Résumé de l'ordonnance du 2 juin 1999

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14161
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Number (Press Release, Order, etc)
1999/4
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Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel

AFFAIRE RELATIVE À LALICÉITÉ DE L’EMPLOI DE LAFORCE
(YOUGOSLAVIE c. BELGIQUE) (MESURES CONSERVATOIRES)

Ordonnance du 2 juin 1999

Dans une ordonnance rendue en l’affaire relative à la et Kooijmans, juges, y ont joint les exposés de leur opinion
Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), laindividuelle. M. eeramantr y, Vice-Président, faisant
Cour a rejeté par douze voix contre quatre lademande en fonction de président en l’affaire, MM. Shi et Vereshchetin,

indication de mesures conservatoires présentée par la juges, et M.Kreca, juge ad hoc, y ont joint les exposés de
République fédérale de Yougoslavie (RFY). En outre, la leur opinion dissidente.
Cour a affirmé qu’elle reste saisie de l’affaire. La suite
de la procédure a été réservée par quinze voix contre une. *
La Cour était composée co mme suit: M.Weeramantry, * *

Vice-Président, faisant fonction de président; M.Schwebel,
Président de la Cour; MM.Oda, Bedjaoui, Guillaume, Rappel des faits
Ranjeva, Herczegh, Shi, Fleischhauer, Koroma, Le 29 avril 1999, la Yougoslavie a déposé une requête
Vereshchetin, M meHiggins, MM. Parra-Aranguren,
Kooijmans, juges; MM.Kreca, Duinslaeger, juges ad hoc; introductive d’instance contre laBelgique pour «violation
M. Valencia-Ospina, Greffier. de l’obligation de ne pas recourir à l’emploi de la force»,
accusant cetÉtat de bombarder le territoire yougoslave
* « conjointement avec d’autres États membres de l’OTAN ».
Le même jour, elle a présenté une demande en indication de
* * mesures conservatoires, priant la Cour d’ordonner à la

Le texte complet du dispositif de l’ordonnance est ainsi Belgique de «cesser immédiatement de recourir à l’emploi
libellé : de la force» et de «s’abstenir de tout acte constituant
« 51. Par ces motifs, unrecours ou une menace de recours à la force» contre la
RFY.
LAOUR, Pour fonder la compétence de la Cour, la Yougoslavie a
1) Par douze voix contre quatre,
Rejette la demande en indication de mesures invoqué les déclarations par lesquelles les deux États ont
accepté la juridiction obligatoire de la Cour à l’égard de tout
conservatoires présentée par la République fédérale de autre État acceptant la même ob ligation (art.36, par.2, du
Yougoslavie le 29 avril 1999; Statut de la Cour) et l’article IX de laConvention pour la
POU:RSc.hwebel, Président de la Cour; prévention et la répression du crime de génocide, adoptée
MM.Oda, Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Herczegh, par l’Assemblée générale des Nations Unies le9décembre
Fleischhauer, Koroma, M me Higgins, MM. Parra-
1948. Cet article prévoit que les différends entre lesparties
Aranguren, Kooijmans, juges; M.Duinslaeger, jugead contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou
hoc; l’exécution de la Convention seront soumis à la Cour
CONTM R:.eeramantr y, Vice-Président, faisant internationale de Justice. Dans un complément à sa requête
fonction de président en l’affaire; S.hi, soumis à la Cour le 12 mai 1999, la Yougoslavie a invoqué,
Vereshchetin, juges; M. Kreca, juge ad hoc; en tant que chef de compéten ce supplémentaire, l’article4

2) Par quinze voix contre une, de la Convention de conciliation, de règlement judiciaire et
Réserve la suite de la procédure. d’arbitrage entre la Belgique et le Royaume de Yougoslavie,
POUM:W.eeramantry, Vice-Président, faisant signée à Belgrade le 25 mars 1930.

fonction de président en l’affaire;.chwebel, Raisonnement de la Cour
Président de la Cour; MMB. edjaoui, Guillaume,
Ranjeva, Herczegh, Shi, Fleischhauer, Koroma, Dans son ordonnance, la Cour souligne tout d’abord
Vereshchetin, M meHiggins, MM. Parra-Aranguren, qu’elle est « profondément préoccupée par le drame humain,
Kooijmans, juges; MM.Kre ca, Duinslaeger, jugesad
hoc; les pertes en vies humaines et les terribles souffrances que
connaît le Kosovo et qui constituent la toile de fond» du
CONTRE : M. Oda, juge. » différend, «ainsi que par les victimes et les souffrances
humaines que l’on déplore de façon continue dans
* l’ensemble de la Yougoslavie». Elle se dit également
* * «fortement préoccupée par l’emploi de la force en

M. Koroma, juge, a joint un e déclaration à l’ordonnance Yougoslavie » qui, « dans les circonstances actuelles ...
de la Cour. M.Oda, M meHiggins, et MM.Parra-Aranguren soulève des problèmes très graves de droit international».

75En gardant « présents à l’esprit les buts et les principes de la àl’objet). Dans sa requête, la Yougoslavie indique que
Charte des Nations Unies, ainsi que lesresponsabilités qui l’objet du différend porte notamment sur « les actes commis

lui incombent, en vertu de ladite Charte et [de son] Statut, par le Royaume de Belgique, en violation de son obligation
dans le maintien de la paix et de la sécurité», la Cour internationale ... de ne pas soumettre intentionnellement un
« estime nécessaire de souligner que toutes les parties qui se groupe national à des conditions d’existence devant
présentent devant elle doivent agir conformément à leurs entraîner sadestruction physique». Elle soutient que le
obligations en vertu de la Charte des Nations Unies et des bombardement constant et intensif de l’ensemble de son
autres règles du droit international, y compris du droit territoire, y compris les zones les plus peuplées, constitue
humanitaire ». «une violation grave de l’article II de la Convention sur le

La Cour rappelle ensuite qu’ellen «’a pas génocide», que c’est la nation yougoslave tout entière, en
automatiquement compétence pour connaître des différends tant que telle, qui est prise pour cible et que le recours à
juridiques» entre États et que «l’un des principes certaines armes, dont on connaît par avance
fondamentaux de son Statut est qu’elle ne peut trancher un les conséquences dommageables à long terme sur la santé et
différend entre des États sans que ceux-ci aient consenti à sa l’environnement, ou la destruction de laplus grande partie
du réseau d’alimentation en électricité du pays, dont on peut
juridictio»n. lee peut indiquer de mesures
conservatoires sans que sa co mpétence en l’affaire ait été prévoir d’avance lcesnséquences catastrophiques,
établie prima facie. «témoigne[nt] implicitement de l’intention de détruire
Au sujet de la première base de compétence invoquée, la totalement ou partiellement » le groupe national yougoslave
Cour fait observer qu’aux term es de sa déclaration, la en tant que tel. Pour sa part, la Belgique, seréférant à la
Yougoslavie limite son accep tation de la juridiction définition du génocide contenue dans la Convention,
souligne l’importance del« ’élément intentionnel,
obligatoire de la Cour aux «différends, surgissant ou l’intention de détruire tout ou partie d’[un groupe] ethnique,
pouvant surgir après la signature de la présente déclaration,
qui ont trait à des situations ou à des faits postérieurs à racia[l] ou religieu[x]». Elle affirme que laYougoslavie ne
ladite signature...» Elle souligne que bien que laBelgique saurait « apporter le moindre élément de preuve [d’une telle]
n’ait pas fait valoir d’arguments quant à cette réserve, il intention de la Belgique en l’espèce». La Cour constate
incombe à la Cour d’examiner les effets qu’elle pourrait que, d’après laConvention, lacaractéristique essentielle du
génocide est la destruction intentionnelle d’un groupe
avoir prima facie sur sa compétence. À cet égard, indique la national, ethnique, racial ou religieux; elleprécise que «le
Cour, il suffit de déterminer si le différend porté devant la recours ou la menace du reco urs à l’emploi de laforce
Cour a «surgi» avant ou après le 25 avril 1999, date de la
signature de la déclaration. Elle constate que les contre un État ne sauraient en soi constituer un acte de
bombardements ont commencé le24mars1999 et se sont génocide au sens de l’article II de laConvention sur
poursuivis, de façon continue, au-delà du 25 avril 1999. Il le génocide ». Elle ajoute qu’il n’apparaît pas au présent
ne fait ainsi pas de doute pour elle « qu’un différend d’ordre stade de la procédure que les bombardements qui
constituent l’objet de la requête yougoslave «comporte[nt]
juridique ... “a surgi” entre la Yougoslavie et [laBelgique], effectivement l’élément d’intentionnalité, dirigé contre un
comme avec les autres États membres de l’OTAN, bien groupe comme tel, que requiert ladisposition» sus-
avant le 25avril 1999». LCour conclut que les
déclarations faites par les parties ne constituent pas une base indiquée. La Cour indique dès lors qu’elle n’est pas en
sur laquelle la compétence de la Cour pourrait prima facie mesure de conclure, à ce stade de la procédure, que les actes
être fondée en l’espèce. que la Yougoslavie impute à la Belgique seraient
susceptibles d’entrer dans les prévisions de la Convention
Quant à l’argument de la Belgique selon lequel la sur le génocide; et l’article IX de laConvention sur
Yougoslavie n’est pas un État membre des Nations Unies vu legénocide ne constitue, partant, pas une base sur laquelle
la résolution 47/1 (1992) de l’Assemblée générale des
Nations Unies, ni par suite un État partie au Statut de la sa compétence pourrait prima facie être fondée en l’espèce.
Cour, de sorte que la Yougoslavie ne peut pas souscrire à la En ce qui concerne l’article 4 de la Convention de
clause facultative de juridiction obligatoire, la Cour conciliation, de règlement judiciaire et d’arbitrage entre la
Belgique et le Royaume de Yougoslavie, la Cour fait
considère qu’elle n’a pas à examiner cette question compte observer que «l’invocation par une partie d’une nouvelle
tenu du fait qu’elle a conclu que les déclarations ne base de juridiction au stade du second tour de plaidoiries sur
constituent pas une base de compétence.
À propos de l’article IX de la Convention sur le unedemande en indication de mesures conservatoires est
génocide, la Cour indique qu’il n’est pas contesté que tant la sans précédent dans la pratique de laCour»; qu’une
Yougoslavie que la Belgique sont parties à cette convention, «démarche aussi tardive, lorsqu’elle n’est pas acceptée par
l’autre partie, met gravement en péril le principe du
sans réserves, et que l’article IX semble ainsi constituer une contradictoire et la bonne administration de la justice» et
base sur laquelle sa compéten ce pourrait être fondée. La que par conséquent, elle ne saurait prendre en considération
Cour estime toutefois qu’elle doit rechercher si les ce nouveau chef de compétence.
violations de la Convention alléguées par laYougoslavie
sont susceptibles d’entrer dans les prévisions de cet La Cour ayant conclu qu’elle n’a «pas compétence
instrument et si, par suite, la Cour pourrait avoir compétence prima facie pour connaître de la requête de la Yougoslavie
pour connaître du différend ratione materiae (quant ni sur la base du paragraphe 2 de l’Article 36 du Statut ni

76sur celle de l’article IX de la Convention sur le génocide» conflit juridique, tout particulièrement lorsque celui-ci non
et ayant estimé « ne pas pouvoir, à ce stade de la procédure, seulement menace la paix et la sécurité internationales mais

prendre en considération la base de juridiction additionnelle engendre aussi des souffrances humaines énormes et des
invoquée par la Yougoslavie», ils’ensuit qu’elle «ne pertes en vies humaines qu’on ne cesse de déplorer. C’est
saurait indiquer quelque mesure conservatoire que ce soit». pourquoi il se joint aux autres membres de la Cour pour
Toutefois, lesconclusions auxquelles la Cour est parvenue appeler à un règlement pacifique du conflit conformément à
« ne préjugent en rien [s]a compétence ... pour connaître du l’Article 33 de la Charte et pour exhorter les Parties à ne pas
fond de l’affaire» et elles «laissent intact le droit du aggraver ni étendre le différ end et à respecter le droit
Gouvernement yougoslave et du Gouvernement belge de international, y compris le droit humanitaire et les droits de

faire valoir leurs moyens en la matière ». l’homme de tous les citoyens yougoslaves.
La Cour rappelle enfin qu’il «existe une distinction
fondamentale entre la questio n de l’acceptation par un État Opinion individuelle du juge Oda
de la juridiction de la Cour et la compatibilité de certains
actes avec ledroit internationa l ». « [L]a compétence exige M.Oda appuie la décision de la Cour de rejeter les
demandes en indication de mesures conservatoires
le consentement; la compatibilité ne peut être appréciée que présentées par la République fédérale de Yougoslavie contre
quand la Cour examine le fond, après avoir établi sa les dixÉtats défendeurs. M.Oda approuve la décision de la
compétence et entendu les deux parties faire pleinement
valoir leurs moyens en droit ». Elle souligne que « les États, Cour de rayer de son rôle gé néral les affaires relatives à
qu’ils acceptent ou non la juridi ction de la Cour, demeurent l’Espagne et aux États-Unis, mais, dans les huit autres
en tout état de cause responsables des actes contraires au affaires, il a voté contre le paragraphe du dispositif de
droit international, y compris au droit humanitaire, qui leur l’ordonnance par lequel la Cour a indiqué qu’elle
«[r]éserv[ait] la suite de la procédure», car il estime que
seraient imputables» et que «tout différend relatif à la ces huit affaires devraient aussi être rayées du rôle général
licéité de tels actes doit être réglé par des moyens pacifiques de la Cour à ce stade de la procédure.
dont le choix est laissé aux parties conformément à
l’Article33 de la Charte». Dans ce cadre, «les parties Selon M.Oda, la République fédérale de Yougoslavie
doivent veiller à ne pas aggraver ni étendre le différend». n’est pas membre des NationsUnies et n’est pas en
La Cour réaffirme que «lorsqu’un tel différend suscite une conséquence partie au Statut de la Cour internationale de
menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte Justice. Pour ce seul motif, la Cour aurait dû conclure à
l’irrecevabilité des requêtes présentées par la République
d’agression, leonseil de sécurité est investi de fédérale de Yougoslavie, qui de ce fait auraient dû être
responsabilités spéciales en vertu du Chapitre VII de la
Charte ». rayées du rôle général de la Cour.
Il examine toutefois ensuite la question de savoir si la
Déclaration du juge Koroma République fédérale de Yougoslavie aurait pu présenter les
requêtes dans ces affaires sur le fondement de certains
Dans sa déclaration, M.Koroma fait observer qu’il instruments juridiques, à supposer que celle-ci puisse être
s’agit peut-être des affaires les plus graves dont la Cour ait
jamais été saisie, s’agissant de l’indication de mesures considérée comme partie au Statut. Après avoir examiné
i)le sens de la clause facultative du Statut de la Cour; ii)le
conservatoires. Il relève que ces mesures, selon la contexte des traités conclus en1930 et1931 avec la
jurisprudence, ont pour objet de prévenir la violence et le Belgique et les Pays-Bas, respectivement; et iiil)a
recours à l’emploi de la force, de sauvegarder la paix et la Convention sur le génocide de 1948, il conclut qu’aucun de
sécurité internationales ainsi que de jouer un rôle important ces instruments ne confère à la Cour compétence pour
dans le mécanisme de règlement des différends que prévoit connaître de l’une ou l’autre de ces dix requêtes.
la Charte des NationsUnies. Aussi l’indication de telles
Tout comme la Cour, M.Oda pense que celle-ci doit,
mesures est-elle, selon lui, l’une des fonctions les plus faute de disposer d’une base de compétence, rejeter les
importantes de la Cour. demandes en indication de mesures conservatoires dans les
Mais l’octroi de telles mesures, souligne M. Koroma, ne dix instances. La Cour ayant décidé qu’elle n’a pas
peut se faire qu’en conformité avec le Statut de la Cour. À compétence pour connaître de ces affaires, fût-ce prima
cet égard et compte tenu de sa jurisprudence, la Cour ne fera
pas droit à une demande en indication de mesures facie, cela ne peut signifier, selon lui, qu’elle n’a aucune
compétence que ce soit à l’égard de ces affaires. Il s’ensuit,
conservatoires lorsqu’elle n’a pas compétence prima facie selon M.Oda, que les requêtes doivent être rejetées à ce
ou lorsque d’autres circonstances s’opposent à leur stade de la procédure non seulement dans les affaires
prononcé. concernant l’Espagne et les États-Unis où la Cour conclut à
Il estime toutefois que la Cour, organe judiciaire son incompétence manifeste, mais aussi dans toutes les
principal des NationsUnies dont la principale raison d’être autres affaires puisqu’elle a relevé qu’elle n’avait même pas

demeure le maintien de la paix et de la sécurité compétence prima facie.
internationales, a une obligation claire et nette de contribuer M.Oda signale aussi que la distinction opérée par la
au maintien de la paix et de la sécurité internationales et de Cour entre les requêtes –qui ont pratiquement le même
fournir le cadre judiciaire, qui doit permettre de résoudre un objet– résulte simplement des positions différentes que les

77États ont pu adopter à l’égard des divers documents qu’il y a Yougoslavie sollicite donc l’indication de mesures
lieu d’appliquer pour déterminer la compétence de la Cour. conservatoires qui ne visent pas à garantir les droits qu’elle

Or cette distinction aboutira à un résultat différent pour la tient de la Convention sur le génocide, à savoir le droit de ne
suite de la procédure dans chacune de ces instances. Pour pas être victime d’actes qui peuvent être qualifiés de crimes
M.Oda, il s’agit là d’une situation illogique, qui étaye sa de génocide par celle-ci. Selon M. Parra-Aranguren, il n’y a
conviction que les dix affaires au raient dû être rejetées à ce donc pas lieu d’indiquer les mesures demandées par la
stade de la procédure, pour la totalité de leurs éléments. Yougoslavie.

Opinion individuelle du juge Higgins Opinion individuelle du juge Kooijmans
Dans ses opinions individuelles, M me Higgins aborde 1. M.Kooijmans joint à l’ord onnance de la Cour l’exposé

deux questions que soulèvent les instances où la République de son opinion individuelle dans les instances introduites
fédérale de Yougoslavie invoque la compétence de la Cour par la Yougoslavie contre la Belgique, le Canada, les Pays-
sur le fondement du paragraphe2 de l’Article36 du Statut. Bas, le Portugal, l’Espagne et le Royaume-Uni,
La première concerne les limitations ratione temporis dont respectivement.
sont assorties les «clauses facultatives» et en particulier Il ne partage pas le point de vue de la Cour selon lequel
celle de savoir à quel moment surgit un différend et quand
la déclaration par laquelle la Yougoslavie a accepté la
les événements en cause se sont produits. Ces notions sont juridiction obligatoire de la Cour le 25 avril1999 ne saurait
analysées compte tenu de la déclaration même de la établir un titre de compétence dans la présente affaire
Yougoslavie. La deuxièmq euestion est de savoir même prima facie du fait des réserves figurant dans les
exactement ce qu’il faut démontrer pour que la Cour soit déclarations de l’Espagne et du Royaume-Uni ainsi que de
convaincue qu’elle a compétence prima facie , lorsqu’elle la limitation ratione temporis figurant dans la déclaration de
envisage d’indiquer des mesures conservatoires. Certaines la Yougoslavie (il s’agit des instances introduites contre la
questions de compétence sont d’une telle complexité qu’il
Belgique, le Canada, les Pays-Bas et le Portugal). Il estime
n’est pas du tout possible de les examiner à ce stade de la que la Cour n’a pas compétence prima facie, parce que la
procédure. Le report de leur examen à un stade ultérieur ne déclaration de la Yougoslavie, pour ce qui est de sa validité,
fait pas obstacle à ce que la Cour détermine si elle a ou non prête à controverse. La question de la validité de cette
compétence prima facie au regard de l’Article 41. déclaration constitue une question préliminaire que la Cour
aurait dû examiner dès le départ.

Opinion individuelle du juge Parra-Aranguren Comme cette question n’est pas pertinente dans les
MP.arra-Aranguren rappelle que la Yougoslavie quatre autres affaires (contre la France, l’Allemagne, l’Italie
soutient que «le bombardemen.t.d.e zones habitées et les États-Unis)–ces États ne reconnaissant eux-mêmes
pas la juridiction obligatoire de la Cour –, point n’est besoin
yougoslaves constitue...une violation de l’articleII de la de joindre l’exposé d’une opinion individuelle pour celles-
Convention sur le génocide», ce que nie le défendeur; ci.
qu’un différend d’ordre juri dique s’est élevé entre les
Parties du fait de l’existence d’«une situation dans laquelle 2. Selon le texte même du paragraphe2 de l’Article36 du
les points de vue des deuxParties, quant à l’exécution ou à Statut, seuls les États qui y sont parties peuvent reconnaître
la non-exécution de certaine s obligations découlant d’[un la juridiction de la Cour comme obligatoire en remettant une
traité], sont nettement opposés », comme la Cour l’a précisé déclaration d’acceptation au Secrétaire général de
l’Organisation des NationsUnies. Les États Membres de
dans sadécision du 11juillet1996 ( Application de la cette organisation sont d’office parties au Statut. Chacun des
Conventionpour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions sixÉtats défendeurs a fait valoir que la déclaration
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p.614 et 615, d’acceptation de la République fédérale de Yougoslavie n’a
par.29); et que, selon l’artic le9 de la Convention sur le pas été faite valablement étant donné que cet État n’est pas
génocide, «[l]es différends entre les Parties contractantes membre des Nations Unies.
relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la 3. Le 22 septembre 1992, l’Assemblée générale, sur la

présente convention » seront soumis à la Cour internationale recommandation du Conseil de sécurité, a décidé que la
de Justice. Aussi estime-t-il que la Cour a prima facie République fédérale de Yougoslavie ne pouvait pas assumer
compétence pour se pro noncer sur les mesures automatiquement la qualité de Membre de l’Organisation
conservatoires sollicitées par la Yougoslavie. des NationsUnies à la place de l’ancienne République
La Yougoslavie a demandé à la Cour d’indiquer que le fédérative socialiste de Yougoslavie et qu’elle devrait donc
présenter une demande d’admission à l’Organisation des
défendeur «doi[t] cesser immédiatement de recourir à NationsUnies. Dans l’immédiat , elle ne participerait pas
l’emploi de la force et doi[ t] s’abstenir de tout acte
constituant une menace de recours ou un recours à l’emploi aux travaux de l’Assemblée générale (résolution47/1). La
de la force contre la République fédérale de Yougoslavie». République fédérale de Yougoslavie n’a jamais présenté de
Or, la menace de recours ou le recours à l’emploi de la force demande d’admission.
contre un État ne saurait en lui-même constituer un acte de 4. Dans les ordonnances qu’elle rend dans ces affaires, la
génocide au sens de la Convention sur le génocide. La Cour élude la question de la validité contestée de la

78déclaration de la Yougoslavie. Elle estime ne pas avoir à concernent le règlement pacifique des différends et les
examiner cette question puisque la déclaration ne saurait lui dispositions de la Charte relatives à l’interdiction du recours

conférer compétence prima facie sur le fondement d’autres à la force.
titres. Si la Cour a compétence prima facie, c’est par
5.Selon M.Kooijmans, le raisonnement de la Cour excellence une affaire où la Cour devrait indiquer des
manque de cohérence à cet égard. Ces autres titres de mesures conservatoires aux deux Parties.
compétence n’entrent en ligne de compte que si la validité
M. Weeramantry se dissocie du raisonnement de la Cour
de la déclaration –du moins au stade actuel de la selon lequel les actes reprochés remontent au 24mars, date
procédure– est acceptée. Le raisonnement de la Cour du début des bombardements, d’où il s’ensuit que la Cour
présume la validité de la déclaration. La Cour aurait dû le n’a pas compétence prima facie parce que la date à laquelle
dire et aurait dû justifier son point de vue. la déclaration de la Yougoslavie prend effet est, selon ce
6. Selon M. Kooijmans, il n’était certes pas nécessaire pour qu’indique celle-ci, le25avril. Il estime que les demandes
la Cour de se prononcer définitivement sur l’admission de la de la Yougoslavie ne sont devenues des demandes

Yougoslavie à l’Organisation des NationsUnies. Il sait juridiques qu’au moment de l’accomplissement des actes
parfaitement que la résolution47/1 est sans précédent et reprochés et non au moment où l’ensemble de la campagne
soulève un certain nombre de questions juridiques d’une très de bombardements a été planif ié. Il fonde son appréciation
grande complexité qui exigeront une analyse approfondie et sur les principes habituellement mis en oeuvre pour
une évaluation rigoureuse par la Cour à un stade ultérieur de déterminer à quel moment une demande juridique prend
la procédure. naissance. Les demandes de la Yougoslavie sont donc nées

Quelle que soit la difficulté de la question, les décisions après la date indiquée dans la déclaration que celle-ci a faite,
pertinentes ont été prises par les organes de l’Organisation c’est-à-dire le 25avril et non pas à la date à laquelle les
des NationsUnies (le Conseil de sécurité et l’Assemblée bombardements ont commencé, à savoir le 24mars. La
générale) qui ont compétence exclusive en matière Cour a donc compétence prima facie pour connaître de
d’admission, et ces décisions ne sauraient être méconnues l’affaire.
ou ignorées. Il se dit en désaccord avec l’affirmation selon laquelle la

7. Selon M.Kooijmans, les doutes que soulèvent les présence d’un élément politique fait que ces affaires ne se
décisions prises par les organes compétents de prêtent pas à l’indication de mesures conservatoires.
l’Organisation des NationsUnies à l’égard de l’admission La Cour joue un rôle complémentaire à celui d’autres
de la Yougoslavie et de la validité de la déclaration que organes des NationsUnies dans le maintien de la paix et le
celle-ci a faite sont toutefois si sérieux que la Cour aurait dû règlement pacifique des différends. C’est aussi son rôle de

conclure que cette déclaration ne saurait constituer pour elle faciliter les négociations entre les Parties et de les aider à
une base de compétence prima facie. La Cour ne devrait parvenir à un règlement pacifique des différends qui les
indiquer des mesures conservatoires que si sa compétence opposent. Des mesures conservatoires allant dans ce sens
pour connaître du différend apparaît comme auraient joué un rôle utile. Une telle démarche trouve un
raisonnablement probable. Or cette probabilité raisonnable large appui dans la jurisprudence de la Cour ainsi que dans
n’existe pas dans ces affaires, étant donné la validité les pouvoirs inhérents que celle-ci possède.
incertaine de la déclaration.
Une condition préalable à l’indication de mesures
8. Si tel est le cas, les questions comme les réserves et les conservatoires serait que le demandeur s’abstienne
limitations ratione temporis sur le fondement desquelles la immédiatement de tous actes de violence envers le peuple
Cour s’est prononcée sont dénuées de pertinence du Kosovo et que le retour des réfugiés et autres personnes
puisqu’elles sont totalement subordonnées à la question déplacées soit facilité dans le cadre d’un régime de garanties
préliminaire de la validité de la déclaration. internationales. Les mesures conservatoires devraient
également demander la cessation immédiate du recours à

Opinion dissidente de M. Weeramantry, l’emploi de la force contre la Yougoslavie. Ces conditions
Vice-Président sont liées.
La Cour est l’héritière des traditions judiciaires des
Dans son opinion dissidente, le Vice-Président, grandes formes de civilisation et le règlement pacifique des
M.Weeramantry, estime que la Cour a compétence prima différends est une tradition bien ancrée dans les civilisations
facie pour connaître de la présen te affaire et qu’il y a lieu
d’indiquer des mesures conservatoires à l’égard des de l’Orient. Par exemple, le règlement pacifique des
deuxParties. La mort frappe chaque jour et un très grand différends a une assise profonde dans la tradition
nombre de personnes, notamment des femmes, des enfants, bouddhiste. La jurisprudence de la Cour ne pourrait être
qu’enrichie par cette orientation, qui aurait également milité
des personnes âgées et des infirmes, ne cessent d’être en faveur de l’indication de mesures conservatoires, en vue
exposés à des risques et des souffrances physiques. de limiter le recours à l’emploi de la force des deux côtés et
D’importantes questions de droit sont en jeu, qui touchent à de contribuer à promouvoir les négociations et le règlement
l’essentiel du principe de la légalité internationale et qui
des différends entre les Parties.

79 Opinion dissidente du juge Shi violation de ces obligations s’étend sur la totalité du laps de
temps qui s’est écoulé pendant que ces faits se poursuivaient
Dans les quatre instances introduites par la Yougoslavie
contre la Belgique, le Canada, les Pays-Bas et le Portugal, et ne prendra fin qu’à la cessation de ceux-ci par l’État
M.Shi se dit en désaccord avec la conclusion de la Cour défendeur.
selon laquelle la limitation ratione temporis figurant dans la On peut conclure que la limitation ratione temporis
figurant dans la déclaration de la Yougoslavie n’empêche
déclaration d’acceptation par la Yougoslavie de la absolument pas de reconnaître à la Cour, sur le fondement
compétence obligatoire de la Cour fait que celle-ci n’a pas
compétence prima facie en vertu du paragraphe2 de du paragraphe2 de l’Article36 de son Statut, compétence
l’Article36 de son Statut pour indiquer les mesures prima facie pour indiquer des mesures conservatoires dans
conservatoires sollicitées par la Yougoslavie. les affaires en cause.
En outre, pour des motifs semblables à ceux qu’il a
Par sa déclaration signée l2a5vril999, la exposés dans les déclarations relatives aux six autres
Yougoslavie a reconnu la co mpétence obligatoire «pour affaires, M.Shi regrette que la Cour, confrontée à une
tous les différends, surgissant ou pouvant surgir après la
signature de la présente déclaration, qui ont trait à des situation de grande urgence, se soit abstenue de faire une
situations ou à des faits postérieurs à ladite signature...» déclaration générale exhortant les Parties à agir
DanslescasoùlaCourse trouve en présen ce d’une telle conformément aux obligations qui sont les leurs en vertu de
«formule de double exclusion», il lui appartient de la Charte des NationsUnies et de toutes les règles du droit
international applicables en l’ espèce et au moins à ne pas
déterminer tant la date du différend que les situations ou aggraver ou étendre leurs différends dès après le dépôt de la
faits ayant donné lieu à celui-ci.
S’agissant du premier aspect de la condition relative à la demande de la Yougoslavie et indépendamment de la
date, la Cour doit déterminer quel est l’objet du différend conclusion à laquelle la Cour pourrait parvenir sur sa
qui, dans les affaires en cause, se compose d’un certain compétence prima facie en attendant qu’elle rende son arrêt
définitif. La Cour s’est également abstenue d’user de la
nombre d’éléments constitutifs. La section «Objet du faculté que lui donne le paragraphe1 de l’article75 de son
différend» dans chacune des requêtes présentées par la règlement de statuer d’office sur les demandes bien que la
Yougoslavie indique qu’il s’agit d’actes commis par le Yougoslavie l’en ait priée.
défendeur en violation de ses obligations internationales de
ne pas recourir à l’emploi de la force contre un autre État, de Pour ces motifs, M.Shi s’ est vu dans l’obligation de
ne pas s’immiscer dans les a ffaires intérieures d’un autre voter contre le paragraphe1 du dispositif des quatre
État, de ne pas porter atteinte à la souveraineté d’un autre ordonnances.

État, de protéger les populations civiles et les biens de
caractère civil en temps de guerre, de protéger Opinion dissidente du juge Vereshchetin
l’environnement, etc. M.Vereshchetin commence son opinion dissidente par
On ne saurait affirmer que le différend est né avant que une déclaration d’ordre général, qu’il joint à toutes les
tous les éléments constitutifs aient existé. Même si les
ordonnances rendues par la Cour, dans laquelle il affirme
bombardements aériens du territoire de la Yougoslavie ont que les circonstances extraordin aires et sans précédent des
commencé quelques semaines av ant la date critique que affaires dont la Cour a été saisie imposaient à celle-ci la
représente la signature de la déclaration, ceux-ci, avec les nécessité d’agir promptement, et , si nécessaire, d’office. Il
conséquences qui les accompagnent, ne constituent pas un explique ensuite pourquoi il n’a aucun doute qu’il existait
différend. Certes, la Yougoslavie avait avant la date critique une compétence prima facie en vertu du paragraphe2 de
accusé l’OTAN de recourir illégalement à l’emploi de la l’Article36 du Statut de la Cour, en ce qui concerne les
force à son encontre, mais ce grief ne constitue tout au plus
requêtes introduites contre la Belgique, le Canada, les Pays-
qu’un des nombreux éléments constitutifs du différend. En Bas et le Portugal. Pour ce qui est de la Belgique et des
outre, l’OTAN ne saurait être assimilé au défendeur ni ne Pays-Bas, la Cour a aussi compétence prima facie en vertu
saurait être celui-ci, ratione personae, dans les affaires en des accords signés entre la Belgique et la Yougoslavie
cause. Le différend n’a pris naissance qu’à une date le25mars1930 et entre les Pays-Bas et la Yougoslavie
postérieure à la signature de la déclaration. le 11 mars 1931.
S’agissant du second aspect de la condition relative à la
M V.ereshchetin est en désaccord avec deux
date, le différend porte sur la prétendue violation de diverses propositions fondamentales sur lesquelles, à son avis,
obligations internationales par des recours à la force, sous la reposent les arguments allant à l’encontre des thèses
forme de bombardements aériens du territoire de la précitées et que la Cour a accueillis dans ses ordonnances.
Yougoslavie, que le demandeur impute à l’État défendeur. Il La première proposition est que le texte de la déclaration
est évident que la prétendue violation d’obligations par un yougoslave acceptant la juridiction de la Cour, et en
tel fait «continu» s’est d’abord produite au moment où ce
particulier le libellé de la ré serve qui y figure, ne confère
fait a débuté, c’est-à-dire des semaines avant la date pas compétence prima facie à la Cour. La deuxième
critique. Étant donné que les bombardements aériens se sont proposition est que le moment choisi pour la présentation
poursuivis bien au-delà de la date critique et se poursuivent par la Yougoslavie de bases additionnelles de compétences
encore, la période au cours de laquelle a été perpétrée la ne permet pas à la Cour de conclure qu’elle a compétence

80prima facie à l’égard des instances introduites contre la droit de désigner autant de juges ad hoc pour prendre place
Belgique et les Pays-Bas. sur le siège, étant donné qu’il faut assurer une égalité entre

En ce qui concerne la première proposition, l’État demandeur et les États défendeurs qui comptent un
M. Vereshchetin est d’avis que la Cour, en refusant de tenir juge de leur nationalité sur le siège et qui font cause
compte de l’intention explicite de la Yougoslavie, interprète commune. Le droit naturel à une représentation égale au
sa déclaration d’une façon qui pourrait conduire à la sein de la Cour, traduction du principe fondamental de
conclusion absurde que la Yougoslavie entendait, par sa l’égalité des parties, signifie concrètement que la
République fédérale de Yougoslavie aurait dû avoir le droit
déclaration d’acceptation de la juridiction de la Cour, de désigner cinq juges ad hoc car cinq des dix États
exclure la juridiction de la Cour à l’égard de ses requêtes
introductives d’instance contre les défendeurs. défendeurs (les États-Unis, le Royaume-Uni, la France,
En ce qui concerne la deuxième proposition, qui a trait à l’Allemagne et les Pays-Bas) comptent sur le siège un juge
l’invocation de motifs de compétence additionnels, dans le de leur nationalité.
cas de la Belgique et des Pays-Bas, la préoccupation Concurremment, si l’on suit la jurisprudence constante
de la Cour, aucun des États défendeurs n’a le droit de
légitime de la Cour concernant le respect du «principe du
contradictoire et la bonne administration de la justice», de désigner un juge ad hoc ( Juridiction territoriale de la
l’avis de M.Vereshchetin, ne peut être étendue au point de Commission internationale de l’Oder; Régime douanier
soustraire à priori le chef de compétence additionnel à son entre l’Allemagne et l’Autriche).
examen, uniquement parce que les États défendeurs n’ont Point n’est besoin de souligner la très grande importance
pas eu assez de temps pour préparer leurs arguments pour y des questions susmentionnées, car il est évident qu’elles ne
répondre. Certes, on ne saurait considérer comme normal voient pas leurs effets se limiter à la procédure, mais

qu’un nouveau chef de compétence soit invoqué au qu’elles peuvent aussi avoir des conséquences concrètes
deuxième tour des exposés oraux. Toutefois, les États d’une portée considérable.
défendeurs ont eu la possibilité de présenter leur réplique à Selon MK . reca, la Cour a accordé une grande
la Cour, et ils ont fait usage de cette possibilité pour importance au critère de l’impératif humanitaire dans sa
présenter diverses observations et objections à l’encontre du jurisprudence récente relativ e à l’indication de mesures
nouveau chef de compétence. Au besoin, ils auraient pu
conservatoires, en particulier dans les affaires touchant
demander une prolongation des audiences. Pour sa part, le directement des personnes physiques. Par sa seule force, ce
demandeur peut raisonnablement soutenir que l’invocation critère a permis d’écarter certaines règles pertinentes tant de
tardive des nouveaux chefs de compétence a eu pour cause procédure que de fond qui s’appliquaient à l’indication de
la situation extraordinaire en Yougoslavie, dans laquelle la mesures conservatoires (voir par exemple l’affaire
préparation des requêtes s’est effectuée dans les conditions LaGrand). Ainsi, les considératio ns d’ordre humanitaire,
crées par les bombardements aériens quotidiens auxquels indépendamment des normes du droit international en
procédaient les défendeurs.
matière de droits de l’homme et de libertés, ont d’une
Le refus de la majorité de prendre en considération les certaine manière acquis une signification juridique
nouveaux chefs de compétence es t clairement contraire aux autonome; elles ont échappé à la sphère de la morale et de la
dispositions de l’article38 du Règlement de la Cour et à la philanthropie pour pénétrer dans le domaine du droit.
jurisprudence de la Cour. Le refus de tenir dûment compte Dans la présente instance, il semble que l’«impératif
de l’intention d’un État qui fait une déclaration
d’acceptation de la juridiction de la Cour est également humanitaire » ait perdu la position juridique autonome qu’il
avait ainsi acquise. Ce fait doit être souligné étant donné les
incompatible avec la jurisprudence de la Cour et avec les circonstances particulières de l’espèce. À la différence des
règles coutumières d’interprétation des instruments affaires jugées récemment par la Cour, l’«impératif
juridiques. De l’avis de MV . ereshchetin, toutes les humanitaire» dont il est question ici a pour objet le sort
conditions nécessaires à l’indication de mesures d’une nation entière, au sens littéral. La République fédérale
conservatoires, découlant de l’Article41 du Statut de la de Yougoslavie et les groupes nationaux et ethniques qui la
Cour et de sa jurisprudence bi en établie, ont été réunies, et
composent sont soumis depuis maintenant plus de deux
la Cour aurait indubitablement dû indiquer de telles mesures mois à des attaques continues de la part d’une «armada»
pour ce qui concerne les quatre États susmentionnés. aérienne redoutable et très organisée, commandée par les
États les plus puissants de la terre. De plus, l’arsenal utilisé
Opinion dissidente de M. Kreca, juge ad hoc dans les attaques dirigées contre la Yougoslavie comprend
des armes dont les effets ne sont limités ni dans l’espace ni
Dans son opinion dissidente, M.Kreca met l’accent sur dans le temps, comme l’uranium appauvri, qui causent des
les points suivants :
M. Kreca estime qu’aucune des fonctions de l’institution dommages irréparables et d’une portée considérable à la
santé de l’ensemble de la population.
du juge ad hoc visant à assurer l’égalité au sein de la Cour M.Kreca estime qu’en ce qui concerne l’appartenance
n’a été respectée dans ce cas particulier. Il découle de la de la Yougoslavie à l’Organisation des Nations Unies, la
lettre et de l’esprit du paragraphe 2 de l’Article 31 du Statut Cour est restée fidèle à sa position qui consiste à «éluder»
de la Cour, si on l’applique au cas d’espèce, que la
Yougoslavie, en tant qu’État demandeur, aurait dû avoir le la question en continuant d’affirmer «qu’elle n’a pas à

81examiner cette question à l’effet de décider si elle peut ou que soient créées des conditions dans lesquelles la survie du
non indiquer des mesures conservatoires dans le cas groupe est menacée.

d’espèce ». Pourtant, M. Kreca est profondément convaincu De l’avis de M.Kreca, la position de la Cour en ce qui
que la Cour aurait dû répondre à la question de savoir si la concerne sa juridiction ratione temporis est très contestable,
République fédérale de Yougoslavie peut ou non, à la et ce pour deux motifs fondamentaux. Premièrement, pour
lumière de la résolution 47/1 de l’Assemblée générale et de des raisons générales liées à la jurisprudence de la Cour en
l’usage établi au sein de l’organisation universelle, être l’espèce, d’une part, et à la nature de la procédure en
considérée comme Membre des Nations Unies et en
particulier, comme partie au Stat ut de la Cour; en effet, le indication de mesures conservatoires, d’autre part, et
deuxièmement, pour des raisons particulières tenant aux
texte de la résolution 47/1 ne fait aucune mention du statut circonstances de l’espèce. S’agi ssant de la juridiction de la
de la République fédérale de Yougoslavie en tant que partie Cour, il paraît incontestable que la Cour interprète de façon
au Statut de la Cour internationale de Justice. De même, libérale l’élément ratione temporis de sa compétence en
M.Kreca est convaincu que la Cour aurait dû répondre à matière d’indication de mesures conservatoires. Certes, la
cette question, étant donné en particulier que le texte de la procédure en indication de mesures conservatoires ne vise
résolution, qui constitue une contradictio in adjecto, et plus
pas à statuer de façon finale et définitive sur la compétence
spécialement l’usage au sein de l’organisation universelle de la Cour. Le qualificatif « prima facie » lui-même indique
après son adoption il y a près de sept ans, lui fournissaient qu’il ne s’agit pas d’établir la compétence définitive, mais
tous les arguments voulus pour se prononcer sur la question. une compétence découlant ou censée découler normalement
M.Kreca est d’avis que l’emploi de la force armée à d’un fait juridique pertinent qui est défini comme étant le
grande échelle, particulièrement à l’encontre d’objets et de « titre de compétence ». Il peut être affirmé que le « titre de
moyens qui sont des éléments essentiels d’une vie normale, compétence» suffit en so i à fonder la compétence prima

peut mener à la «soumission ... du groupe à des conditions facie, sauf lorsque l’absence de compétence sur le fond est
d’existence» qui entraînent «sa destruction physique» manifeste (affaires sur la Compétence en matière de
(Convention sur le génocide, art. II). pêcheries).
Certes, précise M.Kreca, il peut être soutenu que les M.Kreca n’est pas d’accord avec la position de la Cour
actes de cette nature servent à affaiblir les capacités au sujet du chef de compétence supplémentaire (art.4 du

militaires de la République fédérale de Yougoslavie. On ne Traité de 1930), car il estime que trois conditions
saurait toutefois considérer cette explication comme un essentielles à la recevabilité de ce chef supplémentaire sont
argument sérieux. En effet, on risque facilement d’être réunies en l’espèce :
amené à soutenir, si on se laisse emporter par cette a )le demandeur dit sans équivoque qu’il compte
argumentation, que la puissance militaire se compose après s’appuyer sur cette base de compétence;
tout de personnes, et que le fait de tuer sur une grande
échelle des civils peut être tenu pour une sorte de mesure de b ) l’invocation de chefs su pplémentaires n’a pas pour
résultat de transformer le différend dont la Cour est saisie
précaution visant à empêcher le maintien ou, en cas de dans la requête en un différend distinct, d’une autre nature;
mobilisation, l’accroissement de la puissance militaire d’un c ) les chefs supplémentaires constituent une base sur le
État. fondement de laquelle la compétence de la Cour pour
M.Kreca rappelle en outre que, dans le cadre de
procédures incidentes, la Cour ne peut et ne doit pas se connaître de la requête peut être établie prima facie.
soucier d’établir s’il y a effectivement intention d’imposer à M.Kreca signale aussi que même si le document dans
lequel le demandeur avait invoqué le Traité de 1930 comme
un groupe des conditions qui menacent sa survie. Eu égard à chef de compétence suppl émentaire était déclaré
l’objet des mesures conservatoires, on peut dire qu’à ce «irrecevable», la Cour ne pouvait ne pas tenir compte de
stade de la procédure il suffit de démontrer que, lors de
bombardements à grande échelle, il existe un risque objectif l’existence du Traité. Auquel cas la Cour aurait pu établir
une distinction entre le document en tant que tel et le Traité
de 1930 lui-même, comme base de sa juridiction.

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Résumé de l'ordonnance du 2 juin 1999

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