Déclaration d'intervention de la Finlande

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182-20220922-WRI-01-00-EN
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Incidental Proceedings
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Note : Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel.
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR
LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE
(UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE)
DÉCLARATION D’INTERVENTION DÉPOSÉE PAR LE GOUVERNEMENT
DE LA RÉPUBLIQUE DE FINLANDE EN VERTU DE L’ARTICLE 63
DU STATUT DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
21 septembre 2022
[Traduction du Greffe]
A Monsieur le greffier de la Cour internationale de Justice, la soussignée, dûment autorisée
par le Gouvernement de la Finlande, déclare ce qui suit :
1. J’ai l’honneur de soumettre à la Cour, en vertu du paragraphe 2 de l’article 63 de son Statut,
une déclaration d’intervention en l’affaire relative à des Allégations de génocide au titre de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de
Russie).
2. Selon le paragraphe 2 de l’article 82 du Règlement de la Cour, un Etat qui désire se prévaloir
du droit d’intervention que lui confère l’article 63 du Statut doit déposer une déclaration qui précise
le nom de l’agent, l’affaire et la convention qu’elle concerne, et qui contient :
a) des renseignements spécifiant sur quelle base l’Etat déclarant se considère comme partie à la
convention ;
b) l’indication des dispositions de la convention dont il estime que l’interprétation est en cause ;
c) un exposé de l’interprétation qu’il donne de ces dispositions ;
d) un bordereau des documents à l’appui, qui sont annexés.
3. Chacun de ces éléments sera précisé dans la présente déclaration, après quelques
observations liminaires concernant la procédure judiciaire à ce jour.
OBSERVATIONS LIMINAIRES
4. Le 26 février 2022, le Gouvernement de l’Ukraine a introduit une instance contre la
Fédération de Russie en vertu de l’article IX de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (ci-après la «convention sur le génocide» ou la «convention»), et conformément
au paragraphe 1 de l’article 36 et à l’article 40 du Statut de la Cour. En même temps que sa requête,
l’Ukraine a présenté une demande en indication de mesures conservatoires sur le fondement de
l’article 41 du Statut.
5. L’Ukraine soutient (aux paragraphes 2-12 de sa requête) qu’il existe, entre la Fédération de
Russie et elle-même, un différend concernant l’interprétation, l’application ou l’exécution de la
convention sur le génocide.
6. L’Ukraine affirme en outre (au paragraphe 2) ce qui suit :
«la Fédération de Russie a soutenu de façon mensongère que des actes de génocide
avaient été commis dans les oblasts ukrainiens de Louhansk et de Donetsk, a usé de ce
prétexte pour reconnaître les prétendues «République populaire de Donetsk» et
«République populaire de Louhansk», puis a annoncé et lancé une «opération militaire
spéciale» contre l’Ukraine, avec pour objectif affiché de prévenir et de punir de
prétendus actes de génocide».
Et d’ajouter (au paragraphe 28) que «[l]es actes de la Russie sapent l’obligation centrale de
l’article premier de la convention, remettent en cause son objet et son but et entachent le caractère
solennel de l’engagement pris par les parties contractantes de prévenir et de punir le génocide».
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7. Le 7 mars 2022 s’est ouverte la procédure orale, à laquelle la Russie n’a pas participé, sur
la demande en indication de mesures conservatoires. La Russie a cependant communiqué à la Cour
un document dans lequel elle soutenait que celle-ci n’avait pas compétence pour connaître de l’affaire
et devrait s’abstenir d’indiquer des mesures conservatoires et radier l’affaire du rôle.
8. Le 16 mars 2022, la Cour a rendu une ordonnance et indiqué les mesures suivantes :
«1) la Fédération de Russie doit suspendre immédiatement les opérations
militaires qu’elle a commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l’Ukraine ;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2) la Fédération de Russie doit veiller à ce qu’aucune des unités militaires ou
unités armées irrégulières qui pourraient agir sous sa direction ou bénéficier de son
appui, ni aucune organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle ou
sa direction, ne commette d’actes tendant à la poursuite des opérations militaires visées
au point 1) ci-dessus ;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3) les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou
d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile.»
9. Le 30 mars 2022, ainsi que le prévoit le paragraphe 1 de l’article 63 du Statut de la Cour, le
greffier a dûment informé la Finlande, en sa qualité de partie à la convention sur le génocide, que
l’Ukraine, dans sa requête, invoquait cet instrument «à la fois comme base de compétence de la Cour
et à l’appui [de ses] demandes … au fond». Le greffier a en outre précisé ce qui suit :
«[l’Ukraine] entend fonder la compétence de la Cour sur la clause compromissoire
figurant à l’article IX de la convention, prie la Cour de déclarer qu’elle ne commet pas
de génocide, tel que défini aux articles II et III de la convention, et soulève des questions
sur la portée de l’obligation de prévenir et de punir le génocide consacrée à
l’article premier de la convention. Il semble, dès lors, que l’interprétation de cette
convention pourrait être en cause en l’affaire.»1
10. La Finlande rappelle que les droits et obligations énoncés dans la convention revêtent un
caractère erga omnes partes. Dans son avis consultatif de 1951, la Cour a déclaré ceci : «Dans une
telle convention, les Etats contractants n’ont pas d’intérêts propres ; ils ont seulement, tous et chacun,
un intérêt commun, celui de préserver les fins supérieures qui sont la raison d’être de la convention.»2
Elle a ultérieurement précisé qu’
«un tel intérêt commun implique que les obligations en cause sont dues par tout Etat
partie à tous les autres Etats parties au traité en question ; ce sont des obligations erga
omnes partes, en ce sens que, quelle que soit l’affaire, chaque Etat partie a un intérêt à
ce qu’elles soient respectées».
1 Lettre du greffier en date du 30 mars 2022 — voir annexe 1.
2 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1951, p. 23.
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En outre, l’interdiction du génocide est une norme impérative du droit international général
(jus cogens)3.
11. En tant qu’Etat partie à la convention sur le génocide, la Finlande a par conséquent un
intérêt direct dans la juste interprétation, application et exécution des obligations énoncées dans cet
instrument. C’est pourquoi elle a décidé de se prévaloir du droit d’intervenir en tant que non-partie à
l’instance que lui confère le paragraphe 2 de l’article 63 du Statut.
12. La Cour a confirmé que l’article 63 confère un «droit» d’intervention4. Elle a également
souligné qu’une intervention
«se limite à la présentation d’observations au sujet de l’interprétation de la convention
concernée et ne permet pas à l’intervenant, qui n’acquiert pas la qualité de partie au
différend, d’aborder quelque autre aspect que ce soit de l’affaire dont est saisie la Cour ;
et qu’une telle intervention ne peut pas compromettre l’égalité entre les Parties au
différend»5.
13. L’intervention de la Finlande porte sur les questions relatives à l’interprétation de la
convention sur le génocide qui se posent dans le contexte du présent différend6. La Finlande
considère que les articles premier, VIII et IX de la convention, à tout le moins, sont pertinents au
regard du différend. Elle exposera ici l’interprétation qu’elle fait de ces articles conformément aux
règles coutumières d’interprétation reflétées à l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des
traités.
14. L’article 63 du Statut de la Cour ne fait pas de distinction entre les questions de compétence
et les questions de fond. Ainsi que l’a dit le juge Schwebel, «l’intervention pendant la phase
juridictionnelle de l’instance fa[it] partie du droit que l’article 63 confère aux Etats»7. Par conséquent,
les interventions touchant ces deux aspects sont autorisées8 et les termes «le plus tôt possible»
figurant à l’article 82 du Règlement de la Cour confirment que le dépôt d’une déclaration fondée sur
3 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 110-111, par. 161 ; Activités armées sur le territoire du Congo
(nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 2006, p. 32, par. 64.
4 Haya de la Torre (Colombie/Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 76 ; Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya
arabe libyenne), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1981, p. 13, par. 21.
5 Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon), déclaration d’intervention de la Nouvelle-Zélande,
ordonnance du 6 février 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 9, par. 18.
6 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 87 : «la Cour aura recours aux règles coutumières de droit
international relatives à l’interprétation des traités, telles que reflétées aux articles 31 à 33 de la convention de Vienne sur
le droit des traités du 23 mai 1969» ; voir également Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021,
p. 95, par. 75 et références citées.
7 Voir Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats Unis-d’Amérique),
déclaration d’intervention, ordonnance du 4 octobre 1984, C.I.J. Recueil 1984, opinion dissidente de M. le juge Schwebel,
p. 235–236.
8 MN Shaw (ed), Rosenne’s Law and Practice of the International Court 1920-2015 (5th ed, Vol. III, Brill Nijhoff
2016), p. 1533 ; H. Thirlway, The Law and Procedure of the International Court of Justice: Fifty Years of Jurisprudence
(Vol. I, OUP 2013), p. 1031 ; A. Miron/C. Chinkin, “Article 63” in: Zimmermann/Tams/Oellers-Frahm/Tomuschat (eds),
The Statute of the International Court of Justice: A Commentary (3rd ed. OUP 2019), p. 1763, note 46.
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l’article 63 du Statut est recevable à ce stade de la procédure. Aussi la présente déclaration est-elle
déposée à la première occasion possible pour la Finlande.
15. La Finlande n’entend pas devenir partie à l’instance et accepte comme également
obligatoire à son égard l’interprétation de la convention sur le génocide que contiendra l’arrêt en
l’espèce.
BASE SUR LAQUELLE LA FINLANDE EST PARTIE À LA CONVENTION
16. La Finlande a adhéré à la convention et déposé son instrument d’adhésion conformément
au paragraphe 4 de l’article XI de la convention le 18 décembre 1969.
DISPOSITIONS DE LA CONVENTION QUI SONT EN CAUSE EN L’ESPÈCE
17. Les questions soulevées dans le différend concernent la juste interprétation des
articles premier, VIII et IX de la convention sur le génocide. La présente intervention se concentrera
sur lesdits articles dans la mesure où ils portent sur la compétence de la Cour. Dans le même temps,
la Finlande se réserve le droit de compléter sa déclaration et d’élargir le champ de ses observations
si des questions additionnelles relatives à l’interprétation de l’une quelconque des dispositions de la
convention viennent à se poser, ou qu’elle en prend connaissance en recevant copie des pièces de
procédure et des documents y annexés, conformément au paragraphe 1 de l’article 86 du Règlement.
EXPOSÉ DE L’INTERPRÉTATION DES DISPOSITIONS EN CAUSE
Article premier
18. L’Ukraine soutient qu’un différend l’oppose à la Fédération de Russie en ce qui concerne
«la question de savoir si, en conséquence de son affirmation unilatérale selon laquelle
un génocide serait en cours, la Fédération de Russie dispose d’une base juridique valable
pour entreprendre une action militaire en Ukraine et contre celle-ci afin de prévenir et
de punir un génocide en vertu de l’article premier de la convention sur le génocide»9.
L’article premier de la convention dit ce qui suit : «Les Parties contractantes confirment que le
génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens,
qu’elles s’engagent à prévenir et à punir.»
19. La Cour a souligné que, en s’acquittant de l’obligation de prévenir le génocide, les parties
contractantes doivent agir dans les limites de ce que leur permet la légalité internationale10. Parmi les
obligations limitant la liberté d’action, deux d’entre elles, basées sur la Charte des Nations Unies,
sont primordiales, à savoir l’obligation qu’ont les Etats de s’abstenir dans leurs relations
internationales de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou
l’indépendance politique de tout Etat, et celle qu’ils ont de régler leurs différends par des moyens
pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales, ainsi que la justice ne soient pas
9 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 31.
10 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 221, par. 430 ; Allégations de génocide au titre de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires,
ordonnance du 16 mars 2022, par. 57.
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mises en danger. En tout état de cause, un Etat partie qui envisage de prendre des mesures unilatérales
en exécution des obligations que lui impose l’article premier doit garder à l’esprit que certains actes
prohibés par des normes impératives du droit international général (jus cogens), tels que l’agression,
les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, ne sauraient jamais être justifiés sur le fondement
de cet article11.
20. En outre, l’obligation énoncée à l’article premier doit être exécutée de bonne foi (article 26
de la convention de Vienne sur le droit des traités). Ainsi que la Cour l’a fait observer, le principe de
la bonne foi «oblige les Parties à … appliquer [un traité] de façon raisonnable et de telle sorte que
son but puisse être atteint»12.
21. L’interprétation qu’il convient de donner à l’engagement de prévenir le génocide doit
également tenir compte du dernier alinéa du préambule de la convention, qui souligne la nécessité
de la coopération internationale. Le Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des
Nations Unies a appelé tous les Etats,
«afin de prévenir de nouveaux génocides, à coopérer, notamment dans le cadre du
système des Nations Unies, afin de renforcer la collaboration voulue entre les dispositifs
en place qui contribuent à détecter rapidement et à prévenir les violations massives,
graves et systématiques des droits de l’homme qui, s’il n’y est pas mis fin, pourraient
conduire à un génocide»13.
22. L’obligation de prévenir implique en outre que chaque Etat partie doit, avant de prendre
des mesures en application de l’article premier, évaluer si un génocide est en cours ou s’il existe un
risque grave qu’un génocide soit effectivement commis. Un Etat qui prétend agir pour prévenir un
génocide est tenu de faire preuve de la diligence requise pour recueillir des éléments de preuve de la
situation auprès de sources indépendantes, telles que des enquêtes indépendantes menées sous les
auspices des Nations Unies.
23. L’obligation de punir énoncée à l’article premier de la convention se limite à des mesures
punitives à caractère pénal prises contre des individus, ce que les articles IV à VI de la convention
viennent confirmer. Cette obligation de punir le génocide ne peut donc s’entendre comme autorisant
n’importe quel autre type de mesures, notamment des mesures coercitives ou militaires destinées à
«punir» un Etat ou un peuple.
24. Compte tenu de ce qui précède, la Finlande conclut que l’article premier de la convention
sur le génocide ne permet pas de fonder juridiquement un recours unilatéral à la force, en violation
de la Charte des Nations Unies, comme moyen de prévenir ou punir le génocide.
11 La Cour a récemment dit qu’«il est douteux que la convention, au vu de son objet et de son but, autorise l’emploi
unilatéral de la force par une partie contractante sur le territoire d’un autre Etat, aux fins de prévenir ou de punir un génocide
allégué» (voir Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 59.
12 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 79, par. 142.
13 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, résolution 43/29 : Prévention du génocide, 29 juin 2020,
doc. A/HRC/RES/43/29, par. 11.
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Article VIII
25. La Finlande rappelle que la question de la prévention et de la répression du génocide
concerne la communauté internationale dans son ensemble.
26. La Finlande considère que la juste interprétation de l’article premier de la convention sur
le génocide nécessite de lire cette disposition dans son contexte, en tenant compte notamment de
l’article VIII qui autorise les Etats parties à «saisir les organes compétents de l’Organisation des
Nations Unies afin que ceux-ci prennent, conformément à la Charte des Nations Unies, les mesures
qu’ils jugent appropriées pour la prévention et la répression des actes de génocide». L’article VIII
vient donc au soutien de la lecture de l’article premier donnée plus haut et exclut les mesures
unilatérales prises dans l’intérêt national d’un Etat partie.
Article IX
27. L’Ukraine entend saisir la Cour sur le fondement du paragraphe 1 de l’article 36 du Statut
et de l’article IX de la convention sur le génocide, qui est ainsi libellé :
«Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la
responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes
énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête
d’une partie au différend.»
28. La Finlande rappelle que le sens du terme «différend» est bien établi en droit international.
La Cour a dit que ce terme s’entendait d’«un désaccord sur un point de droit ou de fait, une
contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts» entre des parties14. Pour établir
l’existence d’un différend, «[i]l faut démontrer que la réclamation de l’une des parties se heurte à
l’opposition manifeste de l’autre»15. Les deux parties doivent avoir des «points de vue … quant à
l’exécution ou à la non-exécution de certaines obligations internationales [qui] sont nettement
opposés»16. En outre, «dans le cas où le défendeur s’est abstenu de répondre aux réclamations du
demandeur, il est possible d’inférer de ce silence, dans certaines circonstances, qu’il rejette celles-ci
et que, par suite, un différend existe»17.
29. Le sens ordinaire de l’article IX fait penser qu’il n’est pas nécessaire d’établir l’existence
d’actes de génocide pour fonder la compétence de la Cour, mais que celle-ci est compétente pour
connaître de la question de savoir si des actes de génocide ont été commis ou le sont, ou non18. C’est
14 Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 11.
15 Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1962, p. 328.
16 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 414,
par. 18 ; Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 26, par. 50, citant Interprétation des traités de paix
conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74.
17 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 71.
18 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 43 ; Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures conservatoires,
ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 14, par. 30.
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pourquoi la Cour a aussi compétence ratione materiae pour constater l’absence de génocide et un
manquement à l’obligation d’exécuter de bonne foi la convention. Sa compétence s’étend, en
particulier, aux différends concernant l’emploi unilatéral de la force militaire dans le but affiché de
prévenir et de punir un prétendu génocide19.
30. Le contexte du membre de phrase «relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de
génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III» confirme également cette
lecture. En particulier, le terme «y compris» qui ouvre cette incise indique que l’article IX de la
convention a un champ d’application plus large que celui d’une clause compromissoire classique20.
Les différends relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou à raison de l’un
quelconque des autres actes énumérés à l’article III ne sont donc qu’un des types de différends visés
par l’article IX, «compris» dans la catégorie plus large des différends «relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution» de la convention»21.
31. L’article IX prévoit expressément que la Cour est compétente pour connaître d’un
différend soumis «à la requête d’une partie [à celui-ci]» (les italiques sont de nous). Ce libellé fait
penser qu’un Etat accusé de commettre un génocide a le même droit de soumettre le différend à la
Cour que l’Etat qui formule l’accusation. En particulier, l’Etat accusé peut demander à la Cour de
prononcer un jugement déclaratoire «négatif» à l’effet de dire que les allégations par lesquelles
l’autre Etat l’accuse d’être responsable de génocide sont dénuées de fondement en fait et en droit.
32. Enfin, l’objet et le but de la convention viennent également à l’appui d’une interprétation
large de l’article IX. La Cour a fait observer que «[t]ous les Etats parties à la convention sur le
génocide ont donc, en souscrivant aux obligations contenues dans cet instrument, un intérêt commun
à veiller à ce que le génocide soit prévenu, réprimé et puni»22. Dans son avis consultatif de 1951, elle
avait dit ceci23 :
«Les fins d’une telle convention doivent également être retenues. La Convention
a été manifestement adoptée dans un but purement humain et civilisateur. On ne peut
même pas concevoir une convention qui offrirait à un plus haut degré ce double
caractère, puisqu’elle vise d’une part à sauvegarder l’existence même de certains
groupes humains, d’autre part à confirmer et à sanctionner les principes de morale les
plus élémentaires. Dans une telle convention, les Etats contractants n’ont pas d’intérêts
propres ; ils ont seulement, tous et chacun, un intérêt commun, celui de préserver les
fins supérieures qui sont la raison d’être de la convention. Il en résulte que l’on ne
saurait, pour une convention de ce type, parler d’avantages ou de désavantages
individuels des Etats, non plus que d’un exact équilibre contractuel à maintenir entre les
droits et les charges. La considération des fins supérieures de la Convention est, en vertu
19 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 45.
20 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 114, par. 169.
21 Voir aussi l’exposé écrit de la République de Gambie sur les exceptions préliminaires soulevées par la République
de l’Union du Myanmar, 20 avril 2021, p. 28-29, par. 3.22 («Cette précision [«relatifs à la responsabilité d’un Etat en
matière de génocide»] signifie incontestablement que la responsabilité à l’égard d’actes de génocide peut être l’objet d’un
différend porté devant la Cour par toute partie contractante.»).
22 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 107.
23 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil
1951, p. 23.
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de la volonté commune des parties, le fondement et la mesure de toutes les dispositions
qu’elle renferme.»
33. Compte tenu de ce qui précède, la Finlande considère que l’article IX de la convention sur
le génocide fonde la compétence de la Cour pour connaître d’un différend concernant des allégations
fallacieuses de génocide lorsque celles-ci servent une invocation abusive de l’article premier de la
convention.
DOCUMENTS À L’APPUI DE LA DÉCLARATION
34. Les documents suivants sont apportés à l’appui de la déclaration et annexés à celle-ci :
a) Lettre en date du 30 mars 2022 adressée à l’ambassadeur de Finlande auprès du Royaume des
Pays-Bas par le greffier de la Cour internationale de Justice (annexe I).
b) Instrument d’adhésion du Gouvernement de la Finlande à la convention sur le génocide
(annexe II).
RÉSUMÉ DE L’INTERPRÉTATION QUE LA FINLANDE DONNE DE
LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE
35. La Finlande affirme, tout d’abord, que l’article premier de la convention sur le génocide
ne permet pas de fonder juridiquement un recours unilatéral à la force, en violation de la Charte des
Nations Unies, comme moyen de prévenir ou punir le génocide. Elle affirme ensuite que l’article IX
de la convention est une clause juridictionnelle large, incluant l’«exécution» des obligations énoncées
dans la convention, qui, de ce fait, confère à la Cour compétence pour déclarer l’absence de génocide.
CONCLUSION
36. Au vu de ce qui précède, la Finlande se prévaut du droit que lui confère le paragraphe 2 de
l’article 63 du Statut d’intervenir en tant que non-partie à l’affaire portée devant la Cour par l’Ukraine
contre la Fédération de Russie.
37. Le Gouvernement de la Finlande a désigné Mme Kaija Suvanto, directrice générale du
service juridique du ministère des affaires étrangères, en qualité d’agente aux fins de la présente
déclaration, et Mme Tarja Långström, directrice adjointe de la section de droit international public
du service juridique du ministère des affaires étrangères, en qualité de coagente. Le greffier de la
Cour est prié d’adresser toutes les communications à l’ambassade de Finlande aux Pays-Bas :
Ambassade de Finlande
Fluwelen Burgwal 58
2511 CJ La Haye
Pays-Bas
L’agente de la Finlande,
(Signé) Kaija SUVANTO.
La coagente de la Finlande,
(Signé) Tarja LÅNGSTRÖM.
___________
ANNEXE I
LETTRE EN DATE DU 30 MARS 2022 ADRESSÉE À L’AMBASSADEUR DE FINLANDE AUPRÈS DU
ROYAUME DES PAYS-BAS PAR LE GREFFIER DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
COUR INTERNATIONALE
DE JUSTICE
INTERNATIONAL COURT
OF JUSTICE
156413 Le 30 mars 2022
J'ai l'honneur de me referer A ma lettre (n° 156253) en date du 2 mars 2022, par laquelle j'ai
porte A la connaissance de votre Gouvernement que l'Ukraine a, le 26 fevrier 2022, depose au Greffe
de la Cour internationale de Justice une requete introduisant une instance contre la Federation de
Russie en l'affaire relative A des Allegations de genocide au titre de la convention pour la prevention
et la repression du crime de genocide (Ukraine c. Federation de Russie). Une copie de la requete etait
jointe a cette lettre. Le texte de ladite requete est egalement disponible sur le site Internet de la Cour
(www.icj-cij.org).
Le paragraphe 1 de l'article 63 du Statut de la Cour dispose que
«[1]orsqu'il s'agit de 'Interpretation d'une convention A laquelle ont participe d'autres
Etats que les parties en litige, le Greffier les avertit sans delai».
Le paragraphe 1 de l'article 43 du Reglement de la Cour precise en outre que
«[1]orsque 'Interpretation d'une convention A laquelle ont participe d'autres Etats que
les parties en litige peut etre en cause au sens de l'article 63, paragraphe 1, du Statut, la
Cour examine quelles instructions donner au Greffier en la matiere».
Sur les instructions de la Cour, qui m'ont ete donnees conformement a cette derniere
disposition, j'ai l'honneur de notifier a votre Gouvernement ce qui suit.
Dans la requete susmentionnee, la convention de 1948 pour la prevention et la repression du
crime de genocide (ci-apres la «convention sur le genocide») est invoquee A la fois comme base de
competence de la Cour et a l'appui des demandes de l'Ukraine au fond. Plus precisement, celle-ci
entend fonder la competence de la Cour sur la clause compromissoire figurant A l'article IX de la
convention, prie la Cour de declarer qu'elle ne commet pas de genocide, tel que defini aux articles II
et III de la convention, et souleve des questions sur la portee de l'obligation de prevenir et de punir
le genocide consacree A Particle premier de la convention. Ii semble, des lors, que "'interpretation de
cette convention pourrait etre en cause en l'affaire.
./.
[Lettres aux Etats parties A la convention sur le genocide
(A l'exception de l'Ukraine et de la Federation de Russie)]
Palais de la Paix, Camegieplein 2
2517 KJ La Haye - Pays -Bas
Telephone: +31 (0) 70 302 23 23 - Facsimile : +31 (0) 70 364 99 28
Site Internet : www.icj-cij.org
Peace Palace, Carnegieplein 2
2517 KJ The Hague - Netherlands
Telephone: +31(0) 70 302 23 23 - Telefax: +31(0) 70 364 99 28
Website: www.icj-cij.org
COUR INTERNATIONALE INTERNATIONAL COURT
DE JUSTICE OF JUSTICE
Votre pays figure sur la liste des parties A la convention sur le genocide. Aussi la presente lettre
doit-elle etre regardee comme constituant la notification prevue au paragraphe 1 de l'article 63 du
Statut. J'ajoute que cette notification ne prejuge aucune question concernant l' application eventuelle
du paragraphe 2 de Particle 63 du Statut sur laquelle la Cour pourrait par la suite etre appelee A se
prononcer en l'espece.
Veuillez agreer, Excellence, les assurances de ma tres haute consideration.
Le Greffier de la Cour,
Philippe Gautier
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ANNEXE II
INSTRUMENT D’ADHÉSION DU GOUVERNEMENT DE LA FINLANDE
À LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE
 

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Déclaration d'intervention de la Finlande

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