Requête introductive d'instance

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7181
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

REQUÊTE

INTRODUCTIVE D'INSTANCE

enregistrée au Greffe de la Cour

le 28 octobre 1998

DEMANDE EN INTERPRETATION DE L'ARRET
DU 11 JUIN 1998 EN L'AFFAIRE DE LA FRONTIÈRE
TERRESTRE ET MARITIME ENTRE LE CAMEROUN
ET LE NIGÉRIA (CAMEROUN c. NIGÉRIA),

EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES

(NIGÉRIA c. CAMEROUN)

1998
Rôle gonéral
n 101

REQUETE DU NIGÉRIA

[Traduction]

I. INTRODUCTION

1. En application de l'article 98 du Règlement de la Cour, le Nigéria soumet la présente
demande en interprétation de l'arrêt rendu par la Cour le 11 juin 1998 sur les exceptions
préliminaires qu'il a soulevées dans l'affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria). La question au sujet de laquelle il y a

contestation sur le sens ou la portée de l'arrêt est exposée aux paragraphes 5 à 15 ci-après.

II. RECEVABILITÉ DE LA PRÉSENTE DEMANDE

2. L'article 98 du Règlement permet à la Cour de donner une interprétation d'un arrêt s'il y a
contestation sur son sens ou sa portée. Le paragraphe 1 de l'article 98 est rédigé comme suit:

«En cas de contestation sur le sens ou la portée d'un arrêt, toute partie peut présenter
une demande en interprétation, que l'instance initiale ait été introduite par une requête
ou par la notification d'un compromis.»3. Compte tenu du libellé du paragraphe 7 de 1'article 79 du Règlement (qui prescrit qu'à
l'égard d'exceptions préliminaires la Cour «statue dans un arrêt») et des termes de l'arrêt rendu
par la Cour le 11 juin 1998 (dans lequel la Cour a dit qu'elle rendait «l'arrêt suivant»), l'arrêt
en question est une décision qui entre dans les prévisions de l'article 98 de son Règlement.

4. Les points au sujet desquels des questions se posent quant au sens ou à la portée de l'arrêt
sont des points sur lesquels le Nigéria et le Cameroun, soit expressis verbis, soit par
déduction, ont des vues différentes (voir paragraphes 87 et 89 de l'arrêt de la Cour du 11 juin
1998). En conséquence, une contestation existe entre eux sur l'interprétation de l'arrêt. Les
vues différentes des Parties sont précisées ci-après.

III. LE POINT PRÉCIS CONTESTÉ

5. Un des aspects de l'affaire dont la Cour est saisie a trait à la responsabilité internationale du
Nigéria qui serait engagée en raison de certains incidents qui se seraient produits en divers
lieux de Bakassi et du lac Tchad et le long de la frontière entre ces deux régions. Le
Cameroun a formulé des allégations concernant plusieurs incidents de ce genre dans sa
requête du 29 mars 1994, dans sa requête additionnelle du 26 juin 1994, dans ses observations

du 30 avril 1996 sur les exceptions préliminaires soulevées par le Nigéria, et au cours des
audiences tenues du 2 au 11 mars 1998. Le Cameroun a aussi dit qu'il serait lui-même en
mesure de four1ir par la suite des renseignements relatifs à d'autres incidents sans préciser à
quel moment . Les incidents allégués jusqu'à présent par le Cameroun auraient eu lieu entre
1962 et le 26 juin 1997. L'arrêt rendu par la Cour le 11 juin 1998 ne précise pas quels sont les
incidents allégués qui doivent encore être pris en considération lors de l'examen de l'affaire au
fond. A cet égard, le sens et la portée de l'arrêt nécessitent une interprétation.

6. La partie pertinente de l'arrêt est la section qui traite de la sixième exception préliminaire
soulevée par le Nigéria, et plus particulièrement les paragraphes 99 et 100. Dans ce contexte,
le Nigéria a fait valoir que le Cameroun, bien qu'ayant une certaine latitude pour développer
dans son mémoire les incidents allégués qu'il a mentionnés dans ses requêtes, était soumis à
certaines limites. Il a été soutenu à cet égard que la possibilité pour le Cameroun de présenter
par la suite des développements sur des incidents allégués insuffisamment précisés dans ses

requêtes était soumise à des restrictions, et qu'on ne saurait traiter comme faisant partie du
différend porté devant la Cour par les requêtes de mars et de juin 1994 des incidents allégués
qui se seraient produits après le mois de juin 1994. Dans ce contexte, la Cour, en rejetant la
sixième exception préliminaire présentée par le Nigéria, a relevé que, selon une pratique
établie, les Etats qui déposent une requête «se réservent le droit de présenter ultérieurement
des éléments de fait et de droit supplémentaires», et que «[c]ette liberté de présenter de tels
éléments trouve sa limite dans l'exigence que le différend porté devant la Cour par requête

«ne se trouve pas transformé en un autre différend dont le caractère ne serait pas le même»
(arrêt, par. 99). Au paragraphe suivant, la Cour note que la question de savoir si «les faits
allégués par le demandeur» sont ou non établis est une question qui relève du fond.

7. La Cour a ainsi conclu:

i) que les informations données par le Cameroun au sujet des incidents allégués étaient
suffisantes pour permettre à la Cour de poursuivre l'examen du différend concernant la
responsabilité internationale du Nigéria. ii) que le Cameroun était en droit de présenter «des éléments de fait supplémentaires»
pour autant que le caractère du différend porté devant la Cour ne soit pas transformé,

iii) que la question de savoir si les «faits» allégués par le Cameroun étaient ou non
établis était une question relevant du fond.

8. Il faut toutefois établir une distinction entre les incidents et les faits qui s'y rapportent, et
distinguer notamment entre, d'une part, la communication de faits supplémentaires pour
décrire plus en détail des incidents déjà mentionnés de façon succincte et, d'autre part, un
exposé concernant des incidents entièrement nouveaux et distincts qui donnent lieu à de
nouvelles demandes portent sur des questions de responsabilité. L'arrêt n'est pas clair sur le
point de savoir à quels incidents les «éléments de fait supplémentaires» doivent se rattacher

aux fins de la future procédure au fond.

9. Il y a une autre distinction que le Nigéria considère comme directement pertinente. Il s'agit
de la distinction entre des incidents se produisant le long de la frontière, qui peuvent (selon le
Cameroun) servir à démontrer que la frontière est en litige, et des incidents qui (selon le
Cameroun) engagent la responsabilité internationale du Nigéria. La Cour a conclu, en rejetant

la sixième exception préliminaire du Nigéria, qu'«un différend ... existe ... entre les deux
Parties, à tout le moins en ce qui concerne les bases juridiques de la frontière» et qu'il
appartiendra à la Cour d'en connaître (par. 93); en parvenant à cette conclusion, la Cour a
aussi observé qu'«[i]l convient certainement ... de tenir compte de la survenance d'incidents
frontaliers ... Mais [que] chaque incident frontalier n'implique pas une remise en cause de la
frontière.» (Par. 90.) En conséquence, le Nigéria examinera dans son contre-mémoire la
question de la frontière, à la lumière notamment des incidents frontaliers allégués par le

Cameroun, dans la mesure où ces incidents ont trait à cette question et, en attendant, il réserve
sa position concernant ces incidents dans ce contexte. Toutefois, la question des incidents le
long de la frontière pour lesquels la responsabilité internationale du Nigéria serait engagée
soulève des problèmes différents dans la mesure où ils sont invoqués dans ce contexte
distinct. La survenance continuelle d'incidents frontaliers peut sans doute être pertinente pour
étayer le bien-fondé de la thèse selon laquelle, à la date où l'instance a été introduite, il existait
un différend concernant la frontière dans son ensemble, mais des allégations de responsabilité

étatique découlant d'incidents frontaliers allégués soulèvent des problèmes différents qui `sont
propres aux circonstances particulières de chacun des incidents allégués. Chaque incident
constitue un problème distinct, et la question de la responsabilité internationale en raison de
chacun de ces incidents exige un examen distinct.

10. Pour replacer ces questions dans un contexte pratique précis, il convient de relever qu'elles
portent sur toute la série d'incidents qui, selon le Cameroun, mettent en cause la responsabilité

internationale du Nigéria en raison d'incidents allégués qui se seraient produits «le long de la
frontière» en dehors des régions de Bakassi et du lac Tchad. La Cour se souviendra que, dans
les pièces de procédure et les exposés oraux du Nigéria concernant sa sixième exception
préliminaire:

i) le Cameroun n'a soulevé que certaines questions au sujet desquelles la responsabilité

internationale du Nigéria serait engagée (voir l'alinéa e') du paragraphe 20 de la
requête du Cameroun et l'alinéa e) du paragraphe 17 de la requête additionnelle du
Cameroun, qui ne se réfèrent qu'à des questions exposées dans certains paragraphes
précédents visant des incidents survenus uniquement à l'égard de Bakassi ou du lac
Tchad);et que le Cameroun a fait aussi allusion:

ii) à des incidents allégués, qui sont mentionnés dans sa requête du 29 mars 1994
(mats uniquement en ce qui concerne Bakassi);

iii ) à des incidents allégués, qui sont mentionnés dans sa requête additionnelle du 6
juin 1994;

iv) à des incidents allégués supplémentaires, qui sont mentionnés dans le mémoire du
Cameroun du 16 mars 1995;

v) à des incidents allégués supplémentaires, qui sont mentionnés dans ses observations
du 30 avril 1996;

vi) à des incidents allégués supplémentaires, qui ont été mentionnés dans ses exposés
oraux entre le 2 et le 11 mars 1998 ; et

3
vii) à tous autres incidents auxquels il pourrait se référer à l'avenir ;

11. Les termes des paragraphes 99 et 100 de l'arrêt ne sont pas clairs sur le point de savoir

quelles sont les catégories d'incidents, pour autant qu'elles sont réputées soulever des
questions de responsabilité internationale, pouvant dûment donner lieu ou ayant déjà donné
lieu à la présentation d'éléments de fait supplémentaires par le Cameroun, qui entreraient donc
dans le cadre du différend et devraient être examinés au stade du fond au regard des questions
de responsabilité. L'agent du Nigéria a écrit à l'agent du Cameroun pour essayer de convenir
avec le Cameroun de la signification dans ce contexte de l'arrêt de la Cour du 11 juin 1998

(une copie de cette lettre est reproduite à l'annexe I), mais il ressort clairement de la réponse
de 1'agent du Cameroun (une copie de sa lettre figure à l'annexe II) que le Cameroun ne
donne pas le même sens que le Nigéria aux sections pertinentes de l'arrêt de la Cour. Compte
tenu de la position adoptée par le Cameroun jusqu'à la clôture de la procédure orale le 11 mars
1998 et qu'il maintient encore aujourd'hui, on peut en déduire que le Cameroun est d'avis que
des incidents relevant de chacune des sept catégories susmentionnées s'inscrivent dans le

cadre du différend et doivent donc être pris en considération dans la procédure au fond.
Toutefois, le Nigéria estime que, compte tenu notamment du contexte de cette section de
l'arrêt et de considérations de droit auxquelles le Nigéria se réfère ci-après, l'arrêt de la Cour
doit être interprété comme signifiant que, pour les questions relatives à la responsabilité
internationale alléguée du Nigéria, seuls les incidents allégués visés à l'alinéa i) ci-dessus et,
sous réserve de celui-ci, aux alinéas ii) et iii) font partie du différend soumis à la Cour. Selon

le Nigéria, la latitude dont dispose le Cameroun pour présenter des éléments de fait et de droit
supplémentaires ne concerne que lesdits incidents allégués.

12. Le sens qui doit être donné à l'arrêt de la Cour ne doit pas être apprécié dans l'abstrait mais
à la lumière des éléments de fait de la présente espèce et dans le contexte de certains principes
juridiques applicables à la portée des différends soumis à la Cour. Deux aspects de la

jurisprudence de la Cour sont pertinents à ce sujet:

a. En premier lieu, le paragraphe 2 de l'article 36 du Statut exige qu'une affaire soumise à
la Cour doit porter sur un différend d'ordre juridique: indépendamment de la question fondamentale de savoir s'il y a ou non entre les parties une divergence de vues
suffisante pour établir qu'un différend existe effectivement entre elles, cette
disposition du Statut fait nécessairement intervenir une considération de temps, à
savoir que (puisque des différends hypothétiques future doivent être exclus) le
différend doit avoir existé au moment où l'affaire a été portée devant la Cour, c'est-à-

dire à la date du dépôt de la requête introductive d'instance. Par définition aucun
différend ne peut avoir existé à l'époque en ce qui concerne des faits qui ne se seraient
produits que par la suite. La Cour a récemment souligné l'importance qu'il convient
d'accorder à la date à laquelle une requête a été introduite (Questions d'interprétation
et d'application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l'incident aérien de
Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d'Amérique), arrêt du 27 février
1998, par. 37 et 43).

b. En second lieu, comme la Cour permanente de Justice internationale l'a dit dans
l'affaire relative à l'Administration du prince von Pless (exception préliminaire) «c'est
la requête qui indique l'objet du différend; ... le mémoire, tout en pouvant éclaircir les
termes de la requête, ne peut pas dépasser les limites de la demande qu'elle contient»
(C.P.J.I. série A/B n 52, ordonnance du 4 février 1933, p. 14) Plus récemment, dans
l'affaire de Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), la Cour a été
appelée à examiner une demande nouvelle présentée par Nauru dans son mémoire,

après le dépôt de sa requête. La Cour, en rejetant la nouvelle demande, a estimé qu'une
demande de ce genre ne pouvait être admise que dans le cas où cette demande
additionnelle serait «implicitement contenue dans la requête» ou découlerait
«directement de la question qui fait l'objet de cette requête» (C.I.J. Recueil 1992, p.
266, par. 67). La Cour a ajouté qu'en outre, si elle devait connaître de la nouvelle
demande, «l'objet du différend sur lequel elle aurait en définitive à statuer serait
nécessairement distinct de l'objet du différend qui lui a été originellement soumis dans

la requête» (ibid., par. 68). Dans l'arrêt qu'elle a rendu le 11 juin 1998, la Cour (dans le
cadre de la septième exception préliminaire du Nigéria) a rappelé, à titre de
proposition générale, que «l'ors qu'elle traite des affaires qui sont portées devant elle,
elle doit s'en tenir aux demandes précises qui lui sont soumises» (par. 107). Etant
donné la particularité des problèmes de responsabilité internationale, des questions
relatives à la responsabilité étatique en raison de certains nouveaux incidents ne

sauraient être considérées comme faisant partie de la requête précise déjà soumise à la
Cour ni comme étant implicitement contenues dans une allégation de responsabilité ou
découlant directement d'une telle allégation concernant un incident antérieur
totalement distinct qui se serait produit à un autre moment, à un autre endroit et dans
des circonstances différentes. Des incidents supplémentaires nouveaux, invoqués
tardivement, soulèvent des problèmes distincts nouveaux et différents qui suscitent des
contestations nouvelles et différentes.

13. A la lumière de l'arrêt rendu par la Cour le 11 juin 1998, le Nigéria admet que le
Cameroun peut présenter des éléments de fait supplémentaires pour développer l'exposé des
incidents qui, selon les allégations qu'il a formulées dans ses requêtes, engageraient la
responsabilité internationale du Nigéria, et qu'en présentant de tels éléments de fait
supplémentaires le Cameroun ne transforme pas le caractère du différend soumis à la Cour.
Mais l'arrêt de la Cour n'est pas clair sur le point de savoir si le Cameroun était en droit, à

diverges dates après le dépôt de sa requête modifiée, de soumettre à la Cour de nouveaux
incidents qui engageraient la responsabilité internationale du Nigéria qu'il n'avait pas
précédemment mentionnés. La question est particulièrement complexe s'agissant d'incidents
qui seraient survenus après le dépôt des requêtes du Cameroun et qui ne pouvaient donc pasfaire l'objet des demandes concernant une responsabilité étatique par le Cameroun dans ses
requêtes.

14. Le Nigéria reconnaît que la présentation, après la date du dépôt des requêtes, d'éléments
de fait supplémentaires relatifs à des incidents déjà identifiés ne transforme pas le caractère du

différend, mais cela ne veut pas dire qu'il en est de même de la communication d'éléments de
fait supplémentaires concernant de nouveaux incidents, plus particulièrement d'incidents qui
seraient survenus après le dépôt de la requête (voire après le dépôt du mémoire et des
observations), et cette question n'est pas réglée par l'arrêt rendu par la Cour sur les exceptions
préliminaires. De l'avis du Nigéria, on ne saurait admettre que, dans la mesure où un cas isolé
de responsabilité internationale invoqué dans une requête est recevable, toute une série
d'incidents antérieurs ou postérieurs qui engageraient une responsabilité internationale

peuvent être ajoutés par la suite dans l'instance en les étayant par des éléments de fait
supplémentaires. Selon le Nigéria. les contestations relatives à la responsabilité internationale
d'un Etat doivent être tranchées cas par cas (à savoir incident par incident); un différend
concernant la responsabilité d'un Etat au titre d'un incident A est «nécessairement distinct de
l'objet d'[un] différend qui lui a été originellement soumis» concernant sa responsabilité pour
un incident B différent. Selon la thèse du Nigéria, conformément au Statut et au Règlement, à
l'arrêt de la Cour du 11 juin 1998 et à sa jurisprudence, la présentation d'éléments de fait

supplémentaires concernant des incidents déjà identifiés ne transforme pas le caractère du
différend. En revanche, la présentation d'éléments de fait concernant des incidents nouveaux
qui engageraient la responsabilité d'un Etat transforme nécessairement l'instance en y ajoutant
des contestations qui sont tout à fait distinctes de celles qui ont déjà été identifiées dans les
requêtes. C'est au sujet de cet aspect de l'arrêt que le Nigéria aimerait connaître
1'interprétation de la Cour.

15. Du point de vue pratique, le Nigéria, en tant qu'Etat défendeur, ne saurait répondre à
toutes les allégations concernant des incidents mentionnés sporadiquement dans l'affaire,
longtemps après que la portée du différend a été établie par les requêtes déposées par le
Cameroun. En particulier, le Nigéria ne peut manifestement pas, dans son contre-mémoire,
répondre à des allégations concernant des incidents que le Cameroun n'a pas encore identifiés
mais qu'il a menacé d'introduire dans l'instance en temps opportun. De même, le Nigéria ne

saurait raisonnablement répondre aux allégations concernant des incidents qui n'ont été
formulées qu'aux audiences (sans aucune preuve documentaire à l'appui) et se rapportent
même à des incidents qui se seraient produits après le dépôt de la dernière pièce écrite du
Cameroun et avant que la Cour ne rende son arrêt le 11 juin 1998.

16. A propos des exceptions préliminaires soulevées par le Nigéria, la Cour n'a pas
expressément traité de la question de savoir quels incidents allégués s'inscrivent dans le cadre

du différend dont elle est saisie (compte tenu en particulier de la date des incidents allégués et
de la date à laquelle on a cherché à les introduire dans l'instance) En conséquence, les termes
employés dans l'arrêt donnent lieu à des incertitudes quant aux conséquences qu'il faut en tirer
dans ce contexte.

IV. CONCLUSIONS

17. Sur la base des considérations qui précèdent, le Nigeria prie la Cour de dire et juger que
l'arrêt de la Cour du 11 juin 1998 doit être interprété comme signifiant: qu'en ce qui concerne la responsabilité internationale du Nigéria qui serait
engagée en raison de certains incidents allégués:

a. le différend soumis à la Cour n'inclut pas d'autres incidents allégués que
ceux (tout au plus) qui sont indiqués dans la requête du 29 mars 1994 et

dans la requête additionnelle du 6 juin 1994 présentées par le
Cameroun;
b. la latitude dont dispose le Cameroun pour présenter des éléments de fait
et de droit supplémentaires ne concerne (tout au plus) que les éléments
indiqués dans la requête du 29 mars 1994 et dans la requête
additionnelle du 6 juin 1994 présentées par le Cameroun;
c. la question de savoir si les faits allégués par le Cameroun sont établis

ou non ne concerne (tout au plus) que ceux qui sont indiqués dans la
requête du Cameroun du 29 mars 1994 et dans la requête additionnelle
du 6 juin 1994 présentées par le Cameroun

18. Le Nigéria, devant connaître l'interprétation exacte à donner à l'arrêt du 11 juin 1998 afin
de pouvoir établir son contre-mémoire, prie respectueusement la Cour de bien vouloir
examiner la présente demande avec toute la célérité possible, dans le cadre des dispositions

des paragraphes 3 et 4 de l'article 98 du Règlement de la Cour.

Le 21 octobre 1998.

L'Attorney-General de la Fédération,
ministre de la justice,

agent de la République fédérale
du Nigéria,

(Signé) ALHAJI ABDULLAHI IBRAHIM, OFR, SAN.

__________

Annexe I

LETTRE DU MINISTRE DE LA JUSTICE DU NIGÉRIA

AU MINISTRE DE LA JUSTICE DU CAMEROUN

[Traduction]

Le 14 septembre 1998.

Affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun
et le Nigéria (Cameroun c Nigéria)J'ai l'honneur de me référer à l'arrêt de la Cour internationale de Justice, en date du 11 juin
1998, relatif aux exceptions préliminaires soulevées par le Nigéria dans cette affaire. L'arrêt
comporte deux aspects sur lesquels il serait utile, pour que la Cour se prononce en toute
connaissance de cause en l'espèce, de savoir si le Cameroun partage l'avis du Nigéria.

Comme vous vous en souvenez, en rejetant la sixième exception préliminaire du Nigéria, la
Cour a fait observer (par. 99) que, dans certaines limites, une Partie a une certaine latitude
pour présenter des faits supplémentaires en plus de ceux qu'elle a exposés dans sa requête. La
Cour a ajouté (par. 100) que la question de savoir si les faits allégués par le Cameroun sont ou
non établis relève du fond. De l'avis du Nigéria, l'arrêt de la Cour n'indique pas avec clarté à
quels «faits» la Cour se réfère dans ces passages.

De l'avis du Nigéria, il faut faire une distinction entre les incidents déterminés que l'on dit
s'être produits et les faits relatifs à ces incidents. Il faut aussi faire une distinction entre les
incidents qui se rapportent à l'existence d'un différend relatif à la frontière et les incidents dont
il est allégué qu'ils engagent la responsabilité internationale du Nigéria.

La Cour a confirmé, comme le Nigéria l'a toujours admis, que le Cameroun a disposé d'une

certaine latitude pour ajouter de nouveaux développements, dans ses exposés ultérieurs écrits
et oraux, sur les faits relatifs à des incidents, qui, selon ce qui est allégué dans sa requête et sa
requête additionnelle, se sont produits. Toutefois, ce qui reste peu clair d'après les termes de
l'arrêt de la Cour, c'est la question de savoir quels sont les incidents, déjà mentionnés en
termes sommaires, qui peuvent faire l'objet, de la part du Cameroun, de nouveaux
développements dans des exposés, dans la mesure où ils se rapportent à des questions
concernant la responsabilité internationale alléguée du Nigéria et doivent donc être envisagés

comme faisant partie du fond de l'affaire, sur lequel le Nigéria doit répondre dans son contre-
mémoire.

De l'avis du Nigéria, l'arrêt de la Cour du 11 juin 1998, pour autant qu'il se rapporte à des
questions de responsabilité internationale, signifie que, sous réserve des dispositions du
paragraphe 17 e) de la requête additionnelle du Cameroun, ce sont seulement, et au plus, des
incidents indiqués dans la requête du Cameroun du 29 mars 1994 et dans sa requête

additionnelle du 6 juin 1994 qui peuvent permettre au Cameroun de présenter des faits
supplémentaires et doivent donc être examinés plus en détail dans le cadre du fond de l'affaire
à propos de la responsabilité internationale. Le Cameroun est-il d'accord sur ce point ?

Le deuxième aspect de l'arrêt concerne le stade approprié auquel il serait le plus utile
d'examiner la question de la frontière maritime. Dans son arrêt du 11 juin 1998, la Cour a
admis «qu'il serait difficile, sinon impossible, de déterminer quelle est la délimitation de la

frontière maritime entre les Parties aussi longtemps que la question du titre concernant la
presqu'île de Bakassi n'aura pas été réglée» (par. 106). La Cour a aussi jugé «que c'est à elle
qu'il appartient de régler l'ordre dans lequel elle examinera ces questions, de telle sorte qu'elle
puisse traiter au fond chacune d'entre elles» (par. 106).

De l'avis du Nigéria il est extrêmement opportun et (comme la Cour l'a relevé) peut être même

inévitable de régler d'abord la question du titre sur Bakassi et donc d'établir la frontière
terrestre pertinente et ce n'est qu'ensuite qu'il conviendra d'examiner la frontière maritime. Le
Cameroun est-il d'accord sur ce point?Comme vous le comprenez, ces questions présentent une pertinence directe pour la
préparation du contre-mémoire du Nigéria. Le Nigéria serait donc reconnaissant s'il pouvait
savoir dans un délai de trois semaines à compter d'aujourd'hui comment le Cameroun
envisage les deux questions soulevées dans la présente lettre.

Veuillez agréer, etc.

L'Attorney-General de la Fédération,
ministre de la justice,

(Signé) ALHAJI ABDULLAHI IBRAHIM, OFR, SAN.

__________

ANNEXE II

LETTRE DE L'AGENT DE LA RÉPUBLIQUE DU CAMEROUN
AU GREFFIER DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

Yaoundé, le 30 septembre 1998.

Objet: Lettre de M. l'agent
de la République fédérale du Nigéria

du 14 septembre 1998.

J'ai l'honneur d'accuser réception de la lettre de Monsieur le greffier adjoint en date du 18
septembre 1998 et de celle de Monsieur l'agent de la République fédérale du Nigéria qui y
était joint, et je vous en remercie.

Vous me permettrez d'exprimer mon étonnement et ma surprise devant la procédure à tout le
moins inhabituelle suivie par la Partie nigériane dans sa correspondance.

Le Cameroun, qui souhaite que le grave différend soumis à la Cour relativement à l'affaire de
la Frontière terrestre et maritime soit définitivement réglé au plus tôt, considère pour sa part
que la procédure au fond, telle qu'elle est prévue par le Règlement de la Cour et organisée par
l'ordonnance du 30 juin 1998, donnera aux Parties un cadre approprié pour débattre, devant la

Cour, de toutes questions éventuelles relatives à l'affaire qui l'oppose au Nigéria.

Vous remerciant par avance de transmettre copie de la présente lettre à Monsieur le président
et à Madame et Messieurs les juges de la Cour ainsi qu'à Monsieur l'agent du Nigéria, je vous
prie, etc.

L'agent de la République du Cameroun,

(Signé) Laurent Esso.

__________1. «Ils [des exemples significatifs] peuvent donc être multipliés si cela s'avère nécessaire lors
de la reprise de l'instance au fond.» (Observations du Cameroun sur les exceptions
préliminaires. par. 6.04.)

2. Il a été dit que certains de ces autres incidents se seraient produits même après la date du
dépôt des observations du Cameroun le 30 avril 1996 (voir par exemple les incidents qui se
seraient produits en 1997 et qui sont cités (sous la rubrique «Hilé Halifa» et «Yang») dans le
CR98/4, par. 7).

3. Voir la note 1 ci-dessus.

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