à effacer les conséquences
des actes incrimind's, c'est-à-dire, en l'espèce, à l'annulation du
jugement déclaratif de la faillite de la Barcelona Traction et des
actes judiciaires et autres qui en ont découlé,étant entendu qu'une
telle annulation devrait s'accompagner des mesures adéquates
pour assurer aux ressortissants belges les effets juridiques qui s'y
attachent.
Si, toutefois, ce niode de réparation s'avérait impossible à raison
de la complexité de la situation de fait délibérémentcrééepar
l'acquéreurdes biens, ou parce que le droit constitutionnel espagnol
ne permet pas en l'espèce d'effacerparfaitement, par voie admi-
nistrative, les conséquencesdes actes dont s'agit, il appartiendrait
à la Cour, conformément à la disposition précitée du traité du
19 juillet1927,de dkterminer la nature et l'étenduede la réparation

devant être accordGe en compensation aux ressortissants belges
préjudiciés.
La réparation devrait, en ce cas, consister, en principal; dans une
indemnité correspondant' à la valeur effective de leur participation
dans l'affaire elle-niêmeen tant qu'entreprise en marche (as a
going concern). Sous réserve des justifications qu'il apportera à
cet égard en cours d'instance, le Gouvernement belge indique dès
à présent que la valeur nette de l'entreprise, au 12 février 1948,
peut êtreestiméeà 510millions de$ U.S. environ, et la participation
belge à 88%.
En toute hypothèse, il y aurait lieu de prévoir, en faveur des
ressortissants belges préjudiciés,l'allocation, suivant les principes
générauxdu droit, d'une indemnité destinée à couvrir tous les
préjudices accessoires qu'ils ont subis, notamment du chef de
privation de jouissarice. frais exposéspour la dkfense de leurs droits,
etc.

(56) En demandant que le Gouvernement espagnol efface toutes
les conséquences qii'ont eues pour les ressortissants belges les
actes imputables à l'État espagnol et contraires au droit interna-
tional, ou qu'il payi à l'État belge une indemnitk équivalant au
préjudice subi par :,es ressoitissants du chef desdits actes, l'État
belge fait valoir son droit propre au respect du droit international
dans la personne de ses ressortissants. Contrairement à ce qui fut
soutenu dans la note espagnole du 5 mars 1962, il nla aucunement
renoncé à ce droit. II.n'y a pas eu d'accord'à ce sujet entre les deux
Gouvernements et aucune communication du Gouvernement belge
soit au Gouvernemerit espagnol, soit à la Cour, ne peut se voir attri-
buer pareille significa.tion.En se désistant.de l'instance qu'il avait in-
troduite par sa requ4,tedu15 septembre 1958,dans le but de rendre
possible la recherche par une autre voie d'une réparation adéquate

du préjudice subi llar ses ressortissants, le Gouvernement belge
ne faisait qu'user d'une facultéque lui reconnaissait l'arti69edu
Règlement de la Cour, auquel il se référait expressément.Ce pré-judice n'ayant pas étéréparé, il estloisible à l'État belge de faire
valoir à nouveau, vis-à-vis de l'État espagnol. les droits que lui

reconnaît le droit international. par la voie que lui ouvrent le
traité hispano-belge du 19 juillet 1927et l'article 37 du Statut de la
Cour.

PAR CES MOTIFS, le Gouvernement belge conclut qu'il plaise à
la Cour:

I" dire et juger que les mesures, actes, décisionset omissions des
organes de l'État espagnol décritsdans la présente requête sont
contraires au droit des gens et que l'État e:jpagnol est tenu,à

l'égardde la Belgique, de réparer le préjudice qui en est résulté
pour les ressortissants belges, personnes physiques et morales.
actionnaires de la Barcelona Traction;

2' dire et juger que cette réparation doit, autant que possible,
effacer toutes les conséquencesque ces actes contraires au droit
des gens 'ont eues pour lesdits ressortissants et que l'État
espagnol est tenu, dès lors, d'assurer, si possible, l'annulation

du jugement de faillite et des actes judiciaires et autres qui en
ont découlé,en assurant aux ressortissants belges 1ésés.tous les
effets juridiques devant résulter pour eux de cette annulation;
déterminer, en outre, l'indemnité à verser par l'État espagnol
à l'État belge àraison detous les préjudicesa.ccessoiressubis par
les ressortissants belges par suite des acte!; incriminés, en ce
compris la privation de jouissance et les frais exposéspour la
défensede leurs droits;

3' dire et juger, au cas où l'effacement des conséquences desactes

incriminésse révéleraitimpossible, que l'État espagnol sera tenu
deverser il'État belgeà titre d'indemnité,unesomme équivalant
à 88% de la valeur nette de l'affaire au 12 février 1948; cette
indemnité devant être augmentée d'une somme correspon-
dant à tous les préjudicesaccessoires subis par les ressortissants
belges par suite des actes incriminés, en ce compris la privation
de jouissance.et les frais exposéspour la défensede leurs droits.

Le Gouvernement belge se réserve ledroit de compléteret modi-
fier les présentesconclusions au cou= de la procédurequi se dérou-
lera devant la Cour.

Bmxeiies, le 14 juin 1962.
L'Agent du Gouvernement belge,
(Sig&) Yve:; DEVADDER.

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Requête introductive d'instance

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