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CR 96/4
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
...
ANNEE 1996
Audience publique
tenue le vendredi 8 mars 1996, à 9 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Bedjaoui, Président
en l'affaire de la Frontière terrestre et maritime
(Cameroun c. Nigeria)
Demande en indication de mesures conservatoires
COMPTE RENDU
YEAR 1996
Public sitting
held on Friday 8 MBrch 1996, at 9 a.m., at the Peace Palace,
President Bedjaoui presiding
-~
.. in the case concerning the Land and Maritime Boundary
(Cameroon v. Nigeria)
Request for the Indication of Provisional Measures
VERBATIM RECORD - 2 -
Présents M. Bedjaoui, Président
M. Schwebel, Vice-Président
MM. Guillaume
Shahabuddeen
Weeramantry
Ranjeva
Herczegh ,
Shi
Fleischhauer
vereshchetin
Ferrari Bravo
Mme Higgins
M. Parra-Aranguren, juges
MM. Mbaye
Ajibola, juges ad hoc
M. Valencia-Ospina, Greffier •
•
,, - 3 -
Present: President Bedjaoui
Vice-President Schwebel
Judges Oda
Guillaume
Shahabuddeen
Weeramantry
Ranjeva
Herczegh
Shi
Fleischhauer
Koroma
Vereshchetin·
Ferrari Bravo
Higgins
Parra-Aranguren
Judges ad hoc Mbaye
Ajibola
Registrar Valencia-Ospina
.-~. - 4 -
Le Gouvernement du Cameroun est resprésenté par :
s. Exc. M. Douala Moutome, garde des sceaux, ministre de la justice,
comme agent;
M. Joseph Owona, professeur, ministre de la santé,
M. Joseph Marie Bipoun woum, ministre de la jeunesse et des sports,
COIMle conseillers spéciaux;
M. Maurice Kamto, professeur à l'Université de Yaoundé,
M. Peter Ntarmack, doyen, professeur de droit à la faculté de droit
et de science politique de l'Université de Yaoundé II, avocat,
membre de l'Inner Temple,
comme coagents;
M. Alain Pellet, professeur à l'Université de Paris X-Nanterre et à
l'Institut d'études politiques de Paris, membre de la Commission du
droit international,
comme agent adjoint, conseil et avocat;
M. Jean-Pierre Cet, professeur à l'Université de Paris 1
(Panthéon-Sorbonne), député européen, ancien ministre,
S. Exc. M. Paul Bamela Engo, avocat, représentant permanent du
cameroun auprès des Nations Unies, ancien Vice-Président de
L'Assemblée générale des Nations unies, ancien président de la
Sixième Commission de l'Assemblée générale des Nations Unies,
ancien président de la Première Commission de la troisième
conférence des Nations Unies sur le droit de la mer,
comme conseils et avocats;
s. Exc. Mme Isabelle Bassong, ambassadeur du cameroun auprès des
Etats membres du Benelux;
M. Ernest Bodo Abanda, directeur du cadastre, membre de la commission
nationale des frontières,
M. Marc Sassen, avocat et conseiller juridique, La Haye,
M. Joseph Tjop, consultant à la société civile professionnelle
d'avocats Mignard, Teitgen, Grisoni (Paris), chargé d'enseignement
et de recherches à l'Université de Paris X-Nanterre,
comme conseillers;
The Government of Cameroon is represented by - 5 -
H.E. Mr. Douala Moutoume, Keeper of the seals, Minister of Justice,
as Agent;
Professer Joseph Owona, Minister of Health,
Mr. Joseph-Marie Bipoun Woum, Minister of Youth and Sport,
as Special Advjsers;
Professer Maurice Kamto, Professer at the University of Yaoundé,
Dean Peter Ntarmack, Faculty of Laws and Political Science,
University of Yaoundé II, Barrister at Law, Member of the Inner
Temple,
as co-Agents;
Professer Alain Pellet, Professer at the University of
Paris X-Nanterre and the Instituee of Political Studies, Paris,
Member of the International Law Commission,
as Deputy-Agent, Counsel and Advocate, ;
Professer Jean-Pierre Cet, Professer at the University of Paris 1
(Panthéon-Sorbonne), Member of the European Parliament, former
Minister,
H. E. Mr. Paul Bamela Engo, Barrister at Law, Permanent
Representative of Cameroon ta the United Nations, Former
Vice-President of the United Nations General Assembly, Former
Chairman of the Sixth Committee of the United Nations General
.Assembly, Former Chairman of the First Committee of the Third
United Nations Conference on the Law of the Sea,
as Counsel and Advocates;
H. E. Mrs. Isabelle Bassong, Ambassador of Cameroon to the Benelux
countries;
Mr. Ernest Bodo Abanda, Director of the Cadastral survey, Member of
the National Boundary Commission,
Mr. Marc Sassen, Barrister and Legal Adviser, The Hague,
Mr. Joseph Tjop, Consultant at the Civil Law Firm of Mignard Teitgen
Grisoni (Paris), Senior Teaching and Research Assistant at the
. .. University of Paris X-Nanterre,
as Advisers;
M. Pierre Bedeau, allocataire d'enseignement et de recherches à
l'Université de Paris X-Nanterre, et moniteur, - 6 -
M. Olivier Corten, assistant à la faculté de droit de l'Université
libre de Bruxelles,
comme assistants de recherches;
Mme Mireille Jung,
Mme Renée Bakker,
comme secrétaires;
M. Thimotée Tabapsi Famndie, chargé d'affaires à l'ambassade du
Cameroun, La Haye.
Le Gouvernement du Nigéria est représenté par :
s. Exc. le chef M. A. Agbamuche, SAN, honorable Attorney-General de
la Fédération du Nigéria et ministre de la justice,
comme agent;
Le chef Richard Akinjide, SAN, ancien Attorney-General du Nigéria,
ancien membre de la Commission du droit international,
comme coagen t ;
M. Ian Brownlie, CBE, QC, FBA, professeur de droit international
public à l'Université d'Oxford, titulaire de la chaire Chichele,
membre du barreau d'Angleterre,
Sir Arthur Watts, KCMG, QC, membre du barreau d'Angleterre,
M. James Crawford, professeur de droit international, titulaire de la
chaire Whewell à l'Université de Cambridge, membre du barreau
d'Australie,
comme conseils et avocats;
M. Timothy Daniel, membre du cabinet D. J. Freeman de la City de
Londres,
M. Alan Perry, membre du cabinet D. J. Freeman de la City de Londres,
Mme Caroline Smith, membre du cabinet D. J. Freeman de la City de ..
Londres,
...
comme Solicitors;
M. Oye Cukwurah, professeur de droit international et membre de la
commission nationale des frontières,
Mr. Pierre Bedeau, Teaching and Research Assistant at the University
of Paris X-Nanterre, and Monitor, - 7 -
Mr. Olivier Corten, Assistant at the Law Faculty of the Free
University.of Brussels,
as Research Assistants;
Mrs. Mireille Jung,
Mrs. Renée Bakker,
as Secretaries;
Mr. Thimotée Tabapsi Famndie, Ch~rgé d'Affaires at the Ernbassy of
Cameroon, The Hague.
The Government of Nigeria is represented by :
chief M. A. Agbamuche, SAN, Hon. Attorney-General of the Federation
of Nigeria and Minister of Justice,
as Agent;
Chief Richard Akinjide, SAN, Former Attorney-General of Nigeria,
Former Member of the International Law Commission,
as co-Agent;
Professer Ian Brownlie, CBE, QC, FBA, Chichele Professer of Public
International Law, Oxford; Member of the English Bar,
Sir Arthur Watts, KCMG, QC, Member of the English Ba.r,
Professer James Crawford, Whewell Professer of International Law,
University of Cambridge; Member of the Australian Bar,
as Counsel and Advocates;
Mr. Timothy Daniel, D. J. Freeman of the City of London,
Mr. Alan Perry, D. J. Freeman of the City of London,
Ms Caroline Smith, D. J. Freeman of the City of London,
as Solicitors;
" .
Professer Oye Cukwurah, Professer of International Law and Member of
the National Boundary Commission,
.. - 8 -
M. I. A. Ayua, professeur de droit et directeur général de l'Institut
de hautes études juridiques du Nigéria,
M. A. H. Yadudu, conseiller spécial du chef de l'Etat pour les
questions juridiques, commandant en chef des forces armées du
Nigéria,
M. M.· Nwachukwu, chargé d'affaires, ambassade du Nigéria aux
Pays-Bas,
Mme Stella Omiyi, directeur au département de droit international et
comparé du ministère fédéral de la justice,
M. Epiphany Azinge, professeur de droit associé et assistant spécial
de l'Attorney-General,
M. M. M. Kida, avocat, ministère des affaires _étrangères,
Général de brigade D. Zakari, directeur des opérations du Quartier
général de la défense au ministère de la défense,
comme conseillers.
. . - 9 -
Professer I. A. Ayua, Professer of Law and Director General, Nigerian
Institute of Advanced Legal Studies,
Dr. A. H. Yadudu, Special Adviser {Legal Matters) to Head of State,
Commander in Chief of Armed Forces of Nigeria,
Mrs. Stella omiyi, Director, International and Comparative Law
Department of the Federal Ministry of Justice,
•
Dr. Epiphany Azinge, Associate .Professer Df.Law.and.Special Assistant
to the Attorney-General,
Mr. M. M. Kida, Barrister at Law, Ministry of Foreign Affaira,
Brigadier-General D. Zakari, Director of Operations, Defence
Headquarters, Ministry of Defence,
Mr. M. Nwachukwu, Chargé d'Affaires, Embassy of Nigeria, The Hague,
--
as Advisers. - 10 -
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. La Cour reprend ses audiences
relatives à la demande en indication de mesures conservatoires formulée
par le Cameroun dans l'affaire de la Frontière terrestre et maritime
entre le Cameroun et le Nigéria. Je donne la parole tout de suite au
professeur Jean-Pierre Cet.
M. COT : Monsieur le Président, Madame, Messieurs de la Cour, il me
revient de faire, au nom-du Cameroun, une mise au point sur les faits.
La pa.rtie nigériane a présenté avec talent sa version des faits. Elle a
apporté un ensemble de précisions qui a pu faire impression. Le
professeur Brownlie s'est mêmepermis de nous tancer sur la légèreté de
nos affirmations : «The perversive lack of specificities concerning_the
facts ... » (CR 96/3, p. 29) ou encore, à propos de notre mémoire :
«The evidence presented . . . is beth inadequate in substance
and unreliable otherwise ... The material is tc a great extent
unsupported by documentary or ether evidence.» (CR 96/3.)
J'ai beaucoup d'admiration pour le professeur Brownlie. Mais je
pense qu'il faut être prudent lorsqu'on s'exprime ainsi surtout devant
votre haute juridiction. Je doute que vous vous laissiez impressionner
par l'argument d'autorité. Et que vous considériez un fait établi parce
qu'il a été simplement avancé par l'agent ou le conseil de l'une ou de •
l'autre Partie.
Avancer des faits sans élément de preuve, Monsieur le Président, est
un exercice périlleux. On court le risque d'être pris en défaut sur tel
ou tel élément de fait. Ce qui jette alors la suspicion sur l'ensemble
des affirmations.
Et je crains que ce ne soit la mésa.venture qui guette nos amis de
l'autre côté de la barre. C'est ce que nous appelons chez nous
l'histoire de l'arroseur arrosé et je vais tenter de vous le montrer. - 11 -
Mais, auparavant, vous me permettrez un bref rappel de quelques
règles de preuve auxquelles vous tenez.
Votre procédure, principalement écrite, vous permet de vérifier la
validité des arguments avancés à l'aide de documents produits à l'appui .
•
Si possible authentiques, sinon certifiés conformes.
Votre système de preuves n'est pas formaliste. Il tient compte de la
diversité des traditions juridiques que vous représentez. Vous puisez
dans ce fond commun le meilleur de ce que chacun de nos droits peut
offrir. Vous tenez compte de la spécificité du litige international, qui
oppose des Etats souverains.
Votre procédure, accusatoire plutôt qu'inquisitoire, repose sur
l'active collaboration des parties dans !•établissement des preuves.
Comme le faisait observer Witenberg, à l'Académie de droit
international en 1936
«Les Etats litigants ont non seulement le droit, mais aussi
le devoir de prouver. Ils ont une véritable obligation de
collaborer à une exacte information du juge international.» (La
théorie des preuves devant les juridictions internationales,
RCADI, vol. 56 (1936-II), p. 97.)
Les règles de preuve ne sont pas différentes· pour une procédure
incidente comme celle-ci, ce sont les mêmes que pour une procédure
principale.
Nous sommes certes dans le cadre d'une procédure orale. Cela ne nous
dispense pas de l'obligation d'apporter des preuves à l'appui de nos
dires, toutes les preuves possibles, afin de remplir cette obligation de
collaboration dont parle Witenberg.
Certes, vous tenez compte de la spécificité d'une procédure incidente
comme celle qui se déroule aujourd'hui devant vous. M. Shahabuddeen
faisait observer, dans son opinion individuelle sur l'application de la
convention sur le génocide, que dans nos système de droit interne, les - 12 -
procédures avant dire droit n'étaient pas soumises aux mêmes exigences en
matière d'administration de la preuve que les procédures sur le fond, en
particulier en matière d'admissibilité d'éléments de preuve indirecte
(«Hearsay evidence») (C.I.J. Recueil 1993, p. 358).
Cet assouplissement dans l'application de la règle ne porte
évidemment en rien atteinte aux principes qui régissent votre procédure
en la matière.
Mais justement, dans l'hypothèse où l'urgence complique le
rassemblement des données, il importe de préserver pleinement le
caractère contradictoire de la procédure afin que chaque pièce produite
puisse être examinée, retournée, discutée par l'autre partie conformément
à l'article 74, paragraphe 3, de votre Règlement.
Vous admettez sans doute que des documents puissent être déposés
jusqu'à la clôture de la procédure orale, mais ceci dans le strict
respect des principes de la procédure contradictoire.
Après ce bref rappel, Monsieur le Président, j'en viens maintenant à
nos dossiers respectifs de plaidoirie.
Le Cameroun aurait souhaité pouvoir présenter un dossier plus étoffé
à la Cour.
•
Les contraintes propres à la présente procédure ne nous ont pas
permis de faire mieux sur les affrontements armés qui se sont déroulés
depuis le 3 février.
Mais que dire alors du dossier du Nigéria malgré l'ajout de ce matin.
Je pensais que, dans la foulée des déclarations de ses éminents
conseils, nous serions accablés de documents, de témoignages plus
authentiques les uns que les autres or, rien du tout. Ou fort peu.
Quelques dépêches d'agences, qui ne sont pas inintéressantes, j'y
reviendrai, et trois ou quatre télégrammes qui nous ont été fournis pouri '
- 13 -.
le second tour. Mais, pour l'essentiel, les affirmations avancées par
nos collègues le sont sans preuves à l'appui, le sont sans fondement, en
bon français cela s'appelle une allégation. Une allégation peut être
conforme au fait. Mais elle peut aussi lui être contraire. C'est ce que
nous allons voir.
~. Prenons d'abord la contestation par nos adversaires de nos propres
dires.
- Les êlections locales
«In all the years that cameroon claimed to have had an
active presence, it never held local elections.» (CR 96/3,
p. 18.)
Je prie respectueusement la Cour de se reporter à l'étude de l'ORSTOM
de juin 1973 qui fait état des résultats des élections de 1970 (mémoire
du Cameroun, livre V, annexe 244, p. 9).
Le Nigéria passé sous silence ces élections de même qu'il passe sous
silence les élections législatives et présidentielles qui ont eu lieu
sans encombre en 1992 dans la péninsule de Bakassi, et dont nous
indiquons les résultats dans notre dossier de plaidoirie.
Enfin, l'agent du Nigéria semble insinuer que le Cameroun a organisé
les élections locales à Bakassi après avoir renforcé sa présence
militaire et pour illustrer l'exercice de sa souveraineté sur la
péninsule.
Nous aurions obligé les populations de nationalité nigériane se
trouvant sur les lieux à participer au scrutin. Et le Ministre de
souligner «The whole exercise bears a strong flaveur of forensic
theatre.»
Vous me permettrez trois observations sur ce scrutin. - 14 -
1. Les élections locales ont sans doute eu lieu à Bakassi à la date
indiquée, mais pas seulement à Bakassi, dans l'ensemble du Cameroun en
même temps qu'à Bakassi. Monsieur le Président, Madame, Messieurs de la
Cour, faites nous le crédit quand même de penser que nous n'avons pas
mobilisé tout le corps électoral camerounais de Maroua jusqu'à Kribi
simplement pour prouver que le bureau de.vote d'Idabato était en état de
fonctionner.
2. Si les autorités camerounaises ont tenté, comme le laissent
entendre nos adversaires, de forcer la main aux nationaux nigérians pour
participer au scrutin, le résultat n'est pas très convaincant. Et c'est
M. Brownlie lui-même qui, dans sa seconde intervention, soulignait
justement la modestie de la participation électorale à Bakassi (CR 96/3,
p. 69).
Je constate d'ailleurs, Monsieur Brownlie, que cette faible
participation est une constante à Bakassi, puisqu'on retrouve les mêmes
proportions dans le scrutin de 1970, et je vous demande de vous reporter
ici à l'étude de l'ORSTOM précitée.
3. Monsieur Brownlie, vous ajoutez inutilement à mes yeux
«What a great hamage to democratie norms.»
Je n'aurais pas soulevé ce point si vous n'y aviez pas fait allusion.
Je ne suis pas certain que le régime actuel du Nigéria soit le mieux
placé pour donner des leçons de démocratie à la République du Cameroun.
Enfin, parmi ces scrutins, manque le scrutin le plus important :
celui qui a donné naissance à la République du Cameroun, telle qu'elle
est constituée aujourd'hui.
Je veux parler du plébiscite du 11 février 1961 organisé par les
Nations Unies au Cameroun britannique et notamment à Bakassi. - 15 -.
A la suite de ce plébiscite organisé par un organisme impartial, le
cameroun a exercé pacifiquement sa souveraineté sur la presqu'ile de
Bakassi dès 1961 et non en 1973, comme le prétendent à tort nos éminents
adversaires (CR 96/3, p. 64).
J'en arrive à la contestation par les conseils du Nigéria, de
l'exercice de la souveraineté camerounaise sur.Bakassi.
Vous trouvez que nos éléments de preuve inclus dans le mémoire sont
contestables ?
Messieurs les conseils du Nigéria, mais conte.stez, mais réfutez
ou bien. ne dites rien.
Par ailleurs, je note une certaine prudence de formulation par les
porte-parole du Nigéria sur cette question de l'exercice pacifique par
l'administration camerounaise de la souveraineté territoriale sur
Bakassi. Les représentants du Nigéria, dans leurs interventions, se sont
bien gardés de mettre en cause la présence de l'administration civile
camerounaise sur la presqu'île de Bakassi.
J'ai bien noté
- l'agent du Nigéria a déclaré :
«unlike Nigeria which bas a number of military installations in
Bakassi, Cameroon has no fixed military positions there»
(CR 96/3, p. 13).
- le coagent du Nigéria, de son côté, confirmait ;
«I repeat, Mr. President, tbat prier ta February 3, 1996,
Cameroon bad no military positions in Bakassi.» (Ibid., p. 66.)
Nous reviendrons sur la question des positions militaires, notamment
pour répondre à la question de M. Schwebel.
Mais j'observe que la Partie nigériane se garde de contester
l'existence d'une administration civile camerounaise sur la péninsule
avant le 3 février dernier. - 16 -
Pour conclure sur ce premier point, Monsieur le Président, il me
semble que nos adversaires n'ont pas réussi à ébranler la véracité de nos
dires, â-~mettr ee doute les faits que nous avançons pour établir que les
autorités camerounaises étaient bien chez elles, à Bakassi, avant le
3 février 1996. •
La Cour appréciera.
Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour, venons-en
maintenant aux faits avancés sans preuve par la Partie adverse.
Je n'insiste pas sur l'habitude d'enfoncer les portes ouvertes.
ce n'était vraiment pas la peine de se donner tant de mal pour
expliquer que Bakassi était administré à partir de Calabar avant '
l'indépendance (CR 96/3, p. 61).
Chacun sait que le Royaume-Uni, puis le Nigéria, administraient le
Cameroun méridional à partir de la région orientale du Nigéria à
l'époque.
Nous avons exposé tout cela dans notre mémoire (vol. I, p. 216 et
suiv.).
Mais contrairement à ce que la Partie adverse laisse entendre par une
habile confusion, on ne saurait en tirer la moindre conclusion quant au
titre de souveraineté postérieurement au plébiscite de 1961.
Plus grave est l'affirmation par l'agent du Nigéria d'un important
renforcement des effectifs militaires du Cameroun à Bakassi à la veille
de l'affrontement du 3 février.
Vous vous souvenez du tableau brossé par Chief Abamuche qui est entré
dans le détail
navires, hélicoptères;
BO véhicules tout terrain;
un conteneur de mortiers de Bl mm; - 17 -
380 lance-roquettes, auxquels se sont ajoutés 400 lance-roquettes
supplémentaires au mois de septembre;
120 mitrailleuses de type 86, etc.
Et encore, l'agent du Gouvernement du Nigéria précisait-il : «Time
(CR 96/3, p. 20.}
does not permit me ta tell the Court all the details.»
Voilà en tout cas un gouvernement fort bien renseigné :
à la dizaine de mitrailleuses près, si j'ai bien compris;
ce qui semble difficilement compatible avec la thèse de l'attaque
surprise;
à moins que la qualité du renseignement nigérian se soit brutalement
effondré entre septembre 1995 et février 1996.
Mais, Monsieur le Président, de plus ce «military build-up» me laisse
un peu songeur.
Car les forces en présence de part et d'autre de la frontière sont
tout de même déséquilibrées. Je tire mes chiffres de l'Année
stratégique 1995, publiée sous la direction du professeur Boniface, à
Paris, les voici, et je pense gue les autres Annuaires stratégiques
donnent à peu près les mêmes ordre de grandeur
- armée de terre : Nigéria : 62 000 hommes
équipée de 178 chars de combats, 100 chars légers, etc.
- armée de terre : Cameroun : 13 000 hommes
aucun char, 14 véhicules blindés de combat.
- marine : Nigéria : 5000 marins
1 frégate., 53 garde-côtes, 2 corvettes, 6 vedettes lance-missiles.
- marine : Cameroun 1300 marins
2 garde-côtes, 1 vedette lance-missiles.
- aviation : Nigéria : 95 avions de combat,
15 hélicoptères armés - lB -
- aviation Cameroun 14 avions de combat,
4 hélicoptères armés
Et l'on voudrait nous faire croire, Monsieur le Président, que le
Cameroun a préparé dans le plus grand secret une offensive qu'il espérait
victorieuse sur la péninsule de Bakassi contre le Nigéria.
Au demeurant, l'issue des combats ne pouvait faire de doute c'était
le pot de terre contre le pot de fer.
Le récit des combats tels qu'il nous est transmis par les télégrammes
des autorités locales et des responsables militaires camerounais
- documents que nous avons fournis dans notre dossier de plaidoirie - me
paraît tout de même plus crédible :
C'est celui d'une gendarmerie camerounaise succombant sous le poids
d'un adversaire nombreux et bien équipé.
Autre affirmation sans preuve, le Nigéria dit qu'il est chez lui à
Bakassi. Qu'il n'a pas à se retirer des positions qu'il occupait avant
le 3 février.
Mais où êtes-vous ? Où étiez-vous ? Nous ne le dites à aucun moment
de vos plaidoiries, ni dans aucun de vos documents.
Là encore, l'affirmation me paraît gratuite, approximative.
Nous, nous disons que vous étiez à Archibong, nous disons que vous
étiez à Jabane, nous disons que vous étiez à Diamond Point, un point
c'est tout.
Enfin, et pour couronner le tout, Monsieur le Président, Madame et
Messieurs de la Cour, les contrevérités avancées par nos adversaires. Ce
sera le troisième point de mon exposé.
Monsieur le Président, Madame, Messieurs de la Cour, il y a diverses
manières d'énoncer des contrevérités. - 19 -
Permettez-moi de commencer par l'album de photos que nous a fait
distribuer la. partie adverse. Les photos .sont belles . Je n'ai jamais
été à Bakassi mais j'ai été pas loin de là à Buera et j'y ai retrouvé ce
ciel plombé, cette humidité, ce sentiment d'humidité étouffante,
inhospitalière qui caractérise ces lieux et qui doit être évidemment
aggravé dans la péninsule par la forêt de mangroves.
ces photos sont belles, elles disent tout cela, elles disent un peu
trop de choses, Monsieur le Président.
Prenons la photo page 15, intitulée «Health Center at Atabong West».
on y voit un centre de santé, un drapeau nigérian, une pancarte
"Kubu-Bako Comprehensive Health Centre" Atabong- Akwa Ibom State Nigeria.
Malheureusement, Monsieur le Président, Madame, Messieurs de la Cour,
nous avons de notre côté retrouvé les archives relatives à la
construction de ce centre de soin de santé par les autorités
camerounaises.
sa construction en 1976
sa rénovation en 1980
sa réparation en 1986
avec même une photo, très mauvaise - la télécopie n'est pas excellente
entre Yaoundé et La Haye !, je le crains- où l'on reconnaît les
caractéristiques générales du bâtiment et où l'on voit, à peu près, que
c'est bien de cela qu'il s'agit. Nous ferons évidemment parvenir à la
Cour aussitôt que nous le pourrons la photographie originale pour
confirmer cette analyse.
Monsieur le Président, lorsque, mardi dernier, j'évoquais l'hypothèse
de villages Potemkine, vous savez ces villages que le premier ministre
russe avait fait construire au passage de l'Impératrice Catherine II pour - 20 -
illustrer l'état éblouissant de l'Empire ou plutôt pour le faire croire à
son Impératrice, je ne pensais pas que nos adversaires s'empresseraient
d'illustrer mon propos avec un album de photos.
Seconde contrevérité : les manŒuvres militaires communes au Nigéria
et au Cameroun, organisées au lendemain de l'affrontement du 3 février
dernier.
Je cite l'agent du Nigéria :
«In the immediate aftermath of the violent clash of
3 February 1996, Nigerian troups took part in a joint military
exercise called «Mount Cameroon Run», a physical training
exercise ... - We did so as a confidence-building measure. »
(CR 96/3, p. 12.}
Et sir Arthur Watts de récidiver :
«Within days of the incidents in the Atabong area, elements
of the Nigeria armed forces were, on the insistence of Cameroon,
participating with members of the Cameroon armed forces in joint
exercises in Cameroon - very far from the behaviour one would
expect if a real and serious dispute had erupted.» (CR 96/3,
p. 36-37.)
Nous avons été un peu stupéfaits, je dois le dire, Monsieur le
Président, d'apprendre tout ceci. L'état~major camerounais nous avait-il
caché ces manŒuvres communes au lendemain des graves incidents du
3 février ?
Mais heureusement, notre équipe s'honore, Monsieur le Président, de
compter dans ses rangs un éminent spécialiste du droit international
africain, le professeur Bipoun Oum, gui est en même temps ministre de la
jeunesse et des sports.
Vous trouverez dans notre second dossier de plaidoiries un dossier
complet sur les manŒuvres militaires en question.
Je dois dire que la petite photo au bas de la première page
ressemble davantage au départ du marathon de New York qu'à des troupes de
combat 'en train de crapahuter. - 21. -
Cette épreuve est placée sous liautorité et le patronages de
l'association des comités nationaux olympiques d'Afrique et de l'Unesco,
dont je ne savais pas que la vocation était de patronner des manoeuvres
militaires.
Monsieur le Président, quand j'étais jeune, il y a quelque temps de
cela, j'avais une passion pour les concours hippiques. L'école italienne
de saut d'obstacle dominait alors la discipline avec les frères d'Inzeo,
Pierra et Raimondo d•Inzeo, l'un lieutenant, l'autre capitaine,
toujours impeccablement sanglés dans leurs uniformes. Ils montaient
divinement bien, face à l'anglaise Pat Smythe, face au français
Jonquières d'Oriola qui, eux, étaient des civils. Personne n'aurait songé
qualifier le concours hippique international de Paris, de «joint military
exercise», ou l'épreuve de barrage pour dépa.rtager les deux premiers
cavaliers de «Confidence building measure ... »
L'invitation faite à l'équipe nigériane de participer à la course de
l'espoir au mont Cameroun peut à juste titre être interprétée comme une
volonté camerounaise d'apaiser les esprits. Mais c'est une autre
contrevérité que de la qualifier de manoeuvre militaire conjointe.
Et maintenant, arrivons-en au fait essentiel pour cette phase de la
procédure, Monsieur le Président.
Quelles étaient les positions des uns et des autres à la veille du 3
février dernier ? Et ce faisant je veux répondre au nom de la République
du Cameroun à la question qui a été posée par M. Schwebel.
·Les Nigérians disent qu'ils étaient partout, mais ils ne précisent
aucune position, nous l'avons vu. Nous nous disons, je réponds ici au
nom de la République du Cameroun que nous étions à
- Idabato I,
- Idabato II, - 22 -
- Guidi-Guidi,
- Kombo a Janea,
- Kombo Miyangadu,
- uzama,
- Inokoi,
- Kombo Abedimo.
Cependant que les Nigérians occupaient sur la presqu'île de Bakassi
- Archibong,
- Akwa,
- Jabane, et
- Diamond Point.
Nous le disons, Monsieur Schwebel, preuves à l'appui, celles que nous
avons apportées à l'appui de nos dires dans notre mémoire, mais aussi
celles qu'apporteront nos adversaires dans leur dossier de plaidoirie.
Monsieur le Président, Madame, Messieurs de la cour,
Je vous prie de vous reporter ici au dossier de plaidoirie nigérian.
Sous la cote n° 13, vous trouverez un article soumis comme «evidence»
par le Nigéria, un article du Sun.day Champion du 18 février 1996.
J'y lis en conclusion
«Nigerian Troops, under the overall Command of the 82nd
division of the Nigerian Army, have since 1994, occupied the
Archibong west side while the camerounians have occupied the
western half in the islands located on the ail rich Gulf of
Guinea.»
Et si vous reprenez la petite carte que nous avons distribuée, il est
clair que nous retrouverons ici les positions que nous avons indiquées de
part et d'autre.
Continuons. Cote no 16, du "evidence" nigérian, le journal nigérian
Newswatch du 26 février 1996 relate un ensemble d'incidents sur Bakassi.
Le dernier date de 1991. Et il conclut : - 23 -
«It was after this that the cameroonians extended their
authority to Abana, Bakassi's most populous settlement.»
Je ne veux pas tirer de ces articles plus que ne l'on peut y mettre,
mais je constate néanmoins que nos adversaires complètent, confortent,
.•
confirment les dires de la République du Cameroun.
Monsieur le Président, dans un litige frontaiier, il est normal que
chacun se prétende chez soi sur le territoire disputé. C'est même le
propre d'un tel litige. Mais ici, le litige n'est pas théorique.
L'affrontement a fait des victimes, civiles et militaires, le dossier de
presse nigérian en témoigne, car la majeure partie de la population de la
zone de combats est d'origine nigériane, nous le savons, et s'est trouvée
soignée dans les hôpitaux nigérians.
Les pertes camerounaises sont probablement plus lourdes qu'on ne l'a
dit si j'en crois les dernières estimations militaires, qui s'inquiètent
sur le sort de la bonne centaine de militaires camerounais disparus.
L'affrontement a repris au lendemain de la médiation de Kara. Il peut
reprendre à tout moment, comme le souligne le ministre camerounais
délégué à la présidence dans son évaluation de la situation à la date du
23 février dernier que vous trouverez dans notre dossier de plaidoiries
sous la cote K en donnant des indications concrètes qui nourrissent son
inquiétude.
Je ne comprends pas sur ce point l'obstination de la Partie nigériane
à nier la gravité de la situation.
Que nous ayons des opinions différentes sur les responsabilités
encourues dans ces affrontements armés, c'est inévitable.
Mais soyons au moins d'accord pour constater que les affrontements
ont déjà coûté trop cher en atteintes aux personnes et aux biens.
Ce constat minimal des faits ne devrait pas nous opposer. - 24 -
A défaut, Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour,
c'est à vous de faire ce constat. Comme le rappelait le juge ad hoc
Elihu Lauterpacht dans l'affaire de l'Application de la convention sur le
génocide : «Tribunals may not and do not close their eyes to facts that
stare them in the face.» (C.I.J. Recueil 1993, p. 423.)
Je n'ai sûrement pas l'intention d'établir un parallèle entre
l'affaire de l'Application de la convention sur le génocide et celle
actuellement devant vous sur notre frontière terrestre et maritime.
Mais je crois qu'ici les faits s'imposent à nous. They staring us in
the face.
Et qu'il vous appartient d'en tirer les conséquences que va
maintenant analyser mon collègue et ami Maurice Kamto.
Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour, je vous
remercie de votre attention. Monsieur le Président, je vous prierai
maintenant d'appeler à la barre le profeseur Kamto.'
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Jean-Pierre Cot, et je
donne la parole au professeur Kamto.
M. Maurice ~TO Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la
Cour,
1. Je reviens devant vous dans ce second tour des plaidoiries du
Cameroun relatives à sa demande en indication des mesures conservatoires
pour essayer de dissiper le doute éventuel semé par les plaidoiries
nigérianes de mercredi sur le caractère approprié des demandes
camerounaises que nous croyions suffisamment établi par la plaidoirie du
professeur Jean-Pierre Cot. - 2S -
2. Mais avant de montrer en quoi ces demandes sont conformes aux
principes juridiques applicables en la matière, je voudrais d'abord
examiner plus au fond la nature des demandes du Nigéria contenues dans sa
lettre du 16 février 1996 à la Cour, ce·qui me permettra d'exprimer
incidemment la position du Cameroun sur la question posée à ce sujet par
M. Guillaume à la République fédérale du Nigéria.
1. La lettre du Nigéria du 16 février 1996 à la Cour est une demande
reconventionnelle
Monsieur le Président, dans cette lettre :
«The Nigerian Government hereby invites the International
Court of Justice to note this protest and call the Government of
Cameroon to arder ... Finally, the Government of Cameroon should
be wa.rned to desist from further harassment of Nigerian citizens
in the Bakassi Peninsula until the final determination of the
case pending at the International Court of Justice.»
4. Pour le Cameroun, on ne peut interpréter de telles demandes
autrement que comme une demande reconventionnelle visant à obtenir de la
cour !'«indication de mesures conservatoires qui ne disent pas leur nom».
5. Si tel est bien le cas, Monsieur le Président, il apparaît alors
sans conteste que le Nigéria reconnaît la compétence de cette Cour, au
moins prima facie, comme l'a montré le professeur Alain Pellet mardi
dernier sans réponse de la part du Nigéria jusqu'à présent. Car on ne
peut demander à une Cour de se prononcer sans admettre, au moins
prima facie, sa compétence; cela me semble être une démarche élémentaire.
Mais, dans ce cas, les objections adressées par le Nigéria aux demandes
formulées par le Cameroun, et sur lesquelles on reviendra dans un
instant, s'opposent plus sérieusement à la demande implicite en
indication de mesures conservatoires ainsi formulée reconventionnellement
par le Nigéria. - 26 -
6. Tout d'abord, cette demande est déséquilibrée dans la mesure où
les mesures sollicitées de la Cour par le Nigéria s'adressent seulement
au Cameroun. Elles ne visent pas du tout à préserver les droits des deux
Parties au différend conformément à une jurisprudence abondante de la
cour confirmée récemment encore par l'ordonnance rendue en l'affaire de
l'Application de la convention sur le génocide .(ordonnance du 8 avril
1993) dans laquelle la cour déclare :
«Considérant que le pouvoir d'indiquer des mesures
conservatoires conféré à la cour par l'article 41 de son Statut
a pour objet de sauvegarder le droit de chacune des parties en
attendant que la cour rende sa décision et présuppose qu'un
préjudice irréparable ne doit pas être causé aux droits en
litige dans une procédure judiciaire.» {Ordonnance du 8 avril
1993, p. 20, par. 34. Voir dans le même sens l'affaire de
1 'Anglo-Iranian Oil Co, C.I.J. Recueil 1951., p. 93 ; affaire du
Plateau continental de la Mer Egée.)
7. Or, que ce soit le «rappel à l'ordre» ou la «mise en garde»,
les mesures demandées par le Nigéria visent, Monsieur le Président, à
éteindre des droits que le Cameroun exerce légitiment et de façon
constante depuis longtemps, au titre de l'administration de son
territoire dans la péninsule de Bakassi, au profit du Nigéria qui n'a que
des prétentions du reste injustifiées et illégitimes sur la péninsule.
B. Ensuite, les mesures conservatoires demandées
reconventionnellement par le Nigéria préjugent du fond. On voit mal, en
effet, comment la Cour pourrait demander au Cameroun de cesser ses actes
d'administration sur Bakassi sans que cela apparaisse comme une
reconnaissance de l'appartenance de cette presqu'île au Nigéria, alors
même·que la détermination de la souveraineté sur ce territoire constitue
des questions que la cour est priée de trancher au fond.
9. Or, dans le paragraphe 34 précité de son ordonnance sur l'affaire
de l'Application de la convention sur le génocide, pour ne citer qu'une
décision récente de la Cour, celle-ci poursuit : - 27 -
«et considérant qu'il s'ensuit que la Cour doit se préoccuper de
sauvegarder par de telles mesures (i.e. les mesures
conservatoires] les droits que l'arrêt qu'elle aura
ultérieurement à rendre pourrait éventuellement reconnaître
soit au demandeur, soit au défendeur ... • (C.I.J. Recueil 1993).
10. Pour ces deux raisons fondamentales donc, â savoir le caractère
univoque des mesures demandées par le Nigéria reconventionnellement,
d'une part, et le fait que ces mesures préjugent du .fond de. l'affaire, la
Cour ne saurait, Monsieur le Président, adjuger ses demandes au Nigéria.
11. Si, en revanche, le Nigéria n'a pas entendu, par sa lettre du
16 février 1996, présenter â la Cour une demande reconventionnelle visant
à l'indication des mesures conservatoires, alors cette lettre est sans
objet, n'a pas de place dans une procédure judiciaire, et le cameroun
prie la Cour de bien vouloir considérer cette lettre comme nulle et non
avenue et de l'écarter par conséquent purement et simplement des pièces
de la présente procédure.
~~- Les mesures conservatoires demandées par le Cameroun sont appropriées
et fondées en fait et en droit
Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour,
12. Dans ses plaidoiries d'avant-hier, le Nigéria affirme qu'il n'y a
pas de raisons substantielles pour que les mesures conservatoires
~demandées par le Cameroun soient indiquées par la Cour. Mais, même s'il
y avait des raisons d'indiquer de telles mesures, la demande camerounaise
se heurterait, selon le Nigéria, à cinq objections que je va.is examiner
successivement
Premièrement, la situation qui prévaut à Bakassi depuis le
3 février 1996 ne serait pas, de l'avis du Nigéria, génératrice de
préjudices irréparables
Malheureusement, elle l'est. - 28 -
13. Monsieur le Président, s'appuyant sur l'opinion dissidente du
Professeur Jiménez de Aréchaga dans l'affaire du Plateau continental de
la mer Egée aussi bien que sur l'ordonnance rendue par la cour dans cette
affaire, le Nigéria (CR 96/3, p. 11 et suiv.) rappelait que pour indiquer
des mesures conservatoires, la cour doit prendre en compte, entre autres,
la question de savoir ~wether the acta complained of are capable of
causing or of threatening irreparable prejudice to the rights invoked»
(C.I.J. Rec. 1976, p. 15). Le Cameroun souscrit à cette exigence qui
correspond du reste à la jurisprudence constante de la Cour.
14. Mais pour asseoir sa démonstration, le Nigéria estime que «it is
useful tc compare the circumstances of the present case with the Request
for Interim Measures in the Aegean Sea Continental Shelf case» (CR 93/3,
p. 25, les italiques sont de moi).
15. Or, à la vérité, les circonstance de fait sont radicalement
différentes dans les deux espèces. La Cour se souvient que dans l'affaire
du Plateau continental de la mer Egée, il s'agissait des activités de
recherche sismique entreprises par le navire turc MTA SISMIK I dans la
mer territoriale et en haute-mer, ce navire se livrant à des explosions
sous-marines de faible ampleur dans des zones du plateau continental de
la mer Egée qui, selon le Gouvernement grec, relevaient de la Grèce (voir
ordonnance du 11 septembre 1976, par. 16, p. 8).
16. Votre Cour constatait en l'espèce :
«Que nul n'a prétendu que la Turquie se livrait à des
opérations comportant l'appropriation effective ou tout autre
usage des ressources naturelles dans les zones contestées du
plateau continental.» (Ordonnance du 11 septembre 1976, par. 30,
p. 11.)
17. Si la Cour estima que la violation éventuelle des droits de la
Grèce était «susceptible de réparation par des moyens appropriés» et
refusa, ce disant, d'indiquer les mesures conservatoires demandées par ce - 29 -
pays, c'est précisément parce qu'il n'y avait pas de préjudice
irréparable en l'espèce. Il n'y avait pas de situation de conflit armé
connaissant des aggravations avec des pertes en vies humaines et, encore
moins, d'occupation militaire de zones conquises.
18. Or, tel est bien le cas dans notre affaire qui est, je pense,
bien plus proche de l'affaire du Différend frontalier (Burkina
Faso/République du Mali). Monsieur le Président, Madame et Messieurs de
la Cour, vous avez entendu 1 'agent du Nigéria. lui-même dresser un tableau
dramatique, et somme toute provisoire, des pertes en vie humaines, sans
parler bien sûr des destructions des infrastructures collectives et des
biens individuels {CR 96/3, p. 11 et suiv.}. Si les pertes matérielles
sont réparables par les «moyens appropriés», selon la formule de la Cour
- et le Cameroun a demandé de telles réparations dans son mémoire au
fond - les pertes en vies humaines ne le sont point c'est l'exemple par
excellence du préjudice irréparable.
19. Dans l'affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République
du Mali), la Cour déclare en ce sens
«Considérant que les faits qui sont à l'origine des
demandes des deux Parties en indication de mesures
conservatoires exposent les personnes et les biens se trouvant
dans la zone litigieuse, ainsi que les intérêts des deux Etats
dans cette zone, à un risque sérieux de préjudice irréparable;
et qu'en conséquence les circonstances exigent gu.e la Chambre
indique les mesures conservatoires appropriées, conformément à
l'article 41 du Statut.» {Ordonnance du 10 janvier 1986, p. 10,
par. 21.)
20. Dans l'affaire de l'Application de la convention sur le génocide,
la Cour s'est montrée bien plus souple sur les conditions qui peuvent
l'amener à indiquer des mesures conservatoires. Elle déclare que ;
«Compte tenu des circonstances portées à son attention et
décrites ci-dessus, il existe un risque grave que des actes de
génocide soient commis». [Peu importe que] «de tels actes commis
dans le passé puissent ou non ... être imputés en droit» [aux
parties; celles-ci) «sont tenues de l'incontestable obligation - 30 -
de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour en assurer la
prévention à !•avenir.» (Ordonnance du 8 avril ~993, p. 23,
par. 45.)
2~. Monsieur le Président, on ne peut peindre - comme l'a fait le
Nigéria qui rejoint en cela le Cameroun - un tableau aussi dramatique de
la situation dans la péninsule, en parlant notamment de concentration de
troupes dans la zone, d'«attaque surprise~ ayant fait de nombreuses
victimes - on a montré tout à l'heure qu'il n'y a pas eu du tout
d'attaque surprise de quelque manière que ce soit - et prétendre ensuite
qu'il ne s'agit de rien de bien grave, ou qu'il s'agit seulement de
«localized disturbances» (CR, 96/3, p. 26, par. 29}. D'autant plus que
le Nigéria s'installe méthodiquement dans les zones conquises, en chasse
les habitants camerounais, établit des infrastructures et, pour reprendre
l'expression de la cour que j'ai citée tout à l'heure dans l'affaire du
Plateau continental de la mer Egée, se livre «à des opérations comportant
tant l'appropriation effective [et l'] usage des ressources naturelles»
des zones conquises. Les faits présentés tout à l'heure méthodiquement,
et systématiquement par le professeur Jean-Pierre Cot, sont suffisamment
éloquents et n'appellent pas un nouvel exposé de ma part.
22. En définitive donc, les affrontements armés entre les forces
a.rmées nigérianes et camerounaises dans la péninsule de Bakassi ont causé
et sont susceptibles de causer des préjudices irréparables, et les deux
Parties se sont employées à le démontrer, chacune à sa façon, bien sûr,
devant cette Cour. - 31 -
- Deuxièmement, la situation sur le terrain ne serait pas de l'avis du
Nigéria, de nature à entraîner la disparition des preuves
23. Monsieur le Président, bien qu'il ait estimé dans la
1communication de son agent avant-hier que •there is absolutely no reason
, to believe that any evidence is at risk» (CR 96/3, p. 16, par. B7). Le
Nigéria affirme que
•If there is any danger of destruction, it cames from
Cameroon•s own acts of violence and systematic attemps to create
fact stamping the peninsula with its national character.»
(CR 96/3, p. 16.)
Ainsi donc, tout en l'imputant au cameroun, le Nigéria n'exclut pas les
i~
• risques de disparition des preuves.
24. Surtout, il ne s'oppose pas à l'indication de mesures
conservatoires par cette cour. Dans sa communication d'avant-hier,
l'agent du Nigéria l'a admis explicitement en déclarant : «What I have
said does not mean for one moment that Nigeria is opposed to measures to
defuse the tension in Bakassi.» (CR 96/3, p. 19, par. C.2.)
25. Monsieur le Président, à ce stade de la procédure, il importe peu
de savoir qui est l'auteur des actes préjudiciables. Seule suffit la
nature de ces actes, en l'occurrence le risque qu'ils feraient courir aux
preuves nécessaires à l'examen ultérieure de l'affaire au fond. Peu
importe à votre Cour que les informations fournies à ce sujet proviennent
de l'une des parties seulement; si elle les considère comme suffisantes
pour se prononcer.
26. Dans l'affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République
du Mali), la Chambre de la cour déclare en effet :
«Considérant en outre que, d'après les indic a.t ions fournies
par l'une des parties, des actions armées sur le territoire en
litige pourraient entraîner la destruction d'éléments de preuve
pertinents aux fins de la décision à rendre par la Chambre.»
{Ordonnance précitée, p. '10, par. 20.)
Et, à l'unanimité, elle a indiqué, entre autres mesures, que - 32 -
«Les deux gouvernements s'abstiennent de tout acte qui
risquerait d'entraver la réun~on des éléments de preuve
nécessaires à la présente instance.» (Ibid., p. 12.)
27. Au demeurant, la situation qui prévaut sur le terrain à Bakassi,
depuis l'attaque du 3 février 1996, rend désormais tout à fait plausible,
Monsieur le Président, l'idée d'un risque réel de destruction ou de
confiscation des preuves nécessaires pour la phase au fond de la présente
affaire. Un message des services de transmissions de l'armée
camerounaise datée du 6 février 1996 indique que les positions
camerounaises étant pilonnées par l'artillerie nigériane depuis le
5 février 1996, le commandant de compagnie camerounais
«s'est retiré de son PC [à la] même date vers 21 heures en
direction de New-Beach. Sa troupe [étant] abandonnée à elle-même
[il a] par conséquent demandé à la troupe de décrocher et le
rencontrer ... »
Vous trouverez le document y relatif à la lettre T du dossier de
plaidoiries du Cameroun.
Ce repli dans la précipitation ne permet pas d'emporter avec soi ce
qui peut être utile à la manifestation de la vérité devant une insistance
judiciaire.
28. Ceci est d'autant plus vrai, Monsieur le Président, que l'arrivée
des troupes nigérianes s'accompagne de l'occupat.ion systématique des
édifices publics.
Ainsi, dès le 3 février 1996, elles ont occupé les locaux de la
sous-préfecture d'Idabato (voir doc. V, dossier de plaidoiries du
Cameroun). A la suite de l'attaque d'Isangele, soumis à un tir nourri à
partir du lundi 5 février 1996 à 14 heures, après la chute d'Idabato, le
sous-préfet de cet arrondissement qui s'est réfugié à Mundemba, où il est
arrivé le 6 février à 11 heures, a déclaré ,:···J.'
- 33 -
«n'avoir pu emporter aucun document ni matériel. Son bureau et
sa résidence seraient toujours occupés par les troupes
ennemies.» (Voir doc. u, dossier de plaidoiries du Cameroun.)
29. Tels sont, Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour,
1 quelques faits précis qui montrent qu'il y a un risque réel de
'destruction des preuves. Il faut y ajouter la pratique des autorités
. nigérianes consistant à changer les panneaux indicateurs des édifices
·publics, dont certains sont parfois écrits en anglais et en français;
pour les remplacer par leurs panneaux écrits en anglais seulement, et
surtout leur pratique consistant à débaptiser les noms des localités
camerounaises conquises par leurs forces, puis à les rebaptiser avec des
noms nigérians, comme l'a montré de façon flagrante la carte présentée
mercredi dernier par la Partie nigériane portant des noms nigérians
écrits fraîchement à la main.
- Troisièmement, Monsieur le Président, le Nigéria estime que les mesures
demandées par le Cameroun ne préserveraient pas les droits des deux
parties
30. Monsieur le Président, discutant la première mesure demandée par
. le Cameroun et visant à obtenir l'indication gue
«1) les forces armées des parties doivent se retirer aux
positions qu'elles occupaient avant l'attaque armée nigériane du
3 février 1996»,
•
le Nigéria a estimé que «the request is tendentious and its terms ignore
the overriding purpose of Article 41, which is to maintain the respective
rights of both parties» (CR 96/3, p. 27). Il affirme de façon plus nette
encore
«In the view of Nigeria, there are quite simply no
substantial reasons for an indication of ... measures directed
exclusively to Respondent State as requested by Cameroon.»
(CR 96/3, p. 23-24.) ~ 34 -
31. Cela est inexact. La première mesure demandée par le Cameroun que
nous venons de citer, comme toutes les autres mesures demandées par ce
pays n'a aucun caractère univoque. Nulle part, Monsieur le Président, il
n'est demandé qu'une mesure soit indiqUée à l'intention du seul Nigéria;
nulle part le nom de ce pays n'est évoqué même indirectement dans la
demande camerounaise comme étant.l'unique destinataire des mesures
demandées. Peut-on parler de «directed exclusively tc Respondent»
s'agissant de mesures qui, comme la première, parle des «forces armées
des pays», qui comme la seconde, dit que «les parties doivent s'abstenir
de toute activité militaire ... »; ou qui comme la troisième demande à la
cour d'indiquer que «les Parties doivent s'abstenir de tout acte qui
pourrait compromettre la réunion des preuves dans la présente espèce» ?
Le terme utilisé par le Cameroun dans chacune de ces demandes est, on le
voit, «Les Parties». Il est au pluriel. Il ne saurait renvoyer à un, mais
nécessairement mais à au moins deux sujets de droit; en l'occurrence, ce
sont le Nigéria et le cameroun.
32. Le Nigéria croit voir dans la demande que «les Parties doivent
s'abstenir de toute activité militaire le long de toute la frontière
jusqu'à ce que l'arrêt de la cour soit rendu», une demande déraisonnable 4IJ
«wich would necessarily impinge upon the responsabilities of the
State for the maintenance of security on its own territory»
(CR 96/3, p. 29).
33. Monsieur le Président, les activités militaires impliquant
massivement les forces armées et un matériel militaire offensif est
différent de simples opérations de police par lesquelles un Etat assure
l'ordre et la sécurité des populations et des biens sur son territoire.
34. Les activités militaires visent un ennemi clairement identifié,
et s'exercent soit à titre défensif, soit à titre offensif. Sur la ligne
frontière entre le Cameroun et le Nigéria, l'ennemi potentiel du Nigéria, .., 1
- 35 -
si ennemi il y a, ne peut être, en termes militaires, que le Cameroun.
;or, c'est le Cameroun qui demande à la Cour de prescrire aux deux pays de
.s'abstenir de toute activité militaire le long de la frontière commune.
35. Par rapport à quelle menace le Nigéria aurait-il à assumer sa
•responsabilité au titre de la défense de son territoire puisque
l'indication par la Cour des mesures demandées par .le cameroun
:entraînerait, en principe, l'inaction militaire des forces armées des
deux pays dans la zone concernée ?
36. Si le Nigeria est dans les mêmes dispositions d'esprit que le
cameroun en ce qui concerne la nécessité de maintenir un climat de paix
entre les deux pays, en attendant l'arrêt de la Cour au fond, cette
mesure devrait lui agréer au même titre que le Cameroun.
37. Ce qui semble poser également problème au Nigéria, c'est le fait
que la Cour soit appelée à se prononcer en l'espèce sur la base de
l'article 73 du Règlement qui complète à cet égard l'article 41 de son
Statut, plutôt que de l'article 75.
38. La République du Cameroun vous a saisi en application de
l'article 73 du Règlement de la cour, et il n'y a en cela rien
d'anormal c'est la voie permettant aux parties devant vous de former
•
une demande en indication de mesures conservatoires. Elles l'utilisent
concurremment.
39. Et, à vrai dire, Monsieur le Président, je dois avouer que je ne
vois pas quelle est la différence sur le fond entre les mesures que vous
pouvez être amené à indiquer au titre de l'article 73 et celles que vous
pourriez indiquer en agissant proprio motu au titre de l'article 75.
40. Dans un cas comme dans l'autre, les conditions requises pour que
vous indiquiez les mesures conservatoires sont les mêmes; dans un cas
comme dans l'autre, vous bénéficiez d'un large pouvoir d'appréciation. - 36 -
41. La Cour a d'ailleurs fait largement usage de cette liberté
d'appréciation dans diverses affaires, notamment dans ses ordonnances
rendues en l'affaire du Personnel diplomatique et consulaire des
Etats-Unis à Téhéran et dans l'affaire des Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua.
42. Pourquoi la République du Cameroun aurait~elle invoqué
l'article 75 du Règlement pour fonder une demande valablement présentée
conformément à l'article 73 ? Elle ne le pouvait de toute façon pas,
parce que l'article 75 n'ouvre aucun droit procédural aux parties.
43. Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour,
l'important aux yeux du cameroun, à ce stade de la procédure, c'est que
les mesures provisoires qu'exige la situation à Bakassi, et que le
Cameroun a exposées dans sa demande soient indiquées par votre Cour.
- Quatrièmement, les mesures demandées par le Cameroun préjugeraient
d'après le Nigéria du fond et ne pourraient être effectivement
indiquées par la Cour.
44. Dans sa communication d'avant-hier, l'agent de la République du
Nigéria a estimé que les mesures conservatoires demandées par le Cameroun
ne doivent pas être indiquées par la Cour
«Because Cameroon is really using the request in an effort
ta obtaih sorne premature determination of its merita in relation
to the whole boundary.» (CR 96/3, p. 19.) •
45. Il s'agit là, Monsieur le Président, d'une pure vue de l'esprit.
Aucune des mesures demandées par le Cameroun n'amène à prendre position
même indirectement sur le fond de l'affaire pendante.
46. D'abord, le cameroun ne demande pas que soit désigné à ce stade
l'auteur de l'attaque du 3 février 1996 même si les responsabilités lui
semblent clairement établies et que, de toute façon, il a soulevé cette
question de responsabilité dans son mémoire et il entend l'aborder en
temps opportun. . - 37 -
47. Il lui suffit que la Cour constate qu'il existe une situation
explosive sur le terrain de nature à causer un préjudice irréparable ou à
1 entraîner la disparition des preuves.
48. Ensuite, alors que le Secrétaire général des Nations Unies
appelle «les parties impliquées dans la presqu'île de Bakassi à retirer
leurs troupes de la zone frontalière ...» {voir doc. F, dossier de
plaidoiries du Cameroun), le Cameroun, dis-je, -et c'est une autre
preuve de sa modération - demande à la Cour d'indiquer seulement que les
forces armées des Parties doivent se retirer aux positions qu'elles
occupaient avant 1 'attaque du 3 .février 1996.
49. Cela ne préjuge en rien de la souveraineté du Cameroun sur
Bakassi; mêmesi, à mon sens, cette souveraineté est incontestable, mais
c'est un autre problème.
50. Enfin, le fait de demander que les Pa.rties s'abstiennent de toute
activité militaire tout le long de la frontière n'implique nullement que
la Cour doit prendre position sur la ligne. Dans son ordonnance rendue
dans l'affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali)
la Chambre de la Cour indique la mesure demandée par le Burkina Faso
relativement à l'administration du territoire en précisant
• «qu'il convient en tout état de cause de ne pas préjuger à cet
égard l'existence d'une ligne quelconque» (ordonnance du
10 janvier 1986, p. 11, par. 29).
51. Mais le Nigéria s'appuie aussi, Monsieur le Président, sur cette
mêmeordonnance rendue dans l'affaire précitée pour soutenir que le choix
des positions de retrait à indiquer aux forces armées des deux pays
«requerrait une connaissance du cadre géographique du conflit
que la (Cour] ne possède pas et dont en toute probabilité elle
ne pourrait disposer sans procéder à une expertise» (ibid.,
p. 11). - 36 -
52. S'arrêter à ce constat, Monsieur le Président, comme l'a fait le
Nigéria, c'est laisser croire que la Cour a renoncé dans cette affaire à
indiquer la mesure de retrait des troupes armées demandée par le Burkina
Faso, en raison de son manque de connaissance du cadre géographique et
stratégique du conflit invoquée par le Mali. Or, il n'en est strictement
rien. La Chambre de la Cour indique, entre autres mesures, la suivante
«Les deux gouvernements retirent leurs forces armées sur
des positions ou à l'intérieur des lignes qui seront, dans les
vingt jours suivant le prononcé de la présente ordonnance,
déterminées par accord entre lesdits gouvernements, étant
entendu que les modalités du retrait des troupes seront fixées
par ledit accord et que, à défaut d'un tel accord, la Chambre
indiquera elle-même ces modalités par voie d'ordonnance.»
(Ibid., p. 12.)
53. Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour, cette Cour
ne peut faire moins dans la présente affaire. Il vous est possible de
f~ire au moins autant que la Chambre dans cette affaire du Différend
frontalier en indiquant la mesure sollicitée sur ce point par le
Cameroun, c'est-à-dire le retrait des forces armées des deux pays aux
positions qu'elles occupaient avant l'attaque du 3 février 1996.
Cinquièmement, enfin, Monsieur le Président, la demande du cameroun
amènerait d'après le Nigéria.la Cour à exercer un pouvoir de police
générale en matière de maintien de la paix
54. Monsieur le Président, un passage de l'opinion individuelle du
Président Jiménez de Aréchaga dans l'affaire du Plateau continental de la
mer Egée, reproduit par M. Brownlie dans ses plaidoiries d'avant-hier
(CR 96/3, p. 25, par. 23), laisse à penser,que la Cour n'aurait pas le
pouvoir d'indiquer des mesures qui relèveraient du maintien de la paix
internationale : ce passage est ainsi libellé :
«The Court's specifie power under Article 41 of the Statute
is directed to the preservation of rights "sub-judice" and does
not consist in a police power over the maintenance of
international peace nor in a general competence to make
recommendations relating to peaceful settlement of disputes.»
(C.I.J. Recueil 1976, p. 16.) - 39 - '
55. En dépit de l'autorité incontestée de son auteur, cette opinion
n'est pas partagée par tous les représentants de la doctrine la plus
autorisée et, en tout état de cause, elle est contraire à la
jurisprudence bien établie de cette Cour en la matière. En effet, les
compétences de la Cour et des autres organes des Nations Unies, le
Conseil de sécurité notamment, ne s'excluent pas, elles se complètent et
se confortent mutuellement. C'est précisément parce que la Cour
internationale de Justice est «l'organe judiciaire principal des
Nations Unies» conformément à l'article 92 de la Charte, qu'elle doit
contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales; elle
doit y inciter les Etats «en aidant à frayer la voie au règlement amical
d'un dangereux différend», comme l'a écrit M. Manfred Lachs dans son
opinion individuelle jointe à l'ordonnance du 11 septembre 1976 relative
à l'affaire du Plateau continental de la mer Egée (C.I.J. Recueil 1976,
p. 20).
56. Du reste, la Cour a, dans l'affaire des Activités militaires et
paramilitaires contre le Nicaragua, déclaré :
«Le Conseil de sécurité a des attributions politiques; la
Cour exerce des fonctions purement judiciaires. Les deux
organes peuvent donc s'acquitter de leurs fonctions distinctes
• mais complémentaires à propos des mêmes événements.»
(C.I.J. Recueil 1984, p. 434-435.)
57. La Cour reprend ce raisonnement dans l'affaire de l'Application
de la convention sur le génocide (ordonnance du 8 avril 1993, p. 19,
par. 36).
58. Je voudrais indiquer ici, Monsieur le Président, que si la
demande de la Grèce visant à ce que la Cour prescrive aux gouvernements
grec et turc «de s'abstenir de prendre de nouvelles mesures militaires ou
de se livrer à des actions qui pourraient mettre en danger leurs
relations pacifiques» (C.I.J. Recueil 1976, p. 11, par. 34}, a été - 40 -
rejetée par la Cour, c'est parce «le droit ainsi invoqué ne [faisait]
l'objet d'aucune des demandes dont la Grèce [avait] saisi la Cour»
(ibid.) .
59. Monsieur le Président, dans son ordonnance du 10 janvier 1986
dans l'affaire du Différend frontalier, votre Cour est sans équivoque à
propos du pouvoir de la Cour d'indiquer des mesures.conservatoires
touchant au maintien de la paix. La Cour affirme
«Considérant en particulier que, lorsque deux Etats
décident, ... de saisir ... la Cour, organe judiciaire principal
des Nations Unies, en vue du règlement pacifique d'un différend,
conformément aux articles 2, paragraphe 3, et 33 de la Charte
des Nations Unies et que par la suite surviennent des incidents
qui, non seulement sont susceptibles d'étendre ou d'aggraver le
différend, mais comportent un recours à la force inconciliable
avec le principe du règlement pacifique des différends
internationaux, le pouvoir et le devoir de la Chambre
d'indiquer, le cas échéant, des mesures conservatoires
contribuant à assurer la bonne administration de la justice ne
sauraient faire de doute.» (C.I.J. Recueil 1986, p. 9.)
60. C'est justement parce que la paix et la sécurité entre Etats sont
menacées tout le long de la frontière entre le Cameroun et le Nigéria que
le Camer.oun demande à la Cour de prescrire aux Parties de cesser toutes
activités militaires le long de leur frontière commune.
*
* *
61. En conclusion, Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la
Cour, il n'est pas douteux que, pour reprendre la formule que la Cour a
utilisée daris l'affaire Burkina Faso/République du Mali :
«Les actions menées qui sont à l'origine des demandes en
indication des mesures conservatoires dont la [Cour] est saisie
ont eu lieu à l'intérieur ou à proximité de la zone contestée.»
(Ordonnance du 10 janvier 1986, p. 10, par. 16.}
62. Ces actions ont causé et sont de nature à causer un préjudice
irréparable; - 41 -
- la situation sur le terrain est de nature à entrainer la disparition ou
la confiscation des preuves;
- la demande camerounaise préserve les droits des deux Parties;
- cette demande ne préjuge pas du fond·;
la Cour peut indiquer des mesures provisoires touchant au domaine du
maintien de la paix et de la sécurité internationales.
63. C'est pourquoi je prie respectueusement la Cour de bien vouloir
indiquer les mesures conservatoires que la République du Cameroun lui
demande.
Je prie, Monsieur le Président, de bien vouloir donner la parole au
professeur Alain Pellet pour poursuivre les plaidoiries du Cameroun.
Je vous remercie.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le professeur Kamto, et
j'appelle à la barre le professeur Pellet.
M. PELLET : Merci beaucoup, Monsieur le Président.
Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour,
1. Il m'appartient d'établir que la Cour a compétence pour indiquer
les mesures conservatoires qui lui sont demandées. Ce faisant, je
répondrai à la fois aux plaidoiries de mes adversaires et amis sir Arthur
Watts et James Crawford.
Je le ferai en trois points :
dans un premier temps, je montrerai que la médiation togolaise n'a eu
nullement pour effet d'empêcher la Cour de se prononcer sur les mesures
que le Cameroun lui a demandé d'indiquer;
dans un deuxième temps, j'établirai que, plus généralement, la
compétence prima facie de la Cour est indiscutable, - 42 -
et puis, j'en viendrai à la notion nouvelle mais pourquoi pas ?
de recevabilité prima facie.
A. Les effets 1uridiques de la médiation togolaise
2. L'un des leitmotiv des plaidoiries du Nigéria consiste à affirmer
que les mesures dont l'indication est demandée par le Cameroun doivent
être écartées au prétexte que le problème est réglé par la médiation
togolaise qui a abouti à la signature du communiqué de Kara, le
17 février dernier.
L'agent du Nigéria, le chef Agbamuche, l'a dit (CR 96/3, p. 19,
par. C.2; voir, également, p. 14, par. A.9) Le professeur Brownlie l'a
répété. Sir Arthur Watts y a consacré ·une bonne partie de sa plaidoirie
(ibid., p. 31-38), et le chef Richard Akinjide y est encore revenu
quoique plus indirectement (ibid. p. 70, par. E.2).
3. En réalité, ici encore, Madame et Messieurs de la Cour, le Nigéria
se trompe ou vous trompe sur les faits et, au demeurant, même si l'on
admettait que ceux qu'il a décrits correspondent à la réalité, il en tire
des conséquences erronées.
4. Evidemment, le Cameroun ne nie évidemment pas que, peu après
l'attaque nigériane du 3 février 1996, le président du Togo s'était
offert pour aider les Parties à rapprocher leurs points de vue.
Davantage même, comme l'a dit Maître Moutome, le Cameroun a toujours
pensé que si le Nigéria s'était, comme lui-même, prêté de bonne foi à
cette tentative togolaise, ceci aurait permis «de faire l'économie de la
présente instance» (CR 96/2, p. 25), en ce sens que le Cameroun eût alors
hésité à maintenir sa demande en indication de mesures conservatoires.
Mais il aurait fallu pour cela que la médiation du Togo, que le
Cameroun, soucieux de recourir à tous les moyens possibles de règlement
pacifique du différend, a accueillie avec reconnaissance, aboutisse. - 43 ..,
Tel n'a pas été le cas sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, le
professeur Jean-Pierre Cet l'a montré, le Nigéria part de prémisses
factuelles erronées et tout son raisonnement juridique s'en trouve
affecté.
s. Concrètement, comment les choses se sont-elles passées ?
Au lendemain des incidents du 3 février, le président du Togo a, à
nouveau, invité le Cameroun et le Nigéria à reprendre le dialogue. Les
ministres des affaires étrangères des deux pays·se sont, à son
invitation, réunis à Pya, au Togo, les 16 et 17 février, autour du
président Eyadema (voir la dépêche de l'AFP du 17 février, cote E du
dossier de plaidoiries) .
A 1 'issue de cette rencont.re, les deux ministres ont signé le
communiqué de Kara, reproduit dans les dossiers de plaidoiries des deux
Parties (Cameroun côte E; Nigéria : n° 12); aux termes de ce
communiqué
«The two Ministers assessed the prevailing situation in
the Bakassi Peninsula and agreed tc stop the hostilities;
They recognized that the dispute is pending at the
International Court of Justice;
They agreed tc meet again in the first week of March 1996,
ta prepare for the Summit of the Heads of State of Nigeria and
Cameroon under the auspices of President Eyadema.»
6. Monsieur le Président, si ce scénario avait été suivi, le cameroun
aurait peut-être pu envisager de retirer sa demande en indication de
mesures conservatoires. Et il l'a, en effet, envisagé.
Il aurait pu la retirer; mais il n'y était nullement tenu et,
l'eût-il maintenue, vous eussiez intégralement conservé votre compétence
pour indiquer les mesures demandées. Comme le professeur Jean-Pierre Cet
l'a rappelé mardi matin (CR 96/2, p. 64), citant !•arrêt de votre Chambre
dans l'affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), - 44 -
la liberté des Etats «de négocier ou de régler certains aspects d'un
différend soumis â la Cour ... n'est pas incompatible avec l'exercice de
la fonction propre de la Cour~ (ordonnance du 10 janvier 1986,
C.I.J. Recueil 1986, p. 10).
Avec le talent qu'on lui connait, sir Arthur Watts s'est ingénié à
tenter de démontrer que les circonstances des deux affaires sont
différentes (CR 96/3, p. 33-34)
i) en premier lieu, a-t-il dit, «that case- il s'agit de l'affaire
BurkinaFaso/République du Mali - was one in which bath States bad
agreed ta the Court's jurisdiction over the principal case» (ibid.).
Certes mais c'est un tout autre problème que j'évoquerai dans
qu.elques instants et qui n'a aucun rapport avec celui qui nous
intéresse ici; l'existence d'exceptions préliminaires pose la
question de savoir si, malgré cela, la Cour est, prima facie,
compétente pour se prononcer sur les mesures conservatoires qu'il
lui est demandé d'indiquer; si la réponse est «non», elle rejettera
la demande pour incompétence; si c'est «oui», elle l'examinera; en
d'autres termes, il s'agit d'un problème «d'amont» que la Cour doit
résoudre préalablement; mais, si elle le résout en faveur de sa
•
compétence prima facie, l'existence d'exceptions préliminaires sur
lesquelles elle se prononcera dans une phase ultérieure de l'affaire
n'a aucune incidence sur l'exercice de sa compétence au titre de
l'article 41;
ii) en deuxième lieu, affirme mon éminent contradicteur, dans l'affaire
Burkina Faso/République du Mali, chacun des deux Etats avait,
finalement, demandé l'indication de mesures conservatoires (CR 96/3,
p. 33}; certes encore 1 Mais, d'une part, comme mon ami, le
professeur Kamto vient de le montrer, c'est aussi ce que fait, sans c;·-----------------------c--------------------~
- 45 -.
le dire tout en le disant, la lettre de l'agent du Nigéria du 16
février 1996 et, d'autre part, et de toute manière, on voit mal en
quoi ceci est pertinent : la Cour l'a très nettement relevé dans
l'affaire des Otages :
«l'idée même d'une indication de mesures
-conservatoires, ~omme l'article 73 du Règlement le
reconnaît, suppose qu'une des parties sollicite des
mesures pour protéger ses droits "propres contre tout
acte de l'autre partie de nature â leur porter
préjudice pendente lite; ... il en découle qu'une
demande en indication de mesures conservatoires est
par nature unilatérale» (ordonnance du l5 décembre
1979, C.I.J. Recueil 1979, p. 17);
e.
iii} en troisième lieu, la Chambre de 2986 indiquait, certes, gue le
retrait des troupes devrait être discuté «à une prochaine réunion
des chefs d'Etat» (C.I.J. Recueil 1986, p. 20); mais elle ne
précisait nullement que tel devait être son unique objet; bien au
contraire, c'est à ce propos gue la Chambre indique, gue
«le fait gue les deux Parties ont chargé un autre
organe de définir les modalités du retrait des troupes
ne [la] prive nullement des droits et devoirs qui sont
les siens dans l'affaire portée devant elle» {ibid.);
\
iv) il n'est pas non plus exact, en quatrième lieu, que «the Heads of
State of Burkina Faso and Mali were meeting on a purely bilateral
basis», comme le dit sir Arthur (CR 96/3, p. 34); bien au contraire
-et ceci ressort expressément des termes de l'ordonnance du
10 janvier 1986 -, l'accord intervenu entre les deux Etats avait été
conclu sous les auspices d'un tiers ou, plus exactement d'ailleurs,
de «deux tiers» : l'ANAD que mentionne l'ordonnance (C.I.J. Recueil
1986, p. 10) et, déjà, le Togo, qu'elle ne mentionne pas, mais qui
avait également joué un rôle actif dans la conclusion de l'accord
(C2/CR 86/1, 9 janvier 1986, non corrigé, p. 13 et 82). - 46 -
Je comprends, Monsieur le Président, que ce précédent g~ne le
Nigéria; rarement, deux affaires se sont présentées de manière si
similaire :
les faits qui ont été à l'origine des deux demandes présentent des
similitudes frappantes;
les contextes dans lesquels la procédure se déroule sont extrêmement
proches;
les mesures dont le Cameroun demande l'indication sont formulées en des
termes très voisins de ceux des mesures indiquées par la Chambre
en 1986, et ce dernier point au moins n'est évidemment pas fortuit
c'est que, frappé par la similitude des faits et du contexte, le
cameroun a estimé qu'il devait, par égard pour la Cour, et parce que
les mesures indiquées alors lui semblent appropriées, s'inspirer
étroitement de cette ordonnance.
7. Certes, aussi, Monsieur le Président, on peut peut-être
considérer, avec sir Arthur Watts que la Cour jouit dans ce domaine d'un
pouvoir d'appréciation (CR 96"/3, p. 34) encore que, dans son ordonnance
de 1986, la Chambre évoque son <<pouvoir», mais aussi son «devoir»,
d'indiquer, le cas échéant, des mesures conservatoires contribuant à
assurer la bonne administration de la justice (C.I.J. Recueil 1986,
p. 9);
La vérité est sans doute que la Cour dispose d'un pouvoir
d'appréciation pour déterminer si les conditions pour qu'elle exerce son
pouvoir d'indiquer des mesures conservatoires sont réunies; mais, que dès
lors qu'elle constate que tel est le cas, elle doit exercer ce pouvoir.
Au demeurant, la discussion est sans doute un peu vaine. Les mêmes
causes produisent les mêmes effets, et l'on voit mal comment et pourquoi
les mêmes éléments qui ont conduit la Chambre en 1986 à indiquer, dans - 47 -
des circonstances très voisines de celles de notre affaire, des mesures
conservatoires très proches de celles dont le Cameroun demande
l'indication, conduiraient aujourd'hui la Cour à une appréciation
différente.
8. Ceci dit, Monsieur le Président, sir Arthur Watts a tout de méme
en partie raison : les deux affaires ne sont pas en tous points
similaires; elles diffèrent radicalement en ce qui concerne un élément, à
vrai dire fort important. Ce n'est aucun de ceux qu'il énumère, nous
l'avons vu, c'en est un autre, tout différent, et qui est de nature à
renforcer encore la nécessité des mesures conservatoires en examen.
Mon contradicteur consacre pas mal de temps à une série
d'affirmations dans un long passage de sa plaidoirie qui commence ainsi
«Does the matter in respect of which interim measures are
being sought « continue to exist » ? No, Mr. President, it does
not. It is over ... »
«Has the abject of the « dispute » been achieved by ether
means ? Yes, the matter was dealt with by the Foreign Ministers
at their meeting on 16 and 17 February. They reached an
agreement - they agreed upon the cessation of hostilities. The
matter is again being dealt with by the Foreign Ministers; and
will be further dealt with by the Heads of States.» {CR 96/3,
p. 36).
Ceci, Monsieur le Président, appelle deux séries de remarques,
auxquelles le Cameroun attache une égale importance.
9. En premier lieu, quand bien méme tout cela serait exact - et,
malheureusement, ce ne l'est pas - la conclusion d'un accord
effectivement respecté de cessation des hostilités, et la poursuite de
négociations pour consolider cette situation, ne constitueraient
nullement un obstacle à ce que vous indiquiez les mesures que demande le
Cameroun. - 48 -
Votre jurisprudence sur ce point est ferme, constante, cohérente le
principe electa una via n'existe pas en droit international; les
différents modes de règlement pacifique des différends ne s'excluent pas,
ils se renforcent mutuellement. Que d'autres forums soient saisis, et
même, qu'une solution ait été atteinte en leur sein, ne constitue pas un
(
obstacle à l'indication de mesures conservatoires par la Cour. Ceci
ressort, par exemple, clairement des ordonnances rendues dans les
affaires des Otages du 15 décembre 1979 (C.I.J. Recueil 1979, p. 15),
Nicaragua/Etats-Unis du 10 mai 19 84 ( C.I.J. Recueil 1984, p. 185-186),
Burkina/République du Mali du 10 janvier 1986 (C.I.J. Recueil 1986,
p. 10) ou du Génocide du 8 avril et du 13 septembre 1993
(C.I.J. Recueil 1993, p.lB-19 et 348).
sans doute, dans les affaires du Plateau continental de la mer Egée
et de Lockerbie, la Cour s'est-elle abstenue d'indiquer des mesures
conservatoires, mais non pas du fait que le Conseil de sécurité était
saisi du même différend, mais parce qu'elle a considéré que les droits et
obligations imposées aux Parties par le Conseil s'opposaient à ce qu'elle
se prononce et ne donnaient plus lieu à son intervention (ordonnances du
11 septembre 1976, C.I.J. Recueil 1976, p. 13 et du 14 mai 1992,
C.I.J. Recueil 1992, p. 15 et 126-127). Cette exception au principe
n'est assurément pas applicable en l'espèce présente, dans laquelle la
Cour se trouve
«confrontée au devoir que lui impose l'article 41 du Statut de
rechercher par elle-même quelles mesures conservatoires du droit
de chacun doivent être prises à titre provisoire » (cf.
C.I.J. Recueil 1986, p. 10),
comme la Chambre y avait été affronté dans l'affaire du Différend
front:alier. 49 -
Dans cette affaire, la fin des hostilités et l'engagement pris par
les Parties de retirer leurs troupes n'avaient pas empêché la Chambre,
unanime d'ailleurs, d'indiquer des mesures conservatoires.
10. Or, et c'est la seconde série de remarques que l'on peut faire
pour répondre sur ce point à la thèse nigériane, ces deux préalables ne
sont en aucune manière réalisés dans notre affaire.
D'une part, le communiqué de Kara du 17 février 1996 prévoit la fin
des hostilités mais pas le retrait des troupes des deux Parties à
l'emplacement qu'elles occupaient avant l'attaque nigériane du 3 février,
pas davantage que ce communiqué ne constitue un engagement des deux Etats
à s'abstenir d'activités militaires le long de la frontière ou qu'il ne
porte sur la question de la préservation des preuves; en d'autres termes,
quel que soit son statut juridique, le communiqué de Kara ne concerne
aucun des points sur lesquels porte la demande du Cameroun.
D'autre part, et peut-être surtout, l'éminent conseil du Nigéria a
chaussé des lunettes roses pour vous présenter les suites de la médiation
togolaise. Je le répète, le Cameroun s'est vivement réjoui de son
aboutissement apparemment heureux le 17 février, mais :
- il n'est malheureusement pas exact que le communiqué de Kara ait eu
le moindre effet concret; le jour même où il éta.it signé, les troupes
nigérianes reprenaient leurs attaques contre les positions camerounaises;
- il n'est malheureusement pas exact que les deux pays aient renoué
des relations cordiales depuis lors; le «conte du mont Cameroun» forgé
par la Partie nigériane n'est malheureusement qu'un conte; au contraire,
la situation est et demeure dramatiquement tendue;
- il n'est, enfin, malheureusement pas exact que la médiation
togolaise se poursuive harmonieusement. - 50 -
Certes, le président Eyadema a proposé de renouer les fils cassés de
la négociation et d'envoyer des délégations au Cameroun et au Nigéria à
cette fin. Le Cameroun lui est reconnaissant de ses efforts. Mais,
comme le montre l'échange de lettres figurant sous la cote Q de votre
dossier, échaudé par l'expérience du 17 février, le Cameroun ne voit pas
l'utilité, à ce stade, de poursuivre des négociations dont le seul
résultat concret est de permettre à la Partie nigériane d'endormir la
méfiance camerounaise et de repartir en campagne à peine l'encre de
l'accord séchée.
ceci ne signifie pas que le Cameroun n'est pas disposé à reprendre
les négociations; mais il n'est prêt à le faire que lorsque vous aurez
indiqué pour droit les principes, raisonnables et équilibrés, sur
lesquels les deux Parties doivent se fonder. Telle est la signification
du télex adressé le 29 février dernier au directeur de cabinet du
président de la République togolaise par son homologue camerounais
«en raison des contraintes de son calendrier et des nouveaux
développements de l'affaire, le président Biya demande le report
de la mission concernée à une date ultérieure à fixer d'un
commun accord».
En clair, les «nouveaux développements de l'affaire», ce sont d'une part
la reprise des attaques armées nigérianes le 17 février et, d'autre part,
l'examen de la demande du Cameroun par votre haute juridiction.
11. Lorsqu'elle aura indiqué les mesures conservatoires demandées,
mais alors seulement, les négociations, directes ou avec l'aide de tiers,
pourront reprendre sur des bases solides et saines. Contrairement à ce
que semble penser le Nigéria, l'obligation de négocier de bonne foi
«n'est pas seulement d'entamer des négociations, mais encore de les
poursuivre en vue d'arriver à des accords» Trafic ferroviaire entre la
Lituanie et la Pologne, 15 octobre 1931 (C.P.J.I. série A/B no 42, - 51 -.
p. 116); «[l)es parties» ont, comme y a insisté la Cour, «l'obligation de
se comporter de telle manière que la négociation ait un sens» (arrêt du
20 février 1969, Plateau continental de la mer du Nord,
C.I.J. Recueil 1969, p.47 } . Tel n'est pas le cas lorsqu'une partie
affecte de se prêt~ à une négociation, va même jusqu'à faire mine de
s'engager puis, aussitôt l'accord conclu, le rompt; on peut alors -mêmese
demander si l'accord en question n'est pas vicié par un dol au sens de
l'article 49 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités;
en tout cas, le résultat aura été, si je puis dire, «un coup d'épée dans
l'eau et l'exception non adimpleti contractus, envisagée par
l'article 60 de cette même convention, s'applique évidemment.
1'
12. On vous a dit, Madame et Messieurs de la Cour, que votre
intervention dans cette affaire relevait d'une procédure «hostile»
(«adversarial») (Chief M.A. Agbamuche, CR 96/3, p. 11 et Chief Richard
Akinjide, ibid., p. 70) qui n'était «neither appropriate nor
constructive» (ibid.), qu'elle était «inutile» («needless»), qu'elle
serait «an obstacle to international harmony» (sir Arthur Watts, CR 96/3,
p. 37), et qu'elle empêcherait «the respective Heads of States, under the
auspices of a third friendly Head of State, ta resolve whatever may still
•
need resolving» (ibid., p. 38).
Et malheureusement, tout reste à résoudre puisque, ce qui avait paru
trouver un début de solution a été remis en cause par le Nigéria le jour
même où il avait admis que toutes les hostilités devaient cesser. De
l'avis du Cameroun, les mesures conservatoires qu'il vous a demandées ne
sont pas «inutiles», elles sont indispensables, en les indiquant vous ne
mettriez nul obstacle à l'harmonie internationale; vous la rétabliriez; - 52 -
loin d'empêcher la reprise du dialogue, vous la permettriez en fixant le
but à atteindre, à charge pour les Parties de mettre en Œuvre
concrètement et d'un commun accord les mesures que vous déciderez.
La cour est, on ne le répétera jamais assez, «l'organe judiciaire
principal des Nations Unies» dont, en vertu de la .;t~ç:ha lrt eut premier
est le maintien de la paix et de la sécurité internationales;
lorsqu'elles sont menacées, il lui appartient, à la Cour, comme à tout
autre organe de l'Organisation, de contribuer à les raffermir dans le
cadre de la fonction judiciaire qui lui est conférée par la Charte et par
son Statut (cf. arrêt du 26 novembre 1984, Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, C.I.J. Recueil 1984,
p. 440; voir aussi l'arrêt du 24 mai 1980, Personnel diplomatique et
consulaire des Etats-Unis à Téhéran, C.I.J. Recueil 1980, p. 23 ou
1 'ordonnance en indication de mesures conservatoires du 10 jan:-.rier 1986,
Différend frontalier, C.I.J. Recueil 1986, p.lO, prée.).
B - LA COMPETENCE DE LA COtiR POUR SE PRONONCER
13. J'en viens maintenant, Monsieur le Président, si vous le voulez
bien, à la deuxième partie de ma présentation de ce matin. La plaidoirie
de sir Arthur Watts nous oblige en effet à revenir sur la question de la •
compétence de la Cour pour indiquer les mesures conservatoires qui lui
sont demandées.
Mon éminent contradicteur, dans la seconde partie de son intervention
d'avant-hier, concède que «for purposes of adjudicating upon a request
for interim measures, the Court need only to be satisfied that it has
jurisdiction prima facie» (CR 96/3, p. 39). Mais il place ensuite «la
barre très haut» car après avoir promis qu'il ne se proposait pas «to
take the Court through Nigeria's First Preliminary Objection paragraph by
paragraph» (ibid.), c'est pourtant à peu près exactement ce qu'il fait. - 53 -
14. Pour mener sa démonstration, sir Arthur aborde successivement
deux points :
- la «réserve de réciprocité» très spéciale qu'aurait faite le Nigéria;
ensuite,
- la conduite répréhensible que le Nigéria impute au Cameroun.
Reprenons ces deux points brièvement et successivement.
15. En premier lieu, le conseil du Nigéria fait grand cas du texte
même de la déclaration facultative du Nigéria par laquelle ce pays
«reconnaît comme obligatoire de plein droit et sans convention
spéciale ... la juridiction de la Cour internationale de Justice
1
conformément au paragraphe 2 de l'article 36 du Statut de la Cour» «à
l'égard de tout autre Etat acceptant la même obligation, c'est-à-dire
sous la seule condition de réciprocité» - et sir Arthur de s'émerveiller
de cette précision («c'est-à-dire sous la seule condition de
réciprocité») qui serait «cruciale~ («crucial») - CR 96/3, p. 40).
Monsieur le Président, ceci n'a rien d'extraordinaire Le Nigéria
se borne à expliciter ainsi ce qu'il a dit juste avant : «à l'égard de
tout autre Etat acceptant la même obligation» cela veut dire «sous la
condition de réciprocité~ ,t c'est bien ce que signifie l'expression
•
«c'est-à-dire» qui unit les deux propositions.
Comme au moins trente-huit des cinquante-huit Etats dont les
déclarations sont reproduites dans l'Annuaire de la Cour de 1993-1994, le
Nigéria a pensé que deux précautions valaient mieux qu'une ... Mais comme
l'a écrit un eminent conseil qui siège de ce côté-là de la barre,
«reservations as to reciprocity in acceptances are superfluous»
(lan Brownlie, Principles of Public International Law, Oxford U.P.,
4e éd., 1990, p. 727; voir aussi Shabtai Rosenne, The Law and Practice of - 54 -
the International Court, Nijhoff, Dordrecht, 1985, p. 500; ou
Emmanuel Decaux, La réciprocité en droit international, Pédone, Paris,
1980, p. 80-81). Je ne saurais mieux dire ...
Et c'est en effet ce qu'a toujours considéré la Cour elle-même.
Ainsi, dans l'affaire de l'Interhandel, votre haute juridiction a
précisé : «La réciprocité permet à l'Etat qui a accepté le plus largement
la juridiction de la Cour de se prévaloir des réserves à cette
acceptation énoncée par l'autre partie. Là s'arrête l'effet de la
réciprocité.» (Arrêt du 21 novembre 1959, C.I.J. Recueil 1959, p. 23;
les italiques sont de moi.) 1
Et la Cour a constamment estimé, comme elle l'a rappelé dans son
arrêt du 26 novembre 1984, que
«La notion de réciprocité porte sur l'étendue et la
substance des engagements, y compris les réserves dont ils
s'accompagnent, et non sur les conditions formelles relatives à
leur création, leur durée ou leur dénonciation.» (Activités
mi1itaires et paramilitaires au Nicaragua, exceptions
préliminaires, C.I.J. Recueil 1984, p. 419.)
16. Plus précisément encore, dans l'affaire du Droit de passage en
territoire indien, la Cour a estimé que, sauf à introduire «un élément
d'incertitude dans le jeu du système de la clause facultative» (arrêt du
26 novembre 1957, C.I.J. Recueil 1957, p. 147),
•
«Un Etat gui accepte la compétence de la Cour doit prévoir
qu'une requête puisse être introduite contre lui par un nouvel
Etat déclarant le jour même où ce dernier dépose une déclaration
d'acceptation entre les mains du Secrétaire général ... »
Les Etats sont en tout cas prévenus depuis 1957.
«[L'Etat déclarant, ajoute la Cour] n'a à s'occuper ni du
devoir du secrétaire général ni de la manière dont ce devoir est
rempli.» (Ibid., p. 146.)
Contrairement à ce qu'affirme le Nigéria, il ne s'agit nullement
d'une jurisprudence isolée ou dépassée : la Cour en a fait une
application constante, notamment dans les affaires du Temple (arrêt du 26 - 55 -
mai 1961, C.I.J. Recueil 1961, p. 31) et des Activités militaires (arrêc
du 26 novembre 1984, p. 412).
Et il n'est pas sans intérêt de rappeler que dans la récente affaire
de la sentence arbitrale du 31 juillet 1989, la Guinée-Bissau a déposé sa
requête seize jours seulement après avoir reconnu la compétence de la
cour en vertu de la clause facultative (voir l'arrêt du 12 novembre 1991,
C.I.J. Recueil 1991, p. 55, 61) et que le Sénégal ne s'en est pas
formalisé; dans celle du Droit de passage, le délai avait été de trois
jours; dans le cas présent, il a été de quatre semaines (vingt-six jours
exactement) en ce qui concerne la requête initiale et de plus de trois
mois pour ce qui est de la requête additionnelle. Or, le Nigéria n'a ni
retiré ni modifié sa requête comme il l'aurait pu lorsque les problèmes
frontaliers sont devenus aigus entre les deux pays, pas davantage
qu'après le dépôt de la requête initiale. Il a pris, je l'ai déjà dit, le
risque du droit. Ce serait, je le répète, tout à son honneur, de
l'assumer jusqu'au bout.
17. A propos d'honneur, le conseil du Nigéria, fidèle du reste en
cela aux exceptions préliminaires (cf. par. 1.17 et suiv., p. 36 et
suiv.), a gravement mis en cause l'honneur du Cameroun qui ne se serait
pas conduit «with the degree of good faith which Nigeria is entitled to
expect» (CR 96/3, p. 44), et aurait fait sa déclaration de façon
«Subreptice» («surreptitious») (ibid., p. 45).
Sir Arthur Watts ne mâche pas ses mots. Il me permettra de ne pas
mâcher les miens. - 56 -
s'il y a eu manquement au principe de bonne foi, il n'est pas le fait
du Cameroun, mais bien du Nigéria ! Ce pays savait parfaitement, et en
temps plus qu'utile, que le Cameroun, après avoir constaté l'échec de
tous les autres modes de règlement possibles, envisageait de saisir votre
haute juridiction :
- le 19 février 1994 - je n'ai pas eu le temps de remonter plus loin
dans le temps - mais le 19 février, c'est tout de même trois semaines
avant le dépôt de la déclaration camerounaise, et sept semaines avant
celui de la requête, le 19 février donc, le président Biya écrivait au
président Abacha dans un télégramme officiel :
«Je vous exhorte à persévérer dans l'intensification des
efforts de négociations déjà en cours pour·trouvér une solution
juste, équitable et conforme au droit international, y compris
par voie juridictionnelle.» (MC., annexe 337; les italiques
sont de moi) ;
- le lendemain, 20 février, la Radio-Africa n°1, basée à Libreville
et diffusant largement en anglais dans toute l'Afrique, annonçait
«Faced with the negative attitude of the Nigérian
government, and while remaining vigilant on the ground, Cameroon
bas opted for international arbitration. The Yaounde authorities
have decided tc take the case ta the UN Security Council, the
International Court of Justice at The Hague and an OUA central
body for the prevention, management and resolution of
conflicts.» (Les italiques sont de moi);
•
- le 21 février, M. Kingibe, alors ministre des affaires.étrangères
du Nigéria, déplore
«la décision annoncée dimanche [la veille] par Yaoundé de porter
la querelle frontalière entre les deux pays devant le Conseil de
sécurité des Nations Unies et la Cour internationale de Justice»
(traducation de l'AFP, 21 février 1994; les italiques sont de
moi; MC. annexe 340); - 57 -
- et le 6 mars, la Radio-Nigéria-Lagos diffuse une information selon
laquelle «Nigeria expressed surprise at the steps taken by Cameroon to
internationalize the issue [including by) initiating a process with the
International Court of Justice at the Hague.» (Les italiques sont de
moi); etc.
(Je passe plusieurs citations Monsieur le Président parce que nous
sommes en retard.)
- le 11 mars, lors de la première session extraordinaire de l'Organe
central de l'O.U.A., à laquelle participait le Nigéria, le Secrétaire
t-
général de l'OUA a émis des réserves publiques sur la saisine de la
C.I.J. par le cameroun (v. M.C, annexe 349); etc.
(J'indique que tous ces documents figurent, avec quelques autres,
dans votre dossier de plaidoiries, sous la cote R).
18. Et l'on vient nous dire maintenant que le Nigéria ignorait
l'intention du Cameroun de saisir la Cour !
Où se trouve la bonne foi, Madame et Messieurs de la Cour ? Est-ce
là un argument de nature à jeter le doute, comme l'a dit sir Arthur, sur
la compétence prima facie, sur la compétence «tout court», de votre haute
juridiction ? C'est pourtant le seul que l'on nous oppose. Et le
Cameroun croit avoir montré qu'il n'est ni fondé en droit, ni fondé en
fait.
C. LA RECEVABILITÉ DE LA DEMANDE
19. J'en viens maintenant brièvement à mon troisième et dernier
point. Il concerne la recevabilité de la demande, objet de la plaidoirie
de M. James Crawford d'avant hier.
Je crois pouvoir être bref : le temps presse; nous n'avons pas
d'objections à l'encontre de certaines propositions théoriques et
juridiques qu'a avancées mon aimable contradicteur, et nombre de ses - 58 -
développements factuels ne me paraissent guère pertinents, c'est le moins
que l'on puisse dire, pour le problème qui nous intéresse ici et
maintenant.
20. Les points d'accord d'abord :
1) Nous admettons, évidemment, que les demandes en indication de mesures
conservatoires sont, comme l'a rappelé M. Oda, «incidental to, not
coincidental with, the proceeding on the merita ... » {«Provisional
Measures; The Practice of the International Court of Justice», v. Lowe
and M. Fitzmaurice eds., Fifty Years of the International Court of
Justice- Essays in Honour of Sir Robert Jennings, cambridge, U.P., t
1996, p. 554; italiques dans l'original).
2l Bien qu.e 1' on en trouve quelques traces dans la 1i ttérature {cf.
Jerzy Sztucki, Interim Measures in The Hague Court, Kluwer, 1982,
p. 244-245), la notion de «recevabilité prima facie» ne me semble pas
consacrée; mais il ne paraît pas illogique d'admettre que si une
requête est manifestement irrecevable, la Cour ne peut indiquer de
mesures conservatoires dans le cadre d'une affaire qui, par
définition, n'aurait aucune chance d'aboutir à un arrêt sur le fond
il n'y a aucun droit à «conserver» puisque, au contentieux au moins,
il n'y aurait pas de droits du tout.
21. Ceci étant dit, Monsieur le Président, cette belle construction
intellectuelle ne trouve nullement à s'appliquer en l'espèce.
Au fond, que nous a dit M. Crawford ? Comme sir Arthur, mais plus
rapidement, il a résumé certaines des exceptions préliminaires du
Nigéria.
Il l'a fait en passant en ce qui concerne la prétendue exclusion de
la juridiction de la Cour du fait du monopole que les Parties auraient
conféré à d'autres mécanismes de règlement, ce qui renvoie aux deuxième - 59 .-. .
et troisième exceptions préliminaires et, dans une certaine mesure, à la
septième. James Crawford ne semble guère y croire - moi non plus : il
est significatif que la seule chose un peu concrète que mon savant ami
dise à ce sujet consiste en une référence- d'ailleurs assez longue ... - à
une prétendue obligation de négocier en ce qui concerne la délimitation
maritime au-delà de la mer territoriale {CR 96/3, p. 51-52). Je veux
bien que la péninsule de Bakassi soit une mangrove, zone de transition
entre terre et mer, mais de là à l'assimiler à la zone économique
exclusive, je m'interroge.
22. Mon contradicteur s'est davantage attardé à un problème qui
n'est, en fait, qu'une présentation renouvelée de la cinquième exception
préliminaire nigériane et qui, malgré un raisonnement je n'ose pas dire
tortueux- disons «compliqué»- revient à dire, si j'ai bien compris :
il le Cameroun dit qu'il n'y a qu'une affaire;
ii) cette affaire résulte de la requête initiale «amendée» par la
requête additionnelle;
iii) cette affaire porte sur la définition de la frontière entre les
deux pays;
iv) ce n'est pas le cas de la demande camerounaise en indication de
mesures conservatoires.
Tout ceci, Monsieur le Président, constitue une relecture étrange de
ce que le Cameroun a écrit. Les lunettes de M. Crawford ne sont pas
roses; mais elles ne sont pas ajustées à sa vue
23. Le point de départ est simple le Cameroun a formé une première
requête, puis il l'a complétée par une requête additionnelle et le
Nigéria y a acquiescé (cf. CR 96/13, p. 53 et 58). Ces deux requêtes
ainsi «consolidées» - terme qui serait peut être plus exact - 60 -
qu'«amendées» - soumettent à la Cour un différend complexe, que traduit
l'exposé des demandes du Cameroun telles qu'elles figurent dans les
requêtes et également dans les conclusions du mémoire.
CUrieusement, M. Crawford ne s'intéresse nullement à ces demandes ou
à ces conclusions, alors même que ce sont elles qui définissent le
différend sur lequel la Cour est appelée à statuer (cf. arrêt du 27 .·
novembre 1950, Droit d'asile (interprétation}, C.I.J. Recueil 1950,
p. 402). Il sélectionne une phrase tirée du paragraphe 1 de la requête
additionnelle (CR 96/3, p. 53) - pourquoi celle-ci plutôt qu'une
autre ? - il en déduit que le différend- qu'il veut absolument ramener à t_,
un problème unique - porte, et porte exclusivement, sur la frontière dans
son ensemble.
C'est oublier que les demandes du Cameroun sont multiples : elles
portent sur la délimitation de la frontière dans son ensemble, certes,
mais aussi sur des problèmes, distincts, de responsabilité - qui peuvent
être (mais qui ne sont pas forcément) «consequential» (CR 96/3, p. 54).
Et même en matière de délimitation, les requêtes du Cameroun sont plus
spécifiques que ne le dit M. Crawford.
En particulier, il indique très clairement dans sa requête initiale,
tant sous la rubrique «Objet du différend» que dans la section V relative
à la «Décision demandée», que sa requête porte sur l'attribution de la
souveraineté sur la presqu'île de Bakassi. Or, les violents incidents de
ces derniers temps concernent précisément Bakassi, et, comme je l'ai
rappelé mardi (cf. CR 96/2, p. 49 et les références citées aux exceptions
préliminaires, p. 88, par. 5.3, et p. 95, par. 5.22- 2/), le Nigériane
conteste pas qu'il y ait un litige en ce qui concerne au moins la
souveraineté sur Bakassi. - 61 -
Voici, Monsieur le Président, qui suffit, je crois, à établir la
«recevabilité prima facie» de la demande du Cameroun en indication de
mesures conservatoires : elle vise à sauvegarder les droits qui
pourraient naître, pour l'une comme pour l'autre des Parties, de l'arrêt
au fond de la Cour en ce qui concerne la souveraineté sur la péninsule de
Bakassi comme mon excellent collègue Maurice Kamto l'a rappelé il y a
quelques instants.
Toutefois, le Cameroun souhaite faire deux observations
supplémentaires et ultimes.
2,4. La première concerne la cinquième exception préliminaire
nigériane, reprise par M. Crawford, selon laquelle, il n'y pas de
différend en ce qui conce.rne la délimitation de la frontière du lac Tchad
à la mer.
Tout montre le contraire; mais compte tenu du caractère de la
présente procédure, je voudrais seulement attirer l'attention de la Cour
sur deux éléments :
en premier lieu, la carte qui est reproduite sous la cote K de votre
dossier et qui est projetée derrière moi, montre clairement que des
incidents «frontaliers» ont éclaté non pas en un ou quelques points de
la frontière mais, bel et bien, partout sur la frontière;
M. Ernest Bodo Abanda, en projette le détail pendant que je continue
mon exposé; cette extraordinaire dispersion d'incidents, presque tous
constitués par des incursions nigérianes en territoire camerounais,
montre que, contrairement à ce qu'a soutenu mon contradicteur, il ne
s'agit point de quelques problèmes épars de démarcation ici ou là (cf.
CR 96/3, p. 55) mais bien d'une remise en cause globale de la frontière - 62 -
par la Partie nigériane (les incidents correspondants à la carte sont
brièvement décrits dans un récapitulatif qui se trouve également sous
la cote K de votre dossier);
- en second lieu, le Nigéria nie qu'il existe un différend frontalier
global, mais, que ce soit dans la région du lac Tchad (et très
clairement en ce qui concerne Darak - cf. exceptions préliminaires,
p. 89, par. 5.7), ou dans la péninsule de Bakassi (voir les références
données supra, no 23), le Nigéria n'en rejette pas moins les accords
passés du temps de la colonisation qui établissent la frontière dans
ces zones et très au-delà. ceci, cette remise en cause à Bakassi et à t
'-'·
Darak, ceci, que le Nigéria le veuille ou non, remet bien en cause
toute la frontière car ce sont les mêmes accords qui, combinés,
délimitent le tracé tout le long de la frontière. De plus, comme le
Nigéria lui-même le reconnaît, l'appartenance de Bakassi à l'une ou à
l'autre des Parties conditionne à son tour la délimitation maritime
(cf. exceptions préliminaires, p. 114-115, par. 7.3-7.5)
Malheureusement, Madame et Messieurs de la Cour, il y a bien un
différend concernant l'ensemble de la frontière et ce n'est pas sans
raison que vous avez décidé d'intituler cette affaire de la Frontière
terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria, même si pour ce
qui nous concerne aujourd'hui, tout ceci au fond n'est guère important.
25. Dernière observation, Monsieur le Président.
A la fin de sa plaidoirie, James Crawford s'insurge contre le fait
que j·e me sois félicité dans ma précédente intervention, de l'attitude
conciliante du Nigéria lors de la réunion du 14 juin 1994 (CR 96/3,
p. 58). - 63 -
A vrai dire, sur ce point, il me fait dire un peu plus que je n'avais
dit (cf. CR 96/2, p. 50). Je n'ai pas prétendu que par elle-même, cette
position ouverte et amicale avait constitué une acceptation de la
compétence de la Cour. En revanche, j'avais montré que cet épisode
s'inscrivait dans un ensemble, «a general pattern» dirait-on en anglais,
qui témoigne de la reconnaissance par le Nigéria de.votre compétence et
j'avais cité à ce propos un très grand nombre de déclarations officielles
nigérianes en ce sens, dont certaines très explicites.
A ceci, le Nigéria s'est bien gardé de répondre; je ne peux donc qu'y
renvoyer respectueusement la Cour (cf. 96/2, p.S0-55). Je signale
•
seulement que vous trouverez, sous la cote S de votre dossier, un nouveau
document qui renforce encore cette argumentation, de même d'ailleurs que
plusieurs des coupures de presse incluses par le Nigéria dans son propre
dossier de plaidoiries (voir notamment les documents n° 6 et 15).
26. Monsieur le Président, l'attitude des autorités nigérianes
m'étonne : elles annoncent à Lagos ou à New-York qu'elles ont saisi la
cour du différend relatif à la frontière terrestre et maritime, elles
contestent votre compétence à La Haye; elles affirment qu'il n'y a pas de
différend frontalier, elles revendiquent cependant des territoires
importants que le Cameroun tient pour siens et elles se livrent à
incursion sur incursion en territoire camerounais; cette carte le montre;
elles protestent de leur volonté de règlement pacifique de ce différend -
tout en contestant votre compétence - et elles font la guerre à Bakassi.
Ce pourrait être demain à Kontcha ou à Kerawa. Le Cameroun, lui, en
appelle au droit contre la force. C'est la signification des mesures
conservatoires dont il vous demande l'indication. - 64 -
Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour, j'en ai
terminé et je vous remercie de votre patience- d'autant plus que j'ai dû
parler très vite pour essayer de tenir les délais. Je vous prie ainsi
que les interprètes de bien vouloir m'en excuser. Monsieur le Président,
je vous prie de bien vouloir appeler à cet barre l'agent du Cameroun pour
une déclaration finale.
Le PRESIDENT : Je donne la parole à Maître Douala Moutome pour
conclure ce deuxième tour de plaidoiries au nom de la République fédérale
du Cameroun.
•
M. Douala MOUTOME: Madame et Messieurs de la Cour, aux termes des
diverses interventions des conseils de la Partie adverse, qui reste nos
frères africains, je dois avouer qu'il en est résulté, à mon niveau, un
sentiment d'étonnement. D'étonnement non pas sur ce qu'ils ont dit, mais
sur cette tendance à vouloir conduire votre haute juridiction à examiner
plutôt le fond de l'affaire tel que nous l'avons présenté nous, du côté
camerounais, ou alors tel qu'ils le conçoivent dans leurs exceptions
préliminaires.
Il me semble donc indispensable, en prenant la parole pour conclure ~
l'exposé du Cameroun, de souligner ici que mon pays et le Nigéria auront
tout le temps pour s'arranger et s'accommoder comme par le passé. Il
faut également le temps pour justifier chacun en ce qui le concerne sa
demande ou sa prétention, selon le cas.
Pour sa part, la République du Cameroun, soucieuse de respecter les
règles applicables dans le cadre de la procédure en indication de mesures
provisoires, n'a cherché ni a établir au fond la responsabilité du fait - 65 -
des attaques armées qu'elle déplore fortement, ni à engager un débat sur
les questions préliminaires soulevées par le Nigéria, questions qui ne
manqueront pas de recevoir des réponses comme je l'ai dit.
Le seul but du Cameroun à ce stade-est que votre haute juridiction
constate la nouvelle et constante dégradation de la situation à Bakassi
et indique certaines mesures pour permettre que certains facteurs que
j'ai déjà eu à souligner, la fois dernière, qui s'expriment en termes
économique, politique et social, puissent trouver remède afin de
permettre à la population qui s'y trouve et elle est davantage nigériane,
que camerounaise, un endroit serein pour leur subsistance.
Je le redis, ce n'est pas le moment adéquat pour dégager la
responsabilité de qui que ce soit. Dans les demandes de sa requête et les
conclusions de son mémoire le Cameroun a demandé à la Cour de constater
la re.sponsabilité du Nigéria. Il suffit de dire à ce stade que les
événements récents l'aggravent singulièrement.
Je ne puis cependant passer sous silence le goût abusif du Nigéria
pour le paradoxe. Comment ce pays peut-il reprocher au cameroun de se
refuser à recourir aux organisations internationales de règlement
pacifique des différends entre Etats, alors que justement nous venons de
vous saisir, vous, pour permettre de trouver une solut,ion à ce qui nous
oppose, le cameroun et le Nigéria ?
Comment peut-il nous reprocher de nous refuser à des négociations
bilatérales alors que la Partie nigériane remet en cause tous les accords
par lesquels elle est liée, et n'en conclut de nouveaux que pour mieux
endormir notre méfiance, et les remet en cause aussitôt signés, quand
elle ne refuse pas simplement de signer des accords pourtant
laborieusement négociés. Est-elle vraiment prête à toute négociation,
comme elle le prétend aujourd'hui ? - 66 -
Permettez-moi, Madame et Messieurs de la Cour, de vous rappeler que
depuis la date de son indépendance, le Cameroun est en négociation
constante avec le Nigéria pour tous ses problèmes de frontières.
Mais en réalité, ni les rencontres des 5 octobre 1964,
11 octobre 1965, 7 juin 1966 et 15 juin 1966 à Ikon, ni les déclarations
de Yaoundé I et II, en 1979 .et 1981, de Lagos en 1971, de Kano en 1974,
ni celle de Maroua en 1975, ne pouvaient aboutir à quoi que ce soit
puisque le Nigéria ne signait ces accords ou ces communiqués communs que
pour les dénoncer ou les violer aussitôt après.
Surtout, il n'y avait pas de terrain d'entente possible puisque le
Nigéria, au mépris du principe de 1'uti possidetis récusait et récuse
toujours - les traités frontaliers hérités de la colonisation et, en
particulier le fondamental traité germano-britannique de 1913.
Le Nigéria affecte de croire que Bakassi est à lui. Mais sur quelle
base donc ? Il a refusé de plaider le fond et, a soulevé des exceptions
préliminaires purement dilatoires :
- Comment explique-t-il les nombreuses rencontres auxquelles les deux
pays ont accepté de participer, et souvent sur la demande du Nigéria
lui-même, s'il n'y avait aucun problème sur l'appartenance de Bakassi
principalement ?
- Comment rendre compte des accords signés, comme celui de
Ngoh-Cocker si le Nigéria n'était pas dans la certitude de ne pouvoir
justifier juridiquement que Bakassi relève de sa juridiction
territoriale ?
Toutefois l'un de ses conseils a levé un coin du voile, je dois le
reconnaître, mercredi dernier, pour nous dire que le titre nigérian
reposerait sur des bases ethniques - ce n'est pas un titre -, sur des
traditions précoloniales - ce n'est pas un titre - et sur la pratique - 67 ~
administrative coloniale britannique - ce n'est pas un titre non plus :
la Grande-Bretagne avait comme puissance administrante du territoire sous
mandat d'abord, puis sous- tutelle après, reçu le droit d'administrer
ceux-ci à partir du Nigéria, ce que n'avait pas fait la France, qui a
administré dans des conditions différentes, directement, à partir du
cameroun, c'est-à-dire d•un territoire placé sous son autorité.
Les titres que nous faisons valoir sont exposés dans le mémoire du
Cameroun, il faut que j'y revienne, mais ils consistent en des
instruments juridiques, internationaux incontestables.
Monsieur le Président, nos adversaires sont venus tour à tour à la
barre prétendre, et notamment le coagent du Nigéria, sans sourciller,
qu'avant le 3 février 1996 il n'y avait aucune base militaire
camerounaise à Bakassi, et qu'il n'y avait donc aucune raison d'attaquer
le Cameroun.
Ce n'est qu'un sophisme - et un sophisme inexact : il y avait des
bases militaires camer9unaises à Bakassi et il y en a encore malgré les
attaques dont elles sont l'objet depuis le 3 février 1996. Mais sophisme
quand même qui consiste à dire : nous n'attaquons pas le Cameroun en
attaquant Bakassi puisque la péninsule est partie intégrante de notre
territoire disent les Nigérians
Il faut vraiment être capable d'accorder si peu d'importance à
l'intelligence de l'autre pour se permettre de telles affirmations.
De même, est-il difficile pour le Cameroun de comprendre que le
Nigéria se soit depuis tant de temps laissé brutalisé par mon pays, sans
qu'il n'ait jamais pris l'initiative de saisir soit la cour, soit les
organismes tels que l'OUA, le Conseil de sécurité ou l'Assemblée
générale. - 68 -
En réalité, malgré ses déclarations lénifiantes, le Nigéria a
toujours misé sur sa force militaire et, ne pouvant obtenir par la seule
intimidation la riche péninsule de Bakassi qu'il convoite, il tente de
s'en emparer par la force.
A cet égard, quelques passages d•une étude officielle de l'Institut
des études stratégiques du Nigéria ne laisse aucun doute sur les
intentions de ce grand pays :
Il commence par ceci, au chapitre 8 :
«La dispute frontalière entre le cameroun et le Nigéria
provenant de leur longue frontière (1680 Km) [nous au Cameroun
prétendons que c'est (1700}) remontre à l'époque coloniale.
cependant elle demeure une source de conflit permanent dans les
relations bilatérales directes entre les deux pays depuis leur
indépendance.»
Et après une longue et spécieuse analyse de la situation, elle
conclut en termes de propositions sur trois points, pour avoir Bakassi
elle .propose :
«Soit de la conquérir par la force, soit de l'occuper pour
permettre aux Camerounais de s'asseoir autour d'une table de
négociations, soit de l'acheter, soit enfin, ce qui me semble un
peu plus africain, d'amener le Cameroun à accepter une gestion
mutuelle des nombreux biens dont recèle la région dans l'intérêt
bien compris de toutes les composantes sociologiques de
celle-ci.» (Cf. : le Nigéria et le Cameroun, chap. 8, par
Bassey I. ATE in Le Nigéria et ses voisins immédiats.)
C'est l'aveu à la fois que Bakassi n'est pas nigériane, mais que le •
Nigéria est prêt à tout pour s'en emparer et pouvoir ainsi jouir
exclusivement de ses nombreuses et. variées richesses.
Permettez-moi, Monsieur le Président, de citer un document
camerounais de 1994 que le ministre des relations extérieures de notre
pays a adressé à l'OUA et duquel il ressort que, juste après la fameuse
attaque des 19 et 21 décembre 1994, juste au moment où à Buea se
négociait une fois de plus un accord et que le ministre des affaires
étrangères nigérian venait de déclarer, pour la première fois, Bakassi - 69 -
est nigériane, nous nous sommes sentis obligés de saisir l'OUA en vue de
nous aider à trouver une solution négociée et en rappelant, dans cette
longue lettre, que :
le 21·décembre 1993 a eu lieu la première vraie attaque suivie de
l'installation des troupes armées dans certaines localités de Bakassi;
les 9 et 10 février 1994 à l'occasion de la réunion des experts à Buea,
au cameroun, le Nigéria différait complètement la conclusion de
l'accord par des procédés habituels;
les lB et 19 février 1994, les forces armées nigérianes lancent une
e.
vaste opération contre le Cameroun dans l'objectif de conquérir toute
la péninsule de Bakassi (doc. S/1994/228 du 28 septembre 1994}.
Ces deux dernières attaques indiquent clairement que la note de
l'Institut des études stratégiques a produit ses effets; c'est la
première fois que les éléments des forces armées nigérianes prennent
position de façon définitive - apparemment - à Bakassi.
cela a entraîné une réaction camerounaise, réaction d'autant plus
légitime que nous continuons à penser que, selon le traité de 1913,
Bakassi nous revient, et que cela a été reconnu par le Nigéria jusqu'en
1992, date à laquelle ses nouvelles cartes géographiques ont inclus
Bakassi à l'intérieur de son territoire.
La mauvaise foi constamment manifestée par le Nigéria se traduit
également par l'affirmation selon laquelle
!•importance de la population nigériane dans la péninsule est la preuve
de l'appartenance de celle-ci au Nigéria, comme si, Monsieur le
Président, la présence massive des Nigérians au camp Yabassi, à Douala
ou à Moko1o, à Yaoundé, serait la preuve qui pourrait justifier
l'appartenance de ces deux quartiers de ces deux grandes villes du
Cameroun au Nigéria; mais on pourrait aller plus loin, parce qu'ils ne - 70 -
sont pas que là, ils sont également au Nord Cameroun, nombreux; je l'ai
déjà dit l'autre jour 3 millions de Nigérians au cameroun, alors
partout où ils sont nombreux, ce serait leur propriété; et alors le
cameroun serait disséqué en plusieurs territoires, portions;
de même, la portée des résultats des élections du 21 janvier 1996 ne
répond pas aux exigences démocratiques, dit-on de l'autre côté. Mais
que dire alors de celles organisées par le Nigéria et dont les
résultats n'ont pas été publiés tout simplement ? Je m'interdis toute
analyse en terme de jugement, Monsieur le Président, parce que je sais
respecter mon adversaire, et j'ai un éminent respect pour votre haute
juridiction également;
mais, le nombre et la qualité de notre armement, comme le prétend le
Nigéria, renvoient au plan pré-arrêté de ce qui s'est passé depuis le 3
février et qu'il faut prendre les Camerounais pour des inconscients
-cela, c'est moi gui le dit- pour penser qu'ils aient pu prendre
l'initiative d'attaquer un pays comme le Nigéria avec l'armement dont
ils disposent. Heureusement que le Nigéria ne les compare pas au
sien! Qu'il s'est bien gardé- et j'espère qu'il continuera à avoir
cette attitude humble - de vous dire qu'elle est sa puissance militaire
par rapport à la nôtre.
On a également invoqué la virginité de la péninsule de Bakassi jusqu'à
son occupation par les Nigérians. C'est un comble, car ce n'est ni
plus ni moins qu'une insulte à l'histoire. Mais le Cameroun aura à en
parler lors des débats au fond.
L'absence de négociations préalables au-delà de la zone des 12 milles,
alors que ces négociations ont couvert l'ensemble des problèmes
maritimes et ont même conduit à un accord - évidemment remis en cause
comme toujours par le Nigéria allant jusqu'à 17,7 milles marins dans
,- - 71 ,- "'
la ligne joignant Sandy point {Jabane) à Tom Shot (Nigéria) lors de la
rencontre conjointe des experts des deux pays à Lagos du 14 au 21 juin
1971 (mémoire du Cameroun, p. 243, annexe 5 de notre mémoire}.
La manifestation de cette mauvaise foi se retrouve aussi à d'autres
niveaux ;
l'exploitation des installations camerounaises comme preuve de la
présence nigériane à Bakassi : ainsi avons-nous observé les photocopies
des écoles et des hôpitaux construits par mon pays - car Bakassi est
mon pays - dans le dossier de plaidoiries produit par le Nigéria pour
justifier de ses effectivés.
Bien entendu, il n'est pas ici question dE: nier l'existence des
constructions nigérianes depuis qu'il a compris que sa seule défense pour
le moment consiste dans la démonstration de sa présence effective sur les
lieux.
L'omission de révéler à la Cour que, dans les zones de pêche dont les
huttes ont été photographiées, la plupart sont des abris saisonniers
correspondant aux périodes de pêche, et sont évacuées dès le début de la
saison des pluies, est également significative.
La contestation injustifiée de la compétence de la Cour alors qu'il
ne cesse d'y renvoyer à chaque occasion de nos rencontres et à chacune de
ses déclarations.
La volonté de faire croire que les négociations avec le Cameroun sous
l'égide de S. Exc. Monsieur le président Eyadema, comme l'a dit
M. Alain Pellet, reste en cours, malgré le fait que le Nigéria sait
maintenant que cela a été suspendu et je ne sais pas d'où sont sorties
ces dates des 11 et 12 mars, puisque la réaction du chef de l'Etat de mon
pays par le biais de son directeur de cabinet qui est versée au débat ne
suscite. et ne devrait susciter aucune nécessité d'interprétation. - 72 -
J'en ai conscience, Monsieur le Président, mon intervention pourrait
paraître rude. Mais vous comprenez également que le Cameroun est depuis
un moment soumis à rude épreuve par le Nigéria, et ce que j'ai entendu
ici, avant-hier, aggrave encore mon appréhension. J'avais eu espoir
qu'enfin nous pourrions vivre en paix dans cette péninsule après Kara.
Mais je suis aujourd'hui persuadé qu'il n'en sera point.
Et mon seul espoir, celui de mon pays, est remis entre vos mai~s,
Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la cour. C'est à vous à
éviter que l'exemple nigéro-camerounais ne devienne un exemple africain.
ce serait très dangereux, infiniment dangereux, pour toute l'Afrique.
Ceci, Madame et Messieurs de la Cour, rend encore plus urgente,
encore plus indispensable, encore plus vitale, l'indication par votre
juridiction des mesures conservatoires raisonnables et équilibrées que
nous vous avons proposées dans un esprit d'apaisement et dans l'espoir
qu'elles contribueront à rétablir la confiance et permettront aux deux
pays de préparer avec sérenité la suite de la procédure.
Il me reste, Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour, à
vous remercier bien vivement de votre bienveillante attention, mais je
voudrais souligner ici avec votre ha.ute permission que, dans cette
enceinte si noble, si digne, vous n'admettez pas des ennemis, vous
admettez en ce moment des adversaires. Le Nigéria n'est pas l'ennemi du
cameroun, c'est en ce moment l'adversaire du Cameroun et c'est pour cela
qu'après avoir présenté les sincères excuses du Cameroun d'avoir dépassé
largement son temps je me retourne vers mes adversaires, et non pas mes
ennemis, pour qu'ils acceptent ces mêmes excuses. Je vous remercie,
Monsieur le Président, Madame et Messieurs de la Cour. - 73 -
Le PRESIDENT : Merci beaucoup, Excellence. Par cette déclaration
conclusive s'achève le second et dernier tour de plaidoiries de la
République fédérale du Cameroun. La Cour suspend à présent l'audience
qu'elle reprendra dans quelques minutes pour entendre les représentants
de la République fédérale du Nigéria en leur second tour de parole.
L'audience est suspendue de 11 h 10 â ll h 35.
The PRESIDENT: Please be seated. The hearing is now resumed. The
Court will hear the second round of oral arguments of the Federal
Republic of Nigeria.
1'
I call upon His Excellency the Agent of Nigeria.
Chief M. A. AGBAMUCHE: Mr. President, distinguished Members of the
Court,
It is once again a great honour ta address the Court, this time to
open the second round of Nigeria's submissions.
You will recall, Mr. President, that before the Court rose on
Wednesday three of your distinguished colleagues asked questions of the
Parties. Nigeria's answers ta those questions will appear quite
naturally in the course of the submissions my colleagues will be making
to you. Those answers will then be formally placed on record by my
distinguished colleague the Co-Agent at the end of Nigeria's submissions.
Without more ado, therefore, I would ask yeu, Mr. President, ta give
the floor to Professer Brownlie. Thank you.
The PRESIDENT: Thank you very rouch, Chief Agbamuche, for your
statement and now I give the floor to Professer Brownlie. - 74 -
Professer BROWNLIE: Mr. President, I apologize for coming out of the
arder of speakers which was presented ta the Registry. I assure you
without hesitation that the arder is maintained. I have stepped ta the
podium ta deal briefly with a procedural problem which bas presented
itself ta my delegation at the beginning of the coffee break. It is a
fact that what I am offering is an explanation and also a request. The
explanation is that the team of counsel only received the second dossier
of Cameroon at the beginning of the coffee break. We un.derstand that the
dossier arrived at the Kurhaus Hotel at literally one o'clock in the
morning. Through a series of accidents, and I do not think it is
profitable to go through the details, the dossier was not actually handed
on to the team until, as I say, the coffee break this morning. And so
the explanation which I have ta offer to the Court is quite simply that
there will be no reference ta the second dossier of documents in the
speeches which the Nigerian delegation delivers new. The request is that
we would like ta reserve the right, if the Court will give it ta us, to
comment in writing on the documents subsequently. Obviously we cannat
cape with the documents in the present situation.
The PRESIDENT: Sur ce point lâ, Monsieur le professeur, la Cour
prendra une décision, parce qu'à la fin de ce second tour de plaidoirie,
et une fois que la République fédérale du Nigéria aura fait les exposés
qu'elle souhaite faire devant la Cour tout à fait librement, je
clôturerai la procédure aujourd'hui même, par conséquent, qu'il y ait
clôture de procédure dit que nous ne pouvons plus, la Cour ne devrait
pas, en principe, recevoir une quelconque communication ultérieure, sauf
si elle est requise par la Cour elle-même. Alors je réserve la décision
de la Cour pour l'instant et je prie les distingués représentants de la - 75 -
..
République fédérale du Nigéria de bien vouloir commencer ou continuer
leur second tour de parole et la Cour vous informera de la décision
qu'elle prendra sur la question que vous venez de poser.
Professer BROWNLIE: Thank you, Mr. President. If I could ask yeu to
call on Sir Arthur Watts.
The PRESIDENT: Sir Arthur Watts.
Sir Arthur WATTS: Thank you, Mr. President.
Further exposition of the facts
Mr. President and distinguished Members of the court, I would just
like to bring the Court back to the heart of the present matter. Namely,
the hard facts of the events of last month. Hard facts so notably absent
from Cameroon's arguments, bath on Tuesday and this morning.
Mr. President, in the light of the presentations made by Nigeria and
cameroon earlier in the week, and again by Professer Cot on behalf of
cameroon this morning, it is apparent that there is still a degree of
disagreement, and perhaps also sorne confusion, as to what exactly
happened during the incident of 3 February, and during the subsequent
incident of 16 and 17 February. It may therefore help the Court,
Mr. President, if I try to clarify the facts.
Let me begin, Mr. President, by acknowledging the great assistance
which I have had from a member of the Nigerian team here in The Hague
Brigadier General C. M. Zakari, the Director of Operations at Defence
Headquarters, at the Ministry of Defence: you will see his name and
designation in the list of the members of the Nigerian team. I should
add that Brigadier General Zakari is in charge of Nigerian military
operations worldwide. He bas thus been able to provide first-hand - 76 -
information about what bas actually been happening recently in Bakassi.
It is General Zakari who bas, only in the last 24 hours, gained clearance
from his authorities for copies of certain military messages tc be lodged
with the Court. And I will be referring tc those messages later.
Mr. President, I can conveniently divide what I have tc say into feur
sections:
(1) the nature of the terrain in Bakassi;
(2) the military build-up by Cameroon;
(3) the circumstances cf the Cameroon attack on 3 February, and
(4) the circumstances of the Cameroon attacks on 16 and 17 February.
1. The nature of the terrain
Sc let me start, Mr. President, with the nature of the terrain and
let me look first at the map. As the Co-Agent for Nigeria explained on
Wednesday, the map provided to the Court by Cameroon is seriously
misleading, in that it misrepresents the true nature of the area. The
map on the screen behind me is the map used by Nigerian speakers last
Wednesday; and it will be found in the pocket in the inside caver of the
bundle of papers provided to the Court by Nigeria. As I refer,
Mr. President, to various geographical locations, Mr. Timothy Daniel will ~ lt
point to them on the map behind me.
Mr. President, from the map you can see that the area referred tc
somewhat loosely as the Bakassi Peninsula is bounded on virtually all
sides by water - on the south by the sea in the Gulf of Guinea, in the
particular area known as the Bight of Benin; on the west there is the
estuary of the Cross River; to the north there is the Akwayafe River
(and here, Mr. President, I should just interpolate that the limitations
of the projection system mean that this map does not go quite as far
north as the map which the Members of the Court have in their dossier); - 77 -
and tc the east there is the estuary of the Rio del Rey. Within the
approximately oblong area bounded by those significant waterways lies the
"Bakassi Peninsula"; it comprises many islands of varying size, in an
area criss-crossed by waterways, many of which are just small creeks and
streams.
As Professer Brownlie pointed out on Wednesday, .. the land is generally
very low-lying, sc much so that much of its is virtually a swamp;
indeed, significant parts are mangrove swamp, and large parts of Bakassi
are submerged during the rainy season. The area is remote and difficult
tc gain access tc. The vegetation is dense, tropical, mainly low-growing
but with seme trees, and in many places it is water-logged. There are
certain areas where the land is firm all year round, but only in these
areas - these are the land areas in the region of Ine Odiong, Edern Abasi,
East Atabong, West Atabong, Onosi, Ahana and Ite Utan: naturally,
therefore, these areas and their surrounds are most favoured for the
location of villages.
The general physical nature of the Bakassi area is illustrated in the
small booklet of photographe which Nigeria has placed before the Court.
These photographe were taken by a Professer of geography assisting the
Nigerian team: although taken last November, the climate and vegetation
in Bakassi do not change rouch with the seasons, and the appearance of the
area in February can be taken tc be much the same as it was last
November. The photographs, of course, were taken before the events of
last month, and are therefore in no sense specially tailored for the
circumstances which have new arisen.
ln the context of what happened in February, there are severa! things
which the photographs illustrate. Pirst, they show that although the
area is generally flat and low-lying, that does not mean that visibility - 78 -
is good over long distances: the humidity and dense vegetation do much
to reduce visibility. To that I should add that the effect of the
vegetation is not only to reduce visibility, but also to reduce the
extent to which noise carries: thus motorized beats, and even
helicopters, can be quite close yet still not be audible in the way they
would be, say, on the canals of the Netherlands. Second, given that the
Cameroon attack on 3 February was directed initially against
west Atabong, the photographs show what sort of village West Atabong is
(see photographs at pages 11 to 18, and 20 ta 21). It is apparent from
those photographs that it is a fair-sized village, with, clearly, a large
proportion of fishermen among its inhabitants.
Mr. President, this morning Professer Cot mentioned West Atabong but
virtually only in passing. He did not dwell on Cameroon•s alleged role
there, and that, -if I may say, was very wise of him. It is apparent
that, as recently as last November, it was being administered by Nigeria,
not cameroon. If the Court looks at the photographs on pages 15 and 17
which refer ta a health centre, it can be seen quite clearly that the
notice in front of that health centre reads "Yakubu-Bako Comprehensive
Health Centre Atabong, Akwa !born State, Nigeria". Ta return ta the
photographs the third thing that they show, particularly the photographs
at pages 11 and 14, is sorne sort of idea of the maritime approaches ta
West Atabong. Fourth, the photograph at page 19 shows the nature of the
waterway in front of West Atabong, looking across the Bakassi Creek
towards East Atabong, which is about half a kilometre (say, a quarter of
a mile) across the water. - 79 -
2. The military build-up by Cameroon
Mr. President let me begin by repeating what was said on Wednesday by
beth the Agent and Co-Agent for Nigeria: Cameroon bad no fixed military
positions on Bakassi prier to 3 February 1996. Nor does Cameroon have
any there now. Bakassi being Nigerian, Nigeria would take grave
exception ta the establishment of any Cameroonian military, or indeed
administrative, presence actually in Bakassi. Cameroon's nearest
military positions are at Isangele, Kombo Tindi, Bamusso (a naval
installation), and Douala, all inside Cameroon territory. It is only by
making forays from those bases that Cameroon troops can infiltrate into
Bakassi. Let me in passing confirm, again as the Agent for Nigeria said
on Wednesday, that Nigeria, along with its civilian administration in
Bakassi, does have military installations in Bakassi - as is consistent
with Bakassi being Nigerian. One of those military positions is at West
Atabong, a position established by the Nigerian military for many years,
and in particular one established long before the ceasefire of
February 1994. I will return ta this later.
For many months Cameroon bas been building up its military capability
around Bakassi. The Agent for Nigeria has already given details of this
build-up. These details will be found at page 20 of Wednesday•s verbatim
record (CR 96/3), and I will not repeat them here - although I will just
remind the Court that one particularly relevant element in that build-up
included ground troops, marines equipped with fast flat-bottomed
gunboats, and gendarmes similarly equipped with the same kind of
gunboats. It is notable that this morning Cameroon, although referring
ta this matter, said nothing ta deny those details of its build-up.
Understandably Nigeria is confident of the accuracy and veracity of its
information. - 80 -
3. Tbe circnmptances of the Cameroon attack on 3 Pebruary
Before summarizing the circumstances of the events of 3 February,
Mr. President, I should like to make sorne general commen.ts about the
documentary evidence, and particularly the documents submitted by
Cameroon. They were submitted in two batches. The first batch was sent
to the Court under caver of a letter dated 26 February, which the
Nigerian team received only on Monday of this week: it was,
Mr. President, little short of a shambles - documents were not in any
particular arder, many were in substantial part illegible, they were not
numbered in any way, and there was no list of contents, let alone any
explanatory material. If the purpose of these documents was to give
notice to the Nigerian team of material about tc be used by Cameroon,
then it was wholly unsuited tc that purpose. The second batch was lodged
by Cameroon with the Court on Tuesday, in a white folder. This batch
contained only sorne of those submitted in the earlier batch, and although
there was this time an index, and the documents were in sorne sort of
arder, many were still in parts illegible, and it was not at all clear
what story they were meant to tell - they were very far from being
self-explanatory, and this was especially true of those purporting to be
military reports more or less contemporaneous with the events of
3 February.
Mr. President, Nigeria was expect.ing Cameroon to say something last
Tuesday to explain how those documents supported Cameroon's version of
the facts of that incident. Instead, Cameroon stayed totally silent on
that matter. Nigeria accordingly finds it difficult ta regard those
documents as serious evidence shedding light on the events of 3 February. - Bl.-
Mr. President, we were told this morning by Professer Cet that, were
it net for the constraints of this present procedure, camercon would have
liked to submit even more documents. I have cnly two commenta tc make.
First, Cameroon is the initiator of· these proceedings. It is up to
Cameroon tc present its case in a prcperly supported way in time for the
hearings which it has set in train.
Second, it is not more documents which are needed, but an explanation
of those which Cameroon has chosen tc place befcre the Court. As to
that, we have tried ta look at them very carefully. They are, on their
face, full of contradictions and confusions. This is not the occasion tc
•
go through them individually in detail, especially as Cameroon bas not
bothered to do so, but also because time is pressing. But let me make
certain general observations about them.
First, it is striking that no document appears, on its face, to have
been generated in Bakassi, either before or after 3 February. This
severely restricts their credibility as direct accounts of what happened.
Second, this lack of documentation from within Bakassi is also
difficult to reconcile with Cameroon assertions that they had an
effective administration in that area.
Third, many of the documents are sa full of military or ether
abbreviations and jargon that they are incomprehensible.
Fourth, the documents are often remarkably unspecific about the
places where events are said ta have occurred; and where place-names are
mentioned, quite a number are simply untraceable on maps available tous.
Fifth, many of the documents reveal considerable panic among the
Cameroonian troops - but this is not evidence in support of Cameroon's
version as tc who initiated the fighting, which is the point at issue;
it is in any event consistent with Nigeria's version of events. - 82 -
This morning, the Nigerian team waited again for sorne explanation in
detail of what those documents meant, but, as yeu will have noticed,
Mr. President, not a single explanation was forthcoming. This is the
more astonishing in that it is, after all, Cameroon which is alleging the
events which have occasioned the making of the request new before the
Court. I can only ask that the Court, Mr.· President, should- wholly
disregard these military reports submitted by Cameroon as being unclear,
confused, and self-contradictory.
AS ta the Nigerian documents which were lodged with the Court
yesterday - and I will refer tc them again later in detail - let me make
two preliminary points.
First, the Court will see from the fax details at the top of the
various pages that they were only received in The Hague yesterday
morning: we sent them tc the Court, and tc the Cameroon delegation,
before 2 p.m. yesterday. In fact the receipt of the documents was signed
for on behalf of the Cameroon team at 1.40 yesterday afternoon.
Second, the messages from West Atabong were sent to, and the reply
back was sent from, officers acting under the authority of
General Zakari, who as I have said is here as a member of the Nigerian
•
team; as the responsible senior officer, he personally saw the incoming
messages at pages 1 and 4, and he authorized the sending of the reply at
page 3.
If I might new turn ta the events of 3 February, they can be pieced
together as follows.
3 February was a Saturday. It was market day in West Atabong. At
West Atabong there was a military post, as there has been for many years.
It was, for them, their annual end-of-year party. This takes place
between the end of December and sorne time in March - it depends on the------------~------------------------------~-----------------------------------------
- 83 -'
circumstances. The Nigerian soldiers were relaxing and preparing for the
party. At 12 neon, without warning and without any provocation, a
cameroonian artillery barrage started. It consisted of mortar fire and
fire from high velocity weapons.
Here, Mr. President, the Court might like to refer to the first
report contained in the documents submitted by Nigeria yesterday. You
will see from the "Date Time Group" heading at the top of the page that
it was sent at 2.35 p.m. on 3 February; and, from the headings in the
top left-hand corner of the page, that it was sent from Headquarters
146 Battalion at West Atabong, and was addressed to Headquarters of
13 Motorized Brigade at Calabar - that is what the abbreviation "Cal"
means; and that it was copied, inter alia, to Defence Headquarters,
which is where General Zakari is Director of Operations, and where he
received the message. The message begins with the reference "Op - that
is, Operation- Harmony IV": I should explain that that is the name
given by the Nigerian military, for many years new, to the deployment of
their forces in the Bakassi region. The message itself bears out the
account I have just given. Let me read it in full, translating, if 1
may, the military abbreviations used in the message. Let me just add
here that the initials ''PD" mean "full stop", just as '!ater on the
initiais "CMM" means "comma".
"Situation Report." At about 1200 on 3 February 1996, the
Cameroonian military had infiltrated through the creeks to about
600 metres ta our own positions with mortar and high velocity
weapons from their gunboats. The shelling is still continuing
and the market is also a target. Casualties not yet known. You
are please urgently required to authorize quick response ta
their attack. As at present, own troops on alert awaiting your
orders. Treat as most urgent. Acknowledge."
So the incident started. According to Nigerian military reports, the
shelling lasted until 6.47 in the evening·- that is, for six hours and - 84 -
47 minutes. The cameroon forces engaged in this operation were commanded
by a Captain Bobo.
Mr. President, this surprise and unprovoked attack was launched from
beats. In giving details of the Cameroon military build-up in the area,
Mr. President, yeu will recall that I drew attention to the acquisition
by cameroon forces around Bakassi of a number of flat-bottomed gunboats.
These boats are of types capable of providing a stable platform for the
firing of mortars. They are shallow-draughted vessels, well-suited ta
navigate the waters of the creeks and small rivers which criss-cross
Bakassi. They can be relatively speedy; they are easily manoeuvrable;
they also ride low in the water, and would be difficult to see at any
distance; and as I have mentioned, noise from their engines would be
considerably muffled in the creeks and estuaries of the area.
And, of course, Mr. President, while Nigeria does not know precisely
how the attackers came to the sites from which they launched their
barrage, it seems most likely that they originated from Cameroon bases
east and north of the Rio del Rey - that is, from those bases outside
Bakassi to which I have already drawn attention, most probably Isangele .
Having left their bases they will almost certainly have stealthily
•
infiltrated through the navigable creeks across the centre of the
Bakassi Peninsula - and yeu will note in particular, Mr. President, the
convenience of the waterway, which is navigable for the kind of beats
which we are talking about, which begins at Hecuba Point on the Rio del
Rey and wends its way across the Peninsula to Bakassi Creek in front of
West Atabong. The initial message from the Nigerian troops in west
Atabong certainly said, presumably on the basis of their local knowledge
and observations, that the raiders "infiltrated through the creeks" and
fired· "from their gunboats". The sort of mortars which were used in this ;-O:·,e''
- as -
attack have a maximum range of about 2 kilometres: accordingly, a
mortar-launching craft would not need to get very close to West Atabong:
and the initial Nigerian report, as yeu will see, said that they
approached to within about 600 metres.
Perhaps, Mr. President, at this point I should remind the Court of
what the co-Agent for Nigeria said on Wednesday about what, to the
uninitiated, might seem the most obvious way to attack West Atabong and
ether places along the south coast of Bakassi. Looking at the map,
Mr. President, the Rio del Rey looks like the obvious route to take for
any military forces wanting ta get from Cameroon bases in Cameroon
territory ta launch an attack on the villages on the southern coast of
Bakassi, and West Atabong. Why bother with tortuous creeks when the
bread waters of the Rio del Rey are available? Because, Mr. President,
as the Co-Agent said, if you sail dawn the Rio del Rey you are going ta
be very visible; and in any case, although it looks.like placid, open
water, it does in fact have strong currents, and many submerged rocks and
boulders. Bath for safety and for secrecy, the creeks are better.
Mr. President, the attack that took place was a serious and surprise
attack on Nigeria's villages. Nigeria's knowledge, through experience,
of cameroon military tactics is that after a period of shelling and
shooting it is assumed that the people in the target area will have fled,
and then the Cameroon forces may move in.
And sa it was at West Atabong. After the initial barrage, lasting as
I have said for more than 6 hours, the Cameroon forces - of about
battalion strength sought ta move in ta West Atabong. However,
Mr. President, the Nigerian troops there bad not fled. And they clearly
could not fail ta respond ta the attack. But their response, only made
after being properly authorized by the military High Command, was limited - 86 -
in scope, and was proportionate ta the need ta defend itself and its
population. Yeu will see, Mr. President, from the initial message from
the Nigerian military in West Atabong that their report was not "we have
fired on and repulsed the Cameroonian forces", it was a request for
urgent authority tc make a response - "Please urgently required ta
authorize quick response to .their attack." That, Mr. President, was the
proper reaction of a disciplined military unit.
The authority to respond was given and I refer the Court to the
message at page 3 of the Nigerian documents. The Court will see that it
was sent at 5.30 p.m.; and it came from Defence Headquarters- the
message was signed by Colonel Falum, who is on General zakari's staff:
and the authority itself had been approved by General Zakari. The
instruction was crisp and clear: "Yeu are tc maintain your position
repulse Cameroonian attack and lo[o)se no ground. Yeu should send
6 hourly situation reports. Acknowledge." Accordingly, Mr. President,
there were exchanges of tire between the two sides. The Cameroon forces,
having sa unexpectedly found Nigerian troops in their path, melted away -
presumably back the way they had come, in their beats. In February it
gets dark in this area by about 7.30 p.m.; and sa, sorne three-quarters
of an hour after the initial Cameroonian barrage stopped, the Cameroon
troops had withdrawn, and it was not practicable, in the dark, for the
Nigerian troops to follow·them.
The third message, Mr. President, submitted by Nigeria is a report
sent ·back to Headquarters at 1 o'clock in the afternoon the next day
(4 February). Again let me read it, in, so to speak, translation from
the military language:
After the initial introductory references: - 87 -
"Situation Report as at 12 neon on 4 February 1996.
Cameroonian attack bas been repulsed and driven out of own
position area. Casualties:
Civilians - killed in action {= "KIA~) - 10
- wounded in action {=- ~wiA" l - 20
Troops - killed in action - 2, and
- wounded in action - 3.
You are ta urgently send medical team ta Calabar ta
assist in handling the large number of civilian casualties.
General Officer Commanding {= "GOC") 82nd Division will
visit the area immediately ta assess the situation.
Acknowledge."
Ta round off this account of the events of 3 February,
Mr. President, I should add that after their failure ta make inroads at
West Atabong, the cameroonian troops attacked East Atabong and
surrounding villages - sa ta speak, Mr. Pre~ident, while on their way
home. The Nigerian response was just as it bad been at West Atabong -
they maintained their positions and repulsed the attackers.
I must emphasize, Mr. President, that in the course of its a.ctions
in self-defence, Nigeria did not gain any new ground. The military
instructions, as you will see, ta the Nigerian forces were simply to
"maintain" their own positions and "repulse" the Cameroonian attack.
Cameroon, by the map which it submitted ta the Court (Tab A of the
Cameroon bundle of documents), says that the eight places ringed in red
are Cameroon positions occupied by Nigerian forces since 3 February.
Mr. President, this is simply not true. Those eight places a.re all
villages, inhabited by Nigerian nationals and having Nigerian names.
Those villages were never established Cameroon positions: as I have
already said, and I say it again, Cameroon had no fixed military
positions an Bakassi before 3 February. Indeed, Mr. President, there - 88 -
would have been absolutely no military logic in the position as Cameroon
claims it tc have been: a look at the map shows that the only effective
supply route for the Nigerian forces on the south coast of Bakassi - West
Atabong, and sc on - is dawn the Akwaya'fe River: Nigeria could never
have tolerated any fixed Cameroonian military posts on the east bank of
the Akwayafe River. If Nigerian troops are in those villages new, it is
simply because those villages are part of Nigerian Bakassi; there is no
question of them having "fallen into Nigerian bands" since 3 February.
Let me add a final point about the Nigerian military positions in
Bakassi. I repeat: Nigerian military positions remain where they were
•
before 3 February. No new positions whatsoever have been "taken" and
occupied by Nigerian armed forces since that date. This, however, leads
me on to clarify a very important point. There have been severa!
references by Cameroon - for example, in paragraph 4 of their Request for
interim measures - to a "ceasefire" line: in that paragraph they refer
specifica~l to there being in the Bakassi Peninsula a "ceasefire line of
February 1994". This is simply not true. There is no "ceasefire line" in
Bakassi. No such line has been agreed by the Parties; and if one looks
at the map, and bearing in mind the description I have given of the
•
terrain, one can see that it just is not an area in which one could
prescribe a ceasefire line. It is significant that Cameroon has not
submitted, either recently, or with its Application, or in its Memorial,
any document purporting to lay dawn this supposed ceasefire line. Of
course, Carneroon cannat do so: no such document exists.
By referring ta a "ceasefire line", Cameroon appears to be trying
tc establish - or get the Court tc establish, or at !east give its
blessing tc - the existence of sorne line running through Bakassi. One
can see in that attempt a part of a consistent plan by cameroon gradually !.·:.•-·-
- 89 - .
to encroach on Nigeria's territory in Bakassi: one starts with Cameroon
proper over in the east of the map; o~e then maves a bit further west
with the gradual recognition of sorne supposed line through Bakassi; and
eventually, if Cameroon succeeds in its endeavours, the whole of Bakassi
will be taken over by Cameroon. This spurious attempt to create a
"line", whether "ceasefire" or any ether, is utterly.misconceived.
4. The eircumstances of the Cameroon attack on 16 and 17 February
The attribution of the start of this incident ta Nigeria is a
particularly cynical a.ttempt to manipulate the truth. Cameroon made not
the slightest attempt this morning to present any information about this
incident and let me make good that omission. The facts are important not
just because the incidents themselves were important, they were, but also
because Professer Pellet relied on these incidents in arguing this
morning that the Kara communiqué was violated by Nigeria before the ink
was dry on the Ministers' signatures to that communiqué. Let me first
remind the Court that Cameroon, the State which bas, I would recall,
initiated these proceedings, did not submit a single official document
relating to these mid-February incidents, nor have their statements
before the Court done more than just refer to them without any detail.
What happened on 16 and 17 February was this.
The Court will recall, from Wednesday, the references to the
mediation taking place under the auspices of the President of Togo. In
tliat context there was a meeting of the Foreign Ministers of Nigeria and
Cameroon on 16 and 17 February. They signed, on 17 February, a
communiqué, in which they agreed ta cease all hostilities.
Mr. President, 16 February was a Friday. It was in the middle of
that very meeting which was taking place in Togo, that cameroon forces - 90 -
made an attack by helicopter. The helicoptere must have come from bases
within cameroon territory. They attacked the Edern Abasi area, firing
from the helicoptere, at quite !one range. The next day - the very day
that the Foreign Minister of Cameroon was signing a communiqué agreeing
tc cease all hostilities - Cameroon forces made another water-borne
attack. This time the attack centred again on Edern Abasi, involving fire
from mortars and high-velocity weapons. It seems probable that, once
again, this water-borne attack started out from bases in Cameroon and
used the creeks and miner waterways of Bakassi. As before Nigerian
troops defended themselves and repulsed.the attack.
That concludes my attempt to give acme greater precision ta the
facts which underlie these present proceedings. I hope that yeu,
Mr. President, and the Members of the Court, have found the attempt
helpful to your understanding of the events of February 1996.
Mr. President, 1 thank yeu for your attention and I should new like
to invite you ta call upon Professer Crawford to address the Court.
The PRESIDENT: Thank you Sir Arthur Watts for your statement. I
new give the floor to Professer James Crawford.
Professer CRAWFORD: Mr. President, distinguished Members of the
Court.
Under Article 41 of the Statute, the Court bas power "to indicate,
if it considera that circumstances sa require, any provisional measures
which ought ta be taken to preserve the respective rights of either
party". It is not sufficient that particular measures should be
desirable; they must be required by the circumstances. Moreover, they
must be required for a particular purpose in arder to "preserve the - 91 -
respective rights" of bath parties pending the determination of the
merits. Professer Brownlie has already analysed this requirement
(CR 93/3, pp. 24-27), with references to the authorities.
Based on the factual situation just outlined by Sir Arthur Watts, I
will show that the measures sought by Cameroon do not meet the
requirements of Article 41 of the Statute, nor are they consistent with
the due exercise of the Court's judicial power. It is of particular
importance in the latter regard, that is to say in relation to the
requirements of judicial power, that interim measures must in no sense
prejudge·the Court's eventual decision on jurisdiction and admissibility,
and if the Court is then able to reach the merita, on the merits. The
continued confidence of the parties in the judicial process necessarily
requires that any interim measures should not be prejudicial. To put it
positively, they should be equitable and balanced with respect to bath
parties. They should not prejudge the rights which bath parties are
taken to have pending the determination of the Court on jurisdiction and
merits.
Mr. President, of course what I have to say now in relation to the
measures sought is not addressed to the prerequisites in any event for an
indication of provisional measures, that is to say, the existence of
prima facie jurisdiction and prima facie admissibility.
There is no need to elaborate upon what Sir Arthur Watts and I said
on this on Wednesday, save for one point. Professer Pellet in his
address this morning accepted the legal principles which underlay what I
said on Wednesday. He accepted that the prerequisite extended to
admissibility as well as jurisdiction, as indeed this Court clearly
indicated in Nuclear Tests. He did not then say, it may be that the
whole boundary is not an issue, but our particular concern is Bakassi. - 92 -
He went on to deny that argument, on the facts - there were very few
facts in the presentation this morning - but that was one of them. He
said the whole boundary is in fa.ct in dispute. One way he demonstrated
that was to show that there is a dispute at one end of the line, in
Bakassi, and at the ether end of the line, in Lake Chad. The analogy was
of a piece of string. If there are problems about the two ends of the
piece of string, obviously there are problems all dawn the line.
Mr. President, a boundary of 1,680 km is not a piece of string. It is
the line, as it were, the conceptual line, in a sense, the practical
line, of the relationship between two peoples. And that line exista not
withstanding that particular aspects of it, and in particular at bath
ends, may be in dispute. As I said on Wednesday, there is no factual
basis for the proposition tbat the boundary as a whole is in dispute.
Nigeria does not contest - and in its Preliminary Objections it
made that clear - the principle of the delimitation of the boundary with
the exception of certain particular problems that have arisen. It
accepta that there are particular problems, but the idea that those
particular problems put the whole boundary in dispute is absurd. Since
it follows that the description, or indication, of the dispute given in
the amended Application is incorrect, there is no dispute appropriately
indicated before the Court. The difficulties otherwise will be enormous
because in its Reply, Nigeria will have tc survey every kilometre of the
1,680 km to determine exactly where the line is, how the issues of
demarcation are to be resolved and what issues there may be relating tc
the régime of the boundary. Alternatively, the court is asked, as it
were , t o ges ture in the di rection of the boundary, and tha t. i s not
judicial power.1
i
- 93 -
Cameroon•s Pirst Requested Measure
I return therefore.my main function, that is, the question whether
the substantive requirements of Article 41 are met. I turn then ta
Cameroon's first requested measure. The first measure sought by Cameroon
is as follows: that "the armed forces of the Parties shall withdraw ta
the position they were occupying before the Nigerian armed attack of
3 February 1996". on the version of the. facts given by Cameroon itself,
this request does not mean what it says. For according to their version
of the facts, Nigeria would have ta withdraw ta a few positions on the
e.
extreme western edge of the Bakassi Peninsula, while Cameroon would have
ta advance to occupy all the positions sa vacated. The first Cameroonian
request should thus be reworded as follows: "the armed forces of Nigeria
should withdraw ta Archibong, Jabane II (otherwise known as Ahana) and
Diamond, and the armed forces of Cameroon should advance ta occupy the
rest of the Bakassi Peninsula".
Mr. Kamto, this morning, said that as proposed, the Cameroonian
provisional measures were entirely equitable and balanced and·required
the same conduct from bath Parties. One is reminded of the ultimatum
given tc the opposing parties in 1956 which bad required, in effect, that
one belligerent should advance a considerable distance and the ether
retreat.
Of course Nigeria presents a different version of the facts,
because as Sir Arthur Watts has shawn, Nigerian military forces
controlled many positions on the Peninsula on 2 February, including
West Atabong. West Atabong was a point particularly singled out in the·
cameroonian map. They did sc as part of Nigeria's overall administration
of the Peninsula, which is of long standing. According tc Nigeria's
version of the facts, the content of Cameroon's first request would mean - 94 -
that Nigerian troops should stay where they are, because they have not
changed their positions since that date and Cameroonian troops should
stay where they are, because they are in cameroon.
It is obvious that the Court as à· judicial organ cannat issue an
indication that means two completely different things ta the opposing
Parties. It is equally obvious that the Court as a judicial·organ cannet
determine, without a proper evidential bearing, whether there was a
Nigerian armed attack on 3 February, or a Cameroon armed attack, or
indeed precisely what happened at all. We say that if the court could
determine that, we would, on the relevant balance of proof, have
established our version of the case. But we do accept that in the
context of provisional measures, a determination of disputed facts
presents difficulties. I am not sure that it is appropriate ta talk
about the dust of war given that it rains almost all the time in Bakassi,
or ta talk about the fog of war in a place which is extremely hot. But
even a well-organized and well-equipped force could get lest and confused
about what it was doing and what was going on in a military skirmish such
as that which occurred on 3 February. There no doubt may be ether and
further explanations, but whatever happened, a fair degree of confusion
was no doubt involved. Bakassi, as Sir Arthur bas said, is a maze of
swamps and waterways, heavy with vegetation, with no roads and with no
installed electricity. In the circumstances and without in any sense
resiling from the Nigerian position as ta what happened, which bas been
strongly affirmed in accounts given to counsel for Nigeria by those who
are in a position to know what happened - the situation is quite sirnply
this. The Court is really in no position to decide between the
conflicting accounts. And it follows quite simply from that that any
indication of measures in the terms sought by Cameroon could only be . ' .
- 95 - .
prejudicial. The anus is on Cameroon as the requesting State, they have
not discharged that anus in the context of provisional measures.
But there are further difficulties in the way of Cameroon's
request. The rights claimed by cameroon in the present case - even on
the assumption that the Court is able .to reach the merits of the case -
hinge on its claim to sovereignty over Bakassi. It is perfectly obvious
that neither the events of 3 February, nor any subsequent events, can
have the slightest effect on either Party's claim to sovereignty.
Sovereignty will be based on anterior title, and will be wholly
unaffected by any military occupation of territory in the period since
March 1994, and a fortiori since February 1996. I should say on the
facts, there is no indication that Nigeria is using its control over
Bakassi to explore for natural resources there - as Turkey was doing in
the Aegean Sea case there is no indication that it is taking steps ta
exploit those resources by the issuing of permits and so on - as
Australia was doing in East Timor. I observe in passing that in the
former case interim measures were not granted and in the latter case they
were not even sought.. All that is happening is that a lost-established
administrative control of Bakassi is being continued, and that the
Nigerian civilian population are going about their normal business of
fishing, subsistence agriculture, the holding of markets and occasionally
it seems the holding of parties. That is to say, they are doing that
when they are not being mortar-bombed.
Mr. Kamto referred in the context of damage to the destruction of
the infrastructure. He said that this was irreparable damage. There is
not a lot of infrastructure in Bakassi but it is true that if there were
any indications of the destruction of infrastructure of physical plant
and buildings, this would be a problem. At another point he complained - 96 -
about the painting - the fresh painting on seme of the buildings - it
seems that the infrastructure is bath being painted and destroyed. It
seems rather odd that it could be bath. In fact, as yeu see from the
photographs, there is every indication that the infrastructure is being
maintained - it is being maintained as a normal part of administration.
The allegation that Nigeria intends ta annex or conquer the Bakassi
Peninsula is unfounded in fact. Any declaration of annexation would
first of all imply an admission that the territory was previously not
within the sovereignty of the annexing State, and that is certainly not
Nigeria's position. Nor can there by any question of conquest: the
local population is Nigerian and Nigeria's administration, occasional
clashes with cameroon forces apart, is peaceful. In any event, as a
matter of law, any declaration of annexation or conquest would be totally
ineffective, and there is no need for the Court tc recall that obvious
proposition by way of the indication of provisional measures.
Nor is there any indication that the composition of the local
population is being changed in any way. As I have already noted, sa far
as the local population is concerned, the Nigerian control of Bakassi is
peaceful. The same cannat necessarily be said for the situation that
would follow from the measures sought by Cameroon. There is evidence,
which Cameroon this morning did not deny, that members of the Nigerian
civil population were killed and injured by Cameroonian forces on
3 February and were subsequently treated in Nigerian hospitals. · There
have apparently been earlier incidents of harassment. Yet Cameroon is
calling on this Court ta indicate that Cameroon should assume military
and administrative control over this population, almost all of Nigerian
nationality, and sorne of whom are still recuperating from their wounds in
Nigerian hospitals. And this, Cameroon asks, without the Court ~------- -,---,.----.,----
- 97 -
determining either that it has jurisdiction over the case, or that the
case is admissible, or that Bakassi belongs ta Cameroon. It can quite
obviously determine none of those things at this stage. Anyching less
like an appropriate or necessary preliminary measure it would be hard Co
imagine.
It is true, as Mr. Kamto said this morning, that irreparable damage
might be caused ta the infrastructure and ta the population by continued
military conflict over Bakassi, and Professer Brownlie will address that
particular question in the context of the issue whether it would be
appropriate for the Court to indicate proprio motu its own provisional
measures. But the provisional measure sought and not changed by Cameroon
is totally inappropriate; it would involve a change in the statua quo,
the handing over of a Nigerian civil population ta a Cameroonian
administration.
Cameroon•s Second Reguested Measure
I turn then ta Cameroon's second reguest, which reads as follows:
"the Parties shall abstain from all military activity along the entire
boundary until the judgment of the Court takes place". Now as already
pointed out, and as plainly affirmed this morning by counsel for
Cameroon, this reguest refers to the whole boundary from Lake Chad ta the
sea and beyond, 1,680 kilometres of land boundary. Yet Cameroon has
presented not a trace of evidence relating ta the need for this
indication, leaving aside the Bakassi Peninsula and, as pointed out,
there is no boundary within the Bakassi Peninsula; not a document, not a
trace. It is true that Professer Pellet said there had been incidents
along the frontier, but those incidents were a considerable time age,
were isolated incidents, and have not been particularized by Cameroon; - 98 -
they are plainly inadequate ta found provisional measures upon at this
stage. As between two States with, hitherto, good general relations, and
in the absence of any ether evidence of conflict, there is absolutely no
requirement for such a general indication. That being sc there is no
need ta ask the range of questions that the wording of the Cameroonian
second request raises. For example, what is the meaning of the words
"all military activity"? Does it mean that the whole boundary is ta be
demilitarized? Tc what depth? On what conditions? Mr. Kamto this
morning conceded that police would be all right, but the distinction
between police and military activity depends on the arrangements in each
particular coun.try and, especially in rough terrain, it is often
important for the military to act in aid of the civil force. What about
monitoring and verification? Where is the necessity to restrict the
normal prerogatives of each government to dispose of its armed forces on
its own territory? Mr. Kamto said that international peace and security
were threatened along the whole of the frontier. There is absolutely no
evidence that that is true. The terms in which the request is sought are
self-evidently excessive, and are wholly unrelated tc the need to avoid
further incidents in Bakassi. Indeed, it is surprising that the
indications are sought in those terms. It raises serious questions about
the point of these proceedings. My colleague Professer Brownlie will
return to that.
Cameroon's Third Requested Measure
I turn then to Cameroon's third requested measure: the Court is
asked tc indicate tc the Parties that they should "abstain from any act
or action which might hamper the gathering of evidence in the present
case". As formulated, this is wholly la·cking in specificity. There is''
- 99 '-
no indication that either Party is destroying evidence, or hindering the
ether from obtaining evidence, or indeed of what that evidence may be.
cameroon bas already presented its Memorial and 383 annexes, sa that if
there is to be destruction of evidence Nigeria will be disproportionately
affected. Yet Nigeria knows of no auch evidence, and of no attempt to
hamper its collection. In relation to .Cameroon's third request, tbere is
simply no detail at all, and thus no demonstration of necessity. On the
face of it the third request reads like a pro forma reprise of a request
made under very different circumstances in the Burkina Faso/Republic of
Mali case. It bears no relationship to the facts of the present case.
In argument on Tuesday the suggestion was made by counsel for
Cameroon that the particular evidence Cameroon bad in mind was the
archives of the Idebato sub-prefecture (CR 96/2, p. 8), and it was feared
that these archives would be destroyed. Mr. President, Idebato, or as
Nigeria calls it, Atabong, bas been under Nigerian administrative control
for decades. There are no Cameroonian archives there. There is nothing
tc destroy.
But I cannat resist painting out that the suggestion of vital
evidence of Atabong is a recent suggestion. Cameroon bas always claimed
to have full documentation of its rights tc Bakassi - I refer, tc take
only one example - to the Cameroonian statement of 1991 which I cited on
Wednesday (CR 96/3, p.Sl), it referred tc "all the necessary legal
instruments". There was no indication that any of those instruments were
drawn, or rather should have been drawn, from the sub-prefectural
archives of Atabong. Cameroon has already tendered its Memorial in the
present case, which seeks to particularize in detail its claim to
Bakassi. According to Cameroon, it occupied Atabong, beth East and West,
until 3 February 1996. The Cameroon Memorial makes no mention of the - 100 -
sub-prefectural archives of Idebato. Far from constituting strong
evidence of Cameroon•s claim, as is suggested, those archives are not
even referred to. Nor bas Cameroon referred ta them in any of the many
meetings at which it referred, for example, ta the 1913 Treaty, the
sub-prefectural records of Idebato are conspicuously missing from the
accounts of those meetings. During the period from.29 March 1994 until
3 February 1996, it does not seem ta have occurred tc anyone on the
cameroon side that vital evidence of cameroon's rights might be
mouldering away in the sub-prefectural archives of Idebatc. But now it
bas become a main theme of Cameroon•s request! This story of the
. sub-prefectural archives bas a strong air of fiction. After decades of
silence, ta invoke the archives new is an obvious confection. But
anyway, they do not exist.
Conclusion
For the reasons I have given, none of the three Cameroon requests
is necessary to protect the respective rights of the Parties in the
present case. Not even remotely. For this reason, above ali, the
Cameroon request must be rejected.
Mr. President, Members of the court, in this account of the
"necessity" of the measures sought by Cameroon. I have not mentioned the
suggestion made by the Cameroon Agent on Tuesday, that if the Court did
not grant these measures there was a risk, which his Government might be
powerless ta prevent, of the Cameroon population rising up and expelling
from their midst the 3 million Nigerians living in Cameroon (CR 96/2,
pp. 28-29). He even referred by way of comparison to the genocidal
events in Rwanda (ibid., p. 28). Mr. President, this was in relation to
a military incident in which many more Nigerians than Cameroonians are - 101 ~ .
recorded as having been killed and injured, in which, so far as we know
there were no Cameroonian civilian casualties and in which the total
confirmed cameroon deaths was - according to the request itself: one;
according to a Cameroon document of 27.February: three. It is true that
there are more than a hundred persans unaccounted for, and one simply
does not know what to make of that. In the press reports that were
tabled by Cameroon on the 29 February there was a press report giving
considerable indication of indiscipline amongst the Cameroon forces and
of the fact that they had not been paid and were in a mutinous stage.
Nigeria simply can make nothing of the suggestion of missing persans in
the context in which it bas been made. Last Tuesday, the cameroon Agent
could not improve on these figures (ibid., p. 27).
The suggestion that this local difficulty, eminently regrettable
though it may have been, will lead to genocide or ta the transborder flow
of 3 million people is astounding, and a.stoundingly improper. In
response I would only point out that there are well over a million
Cameroon citizens registered as living a.nd working in Nigeria, and
because there are many more unregistered I am told that the total figure
approaches 2 million. They live in perfect safety, and until the Agent's
remarks last Tuesday, the general state of relations between the people
of the two States has never yet been threatened or affected by the
Bakassi incident, strong feelings though there undoubtedly are on the
Bakassi issue. The suggestion made by the Agent bas attracted attention
in the. media and alarm and concern in responsible circles in West Africa.
It is without foundation, it should never have been made, and it deserves
no reply. But the fact that the Agent for Cameroon felt the need to say
it only shows the lack of more particular and substantial grounds for the
interim measures sought by Cameroon. - 102 -
Mr. President, I would ask you to call on Professer Brownlié to
summarize and conclude Nigeria's case on this phase of the proceedings.
Thank yeu, Mr. President, Members of the court, for your attention.
The PRESIDENT: Thank yeu, Professer Crawford. I now give the
floor ta Professer Brownlie.
Professer BROWNLIE: Thank you, Mr. President.
My purpose is ta present a summary and a conclusion of Nigeria's
case asking the Court to reject the request of Cameroon. By way of
introduction I would like to deal quite briefly with two matters.
The first is, I think it is important that the Court appreciate
very carefully the nature of the statua quo in the Bakassi Peninsula
before 3 February 1996. What are the elements in that statua quo? First
Cameroon bad no fixed military positions on Bakassi either before or
after 3 February. Secondly, Cameroonian infiltration and surprise
attacks came from bases outside the Bakassi Peninsula. Third, Nigeria
bas a long-established administration in Bakassi and within this context
Nigeria has had military posts at West Atabong and elsewhere whilst this
activity is a normal manifestation of sovereignty. Fourth, the surprise
attack of 3 February was mounted from outside the Bakassi region and thus
it was not a confrontation between two sets of land-based armed forces.
Fifth, it follows that the attack was unrelated to any Came.roonian
presence within Bakassi. Sixth, there is no division of the
Bakassi Peninsula between Nigerian and Cameroonian forces and
consequently there is no ceasefire line. Lastly, after the attack of the
3 February the Cameroonian forces disappeared back to their bases outside
Bakassi. That is the first matter by way of introduction. '·
- 103 -
The second is simply ta remind the Court that we are not in a
situation where a Nigerian claim is in any way precluded by the well-
known principle of uti possidetis. Uti possidetis is a conservative
principle according to which the arriva! of a change of sovereignty or
decolonization does not of itself change the status of the boundary. It
does not preclude the existence of boundary disputes caused by forms of
lack of clarity or misunderstanding or disputes which were already there.
It preserves the status quo as it were for better or worse. It does not
remove pre-existing disputes. But at the end of the day, at least in
these proceedings, we are not concerned with the question of title.
Mr. President, I now come to the key elements in the Nigerian
position on the request for the interim measures. On behalf of Nigeria
\
the position is that the request is inadmissible tout court on the
following grounds. First that of mootness and secondly that t'he requ.est
essentially constitutes abuse of the Court's procedure. Sa far as the
ground of inadmissibility relating ta mootness you have beard Sir Arthur
Watts on Wednesday morning (CR 96/3) dealing with that very extensively.
There was a cease-fire agreed on 17 February (Tab 12 of the Nigerian
bundle). I need say no more about that.
The ether ground of inadmissibility tout court is that in all the
circumstances what we are facing is an attempt ta use the procedure for
requesting interim measures essentially for collateral purposes. And
this is a form of abuse of procedure. There has after all been a
Nigerian administration in the Bakassi Peninsula in place for a very long
time. As a normal consequence of that, we have the Nigerian character of
Bakassi and the fact that Nigerian armed forces have stationed troops
there and, when this seemed necessary, have patrolled the area. There
has been no Cameroonian presence within the Bakassi Peninsula. The fact - 104 -
that cameroonian armed forces managed to carry out infiltrations and
surprise water-borne attacks makes no difference to the legal status quo.
It is Cameroon which, starting in 1973, bad made attempts to disturb the
territorial status quo in the Bakassi.
You will have heard the detailed account of the events of
3 February provided by my colleague, Sir Arthur Watts, with the
assistance of General Zakari. In these circumstances, against the
background of that highly detailed account of the facts, it is
astonishing that Cameroon should seek ta use the Court's flexible
procedure as a way of obtaining a degree of legitimacy for acts of
infiltration and surprise attacks on Nigerian army posts and villages in
the Bakassi. In our view this involves nothing less than an abuse of the
court's procedure, and no doubt the tactic was motivated by a desire to
bring the issue of Bakassi in front of the Court prematurely in the
aftermath of the presentation of Nigeria's Preliminary Objections. So
much for the case of inadmissibility. But even if the Court does not
accept that the request is inadmissible tout court, Nigeria also intends
that the specifie measures requested by cameroon are inappropriate.
In the first place, in our submission, none of the measures
requested is necessary in arder to preserve the respective rights of the
Parties. secondly, the first requested measure, asking for the
withdrawal of the armed forces of the Parties is, in the actual
circumstances, inequitable and prejudicial to the rights of Nigeria.
Thirdly, the first requested measure is inappropriate if only because the
Court is being asked in effect to make a determination of State
responsibility without having an adequate basis for doing so within the
expedited procedure attaching to a request for interim measures. As
Professer Crawford bas demonstrated this morning, the measure asking for ;.
- 105 - .
withdrawal of the armed forces of the Parties is completely unreal and
bears no relation to the situation which exists in the Bakassi. The
Nigerian forces attacked on 3 February by Cameroonian forces were at West
Atabong when attacked and remained there after the attack was repulsed.
This morning Professer Kamto bas said that the loss of human life
is a form of irreparable dama.ge. But he ignores the fact that the Order
..
of the Court in the Aegean Sea case said that "any violation of Greek
rights might be capable of reparation by appropriate means" (I.C.J.
Reports 1976, p. 11). And it seems quite clear that the Court in the
Aegean Sea case was not going to take up an issue which, if it were an
issue at all, is one of State responsibility as a basis for ordering
interim measures. And, Mr. President, we bave to bear in mind, as bas
just been pointed out by my colleagues, that it was Nigeria which is the
victim of a greater loss of life on 3 February.
The second indication requested by Cameroon is equally
inappropriate that the Parties shall abstain from all military activity
along the entire boundary until the judgment of the Court is given. This
request bears no relation to the facts even in the version offered ta the
Court by Cameroon. The indication requested is clearly disproportionate
and unrelated tc any need to preserve the rights of the Parties. And,
Mr. President, it should be only in exceptional circumstances that the
Court should make an arder which impinges or appears to impinge on the
normal competence of a State to maintain arder within its own territory.
· And sa far as the third indication is concerned, that the Parties
should abstain from any act or actions which might hamper the gathering
of evidence in the present case, Nigeria contends that that is
inappropriate quite simply because it is irrelevant. As - 106 -
Professer Crawford bas pointed out, it is wholly lacking in specificity
and there is no evidence that either Party bas engaged in the destruction
of evidence.
Mr. President, I come to my conciusion. In all the circumstances,
given the nature of the evidence in front of the Court, what should the
Court do? First of all, in our submission as we made clear, the measures
..
requested by Cameroon are quite simply inadmissible tout court.
Alternatively, they are on a whole range of grounds inappropriate. In
particular any arder relating to withdrawal would be nugatory. In the
circumstances this must necessarily be so. There are no lines of troops
- _facing one another in the islands of the Bakassi. And so such an arder
for withdrawal would be unrelated to the existing situation. It would
also appear to reward the Party which had sought to disturb the status
quo by very considerable violence on 3 February. And as I have said
several times, there are no circumstances indicating a need for an arder
ta preserve the respective rights of the Parties. And, Mr. President, if
there is no such need, it is Nigeria's submission that the Court should
not look to ether purposes, and I would like to quete just once more what
Jiménez de Aréchaga, former President of the Courtn said in his separate •
opinion in the Aegean Sea case. He said
"The Court's specifie power under Article 41 of the
Statute is directed to the preservation of rights
'sub-judice' and does not. consist in a police power over the
maintenance of international peace nor in a general
competence to make recommendations relating to peaceful
settlement of disputes." (I.C.J. Reports 1976, p. 16.)
Lastly, if the Court finds it difficult, as it may do, to make a
determination of the facts relating ta the attack of 3 February, then the
logical consequence must be the rejection of the request because the
requesting State naturally bas the burden of persuading the court of the - 107 -
necessity for an indication of interim measures and we say, and it has
been demonstrated again this morning, that the requesting State bas
failed totally to discharge that burden. And, Mr. President, the
Government of Nigeria very much hopes that the Court will show all
necessary judicial caution in approaching the assertions of fact made on
behalf of the requesting State .
•
Mr. President, I would like ta thank the Court for their patience.
I would a.sk you to call on the distinguished Co-Agent of Nigeria ta close
the case.
The PRESIDENT: Thank you very much, Professer Brownlie. I new
give the floor to Chief Akinjide, Co-Agent of Nigeria.
Chief Richard AKINJIDE: Mr. President, distinguished Members of
the court,
1. I have the honour, as Co-Agent of the Federal Republic of
Nigeria, ta make the closing speech in this second round.
Pattern of Behaviour by Cameroon
2. Mr. President, distinguished Members of the Court, you will have
seen from the list of Nigeria's representatives before the Court that I
am a former Attorney-General of Nigeria as well as Minister of Justice.
By virtue of that office, I was a member of the Cabinet under our
Cons ti tut ion. The Ca.binet is presided over by the President. I was also
a member of the State Security Council, also presided over by the
President. I held the office of Attorney-General under the civilian
..
Government led by President Shehu Shagari between the years 1979 and
1983. During my term of office the incident occurred which is referred
toby Nigeria in the Introduction ta its Preliminary Objections. In that
incident, Mr. President and distinguished Members of the Court, five ..
- 108 -
Nigerian soldiers were killed by the Cameroonian soldiers. I was closely
involved in the events which followed by virtue of my office in
Government.
3. On that occasion also it was, as it was in the first instance,
claimed by Cameroon that this was an act of Nigerian provocation, even
though it was Nigerian nationals who !ost their lives. In the end,
however, it was established that the incident bad occurred not in the
Rio del Rey as alleged by cameroon, but in the Akwayafe River, and that
the fault lay with Cameroon, not with Nigeria. Then, as now, Nigeria
acted with great restraint. A full written apology was given by
President Ahidjo of Cameroon ta President Shagari of Nigeria, together
with an offer of compensation to the families of the victims. Those
compensations were paid. At the beginning of that incident, Cameroon was
very economical with the truth. That was in 1981. They repeated the
same thing in 1996 and they are also now being economical with the truth.
4. There are elements in the current Application which remind me
forcibly of what happened in 1981.
Answers to Questions
S. Mr. President, distinguished Members of the Court, let me now
deal in detail with the three questions put by the Court at the end of
the first round.
6. In response ta the question put by His Excellency Judge Oda, let
me say by way of preamble that the reasons for acceptance or modification
of the acceptance of the jurisdiction of the Court under the Optional ..
Clause are very diverse indeed, and in the opinion of the Government of
Nigeria the drawing of legal inferences from this sphere of State conduct
is highly problematical. - 109. -
7. Nigeria would further, with respect, point out that Judge Oda's
question proceeds on the premise that the Nigerian Government saw the
Court as an available and perhaps even a primary means of dispute
settlement in relation to boundary matters. But in fact Nigeria's
approach to boundary disputes did not involve third party settlement
procedures of any kind. The fact is that since quite saon after
..
independence, boundary questions bad been regularly dealt with by a
series of bilateral procedures or within the framework of the Lake Chad
Basin Commission, and that cameroon had been fully engaged in these
procedures. In consequence the issues of modification of Nigerian
acceptance of the compulsory jurisdiction of the Court with particular
respect to boundary questions did not arise, and this continued tc be the
case up until Nigeria was informed of Cameroon's acceptance of the
Court's jurisdiction under the Optional Clause, an event which occurred
only when the lodging of Cameroon's Application was notified tc Nigeria
by the Registrar of this Court.
8. In answer tc the question put ta beth Parties by Vice-President
Schwebel, Nigeria's answer is "no". It should be borne in mind that the
Bakassi Peninsula has been part of Nigeria and from time immemorial bas
been administered as such. In this context, the armed forces of Nigeria
as and when required maintain units stationed at various points within
the region, and have likewise patrolled the region. There bas been no
change in this respect since 3 February 1996.
~·- 9. The answer to the question put by His Excellency Judge Guillaume
is likewise simply "No". - 110 -
Conclusion
10. Mr. President, distinguished Members of the Court, it has been
a great honour for the Honourable Attorney-General and Minister of
Justice of Nigeria, and for myself, and for the distinguished counsel who
have formed part of the Nigerian team ta address this honourable Court.
11. This matter·is, as yeu know, also before the Security Council.
The President of the Security Council has in a letter to beth Heads of
State dated 29 February 1996 called upon bath Parties tc refrain from
unilateral action, particularly the use of force, tc complicate the
dispute settlement process. I wish without any hesitation tc say on
behalf of Nigeria that the use of force to settle our differences with
Cameroon over Bakassi is as abhorrent to Nigeria as it is to the Security
Council. Nigeria believes that this matter is capable of resolution by
the Parties themselves by the use of peaceful and diplomatie means. That
has always been Nigeria's stance and continues ta be so today. But, for
the reasons that have been given so ably by Nigeria's counsel, Nigeria
asks the Court to decline to indicate any of the three provisional
mea.sures requested by Cameroon. None of those measures are either
admissible or appropriate.
12. Mr. President, distinguished Members of the Court, thank you
for listening sa patiently ta Nigeria's submissions, which are new
concluded.
concluded. Thank yeu.
The PRESIDENT: Thank yeu very much, Your Excellency
Chief Akinjide, for your final statement that concludes the oral
arguments of the Federal Republic of Nigeria subject, of course, to the
further decision of the Court about the request made this morning by - lll -
Professer Ian Brownlie. Since it bas been agreed that there will be no
further round of replies, it also concludes the oral hearings on the
request for the indication of provisional measures of the Government of
cameroon.
I thank you very much, all of you.
It remains for me to offer my sincere thanks to the representatives
of the two Parties for the valuable assistance they have given to the
Court by their oral statements, and for the spirit of courtesy and mutual
respect which they have unfailingly shawn throughout these hearings. I
wish them a pleasant return to their respective countries. In accordance
with our practice, I will ask the Agents to remain available to the
Court. subject to this, I declare the present oral proceedings closed.
The Court will give its Order on the request for the indication of
provisional measures as saon as possible. The date on which this Order
will be delivered in a public sitting will be notified to the Agents of
the Part.ies in due course. The sitting is closed.
The Court rose at 1.15 p.m.
Public sitting held on Friday 8 March 1996, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Bedjaoui presiding