Opinion dissidente de M. le juge Yusuf

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OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE YUSUF
[Traduction]
1. La Cour a ouvert grand les portes de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après la «CIEDR» ou la «convention») à toutes sortes de revendications qui n’ont rien à voir avec les dispositions de cet instrument, ni avec son objet ou son but. Par la présente ordonnance, la Cour a accueilli au titre de la CIEDR des griefs qui relèvent en réalité du droit humanitaire, tout en faisant entrer dans le champ d’application de la convention le droit relatif à la sauvegarde du patrimoine culturel. Cette approche sans précédent risque de transformer la CIEDR en un «fourre-tout», un réceptacle où déverser toutes sortes de droits revendiqués. Elle pourrait également faire de la convention un instrument s’étendant à tous les domaines, qu’invoquerait quiconque tenterait d’établir la compétence de la Cour lorsque d’autres fondements juridiques feraient défaut. Telle est la raison, exposée ci-dessous plus en détail, de mon désaccord avec la majorité.
2. D’après l’article 41 du Statut, la Cour indique, si elle estime que les circonstances l’exigent, des mesures «conservatoires du droit de chacun». Pour ce faire, elle n’a pas à établir de façon définitive l’existence des droits revendiqués. Elle doit toutefois s’assurer que les droits dont la sauvegarde est demandée peuvent être plausiblement fondés sur l’instrument juridique applicable ou sur les règles de droit au titre desquelles est introduite la demande. En d’autres termes, et s’agissant de la présente affaire, les actes dénoncés doivent constituer plausiblement des actes de discrimination raciale au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la convention, et être susceptibles d’entrer dans les prévisions de la CIEDR.
3. Tel n’est pas le cas, à mon avis, de deux droits distincts revendiqués par l’Arménie et visés au premier et au troisième alinéas du point 1) du dispositif, à savoir le droit de «toutes les personnes arrêtées en relation avec le conflit de 2020 qui sont toujours en détention» d’être protégées contre les voies de fait et les sévices, et le droit à la protection du «patrimoine culturel arménien, notamment, mais pas seulement, les églises et autres lieux de culte, monuments, sites, cimetières et artefacts» contre les actes de dégradation et de profanation.
4. Il ne fait pas de doute que ces droits méritent d’être protégés. Je suis personnellement très sensible à la question du traitement humain des prisonniers de guerre et autres personnes arrêtées par les autorités des Etats, que ce soit en relation ou non avec un conflit armé, ainsi qu’à celle de la sauvegarde et de la préservation des sites du patrimoine culturel. Toutefois, ces sujets relèvent du champ d’application d’autres instruments de droit international, et non de celui de la CIEDR. A ce titre, ils soulèvent des questions de droit sur lesquelles la Cour n’a pas compétence en vertu de l’article 22 de la CIEDR.
5. L’Arménie a prié la Cour d’indiquer des mesures conservatoires de sorte que soient libérées et rapatriées, ainsi que protégées contre les traitements inhumains ou les sévices qu’elles subiraient, les personnes qu’elle qualifie de prisonniers de guerre et de détenus civils arméniens réduits en captivité par les forces azerbaïdjanaises pendant le conflit armé de 2020. A cette fin, l’Arménie a fourni à la Cour une liste de 45 personnes détenues par l’Azerbaïdjan, qu’elle décrit comme étant
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«toutes des ressortissants arméniens», «des prisonniers de guerre et des civils d’origine ethnique et de nationalité arméniennes»
1 ou «des militaires et des civils arméniens»2 (les italiques sont de moi).
6. L’Arménie et l’Azerbaïdjan sont l’une et l’autre parties à la convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre (ci-après la «troisième convention de Genève») et à la convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (ci-après la «quatrième convention de Genève»). La troisième convention de Genève régit en détail la libération, le rapatriement et le traitement des prisonniers de guerre, tandis que la quatrième convention de Genève porte sur l’internement et la détention des «personnes protégées». Les dispositions des deux instruments interdisent d’opérer entre ces personnes des distinctions de caractère défavorable fondées, en particulier, sur la «race» ou la «nationalité»3. Le droit international humanitaire prévoit également des mécanismes spécifiques permettant de contrôler le respect de ces obligations4. De fait, les deux Parties ont indiqué que le Comité international de la Croix-Rouge a surveillé la manière dont étaient traités les détenus arméniens5.
7. La Cour conclut à juste titre, au paragraphe 60 de l’ordonnance, que la libération et le rapatriement des détenus arméniens ne constituent pas un droit plausiblement protégé par la CIEDR, mais sont régis par les règles pertinentes du droit international humanitaire. Elle y rappelle également que «les mesures fondées sur la nationalité actuelle n’entrent pas dans le champ d’application de la CIEDR» et affirme que «[l]’Arménie n’a pas présenté à la Cour de preuve que ces personnes demeurent en détention en raison de leur origine nationale ou ethnique».
8. Les mêmes considérations — et la même conclusion — devraient logiquement s’appliquer aux mauvais traitements qui auraient été infligés aux mêmes détenus, étant donné que, comme il est dit à bon droit dans l’ordonnance, l’Arménie n’a pas fourni à la Cour de preuve que ces personnes «demeurent en détention en raison de leur origine nationale ou ethnique». Cela est d’autant plus vrai
1 Voir annexe 68 des annexes additionnelles déposées par l’Arménie, «Letter from Yeghishe Kirakosyan, Representative of the Republic of Armenia before the European Court of Human Rights to the Registrar of the International Court of Justice (6 October 2021), attaching Table of 45 POWs and civilians acknowledged by Azerbaijan as of 6 October 2021». Par lettre datée du 22 octobre 2021, l’agent de l’Arménie a informé la Cour que «cinq des 45 prisonniers de guerre et civils que les autorités azerbaïdjanaises reconnaissent maintenir en captivité ont, le 19 octobre 2021, été rapatriés [en République d’Arménie]».
2 Requête de l’Arménie, par. 105-106 et 111. Voir aussi CR 2021/20, p. 58, par. 12 (Martin) ; CR 2021/22, p. 19-20, par. 3-8 (Murphy) (mentionnant les «soldats arméniens»).
3 Troisième convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, article 16 («aucune distinction de caractère défavorable, de race, de nationalité … ou autre, fondée sur des critères analogues») ; convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, article 13 («aucune distinction défavorable, notamment de race [ou] de nationalité») et article 27, paragraphe 3 («sans aucune distinction défavorable, notamment de race»).
4 CR 2021/21, p. 31, par. 24 (Lord Goldsmith), citant l’annexe 17 de l’Azerbaïdjan, «Armenia v. Azerbaijan, ECHR Application No. 42521/20, Letter ECHR–LE2.1aG from Johan Callewaert, Deputy Grand Chamber Registrar, to Mr. Çingiz Әsgǝrov, Agent of the Government of the Republic of Azerbaijan, dated 9 June 2021» («ainsi que la Cour l’a déjà indiqué dans la lettre en date du 3 novembre 2020, étant donné qu’il existe d’autres mécanismes internationaux mieux placés pour assurer un contrôle continu des conditions de détention des personnes faites prisonnières au cours de conflits armés, il est vivement conseillé à l’Arménie et l’Azerbaïdjan de recourir à ces mécanismes»).
5 CR 2021/21, p. 22, par. 24 (Lowe), se référant à l’annexe 19 de l’Azerbaïdjan, «Letter from Ogtay Mammadov, Acting Head of Penitentiary Service, Major-General of Justice, to Sabina Aliyeva, Human Rights Commissioner (Ombudsman) of the Republic of Azerbaijan, regarding dates of ICRC visits to detainees», datée du 17 septembre 2021. Voir aussi CR 2021/20, p. 40, par. 29 (Murphy). Voir en outre CR 2021/21, p. 35, par. 38 et note de bas de page 91 (Lord Goldsmith), qui fournit d’autres références.
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que la CIEDR n’est pas applicable au traitement des détenus qui sont maintenus en captivité, aux termes mêmes de l’ordonnance, au motif de leur nationalité actuelle
6.
9. Or, l’ordonnance se contredit elle-même, et il y est simplement affirmé, à la fin du même paragraphe, que «[l]a Cour estime … que le droit de ces personnes de ne pas être soumises à des traitements inhumains ou dégradants fondés sur leur origine nationale ou ethnique pendant qu’elles sont détenues par l’Azerbaïdjan est un droit plausible». Aucune justification n’est donnée, ni aucune explication fournie sur la manière dont la Cour est parvenue à une conclusion aussi intrinsèquement illogique et incohérente au sujet des mêmes personnes et sur le fondement des mêmes éléments de fait. Si la Cour n’est pas convaincue que ces personnes sont détenues en raison de leur origine nationale ou ethnique, il est difficile de comprendre par quels moyens elle a pu se persuader, même prima facie, que les mêmes personnes seraient actuellement maltraitées à cause de leur origine nationale ou ethnique.
10. La Cour va encore plus loin et décide, à l’alinéa a) du point 1) du dispositif, que l’Azerbaïdjan doit «[p]rotéger contre les voies de fait et les sévices toutes les personnes arrêtées en relation avec le conflit de 2020 qui sont toujours en détention et garantir leur sûreté et leur droit à l’égalité devant la loi» (les italiques sont de moi). La référence, dans le dispositif et au paragraphe 92 de l’ordonnance, à «toutes les personnes» arrêtées par l’Azerbaïdjan en relation avec le conflit de 2020 est surprenante, car elle diffère de la description des personnes dont la Cour estime, au paragraphe 60 de l’ordonnance, que les droits sont plausibles.
11. Le fait de mentionner «toutes les personnes» élargit nettement la catégorie qui, au paragraphe 60, est considérée comme constituée uniquement des «personnes qu[e l’Arménie] qualifie de prisonniers de guerre et de détenus civils, réduits en captivité pendant ou immédiatement après le conflit de 2020», c’est-à-dire les personnes figurant sur la liste des 45 détenus fournie par l’Arménie. En conséquence, il apparaît que, par l’effet du paragraphe 92 de l’ordonnance et de l’alinéa a) du point 1) du dispositif, les droits devant être protégés par l’Azerbaïdjan se trouvent étendus à «toutes les personnes» arrêtées en relation avec le conflit, sans qu’il soit indiqué dans l’ordonnance qui sont ces personnes, ni si la Cour a reçu d’une quelconque source des informations sur l’identité de celles qui peuvent être visées par une expression de portée aussi générale que «toutes les personnes».
12. De mon point de vue, ni la simple affirmation de l’existence d’un droit plausible, sans qu’il soit indiqué pourquoi il en est ainsi et sans qu’il soit démontré que ce droit est susceptible d’entrer dans le champ d’application de la CIEDR, ni l’extension d’un tel droit à «toutes les personnes», au sujet desquelles la partie requérante n’a pas formulé de demande, ne peuvent offrir en la présente espèce un fondement justifiant que la Cour exerce le pouvoir que lui confère l’article 41 du Statut. Indépendamment du caractère illicite qu’aurait, au regard des règles applicables du droit international humanitaire, le comportement de l’Azerbaïdjan à l’égard des détenus arméniens, l’obligation imposée à celui-ci par une ordonnance en indication de mesures conservatoires sur le fondement de la CIEDR doit reposer sur les dispositions de cet instrument juridique spécifique et les droits qu’il protège.
13. L’affirmation ci-dessus vaut aussi pour les conclusions de la Cour concernant la protection des sites culturels et religieux. Selon moi, la CIEDR ne confère pas de droits plausibles relatifs à la préservation du patrimoine culturel. Des considérations de race et de discrimination raciale ne
6 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), exceptions préliminaires, arrêt du 4 février 2021, par. 88 et 105.
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peuvent s’appliquer, et ne s’appliquent pas, à des monuments, groupes de bâtiments, sites ou artefacts. Les dispositions de la CIEDR, qui est un instrument relatif aux droits de l’homme, sont destinées à sauvegarder les droits fondamentaux et les libertés fondamentales des êtres humains. A l’inverse, la préservation des monuments historiques ou des sites et autres bâtiments religieux entre dans le champ d’application d’autres instruments destinés à protéger ces bâtiments et artefacts en tant que «patrimoine culturel de l’humanité» ou en raison de l’importance historique, culturelle ou religieuse qu’ils revêtent pour les Etats et pour l’identité nationale de leurs peuples.
14. Parmi les instruments en question figurent, en particulier, la convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé et ses deux protocoles additionnels de 1954 et de 1999, auxquels l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont tous les deux parties. Cet instrument prévoit le cadre juridique approprié pour la protection du patrimoine culturel dans le contexte des conflits armés, comme l’a reconnu le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU)7. Cela est confirmé par le fait que l’UNESCO et le comité intergouvernemental de la convention de La Haye de 1954 ont déjà été saisis de la question de la préservation de sites culturels dans le Haut-Karabakh et ses environs en application de la convention de La Haye de 1954, et les Parties ont participé à des consultations avec ces organes en relation avec cette question8.
15. L’alinéa e) vi) de l’article 5 de la CIEDR protège la jouissance du «[d]roit de prendre part, dans des conditions d’égalité, aux activités culturelles». Il doit être lu conjointement avec le «chapeau» de l’article 5, qui prévoit que «les Etats parties s’engagent à interdire et à éliminer la discrimination raciale sous toutes ses formes et à garantir le droit de chacun à l’égalité devant la loi, sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique». Il ne s’agit donc pas d’une disposition autonome, sans lien avec la discrimination raciale. Cet alinéa doit au contraire être analysé et compris à travers le prisme des actes ou actions qui établissent des distinctions de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique. Or, de tels actes ou actions ne sont mentionnés nulle part dans l’ordonnance.
16. Il convient également de rappeler que, dans son observation générale no 21 portant sur l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 15 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU n’établit pas de lien direct ou de rapport de cause à effet entre le «droit de chacun de participer à la vie culturelle», dont la teneur est large et imprécise, et la protection des sites culturels et religieux par les autorités de l’Etat. La Cour européenne des droits de l’homme n’a pas non plus conclu à un tel lien entre les dispositions de la convention européenne des droits de l’homme et les requêtes relatives aux sites ou artefacts du patrimoine culturel9. Il s’ensuit que l’exigence d’égalité devant la loi dans la jouissance du «droit de prendre part, dans des conditions d’égalité, aux activités culturelles», prévue par l’alinéa e) vi) de l’article 5 de la CIEDR, n’engendre pas une obligation, pour les Etats, de prévenir et de punir les actes de dégradation et de profanation du patrimoine culturel et de sites religieux.
17. En outre, je considère que l’idée que le «patrimoine religieux», revêtant la forme d’églises, cathédrales et autres lieux de culte, puisse plausiblement être protégé par la CIEDR (cf. paragraphes 63, 66-67, 72, 75, 79 et 92 de l’ordonnance) n’est pas défendable. Il est notoire que
7 ONU, Conseil de sécurité, résolution 2347 (2017), 24 mars 2017, par. 5-7.
8 UNESCO, «Mission de l’UNESCO dans et autour du Haut-Karabakh : la réponse de l’Azerbaïdjan attendue sans délai» (21 décembre 2020), accessible à l’adresse suivante : https://fr.unesco.org/news/mission-lunesco-autour-du-haut-karabakh-repo… (page consultée le 28 novembre 2021).
9 Voir, par exemple, CEDH, Ahunbay et autres c. Turquie, requête no 6080/06, décision, 21 février 2019, par. 23-25 ; CEDH, Syllogos ton Athinaion v. the United Kingdom, Application No. 48259/15, Decision, 31 May 2016.
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les rédacteurs de la CIEDR avaient décidé de ne pas traiter de la discrimination ou de l’intolérance religieuses dans ses dispositions, et le paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR ne mentionne pas la religion ou les croyances dans la liste de ce qui est susceptible de fonder une «discrimination raciale» au sens de la convention. Il est donc erroné, à mon sens, de se référer à un droit plausible conféré par la convention pour la protection des sites religieux ou des lieux de culte.
18. Au paragraphe 84 de l’ordonnance, la Cour semble chercher à étayer l’existence possible, dans sa jurisprudence, d’un risque de préjudice irréparable encouru par des sites culturels, en renvoyant à l’affaire relative à la Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), dans laquelle elle a indiqué des mesures conservatoires visant à permettre le libre accès au temple, qui avait été inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO10. Cette affaire se distingue cependant des circonstances de la présente espèce, dans la mesure où la compétence prima facie de la Cour y était fondée sur une base de compétence beaucoup plus large.
19. En l’affaire du Temple de Préah Vihéar, la Thaïlande et le Cambodge avaient initialement fait des déclarations reconnaissant comme obligatoire la juridiction de la Cour conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut. En 2011, la Cour a estimé qu’en vertu de l’article 60 du Statut, elle pouvait connaître d’une demande en interprétation de l’arrêt qu’elle avait précédemment rendu. Par conséquent, elle disposait d’une autorité beaucoup plus étendue pour préserver les droits respectifs que les parties tenaient de l’ensemble des règles pertinentes de droit international applicables entre elles, ce qui incluait bien entendu les différents instruments relatifs à la protection du patrimoine culturel11. Dans la présente espèce, cependant, le pouvoir qu’a la Cour d’indiquer des mesures conservatoires en vertu de l’article 41 du Statut est limité aux «droit[s] de chacun[e]» des parties, dont la Cour pourrait reconnaître par une décision subséquente qu’elles les tiennent de la CIEDR. Or, la convention ne prévoit aucun droit relatif à la protection des sites culturels ou religieux.
20. Compte tenu des considérations qui précèdent, je suis d’avis que la CIEDR ne fournit pas les fondements juridiques pour l’indication de mesures conservatoires en l’espèce, s’agissant des mauvais traitements que l’Azerbaïdjan infligerait aux personnes que l’Arménie qualifie de prisonniers de guerre ou de détenus civils ou, au demeurant, aux autres personnes qui semblent être visées aussi par le terme «toutes les personnes» figurant dans le dispositif de l’ordonnance. La CIEDR n’offre pas non plus une telle base juridique en ce qui concerne la protection des sites culturels et religieux. L’indication par la Cour de mesures conservatoires concernant ces deux demandes de l’Arménie n’est selon moi pas justifiée d’un point de vue juridique.
(Signé) Abdulqawi A. YUSUF.
___________
10 Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), mesures conservatoires, ordonnance du 18 juillet 2011, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 548 et 555, par. 48 et 69 B) 1)-3).
11 Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), arrêt, C.I.J. Recueil 2013, p. 317-318, par. 106.

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DISSENTING OPINION OF JUDGE YUSUF
1. The Court has thrown wide open the gates of the Convention on the
Elimination of Racial Discrimination (hereinafter “CERD” or the “Convention”)
to all kinds of claims that have nothing to do with its provisions
or with its object and purpose. Through this Order, claims under
humanitarian law have been given a home in CERD, whereas the law on
the safeguarding of cultural heritage has been brought within the scope of
CERD. This unprecedented approach risks transforming the Convention
into a “fourre-tout”; a receptacle in which all sorts of asserted rights may
be stuffed. It may also turn the Convention into an all-encompassing
instrument for those trying to establish the jurisdiction of the Court
whenever other legal grounds cannot be found for that purpose. This is
the reason for my dissent, which is further elaborated below.
2. According to Article 41 of the Statute, provisional measures are to be
indicated by the Court, if it considers that circumstances so require, “to
preserve the respective rights of either party”. To this end, the Court does
not need to establish definitively the existence of the rights claimed. The
Court must, however, satisfy itself that the rights sought to be protected
may plausibly be grounded in the applicable legal instrument or in the
legal rules under which the claim is made. In other words, and with regard
to the present case, the acts complained of must plausibly constitute acts
of racial discrimination within the meaning of Article 1, paragraph 1, of
the Convention, and must be capable of falling within the scope of CERD.
3. This is not the case, in my view, with respect to two distinct rights
claimed by Armenia and dealt with in the first and third subparagraphs of
the dispositif: the right of “all persons captured in relation to the
2020 Conflict who remain in detention” to be protected from violence and
bodily harm; and the right to have “Armenian cultural heritage, including
but not limited to churches and other places of worship, monuments,
landmarks, cemeteries and artefacts” protected from acts of vandalism
and desecration.
4. These rights are certainly worthy of protection. I am personally very
sensitive to the humane treatment of prisoners of war and other persons
arrested by State authorities, whether it is in relation to an armed conflict
or not, as well as the safeguarding and preservation of cultural heritage
sites. However, these matters fall under the scope of other instruments of
international law, not CERD. As such, they raise questions of law over
which the Court has no jurisdiction under Article 22 of CERD.

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