DÉCLARATION DE M. LE JUGE TOMKA
1. L’Arménie a demandé à la Cour de modifier l’ordonnance du 7 décembre 2021, en particulier la première mesure conservatoire qui y est indiquée, par laquelle il est enjoint à l’Azerbaïdjan de «[p]rotéger contre les voies de fait et les sévices toutes les personnes arrêtées en relation avec le conflit de 2020 qui sont toujours en détention et garantir leur sûreté et leur droit à l’égalité devant la loi» (ordonnance du 7 décembre 2021, alinéa a) du point 1) du paragraphe 98).
2. Cette demande a été présentée en raison de la reprise des hostilités entre les Parties intervenue en septembre 2022, quelque 22 mois après qu’«[u]n cessez-le-feu complet et la cessation de toutes les hostilités dans la zone de conflit du Haut-Karabakh» eurent été «proclam[és]» dans la déclaration trilatérale signée le 9 novembre 2020 (ibid., par. 13).
3. La question qui se pose est celle de l’interprétation de la première mesure conservatoire indiquée à l’alinéa a) du point 1) du paragraphe 98 de l’ordonnance de 2021. Les mots qui y sont employés, ainsi que le raisonnement qui précède, notamment au paragraphe 67, font penser que cette mesure s’applique à toutes les personnes prisonniers de guerre et détenus arrêtées pendant le conflit de 2020, qui avait éclaté en septembre et duré jusqu’au 9 novembre 2020, ou à la suite de ce conflit. Si le texte anglais qualifie cette suite d’«aftermath», le texte français faisant autorité emploie quant à lui l’expression «immédiatement après le conflit» (les italiques sont de moi).
4. Il est difficile de considérer que la reprise des hostilités en septembre 2022, qui est postérieure de quelque 22 mois à la déclaration du 9 novembre 2020 ayant instauré le cessez-le-feu et mis fin au conflit de 2020, s’est produite «immédiatement après» celui-ci.
5. Dans son ordonnance de ce jour, la Cour considère «que la situation telle qu’elle existait lorsqu’elle a rendu l’ordonnance [de 2021] a perduré et n’est pas différente de la situation actuelle» (par. 18). Pour cette raison, elle «[d]it que les circonstances, telles qu’elles se présentent actuellement à elle, ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir de modifier les mesures indiquées dans l’ordonnance du 7 décembre 2021» (ibid., point 1) du paragraphe 23). Bien que je ne sois pas totalement convaincu, je n’ai pas voté contre cette conclusion.
6. La raison principale pour laquelle je n’ai pas voté contre cette conclusion est l’interprétation assez «créative» que fait la Cour de la première mesure indiquée dans son ordonnance de 2021. Aujourd’hui, la Cour «affirme qu’un traitement conforme à l’alinéa a) du point 1) du paragraphe 98 de son ordonnance du 7 décembre 2021 doit être réservé à toute personne qui a été détenue ou qui pourrait l’être pendant toute survenance d’hostilités constituant une résurgence du conflit de 2020» (ordonnance, par. 18, les italiques sont de moi). Ce dictum étend le champ d’application de la première mesure conservatoire indiquée en décembre 2021 à toute personne susceptible d’être détenue au cours de toutes nouvelles hostilités survenant pendant que la procédure est en instance dans la présente affaire.
(Signé) Peter TOMKA.
___________
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DECLARATION OF JUDGE TOMKA
1. The Court has been requested by Armenia to modify the Order of
7 December 2021, in particular the first measure indicated therein,
according to which Azerbaijan shall “[p]rotect from violence and bodily
harm all persons captured in relation to the 2020 Conflict who remain in
detention, and ensure their security and equality before the law” (Application
of the International Convention on the Elimination of All Forms of
Racial Discrimination (Armenia v. Azerbaijan), Provisional Measures,
Order of 7 December 2021, I.C.J. Reports 2021, p. 393, para. 98 (1) (a)).
2. The reason for this request lies in the renewed hostilities between the
Parties in September 2022, some 22 months after “[a] complete ceasefire
and termination of all hostilities in the area of the Nagorno-Karabakh
conflict [was] declared” in the Trilateral Statement signed on 9 November
2020 (ibid., para. 13).
3. The question is how to interpret the first measure of protection indicated
in paragraph 98 (1) (a) of the 2021 Order. The words used in that
paragraph, as well as the reasoning preceding it, in particular paragraph
67, suggest that it is applicable to all prisoners of war and detained
persons captured during the 2020 Conflict which lasted between September
and 9 November 2020, or in its aftermath. In the authoritative
French text, the word “aftermath” is rendered as “immédiatement après le
conflit” (emphasis added).
4. It is difficult to consider that the resumption of hostilities in September
2022, some 22 months after the ceasefire and termination of the
2020 Conflict was declared on 9 November 2020, occurred “immédiatement
après le conflit”.
5. The Court, in its Order of today, considers “that the situation that
existed when it issued the [2021 Order] is ongoing and is no different from
the present situation” (Order, para. 18). For that reason, it “[f]inds that
the circumstances, as they now present themselves to the Court, are not
such as to require the exercise of its power to modify the measures indicated
in the Order of 7 December 2021” (ibid., para. 23 (1)). Although
I am not fully convinced, I have not voted against this finding.
6. The main reason for me not voting against this finding is a rather
“creative” interpretation by the Court of the first measure it indicated in
its 2021 Order. The Court today “affirms that treatment in accordance
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DÉCLARATION DE M. LE JUGE TOMKA
[Traduction]
1. L’Arménie a demandé à la Cour de modifier l’ordonnance du
7 décembre 2021, en particulier la première mesure conservatoire qui y est
indiquée, par laquelle il est enjoint à l’Azerbaïdjan de « [p]rotéger contre
les voies de fait et les sévices toutes les personnes arrêtées en relation avec
le conflit de 2020 qui sont toujours en détention et garantir leur sûreté et
leur droit à l’égalité devant la loi » (Application de la convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre
2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 393, alinéa a) du point 1 du paragraphe
98).
2. Cette demande a été présentée en raison de la reprise des hostilités
entre les Parties intervenue en septembre 2022, quelque 22 mois après
qu’« [u]n cessez-le-feu complet et la cessation de toutes les hostilités dans
la zone de conflit du Haut-Karabakh » eurent été « proclam[és] » dans la
déclaration trilatérale signée le 9 novembre 2020 (ibid., par. 13).
3. La question qui se pose est celle de l’interprétation de la première
mesure conservatoire indiquée à l’alinéa a) du point 1 du paragraphe 98
de l’ordonnance de 2021. Les mots qui y sont employés, ainsi que le
raisonnement qui précède, notamment au paragraphe 67, font penser que
cette mesure s’applique à toutes les personnes — prisonniers de guerre et
détenus — arrêtées pendant le conflit de 2020, qui avait éclaté en septembre
et duré jusqu’au 9 novembre 2020, ou à la suite de ce conflit. Si le
texte anglais qualifie cette suite d’« aftermath », le texte français faisant
autorité emploie quant à lui l’expression « immédiatement après le conflit »
(les italiques sont de moi).
4. Il est difficile de considérer que la reprise des hostilités en septembre
2022, qui est postérieure de quelque 22 mois à la déclaration du
9 novembre 2020 ayant instauré le cessez-le-feu et mis fin au conflit de
2020, s’est produite « immédiatement après » celui-ci.
5. Dans son ordonnance de ce jour, la Cour considère « que la situation
telle qu’elle existait lorsqu’elle a rendu l’ordonnance [de 2021] a perduré
et n’est pas différente de la situation actuelle » (ordonnance, par. 18).
Pour cette raison, elle « [d]it que les circonstances, telles qu’elles se présentent
actuellement à elle, ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son
pouvoir de modifier les mesures indiquées dans l’ordonnance du
7 décembre 2021 » (ibid., point 1 du paragraphe 23). Bien que je ne sois
pas totalement convaincu, je n’ai pas voté contre cette conclusion.
6. La raison principale pour laquelle je n’ai pas voté contre cette conclusion
est l’interprétation assez « créative » que fait la Cour de la première
mesure indiquée dans son ordonnance de 2021. Aujourd’hui, la Cour
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586 application of the cerd (decl. tomka)
with point 1 (a) of paragraph 98 of its Order of 7 December 2021 is to be
afforded to any person who has been or may come to be detained during
any hostilities that constitute a renewed flare-up of the 2020 Conflict”
(Order, para. 18, emphasis added). This affirmation expands the scope of
the applicability of the first provisional measure of protection indicated in
December 2021 to any person who may be detained in the course of any
further hostilities during the pendency of the proceedings in the present
case.
(Signed) Peter Tomka.
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application de la ciedr (décl. tomka) 586
« affirme qu’un traitement conforme à l’alinéa a) du point 1 du paragraphe
98 de son ordonnance du 7 décembre 2021 doit être réservé à
toute personne qui a été détenue ou qui pourrait l’être pendant toute survenance
d’hostilités constituant une résurgence du conflit de 2020 »
(ordonnance, par. 18, les italiques sont de moi). Ce dictum étend le champ
d’application de la première mesure conservatoire indiquée en décembre
2021 à toute personne susceptible d’être détenue au cours de toutes
nouvelles hostilités survenant pendant que la procédure est en instance
dans la présente affaire.
(Signé) Peter Tomka.
Déclaration de M. le juge Tomka