La Cour dit que la Russie doit s'abstenir d'imposer des limitations à la capacité de la communauté des Tatars de Crimée de conserver ses instances représentatives, y compris le Majlis, et faire en sor

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19412
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2017/15
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Communiqué de presse
Non officiel

N 2017/15
Le 19 avril 2017

La Cour dit que la Russie doit s’abstenir d’imposer des limitations à la capacité de la
communauté des Tatars de Crimée de conserver ses instances représentatives,
y compris le Majlis, et faire en sorte de rendre disponible
un enseignement en langue ukrainienne

LA HAYE, le 19 avril 2017. La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire
principal de l’Organisation des Nations Unies, a rendu ce jour son ordonnance sur la demande en

indication de mesures conservatoires présentée par l’Ukraine en l’affaire relative à l’Application de
la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine
c. Fédération de Russie).

Le 16 janvier 2017, l’Ukraine a introduit une instance contre la Fédération de Russie
concernant des violations alléguées de la convention internationale pour la répression du
financement du terrorisme (CIRFT) et de la convention internationale sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale (CIEDR). Le même jour, l’Ukraine a présenté une demande en
indication de mesures conservatoires en vue de sauvegarder, dans l’attente d’une décision de la

Cour sur le fond, les droits qu’elle revendique au titre de ces deux conventions (voir communiqué
de presse n°2017/2).

Raisonnement de la Cour

La Cour fait observer qu’elle ne peut indiquer de mesures conservatoires que si les
dispositions invoquées par le demandeur semblent prima facie constituer une base sur laquelle sa
compétence pourrait être fondée, mais n’a pas besoin de s’assurer de manière définitive qu’elle a
compétence quant au fond de l’affaire. Une fois sa compétence prima facie établie, la Cour ne

pourra exercer son pouvoir d’indiquer de telles mesures que si elle estime que les droits allégués
par la partie demanderesse sont au moins plausibles. En outre, un lien doit exister entre les droits
dont la protection est recherchée et les mesures conservatoires sollicitées. Le pouvoir de la Cour
d’indiquer des mesures conservatoires ne sera toutefois exercé que s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il
existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable sera causé aux droits en litige avant
que la Cour ne rende sa décision définitive.

La Cour précise qu’elle n’a pas, aux fins de sa décision sur la demande en indication de
mesures conservatoires, à établir l’existence de violations, mais doit déterminer si les circonstances

exigent l’indication de mesures conservatoires à l’effet de protéger des droits. La décision rendue
ne préjuge en rien la question de la compétence de la Cour pour connaître du fond de l’affaire, ni
aucune question relative à la recevabilité de la requête ou au fond lui-même. Elle laisse intact le
droit des Parties de faire valoir leurs moyens en ces matières. - 2 -

La Cour n’ignore rien du contexte dans lequel la présente affaire est portée devant elle, en
particulier les combats se déroulant dans de grandes parties de l’Ukraine orientale et la destruction,

le 17 juillet 2014, de l’avion de la Malaysia Airlines assurant le vol MH17 alors qu’il survolait le
territoire ukrainien sur le trajet entre Amsterdam et Kuala Lumpur, qui ont coûté la vie à de
nombreuses personnes. Cependant, l’affaire dont elle est saisie est d’une portée limitée. En ce qui
concerne les événements survenus dans la partie orientale de son territoire, l’Ukraine a introduit la
présente instance uniquement sur la base de la CIRFT. S’agissant des événements qui se sont
produits en Crimée, l’Ukraine se fonde exclusivement sur la CIEDR et la Cour n’a pas, comme
l’Ukraine l’a explicitement reconnu, à statuer sur quoi que ce soit d’autre que des allégations de

discrimination raciale formulées par celle-ci.

Par ailleurs, la Cour rappelle aux Parties que, dans sa résolution 2202 (2015), le Conseil de
sécurité a approuvé l’«ensemble de mesures en vue de l’application des accords de Minsk» qui a
été adopté et signé à Minsk le 12 février 2015. La Cour attend des Parties qu’elles s’emploient à
mettre pleinement en œuvre, tant individuellement que conjointement, cet «ensemble de mesures»
afin de parvenir à un règlement pacifique du conflit dont l’est de l’Ukraine est le théâtre.

1. Compétence prima facie

La Cour relève que l’Ukraine entend fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de
l’article 24 de la CIRFT et sur l’article 22 de la CIEDR. L’Ukraine et la Fédération de Russie sont
parties à ces deux conventions. La Cour note que les clauses juridictionnelles contenues dans ces
instruments subordonnent sa compétence à l’existence d’un différend relatif à l’interprétation ou à
l’application de la convention à laquelle elles se rapportent. Elle observe à cet égard que les

éléments versés au dossier suffisent, à ce stade, à établir prima facie l’existence d’un différend
entre les Parties concernant l’interprétation et l’application de la CIRFT et de la CIEDR.

La Cour ajoute que les clauses juridictionnelles contenues dans la CIRFT et dans la CIEDR
subordonnent en outre la saisine de la Cour au respect de certaines conditions procédurales.
S’agissant de la CIRFT, le différend en question doit être de ceux qui «ne peu[ven]t pas être
réglé[s] par voie de négociation dans un délai raisonnable», il doit avoir été soumis à un arbitrage à

la demande de l’une des parties, et ne peut être porté devant la Cour que si les parties ne sont pas
parvenues à se mettre d’accord sur l’organisation de cet arbitrage dans les six mois suivant la
demande. S’agissant de la CIEDR, la Cour ne peut être saisie que d’un différend «qui n’aura pas
été réglé par voie de négociation ou au moyen des procédures expressément prévues par [la]
Convention». La Cour est d’avis que les éléments versés au dossier suffisent à ce stade pour établir
prima facie qu’il a été satisfait aux conditions procédurales préalables à sa saisine prévues par le
paragraphe 1 de l’article 24 de la CIRFT et par l’article 22 de la CIEDR.

2. Les droits dont la protection est recherchée et les mesures demandées

a) La convention internationale pour la répression du financement du terrorisme

La Cour note que, aux fins de sa demande en indication de mesures conservatoires, l’Ukraine
ne se fonde que sur l’article 18 de cette convention pour énoncer les droits qu’elle invoque et les
obligations correspondantes de la Fédération de Russie. Cet article dispose en substance que les
Etats Parties sont tenus de coopérer pour prévenir le financement du terrorisme, c’est-à-dire la
fourniture ou la réunion de fonds dans l’intention de les voir utilisés, ou en sachant qu’ils seront
utilisés, pour commettre les actes de terrorisme définis à l’article 2 de la convention. En
conséquence, aux fins d’une demande en indication de mesures conservatoires, un Etat partie à la

convention ne peut se prévaloir des droits que lui confère l’article 18 que s’il est plausible que les
actes qu’il allègue puissent constituer des actes de terrorisme. - 3 -

La Cour observe que les actes auxquels l’Ukraine se réfère ont fait un grand nombre de
morts et de blessés dans la population civile. Cela étant, afin de déterminer si les droits dont

l’Ukraine recherche la protection sont au moins plausibles, il est nécessaire de rechercher s’il existe
des raisons suffisantes pour considérer que les éléments figurant à l’article 2, tels que l’intention et
la connaissance, ainsi que l’élément relatif au but, sont réunis. Elle est d’avis que, à ce stade de la
procédure, l’Ukraine n’a pas soumis à la Cour de preuves offrant une base suffisante pour que la
réunion de ces éléments puisse être jugée plausible. En conséquence, la Cour conclut que les
conditions requises pour l’indication de mesures conservatoires relativement aux droits invoqués
par l’Ukraine sur le fondement de la CIRFT ne sont pas remplies.

b) La convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale
La Cour note que les articles 2 et 5 de la CIEDR visent à protéger les individus contre la

discrimination raciale. En conséquence, aux fins d’une demande en indication de mesures
conservatoires, un Etat partie à la convention ne peut se prévaloir des droits que lui confèrent les
articles 2 et 5 que s’il est plausible que les actes qu’il allègue puissent constituer des actes de
discrimination raciale au sens de la convention. En l’espèce, sur la base des éléments produits
devant la Cour, il apparaît que certains des actes allégués par l’Ukraine remplissent cette condition
de plausibilité. Tel est le cas de l’interdiction du Majlis et des restrictions invoquées par l’Ukraine
s’agissant des droits des Ukrainiens de souche en matière d’éducation.

Ainsi que la Cour l’a déjà rappelé, un lien doit exister entre les mesures sollicitées et les
droits dont il est prétendu qu’ils sont exposés à un risque de préjudice irréparable. Dans la présente
procédure, tel est le cas des mesures destinées à sauvegarder les droits de l’Ukraine, au titre des
articles 2 et 5 de la CIEDR, relatifs à la capacité de la communauté des Tatars de Crimée de
conserver ses institutions représentatives et à la nécessité que des cours en langue ukrainienne
puissent être assurés dans les établissements d’enseignement de Crimée.

3. Le risque de préjudice irréparable et l’urgence

Eu égard à la conclusion à laquelle elle est parvenue précédemment, selon laquelle les
conditions requises pour l’indication de mesures conservatoires relativement aux droits invoqués
par l’Ukraine sur le fondement de la CIRFT ne sont pas remplies, la Cour estime que la question
du risque de préjudice irréparable et de l’urgence ne se pose qu’en ce qui concerne les mesures

conservatoires sollicitées en relation avec la CIEDR.

La Cour note que certains droits en cause dans la présente procédure, notamment les droits
politiques, civils, économiques, sociaux et culturels garantis par l’article 5 de la CIEDR sont de
nature telle que le préjudice qui leur serait porté pourrait se révéler irréparable. En l’état des
éléments versés au dossier, la Cour est d’avis que les Tatars de Crimée et les Ukrainiens de souche
présents dans la péninsule semblent se trouver encore dans une situation de vulnérabilité. A cet
égard, la Cour prend note de rapports récents du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits

de l’homme sur la situation des droits de l’homme en Ukraine, ainsi que du rapport de la mission
de l’OSCE chargée de l’évaluation de la situation des droits de l’homme en Crimée. Elle est d’avis
qu’ils attestent, prima facie, l’existence de limitations quant à la capacité des Tatars de Crimée de
choisir leurs instances représentatives et de restrictions quant à la disponibilité de cours en langue
ukrainienne dans les établissements d’enseignement de Crimée. La Cour en déduit qu’il existe un
risque imminent que les actes mentionnés plus haut puissent causer un préjudice irréparable aux
droits invoqués par l’Ukraine. - 4 -

4. Conclusion et mesures à adopter

La Cour conclut de l’ensemble des considérations qui précèdent que les conditions
auxquelles son Statut subordonne l’indication de mesures conservatoires sont réunies dans le cas de
la CIEDR. Afin de protéger les droits revendiqués par l’Ukraine, il y a donc lieu pour elle
d’indiquer les mesures suivantes :

«1) En ce qui concerne la situation en Crimée, la Fédération de Russie doit,
conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

a) Par treize voix contre trois,

S’abstenir de maintenir ou d’imposer des limitations à la capacité de la
communauté des Tatars de Crimée de conserver ses instances représentatives, y
compris le Majlis ;

b) A l’unanimité,

Faire en sorte de rendre disponible un enseignement en langue ukrainienne ;

2) A l’unanimité, les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait
d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre la
solution plus difficile.»

Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ;
MM. Owada, Tomka, Bennouna, Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja,
Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, juges ; MM. Pocar, Skotnikov, juges ad hoc;

M. Couvreur, greffier.

M. le juge Owada joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge
Tomka joint une déclaration à l’ordonnance ; MM. les juges Cançado Trindade et Bhandari
joignent à l’ordonnance les exposés de leur opinion individuelle ; M. le juge Crawford joint une
déclaration à l’ordonnance ; MM les juges ad hoc Pocar et Skotnikov joignent à l’ordonnance les
exposés de leur opinion individuelle.

___________

Un résumé de l’ordonnance figure dans le document intitulé «Résumé 2017/2», auquel sont
annexés des résumés des opinions individuelles et des déclarations. Le présent communiqué de
presse, le résumé de l’ordonnance, ainsi que le texte intégral de celle-ci sont disponibles sur le site

Internet de la Cour (www.icj-cij.org) sous la rubrique «Affaires».

___________

Remarque : Les communiqués de presse de la Cour ne constituent pas des documents
officiels.

___________ - 5 -

La Cour internationale de Justice (CIJ) est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des
Nations Unies (ONU). Elle a été instituée en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et a entamé

ses activités en avril 1946. La Cour a son siège au Palais de la Paix, à La Haye (Pays-Bas). C’est le
seul des six organes principaux de l’ONU dont le siège ne soit pas à New York. La Cour a une
double mission, consistant, d’une part, à régler conformément au droit international les différends
d’ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats (par des arrêts qui ont force obligatoire et sont
sans appel pour les parties concernées) et, d’autre part, à donner des avis consultatifs sur les
questions juridiques qui peuvent lui être soumises par les organes de l’ONU et les institutions du
système dûment autorisées à le faire. La Cour est composée de quinze juges, élus pour un mandat

de neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Indépendante du
Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies, elle est assistée par un Greffe, son propre
secrétariat international, dont l’activité revêt un aspect judiciaire et diplomatique et un aspect
administratif. Les langues officielles de la Cour sont le français et l’anglais. Aussi appelée «Cour
mondiale», elle est la seule juridiction universelle à compétence générale.

Il convient de ne pas confondre la CIJ, juridiction uniquement ouverte aux Etats (pour la

procédure contentieuse) et à certains organes et institutions du système des Nations Unies (pour la
procédure consultative), avec les autres institutions judiciaires, pénales pour la plupart, établies à
La Haye et dans sa proche banlieue, comme le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
(ou TPIY, juridiction ad hoc créée par le Conseil de sécurité), la Cour pénale internationale (ou
CPI, première juridiction pénale internationale permanente, créée par traité, qui n’appartient pas au
système des Nations Unies), le Tribunal spécial pour le Liban (ou TSL, organe judiciaire
international doté d’une personnalité juridique indépendante, établi par le Conseil de sécurité de

l’Organisation des Nations Unies à la demande du Gouvernement libanais et composé de juges
libanais et internationaux), ou encore la Cour permanente d’arbitrage (ou CPA, institution
indépendante permettant de constituer des tribunaux arbitraux et facilitant leur fonctionnement,
conformément à la Convention de La Haye de 1899).

___________

Département de l’information :

M. Andreï Poskakoukhine, premier secrétaire de la Cour, chef du département (+31 (0)70 302 2336)
M. Boris Heim et Mme Joanne Moore, attachés d’information (+31 (0)70 302 2337)
M. Avo Sevag Garabet, attaché d’information adjoint (+31 (0)70 302 2394)
Mme Genoveva Madurga, assistante administrative (+31 (0)70 302 2396)

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