Audience publique tenue le lundi 20 novembre 2000, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Guillaume, président

Document Number
121-20001020-ORA-01-00-BI
Document Type
Incidental Proceedings
Number (Press Release, Order, etc)
2000/32
Date of the Document
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Non -corrigé Uncorrected

CR 2000/32

Cour internationale International Court
de Justice of Justice

LA HAYE THE HAGUE

ANNÉE 2000 YEAR 2000

Audience publique Public sitting

tenue le lundi 20 novembre 2000, held on Monday 20 November 2000,

à 10 heures, au Palais de la Paix, at 10 a.m., at the Peace Palace,
sous la présidence President Guillaume,
de M. Guillaume, président presiding

en l'affaire relative au in the case concerning the
Mandat d'arrêt du 11 avril 2000 Arrest Warrant of 11 April 2000
(République démocratique du Congo c. Belgique) (Democratic Republic of the Congov.Begium

__________ __________

COMPTE RENDU VERBATIM RECORD
__________ __________

__________

Présents : M. Guillaume, président Present: President Guillaume

M. Shi, vice-président Vice-President Shi
MM. Oda Judges Oda
Bedjaoui Bedjaoui

Ranjeva Ranjeva
Herczegh Herczegh
Fleischhauer Fleischhauer
Koroma Koroma
Vereshchetin Vereshchetin
Mme Higgins Higgins
MM. Parra-Aranguren Parra-Aranguren
Kooijmans Kooijmans
Rezek Rezek

Al-Khasawneh Al-Khasawneh
Buergenthal, juges Buergenthal
M. Bula-Bula Judgesad hoc Bula-Bula
Mme Van den Wyngaert, juges ad hoc Van den Wyngaert

M. Couvreur, greffier Registrar Couvreur

__________

Le Gouvernement de la République démocratique du The Government of the Democratic Republic of the
Congo est representé par : Congo is represented by:

S. Exc. M. Jacques Masangu-a-Mwanza, ambassadeur H. E. Mr. Jacques Masangu-a-Mwanza, Ambassador of
de la République démocratique du Congo auprès du the Democratic Republic of the Congo to the Kingdom Royaume des Pays-Bas, of the Netherlands,

comme agent, as Agent;
S. Exc. M. Ntumba Luaba Lumu, vice-ministre de la H. E. Mr. Ntumba Luaba Lumu, Vice-Minister of Justice
justice et des affaires parlementaires, and Parliamentary Affairs,

e
M Jacques Vergès, avocat à la Cour d'appel de Paris, Maître Jacques Vergès, avocat à la Cour d'appel de
Paris,
M eNkulu Kilombo, avocat à la Cour de Kinshasa,
Maître Nkulu Kilombo, avocat à la Cour de Kinshasa ,

M. Samba Kaputo, directeur de cabinet du ministre des Mr. Samba Kaputo, directeur de cabinet of the Minister
affaires étrangères, for Foreign Affairs,

comme conseils et avocats
as Counsel and Advocates.

__________

Le Gouvernement du Royaume de Belgique est The Government of the Kingdom of Belgium is
representé par : represented by:
M. Jan Devadder, directeur général par intérim des Mr. Jan Devadder, Director-General ad interim,

affaires juridiques du ministère des affaires étrangères, Directorate-General Legal Matters, Ministry of Foreign
Affairs,
comme agent;
as Agent;

M. Eric David, professeur de droit international public à Mr. Eric David, Professor of International Law,
l'Université libre de Bruxelles, Université libre de Bruxelles,

M. Daniël Bethlehem, Barrister, barreau d'Angleterre et Mr. Daniel Bethlehem, Barrister, Bar of England and
du pays de Galles, Fellow of Clare Hall et directeur Wales, Fellow of Clare Hall and Deputy-Director of the
adjoint duLauterpacht Research Centre for Lauterpacht Research Centre for international Law,
International Law de l'Université de Cambridge, University of Cambridge,

comme conseils et avocats; as Counsel and Advocates;
S. Exc. M. le Baron Olivier Gillès de Pélichy, H.E. Baron Olivier Gillès de Pélichy, Permanent
représentant permanent du Royaume de Belgique auprès Representative of the Kingdom of Belgium to the
de l'Organisation pour l'interdiction des armes Organization for the Prohibition of Chemical Weapons,

chimiques,
Mr. Pierre Morlet, Advocate-General, Brussels cour
M. Pierre Morlet, avocat général auprès de la cour d'Appel,
d'appel de Bruxelles,
Mr. Gérard Dive, Deputy-Counsellor, Directorate-
M. Gérard Dive, conseiller adjoint à la direction générale General Criminal Legislation, Ministry of Justice,
de la législation pénale du ministère de la justice,
Mr. Wouter Detavernier, Deputy-Counsellor,

M. Wouter Detavernier, conseiller adjoint à la direction Directorate-General Legal Matters, Ministry of Foreign
générale des affaires juridiques du ministère des affaires Affairs,
étrangères,
Mr. Rodney Neufeld, Research Associate, Lauterpacht
M. Rodney Neufeld, Research Associate au Lauterpacht Research Centre for International Law, University of
Research Centre for International Law de l'Université de Cambridge.
Cambridge.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L'audience est ouverte. La Cour se réunit aujourd'hui pour entendre,
conformément au paragraphe 3 de l'article 74 de son Règlement, les observations des Parties au sujet de la demande
en indication de mesure conservatoire présentée par la République démocratique du Congo en l'affaire relative au
Mandat d'arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique).Avant de rappeler les principales étapes de la procédure en l'espèce, il échet de parachever la composition de la
Cour.

Chacune des Parties à la présente affaire, la République démocratique du Congo et le Royaume de Belgique, a usé

de la faculté qui lui est conférée par l'article 31 du Statut de désigner un jugehoc . La République démocratique
du Congo a désigné M. Sayeman Bula-Bula et le Royaume de Belgique Mme Christine Van den Wyngaert.

L'article 20 du Statut de la Cour dispose que «Tout membre de la Cour doit, avant d'entrer en fonction, prendre
l'engagement solennel d'exercer ses attributions en pleine impartialité et en toute conscience.» Cette disposition est
applicable aux juges ad hoc , en vertu du paragraphe 6 de l'article 31 du Statut. Je dirai d'abord quelques mots de la
carrière et des qualifications des deux juges qui vont faire la déclaration solennelle requise. Je les inviterai ensuite,
suivant l'ordre de préséance, à faire cette déclaration.

M. Sayeman Bula-Bula, de nationalité congolaise, est professeur ordinaire à la faculté de droit de l'Université de
Kinshasa, où il enseigne le droit international. Il est spécialisé dans le droit de la mer, le droit de l'environnement, le
droit de la paix et de la sécurité internationale, les droits de l'homme et le droit international humanitaire. Il a par
ailleurs exercé les fonctions d'expert ou de consultant auprès du Gouvernement congolais et de diverses
organisations internationales et sociétés savantes. Il a également occupé d'importantes fonctions administratives à
l'Université de Kinshasa et à la faculté de droit de cette université.

Mme Christine Van den Wyngaert, de nationalité belge, est professeur à la faculté de droit de l'Université d'Anvers,

où elle enseigne le droit pénal international, le droit pénal et la procédure pénale belge, ainsi que le droit pénal
comparé. Elle a également été professeur invité à l'Université de Cambridge. Mme Van den Wyngaert a par ailleurs
exercé les fonctions d'expert, en particulier auprès du Gouvernement belge, notamment comme vice-présidente de la
commission pour la réforme du code de procédure pénale, ainsi qu'auprès de la Commission européenne et de
diverses sociétés savantes.

Je vais maintenant inviter chacun de ces deux juges à prendre l'engagement solennel prescrit par le Statut et je
demande à toutes les personnes présentes à l'audience de bien vouloir se lever. Monsieur Bula-Bula.

M. BULA-BULA : «Je déclare solennellement que je remplirai mes devoirs et exercerai mes attributions de juge en
tout honneur et dévouement, en pleine et parfaite impartialité et en toute conscience.»

Le PRESIDENT : Je vous remercie. Madame Van den Wyngaert.

Mme VAN DEN WYNGAERT : «Je déclare solennellement que je remplirai mes devoirs et exercerai mes
attributions de juge en tout honneur et dévouement, en pleine et parfaite impartialité et en toute conscience.»

Le PRESIDENT : Je vous remercie. Veuillez vous asseoir. Je prends acte des déclarations solennelles faites par
M. Bula-Bula et par Mme Van den Wyngaert, et je les déclare dûment installés en qualité de juges ad hoc en
l'affaire relative auandat d'arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique).

*

* *

L'instance a été introduite le 17 octobre 2000 par le dépôt au Greffe de la Cour d'une requête de la République
démocratique du Congo contre le Royaume de Belgique. Dans cette requête, le Gouvernement de la République
démocratique du Congo, pour fonder la compétence de la Cour, invoque le fait que «la Belgique a accepté la
juridiction de la Cour et, [qu']en tant que de besoin, la présente requête vaut acceptation de cette juridiction par la
République démocratique du Congo».La République démocratique du Congo fait état dans sa requête d'un

«mandat d'arrêt international qu'un juge d'instruction belge ... a décerné le 11 avril 2000 contre le
ministre des affaires étrangères en exercice de la République démocratique du Congo ..., en vue de son

arrestation provisoire préalablement à une demande d'extradition vers la Belgique, pour de prétendus
crimes constituant des «violations graves de droit international humanitaire».

Elle ajoute :

«aux termes mêmes de ce mandat d'arrêt, le juge d'instruction s'affirme compétent pour connaître de
faits prétendument commis sur le territoire de la République démocratique du Congo par un
ressortissant de cet Etat, sans qu'il soit allégué que les victimes aient eu la nationalité belge, ni que ces

faits aient constitué des atteintes à la sûreté ou au crédit du Royaume de Belgique».

La République démocratique du Congo se réfère, dans sa requête, à certaines dispositions de la «loi [belge] du
16 juin 1993 modifiée par la loi du 10 février 1999 relative à la répression des violations graves de droit
international humanitaire». Elle allègue que :

«l'article 5, paragraphe 2, ... contrevient manifestement au droit international en tant qu'[il] prétend
déroger à l'immunité diplomatique, tout comme le mandat d'arrêt décerné sur son fondement contre le

ministre des affaires étrangères d'un Etat souverain».

Elle soutient que l'article 7, qui «établit ... la compétence universelle de la loi et des juridictions belges à l'égard des
«violations graves de droit international humanitaire», sans même subordonner cette compétence à la présence de la
personne poursuivie sur le territoire belge», ainsi que «le mandat d'arrêt décerné par le juge d'instruction belge ... [,]
contreviennent au droit international». J'inviterai maintenant le greffier à bien vouloir donner lecture de la décision
demandée à la Cour, telle qu'elle est formulée au chiffre II de la requête de la République démocratique du Congo.

Le GREFFIER :

«Il est demandé à la Cour de dire que le Royaume de Belgique devra annuler le mandat d'arrêt
international qu'un juge d'instruction belge, M. Vandermeersch, du tribunal de première instance de
Bruxelles, a décerné le 11 avril 2000 contre le ministre des affaires étrangères en exercice de la
République démocratique du Congo, M. Abdulaye Yerodia Ndombasi, en vue de son arrestation

provisoire préalablement à une demande d'extradition vers la Belgique, pour de prétendus crimes
constituant des «violations graves de droit international humanitaire», mandat d'arrêt que ce juge a
diffusé à tous les Etats, y compris la République démocratique du Congo elle-même, qui l'a reçu le
12 juillet 2000.»

Le PRESIDENT : Immédiatement après le dépôt de la requête, le 17 octobre 2000, l'agent de la République

démocratique du Congo a déposé au Greffe de la Cour une demande en indication de mesure conservatoire, en
invoquant le paragraphe 1 de l'article 41 du Statut de la Cour. Dans sa demande, la République démocratique du
Congo expose que le «mandat d'arrêt litigieux interdit pratiquement au ministre des affaires étrangères de la
République démocratique du Congo de sortir de cet Etat pour se rendre en tout autre Etat où sa mission l'appelle et,
par conséquent, d'accomplir cette mission».

J'inviterai à présent le greffier a bien vouloir donner lecture de la phrase de la demande dans laquelle est énoncée la
mesure conservatoire que le Gouvernement de la République démocratique du Congo prie la Cour d'indiquer.

Le GREFFIER : «Cette demande tend à faire ordonner la mainlevée immédiate du mandat d'arrêt litigieux.»

Le PRESIDENT : Dès réception du texte de la demande en indication de mesure conservatoire, le greffier,conformément au paragraphe 2 de l'article 73 du Règlement de la Cour, en a fait tenir une copie certifiée conforme
au Gouvernement belge. Il en a également informé le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies.

Selon l'article 74 du Règlement de la Cour, une demande en indication de mesures conservatoires a priorité sur

toutes autres affaires. La date de la procédure orale doit être fixée de manière à donner aux parties la possibilité de
s'y faire représenter. En conséquence, par des communications en date du 20 octobre 2000, les Parties ont été
informées que la date d'ouverture de la procédure orale prévue au paragraphe 3 de l'article 74 du Règlement, au
cours de laquelle elles pourraient présenter leurs observations sur la demande en indication de mesure conservatoire,
avait été fixée au 20 novembre 2000 à 10 heures.

Je constate la présence devant la Cour des agents et conseils des deux Parties. La Cour entendra d'abord la

République démocratique du Congo, qui est le demandeur au fond et dont la demande en indication de mesure
conservatoire émane. La Belgique prendra la parole demain mardi 21 novembre 2000 à 10 heures. Chacune des
Parties disposera aux fins de ce premier tour de plaidoiries d'une séance complète de 3 heures ainsi qu'elles en ont
été informées. La Cour avait en outre fait savoir aux Parties qu'elle tiendrait, si nécessaire, deux audiences
additionnelles à l'effet de les entendre en leurs répliques. La République démocratique du Congo a indiqué qu'elle
souhaitait que de telles audiences soient organisées. Elle aura par suite à nouveau la parole le mercredi 22 novembre
à 10 heures et la Belgique prendra, à son tour, la parole le jeudi 23 novembre à 10 heures. Chacune des Parties
disposera aux fins de cette réplique d'un temps maximum de parole d'une heure et demie ainsi là encore qu'elles en

ont été informées.

Je donne donc maintenant à présent la parole à S. Exc. M. Jacques Masangu-a-Mwanza, agent de la République
démocratique du Congo.

M. MASANGU-A-MWANZA :

Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, l'honneur m'échoit, en ma qualité d'agent, de présenter à la
Cour la délégation de la République démocratique du Congo qui assurera la défense au cours des audiences dans le
cadre de la requête que j'ai déposée le 17 octobre 2000, et dont voici la composition :

M. Ntumba Luaba, professeur, vice-ministre de la justice et des affaires parlementaires,

M e Jacques Vergès, avocat à la cour,

e
M Nkulu Kilombo, avocat à la cour de Kinshasa,

M. Samba Kaputo, professeur, directeur de cabinet du ministre des affaires étrangères.

Aussi, saisirais-je cette occasion pour remercier la Cour de la promptitude avec laquelle elle a bien voulu recevoir
cette requête. A travers celle-ci, il est demandé à la Cour de dire que le Royaume de Belgique devra annuler le
o
mandat d'arrêt international n 40/95/BR30.9937/99 qu'un juge d'instruction belge, en l'occurrence le magistrat
D. Van Dermeersch du tribunal de première instance de Bruxelles, a décerné le 11 avril 2000 contre le ministre des
affaires étrangères en exercice de la République démocratique du Congo, M. Yerodia Abdoulaye Ndombasi, en vue
de son arrestation provisoire, préalablement à une demande d'extradition vers la Belgique, pour de prétendus crimes
constituant des violations graves du droit international humanitaire; mandat d'arrêt que ce juge a diffusé à tous les
Etats, y compris la République démocratique du Congo elle-même, qui l'a reçu le 12 juillet 2000.

Au terme même de ce mandat d'arrêt, le juge d'instruction s'affirme compétent pour connaître des faits prétendument
commis sur le territoire de la République démocratique du Congo par un ressortissant de cet Etat sans qu'il soit
allégué que les victimes aient eu la nationalité belge, ni que ces faits aient constitué des atteintes à la sûreté ou au
crédit du Royaume de Belgique.

La République démocratique du Congo assortit sa requête d'une demande de mesure conservatoire en application de
l'article 41, paragraphe 1 du Statut de la Cour. Cette demande tend à faire ordonner la mainlevée immédiate du

mandat d'arrêt litigieux. La présente demande s'appuie sur d'autres faits précédents que les conseils et avocats qui
m'assistent tâcheront d'argumenter.Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges. Puisque l'Etat belge s'attribue lui-même une compétence
illimitée qui explique l'émission du mandat d'arrêt visant M. Yerodia Abdoulaye Ndombasi contre lequel ni les
compétences territoriales ou personnelles, ni des compétences fondées sur la protection de la sûreté ou au crédit du
Royaume de Belgique avaient été invoquées alors qu'à l'évidence, il ne devrait pas l'être.

- La violation du principe selon lequel un Etat ne peut exercer son pouvoir sur le territoire d'un autre et
du principe de l'égalité souveraine entre tous les Etats Membres des Nations Unies (voir article 2,
paragraphe 1 de la Charte des Nations Unies).

- La violation d'immunité diplomatique du ministre des affaires étrangères d'un Etat souverain reconnu
par la jurisprudence de la Cour et découlant de la convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les
relations diplomatiques.

Les deux conditions essentielles au prononcé d'une mesure conservatoire, suivant la jurisprudence de la Cour, à
savoir : l'urgence et l'existence d'un préjudice irréparable, sont manifestement réunis en l'espèce.

En effet, le mandat d'arrêt litigieux interdit pratiquement au ministre des affaires étrangères de la République
démocratique du Congo de sortir de cet Etat, pour se rendre en tout autre Etat où sa mission l'appelle, et par
conséquent, d'accomplir sa mission.

Vous conviendrez avec moi Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, que les conséquences de cet
éloignement du représentant diplomatique le plus qualifié de l'Etat congolais sont, pendant un temps indéterminé,
par essence, de celles que l'on ne répare pas.

En conséquence, la République démocratique du Congo demande à la Cour de dire le droit et de faire annuler ce
mandat.

Je vous remercie.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, et je donne maintenant la parole à M eJacques Vergès.

M. VERGES : Je vous remercie Monsieur le président de m'accorder la parole. Monsieur le président, Madame et
Messieurs les juges, l'honneur m'échoit en effet en ce jour de prendre la parole pour la première fois devant vous, la
plus haute juridiction mondiale. Je le fais au nom de la République démocratique du Congo à propos du mandat
émis par un juge belge contre le ministre des affaires étrangères de la République démocratique du Congo. Vous
l'avez compris ce n'est pas la décence d'un particulier devant une juridiction pénale que j'entends plaider devant vous
aujourd'hui mais la violation de la souveraineté d'un Etat par un autre Etat. Mon exposé comprendra plusieurs
parties, d'une part, je voudrais exposer les faits, les faits sont constitués par ce mandat et par la loi sur laquelle ce

mandat prétend s'appuyer. Ensuite une discussion sur les moyens de notre requête, sur l'urgence, sur le caractère
irréparable et bien que ce ne soit pas le débat aujourd'hui, les vocations, les moyens sérieux au fond que nous
invoquons contre la loi belge. Et le comportement aujourd'hui du Royaume de Belgique, à savoir son attitude sur la
compétence universelle qu'il s'est octroyer et sur l'interprétation originale qu'il fait de la convention de Vienne.

Exposé des faits qui sont à l'origine de la requête

I - Le mandat d'arrêt international décerné par un juge belge contre le ministre des affaires étrangères en

exercice de la République démocratique du Congo

A. Un juge d'instruction du tribunal de première instance de Bruxelles, ayant à ce titre la qualité d'autorité publique
du Royaume de Belgique, M. Damien Vandermeersch, a décerné, le 11 avril 2000, contre
«Yerodia Ndombasi Abdulaye», né le 5 janvier 1933, de nationalité congolaise et de sexe masculin, en vue de son
arrestation provisoire préalablement à une demande d'extradition vers la Belgique, pour de prétendus crimes
constituant des «violations graves de droit international humanitaire», un mandat d'arrêt, que ce juge a diffusé à tous
les Etats, y compris la République démocratique du Congo elle-même, qui l'a reçu le 12 juillet 2000.La personne visée par ce mandat d'arrêt n'est autre que S. Exc. M. Abdulaye Yerodia Ndombasi, ministre d'Etat,
ministre des affaires étrangères de la coopération internationale de la République démocratique du Congo. Le juge
mandant ne faisait pas état de cette qualité de ministre des affaires étrangères, dont il est inimaginable qu'il l'ignorât.

Ce mandat d'arrêt qualifie pénalement les faits qu'il allègue de

«crimes de droit international constituant des infractions graves portant atteinte par action ou omission,
aux personnes et aux biens protégés par les conventions signées à Genève le 12 août 1949 et par les
protocoles I et II additionnels à ces conventions, crimes contre l'humanité»

et il citait comme textes de loi prétendument applicables l'«article 1, paragraphe 3» et l'«article 1, paragraphe 2» de
la «loi du 16 juin 1993 modifiée par la loi du 10 février 1999 relative à la répression des violations graves de droit

international humanitaire».

Il situait le «lieu de commission de l'infraction» en «République démocratique du Congo» et datait cette infraction
du mois d'«août 1998».

Voici donc le contenu de ce mandat d'arrêt et les textes sur lesquels il prétend s'appuyer.

B. Le juge d'instruction présente les circonstances dans lesquels se seraient déroulés les faits qu'il impute à S. Exc.

Monsieur Yerodia Ndombasi en des termes que l'on peut résumer de la manière suivante.

1. Après que S. Exc. le président Laurent Désiré Kabila ait, à la tête d'une coalition appuyée par des troupes
rwandaises, ougandaises et burundaises, renversé, en 1997, le régime de l'ex-président Mobutu et établi un nouveau
gouvernement, il aurait en raison du mécontentement provoqué dans une partie de la population congolaise par une
forte participation à ce gouvernement de personnes appartenant à l'ethnie tutsi - tout ceci est entre guillemets, ce sont
les termes du juge belge que je cite -, ordonné, le 27 juillet 1998, le retrait des forces militaires rwandaises,
ougandaises et burundaises. Il n'aurait pratiquement pas été obéi.

Une rébellion de certains éléments de l'armée congolaise aurait éclaté le 2 août 1998 et les rebelles se seraient alliés
à ces forces étrangères. Un nouveau conflit, auquel un rapport spécial de l'Organisation des Nations Unies devait
reconnaître le caractère de conflit armé interne au sens de l'article 3 commun aux trois conventions de Genève du 12
août 1949, aurait alors opposé cette coalition aux troupes restées fidèles à S. Exc. le président Kabila. Un
soulèvement de certains éléments militaires, banyamulenge et rwandais, aurait eu lieu à Kinshasa et les nouveaux
coalisés auraient transporté des troupes vers l'ouest du pays pour venir renforcer cette rébellion.

Selon le juge Vandermeersch, qui invoque le rapport de l'ONU, des violations graves du droit humanitaire auraient
été commises, de part et d'autre, au cours de ce conflit.

Notamment, des Tutsis ou de «supposés Tutsis» (sic) auraient été exécutés sommairement ou emprisonnés
«particulièrement pour des motifs ethniques et ce, suite notamment à l'incitation à la haine contre les tutsis dont se
seraient rendus coupables des dirigeants congolais».

2. Parvenu à ce point de ses allégations, le mandat d'arrêt en arrive, en effet, aux griefs qu'elle avance précisément

contre S. Exc. Monsieur Yerodia Ndombasi. Il énonce, d'abord :

«A l'époque, Kabila (sic) n'avait pratiquement pas d'armée congolaise. Pour empêcher les rebelles de
s'emparer des points stratégiques, Kabila [c'est le juge belge qui s'exprime ainsi], et Yerodia Ndombasi
(sic) auraient fait des discours à la population dans lesquels ils ont appelé la population à la vigilance, à
traquer les rebelles infiltrés, présentés comme des Tutsis, indistinctement...»

Puis il avance que la population congolaise «déjà exacerbée (sic) par des coupures d'eau et d'électricité» aurait

répondu à cet appel, qu'elle se serait livrée à des «ratissages», qu'elle aurait fait la chasse non seulement aux rebelles
ou aux combattants des forces d'invasion, mais encore aux civils tutsis, qu'elle en aurait arrêté arbitrairement un
grand nombre, en aurait massacré plusieurs centaines. Il prétend que de nombreuses personnes auraient, au terme de
chasses à l'homme, été mises à mort, notamment «par le supplice du collier».

En ce qui concerne plus précisément S. Exc. M. Yerodia Ndombasi, qui était alors directeur du cabinet du président
de la République, le juge belge lui reproche d'avoir provoqué à la continuation de ces massacres par deux
déclarations publiques «relayées» par les médias, faites alors qu'ils avaient commencé.D'une part, il aurait, le 4 août 1998, fait une déclaration télévisée, dans laquelle, «s'exprimant en kilongo, la langue
du bas Congo (sic)», il aurait demandé à «ses frères» de «se lever comme un seul homme pour jeter hors du pays
l'ennemi commun», en utilisant toutes les armes à leur disposition, «y compris les fusils de chasse, les machettes, les
pioches, les flèches, bâtons et pierres». L'auteur de ce document trouve les termes ainsi employés «assez limpides
pour appeler les habitants de cette région à s'attaquer aux Tutsis», mot qui n'est pas prononcé dans le discours qu'il

re-cite.

D'autre part, le 27 août 1998, S. Exc. M. Yerodia Ndombasi aurait dit des ennemis : «ce sont des déchets, et c'est
même des microbes qu'il faut qu'on éradique avec méthode. Nous sommes décidés à utiliser la médication la plus
efficace».

Le juge ajoute que celui-ci n'aurait pu ignorer les massacres qui auraient précédé ce dernier discours et il en déduit
que, plutôt que de calmer les opérations de ratissage, il aurait voulu délibérément les encourager.

Et, affirmant que de nouveaux massacres auraient eu lieu ensuite, il conclut que les discours en cause auraient
«(incité) à la haine raciale», qu'ils «auraient ainsi eu pour résultat la mort de plusieurs centaines de personnes et
l'internement de Tutsis, des exécutions sommaires, des arrestations arbitraires et des procès injustes». Merci, pour
les collègues de M. Vandermeersch, magistrat congolais, formés en général en Belgique.

II. La loi belge du 16 juin 1993 modifiée par la loi du 10 février 1999

Voici donc le mandat. Maintenant je voudrais, sans m'appesantir, évoquer la loi belge du 16 juin 1993, modifiée par
la loi du 10 février 1999. Car le mandat d'arrêt qui vient d'être analysé invoque, on l'a vu, la loi belge du 16 juin
1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire quant aux qualifications qu'il
prétend être applicables aux faits qu'il allègue. Par ailleurs, l'existence même de ce mandat ne peut se comprendre
qu'au regard d'autres dispositions de cette loi portant sur l'immunité diplomatique et sur la compétence internationale
des juridictions belges.

Il importe de présenter à la Cour successivement ces trois ordres de dispositions.

A. Quant aux qualifications, la première qu'invoque le juge d'instruction, sous le couvert du paragraphe 3 de l'article
1 répond à la notion de crime de guerre. Ce paragraphe contient notamment les définitions suivantes :

«Constituent des crimes de droit international et sont réprimées conformément aux dispositions de la
présente loi, les infractions graves ci-après, portant atteinte, par action ou par omission, aux personnes

et aux biens protégés par les conventions signées à Genève le 12 août 1949 et approuvées par la loi du 3
septembre 1952 et par les protocoles I et II additionnels à ces conventions, adoptés à Genève le 8 juin
1977 et approuvés par la loi du 16 avril 1986... :

1) l'homicide intentionnel;

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

3) le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à
l'intégrité physique, à la santé...»

La seconde des qualifications visées par le mandat d'arrêt est celle de crime contre l'humanité, crimes de guerre et
maintenant crime contre l'humanité que définit le paragraphe 2 du même article 1, dont la rédaction est due à la loi
du 10 février 1999 , la loi belge. Ce paragraphe comprend les passages suivants :

«Constitue un crime de droit international et est réprimé conformément aux dispositions de la présente
loi, le crime contre l'humanité, tel que défini ci-après, qu'il soit commis en temps de paix ou en temps de
guerre. Conformément au statut de la Cour pénale internationale, le crime contre l'humanité s'entend de
l'un des actes ci-après commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre
une population civile et en connaissance de cette attaque :

1) meurtres;

2) extermination; . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

4) déportation ou transfert forcé de population;

5) emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions
fondamentales du droit international;

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

8) persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique,

racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste, ou en fonction d'autres critères universellement
reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent
article.»

B. En ce qui concerne l'immunité diplomatique, le paragraphe 3 de l'article 5 de la loi, issu lui aussi de la loi du 10
février 1999, dispose : «L'immunité attachée à la qualité officielle d'une personne n'empêche pas l'application de la
présente loi», ce qui vise, parmi d'autres, l'immunité diplomatique.

C. Ces dispositions de droit matériel s'accompagnent d'une disposition sur la compétence internationale belge.
L'article 7 de la loi dispose :

«Les juridictions belges sont compétentes pour connaître des infractions prévues à la présente loi,
indépendamment du lieu où celles-ci auront été commises.

Pour les infractions commises à l'étranger par un Belge contre un étranger, la plainte de l'étranger ou de
sa famille ou l'avis officiel de l'autorité du pays où l'infraction a été commise n'est pas requis».

Il est clair que, dans l'esprit du juge Vandermeersch, cette disposition établit la compétence universelle de la loi et
des juridictions belges à l'égard des violations graves du droit international humanitaire, sans même ? sans même ?
subordonner cette compétence à la présence de la personne poursuivie sur le territoire belge. On ne saurait s'en
étonner car, par une ordonnance du 6 novembre 1998, ce même juge d'instruction a retenu cette interprétation, qui

donnait lieu à controverse.

En effet, l'article 12 du titre préliminaire du code de procédure pénale belge, intitulé «De l'exercice de l'action
publique à raison des crimes ou des délits commis hors du territoire du Royaume», dispose que

os os
«sauf dans les cas prévus aux articles 6, n 1 et 2, 10, n 1 et 2, ainsi qu'à l'article 10 bis (cas étrangers
à la compétence universelle des juridictions belges), la poursuite des infractions dont s'agit dans le
présent chapitre n'aura lieu que si l'inculpé est trouvé en Belgique».

Il est à noter que, dans ce chapitre, figure un article 12 bis, qui établit quelques cas de compétence universelle des
juridictions belges en considération de conventions internationales (sur la protection physique des matières
nucléaires et sur la piraterie aérienne) et que cet article répète que cette compétence est subordonnée à la condition
que l'auteur présumé de l'infraction soit trouvé sur le territoire belge. Il semble qu'eu égard à cette disposition de

l'article 12, certains juristes belges aient émis l'opinion que la compétence établie par l'article 7 de la loi
du 16 juin 1998 était subordonnée à la condition que la personne visée ait été trouvée en Belgique : cet article
devrait, dans cette interprétation, se comprendre comme une référence au droit commun qu'exprime l'article 12 du
titre préliminaire du code de procédure pénale.

On observe, de plus, dans le même sens, que, lorsque le législateur du 16 juin 1993 a entendu déroger au droit
commun en matière de compétence extra-territoriale des juridictions belges, comme pour le cas d'infraction grave au

droit international humanitaire commise par un Belge à l'étranger, il a introduit dans la loi une disposition expresse
(alinéa 2 précité de l'article 7) et encore qu'en matière de compétence interne ratione loci , la Cour de cassation belge
a estimé qu'à défaut de dérogation expresse dans la loi du 16 juin 1993, les règles de droit commun s'appliquaient
(section française, 2 chambre civile, 31 mai 1995 , arrêt produit ci-après .

Or, dans son ordonnance du 6 novembre 1998, rendue sur une poursuite contre le général Pinochet, le juge

Vandermeersch estime que l'article 7 de la loi du 16 juin 1993 déroge à l'article 12 du titre préliminaire du code de
procédure pénale et ne subordonne donc pas la compétence des juridictions belges à la condition que la personnevisée soit trouvée sur le territoire du Royaume. Il fonde cette interprétation sur un passage de l'exposé des motifs du
projet qui a abouti à la loi du 16 juin 1993.

C'est manifestement cette compétence illimitée que s'attribuerait lui-même l'Etat belge, si l'interprétation de la loi

avancée par ce juge était exacte, qui explique l'émission du mandat d'arrêt visant S. Exc. M. Yerodia Ndombasi,
contre lequel aucun chef de compétence territoriale ou personnelle, ni de compétence fondée sur la protection de la
sûreté ou du crédit du Royaume de Belgique n'aurait, à l'évidence, pu être invoqué.

Or le Gouvernement belge n'a pas désavoué cette interprétation depuis l'émission de ce mandat. Tout au contraire,
en interrogeant le Gouvernement de la République démocratique du Congo sur sa législation en matière
d'extradition, en relation avec cette affaire, il a implicitement revendiqué la compétence des tribunaux belges (voir
l'échange de notes produit ci-après).

Cette attitude scelle donc le différend qui a amené la République démocratique du Congo à saisir la Cour d'une
requête au fond et de la demande en indication de mesure conservatoire aujourd'hui débattue.

Discussion

Observation préliminaire

Je voudrais ici faire, Monsieur le président, cette observation préliminaire. La présente requête tendant à l'indication
d'une mesure conservatoire, comme la requête par laquelle la République démocratique du Congo a saisi la Cour du
fond du différend qui l'oppose au Royaume de Belgique, n'a nullement pour objet de prendre fait et cause au titre de
la protection diplomatique pour l'un de ses ressortissants.

A titre personnel, S. Exc. M. Yerodia Ndombasi a pu saisir la justice belge de recours tendant à faire annuler le
mandat d'arrêt décerné contre lui par le juge Vandermeersch. Ces procédures sont étrangères au présent débat et,
quelque bizarrerie juridique qu'elles aient pu présenter, elles doivent le rester.

L'objet des requêtes de la République démocratique du Congo est tout autre. Il est de faire sanctionner des violations
du droit international dont souffre l'Etat congolais dans l'exercice de ses prérogatives souveraines en matière
diplomatique. La République met en cause le mandat d'arrêt du juge belge en tant qu'il vise non pas la personne de
M. Yerodia Ndombasi, mais la fonction de ministre des affaires étrangères de l'Etat souverain qu'elle est.

Le développement des moyens de la requête va, je l'espère, illustrer cette observation préliminaire.

Moyens de la requête

La République démocratique du Congo demande, en application de l' article 73 du Règlement de la Cour , l'indication
d'une mesure conservatoire qui tend à faire ordonner la mainlevée immédiate du mandat d'arrêt décerné contre le
ministre des affaires étrangères.

L'objet des mesures conservatoires ainsi prévues est, selon la jurisprudence de la Cour, de «sauvegarder les droits de
chacun en attendant que la Cour rende sa décision» (ordonnance du 5 juillet 1951, affaire de l'Anglo-Iranian).

La nécessité d'une telle sauvegarde suppose deux conditions essentielles, à savoir l'urgence et l'existence d'un
préjudice irréparable.

Ce sont ces deux conditions manifestement réunies ici que je voudrais maintenant examiner.

I. En ce qui concerne l'urgence

Le mandat d'arrêt décerné par le juge belge a créé une situation sans doute qui met le ministre des affaires étrangères
de la République démocratique du Congo dans l'impossibilité d'exécuter pleinement sa mission d'Etat.

En effet, même si certains Etats considèrent que ce mandat ne peut être exécuté, ne serait-ce que parce qu'il viole de
façon flagrante l'immunité diplomatique que le droit international reconnaît à tout ministre des affaires étrangères, et
si le ministre des affaires étrangères a pu se rendre, en effet, dans certains d'entre eux, ainsi qu'au Siège des Nations
Unies, tel n'est pas le cas d'autres Etats. Certains de ces derniers n'ont pas été en mesure de donner à M. Ndombasi

l'assurance qu'il ne serait pas arrêté à sa descente d'avion par des policiers s'en tenant à la lettre du mandat d'arrêt etpeu familiers du droit international, ni que les juridictions compétentes, indépendantes, annuleraient rapidement une
telle arrestation, quel que pourrait être le bien-fondé de l'argumentation juridique invoquée.

C'est ainsi que le ministre, qui envisageait de passer par la France, en vue de rencontres politiques, au retour de New

York, où il avait assisté à une réunion de l'Assemblée générale des Nations Unies, a dû renoncer à ce projet.

Ainsi, il ne peut aller en tout Etat où sa mission l'appelle et, par conséquent, il ne peut accomplir cette mission de
manière satisfaisante. Il n'est pas besoin de souligner, à cet égard, que certaines questions délicates ne peuvent se
régler que par des conversations directes entre responsables politiques des Etats.

Un Etat dont le ministre des affaires étrangères est assigné à résidence sur le territoire de cet Etat est frappé d'une
sorte de capitis deminutio .

II. En ce qui concerne le préjudice irréparable

Et pour nous reporter à la situation particulière de la République démocratique du Congo, dans les jours prochains,
des réunions doivent avoir lieu dans des pays voisins pour mettre fin au conflit armé qui oppose la République
démocratique du Congo à un certain nombre d'Etats dont le Rwanda ou l'Ouganda.

Les représentants de ces Etats se sont déjà rencontrés à Lusaka et ailleurs. C'est une nécessité urgente pour la

République démocratique du Congo que de participer à ces débats, à ces rencontres, qui doivent mettre fin à la
situation de guerre actuelle. Et comment, si ce mandat est maintenu, le ministre des affaires étrangères de la
République démocratique du Congo pourrait-il participer à ces réunions ? Elles sont d'une urgence extrême. A
moins d'admettre au cas par cas que certains de ces Etats se disent : cette décision du juge belge viole le droit
international et nous ne l'appliquerons pas. Mais est-ce là une situation qui est tolérable dans le domaine
international ? Sûrement pas.

En ce qui concerne le préjudice, donc je vous disais, il est irréparable. Les conséquences de la mise à l'écart de la

scène internationale du représentant qualifié de la République démocratique du Congo pendant un temps
indéterminé sont, par essence, de celles que l'on ne répare pas.

D'un jour à l'autre peut apparaître la nécessité d'un voyage à l'étranger, en vue d'une négociation urgente, en liaison
avec la recherche d'une solution pacifique des événements dont souffre actuellement ce pays.

Sans doute peut-on imaginer, ceci a été avancé de manière officieuse, de prétendre que la République mettrait fin
automatiquement au handicap politique que lui inflige le juge belge en changeant de ministre des affaires étrangères.

Mais nul Etat souverain ne peut évidemment accepter que la composition de son gouvernement lui soit dictée par
une puissance étrangère. Une telle prétention de la part de l'étranger est déjà, en soi, une violation de souveraineté.
On a avancé aussi dans des journaux belges des nouvelles officieuses disant que le juge belge était prêt à se dessaisir
et à transmettre le dossier au Congo si le Congo s'engageait à continuer les poursuites initiées par le juge belge. Il
nous semble que lorsqu'un Etat transmet un dossier à un autre, l'autre Etat qui est souverain décide de ce qu'il doit
faire, et là encore nous voyons une suggestion qui est une atteinte à la souveraineté de l'Etat du Congo.

Au demeurant, tant en ce qui concerne l'urgence que le caractère irréparable du préjudice, la demande de la
République démocratique du Congo s'appuie sur le précédent que constitue, vous le savez, l' ordonnance du 15

décembre 1979 (Personnel diplomatique et consulaire, (Etats-Unis d'Amérique c. Iran), C.I.J. Recueil 1979 - prise
d'otages de l'ambassade des Etats-Unis à Téhéran , dans laquelle votre Cour a estimé que la violation de l'immunité
diplomatique créait une situation nécessitant le prononcé d'une mesure conservatoire.

On soutiendrait en vain que la situation de l'ambassade des Etats-Unis en Iran était plus grave, au regard de
l'immunité diplomatique, que l'entrave au déplacement d'un ministre des affaires étrangères : dans le premier cas, il
y avait certes violence physique contre les diplomates et les locaux diplomatiques, mais cette double violation de
l'immunité n'entravait pas la diplomatie américaine, ou si elle l'entravait, c'était dans un seul Etat; dans le second,
dans le cas qui nous occupe aujourd'hui, il n'y a pas d'atteinte physique à la personne du ministre des affaires

étrangères, tant du moins, que le mandat d'arrêt n'est pas exécuté, mais l'Etat subit une entrave de sa politique
étrangère dans le monde entier.

III. En ce qui concerne le caractère sérieux des moyens de la requête au fond

Ici, je voudrais - à ce stade de mon exposé - rappeler, mais brièvement car ce n'est pas le fond du débat aujourd'hui,évoquer le caractère sérieux des moyens de notre requête au fond. Les moyens de droit de la requête au fond sont les
suivants :

1) violation du principe selon lequel un Etat ne peut exercer son pouvoir sur le territoire d'un autre

Etat et du principe de l'égalité souveraine entre tous les Membres de l'Organisation des Nations Unies,
proclamé par l'article 2, paragraphe 1, de la Charte des Nations Unies;

2) violation de l'immunité diplomatique du ministre des affaires étrangères d'un Etat souverain,
reconnu par la jurisprudence de la Cour et découlant de l'article 41, paragraphe 2, de la convention de
Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques.

Il suffit, pour établir le sérieux de ces moyens de reprendre, avec quelques précisions, la présentation qui en a été

faite dans cette requête.

A. En ce qui concerne la violation du principe selon lequel un Etat ne peut exercer son pouvoir sur le territoire d'un
autre Etat et du principe de l'égalité souveraine entre tous les Membres de l'Organisation des Nations Unies,
proclamé par l'article 2, paragraphe 1, de la Charte des Nations Unies

1. La compétence universelle que l'Etat belge prétend s'attribuer par l'article 7 de la loi du 16 juin 1993, et telle que
l'interprète le juge Vandermeersch dans son ordonnance Pinochet, est contraire à la jurisprudence internationale qu'a

fixée l'aorêt rendu par la Cour permanente de justice internationale qu'est la vôtre, dans l'affaire du Lotus ( C.P.J.I.
série A n 10 , 7 septembre 1927).

En effet, la Cour a alors reconnu que la territorialité est un principe du droit international (tout en jugeant que ce
principe n'est pas absolu, en ce sens qu'il ne peut empêcher un Etat de connaître pénalement de faits qui ont été
accomplis en dehors de son territoire s'ils ont produit des conséquences sur celui-ci, comme, dans l'espèce
considérée, à bord d'un navire battant pavillon turc). Ce principe signifie, selon l'arrêt, qu'un Etat ne peut exercer

son pouvoir sur le territoire d'un autre Etat.

Cette formule jurisprudentielle est corroborée aujourd'hui par l'article 2, paragraphe 1, de la Charte des
Nations Unies, aux termes duquel : «l'Organisation est fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses
membres».

Les seuls cas dans lesquels le droit international commun admet exceptionnellement qu'un Etat puisse connaître
pénalement de faits commis sur le territoire d'un autre Etat par un étranger sont, en premier lieu, celui d'atteinte à la

sûreté ou au crédit de cet Etat-là, en second lieu, celui d'infractions graves commises au préjudice de ses
ressortissants.

Il est important de relever à ce sujet que des juristes belges, dans des commentaires de l'article 7 de la loi
du 16 juin 1993, eux-mêmes tout en estimant, sur la base d'une interprétation qui minimise la portée de l'arrêt rendu
dans l'affaire du Lotus, que cet article n'est pas intrinsèquement illicite au regard du droit international, mais émet de
sérieuses réserves sur sa parfaite conformité à ce droit : son exercice pourrait, disent-ils,

«se heurter à des réticences, fondées sur la règle qui interdit à tout Etat d'intervenir dans les affaires
d'autrui»;

«un Etat risque d'engager sa responsabilité internationale si, entendant réprimer chez lui de tels crimes
commis ailleurs, il remet indûment en cause l'équilibre délicat de règlements internes post-conflictuels
dont l'utilité publique est manifeste»;

«la loi ... sous couvert de vouloir promouvoir un meilleur ordre international des choses ... ne fait en

réalité que prolonger malencontreusement l'état naturellement anarchique de la «société»
internationale»;

il résulterait de son application une «monstrueuse cacophonie» (document produit ci-après). Et ici, je voudrais - pure
hypothèse, mais qui illustre mon propos - vous soumettre le cas suivant à vos réflexions. Récemment à Paris, il y a
eu un débat entre deux généraux à la retraite. Tous les deux avaient servi en Algérie. Tous les deux reconnaissaient
que la torture y avait été appliquée, l'un pour la regretter, l'autre pour la justifier. Deux Etats sont concernés par ce
débat : l'Algérie dont les victimes étaient des ressortissants, l'Etat français, la République française, dont ses
généraux sont des ressortissants. Le Gouvernement algérien n'a pris aucune initiative en ce domaine, ni leGouvernement français pour des raisons qui sont les leurs. Imagine-t-on de même, M. Vandermeersch, en vertu de
cette compétence universelle que la Belgique s'attribue demandant à la France l'extradition de ces deux généraux.
Cela illustre bien, si ces mesures n'étaient pas annulées, si cette prétention du Royaume de Belgique à régenter
moralement l'univers n'était pas stoppée, à quel état d'anarchie nous arriverions ?

2. Il est vrai que plusieurs conventions multilatérales pour la répression d'infractions spécialement définies (torture,
autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; terrorisme; infractions aux règles relatives à la
protection physique des matières nucléaires; actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime; capture
illicite d'aéronefs; actes illicites de violence dans les aéroports) prévoient la compétence universelle des Etats
parties.

Mais encore faut-il préciser le mot universel. Précision capitale, elles la subordonnent à la condition que le coupable
se trouve sur le territoire de l'Etat qui exerce les poursuites. Et on le conçoit, c'est déjà une exception au principe de

territorialité, et la compétence universelle s'entend du droit, et sans doute du devoir d'un Etat, de poursuivre un
présumé coupable d'un de ces crimes limitativement énumérés, si ce présumé coupable se trouve sur son territoire.
Et c'est ainsi que dans tous les pays et que dans tous les textes des Nations Unies s'entendent la notion de
compétence universelle. Donc le juge belge et la loi belge prétendent aujourd'hui s'affranchir. Par exemple, outre
l'article 12 bis précité du titre préliminaire du code de procédure pénale belge, l'article 689-1 du code de procédure
pénale français dispose :

«en application des conventions internationales visées aux articles suivants (à savoir les articles 689-2
à 689-7, dont chacun vise l'une des conventions qui viennent d'être énumérées), peut être poursuivie et

jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en France, toute personne qui s'est rendue coupable
de l'une des infractions énumérées par ces articles...» [«[S]i elle se trouve en France.»]

Il s'agit donc ici de chefs de compétence exceptionnels, qui ne tirent leur conformité au droit international que des
traités qui les prévoient. Ils ne relèvent pas du droit international commun.

3. Rien, en l'état de ce droit, n'autorise à considérer qu'une nouvelle exception doive être admise, d'une manière
générale, quant aux crimes de guerre ou aux crimes contre l'humanité.

Sans doute certains Etats ont-ils, à l'occasion de l'adoption de lois destinées à adapter leur législation aux résolutions
du Conseil de sécurité des Nations Unies 827 du 25 mai 1993 et 955 du 8 novembre 1994 instituant des tribunaux
internationaux en vue de juger, respectivement, les personnes présumées responsables de violations graves du droit
international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 et les personnes présumées
responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis en 1994
sur le territoire du Rwanda et, s'agissant des citoyens rwandais, sur le territoire d'Etats voisins, étendu leur
compétence aux crimes ainsi définis au-delà des cas ou soit les personnes présumées responsables, soit les victimes
auraient été leurs ressortissants.

Mais, de telles dispositions ne présentent aucune analogie pertinente avec l'article 7 précité de la loi belge.

En effet, les résolutions susvisées du Conseil de sécurité constituent des interventions dans les affaires d'Etats
souverains que seule justifie la mission de maintien de la paix et de la sécurité internationales dont est investie
l'Organisation des Nations Unies - ici, il n'est pas question d'intervention des Nations Unies au profit de la loi belge
- à laquelle les exposés des motifs de ces résolutions se réfèrent d'ailleurs expressément et qu'aucun Etat ne peut
naturellement usurper. Or, si le Conseil de sécurité déclare les juridictions nationales concurremment compétentes

avec les tribunaux internationaux, sous réserve de la primauté de ceux-ci, pour juger les crimes qu'il définit, il ne
pose aucun critère de cette compétence. Il n'édicte aucune dérogation aux règles de compétence pénale reconnues
par le droit international.

L'exemple des lois françaises 95-1 , du 2 janvier 1995, et96-432 du 22 mai 1996 , qui portent adaptation de la
législation française, à la résolution 827 et à la résolution 955, le confirme. La première dispose, en son article 2,
er
premier alinéa, que «les auteurs ou complices des infractions mentionnées à l'article 1 peuvent être poursuivis et
jugés par les juridictions françaises, s'ils sont trouvés en France...» et, dans l'inéa 2 , n'admet une personne qui se
prétend lésée par l'une de ces infractions à se constituer partie civile en portant plainte en France que si les
juridictions françaises sont compétentes en application de l'alinéa premier. L' article 2 de laseconde loi déclare
notamment applicables aux personnes visées à son article 1 (c'est-à-dire aux personnes présumées responsables
d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international commis sur le territoire du Rwanda) les
dispositions de l'article 2 de la première loi.Une circulaire du ministre français de la justice, en date du 10 février 1995, commentant la loi du 2 janvier 1995 ,
qui rappelle d'ailleurs que «la reconnaissance de cette compétence universelle n'était pas exigée par la résolution du
Conseil de sécurité», explique ainsi la subordination de la compétence des juridictions françaises à la condition que
la personne visée soit trouvée en France : «conformément à la règle traditionnellement édictée en matière de
compétence universelle et dans un souci d'efficacité, le Parlement n'a pas souhaité étendre la compétence des
er
juridictions nationales aux infractions mentionnées à l'article 1 dont les auteurs ne sont pas trouvés en France».

Le PRESIDENT : Excusez-moi, Maître, mais les interprètes ne peuvent plus vous suivre à la vitesse à laquelle vous
allez. Si vous voulez avoir la gentillesse de ralentir un petit peu.

M VERGES : Je vous en prie. Je m'excuse auprès des interprètes.

La circulaire du 22 juillet 1996 commentant la loi du 22 mai 1996 renvoie à celle du 10 février 1995. Le passage de
cette dernière qui vient d'être cité se réfère implicitement au rejet, pendant les débats parlementaires, d'un
amendement qui tendait à supprimer la condition de présence en France pour l'admission de la compétence
universelle des juridictions françaises. L'argument essentiel était l'incompatibilité avec le droit international d'une
compétence universelle sans limite, telle que la propose la loi belge de 1993.

Ainsi les résolutions du Conseil de sécurité ne sauraient être invoquées pour justifier au regard du droit international,
quant aux faits limitativement définis par le temps et le lieu de leur commission, dont elles prévoient la répression,
une loi par laquelle un Etat se prétend inconditionnellement compétent pour connaître de ceux-ci dans le monde

entier.

A plus forte raison ne sauraient-elles l'être pour justifier pareille prétention relativement à d'autres faits, quand bien
même ils seraient de même nature que ceux qu'elles visent mais seraient commis en d'autres lieux et durant d'autres
périodes.

Il va de soi que la convention de Rome du 17 juillet 1998 relative au statut de la Cour pénale internationale, qui ne
vise que les faits commis sur le territoire des Etats parties ou par leurs ressortissants, ne peut non plus légitimer de

telles lois à l'égard de faits prétendument commis en République démocratique du Congo par des ressortissants de
cet Etat, lequel ne l'a pas signée. Et ici qu'il me soit permis d'ouvrir cette parenthèse : le juge belge prétend
condamner des personnes de nationalité congolaise pour des faits commis au Congo - prétendument commis - contre
des citoyens rwandais ou congolais. Est-ce que les pays concernés par ces actes ont pris des mesures judiciaires ?
Est-ce que le Rwanda, dont les prétendues victimes tutsis seraient les ressortissants, a dans ce domaine engagé des
poursuites ? Pas du tout. Et encore moins la République démocratique du Congo. Et nous tombons là dans cet
exemple que je vous donnais qui peut paraître extravagant à propos des deux généraux français. Ici, le juge belge
prétend être compétent et devoir engager des poursuites à propos de faits commis à l'étranger par un étranger contre
des étrangers. Et alors que les Etats, dont aussi bien les présumés coupables que les prétendues victimes seraient des

ressortissants, alors que ces deux Etats estiment qu'il n'y a pas lieu à des poursuites judiciaires. Voilà la situation -
dans d'autres cas, on dirait cocasse, dans le cas actuel, on peut dire dangereuse - dans laquelle nous sommes arrivés.

Au demeurant, rien dans la convention n'autorise les Etats signataires à se déclarer universellement compétents sans
condition. L'article 17 de la convention de Rome du 17 juillet 1998 relative au statut de la Cour pénale
internationale mentionne «un Etat ayant compétence en l'espèce» il ne s'agit pas d'une compétence généralisée; si
on parle d'un Etat ayant compétence en l'espèce, ceci veut dire qu'il y a des Etats qui n'ont pas compétence en
l'espèce - implique par-là même que tout Etat n'est pas nécessairement compétent comme le prétend le Royaume de
Belgique.

Ainsi, l'article précité de la loi belge du 16 juin 1993 et le mandat d'arrêt décerné par le juge en application de cette
loi contreviennent au droit international.

B. En ce qui concerne la violation de l'immunité diplomatique du ministre des affaires étrangères d'un Etat
souverain, reconnu par la jurisprudence de la Cour et découlant de l'article 41, paragraphe 2, de la convention de
Vienne du 18 avril 1961L'exclusion , qui découle de l'article 5, paragraphe 2, de la loi belge, de l'munité du ministre des affaires
étrangères en exercice est contraire à la jurisprudence internationale selon laquelle le droit coutumier et la courtoisie
internationale confèrent au ministre des affaires étrangères, représentant de l'Etat au nom duquel il s'exprime, les
privilèges et immunités diplomatiques. Le cas a déjà été examiné par votre Cour à propos du Groenland oriental .

Cette jurisprudence trouve appui, aujourd'hui, dans l' article 41, paragraphe 2 de la convention de Vienne du 18 avril
1961 qui porte codification des relations diplomatiques, lequel stipule :

«Toutes les affaires officielles traitées avec l'Etat accréditaire confiées à la mission par l'Etat
accréditant, doivent être traitées avec le ministre des affaires étrangères de l'Etat accréditaire, ou par son
intermédiaire, ou avec tel autre ministère dont il aura été convenu».

En l'état de cette règle de droit international, dénier l'immunité diplomatique au ministre des affaires étrangères
serait la négation même de cette immunité.

Or, ce qu'édicte le droit international, la loi d'un Etat ne peut évidemment l'écarter.

Les exceptions à l'immunité diplomatique ne peuvent trouver leur source que dans d'autres règles de droit
international, comme par exemple les résolutions précitées du Conseil de sécurité. Or, comme il a été dit, les faits
allégués dans le mandat d'arrêt litigieux auraient été commis hors du champ d'application de ces résolutions.

Par suite, la disposition précitée de l'article 5, paragraphe 2, de la loi belge du 16 juin 1993 contrevient
manifestement au droit international en tant qu'elle prétend déroger à l'immunité diplomatique, tout comme le
mandat d'arrêt décerné sur son fondement contre le ministre des affaires étrangères d'un Etat souverain.

Il faut ajouter, surabondamment, que cet article, introduit dans la loi du 16 juin 1993 par la loi du 10 février 1999,
est postérieur aux faits visés par le mandat d'arrêt. Or, une loi qui supprime une immunité et, de ce fait, étend le
champ d'une incrimination ratione personae , est une loi de fond qui ne saurait avoir d'effet rétroactif, en vertu d'un

principe qui appartient à l'ordre juridique international.

Il n'est pas demandé à la Cour pour l'instant de se prononcer sur le mérite de ces moyens de droit, mais de constater
qu'ils présentent un caractère sérieux et qu'ils justifient que la République démocratique du Congo ne subisse pas
plus longtemps la capitis deminutio qu'a prétendu lui infliger un juge belge, dont le Royaume de Belgique doit
répondre.

Monsieur le président, Madame et Messieurs, je vous remercie de m'avoir écouté. J'ai dit et j'ai terminé, Monsieur le

président.

Le PRESIDENT : Je vous remercie Maître, je comprends que ceci met fin à la plaidoirie de la République
démocratique du Congo pour ce matin. Je vous remercie beaucoup, dans ces conditions la séance est levée. La Cour
reprendra ses travaux demain à 10 heures pour entendre la réponse du Royaume de Belgique.

L'audience est levée à 11 h 15.

___________

Document Long Title

Audience publique tenue le lundi 20 novembre 2000, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Guillaume, président

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