Audience publique tenue le vendredi 8 mars 1996, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Bedjaoui, président

Document Number
094-19960308-ORA-01-00-BI
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Incidental Proceedings
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1996/4
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CR 96/4

Cour internationale International Court
de Justice of Justice

LA HAYE THE HAGUE

...

ANNEE 1996

Audience publique

tenue le vendredi 8 mars 1996, à 9 heures, au Palais de la Paix,

sous la présidence de M. Bedjaoui, Président

en l'affaire de la Frontière terrestre et maritime

(Cameroun c. Nigeria)

Demande en indication de mesures conservatoires

COMPTE RENDU

YEAR 1996

Public sitting

held on Friday 8 MBrch 1996, at 9 a.m., at the Peace Palace,

President Bedjaoui presiding

-~
.. in the case concerning the Land and Maritime Boundary

(Cameroon v. Nigeria)

Request for the Indication of Provisional Measures

VERBATIM RECORD - 2 -

Présents M. Bedjaoui, Président
M. Schwebel, Vice-Président
MM. Guillaume
Shahabuddeen
Weeramantry
Ranjeva
Herczegh ,
Shi
Fleischhauer
vereshchetin
Ferrari Bravo
Mme Higgins
M. Parra-Aranguren, juges
MM. Mbaye
Ajibola, juges ad hoc

M. Valencia-Ospina, Greffier •

,, - 3 -

Present: President Bedjaoui
Vice-President Schwebel

Judges Oda
Guillaume
Shahabuddeen

Weeramantry
Ranjeva
Herczegh

Shi
Fleischhauer
Koroma

Vereshchetin·
Ferrari Bravo

Higgins
Parra-Aranguren
Judges ad hoc Mbaye

Ajibola

Registrar Valencia-Ospina

.-~. - 4 -

Le Gouvernement du Cameroun est resprésenté par :

s. Exc. M. Douala Moutome, garde des sceaux, ministre de la justice,

comme agent;

M. Joseph Owona, professeur, ministre de la santé,

M. Joseph Marie Bipoun woum, ministre de la jeunesse et des sports,

COIMle conseillers spéciaux;

M. Maurice Kamto, professeur à l'Université de Yaoundé,

M. Peter Ntarmack, doyen, professeur de droit à la faculté de droit
et de science politique de l'Université de Yaoundé II, avocat,

membre de l'Inner Temple,

comme coagents;

M. Alain Pellet, professeur à l'Université de Paris X-Nanterre et à
l'Institut d'études politiques de Paris, membre de la Commission du

droit international,

comme agent adjoint, conseil et avocat;

M. Jean-Pierre Cet, professeur à l'Université de Paris 1
(Panthéon-Sorbonne), député européen, ancien ministre,

S. Exc. M. Paul Bamela Engo, avocat, représentant permanent du
cameroun auprès des Nations Unies, ancien Vice-Président de

L'Assemblée générale des Nations unies, ancien président de la
Sixième Commission de l'Assemblée générale des Nations Unies,

ancien président de la Première Commission de la troisième
conférence des Nations Unies sur le droit de la mer,

comme conseils et avocats;

s. Exc. Mme Isabelle Bassong, ambassadeur du cameroun auprès des

Etats membres du Benelux;

M. Ernest Bodo Abanda, directeur du cadastre, membre de la commission

nationale des frontières,

M. Marc Sassen, avocat et conseiller juridique, La Haye,

M. Joseph Tjop, consultant à la société civile professionnelle
d'avocats Mignard, Teitgen, Grisoni (Paris), chargé d'enseignement

et de recherches à l'Université de Paris X-Nanterre,

comme conseillers;

The Government of Cameroon is represented by - 5 -

H.E. Mr. Douala Moutoume, Keeper of the seals, Minister of Justice,

as Agent;

Professer Joseph Owona, Minister of Health,

Mr. Joseph-Marie Bipoun Woum, Minister of Youth and Sport,

as Special Advjsers;

Professer Maurice Kamto, Professer at the University of Yaoundé,

Dean Peter Ntarmack, Faculty of Laws and Political Science,
University of Yaoundé II, Barrister at Law, Member of the Inner
Temple,

as co-Agents;

Professer Alain Pellet, Professer at the University of
Paris X-Nanterre and the Instituee of Political Studies, Paris,
Member of the International Law Commission,

as Deputy-Agent, Counsel and Advocate, ;

Professer Jean-Pierre Cet, Professer at the University of Paris 1
(Panthéon-Sorbonne), Member of the European Parliament, former
Minister,

H. E. Mr. Paul Bamela Engo, Barrister at Law, Permanent
Representative of Cameroon ta the United Nations, Former

Vice-President of the United Nations General Assembly, Former
Chairman of the Sixth Committee of the United Nations General
.Assembly, Former Chairman of the First Committee of the Third

United Nations Conference on the Law of the Sea,

as Counsel and Advocates;

H. E. Mrs. Isabelle Bassong, Ambassador of Cameroon to the Benelux
countries;

Mr. Ernest Bodo Abanda, Director of the Cadastral survey, Member of
the National Boundary Commission,

Mr. Marc Sassen, Barrister and Legal Adviser, The Hague,

Mr. Joseph Tjop, Consultant at the Civil Law Firm of Mignard Teitgen
Grisoni (Paris), Senior Teaching and Research Assistant at the
. .. University of Paris X-Nanterre,

as Advisers;

M. Pierre Bedeau, allocataire d'enseignement et de recherches à

l'Université de Paris X-Nanterre, et moniteur, - 6 -

M. Olivier Corten, assistant à la faculté de droit de l'Université

libre de Bruxelles,

comme assistants de recherches;

Mme Mireille Jung,

Mme Renée Bakker,

comme secrétaires;

M. Thimotée Tabapsi Famndie, chargé d'affaires à l'ambassade du
Cameroun, La Haye.

Le Gouvernement du Nigéria est représenté par :

s. Exc. le chef M. A. Agbamuche, SAN, honorable Attorney-General de
la Fédération du Nigéria et ministre de la justice,

comme agent;

Le chef Richard Akinjide, SAN, ancien Attorney-General du Nigéria,

ancien membre de la Commission du droit international,

comme coagen t ;

M. Ian Brownlie, CBE, QC, FBA, professeur de droit international
public à l'Université d'Oxford, titulaire de la chaire Chichele,
membre du barreau d'Angleterre,

Sir Arthur Watts, KCMG, QC, membre du barreau d'Angleterre,

M. James Crawford, professeur de droit international, titulaire de la
chaire Whewell à l'Université de Cambridge, membre du barreau
d'Australie,

comme conseils et avocats;

M. Timothy Daniel, membre du cabinet D. J. Freeman de la City de

Londres,

M. Alan Perry, membre du cabinet D. J. Freeman de la City de Londres,

Mme Caroline Smith, membre du cabinet D. J. Freeman de la City de ..
Londres,

...
comme Solicitors;

M. Oye Cukwurah, professeur de droit international et membre de la
commission nationale des frontières,

Mr. Pierre Bedeau, Teaching and Research Assistant at the University
of Paris X-Nanterre, and Monitor, - 7 -

Mr. Olivier Corten, Assistant at the Law Faculty of the Free
University.of Brussels,

as Research Assistants;

Mrs. Mireille Jung,

Mrs. Renée Bakker,

as Secretaries;

Mr. Thimotée Tabapsi Famndie, Ch~rgé d'Affaires at the Ernbassy of
Cameroon, The Hague.

The Government of Nigeria is represented by :

chief M. A. Agbamuche, SAN, Hon. Attorney-General of the Federation
of Nigeria and Minister of Justice,

as Agent;

Chief Richard Akinjide, SAN, Former Attorney-General of Nigeria,
Former Member of the International Law Commission,

as co-Agent;

Professer Ian Brownlie, CBE, QC, FBA, Chichele Professer of Public
International Law, Oxford; Member of the English Bar,

Sir Arthur Watts, KCMG, QC, Member of the English Ba.r,

Professer James Crawford, Whewell Professer of International Law,
University of Cambridge; Member of the Australian Bar,

as Counsel and Advocates;

Mr. Timothy Daniel, D. J. Freeman of the City of London,

Mr. Alan Perry, D. J. Freeman of the City of London,

Ms Caroline Smith, D. J. Freeman of the City of London,

as Solicitors;
" .

Professer Oye Cukwurah, Professer of International Law and Member of
the National Boundary Commission,
.. - 8 -

M. I. A. Ayua, professeur de droit et directeur général de l'Institut
de hautes études juridiques du Nigéria,

M. A. H. Yadudu, conseiller spécial du chef de l'Etat pour les
questions juridiques, commandant en chef des forces armées du
Nigéria,

M. M.· Nwachukwu, chargé d'affaires, ambassade du Nigéria aux
Pays-Bas,

Mme Stella Omiyi, directeur au département de droit international et
comparé du ministère fédéral de la justice,

M. Epiphany Azinge, professeur de droit associé et assistant spécial
de l'Attorney-General,

M. M. M. Kida, avocat, ministère des affaires _étrangères,

Général de brigade D. Zakari, directeur des opérations du Quartier
général de la défense au ministère de la défense,

comme conseillers.

. . - 9 -

Professer I. A. Ayua, Professer of Law and Director General, Nigerian

Institute of Advanced Legal Studies,

Dr. A. H. Yadudu, Special Adviser {Legal Matters) to Head of State,
Commander in Chief of Armed Forces of Nigeria,

Mrs. Stella omiyi, Director, International and Comparative Law
Department of the Federal Ministry of Justice,

Dr. Epiphany Azinge, Associate .Professer Df.Law.and.Special Assistant
to the Attorney-General,

Mr. M. M. Kida, Barrister at Law, Ministry of Foreign Affaira,

Brigadier-General D. Zakari, Director of Operations, Defence
Headquarters, Ministry of Defence,

Mr. M. Nwachukwu, Chargé d'Affaires, Embassy of Nigeria, The Hague,
--
as Advisers. - 10 -

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. La Cour reprend ses audiences

relatives à la demande en indication de mesures conservatoires formulée

par le Cameroun dans l'affaire de la Frontière terrestre et maritime

entre le Cameroun et le Nigéria. Je donne la parole tout de suite au

professeur Jean-Pierre Cet.

M. COT : Monsieur le Président, Madame, Messieurs de la Cour, il me

revient de faire, au nom-du Cameroun, une mise au point sur les faits.

La pa.rtie nigériane a présenté avec talent sa version des faits. Elle a

apporté un ensemble de précisions qui a pu faire impression. Le

professeur Brownlie s'est mêmepermis de nous tancer sur la légèreté de

nos affirmations : «The perversive lack of specificities concerning_the

facts ... » (CR 96/3, p. 29) ou encore, à propos de notre mémoire :

«The evidence presented . . . is beth inadequate in substance
and unreliable otherwise ... The material is tc a great extent

unsupported by documentary or ether evidence.» (CR 96/3.)

J'ai beaucoup d'admiration pour le professeur Brownlie. Mais je

pense qu'il faut être prudent lorsqu'on s'exprime ainsi surtout devant

votre haute juridiction. Je doute que vous vous laissiez impressionner

par l'argument d'autorité. Et que vous considériez un fait établi parce

qu'il a été simplement avancé par l'agent ou le conseil de l'une ou de •

l'autre Partie.

Avancer des faits sans élément de preuve, Monsieur le Président, est

un exercice périlleux. On court le risque d'être pris en défaut sur tel

ou tel élément de fait. Ce qui jette alors la suspicion sur l'ensemble

des affirmations.

Et je crains que ce ne soit la mésa.venture qui guette nos amis de

l'autre côté de la barre. C'est ce que nous appelons chez nous

l'histoire de l'arroseur arrosé et je vais tenter de vous le montrer. - 11 -

Mais, auparavant, vous me permettrez un bref rappel de quelques

règles de preuve auxquelles vous tenez.

Votre procédure, principalement écrite, vous permet de vérifier la

validité des arguments avancés à l'aide de documents produits à l'appui .


Si possible authentiques, sinon certifiés conformes.

Votre système de preuves n'est pas formaliste. Il tient compte de la

diversité des traditions juridiques que vous représentez. Vous puisez

dans ce fond commun le meilleur de ce que chacun de nos droits peut

offrir. Vous tenez compte de la spécificité du litige international, qui

oppose des Etats souverains.

Votre procédure, accusatoire plutôt qu'inquisitoire, repose sur

l'active collaboration des parties dans !•établissement des preuves.

Comme le faisait observer Witenberg, à l'Académie de droit

international en 1936

«Les Etats litigants ont non seulement le droit, mais aussi
le devoir de prouver. Ils ont une véritable obligation de
collaborer à une exacte information du juge international.» (La

théorie des preuves devant les juridictions internationales,
RCADI, vol. 56 (1936-II), p. 97.)

Les règles de preuve ne sont pas différentes· pour une procédure

incidente comme celle-ci, ce sont les mêmes que pour une procédure

principale.

Nous sommes certes dans le cadre d'une procédure orale. Cela ne nous

dispense pas de l'obligation d'apporter des preuves à l'appui de nos

dires, toutes les preuves possibles, afin de remplir cette obligation de

collaboration dont parle Witenberg.

Certes, vous tenez compte de la spécificité d'une procédure incidente

comme celle qui se déroule aujourd'hui devant vous. M. Shahabuddeen

faisait observer, dans son opinion individuelle sur l'application de la

convention sur le génocide, que dans nos système de droit interne, les - 12 -

procédures avant dire droit n'étaient pas soumises aux mêmes exigences en

matière d'administration de la preuve que les procédures sur le fond, en

particulier en matière d'admissibilité d'éléments de preuve indirecte

(«Hearsay evidence») (C.I.J. Recueil 1993, p. 358).

Cet assouplissement dans l'application de la règle ne porte

évidemment en rien atteinte aux principes qui régissent votre procédure

en la matière.

Mais justement, dans l'hypothèse où l'urgence complique le

rassemblement des données, il importe de préserver pleinement le

caractère contradictoire de la procédure afin que chaque pièce produite

puisse être examinée, retournée, discutée par l'autre partie conformément

à l'article 74, paragraphe 3, de votre Règlement.

Vous admettez sans doute que des documents puissent être déposés

jusqu'à la clôture de la procédure orale, mais ceci dans le strict

respect des principes de la procédure contradictoire.

Après ce bref rappel, Monsieur le Président, j'en viens maintenant à

nos dossiers respectifs de plaidoirie.

Le Cameroun aurait souhaité pouvoir présenter un dossier plus étoffé

à la Cour.


Les contraintes propres à la présente procédure ne nous ont pas

permis de faire mieux sur les affrontements armés qui se sont déroulés

depuis le 3 février.

Mais que dire alors du dossier du Nigéria malgré l'ajout de ce matin.

Je pensais que, dans la foulée des déclarations de ses éminents

conseils, nous serions accablés de documents, de témoignages plus

authentiques les uns que les autres or, rien du tout. Ou fort peu.

Quelques dépêches d'agences, qui ne sont pas inintéressantes, j'y

reviendrai, et trois ou quatre télégrammes qui nous ont été fournis pouri '

- 13 -.

le second tour. Mais, pour l'essentiel, les affirmations avancées par

nos collègues le sont sans preuves à l'appui, le sont sans fondement, en

bon français cela s'appelle une allégation. Une allégation peut être

conforme au fait. Mais elle peut aussi lui être contraire. C'est ce que

nous allons voir.

~. Prenons d'abord la contestation par nos adversaires de nos propres

dires.

- Les êlections locales

«In all the years that cameroon claimed to have had an

active presence, it never held local elections.» (CR 96/3,
p. 18.)

Je prie respectueusement la Cour de se reporter à l'étude de l'ORSTOM

de juin 1973 qui fait état des résultats des élections de 1970 (mémoire

du Cameroun, livre V, annexe 244, p. 9).

Le Nigéria passé sous silence ces élections de même qu'il passe sous

silence les élections législatives et présidentielles qui ont eu lieu

sans encombre en 1992 dans la péninsule de Bakassi, et dont nous

indiquons les résultats dans notre dossier de plaidoirie.

Enfin, l'agent du Nigéria semble insinuer que le Cameroun a organisé

les élections locales à Bakassi après avoir renforcé sa présence

militaire et pour illustrer l'exercice de sa souveraineté sur la

péninsule.

Nous aurions obligé les populations de nationalité nigériane se

trouvant sur les lieux à participer au scrutin. Et le Ministre de

souligner «The whole exercise bears a strong flaveur of forensic

theatre.»

Vous me permettrez trois observations sur ce scrutin. - 14 -

1. Les élections locales ont sans doute eu lieu à Bakassi à la date

indiquée, mais pas seulement à Bakassi, dans l'ensemble du Cameroun en

même temps qu'à Bakassi. Monsieur le Président, Madame, Messieurs de la

Cour, faites nous le crédit quand même de penser que nous n'avons pas

mobilisé tout le corps électoral camerounais de Maroua jusqu'à Kribi

simplement pour prouver que le bureau de.vote d'Idabato était en état de

fonctionner.

2. Si les autorités camerounaises ont tenté, comme le laissent

entendre nos adversaires, de forcer la main aux nationaux nigérians pour

participer au scrutin, le résultat n'est pas très convaincant. Et c'est

M. Brownlie lui-même qui, dans sa seconde intervention, soulignait

justement la modestie de la participation électorale à Bakassi (CR 96/3,

p. 69).

Je constate d'ailleurs, Monsieur Brownlie, que cette faible

participation est une constante à Bakassi, puisqu'on retrouve les mêmes

proportions dans le scrutin de 1970, et je vous demande de vous reporter

ici à l'étude de l'ORSTOM précitée.

3. Monsieur Brownlie, vous ajoutez inutilement à mes yeux

«What a great hamage to democratie norms.»

Je n'aurais pas soulevé ce point si vous n'y aviez pas fait allusion.

Je ne suis pas certain que le régime actuel du Nigéria soit le mieux

placé pour donner des leçons de démocratie à la République du Cameroun.

Enfin, parmi ces scrutins, manque le scrutin le plus important :

celui qui a donné naissance à la République du Cameroun, telle qu'elle

est constituée aujourd'hui.

Je veux parler du plébiscite du 11 février 1961 organisé par les

Nations Unies au Cameroun britannique et notamment à Bakassi. - 15 -.

A la suite de ce plébiscite organisé par un organisme impartial, le

cameroun a exercé pacifiquement sa souveraineté sur la presqu'ile de

Bakassi dès 1961 et non en 1973, comme le prétendent à tort nos éminents

adversaires (CR 96/3, p. 64).

J'en arrive à la contestation par les conseils du Nigéria, de

l'exercice de la souveraineté camerounaise sur.Bakassi.

Vous trouvez que nos éléments de preuve inclus dans le mémoire sont

contestables ?

Messieurs les conseils du Nigéria, mais conte.stez, mais réfutez

ou bien. ne dites rien.

Par ailleurs, je note une certaine prudence de formulation par les

porte-parole du Nigéria sur cette question de l'exercice pacifique par

l'administration camerounaise de la souveraineté territoriale sur

Bakassi. Les représentants du Nigéria, dans leurs interventions, se sont

bien gardés de mettre en cause la présence de l'administration civile

camerounaise sur la presqu'île de Bakassi.

J'ai bien noté

- l'agent du Nigéria a déclaré :

«unlike Nigeria which bas a number of military installations in

Bakassi, Cameroon has no fixed military positions there»
(CR 96/3, p. 13).

- le coagent du Nigéria, de son côté, confirmait ;

«I repeat, Mr. President, tbat prier ta February 3, 1996,

Cameroon bad no military positions in Bakassi.» (Ibid., p. 66.)

Nous reviendrons sur la question des positions militaires, notamment

pour répondre à la question de M. Schwebel.

Mais j'observe que la Partie nigériane se garde de contester

l'existence d'une administration civile camerounaise sur la péninsule

avant le 3 février dernier. - 16 -

Pour conclure sur ce premier point, Monsieur le Président, il me

semble que nos adversaires n'ont pas réussi à ébranler la véracité de nos

dires, â-~mettr ee doute les faits que nous avançons pour établir que les

autorités camerounaises étaient bien chez elles, à Bakassi, avant le

3 février 1996. •

La Cour appréciera.

Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour, venons-en

maintenant aux faits avancés sans preuve par la Partie adverse.

Je n'insiste pas sur l'habitude d'enfoncer les portes ouvertes.

ce n'était vraiment pas la peine de se donner tant de mal pour

expliquer que Bakassi était administré à partir de Calabar avant '

l'indépendance (CR 96/3, p. 61).

Chacun sait que le Royaume-Uni, puis le Nigéria, administraient le

Cameroun méridional à partir de la région orientale du Nigéria à

l'époque.

Nous avons exposé tout cela dans notre mémoire (vol. I, p. 216 et

suiv.).

Mais contrairement à ce que la Partie adverse laisse entendre par une

habile confusion, on ne saurait en tirer la moindre conclusion quant au

titre de souveraineté postérieurement au plébiscite de 1961.

Plus grave est l'affirmation par l'agent du Nigéria d'un important

renforcement des effectifs militaires du Cameroun à Bakassi à la veille

de l'affrontement du 3 février.

Vous vous souvenez du tableau brossé par Chief Abamuche qui est entré

dans le détail

navires, hélicoptères;

BO véhicules tout terrain;

un conteneur de mortiers de Bl mm; - 17 -

380 lance-roquettes, auxquels se sont ajoutés 400 lance-roquettes

supplémentaires au mois de septembre;

120 mitrailleuses de type 86, etc.

Et encore, l'agent du Gouvernement du Nigéria précisait-il : «Time

(CR 96/3, p. 20.}
does not permit me ta tell the Court all the details.»

Voilà en tout cas un gouvernement fort bien renseigné :

à la dizaine de mitrailleuses près, si j'ai bien compris;

ce qui semble difficilement compatible avec la thèse de l'attaque

surprise;

à moins que la qualité du renseignement nigérian se soit brutalement

effondré entre septembre 1995 et février 1996.

Mais, Monsieur le Président, de plus ce «military build-up» me laisse

un peu songeur.

Car les forces en présence de part et d'autre de la frontière sont

tout de même déséquilibrées. Je tire mes chiffres de l'Année

stratégique 1995, publiée sous la direction du professeur Boniface, à

Paris, les voici, et je pense gue les autres Annuaires stratégiques

donnent à peu près les mêmes ordre de grandeur

- armée de terre : Nigéria : 62 000 hommes

équipée de 178 chars de combats, 100 chars légers, etc.

- armée de terre : Cameroun : 13 000 hommes

aucun char, 14 véhicules blindés de combat.

- marine : Nigéria : 5000 marins

1 frégate., 53 garde-côtes, 2 corvettes, 6 vedettes lance-missiles.

- marine : Cameroun 1300 marins

2 garde-côtes, 1 vedette lance-missiles.

- aviation : Nigéria : 95 avions de combat,

15 hélicoptères armés - lB -

- aviation Cameroun 14 avions de combat,

4 hélicoptères armés

Et l'on voudrait nous faire croire, Monsieur le Président, que le

Cameroun a préparé dans le plus grand secret une offensive qu'il espérait

victorieuse sur la péninsule de Bakassi contre le Nigéria.

Au demeurant, l'issue des combats ne pouvait faire de doute c'était

le pot de terre contre le pot de fer.

Le récit des combats tels qu'il nous est transmis par les télégrammes

des autorités locales et des responsables militaires camerounais

- documents que nous avons fournis dans notre dossier de plaidoirie - me

paraît tout de même plus crédible :

C'est celui d'une gendarmerie camerounaise succombant sous le poids

d'un adversaire nombreux et bien équipé.

Autre affirmation sans preuve, le Nigéria dit qu'il est chez lui à

Bakassi. Qu'il n'a pas à se retirer des positions qu'il occupait avant

le 3 février.

Mais où êtes-vous ? Où étiez-vous ? Nous ne le dites à aucun moment

de vos plaidoiries, ni dans aucun de vos documents.

Là encore, l'affirmation me paraît gratuite, approximative.

Nous, nous disons que vous étiez à Archibong, nous disons que vous

étiez à Jabane, nous disons que vous étiez à Diamond Point, un point

c'est tout.

Enfin, et pour couronner le tout, Monsieur le Président, Madame et

Messieurs de la Cour, les contrevérités avancées par nos adversaires. Ce

sera le troisième point de mon exposé.

Monsieur le Président, Madame, Messieurs de la Cour, il y a diverses

manières d'énoncer des contrevérités. - 19 -

Permettez-moi de commencer par l'album de photos que nous a fait

distribuer la. partie adverse. Les photos .sont belles . Je n'ai jamais

été à Bakassi mais j'ai été pas loin de là à Buera et j'y ai retrouvé ce

ciel plombé, cette humidité, ce sentiment d'humidité étouffante,

inhospitalière qui caractérise ces lieux et qui doit être évidemment

aggravé dans la péninsule par la forêt de mangroves.

ces photos sont belles, elles disent tout cela, elles disent un peu

trop de choses, Monsieur le Président.

Prenons la photo page 15, intitulée «Health Center at Atabong West».

on y voit un centre de santé, un drapeau nigérian, une pancarte

"Kubu-Bako Comprehensive Health Centre" Atabong- Akwa Ibom State Nigeria.

Malheureusement, Monsieur le Président, Madame, Messieurs de la Cour,

nous avons de notre côté retrouvé les archives relatives à la

construction de ce centre de soin de santé par les autorités

camerounaises.

sa construction en 1976

sa rénovation en 1980

sa réparation en 1986

avec même une photo, très mauvaise - la télécopie n'est pas excellente

entre Yaoundé et La Haye !, je le crains- où l'on reconnaît les

caractéristiques générales du bâtiment et où l'on voit, à peu près, que

c'est bien de cela qu'il s'agit. Nous ferons évidemment parvenir à la

Cour aussitôt que nous le pourrons la photographie originale pour

confirmer cette analyse.

Monsieur le Président, lorsque, mardi dernier, j'évoquais l'hypothèse

de villages Potemkine, vous savez ces villages que le premier ministre

russe avait fait construire au passage de l'Impératrice Catherine II pour - 20 -

illustrer l'état éblouissant de l'Empire ou plutôt pour le faire croire à

son Impératrice, je ne pensais pas que nos adversaires s'empresseraient

d'illustrer mon propos avec un album de photos.

Seconde contrevérité : les manŒuvres militaires communes au Nigéria

et au Cameroun, organisées au lendemain de l'affrontement du 3 février

dernier.

Je cite l'agent du Nigéria :

«In the immediate aftermath of the violent clash of
3 February 1996, Nigerian troups took part in a joint military
exercise called «Mount Cameroon Run», a physical training

exercise ... - We did so as a confidence-building measure. »
(CR 96/3, p. 12.}

Et sir Arthur Watts de récidiver :

«Within days of the incidents in the Atabong area, elements
of the Nigeria armed forces were, on the insistence of Cameroon,
participating with members of the Cameroon armed forces in joint

exercises in Cameroon - very far from the behaviour one would
expect if a real and serious dispute had erupted.» (CR 96/3,
p. 36-37.)

Nous avons été un peu stupéfaits, je dois le dire, Monsieur le

Président, d'apprendre tout ceci. L'état~major camerounais nous avait-il

caché ces manŒuvres communes au lendemain des graves incidents du

3 février ?

Mais heureusement, notre équipe s'honore, Monsieur le Président, de

compter dans ses rangs un éminent spécialiste du droit international

africain, le professeur Bipoun Oum, gui est en même temps ministre de la

jeunesse et des sports.

Vous trouverez dans notre second dossier de plaidoiries un dossier

complet sur les manŒuvres militaires en question.

Je dois dire que la petite photo au bas de la première page

ressemble davantage au départ du marathon de New York qu'à des troupes de

combat 'en train de crapahuter. - 21. -

Cette épreuve est placée sous liautorité et le patronages de

l'association des comités nationaux olympiques d'Afrique et de l'Unesco,

dont je ne savais pas que la vocation était de patronner des manoeuvres

militaires.

Monsieur le Président, quand j'étais jeune, il y a quelque temps de

cela, j'avais une passion pour les concours hippiques. L'école italienne

de saut d'obstacle dominait alors la discipline avec les frères d'Inzeo,

Pierra et Raimondo d•Inzeo, l'un lieutenant, l'autre capitaine,

toujours impeccablement sanglés dans leurs uniformes. Ils montaient

divinement bien, face à l'anglaise Pat Smythe, face au français

Jonquières d'Oriola qui, eux, étaient des civils. Personne n'aurait songé

qualifier le concours hippique international de Paris, de «joint military

exercise», ou l'épreuve de barrage pour dépa.rtager les deux premiers

cavaliers de «Confidence building measure ... »

L'invitation faite à l'équipe nigériane de participer à la course de

l'espoir au mont Cameroun peut à juste titre être interprétée comme une

volonté camerounaise d'apaiser les esprits. Mais c'est une autre

contrevérité que de la qualifier de manoeuvre militaire conjointe.

Et maintenant, arrivons-en au fait essentiel pour cette phase de la

procédure, Monsieur le Président.

Quelles étaient les positions des uns et des autres à la veille du 3

février dernier ? Et ce faisant je veux répondre au nom de la République

du Cameroun à la question qui a été posée par M. Schwebel.

·Les Nigérians disent qu'ils étaient partout, mais ils ne précisent

aucune position, nous l'avons vu. Nous nous disons, je réponds ici au

nom de la République du Cameroun que nous étions à

- Idabato I,

- Idabato II, - 22 -

- Guidi-Guidi,

- Kombo a Janea,

- Kombo Miyangadu,

- uzama,

- Inokoi,

- Kombo Abedimo.

Cependant que les Nigérians occupaient sur la presqu'île de Bakassi

- Archibong,

- Akwa,

- Jabane, et

- Diamond Point.

Nous le disons, Monsieur Schwebel, preuves à l'appui, celles que nous

avons apportées à l'appui de nos dires dans notre mémoire, mais aussi

celles qu'apporteront nos adversaires dans leur dossier de plaidoirie.

Monsieur le Président, Madame, Messieurs de la cour,

Je vous prie de vous reporter ici au dossier de plaidoirie nigérian.

Sous la cote n° 13, vous trouverez un article soumis comme «evidence»

par le Nigéria, un article du Sun.day Champion du 18 février 1996.

J'y lis en conclusion

«Nigerian Troops, under the overall Command of the 82nd
division of the Nigerian Army, have since 1994, occupied the

Archibong west side while the camerounians have occupied the
western half in the islands located on the ail rich Gulf of
Guinea.»

Et si vous reprenez la petite carte que nous avons distribuée, il est

clair que nous retrouverons ici les positions que nous avons indiquées de

part et d'autre.

Continuons. Cote no 16, du "evidence" nigérian, le journal nigérian

Newswatch du 26 février 1996 relate un ensemble d'incidents sur Bakassi.

Le dernier date de 1991. Et il conclut : - 23 -

«It was after this that the cameroonians extended their
authority to Abana, Bakassi's most populous settlement.»

Je ne veux pas tirer de ces articles plus que ne l'on peut y mettre,

mais je constate néanmoins que nos adversaires complètent, confortent,
.•
confirment les dires de la République du Cameroun.

Monsieur le Président, dans un litige frontaiier, il est normal que

chacun se prétende chez soi sur le territoire disputé. C'est même le

propre d'un tel litige. Mais ici, le litige n'est pas théorique.

L'affrontement a fait des victimes, civiles et militaires, le dossier de

presse nigérian en témoigne, car la majeure partie de la population de la

zone de combats est d'origine nigériane, nous le savons, et s'est trouvée

soignée dans les hôpitaux nigérians.

Les pertes camerounaises sont probablement plus lourdes qu'on ne l'a

dit si j'en crois les dernières estimations militaires, qui s'inquiètent

sur le sort de la bonne centaine de militaires camerounais disparus.

L'affrontement a repris au lendemain de la médiation de Kara. Il peut

reprendre à tout moment, comme le souligne le ministre camerounais

délégué à la présidence dans son évaluation de la situation à la date du

23 février dernier que vous trouverez dans notre dossier de plaidoiries

sous la cote K en donnant des indications concrètes qui nourrissent son

inquiétude.

Je ne comprends pas sur ce point l'obstination de la Partie nigériane

à nier la gravité de la situation.

Que nous ayons des opinions différentes sur les responsabilités

encourues dans ces affrontements armés, c'est inévitable.

Mais soyons au moins d'accord pour constater que les affrontements

ont déjà coûté trop cher en atteintes aux personnes et aux biens.

Ce constat minimal des faits ne devrait pas nous opposer. - 24 -

A défaut, Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour,

c'est à vous de faire ce constat. Comme le rappelait le juge ad hoc

Elihu Lauterpacht dans l'affaire de l'Application de la convention sur le

génocide : «Tribunals may not and do not close their eyes to facts that

stare them in the face.» (C.I.J. Recueil 1993, p. 423.)

Je n'ai sûrement pas l'intention d'établir un parallèle entre

l'affaire de l'Application de la convention sur le génocide et celle

actuellement devant vous sur notre frontière terrestre et maritime.

Mais je crois qu'ici les faits s'imposent à nous. They staring us in

the face.

Et qu'il vous appartient d'en tirer les conséquences que va

maintenant analyser mon collègue et ami Maurice Kamto.

Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour, je vous

remercie de votre attention. Monsieur le Président, je vous prierai

maintenant d'appeler à la barre le profeseur Kamto.'

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Jean-Pierre Cot, et je

donne la parole au professeur Kamto.

M. Maurice ~TO Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la

Cour,

1. Je reviens devant vous dans ce second tour des plaidoiries du

Cameroun relatives à sa demande en indication des mesures conservatoires

pour essayer de dissiper le doute éventuel semé par les plaidoiries

nigérianes de mercredi sur le caractère approprié des demandes

camerounaises que nous croyions suffisamment établi par la plaidoirie du

professeur Jean-Pierre Cot. - 2S -

2. Mais avant de montrer en quoi ces demandes sont conformes aux

principes juridiques applicables en la matière, je voudrais d'abord

examiner plus au fond la nature des demandes du Nigéria contenues dans sa

lettre du 16 février 1996 à la Cour, ce·qui me permettra d'exprimer

incidemment la position du Cameroun sur la question posée à ce sujet par

M. Guillaume à la République fédérale du Nigéria.

1. La lettre du Nigéria du 16 février 1996 à la Cour est une demande

reconventionnelle

Monsieur le Président, dans cette lettre :

«The Nigerian Government hereby invites the International
Court of Justice to note this protest and call the Government of

Cameroon to arder ... Finally, the Government of Cameroon should
be wa.rned to desist from further harassment of Nigerian citizens

in the Bakassi Peninsula until the final determination of the
case pending at the International Court of Justice.»

4. Pour le Cameroun, on ne peut interpréter de telles demandes

autrement que comme une demande reconventionnelle visant à obtenir de la

cour !'«indication de mesures conservatoires qui ne disent pas leur nom».

5. Si tel est bien le cas, Monsieur le Président, il apparaît alors

sans conteste que le Nigéria reconnaît la compétence de cette Cour, au

moins prima facie, comme l'a montré le professeur Alain Pellet mardi

dernier sans réponse de la part du Nigéria jusqu'à présent. Car on ne

peut demander à une Cour de se prononcer sans admettre, au moins

prima facie, sa compétence; cela me semble être une démarche élémentaire.

Mais, dans ce cas, les objections adressées par le Nigéria aux demandes

formulées par le Cameroun, et sur lesquelles on reviendra dans un

instant, s'opposent plus sérieusement à la demande implicite en

indication de mesures conservatoires ainsi formulée reconventionnellement

par le Nigéria. - 26 -

6. Tout d'abord, cette demande est déséquilibrée dans la mesure où

les mesures sollicitées de la Cour par le Nigéria s'adressent seulement

au Cameroun. Elles ne visent pas du tout à préserver les droits des deux

Parties au différend conformément à une jurisprudence abondante de la

cour confirmée récemment encore par l'ordonnance rendue en l'affaire de

l'Application de la convention sur le génocide .(ordonnance du 8 avril

1993) dans laquelle la cour déclare :

«Considérant que le pouvoir d'indiquer des mesures

conservatoires conféré à la cour par l'article 41 de son Statut
a pour objet de sauvegarder le droit de chacune des parties en
attendant que la cour rende sa décision et présuppose qu'un

préjudice irréparable ne doit pas être causé aux droits en
litige dans une procédure judiciaire.» {Ordonnance du 8 avril
1993, p. 20, par. 34. Voir dans le même sens l'affaire de

1 'Anglo-Iranian Oil Co, C.I.J. Recueil 1951., p. 93 ; affaire du
Plateau continental de la Mer Egée.)

7. Or, que ce soit le «rappel à l'ordre» ou la «mise en garde»,

les mesures demandées par le Nigéria visent, Monsieur le Président, à

éteindre des droits que le Cameroun exerce légitiment et de façon

constante depuis longtemps, au titre de l'administration de son

territoire dans la péninsule de Bakassi, au profit du Nigéria qui n'a que

des prétentions du reste injustifiées et illégitimes sur la péninsule.

B. Ensuite, les mesures conservatoires demandées

reconventionnellement par le Nigéria préjugent du fond. On voit mal, en

effet, comment la Cour pourrait demander au Cameroun de cesser ses actes

d'administration sur Bakassi sans que cela apparaisse comme une

reconnaissance de l'appartenance de cette presqu'île au Nigéria, alors

même·que la détermination de la souveraineté sur ce territoire constitue

des questions que la cour est priée de trancher au fond.

9. Or, dans le paragraphe 34 précité de son ordonnance sur l'affaire

de l'Application de la convention sur le génocide, pour ne citer qu'une

décision récente de la Cour, celle-ci poursuit : - 27 -

«et considérant qu'il s'ensuit que la Cour doit se préoccuper de
sauvegarder par de telles mesures (i.e. les mesures

conservatoires] les droits que l'arrêt qu'elle aura
ultérieurement à rendre pourrait éventuellement reconnaître
soit au demandeur, soit au défendeur ... • (C.I.J. Recueil 1993).

10. Pour ces deux raisons fondamentales donc, â savoir le caractère

univoque des mesures demandées par le Nigéria reconventionnellement,

d'une part, et le fait que ces mesures préjugent du .fond de. l'affaire, la

Cour ne saurait, Monsieur le Président, adjuger ses demandes au Nigéria.

11. Si, en revanche, le Nigéria n'a pas entendu, par sa lettre du

16 février 1996, présenter â la Cour une demande reconventionnelle visant

à l'indication des mesures conservatoires, alors cette lettre est sans

objet, n'a pas de place dans une procédure judiciaire, et le cameroun

prie la Cour de bien vouloir considérer cette lettre comme nulle et non

avenue et de l'écarter par conséquent purement et simplement des pièces

de la présente procédure.

~~- Les mesures conservatoires demandées par le Cameroun sont appropriées
et fondées en fait et en droit

Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour,

12. Dans ses plaidoiries d'avant-hier, le Nigéria affirme qu'il n'y a

pas de raisons substantielles pour que les mesures conservatoires

~demandées par le Cameroun soient indiquées par la Cour. Mais, même s'il

y avait des raisons d'indiquer de telles mesures, la demande camerounaise

se heurterait, selon le Nigéria, à cinq objections que je va.is examiner

successivement

Premièrement, la situation qui prévaut à Bakassi depuis le
3 février 1996 ne serait pas, de l'avis du Nigéria, génératrice de
préjudices irréparables

Malheureusement, elle l'est. - 28 -

13. Monsieur le Président, s'appuyant sur l'opinion dissidente du

Professeur Jiménez de Aréchaga dans l'affaire du Plateau continental de

la mer Egée aussi bien que sur l'ordonnance rendue par la cour dans cette

affaire, le Nigéria (CR 96/3, p. 11 et suiv.) rappelait que pour indiquer

des mesures conservatoires, la cour doit prendre en compte, entre autres,

la question de savoir ~wether the acta complained of are capable of

causing or of threatening irreparable prejudice to the rights invoked»

(C.I.J. Rec. 1976, p. 15). Le Cameroun souscrit à cette exigence qui

correspond du reste à la jurisprudence constante de la Cour.

14. Mais pour asseoir sa démonstration, le Nigéria estime que «it is

useful tc compare the circumstances of the present case with the Request

for Interim Measures in the Aegean Sea Continental Shelf case» (CR 93/3,

p. 25, les italiques sont de moi).

15. Or, à la vérité, les circonstance de fait sont radicalement

différentes dans les deux espèces. La Cour se souvient que dans l'affaire

du Plateau continental de la mer Egée, il s'agissait des activités de

recherche sismique entreprises par le navire turc MTA SISMIK I dans la

mer territoriale et en haute-mer, ce navire se livrant à des explosions

sous-marines de faible ampleur dans des zones du plateau continental de

la mer Egée qui, selon le Gouvernement grec, relevaient de la Grèce (voir

ordonnance du 11 septembre 1976, par. 16, p. 8).

16. Votre Cour constatait en l'espèce :

«Que nul n'a prétendu que la Turquie se livrait à des
opérations comportant l'appropriation effective ou tout autre

usage des ressources naturelles dans les zones contestées du
plateau continental.» (Ordonnance du 11 septembre 1976, par. 30,
p. 11.)

17. Si la Cour estima que la violation éventuelle des droits de la

Grèce était «susceptible de réparation par des moyens appropriés» et

refusa, ce disant, d'indiquer les mesures conservatoires demandées par ce - 29 -

pays, c'est précisément parce qu'il n'y avait pas de préjudice

irréparable en l'espèce. Il n'y avait pas de situation de conflit armé

connaissant des aggravations avec des pertes en vies humaines et, encore

moins, d'occupation militaire de zones conquises.

18. Or, tel est bien le cas dans notre affaire qui est, je pense,

bien plus proche de l'affaire du Différend frontalier (Burkina

Faso/République du Mali). Monsieur le Président, Madame et Messieurs de

la Cour, vous avez entendu 1 'agent du Nigéria. lui-même dresser un tableau

dramatique, et somme toute provisoire, des pertes en vie humaines, sans

parler bien sûr des destructions des infrastructures collectives et des

biens individuels {CR 96/3, p. 11 et suiv.}. Si les pertes matérielles

sont réparables par les «moyens appropriés», selon la formule de la Cour

- et le Cameroun a demandé de telles réparations dans son mémoire au

fond - les pertes en vies humaines ne le sont point c'est l'exemple par

excellence du préjudice irréparable.

19. Dans l'affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République

du Mali), la Cour déclare en ce sens

«Considérant que les faits qui sont à l'origine des
demandes des deux Parties en indication de mesures
conservatoires exposent les personnes et les biens se trouvant

dans la zone litigieuse, ainsi que les intérêts des deux Etats
dans cette zone, à un risque sérieux de préjudice irréparable;
et qu'en conséquence les circonstances exigent gu.e la Chambre

indique les mesures conservatoires appropriées, conformément à
l'article 41 du Statut.» {Ordonnance du 10 janvier 1986, p. 10,
par. 21.)

20. Dans l'affaire de l'Application de la convention sur le génocide,

la Cour s'est montrée bien plus souple sur les conditions qui peuvent

l'amener à indiquer des mesures conservatoires. Elle déclare que ;

«Compte tenu des circonstances portées à son attention et

décrites ci-dessus, il existe un risque grave que des actes de
génocide soient commis». [Peu importe que] «de tels actes commis
dans le passé puissent ou non ... être imputés en droit» [aux

parties; celles-ci) «sont tenues de l'incontestable obligation - 30 -

de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour en assurer la
prévention à !•avenir.» (Ordonnance du 8 avril ~993, p. 23,

par. 45.)

2~. Monsieur le Président, on ne peut peindre - comme l'a fait le

Nigéria qui rejoint en cela le Cameroun - un tableau aussi dramatique de

la situation dans la péninsule, en parlant notamment de concentration de

troupes dans la zone, d'«attaque surprise~ ayant fait de nombreuses

victimes - on a montré tout à l'heure qu'il n'y a pas eu du tout

d'attaque surprise de quelque manière que ce soit - et prétendre ensuite

qu'il ne s'agit de rien de bien grave, ou qu'il s'agit seulement de

«localized disturbances» (CR, 96/3, p. 26, par. 29}. D'autant plus que

le Nigéria s'installe méthodiquement dans les zones conquises, en chasse

les habitants camerounais, établit des infrastructures et, pour reprendre

l'expression de la cour que j'ai citée tout à l'heure dans l'affaire du

Plateau continental de la mer Egée, se livre «à des opérations comportant

tant l'appropriation effective [et l'] usage des ressources naturelles»

des zones conquises. Les faits présentés tout à l'heure méthodiquement,

et systématiquement par le professeur Jean-Pierre Cot, sont suffisamment

éloquents et n'appellent pas un nouvel exposé de ma part.

22. En définitive donc, les affrontements armés entre les forces

a.rmées nigérianes et camerounaises dans la péninsule de Bakassi ont causé

et sont susceptibles de causer des préjudices irréparables, et les deux

Parties se sont employées à le démontrer, chacune à sa façon, bien sûr,

devant cette Cour. - 31 -

- Deuxièmement, la situation sur le terrain ne serait pas de l'avis du
Nigéria, de nature à entraîner la disparition des preuves

23. Monsieur le Président, bien qu'il ait estimé dans la

1communication de son agent avant-hier que •there is absolutely no reason

, to believe that any evidence is at risk» (CR 96/3, p. 16, par. B7). Le

Nigéria affirme que

•If there is any danger of destruction, it cames from
Cameroon•s own acts of violence and systematic attemps to create
fact stamping the peninsula with its national character.»

(CR 96/3, p. 16.)

Ainsi donc, tout en l'imputant au cameroun, le Nigéria n'exclut pas les

i~
• risques de disparition des preuves.

24. Surtout, il ne s'oppose pas à l'indication de mesures

conservatoires par cette cour. Dans sa communication d'avant-hier,

l'agent du Nigéria l'a admis explicitement en déclarant : «What I have

said does not mean for one moment that Nigeria is opposed to measures to

defuse the tension in Bakassi.» (CR 96/3, p. 19, par. C.2.)

25. Monsieur le Président, à ce stade de la procédure, il importe peu

de savoir qui est l'auteur des actes préjudiciables. Seule suffit la

nature de ces actes, en l'occurrence le risque qu'ils feraient courir aux

preuves nécessaires à l'examen ultérieure de l'affaire au fond. Peu

importe à votre Cour que les informations fournies à ce sujet proviennent

de l'une des parties seulement; si elle les considère comme suffisantes

pour se prononcer.

26. Dans l'affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République

du Mali), la Chambre de la cour déclare en effet :

«Considérant en outre que, d'après les indic a.t ions fournies
par l'une des parties, des actions armées sur le territoire en

litige pourraient entraîner la destruction d'éléments de preuve
pertinents aux fins de la décision à rendre par la Chambre.»
{Ordonnance précitée, p. '10, par. 20.)

Et, à l'unanimité, elle a indiqué, entre autres mesures, que - 32 -

«Les deux gouvernements s'abstiennent de tout acte qui
risquerait d'entraver la réun~on des éléments de preuve

nécessaires à la présente instance.» (Ibid., p. 12.)

27. Au demeurant, la situation qui prévaut sur le terrain à Bakassi,

depuis l'attaque du 3 février 1996, rend désormais tout à fait plausible,

Monsieur le Président, l'idée d'un risque réel de destruction ou de

confiscation des preuves nécessaires pour la phase au fond de la présente

affaire. Un message des services de transmissions de l'armée

camerounaise datée du 6 février 1996 indique que les positions

camerounaises étant pilonnées par l'artillerie nigériane depuis le

5 février 1996, le commandant de compagnie camerounais

«s'est retiré de son PC [à la] même date vers 21 heures en
direction de New-Beach. Sa troupe [étant] abandonnée à elle-même

[il a] par conséquent demandé à la troupe de décrocher et le
rencontrer ... »

Vous trouverez le document y relatif à la lettre T du dossier de

plaidoiries du Cameroun.

Ce repli dans la précipitation ne permet pas d'emporter avec soi ce

qui peut être utile à la manifestation de la vérité devant une insistance

judiciaire.

28. Ceci est d'autant plus vrai, Monsieur le Président, que l'arrivée

des troupes nigérianes s'accompagne de l'occupat.ion systématique des

édifices publics.

Ainsi, dès le 3 février 1996, elles ont occupé les locaux de la

sous-préfecture d'Idabato (voir doc. V, dossier de plaidoiries du

Cameroun). A la suite de l'attaque d'Isangele, soumis à un tir nourri à

partir du lundi 5 février 1996 à 14 heures, après la chute d'Idabato, le

sous-préfet de cet arrondissement qui s'est réfugié à Mundemba, où il est

arrivé le 6 février à 11 heures, a déclaré ,:···J.'

- 33 -

«n'avoir pu emporter aucun document ni matériel. Son bureau et
sa résidence seraient toujours occupés par les troupes
ennemies.» (Voir doc. u, dossier de plaidoiries du Cameroun.)

29. Tels sont, Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour,

1 quelques faits précis qui montrent qu'il y a un risque réel de

'destruction des preuves. Il faut y ajouter la pratique des autorités

. nigérianes consistant à changer les panneaux indicateurs des édifices

·publics, dont certains sont parfois écrits en anglais et en français;

pour les remplacer par leurs panneaux écrits en anglais seulement, et

surtout leur pratique consistant à débaptiser les noms des localités

camerounaises conquises par leurs forces, puis à les rebaptiser avec des

noms nigérians, comme l'a montré de façon flagrante la carte présentée

mercredi dernier par la Partie nigériane portant des noms nigérians

écrits fraîchement à la main.

- Troisièmement, Monsieur le Président, le Nigéria estime que les mesures
demandées par le Cameroun ne préserveraient pas les droits des deux
parties

30. Monsieur le Président, discutant la première mesure demandée par

. le Cameroun et visant à obtenir l'indication gue

«1) les forces armées des parties doivent se retirer aux

positions qu'elles occupaient avant l'attaque armée nigériane du
3 février 1996»,


le Nigéria a estimé que «the request is tendentious and its terms ignore

the overriding purpose of Article 41, which is to maintain the respective

rights of both parties» (CR 96/3, p. 27). Il affirme de façon plus nette

encore

«In the view of Nigeria, there are quite simply no

substantial reasons for an indication of ... measures directed
exclusively to Respondent State as requested by Cameroon.»
(CR 96/3, p. 23-24.) ~ 34 -

31. Cela est inexact. La première mesure demandée par le Cameroun que

nous venons de citer, comme toutes les autres mesures demandées par ce

pays n'a aucun caractère univoque. Nulle part, Monsieur le Président, il

n'est demandé qu'une mesure soit indiqUée à l'intention du seul Nigéria;

nulle part le nom de ce pays n'est évoqué même indirectement dans la

demande camerounaise comme étant.l'unique destinataire des mesures

demandées. Peut-on parler de «directed exclusively tc Respondent»

s'agissant de mesures qui, comme la première, parle des «forces armées

des pays», qui comme la seconde, dit que «les parties doivent s'abstenir

de toute activité militaire ... »; ou qui comme la troisième demande à la

cour d'indiquer que «les Parties doivent s'abstenir de tout acte qui

pourrait compromettre la réunion des preuves dans la présente espèce» ?

Le terme utilisé par le Cameroun dans chacune de ces demandes est, on le

voit, «Les Parties». Il est au pluriel. Il ne saurait renvoyer à un, mais

nécessairement mais à au moins deux sujets de droit; en l'occurrence, ce

sont le Nigéria et le cameroun.

32. Le Nigéria croit voir dans la demande que «les Parties doivent

s'abstenir de toute activité militaire le long de toute la frontière

jusqu'à ce que l'arrêt de la cour soit rendu», une demande déraisonnable 4IJ

«wich would necessarily impinge upon the responsabilities of the

State for the maintenance of security on its own territory»
(CR 96/3, p. 29).

33. Monsieur le Président, les activités militaires impliquant

massivement les forces armées et un matériel militaire offensif est

différent de simples opérations de police par lesquelles un Etat assure

l'ordre et la sécurité des populations et des biens sur son territoire.

34. Les activités militaires visent un ennemi clairement identifié,

et s'exercent soit à titre défensif, soit à titre offensif. Sur la ligne

frontière entre le Cameroun et le Nigéria, l'ennemi potentiel du Nigéria, .., 1

- 35 -

si ennemi il y a, ne peut être, en termes militaires, que le Cameroun.

;or, c'est le Cameroun qui demande à la Cour de prescrire aux deux pays de

.s'abstenir de toute activité militaire le long de la frontière commune.

35. Par rapport à quelle menace le Nigéria aurait-il à assumer sa

•responsabilité au titre de la défense de son territoire puisque

l'indication par la Cour des mesures demandées par .le cameroun

:entraînerait, en principe, l'inaction militaire des forces armées des

deux pays dans la zone concernée ?

36. Si le Nigeria est dans les mêmes dispositions d'esprit que le

cameroun en ce qui concerne la nécessité de maintenir un climat de paix

entre les deux pays, en attendant l'arrêt de la Cour au fond, cette

mesure devrait lui agréer au même titre que le Cameroun.

37. Ce qui semble poser également problème au Nigéria, c'est le fait

que la Cour soit appelée à se prononcer en l'espèce sur la base de

l'article 73 du Règlement qui complète à cet égard l'article 41 de son

Statut, plutôt que de l'article 75.

38. La République du Cameroun vous a saisi en application de

l'article 73 du Règlement de la cour, et il n'y a en cela rien

d'anormal c'est la voie permettant aux parties devant vous de former


une demande en indication de mesures conservatoires. Elles l'utilisent

concurremment.

39. Et, à vrai dire, Monsieur le Président, je dois avouer que je ne

vois pas quelle est la différence sur le fond entre les mesures que vous

pouvez être amené à indiquer au titre de l'article 73 et celles que vous

pourriez indiquer en agissant proprio motu au titre de l'article 75.

40. Dans un cas comme dans l'autre, les conditions requises pour que

vous indiquiez les mesures conservatoires sont les mêmes; dans un cas

comme dans l'autre, vous bénéficiez d'un large pouvoir d'appréciation. - 36 -

41. La Cour a d'ailleurs fait largement usage de cette liberté

d'appréciation dans diverses affaires, notamment dans ses ordonnances

rendues en l'affaire du Personnel diplomatique et consulaire des

Etats-Unis à Téhéran et dans l'affaire des Activités militaires et

paramilitaires au Nicaragua.

42. Pourquoi la République du Cameroun aurait~elle invoqué

l'article 75 du Règlement pour fonder une demande valablement présentée

conformément à l'article 73 ? Elle ne le pouvait de toute façon pas,

parce que l'article 75 n'ouvre aucun droit procédural aux parties.

43. Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour,

l'important aux yeux du cameroun, à ce stade de la procédure, c'est que

les mesures provisoires qu'exige la situation à Bakassi, et que le

Cameroun a exposées dans sa demande soient indiquées par votre Cour.

- Quatrièmement, les mesures demandées par le Cameroun préjugeraient
d'après le Nigéria du fond et ne pourraient être effectivement

indiquées par la Cour.

44. Dans sa communication d'avant-hier, l'agent de la République du

Nigéria a estimé que les mesures conservatoires demandées par le Cameroun

ne doivent pas être indiquées par la Cour

«Because Cameroon is really using the request in an effort

ta obtaih sorne premature determination of its merita in relation
to the whole boundary.» (CR 96/3, p. 19.) •

45. Il s'agit là, Monsieur le Président, d'une pure vue de l'esprit.

Aucune des mesures demandées par le Cameroun n'amène à prendre position

même indirectement sur le fond de l'affaire pendante.

46. D'abord, le cameroun ne demande pas que soit désigné à ce stade

l'auteur de l'attaque du 3 février 1996 même si les responsabilités lui

semblent clairement établies et que, de toute façon, il a soulevé cette

question de responsabilité dans son mémoire et il entend l'aborder en

temps opportun. . - 37 -

47. Il lui suffit que la Cour constate qu'il existe une situation

explosive sur le terrain de nature à causer un préjudice irréparable ou à

1 entraîner la disparition des preuves.

48. Ensuite, alors que le Secrétaire général des Nations Unies

appelle «les parties impliquées dans la presqu'île de Bakassi à retirer

leurs troupes de la zone frontalière ...» {voir doc. F, dossier de

plaidoiries du Cameroun), le Cameroun, dis-je, -et c'est une autre

preuve de sa modération - demande à la Cour d'indiquer seulement que les

forces armées des Parties doivent se retirer aux positions qu'elles

occupaient avant 1 'attaque du 3 .février 1996.

49. Cela ne préjuge en rien de la souveraineté du Cameroun sur

Bakassi; mêmesi, à mon sens, cette souveraineté est incontestable, mais

c'est un autre problème.

50. Enfin, le fait de demander que les Pa.rties s'abstiennent de toute

activité militaire tout le long de la frontière n'implique nullement que

la Cour doit prendre position sur la ligne. Dans son ordonnance rendue

dans l'affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali)

la Chambre de la Cour indique la mesure demandée par le Burkina Faso

relativement à l'administration du territoire en précisant

• «qu'il convient en tout état de cause de ne pas préjuger à cet

égard l'existence d'une ligne quelconque» (ordonnance du
10 janvier 1986, p. 11, par. 29).

51. Mais le Nigéria s'appuie aussi, Monsieur le Président, sur cette

mêmeordonnance rendue dans l'affaire précitée pour soutenir que le choix

des positions de retrait à indiquer aux forces armées des deux pays

«requerrait une connaissance du cadre géographique du conflit

que la (Cour] ne possède pas et dont en toute probabilité elle
ne pourrait disposer sans procéder à une expertise» (ibid.,
p. 11). - 36 -

52. S'arrêter à ce constat, Monsieur le Président, comme l'a fait le

Nigéria, c'est laisser croire que la Cour a renoncé dans cette affaire à

indiquer la mesure de retrait des troupes armées demandée par le Burkina

Faso, en raison de son manque de connaissance du cadre géographique et

stratégique du conflit invoquée par le Mali. Or, il n'en est strictement

rien. La Chambre de la Cour indique, entre autres mesures, la suivante

«Les deux gouvernements retirent leurs forces armées sur

des positions ou à l'intérieur des lignes qui seront, dans les
vingt jours suivant le prononcé de la présente ordonnance,
déterminées par accord entre lesdits gouvernements, étant

entendu que les modalités du retrait des troupes seront fixées
par ledit accord et que, à défaut d'un tel accord, la Chambre
indiquera elle-même ces modalités par voie d'ordonnance.»

(Ibid., p. 12.)

53. Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour, cette Cour

ne peut faire moins dans la présente affaire. Il vous est possible de

f~ire au moins autant que la Chambre dans cette affaire du Différend

frontalier en indiquant la mesure sollicitée sur ce point par le

Cameroun, c'est-à-dire le retrait des forces armées des deux pays aux

positions qu'elles occupaient avant l'attaque du 3 février 1996.

Cinquièmement, enfin, Monsieur le Président, la demande du cameroun
amènerait d'après le Nigéria.la Cour à exercer un pouvoir de police
générale en matière de maintien de la paix

54. Monsieur le Président, un passage de l'opinion individuelle du

Président Jiménez de Aréchaga dans l'affaire du Plateau continental de la

mer Egée, reproduit par M. Brownlie dans ses plaidoiries d'avant-hier

(CR 96/3, p. 25, par. 23), laisse à penser,que la Cour n'aurait pas le

pouvoir d'indiquer des mesures qui relèveraient du maintien de la paix

internationale : ce passage est ainsi libellé :

«The Court's specifie power under Article 41 of the Statute
is directed to the preservation of rights "sub-judice" and does

not consist in a police power over the maintenance of
international peace nor in a general competence to make

recommendations relating to peaceful settlement of disputes.»
(C.I.J. Recueil 1976, p. 16.) - 39 - '

55. En dépit de l'autorité incontestée de son auteur, cette opinion

n'est pas partagée par tous les représentants de la doctrine la plus

autorisée et, en tout état de cause, elle est contraire à la

jurisprudence bien établie de cette Cour en la matière. En effet, les

compétences de la Cour et des autres organes des Nations Unies, le

Conseil de sécurité notamment, ne s'excluent pas, elles se complètent et

se confortent mutuellement. C'est précisément parce que la Cour

internationale de Justice est «l'organe judiciaire principal des

Nations Unies» conformément à l'article 92 de la Charte, qu'elle doit

contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales; elle

doit y inciter les Etats «en aidant à frayer la voie au règlement amical

d'un dangereux différend», comme l'a écrit M. Manfred Lachs dans son

opinion individuelle jointe à l'ordonnance du 11 septembre 1976 relative

à l'affaire du Plateau continental de la mer Egée (C.I.J. Recueil 1976,

p. 20).

56. Du reste, la Cour a, dans l'affaire des Activités militaires et

paramilitaires contre le Nicaragua, déclaré :

«Le Conseil de sécurité a des attributions politiques; la
Cour exerce des fonctions purement judiciaires. Les deux
organes peuvent donc s'acquitter de leurs fonctions distinctes

• mais complémentaires à propos des mêmes événements.»
(C.I.J. Recueil 1984, p. 434-435.)

57. La Cour reprend ce raisonnement dans l'affaire de l'Application

de la convention sur le génocide (ordonnance du 8 avril 1993, p. 19,

par. 36).

58. Je voudrais indiquer ici, Monsieur le Président, que si la

demande de la Grèce visant à ce que la Cour prescrive aux gouvernements

grec et turc «de s'abstenir de prendre de nouvelles mesures militaires ou

de se livrer à des actions qui pourraient mettre en danger leurs

relations pacifiques» (C.I.J. Recueil 1976, p. 11, par. 34}, a été - 40 -

rejetée par la Cour, c'est parce «le droit ainsi invoqué ne [faisait]

l'objet d'aucune des demandes dont la Grèce [avait] saisi la Cour»

(ibid.) .

59. Monsieur le Président, dans son ordonnance du 10 janvier 1986

dans l'affaire du Différend frontalier, votre Cour est sans équivoque à

propos du pouvoir de la Cour d'indiquer des mesures.conservatoires

touchant au maintien de la paix. La Cour affirme

«Considérant en particulier que, lorsque deux Etats
décident, ... de saisir ... la Cour, organe judiciaire principal

des Nations Unies, en vue du règlement pacifique d'un différend,
conformément aux articles 2, paragraphe 3, et 33 de la Charte
des Nations Unies et que par la suite surviennent des incidents

qui, non seulement sont susceptibles d'étendre ou d'aggraver le
différend, mais comportent un recours à la force inconciliable
avec le principe du règlement pacifique des différends

internationaux, le pouvoir et le devoir de la Chambre
d'indiquer, le cas échéant, des mesures conservatoires

contribuant à assurer la bonne administration de la justice ne
sauraient faire de doute.» (C.I.J. Recueil 1986, p. 9.)

60. C'est justement parce que la paix et la sécurité entre Etats sont

menacées tout le long de la frontière entre le Cameroun et le Nigéria que

le Camer.oun demande à la Cour de prescrire aux Parties de cesser toutes

activités militaires le long de leur frontière commune.

*

* *

61. En conclusion, Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la

Cour, il n'est pas douteux que, pour reprendre la formule que la Cour a

utilisée daris l'affaire Burkina Faso/République du Mali :

«Les actions menées qui sont à l'origine des demandes en
indication des mesures conservatoires dont la [Cour] est saisie
ont eu lieu à l'intérieur ou à proximité de la zone contestée.»

(Ordonnance du 10 janvier 1986, p. 10, par. 16.}

62. Ces actions ont causé et sont de nature à causer un préjudice

irréparable; - 41 -

- la situation sur le terrain est de nature à entrainer la disparition ou

la confiscation des preuves;

- la demande camerounaise préserve les droits des deux Parties;

- cette demande ne préjuge pas du fond·;

la Cour peut indiquer des mesures provisoires touchant au domaine du

maintien de la paix et de la sécurité internationales.

63. C'est pourquoi je prie respectueusement la Cour de bien vouloir

indiquer les mesures conservatoires que la République du Cameroun lui

demande.

Je prie, Monsieur le Président, de bien vouloir donner la parole au

professeur Alain Pellet pour poursuivre les plaidoiries du Cameroun.

Je vous remercie.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le professeur Kamto, et

j'appelle à la barre le professeur Pellet.

M. PELLET : Merci beaucoup, Monsieur le Président.

Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour,

1. Il m'appartient d'établir que la Cour a compétence pour indiquer

les mesures conservatoires qui lui sont demandées. Ce faisant, je

répondrai à la fois aux plaidoiries de mes adversaires et amis sir Arthur

Watts et James Crawford.

Je le ferai en trois points :

dans un premier temps, je montrerai que la médiation togolaise n'a eu

nullement pour effet d'empêcher la Cour de se prononcer sur les mesures

que le Cameroun lui a demandé d'indiquer;

dans un deuxième temps, j'établirai que, plus généralement, la

compétence prima facie de la Cour est indiscutable, - 42 -

et puis, j'en viendrai à la notion nouvelle mais pourquoi pas ?

de recevabilité prima facie.

A. Les effets 1uridiques de la médiation togolaise

2. L'un des leitmotiv des plaidoiries du Nigéria consiste à affirmer

que les mesures dont l'indication est demandée par le Cameroun doivent

être écartées au prétexte que le problème est réglé par la médiation

togolaise qui a abouti à la signature du communiqué de Kara, le

17 février dernier.

L'agent du Nigéria, le chef Agbamuche, l'a dit (CR 96/3, p. 19,

par. C.2; voir, également, p. 14, par. A.9) Le professeur Brownlie l'a

répété. Sir Arthur Watts y a consacré ·une bonne partie de sa plaidoirie

(ibid., p. 31-38), et le chef Richard Akinjide y est encore revenu

quoique plus indirectement (ibid. p. 70, par. E.2).

3. En réalité, ici encore, Madame et Messieurs de la Cour, le Nigéria

se trompe ou vous trompe sur les faits et, au demeurant, même si l'on

admettait que ceux qu'il a décrits correspondent à la réalité, il en tire

des conséquences erronées.

4. Evidemment, le Cameroun ne nie évidemment pas que, peu après

l'attaque nigériane du 3 février 1996, le président du Togo s'était

offert pour aider les Parties à rapprocher leurs points de vue.

Davantage même, comme l'a dit Maître Moutome, le Cameroun a toujours

pensé que si le Nigéria s'était, comme lui-même, prêté de bonne foi à

cette tentative togolaise, ceci aurait permis «de faire l'économie de la

présente instance» (CR 96/2, p. 25), en ce sens que le Cameroun eût alors

hésité à maintenir sa demande en indication de mesures conservatoires.

Mais il aurait fallu pour cela que la médiation du Togo, que le

Cameroun, soucieux de recourir à tous les moyens possibles de règlement

pacifique du différend, a accueillie avec reconnaissance, aboutisse. - 43 ..,

Tel n'a pas été le cas sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, le

professeur Jean-Pierre Cet l'a montré, le Nigéria part de prémisses

factuelles erronées et tout son raisonnement juridique s'en trouve

affecté.

s. Concrètement, comment les choses se sont-elles passées ?

Au lendemain des incidents du 3 février, le président du Togo a, à

nouveau, invité le Cameroun et le Nigéria à reprendre le dialogue. Les

ministres des affaires étrangères des deux pays·se sont, à son

invitation, réunis à Pya, au Togo, les 16 et 17 février, autour du

président Eyadema (voir la dépêche de l'AFP du 17 février, cote E du

dossier de plaidoiries) .

A 1 'issue de cette rencont.re, les deux ministres ont signé le

communiqué de Kara, reproduit dans les dossiers de plaidoiries des deux

Parties (Cameroun côte E; Nigéria : n° 12); aux termes de ce

communiqué

«The two Ministers assessed the prevailing situation in

the Bakassi Peninsula and agreed tc stop the hostilities;

They recognized that the dispute is pending at the

International Court of Justice;

They agreed tc meet again in the first week of March 1996,

ta prepare for the Summit of the Heads of State of Nigeria and
Cameroon under the auspices of President Eyadema.»

6. Monsieur le Président, si ce scénario avait été suivi, le cameroun

aurait peut-être pu envisager de retirer sa demande en indication de

mesures conservatoires. Et il l'a, en effet, envisagé.

Il aurait pu la retirer; mais il n'y était nullement tenu et,

l'eût-il maintenue, vous eussiez intégralement conservé votre compétence

pour indiquer les mesures demandées. Comme le professeur Jean-Pierre Cet

l'a rappelé mardi matin (CR 96/2, p. 64), citant !•arrêt de votre Chambre

dans l'affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), - 44 -

la liberté des Etats «de négocier ou de régler certains aspects d'un

différend soumis â la Cour ... n'est pas incompatible avec l'exercice de

la fonction propre de la Cour~ (ordonnance du 10 janvier 1986,

C.I.J. Recueil 1986, p. 10).

Avec le talent qu'on lui connait, sir Arthur Watts s'est ingénié à

tenter de démontrer que les circonstances des deux affaires sont

différentes (CR 96/3, p. 33-34)

i) en premier lieu, a-t-il dit, «that case- il s'agit de l'affaire

BurkinaFaso/République du Mali - was one in which bath States bad

agreed ta the Court's jurisdiction over the principal case» (ibid.).

Certes mais c'est un tout autre problème que j'évoquerai dans

qu.elques instants et qui n'a aucun rapport avec celui qui nous

intéresse ici; l'existence d'exceptions préliminaires pose la

question de savoir si, malgré cela, la Cour est, prima facie,

compétente pour se prononcer sur les mesures conservatoires qu'il

lui est demandé d'indiquer; si la réponse est «non», elle rejettera

la demande pour incompétence; si c'est «oui», elle l'examinera; en

d'autres termes, il s'agit d'un problème «d'amont» que la Cour doit

résoudre préalablement; mais, si elle le résout en faveur de sa


compétence prima facie, l'existence d'exceptions préliminaires sur

lesquelles elle se prononcera dans une phase ultérieure de l'affaire

n'a aucune incidence sur l'exercice de sa compétence au titre de

l'article 41;

ii) en deuxième lieu, affirme mon éminent contradicteur, dans l'affaire

Burkina Faso/République du Mali, chacun des deux Etats avait,

finalement, demandé l'indication de mesures conservatoires (CR 96/3,

p. 33}; certes encore 1 Mais, d'une part, comme mon ami, le

professeur Kamto vient de le montrer, c'est aussi ce que fait, sans c;·-----------------------c--------------------~

- 45 -.

le dire tout en le disant, la lettre de l'agent du Nigéria du 16

février 1996 et, d'autre part, et de toute manière, on voit mal en

quoi ceci est pertinent : la Cour l'a très nettement relevé dans

l'affaire des Otages :

«l'idée même d'une indication de mesures

-conservatoires, ~omme l'article 73 du Règlement le
reconnaît, suppose qu'une des parties sollicite des
mesures pour protéger ses droits "propres contre tout

acte de l'autre partie de nature â leur porter
préjudice pendente lite; ... il en découle qu'une
demande en indication de mesures conservatoires est

par nature unilatérale» (ordonnance du l5 décembre
1979, C.I.J. Recueil 1979, p. 17);

e.
iii} en troisième lieu, la Chambre de 2986 indiquait, certes, gue le

retrait des troupes devrait être discuté «à une prochaine réunion

des chefs d'Etat» (C.I.J. Recueil 1986, p. 20); mais elle ne

précisait nullement que tel devait être son unique objet; bien au

contraire, c'est à ce propos gue la Chambre indique, gue

«le fait gue les deux Parties ont chargé un autre
organe de définir les modalités du retrait des troupes

ne [la] prive nullement des droits et devoirs qui sont
les siens dans l'affaire portée devant elle» {ibid.);
\

iv) il n'est pas non plus exact, en quatrième lieu, que «the Heads of

State of Burkina Faso and Mali were meeting on a purely bilateral

basis», comme le dit sir Arthur (CR 96/3, p. 34); bien au contraire

-et ceci ressort expressément des termes de l'ordonnance du

10 janvier 1986 -, l'accord intervenu entre les deux Etats avait été

conclu sous les auspices d'un tiers ou, plus exactement d'ailleurs,

de «deux tiers» : l'ANAD que mentionne l'ordonnance (C.I.J. Recueil

1986, p. 10) et, déjà, le Togo, qu'elle ne mentionne pas, mais qui

avait également joué un rôle actif dans la conclusion de l'accord

(C2/CR 86/1, 9 janvier 1986, non corrigé, p. 13 et 82). - 46 -

Je comprends, Monsieur le Président, que ce précédent g~ne le

Nigéria; rarement, deux affaires se sont présentées de manière si

similaire :

les faits qui ont été à l'origine des deux demandes présentent des

similitudes frappantes;

les contextes dans lesquels la procédure se déroule sont extrêmement

proches;

les mesures dont le Cameroun demande l'indication sont formulées en des

termes très voisins de ceux des mesures indiquées par la Chambre

en 1986, et ce dernier point au moins n'est évidemment pas fortuit

c'est que, frappé par la similitude des faits et du contexte, le

cameroun a estimé qu'il devait, par égard pour la Cour, et parce que

les mesures indiquées alors lui semblent appropriées, s'inspirer

étroitement de cette ordonnance.

7. Certes, aussi, Monsieur le Président, on peut peut-être

considérer, avec sir Arthur Watts que la Cour jouit dans ce domaine d'un

pouvoir d'appréciation (CR 96"/3, p. 34) encore que, dans son ordonnance

de 1986, la Chambre évoque son <<pouvoir», mais aussi son «devoir»,

d'indiquer, le cas échéant, des mesures conservatoires contribuant à

assurer la bonne administration de la justice (C.I.J. Recueil 1986,

p. 9);

La vérité est sans doute que la Cour dispose d'un pouvoir

d'appréciation pour déterminer si les conditions pour qu'elle exerce son

pouvoir d'indiquer des mesures conservatoires sont réunies; mais, que dès

lors qu'elle constate que tel est le cas, elle doit exercer ce pouvoir.

Au demeurant, la discussion est sans doute un peu vaine. Les mêmes

causes produisent les mêmes effets, et l'on voit mal comment et pourquoi

les mêmes éléments qui ont conduit la Chambre en 1986 à indiquer, dans - 47 -

des circonstances très voisines de celles de notre affaire, des mesures

conservatoires très proches de celles dont le Cameroun demande

l'indication, conduiraient aujourd'hui la Cour à une appréciation

différente.

8. Ceci dit, Monsieur le Président, sir Arthur Watts a tout de méme

en partie raison : les deux affaires ne sont pas en tous points

similaires; elles diffèrent radicalement en ce qui concerne un élément, à

vrai dire fort important. Ce n'est aucun de ceux qu'il énumère, nous

l'avons vu, c'en est un autre, tout différent, et qui est de nature à

renforcer encore la nécessité des mesures conservatoires en examen.

Mon contradicteur consacre pas mal de temps à une série

d'affirmations dans un long passage de sa plaidoirie qui commence ainsi

«Does the matter in respect of which interim measures are
being sought « continue to exist » ? No, Mr. President, it does

not. It is over ... »

«Has the abject of the « dispute » been achieved by ether
means ? Yes, the matter was dealt with by the Foreign Ministers
at their meeting on 16 and 17 February. They reached an

agreement - they agreed upon the cessation of hostilities. The
matter is again being dealt with by the Foreign Ministers; and
will be further dealt with by the Heads of States.» {CR 96/3,

p. 36).

Ceci, Monsieur le Président, appelle deux séries de remarques,

auxquelles le Cameroun attache une égale importance.

9. En premier lieu, quand bien méme tout cela serait exact - et,

malheureusement, ce ne l'est pas - la conclusion d'un accord

effectivement respecté de cessation des hostilités, et la poursuite de

négociations pour consolider cette situation, ne constitueraient

nullement un obstacle à ce que vous indiquiez les mesures que demande le

Cameroun. - 48 -

Votre jurisprudence sur ce point est ferme, constante, cohérente le

principe electa una via n'existe pas en droit international; les

différents modes de règlement pacifique des différends ne s'excluent pas,

ils se renforcent mutuellement. Que d'autres forums soient saisis, et

même, qu'une solution ait été atteinte en leur sein, ne constitue pas un
(
obstacle à l'indication de mesures conservatoires par la Cour. Ceci

ressort, par exemple, clairement des ordonnances rendues dans les

affaires des Otages du 15 décembre 1979 (C.I.J. Recueil 1979, p. 15),

Nicaragua/Etats-Unis du 10 mai 19 84 ( C.I.J. Recueil 1984, p. 185-186),

Burkina/République du Mali du 10 janvier 1986 (C.I.J. Recueil 1986,

p. 10) ou du Génocide du 8 avril et du 13 septembre 1993

(C.I.J. Recueil 1993, p.lB-19 et 348).

sans doute, dans les affaires du Plateau continental de la mer Egée

et de Lockerbie, la Cour s'est-elle abstenue d'indiquer des mesures

conservatoires, mais non pas du fait que le Conseil de sécurité était

saisi du même différend, mais parce qu'elle a considéré que les droits et

obligations imposées aux Parties par le Conseil s'opposaient à ce qu'elle

se prononce et ne donnaient plus lieu à son intervention (ordonnances du

11 septembre 1976, C.I.J. Recueil 1976, p. 13 et du 14 mai 1992,

C.I.J. Recueil 1992, p. 15 et 126-127). Cette exception au principe

n'est assurément pas applicable en l'espèce présente, dans laquelle la

Cour se trouve

«confrontée au devoir que lui impose l'article 41 du Statut de

rechercher par elle-même quelles mesures conservatoires du droit
de chacun doivent être prises à titre provisoire » (cf.
C.I.J. Recueil 1986, p. 10),

comme la Chambre y avait été affronté dans l'affaire du Différend

front:alier. 49 -

Dans cette affaire, la fin des hostilités et l'engagement pris par

les Parties de retirer leurs troupes n'avaient pas empêché la Chambre,

unanime d'ailleurs, d'indiquer des mesures conservatoires.

10. Or, et c'est la seconde série de remarques que l'on peut faire

pour répondre sur ce point à la thèse nigériane, ces deux préalables ne

sont en aucune manière réalisés dans notre affaire.

D'une part, le communiqué de Kara du 17 février 1996 prévoit la fin

des hostilités mais pas le retrait des troupes des deux Parties à

l'emplacement qu'elles occupaient avant l'attaque nigériane du 3 février,

pas davantage que ce communiqué ne constitue un engagement des deux Etats

à s'abstenir d'activités militaires le long de la frontière ou qu'il ne

porte sur la question de la préservation des preuves; en d'autres termes,

quel que soit son statut juridique, le communiqué de Kara ne concerne

aucun des points sur lesquels porte la demande du Cameroun.

D'autre part, et peut-être surtout, l'éminent conseil du Nigéria a

chaussé des lunettes roses pour vous présenter les suites de la médiation

togolaise. Je le répète, le Cameroun s'est vivement réjoui de son

aboutissement apparemment heureux le 17 février, mais :

- il n'est malheureusement pas exact que le communiqué de Kara ait eu

le moindre effet concret; le jour même où il éta.it signé, les troupes

nigérianes reprenaient leurs attaques contre les positions camerounaises;

- il n'est malheureusement pas exact que les deux pays aient renoué

des relations cordiales depuis lors; le «conte du mont Cameroun» forgé

par la Partie nigériane n'est malheureusement qu'un conte; au contraire,

la situation est et demeure dramatiquement tendue;

- il n'est, enfin, malheureusement pas exact que la médiation

togolaise se poursuive harmonieusement. - 50 -

Certes, le président Eyadema a proposé de renouer les fils cassés de

la négociation et d'envoyer des délégations au Cameroun et au Nigéria à

cette fin. Le Cameroun lui est reconnaissant de ses efforts. Mais,

comme le montre l'échange de lettres figurant sous la cote Q de votre

dossier, échaudé par l'expérience du 17 février, le Cameroun ne voit pas

l'utilité, à ce stade, de poursuivre des négociations dont le seul

résultat concret est de permettre à la Partie nigériane d'endormir la

méfiance camerounaise et de repartir en campagne à peine l'encre de

l'accord séchée.

ceci ne signifie pas que le Cameroun n'est pas disposé à reprendre

les négociations; mais il n'est prêt à le faire que lorsque vous aurez

indiqué pour droit les principes, raisonnables et équilibrés, sur

lesquels les deux Parties doivent se fonder. Telle est la signification

du télex adressé le 29 février dernier au directeur de cabinet du

président de la République togolaise par son homologue camerounais

«en raison des contraintes de son calendrier et des nouveaux

développements de l'affaire, le président Biya demande le report
de la mission concernée à une date ultérieure à fixer d'un
commun accord».

En clair, les «nouveaux développements de l'affaire», ce sont d'une part

la reprise des attaques armées nigérianes le 17 février et, d'autre part,

l'examen de la demande du Cameroun par votre haute juridiction.

11. Lorsqu'elle aura indiqué les mesures conservatoires demandées,

mais alors seulement, les négociations, directes ou avec l'aide de tiers,

pourront reprendre sur des bases solides et saines. Contrairement à ce

que semble penser le Nigéria, l'obligation de négocier de bonne foi

«n'est pas seulement d'entamer des négociations, mais encore de les

poursuivre en vue d'arriver à des accords» Trafic ferroviaire entre la

Lituanie et la Pologne, 15 octobre 1931 (C.P.J.I. série A/B no 42, - 51 -.

p. 116); «[l)es parties» ont, comme y a insisté la Cour, «l'obligation de

se comporter de telle manière que la négociation ait un sens» (arrêt du

20 février 1969, Plateau continental de la mer du Nord,

C.I.J. Recueil 1969, p.47 } . Tel n'est pas le cas lorsqu'une partie

affecte de se prêt~ à une négociation, va même jusqu'à faire mine de

s'engager puis, aussitôt l'accord conclu, le rompt; on peut alors -mêmese

demander si l'accord en question n'est pas vicié par un dol au sens de

l'article 49 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités;

en tout cas, le résultat aura été, si je puis dire, «un coup d'épée dans

l'eau et l'exception non adimpleti contractus, envisagée par

l'article 60 de cette même convention, s'applique évidemment.
1'

12. On vous a dit, Madame et Messieurs de la Cour, que votre

intervention dans cette affaire relevait d'une procédure «hostile»

(«adversarial») (Chief M.A. Agbamuche, CR 96/3, p. 11 et Chief Richard

Akinjide, ibid., p. 70) qui n'était «neither appropriate nor

constructive» (ibid.), qu'elle était «inutile» («needless»), qu'elle

serait «an obstacle to international harmony» (sir Arthur Watts, CR 96/3,

p. 37), et qu'elle empêcherait «the respective Heads of States, under the

auspices of a third friendly Head of State, ta resolve whatever may still


need resolving» (ibid., p. 38).

Et malheureusement, tout reste à résoudre puisque, ce qui avait paru

trouver un début de solution a été remis en cause par le Nigéria le jour

même où il avait admis que toutes les hostilités devaient cesser. De

l'avis du Cameroun, les mesures conservatoires qu'il vous a demandées ne

sont pas «inutiles», elles sont indispensables, en les indiquant vous ne

mettriez nul obstacle à l'harmonie internationale; vous la rétabliriez; - 52 -

loin d'empêcher la reprise du dialogue, vous la permettriez en fixant le

but à atteindre, à charge pour les Parties de mettre en Œuvre

concrètement et d'un commun accord les mesures que vous déciderez.

La cour est, on ne le répétera jamais assez, «l'organe judiciaire

principal des Nations Unies» dont, en vertu de la .;t~ç:ha lrt eut premier

est le maintien de la paix et de la sécurité internationales;

lorsqu'elles sont menacées, il lui appartient, à la Cour, comme à tout

autre organe de l'Organisation, de contribuer à les raffermir dans le

cadre de la fonction judiciaire qui lui est conférée par la Charte et par

son Statut (cf. arrêt du 26 novembre 1984, Activités militaires et

paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, C.I.J. Recueil 1984,

p. 440; voir aussi l'arrêt du 24 mai 1980, Personnel diplomatique et

consulaire des Etats-Unis à Téhéran, C.I.J. Recueil 1980, p. 23 ou

1 'ordonnance en indication de mesures conservatoires du 10 jan:-.rier 1986,

Différend frontalier, C.I.J. Recueil 1986, p.lO, prée.).

B - LA COMPETENCE DE LA COtiR POUR SE PRONONCER

13. J'en viens maintenant, Monsieur le Président, si vous le voulez

bien, à la deuxième partie de ma présentation de ce matin. La plaidoirie

de sir Arthur Watts nous oblige en effet à revenir sur la question de la •

compétence de la Cour pour indiquer les mesures conservatoires qui lui

sont demandées.

Mon éminent contradicteur, dans la seconde partie de son intervention

d'avant-hier, concède que «for purposes of adjudicating upon a request

for interim measures, the Court need only to be satisfied that it has

jurisdiction prima facie» (CR 96/3, p. 39). Mais il place ensuite «la

barre très haut» car après avoir promis qu'il ne se proposait pas «to

take the Court through Nigeria's First Preliminary Objection paragraph by

paragraph» (ibid.), c'est pourtant à peu près exactement ce qu'il fait. - 53 -

14. Pour mener sa démonstration, sir Arthur aborde successivement

deux points :

- la «réserve de réciprocité» très spéciale qu'aurait faite le Nigéria;

ensuite,

- la conduite répréhensible que le Nigéria impute au Cameroun.

Reprenons ces deux points brièvement et successivement.

15. En premier lieu, le conseil du Nigéria fait grand cas du texte

même de la déclaration facultative du Nigéria par laquelle ce pays

«reconnaît comme obligatoire de plein droit et sans convention

spéciale ... la juridiction de la Cour internationale de Justice

1
conformément au paragraphe 2 de l'article 36 du Statut de la Cour» «à

l'égard de tout autre Etat acceptant la même obligation, c'est-à-dire

sous la seule condition de réciprocité» - et sir Arthur de s'émerveiller

de cette précision («c'est-à-dire sous la seule condition de

réciprocité») qui serait «cruciale~ («crucial») - CR 96/3, p. 40).

Monsieur le Président, ceci n'a rien d'extraordinaire Le Nigéria

se borne à expliciter ainsi ce qu'il a dit juste avant : «à l'égard de

tout autre Etat acceptant la même obligation» cela veut dire «sous la

condition de réciprocité~ ,t c'est bien ce que signifie l'expression

«c'est-à-dire» qui unit les deux propositions.

Comme au moins trente-huit des cinquante-huit Etats dont les

déclarations sont reproduites dans l'Annuaire de la Cour de 1993-1994, le

Nigéria a pensé que deux précautions valaient mieux qu'une ... Mais comme

l'a écrit un eminent conseil qui siège de ce côté-là de la barre,

«reservations as to reciprocity in acceptances are superfluous»

(lan Brownlie, Principles of Public International Law, Oxford U.P.,

4e éd., 1990, p. 727; voir aussi Shabtai Rosenne, The Law and Practice of - 54 -

the International Court, Nijhoff, Dordrecht, 1985, p. 500; ou

Emmanuel Decaux, La réciprocité en droit international, Pédone, Paris,

1980, p. 80-81). Je ne saurais mieux dire ...

Et c'est en effet ce qu'a toujours considéré la Cour elle-même.

Ainsi, dans l'affaire de l'Interhandel, votre haute juridiction a

précisé : «La réciprocité permet à l'Etat qui a accepté le plus largement

la juridiction de la Cour de se prévaloir des réserves à cette

acceptation énoncée par l'autre partie. Là s'arrête l'effet de la

réciprocité.» (Arrêt du 21 novembre 1959, C.I.J. Recueil 1959, p. 23;

les italiques sont de moi.) 1

Et la Cour a constamment estimé, comme elle l'a rappelé dans son

arrêt du 26 novembre 1984, que

«La notion de réciprocité porte sur l'étendue et la

substance des engagements, y compris les réserves dont ils
s'accompagnent, et non sur les conditions formelles relatives à
leur création, leur durée ou leur dénonciation.» (Activités

mi1itaires et paramilitaires au Nicaragua, exceptions
préliminaires, C.I.J. Recueil 1984, p. 419.)

16. Plus précisément encore, dans l'affaire du Droit de passage en

territoire indien, la Cour a estimé que, sauf à introduire «un élément

d'incertitude dans le jeu du système de la clause facultative» (arrêt du

26 novembre 1957, C.I.J. Recueil 1957, p. 147),

«Un Etat gui accepte la compétence de la Cour doit prévoir
qu'une requête puisse être introduite contre lui par un nouvel

Etat déclarant le jour même où ce dernier dépose une déclaration
d'acceptation entre les mains du Secrétaire général ... »

Les Etats sont en tout cas prévenus depuis 1957.

«[L'Etat déclarant, ajoute la Cour] n'a à s'occuper ni du

devoir du secrétaire général ni de la manière dont ce devoir est
rempli.» (Ibid., p. 146.)

Contrairement à ce qu'affirme le Nigéria, il ne s'agit nullement

d'une jurisprudence isolée ou dépassée : la Cour en a fait une

application constante, notamment dans les affaires du Temple (arrêt du 26 - 55 -

mai 1961, C.I.J. Recueil 1961, p. 31) et des Activités militaires (arrêc

du 26 novembre 1984, p. 412).

Et il n'est pas sans intérêt de rappeler que dans la récente affaire

de la sentence arbitrale du 31 juillet 1989, la Guinée-Bissau a déposé sa

requête seize jours seulement après avoir reconnu la compétence de la

cour en vertu de la clause facultative (voir l'arrêt du 12 novembre 1991,

C.I.J. Recueil 1991, p. 55, 61) et que le Sénégal ne s'en est pas

formalisé; dans celle du Droit de passage, le délai avait été de trois

jours; dans le cas présent, il a été de quatre semaines (vingt-six jours

exactement) en ce qui concerne la requête initiale et de plus de trois

mois pour ce qui est de la requête additionnelle. Or, le Nigéria n'a ni

retiré ni modifié sa requête comme il l'aurait pu lorsque les problèmes

frontaliers sont devenus aigus entre les deux pays, pas davantage

qu'après le dépôt de la requête initiale. Il a pris, je l'ai déjà dit, le

risque du droit. Ce serait, je le répète, tout à son honneur, de

l'assumer jusqu'au bout.

17. A propos d'honneur, le conseil du Nigéria, fidèle du reste en

cela aux exceptions préliminaires (cf. par. 1.17 et suiv., p. 36 et

suiv.), a gravement mis en cause l'honneur du Cameroun qui ne se serait

pas conduit «with the degree of good faith which Nigeria is entitled to

expect» (CR 96/3, p. 44), et aurait fait sa déclaration de façon

«Subreptice» («surreptitious») (ibid., p. 45).

Sir Arthur Watts ne mâche pas ses mots. Il me permettra de ne pas

mâcher les miens. - 56 -

s'il y a eu manquement au principe de bonne foi, il n'est pas le fait

du Cameroun, mais bien du Nigéria ! Ce pays savait parfaitement, et en

temps plus qu'utile, que le Cameroun, après avoir constaté l'échec de

tous les autres modes de règlement possibles, envisageait de saisir votre

haute juridiction :

- le 19 février 1994 - je n'ai pas eu le temps de remonter plus loin

dans le temps - mais le 19 février, c'est tout de même trois semaines

avant le dépôt de la déclaration camerounaise, et sept semaines avant

celui de la requête, le 19 février donc, le président Biya écrivait au

président Abacha dans un télégramme officiel :

«Je vous exhorte à persévérer dans l'intensification des

efforts de négociations déjà en cours pour·trouvér une solution
juste, équitable et conforme au droit international, y compris
par voie juridictionnelle.» (MC., annexe 337; les italiques

sont de moi) ;

- le lendemain, 20 février, la Radio-Africa n°1, basée à Libreville

et diffusant largement en anglais dans toute l'Afrique, annonçait

«Faced with the negative attitude of the Nigérian
government, and while remaining vigilant on the ground, Cameroon
bas opted for international arbitration. The Yaounde authorities
have decided tc take the case ta the UN Security Council, the

International Court of Justice at The Hague and an OUA central
body for the prevention, management and resolution of
conflicts.» (Les italiques sont de moi);


- le 21 février, M. Kingibe, alors ministre des affaires.étrangères

du Nigéria, déplore

«la décision annoncée dimanche [la veille] par Yaoundé de porter
la querelle frontalière entre les deux pays devant le Conseil de

sécurité des Nations Unies et la Cour internationale de Justice»
(traducation de l'AFP, 21 février 1994; les italiques sont de
moi; MC. annexe 340); - 57 -

- et le 6 mars, la Radio-Nigéria-Lagos diffuse une information selon

laquelle «Nigeria expressed surprise at the steps taken by Cameroon to

internationalize the issue [including by) initiating a process with the

International Court of Justice at the Hague.» (Les italiques sont de

moi); etc.

(Je passe plusieurs citations Monsieur le Président parce que nous

sommes en retard.)

- le 11 mars, lors de la première session extraordinaire de l'Organe

central de l'O.U.A., à laquelle participait le Nigéria, le Secrétaire

t-
général de l'OUA a émis des réserves publiques sur la saisine de la

C.I.J. par le cameroun (v. M.C, annexe 349); etc.

(J'indique que tous ces documents figurent, avec quelques autres,

dans votre dossier de plaidoiries, sous la cote R).

18. Et l'on vient nous dire maintenant que le Nigéria ignorait

l'intention du Cameroun de saisir la Cour !

Où se trouve la bonne foi, Madame et Messieurs de la Cour ? Est-ce

là un argument de nature à jeter le doute, comme l'a dit sir Arthur, sur

la compétence prima facie, sur la compétence «tout court», de votre haute

juridiction ? C'est pourtant le seul que l'on nous oppose. Et le

Cameroun croit avoir montré qu'il n'est ni fondé en droit, ni fondé en

fait.

C. LA RECEVABILITÉ DE LA DEMANDE

19. J'en viens maintenant brièvement à mon troisième et dernier

point. Il concerne la recevabilité de la demande, objet de la plaidoirie

de M. James Crawford d'avant hier.

Je crois pouvoir être bref : le temps presse; nous n'avons pas

d'objections à l'encontre de certaines propositions théoriques et

juridiques qu'a avancées mon aimable contradicteur, et nombre de ses - 58 -

développements factuels ne me paraissent guère pertinents, c'est le moins

que l'on puisse dire, pour le problème qui nous intéresse ici et

maintenant.

20. Les points d'accord d'abord :

1) Nous admettons, évidemment, que les demandes en indication de mesures

conservatoires sont, comme l'a rappelé M. Oda, «incidental to, not

coincidental with, the proceeding on the merita ... » {«Provisional

Measures; The Practice of the International Court of Justice», v. Lowe

and M. Fitzmaurice eds., Fifty Years of the International Court of

Justice- Essays in Honour of Sir Robert Jennings, cambridge, U.P., t

1996, p. 554; italiques dans l'original).

2l Bien qu.e 1' on en trouve quelques traces dans la 1i ttérature {cf.

Jerzy Sztucki, Interim Measures in The Hague Court, Kluwer, 1982,

p. 244-245), la notion de «recevabilité prima facie» ne me semble pas

consacrée; mais il ne paraît pas illogique d'admettre que si une

requête est manifestement irrecevable, la Cour ne peut indiquer de

mesures conservatoires dans le cadre d'une affaire qui, par

définition, n'aurait aucune chance d'aboutir à un arrêt sur le fond

il n'y a aucun droit à «conserver» puisque, au contentieux au moins,

il n'y aurait pas de droits du tout.

21. Ceci étant dit, Monsieur le Président, cette belle construction

intellectuelle ne trouve nullement à s'appliquer en l'espèce.

Au fond, que nous a dit M. Crawford ? Comme sir Arthur, mais plus

rapidement, il a résumé certaines des exceptions préliminaires du

Nigéria.

Il l'a fait en passant en ce qui concerne la prétendue exclusion de

la juridiction de la Cour du fait du monopole que les Parties auraient

conféré à d'autres mécanismes de règlement, ce qui renvoie aux deuxième - 59 .-. .

et troisième exceptions préliminaires et, dans une certaine mesure, à la

septième. James Crawford ne semble guère y croire - moi non plus : il

est significatif que la seule chose un peu concrète que mon savant ami

dise à ce sujet consiste en une référence- d'ailleurs assez longue ... - à

une prétendue obligation de négocier en ce qui concerne la délimitation

maritime au-delà de la mer territoriale {CR 96/3, p. 51-52). Je veux

bien que la péninsule de Bakassi soit une mangrove, zone de transition

entre terre et mer, mais de là à l'assimiler à la zone économique

exclusive, je m'interroge.

22. Mon contradicteur s'est davantage attardé à un problème qui

n'est, en fait, qu'une présentation renouvelée de la cinquième exception

préliminaire nigériane et qui, malgré un raisonnement je n'ose pas dire

tortueux- disons «compliqué»- revient à dire, si j'ai bien compris :

il le Cameroun dit qu'il n'y a qu'une affaire;

ii) cette affaire résulte de la requête initiale «amendée» par la

requête additionnelle;

iii) cette affaire porte sur la définition de la frontière entre les

deux pays;

iv) ce n'est pas le cas de la demande camerounaise en indication de

mesures conservatoires.

Tout ceci, Monsieur le Président, constitue une relecture étrange de

ce que le Cameroun a écrit. Les lunettes de M. Crawford ne sont pas

roses; mais elles ne sont pas ajustées à sa vue

23. Le point de départ est simple le Cameroun a formé une première

requête, puis il l'a complétée par une requête additionnelle et le

Nigéria y a acquiescé (cf. CR 96/13, p. 53 et 58). Ces deux requêtes

ainsi «consolidées» - terme qui serait peut être plus exact - 60 -

qu'«amendées» - soumettent à la Cour un différend complexe, que traduit

l'exposé des demandes du Cameroun telles qu'elles figurent dans les

requêtes et également dans les conclusions du mémoire.

CUrieusement, M. Crawford ne s'intéresse nullement à ces demandes ou

à ces conclusions, alors même que ce sont elles qui définissent le

différend sur lequel la Cour est appelée à statuer (cf. arrêt du 27 .·

novembre 1950, Droit d'asile (interprétation}, C.I.J. Recueil 1950,

p. 402). Il sélectionne une phrase tirée du paragraphe 1 de la requête

additionnelle (CR 96/3, p. 53) - pourquoi celle-ci plutôt qu'une

autre ? - il en déduit que le différend- qu'il veut absolument ramener à t_,

un problème unique - porte, et porte exclusivement, sur la frontière dans

son ensemble.

C'est oublier que les demandes du Cameroun sont multiples : elles

portent sur la délimitation de la frontière dans son ensemble, certes,

mais aussi sur des problèmes, distincts, de responsabilité - qui peuvent

être (mais qui ne sont pas forcément) «consequential» (CR 96/3, p. 54).

Et même en matière de délimitation, les requêtes du Cameroun sont plus

spécifiques que ne le dit M. Crawford.

En particulier, il indique très clairement dans sa requête initiale,

tant sous la rubrique «Objet du différend» que dans la section V relative

à la «Décision demandée», que sa requête porte sur l'attribution de la

souveraineté sur la presqu'île de Bakassi. Or, les violents incidents de

ces derniers temps concernent précisément Bakassi, et, comme je l'ai

rappelé mardi (cf. CR 96/2, p. 49 et les références citées aux exceptions

préliminaires, p. 88, par. 5.3, et p. 95, par. 5.22- 2/), le Nigériane

conteste pas qu'il y ait un litige en ce qui concerne au moins la

souveraineté sur Bakassi. - 61 -

Voici, Monsieur le Président, qui suffit, je crois, à établir la

«recevabilité prima facie» de la demande du Cameroun en indication de

mesures conservatoires : elle vise à sauvegarder les droits qui

pourraient naître, pour l'une comme pour l'autre des Parties, de l'arrêt

au fond de la Cour en ce qui concerne la souveraineté sur la péninsule de

Bakassi comme mon excellent collègue Maurice Kamto l'a rappelé il y a

quelques instants.

Toutefois, le Cameroun souhaite faire deux observations

supplémentaires et ultimes.

2,4. La première concerne la cinquième exception préliminaire

nigériane, reprise par M. Crawford, selon laquelle, il n'y pas de

différend en ce qui conce.rne la délimitation de la frontière du lac Tchad

à la mer.

Tout montre le contraire; mais compte tenu du caractère de la

présente procédure, je voudrais seulement attirer l'attention de la Cour

sur deux éléments :

en premier lieu, la carte qui est reproduite sous la cote K de votre

dossier et qui est projetée derrière moi, montre clairement que des

incidents «frontaliers» ont éclaté non pas en un ou quelques points de

la frontière mais, bel et bien, partout sur la frontière;

M. Ernest Bodo Abanda, en projette le détail pendant que je continue

mon exposé; cette extraordinaire dispersion d'incidents, presque tous

constitués par des incursions nigérianes en territoire camerounais,

montre que, contrairement à ce qu'a soutenu mon contradicteur, il ne

s'agit point de quelques problèmes épars de démarcation ici ou là (cf.

CR 96/3, p. 55) mais bien d'une remise en cause globale de la frontière - 62 -

par la Partie nigériane (les incidents correspondants à la carte sont

brièvement décrits dans un récapitulatif qui se trouve également sous

la cote K de votre dossier);

- en second lieu, le Nigéria nie qu'il existe un différend frontalier

global, mais, que ce soit dans la région du lac Tchad (et très

clairement en ce qui concerne Darak - cf. exceptions préliminaires,

p. 89, par. 5.7), ou dans la péninsule de Bakassi (voir les références

données supra, no 23), le Nigéria n'en rejette pas moins les accords

passés du temps de la colonisation qui établissent la frontière dans

ces zones et très au-delà. ceci, cette remise en cause à Bakassi et à t
'-'·
Darak, ceci, que le Nigéria le veuille ou non, remet bien en cause

toute la frontière car ce sont les mêmes accords qui, combinés,

délimitent le tracé tout le long de la frontière. De plus, comme le

Nigéria lui-même le reconnaît, l'appartenance de Bakassi à l'une ou à

l'autre des Parties conditionne à son tour la délimitation maritime

(cf. exceptions préliminaires, p. 114-115, par. 7.3-7.5)

Malheureusement, Madame et Messieurs de la Cour, il y a bien un

différend concernant l'ensemble de la frontière et ce n'est pas sans

raison que vous avez décidé d'intituler cette affaire de la Frontière

terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria, même si pour ce

qui nous concerne aujourd'hui, tout ceci au fond n'est guère important.

25. Dernière observation, Monsieur le Président.

A la fin de sa plaidoirie, James Crawford s'insurge contre le fait

que j·e me sois félicité dans ma précédente intervention, de l'attitude

conciliante du Nigéria lors de la réunion du 14 juin 1994 (CR 96/3,

p. 58). - 63 -

A vrai dire, sur ce point, il me fait dire un peu plus que je n'avais

dit (cf. CR 96/2, p. 50). Je n'ai pas prétendu que par elle-même, cette

position ouverte et amicale avait constitué une acceptation de la

compétence de la Cour. En revanche, j'avais montré que cet épisode

s'inscrivait dans un ensemble, «a general pattern» dirait-on en anglais,

qui témoigne de la reconnaissance par le Nigéria de.votre compétence et

j'avais cité à ce propos un très grand nombre de déclarations officielles

nigérianes en ce sens, dont certaines très explicites.

A ceci, le Nigéria s'est bien gardé de répondre; je ne peux donc qu'y

renvoyer respectueusement la Cour (cf. 96/2, p.S0-55). Je signale


seulement que vous trouverez, sous la cote S de votre dossier, un nouveau

document qui renforce encore cette argumentation, de même d'ailleurs que

plusieurs des coupures de presse incluses par le Nigéria dans son propre

dossier de plaidoiries (voir notamment les documents n° 6 et 15).

26. Monsieur le Président, l'attitude des autorités nigérianes

m'étonne : elles annoncent à Lagos ou à New-York qu'elles ont saisi la

cour du différend relatif à la frontière terrestre et maritime, elles

contestent votre compétence à La Haye; elles affirment qu'il n'y a pas de

différend frontalier, elles revendiquent cependant des territoires

importants que le Cameroun tient pour siens et elles se livrent à

incursion sur incursion en territoire camerounais; cette carte le montre;

elles protestent de leur volonté de règlement pacifique de ce différend -

tout en contestant votre compétence - et elles font la guerre à Bakassi.

Ce pourrait être demain à Kontcha ou à Kerawa. Le Cameroun, lui, en

appelle au droit contre la force. C'est la signification des mesures

conservatoires dont il vous demande l'indication. - 64 -

Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour, j'en ai

terminé et je vous remercie de votre patience- d'autant plus que j'ai dû

parler très vite pour essayer de tenir les délais. Je vous prie ainsi

que les interprètes de bien vouloir m'en excuser. Monsieur le Président,

je vous prie de bien vouloir appeler à cet barre l'agent du Cameroun pour

une déclaration finale.

Le PRESIDENT : Je donne la parole à Maître Douala Moutome pour

conclure ce deuxième tour de plaidoiries au nom de la République fédérale

du Cameroun.


M. Douala MOUTOME: Madame et Messieurs de la Cour, aux termes des

diverses interventions des conseils de la Partie adverse, qui reste nos

frères africains, je dois avouer qu'il en est résulté, à mon niveau, un

sentiment d'étonnement. D'étonnement non pas sur ce qu'ils ont dit, mais

sur cette tendance à vouloir conduire votre haute juridiction à examiner

plutôt le fond de l'affaire tel que nous l'avons présenté nous, du côté

camerounais, ou alors tel qu'ils le conçoivent dans leurs exceptions

préliminaires.

Il me semble donc indispensable, en prenant la parole pour conclure ~

l'exposé du Cameroun, de souligner ici que mon pays et le Nigéria auront

tout le temps pour s'arranger et s'accommoder comme par le passé. Il

faut également le temps pour justifier chacun en ce qui le concerne sa

demande ou sa prétention, selon le cas.

Pour sa part, la République du Cameroun, soucieuse de respecter les

règles applicables dans le cadre de la procédure en indication de mesures

provisoires, n'a cherché ni a établir au fond la responsabilité du fait - 65 -

des attaques armées qu'elle déplore fortement, ni à engager un débat sur

les questions préliminaires soulevées par le Nigéria, questions qui ne

manqueront pas de recevoir des réponses comme je l'ai dit.

Le seul but du Cameroun à ce stade-est que votre haute juridiction

constate la nouvelle et constante dégradation de la situation à Bakassi

et indique certaines mesures pour permettre que certains facteurs que

j'ai déjà eu à souligner, la fois dernière, qui s'expriment en termes

économique, politique et social, puissent trouver remède afin de

permettre à la population qui s'y trouve et elle est davantage nigériane,

que camerounaise, un endroit serein pour leur subsistance.

Je le redis, ce n'est pas le moment adéquat pour dégager la

responsabilité de qui que ce soit. Dans les demandes de sa requête et les

conclusions de son mémoire le Cameroun a demandé à la Cour de constater

la re.sponsabilité du Nigéria. Il suffit de dire à ce stade que les

événements récents l'aggravent singulièrement.

Je ne puis cependant passer sous silence le goût abusif du Nigéria

pour le paradoxe. Comment ce pays peut-il reprocher au cameroun de se

refuser à recourir aux organisations internationales de règlement

pacifique des différends entre Etats, alors que justement nous venons de

vous saisir, vous, pour permettre de trouver une solut,ion à ce qui nous

oppose, le cameroun et le Nigéria ?

Comment peut-il nous reprocher de nous refuser à des négociations

bilatérales alors que la Partie nigériane remet en cause tous les accords

par lesquels elle est liée, et n'en conclut de nouveaux que pour mieux

endormir notre méfiance, et les remet en cause aussitôt signés, quand

elle ne refuse pas simplement de signer des accords pourtant

laborieusement négociés. Est-elle vraiment prête à toute négociation,

comme elle le prétend aujourd'hui ? - 66 -

Permettez-moi, Madame et Messieurs de la Cour, de vous rappeler que

depuis la date de son indépendance, le Cameroun est en négociation

constante avec le Nigéria pour tous ses problèmes de frontières.

Mais en réalité, ni les rencontres des 5 octobre 1964,

11 octobre 1965, 7 juin 1966 et 15 juin 1966 à Ikon, ni les déclarations

de Yaoundé I et II, en 1979 .et 1981, de Lagos en 1971, de Kano en 1974,

ni celle de Maroua en 1975, ne pouvaient aboutir à quoi que ce soit

puisque le Nigéria ne signait ces accords ou ces communiqués communs que

pour les dénoncer ou les violer aussitôt après.

Surtout, il n'y avait pas de terrain d'entente possible puisque le

Nigéria, au mépris du principe de 1'uti possidetis récusait et récuse

toujours - les traités frontaliers hérités de la colonisation et, en

particulier le fondamental traité germano-britannique de 1913.

Le Nigéria affecte de croire que Bakassi est à lui. Mais sur quelle

base donc ? Il a refusé de plaider le fond et, a soulevé des exceptions

préliminaires purement dilatoires :

- Comment explique-t-il les nombreuses rencontres auxquelles les deux

pays ont accepté de participer, et souvent sur la demande du Nigéria

lui-même, s'il n'y avait aucun problème sur l'appartenance de Bakassi

principalement ?

- Comment rendre compte des accords signés, comme celui de

Ngoh-Cocker si le Nigéria n'était pas dans la certitude de ne pouvoir

justifier juridiquement que Bakassi relève de sa juridiction

territoriale ?

Toutefois l'un de ses conseils a levé un coin du voile, je dois le

reconnaître, mercredi dernier, pour nous dire que le titre nigérian

reposerait sur des bases ethniques - ce n'est pas un titre -, sur des

traditions précoloniales - ce n'est pas un titre - et sur la pratique - 67 ~

administrative coloniale britannique - ce n'est pas un titre non plus :

la Grande-Bretagne avait comme puissance administrante du territoire sous

mandat d'abord, puis sous- tutelle après, reçu le droit d'administrer

ceux-ci à partir du Nigéria, ce que n'avait pas fait la France, qui a

administré dans des conditions différentes, directement, à partir du

cameroun, c'est-à-dire d•un territoire placé sous son autorité.

Les titres que nous faisons valoir sont exposés dans le mémoire du

Cameroun, il faut que j'y revienne, mais ils consistent en des

instruments juridiques, internationaux incontestables.

Monsieur le Président, nos adversaires sont venus tour à tour à la

barre prétendre, et notamment le coagent du Nigéria, sans sourciller,

qu'avant le 3 février 1996 il n'y avait aucune base militaire

camerounaise à Bakassi, et qu'il n'y avait donc aucune raison d'attaquer

le Cameroun.

Ce n'est qu'un sophisme - et un sophisme inexact : il y avait des

bases militaires camer9unaises à Bakassi et il y en a encore malgré les

attaques dont elles sont l'objet depuis le 3 février 1996. Mais sophisme

quand même qui consiste à dire : nous n'attaquons pas le Cameroun en

attaquant Bakassi puisque la péninsule est partie intégrante de notre

territoire disent les Nigérians

Il faut vraiment être capable d'accorder si peu d'importance à

l'intelligence de l'autre pour se permettre de telles affirmations.

De même, est-il difficile pour le Cameroun de comprendre que le

Nigéria se soit depuis tant de temps laissé brutalisé par mon pays, sans

qu'il n'ait jamais pris l'initiative de saisir soit la cour, soit les

organismes tels que l'OUA, le Conseil de sécurité ou l'Assemblée

générale. - 68 -

En réalité, malgré ses déclarations lénifiantes, le Nigéria a

toujours misé sur sa force militaire et, ne pouvant obtenir par la seule

intimidation la riche péninsule de Bakassi qu'il convoite, il tente de

s'en emparer par la force.

A cet égard, quelques passages d•une étude officielle de l'Institut

des études stratégiques du Nigéria ne laisse aucun doute sur les

intentions de ce grand pays :

Il commence par ceci, au chapitre 8 :

«La dispute frontalière entre le cameroun et le Nigéria

provenant de leur longue frontière (1680 Km) [nous au Cameroun
prétendons que c'est (1700}) remontre à l'époque coloniale.
cependant elle demeure une source de conflit permanent dans les

relations bilatérales directes entre les deux pays depuis leur
indépendance.»

Et après une longue et spécieuse analyse de la situation, elle

conclut en termes de propositions sur trois points, pour avoir Bakassi

elle .propose :

«Soit de la conquérir par la force, soit de l'occuper pour
permettre aux Camerounais de s'asseoir autour d'une table de
négociations, soit de l'acheter, soit enfin, ce qui me semble un

peu plus africain, d'amener le Cameroun à accepter une gestion
mutuelle des nombreux biens dont recèle la région dans l'intérêt
bien compris de toutes les composantes sociologiques de

celle-ci.» (Cf. : le Nigéria et le Cameroun, chap. 8, par
Bassey I. ATE in Le Nigéria et ses voisins immédiats.)

C'est l'aveu à la fois que Bakassi n'est pas nigériane, mais que le •

Nigéria est prêt à tout pour s'en emparer et pouvoir ainsi jouir

exclusivement de ses nombreuses et. variées richesses.

Permettez-moi, Monsieur le Président, de citer un document

camerounais de 1994 que le ministre des relations extérieures de notre

pays a adressé à l'OUA et duquel il ressort que, juste après la fameuse

attaque des 19 et 21 décembre 1994, juste au moment où à Buea se

négociait une fois de plus un accord et que le ministre des affaires

étrangères nigérian venait de déclarer, pour la première fois, Bakassi - 69 -

est nigériane, nous nous sommes sentis obligés de saisir l'OUA en vue de

nous aider à trouver une solution négociée et en rappelant, dans cette

longue lettre, que :

le 21·décembre 1993 a eu lieu la première vraie attaque suivie de

l'installation des troupes armées dans certaines localités de Bakassi;

les 9 et 10 février 1994 à l'occasion de la réunion des experts à Buea,

au cameroun, le Nigéria différait complètement la conclusion de

l'accord par des procédés habituels;

les lB et 19 février 1994, les forces armées nigérianes lancent une

e.
vaste opération contre le Cameroun dans l'objectif de conquérir toute

la péninsule de Bakassi (doc. S/1994/228 du 28 septembre 1994}.

Ces deux dernières attaques indiquent clairement que la note de

l'Institut des études stratégiques a produit ses effets; c'est la

première fois que les éléments des forces armées nigérianes prennent

position de façon définitive - apparemment - à Bakassi.

cela a entraîné une réaction camerounaise, réaction d'autant plus

légitime que nous continuons à penser que, selon le traité de 1913,

Bakassi nous revient, et que cela a été reconnu par le Nigéria jusqu'en

1992, date à laquelle ses nouvelles cartes géographiques ont inclus

Bakassi à l'intérieur de son territoire.

La mauvaise foi constamment manifestée par le Nigéria se traduit

également par l'affirmation selon laquelle

!•importance de la population nigériane dans la péninsule est la preuve

de l'appartenance de celle-ci au Nigéria, comme si, Monsieur le

Président, la présence massive des Nigérians au camp Yabassi, à Douala

ou à Moko1o, à Yaoundé, serait la preuve qui pourrait justifier

l'appartenance de ces deux quartiers de ces deux grandes villes du

Cameroun au Nigéria; mais on pourrait aller plus loin, parce qu'ils ne - 70 -

sont pas que là, ils sont également au Nord Cameroun, nombreux; je l'ai

déjà dit l'autre jour 3 millions de Nigérians au cameroun, alors

partout où ils sont nombreux, ce serait leur propriété; et alors le

cameroun serait disséqué en plusieurs territoires, portions;

de même, la portée des résultats des élections du 21 janvier 1996 ne

répond pas aux exigences démocratiques, dit-on de l'autre côté. Mais

que dire alors de celles organisées par le Nigéria et dont les

résultats n'ont pas été publiés tout simplement ? Je m'interdis toute

analyse en terme de jugement, Monsieur le Président, parce que je sais

respecter mon adversaire, et j'ai un éminent respect pour votre haute

juridiction également;

mais, le nombre et la qualité de notre armement, comme le prétend le

Nigéria, renvoient au plan pré-arrêté de ce qui s'est passé depuis le 3

février et qu'il faut prendre les Camerounais pour des inconscients

-cela, c'est moi gui le dit- pour penser qu'ils aient pu prendre

l'initiative d'attaquer un pays comme le Nigéria avec l'armement dont

ils disposent. Heureusement que le Nigéria ne les compare pas au

sien! Qu'il s'est bien gardé- et j'espère qu'il continuera à avoir

cette attitude humble - de vous dire qu'elle est sa puissance militaire

par rapport à la nôtre.

On a également invoqué la virginité de la péninsule de Bakassi jusqu'à

son occupation par les Nigérians. C'est un comble, car ce n'est ni

plus ni moins qu'une insulte à l'histoire. Mais le Cameroun aura à en

parler lors des débats au fond.

L'absence de négociations préalables au-delà de la zone des 12 milles,

alors que ces négociations ont couvert l'ensemble des problèmes

maritimes et ont même conduit à un accord - évidemment remis en cause

comme toujours par le Nigéria allant jusqu'à 17,7 milles marins dans

,- - 71 ,- "'

la ligne joignant Sandy point {Jabane) à Tom Shot (Nigéria) lors de la

rencontre conjointe des experts des deux pays à Lagos du 14 au 21 juin

1971 (mémoire du Cameroun, p. 243, annexe 5 de notre mémoire}.

La manifestation de cette mauvaise foi se retrouve aussi à d'autres

niveaux ;

l'exploitation des installations camerounaises comme preuve de la

présence nigériane à Bakassi : ainsi avons-nous observé les photocopies

des écoles et des hôpitaux construits par mon pays - car Bakassi est

mon pays - dans le dossier de plaidoiries produit par le Nigéria pour

justifier de ses effectivés.

Bien entendu, il n'est pas ici question dE: nier l'existence des

constructions nigérianes depuis qu'il a compris que sa seule défense pour

le moment consiste dans la démonstration de sa présence effective sur les

lieux.

L'omission de révéler à la Cour que, dans les zones de pêche dont les

huttes ont été photographiées, la plupart sont des abris saisonniers

correspondant aux périodes de pêche, et sont évacuées dès le début de la

saison des pluies, est également significative.

La contestation injustifiée de la compétence de la Cour alors qu'il

ne cesse d'y renvoyer à chaque occasion de nos rencontres et à chacune de

ses déclarations.

La volonté de faire croire que les négociations avec le Cameroun sous

l'égide de S. Exc. Monsieur le président Eyadema, comme l'a dit

M. Alain Pellet, reste en cours, malgré le fait que le Nigéria sait

maintenant que cela a été suspendu et je ne sais pas d'où sont sorties

ces dates des 11 et 12 mars, puisque la réaction du chef de l'Etat de mon

pays par le biais de son directeur de cabinet qui est versée au débat ne

suscite. et ne devrait susciter aucune nécessité d'interprétation. - 72 -

J'en ai conscience, Monsieur le Président, mon intervention pourrait

paraître rude. Mais vous comprenez également que le Cameroun est depuis

un moment soumis à rude épreuve par le Nigéria, et ce que j'ai entendu

ici, avant-hier, aggrave encore mon appréhension. J'avais eu espoir

qu'enfin nous pourrions vivre en paix dans cette péninsule après Kara.

Mais je suis aujourd'hui persuadé qu'il n'en sera point.

Et mon seul espoir, celui de mon pays, est remis entre vos mai~s,

Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la cour. C'est à vous à

éviter que l'exemple nigéro-camerounais ne devienne un exemple africain.

ce serait très dangereux, infiniment dangereux, pour toute l'Afrique.

Ceci, Madame et Messieurs de la Cour, rend encore plus urgente,

encore plus indispensable, encore plus vitale, l'indication par votre

juridiction des mesures conservatoires raisonnables et équilibrées que

nous vous avons proposées dans un esprit d'apaisement et dans l'espoir

qu'elles contribueront à rétablir la confiance et permettront aux deux

pays de préparer avec sérenité la suite de la procédure.

Il me reste, Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour, à

vous remercier bien vivement de votre bienveillante attention, mais je

voudrais souligner ici avec votre ha.ute permission que, dans cette

enceinte si noble, si digne, vous n'admettez pas des ennemis, vous

admettez en ce moment des adversaires. Le Nigéria n'est pas l'ennemi du

cameroun, c'est en ce moment l'adversaire du Cameroun et c'est pour cela

qu'après avoir présenté les sincères excuses du Cameroun d'avoir dépassé

largement son temps je me retourne vers mes adversaires, et non pas mes

ennemis, pour qu'ils acceptent ces mêmes excuses. Je vous remercie,

Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour. - 73 -

Le PRESIDENT : Merci beaucoup, Excellence. Par cette déclaration

conclusive s'achève le second et dernier tour de plaidoiries de la

République fédérale du Cameroun. La Cour suspend à présent l'audience

qu'elle reprendra dans quelques minutes pour entendre les représentants

de la République fédérale du Nigéria en leur second tour de parole.

L'audience est suspendue de 11 h 10 â ll h 35.

The PRESIDENT: Please be seated. The hearing is now resumed. The

Court will hear the second round of oral arguments of the Federal

Republic of Nigeria.

1'
I call upon His Excellency the Agent of Nigeria.

Chief M. A. AGBAMUCHE: Mr. President, distinguished Members of the

Court,

It is once again a great honour ta address the Court, this time to

open the second round of Nigeria's submissions.

You will recall, Mr. President, that before the Court rose on

Wednesday three of your distinguished colleagues asked questions of the

Parties. Nigeria's answers ta those questions will appear quite

naturally in the course of the submissions my colleagues will be making

to you. Those answers will then be formally placed on record by my

distinguished colleague the Co-Agent at the end of Nigeria's submissions.

Without more ado, therefore, I would ask yeu, Mr. President, ta give

the floor to Professer Brownlie. Thank you.

The PRESIDENT: Thank you very rouch, Chief Agbamuche, for your

statement and now I give the floor to Professer Brownlie. - 74 -

Professer BROWNLIE: Mr. President, I apologize for coming out of the

arder of speakers which was presented ta the Registry. I assure you

without hesitation that the arder is maintained. I have stepped ta the

podium ta deal briefly with a procedural problem which bas presented

itself ta my delegation at the beginning of the coffee break. It is a

fact that what I am offering is an explanation and also a request. The

explanation is that the team of counsel only received the second dossier

of Cameroon at the beginning of the coffee break. We un.derstand that the

dossier arrived at the Kurhaus Hotel at literally one o'clock in the

morning. Through a series of accidents, and I do not think it is

profitable to go through the details, the dossier was not actually handed

on to the team until, as I say, the coffee break this morning. And so

the explanation which I have ta offer to the Court is quite simply that

there will be no reference ta the second dossier of documents in the

speeches which the Nigerian delegation delivers new. The request is that

we would like ta reserve the right, if the Court will give it ta us, to

comment in writing on the documents subsequently. Obviously we cannat

cape with the documents in the present situation.

The PRESIDENT: Sur ce point lâ, Monsieur le professeur, la Cour

prendra une décision, parce qu'à la fin de ce second tour de plaidoirie,

et une fois que la République fédérale du Nigéria aura fait les exposés

qu'elle souhaite faire devant la Cour tout à fait librement, je

clôturerai la procédure aujourd'hui même, par conséquent, qu'il y ait

clôture de procédure dit que nous ne pouvons plus, la Cour ne devrait

pas, en principe, recevoir une quelconque communication ultérieure, sauf

si elle est requise par la Cour elle-même. Alors je réserve la décision

de la Cour pour l'instant et je prie les distingués représentants de la - 75 -
..

République fédérale du Nigéria de bien vouloir commencer ou continuer

leur second tour de parole et la Cour vous informera de la décision

qu'elle prendra sur la question que vous venez de poser.

Professer BROWNLIE: Thank you, Mr. President. If I could ask yeu to

call on Sir Arthur Watts.

The PRESIDENT: Sir Arthur Watts.

Sir Arthur WATTS: Thank you, Mr. President.

Further exposition of the facts

Mr. President and distinguished Members of the court, I would just

like to bring the Court back to the heart of the present matter. Namely,

the hard facts of the events of last month. Hard facts so notably absent

from Cameroon's arguments, bath on Tuesday and this morning.

Mr. President, in the light of the presentations made by Nigeria and

cameroon earlier in the week, and again by Professer Cot on behalf of

cameroon this morning, it is apparent that there is still a degree of

disagreement, and perhaps also sorne confusion, as to what exactly

happened during the incident of 3 February, and during the subsequent

incident of 16 and 17 February. It may therefore help the Court,

Mr. President, if I try to clarify the facts.

Let me begin, Mr. President, by acknowledging the great assistance

which I have had from a member of the Nigerian team here in The Hague

Brigadier General C. M. Zakari, the Director of Operations at Defence

Headquarters, at the Ministry of Defence: you will see his name and

designation in the list of the members of the Nigerian team. I should

add that Brigadier General Zakari is in charge of Nigerian military

operations worldwide. He bas thus been able to provide first-hand - 76 -

information about what bas actually been happening recently in Bakassi.

It is General Zakari who bas, only in the last 24 hours, gained clearance

from his authorities for copies of certain military messages tc be lodged

with the Court. And I will be referring tc those messages later.

Mr. President, I can conveniently divide what I have tc say into feur

sections:

(1) the nature of the terrain in Bakassi;

(2) the military build-up by Cameroon;

(3) the circumstances cf the Cameroon attack on 3 February, and

(4) the circumstances of the Cameroon attacks on 16 and 17 February.

1. The nature of the terrain

Sc let me start, Mr. President, with the nature of the terrain and

let me look first at the map. As the Co-Agent for Nigeria explained on

Wednesday, the map provided to the Court by Cameroon is seriously

misleading, in that it misrepresents the true nature of the area. The

map on the screen behind me is the map used by Nigerian speakers last

Wednesday; and it will be found in the pocket in the inside caver of the

bundle of papers provided to the Court by Nigeria. As I refer,

Mr. President, to various geographical locations, Mr. Timothy Daniel will ~ lt

point to them on the map behind me.

Mr. President, from the map you can see that the area referred tc

somewhat loosely as the Bakassi Peninsula is bounded on virtually all

sides by water - on the south by the sea in the Gulf of Guinea, in the

particular area known as the Bight of Benin; on the west there is the

estuary of the Cross River; to the north there is the Akwayafe River

(and here, Mr. President, I should just interpolate that the limitations

of the projection system mean that this map does not go quite as far

north as the map which the Members of the Court have in their dossier); - 77 -

and tc the east there is the estuary of the Rio del Rey. Within the

approximately oblong area bounded by those significant waterways lies the

"Bakassi Peninsula"; it comprises many islands of varying size, in an

area criss-crossed by waterways, many of which are just small creeks and

streams.

As Professer Brownlie pointed out on Wednesday, .. the land is generally

very low-lying, sc much so that much of its is virtually a swamp;

indeed, significant parts are mangrove swamp, and large parts of Bakassi

are submerged during the rainy season. The area is remote and difficult

tc gain access tc. The vegetation is dense, tropical, mainly low-growing

but with seme trees, and in many places it is water-logged. There are

certain areas where the land is firm all year round, but only in these

areas - these are the land areas in the region of Ine Odiong, Edern Abasi,

East Atabong, West Atabong, Onosi, Ahana and Ite Utan: naturally,

therefore, these areas and their surrounds are most favoured for the

location of villages.

The general physical nature of the Bakassi area is illustrated in the

small booklet of photographe which Nigeria has placed before the Court.

These photographe were taken by a Professer of geography assisting the

Nigerian team: although taken last November, the climate and vegetation

in Bakassi do not change rouch with the seasons, and the appearance of the

area in February can be taken tc be much the same as it was last

November. The photographs, of course, were taken before the events of

last month, and are therefore in no sense specially tailored for the

circumstances which have new arisen.

ln the context of what happened in February, there are severa! things

which the photographs illustrate. Pirst, they show that although the

area is generally flat and low-lying, that does not mean that visibility - 78 -

is good over long distances: the humidity and dense vegetation do much

to reduce visibility. To that I should add that the effect of the

vegetation is not only to reduce visibility, but also to reduce the

extent to which noise carries: thus motorized beats, and even

helicopters, can be quite close yet still not be audible in the way they

would be, say, on the canals of the Netherlands. Second, given that the

Cameroon attack on 3 February was directed initially against

west Atabong, the photographs show what sort of village West Atabong is

(see photographs at pages 11 to 18, and 20 ta 21). It is apparent from

those photographs that it is a fair-sized village, with, clearly, a large

proportion of fishermen among its inhabitants.

Mr. President, this morning Professer Cot mentioned West Atabong but

virtually only in passing. He did not dwell on Cameroon•s alleged role

there, and that, -if I may say, was very wise of him. It is apparent

that, as recently as last November, it was being administered by Nigeria,

not cameroon. If the Court looks at the photographs on pages 15 and 17

which refer ta a health centre, it can be seen quite clearly that the

notice in front of that health centre reads "Yakubu-Bako Comprehensive

Health Centre Atabong, Akwa !born State, Nigeria". Ta return ta the

photographs the third thing that they show, particularly the photographs

at pages 11 and 14, is sorne sort of idea of the maritime approaches ta

West Atabong. Fourth, the photograph at page 19 shows the nature of the

waterway in front of West Atabong, looking across the Bakassi Creek

towards East Atabong, which is about half a kilometre (say, a quarter of

a mile) across the water. - 79 -

2. The military build-up by Cameroon

Mr. President let me begin by repeating what was said on Wednesday by

beth the Agent and Co-Agent for Nigeria: Cameroon bad no fixed military

positions on Bakassi prier to 3 February 1996. Nor does Cameroon have

any there now. Bakassi being Nigerian, Nigeria would take grave

exception ta the establishment of any Cameroonian military, or indeed

administrative, presence actually in Bakassi. Cameroon's nearest

military positions are at Isangele, Kombo Tindi, Bamusso (a naval

installation), and Douala, all inside Cameroon territory. It is only by

making forays from those bases that Cameroon troops can infiltrate into

Bakassi. Let me in passing confirm, again as the Agent for Nigeria said

on Wednesday, that Nigeria, along with its civilian administration in

Bakassi, does have military installations in Bakassi - as is consistent

with Bakassi being Nigerian. One of those military positions is at West

Atabong, a position established by the Nigerian military for many years,

and in particular one established long before the ceasefire of

February 1994. I will return ta this later.

For many months Cameroon bas been building up its military capability

around Bakassi. The Agent for Nigeria has already given details of this

build-up. These details will be found at page 20 of Wednesday•s verbatim

record (CR 96/3), and I will not repeat them here - although I will just

remind the Court that one particularly relevant element in that build-up

included ground troops, marines equipped with fast flat-bottomed

gunboats, and gendarmes similarly equipped with the same kind of

gunboats. It is notable that this morning Cameroon, although referring

ta this matter, said nothing ta deny those details of its build-up.

Understandably Nigeria is confident of the accuracy and veracity of its

information. - 80 -

3. Tbe circnmptances of the Cameroon attack on 3 Pebruary

Before summarizing the circumstances of the events of 3 February,

Mr. President, I should like to make sorne general commen.ts about the

documentary evidence, and particularly the documents submitted by

Cameroon. They were submitted in two batches. The first batch was sent

to the Court under caver of a letter dated 26 February, which the

Nigerian team received only on Monday of this week: it was,

Mr. President, little short of a shambles - documents were not in any

particular arder, many were in substantial part illegible, they were not

numbered in any way, and there was no list of contents, let alone any

explanatory material. If the purpose of these documents was to give

notice to the Nigerian team of material about tc be used by Cameroon,

then it was wholly unsuited tc that purpose. The second batch was lodged

by Cameroon with the Court on Tuesday, in a white folder. This batch

contained only sorne of those submitted in the earlier batch, and although

there was this time an index, and the documents were in sorne sort of

arder, many were still in parts illegible, and it was not at all clear

what story they were meant to tell - they were very far from being

self-explanatory, and this was especially true of those purporting to be

military reports more or less contemporaneous with the events of

3 February.

Mr. President, Nigeria was expect.ing Cameroon to say something last

Tuesday to explain how those documents supported Cameroon's version of

the facts of that incident. Instead, Cameroon stayed totally silent on

that matter. Nigeria accordingly finds it difficult ta regard those

documents as serious evidence shedding light on the events of 3 February. - Bl.-

Mr. President, we were told this morning by Professer Cet that, were

it net for the constraints of this present procedure, camercon would have

liked to submit even more documents. I have cnly two commenta tc make.

First, Cameroon is the initiator of· these proceedings. It is up to

Cameroon tc present its case in a prcperly supported way in time for the

hearings which it has set in train.

Second, it is not more documents which are needed, but an explanation

of those which Cameroon has chosen tc place befcre the Court. As to

that, we have tried ta look at them very carefully. They are, on their

face, full of contradictions and confusions. This is not the occasion tc

go through them individually in detail, especially as Cameroon bas not

bothered to do so, but also because time is pressing. But let me make

certain general observations about them.

First, it is striking that no document appears, on its face, to have

been generated in Bakassi, either before or after 3 February. This

severely restricts their credibility as direct accounts of what happened.

Second, this lack of documentation from within Bakassi is also

difficult to reconcile with Cameroon assertions that they had an

effective administration in that area.

Third, many of the documents are sa full of military or ether

abbreviations and jargon that they are incomprehensible.

Fourth, the documents are often remarkably unspecific about the

places where events are said ta have occurred; and where place-names are

mentioned, quite a number are simply untraceable on maps available tous.

Fifth, many of the documents reveal considerable panic among the

Cameroonian troops - but this is not evidence in support of Cameroon's

version as tc who initiated the fighting, which is the point at issue;

it is in any event consistent with Nigeria's version of events. - 82 -

This morning, the Nigerian team waited again for sorne explanation in

detail of what those documents meant, but, as yeu will have noticed,

Mr. President, not a single explanation was forthcoming. This is the

more astonishing in that it is, after all, Cameroon which is alleging the

events which have occasioned the making of the request new before the

Court. I can only ask that the Court, Mr.· President, should- wholly

disregard these military reports submitted by Cameroon as being unclear,

confused, and self-contradictory.

AS ta the Nigerian documents which were lodged with the Court

yesterday - and I will refer tc them again later in detail - let me make

two preliminary points.

First, the Court will see from the fax details at the top of the

various pages that they were only received in The Hague yesterday

morning: we sent them tc the Court, and tc the Cameroon delegation,

before 2 p.m. yesterday. In fact the receipt of the documents was signed

for on behalf of the Cameroon team at 1.40 yesterday afternoon.

Second, the messages from West Atabong were sent to, and the reply

back was sent from, officers acting under the authority of

General Zakari, who as I have said is here as a member of the Nigerian


team; as the responsible senior officer, he personally saw the incoming

messages at pages 1 and 4, and he authorized the sending of the reply at

page 3.

If I might new turn ta the events of 3 February, they can be pieced

together as follows.

3 February was a Saturday. It was market day in West Atabong. At

West Atabong there was a military post, as there has been for many years.

It was, for them, their annual end-of-year party. This takes place

between the end of December and sorne time in March - it depends on the------------~------------------------------~-----------------------------------------

- 83 -'

circumstances. The Nigerian soldiers were relaxing and preparing for the

party. At 12 neon, without warning and without any provocation, a

cameroonian artillery barrage started. It consisted of mortar fire and

fire from high velocity weapons.

Here, Mr. President, the Court might like to refer to the first

report contained in the documents submitted by Nigeria yesterday. You

will see from the "Date Time Group" heading at the top of the page that

it was sent at 2.35 p.m. on 3 February; and, from the headings in the

top left-hand corner of the page, that it was sent from Headquarters

146 Battalion at West Atabong, and was addressed to Headquarters of

13 Motorized Brigade at Calabar - that is what the abbreviation "Cal"

means; and that it was copied, inter alia, to Defence Headquarters,

which is where General Zakari is Director of Operations, and where he

received the message. The message begins with the reference "Op - that

is, Operation- Harmony IV": I should explain that that is the name

given by the Nigerian military, for many years new, to the deployment of

their forces in the Bakassi region. The message itself bears out the

account I have just given. Let me read it in full, translating, if 1

may, the military abbreviations used in the message. Let me just add

here that the initials ''PD" mean "full stop", just as '!ater on the

initiais "CMM" means "comma".

"Situation Report." At about 1200 on 3 February 1996, the

Cameroonian military had infiltrated through the creeks to about
600 metres ta our own positions with mortar and high velocity
weapons from their gunboats. The shelling is still continuing

and the market is also a target. Casualties not yet known. You
are please urgently required to authorize quick response ta
their attack. As at present, own troops on alert awaiting your

orders. Treat as most urgent. Acknowledge."

So the incident started. According to Nigerian military reports, the

shelling lasted until 6.47 in the evening·- that is, for six hours and - 84 -

47 minutes. The cameroon forces engaged in this operation were commanded

by a Captain Bobo.

Mr. President, this surprise and unprovoked attack was launched from

beats. In giving details of the Cameroon military build-up in the area,

Mr. President, yeu will recall that I drew attention to the acquisition

by cameroon forces around Bakassi of a number of flat-bottomed gunboats.

These boats are of types capable of providing a stable platform for the

firing of mortars. They are shallow-draughted vessels, well-suited ta

navigate the waters of the creeks and small rivers which criss-cross

Bakassi. They can be relatively speedy; they are easily manoeuvrable;

they also ride low in the water, and would be difficult to see at any

distance; and as I have mentioned, noise from their engines would be

considerably muffled in the creeks and estuaries of the area.

And, of course, Mr. President, while Nigeria does not know precisely

how the attackers came to the sites from which they launched their

barrage, it seems most likely that they originated from Cameroon bases

east and north of the Rio del Rey - that is, from those bases outside

Bakassi to which I have already drawn attention, most probably Isangele .

Having left their bases they will almost certainly have stealthily


infiltrated through the navigable creeks across the centre of the

Bakassi Peninsula - and yeu will note in particular, Mr. President, the

convenience of the waterway, which is navigable for the kind of beats

which we are talking about, which begins at Hecuba Point on the Rio del

Rey and wends its way across the Peninsula to Bakassi Creek in front of

West Atabong. The initial message from the Nigerian troops in west

Atabong certainly said, presumably on the basis of their local knowledge

and observations, that the raiders "infiltrated through the creeks" and

fired· "from their gunboats". The sort of mortars which were used in this ;-O:·,e''

- as -

attack have a maximum range of about 2 kilometres: accordingly, a

mortar-launching craft would not need to get very close to West Atabong:

and the initial Nigerian report, as yeu will see, said that they

approached to within about 600 metres.

Perhaps, Mr. President, at this point I should remind the Court of

what the co-Agent for Nigeria said on Wednesday about what, to the

uninitiated, might seem the most obvious way to attack West Atabong and

ether places along the south coast of Bakassi. Looking at the map,

Mr. President, the Rio del Rey looks like the obvious route to take for

any military forces wanting ta get from Cameroon bases in Cameroon

territory ta launch an attack on the villages on the southern coast of

Bakassi, and West Atabong. Why bother with tortuous creeks when the

bread waters of the Rio del Rey are available? Because, Mr. President,

as the Co-Agent said, if you sail dawn the Rio del Rey you are going ta

be very visible; and in any case, although it looks.like placid, open

water, it does in fact have strong currents, and many submerged rocks and

boulders. Bath for safety and for secrecy, the creeks are better.

Mr. President, the attack that took place was a serious and surprise

attack on Nigeria's villages. Nigeria's knowledge, through experience,

of cameroon military tactics is that after a period of shelling and

shooting it is assumed that the people in the target area will have fled,

and then the Cameroon forces may move in.

And sa it was at West Atabong. After the initial barrage, lasting as

I have said for more than 6 hours, the Cameroon forces - of about

battalion strength sought ta move in ta West Atabong. However,

Mr. President, the Nigerian troops there bad not fled. And they clearly

could not fail ta respond ta the attack. But their response, only made

after being properly authorized by the military High Command, was limited - 86 -

in scope, and was proportionate ta the need ta defend itself and its

population. Yeu will see, Mr. President, from the initial message from

the Nigerian military in West Atabong that their report was not "we have

fired on and repulsed the Cameroonian forces", it was a request for

urgent authority tc make a response - "Please urgently required ta

authorize quick response to .their attack." That, Mr. President, was the

proper reaction of a disciplined military unit.

The authority to respond was given and I refer the Court to the

message at page 3 of the Nigerian documents. The Court will see that it

was sent at 5.30 p.m.; and it came from Defence Headquarters- the

message was signed by Colonel Falum, who is on General zakari's staff:

and the authority itself had been approved by General Zakari. The

instruction was crisp and clear: "Yeu are tc maintain your position

repulse Cameroonian attack and lo[o)se no ground. Yeu should send

6 hourly situation reports. Acknowledge." Accordingly, Mr. President,

there were exchanges of tire between the two sides. The Cameroon forces,

having sa unexpectedly found Nigerian troops in their path, melted away -

presumably back the way they had come, in their beats. In February it

gets dark in this area by about 7.30 p.m.; and sa, sorne three-quarters

of an hour after the initial Cameroonian barrage stopped, the Cameroon

troops had withdrawn, and it was not practicable, in the dark, for the

Nigerian troops to follow·them.

The third message, Mr. President, submitted by Nigeria is a report

sent ·back to Headquarters at 1 o'clock in the afternoon the next day

(4 February). Again let me read it, in, so to speak, translation from

the military language:

After the initial introductory references: - 87 -

"Situation Report as at 12 neon on 4 February 1996.

Cameroonian attack bas been repulsed and driven out of own
position area. Casualties:

Civilians - killed in action {= "KIA~) - 10

- wounded in action {=- ~wiA" l - 20

Troops - killed in action - 2, and

- wounded in action - 3.

You are ta urgently send medical team ta Calabar ta

assist in handling the large number of civilian casualties.

General Officer Commanding {= "GOC") 82nd Division will

visit the area immediately ta assess the situation.
Acknowledge."

Ta round off this account of the events of 3 February,

Mr. President, I should add that after their failure ta make inroads at

West Atabong, the cameroonian troops attacked East Atabong and

surrounding villages - sa ta speak, Mr. Pre~ident, while on their way

home. The Nigerian response was just as it bad been at West Atabong -

they maintained their positions and repulsed the attackers.

I must emphasize, Mr. President, that in the course of its a.ctions

in self-defence, Nigeria did not gain any new ground. The military

instructions, as you will see, ta the Nigerian forces were simply to

"maintain" their own positions and "repulse" the Cameroonian attack.

Cameroon, by the map which it submitted ta the Court (Tab A of the

Cameroon bundle of documents), says that the eight places ringed in red

are Cameroon positions occupied by Nigerian forces since 3 February.

Mr. President, this is simply not true. Those eight places a.re all

villages, inhabited by Nigerian nationals and having Nigerian names.

Those villages were never established Cameroon positions: as I have

already said, and I say it again, Cameroon had no fixed military

positions an Bakassi before 3 February. Indeed, Mr. President, there - 88 -

would have been absolutely no military logic in the position as Cameroon

claims it tc have been: a look at the map shows that the only effective

supply route for the Nigerian forces on the south coast of Bakassi - West

Atabong, and sc on - is dawn the Akwaya'fe River: Nigeria could never

have tolerated any fixed Cameroonian military posts on the east bank of

the Akwayafe River. If Nigerian troops are in those villages new, it is

simply because those villages are part of Nigerian Bakassi; there is no

question of them having "fallen into Nigerian bands" since 3 February.

Let me add a final point about the Nigerian military positions in

Bakassi. I repeat: Nigerian military positions remain where they were

before 3 February. No new positions whatsoever have been "taken" and

occupied by Nigerian armed forces since that date. This, however, leads

me on to clarify a very important point. There have been severa!

references by Cameroon - for example, in paragraph 4 of their Request for

interim measures - to a "ceasefire" line: in that paragraph they refer

specifica~l to there being in the Bakassi Peninsula a "ceasefire line of

February 1994". This is simply not true. There is no "ceasefire line" in

Bakassi. No such line has been agreed by the Parties; and if one looks

at the map, and bearing in mind the description I have given of the

terrain, one can see that it just is not an area in which one could

prescribe a ceasefire line. It is significant that Cameroon has not

submitted, either recently, or with its Application, or in its Memorial,

any document purporting to lay dawn this supposed ceasefire line. Of

course, Carneroon cannat do so: no such document exists.

By referring ta a "ceasefire line", Cameroon appears to be trying

tc establish - or get the Court tc establish, or at !east give its

blessing tc - the existence of sorne line running through Bakassi. One

can see in that attempt a part of a consistent plan by cameroon gradually !.·:.•-·-

- 89 - .

to encroach on Nigeria's territory in Bakassi: one starts with Cameroon

proper over in the east of the map; o~e then maves a bit further west

with the gradual recognition of sorne supposed line through Bakassi; and

eventually, if Cameroon succeeds in its endeavours, the whole of Bakassi

will be taken over by Cameroon. This spurious attempt to create a

"line", whether "ceasefire" or any ether, is utterly.misconceived.

4. The eircumstances of the Cameroon attack on 16 and 17 February

The attribution of the start of this incident ta Nigeria is a

particularly cynical a.ttempt to manipulate the truth. Cameroon made not

the slightest attempt this morning to present any information about this

incident and let me make good that omission. The facts are important not

just because the incidents themselves were important, they were, but also

because Professer Pellet relied on these incidents in arguing this

morning that the Kara communiqué was violated by Nigeria before the ink

was dry on the Ministers' signatures to that communiqué. Let me first

remind the Court that Cameroon, the State which bas, I would recall,

initiated these proceedings, did not submit a single official document

relating to these mid-February incidents, nor have their statements

before the Court done more than just refer to them without any detail.

What happened on 16 and 17 February was this.

The Court will recall, from Wednesday, the references to the

mediation taking place under the auspices of the President of Togo. In

tliat context there was a meeting of the Foreign Ministers of Nigeria and

Cameroon on 16 and 17 February. They signed, on 17 February, a

communiqué, in which they agreed ta cease all hostilities.

Mr. President, 16 February was a Friday. It was in the middle of

that very meeting which was taking place in Togo, that cameroon forces - 90 -

made an attack by helicopter. The helicoptere must have come from bases

within cameroon territory. They attacked the Edern Abasi area, firing

from the helicoptere, at quite !one range. The next day - the very day

that the Foreign Minister of Cameroon was signing a communiqué agreeing

tc cease all hostilities - Cameroon forces made another water-borne

attack. This time the attack centred again on Edern Abasi, involving fire

from mortars and high-velocity weapons. It seems probable that, once

again, this water-borne attack started out from bases in Cameroon and

used the creeks and miner waterways of Bakassi. As before Nigerian

troops defended themselves and repulsed.the attack.

That concludes my attempt to give acme greater precision ta the

facts which underlie these present proceedings. I hope that yeu,

Mr. President, and the Members of the Court, have found the attempt

helpful to your understanding of the events of February 1996.

Mr. President, 1 thank yeu for your attention and I should new like

to invite you ta call upon Professer Crawford to address the Court.

The PRESIDENT: Thank you Sir Arthur Watts for your statement. I

new give the floor to Professer James Crawford.

Professer CRAWFORD: Mr. President, distinguished Members of the

Court.

Under Article 41 of the Statute, the Court bas power "to indicate,

if it considera that circumstances sa require, any provisional measures

which ought ta be taken to preserve the respective rights of either

party". It is not sufficient that particular measures should be

desirable; they must be required by the circumstances. Moreover, they

must be required for a particular purpose in arder to "preserve the - 91 -

respective rights" of bath parties pending the determination of the

merits. Professer Brownlie has already analysed this requirement

(CR 93/3, pp. 24-27), with references to the authorities.

Based on the factual situation just outlined by Sir Arthur Watts, I

will show that the measures sought by Cameroon do not meet the

requirements of Article 41 of the Statute, nor are they consistent with

the due exercise of the Court's judicial power. It is of particular

importance in the latter regard, that is to say in relation to the

requirements of judicial power, that interim measures must in no sense

prejudge·the Court's eventual decision on jurisdiction and admissibility,

and if the Court is then able to reach the merita, on the merits. The

continued confidence of the parties in the judicial process necessarily

requires that any interim measures should not be prejudicial. To put it

positively, they should be equitable and balanced with respect to bath

parties. They should not prejudge the rights which bath parties are

taken to have pending the determination of the Court on jurisdiction and

merits.

Mr. President, of course what I have to say now in relation to the

measures sought is not addressed to the prerequisites in any event for an

indication of provisional measures, that is to say, the existence of

prima facie jurisdiction and prima facie admissibility.

There is no need to elaborate upon what Sir Arthur Watts and I said

on this on Wednesday, save for one point. Professer Pellet in his

address this morning accepted the legal principles which underlay what I

said on Wednesday. He accepted that the prerequisite extended to

admissibility as well as jurisdiction, as indeed this Court clearly

indicated in Nuclear Tests. He did not then say, it may be that the

whole boundary is not an issue, but our particular concern is Bakassi. - 92 -

He went on to deny that argument, on the facts - there were very few

facts in the presentation this morning - but that was one of them. He

said the whole boundary is in fa.ct in dispute. One way he demonstrated

that was to show that there is a dispute at one end of the line, in

Bakassi, and at the ether end of the line, in Lake Chad. The analogy was

of a piece of string. If there are problems about the two ends of the

piece of string, obviously there are problems all dawn the line.

Mr. President, a boundary of 1,680 km is not a piece of string. It is

the line, as it were, the conceptual line, in a sense, the practical

line, of the relationship between two peoples. And that line exista not

withstanding that particular aspects of it, and in particular at bath

ends, may be in dispute. As I said on Wednesday, there is no factual

basis for the proposition tbat the boundary as a whole is in dispute.

Nigeria does not contest - and in its Preliminary Objections it

made that clear - the principle of the delimitation of the boundary with

the exception of certain particular problems that have arisen. It

accepta that there are particular problems, but the idea that those

particular problems put the whole boundary in dispute is absurd. Since

it follows that the description, or indication, of the dispute given in

the amended Application is incorrect, there is no dispute appropriately

indicated before the Court. The difficulties otherwise will be enormous

because in its Reply, Nigeria will have tc survey every kilometre of the

1,680 km to determine exactly where the line is, how the issues of

demarcation are to be resolved and what issues there may be relating tc

the régime of the boundary. Alternatively, the court is asked, as it

were , t o ges ture in the di rection of the boundary, and tha t. i s not

judicial power.1

i
- 93 -

Cameroon•s Pirst Requested Measure

I return therefore.my main function, that is, the question whether

the substantive requirements of Article 41 are met. I turn then ta

Cameroon's first requested measure. The first measure sought by Cameroon

is as follows: that "the armed forces of the Parties shall withdraw ta

the position they were occupying before the Nigerian armed attack of

3 February 1996". on the version of the. facts given by Cameroon itself,

this request does not mean what it says. For according to their version

of the facts, Nigeria would have ta withdraw ta a few positions on the

e.
extreme western edge of the Bakassi Peninsula, while Cameroon would have

ta advance to occupy all the positions sa vacated. The first Cameroonian

request should thus be reworded as follows: "the armed forces of Nigeria

should withdraw ta Archibong, Jabane II (otherwise known as Ahana) and

Diamond, and the armed forces of Cameroon should advance ta occupy the

rest of the Bakassi Peninsula".

Mr. Kamto, this morning, said that as proposed, the Cameroonian

provisional measures were entirely equitable and balanced and·required

the same conduct from bath Parties. One is reminded of the ultimatum

given tc the opposing parties in 1956 which bad required, in effect, that

one belligerent should advance a considerable distance and the ether

retreat.

Of course Nigeria presents a different version of the facts,

because as Sir Arthur Watts has shawn, Nigerian military forces

controlled many positions on the Peninsula on 2 February, including

West Atabong. West Atabong was a point particularly singled out in the·

cameroonian map. They did sc as part of Nigeria's overall administration

of the Peninsula, which is of long standing. According tc Nigeria's

version of the facts, the content of Cameroon's first request would mean - 94 -

that Nigerian troops should stay where they are, because they have not

changed their positions since that date and Cameroonian troops should

stay where they are, because they are in cameroon.

It is obvious that the Court as à· judicial organ cannat issue an

indication that means two completely different things ta the opposing

Parties. It is equally obvious that the Court as a judicial·organ cannet

determine, without a proper evidential bearing, whether there was a

Nigerian armed attack on 3 February, or a Cameroon armed attack, or

indeed precisely what happened at all. We say that if the court could

determine that, we would, on the relevant balance of proof, have

established our version of the case. But we do accept that in the

context of provisional measures, a determination of disputed facts

presents difficulties. I am not sure that it is appropriate ta talk

about the dust of war given that it rains almost all the time in Bakassi,

or ta talk about the fog of war in a place which is extremely hot. But

even a well-organized and well-equipped force could get lest and confused

about what it was doing and what was going on in a military skirmish such

as that which occurred on 3 February. There no doubt may be ether and

further explanations, but whatever happened, a fair degree of confusion

was no doubt involved. Bakassi, as Sir Arthur bas said, is a maze of

swamps and waterways, heavy with vegetation, with no roads and with no

installed electricity. In the circumstances and without in any sense

resiling from the Nigerian position as ta what happened, which bas been

strongly affirmed in accounts given to counsel for Nigeria by those who

are in a position to know what happened - the situation is quite sirnply

this. The Court is really in no position to decide between the

conflicting accounts. And it follows quite simply from that that any

indication of measures in the terms sought by Cameroon could only be . ' .

- 95 - .

prejudicial. The anus is on Cameroon as the requesting State, they have

not discharged that anus in the context of provisional measures.

But there are further difficulties in the way of Cameroon's

request. The rights claimed by cameroon in the present case - even on

the assumption that the Court is able .to reach the merits of the case -

hinge on its claim to sovereignty over Bakassi. It is perfectly obvious

that neither the events of 3 February, nor any subsequent events, can

have the slightest effect on either Party's claim to sovereignty.

Sovereignty will be based on anterior title, and will be wholly

unaffected by any military occupation of territory in the period since

March 1994, and a fortiori since February 1996. I should say on the

facts, there is no indication that Nigeria is using its control over

Bakassi to explore for natural resources there - as Turkey was doing in

the Aegean Sea case there is no indication that it is taking steps ta

exploit those resources by the issuing of permits and so on - as

Australia was doing in East Timor. I observe in passing that in the

former case interim measures were not granted and in the latter case they

were not even sought.. All that is happening is that a lost-established

administrative control of Bakassi is being continued, and that the

Nigerian civilian population are going about their normal business of

fishing, subsistence agriculture, the holding of markets and occasionally

it seems the holding of parties. That is to say, they are doing that

when they are not being mortar-bombed.

Mr. Kamto referred in the context of damage to the destruction of

the infrastructure. He said that this was irreparable damage. There is

not a lot of infrastructure in Bakassi but it is true that if there were

any indications of the destruction of infrastructure of physical plant

and buildings, this would be a problem. At another point he complained - 96 -

about the painting - the fresh painting on seme of the buildings - it

seems that the infrastructure is bath being painted and destroyed. It

seems rather odd that it could be bath. In fact, as yeu see from the

photographs, there is every indication that the infrastructure is being

maintained - it is being maintained as a normal part of administration.

The allegation that Nigeria intends ta annex or conquer the Bakassi

Peninsula is unfounded in fact. Any declaration of annexation would

first of all imply an admission that the territory was previously not

within the sovereignty of the annexing State, and that is certainly not

Nigeria's position. Nor can there by any question of conquest: the

local population is Nigerian and Nigeria's administration, occasional

clashes with cameroon forces apart, is peaceful. In any event, as a

matter of law, any declaration of annexation or conquest would be totally

ineffective, and there is no need for the Court tc recall that obvious

proposition by way of the indication of provisional measures.

Nor is there any indication that the composition of the local

population is being changed in any way. As I have already noted, sa far

as the local population is concerned, the Nigerian control of Bakassi is

peaceful. The same cannat necessarily be said for the situation that

would follow from the measures sought by Cameroon. There is evidence,

which Cameroon this morning did not deny, that members of the Nigerian

civil population were killed and injured by Cameroonian forces on

3 February and were subsequently treated in Nigerian hospitals. · There

have apparently been earlier incidents of harassment. Yet Cameroon is

calling on this Court ta indicate that Cameroon should assume military

and administrative control over this population, almost all of Nigerian

nationality, and sorne of whom are still recuperating from their wounds in

Nigerian hospitals. And this, Cameroon asks, without the Court ~------- -,---,.----.,----

- 97 -

determining either that it has jurisdiction over the case, or that the

case is admissible, or that Bakassi belongs ta Cameroon. It can quite

obviously determine none of those things at this stage. Anyching less

like an appropriate or necessary preliminary measure it would be hard Co

imagine.

It is true, as Mr. Kamto said this morning, that irreparable damage

might be caused ta the infrastructure and ta the population by continued

military conflict over Bakassi, and Professer Brownlie will address that

particular question in the context of the issue whether it would be

appropriate for the Court to indicate proprio motu its own provisional

measures. But the provisional measure sought and not changed by Cameroon

is totally inappropriate; it would involve a change in the statua quo,

the handing over of a Nigerian civil population ta a Cameroonian

administration.

Cameroon•s Second Reguested Measure

I turn then ta Cameroon's second reguest, which reads as follows:

"the Parties shall abstain from all military activity along the entire

boundary until the judgment of the Court takes place". Now as already

pointed out, and as plainly affirmed this morning by counsel for

Cameroon, this reguest refers to the whole boundary from Lake Chad ta the

sea and beyond, 1,680 kilometres of land boundary. Yet Cameroon has

presented not a trace of evidence relating ta the need for this

indication, leaving aside the Bakassi Peninsula and, as pointed out,

there is no boundary within the Bakassi Peninsula; not a document, not a

trace. It is true that Professer Pellet said there had been incidents

along the frontier, but those incidents were a considerable time age,

were isolated incidents, and have not been particularized by Cameroon; - 98 -

they are plainly inadequate ta found provisional measures upon at this

stage. As between two States with, hitherto, good general relations, and

in the absence of any ether evidence of conflict, there is absolutely no

requirement for such a general indication. That being sc there is no

need ta ask the range of questions that the wording of the Cameroonian

second request raises. For example, what is the meaning of the words

"all military activity"? Does it mean that the whole boundary is ta be

demilitarized? Tc what depth? On what conditions? Mr. Kamto this

morning conceded that police would be all right, but the distinction

between police and military activity depends on the arrangements in each

particular coun.try and, especially in rough terrain, it is often

important for the military to act in aid of the civil force. What about

monitoring and verification? Where is the necessity to restrict the

normal prerogatives of each government to dispose of its armed forces on

its own territory? Mr. Kamto said that international peace and security

were threatened along the whole of the frontier. There is absolutely no

evidence that that is true. The terms in which the request is sought are

self-evidently excessive, and are wholly unrelated tc the need to avoid

further incidents in Bakassi. Indeed, it is surprising that the

indications are sought in those terms. It raises serious questions about

the point of these proceedings. My colleague Professer Brownlie will

return to that.

Cameroon's Third Requested Measure

I turn then to Cameroon's third requested measure: the Court is

asked tc indicate tc the Parties that they should "abstain from any act

or action which might hamper the gathering of evidence in the present

case". As formulated, this is wholly la·cking in specificity. There is''

- 99 '-

no indication that either Party is destroying evidence, or hindering the

ether from obtaining evidence, or indeed of what that evidence may be.

cameroon bas already presented its Memorial and 383 annexes, sa that if

there is to be destruction of evidence Nigeria will be disproportionately

affected. Yet Nigeria knows of no auch evidence, and of no attempt to

hamper its collection. In relation to .Cameroon's third request, tbere is

simply no detail at all, and thus no demonstration of necessity. On the

face of it the third request reads like a pro forma reprise of a request

made under very different circumstances in the Burkina Faso/Republic of

Mali case. It bears no relationship to the facts of the present case.

In argument on Tuesday the suggestion was made by counsel for

Cameroon that the particular evidence Cameroon bad in mind was the

archives of the Idebato sub-prefecture (CR 96/2, p. 8), and it was feared

that these archives would be destroyed. Mr. President, Idebato, or as

Nigeria calls it, Atabong, bas been under Nigerian administrative control

for decades. There are no Cameroonian archives there. There is nothing

tc destroy.

But I cannat resist painting out that the suggestion of vital

evidence of Atabong is a recent suggestion. Cameroon bas always claimed

to have full documentation of its rights tc Bakassi - I refer, tc take

only one example - to the Cameroonian statement of 1991 which I cited on

Wednesday (CR 96/3, p.Sl), it referred tc "all the necessary legal

instruments". There was no indication that any of those instruments were

drawn, or rather should have been drawn, from the sub-prefectural

archives of Atabong. Cameroon has already tendered its Memorial in the

present case, which seeks to particularize in detail its claim to

Bakassi. According to Cameroon, it occupied Atabong, beth East and West,

until 3 February 1996. The Cameroon Memorial makes no mention of the - 100 -

sub-prefectural archives of Idebato. Far from constituting strong

evidence of Cameroon•s claim, as is suggested, those archives are not

even referred to. Nor bas Cameroon referred ta them in any of the many

meetings at which it referred, for example, ta the 1913 Treaty, the

sub-prefectural records of Idebato are conspicuously missing from the

accounts of those meetings. During the period from.29 March 1994 until

3 February 1996, it does not seem ta have occurred tc anyone on the

cameroon side that vital evidence of cameroon's rights might be

mouldering away in the sub-prefectural archives of Idebatc. But now it

bas become a main theme of Cameroon•s request! This story of the

. sub-prefectural archives bas a strong air of fiction. After decades of

silence, ta invoke the archives new is an obvious confection. But

anyway, they do not exist.

Conclusion

For the reasons I have given, none of the three Cameroon requests

is necessary to protect the respective rights of the Parties in the

present case. Not even remotely. For this reason, above ali, the

Cameroon request must be rejected.

Mr. President, Members of the court, in this account of the

"necessity" of the measures sought by Cameroon. I have not mentioned the

suggestion made by the Cameroon Agent on Tuesday, that if the Court did

not grant these measures there was a risk, which his Government might be

powerless ta prevent, of the Cameroon population rising up and expelling

from their midst the 3 million Nigerians living in Cameroon (CR 96/2,

pp. 28-29). He even referred by way of comparison to the genocidal

events in Rwanda (ibid., p. 28). Mr. President, this was in relation to

a military incident in which many more Nigerians than Cameroonians are - 101 ~ .

recorded as having been killed and injured, in which, so far as we know

there were no Cameroonian civilian casualties and in which the total

confirmed cameroon deaths was - according to the request itself: one;

according to a Cameroon document of 27.February: three. It is true that

there are more than a hundred persans unaccounted for, and one simply

does not know what to make of that. In the press reports that were

tabled by Cameroon on the 29 February there was a press report giving

considerable indication of indiscipline amongst the Cameroon forces and

of the fact that they had not been paid and were in a mutinous stage.

Nigeria simply can make nothing of the suggestion of missing persans in

the context in which it bas been made. Last Tuesday, the cameroon Agent

could not improve on these figures (ibid., p. 27).

The suggestion that this local difficulty, eminently regrettable

though it may have been, will lead to genocide or ta the transborder flow

of 3 million people is astounding, and a.stoundingly improper. In

response I would only point out that there are well over a million

Cameroon citizens registered as living a.nd working in Nigeria, and

because there are many more unregistered I am told that the total figure

approaches 2 million. They live in perfect safety, and until the Agent's

remarks last Tuesday, the general state of relations between the people

of the two States has never yet been threatened or affected by the

Bakassi incident, strong feelings though there undoubtedly are on the

Bakassi issue. The suggestion made by the Agent bas attracted attention

in the. media and alarm and concern in responsible circles in West Africa.

It is without foundation, it should never have been made, and it deserves

no reply. But the fact that the Agent for Cameroon felt the need to say

it only shows the lack of more particular and substantial grounds for the

interim measures sought by Cameroon. - 102 -

Mr. President, I would ask you to call on Professer Brownlié to

summarize and conclude Nigeria's case on this phase of the proceedings.

Thank yeu, Mr. President, Members of the court, for your attention.

The PRESIDENT: Thank yeu, Professer Crawford. I now give the

floor ta Professer Brownlie.

Professer BROWNLIE: Thank you, Mr. President.

My purpose is ta present a summary and a conclusion of Nigeria's

case asking the Court to reject the request of Cameroon. By way of

introduction I would like to deal quite briefly with two matters.

The first is, I think it is important that the Court appreciate

very carefully the nature of the statua quo in the Bakassi Peninsula

before 3 February 1996. What are the elements in that statua quo? First

Cameroon bad no fixed military positions on Bakassi either before or

after 3 February. Secondly, Cameroonian infiltration and surprise

attacks came from bases outside the Bakassi Peninsula. Third, Nigeria

bas a long-established administration in Bakassi and within this context

Nigeria has had military posts at West Atabong and elsewhere whilst this

activity is a normal manifestation of sovereignty. Fourth, the surprise

attack of 3 February was mounted from outside the Bakassi region and thus

it was not a confrontation between two sets of land-based armed forces.

Fifth, it follows that the attack was unrelated to any Came.roonian

presence within Bakassi. Sixth, there is no division of the

Bakassi Peninsula between Nigerian and Cameroonian forces and

consequently there is no ceasefire line. Lastly, after the attack of the

3 February the Cameroonian forces disappeared back to their bases outside

Bakassi. That is the first matter by way of introduction. '·

- 103 -

The second is simply ta remind the Court that we are not in a

situation where a Nigerian claim is in any way precluded by the well-

known principle of uti possidetis. Uti possidetis is a conservative

principle according to which the arriva! of a change of sovereignty or

decolonization does not of itself change the status of the boundary. It

does not preclude the existence of boundary disputes caused by forms of

lack of clarity or misunderstanding or disputes which were already there.

It preserves the status quo as it were for better or worse. It does not

remove pre-existing disputes. But at the end of the day, at least in

these proceedings, we are not concerned with the question of title.

Mr. President, I now come to the key elements in the Nigerian

position on the request for the interim measures. On behalf of Nigeria
\
the position is that the request is inadmissible tout court on the

following grounds. First that of mootness and secondly that t'he requ.est

essentially constitutes abuse of the Court's procedure. Sa far as the

ground of inadmissibility relating ta mootness you have beard Sir Arthur

Watts on Wednesday morning (CR 96/3) dealing with that very extensively.

There was a cease-fire agreed on 17 February (Tab 12 of the Nigerian

bundle). I need say no more about that.

The ether ground of inadmissibility tout court is that in all the

circumstances what we are facing is an attempt ta use the procedure for

requesting interim measures essentially for collateral purposes. And

this is a form of abuse of procedure. There has after all been a

Nigerian administration in the Bakassi Peninsula in place for a very long

time. As a normal consequence of that, we have the Nigerian character of

Bakassi and the fact that Nigerian armed forces have stationed troops

there and, when this seemed necessary, have patrolled the area. There

has been no Cameroonian presence within the Bakassi Peninsula. The fact - 104 -

that cameroonian armed forces managed to carry out infiltrations and

surprise water-borne attacks makes no difference to the legal status quo.

It is Cameroon which, starting in 1973, bad made attempts to disturb the

territorial status quo in the Bakassi.

You will have heard the detailed account of the events of

3 February provided by my colleague, Sir Arthur Watts, with the

assistance of General Zakari. In these circumstances, against the

background of that highly detailed account of the facts, it is

astonishing that Cameroon should seek ta use the Court's flexible

procedure as a way of obtaining a degree of legitimacy for acts of

infiltration and surprise attacks on Nigerian army posts and villages in

the Bakassi. In our view this involves nothing less than an abuse of the

court's procedure, and no doubt the tactic was motivated by a desire to

bring the issue of Bakassi in front of the Court prematurely in the

aftermath of the presentation of Nigeria's Preliminary Objections. So

much for the case of inadmissibility. But even if the Court does not

accept that the request is inadmissible tout court, Nigeria also intends

that the specifie measures requested by cameroon are inappropriate.

In the first place, in our submission, none of the measures

requested is necessary in arder to preserve the respective rights of the

Parties. secondly, the first requested measure, asking for the

withdrawal of the armed forces of the Parties is, in the actual

circumstances, inequitable and prejudicial to the rights of Nigeria.

Thirdly, the first requested measure is inappropriate if only because the

Court is being asked in effect to make a determination of State

responsibility without having an adequate basis for doing so within the

expedited procedure attaching to a request for interim measures. As

Professer Crawford bas demonstrated this morning, the measure asking for ;.

- 105 - .

withdrawal of the armed forces of the Parties is completely unreal and

bears no relation to the situation which exists in the Bakassi. The

Nigerian forces attacked on 3 February by Cameroonian forces were at West

Atabong when attacked and remained there after the attack was repulsed.

This morning Professer Kamto bas said that the loss of human life

is a form of irreparable dama.ge. But he ignores the fact that the Order
..

of the Court in the Aegean Sea case said that "any violation of Greek

rights might be capable of reparation by appropriate means" (I.C.J.

Reports 1976, p. 11). And it seems quite clear that the Court in the

Aegean Sea case was not going to take up an issue which, if it were an

issue at all, is one of State responsibility as a basis for ordering

interim measures. And, Mr. President, we bave to bear in mind, as bas

just been pointed out by my colleagues, that it was Nigeria which is the

victim of a greater loss of life on 3 February.

The second indication requested by Cameroon is equally

inappropriate that the Parties shall abstain from all military activity

along the entire boundary until the judgment of the Court is given. This

request bears no relation to the facts even in the version offered ta the

Court by Cameroon. The indication requested is clearly disproportionate

and unrelated tc any need to preserve the rights of the Parties. And,

Mr. President, it should be only in exceptional circumstances that the

Court should make an arder which impinges or appears to impinge on the

normal competence of a State to maintain arder within its own territory.

· And sa far as the third indication is concerned, that the Parties

should abstain from any act or actions which might hamper the gathering

of evidence in the present case, Nigeria contends that that is

inappropriate quite simply because it is irrelevant. As - 106 -

Professer Crawford bas pointed out, it is wholly lacking in specificity

and there is no evidence that either Party bas engaged in the destruction

of evidence.

Mr. President, I come to my conciusion. In all the circumstances,

given the nature of the evidence in front of the Court, what should the

Court do? First of all, in our submission as we made clear, the measures
..

requested by Cameroon are quite simply inadmissible tout court.

Alternatively, they are on a whole range of grounds inappropriate. In

particular any arder relating to withdrawal would be nugatory. In the

circumstances this must necessarily be so. There are no lines of troops

- _facing one another in the islands of the Bakassi. And so such an arder

for withdrawal would be unrelated to the existing situation. It would

also appear to reward the Party which had sought to disturb the status

quo by very considerable violence on 3 February. And as I have said

several times, there are no circumstances indicating a need for an arder

ta preserve the respective rights of the Parties. And, Mr. President, if

there is no such need, it is Nigeria's submission that the Court should

not look to ether purposes, and I would like to quete just once more what

Jiménez de Aréchaga, former President of the Courtn said in his separate •

opinion in the Aegean Sea case. He said

"The Court's specifie power under Article 41 of the
Statute is directed to the preservation of rights

'sub-judice' and does not. consist in a police power over the
maintenance of international peace nor in a general
competence to make recommendations relating to peaceful

settlement of disputes." (I.C.J. Reports 1976, p. 16.)

Lastly, if the Court finds it difficult, as it may do, to make a

determination of the facts relating ta the attack of 3 February, then the

logical consequence must be the rejection of the request because the

requesting State naturally bas the burden of persuading the court of the - 107 -

necessity for an indication of interim measures and we say, and it has

been demonstrated again this morning, that the requesting State bas

failed totally to discharge that burden. And, Mr. President, the

Government of Nigeria very much hopes that the Court will show all

necessary judicial caution in approaching the assertions of fact made on

behalf of the requesting State .

Mr. President, I would like ta thank the Court for their patience.

I would a.sk you to call on the distinguished Co-Agent of Nigeria ta close

the case.

The PRESIDENT: Thank you very much, Professer Brownlie. I new

give the floor to Chief Akinjide, Co-Agent of Nigeria.

Chief Richard AKINJIDE: Mr. President, distinguished Members of

the court,

1. I have the honour, as Co-Agent of the Federal Republic of

Nigeria, ta make the closing speech in this second round.

Pattern of Behaviour by Cameroon

2. Mr. President, distinguished Members of the Court, you will have

seen from the list of Nigeria's representatives before the Court that I

am a former Attorney-General of Nigeria as well as Minister of Justice.

By virtue of that office, I was a member of the Cabinet under our

Cons ti tut ion. The Ca.binet is presided over by the President. I was also

a member of the State Security Council, also presided over by the

President. I held the office of Attorney-General under the civilian
..

Government led by President Shehu Shagari between the years 1979 and

1983. During my term of office the incident occurred which is referred

toby Nigeria in the Introduction ta its Preliminary Objections. In that

incident, Mr. President and distinguished Members of the Court, five ..
- 108 -

Nigerian soldiers were killed by the Cameroonian soldiers. I was closely

involved in the events which followed by virtue of my office in

Government.

3. On that occasion also it was, as it was in the first instance,

claimed by Cameroon that this was an act of Nigerian provocation, even

though it was Nigerian nationals who !ost their lives. In the end,

however, it was established that the incident bad occurred not in the

Rio del Rey as alleged by cameroon, but in the Akwayafe River, and that

the fault lay with Cameroon, not with Nigeria. Then, as now, Nigeria

acted with great restraint. A full written apology was given by

President Ahidjo of Cameroon ta President Shagari of Nigeria, together

with an offer of compensation to the families of the victims. Those

compensations were paid. At the beginning of that incident, Cameroon was

very economical with the truth. That was in 1981. They repeated the

same thing in 1996 and they are also now being economical with the truth.

4. There are elements in the current Application which remind me

forcibly of what happened in 1981.

Answers to Questions

S. Mr. President, distinguished Members of the Court, let me now

deal in detail with the three questions put by the Court at the end of

the first round.

6. In response ta the question put by His Excellency Judge Oda, let

me say by way of preamble that the reasons for acceptance or modification

of the acceptance of the jurisdiction of the Court under the Optional ..

Clause are very diverse indeed, and in the opinion of the Government of

Nigeria the drawing of legal inferences from this sphere of State conduct

is highly problematical. - 109. -

7. Nigeria would further, with respect, point out that Judge Oda's

question proceeds on the premise that the Nigerian Government saw the

Court as an available and perhaps even a primary means of dispute

settlement in relation to boundary matters. But in fact Nigeria's

approach to boundary disputes did not involve third party settlement

procedures of any kind. The fact is that since quite saon after
..

independence, boundary questions bad been regularly dealt with by a

series of bilateral procedures or within the framework of the Lake Chad

Basin Commission, and that cameroon had been fully engaged in these

procedures. In consequence the issues of modification of Nigerian

acceptance of the compulsory jurisdiction of the Court with particular

respect to boundary questions did not arise, and this continued tc be the

case up until Nigeria was informed of Cameroon's acceptance of the

Court's jurisdiction under the Optional Clause, an event which occurred

only when the lodging of Cameroon's Application was notified tc Nigeria

by the Registrar of this Court.

8. In answer tc the question put ta beth Parties by Vice-President

Schwebel, Nigeria's answer is "no". It should be borne in mind that the

Bakassi Peninsula has been part of Nigeria and from time immemorial bas

been administered as such. In this context, the armed forces of Nigeria

as and when required maintain units stationed at various points within

the region, and have likewise patrolled the region. There bas been no

change in this respect since 3 February 1996.

~·- 9. The answer to the question put by His Excellency Judge Guillaume

is likewise simply "No". - 110 -

Conclusion

10. Mr. President, distinguished Members of the Court, it has been

a great honour for the Honourable Attorney-General and Minister of

Justice of Nigeria, and for myself, and for the distinguished counsel who

have formed part of the Nigerian team ta address this honourable Court.

11. This matter·is, as yeu know, also before the Security Council.

The President of the Security Council has in a letter to beth Heads of

State dated 29 February 1996 called upon bath Parties tc refrain from

unilateral action, particularly the use of force, tc complicate the

dispute settlement process. I wish without any hesitation tc say on

behalf of Nigeria that the use of force to settle our differences with

Cameroon over Bakassi is as abhorrent to Nigeria as it is to the Security

Council. Nigeria believes that this matter is capable of resolution by

the Parties themselves by the use of peaceful and diplomatie means. That

has always been Nigeria's stance and continues ta be so today. But, for

the reasons that have been given so ably by Nigeria's counsel, Nigeria

asks the Court to decline to indicate any of the three provisional

mea.sures requested by Cameroon. None of those measures are either

admissible or appropriate.

12. Mr. President, distinguished Members of the Court, thank you

for listening sa patiently ta Nigeria's submissions, which are new

concluded.

concluded. Thank yeu.

The PRESIDENT: Thank yeu very much, Your Excellency

Chief Akinjide, for your final statement that concludes the oral

arguments of the Federal Republic of Nigeria subject, of course, to the

further decision of the Court about the request made this morning by - lll -

Professer Ian Brownlie. Since it bas been agreed that there will be no

further round of replies, it also concludes the oral hearings on the

request for the indication of provisional measures of the Government of

cameroon.

I thank you very much, all of you.

It remains for me to offer my sincere thanks to the representatives

of the two Parties for the valuable assistance they have given to the

Court by their oral statements, and for the spirit of courtesy and mutual

respect which they have unfailingly shawn throughout these hearings. I

wish them a pleasant return to their respective countries. In accordance

with our practice, I will ask the Agents to remain available to the

Court. subject to this, I declare the present oral proceedings closed.

The Court will give its Order on the request for the indication of

provisional measures as saon as possible. The date on which this Order

will be delivered in a public sitting will be notified to the Agents of

the Part.ies in due course. The sitting is closed.

The Court rose at 1.15 p.m.

Document Long Title

Audience publique tenue le vendredi 8 mars 1996, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Bedjaoui, président

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