Déclaration de M. le juge ad hoc Keith

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180-20211207-ORD-01-03-EN
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180-20211207-ORD-01-00-EN
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DÉCLARATION DE M. LE JUGE AD HOC KEITH
[Traduction]
Absence de demande de rapatriement des détenus dans la requête de l’Arménie — Plausibilité d’un droit à un patrimoine culturel reconnu par la CIEDR — Risque de préjudice irréparable.
1. J’aborderai deux points dans la présente déclaration.
2. Le premier concerne la libération, demandée par l’Arménie, des Arméniens faits prisonniers par l’Azerbaïdjan pendant ou immédiatement après le conflit de 2020. Je suis d’accord avec la Cour lorsqu’elle explique, au paragraphe 60 de l’ordonnance, que la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après la «CIEDR») n’oblige pas de manière plausible l’Azerbaïdjan à rapatrier ces personnes.
3. Outre cette raison de rejeter la demande de libération, j’appelle l’attention sur l’objet essentiel des mesures conservatoires. Le caractère intrinsèque de telles mesures, reflété à l’article 41 du Statut de la Cour, est de sauvegarder les droits revendiqués par l’une ou l’autre des parties, en l’occurrence la demanderesse, comme la Cour le rappelle clairement au paragraphe 44 de l’ordonnance. Dans la liste des demandes énoncées au paragraphe 97 de la partie IV («Remèdes sollicités») de la requête déposée par l’Arménie auprès du Greffe le 16 septembre 2021, il n’est nulle part question de la libération ou du rapatriement de ces Arméniens détenus par l’Azerbaïdjan. Les deuxième et sixième moyens mentionnés au point A de l’alinéa 2 du paragraphe 97 de la requête concernent uniquement les droits des Arméniens en détention et il n’est nullement fait référence à un droit à être rapatrié ou libéré dans les remèdes sollicités au fond. De même, dans la partie relative aux faits étayant sa demande en indication de mesures conservatoires, l’Arménie s’en tient au traitement des Arméniens qui se trouvent en détention (par. 104-112). C’est à ces questions que la Cour, à juste titre, a consacré la première mesure conservatoire indiquée à l’alinéa a) du point 1) du dispositif de l’ordonnance.
4. Le second point concerne les raisons pour lesquelles j’ai voté contre la mesure relative au patrimoine culturel, énoncée à l’alinéa c) du point 1) du dispositif de l’ordonnance. Les droits protégés par la CIEDR pertinents en l’espèce sont limités : il s’agit du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 5, al. d) vii)) et du droit de prendre part, dans des conditions d’égalité, aux activités culturelles (art. 5, al. e) vi)). Le premier de ces droits peut, dans bien des cas, être exercé sans accès à des lieux physiques ; quant au second, je ne vois rien dans le dossier qui prouve réellement qu’il ait été méconnu. La CIEDR n’accorde pas de protection au patrimoine culturel en tant que tel, mais d’autres instruments internationaux le font, de façon soigneusement limitée. L’Arménie comme l’Azerbaïdjan sont parties à plusieurs de ces instruments. Je ne considère pas que l’affaire du Temple de Préah Vihéar soit pertinente en la présente espèce1. La Cour était à même d’en connaître au fond en vertu de l’acceptation unilatérale de sa juridiction par les deux parties, sans réserve particulière, et non en vertu de la compétence limitée que lui confère l’article 22 de la CIEDR.
5. Ensuite, si la CIEDR prévoit effectivement que les sites qui abritent le patrimoine culturel arménien doivent être accessibles, il me semble toutefois, d’après mon interprétation des éléments de preuve, que l’accès à ces sites est rendu difficile par la présence de mines terrestres et le manque
1 Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), mesures conservatoires, ordonnance du 18 juillet 2011, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 537.
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d’informations sur l’emplacement de ces dernières, et non pas en raison de l’origine nationale ou ethnique des visiteurs. En outre, les initiatives des autorités azerbaïdjanaises pour restaurer les biens endommagés par la guerre et entreprendre des travaux publics ne sauraient être vues comme des violations plausibles des droits particuliers énoncés dans la convention.
6. Enfin, selon mon interprétation du dossier, je ne vois rien qui établisse l’existence d’un risque réel et imminent de préjudice irréparable susceptible d’être causé au droit relatif au patrimoine culturel. Les éléments dont dispose la Cour actuellement ne suffisent pas à satisfaire ce critère très strict.
(Signé) Kenneth KEITH.
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DECLARATION OF JUDGE AD HOC KEITH
No request for repatriation of detainees in Armenia’s Application — Plausibility
of right to cultural property under CERD — Risk of irreparable prejudice.
1. In this declaration, I address two matters.
2. The first concerns the request made by Armenia for the release of
Armenians who were detained by Azerbaijan during the 2020 Conflict or
the aftermath. I agree with the reason given by the Court in paragraph 60
of the Order: the International Convention on the Elimination of All
Forms of Racial Discrimination (hereinafter “CERD”) does not plausibly
require Azerbaijan to repatriate those persons.
3. In addition to that reason, I call attention to the essential object of
provisional measures. Their inherent character, as reflected in Article 41
of the Statute of the Court, is to preserve the rights claimed by either
party, here the Applicant, as the Court makes clear in paragraph 44 of
the Order. Nowhere in the list of requests set out in paragraph 97 of
Part IV, titled “Relief Sought”, of the Application, filed by Armenia with
the Registry on 16 September 2021, is relief sought in respect of the release
or repatriation of those Armenians detained by Azerbaijan. The second
and sixth of the points listed in paragraph 97 (2) (A) of the Application
are limited to the rights of those Armenians in detention, but nowhere in
the relief sought on the merits is there any reference to a right to be repatriated
or released. The section on the facts supporting the request for
provisional measures similarly does not go beyond the treatment of
Armenians who remain under detention (paras. 104‑112). Those matters
are properly the subject of the first provisional measure indicated by the
Court in paragraph 98 (1) (a) of the Order.
4. Second, I explain my negative vote on the measure relating to cultural
property, set out in paragraph 98 (1) (c) of the Order. The relevant
rights protected by CERD are limited ones. They are the rights of persons
to freedom of thought, conscience and religion (Art. 5, para. (d) (vii) of
CERD) and the right to equal participation in cultural activities (ibid.,
Art. 5, para. (e) (vi)). The first of those rights, in many cases, can be
enjoyed without access to physical places, and I do not see real evidence
in the record of the denial of the second. CERD does not accord protection
to cultural property itself. That protection is provided by other international
instruments in carefully limited ways. Both Armenia and
Azerbaijan are parties to several of them. I do not see the Temple case as

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