COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
IMMUNITÉS ET PROCÉDURES PÉNALES
(GUINÉE ÉQUATORIALE c. FRANCE)
RÉPLIQUE
DE LA RÉPUBLIQUE DE GUINÉE ÉQUATORIALE
8 MAI 2019
PAZ
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
IMMUNITÉS ET PROCÉDURES PÉNALES
(GUINÉE ÉQUATORIALE c. FRANCE)
RÉPLIQUE
DE LA RÉPUBLIQUE DE GUINÉE ÉQUATORIALE
8 MAI 2019
PAZ
i
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION................................................................................................................... 1
I. État actuel de la procédure devant la Cour ...................................................................... 2
II. Derniers développements des procédures pénales en France .......................................... 2
III. L’objet du différend ......................................................................................................... 4
IV. Aperçu général de la position de la Guinée équatoriale .................................................. 6
V. Structure de la réplique .................................................................................................... 8
CHAPITRE 1
LES FAITS RELATIFS AU STATUT DIPLOMATIQUE DE L’IMMEUBLE
SIS AU 42 AVENUE FOCH................................................................................................... 9
I. Observations générales .................................................................................................. 11
II. Les faits.......................................................................................................................... 13
A. Les locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale en France ........ 13
B. La propriété sur l’immeuble sis au 42 avenue Foch............................................. 14
C. L’utilisation de l’immeuble aux fins de la mission diplomatique
de la Guinée équatoriale ....................................................................................... 17
CHAPITRE 2
LE NON-RESPECT DE L’INVIOLABILITÉ DE L’IMMEUBLE SIS AU 42 AVENUE
FOCH EN TANT QUE LOCAUX DE LA MISSION DIPLOMATIQUE ...................... 25
I. L’acquisition du statut de locaux d’une mission diplomatique n’est pas
tributaire des « deux conditions cumulatives » avancées par la France ........................ 25
A. L’acquisition du statut diplomatique par un immeuble n’est pas tributaire de
la « non opposition » ou du « consentement implicite » de l’État accréditaire .... 27
B. La notion de locaux « utilisés aux fins de la mission » comprend
les immeubles affectés aux fins de la mission diplomatique................................ 36
II. La France a violé ses obligations au titre de la CVRD.................................................. 43
ii
III. À titre subsidiaire, quelle que soit la bonne interprétation de la CVRD,
la France a violé ses obligations .................................................................................... 45
IV. Conclusions.................................................................................................................... 51
CHAPITRE 3
LA GUINÉE ÉQUATORIALE N’A COMMIS AUCUN ABUS DE DROIT ................. 53
I. L’abus de droit ne doit pas être présumé à la légère...................................................... 54
II. La Guinée équatoriale a agi de manière raisonnable et de bonne foi ............................ 57
III. Il ne peut exister aucun abus de droit parce que la France a empêché l’exercice
des droits en question et aucun préjudice ne lui a été causé .......................................... 62
IV. Conclusions.................................................................................................................... 64
CHAPITRE 4
LA RESPONSABILITE INTERNATIONALE DE LA FRANCE................................... 65
I. Remarques générales ..................................................................................................... 65
II. Le contenu de la responsabilité internationale de la France .......................................... 67
CONCLUSIONS.................................................................................................................... 75
ATTESTATION.................................................................................................................... 77
TABLE DES ANNEXES ...................................................................................................... 79
ANNEXES.............................................................................................................................. 81
1
INTRODUCTION
0.1. Le différend entre la République de Guinée équatoriale (ci-après, « Guinée
équatoriale ») et la République française (ci-après, « France ») trouve son origine dans les
procédures pénales en cours en France contre le Vice-Président de la Guinée équatoriale. Ces
procédures ont été entamées, et sont toujours conduites à ce jour, en violation flagrante de
plusieurs obligations de la France en vertu du droit international, notamment celles relatives
aux principes de l’égalité souveraine et de la non-intervention, à l’immunité de l’État, ses biens
et ses hauts représentants, et à l’inviolabilité des locaux des missions diplomatiques, et ce en
dépit des efforts constants de la Guinée équatoriale pour régler le différend de manière amiable.
La Cour ayant déterminé qu’elle n’a pas compétence sur la base de la Convention des Nations
Unies contre la criminalité transnationale organisée, l’affaire porte désormais sur les actions
illégales des juridictions et d’autres autorités françaises par rapport aux locaux de la mission
diplomatique de la Guinée équatoriale en France, situés au 42 avenue Foch à Paris.
0.2. La Guinée équatoriale déplore le ton du contre-mémoire, dans lequel la France fait
toujours montre de mépris à l’égard des autorités de la Guinée équatoriale, ses avocats et leur
position juridique. Il est, pour le moins, inapproprié de faire des accusations de mauvaise foi à
l’occasion des procédures devant cette Cour lorsqu’une partie ne fait qu’avancer sa position en
droit international, ce qui est envisagé par le principe du règlement pacifique des différends
consacré à l’article 2, paragraphe 3, de la Charte des Nations Unies. Dire qu’en introduisant une
instance sur la base du Protocole de signature facultative à la Convention de Vienne sur les
relations diplomatiques (ci-après, « CVRD ») pour protéger ses droits souverains, la Guinée
équatoriale commet un abus de droit est indigne de la part de la partie adverse. La Guinée
équatoriale vise tout simplement, comme l’exige la Charte des Nations Unies, à mettre fin à un
différend de manière pacifique, après que la France ait refusé (et continue à refuser) le dialogue.
0.3. Cette introduction rappelle d’abord l’état actuel de la procédure devant la Cour (I).
Elle décrit ensuite les derniers développements dans les procédures pénales en France (II), et
aborde les arguments de la France par rapport à l’objet du différend (III). La section suivante
donne un aperçu général de la position de la Guinée équatoriale (IV). Enfin, la dernière section
2
présente la structure de la réplique, en indiquant brièvement les points qui seront traités dans
chaque chapitre (V).
I. État actuel de la procédure devant la Cour
0.4. La présente instance a été introduite par la Guinée équatoriale contre la France par
voie d’une requête déposée au Greffe le 13 juin 2016.
0.5. Quelques semaines plus tard, le déroulement des procédures pénales en France
contre le Vice-Président de la Guinée équatoriale a obligé cette dernière à déposer une demande
en indication de mesures conservatoires. Les mesures demandées par la Guinée équatoriale ont
été indiquées, en partie, par la Cour dans son ordonnance du 7 décembre 2016.
0.6. Le 3 janvier 2017, la Guinée équatoriale a déposé son mémoire conformément à
l’ordonnance de la Cour du 1er juillet 2016.
0.7. Le 31 mars 2017, la France a soulevé certaines exceptions préliminaires à la
compétence de la Cour, lesquelles ont été l’objet de l’arrêt de la Cour du 6 juin 2018. La France
a par la suite déposé son contre-mémoire conformément aux délais fixés par la Cour.
0.8. Après une réunion que le Président de la Cour a tenue avec les agents des parties le
17 janvier 2019, la Cour a fixé, par une ordonnance en date du 24 janvier 2019, le 24 avril 2019
comme la date d’expiration du délai pour le dépôt de la réplique de la Guinée équatoriale.
0.9. Dans une ordonnance en date du 17 avril 2019, la Cour a reporté, à la demande de
la Guinée équatoriale, au 8 mai 2019 la date d’expiration du délai pour le dépôt de la réplique
de la Guinée équatoriale. La présente réplique est déposée conformément à cette ordonnance.
II. Derniers développements des procédures pénales en France
0.10. Comme la Guinée équatoriale l’avait indiqué lors de la procédure orale consacrée
aux exceptions préliminaires, le Vice-Président de la Guinée équatoriale, M. Teodoro Nguema
Obiang Mangue, a formé appel du jugement rendu le 27 octobre 2017 par la 32ème Chambre
correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris, qui l’a déclaré coupable des faits de
3
blanchiment et l’a condamné à une peine de trois ans d’emprisonnement avec sursis et à une
amende de trois millions d’euros, également avec sursis, outre la peine de confiscation de
l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris1.
0.11. Sans l’effet suspensif attaché à cet appel, le jugement serait devenu définitif et la
peine de confiscation se serait traduite dans la réalité par la vente aux enchères publiques des
locaux de la mission diplomatique.
0.12. Quoi qu’il en soit, lors d’une audience de procédure tenue le 26 février 2019, la
Cour d’appel de Paris a fixé l’examen de l’affaire au fond aux 9, 10, 11, 16, 17 et 18 décembre
2019, après une autre audience de procédure devant se tenir le 9 septembre 20192.
0.13. Il est à noter que du fait de l’appel formé également à titre principal par le Ministère
public français, le Vice-Président de la Guinée équatoriale risque une aggravation de la peine
prononcée à son encontre en première instance. En cas de pourvoi en cassation contre un arrêt
éventuel de la Cour d’appel, celui-ci aura un effet suspensif.
0.14. Il sied à corriger certains faits inexacts que la France a évoqués dans son contremémoire
par rapport au Vice-Président de la Guinée équatoriale, en dépit du fait que la Cour a
décidé qu’elle n’a pas compétence pour statuer sur le volet du différend concernant son
immunité en tant que haut représentant de l’État équato-guinéen.
0.15. En premier lieu, il n’existe à ce jour aucune enquête pénale contre le Vice-Président
aux États-Unis où, de notoriété publique, il s’est rendu plusieurs fois récemment, notamment
en septembre 2015 pour représenter son pays à l’Assemblée générale des Nations Unies et pour
être reçu par le Président des États-Unis, puis en mai 2018 où il a prononcé un discours au nom
de son pays devant le Conseil de sécurité, dont la Guinée équatoriale a été élue membre non
permanente pour la période 2018-2019.
0.16. Quant à la Suisse, le 31 octobre 2016, vraisemblablement influencé par les
procédures pénales en France, le Ministère public genevois a cru devoir ouvrir une enquête
1 CR 2018/3, 20 février 2018, p. 27, par. 47 (Tchikaya) ; Tribunal de grande instance de Paris, 32e chambre
correctionnelle, jugement du 27 octobre 2017 (Annexe n° 1), pp. 105-106.
2 Cour d’appel de Paris, Avis d’audience du 27 février 2019 (Annexe n° 2).
4
pénale sur « des soupçons de blanchiment d’argent et gestion déloyale des intérêts publics »
contre M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, une avocate et un citoyen suisses. Dans le cadre
de cette enquête, certains véhicules automobiles et navires ont été séquestrés sur la supposition
qu’ils appartenaient à M. Teodoro Nguema Obiang Mangue et qu’ils constituaient le produit
d’un délit. Il est cependant à noter qu’après plus de deux ans d’enquête le Ministère public
genevois est arrivé à la conclusion qu’aucun délit ne pouvait être reproché à M. Teodoro
Nguema Obiang Mangue, et que les navires, qui appartenaient à des sociétés dont l’État équatoguinéen
était le seul actionnaire, étaient bien la propriété de l’État.
0.17. Le 7 février 2019, après avoir obtenu l’accord de toutes les parties, le Ministère
public genevois a dû se résoudre à rendre une ordonnance de classement de l’affaire fondée sur
des motifs de droit3. Il convient de souligner que, contrairement à l’attitude de la France, les
autorités suisses ont entendu la Guinée équatoriale tout au long de cette enquête.
0.18. Enfin, contrairement aux affirmations de la France qui n’ont pour seul but que de
justifier à tout prix les procédures pénales engagées sur son territoire, M. Teodoro Nguema
Obiang Mangue ne fait l’objet d’aucune procédure pénale au Brésil.
III. L’objet du différend
0.19. La France consacre le chapitre 2 de son contre-mémoire à analyser l’objet du
différend à la lumière de l’arrêt de la Cour sur les exceptions préliminaires du 6 juin 2018. La
Guinée équatoriale ne conteste pas que le seul différend désormais devant la Cour est celui
relatif à l’interprétation et l’application de la CVRD4.
0.20. La partie adverse s’appuie, pourtant, sur le paragraphe 70 de l’arrêt pour limiter
l’objet du différend à l’interprétation et l’application des articles 1, alinéa i), et 22 de la CVRD,
en excluant les demandes que la Guinée équatoriale pourrait avoir sur la base d’autres
3 Il est à souligner que, selon l’article 320 du Code de procédure pénale suisse, une ordonnance de classement
vaut acquittement.
4 Contre-mémoire de la France (ci-après « CMF »), pars. 2.1-2.21.
5
dispositions de la Convention5. Ceci est une lecture excessivement restrictive d’un paragraphe
de l’arrêt qui ignore la généralité du dispositif de celui-ci, dans lequel la Cour :
« 2) (…) Rejette la deuxième exception préliminaire soulevée par la République
française, selon laquelle la Cour n’a pas compétence sur la base du protocole de signature
facultative à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques concernant le
règlement obligatoire des différends;
(…)
4) (…) Déclare qu’elle a compétence, sur la base du protocole de signature facultative à
la convention de Vienne sur les relations diplomatiques concernant le règlement
obligatoire des différends, pour se prononcer sur la requête déposée par la République de
Guinée équatoriale le 13 juin 2016, en ce qu’elle a trait au statut de l’immeuble sis au 42
avenue Foch à Paris en tant que locaux de la mission, et que ce volet de la requête est
recevable »6.
0.21. La France avance par ailleurs que des règles autres que celles découlant de la CVRD
ne sont pas pertinentes en l’espèce7. D’un côté, cela va de soi. De l’autre côté, les termes d’un
traité doivent être interprétées dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. En
plus, il doit être tenu compte, en même temps que du contexte, de toute règle pertinente de droit
international applicable dans les relations entre les parties8. Et, à l’évidence, les faits doivent
également être pris en considération pour interpréter la CVRD. En conséquence, si, comme on
le verra ci-dessous, la question de la propriété sur l’immeuble sis au 42 avenue Foch est
pertinente pour l’application de la Convention, son traitement n’est pas exclu par l’arrêt de la
Cour du 6 juin 2018, contrairement à ce que semble suggérer la France9. Les arguments de la
partie adverse au sujet de la pertinence de la propriété sur l’immeuble10 sont en réalité
étroitement liés aux violations de la CVRD, et la France elle-même aborde cette question pour
justifier son comportement.
5 Ibid., pars. 2.11-2.12.
6 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), arrêt du 6 juin 2018 sur les exceptions
préliminaires, par. 154.
7 CMF, par. 2.10.
8 Articles 31(1) et (3)(c) de la Convention de Vienne sur le droit des traités.
9 CMF, pars. 2.13-2.20.
10 Ibid., par. 2.19.
6
0.22. Enfin, la Guinée équatoriale ne partage pas la position de la France selon laquelle
seuls les paragraphes 1 et 3 de l’article 22 de la CVRD sont pertinents en l’espèce11. Le
différend porté devant la Cour concerne également l’obligation de la France de prendre toute
mesure afin d’empêcher notamment que la paix de la mission ne soit troublée et sa dignité
amoindrie. La Guinée équatoriale a toujours invoqué l’article 22 de la Convention dans son
ensemble12, et la Cour en a fait de même dans son arrêt du 6 juin 201813. La Guinée équatoriale
reviendra sur cette question au Chapitre 2.
IV. Aperçu général de la position de la Guinée équatoriale
0.23. La Guinée équatoriale maintient dans la présente réplique tous les arguments
qu’elle a avancés dans son mémoire. À ce stade de la procédure, il convient uniquement de
répondre aux arguments de la France dans son contre-mémoire et d’éclairer la Cour sur certains
aspects de la position équato-guinéenne.
0.24. La présente affaire soulève plusieurs questions juridiques fondamentales
concernant les relations diplomatiques, ce qui appelle à la prudence. En particulier, il s’agit de
déterminer les circonstances dans lesquelles un immeuble peut être considéré comme « locaux
de la mission » au sens de l’article 1, alinéa i), de la CVRD, ainsi que les actes d’un État
accréditaire qui peuvent constituer des violations de l’article 22.
0.25. En ce qui concerne l’acquisition du statut de « locaux de la mission », la France
avance une thèse de « deux conditions cumulatives ». Comme on le démontrera ci-dessous,
cette thèse n’est pas fondée en droit. La France elle-même ne l’a pas adoptée dans sa pratique.
Il s’agit d’une thèse déraisonnable qui, selon les explications de la partie adverse elle-même, ne
pourrait être appliquée dans la pratique étatique sans créer de risques sérieux au bon
déroulement des relations diplomatiques. Pour ces raisons, la Guinée équatoriale demeure
convaincue que son interprétation de la CVRD est correcte et qu’un immeuble acquière le statut
11 Ibid., par. 3.50.
12 Voir Mémoire de la Guinée équatoriale (ci-après, « MGE »), pars. 8.4-8.8. Voir aussi Requête introductive
d’instance de la Guinée équatoriale, par. 38 ; Demande en indication de mesures conservatoires de la Guinée
équatoriale, pars. 13, 17 ; Observations de la Guinée équatoriale sur les exceptions préliminaires (ci-après,
« OGE »), pars. 3.4, 3.7, 3.8, 3.26 et s.
13 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), arrêt du 6 juin 2018 sur les exceptions
préliminaires, pars. 129-138. Voir aussi Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France),
mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016, p. 1148, pars. 51, 68, 79, 99.
7
diplomatique lorsque l’État accréditant notifie l’État accréditaire de l’affectation dudit
immeuble aux fins de sa mission diplomatique. En ce qui concerne l’immeuble sis au 42 avenue
Foch à Paris, il a acquis ce statut le 4 octobre 2011. Par conséquent, toutes les mesures contraires
à l’article 22 de la CVRD prises par les autorités françaises contre l’immeuble après cette date
engagent la responsabilité internationale de la France.
0.26. Incapable de répondre aux arguments de la Guinée équatoriale concernant son droit
de propriété sur l’immeuble, la France invite la Cour à ne pas aborder cette question, car à son
avis une mesure qui affecte la propriété sur un immeuble abritant les locaux d’une mission
diplomatique ne peut pas violer l’article 22 de la CVRD. Cet argument est insoutenable,
d’autant plus que, comme la Guinée équatoriale l’a déjà remarqué, la France a refusé de
reconnaître le statut diplomatique de l’immeuble sis au 42 avenue Foch parce qu’elle a
considéré, de manière erronée, que celui-ci relevait du « domaine privé » en octobre 2011.
0.27. À titre subsidiaire, la Guinée équatoriale fait également valoir que, même si la thèse
des « deux conditions cumulatives » avancée par la France était correcte (quod non), la France
a néanmoins violé ses obligations en vertu de la CVRD. Comme on le verra ci-dessous, le
comportement de la France refusant de reconnaître le statut diplomatique de l’immeuble sis au
42 avenue Foch revêt à l’évidence un caractère arbitraire et discriminatoire, et doit, à ce titre,
être condamné. Par ailleurs, comme l’indique clairement la jurisprudence de la Cour, si la
France considérait que la Guinée équatoriale a agi de manière inappropriée, elle aurait dû se
prévaloir des moyens prévus par la CVRD pour parer à des possibles violations ou abus. Au
lieu de cela, elle a adopté des mesures coercitives inadmissibles par la Convention et a violé,
par conséquent, ses obligations au titre de celle-ci. La Guinée équatoriale a abordé ces aspects
du différend dans son mémoire, mais la France les a tout simplement ignorés.
0.28. Enfin, la Guinée équatoriale rejette encore une fois et fermement les accusations de
la France selon lesquelles elle aurait commis un abus de droit. Un abus par un État souverain
ne doit jamais être présumé à la légère, et le faire risque d’affaiblir le système du règlement
pacifique des différends. Comme la Guinée équatoriale l’expliquera dans cette réplique, la
France n’a pas fourni d’éléments de preuve pour l’existence d’un tel abus en l’espèce. Ces
accusations doivent être rejetées.
8
V. Structure de la réplique
0.29. Après cette introduction, la présente réplique comprend quatre chapitres.
0.30. Le Chapitre 1 aborde les faits. Il répond aux chapitres 1 et 4 du contre-mémoire,
et porte en particulier sur l’utilisation de l’immeuble sis au 42 avenue Foch aux fins de la
mission diplomatique de la Guinée équatoriale en France. Il sera par ailleurs démontré que toute
« incohérence de la part de la Guinée équatoriale », si elle existait, a été bien exagérée par la
partie adverse.
0.31. Le Chapitre 2 répond au chapitre 3 du contre-mémoire et montre que,
contrairement à ce qu’affirme la France, l’immeuble sis au 42 avenue Foch a acquis le statut
diplomatique le 4 octobre 2011 et que l’inviolabilité de cet immeuble en tant que locaux de la
mission diplomatique de la Guinée équatoriale n’a pas été respectée. À titre subsidiaire, il sera
démontré que, même si la position de la France par rapport aux « deux conditions cumulatives »
était acceptée, la partie adverse a de toute façon agi de manière contraire à ses obligations en
vertu de la CVRD.
0.32. Le Chapitre 3 aborde les accusations de la France selon lesquelles la Guinée
équatoriale commettrait un abus de droit. Il sera démontré que la France a déformé les exigences
strictes pour constater un abus de droit en droit international et qu’elle n’a pas établi les faits
pour une telle constatation dans la présente affaire.
0.33. Le Chapitre 4 répond au chapitre 5 du contre-mémoire et explique le contenu de
la responsabilité de la France pour ses violations du droit international.
0.34. La réplique se termine par les Conclusions de la Guinée équatoriale.
9
CHAPITRE 1
LES FAITS RELATIFS AU STATUT DIPLOMATIQUE
DE L’IMMEUBLE SIS AU 42 AVENUE FOCH
1.1. La France admet, et la Guinée équatoriale en est d’accord, que les faits relatifs à la
présente affaire « revêtent une importance toute particulière au regard des questions de droit
soulevées devant la Cour »14. Cependant, dans son contre-mémoire, la partie adverse expose
ces faits de manière incomplète et inexacte, notamment en ce qui concerne son propre
comportement. La Guinée équatoriale a déjà présenté un exposé détaillé des faits dans ses
écritures15, mais elle se voit obligée de répondre dans cette réplique à certaines allégations
regrettables de la France.
1.2. La position de la Guinée équatoriale par rapport aux faits, ainsi que cela sera détaillé
ci-dessous, se résume comme suit :
- Déjà dans les années antérieures à 2011, la Guinée équatoriale avait décidé
d’acquérir des nouveaux locaux pour sa mission diplomatique en France. Cette
décision se fondait sur le fait que les locaux antérieurs, situés au 29 boulevard des
Courcelles, consistaient en un appartement trop petit qui n’avait pas les qualités de
représentation requises pour l’une des missions diplomatiques les plus importantes
de la Guinée équatoriale.
- Dans les années précédant l’acquisition de l’immeuble sis au 42 avenue Foch par la
Guinée équatoriale, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue, qui occupait un rang
élevé dans l’État équato-guinéen, permettait l’utilisation dudit immeuble à des fins
diplomatiques et officielles. La Guinée équatoriale a effectivement fait un tel usage
de l’immeuble.
14 CMF, par. 1.2.
15 MGE, Chapitres 2-4 ; OGE, pars. 1.2-1.43 ; Réponse de la Guinée équatoriale aux questions des juges
Bennouna et Donoghue, 26 octobre 2016.
10
- Le 15 septembre 2011, la Guinée équatoriale a complété l’acquisition des cinq
sociétés suisses copropriétaires de l’immeuble sis au 42 avenue Foch et, en
conséquence, est devenue propriétaire de l’immeuble. L’acquisition s’est faite
légalement contre paiement d’un prix commercial (32 millions d’euros). La
transaction a bien été enregistrée par les autorités suisses et françaises, ces dernières
ayant par ailleurs prélevé les impôts y relatifs conformément à la procédure
normale.
- L’acquisition de l’immeuble sis au 42 avenue Foch par la Guinée équatoriale a été
complétée bien avant que les procédures pénales contre M. Teodoro Nguema
Obiang Mangue soient entamées et que toute mesure de contrainte soit prise contre
l’immeuble. Le droit de propriété de la Guinée équatoriale n’a jamais été contesté
par la France avant l’introduction de la présente instance devant la Cour. Tout au
contraire, le comportement des autorités françaises elles-mêmes montrent la
reconnaissance de ce droit.
- Le 4 octobre 2011, la Guinée équatoriale a notifié au Ministère français des affaires
étrangères qu’elle affectait l’immeuble aux fins de sa mission diplomatique en
France. Cette notification a été faite conformément à une pratique bilatérale et
réciproque bien établie entre la Guinée équatoriale et la France par rapport à
l’établissement des locaux des missions diplomatiques.
- Le 11 octobre 2011, le Ministère français des affaires étrangères, sans aucun
fondement juridique ou factuel, et sans consulter la Guinée équatoriale, a répondu
à celle-ci que l’immeuble « relevait du droit privé et, de ce fait, du droit commun ».
Il est à remarquer qu’avant cette notification à la Guinée équatoriale, le Ministère a
adressé une lettre, rédigée en des termes similaires, aux juges d’instruction en
charge de l’information judiciaire par rapport à plusieurs chefs d’État africains et
membres de leurs familles, indiquant que l’immeuble ne faisait pas partie des
locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale. Ceci a déclenché
l’adoption de mesures de contrainte par les autorités judiciaires et policières
françaises contre l’immeuble en février et juillet 2012.
- Après les premières mesures de contrainte contre l’immeuble, en février 2012, la
Guinée équatoriale a soulevé les plus vives protestations et a rejeté la position de la
11
France par rapport au statut de l’immeuble. Elle a également exposé sa position
juridique concernant l’établissement des locaux diplomatiques.
- Entre septembre 2011 et juillet 2012, la Guinée équatoriale a progressivement
déménagé les services de son Ambassade et a cessé d’utiliser les locaux situés au
29 boulevard de Courcelles en tant que locaux de sa mission diplomatique.
- Enfin, le 19 juillet 2012, les juridictions françaises, toujours pas informées par le
Ministère français des affaires étrangères du statut véritable de l’immeuble sis au
42 avenue Foch, ont ordonné sa saisie en vue de sa confiscation.
1.3. Le présent chapitre est divisé en deux sections. La Section I contient certaines
observations générales par rapport à l’exposé des faits contenu dans le contre-mémoire de la
France. La Section II répond à des questions factuelles spécifiques en abordant de manière plus
détaillée les faits exposés ci-dessus.
I. Observations générales
1.4. Avant d’aborder les faits relatifs à l’immeuble sis au 42 avenue Foch, deux
observations générales s’imposent.
1.5. En premier lieu, la France a allégué au cours des procédures devant la Cour que la
Guinée équatoriale aurait agi de mauvaise foi lorsqu’elle a acquis l’immeuble sis au 42 avenue
Foch pour l’affecter aux fins de sa mission diplomatique. La France a même adopté la
supposition de certaines juridictions françaises que cette acquisition constituerait un « habillage
juridique ». Elle dit, en essence, que l’intention de la Guinée équatoriale était de faire échapper
l’immeuble à certaines procédures pénales.
1.6. La Guinée équatoriale rejette ces allégations avec la plus grande fermeté. Car non
seulement il est établi, par exemple, que la France n’a jamais poursuivi l’annulation de cette
prétendue transaction frauduleuse, mais encore, comme on le verra dans la présente réplique,
c’est plutôt la France qui a agi de manière arbitraire et discriminatoire lorsque, le 11 octobre
2011, elle a cherché à refuser la désignation des nouveaux locaux de l’Ambassade de la Guinée
équatoriale. En effet, la France n’avait aucun fondement, juridique ou factuel, pour ce refus, ce
qui est aggravé par le fait qu’elle n’a jamais consulté la Guinée équatoriale. Le comportement
12
de la France est complètement contraire aux règles relatives aux relations diplomatiques, y
compris celles concernant la non-discrimination entre États égaux et souverains.
1.7. En deuxième lieu, les faits exposés dans le contre-mémoire de la France se basent,
dans une très grande mesure, sur l’information produite par les autorités judiciaires et policières
françaises au cours des procédures pénales contre le Vice-Président de la Guinée équatoriale,
initiées à la demande de certaines ONG. Or, de l’avis de la Guinée équatoriale, la Cour ne
devrait pas purement et simplement accepter ces informations et qualifications, surtout lorsque
la Guinée équatoriale les conteste, et doit, dans l’exercice de sa fonction judiciaire, former sa
propre opinion. C’est le cas, par exemple, des insinuations selon lesquelles l’acquisition de
l’immeuble sis au 42 avenue Foch par la Guinée équatoriale constituerait un « habillage
juridique », que la nomination de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue à ses hautes fonctions
aurait été une « nomination de circonstance » et que des infractions principales auraient été
commises sur le territoire de la Guinée équatoriale.
1.8. L’information produite par les autorités judiciaires et policières françaises n’est pas
définitive, même en France, compte tenu du fait que les procédures pénales sont toujours en
cours. Par ailleurs, la Guinée équatoriale tient à rappeler qu’elle n’a pas été autorisée à
participer à ces procédures, car sa demande de constitution de partie civile a été rejetée
systématiquement16. Sa version des faits n’a jamais été prise en compte. Il est par conséquent
incorrecte, voire injuste, de tenter de lui opposer l’appréciation unilatérale des faits des
juridictions françaises.
1.9. Il est d’autant plus nécessaire d’être prudent par rapport à l’information produite
par les juridictions françaises que celles-ci ont montré un parti pris manifeste et inacceptable
contre la Guinée équatoriale. En effet, sans l’avoir jamais entendue dans le cadre de
l’information judiciaire, les juridictions françaises ont plusieurs fois exprimé un jugement de
valeur sur le comportement de la Guinée équatoriale, voire méprisé toute l’information que
cette dernière a essayé de fournir17. Le parti pris des juridictions françaises contre la Guinée
16 Comme la Guinée équatoriale l’a remarqué dans son mémoire, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt en date
du 13 juin 2013, a déclaré irrecevable une demande de constitution de partie civile de la Guinée équatoriale.
Voir MGE, pars. 3.62-3.63 ; Tribunal de grande instance de Paris, 32e chambre correctionnelle, jugement du
27 octobre 2017 (Annexe n° 1), pp. 18-19.
17 MGE, par. 6.20 ; Tribunal de grande instance de Paris, 32e chambre correctionnelle, jugement du
27 octobre 2017 (Annexe n° 1), p. 36.
13
équatoriale ressort clairement de l’attitude reflétée dans le passage suivant - tout à fait
inacceptable - du jugement du 27 octobre 2017 :
« (…) eu égard à la réputation de la Guinée-Équatoriale au sein de la communauté
internationale, à l’extraordinaire richesse naturelle du pays, ainsi qu’à la mainmise de la
famille OBIANG MBASOGO sur le gouvernement et l’économie, il ne faisait aucun
doute qu’une part importante des avoirs de Teodoro NGUEMA OBIANG MANGUE
trouvait son origine dans l’extorsion, le détournement de fonds publics ou autres pratiques
corruptives »18.
1.10. Cette attitude des juridictions françaises est contraire à tous les principes qui
régissent les relations entre États souverains et égaux. Elle ne devrait pas être confortée par
cette Cour.
II. Les faits
1.11. Cette section aborde premièrement certains faits concernant les locaux de la mission
diplomatique de la Guinée équatoriale en France depuis l’établissement des relations
diplomatiques entre les deux pays (A). Ensuite, elle clarifie certains faits concernant
l’acquisition par la Guinée équatoriale de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris (B). Une
troisième partie est consacrée à l’utilisation de cet immeuble aux fins de la mission
diplomatique de la Guinée équatoriale, mettant l’accent notamment sur l’année 2011 et le refus
initial de la France de reconnaître cette utilisation (C).
A. LES LOCAUX DE LA MISSION DIPLOMATIQUE DE
LA GUINÉE ÉQUATORIALE EN FRANCE
1.12. La Guinée équatoriale croit utile d’exposer, tout d’abord, certains faits concernant
les divers locaux qui ont abrité sa mission diplomatique en France.
1.13. La Guinée équatoriale et la France entretiennent des relations diplomatiques depuis
l’indépendance de la Guinée équatoriale le 12 octobre 1968. Au total, outre l’immeuble sis au
42 avenue Foch, quatre locaux ont abrité sa mission diplomatique à Paris :
18 Tribunal de grande instance de Paris, 32e chambre correctionnelle, jugement du 27 octobre 2017 (Annexe n° 1),
p. 39.
14
- La première mission diplomatique s’est installée dans la suite d’un hôtel à Paris
(l’Hôtel de Crillon), où résidait l’Ambassadeur.
- En juin 1980, la mission diplomatique a déménagé à un immeuble, mis à disposition
à titre de location, situé au 6 rue Alfred de Vigny19. La Guinée équatoriale avait
l’intention d’acheter cet immeuble, mais s’est finalement trouvée dans
l’impossibilité de le faire20. Pour cette raison, elle a dû annuler le contrat de location
et chercher des nouveaux locaux.
- Ensuite, la mission diplomatique a été provisoirement établie au 16 avenue de
Baudelaire, dans l’attente de l’acquisition des nouveaux locaux.
- Enfin, la Guinée équatoriale a acheté un appartement situé au 29 boulevard de
Courcelles. L’Ambassade s’y est installée en 2001 et a opéré depuis ces locaux
pendant dix ans.
1.14. À chaque occasion, le Ministère français des affaires étrangères a été informé du
changement d’adresse de l’Ambassade, sans aucune objection de sa part. Par ailleurs, aucune
procédure de « vérification » n’a été effectuée par le Ministère.
1.15. Enfin, il n’est pas sans intérêt de souligner que la France a eu une série de locaux
abritant sa mission diplomatique à Malabo. L’établissement de chacun de ses locaux s’est
également fait par simple notification de la France au Ministère des affaires étrangères de la
Guinée équatoriale.
B. LA PROPRIÉTÉ SUR L’IMMEUBLE SIS AU 42 AVENUE FOCH
1.16. La France fait valoir que la propriété sur l’immeuble sis au 42 avenue Foch est sans
pertinence pour trancher le différend devant la Cour21. La Guinée équatoriale considère, en
19 Bail professionnel, 5 juin 1980 (Annexe n° 3).
20 Lettre de l’Ambassade de la Guinée équatoriale à M. de Pesquidou,12 août 1999 ; Lettre de l’Ambassade de la
Guinée équatoriale à CDR Créances, 7 octobre 1999 (Annexe n° 4).
21 CMF, pars. 2.13-2.20.
15
revanche, que son droit de propriété (déjà démontré amplement dans ses écritures22) est tout à
fait pertinent, étant donné que ce titre est la seule base qui permet à la Guinée équatoriale
d’utiliser l’immeuble aux fins de sa mission diplomatique23, et parce que, comme on l’a
mentionné ci-dessus, la propriété sur l’immeuble est la raison évoquée par la France pour
refuser de lui reconnaître le statut diplomatique en octobre 2011.
1.17. Tout d’abord, la Guinée équatoriale tient à informer la Cour qu’elle a une politique,
à son avis ordinaire, d’acquérir la propriété sur les immeubles qu’elle entend utiliser à des fins
diplomatiques. Comme il a été mentionné ci-dessus, c’est parce qu’il lui était impossible
d’acheter l’immeuble sis au 6 rue Alfred Vigny qu’elle a décidé de quitter ces locaux24. Elle a
par la suite acheté l’immeuble situé au 29 boulevard de Courcelles. La Guinée équatoriale a par
ailleurs toujours fait l’effort de devenir propriétaire des immeubles qui servent comme
résidence de ses fonctionnaires diplomatiques en France.
1.18. La Guinée équatoriale a décidé d’acquérir des nouveaux locaux pour sa mission
diplomatique en 2010, comme en attestent, par exemple, certains échanges entre la Guinée
équatoriale et des agents immobiliers25. Cette décision était motivée par le fait que les locaux
du 29 boulevard de Courcelles étaient beaucoup trop petits pour l’accomplissement effectif des
fonctions de l’Ambassade et qu’ils n’avaient pas les qualités de représentation que la Guinée
équatoriale estimait nécessaires pour l’une de ses missions diplomatiques les plus importantes.
1.19. L’opportunité s’est présentée d’acheter l’immeuble sis au 42 avenue Foch, lequel a
les caractéristiques que la Guinée équatoriale considère adéquates pour abriter sa mission
diplomatique en France et est géographiquement mieux placé (dans un endroit où plusieurs
ambassades et postes consulaires se trouvent, et plus proche du Quai d’Orsay). La Guinée
équatoriale en est devenue le propriétaire suite à une cession des droits sociaux en date du 15
septembre 2011 et, évidemment, les arrangements pour l’acquisition de l’immeuble ont
commencé avant cette date. Cette cession est intervenue bien avant que les procédures pénales
22 Réponse de la Guinée équatoriale aux questions des juges Bennouna et Donoghue, 26 octobre 2016, pp. 1-4 ;
MGE, pars. 2.12-2.28 ; OGE, pars. 1.37, 1.39.
23 Voir pars. 2.53-2.56 ci-dessous.
24 Lettre de l’Ambassade de la Guinée équatoriale à M. de Pesquidou,12 août 1999 ; Lettre de l’Ambassade de la
Guinée équatoriale à CDR Créances, 7 octobre 1999 (Annexe n° 4).
25 Lettre de l’agence Haussmania à l’Ambassadeur de la Guinée équatoriale, 1er avril 2010 (Annexe n° 5).
16
contre le Vice-Président de la Guinée équatoriale soient initiées et avant que toute mesure de
contrainte soit prise contre l’immeuble.
1.20. La France soutient, de manière assez curieuse, qu’elle n’a jamais contesté le droit
de propriété de la Guinée équatoriale, mais qu’elle ne l’a pas non plus reconnu26. Le
comportement de la France à cet égard est en fait très erratique. Dans quelques jugements, sans
ne s’être jamais intéressées à entendre la Guinée équatoriale sur cette question, les juridictions
françaises semblent être de l’avis que la Guinée équatoriale n’était pas le propriétaire de
l’immeuble, car le transfert de propriété aurait été un « habillage juridique »27. Or, comme on
l’a relevé ci-dessus, les juridictions françaises n’ont jamais poursuivi l’annulation de cette
prétendue transaction frauduleuse. Par ailleurs, cette position contredit frontalement le
comportement des autorités fiscales de la France qui ont bien accepté le paiement des impôts et
taxes de la part de la Guinée équatoriale pour l’acquisition de l’immeuble28.
1.21. De plus, même les juridictions françaises ont reconnu la propriété de la Guinée
équatoriale sur l’immeuble. Dans une ordonnance de référé du 22 octobre 2013, portant sur une
plainte par le syndicat de copropriétaires du 40-42 avenue Foch, le Tribunal de grande instance
de Paris a bien constaté que c’est « la république de Guinée équatoriale, qui par des sociétés
interposées est propriétaire de locaux au sein de l’immeuble B ». L’Ambassade de la Guinée
équatoriale a transmis cette ordonnance au Ministère français des affaires étrangères le 25
octobre 2013. Le Ministère n’a élevé aucune protestation à cet égard29.
1.22. Pour la Guinée équatoriale, il n’existe donc aucun doute qu’elle est bien
le propriétaire de l’immeuble sis au 42 avenue Foch. Elle reviendra sur cette question
au Chapitre 2.
1.23. Enfin, la Guinée équatoriale considère que, si la Cour a décidé qu’elle n’a pas
compétence pour trancher la question de savoir si l’immunité d’exécution de l’immeuble sis au
26 CMF, par. 4.31. Cf. par. 4.14.
27 Tribunal de grande instance de Paris, 32e chambre correctionnelle, jugement du 27 octobre 2017 (Annexe n° 1),
p. 36 ; MGE, par. 6.20.
28 MGE, pars. 2.21-2.25.
29 Ambassade de la Guinée équatoriale, Note verbale n° 863/13, 25 octobre 2013, transmettant l’ordonnance de
référé du Tribunal de grande instance de Paris du 22 octobre 2013 (Annexe n° 6), p. 2.
17
42 avenue Foch, en tant que bien de l’État utilisé à des fins de service public non-commercial,
a été violée en l’espèce, il serait approprié que la Cour rappelle à la France qu’elle demeure
soumise à cette obligation en vertu du droit international30.
C. L’UTILISATION DE L’IMMEUBLE AUX FINS DE LA MISSION DIPLOMATIQUE
DE LA GUINÉE ÉQUATORIALE
1.24. La France avance dans son contre-mémoire que l’immeuble sis au 42 avenue Foch
est une « résidence privée ».31 Cette affirmation est fausse. L’immeuble était bien la propriété
de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue entre le 18 décembre 2004 et le 15 septembre 2011.
Cependant, comme on l’a remarqué ci-dessus, l’immeuble a été légalement acquis par la Guinée
équatoriale le 15 septembre 2011 et il a été affecté exclusivement aux fins de sa mission
diplomatique en France. Le 4 octobre 2011, la Guinée équatoriale a informé la France de cette
affectation.
1.25. Comme la Guinée équatoriale l’a expliqué dans son mémoire, l’affectation consiste
à donner une destination ou une fonction à un bien32 ; c’est-à-dire à le désigner comme devant
servir une fin spécifique33. Il s’agit d’une décision souveraine. En ce qui concerne l’immeuble
sis au 42 avenue Foch, la Guinée équatoriale a décidé de l’affecter aux fins de sa mission
diplomatique même avant son acquisition le 15 septembre 2011.
1.26. Le 28 septembre 2011, la Guinée équatoriale a protesté deux fois contre les
premières mesures de contrainte des autorités françaises au cours des procédures pénales (à ce
moment-là au stade de l’instruction préparatoire), à savoir la saisie des véhicules appartenant à
M. Teodoro Nguema Obiang Mangue qui se trouvaient encore dans la cour de l’immeuble sis
au 42 avenue Foch, un espace extérieur attenant à l’immeuble. Dans un premier temps,
30 Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 2004, p. 279, par. 128.
31 CMF, p. 11.
32 MGE, par. 8.46.
33 OGE, par. 1.41.
18
l’Ambassadeur de la Guinée équatoriale a contesté l’opération sur place34. Ensuite,
l’Ambassade a envoyé une lettre au ministre des affaires étrangères de la France35.
1.27. Comme la France l’a souligné, la Guinée équatoriale n’a pas mentionné
l’affectation de l’immeuble sis au 42 avenue Foch aux fins de sa mission diplomatique dans la
lettre du 28 septembre 201136. En réalité, la Guinée équatoriale n’a pas mentionné l’immeuble
du tout. La Guinée équatoriale s’est plutôt intéressée à mettre l’accent sur ce qu’elle considérait
le plus grave à ce moment-là : l’illicéité de l’information judiciaire, car contraire aux principes
de la non-ingérence et de l’égalité souveraine, ainsi qu’au droit pénal français37. Dans son
contre-mémoire, la France fait abstraction de cette lettre qu’elle a simplement ignorée en 2011.
Mais il s’agit, en réalité, de la première fois où la Guinée équatoriale a développé sa position
par rapport aux procédures pénales.
1.28. Par ailleurs, la Guinée équatoriale n’a pas mentionné l’affectation de l’immeuble
parce qu’elle n’avait pas connaissance du fait que les juridictions françaises le visaient ou
avaient un intérêt réel pour lui. La perquisition du 28 septembre 2011 ne donnait aucune
indication à cet égard, car elle visait uniquement les véhicules appartenant à M. Teodoro
Nguema Obiang Mangue, stationnées dans la cour extérieure de l’immeuble.
1.29. En réalité, c’est le 14 février 2012, soit le jour où les autorités françaises se sont
introduites à l’intérieur de l’immeuble sis au 42 avenue Foch pour la première fois en dépit de
l’opposition expresse de la chargée d’affaires a.i. de l’Ambassade, que la Guinée équatoriale a
pris connaissance du fait que l’immeuble pourrait être l’objet de mesures de contrainte.
1.30. Cela est d’autant plus vrai que la plainte avec constitution de partie civile de
Transparency International France et M. Gregory Ngbwa Mintsa en 2008 faisait mention de
l’immeuble38, mais les plaignants eux-mêmes admettaient à cette époque qu’ils « n’ont pas été
34 Tribunal de grande instance de Paris, 32e chambre correctionnelle, jugement du 27 octobre 2017 (Annexe n° 1),
p. 18.
35 MGE, Annexe n° 32.
36 CMF, pars. 1.16, 3.57.
37 MGE, Chapitre 6.
38 Exceptions préliminaires de la France (ci-après, « EPF »), Annexe 1, p. 8.
19
en mesure de réunir les éléments factuels suffisants afin que ces biens fassent partie du
périmètre des investigations à venir »39.
1.31. En plus, comme la Guinée équatoriale l’a expliqué dans son mémoire, son
Procureur général a transmis en novembre 2010 un rapport aux juges d’instruction français,
selon lequel aucune des infractions principales visées dans la plainte avec constitution de partie
civile n’a été commise en Guinée équatoriale40. La Guinée équatoriale, dans l’expectative que
les décisions de ses juridictions nationales par rapport à des infractions commises sur le
territoire équato-guinéen seraient prises au sérieux par la France, n’était pas tenue à croire
qu’une procédure pénale serait entamée. Ce n’est que plus tard que la Guinée équatoriale a
appris que la France n’avait aucun intérêt pour la position de la Guinée équatoriale par rapport
aux délits qui se commettent, ou non, sur son propre territoire41.
1.32. Par conséquent, et contrairement à ce que soutient la France, la Guinée équatoriale
n’a pas « attiré l’attention des autorités françaises sur les procédures visant l’immeuble du 42,
avenue Foch »42 en septembre 2011. Elle a uniquement attiré l’attention de la France sur
l’information judiciaire en cours qu’elle considérait comme étant illicite.
1.33. Le 4 octobre 2011, la Guinée équatoriale a informé la France par note verbale que
l’immeuble sis au 42 avenue Foch était affecté aux fins de sa mission diplomatique. À cet égard,
la France avance que la phrase « dispose depuis plusieurs années » dans la note verbale signifie
que la Guinée équatoriale prétend que les locaux « auraient été affectés depuis une longue
période à un usage diplomatique »43. Comme la Guinée équatoriale l’a expliqué dans sa réponse
à la question de Mme la juge Donoghue au stade des mesures conservatoires, ce n’est pas le
cas. Il est arrivé par le passé que l’immeuble accueillait, par commodité, du personnel
diplomatique ou d’autres personnalités équato-guinéennes en mission spéciale44. Pourtant, la
39 Ibid.
40 MGE, pars. 3.32-3.35.
41 Ibid. Voir aussi pars. 3.62-3.63.
42 Ibid., par. 1.19.
43 Ibid.
44 Réponse de la Guinée équatoriale aux questions des juges Bennouna et Donoghue, 26 octobre 2016, par. 22.
20
Guinée équatoriale n’a jamais prétendu que l’immeuble jouissait du statut diplomatique avant
le 4 octobre 2011.
1.34. Une semaine plus tard, le 11 octobre 2011, le Ministère français des affaires
étrangères répondait à la Guinée équatoriale que l’immeuble sis au 42 avenue Foch ne faisait
pas partie des locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale car il « [relevait] du
domaine privé et, de ce fait, du droit commun »45. Ce même jour, et avant de répondre à la
Guinée équatoriale, le Ministère adressait également une lettre aux juges d’instruction, rédigée
en termes similaires46, faisant suite à une demande de renseignements en date du 10 octobre
201147. La Guinée équatoriale n’a été informée ni de cette lettre aux juges d’instruction ni de
la demande de renseignements.
1.35. La question se pose de savoir sur quelle base le Ministère français des affaires
étrangères a décidé, le 11 octobre 2011, que l’immeuble relevait du domaine privé, en dépit de
la note verbale de la Guinée équatoriale du 4 octobre 2011, et sans avoir consulté cette dernière.
1.36. Il paraît désormais évident que le refus du Ministère n’était fondé sur aucun élément
objectif. En effet, la demande de renseignements des juges d’instruction se limitait à poser la
question suivante :
« (…) si tout ou partie de l’immeuble situé 42 avenue Foch 75016 Paris a été déclaré par
les Autorités de la République de GUINÉE EQUATORIALE comme affecté à l’usage de
la représentation diplomatique de ce pays, ou si une demande est en cours
d’instruction (…) »48.
1.37. La réponse à cette question aurait dû être affirmative, compte tenu de la note verbale
du 4 octobre 2011. Cependant, dans sa réponse aux juges d’instruction du 11 octobre 2011, le
Ministère des affaires étrangères considère que l’immeuble relève du domaine privé. Cette
réponse était fausse. Le Ministère fait par ailleurs référence à une prétendue procédure pour la
reconnaissance du statut diplomatique d’immeubles, sans pourtant ne s’être jamais intéressé à
45 MGE, Annexe n° 34.
46 Ibid., Annexe n° 35.
47 Ibid., Annexe n° 80.
48 Ibid.
21
suivre cette procédure pour le cas de la Guinée équatoriale et de l’immeuble sis au 42 avenue
Foch.
1.38. Selon le point de vue de la Guinée équatoriale, cette situation est étonnante.
Le 4 octobre 2011, elle a informé le Ministère français des affaires étrangères de l’affectation
de l’immeuble. Pourtant, sans aucune explication, le Ministère a complètement ignoré la note
verbale qui lui avait été envoyée. Quelques jours plus tard, le Ministère a reçu la demande de
renseignements des juges d’instruction et il a appris que les juridictions françaises pourraient
avoir un intérêt pour l’immeuble. Mais, à cette époque, la procédure se trouvait au stade
d’information judiciaire et il n’existait aucune décision contre M. Teodoro Nguema Obiang
Mangue pour le délit de blanchiment. Il pouvait y avoir, au mieux, des soupçons (non
communiqués au Ministère dans la demande des juges d’instruction), même si les autorités
équato-guinéennes avaient conclu à l’absence de toute infraction principale49.
1.39. En fait, selon le contre-mémoire de la France, ce n’est qu’au moment de la saisie
pénale immobilière, soit le 19 juillet 2012, que les juridictions françaises seraient arrivées à des
conclusions par rapport à l’immeuble et son possible lien avec la commission d’un délit50.
1.40. Il est donc clair que, en octobre 2011, le Ministère français des affaires étrangères
a déterminé que l’immeuble sis au 42 avenue Foch relevait du domaine privé de manière
arbitraire, ce qui traduit un mépris et un parti pris contre la Guinée équatoriale. La Guinée
équatoriale reviendra sur cette conduite inacceptable ci-dessous.
1.41. Enfin, la Guinée équatoriale tient à rappeler que, contrairement à ce qu’affirme la
France, elle n’a pas « sensiblement varié quant à la date à partir de laquelle l’immeuble sis au
42, avenue Foch devrait être considéré comme un local diplomatique »51. Pour la
Guinée équatoriale, le point de départ du statut diplomatique de l’immeuble a toujours été
le 4 octobre 201152, ce qui a été par ailleurs reconnu par la Tribunal de grande instance de Paris
49 Ibid., Annexe n° 9.
50 CMF, par. 1.36.
51 Ibid., par. 3.54.
52 MGE, pars. 2.30, 8.38, 8.46 ; Réponse de la Guinée équatoriale aux questions des juges Bennouna et
Donoghue, 26 octobre 2016, pars. 21, 24.
22
dans son ordonnance de référé du 22 octobre 201353. Elle n’a jamais considéré que l’immeuble
jouissait du statut diplomatique avant le 4 octobre 2011, mais, comme on l’a vu ci-dessus, la
Guinée équatoriale avait l’intention de l’utiliser aux fins de sa mission diplomatique bien avant
cette date et, depuis le 15 septembre 2011, considérait également que l’immeuble était protégé
par la règle coutumière de l’immunité d’exécution des biens de l’État. Les notes verbales du 27
juillet et 2 août 2012 informaient simplement la France que le déménagement de l’Ambassade
avait été complété54.
1.42. Dès que l’immeuble a été affecté aux fins de la mission diplomatique de la Guinée
équatoriale, cette dernière en a fait une utilisation aux fins de sa mission diplomatique. Les faits
suivants attestent de cet usage :
- Le 4 octobre 2011, après avoir notifié la France de l’affectation de l’immeuble aux
fins de sa mission diplomatique, la Guinée équatoriale a apposé des affiches avec
les inscriptions « République de Guinée équatoriale – locaux de l’ambassade ». La
France s’est plainte du fait que ces affiches étaient en papier, mais la Guinée
équatoriale considère que cela n’a rien d’extraordinaire. Il faut du temps pour
commander et obtenir des affiches propres pour une mission diplomatique.
- En octobre 2011, la Guinée équatoriale a logé sa représentante auprès de
l’UNESCO et chargée d’affaires a.i. dans l’immeuble.
- Le déménagement des services de l’Ambassade a été progressif. Plusieurs de ces
services, tels que le consulat, le bureau de comptabilité et le bureau
d’administration, ont commencé à opérer depuis l’immeuble au fur et à mesure
qu’ils étaient déménagés.
- Depuis le 27 juillet 2012, tous les services de l’Ambassade ont été bien installés
dans l’immeuble.
53 Ambassade de la Guinée équatoriale, Note verbale n° 863/13, 25 octobre 2013, transmettant l’ordonnance de
référé du Tribunal de grande instance de Paris du 22 octobre 2013 (Annexe n° 6), p. 2.
54 MGE, par. 8.48 ; Réponse de la Guinée équatoriale aux questions des juges Bennouna et Donoghue, 26 octobre
2016, pars. 29-30.
23
1.43. Contrairement à ce qu’affirme la France, le comportement de la Guinée équatoriale
dans la présente affaire n’a rien d’exceptionnel55. Elle a agi de manière raisonnable et de bonne
foi, toujours avec le but de garantir la bonne conduite de sa diplomatie. Si la partie adverse avait
fait l’effort d’entamer le dialogue avec les autorités équato-guinéennes au moment approprié
pour éclairer les faits, le différend qui est maintenant devant la Cour aurait pu être évité.
Malheureusement, ce n’est pas le cas.
55 CMF, par. 3.48.
25
CHAPITRE 2
LE NON-RESPECT DE L’INVIOLABILITÉ DE L’IMMEUBLE SIS AU 42 AVENUE
FOCH EN TANT QUE LOCAUX DE LA MISSION DIPLOMATIQUE
2.1. Dans son contre-mémoire, la France soutient qu’elle n’a commis aucune violation
de la CVRD parce que, selon elle, l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris n’a jamais acquis
le statut de locaux d’une mission diplomatique au sens de l’article 1, alinéa i), de la Convention.
La Guinée équatoriale considère que cette position est complètement incorrecte.
2.2. Le présent chapitre est divisé en trois parties. La Section I répond à la thèse des
« deux conditions cumulatives » avancée par la France. Il sera démontré que, contrairement à
ce qu’affirme la partie adverse, l’acquisition du statut de locaux d’une mission diplomatique
par un immeuble n’est pas soumise à la « non opposition » ou au « consentement implicite » de
l’État accréditaire, et que la notion de locaux « utilisés aux fins de la mission » dans l’article 1,
alinéa i), de la Convention comprend les immeubles affectés aux fins diplomatiques. La
Section II réitère que l’immeuble sis au 42 avenue Foch a acquis le statut diplomatique et
répond aux arguments de la France par rapport à ses violations spécifiques de l’article 22 de la
CVRD en l’espèce. La Section III explique que, même si la thèse de la France était correcte
(quod non), la France a cependant violé ses obligations en vertu de la CVRD parce qu’elle a
soumis la Guinée équatoriale à un traitement arbitraire et discriminatoire, et qu’elle a adopté
des mesures coercitives inadmissibles par la CVRD.
I. L’acquisition du statut de locaux d’une mission diplomatique n’est pas
tributaire des « deux conditions cumulatives » avancées par la France
2.3. Dans ses écritures, la Guinée équatoriale a expliqué que, pour qu’un immeuble
acquière le statut diplomatique et bénéficie des protections prévues par la CVRD, il suffit
généralement pour l’État accréditant d’affecter ledit immeuble aux fins de sa mission
diplomatique et de notifier l’État accréditaire de ce fait, surtout lorsque ce dernier ne dispose
26
d’aucune règlementation en la matière56. Cette position s’appuie notamment sur le sens
ordinaire des termes de la Convention, ses travaux préparatoires, la pratique répandue des États,
et la pratique bilatérale et réciproque entre la Guinée équatoriale et la France57. Comme Denza
l’a expliqué :
« Article 1(i) of the Convention does not require a sending State to seek the approval of
the receiving State before acquiring property for use as premises of its mission. Nor does
Article 10 require notification of premises to be used or already in use as mission
premises »58.
2.4. De façon similaire, selon Foakes et Denza :
« (…) if the sending State has notified the receiving State of its acquisition of premises
for use as an ambassador’s residence or embassy offices, and has secured any consents
which may be needed under local law (for the character of the building as embassy
premises does not exempt it from local building or planning laws), then those premises
are generally regarded as premises of the mission while they are being prepared for
occupation and use »59.
2.5. Conformément à cette interprétation de la CVRD, la plupart des États n’imposent
pas de conditions spéciales pour l’établissement des locaux des mission diplomatiques. Certains
États reconnaissent expressément le droit de l’État accréditant de désigner les locaux qu’il
considère les plus appropriés pour sa mission diplomatique. Par exemple, selon les Guidelines
for the Diplomatic and Consular Corps de la Nouvelle-Zélande, « [s]ubject to the normal
regulations governing property ownership/rental in New Zealand, missions are free to locate
and acquire property of their choice. It is up to missions to identify suitable premises for a
chancery, official residence and other staff accommodation »60. De manière similaire, le
Diplomatic privileges and immunities in Finland établit que « [m]issions and members of
56 MGE, pars. 8.35-8.50 ; Réponse de la Guinée équatoriale aux questions des juges Bennouna et Donoghue, 26
octobre 2016, par. 24.
57 Voir pars. 1.14-1.15 ci-dessus.
58 E. Denza, Diplomatic Law: Commentary on the Vienna Convention on Diplomatic Relations, 4ème éd. (OUP,
2016), p. 16.
59 J. Foakes et E. Denza, « Privileges and Immunities of Diplomatic Missions », dans I. Roberts (éd.), Satow’s
Diplomatic Practice, 7ème éd. (OUP, 2017), 13.20.
60 Guidelines for the Diplomatic and Consular Corps de la Nouvelle-Zélande (2018), par. 1.2.4.
27
missions do not need a consent from the Ministry for Foreign Affairs for acquisition or sale of
real property in Finland »61.
2.6. Pour réfuter la position de la Guinée équatoriale, la France soutient que le statut
diplomatique d’un immeuble est tributaire de « deux conditions cumulatives ». Elle prétend
ainsi que « l’identification des locaux de la mission – et le bénéfice du régime de protection qui
en découle – suppose, d’une part, que l’État accréditaire ne s’oppose expressément à l’octroi
du statut diplomatique (…) et, d’autre part, que l’immeuble soit affecté de manière effective
aux fins de la mission diplomatique »62. Cette thèse, comme on le verra ci-dessous, est illusoire
en droit et irréaliste dans la pratique.
2.7. Cette section abordera deux questions. Tout d’abord, la Guinée équatoriale
expliquera que rien dans la CVRD ne soumet l’acquisition par un immeuble du
statut diplomatique à la « non opposition », ou au « consentement implicite », de l’État
accréditaire (A). Deuxièmement, il sera démontré que la notion de locaux « utilisés aux fins de
la mission diplomatique » dans l’article 1, alinéa i), de la Convention comprend autant les
immeubles dans lesquels une mission diplomatique est complètement installée que les
immeubles affectés aux fins de la mission (B).
A. L’ACQUISITION DU STATUT DIPLOMATIQUE PAR UN IMMEUBLE N’EST PAS TRIBUTAIRE
DE LA « NON OPPOSITION » OU DU « CONSENTEMENT IMPLICITE » DE L’ÉTAT ACCRÉDITAIRE
2.8. La France cherche dans l’objet et le but de la CVRD, dans son texte et dans la
pratique des États des éléments permettant de soutenir que la « non opposition » de l’État
accréditaire, ou son « consentement implicite », est nécessaire pour qu’un immeuble acquière
le statut de locaux d’une mission diplomatique.
61 Diplomatic privileges and immunities in Finland (2018), par. 9.1. Voir aussi Guia prático para as missões
diplomáticas acreditadas em Portugal (2017), p. 22 (« Les résidences officielles des chefs de mission et les
chancelleries doivent être situées dans les limites de la ville de Lisbonne ») (traduction libre) ; Protocol Guide
de la Bulgarie (2017), p. 33 (« In the event of change of address (…) the diplomatic mission should promptly
notify the State Protocol Directorate at the Ministry of Foreign Affairs with a Note Verbale ») ; Manuale sul
trattamento riservato al corpo diplomatico accreditato presso la Repubblica Italiana (2013), par. 6.3.3 (« (…)
les conditions pour l’acquisition de biens immobiliers par les missions diplomatiques ou organisations
internationales sont limitées à celles prévues en la matière par la [CVRD] ») (traduction libre).
62 CMF, par. 3.5.
28
2.9. À titre liminaire, il convient de souligner que la France ne nie pas dans ses écritures
qu’en principe, l’État accréditant a le droit de désigner les locaux qui abriteront sa mission
diplomatique dans l’État accréditaire (même si son comportement par rapport à la Guinée
équatoriale en l’espèce peut donner une impression différente). C’est pour cela que la partie
adverse parle de « non opposition » au choix de l’État accréditant63. En effet, la France semble
être tout à fait d’accord avec la position de la Guinée équatoriale lorsqu’elle explique que :
« (…) la notification officielle et préalable par l’État accréditant de son intention
d’affecter des locaux aux services de sa mission suffit généralement au ministère pour
leur reconnaître le bénéfice du régime de la Convention de Vienne sur les relations
diplomatiques (…) »64.
2.10. Le fait que la France s’est vue obligée d’invoquer la doctrine d’abus de droit est
également éclairant : pour qu’un État abuse d’un droit, il faut à l’évidence que cet État ait tout
d’abord un droit. En l’espèce, c’est le droit de l’État accréditant de désigner les locaux qu’il
considère les plus appropriés et dignes pour abriter sa mission diplomatique dans l’État
accréditaire. Cela en soi suggère que « la notification officielle et préalable par l’État
accréditant de son intention d’affecter des locaux », suffit, et que la « non opposition » ou le
« consentement implicite », tels que décrits par la France dans son contre-mémoire, ne sont pas
requis par le droit international.
2.11. La France avance dans un premier temps que « [l]e sens ordinaire à attribuer aux
termes de l’article 1er, alinéa i), interprétés à la lumière de l’objet et du but de la Convention,
va (…) à rebours » des arguments de la Guinée équatoriale65. Elle estime ainsi que,
« conformément à la lettre et à l’esprit essentiellement consensuels de la Convention de Vienne,
les locaux que l’État accréditant souhaite utiliser aux fins de sa mission diplomatique ne peuvent
l’être que lorsque l’État accréditaire y consent, a fortiori ne s’y oppose expressément, à la suite
de la notification réalisée par l’État accréditant »66.
2.12. La France fonde cet argument sur ce qu’elle regarde comme la « ratio legis » de la
Convention. Cette ratio legis, selon elle, se trouve dans le paragraphe du préambule de la
63 Ibid., par. 3.13.
64 Ibid., par. 3.44.
65 Ibid., par. 3.9.
66 Ibid.
29
Convention qui indique que le but des privilèges et immunités qu’elle accorde « est non pas
d’avantager des individus mais d’assurer l’accomplissement efficace des fonctions des missions
diplomatiques en tant que représentants des États »67. La « non opposition » ou le
« consentement implicite » de l’État accréditaire pour qu’un immeuble acquière le statut
diplomatique seraient donc requis pour éviter des possibles abus de la part de l’État accréditant.
2.13. La Guinée équatoriale ne partage pas la lecture, manifestement erronée, de l’objet
et du but de la CVRD que fait la France. L’esprit de la Convention repose non sur la méfiance
ou les possibles abus des droits octroyés par celle-ci, mais sur la nécessité de créer des
conditions favorables aux relations amicales entre États souverains égaux. Le préambule dans
son ensemble prévoit :
« (…)
Rappelant que, depuis une époque reculée, les peuples de tous les pays reconnaissent le
statut des agents diplomatiques,
Conscients des buts et des principes de la Charte des Nations Unies concernant l’égalité
souveraine des Etats, le maintien de la paix et de la sécurité internationales et de
développement de relations amicales entre les nations,
Persuadés qu’une convention internationale sur les relations, privilèges et immunités
diplomatiques contribuerait à favoriser les relations d’amitié entre les pays, quelle que
soit la diversité de leurs régimes constitutionnels et sociaux,
Convaincus que le but desdits privilèges et immunités est non pas d’avantager des
individus mais d’assurer l’accomplissement efficace des fonctions des missions
diplomatiques en tant que représentant des Etats,
Affirmant que les règles du droit international coutumier doivent continuer à régir les
questions qui n’ont pas été expressément réglées dans les dispositions de la présente
Convention,
(…) »
2.14. Plutôt que conférer un droit à l’État accréditaire de s’opposer aux revendications du
caractère diplomatique des biens par l’État accréditant chaque fois qu’il considère qu’il existe
un abus, l’objet et le but de la Convention donnent lieu à une présomption de validité de telles
revendications qui est fondamentale pour le bon déroulement des relations diplomatiques
fondées sur le principe de réciprocité. Les relations amicales et réciproques entre États se
67 Ibid., pars. 3.10-3.11.
30
verraient gravement affectées si l’État accréditaire, soit-il par le biais de son ministère des
affaires étrangères, de sa police ou de ses juridictions nationales, pouvaient mettre en question
les décisions d’un État accréditant concernant la conduite de sa diplomatie à tout moment, sans
aucune restriction, et sans au moins consulter l’État accréditant.
2.15. Cette présomption de validité est corroborée par le fait que la CVRD prévoit des
moyens spécifiques pour faire face à des possibles abus ou violations. Comme la Cour l’a dit,
« les règles du droit diplomatique constituent un régime se suffisant à lui-même qui, d’une part,
énonce les obligations de l’État accréditaire en matière de facilités, de privilèges et d’immunités
à accorder aux missions diplomatiques et, d’autre part, envisage le mauvais usage que
pourraient en faire des membres de la mission et précise les moyens dont dispose l’État
accréditaire pour parer à de tels abus »68. Ces moyens existent précisément parce que la CVRD
présume que l’immunité diplomatique sera, comme règle générale, respectée et non pas remise
en question, évaluée et approuvée par l’État accréditaire. L’article 41 de la Convention est
également pertinent à cet égard lorsqu’il établit que le devoir des membres de la mission de
respecter les lois et règlements de l’État accréditaire est « [s]ans préjudice de leurs privilèges et
immunités »69.
2.16. La pratique des États atteste également de l’existence de cette présomption. Par
exemple, dans une affaire concernant la question de savoir si un immeuble présenté par le
Kenya comme faisant partie de ses locaux diplomatiques bénéficiait de l’inviolabilité, la Cour
fédérale de justice allemande a décidé que :
« [t]he debtor [Kenya] has sufficiently established its submissions, in view of the fact that
its embassy declared, in a note verbale of 17 August 2001 to the Ministry of Foreign
Affairs, that the premises were being used for diplomatic purposes at the time of the order
and continue to be used as the diplomatic residence of the embassy and in order to
accommodate staff of the diplomatic mission during their stay in Bonn. Moreover, as the
Ministry has informed the Court by letter of 7 November 2001, the debtor’s ambassador
declared personally at a meeting in the Ministry of Foreign Affairs that the premises
continue to be used by him in person and his colleagues for diplomatic purposes on
official visits to Bonn and in the case of visits by delegations from Kenya. These
68 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 3, par. 86
(italiques ajoutés). Voir notamment les articles 9, 31, paragraphe 4, et 32 de la Convention. Voir aussi
pars. 2.72-2.74, 3.11 ci-dessous.
69 Voir aussi J. Craig Barker, « In Praise of Self-Contained Regime », dans P. Behrens (éd.), Diplomatic Law in
a New Millennium (OUP, 2017), p. 25 (le principe de l’inviolabilité diplomatique est « intended to have
overriding force »).
31
statements prove that, even when the creditor’s submissions are taken into account, there
is an overwhelmingly probability that the facts asserted by the debtor are true »70.
2.17. Enfin, il convient de relever que, dans l’affaire Cumaraswamy, la Cour a soutenu
l’existence d’une forte présomption de validité de manière expresse :
« Lorsque les tribunaux nationaux sont saisis d’une affaire mettant en cause l’immunité
d’un agent de l'organisation des Nations Unies, il échet de leur notifier immédiatement
toute conclusion du Secrétaire général concernant cette immunité. Cette conclusion et les
documents dans lesquels elle s’exprime créent une présomption. Une telle présomption
ne peut être écartée que pour les motifs les plus impérieux et les tribunaux nationaux
doivent donc lui accorder le plus grand poids »71.
2.18. Quand bien même cette affaire concernait l’immunité de juridiction d’un agent de
l’organisation des Nations Unies, la Guinée équatoriale considère, pour les raisons exposées cidessus,
que le raisonnement de la Cour est d’autant plus justifié par rapport aux revendications
diplomatiques par l’État accréditant. L’absence de pratique qui va à l’encontre de cette
présomption en atteste.
2.19. La France aborde ensuite les articles 2 et 12 de la CVRD. Selon elle, parce que
l’article 2 prévoit que « [l]’établissement de relations diplomatiques entre Etats et l’envoi de
missions diplomatiques permanentes se font par consentement mutuel », « il paraîtrait étrange
que chacun des deux Etats puisse imposer à l’autre le choix des locaux où il établira sa
mission »72. Par rapport à l’article 12 de la Convention, la France considère que « [d]ans les
circonstances particulières de l’installation de locaux diplomatiques en dehors de la capitale de
l’État territorial, il est tout à fait compréhensible que l’acceptation expresse de celui-ci soit
requise »73, et que « cela ne signifie pas que, dans les circonstances ordinaires où la mission
doit être établie dans la capitale, ce consentement est inutile ; il reste nécessaire mais peut être
donné de manière implicite »74. Ces arguments sont dépourvus de fondement.
70 CMF, note 136.
71 Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1999, p. 62, par. 61 (italiques ajoutés).
72 CMF, par. 3.13.
73 Ibid., par. 3.15.
74 Ibid.
32
2.20. En ce qui concerne l’article 2, le fait que l’établissement des relations diplomatiques
se fasse par consentement mutuel ni signifie pas que chaque aspect de ces relations, une fois
établies, dépend d’un tel consentement. On trouve plusieurs exemples à cet égard dans la
Convention. Par exemple, le droit de l’État accréditaire de désigner le chef ou tout autre membre
du personnel diplomatique d’une mission persona non grata n’est pas soumis au consentement
de l’État accréditant (article 9). Le droit de l’État accréditant de placer son drapeau et son
emblème sur les locaux de la mission n’est soumis à aucun consentement spécial non plus
(article 20). Il en va de même pour la cessation des fonctions des agents diplomatiques par l’État
accréditant (article 43, alinéa a.).
2.21. Contrairement à ce qu’affirme la France, la Convention établit expressément les cas
dans lesquels le consentement de l’État accréditaire est requis75. En ce qui concerne la
désignation des locaux d’une mission diplomatique, l’article 12 règle cette question de manière
exhaustive. C’est uniquement dans le cas où l’État accréditant souhaite « établir des bureaux
faisant partie de la mission dans d’autres localités que celles où la mission elle-même est
établie » que le « consentement exprès » de l’État accréditaire est requis. Il s’agit de l’exception
expresse à la règle générale. Les rédacteurs de la Convention étaient clairement conscients de
la question de la désignation des locaux, et ils ont décidé de limiter les cas où le consentement
de l’État accréditaire est nécessaire dans le cas de figure de l’article 12.
2.22. La France croit pouvoir inférer des mots « consentement exprès » dans l’article 12
que le « consentement implicite » de l’État accréditaire est requis lorsque l’État accréditant
décide de déménager les locaux de sa mission dans la même localité où ils sont déjà établis76.
Mais cette interprétation ne peut pas être retenue puisque, de manière générale, la CVRD ne
permet pas de déduire la position de l’État accréditaire ou l’État accréditant77. Cette
interprétation poserait également des problèmes insurmontables dans la pratique et laisserait
l’État accréditant dans une situation d’incertitude totale, surtout lorsqu’un État accréditaire,
comme la France, ne possède aucune réglementation en la matière. À partir de quel moment
l’État accréditant saurait-il que les locaux qu’il a désignés pour abriter sa mission diplomatique
jouissent du statut diplomatique et bénéficient de l’inviolabilité ? À partir de la date de la
75 Voir, par exemple, les articles 2, 8, 12, 19, 46 de la Convention.
76 CMF, par. 3.15.
77 Voir, par exemple, l’article 32, paragraphe 2, de la Convention, selon lequel la renonciation à l’immunité « doit
toujours être expresse ».
33
notification ? Si c’est le cas, faut-il considérer que l’immeuble sis au 42 avenue Foch a acquis
le statut diplomatique le 4 octobre 2011 pour une semaine, jusqu’à ce que la France a exprimé
son avis à cet égard ? Si ce n’est pas à partir de la date de la notification, combien de temps
faut-il attendre pour savoir que le silence de l’État accréditaire signifie qu’il a consenti à la
désignation des nouveaux locaux ? Une semaine ? Un mois ? Un an ?
2.23. Si on ajoute à la thèse du « consentement implicite » de la France la deuxième
condition qui, selon elle, est requise pour qu’un immeuble acquière le statut diplomatique78, il
n’est pas difficile de voir la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouverait l’État
accréditant. En effet, si on accepte la thèse de la France, l’État accréditant doit notifier à l’État
accréditaire qu’il a affecté des nouveaux locaux aux fins de sa mission diplomatique, et l’État
accréditaire n’a pas besoin de répondre. Dans ce silence, l’État accréditant doit faire tous les
travaux d’aménagement nécessaires pour que les nouveaux locaux puissent abriter sa mission
diplomatique, puis déménager les services de la mission. Après tout cela, l’État accréditaire
peut toujours décider que les nouveaux locaux ne doivent pas faire partie de la mission
diplomatique de l’État accréditant. Le résultat serait que l’État accréditant n’aurait plus de
locaux et que toutes les dépenses liées à l’acquisition et la préparation des nouveaux locaux
seraient perdues. Ces difficultés attestent du fait que la position de la France est non seulement
dépourvue de fondement en droit, mais aussi qu’elle est déraisonnable dans la pratique. Ces
incertitudes sont par ailleurs incompatibles avec le régime du droit diplomatique, dans lequel
la promotion et le développement des relations d’amitié stables entre États sont
fondamentaux79.
2.24. Enfin, pour étayer sa thèse de « non opposition » ou « consentement implicite », la
France invoque les pratiques nationales de treize États qui « subordonnent explicitement
l’établissement des locaux des missions diplomatiques étrangères sur le territoire à une forme
de consentement »80 ou qui corroborent « l’existence d’un régime reposant sur l’accord entre
les parties »81. La France se réfère à cette pratique sans expliquer s’il s’agirait d’une pratique
ultérieurement suivie dans l’application de la Convention par laquelle est établi l’accord des
78 Voir pars. 2.33-2.47 ci-dessous.
79 Voir les deuxième et troisième paragraphes du préambule de la CVRD.
80 CMF, par. 3.16.
81 Ibid., par. 3.18.
34
parties à l’égard de l’interprétation de la Convention82, d’un moyen complémentaire
d’interprétation83, ou d’une pratique qui aurait engendré une nouvelle règle du droit
international coutumier.
2.25. Comme la Guinée équatoriale l’a expliqué dans son mémoire84, la pratique limitée
de certains États qui cherchent à exercer une certaine mesure de contrôle sur l’établissement
des locaux des missions diplomatiques confirme l’interprétation de la Guinée équatoriale de la
Convention. En plus, il est clair que toute mesure de contrôle en droit interne doit être conforme
aux termes et à l’esprit de la CVRD85.
2.26. Il est par ailleurs à noter que les États qui cherchent à exercer une mesure de
contrôle par le biais de leur législation ou des guides internes ont pour le moins expliqué leur
position de manière claire et transparente aux États accréditants sur leur territoire. Ils ont
également veillé à ce que, en introduisant une telle mesure de contrôle, ils n’agissent pas en
violation du droit international ; et rien n’indique que ces États appliqueraient leur législation
ou guides de manière arbitraire ou discriminatoire. En plus, ces pratiques ont été mises en place
pour sauvegarder certains intérêts nationaux spécifiques de l’État accréditaire, notamment la
sécurité nationale, la sécurité publique, les règles concernant les exemptions fiscales et la
planification urbaine86.
2.27. À cet égard, on peut souligner la pratique du Royaume-Uni qui requiert, en vertu
du Diplomatic and Consular Premises Act de 1987, que les missions diplomatiques obtiennent
le consentement du Secrétaire d’État avant d’acquérir des nouveaux locaux pour que ceux-ci
puissent avoir le statut de locaux de la mission87. En introduisant la nouvelle législation devant
la Chambre des Lords, le Secrétaire d’État du Royaume-Uni admit que « [a]t present, there are
no legislative powers to prevent diplomatic missions from establishing their premises in any
82 Convention de Vienne sur le droit des traités, article 31, paragraphe 3, alinéa b).
83 Ibid., article 32.
84 MGE, pars. 8.42-8.43.
85 E. Denza, Diplomatic Law: Commentary on the Vienna Convention on Diplomatic Relations, 4ème éd. (OUP,
2016), p. 147.
86 Voir aussi MGE, note 320.
87 E. Denza, Diplomatic Law: Commentary on the Vienna Convention on Diplomatic Relations, 4ème éd. (OUP,
2016), p. 17.
35
part of the capital »88. En d’autres termes, la CVRD, dont les dispositions pertinentes ont force
de loi au Royaume-Uni en vertu du Diplomatic Privileges Act de 1964, n’était pas considérée
comme imposant elle-même une condition de notifier l’État accréditaire pour que des locaux
acquièrent le statut de locaux d’une mission diplomatique.
2.28. Le Diplomatic and Consular Premises Act, on doit le remarquer, prévoit que le
consentement peut être accordé ou retiré si le Secrétaire d’État « is satisfied that to do so is
permissible under international law »89. Par ailleurs, le Ministère des affaires étrangères du
Royaume-Uni a attiré l’attention des missions diplomatiques à Londres sur la nouvelle
législation par le biais d’une note circulaire bien avant son entrée en vigueur90 ; toutes les
missions avaient connaissance de cette législation à l’avance et ils pouvaient s’y opposer s’ils
le souhaitaient.
2.29. Aux États-Unis, la règlementation nationale a été introduite par le District of
Columbia Code et en 1982 par le Foreign Missions Act91. Conformément à la section 4305 de
ce dernier, toutes les missions diplomatiques doivent notifier au Département d’État leur
intention d’acquérir, utiliser, vendre ou réaliser tout autre acte de disposition de biens
immobiliers situés aux États-Unis. Plusieurs notes verbales ont été envoyées par le Secrétaire
d’État aux chefs de mission pour leur informer de ladite règlementation, qui avait comme
objectif « (…) to facilitate the secure and efficient operation in the United States of foreign
missions (…), and to assist in obtaining appropriate benefits, privileges, and immunities for
those missions and organizations and to require their observance of corresponding obligations
in accordance with international law »92.
2.30. La législation et guides d’autres États, y compris celles sélectionnées par la France
dans son contre-mémoire, sont à l’évidence très variées. Certaines d’entre elles se réfèrent
uniquement à l’acquisition de biens immobiliers qui doit être facilitée en vertu de l’article 21(1)
de la CVRD. En tout cas, ce qui est clair est que toute mesure de contrôle par l’État accréditaire
88 BYIL, vol. 58 (1987), p. 540.
89 Diplomatic and Consular Premises Act 1987, Partie 1, article 1, alinéa (4).
90 BYIL, vol. 58 (1987), pp. 541-542.
91 22 U.S.C. 4301-4316.
92 Voir la note explicative préparée par le Département d’État des États-Unis (disponible sur :
<https://www.state.gov/documents/organization/17842.pdf>).
36
au niveau du droit interne sur la désignation des locaux des missions diplomatiques par les États
accréditants, si elle existe, doit être informée au préalable à toutes les missions diplomatiques ;
doit servir un objectif approprié et conforme à l’objet et le but de la CVRD ; et doit être exercée
de manière raisonnable et non-discriminatoire.
2.31. Rien de cela n’existe dans la présente affaire car la France ne dispose d’aucune
législation ou guide en la matière et sa position a été inconnue, pas claire et incohérente. Le
refus de la France de reconnaître le statut diplomatique de l’immeuble sis au 42 Foch n’a
absolument rien à voir avec les intérêts nationaux spécifiques que les peu nombreuses pratiques
étatiques qui existent visent à sauvegarder ; son refus était plutôt fondé sur l’argument, erroné
en droit et en fait, que l’immeuble « [relevait] du domaine privé ». En plus, la France parle
maintenant d’une « pratique française » qui serait applicable de manière générale à toutes les
missions diplomatiques sur son territoire, mais elle n’est pas capable de fournir des exemples à
ce sujet. La Guinée équatoriale reviendra sur ces questions dans la Section III ci-dessous.
2.32. Dans ces circonstances, la pratique qui paraît être la plus pertinente en l’espèce est
celle entre la Guinée équatoriale et la France ; et il n’y aucune raison que la Guinée équatoriale
n’aurait pas pu s’en prévaloir. Comme on l’a mentionné au Chapitre 1, il existe une pratique
bilatérale et réciproque de longue date entre les deux pays, selon laquelle la notification de
l’affectation d’un immeuble aux fins de la mission diplomatique par l’État accréditant suffit
pour que cet immeuble acquière le statut diplomatique93. Aucune autre formalité n’est requise,
et aucun des deux États ne s’est jamais opposé au choix de l’autre. La Guinée équatoriale avait
donc une attente légitime que la France se conformerait à cette pratique, et au droit international,
lorsqu’elle lui a notifié l’affectation de l’immeuble sis au 42 avenue Foch en octobre 2011.
B. LA NOTION DE LOCAUX « UTILISÉS AUX FINS DE LA MISSION » COMPREND LES
IMMEUBLES AFFECTÉS AUX FINS DE LA MISSION DIPLOMATIQUE
2.33. La deuxième condition qui, selon la France, doit être remplie pour qu’un immeuble
acquière le statut de locaux d’une mission diplomatique, est celle de l’affectation « réelle » ou
« effective »94.
93 Attestation du Ministre des affaires étrangères de la République de Guinée équatoriale, 30 avril 2019 (Annexe
n° 7).
94 CMF, pars. 3.24 et s.
37
2.34. À titre liminaire, la Guinée équatoriale observe qu’il n’est pas clair si la position de
la France diffère vraiment de celle de la Guinée équatoriale. La partie adverse explique qu’il y
a « affectation réelle » si un immeuble est « utilisé de manière effective aux fins de la
mission »95, si l’État accréditant rend l’immeuble « utile[] » ou le fait « servir à une fin
précise »96, ou si l’immeuble « [est] effectivement assigné[] aux buts et fonctions de la
mission »97. Pour la Guinée équatoriale, un immeuble acheté (ou loué) par un État, désigné par
celui-ci pour servir aux fins de sa mission diplomatique et soumis à la planification et travaux
d’aménagement requis pour qu’il puisse abriter la mission, remplit naturellement ces critères98.
Par ailleurs, comme on l’a expliqué ci-dessus, la revendication par l’État accréditant du
caractère diplomatique d’un immeuble et son utilisation à des fins officiels jouit d’une
présomption de validité en vertu de la CVRD.
2.35. La position de la Guinée équatoriale est par ailleurs conforme aux règles concernant
l’immunité d’exécution des biens de l’État, lesquelles sont cohérentes avec le régime de
protection de la CVRD. L’article 21 de la Convention de Nations Unies sur les immunités
juridictionnelles des États et de leurs biens de 2004 est notamment éclairant, dans la mesure où
il prévoit que :
«1. Les catégories de biens d’Etat ci-après ne sont notamment pas considérées comme
des biens spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l’Etat autrement qu’à des
fins de service public non commerciales au sens des dispositions de l’al. c) de l’art. 19:
a) Les biens, y compris les comptes bancaires, utilisés ou destinés à être utilisés dans
l’exercice des fonctions de la mission diplomatique de l’Etat ou de ses postes
consulaires, de ses missions spéciales, de ses missions auprès des organisations
internationales, ou de ses délégations dans les organes des organisations
internationales ou aux conférences internationales ;
(…) »
95 Ibid., p. 48.
96 Ibid., par. 3.28
97 Ibid.
98 Voir aussi Ph. Cahier, Le droit diplomatique contemporain, 2ème éd. (Librairie Droz, 1964), p. 198 (« (…) des
travaux d’aménagement de l’immeuble peuvent déjà suffire à fonder l’inviolabilité su siège (…) » (cité par la
France dans CMF, par. 3.29).
38
2.36. Il convient de souligner que la France a adopté des lois qui donnent effet à cette
règle bien établie du droit international99. Elle ne saurait par conséquent la méconnaître en
l’espèce.
2.37. Si la position de la France dans son contre-mémoire est qu’il existe une « affectation
effective » uniquement après le déménagement complet d’une mission diplomatique, elle doit
être rejetée. D’emblée, cette position contredirait frontalement ce que la France reconnaît
comme sa propre pratique car, comme elle l’explique, « la notification officielle et préalable
par l’État accréditant de son intention d’affecter des locaux aux services de sa mission suffit
généralement au ministère pour leur reconnaître le bénéficie du régime de la [CVRD] »100.
2.38. Il s’agirait par ailleurs d’une interprétation extrêmement restrictive du terme
« utilisés aux fins de la mission » dans l’article 1, alinéa i), de la Convention qui priverait celleci
de son effet utile quant à la règle de l’inviolabilité. Car en effet, si l’inviolabilité s’applique
à partir du moment auquel toutes les fonctions diplomatiques commencent à être exercées dans
un immeuble, ce serait admettre que l’État accréditaire pourrait y pénétrer jusqu’à la dernière
seconde avant le déménagement complet. Cette interprétation n’est évidemment pas
raisonnable et risque de mettre en danger la sécurité et la dignité de la mission. La possibilité
d’entraver le bon déroulement des relations diplomatiques est d’autant plus grande que, si on
suit les arguments de la France, même si l’État accréditant a complètement déménagé dans des
nouveaux locaux, l’État accréditaire peut toujours refuser de reconnaître ceux-ci comme les
locaux de la mission diplomatique.
99 Voir notamment l’article L 111-1-2 introduit au Code des procédures d’exécution par la loi no 2016-1691
du 9 décembre 2016 (« Des mesures conservatoires ou des mesures d'exécution forcée visant un bien
appartenant à un Etat étranger ne peuvent être autorisées par le juge que si l'une des conditions suivantes est
remplie : (…) 3° Lorsqu'un jugement ou une sentence arbitrale a été rendu contre l'Etat concerné et que le bien
en question est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé par ledit Etat autrement qu'à des fins de service
public non commerciales et entretient un lien avec l'entité contre laquelle la procédure a été intentée. Pour
l'application du 3°, sont notamment considérés comme spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par
l'Etat à des fins de service public non commerciales, les biens suivants : a) Les biens, y compris les comptes
bancaires, utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des fonctions de la mission diplomatique de l'Etat
ou de ses postes consulaires, de ses missions spéciales, de ses missions auprès des organisations internationales,
ou de ses délégations dans les organes des organisations internationales ou aux conférences internationales
(…) » ). Pour une application récente de cette loi, voir Cour de cassation, arrêt n° 3 du 10 janvier 2018 (16-
22.494).
100 CMF, par. 3.44 (italiques ajoutés).
39
2.39. Comme la première condition avancée par la France, la thèse de l’« affectation
réelle » soulève plusieurs questions qui demeurent sans réponse. Il n’est pas clair, par exemple,
si c’est le ministère des affaires étrangères de l’État accréditaire qui devrait vérifier une telle
affectation, ou si d’autres autorités, telles que ses juridictions ou sa police, pourraient également
le faire. La France n’explique par ailleurs pas si l’État accréditaire doit pénétrer dans la mission
pour réaliser la vérification, et si cela peut se faire sans le consentement du chef de la mission101.
Il n’est pas non plus clair si la France prétend que la vérification de l’« affectation réelle » doit
se faire de manière régulière, ou si une seule vérification suffit.
2.40. La France fait encore brièvement référence aux travaux préparatoires de la CVRD,
mais ceux-ci ne soutiennent pas sa thèse. Comme la France l’admet, la question du point de
départ de l’inviolabilité des locaux fut soulevée mais pas expressément traitée102.
2.41. Enfin, pour contrer la position de la Guinée équatoriale, la France invoque encore
la pratique de certains États qui, selon elle, accrédite sa thèse de l’« affectation réelle ». Or, à
l’analyse, cette pratique est souvent sans pertinence, mal comprise et mérite d’être circonscrite.
2.42. La France cite d’abord sa réponse du 28 mars 2012 à la note verbale de la Guinée
équatoriale du 12 mars 2012103. Comme on le verra dans la Section III, la pratique à laquelle
le Ministère français des affaires étrangères fait référence dans cette réponse n’a en réalité rien
de « constante » et diffère fortement du comportement de la France vis-à-vis de la Guinée
équatoriale en l’espèce.
2.43. Quant à la note verbale du Ministère français des affaires étrangères du
6 juillet 2005, elle confirme la position de la Guinée équatoriale dans la présente affaire. La
note verbale dit clairement que le Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie a
accordé l’exonération fiscale pour la nouvelle résidence de l’Ambassadeur de la Guinée
équatoriale sur la base d’un acte qui précisait que « l’acquéreur déclare et s’engage (…) à ce
que les biens (…) soient destinés à être utilisés exclusivement pour la résidence officielle de
l’ambassadeur de la République de Guinée équatoriale ». Le Ministère explique par ailleurs que
101 J. D’Aspremont, « Premises of Diplomatic Missions », MPEPIL (2009), par. 8 (« The receiving State cannot
verify the actual use of the building without bearing a risk of infringing (…) inviolablity »).
102 CMF, par. 3.27.
103 Ibid., par. 3.33.
40
l’Ambassade devait « informer, le moment venu, (…) de la date d’installation de l’ambassadeur
dans ces nouveaux locaux (…) »104. Il découle de ces extraits que l’exemption fiscale a été
accordée bien avant que l’Ambassadeur de la Guinée équatoriale s’installe dans les nouveaux
locaux, et que l’usage que la Guinée équatoriale envisageait pour l’immeuble a suffi aux yeux
des autorités françaises.
2.44. L’invocation de l’ancienne décision du Tribunal civil de la Seine dans l’affaire
Suède c. Petrococchino (1929) n’est pas plus convaincante. En premier lieu, la Suède avait
renoncé à son immunité de juridiction dans ladite affaire. En deuxième lieu, le Tribunal parle
du concept d’« extraterritorialité », lequel diffère de celui d’inviolabilité universellement
reconnu de nos jours. Enfin, le sens du terme « affectation » utilisé dans cette décision n’est pas
entièrement clair, et le terme « installation » est également utilisé, vraisemblablement pas
comme synonyme105.
2.45. La France cite une seule décision récente de sa Cour de cassation, en date du 25
janvier 2005, dans une affaire concernant la République démocratique du Congo. La Cour de
cassation jugeait en l’occurrence de la question de savoir si certains biens immobiliers acquis
par la République démocratique de Congo bénéficiaient de l’immunité d’exécution en tant que
biens de l’État. La Cour décida qu’ils ne bénéficiaient pas de cette immunité parce que leur
acquisition constituait, à son avis, une « opération habituelle de gestion relevant du droit
privé », et qu’elle avait « constaté que les biens en cause n’étaient pas affectés aux services de
l’Ambassade ou de ses annexes et n’étaient pas la résidence de l’ambassadeur »106. Le sens de
ce dernier motif n’est pas clair, et la France n’a pas fait l’effort de l’expliquer. Il pourrait bien
s’agir d’un cas où l’État accréditant n’a simplement pas notifié l’État accréditaire de
l’affectation d’un immeuble.
2.46. La France fait ensuite référence à quelques affaires en Allemagne, au Canada, aux
États-Unis et au Royaume-Uni107. Ces pratiques, que la France cite souvent hors contexte, ne
sont pourtant ni consistantes ni concluantes, notamment pour les raisons suivantes :
104 CMF, Annexe 9.
105 Suède c. Petrococchino, JDI, vol. 59 (1932), pp. 945-946.
106 Cour de cassation, Chambre civile 1, arrêt du 25 janvier 2005 (03-18.176).
107 CMF, pp. 53-56.
41
- Le jugement de la Cour suprême des restitutions de Berlin dans l’affaire Tietz c.
Bulgarie se rapporte à un cas où les locaux d’une mission avaient été endommagés et
étaient devenus inhabitables à cause de la guerre, et « the use and the function of the
premises has ceased – and ceased for a reason not truly and merely temporary »108. Il
n’est donc pas pertinent pour savoir quel est le point de départ de l’inviolabilité. Il faut
par ailleurs noter que la Bulgarie avait renoncé à son immunité de juridiction109 et que
la Cour a fondé sa décision sur une conception ancienne selon laquelle « the status of
extraterritoriality is derived from the person of the ambassador [and] it follows by clear
implication that when the ambassador ceased to use real property its special
extraterritorial status also ceases »110. Quant à l’affaire Cassirer c. Japon, une lecture
complète du jugement de la Cour suprême des restitutions de Berlin montre que celui-ci
a également été rendu dans des circonstances exceptionnelles et sur la base de divers
moyens de droit, y compris le traité de paix entre le Japon et les Alliés. On ne peut donc
pas généraliser le raisonnement de la Cour suprême de restitutions pour interpréter la
CVRD111. Il en va de même pour le jugement de la Cour fédérale de justice allemande
de 1969 cité par la France112.
- La seule affaire récente en Allemagne invoquée par la France est le Kenyan Diplomatic
Residence Case113. Comme on l’a mentionné ci-dessus, cette affaire est pertinente parce
qu’elle corrobore la présomption de validité des revendications diplomatiques par l’État
accréditant114. Le jugement dans cette affaire semble par ailleurs renverser toute
jurisprudence antérieure en Allemagne où des juridictions ont cru pouvoir remettre en
cause de telles revendications.
- Le jugement de la Cour de justice de l’Ontario soutient en principe la position de la
Guinée équatoriale, lorsqu’il dit que la notion de locaux diplomatiques « does not
include lands and buildings never used in the past or present or in all likelihood ever to
108 Tietz v. Bulgaria, AJIL, vol. 54 (1960), p. 177.
109 Ibid., p. 165.
110 Ibid., p. 167.
111 Cassirer v. Japan, AJIL, vol. 54 (1960), pp. 178-188.
112 Hungarian Embassy Case, ILR, vol. 65, pp. 110-114.
113 Kenyan Diplomatic Residence Case, ILR, vol. 128, pp. 632-639.
114 Voir par. 2.16 ci-dessus.
42
be used in the future as the premises of the mission »115. La Cour ontarienne se contredit
donc lorsqu’en suite elle refuse de reconnaître que la note verbale de la Croatie établit
cette intention d’utilisation future116.
- La France cite ensuite l’affaire US v. County of Arlington de 1982 afin de conforter
l’idée que l’opinion du Ministère des affaires étrangères de l’État accréditaire quant à
l’effectivité de l’affectation de locaux à une mission diplomatique est déterminante117.
Il n’aura pas échappé à la France que le tribunal américain précise que l’opinion du
Département d’État « [is] not conclusive », précisément parce qu’elle pourrait être
« manifestly unreasonable »118. Par ailleurs, il faut relever que le Département d’État
décida d’agir dans cette affaire à la suite des protestations soulevées par la République
démocratique allemande contre les mesures prises à son encontre119.
- La France cite enfin deux exemples britanniques, mais sans s’efforcer de les qualifier.
L’exemple concernant le Nigéria à qui le Foreign Office n’aurait pas délivré un
certificat120 est compatible avec le fait que le Royaume-Uni est l’un des pays dont les
lois fixent les procédures de reconnaissance des locaux diplomatiques, ce qui n’est pas
le cas de la France. Le deuxième exemple concernant l’Iran se rapporte à un immeuble
qui, comme la France le dit bien, était « laissé à l’abandon quelques années
auparavant »121, et par voie de conséquence la High Court pouvait aisément conclure
que « [i]t seems (…) clear beyond argument that the premises have ceased to be used
for the purposes of the mission »122.
2.47. En conclusion, la notion de locaux « utilisés aux fins de la mission » dans
l’article 1, alinéa i), de la CVRD doit être interprété comme comprenant non seulement les
locaux où une mission diplomatique est complètement installée, mais aussi les locaux affectés
115 CMF, p. 54 (italiques ajoutés).
116 Ibid., p. 55.
117 Ibid.
118 CA, 4th circuit, 1er février 1982, US v. County of Arlington, 669 F. 2d 925, par. 54.
119 Ibid., par. 4.
120 CMF, p. 55, note 141.
121 Ibid., pp. 55-56.
122 Ibid., p. 56.
43
à des fins diplomatiques. La deuxième condition avancée par la France dans le contre-mémoire
doit par conséquent également être rejetée.
II. La France a violé ses obligations au titre de la CVRD
2.48. À la lumière de ce qui précède, il faut conclure que l’immeuble sis au 42 avenue
Foch à Paris a acquis le statut de locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale en
France le 4 octobre 2011, soit le jour où la Guinée équatoriale a notifié le Ministère français
des affaires étrangères du fait qu’elle affectait l’immeuble aux fins de sa mission diplomatique.
2.49. Comme la Guinée équatoriale l’a expliqué dans son mémoire, les mesures prises
par les autorités françaises contre l’immeuble après cette date constituent des violations de
l’article 22 de la CVRD qui engagent la responsabilité internationale de la France. Il convient
de revenir brièvement sur les violations spécifiques commises par la France en réponse aux
arguments que celle-ci a avancé dans son contre-mémoire.
2.50. À titre liminaire, la Guinée équatoriale note que l’argument principal de la France
pour expliquer que les mesures prises contre l’immeuble sis au 42 avenue Foch ne constituent
pas des violations de la CVRD consiste en ce que l’immeuble n’aurait pas acquis le statut
diplomatique le 4 octobre 2011. Elle ne nie par conséquent pas que, s’il est démontré que
l’immeuble a acquis ce statut, lesdites mesures engageraient sa responsabilité internationale.
De plus, il convient de souligner encore une fois que la règle de l’inviolabilité prévue dans
l’article 22 est absolue et, comme cette Cour l’a expliqué, « même en cas de conflit armé ou de
rupture des relations diplomatiques, ces dispositions obligent l’État accréditaire à respecter
l’inviolabilité des membres d’une mission diplomatique aussi bien que celle de ses locaux, de
ses biens et de ses archives »123. En l’espèce, la France a violé ses obligations en temps de paix
et dans des circonstances beaucoup moins extrêmes.
2.51. La première violation de la CVRD a eu lieu lorsque les autorités françaises ont
pénétré dans l’immeuble dans la période du 14 au 23 février 2012 et l’ont perquisitionné, en
enlevant plusieurs objets et de l’ameublement qui s’y trouvaient. Ensuite, le 19 juillet 2012, la
123 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 3, par. 86. Voir
aussi Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 168, pars. 309, 337.
44
France a procédé à la saisie pénale de l’immeuble, depuis sujet à confiscation. Ces mesures sont
à l’évidence contraires à l’article 22, paragraphes 1 et 3, de la Convention.
2.52. Les mesures prises par la France violent également l’article 22, paragraphe 2, de la
Convention. Plus particulièrement, la paix de la mission s’est vue troublée du fait des
perquisitions et de la saisie pénale en 2012. Ces mesures ont également amoindri la dignité de
la mission, d’autant plus qu’elles ont été amplement médiatisées en créant une image fausse et
insultante de la Guinée équatoriale en France et ailleurs.
2.53. La France estime que « la saisie pénale immobilière (…) n’a d’effet que sur le droit
de propriété de l’immeuble et ne saurait donc emporter méconnaissance de l’inviolabilité »124.
Cette interprétation extrêmement restrictive de l’article 22 de la CVRD doit être rejetée. Il est
vrai que, selon l’article 1, alinéa i), de la Convention, les « locaux de la mission » sont ceux
utilisés aux fins de la mission, « quel qu’en soit le propriétaire ». Cela ne signifie pas pour
autant que des mesures prises par l’État accréditaire contre la propriété de l’État accréditant ne
peuvent jamais constituer une violation de l’article 22. De telles mesures peuvent bel et bien
violer cette disposition, surtout lorsque la propriété est le seul titre qui permet à l’État
accréditant d’utiliser un immeuble aux fins de sa mission diplomatique.
2.54. Une saisie pénale immobilière et une confiscation, par exemple, troublent
gravement la paix de la mission de manière contraire à l’article 22, paragraphe 2, de la
Convention car elles posent un risque permanent d’expulsion. Ce risque crée une situation
d’insécurité qui entrave le bon fonctionnement de la mission. En l’espèce, l’effet des procédures
pénales illicites est que les locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale peuvent
être vendus par la France à tout moment sans le consentement du propriétaire (la Guinée
équatoriale). Après leur vente, il est évident que les locaux ne pourront être utilisés aux fins de
la mission diplomatique. Entre-temps, la réalité est que l’immeuble ne peut pas être utilisé
pleinement à cause de l’incertitude par rapport à sa disponibilité continue. Cela se traduit par le
fait qu’il n’est pas pratique de continuer à le meubler et y installer tous les systèmes nécessaires
pour son fonctionnement effectif et efficace en tant que mission diplomatique.
124 CMF, par. 3.52.
45
2.55. Par ailleurs, l’article 22, paragraphe 3, de la Convention interdit l’adoption de toute
mesure d’exécution, y compris expressément la saisie. La pratique répandue des États montre
en effet qu’ils n’adoptent pas de mesures d’exécution, ou d’expropriation, qui affectent la
propriété de l’État accréditant sur les locaux de sa mission diplomatique125. L’expropriation ou
toute autre mesure de confiscation est le cas classique d’une interférence illicite dans le
fonctionnement d’une mission diplomatique.
2.56. Enfin, l’affaire Hirschhorn c. Roumaine citée par la France n’est pas pertinente en
l’espèce126. Outre que les faits dans ladite affaire étaient très particuliers, dire que le régime
absolu d’inviolabilité en vertu de l’article 22 de la CVRD ne s’oppose nullement au transfert
dans le patrimoine de l’État accréditant parce qu’il n’impliquerait pas l’expulsion immédiate de
celui-ci de ses locaux est une affirmation extraordinaire. Cette affirmation repose sur la
proposition que l’État accréditant, le moment de l’expulsion venu, devrait faire valoir ses
moyens de défense, et présuppose que ces derniers prévaudront dans tous les cas. Soumettre un
État accréditant à des telles situations est tout simplement incompatible avec le droit
diplomatique.
2.57. En conclusion, la Guinée équatoriale réitère que, en pénétrant dans l’immeuble sis
au 42 avenue Foch à Paris qui fait partie des locaux de la mission diplomatique de la Guinée
équatoriale depuis le 4 octobre 2011, en le perquisitionnant, en le saisissant et en le confisquant,
la France a violé ses obligations au titre de la CVRD.
III. À titre subsidiaire, quelle que soit la bonne interprétation de la CVRD,
la France a violé ses obligations
2.58. Comme la Guinée équatoriale l’a fait valoir dans son mémoire, même à supposer
que la France ait le pouvoir discrétionnaire qu’elle revendique par rapport au choix des locaux
des missions diplomatiques de manière générale (quod non), ce prétendu pouvoir devrait être
exercé de manière raisonnable, non-discriminatoire et conforme aux exigences de la bonne
foi127. Or, en l’espèce, la France est loin d’avoir agi ainsi. Une analyse attentive du
125 E. Denza, Diplomatic Law: Commentary on the Vienna Convention on Diplomatic Relations, 4ème éd. (OUP,
2016), pp. 119-120.
126 CMF, par. 2.19.
127 MGE, pars. 8.37-8.41.
46
comportement de la partie adverse montre que la Guinée équatoriale a été soumise à un
traitement arbitraire et discriminatoire, et par conséquent contraire à la CVRD. Le caractère
arbitraire et discriminatoire du comportement de la France est constaté par au moins quatre
circonstances :
- Les erreurs manifestes de fait et de droit qui sont à la base du refus initial de la
France de reconnaître le statut diplomatique de l’immeuble sis au 42 avenue Foch ;
- Le non-respect par la France de la procédure qu’elle considérait applicable à
l’époque pour la reconnaissance des locaux des missions diplomatiques ;
- Les variations exceptionnelles dans la position de la France par rapport aux
conditions et procédures pour l’acquisition du statut diplomatique de l’immeuble
sis au 42 avenue Foch depuis 2011 ;
- L’absence du moindre effort de la part de la France de dialoguer avec la Guinée
équatoriale.
2.59. En premier lieu, le refus initial de la France de reconnaître le statut diplomatique de
l’immeuble sis au 42 avenue Foch était expressément basé non pas sur une évaluation des
« deux conditions cumulatives » qu’elle invoque aujourd’hui devant la Cour, mais sur une
conclusion qu’elle a tirée par rapport à la propriété sur l’immeuble. En effet, dans sa note
verbale du 11 octobre 2011 le Ministère français des affaires étrangères refusait de reconnaître
le statut diplomatique de l’immeuble parce que celui-ci « [relevait] du domaine privé et, de ce
fait, du droit commun »128.
2.60. Pourtant, comme la Guinée équatoriale l’a déjà amplement démontré, à cette date
l’immeuble était la propriété de l’État équato-guinéen129. L’appréciation du Ministère français
des affaires étrangères, faite sans le moindre effort de consulter la Guinée équatoriale, était donc
fondée sur une erreur de fait.
2.61. D’une façon plus importante encore, il est bien établi que la propriété sur un
immeuble n’est pas concluante pour déterminer si cet immeuble constitue les locaux d’une
128 MGE, Annexe n° 34.
129 Voir pars. 1.16-1.23 ci-dessus.
47
mission diplomatique. La CVRD ne requiert pas que l’État accréditant soit le propriétaire des
locaux : l’article 1, alinéa i), de la Convention prévoit que les « locaux de la mission » sont ceux
bâtiments utilisés aux fins de la mission, « quel qu’en soit le propriétaire ». L’article 21,
paragraphe 1, établit par ailleurs que l’État accréditaire doit soit faciliter l’acquisition par l’État
accréditant des locaux nécessaires à sa mission, « soit aider l’État accréditant à se procurer des
locaux d’une autre manière ». Comme le juge Gaja l’a dit, « [l]’État accréditant n’est pas
nécessairement propriétaire des locaux. Il est fréquent que les missions soient hébergées dans
des locaux faisant l’objet d’un contrat de location ou d’un crédit-bail immobilier »130. Denza
explique aussi que « [t]he definition in Article 1(i) [de la CVRD] makes clear that the sending
State need not hold title to its premises—and indeed under the laws of some States this is not
permitted to a foreign State »131.
2.62. Le refus initial de la France de reconnaître le statut diplomatique de l’immeuble sis
au 42 avenue Foch du prétendu fait que celui-ci n’était pas la propriété de la Guinée équatoriale
était par conséquent également fondé sur une erreur de droit contraire à la CVRD.
2.63. En deuxième lieu, lorsqu’elle a refusé de reconnaître l’immeuble sis au 42 avenue
Foch comme les locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale le 11 octobre 2011,
la France n’a pas respecté les procédures qu’elle considérait elle-même applicables pour une
telle reconnaissance à l’époque.
2.64. Comme on l’a déjà vu, en octobre 2011 la France était d’avis que « (…) un
immeuble relevant du statut diplomatique, doit être déclaré comme tel au Protocole avec une
date d’entrée précise dans les locaux. Une fois les vérifications effectuées sur la réalité de
l’affectation de l’immeuble, le Protocole en reconnaît le caractère officiel auprès de
l’administration française (…) »132. Or, une telle vérification n’a jamais été effectuée entre la
date à laquelle l’Ambassade de la Guinée équatoriale a informé le Ministère français des affaires
étrangères de l’affectation de l’immeuble (4 octobre 2011) et la date à laquelle le Ministère a
notifié à l’Ambassade son refus (11 octobre 2011).
130 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), arrêt du 6 juin 2018 sur les exceptions
préliminaires, Déclaration du juge Gaja.
131 E. Denza, Diplomatic Law: Commentary on the Vienna Convention on Diplomatic Relations, 4ème éd. (OUP,
2016), p. 16.
132 MGE, Annexe n° 35.
48
2.65. Il va sans dire que les perquisitions du 28 septembre et 3 octobre 2011 ne peuvent
pas compter comme une vérification, d’autant plus que les autorités judiciaires et policières
françaises ne se sont pas introduites à l’intérieur de l’immeuble. Il en va de même pour les
perquisitions de février 2012, lesquelles ont eu lieu plusieurs mois après le refus de la France
de reconnaître le statut diplomatique de l’immeuble.
2.66. En conséquence, en plus d’avoir apprécié la notification d’affectation de la Guinée
équatoriale de manière manifestement erronée, la France n’a pas non plus respecté la procédure
de reconnaissance qu’elle considérait applicable à l’époque. Dans ces circonstances, il est
évident que le refus de la partie adverse de reconnaître le statut diplomatique de l’immeuble sis
au 42 avenue Foch était arbitraire et contraire à la CVRD.
2.67. En troisième lieu, la position de la France, au moins vis-à-vis de la Guinée
équatoriale, par rapport aux conditions et procédures pour l’acquisition du statut diplomatique
par un immeuble a varié de manière exceptionnelle. Comme la Guinée équatoriale l’a expliqué
ci-dessus, la notification de l’affectation d’un immeuble aux fins de la mission diplomatique a
toujours suffit dans la pratique bilatérale et réciproque entre les deux pays, et la Guinée
équatoriale avait une attente légitime que la France s’attacherait à cette pratique. Or, depuis
octobre 2011, la France a avancé les positions contradictoires suivantes :
- Le 11 octobre 2011, la France écrivait aux juges d’instruction (et non pas à la Guinée
équatoriale !) que « (…) un immeuble relevant du statut diplomatique, doit être déclaré
comme tel au Protocole avec une date d’entrée précise dans les locaux. Une fois les
vérifications effectuées sur la réalité de l’affectation de l’immeuble, le Protocole en
reconnaît le caractère officiel auprès de l’administration française (…) »133. Cela veut
dire que la Guinée équatoriale devait (1) acquérir des nouveaux locaux, (2) déménager
les services de son Ambassade et (3) notifier à la France la date d’entrée précise dans
les nouveaux locaux. Après cela, la France devait effectuer une « vérification » de la
réalité de l’affectation, puis reconnaître le caractère officiel des locaux.
- Le 28 mars 2012, la France écrivait à la Guinée équatoriale que « (…) une Ambassade
qui envisage d’acquérir des locaux pour sa mission en informe au préalable le
Protocole et s’engage à affecter lesdits locaux aux fins de l’accomplissement de ses
133 Ibid.
49
missions (…) La reconnaissance officielle (…) s’apprécie à la date de la réalisation de
l’affectation desdits locaux aux services de la mission diplomatique, soit au moment
de l’installation effective »134. En d’autres termes, la Guinée équatoriale devait
(1) informer la France de son intention d’acquérir des nouveaux locaux, (2) s’engager
à les affecter aux fins de la mission diplomatique, (3) acquérir les nouveaux locaux, et
(4) s’y installer effectivement. Après cela, la France devait reconnaître officiellement
le statut diplomatique des locaux, apparemment sans aucune « vérification » de la
réalité de l’affectation.
- Dans son contre-mémoire, la France avance qu’un immeuble acquiert le statut
diplomatique si elle ne s’oppose pas (ou donne son « consentement implicite ») à la
désignation de l’État accréditant et si l’immeuble est « réellement affecté » aux fins de
la mission diplomatique. Au même temps, comme on l’a noté ci-dessus, la France se
contredit et soutient que « (…) la notification officielle et préalable par l’État
accréditant de son intention d’affecter des locaux aux services de sa mission suffit
généralement au ministère pour leur reconnaître le bénéfice du régime de la
Convention de Vienne sur les relations diplomatiques (…) ».
2.68. Les fortes variations dans la position de la France par rapport aux conditions et
procédures pour qu’un immeuble acquière le statut diplomatique attestent du caractère arbitraire
du comportement de la partie adverse. Ce comportement est également discriminatoire, car la
France n’a aucune réglementation prévisible et transparente qui s’applique de manière générale
à tous les États accréditants en France, et aucun autre État ne semble avoir été soumis au
traitement que la Guinée équatoriale a reçu.
2.69. Il est rappelé que l’article 47 de la CVRD codifie la règle générale selon laquelle :
« 1. En appliquant les dispositions de la présente Convention, l’Etat accréditaire ne fera
pas de discrimination entre les Etats.
2. Toutefois, ne seront pas considérés comme discriminatoires :
a. le fait pour l’Etat accréditaire d’appliquer restrictivement l’une des dispositions de
la présente Convention parce qu’elle est ainsi appliquée à sa mission dans l’Etat
accréditant ;
134 Ibid., Annexe n° 45.
50
b. le fait pour des Etats de se faire mutuellement bénéficier, par coutume ou par voie
d’accord, d’un traitement plus favorable que ne le requièrent les dispositions de la
présente Convention ».
2.70. Pour réfuter le caractère discriminatoire de son comportement, la France ne cite
dans son contre-mémoire que deux notes verbales de 2016 et 2017, dans lesquelles elle a
confirmé à deux États le statut diplomatique de leurs immeubles135. Ces notes verbales ne
remettent pourtant pas en cause la conviction de la Guinée équatoriale qu’elle a été l’objet d’un
traitement arbitraire et discriminatoire. Elles n’étayent pas la procédure exacte qui a été suivie
par le Ministère français des affaires étrangères pour reconnaître le caractère officiel des
immeubles en question (si quelque procédure outre que la notification d’affectation par l’État
accréditant il y a eu), et l’information disponible soulève des interrogations. La note du 24 juin
2016, par exemple, indique que le Ministère aurait reconnu le caractère officiel de l’immeuble
le 26 octobre 2011, alors que la date d’ouverture effective du consulat a été notifiée le 9 juillet
2012. Cela diffère sensiblement du comportement de la France vis-à-vis de la Guinée
équatoriale et semble même contredire les arguments de la France par rapport aux « deux
conditions cumulatives ».
2.71. En quatrième lieu, même si la France a contesté la revendication du statut
diplomatique de l’immeuble sis au 42 avenue Foch par la Guinée équatoriale, les autorités
françaises n’auraient pas dû rejeter la position de la Guinée équatoriale dans ces circonstances
sans aucun effort pour entamer le dialogue avec cette dernière et pour vérifier les faits. Le droit
international, et le droit diplomatique plus particulièrement, exige plus que cela.
2.72. Enfin, même si la France considère dans son contre-mémoire que la Guinée
équatoriale a commis un abus de droit (argument qui équivaut à admettre la position de la
Guinée équatoriale dans la présente instance qu’elle a le droit à désigner les locaux de sa
mission diplomatique), cela ne confère pas à la partie adverse un droit d’agir de manière
complètement contraire à la revendication de la Guinée équatoriale du statut diplomatique de
l’immeuble et son inviolabilité. En d’autres termes, la France aurait dû se prévaloir des moyens
prévus par le droit diplomatique pour faire face à des possibles abus. Or, elle ne l’a pas fait.
135 CMF, pp. 61-62, notes 159 à 163.
51
2.73. Comme la Cour a eu l’occasion de l’expliquer :
« Bref les règles du droit diplomatique constituent un régime se suffisant à lui-même qui,
d’une part, énonce les obligations de l’Etat accréditaire en matière de facilités, de
privilèges et d’immunités à accorder aux missions diplomatiques et, d’autre part, envisage
le mauvais usage que pourraient en faire des membres de la mission et précise les moyens
dont dispose 1’Etat accréditaire pour parer à de tels abus. Ces moyens sont par nature
d’une efficacité totale car, si 1’Etat accréditant ne rappelle pas sur-le-champ le membre
de la mission visé, la perspective de la perte presque immédiate de ses privilèges et
immunités, du fait que 1’Etat accréditaire ne le reconnaîtra plus comme membre de la
mission, aura en pratique pour résultat de l’obliger, dans son propre intérêt, à partir sans
tarder. Le principe de l’inviolabilité des personnes des agents diplomatiques et des locaux
des missions diplomatiques est l’un des fondements mêmes de ce régime (…) Le caractère
fondamental du principe d’inviolabilité est en outre souligné avec force par les
dispositions des articles 44 et 45 de la convention de 1961 (voir aussi les articles 26 et 27
de la convention de 1963). Même en cas de conflit armé ou de rupture des relations
diplomatiques, ces dispositions obligent 1’Etat accréditaire à respecter l’inviolabilité des
membres d’une mission diplomatique aussi bien que celle de ses locaux, de ses biens et
de ses archives »136.
2.74. En l’espèce, au lieu d’avoir recours aux remèdes prévus dans la CVRD pour parer
à des possibles abus par l’État accréditant, ou plus généralement aux procédures pour le
règlement pacifique des différends, la France a décidé de ne pas respecter la règle absolue de
l’inviolabilité des locaux des missions diplomatiques. En conséquence, son comportement est
contraire à la CVRD.
IV. Conclusions
2.75. En conclusion au présent chapitre, à la lumière des développements qui précèdent,
la Guinée équatoriale réitère que :
- La thèse des « deux conditions cumulatives » avancée par la France est infondée et doit
être rejetée ;
- L’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris a acquis le statut de locaux de la mission
diplomatique de la Guinée équatoriale en France le 4 octobre 2011, et les mesures
coercitives à son encontre constituent des violations flagrantes de l’article 22 de la
CVRD ;
136 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 3, par. 86.
52
- Même si la France avait un pouvoir discrétionnaire par rapport au choix des locaux de
la mission diplomatique de la Guinée équatoriale (quod non), son comportement en
l’espèce revêt un caractère arbitraire et discriminatoire, et est par conséquent contraire
à la CVRD ;
- Même si la France considère que la Guinée équatoriale aurait commis un abus de droit
(quod non), elle a adopté des mesures coercitives inadmissibles par la CVRD, et a agi
par conséquent de manière contraire à cette dernière.
53
CHAPITRE 3
LA GUINÉE ÉQUATORIALE N’A COMMIS AUCUN ABUS DE DROIT
3.1. N’ayant pas convaincu la Cour que le recours de la Guinée équatoriale à celle-ci
constitue un abus de procédure137 ou que la conduite de la Guinée équatoriale devrait rendre sa
requête irrecevable, la France soutient toujours que la Guinée équatoriale a commis un « abus
de droit » en exigeant que l’inviolabilité et l’immunité de sa mission diplomatique à Paris soient
respectées.
3.2. La Guinée équatoriale rejette les insinuations de la France selon lesquelles la
Guinée équatoriale a agi de mauvaise foi. Comme on l’a dit auparavant, « de telles affirmations
ne sont non seulement inattendues et inappropriées dans les relations diplomatiques ; elles sont
également contraires au principe fondamental selon lequel ‘la mauvaise foi ne se présume pas’.
En tout état de cause, elles sont contredites, de façon flagrante, par les faits »138. Au-delà de la
rhétorique de la France, il est clair que les affirmations de la partie adverse ne sont pas
corroborées par quelque preuve que ce soit, et menacent d’affaiblir les principes fondamentaux
du règlement pacifique des différends.
3.3. Le présent chapitre clarifie, d’abord, que l’abus de droit ne doit pas être présumé à
la légère (I). Ensuite, il réitère que la Guinée équatoriale a agi de manière raisonnable et de
bonne foi (II), et que, en tout cas, il ne peut exister aucun abus de droit dans la présente affaire
parce que la France a tout simplement empêché l’exercice des droits en question et aucun
préjudice ne lui a été causé (III).
137 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), arrêt du 6 juin 2018 sur les exceptions
préliminaires, pars. 150, 152. Voir aussi R. Kolb, La Cour internationale de Justice (Pedone, 2013), p. 975
(« La pratique montre que l’argument de l’abus de procédure était lui-même généralement animé par une
tentative très malvenue d’empêcher la Cour de connaître d’une requête en affirmant une irrecevabilité in limine
litis »).
138 OGE, par. 1.68.
54
I. L’abus de droit ne doit pas être présumé à la légère
3.4. Comme la France elle-même semble l’admettre, la question de savoir la nature et
le contenu précis de la « doctrine » d’abus de droit en droit international est controversée139. Il
s’agit d’une doctrine que la Cour, en une centaine d’années de jurisprudence, n’a jamais
appliquée dans un cas d’espèce. Il n’est par conséquent pas étonnant que la France ne soit pas
capable même de déterminer quelle est la source précise de cette doctrine et que ses arguments
se fondent dans une grande mesure sur les écrits de quelques auteurs et sur quelques exemples
propres au droit des investissements140.
3.5. Les controverses autour de cette doctrine appellent à la prudence si l’on veut
l’appliquer dans une affaire devant la Cour. Ce qui est pourtant clair est que l’abus de droit ne
doit pas être présumé à la légère, et que toute constatation d’un abus de droit ne peut être faite
que dans des circonstances exceptionnelles.
3.6. La Cour permanente de Justice internationale a en effet soutenu, à plusieurs
reprises, que l’abus de droit ne se présume pas141. Comme cette Cour l’a dit dans son arrêt
du 6 juin 2018, « [l]a Cour permanente de Justice internationale a, en plusieurs occasions, rejeté
des arguments concernant un abus de droit au stade du fond, faute d’éléments de preuve
suffisants »142. La Cour, comme son prédécesseur, n’a jamais rejeté une demande en se fondant
sur ce motif.
3.7. Que l’abus de droit ne puisse se présumer découle du principe plus général selon
lequel la mauvaise foi d’un État ne se présume pas, surtout si une telle constatation serait
particulièrement offensante ou odieuse. En effet, « [i]nternationally, good faith is presumed and
139 CMF, pars. 4.9-4.11.
140 Ibid., par. 4.9-4.10. Voir aussi Obligation de négocier un accès à l’Océan pacifique (Bolivie c. Chili), arrêt du
1er octobre 2018, par. 162.
141 Voir Affaire relative à certains intérêts allemands en Haute-Silésie Polonaise (fond), Série A, N° 7 (1926),
p. 30 (« (…) un tel abus ne se présume pas, mais il incombe à celui qui l’allègue de fournir la preuve de son
allégation ») ; Affaire des zones franches de la Haute-Savoie et du pays de Gex (deuxième phase), Série A, N°
24 (1930), p. 12 (« (…) une réserve doit être faite pour le cas d’abus de droit, abus que la Cour ne saurait
cependant présumer ») ; Affaire des zones franches de la Haute-Savoie et du pays de Gex, Série A/B, N° 46
(1932), p. 167 (« Une réserve doit être faite pour le cas d’abus de droit (…) Mais la Cour ne saurait présumer
l’abus de droit »).
142 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), arrêt du 6 juin 2018 sur les exceptions
préliminaires, par. 147.
55
a State is entitled to rely on the word of another State. Without such a presumption, international
intercourse could not continue »143.
3.8. Pour cette raison, comme le tribunal arbitral dans l’affaire relative à la question de
Tacna-Arica l’a expliqué, « [a] finding of the existence of bad faith should be supported not by
disputable inferences but by clear and convincing evidence which compels such a
conclusion »144. Selon les mots d’un autre tribunal que la France cite avec approbation, « (…)
the threshold for finding of abuse (…) is high, as a court or tribunal will obviously not presume
an abuse, and will affirm the evidence of an abuse only ‘in very exceptional circumstances’ »145.
3.9. Une prudence particulière est requise lorsqu’on a recours à la doctrine d’abus de
droit qui cherche à limiter l’exercice des droits fondés sur le droit positif, d’autant plus que cette
doctrine est elle-même susceptible d’abus. Comme Lauterpacht l’a expliqué :
« There is no legal right, however well established, which could not, in some
circumstances, be refused recognition on the ground that it has been abused. The doctrine
of abuse of rights is therefore an instrument which, apart from other reasons calling for
caution in the administration of international justice, must be wielded with studied
restraint »146 .
3.10. De manière similaire, Kolb a expliqué que le fait que les demandes fondées sur la
doctrine d’abus de droit ne sont généralement pas acceptées en droit international
« (…) should come as no surprise, since the doctrine of abuse of rights is merely a firebrigade
provided for extreme interventions when more specialized arguments are not
143 G.D.S. Taylor, « The Content of the Rule Against Abuse of Rights in International Law », BYIL, vol. 46 (1972-
1973), p. 334. Voir aussi Affaire du Détroit de Corfou, Arrêt du 9 avril 1949 : C.I.J Recueil 1949, p. 4, Opinion
dissidente du juge ad hoc Ečer, pp. 119-120 (« (…) il y a en droit international en faveur de chaque État une
présomption qui correspond à peu près à la présomption d’innocence en faveur de chaque individu dans le droit
national : la presumptio iuris qu’un État se comporte en accord avec le droit international. Donc, un État qui
allègue une violation du droit international par un autre Etat est obligé de prouver que cette présomption ne
tient pas dans un cas spécial, mais il n’est pas possible de combattre une présomption de la conduite légale par
une autre présomption »).
144 Tacna-Arica Question (Chile v. Peru), sentence arbitrale du 4 mars 1925, RSA, vol. 2, p. 930 (1925) (soulignant
aussi que « (…) the onus probandi of such a charge should not be lighter where the honor of a Nation is
involved than in a case where the reputation of a private individual is concerned »).
145 CMF, par. 4.9.
146 H. Lauterpacht, The Development of International Law by the International Court (Grotious Publications,
1982), p. 164.
56
available. It stands to reason that such a doctrine remains of limited application, lest the
abuse of rights principle should itself become an avenue for abuse of rights »147.
3.11. Une telle prudence est notamment requise dans le contexte du droit diplomatique,
dans lequel l’invocation d’un abus peut être particulièrement dangereux et entraver l’existence
même des droits reconnus148. C’est pour cette raison que ce « régime autonome » de règles
fondamentales pour la coopération entre États contient d’autres moyens spécifiques pour l’État
accréditaire si celui-ci considère qu’il existe une violation ou un abus quelconque. L’État
accréditaire peut, par exemple, déclarer le chef ou toute autre membre du personnel
diplomatique persona non grata, voire rompre les relations diplomatiques avec l’État
accréditant. Pourtant, il n’est pas possible de prendre des contre-mesures qui ne sont pas
permises, telles que le non-respect de l’inviolabilité et l’immunité des locaux des missions
diplomatiques149.
3.12. Compte tenu de ce qui précède, l’affirmation lapidaire de la France, tendant à
l’assouplissement des conditions pour constater un abus de droit, selon laquelle « [l]’intention
de nuire ou la mauvaise foi de l’auteur de l’acte (…) ne sont guère adaptés au droit international
public » et que « c’est un critère plus objectif qui est employé »150 doit être rejetée. La mauvaise
foi ou l’intention de nuire sont bien des éléments qui doivent être démontrés par la partie qui
allègue un abus de droit151.
3.13. Pour toutes ces raisons, un abus de droit de la part d’un État souverain ne doit pas
être présumé à la légère, et il faut faire attention à ne pas avancer ou accepter une telle
147 R. Kolb, Good Faith in International Law (Hart Publishing, 2017), p. 148 (faisant référence à l’affaire du Iron
Rhine Railway (2005) comme « [a]n example for a tribunal avoiding to enter into the arguments of the parties
on abuse, preferring to speak of ‘different perceptions that have occasioned ancillary contentions of absence
of good faith and abuse of rights’ and engaging into an exercise of interpretation of the relevant provisions »).
Voir aussi J. Crawford, Brownlie’s Principles of Public International Law, 8ème éd. (OUP, 2012), p. 563
(« Indeed it is doubtful if [the doctrine of abuse of rights] could be safely recognized as an ambulatory doctrine,
since it would encourage doctrines as to the relativity of rights and would result, outside the judicial forum, in
instability »).
148 Voir aussi OGE, par. 1.78.
149 Voir pars. 2.15, 2.72-2.74 ci-dessus.
150 CMF, par. 4.11.
151 Voir aussi Affaire du navire « Norstar » (Panama c. Italie), TIDM, arrêt du 10 avril 2019, pars. 251, 258, 271.
57
accusation sans preuve définitive et claire. Comme il sera démontré ci-dessous, cette preuve
n’a pas été rapportée par la France en l’espèce.
II. La Guinée équatoriale a agi de manière raisonnable et de bonne foi
3.14. Dans son contre-mémoire, la France présente à nouveau un exposé biaisé et
déformé des faits. Cette présentation, même acceptée telle qu’elle est (ce que, comme on l’a
expliqué au Chapitre 1, la Cour devrait s’abstenir de faire), ne fournit aucun élément de preuve
claire ou conclusive par rapport aux allégations d’abus de droit.
3.15. La Guinée équatoriale, consciente des faits et capable de les expliquer, continue de
soutenir qu’elle n’a commis aucun acte répréhensible et encore moins un abus de droit. Elle
n’aurait pas introduit la présente instance si c’était le cas. Avant d’éclairer encore une fois les
faits concernant sa conduite par rapport aux locaux de sa mission diplomatique sis au 42 avenue
Foch, elle croit utile de faire quatre observations générales.
3.16. En premier lieu, en cherchant à échapper à sa responsabilité pour les faits
internationalement illicites qu’elle a commis en l’espèce, la France continue de contester et
discréditer les motifs de la Guinée équatoriale et remet en question sa bonne foi et sa dignité,
d’une manière inacceptable dans les relations internationales.
3.17. Deuxièmement, comme on l’a vu ci-dessus, les arguments de la France par rapport
à la conduite de la Guinée équatoriale sont étroitement liés aux procédures pénales en cours
contre le Vice-Président de la Guinée équatoriale ; procédures que la Guinée équatoriale
considère comme contraires au droit international. Par ailleurs, ces arguments se basent sur les
« faits » établis par les juridictions françaises au cours des procédures pénales, mais ceux-ci ne
peuvent pas être acceptés comme une vérité objective ; la Guinée équatoriale les rejette152.
3.18. Troisièmement, en alléguant un abus de droit la France se réfère non seulement à
l’invocation par la Guinée équatoriale des droits prévus par la CVRD, mais aussi à son recours
à la Cour pour protéger ces droits. La France cherche ainsi à décrire la présente instance comme
un abus de procédure et à réanimer un argument déjà rejeté par la Cour. Le fait que la France
152 Voir pars. 1.7-1.10 ci-dessus.
58
continue à avancer l’argument que la Guinée équatoriale agit de manière abusive en instituant
une instance sur la base du Protocole de signature facultative, même si la Cour a indiqué des
mesures conservatoires sur cette base, est non seulement regrettable, mais illustre aussi la
faiblesse de la position de la partie adverse.
3.19. Enfin, probablement consciente du fait que ses allégations sont spéculatives, la
France suggère qu’aucune preuve de l’intention de nuire ou de la mauvaise foi de la Guinée
équatoriale n’est requise153. Cela n’a pas pour autant empêché la France d’avancer que la
Guinée équatoriale a conçu une « stratégie visant à utiliser de manière totalement artificielle le
principe des immunités diplomatiques au profit d’une personne qui n’est pas un diplomate, pour
entraver les poursuites pénales engagées à son encontre en France et soustraire les biens
personnels qu’il y a acquis à leur éventuelle confiscation »154. En tout cas, la France n’a pas
rempli les exigences en matière de preuve pour établir un abus de droit. Par ailleurs, certains
faits sur lesquels la France fonde ses allégations n’attestent en réalité d’aucun abus de droit,
mais plutôt des efforts légitimes de la Guinée équatoriale de faire respecter ses droits par la voie
de moyens pacifiques.
3.20. La France, comme par le passé, invoque une chronologie des faits qui, selon elle,
est suffisante à elle seule pour établir ses allégations d’abus de droit155. Cependant, cette
chronologie ne démontre pas l’existence d’aucun abus.
3.21. Tout d’abord, la France omet de mentionner le fait que l’immeuble sis au 42 avenue
Foch a été légalement acquis par la Guinée équatoriale avant que les autorités et juridictions
françaises prennent des mesures coercitives contre l’immeuble. Lors des premières
perquisitions, le 28 septembre 2011, l’immeuble n’était plus propriété de M. Teodoro Nguema
Obiang Mangue. Comme la Guinée équatoriale l’a déjà clarifié, elle a acquis l’immeuble parce
qu’il réunit les conditions, tant par sa situation que par sa construction, pour servir de locaux
de sa mission diplomatique à Paris156.
153 CMF, pars. 4.10-4.11.
154 CR 2018/2, 19 février 2018, p. 53, par. 21 (Pellet).
155 CMF, par. 4.15.
156 MGE, par. 2.11. Voir aussi par. 1.19 ci-dessus.
59
3.22. La France ne reconnait pas non plus que le 17 octobre 2011, soit après les premières
perquisitions du 28 septembre et 3 octobre 2011, les autorités fiscales françaises ont
officiellement constaté et enregistré l’acquisition par la Guinée équatoriale des droits sociaux
des cinq sociétés suisses copropriétaires de l’immeuble sis au 42 avenue Foch157. Elles ont, en
plus, accepté le paiement des impôts relatifs à cette acquisition sans s’y opposer158. Le
formulaire de déclaration de plus-value enregistré par l’administration fiscale française le 20
octobre 2011 mentionne la République de Guinée équatoriale comme « acquéreur » de titres
des cinq sociétés précitées159. En plus, comme on l’a montré ci-dessus, le 22 octobre 2013 le
Tribunal de grande instance de Paris a expressément identifié la Guinée équatoriale comme le
propriétaire de l’immeuble160. Dans ces circonstances, il est extraordinaire que la France
continue de prétendre ne pas avoir reconnu le droit de propriété de la Guinée équatoriale sur
l’immeuble161.
3.23. La France fait également référence à la lettre du Président de la Guinée équatoriale
à son homologue français en février 2012 et avance que dans celle-ci le Président de la Guinée
équatoriale a « explicitement reconnu que la vente de l’immeuble au gouvernement de Guinée
équatoriale et l’invocation du caractère diplomatique découlaient effectivement de la volonté
de faire échapper l’immeuble aux poursuites pénales engagées à l’encontre de son fils »162.
Mais la France déforme le contenu et l’objet de cette lettre. Celle-ci n’admet aucun acte
répréhensible de la part de la Guinée équatoriale, qui n’a pas agi de manière inappropriée en
acquérant l’immeuble par le biais d’une cession réelle moyennant le paiement d’un prix
commercial. Par contre, la lettre démontre que le chef d’État de la Guinée équatoriale n’avait
aucun doute quant à la légitimité de la position de son pays et qu’il n’avait aucune réserve
lorsqu’il a écrit à son homologue à cet égard. Il est étonnant que, même si la France met l’accent
sur l’authenticité des affirmations contenues dans cette lettre par rapport à l’acquisition de
l’immeuble, elle refuse d’accepter que la propriété sur l’immeuble ait été légalement transférée
comme il y est indiqué.
157 MGE, par. 2.21.
158 Ibid., pars. 2.23-2.24.
159 Ibid., par. 2.25.
160 Voir par. 1.21 ci-dessus.
161 CMF, par. 4.31.
162 Ibid., par. 4.39.
60
3.24. Également remarquable est le fait que, ayant demandé à la Cour de ne pas se
prononcer sur le droit de propriété de la Guinée équatoriale sur l’immeuble163, la France suggère
néanmoins que cette question revêt « une certaine importance particulière »164. En tout état de
cause, comme la Guinée équatoriale l’a expliqué ci-dessus, la question de la propriété est
pertinente en l’espèce parce que la propriété est le titre qui lui permet d’utiliser l’immeuble aux
fins de sa mission diplomatique, et que la propriété est le motif évoqué (de manière erronée)
par la France pour ne pas reconnaître le statut diplomatique de l’immeuble en octobre 2011.
3.25. La France fait en plus référence à des prétendues incohérences dans la
correspondance diplomatique et les déclarations faites par la Guinée équatoriale par rapport à
la date d’acquisition de l’immeuble sis au 42 avenue Foch et l’usage qu’elle en a fait. L’usage
occasionnel de papier à lettre ancien ne suffit pas pour suggérer, encore moins pour établir, un
abus de droit. Comme la Guinée équatoriale l’a déjà expliqué, sa position a été constante : elle
a acquis l’immeuble le 15 septembre 2011, et l’immeuble a acquis le statut diplomatique le 4
octobre 2011165. En ce qui concerne la note verbale du 4 octobre 2011, la Guinée équatoriale a
eu l’opportunité d’expliquer qu’il est arrivé, par le passé, que l’immeuble accueille son
personnel diplomatique et d’autres personnalités en mission spéciale166. Mais la Guinée
équatoriale ne prétend pas que, avant cette date, l’immeuble jouissait d’un statut diplomatique
quelconque.
3.26. Avancer, comme le fait la France167, que la Guinée équatoriale n’a jamais élevé
de protestations contre les perquisitions de l’immeuble pour entraver son usage diplomatique
est fallacieux. La Guinée équatoriale a protesté par le biais de son Ambassadeur sur place
dès la première fois que les autorités françaises se sont déplacées à l’immeuble, soit le
28 septembre 2011168. Elle a par la suite protesté, par exemple, dans la lettre du Président de la
Guinée équatoriale à son homologue français du 14 février 2012169, la note verbale de
163 Ibid., par. 4.45.
164 Ibid., par. 4.28.
165 Voir pars. 1.19, 2.48 ci-dessus.
166 Voir par. 1.33 ci-dessus.
167 CMF, par. 4.26.
168 Voir par. 1.26 ci-dessus.
169 MGE, Annexe n° 39.
61
l’Ambassade de la Guinée équatoriale du 14 février 2012170, la note verbale du Ministère des
affaires étrangères de la Guinée équatoriale du 14 février 2012171, et la lettre du Ministère
équato-guinéen de la justice du 9 mars 2012172. Par ailleurs, c’est précisément ces
préoccupations qui ont obligé la Guinée équatoriale à demander à la Cour l’indication de
mesures conservatoires afin de garantir le fonctionnement ininterrompu de son Ambassade.
3.27. L’insinuation de la France que la Guinée équatoriale a nommé M. Teodoro Nguema
Obiang Mangue au poste de Second Vice-Président avec le but de le soustraire des juridictions
françaises est probablement l’élément le plus offensant dans le contre-mémoire de la partie
adverse173. Comme la Guinée équatoriale l’a expliqué dans son mémoire174, cette nomination a
été annoncée dans le cadre d’une restructuration gouvernementale plus large qui a eu lieu à la
suite de la modification de la Loi Fondamentale de Guinée équatoriale, approuvée par un
référendum en 2011. Cette réforme constitutionnelle prévoit la création de plusieurs institutions
gouvernementales à travers lesquelles l’État exerce ses fonctions. Il s’agit, entre autres, du Vice-
Président de la République, ainsi que du Sénat, de la Chambre des représentants, d’un Conseil
des ministres, d’une Cour des comptes, et d’un Conseil national de développement économique
et social. Le jour de la nomination de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue comme Second
Vice-Président, en charge de la Défense et de la Sécurité de l’État, plusieurs autres nominations
ont été annoncées, y compris celles du Premier ministre (en charge de la coordination
administrative), le vice-premier ministre et le premier vice-président. Suggérer, comme le fait
la France, que tous ces actes ont été orchestrés par la Guinée équatoriale à la lumière des
procédures pénales est dépourvu de tout fondement.
3.28. En plus, comme la Guinée équatoriale l’a déjà noté175, la position de la France n’a
pas été constante depuis le début du différend. Si elle maintient, d’un côté, que l’immeuble sis
au 42 avenue Foch n’est ni la propriété de la Guinée équatoriale ni les locaux de sa mission
diplomatique, de l’autre côté elle permet à ses autorités de s’y rendre pour obtenir des visas, et
à ses autorités fiscales d’exiger le paiement des impôts relatifs à la propriété sur l’immeuble.
170 Ibid., Annexe n° 37.
171 Ibid., Annexe n° 38.
172 Ibid., Annexe n° 43.
173 CMF, par. 4.19.
174 MGE, par. 2.3.
175 Ibid., par. 2.13.
62
Lorsque la Guinée équatoriale a transmis au Ministère français des affaires étrangères
l’ordonnance de référé de 2013 reconnaissant l’immeuble en tant que locaux de la mission
diplomatique de la Guinée équatoriale, le Ministère n’a élevé aucune protestation176.
À l’occasion des audiences sur la demande en indication de mesures conservatoires, la France
a également reconnu, par le biais de son Agent et ses conseils, d’avoir accordé à l’immeuble
une protection conformément à la CVRD le 13 octobre 2015 en raison d’une manifestation et
le 24 avril 2016 à l’occasion des élections présidentielles en Guinée équatoriale177. Par ailleurs,
dans des notes verbales plus récentes, le Ministère français des affaires étrangères s’est adressé
à l’Ambassade de la Guinée équatoriale située au « 42, avenue Foch ».
3.29. En conclusion, les faits allégués sur lesquels la France cherche à fonder ses
arguments relatifs à l’abus de droit ne sont que des « disputable inferences »178. Ils ne
fournissent pas la moindre preuve crédible que les actes de la Guinée équatoriale « ne peuvent
que s’analyser comme autant de réactions de la Guinée équatoriale aux développements de la
procédure pénale », entamée de manière illicite contre le Vice-Président de la Guinée
équatoriale179, et la France a déjà admis que « les différents éléments que la France a portés à
l’attention de [la Cour], considérés individuellement » ne peuvent pas justifier les allégations
d’abus de droit, sans l’interprétation orientée qu’elle avance en plus180. De tout évidence, les
faits ne remplissent pas les exigences en matière de preuve pour établir un abus de droit.
III. Il ne peut exister aucun abus de droit parce que la France a empêché l’exercice
des droits en question et aucun préjudice ne lui a été causé
3.30. La France a, dès le début, refusé de reconnaître les immunités revendiquées par la
Guinée équatoriale et, par conséquent, empêché cette dernière d’exercer les droits qui lui
appartiennent. Dans ces circonstances, et nonobstant le fait que l’accusation d’abus de droit de
la France suggère que celle-ci admet l’existence du droit de la Guinée équatoriale à choisir elle-
176 Ambassade de la Guinée équatoriale, Note verbale n° 863/13, 25 octobre 2013, transmettant l’ordonnance de
référé du Tribunal de grande instance de Paris du 22 octobre 2013 (Annexe n° 6).
177 CR 2016/15, 18 octobre 2016, pp. 38-39, par. 25 (Ascensio).
178 Voir par. 3.8 ci-dessus.
179 CMF, par. 4.24.
180 CR 2018/2, 19 février 2018, p. 53, par. 21 (Pellet).
63
même les locaux de sa mission diplomatique à Paris, il est clair qu’aucun abus de droit ne peut
être constaté, pour la simple raison que les droits en question n’ont jamais pu être exercés.
3.31. La France elle-même admet qu’aucun abus de droit n’a été commis. En effet, elle
se réfère aux réclamations de la Guinée équatoriale par rapport à l’immunité des locaux de sa
mission diplomatique comme une « tentative (…) d’abuser des droits et privilèges prévus par
le droit international »181. De manière similaire, elle accuse la Guinée équatoriale de
« cherche[r] (…) à se prévaloir de droits et obligations internationales de manière abusive »182.
Dans le même temps, la France accepte que l’élément décisif pour qu’un abus de droit soit
constitué est l’« [e]xercice par un État d’un droit »183.
3.32. C’est précisément parce que la France a refusé l’exercice par la Guinée équatoriale
de ses droits au titre de la CVRD qu’elle ne peut non plus se prévaloir d’un préjudice à son
encontre. Pourtant, l’existence d’un tel préjudice a été décrit comme un « fundamental element
in the implementation of that principle [of abuse of rights] »184. Comme le juge Read l’a dit :
181 CMF, par. 4.3 (italiques ajoutés).
182 EPF, par. 87 (italiques ajoutés). Voir aussi EPF, par. 76 ; CR 2018/2, 19 février 2018, p. 48, par. 10 (« La
tentative de maquiller précipitamment l’immeuble en local diplomatique (…) ») ; p. 55, par. 27 (« (…) [la
Guinée équatoriale] s’est efforcée de faire passer le 42, avenue Foch pour un local diplomatique ») ; p. 55,
par. 30 (« (…) la Guinée équatoriale cherche en l’espèce à se prévaloir de droits et d’obligations internationales
de manière abusive (…) » (italiques ajoutés).
183 CMF, pars. 4.4, 4.10. Voir aussi Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale
(Djibouti c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 177, Déclaration du juge Keith, par. 6 (Ces principes [bonne
foi, abus de droit et détournement de pouvoir] imposent à l’organisme d’État en question d’exercer le pouvoir
aux fins pour lesquelles celui-ci a été conféré et non à des fins erronées ou au gré de facteurs sans rapport avec
les objectifs visés ») ; R. Kolb, Good Faith in International Law (Hart Publishing, 2017), pp. 133-134 (« The
core point is that a subjective right or a competence is exercised in some way that the legal order disapproves »);
B.O. Iluyomade, « The Scope and Content of a Complaint of Abuse of Right in International Law », Harvard
International Law Journal, vol. 16 (1975), p. 48 (« Since the principle involves the exercise of a right, it does
presuppose an action (…) »); A. Kiss, « Abuse of Rights », dans R. Wolfrum (ed.), Max Planck Encyclopedia
of International Law (2006), par. 3 (« The concept [of abuse of rights] also implies a distinction between the
existence of an individual right and the exercise of such a right »). En formulant l’interdiction d’abus de droit,
l’Organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce fait également référence à « [l]’exercice abusif par
un Membre de son propre droit conventionnel (…) »). Voir États-Unis – Prohibition à l’importation de
certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, Rapport de l’Organe d’appel, AB-1998-4
(12 octobre 1998), par. 158 (italiques ajoutés).
184 A. Kiss, « Abuse of Rights », dans R. Wolfrum (ed.), Max Planck Encyclopedia of International Law (2006),
par. 31. Voir aussi B.O. Iluyomade, « The Scope and Content of a Complaint of Abuse of Right in International
Law », Harvard International Law Journal, vol. 16 (1975), p. 75 (faisant référence à “The Presence of Injury”
comme un élément à tenir en compte pour établir un abus de droit). En tout cas, tout abus doit être « of serious
consequence » et « established by clear and convincing evidence ». Voir Trail Smelter case (United States,
Canada), sentence arbitrale du 11 mars 1941, RSA, vol. 3, p. 1965.
64
« The doctrine of abuse of right cannot be invoked by one State against another unless
the State which is admittedly exercising its rights under international law causes damage
to the State invoking the doctrine »185.
3.33. Malheureusement, comme la France l’admet volontiers, ni sa police ni ses organes
judiciaires n’ont été dissuadés de pénétrer dans l’Ambassade de la Guinée équatoriale et
d’ordonner sa saisie et sa confiscation. Aucun préjudice n’a été causé à la France par la seule
invocation par la Guinée équatoriale de la CVRD afin de faire respecter ses droits prévus par le
droit international.
3.34. Il va sans dire que la présente instance ne peut être considérée comme un préjudice
de la France. Il peut arriver qu’un État accréditant et un État accréditaire soient en désaccord
quant à la question de savoir si certains locaux jouissent de l’immunité en vertu du droit
international et l’adoption par l’État accréditant d’une position contraire à celle de l’État
accréditaire ne constitue pas un abus de droit. La Cour l’a déjà reconnu en rejetant les arguments
de la France concernant le prétendu abus de procédure de la part de la Guinée équatoriale186.
On peut y ajouter, par ailleurs, que le Protocole de signature facultative existe précisément pour
régler de tels différends.
IV. Conclusions
3.35. Comme on l’a montré ci-dessus, les arguments de la France par rapport à un
prétendu abus de droit de la part de la Guinée équatoriale ne sont pas seulement dangereux et
controversés. Ils sont aussi clairement infondés dans la présente affaire. Les accusations de la
France sont entièrement erronées, et la partie adverse n’a pas été capable d’étayer sa position
avec des éléments de preuve suffisants. Pour ces raisons, ces accusations doivent être rejetées.
185 Affaire Nottebohm (deuxième phase), Arrêt du 6 avril 1955 : C.I.J. Recueil 1955, p. 4, Opinion dissidente du
juge Read, p. 37. Voir aussi Opinion dissidente du juge Klaestad, p. 31 (« For the purpose of the present case,
it is unnecessary to express any views as to the possible applicability of the notion of abuse of right in
international law. All I need say is that it would, if so applicable, in my view presuppose the infliction of some
kind of injury upon the legitimate interests of Guatemala by the naturalization of Mr. Nottebohm. But it is not
shown that an injury of any kind was thereby inflicted upon Guatemala, which at that time was a neutral
State »).
186 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), arrêt du 6 juin 2018 sur les exceptions
préliminaires, par. 150.
65
CHAPITRE 4
LA RESPONSABILITE INTERNATIONALE DE LA FRANCE
4.1. Après quelques remarques générales (I), le présent chapitre répond brièvement au
Chapitre 5 du contre-mémoire de la France (II).
I. Remarques générales
4.2. Le Chapitre 9 du mémoire de la Guinée équatoriale est consacrée à la question de
la responsabilité internationale de la France comme conséquence de la violation de ses
obligations vis-à-vis de la Guinée équatoriale. La Guinée équatoriale maintient tous ses
arguments à cet égard.
4.3. De manière générale, les parties sont d’accord sur l’objet du différend désormais
devant la Cour. Cependant, la Guinée équatoriale ne considère pas que la plus grande part des
préjudices subis mentionnés au Chapitre 9 du mémoire n’est plus pertinente187; bien au
contraire, le préjudice causé à la dignité de la Guinée équatoriale et à la conduite de ses relations
diplomatiques en France, et les pertes financières y relatives, subsistent.
4.4. À la suite de l’arrêt de la Cour sur les exceptions préliminaires, les demandes de la
Guinée équatoriale dans la présente affaire sont limitées aux violations par la France de la
CVRD. En même temps, ces violations doivent être analysées à la lumière des procédures
pénales illicites par rapport auxquelles elles ont été commises, ainsi que dans le contexte du
refus de la France de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que ses juridictions ne
violent pas l’immunité de la mission diplomatique et propriété de la Guinée équatoriale en
France. Un État ne peut pas, en invoquant le principe de séparation de pouvoirs, justifier une
violation du droit international. En effet, selon les Articles de la Commission du droit
international sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, « [l]’État
responsable ne peut pas se prévaloir des dispositions de son droit interne pour justifier un
187 CMF, par. 5.2.
66
manquement aux obligations qui lui incombent (…) »188. La responsabilité internationale de la
France dans la présente affaire est aggravée du fait de son refus de régler le différend de manière
amiable.
4.5. En ce qui concerne sa responsabilité, la France, probablement consciente des faits
internationalement illicites qu’elle a commis, cherche à obscurcir une situation claire en
avançant une série complexe de positions de repli : d’abord, elle dit qu’elle n’a commis aucune
violation du droit international. Elle soutient ensuite que toute violation n’aurait pas un
caractère continu ; que la Guinée équatoriale aurait contribué aux violations de telle manière
qu’aucune réparation n’est requise ; et enfin que le constat de sa violation de la CVRD suffirait
au titre de réparation189. Ces arguments sont abordés ci-dessous.
4.6. La Guinée équatoriale rappelle ce qu’elle a expliqué dans son mémoire par rapport
aux diverses formes de réparation du préjudice causé par un fait internationalement illicite. En
bref :
- La France est tenue de cesser la saisie pénale des locaux de la mission diplomatique
de la Guinée équatoriale situés au 42 avenue Foch190. Elle doit également cesser la
confiscation des locaux ordonnée le 27 octobre 2017 ;
- La France doit donner satisfaction à la Guinée équatoriale pour les perquisitions et
la saisie pénale et confiscation de l’immeuble, y compris des garanties de nonrépétition191
;
188 Articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, article 32 (Non-pertinence du droit
interne).
189 CMF, par. 5.24 (« (…) la France réaffirme qu’elle n’a nullement manqué aux obligations de la Convention de
Vienne sur les relations diplomatiques. Si la Cour devait en juger autrement, elle devrait nécessairement
constater, d’une part, qu’aucune mesure de cessation n’est requise s’agissant de faits instantanés et que des
garanties de non-répétition ne sont pas requises au regard des circonstances et, d’autre part, que la contribution
de la République de Guinée équatoriale au préjudice est telle que ses demandes de réparation devraient être
rejetées dans leur intégralité. A titre plus subsidiaire encore, si des mesures de réparation devaient être
prononcées nonobstant le comportement de la République de Guinée équatoriale, une mesure de satisfaction,
consistant en un constat de violation de la Convention, serait la seule mesure envisageable »).
190 MGE, par. 9.26.
191 Ibid., pars. 9.31-9.33.
67
- La France est tenue d’indemniser le préjudice matériel et moral causé, et la Guinée
équatoriale se réserve le droit de demander, à une étape ultérieure de la procédure,
que lui soit adjugé un montant approprié192 ;
- La France demeure soumise à l’obligation d’exécuter ses obligations au titre de la
CVRD193.
II. Le contenu de la responsabilité internationale de la France
4.7. Dans son contre-mémoire, la France divise ses arguments en deux sections : dans
la première, elle fait valoir que la Guinée équatoriale n’a pas démontré l’existence d’un
préjudice. Dans la deuxième, elle avance que, même si la Cour décide qu’elle a commis un fait
internationalement illicite, aucune réparation n’est requise.
4.8. La France affirme que « [l]es seuls préjudices dont fait état le mémoire et qui
pourraient entretenir un rapport avec la Convention de Vienne sont ceux qui résulteraient des
actes de perquisition et de la non-reconnaissance du statut diplomatique des locaux »194. Ces
préjudices sont assurément couverts, mais ils ne sont pas les seuls. La saisie pénale de
l’immeuble sis au 42 avenue Foch, puis sa confiscation, a également causé un préjudice à la
Guinée équatoriale.
4.9. Pour fonder sa position, la France cherche à distinguer entre l’usage des locaux sis
au 42 avenue Foch aux fins de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale, d’un côté, et
la disponibilité de la propriété sur l’immeuble, de l’autre côté. Basée sur cette distinction, la
France conclut que « le préjudice allégué à propos de la saisie pénale de l’immeuble sis au 42,
avenue Foch n’entre pas dans le champ du différend à l’égard duquel la Cour a compétence,
conformément à l’arrêt du 6 juin 2018 »195. La France affirme à cet égard que « la Convention
de Vienne n’a pas pour objet de protéger la propriété immobilière, qu’il s’agisse de celle d’un
192 Ibid., pars. 9.34-9.37.
193 Ibid., par. 9.38.
194 CMF, par. 5.4.
195 Ibid., par. 5.3.
68
Etat ou de toute autre personne, mais de protéger l’usage de locaux à des fins
diplomatiques »196.
4.10. Comme la Guinée équatoriale l’a expliqué au Chapitre 2, la distinction que fait la
France entre l’usage des locaux de la mission diplomatique et leur disponibilité est artificielle
et incompatible avec la CVRD197. Une mesure d’exécution adoptée par l’État accréditaire qui
affecte la propriété de l’État accréditant sur les locaux de sa mission diplomatique constitue une
violation flagrante de l’article 22, paragraphes 2 et 3, de la Convention.
4.11. La France aborde ensuite les arguments de la Guinée équatoriale concernant « les
actes de perquisition menés au 42, avenue Foch » qui « ont porté atteinte à l’inviolabilité des
locaux de sa mission diplomatique »198. La Guinée équatoriale accepte, évidemment, que les
circonstances dans l’affaire relative au Personnel diplomatique des États-Unis à Téhéran
étaient très particulières, mais le principe applicable est le même. Dans la présente affaire, les
représentants de l’État accréditaire (France) ont ignoré les demandes de l’État accréditant
(Guinée équatoriale) et ont pénétré dans les locaux de la mission diplomatique sans autorisation.
4.12. La Guinée équatoriale n’insiste plus sur la question des perquisitions du 28
septembre et 3 octobre 2011199 car la Cour a décidé qu’elle n’est pas compétente pour trancher
l’aspect du différend concernant les violations par la France de l’immunité des biens de l’État.
En ce qui concerne les perquisitions du 14 au 24 février, la France soutient que la Guinée
équatoriale ne fait pas valoir que les biens meubles saisis appartenaient à sa mission
diplomatique200. Cela est correct, mais la saisie des biens est de toute façon illicite puisqu’elle
est le résultat du fait que les autorités françaises ont pénétré dans l’immeuble en violation de
l’article 22 de la CVRD.
4.13. La France avance, de manière surprenante, que « [d]ans la présente affaire,
le différend entre les parties porte sur un acte précisément situé dans le temps : le refus opposé
par la France le 11 octobre 2011 de faire droit à la demande de la Guinée équatoriale
196 Ibid.
197 Voir pars. 2.53-2.56 ci-dessus.
198 CMF, par. 5.5.
199 Ibid., par. 5.6.
200 Ibid., par. 5.7.
69
du 4 octobre 2011 de considérer l’immeuble du 42, avenue Foch comme un local
diplomatique »201. Les demandes ultérieures de la Guinée équatoriale, selon la France, ne sont
qu’une simple répétition qui ne donnerait pas lieu à un fait illicite de caractère continu202.
4.14. Le fait qu’une demande soit répétée n’affecte pas le caractère continu de la
violation. Au contraire, il serait artificiel de regarder, comme le suggère la France, ce qui est
survenu après le refus du 11 octobre 2011 tout simplement comme l’effet d’un acte instantané.
Il existe un refus illicite continu de reconnaître l’immeuble sis au 42 avenue Foch comme les
locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale, lequel perdure dans le temps
jusqu’à ce que la reconnaissance soit accordée conformément au droit international. En tout état
de cause, il y aurait pour le moins une série de refus illicites, chacun d’eux donnant lieu à un
acte internationalement illicite.
4.15. Il est par conséquent approprié pour la Cour de dire et juger que la France doit
cesser la non-reconnaissance illicite de l’immeuble sis au 42 avenue Foch en tant que locaux
de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale.
4.16. L’observation de la France que « la requérante n’apporte aucune preuve concrète
de la survenance d’un quelconque dommage résultant d’une atteinte à la sécurité des locaux
concernés »203 ignore le fait que la non-reconnaissance de la France du statut diplomatique de
l’immeuble signifie que, en droit, l’immeuble ne jouit pas de l’inviolabilité et ne doit donc pas
se voir accorder une protection spéciale aux yeux des autorités françaises. L’inviolabilité n’a
pas été respectée à maintes reprises, et la menace de nouvelles violations existe toujours. Il en
va de même pour l’absence d’une protection spéciale, laquelle expose la mission diplomatique
à des nouvelles intrusions. En effet, il y a eu, surtout au cours des derniers mois, des
manifestations dans les environs de l’immeuble qui auraient pu devenir violentes et causer des
préjudices à la mission. Il n’est pas nécessaire de montrer l’existence d’incursions réelles, ou
de préjudices matériels, pour que la Guinée équatoriale subisse un préjudice. L’incertitude
affecte forcément le bon fonctionnement de la mission diplomatique.
201 Ibid., par. 5.9.
202 Ibid.
203 Ibid., par. 5.11.
70
4.17. Comme la Guinée équatoriale l’a déjà expliqué dans ses écritures, le comportement
de la France en l’espèce a porté atteinte à la dignité de la mission diplomatique de la Guinée
équatoriale, et par conséquent à la dignité et à l’honneur de la Guinée équatoriale204. Le nonrespect
de l’immunité et de l’inviolabilité de la mission, et les motifs offensants évoqués par la
France pour justifier sa conduite (amplement médiatisés), ont causé un préjudice immatériel
significatif à la Guinée équatoriale205. De tels préjudices, comme l’arbitre dans l’affaire
Lusitania (et cette Cour) l’a noté :
« (…) are very real, and the mere fact that they are difficult to measure or estimate by
money standards makes them none the less real and affords no reason why the injured
person should not be compensated therefore as compensatory damages »206.
4.18. Le préjudice matériel subi par la Guinée équatoriale résulte de l’impossibilité
d’utiliser pleinement et en toute sécurité l’immeuble sis au 42 avenue Foch comme locaux de
sa mission diplomatique. L’immeuble a été acquis par la Guinée équatoriale pour servir à cette
fin. S’il ne peut avoir cette utilité, une telle situation engendre des pertes financières, notamment
en termes de coût d’acquisition, coût d’entretien et impôts payés.
4.19. La France énumère, de la façon la plus brève possible, les raisons pour lesquelles
les circonstances sont telles que des garanties de non-répétition ne sont pas nécessaires en
l’espèce207. Comme on l’a déjà démontré dans la présente réplique, aucune de ces raisons n’est
pertinente. La France fait ensuite référence à la jurisprudence de la Cour pour soutenir que le
prononcé de telles mesures suppose des « circonstances spéciales », et que « il n’y a pas lieu de
204 Voir, par exemple, Demande en indication de mesures conservatoires de la Guinée équatoriale, pars. 13, 17 ;
MGE, par. 9.36 ; OGE, par. 1.49.
205 La Cour a expliqué que le non-respect de l’immunité e de l’inviolabilité peut causer un préjudice moral. Voir
Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), C.I.J. Recueil 2002, p. 3,
par. 75 ; Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt,
C.I.J. Recueil 2008, p. 177, par. 174.
206 Opinion in the Lusitania Cases, arrêt du 1 novembre 1923, RSA, vol. VII, p. 40. Voir aussi Ahmadou Sadio
Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), indemnisation, arrêt, C.I.J.
Recueil 2012, p. 324, par. 24.
207 CMF., par. 5.15 (« (…) elles ne seraient pas appropriées au regard des circonstances, à savoir : le faible nombre
d’actes en cause, leur lien commun avec une même procédure judiciaire, les fluctuations de la position équatoguinéenne
à propos de l’affectation des locaux, les nombreux indices d’un abus de droit »).
71
supposer que l’Etat dont un acte ou un comportement a été déclaré illicite par la Cour répétera
à l’avenir cet acte ou ce comportement, puisque sa bonne foi doit être présumée »208.
4.20. La Guinée équatoriale considère que des circonstances spéciales existent en
l’espèce pour que la France donne des garanties de non-répétition, compte tenu, notamment, du
caractère arbitraire et discriminatoire que revêt la conduite de la partie adverse vis-à-vis de la
Guinée équatoriale. Une autre raison pour laquelle il est nécessaire d’ordonner des garanties de
non-répétition est que la France a de manière obstinée cherché refuge dans le principe de
séparation de pouvoirs qui l’empêcherait d’agir lorsque son système de justice est saisi d’une
question. La Guinée équatoriale ne remet pas en question l’indépendance du pouvoir judiciaire
en France. Cependant, le recours de la France à cet argument de droit interne pour ne pas
intervenir de toute façon possible et permissible pour garantir le respect du droit international
(ce qui est le cas dans d’autres États), et, en même temps, son refus de trouver une solution
amiable du différend, rendent les garanties de non-répétition nécessaires Le fait que la Cour a
indiqué des mesures conservatoires en atteste. Une ordonnance de non-répétition est la seule
manière effective d’assurer que la France s’acquittera de ses obligations au titre de la CVRD.
4.21. La France se réfère par ailleurs à l’article 39 des Articles de la Commission du droit
international sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite pour avancer que
les actes et omissions de la Guinée équatoriale doivent être pris en compte pour déterminer la
satisfaction et la réparation209. En plus, la France soutient (sans développer cet argument) que
le lien causal entre le fait internationalement illicite et le préjudice est affecté en la présente
instance par le comportement de la Guinée équatoriale210. La partie adverse fait valoir
que la Guinée équatoriale a créé la situation de préjudice « en prétendant transférer à partir
du 27 juillet 2012 certaines activités dans un immeuble dont elle savait qu’il faisait l’objet d’une
procédure judiciaire »211. Et elle répète à nouveau son argument relatif à l’abus de droit212. Ces
arguments doivent être rejetés.
208 Ibid.
209 Ibid., pars. 5.16-5.17.
210 Ibid., par. 5.16.
211 Ibid., par. 5.17.
212 Ibid.
72
4.22. L’article 39 des Articles de la Commission du droit international sur la
responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite prévoit :
« Pour déterminer la réparation, il est tenu compte de la contribution au préjudice due à
l’action ou de l’omission, intentionnelle ou par négligence, de l’État lésé ou de toute
personne ou entité au titre de laquelle réparation est demandée ».
4.23. La France omet de faire référence au paragraphe 5 du commentaire de cette
disposition, lequel concerne les conditions strictes dans lesquelles la contribution au préjudice
doit être prise en compte :
« Les actions ou omissions qui contribuent au préjudice subi ne sont pas toutes pertinentes
à cette fin. L’article 39 autorise que soient prises en compte les seules actions ou
omissions qui peuvent être considérées comme intentionnelles et négligentes, c’est-à-dire
lorsque la victime de la violation n’a pas veillé sur ses biens ou ses droits avec la diligence
voulue. La notion de négligence et d’action ou omission délibérée n’étant pas qualifiée,
en indiquant qu’elle doit avoir été ‘grave’ ou ‘manifeste’, sa pertinence aux fins de la
détermination de la réparation dépendra de la mesure dans laquelle elle a contribué au
préjudice, ainsi que d’autres circonstances de l’espèce. L’expression ‘il est tenu compte’
indique que l’article porte sur les facteurs qui sont susceptibles d’affecter la forme de la
réparation ou d’en réduire le montant ».
4.24. Comme la Guinée équatoriale l’a déjà expliqué, l’acquisition de l’immeuble sis au
42 avenue Foch et son affectation aux fins de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale
sont intervenues bien avant que les procédures pénales soient initiées et que des mesures
coercitives soient prises contre l’immeuble. La Guinée équatoriale a toujours agi de manière
raisonnable et de bonne foi, et conforme à sa position constante selon laquelle l’immeuble était
bien les locaux de sa mission diplomatique. La France n’a par conséquent pas démontré que la
Guinée équatoriale, par des actions intentionnelles ou négligentes, a contribué au préjudice qui
lui a été causé.
4.25. Finalement, la France aborde les formes de réparation demandées par la Guinée
équatoriale213. À cet égard, la partie adverse conteste que la Guinée équatoriale se soit réservé
le droit de spécifier le montant de réparation à une étape ultérieure de la procédure. Mais il
s’agit là d’une pratique normale et constante devant la Cour. La France dit par ailleurs que
l’immeuble du 29 boulevard de Courcelles pourrait bien servir en tant que locaux de la mission
213 Ibid., pars. 5.18-5.23.
73
diplomatique de la Guinée équatoriale. Cette suggestion est symptomatique du mépris avec
lequel la France s’est adressée à la Guinée équatoriale au cours de la présente procédure. La
France, en tant qu’État accréditaire, ne peut pas décider pour la Guinée équatoriale, l’État
accréditant, quels locaux sont appropriés pour la mission diplomatique de cette dernière.
75
CONCLUSIONS
Pour les motifs exposés dans son mémoire et dans la présente réplique, la République de Guinée
équatoriale prie respectueusement la Cour international de Justice de dire et juger que :
i) la République française, en pénétrant dans l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris,
utilisé aux fins de la mission diplomatique de la République de Guinée équatoriale à Paris,
en perquisionnant, saisissant et confisquant ledit immeuble, son ameublement et d’autres
objets qui s’y trouvaient, agit en violation de ses obligations en vertu de la Convention de
Vienne sur les relations diplomatiques ;
ii) la République française doit reconnaître à l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris
le statut de locaux de la mission diplomatique de la République de Guinée équatoriale, et
lui assurer en conséquence la protection requise par la Convention de Vienne sur les
relations diplomatiques ;
iii) la responsabilité de la République française est engagée du fait des violations de ses
obligations en vertu de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques ;
iv) la République française a l’obligation de réparer le préjudice subi par la République de
Guinée équatoriale, dont le montant sera déterminé à une étape ultérieure.
*
* *
76
La Guinée équatoriale se réserve le droit de modifier ou d’amender le cas échéant les présentes
conclusions, conformément aux dispositions du Statut et du Règlement de la Cour.
La Haye, le 8 mai 2019
L’Ambassadeur de la République de Guinée
équatoriale auprès du Royaume de Belgique et
des Pays-Bas,
M. Carmelo Nvono Nca
Agent de la République de Guinée équatoriale
77
ATTESTATION
Je certifie par la présente que les documents reproduits comme annexes sont des copies
conformes aux documents originaux et que les traductions dans l’une ou l’autre langue officielle
de la Cour sont exactes.
La Haye, le 8 mai 2019
L’Ambassadeur de la République de Guinée
équatoriale auprès du Royaume de Belgique et
des Pays-Bas,
M. Carmelo Nvono Nca
Agent de la République de Guinée équatoriale
79
TABLE DES ANNEXES
1. Tribunal de grande instance de Paris, 32e chambre correctionnelle, jugement du 27 octobre 2017
(extrait)
2. Cour d’appel de Paris, Avis d’audience du 27 février 2019
3. Bail professionnel, 5 juin 1980
4. Lettre de l’Ambassade de la Guinée équatoriale à M. de Pesquidou, 12 août 1999 ; Lettre de
l’Ambassade de la Guinée équatoriale à CDR Créances, 7 octobre 1999
5. Lettre de l’agence Haussmania à l’Ambassadeur de la Guinée équatoriale, 1er avril 2010
6. Ambassade de la Guinée équatoriale, Note verbale n° 863/13, 25 octobre 2013, transmettant
l’ordonnance de référé du Tribunal de grande instance de Paris du 22 octobre 2013
7. Attestation du Ministre des affaires étrangères de la République de Guinée équatoriale,
30 avril 2019
Réplique de la Guinée équatoriale