Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Sur

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144-20120720-JUD-01-09-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC SUR

La décision repose sur une logique d’avis consultatif plus que de ▯règlement d’un
différend — Compétence de la Cour — Objet et date critique du différend
insuffisamment précisés par la Cour ; doutes sur la mise en œuvre effective de la
condition préalable d’impossibilité d’organisation d’un a▯rbitrage ; refus infondé de
la Cour d’examiner le différend relatif à des règles coutumi▯ères — Recevabilité de
la requête de la Belgique — Non-pertinence de la compétence pénale passive de la
Belgique: la Cour aurait dû se prononcer sur ce point ; inexistence d’une obligation
erga omnes partes pouvant fonder la recevabilité de la requête de la Belgique ;

irrecevabilité de ladite requête — Fond — Manquement du Sénégal à l’article 6,
paragraphe 2, de la convention contre la torture ; extinction du différend relatif à
l’article 5 de la convention ; absence de manquement du Sénégal à l’article 7,
paragraphe 1; obligation permanente du Sénégal de saisir ses autorités compétentes
pour l’exercice de l’action pénale ; absence de droit de la Belgique d’obtenir du
Sénégal l’extradition sur la base de la convention : silence du dispositif sur ce point
regrettable.

1. A mon grand regret, je n’ai pu approuver plusieurs éléments du vdis-
positif de l’arrêt et des points fondamentaux de sa motivation. Jev joins
donc à la décision de la Cour dans la présente affaire une opinion dissi -
dente.
2. L’esprit général de cette opinion repose sur une interrogation rela -

tive à la manière dont la Cour a conçu sa mission, qui est de rvégler un
différend juridique entre Etats conformément au droit internatiovnal. Je
me demande si elle n’a pas plutôt entrepris de répondre à unve demande
d’avis consultatif sur la nature et l’autorité de la convention contre la

torture en elle-même, et non d’examiner de façon égale et évquilibrée les
positions et comportements des Parties.
3. Sans doute, à l’inverse, certains avis ne sont pas éloignés vdu règle -
ment indirect d’un contentieux inavoué ou implicite, et la missionv consu- l

tative comme la mission contentieuse relèvent toutes deux de la mission
judiciaire de la Cour. Il n’en demeure pas moins que le règlement vjudi -
ciaire n’est qu’un substitut du règlement diplomatique, et qu’và mon sens
il doit apporter une réponse complète, équilibrée et précise à l’ensemble
des arguments et demandes des parties. Ceci d’autant plus que la compvé -

tence de la Cour est facultative, et que les parties doivent être convvaincues
qu’elles ont bien été entendues et prises en considération.
4. Dans la présente affaire, j’ai le sentiment que la Cour est allée au
plus pressé et que, dès lors qu’une majorité était constivtuée sur la solution

retenue, la motivation était de moindre importance — sauf pour affirmer
quelques principes relatifs à la convention contre la torture, princivpes
dont l’interprétation par la Cour me semble aussi hâtive que mavnquant de
bases juridiques. Elle semble s’être attribué une mission de divre le droit,

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6 CIJ1033.indb 370 28/11/13 12:50 606 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

voire de faire le droit de façon abstraite et générale, avec lev souci de se
placer en autorité privilégiée au cœur du système juridiqvue international.

Un exemple en est fourni avec la mention du jus cogens dans la motiva -
tion, mention parfaitement superfétatoire, qui n’apporte rien àv la solution
du différend, comme on le verra. Cet obiter dictum a pour but de saluer
une notion contestée, au contenu toujours incertain, et de lui apportver un
soutien judiciaire. Le différend est ainsi utilisé à d’autvres fins, comme

pierre d’attente en attendant d’autres développements qui lui sveront exté -
rieurs.
5. Cette observation générale peut être démultipliée sur trovis plans: la
compétence de la Cour, la recevabilité de la requête de la Belgvique, qui est
à mon sens au cœur du différend, enfin le fond de l’affvaire.

I. Compétence de la Cour

6. Le Sénégal n’a pas soulevé d’exceptions préliminaires,v de sorte que
les questions liées à la compétence ont été tranchées ven même temps que

le fond. La Belgique s’est fondée à la fois sur l’article 30 de la convention
contre la torture, qui est une clause de règlement arbitral ou judiciaire, et
sur la convergence des déclarations unilatérales des deux Parties vaccep -
tant la compétence facultative de la Cour. A mes yeux, trois questionvs
n’ont été ni examinées ni réglées de façon satisfaivsante par l’arrêt. La pre -

mière a trait à l’objet du différend et à sa date critivque; la deuxième, à la
condition préalable d’impossibilité de recourir à l’arbitvrage, prévue par
l’article 30 de la convention ; la troisième, à la compétence de la Cour
relativement aux règles coutumières invoquées par la Belgique.

Objet et date critique du différend

7. La Cour n’a pas en réalité pris position sur ces points, de telle sorte
que ceux-ci restent en partie flottants. Objet et date critique sont liés, dans
la mesure où le différend résulte d’une réclamation adrvessée par une Par -
tie à l’autre Partie, à laquelle celle-ci refuse de faire droit. Ces réclama -

tions peuvent évoluer, de sorte que le différend ainsi constituév peut être
évolutif, en partie réglé, en partie maintenu, voire en partie vmodifié sur
certains points. Il convient donc que la Cour fixe, en même temps qvue son
objet, la date critique du différend, ou qu’elle indique la plurvalité des
dates critiques qui pouvaient jalonner les étapes d’un différvend évolutif.

8. Quel est donc l’objet du différend ? Porte-t-il sur l’interprétation de
la convention contre la torture, comme le pose la Belgique et comme l’vex -
clut le Sénégal? La Belgique considère que la convention impose au Séné-
gal l’obligation d’établir sa compétence pénale pour jugevr les personnes
soupçonnées d’infractions à la convention qui se trouvent sur son terri -

toire, de procéder à une enquête immédiate sur les faits invoqués et de
saisir ses autorités compétentes pour l’exercice de l’actionv pénale, ou à

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6 CIJ1033.indb 372 28/11/13 12:50 607 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

défaut de les extrader. La Belgique considère que le Sénégalv a manqué à
ces quatre obligations, en ne modifiant pas en temps utile sa légisvlation

pénale interne, en ne procédant pas à l’enquête prélimvinaire prescrite, en
ne saisissant pas ses autorités compétentes et à défaut en nv’extradant pas
Hissène Habré, les demandes successives présentées en ce senvs ayant
toutes été rejetées par les juridictions sénégalaises saivsies. La Belgique
considère surtout qu’elle a le droit d’en réclamer l’exévcution au Sénégal et

d’engager sa responsabilité s’il y manque.

9. En dehors de ce droit propre qu’allègue la Belgique, le Sénévgal ne
conteste aucune de ces obligations de principe. Il se déclare de façvon
constante résolu à organiser le procès de Hissène Habré, il conseille à la
Belgique de renouveler sa demande d’extradition pour la rendre conforme

au droit sénégalais, il observe que ses règles internes, constivtutionnelles et
législatives, ont été modifiées pour permettre la tenue d’vun procès au
Sénégal. Il considère que les démarches accomplies auprèsv d’instances
africaines régionales pour obtenir une assistance à l’organisatvion d’un
procès ne constituent pas une renonciation de sa part à exercer devs pour -

suites, d’autant moins que la Belgique elle-même a soutenu ces effvorts par
la promesse d’une assistance financière.
10. A priori donc, le différend ne porte pas sur l’interprétation de la
convention, dans la mesure où, à tort ou à raison, les deux Etavts semblent
s’accorder sur le contenu même des obligations qu’elle comportev — pour -

suivre ou extrader. Mais est-ce bien le cas, alors que la convention
demande simplement la saisine des autorités compétentes pour l’exercice
de l’action pénale et qu’il n’est pas établi, comme la Covur le constate avec
raison, que poursuivre ou extrader constituent une alternative et doivent
être placés sur le même plan ? Si toutefois l’on retient cette interprétation
qui semble commune aux deux Parties, il n’existe pas de différend entre

elles, mais bien plutôt un différend sur un retard alléguév dans leur mise en
œuvre et dans leur application par le Sénégal. C’est là uvne question de
fond, et en partie une question d’appréciation des faits et comporvtements
pertinents sur lesquels je reviendrai ultérieurement. Telle n’est vpas la posi -
tion de la Cour, qui retient sa propre définition du différend, même si elle

ne la formule pas de façon synthétique, et si elle en analyse les vcompo -
santes sans l’avoir clairement identifié au départ, avec sa ovu ses dates cri-
tiques successives.
11. A ce sujet, il me faut constater que les circonstances ont évolué v
entre 2009, date à laquelle a été examinée la demande de mesvures conser -

vatoires de la Belgique, et 2012, date de l’arrêt. En 2009, j’avi estimé que le
différend n’avait plus d’objet dès lors que le Sénégval avait confirmé son
engagement d’organiser un procès, d’exercer ainsi sa compétevnce pénale
conformément à la convention, que ce soit en saisissant ses juridivctions
internes ou en concourant à l’établissement d’un tribunal ad hoc. Trois
ans plus tard, les efforts entrepris n’ont pas abouti. Il est donc vlégitime de

s’interroger sur les raisons qui peuvent justifier ce retard. Dans ces condi -
tions, j’estime qu’il existe donc bien un différend. Toutefoivs, si l’on en

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6 CIJ1033.indb 374 28/11/13 12:50 608 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

reste à la position commune des Parties, il me semble a priori porter
davantage sur le retard dans l’application par le Sénégal de lav convention

contre la torture que sur son interprétation.
12. Telle n’est pas la position de la Cour, qui retient bien un diffévrend
relatif à l’interprétation de la convention, mais en un sens qui lui est
propre. Elle ne pose pas une définition générale du diffévrend, mais suit
plutôt une démarche analytique. Celle-ci la conduit par exemple à consta-

ter que la composante du différend relative à l’absence d’vétablissement de
la compétence pénale du Sénégal à l’égard de personvnes soupçonnées pré -
sentes sur son territoire a pris fin en 2007, date de l’adoption des mesures
en cause. Elle écarte implicitement une autre composante, celle des dviffi -
cultés financières mentionnées par le Sénégal, dans la vmesure où il ne les

a jamais invoquées comme une justification propre à écarter un manque -
ment à ses obligations. Mais la Cour substitue aux positions apparem -
ment convergentes des Parties sa propre interprétation de la conventivon
contre la torture, sur deux points au moins : d’abord sur le caractère erga
omnes partes des obligations posées dans la convention ; ensuite sur la
différence de nature entre obligation de saisine des autorités cvompétentes

pour l’exercice de l’action pénale d’un côté et obligavtion d’extrader de
l’autre. Ce faisant, elle sort de la logique des Parties pour dévevlopper sa
propre interprétation. Elle s’appuie donc bien sur une divergence d’inter -
prétation, mais cette divergence l’oppose plutôt aux Parties quv’elle ne
divise les Parties elles-mêmes.

13. La Cour est parfaitement fondée à le faire, puisqu’il lui revievnt
d’établir l’objet du différend. Pour autant, l’interprévtation de la conven -
tion comme établissant une obligation erga omnes partes de saisir les
autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale est loin de me
convaincre. Elle m’apparaît davantage soit comme un artifice pouvr établir

la recevabilité d’une requête belge plus que douteuse, soit comvme un
moyen de parvenir à une autre fin que le règlement du diffévrend : donner
à la convention contre la torture un caractère général de novrme erga
omnes. Les deux peuvent même s’épauler, être à la fois l’ouvtil et le but
d’une sorte de sacralisation de la convention. C’est en ce sens novtamment

qu’il me semble que la logique de la Cour est davantage celle d’unv avis
consultatif, à portée abstraite et générale, que celle du rèvglement d’un
différend singulier et limité entre Etats. Dans ce cadre, il devvient secon -
daire de définir précisément ce différend et sa ou ses dvates critiques. Je
reviendrai sur ce point à propos du fond, puisque la ou les dates crivtiques
conditionnent l’appréciation du retard dans l’application par lve Sénégal

de la convention.

Arbitrage

14. La Cour n’a pas retenu l’argument du Sénégal suivant lequel une

condition préalable à sa compétence, l’impossibilité d’vorganiser un arbi -
trage entre les Parties, était remplie en l’occurrence. Elle se contentev d’ob-

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6 CIJ1033.indb 376 28/11/13 12:50 609 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

server que la Belgique a indiqué au Sénégal qu’elle souhaitait y recourir et
que cette demande est restée sans suite, le Sénégal se bornant và en prendre

acte. Il est vrai que ce rejet de l’argument du Sénégal est convforme à la
jurisprudence antérieure, et que la Cour n’est pas formaliste sur ce point.
On peut le regretter, car un formalisme minimal permettrait de lever touvte
équivoque en la matière. Lorsqu’elle expose la démarche de la Belgique
au sujet de l’arbitrage, la Cour lui attribue une continuité, une vcohérence

et une clarté que les documents fournis à la Cour sont loin de convfirmer.
Tout au contraire, ils laissent le sentiment d’un embrouillamini, volvon -
taire ou involontaire, qui ne permet pas de dégager de façon inconvtestable
la position des Parties à ce sujet, et surtout la continuité de lav position de
la Belgique.
15. Dans ses communications avec le Sénégal, la Belgique a toujours

poursuivi de front trois types de démarches : la négociation, autre préa -
lable à la saisine de la Cour, et dont il n’est pas contestable quv’elle a eu
lieu en fait, sans perspective d’aboutissement ; l’entraide judiciaire, prévue
à l’article 9 de la convention contre la torture, qui est de nature différente;
la demande d’arbitrage, qui n’a été suivie d’aucune prévcision complémen -

taire, telle que l’indication de l’objet du différend à soumettre au tribunal
arbitral, des propositions relatives à sa composition, les règles de fond à
examiner. Or la demande d’arbitrage a été parfois accompagnéve, souvent
suivie et comme recouverte par d’autres démarches de la Belgique qvui
relevaient de la poursuite de la négociation ou de propositions d’vassis -

tance judiciaire, de sorte que le Sénégal pouvait s’interroger vde bonne foi
sur le point de savoir si la demande d’arbitrage était maintenue ou sup -
plantée par un retour à la coopération judiciaire ou par la névgociation,
c’est-à-dire par un autre mode de règlement, voire de prévenvtion, du dif -
férend allégué. Le Sénégal a quant à lui pris acte de vla demande d’arbi -
trage, mais celle-ci n’a été suivie d’aucune proposition convcrète de la

Belgique relative aux conditions pratiques de l’organisation de l’varbitrage.
La convention distingue pourtant ces deux phases.

16. Si, en définitive, j’adhère à la solution retenue par la Cvour lors -
qu’elle pose que, l’arbitrage n’ayant pu être organisé, cvette condition

préalable à sa compétence est remplie, je regrette néanmoinsv qu’elle n’ait
pas saisi l’occasion de préciser la condition en cause. La Cour aurait pu
indiquer que, pour prévenir toute confusion en la matière, une demvande
d’arbitrage devait être présentée de façon autonome, distincte et séparée à
l’autre partie, à l’exclusion de toute autre communication évtrangère à

la demande, et qu’elle devait comporter clairement l’indication du divffé -
rend en cause ainsi que les modalités essentielles d’organisation vdudit
arbitrage. Alors le refus de la partie sollicitée, ou son silence penvdant une
période déterminée, ou l’échec d’une négociation suvr l’organisation de
l’arbitrage seraient sans ambiguïté. Cela ne me semble pas le cvas en
l’occurrence, surtout dès lors que les objets du différend —v extradition,

retard à adopter les mesures internes pour permettre l’exercice dev la
compétence pénale du Sénégal, retard à saisir les autoritvés pour déclen -

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6 CIJ1033.indb 378 28/11/13 12:50 610 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

cher des poursuites — sont demeurés indéterminés jusqu’au dépôt de la
requête devant la Cour.

Règles coutumières

17. La Cour a considéré qu’elle n’était pas compétente pouvr se pronon -
cer sur les violations par le Sénégal d’autres règles de droit international
alléguées par la Belgique, spécialement d’une règle évventuelle de droit

coutumier comportant l’obligation de poursuivre ou d’extrader, quiv a
donné son intitulé au présent arrêt. Cette compétence évtait fondée sur une
autre base, les déclarations convergentes de la Belgique et du Sénégal
d’acceptation de la compétence de la CIJ. Selon moi, la Cour n’va en
aucune façon justifié son refus. Il ne me semble donc pas fondév en droit et

ne pas faire justice à la demande de la Belgique à ce sujet. Le Sévnégal
méritait au demeurant lui aussi d’être éclairé sur ce poivnt.
18. Je regrette de constater que cette déclaration d’incompétence
semble résulter d’un double souci. D’une part, éviter de s’vengager dans
une longue discussion qui aurait pu retarder l’examen de l’affaivre, simpli -

fier ainsi le différend en le limitant à la convention contre vla torture.
D’autre part, éviter d’avoir à constater que la règle couvtumière invoquée
par la Belgique n’existait pas, afin de ne pas entraver sa consévcration cou -
tumière ultérieure éventuelle, laisser donc planer le doute surv ce point en
attendant d’autres développements. En dépit du silence de la Covur, peut-
être même à cause de ce silence, il semble clair qu’une oblivgation coutu -

mière de poursuivre ou d’extrader, voire simplement de poursuivre,v ne
peut être établie en droit positif. Il convenait de le déterminver pour
répondre à la demande de la Belgique. La Cour aurait à mon sensv dû se
déclarer compétente sur ce point et l’examiner au fond. J’esvtime qu’elle
n’a pas pleinement exercé à cet égard sa mission de règlement du diffé -

rend. J’ai donc voté contre cet élément du dispositif.

II. Recevabilité de la requvête de la Belgique

19. Là est à mes yeux le point central de l’affaire, et là révside l’aspect
de la décision de la Cour dont je me sens le plus éloigné. La Bvelgique est-
elle fondée à demander au Sénégal l’exécution des oblivgations qu’elle
invoque de la convention ? Quel droit peut-elle faire valoir ? Est-elle un

Etat lésé par un manquement éventuel, de sorte qu’elle puisse demander
la constatation du manquement allégué et sa réparation ? Elle fait valoir à
ce titre deux types d’arguments. Sa compétence pénale passive dv’un côté,
des ressortissants belges ayant déposé plainte contre Hissène Habré en
Belgique, ce qui a justifié une demande d’extradition de sa partv. C’est
même son argument principal. Sa situation de partie à la conventiovn

d’autre part, qui justifierait en soi la demande d’exercice de pvoursuites par
le Sénégal, et à défaut l’extradition vers la Belgique, en tant qu’Etat non

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6 CIJ1033.indb 380 28/11/13 12:50 611 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

lésé. Cette deuxième approche s’est renforcée au cours dev la procédure
devant la Cour, elle a même tendu in fine à se substituer à la première, ce

qui témoigne au demeurant du fait que la Belgique avait été convduite à
mesurer sa faiblesse.

20. Dans le présent arrêt, la Cour a écarté l’examen de la covmpétence
pénale passive de la Belgique, qui a pourtant fondé tout son compovrte -

ment au cours du différend et même constitué un argument essevntiel de sa
requête. La Cour recourt à une économie de moyens que l’on peut regret -
ter, parce qu’elle ne répond pas à l’ensemble des arguments vdes Parties,
positifs ou négatifs. Elle évite aussi de constater que ce fondemevnt, la
compétence pénale passive de la Belgique, ne peut être invoquév en l’oc -

currence. La Cour ne retient qu’une autre base de recevabilité, l’vexistence
d’une obligation erga omnes partes, qui n’a été invoquée que tardivement,
dont le fondement est pour le moins incertain et qu’à mon sens elle ne
justifie nullement.

Non-pertinence de la compétence pénale passive de la Belgique

21. La Belgique a d’abord fondé sa demande d’extradition ainsi que
son droit de demander que l’affaire soit soumise aux autorités cvompé -
tentes pour l’exercice de l’action pénale au Sénégal sur vsa compétence
pénale passive, en raison de la nationalité belge de victimes allévguées.
Mais les nationaux belges en cause n’avaient acquis cette nationalitév que

de longues années après les faits, de sorte que l’opposabilitév de cette natu -
ralisation au Sénégal faisait difficulté. En effet, le Sévnégal ne reconnaît sa
compétence passive qu’à l’égard de victimes qui possédvaient sa nationalité
au moment des faits. Or l’établissement de la compétence pénale des par -
ties requise par la convention contre la torture est en effet facultatvive pour

ce qui est de leur compétence pénale passive, de sorte que les autvres par -
ties ne sont pas tenues de la reconnaître, surtout dès lors que levur propre
droit pénal ne la prévoit pas. La demande d’extradition devenaivt dès lors
irrecevable, de même que le droit de la Belgique de demander au Sénégal
d’exercer lui-même sa compétence pénale, puisqu’elle n’vavait plus de droit

propre à invoquer en tant qu’Etat lésé.
22. L’invocation par la Belgique de sa compétence pénale passive
n’était pas seulement théorique. Elle correspond à son compovrtement
constant tout au long de l’affaire. Ce n’est en effet qu’apvrès avoir enregis-
tré et traité les plaintes en Belgique des victimes alléguéevs, cinq ans après

le dépôt des plaintes, que la Belgique transmet une demande d’extradition
au Sénégal. C’est alors qu’elle estime avoir un droit proprev à faire valoir
pour obtenir l’extradition ou pour que des poursuites soient engagéves au
Sénégal. Le fondement en est les plaintes déposées en Belgiqvue. Ce com -
portement démontre à lui seul que la Belgique n’a pas alors envvisagé de se
fonder sur un autre argument que cette compétence pénale passive. vElle

semblait à l’origine du différend, elle en était la base dvans la requête ini -
tiale de la Belgique, si même elle n’était pas à l’originve de la ratification

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6 CIJ1033.indb 382 28/11/13 12:50 612 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

tardive de la convention contre la torture par la Belgique. Naturalisativon,
ratification, dépôt de plaintes en Belgique se sont en effet evnchaînés en

quelques mois avec une rapidité, presque une simultanéité propivces.
23. Si la demande adressée par la Belgique en 2005 avait été fondéve sur
un droit ou sur un intérêt spécial qu’elle tirait de la convvention au seul
titre d’Etat partie, sur la base d’une obligation erga omnes partes suppo -
sée, c’est dès qu’elle y est devenue partie, en 1999, qu’velle aurait dû la

formuler. Elle aurait dû réclamer dès ce moment l’engagement de pour -
suites au Sénégal, poursuites qui lui auraient été dues en dvehors de toute
plainte et simplement en sa qualité de partie à la convention contvre la
torture. Surtout, dès lors que la Belgique considère que la violation allé -
guée remonte à 2000, c’est-à-dire lors de l’échec au Svénégal de plaintes
contre Hissène Habré, c’est dès ce moment qu’elle aurait vdû soulever la

question. Elle aurait même été fondée à le faire, je le rvappelle, dès qu’elle
est devenue partie à la convention, puisque la présence de Hissèvne Habré
sur le territoire du Sénégal était de notoriété publique,v ainsi que les soup -
çons dont il faisait l’objet.
24. L’abstention de la Belgique à ce stade démontre qu’elle n’va pas

alors retenu cette interprétation de la convention. Si en effet une plainte
d’un particulier non suivie d’engagement de poursuites pénales vest néces -
saire à l’existence d’un différend interétatique et àv la réclamation de l’exé-
cution de la convention, cela revient à privatiser une obligation erga
omnes partes qui doit peser, si elle existe, directement et exclusivement sur

les Etats parties. En revanche, si le titre invoqué est la compétevnce pénale
passive, il est justifié que des plaintes soient nécessaires pouvr qu’une
demande d’extradition soit articulée. En d’autres termes, une cvompétence
erga omnes partes s’exerce immédiatement et n’est pas conditionnée par
des plaintes individuelles. En revanche, le titre de compétence pévnale spé -
cifique invoqué par une partie à l’encontre d’une autre pavrtie suppose que

les victimes ou leurs ayants droit en aient déclenché l’exercicve et que l’Etat
qui dispose de ce titre le revendique auprès de l’Etat sollicité. Je revien -
drai sur ce point, négligé par la Cour, en examinant l’existencve ou non
dans la convention contre la torture d’une obligation erga omnes partes
de soumettre une affaire aux autorités compétentes pour l’exevrcice de

l’action pénale, à défaut d’extrader.
25. Ainsi, tout le comportement de la Belgique jusqu’à la procédurev
orale incluse a été fondé sur l’invocation de sa compétenvce pénale passive.
Elle a par exemple à ce titre demandé à plusieurs reprises, et vtout récem -
ment encore, l’extradition de Hissène Habré, toujours sur la bavse des

plaintes de victimes alléguées. La Cour n’est certes pas liéve par cette argu -
mentation. Dans la détermination et l’interprétation des règles qu’elle
applique, elle peut invoquer d’autres éléments et fonder sa convviction sur
ses propres conceptions. C’est en réponse à une question poséve par un
juge que la Belgique a mis l’accent à titre principal sur la situavtion parti -
culière de la Belgique en tant qu’Etat non lésé, qui fonde lva décision posi-

tive de la Cour sur la recevabilité de la requête. Encore faut-il vque la Cour
explique et justifie juridiquement sa position. Selon moi, elle se borvne à

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6 CIJ1033.indb 384 28/11/13 12:50 613 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

l’affirmation prétorienne d’une obligation erga omnes partes pesant sur le
Sénégal, obligation erga omnes partes dont l’analyse montre la faiblesse,

sinon l’absence de bases juridiques dans la convention elle-même.

Inexistence de l’obligation erga omnes partes invoquée

26. L’obligation pour les parties, dès lors que l’auteur présumév d’une
infraction définie sur la base de la convention est découvert suvr un terri -

toire sous leur juridiction, de saisir leurs autorités compétentesv pour
l’exercice de l’action pénale aux fins de poursuite est une ovbligation de
procédure mais non de fond, puisqu’en définitive les poursuitves peuvent
ne pas avoir lieu pour des raisons qui ne nous intéressent pas ici. Lva Cour
estime que cette obligation vaut erga omnes partes, de sorte que toutes les

parties sont fondées à en réclamer l’exécution indépenvdamment de tout
lien particulier avec des victimes alléguées. Elle affirme ainsi de façon
générale et indifférenciée trois principes, ou trois prévsupposés, dont aucun
n’est véritablement démontré, qui même semblent contreditvs par l’analyse
de la convention.

27. Les trois présupposés en cause sont les suivants. Premièrement,v il
existe certains traités établissant des obligations erga omnes partes.
Deuxièmement, c’est le cas pour la convention contre la torture, pvarce
qu’elle rentre dans une catégorie particulière de traités, catégorie au
passage ignorée par la convention de Vienne sur le droit des traitévs qui
codifie le droit coutumier en la matière. Troisièmement que les vobliga -

tions de la convention rentrent toutes dans cette catégorie, et spécialement
l’obligation de saisir les autorités compétentes pour le déclenchement de
poursuites pénales. Je mentionne rapidement la première affirmativon
parce que, à supposer qu’elle soit exacte en droit positif, il n’ven
résulte nullement que la convention contre la torture réponde aux v

conditions posées, et surtout la convention dans son intégralitév.
28. a) Sur ce premier point, la Cour invoque le dictum de l’affaire de
la Barcelona Traction (Barcelona Traction, Light and Power Company,
Limited (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970)
relatif aux obligations erga omnes. Il n’est guère pertinent en l’espèce,

puisque ce qui est en cause, ce sont des obligations d’origine convenvtion-
nelle et non coutumières, et qu’au surplus la Cour s’est décvlarée incompé-
tente pour connaître des règles coutumières dans le cadre du prvésent
différend. La Cour invoque également un dictum dans l’avis consultatif
sur les Réserves (Réserves à la convention pour la prévention et la répres -

sion du crime de génocide, C.I.J. Recueil 1951), qui concernait en effet un
traité, la convention sur la prévention et la répression du crivme de géno -
cide, et donc des obligations erga omnes partes. Mais en l’occurrence la
Cour relevait que les règles concernées étaient coutumières,v obligatoires
indépendamment de la participation à la convention. Elle utilisait en
outre cette considération pour assouplir le droit d’émettre desv réserves

opposables aux autres Etats en énonçant le critère de la compatibilité
avec l’objet et le but de la convention. Il est paradoxal que l’on invoque

195

6 CIJ1033.indb 386 28/11/13 12:50 614 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

une sorte d’ordre public international pour justifier que des révserves y
soient apportées — mais en toute hypothèse cela exclut le caractère erga

omnes partes des stipulations sur lesquelles peuvent porter les réserves.

29. Dans les deux cas, il s’agit soit d’un obiter dictum, soit d’une consi-
dération qui n’était pas essentielle pour le règlement du différend ou pour
la réponse à la question. Ici, à l’inverse, l’effet erga omnes partes est au

cœur de la recevabilité, et demande donc à être examiné avec soin. On
aurait déjà pu se demander si la règle invoquée par la Belgivque était de
nature coutumière, au-delà de sa base conventionnelle. Mais la Couvr ne
peut se prononcer sur ce point en raison de sa déclaration d’incomvpé -
tence. En toute hypothèse, il convient de distinguer les obligations vde leur
support normatif, conventionnel ou coutumier. Un traité peut en effvet

comporter des obligations de nature différente, et l’existence dv’une obliga -
tion erga omnes partes ne peut être ni présumée ni inférée pour l’ensemble
du traité de la présence d’une obligation erga omnes partes en son sein.
30. b) S’agissant du second point, on doit en conséquence considérer
les stipulations de la convention de façon analytique, distinguer entvre

celles qui sont erga omnes et celles qui ne le sont pas. Raisonner autre -
ment relève d’une approche plus idéologique que juridique de la question.
Considérer la convention comme un bloc, alors même que les résevrves y
sont autorisées, y compris sur la définition même de la tortuvre, que cer -
taines stipulations sont optionnelles et d’autres facultatives, que cvertaines

reflètent des règles coutumières et d’autres non, ne me sevmble pas juridi -
quement fondé. Le problème juridique est dès lors celui de l’interpréta -
tion de la convention contre la torture, et non de son inscription par
affirmation prétorienne dans une catégorie spécifique de travités qui crée -
raient des obligations erga omnes partes par nature. Implicitement, la
Cour se fonde sur le projet d’articles de la Commission du droit intevrna -

tional (la « CDI») sur la responsabilité internationale des Etats. Or il est
loin d’être reconnu comme formulant en la matière des règles de droit
international coutumier, et l’adoption d’une convention de codifivcation
de la responsabilité internationale des Etats n’a jamais étév sérieusement
envisagée, faute d’accord à ce sujet. Comment en tirer sans autvre explica -

tion une norme de droit positif ?
31. La CDI elle-même a estimé que les articles relatifs aux « Etats
autres que les Etats lésés» relevaient du développement progressif, c’est-à-
dire n’appartenaient pas au droit coutumier en temps que lex lata. Le
souci de la Cour d’apporter un appui à leur consécration l’evmporte en

l’occurrence, je le crains, sur la considération objective d’unv différend
qu’elle doit régler «conformément au droit international », suivant les
termes de l’article 38 de son Statut. C’est sur cette base très douteuse que
la Cour établit cependant la recevabilité de la requête de la Bvelgique, à
l’encontre même du comportement concret de l’Etat dans la prévsente
affaire. Il convient en effet non de partir d’un présupposév général, mais

d’interpréter la stipulation en cause de la convention sur la tortvure, celle
qui prévoit l’obligation pour tout Etat partie de soumettre «à ses autori -

196

6 CIJ1033.indb 388 28/11/13 12:50 615 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

tés compétentes pour l’exercice de l’action pénale » toute personne soup -
çonnée des infractions visées et trouvée sur son territoire.v

32. Cette stipulation ne saurait être confondue avec celles qui prévoivent
des mesures visant à empêcher la torture ou l’établissement de la compé -
tence pénale des parties en la matière. Renforcer la lutte contre la torture
passe d’abord par des mesures prévoyant son interdiction absolue, ven
toutes circonstances et sous aucun prétexte, comme le fait l’article 2 de la

convention contre la torture. La prévention est l’essentiel, parcev que,
lorsque doivent intervenir des poursuites pénales, il est déjà vtrop tard.
L’interdiction universelle de la torture est ainsi une règle coutuvmière, ce
qui n’est pas le cas de l’obligation de déclencher des poursuitves. Il ne me
semble pas contestable que cette interdiction de la torture est égalevment
une « obligation intransgressible » au sens de l’avis consultatif de la Cour

sur la Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un Etat da▯ns un
conflit armé (C.I.J. Recueil 1996 (I)). Mais ce caractère ne s’étend pas
nécessairement, et ne s’étend ni en droit ni en fait à toutevs les autres obli -
gations résultant de la convention.
33. Pour ce qui est de l’interdiction de la torture, la notion d’« obliga -

tion intransgressible » est certainement préférable à une référence au jus
cogens, parce que celui-ci est censé annuler des traités contraires. Imav -
gine-t-on un traité par lequel des Etats s’autoriseraient mutuellevment à
pratiquer la torture ? C’est bien plutôt par des actes matériels que l’obli -
gation se trouve violée. En toute hypothèse, elle vise des comportvements

physiques ou psychologiques, voire des ordres donnés, des instructionvs,
des planifications suivies des comportements en cause, plus que des traités
internationaux. Cela résulte en particulier des termes mêmes de l’varticle 2
de la convention. C’est une répression pénale individuelle qu’vappellent de
tels actes et l’ascension normative internationale de leur condamnation de
principe n’offre d’autre conséquence concrète que la satisfaction morale

de ceux qui la prononcent.
34. c) S’agissant du troisième point, la stipulation établissant l’vobliga -
tion de soumettre l’affaire aux autorités compétentes pour l’vexercice de
l’action pénale est précisément d’une nature différevnte de l’interdiction de
la torture elle-même. Son interprétation doit s’appuyer sur la vrègle géné -

rale d’interprétation formulée dans la convention de Vienne surv le droit
des traités entre Etats, unanimement considérée et appliquéev par les Etats,
y compris ceux qui ne sont pas partie à ladite convention, comme reflvé -
tant le droit coutumier. Cette règle est incontestablement plus solidve que
celle qui tente de faire accepter les droits des « Etats autres que les Etats

lésés ». La règle générale d’interprétation en cause se réfèvre au texte du
traité suivant le sens naturel et ordinaire de ses termes, en tenant vcompte
de son contexte, dont la pratique suivie par les parties dans l’applivcation
du traité, de l’intention des parties, et de son objet et de son bvut.
35. La Cour ne semble pas avoir tenu compte de ces prescriptions. Elle
a en réalité retenu une interprétation téléologique, consvtruisant à partir

d’un but posé par elle comme gouvernant l’ensemble des prescripvtions,
une obligation erga omnes partes qui ne trouve ni base dans le texte, ni

197

6 CIJ1033.indb 390 28/11/13 12:50 616 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

dans l’intention des parties, et encore moins dans leur pratique. Surtout,
elle n’a même pas entrepris leur examen, se bornant à des affivrmations de

principe sans démonstration. L’objet et le but de la convention, tvels que
construits par la Cour, ont absorbé et comme aboli toutes les autres v
considérations. La Cour semble à cet égard soucieuse de reflévter l’air du
temps, de ne pas se couper de certaines juridictions, notamment de l’vesprit
des juridictions pénales internationales, et de ne pas apparaître comme

retardataire par rapport à elles. Mais en l’occurrence il s’agivt d’interpréter
une convention, non de conduire un procès.
36. Si l’on considère d’abord le texte de la convention contre la torture,
on observe que toutes les parties sont loin d’appartenir à un ensevmble
homogène qui assumerait les mêmes obligations et pourrait revendiqvuer
les mêmes droits. Toutes les parties ne sont par exemple pas obligéves d’éta -

blir leur compétence pénale dans les mêmes conditions. L’oblvigation gén-é
rale n’existe que pour la compétence à l’égard des personvnes trouvées sur
le territoire des parties, que l’on dénomme compétence universevlle de façon
excessive puisqu’elle ne concerne que les parties. La compétence pvénale
passive, on l’a dit, n’est que facultative. Seules les parties quiv détiennent

elles-mêmes un titre de compétence pénale opposable aux autres vparties
sont fondées à obtenir l’extradition sur la base de la conventivon. Voici déjà
un premier type de différenciation des droits et obligations.
37. S’y ajoute que la convention comporte un mécanisme particulier,
prévu par ses articles 17 à 24, qui prévoient l’existence d’un Comité contre

la torture. L’article 21 de la convention autorise spécifiquement les Etats
parties à saisir ce comité des manquements à l’application dve ses stipula -
tions. Aucun intérêt subjectif de l’Etat qui agit dans ce cadre n’est requis.
On peut en effet estimer qu’alors un intérêt commun, collectivvement pro -
tégé et garanti, est reconnu et établi. Mais cette procédurev spéciale ne
concerne pas toutes les parties. Elle est subordonnée à leur accepvtation

expresse. Elles peuvent en outre la retirer unilatéralement à toutv moment
(art. 21, par. 2).
38. On serait donc bien en peine d’y trouver un argument en faveur
d’un droit de toutes les parties de demander l’exécution d’uvne obligation
erga omnes partes de saisir les autorités compétentes pour l’exercice de

l’action pénale. Cette procédure n’est applicable que sur lav base de stipu -
lations spéciales, dont l’acceptation par les parties demeure facuvltative et
dont elles peuvent s’exonérer à tout moment après y avoir consenti. Elle
ne peut être mise en œuvre qu’entre ces parties seulement. Si lv’obligation
était erga omnes partes, la participation à la procédure de l’article 21 ne

serait pas facultative mais obligatoire, et elle donnerait un contenu prvécis
à ce caractère omnes partes. Tout au contraire, l’existence même d’une
telle procédure facultative traduit l’absence d’un droit général d’action
extérieur et indépendant de la défense d’un droit propre de l’Etat partie.
Son objet est même de compenser l’absence d’un tel droit, et duv même
coup de la révéler.

39. S’ajoute enfin que la compétence de la Cour ou le recours à lv’arbi -
trage, prévus par l’article 30 de la convention, ne sont également que

198

6 CIJ1033.indb 392 28/11/13 12:50 617 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

facultatifs, ce qui crée une nouvelle distinction entre les parties, ventre
celles qui peuvent revendiquer le respect de leurs droits devant des insv -

tances indépendantes et celles qui ne le peuvent pas. Qu’on le déplore ou
non, il est bien difficile sur ces bases d’établir un ordre publivc erga omnes
partes, d’introduire de la verticalité dans un système par nature horizon -
tal, dans lequel droits et obligations des parties doivent s’apprécier non
pas de façon abstraite et indifférenciée mais partie par partvie, en fonction

des engagements acceptés et des situations propres à chacune.
40. Si enfin il y a obligation erga omnes partes, comme le pose la Cour,
cette obligation est indépendante de toute plainte individuelle, comme je
l’ai relevé plus haut. Elle pèse sur les autorités publiquesv des parties, c’est
à elles qu’il appartient de déclencher l’action publique, etv si elles ne le font
pas elles montrent du même coup qu’elles ne sont nullement tenues vde le

faire. Le paragraphe 1 de l’article 7 de la convention est clair à ce sujet :
«[l]’Etat partie … soumet l’affaire… ». Il en est ainsi spécialement pour
l’obligation de mener immédiatement une enquête préliminairev sur les
faits incriminés, obligation qui pèse directement sur les parties vet peut être
conduite indépendamment de toute plainte. En attendant en pratique que

des plaintes soient déposées pour mettre en jeu l’ensemble du mécanisme
des poursuites prévues par la convention, les parties montrent bien
qu’elles ne se sentent pas tenues par une obligation erga omnes partes.
41. Pour ce qui est plus largement de la pratique des parties, elle pour -
rait compenser ces limites du texte par l’indication d’une conception com-

mune de la convention, par l’exercice concret d’un droit perçu vet accepté
comme tel de revendiquer la saisine des autorités compétentes lorsvqu’une
personne soupçonnée est sur le territoire d’une partie. La convention est
en vigueur depuis vingt-cinq ans, et la pratique ne devrait pas manquer.v
Malheureusement, rien ne vient le confirmer. C’est plutôt l’ivnverse.
Quelles parties, et quand, ont réclamé à un autre Etat partie avbritant sur

son territoire des personnes soupçonnées de tortures la saisine dev ses
autorités compétentes? Qui par exemple a saisi les Etats-Unis, ou d’autres
Etats parties à la convention, de réclamations relatives à la pvoursuite de
nombreux actes de torture dont l’existence n’était même pas vcontestée,
voire était justifiée aux yeux des Etats en cause par des impévratifs de sécu -

rité? La Belgique elle-même a renoncé à la compétence pénale vuniverselle,
précisément sous la pression des Etats-Unis. Il est permis de suppvoser
qu’elle a ici tenté de la ressaisir à l’encontre du Sénévgal, ce qui est sans
doute plus facile.
42. Dans le cadre du présent différend en particulier, quelles sont les

parties à la convention qui ont réclamé au Tchad des poursuitesv contre les
auteurs ou complices des actes de torture incriminés, alors que les vvic -
times sont pour l’essentiel tchadiennes, ainsi que les auteurs, et quve la
plupart demeurent sur son territoire ? Cent cinquante parties, suivant la
logique de la Cour, auraient été en mesure de le faire. La Belgique elle-
même s’en est-elle inquiétée ? A-t-elle réclamé au Tchad des poursuites

contre les personnes soupçonnées ? La Cour ne semble pas s’être occupée
de cette pratique, ou plutôt de cette pratique négative, pourtant vperti -

199

6 CIJ1033.indb 394 28/11/13 12:50 618 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

nente pour établir l’existence d’un droit au profit d’« Etats autres que les
Etats lésés ». Cela démontre encore au passage que la Belgique n’a concrè-

tement fondé son comportement que sur une situation alléguée d’vEtat
lésé, en vertu de sa compétence pénale passive.
43. Le Tchad est quant à lui partie à la convention contre la torture v
depuis le 9 juillet 1995, soit avant la Belgique. L’obligation de poursuivre
les auteurs ou complices des infractions correspondantes lui est pleine -

ment applicable, puisque la compétence pénale est rétroactive, quand
bien même les incriminations ne le sont pas. Il ressort du dossier quve la
Belgique a requis et obtenu la coopération judiciaire du Tchad à cvondi -
tion que les poursuites se déroulent ailleurs et ne l’impliquent pvas. Lorsque
donc la Belgique déclare se préoccuper des victimes, elle semble dvavan -
tage en pratique se soucier d’un procès contre le Sénégal, avlors que cet

Etat cherche quant à lui à organiser un procès de Hissène Havbré qui ne le
met en cause que de façon très indirecte.
44. Ma conclusion est donc que l’obligation erga omnes partes à
laquelle la Cour se réfère sort comme un lapin d’un chapeau magvique. Il
n’est nullement établi que la convention contre la torture créev une obliga -

tion erga omnes partes de saisir les autorités compétentes pour l’exercice
de l’action pénale, et, partant, un droit pour chacune des partiesv d’en
réclamer la mise en œuvre indépendamment d’un titre spécival permettant
de le faire, à savoir une atteinte à son droit propre d’exercerv des pour -
suites en vertu de sa propre compétence. La requête de la Belgiquev ne

saurait donc se fonder sur un droit appartenant à toutes les parties vet non
plus sur sa compétence passive, que la Cour n’a même pas prise ven consi -
dération. La requête de la Belgique contre le Sénégal n’est donc pas à
mon sens recevable, et la décision de Cour n’établit nullement vcette rece -
vabilité. Le Sénégal a certes l’obligation de saisir ses autvorités compé -
tentes pour l’exercice de l’action pénale, et il ne le contestev pas, mais cette

obligation n’est pas due à la Belgique.
45. Quels sont alors les Etats parties juridiquement fondés à réclavmer
à une ou d’autres parties la saisine de leurs autorités compévtentes aux fins
de poursuites, si ce droit n’appartient pas à toutes les parties dvu seul fait
de leur participation à la convention contre la torture ? A mon sens, il

s’agit de ceux qui sont tenus d’établir leur compétence pévnale en vertu de
l’article 5, paragraphe 1, de la convention, soit parce que les actes incrimi -
nés ont été commis sur leur territoire, soit parce que les persvonnes soup -
çonnées possèdent leur nationalité. Le droit de demander la prise en
considération de poursuites dans le for d’autres parties en est lev complé -

ment et la contrepartie, un droit qui complète leur propre obligationv.
46. Elles sont également fondées à demander l’extradition sur lav base
de leur propre compétence pénale, sans que celle-ci soit automatiqvuement
accordée, puisque l’Etat saisi n’y consentira que suivant certavines condi -
tions précisées dans la convention. La Belgique ne remplit pas cesv condi-
tions et ne peut obtenir l’extradition de Hissène Habré sur la vseule base de

sa compétence pénale passive. Je regrette que la Cour ne l’ait vpas claire -
ment indiqué dans le dispositif de l’arrêt, alors qu’elle l’vindique dans la

200

6 CIJ1033.indb 396 28/11/13 12:50 619 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

motivation. C’était pourtant une demande formelle de la Belgique dvans
ses conclusions. Là encore, en s’abstenant de statuer, la Cour n’a qu’in -

complètement réglé le différend, ce qui nous conduit au fovnd.

III. Fond

47. Je me suis prononcé en faveur de la compétence de la Cour, en
dépit des réserves que j’ai exprimées au sujet de la procévdure alternative
d’arbitrage, à laquelle il n’a pas été selon moi entièrement satisfait. Cepen -
dant, la présente opinion devrait en bonne logique s’arrêter icvi, puisque,
dès lors que je considère comme irrecevable la requête de la Belgique, il

n’est plus nécessaire de considérer les questions de fond. Je me suis pro -
noncé sur le fond pour trois raisons. D’abord parce que je respectve la
décision de la Cour. Ensuite parce que telle est la pratique ordinairve, les
juges votant point par point de façon indépendante. Enfin parce vque les
règles applicables ne prévoient pas l’abstention, et obligent à voter par

«oui» ou par « non». J’aurais scrupule à voter négativement sur des
points du dispositif que j’estime fondés. Je présenterai donc qvuelques
observations sur le fond, en tant qu’explications de vote.

Article 6, paragraphe 2, de la convention contre la torture

48. Je pense en particulier que le manquement du Sénégal à l’oblviga -
tion, prévue par l’article 6, paragraphe 2, de la convention contre la tor -
ture, de mener immédiatement « une enquête préliminaire en vue d’établir
les faits » lorsqu’une personne soupçonnée d’infractions est découvevrte
sur son territoire est établi. Cette obligation est indépendante dve toute

mesure d’établissement en droit interne de la compétence requisve par la
convention, et donc ne suppose aucune condition supplémentaire à lva
ratification de ladite convention. Il me semble que, même si l’ovn estime
que l’enquête préliminaire requise peut dépendre en droit invterne de la
saisine d’une autorité judiciaire à cet effet, l’obligatiovn est formulée en
termes clairs et précis qui ne comportent ni équivoque ni échapvpatoire.

L’enquête peut en particulier fournir des éléments utiles siv l’Etat partie se
voit saisi d’une demande d’extradition alors qu’il n’a pas lv’intention d’or-
ganiser lui-même un procès. J’ai donc voté en faveur de cettve constatation
d’un manquement du Sénégal à cette stipulation (point 4 du dispositif).

Article 5 de la convention contre la torture

49. J’approuve également la position de la Cour lorsqu’elle considèvre
que le différend relatif à l’établissement de la compétvence du Sénégal en
application de l’article 5 de la convention contre la torture est éteint dès
lors que le droit interne sénégalais a été adapté pour pevrmettre la tenue

éventuelle d’un procès, ce qui a été réalisé en pravtique avant même le
dépôt de la requête belge. Il y a eu là un acte préparatovire indiquant clai-

201

6 CIJ1033.indb 398 28/11/13 12:50 620 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

rement que le Sénégal entendait exercer sa compétence pénalev, puisque
l’adaptation du droit sénégalais a été réalisée àv la suite de la transmission

du mandat d’arrêt par la Belgique.
50. Je suis en revanche en désaccord avec l’idée suivant laquelle lv’adap -
tation du droit interne à une obligation conventionnelle devrait êvtre
immédiate, contemporaine de la ratification, voire simultanée. Ivl me
semble que tout dépend du droit interne considéré. Ce que les rvègles cou-

tumières internationales relatives au droit des traités prescrivenvt, c’est que
les adaptations nécessaires soient opérées dans un délai raivsonnable. La
pratique des Etats et leur opinio juris semblent bien établies en ce sens. Il
est vrai que la formulation de la Cour est sur ce point équivoque, etv
qu’elle maintient une prudente expectative, justifiée dans la mevsure où ce

point n’est guère pertinent pour le présent différend.

Article 7, paragraphe 1, de la convention contre la torture

51. Je ne peux pas adhérer au point 5 du dispositif, qui constate un
manquement du Sénégal à l’obligation de saisir les autoritévs compétentes

pour l’exercice de l’action pénale. La Cour rétablit parfaitvement le sens
exact de cette obligation, en rejetant la prétention d’y voir une v« obliga-
tion de poursuivre », puisque la convention laisse à cet égard jouer les
prescriptions des droits internes des parties. Il convient donc que les vauto -
rités compétentes soient saisies, mais il n’en résulte nullevment que des
poursuites soient engagées, soit en raison de preuves insuffisantes, soit en

fonction de l’opportunité des poursuites pour les droits internes vqui
reposent sur ce principe.
52. Ainsi que je l’ai indiqué à propos de la compétence de la Covur,
l’objet du différend est selon moi le retard mis par le Sénévgal à saisir ses
autorités compétentes pour le déclenchement de l’action pévnale. Les deux

Parties s’opposent nettement sur ce point, qui est à l’origine vdu différend.
La question est donc de savoir si le retard imputé au Sénégal pveut être ou
non justifié. Il l’est à mes yeux, pour les raisons suivantesv.
53. D’abord, une comparaison avec l’attitude de la Belgique : après le
dépôt des plaintes en Belgique, cinq ans ont été nécessaivres pour instruire

l’affaire et pour saisir le Sénégal, en 2005. Ensuite, l’attitude du Sénégal à
la suite de cette saisine. Il a immédiatement engagé les réformves néces -
saires de son droit interne, réalisées en 2007, a maintenu Hissèvne Habré
sous résidence surveillée avec interdiction de quitter le territoire et s’est
préoccupé d’organiser un procès. La Belgique a contribué và ces efforts en

apportant une promesse financière à cette organisation. Le tempsv écoulé
depuis la demande de la Belgique n’est pas supérieur à celui quvi s’est
écoulé depuis lors, de sorte que l’appréciation de la situatvion n’est pas
nécessairement défavorable au Sénégal.
54. On peut également relever qu’il ne ressort pas du dossier que le
Tchad aurait informé le Sénégal de la levée de l’immunitév pénale de His-

sène Habré, alors qu’il l’a fait pour la Belgique. Or la convvention ne pré-
voit pas, à la différence par exemple du Statut de Rome, que l’vimmunité

202

6 CIJ1033.indb 400 28/11/13 12:50 621 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

des autorités publiques n’est pas opposable aux poursuites engagées devant
les juridictions internes. J’ajoute que la notion d’« autorités compétentes

pour l’exercice de l’action pénale» peut être interprétée de façon assez large,
puisque la convention contre la torture ne prescrit ni n’implique qu’vil doit
s’agir d’une autorité judiciaire. Lorsque les autorités publviques du Sénégal,
au niveau gouvernemental, prennent des mesures concrètes pour mettre
sur pied un procès, demandent et obtiennent à cet égard une coovpération

internationale à cette fin, peut-on dire que l’exercice de l’vaction pénale
n’est pas en cours ? Constater un manquement du Sénégal sur ce point
méconnaît l’existence d’un processus en cours au lieu de l’vencourager.
55. La date à laquelle est intervenue la présente décision n’a pas permis
à la Cour de prendre en considération les développements les plvus récents
de l’attitude du Sénégal. Le Sénégal a fait connaître vpar diverses commu -

nications postérieures à la procédure écrite et orale devantv la Cour
diverses décisions de ses autorités publiques qui sont autant d’actes pré -
paratoires d’un procès. La Cour ne les a pas examinées, et n’vy a pas donné
suite, sans doute parce qu’elles étaient tardives et n’avaient vpas été sou -
mises au principe du contradictoire, la Belgique n’ayant pas pris posvition

à leur sujet. Mais il dépendait de la Cour qu’il en soit ainsi vet que le
principe du contradictoire soit respecté. Au surplus, la Belgique était des -
tinataire de ces communications et était en mesure de faire connaîvtre son
opinion par ses propres communications, à l’instar du Sénégavl.
56. Rien n’aurait été plus facile que d’attendre quelques semainves sup -

plémentaires à cet effet, de solliciter le cas échéant le vpoint de vue de la
Belgique et de constater l’engagement en principe programmé des povur -
suites requises. Je regrette qu’il n’en ait pas été ainsi, evn rappelant que le
règlement judiciaire est un substitut du règlement diplomatique. C’est
pourquoi je ne peux souscrire à l’idée que le Sénégal aurvait d’ores et déjà
manqué à son obligation de déclencher des poursuites, alors quev leur

engagement est décidé dans son principe, assorti d’un délai vtrès bref pour
l’engagement concret de l’action judiciaire. Si ce délai n’avvait pas été res -
pecté, alors j’aurais concouru à la décision constatant le mvanquement. Je
ne suis pas certain en revanche que sa constatation immédiate soit dev
nature à accélérer la procédure, puisque après tout le divfférend est désor -

mais considéré comme réglé sur le plan judiciaire internatiovnal.
57. Je pense donc que la Cour, dans le cadre de sa mission de règle -
ment du différend, aurait pu retenir une appréciation plus substvantielle
que formelle ou procédurale de l’affaire Hissène Habré et du différend. Ce
qui compte en effet pour respecter l’objet et le but de la conventivon contre

la torture, c’est qu’un procès ait lieu et que justice soit renvdue aux vic -
times. S’il est un procès à organiser, c’est celui de Hissèvne Habré, non
celui du Sénégal. Et s’il est un Etat qui peut être mis en cause, c’est à mon
sens le Tchad beaucoup plus que le Sénégal. Il aurait été àv mon sens plus
constructif de tenir compte et d’encourager les efforts du Sénévgal depuis
la première demande de la Belgique tendant à l’organisation d’vun procès.

203

6 CIJ1033.indb 402 28/11/13 12:50 622 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

L’obligation permanente de saisir les autorités judiciaires du Sé▯négal

58. Je suis en revanche pleinement d’accord avec la majorité sur la

constatation, au point 6 du dispositif, que le Sénégal, différend ou non,
décision de la Cour ou non, a l’obligation de saisir ses autoritévs judiciaires
aux fins de poursuite. Il s’agit là non d’une conséquence vd’un manque -
ment et d’une condition de sa cessation, mais d’une application orvdinaire
et non contentieuse d’une obligation primaire résultant d’un envgagement

du Sénégal. Elle est indépendante de la constatation d’un mavnquement.
Le Sénégal a en toute hypothèse l’obligation de respecter et d’appliquer
cette obligation, et il se déclare lui-même décidé à le fvaire à très bref délai.

L’absence de droit de la Belgique d’obtenir l’extradition
sur la base de la convention contre la torture

59. Enfin, je regrette qu’aucun élément du dispositif ne concerne la
demande, présentée par la Belgique dans ses conclusions, relative và l’ex -
tradition de Hissène Habré en Belgique. La Cour a justement relevév que

l’obligation de saisir les autorités compétentes et l’obligavtion d’extradi -
tion alléguée par la Belgique n’étaient pas sur le même pvlan et ne consti -
tuaient pas une alternative. L’extradition, si elle est accordée, vlibère certes
l’Etat concerné de son obligation de saisir ses autorités, maisv aucun Etat
n’est tenu d’accorder l’extradition en dehors d’un droit provpre de l’Etat

qui la réclame, sur la base soit d’un engagement international de vl’Etat
saisi, soit de son droit interne. Il en résulte que, sur la base de lva conven -
tion, la Belgique n’est pas en l’occurrence en droit d’obtenir l’extradition.

60. A mon sens, ce point aurait dû figurer dans le dispositif, puisqu’il

s’agissait d’une demande de la Belgique à la Cour dans ses concvlusions. Il
est cependant clair dans la motivation que la Belgique, qui n’est pasv un
«Etat lésé », ne dispose pas d’un droit qu’elle puisse opposer au Sénévgal
pour obtenir l’extradition de Hissène Habré. Mais il n’est pvas répondu à
cette demande de la Belgique dans le dispositif. Là encore, le diffvérend

peut paraître n’être qu’incomplètement réglé. Il esvt cependant une pra -
tique de la Cour qui consiste à rejeter les conclusions infondées.v Elle
aurait pu ici être suivie avec avantage.

(Signé) Serge Sur.

204

6 CIJ1033.indb 404 28/11/13 12:50

Bilingual Content

605

OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC SUR

La décision repose sur une logique d’avis consultatif plus que de ▯règlement d’un
différend — Compétence de la Cour — Objet et date critique du différend
insuffisamment précisés par la Cour ; doutes sur la mise en œuvre effective de la
condition préalable d’impossibilité d’organisation d’un a▯rbitrage ; refus infondé de
la Cour d’examiner le différend relatif à des règles coutumi▯ères — Recevabilité de
la requête de la Belgique — Non-pertinence de la compétence pénale passive de la
Belgique: la Cour aurait dû se prononcer sur ce point ; inexistence d’une obligation
erga omnes partes pouvant fonder la recevabilité de la requête de la Belgique ;

irrecevabilité de ladite requête — Fond — Manquement du Sénégal à l’article 6,
paragraphe 2, de la convention contre la torture ; extinction du différend relatif à
l’article 5 de la convention ; absence de manquement du Sénégal à l’article 7,
paragraphe 1; obligation permanente du Sénégal de saisir ses autorités compétentes
pour l’exercice de l’action pénale ; absence de droit de la Belgique d’obtenir du
Sénégal l’extradition sur la base de la convention : silence du dispositif sur ce point
regrettable.

1. A mon grand regret, je n’ai pu approuver plusieurs éléments du vdis-
positif de l’arrêt et des points fondamentaux de sa motivation. Jev joins
donc à la décision de la Cour dans la présente affaire une opinion dissi -
dente.
2. L’esprit général de cette opinion repose sur une interrogation rela -

tive à la manière dont la Cour a conçu sa mission, qui est de rvégler un
différend juridique entre Etats conformément au droit internatiovnal. Je
me demande si elle n’a pas plutôt entrepris de répondre à unve demande
d’avis consultatif sur la nature et l’autorité de la convention contre la

torture en elle-même, et non d’examiner de façon égale et évquilibrée les
positions et comportements des Parties.
3. Sans doute, à l’inverse, certains avis ne sont pas éloignés vdu règle -
ment indirect d’un contentieux inavoué ou implicite, et la missionv consu- l

tative comme la mission contentieuse relèvent toutes deux de la mission
judiciaire de la Cour. Il n’en demeure pas moins que le règlement vjudi -
ciaire n’est qu’un substitut du règlement diplomatique, et qu’và mon sens
il doit apporter une réponse complète, équilibrée et précise à l’ensemble
des arguments et demandes des parties. Ceci d’autant plus que la compvé -

tence de la Cour est facultative, et que les parties doivent être convvaincues
qu’elles ont bien été entendues et prises en considération.
4. Dans la présente affaire, j’ai le sentiment que la Cour est allée au
plus pressé et que, dès lors qu’une majorité était constivtuée sur la solution

retenue, la motivation était de moindre importance — sauf pour affirmer
quelques principes relatifs à la convention contre la torture, princivpes
dont l’interprétation par la Cour me semble aussi hâtive que mavnquant de
bases juridiques. Elle semble s’être attribué une mission de divre le droit,

187

6 CIJ1033.indb 370 28/11/13 12:50 605

DISSENTING OPINION OF JUDGE AD HOC SUR

[Translation]

The decision relies on the reasoning of an advisory opinion rather than ▯that of
the settlement of a dispute — Jurisdiction of the Court — Subject-matter and
critical date of the dispute are not sufficiently determined by the Cour▯t ; doubts as
to the satisfaction of the precondition that it has proved impossible to▯ organize
arbitration; unfounded refusal of the Court to examine the dispute relating to

customary rules — Admissibility of Belgium’s Application — Irrelevance of
Belgium’s passive criminal jurisdiction : the Court should have ruled on that point ;
absence of an obligation erga omnes partes on which Belgium’s Application could
be founded ; inadmissibility of the said Application — Merits — Senegal’s breach
of Article 6, paragraph 2, of the Convention against Torture ; disappearance of the
dispute relating to Article 5 of the Convention; no breach of Article 7, paragraph 1,
by Senegal; Senegal has a permanent obligation to refer the case to its competent ▯
authorities for the purpose of prosecution ; Belgium is not entitled to obtain
extradition from Senegal on the basis of the Convention : regrettable silence of the
operative clause on this point.

1. Much to my regret, I could not endorse several parts of the Judg -
ment’s operative clause and some fundamental points of its reasoning.v I
am therefore appending a dissenting opinion to the Judgment of the

Court in the present case.
2. The general purpose of this opinion is to raise a question mark over
the way in which the Court has conceived of its task, which is to settle a
legal dispute between States in accordance with international law. I wonv-

der if the Court has not in fact set about responding to a request for avn
advisory opinion on the nature and authority of the Convention against
Torture, rather than examining in a fair and balanced way the arguments
and conduct of the Parties.

3. On the other hand, of course, some opinions are not unlike indirect
settlements of unspoken or implicit disputes, and the Court’s advisorvy
role is as much a part of its judicial mission as its role in contentiouvs
cases. However, the fact remains that a judicial settlement is only a suvb -

stitute for a diplomatic one, and in my view it must offer a full, balvanced
and clear response to all of the parties’ arguments and claims. This is
especially important given the non-compulsory nature of the Court’s
jurisdiction and the need for the parties to trust that their views havev been

heard and taken into consideration.
4. In this case, it is my impression that the Court had to work as
quickly as possible and that, so long as a majority was achieved in respvect
of the solution adopted, the reasoning was of lesser importance, except vin

order to confirm certain principles — the Court’s interpretation of which
seems to be as hurried as it is lacking in legal basis — relating to the Con -
vention against Torture. The Court appears to have given itself the taskv

187

6 CIJ1033.indb 371 28/11/13 12:50 606 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

voire de faire le droit de façon abstraite et générale, avec lev souci de se
placer en autorité privilégiée au cœur du système juridiqvue international.

Un exemple en est fourni avec la mention du jus cogens dans la motiva -
tion, mention parfaitement superfétatoire, qui n’apporte rien àv la solution
du différend, comme on le verra. Cet obiter dictum a pour but de saluer
une notion contestée, au contenu toujours incertain, et de lui apportver un
soutien judiciaire. Le différend est ainsi utilisé à d’autvres fins, comme

pierre d’attente en attendant d’autres développements qui lui sveront exté -
rieurs.
5. Cette observation générale peut être démultipliée sur trovis plans: la
compétence de la Cour, la recevabilité de la requête de la Belgvique, qui est
à mon sens au cœur du différend, enfin le fond de l’affvaire.

I. Compétence de la Cour

6. Le Sénégal n’a pas soulevé d’exceptions préliminaires,v de sorte que
les questions liées à la compétence ont été tranchées ven même temps que

le fond. La Belgique s’est fondée à la fois sur l’article 30 de la convention
contre la torture, qui est une clause de règlement arbitral ou judiciaire, et
sur la convergence des déclarations unilatérales des deux Parties vaccep -
tant la compétence facultative de la Cour. A mes yeux, trois questionvs
n’ont été ni examinées ni réglées de façon satisfaivsante par l’arrêt. La pre -

mière a trait à l’objet du différend et à sa date critivque; la deuxième, à la
condition préalable d’impossibilité de recourir à l’arbitvrage, prévue par
l’article 30 de la convention ; la troisième, à la compétence de la Cour
relativement aux règles coutumières invoquées par la Belgique.

Objet et date critique du différend

7. La Cour n’a pas en réalité pris position sur ces points, de telle sorte
que ceux-ci restent en partie flottants. Objet et date critique sont liés, dans
la mesure où le différend résulte d’une réclamation adrvessée par une Par -
tie à l’autre Partie, à laquelle celle-ci refuse de faire droit. Ces réclama -

tions peuvent évoluer, de sorte que le différend ainsi constituév peut être
évolutif, en partie réglé, en partie maintenu, voire en partie vmodifié sur
certains points. Il convient donc que la Cour fixe, en même temps qvue son
objet, la date critique du différend, ou qu’elle indique la plurvalité des
dates critiques qui pouvaient jalonner les étapes d’un différvend évolutif.

8. Quel est donc l’objet du différend ? Porte-t-il sur l’interprétation de
la convention contre la torture, comme le pose la Belgique et comme l’vex -
clut le Sénégal? La Belgique considère que la convention impose au Séné-
gal l’obligation d’établir sa compétence pénale pour jugevr les personnes
soupçonnées d’infractions à la convention qui se trouvent sur son terri -

toire, de procéder à une enquête immédiate sur les faits invoqués et de
saisir ses autorités compétentes pour l’exercice de l’actionv pénale, ou à

188

6 CIJ1033.indb 372 28/11/13 12:50 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. sur) 606

of stating the law, if not making the law in an abstract and general wayv,
in order to ensure its prime position at the heart of the international vlegal

system. By way of example, let us take the reference to jus cogens which
appears in the reasoning, a reference which is entirely superfluous anvd
does not contribute to the settlement of the dispute, as will be seen. Tvhe
purpose of this obiter dictum is to acknowledge and give legal weight to a
disputed notion, whose substance has yet to be established. Thus, the divs -

pute is used for other ends, namely as a starting-point for further devel -
opments outside of its scope.
5. These general observations can be divided into three parts: the juris -
diction of the Court, the admissibility of Belgium’s Application, whivch, in
my view, is at the heart of the dispute, and finally the merits of thev case.

I. Jurisdiction of the Couvrt

6. Senegal did not raise preliminary objections, and so the questions
relating to jurisdiction were ruled on at the same time as the merits. Bvel -

gium relied on both Article 30 of the Convention against Torture — an
arbitral and judicial settlement clause — and the joint effect of the unilat -
eral declarations of acceptance by the two Parties of the optional jurisvdic -
tion of the Court. In my view, there are three questions which were neitvher
examined nor resolved satisfactorily by the Judgment. The first relates to

the subject-matter of the dispute and its critical date ; the second to the
precondition that the recourse to arbitration provided for in Article 30 of
the Convention has proved impossible ; and the third to the Court’s juris -
diction in relation to the customary rules invoked by Belgium.

Subject-Matter and Critical Date of the Dispute

7. In fact, the Court has not adopted a position on these points and
thus some aspects remain up in the air. Subject-matter and critical date
are linked to the extent that the dispute derives from a request made byv
one party to the other, to which the latter refuses to accede. These reqvuests

may evolve, in such a way that the resulting dispute may also change :
parts of it may be resolved and parts may persist ; certain aspects may
even be altered in some measure. That is why it is necessary for the Court
to fix the critical date of the dispute at the same time as its subjecvt-matter,
or to indicate all of the critical dates which may exist across the varivous

stages of a dispute which is still evolving.
8. So, what is the subject-matter of the dispute ? Does it concern the
interpretation of the Convention against Torture, as claimed by Belgium v
and rejected by Senegal ? Belgium contends that the Convention obliges
Senegal to establish its criminal jurisdiction so that it may try personvs
suspected of violating the Convention who are present in its territory ; to

immediately make an inquiry into the facts invoked ; and to submit the
case to its competent authorities for the purpose of prosecution, if it vdoes

188

6 CIJ1033.indb 373 28/11/13 12:50 607 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

défaut de les extrader. La Belgique considère que le Sénégalv a manqué à
ces quatre obligations, en ne modifiant pas en temps utile sa légisvlation

pénale interne, en ne procédant pas à l’enquête prélimvinaire prescrite, en
ne saisissant pas ses autorités compétentes et à défaut en nv’extradant pas
Hissène Habré, les demandes successives présentées en ce senvs ayant
toutes été rejetées par les juridictions sénégalaises saivsies. La Belgique
considère surtout qu’elle a le droit d’en réclamer l’exévcution au Sénégal et

d’engager sa responsabilité s’il y manque.

9. En dehors de ce droit propre qu’allègue la Belgique, le Sénévgal ne
conteste aucune de ces obligations de principe. Il se déclare de façvon
constante résolu à organiser le procès de Hissène Habré, il conseille à la
Belgique de renouveler sa demande d’extradition pour la rendre conforme

au droit sénégalais, il observe que ses règles internes, constivtutionnelles et
législatives, ont été modifiées pour permettre la tenue d’vun procès au
Sénégal. Il considère que les démarches accomplies auprèsv d’instances
africaines régionales pour obtenir une assistance à l’organisatvion d’un
procès ne constituent pas une renonciation de sa part à exercer devs pour -

suites, d’autant moins que la Belgique elle-même a soutenu ces effvorts par
la promesse d’une assistance financière.
10. A priori donc, le différend ne porte pas sur l’interprétation de la
convention, dans la mesure où, à tort ou à raison, les deux Etavts semblent
s’accorder sur le contenu même des obligations qu’elle comportev — pour -

suivre ou extrader. Mais est-ce bien le cas, alors que la convention
demande simplement la saisine des autorités compétentes pour l’exercice
de l’action pénale et qu’il n’est pas établi, comme la Covur le constate avec
raison, que poursuivre ou extrader constituent une alternative et doivent
être placés sur le même plan ? Si toutefois l’on retient cette interprétation
qui semble commune aux deux Parties, il n’existe pas de différend entre

elles, mais bien plutôt un différend sur un retard alléguév dans leur mise en
œuvre et dans leur application par le Sénégal. C’est là uvne question de
fond, et en partie une question d’appréciation des faits et comporvtements
pertinents sur lesquels je reviendrai ultérieurement. Telle n’est vpas la posi -
tion de la Cour, qui retient sa propre définition du différend, même si elle

ne la formule pas de façon synthétique, et si elle en analyse les vcompo -
santes sans l’avoir clairement identifié au départ, avec sa ovu ses dates cri-
tiques successives.
11. A ce sujet, il me faut constater que les circonstances ont évolué v
entre 2009, date à laquelle a été examinée la demande de mesvures conser -

vatoires de la Belgique, et 2012, date de l’arrêt. En 2009, j’avi estimé que le
différend n’avait plus d’objet dès lors que le Sénégval avait confirmé son
engagement d’organiser un procès, d’exercer ainsi sa compétevnce pénale
conformément à la convention, que ce soit en saisissant ses juridivctions
internes ou en concourant à l’établissement d’un tribunal ad hoc. Trois
ans plus tard, les efforts entrepris n’ont pas abouti. Il est donc vlégitime de

s’interroger sur les raisons qui peuvent justifier ce retard. Dans ces condi -
tions, j’estime qu’il existe donc bien un différend. Toutefoivs, si l’on en

189

6 CIJ1033.indb 374 28/11/13 12:50 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. sur) 607

not extradite the individual concerned. Belgium considers that Senegal
has breached these four obligations by failing to amend in a timely man -

ner its domestic criminal legislation ; by failing to make the necessary pre-
liminary inquiry; by failing to submit the case to its competent authorities;
and by failing to extradite Hissène Habré — the successive requests made
to this end all having been rejected by the Senegalese courts to which they
were referred. In particular, Belgium claims that it has a right to demavnd

that Senegal perform these obligations and to invoke the latter’s respon -
sibility if it fails to do so.
9. Beyond that direct right which is claimed by Belgium, Senegal does
not dispute any of these obligations in principle. It has continually stvated
that it is committed to organizing the trial of Hissène Habré ; it advises
Belgium to re-issue its extradition request so that it complies with Senega -

lese law; and it points out that its domestic rules, both constitutional and
legislative, have been modified to allow for a trial to be held in Senegal. It
considers that the approaches it has made to the regional African authori-
ties so as to receive help with the organization of a trial do not constitute
an abandonment of its efforts to institute proceedings, especially givven

the fact that Belgium has itself supported these efforts with the promvise of
financial assistance.
10. A priori, therefore, the dispute does not concern the interpretation
of the Convention since, rightly or wrongly, both States appear to agreev
on the content of the obligations contained therein — to prosecute or

extradite. But are they correct, when the Convention simply requires thavt
the case be submitted to the competent authorities for the purpose of
prosecution and when, as the Court correctly points out, it is not estabv -
lished that prosecution and extradition are alternatives, or that the twvo
should be given equal weight ? If we accept this interpretation, however,
which both Parties seem to share, there is no dispute between them, but v

there is one over an alleged delay by Senegal in the implementation and v
performance of these obligations. This is a question on the merits and, vto
some extent, involves an assessment of the relevant facts and conduct, tvo
which I shall return later. Such is not the view taken by the Court, whivch
adopts its own definition of the dispute, although it fails to set outv exactly

what that definition is and proceeds to examine aspects of the disputev
without first having clearly identified it, together with its criticval date or
successive critical dates.
11. On this subject, I must point out that the circumstances changed
between 2009, when Belgium’s request for the indication of provisional

measures was examined, and 2012, the year of the Judgment. In 2009, I
believed that the dispute no longer had any object, since Senegal had covn -
firmed that it was committed to organizing a trial and to exercising ivts
criminal jurisdiction in accordance with the Convention, either by sub -
mitting the case to its domestic courts or by working towards the creativon
of an ad hoc tribunal. Three years later, those efforts have been unsuccess -

ful. It is legitimate, therefore, to question the reasons for this delayv. In the
light of this, it is my view that a dispute does exist. However, keepingv to

189

6 CIJ1033.indb 375 28/11/13 12:50 608 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

reste à la position commune des Parties, il me semble a priori porter
davantage sur le retard dans l’application par le Sénégal de lav convention

contre la torture que sur son interprétation.
12. Telle n’est pas la position de la Cour, qui retient bien un diffévrend
relatif à l’interprétation de la convention, mais en un sens qui lui est
propre. Elle ne pose pas une définition générale du diffévrend, mais suit
plutôt une démarche analytique. Celle-ci la conduit par exemple à consta-

ter que la composante du différend relative à l’absence d’vétablissement de
la compétence pénale du Sénégal à l’égard de personvnes soupçonnées pré -
sentes sur son territoire a pris fin en 2007, date de l’adoption des mesures
en cause. Elle écarte implicitement une autre composante, celle des dviffi -
cultés financières mentionnées par le Sénégal, dans la vmesure où il ne les

a jamais invoquées comme une justification propre à écarter un manque -
ment à ses obligations. Mais la Cour substitue aux positions apparem -
ment convergentes des Parties sa propre interprétation de la conventivon
contre la torture, sur deux points au moins : d’abord sur le caractère erga
omnes partes des obligations posées dans la convention ; ensuite sur la
différence de nature entre obligation de saisine des autorités cvompétentes

pour l’exercice de l’action pénale d’un côté et obligavtion d’extrader de
l’autre. Ce faisant, elle sort de la logique des Parties pour dévevlopper sa
propre interprétation. Elle s’appuie donc bien sur une divergence d’inter -
prétation, mais cette divergence l’oppose plutôt aux Parties quv’elle ne
divise les Parties elles-mêmes.

13. La Cour est parfaitement fondée à le faire, puisqu’il lui revievnt
d’établir l’objet du différend. Pour autant, l’interprévtation de la conven -
tion comme établissant une obligation erga omnes partes de saisir les
autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale est loin de me
convaincre. Elle m’apparaît davantage soit comme un artifice pouvr établir

la recevabilité d’une requête belge plus que douteuse, soit comvme un
moyen de parvenir à une autre fin que le règlement du diffévrend : donner
à la convention contre la torture un caractère général de novrme erga
omnes. Les deux peuvent même s’épauler, être à la fois l’ouvtil et le but
d’une sorte de sacralisation de la convention. C’est en ce sens novtamment

qu’il me semble que la logique de la Cour est davantage celle d’unv avis
consultatif, à portée abstraite et générale, que celle du rèvglement d’un
différend singulier et limité entre Etats. Dans ce cadre, il devvient secon -
daire de définir précisément ce différend et sa ou ses dvates critiques. Je
reviendrai sur ce point à propos du fond, puisque la ou les dates crivtiques
conditionnent l’appréciation du retard dans l’application par lve Sénégal

de la convention.

Arbitrage

14. La Cour n’a pas retenu l’argument du Sénégal suivant lequel une

condition préalable à sa compétence, l’impossibilité d’vorganiser un arbi -
trage entre les Parties, était remplie en l’occurrence. Elle se contentev d’ob-

190

6 CIJ1033.indb 376 28/11/13 12:50 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. sur) 608

the Parties’ common position, that dispute seems to concern, a priori, the
application of the Convention against Torture and Senegal’s delay in vthis

respect, rather than its interpretation.
12. Such is not the view of the Court, which finds that there is a dis -
pute — of which it has its own reading — relating to the interpretation of
the Convention. Rather than defining the dispute in general terms, thev
Court considers it in parts. This leads it to find, for example, that vthe part

of the dispute relating to Senegal’s failure to establish its criminavl juris -
diction in respect of suspects present in its territory ended in 2007, ovn the
date of the adoption of the measures concerned. It implicitly dismisses v
another part of the dispute — that relating to the financial difficulties
mentioned by Senegal — since Senegal has never invoked these as justifi -

cation for a breach of its obligations. However, the Court substitutes tvhe
Parties’ apparently convergent positions with its own interpretation vof the
Convention against Torture in respect of at least two points : first with
regard to the erga omnes partes character of the obligations laid down in
the Convention, and then to the difference in nature between the obligva -
tion to submit the case to the competent authorities for the purpose of v

prosecution and the obligation to extradite. In so doing, it departs from
the Parties’ reasoning in order to develop its own interpretation. Thvus,
although the Court relies on a difference of interpretation, it is in vfact its
interpretation which differs from that of the Parties, rather than thev Par-
ties’ interpretations which differ from each other.

13. The Court is perfectly founded in so doing, since it falls to it to detevr-
mine the subject-matter of the dispute. Nevertheless, I am far from con -
vinced by the interpretation that the Convention establishes anerga omnes
partes obligation to submit the case to the competent authorities for the
purpose of prosecution. What is more, it seems to me that this interpretva-

tion is either a deliberate tactic to establish the admissibility of a qvuestio-n
able Belgian Application, or a means of achieving an end other than the
settlement of the dispute, namely, to give the Convention against Torture
the status of an erga omnes norm. The two things may even go hand-in-ha:nd
one being the object of a sort of sacralization of the Convention, the ovther

being the means by which to achieve it. It is in this respect in particuvlar that
the Court’s reasoning seems to me to be more like that of an advisory opin -
ion, abstract and general in its application, than that of the settlemenvt of an
individual dispute limited to specific States. In that context, establvishing the
exact nature of the dispute and its critical date or dates becomes of sevcond -
ary importance. I shall return to this point in connection with the merivts,

since the critical date or dates determine how Senegal’s delay in thev imple -
mentation of the Convention is assessed.

Arbitration

14. The Court did not uphold Senegal’s argument that one of the con -

ditions of its jurisdiction, namely, that it has proved impossible to orvga -
nize arbitration between the Parties, has not been met in this instance. It

190

6 CIJ1033.indb 377 28/11/13 12:50 609 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

server que la Belgique a indiqué au Sénégal qu’elle souhaitait y recourir et
que cette demande est restée sans suite, le Sénégal se bornant và en prendre

acte. Il est vrai que ce rejet de l’argument du Sénégal est convforme à la
jurisprudence antérieure, et que la Cour n’est pas formaliste sur ce point.
On peut le regretter, car un formalisme minimal permettrait de lever touvte
équivoque en la matière. Lorsqu’elle expose la démarche de la Belgique
au sujet de l’arbitrage, la Cour lui attribue une continuité, une vcohérence

et une clarté que les documents fournis à la Cour sont loin de convfirmer.
Tout au contraire, ils laissent le sentiment d’un embrouillamini, volvon -
taire ou involontaire, qui ne permet pas de dégager de façon inconvtestable
la position des Parties à ce sujet, et surtout la continuité de lav position de
la Belgique.
15. Dans ses communications avec le Sénégal, la Belgique a toujours

poursuivi de front trois types de démarches : la négociation, autre préa -
lable à la saisine de la Cour, et dont il n’est pas contestable quv’elle a eu
lieu en fait, sans perspective d’aboutissement ; l’entraide judiciaire, prévue
à l’article 9 de la convention contre la torture, qui est de nature différente;
la demande d’arbitrage, qui n’a été suivie d’aucune prévcision complémen -

taire, telle que l’indication de l’objet du différend à soumettre au tribunal
arbitral, des propositions relatives à sa composition, les règles de fond à
examiner. Or la demande d’arbitrage a été parfois accompagnéve, souvent
suivie et comme recouverte par d’autres démarches de la Belgique qvui
relevaient de la poursuite de la négociation ou de propositions d’vassis -

tance judiciaire, de sorte que le Sénégal pouvait s’interroger vde bonne foi
sur le point de savoir si la demande d’arbitrage était maintenue ou sup -
plantée par un retour à la coopération judiciaire ou par la névgociation,
c’est-à-dire par un autre mode de règlement, voire de prévenvtion, du dif -
férend allégué. Le Sénégal a quant à lui pris acte de vla demande d’arbi -
trage, mais celle-ci n’a été suivie d’aucune proposition convcrète de la

Belgique relative aux conditions pratiques de l’organisation de l’varbitrage.
La convention distingue pourtant ces deux phases.

16. Si, en définitive, j’adhère à la solution retenue par la Cvour lors -
qu’elle pose que, l’arbitrage n’ayant pu être organisé, cvette condition

préalable à sa compétence est remplie, je regrette néanmoinsv qu’elle n’ait
pas saisi l’occasion de préciser la condition en cause. La Cour aurait pu
indiquer que, pour prévenir toute confusion en la matière, une demvande
d’arbitrage devait être présentée de façon autonome, distincte et séparée à
l’autre partie, à l’exclusion de toute autre communication évtrangère à

la demande, et qu’elle devait comporter clairement l’indication du divffé -
rend en cause ainsi que les modalités essentielles d’organisation vdudit
arbitrage. Alors le refus de la partie sollicitée, ou son silence penvdant une
période déterminée, ou l’échec d’une négociation suvr l’organisation de
l’arbitrage seraient sans ambiguïté. Cela ne me semble pas le cvas en
l’occurrence, surtout dès lors que les objets du différend —v extradition,

retard à adopter les mesures internes pour permettre l’exercice dev la
compétence pénale du Sénégal, retard à saisir les autoritvés pour déclen -

191

6 CIJ1033.indb 378 28/11/13 12:50 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. sur) 609

simply observes that Belgium made known to Senegal that it wished to
have recourse to arbitration and that this request went unanswered, Sen -

egal merely taking note of it. It is true that this rejection of Senegalv’s
argument is in keeping with earlier jurisprudence and that the Court is v
not formalistic on this point. Regrettably so, perhaps, since a minimal v
amount of formalism would avoid any ambiguity in the matter. When the
Court sets out Belgium’s approaches on the subject of arbitration, itv attri -

butes to them a continuity, coherence and clarity that is far from evidevnt
in the documents furnished to the Court. On the contrary, these are
somewhat confusing, intentionally or otherwise, making it impossible
clearly to discern the Parties’ positions in this respect and the convtinuity
of Belgium’s position in particular.
15. In its communications with Senegal, Belgium has always pursued

three approaches in parallel : negotiations — another precondition to the
seisin of the Court —, and there is no question that these have taken
place, with no prospect of success ; judicial co-operation, as provided for
in Article 9 of the Convention against Torture, which is of a different
nature; and the request for arbitration, which was not followed by any

additional details, such as an indication of the subject-matter of the dis -
pute to be submitted to the arbitral tribunal, proposals relating to thev
composition of that tribunal or the substantive rules to be examined. Thve
request for arbitration was, however, sometimes accompanied, often fol -
lowed, and as such obscured, by other approaches from Belgium concern-

ing the continuation of negotiations or proposals of judicial co-operation,
in such a way that Senegal might question in good faith whether the
request for arbitration was still valid, or whether it had been supersedved
by proposals of a return to judicial co-operation or negotiations, that is
to say, by another means of settling, or even preventing, the alleged divs -
pute. For its part, Senegal took note of the request for arbitration, buvt

this request was not followed by any concrete proposals from Belgium
regarding the practical details of its organization. The Convention, howv -
ever, makes a clear distinction between these two stages.
16. Although, in fact, I subscribe to the Court’s finding that, since
arbitration could not be organized, this precondition of its jurisdiction

has been met, I am nevertheless disappointed that the Court did not takev
this opportunity to clarify the condition in question. The Court could
have stated that, in order to avoid any confusion in the matter, a requevst
for arbitration should be put to the other party in an autonomous, dis -
tinct and separate way, with no other communication extraneous to the

request, and should clearly set out the dispute in question and the essevn -
tial organizational arrangements of the said arbitration. There would
therefore be no ambiguity about a refusal by the party approached or itsv
silence over a given period, or about the failure of negotiations concervn -
ing the organization of the arbitration. In my view, this is not true ofv the
present proceedings, especially since the subjects of the dispute — extradi -

tion, delay in adopting the domestic measures to enable Senegal to exer -
cise its criminal jurisdiction, delay in referring the case to the compevtent

191

6 CIJ1033.indb 379 28/11/13 12:50 610 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

cher des poursuites — sont demeurés indéterminés jusqu’au dépôt de la
requête devant la Cour.

Règles coutumières

17. La Cour a considéré qu’elle n’était pas compétente pouvr se pronon -
cer sur les violations par le Sénégal d’autres règles de droit international
alléguées par la Belgique, spécialement d’une règle évventuelle de droit

coutumier comportant l’obligation de poursuivre ou d’extrader, quiv a
donné son intitulé au présent arrêt. Cette compétence évtait fondée sur une
autre base, les déclarations convergentes de la Belgique et du Sénégal
d’acceptation de la compétence de la CIJ. Selon moi, la Cour n’va en
aucune façon justifié son refus. Il ne me semble donc pas fondév en droit et

ne pas faire justice à la demande de la Belgique à ce sujet. Le Sévnégal
méritait au demeurant lui aussi d’être éclairé sur ce poivnt.
18. Je regrette de constater que cette déclaration d’incompétence
semble résulter d’un double souci. D’une part, éviter de s’vengager dans
une longue discussion qui aurait pu retarder l’examen de l’affaivre, simpli -

fier ainsi le différend en le limitant à la convention contre vla torture.
D’autre part, éviter d’avoir à constater que la règle couvtumière invoquée
par la Belgique n’existait pas, afin de ne pas entraver sa consévcration cou -
tumière ultérieure éventuelle, laisser donc planer le doute surv ce point en
attendant d’autres développements. En dépit du silence de la Covur, peut-
être même à cause de ce silence, il semble clair qu’une oblivgation coutu -

mière de poursuivre ou d’extrader, voire simplement de poursuivre,v ne
peut être établie en droit positif. Il convenait de le déterminver pour
répondre à la demande de la Belgique. La Cour aurait à mon sensv dû se
déclarer compétente sur ce point et l’examiner au fond. J’esvtime qu’elle
n’a pas pleinement exercé à cet égard sa mission de règlement du diffé -

rend. J’ai donc voté contre cet élément du dispositif.

II. Recevabilité de la requvête de la Belgique

19. Là est à mes yeux le point central de l’affaire, et là révside l’aspect
de la décision de la Cour dont je me sens le plus éloigné. La Bvelgique est-
elle fondée à demander au Sénégal l’exécution des oblivgations qu’elle
invoque de la convention ? Quel droit peut-elle faire valoir ? Est-elle un

Etat lésé par un manquement éventuel, de sorte qu’elle puisse demander
la constatation du manquement allégué et sa réparation ? Elle fait valoir à
ce titre deux types d’arguments. Sa compétence pénale passive dv’un côté,
des ressortissants belges ayant déposé plainte contre Hissène Habré en
Belgique, ce qui a justifié une demande d’extradition de sa partv. C’est
même son argument principal. Sa situation de partie à la conventiovn

d’autre part, qui justifierait en soi la demande d’exercice de pvoursuites par
le Sénégal, et à défaut l’extradition vers la Belgique, en tant qu’Etat non

192

6 CIJ1033.indb 380 28/11/13 12:50 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. sur) 610

authorities for the institution of proceedings — remained undetermined
until the filing of the Application with the Court.

Customary Rules

17. The Court found that it did not have jurisdiction to rule on Bel -
gium’s allegations that Senegal had breached other rules of internativonal
law, in particular a possible customary rule containing the obligation tvo

prosecute or extradite, which has given its title to the present Judgmenvt.
It had jurisdiction on another basis : the convergent declarations of Bel -
gium and Senegal recognizing the jurisdiction of the ICJ. In my view, thve
Court has completely failed to justify its refusal. It seems to me, thervefore,
that this refusal is unfounded in law and that proper consideration has v

not been given to Belgium’s claim in this respect. Senegal also deservved
clarification on this point.
18. I am sorry to note that this declaration of lack of jurisdiction
appears to be the result of a twofold concern. On the one hand, to avoidv
being drawn into a lengthy discussion which might delay the deliberationv

in the case, and thus to simplify the dispute by confining it to the Conven -
tion against Torture ; on the other, to avoid having to find that the cus -
tomary rule invoked by Belgium did not exist, so as not to hinder its
possible subsequent establishment in customary law, and thus to main -
tain the uncertainty surrounding this point, pending further develop -
ments. Despite the Court’s silence — perhaps even on account of it — it

seems clear that the existence of a customary obligation to prosecute orv
extradite, or even simply to prosecute, cannot be established in positivve
law. It was necessary to determine that in order to respond to Belgium’vs
claim. To my mind, the Court should have declared that it had jurisdic -
tion over this issue and considered it on the merits. In this respect, Iv

believe that it has failed fully to carry out its task of settling the dvispute.
For that reason, I voted against this part of the operative clause.

II. Admissibility of Belgiuvm’s Application

19. This, to my mind, is the central point of the case, and the aspect
of the Court’s decision with which I find it hardest to agree. Is Belgvium
entitled to request that Senegal perform obligations which the former
claims are incumbent upon it under the Convention ? What right can it

assert? Is it a State injured by a possible breach, meaning that it may seek
the finding of the alleged breach and reparation for it ? Belgium puts
forward two arguments to this effect. On the one hand, it argues that it
has passive criminal jurisdiction, since Belgian nationals have filed vcom -
plaints against Hissène Habré in Belgium, which justifies its extradition
request. This is in fact its principal argument. On the other hand, it cvon -

tends that its status as a party to the Convention is, in itself, groundvs
for requesting as a non-injured State that Senegal should initiate pro-

192

6 CIJ1033.indb 381 28/11/13 12:50 611 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

lésé. Cette deuxième approche s’est renforcée au cours dev la procédure
devant la Cour, elle a même tendu in fine à se substituer à la première, ce

qui témoigne au demeurant du fait que la Belgique avait été convduite à
mesurer sa faiblesse.

20. Dans le présent arrêt, la Cour a écarté l’examen de la covmpétence
pénale passive de la Belgique, qui a pourtant fondé tout son compovrte -

ment au cours du différend et même constitué un argument essevntiel de sa
requête. La Cour recourt à une économie de moyens que l’on peut regret -
ter, parce qu’elle ne répond pas à l’ensemble des arguments vdes Parties,
positifs ou négatifs. Elle évite aussi de constater que ce fondemevnt, la
compétence pénale passive de la Belgique, ne peut être invoquév en l’oc -

currence. La Cour ne retient qu’une autre base de recevabilité, l’vexistence
d’une obligation erga omnes partes, qui n’a été invoquée que tardivement,
dont le fondement est pour le moins incertain et qu’à mon sens elle ne
justifie nullement.

Non-pertinence de la compétence pénale passive de la Belgique

21. La Belgique a d’abord fondé sa demande d’extradition ainsi que
son droit de demander que l’affaire soit soumise aux autorités cvompé -
tentes pour l’exercice de l’action pénale au Sénégal sur vsa compétence
pénale passive, en raison de la nationalité belge de victimes allévguées.
Mais les nationaux belges en cause n’avaient acquis cette nationalitév que

de longues années après les faits, de sorte que l’opposabilitév de cette natu -
ralisation au Sénégal faisait difficulté. En effet, le Sévnégal ne reconnaît sa
compétence passive qu’à l’égard de victimes qui possédvaient sa nationalité
au moment des faits. Or l’établissement de la compétence pénale des par -
ties requise par la convention contre la torture est en effet facultatvive pour

ce qui est de leur compétence pénale passive, de sorte que les autvres par -
ties ne sont pas tenues de la reconnaître, surtout dès lors que levur propre
droit pénal ne la prévoit pas. La demande d’extradition devenaivt dès lors
irrecevable, de même que le droit de la Belgique de demander au Sénégal
d’exercer lui-même sa compétence pénale, puisqu’elle n’vavait plus de droit

propre à invoquer en tant qu’Etat lésé.
22. L’invocation par la Belgique de sa compétence pénale passive
n’était pas seulement théorique. Elle correspond à son compovrtement
constant tout au long de l’affaire. Ce n’est en effet qu’apvrès avoir enregis-
tré et traité les plaintes en Belgique des victimes alléguéevs, cinq ans après

le dépôt des plaintes, que la Belgique transmet une demande d’extradition
au Sénégal. C’est alors qu’elle estime avoir un droit proprev à faire valoir
pour obtenir l’extradition ou pour que des poursuites soient engagéves au
Sénégal. Le fondement en est les plaintes déposées en Belgiqvue. Ce com -
portement démontre à lui seul que la Belgique n’a pas alors envvisagé de se
fonder sur un autre argument que cette compétence pénale passive. vElle

semblait à l’origine du différend, elle en était la base dvans la requête ini -
tiale de la Belgique, si même elle n’était pas à l’originve de la ratification

193

6 CIJ1033.indb 382 28/11/13 12:50 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. sur) 611

ceedings and, if it fails to do so, should extradite Mr. Habré to Belgium.
It was this second argument that was pushed to the fore during the pro -

ceedings before the Court and which, in the end, appeared to take prece -
dence over the first, thereby demonstrating that Belgium had been forcved
to take account of the weakness of that first argument.
20. In the present Judgment, the Court decided not to examine Bel -
gium’s passive criminal jurisdiction, despite the fact that this servved as the

basis of the latter’s conduct throughout the dispute, and was indeed va
fundamental argument in its Application. The Court resorts to an econ -
omy of means, regrettable in that it fails to address all of the Partiesv’
arguments, whether positive or negative. The Court also avoids noting
that this basis, i.e., the passive criminal jurisdiction of Belgium, canvnot be

relied upon in this case. The Court simply upholds another basis of
admissibility: the existence of an obligation erga omnes partes, which was
invoked only belatedly, whose foundation is doubtful to say the least anvd
which, in my view, the Court fails to justify in any way.

Irrelevance of Belgium’s Passive Criminal Jurisdiction

21. Belgium initially founded its extradition request, and its right to
request that the case be submitted to the competent authorities for the v
purpose of prosecution in Senegal, on its passive criminal jurisdiction,v on
account of the Belgian nationality of some of the alleged victims. How -
ever, the Belgian nationals in question had only acquired that nationalivty

several years after the facts, and thus relying on this naturalization
vis-à-vis Senegal raised difficulties, since Senegal only recognizes Bel -
gium’s passive jurisdiction in respect of victims who possessed Belgivan
nationality at the time of the facts. Under the Convention against Tor -
ture, the parties are not obliged to establish their passive criminal juvris -

diction, meaning that the other parties are not obliged to recognize it,v in
particular when their own criminal law makes no provision for it. Accordv -
ingly, Belgium’s request for extradition became inadmissible, as did its
right to request that Senegal exercise its criminal jurisdiction, since vit no
longer had a direct right to invoke as an injured State.

22. Belgium’s reliance on its passive criminal jurisdiction was not
simply theoretical. It can be seen in its unwavering conduct throughout v
the case. Indeed, it was only after having registered and addressed in Bvel-
gium the complaints of the alleged victims, five years after the filving of

those complaints, that Belgium transmitted an extradition request to Senv -
egal. That is when it considered that it had a direct right entitling itv to
seek extradition or the institution of proceedings in Senegal. The basisv for
that entitlement is the complaints filed in Belgium. This conduct alonve
demonstrates that Belgium did not, therefore, envisage relying on any
basis other than this passive criminal jurisdiction. It was this which ivt

cited at the outset of the dispute and which was the basis of its initiavl
Application, even if it was not the reason behind its belated ratificavtion of

193

6 CIJ1033.indb 383 28/11/13 12:50 612 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

tardive de la convention contre la torture par la Belgique. Naturalisativon,
ratification, dépôt de plaintes en Belgique se sont en effet evnchaînés en

quelques mois avec une rapidité, presque une simultanéité propivces.
23. Si la demande adressée par la Belgique en 2005 avait été fondéve sur
un droit ou sur un intérêt spécial qu’elle tirait de la convvention au seul
titre d’Etat partie, sur la base d’une obligation erga omnes partes suppo -
sée, c’est dès qu’elle y est devenue partie, en 1999, qu’velle aurait dû la

formuler. Elle aurait dû réclamer dès ce moment l’engagement de pour -
suites au Sénégal, poursuites qui lui auraient été dues en dvehors de toute
plainte et simplement en sa qualité de partie à la convention contvre la
torture. Surtout, dès lors que la Belgique considère que la violation allé -
guée remonte à 2000, c’est-à-dire lors de l’échec au Svénégal de plaintes
contre Hissène Habré, c’est dès ce moment qu’elle aurait vdû soulever la

question. Elle aurait même été fondée à le faire, je le rvappelle, dès qu’elle
est devenue partie à la convention, puisque la présence de Hissèvne Habré
sur le territoire du Sénégal était de notoriété publique,v ainsi que les soup -
çons dont il faisait l’objet.
24. L’abstention de la Belgique à ce stade démontre qu’elle n’va pas

alors retenu cette interprétation de la convention. Si en effet une plainte
d’un particulier non suivie d’engagement de poursuites pénales vest néces -
saire à l’existence d’un différend interétatique et àv la réclamation de l’exé-
cution de la convention, cela revient à privatiser une obligation erga
omnes partes qui doit peser, si elle existe, directement et exclusivement sur

les Etats parties. En revanche, si le titre invoqué est la compétevnce pénale
passive, il est justifié que des plaintes soient nécessaires pouvr qu’une
demande d’extradition soit articulée. En d’autres termes, une cvompétence
erga omnes partes s’exerce immédiatement et n’est pas conditionnée par
des plaintes individuelles. En revanche, le titre de compétence pévnale spé -
cifique invoqué par une partie à l’encontre d’une autre pavrtie suppose que

les victimes ou leurs ayants droit en aient déclenché l’exercicve et que l’Etat
qui dispose de ce titre le revendique auprès de l’Etat sollicité. Je revien -
drai sur ce point, négligé par la Cour, en examinant l’existencve ou non
dans la convention contre la torture d’une obligation erga omnes partes
de soumettre une affaire aux autorités compétentes pour l’exevrcice de

l’action pénale, à défaut d’extrader.
25. Ainsi, tout le comportement de la Belgique jusqu’à la procédurev
orale incluse a été fondé sur l’invocation de sa compétenvce pénale passive.
Elle a par exemple à ce titre demandé à plusieurs reprises, et vtout récem -
ment encore, l’extradition de Hissène Habré, toujours sur la bavse des

plaintes de victimes alléguées. La Cour n’est certes pas liéve par cette argu -
mentation. Dans la détermination et l’interprétation des règles qu’elle
applique, elle peut invoquer d’autres éléments et fonder sa convviction sur
ses propres conceptions. C’est en réponse à une question poséve par un
juge que la Belgique a mis l’accent à titre principal sur la situavtion parti -
culière de la Belgique en tant qu’Etat non lésé, qui fonde lva décision posi-

tive de la Cour sur la recevabilité de la requête. Encore faut-il vque la Cour
explique et justifie juridiquement sa position. Selon moi, elle se borvne à

194

6 CIJ1033.indb 384 28/11/13 12:50 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. sur) 612

the Convention against Torture. Naturalization, ratification, the filving of
complaints in Belgium: they all followed on from one another within the

space of a few months with propitious speed, indeed almost simultaneouslvy.
23. Although Belgium founded the request it made in 2005 on a right
or special interest which it claimed to enjoy under the Convention by sole
virtue of its capacity as a State party, on the basis of an alleged oblivgation
erga omnes partes, it should have made that request as soon as it became

a party to the Convention, in 1999. It should have called at that time fvor
the opening of proceedings in Senegal, proceedings which would have
been owed to it irrespective of any complaints and simply in its capacitvy
as a party to the Convention against Torture. Above all, since Belgium
considers that the alleged breach dates back to 2000, that is to say, tov the
point when complaints against Hissène Habré failed in Senegal, it should

have raised the matter then. It would even have been justified in so dvoing,
I would reiterate, as soon as it became a party to the Convention, sincev
the presence of Hissène Habré in Senegalese territory was common
knowledge, as were the allegations against him.
24. Belgium’s lack of action at that stage demonstrates that it did not

hold this interpretation of the Convention at the time. If a complaint bvy
an individual which has not resulted in proceedings being brought is
necessary for an inter-State dispute to exist and for implementation of the
Convention to be required, that amounts to “privatizing” an erga omnes
partes obligation which, if it exists, must be borne directly and exclusively v

by the States parties. On the other hand, if the title invoked is passivve
criminal jurisdiction, there is justification for complaints being a pvre-
requisite for extradition requests. In other words, erga omnes partes juris-
diction takes effect immediately and is not dependent on individual
complaints, whereas a title of specific criminal jurisdiction invoked vby one
party against another supposes that the exercise of such jurisdiction wavs

initiated by victims or their dependants and that the State having that v
title claims it in respect of the State addressed. I shall return to thivs point,
overlooked by the Court, when examining whether or not there is an erga
omnes partes obligation in the Convention against Torture to submit a
case to the competent authorities for the purpose of prosecution, failinvg

extradition.
25. Thus, Belgium’s entire conduct up to and including the oral pro -
ceedings was founded on its passive criminal jurisdiction. For example, vit
is on this ground that it requested on several occasions, including quite
recently, the extradition of Hissène Habré, each time on the basis of com -

plaints of alleged victims. The Court, of course, is not bound by this rea -
soning. In determining and interpreting the rules that it applies, it mavy
invoke other elements and base its finding on its own considerations. vIt
was in response to a question put by one of the judges that Belgium
focused on its particular position as a non-injured State, which is the
basis for the Court’s positive ruling on the admissibility of the Applica -

tion. The Court should explain and justify its position legally. In my vview,
it merely asserts that there is an erga omnes partes obligation incumbent

194

6 CIJ1033.indb 385 28/11/13 12:50 613 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

l’affirmation prétorienne d’une obligation erga omnes partes pesant sur le
Sénégal, obligation erga omnes partes dont l’analyse montre la faiblesse,

sinon l’absence de bases juridiques dans la convention elle-même.

Inexistence de l’obligation erga omnes partes invoquée

26. L’obligation pour les parties, dès lors que l’auteur présumév d’une
infraction définie sur la base de la convention est découvert suvr un terri -

toire sous leur juridiction, de saisir leurs autorités compétentesv pour
l’exercice de l’action pénale aux fins de poursuite est une ovbligation de
procédure mais non de fond, puisqu’en définitive les poursuitves peuvent
ne pas avoir lieu pour des raisons qui ne nous intéressent pas ici. Lva Cour
estime que cette obligation vaut erga omnes partes, de sorte que toutes les

parties sont fondées à en réclamer l’exécution indépenvdamment de tout
lien particulier avec des victimes alléguées. Elle affirme ainsi de façon
générale et indifférenciée trois principes, ou trois prévsupposés, dont aucun
n’est véritablement démontré, qui même semblent contreditvs par l’analyse
de la convention.

27. Les trois présupposés en cause sont les suivants. Premièrement,v il
existe certains traités établissant des obligations erga omnes partes.
Deuxièmement, c’est le cas pour la convention contre la torture, pvarce
qu’elle rentre dans une catégorie particulière de traités, catégorie au
passage ignorée par la convention de Vienne sur le droit des traitévs qui
codifie le droit coutumier en la matière. Troisièmement que les vobliga -

tions de la convention rentrent toutes dans cette catégorie, et spécialement
l’obligation de saisir les autorités compétentes pour le déclenchement de
poursuites pénales. Je mentionne rapidement la première affirmativon
parce que, à supposer qu’elle soit exacte en droit positif, il n’ven
résulte nullement que la convention contre la torture réponde aux v

conditions posées, et surtout la convention dans son intégralitév.
28. a) Sur ce premier point, la Cour invoque le dictum de l’affaire de
la Barcelona Traction (Barcelona Traction, Light and Power Company,
Limited (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970)
relatif aux obligations erga omnes. Il n’est guère pertinent en l’espèce,

puisque ce qui est en cause, ce sont des obligations d’origine convenvtion-
nelle et non coutumières, et qu’au surplus la Cour s’est décvlarée incompé-
tente pour connaître des règles coutumières dans le cadre du prvésent
différend. La Cour invoque également un dictum dans l’avis consultatif
sur les Réserves (Réserves à la convention pour la prévention et la répres -

sion du crime de génocide, C.I.J. Recueil 1951), qui concernait en effet un
traité, la convention sur la prévention et la répression du crivme de géno -
cide, et donc des obligations erga omnes partes. Mais en l’occurrence la
Cour relevait que les règles concernées étaient coutumières,v obligatoires
indépendamment de la participation à la convention. Elle utilisait en
outre cette considération pour assouplir le droit d’émettre desv réserves

opposables aux autres Etats en énonçant le critère de la compatibilité
avec l’objet et le but de la convention. Il est paradoxal que l’on invoque

195

6 CIJ1033.indb 386 28/11/13 12:50 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. sur) 613

on Senegal, an examination of which demonstrates the weakness, if not
lack, of legal bases in the Convention itself.

Non-Existence of the Obligation Erga Omnes Partes Which Is Invoked

26. The obligation for the parties, as soon as the alleged perpetrator of
an offence as defined in the Convention is discovered in territory uvnder

their jurisdiction, to submit the case to their competent authorities fovr the
purpose of prosecution is a procedural obligation, but not a substantive
one, since it may be that proceedings cannot take place, for reasons which
are not of interest to us here. The Court considers that this obligation is
valid erga omnes partes, meaning that all parties may call for its perfor -

mance, regardless of whether they have a specific connection to the alvleged
victims. To this end, it puts forward three general and undifferentiated
principles or presuppositions, none of which is truly demonstrated, and v
which even appear to be contradicted by an examination of the Conven -
tion.

27. The three presuppositions in question are the following. First,
there are certain treaties establishing obligations erga omnes partes.
Second, the Convention against Torture is one of these, because it fallsv
into a particular category of treaties, a category which, incidentally, vis
overlooked by the Vienna Convention on the Law of Treaties codifying
customary law on the subject. Third, all of the obligations contained inv

the Convention fall into this category, in particular the obligation to vsub-
mit the case to the competent authorities for the institution of criminavl
proceedings. I shall refer briefly to the first assertion because, svupposing
it to be true in positive law, it would in no way imply that the Conven-
tion against Torture, particularly the Convention in its entirety, meetsv

the conditions that are laid down.
28. (a) On this first point, the Court invokes the dictum of the Bar-
celona Traction case (Barcelona Traction, Light and Power Company,
Limited (Belgium v. Spain), Second Phase, Judgment, I.C.J. Reports 1970)
relating to erga omnes obligations. This is of no relevance to the present

case because it pertains to obligations of conventional, not customary
origin and because, moreover, the Court has ruled that it does not have v
jurisdiction to take cognizance of customary rules in the context of thev
present dispute. The Court also invokes a dictum from its Advisory Opin-
ion on the Reservations to the Convention on the Prevention and Punish -

ment of the Crime of Genocide (I.C.J. Reports 1951), which concerned a
treaty, the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of v
Genocide, and therefore obligations erga omnes partes. In those proceed -
ings, however, the Court noted that the rules in question were customaryv
ones that were obligatory irrespective of participation in the Conventiovn.
What is more, it used this finding to temper the right to make reservavtions

having effect for other States, by stipulating that the reservation muvst be
compatible with the object and purpose of the Convention. It is a para -

195

6 CIJ1033.indb 387 28/11/13 12:50 614 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

une sorte d’ordre public international pour justifier que des révserves y
soient apportées — mais en toute hypothèse cela exclut le caractère erga

omnes partes des stipulations sur lesquelles peuvent porter les réserves.

29. Dans les deux cas, il s’agit soit d’un obiter dictum, soit d’une consi-
dération qui n’était pas essentielle pour le règlement du différend ou pour
la réponse à la question. Ici, à l’inverse, l’effet erga omnes partes est au

cœur de la recevabilité, et demande donc à être examiné avec soin. On
aurait déjà pu se demander si la règle invoquée par la Belgivque était de
nature coutumière, au-delà de sa base conventionnelle. Mais la Couvr ne
peut se prononcer sur ce point en raison de sa déclaration d’incomvpé -
tence. En toute hypothèse, il convient de distinguer les obligations vde leur
support normatif, conventionnel ou coutumier. Un traité peut en effvet

comporter des obligations de nature différente, et l’existence dv’une obliga -
tion erga omnes partes ne peut être ni présumée ni inférée pour l’ensemble
du traité de la présence d’une obligation erga omnes partes en son sein.
30. b) S’agissant du second point, on doit en conséquence considérer
les stipulations de la convention de façon analytique, distinguer entvre

celles qui sont erga omnes et celles qui ne le sont pas. Raisonner autre -
ment relève d’une approche plus idéologique que juridique de la question.
Considérer la convention comme un bloc, alors même que les résevrves y
sont autorisées, y compris sur la définition même de la tortuvre, que cer -
taines stipulations sont optionnelles et d’autres facultatives, que cvertaines

reflètent des règles coutumières et d’autres non, ne me sevmble pas juridi -
quement fondé. Le problème juridique est dès lors celui de l’interpréta -
tion de la convention contre la torture, et non de son inscription par
affirmation prétorienne dans une catégorie spécifique de travités qui crée -
raient des obligations erga omnes partes par nature. Implicitement, la
Cour se fonde sur le projet d’articles de la Commission du droit intevrna -

tional (la « CDI») sur la responsabilité internationale des Etats. Or il est
loin d’être reconnu comme formulant en la matière des règles de droit
international coutumier, et l’adoption d’une convention de codifivcation
de la responsabilité internationale des Etats n’a jamais étév sérieusement
envisagée, faute d’accord à ce sujet. Comment en tirer sans autvre explica -

tion une norme de droit positif ?
31. La CDI elle-même a estimé que les articles relatifs aux « Etats
autres que les Etats lésés» relevaient du développement progressif, c’est-à-
dire n’appartenaient pas au droit coutumier en temps que lex lata. Le
souci de la Cour d’apporter un appui à leur consécration l’evmporte en

l’occurrence, je le crains, sur la considération objective d’unv différend
qu’elle doit régler «conformément au droit international », suivant les
termes de l’article 38 de son Statut. C’est sur cette base très douteuse que
la Cour établit cependant la recevabilité de la requête de la Bvelgique, à
l’encontre même du comportement concret de l’Etat dans la prévsente
affaire. Il convient en effet non de partir d’un présupposév général, mais

d’interpréter la stipulation en cause de la convention sur la tortvure, celle
qui prévoit l’obligation pour tout Etat partie de soumettre «à ses autori -

196

6 CIJ1033.indb 388 28/11/13 12:50 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. sur) 614

dox to invoke some form of international public order so as to justify
making reservations to it — and, in any event, that disregards the erga

omnes partes character of the provisions to which such reservations may
be made.
29. These two cases involved either an obiter dictum or a finding that
was not essential to the settlement of the dispute or the response to thve
question. Here, by contrast, the erga omnes partes effect is crucial to

admissibility, and thus must be considered carefully. It might have beenv
possible to consider whether the rule invoked by Belgium was customary
as well as conventional. However, the Court cannot rule on this point
because of its declaration that it lacks jurisdiction. In any event, oblviga -
tions should be distinguished from their normative, conventional or cus -
tomary framework. A treaty may contain obligations of differing naturevs,

and the erga omnes partes character of a treaty as a whole cannot be
presumed or inferred from the presence of an erga omnes partes obliga -
tion therein.
30. (b) With respect to the second point, the provisions of the Con -
vention must therefore be considered one by one, in order to distinguishv

between those which have an erga omnes character and those which do
not. To reason otherwise would be to adopt an approach to the question
that is more ideological than legal. In my view, regarding the Conventiovn
as a unit — even though reservations may be made to it, including in
respect of the very definition of torture, even though some requiremenvts

are optional and others discretionary, and even though certain stipula -
tions reflect customary rules while others do not — has no legal basis.
The legal issue is thus the interpretation of the Convention against
Torture and not its inclusion by declaration of the Court in a specifivc
category of treaties said to create erga omnes partes obligations by their
nature. The Court relies implicitly on the draft Articles of the Internav -

tional Law Commission (the “ILC”) on Responsibility of States. Hvow -
ever, it is far from accepted that these express international customaryv
law in the matter, and the adoption of a convention codifying the inter -
national responsibility of States has never been seriously envisaged, duve
to a lack of agreement on the subject. How can a norm of positive law bev

drawn from this without further explanation ?
31. The ILC itself believed that the articles relating to “States other
than injured States” fell within the realm of progressive development, i.e.,
that they were not part of customary law as lex lata. In this case, I fear
that the Court’s desire to support their establishment has taken prece -

dence over the objective consideration of a dispute which it has to settvle
“in accordance with international law”, under the terms of Article 38 of its
Statute. It is on this very questionable basis, however, that the Court v
founds the admissibility of Belgium’s Application, even though this cvon -
tradicts the actual conduct of the latter in the present case. It is essvential
not to start from a general presupposition, but to interpret the relevanvt

provision of the Convention against Torture which lays down the obliga -
tion for every State party to submit “to its competent authorities for the

196

6 CIJ1033.indb 389 28/11/13 12:50 615 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

tés compétentes pour l’exercice de l’action pénale » toute personne soup -
çonnée des infractions visées et trouvée sur son territoire.v

32. Cette stipulation ne saurait être confondue avec celles qui prévoivent
des mesures visant à empêcher la torture ou l’établissement de la compé -
tence pénale des parties en la matière. Renforcer la lutte contre la torture
passe d’abord par des mesures prévoyant son interdiction absolue, ven
toutes circonstances et sous aucun prétexte, comme le fait l’article 2 de la

convention contre la torture. La prévention est l’essentiel, parcev que,
lorsque doivent intervenir des poursuites pénales, il est déjà vtrop tard.
L’interdiction universelle de la torture est ainsi une règle coutuvmière, ce
qui n’est pas le cas de l’obligation de déclencher des poursuitves. Il ne me
semble pas contestable que cette interdiction de la torture est égalevment
une « obligation intransgressible » au sens de l’avis consultatif de la Cour

sur la Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un Etat da▯ns un
conflit armé (C.I.J. Recueil 1996 (I)). Mais ce caractère ne s’étend pas
nécessairement, et ne s’étend ni en droit ni en fait à toutevs les autres obli -
gations résultant de la convention.
33. Pour ce qui est de l’interdiction de la torture, la notion d’« obliga -

tion intransgressible » est certainement préférable à une référence au jus
cogens, parce que celui-ci est censé annuler des traités contraires. Imav -
gine-t-on un traité par lequel des Etats s’autoriseraient mutuellevment à
pratiquer la torture ? C’est bien plutôt par des actes matériels que l’obli -
gation se trouve violée. En toute hypothèse, elle vise des comportvements

physiques ou psychologiques, voire des ordres donnés, des instructionvs,
des planifications suivies des comportements en cause, plus que des traités
internationaux. Cela résulte en particulier des termes mêmes de l’varticle 2
de la convention. C’est une répression pénale individuelle qu’vappellent de
tels actes et l’ascension normative internationale de leur condamnation de
principe n’offre d’autre conséquence concrète que la satisfaction morale

de ceux qui la prononcent.
34. c) S’agissant du troisième point, la stipulation établissant l’vobliga -
tion de soumettre l’affaire aux autorités compétentes pour l’vexercice de
l’action pénale est précisément d’une nature différevnte de l’interdiction de
la torture elle-même. Son interprétation doit s’appuyer sur la vrègle géné -

rale d’interprétation formulée dans la convention de Vienne surv le droit
des traités entre Etats, unanimement considérée et appliquéev par les Etats,
y compris ceux qui ne sont pas partie à ladite convention, comme reflvé -
tant le droit coutumier. Cette règle est incontestablement plus solidve que
celle qui tente de faire accepter les droits des « Etats autres que les Etats

lésés ». La règle générale d’interprétation en cause se réfèvre au texte du
traité suivant le sens naturel et ordinaire de ses termes, en tenant vcompte
de son contexte, dont la pratique suivie par les parties dans l’applivcation
du traité, de l’intention des parties, et de son objet et de son bvut.
35. La Cour ne semble pas avoir tenu compte de ces prescriptions. Elle
a en réalité retenu une interprétation téléologique, consvtruisant à partir

d’un but posé par elle comme gouvernant l’ensemble des prescripvtions,
une obligation erga omnes partes qui ne trouve ni base dans le texte, ni

197

6 CIJ1033.indb 390 28/11/13 12:50 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. sur) 615

purpose of prosecution” any person suspected of committing the offences
referred to in the Convention present in its territory.

32. This provision should not be confused with those which call for
measures aimed at the prevention of torture or the establishment of the v
parties’ criminal jurisdiction in the matter. Furthering the fight against
torture begins with measures providing for its absolute prohibition, in vall
circumstances and under any pretexts, as laid down in Article 2 of the

Convention against Torture. Prevention is key : if prosecution is neces -
sary, it is already too late. The universal prohibition of torture is thvus a
customary rule; the same is not true of the obligation to prosecute. In my
view, there is no question that the prohibition of torture is also an
“intransgressible obligation”, in the sense of the Court’s Advisory Opinion
on the Legality of the Use by a State of Nuclear Weapons in Armed Con -

flict (I.C.J. Reports 1996 (I)). However, this definition does not auto -
matically apply ; nor does it extend in either law or fact to all other
obligations in the Convention.

33. With regard to the prohibition of torture, the notion of an “intrans-

gressible obligation” is certainly preferable to a reference to jus cogens,
since the latter is supposed to render incompatible treaties null and vovid.
Is a treaty in which States would mutually authorize the practice of torv -
ture really conceivable? It is rather by material actions that the obligation
is breached. In any case, the obligation relates to physical and psycho -

logical conduct, in other words, the orders and instructions given and tvhe
premeditated acts in question, rather than to international treaties. Thvis is
clear from the terms of Article 2, in particular. Such acts call for indi -
vidual criminal sanctions, and the raising of their systematic condemna -
tion to the level of an international norm has no tangible effect othevr than
the moral satisfaction of those pronouncing it.

34. (c) As for the third point, the provision establishing the obliga -
tion to submit the case to the competent authorities for the purpose of v
prosecution is clearly of a different nature to the prohibition of torvture
itself. Its interpretation must be based on the general rule of interprevta -

tion as set forth in the Vienna Convention on the Law of Treaties betweevn
States, which is considered and applied by all States, including those nvot
party to it, as reflecting customary law. This rule is unquestionably vbetter
established than that which seeks recognition of the rights of “States
other than injured States”. The general rule of interpretation refers to the

text of the treaty according to the natural and ordinary meaning of its v
terms, while also taking account of its context, including the practice fol -
lowed by States in the application of the treaty, the intention of the pvar -
ties, and the treaty’s object and purpose.
35. The Court does not appear to have taken account of these direc -
tives. Rather, it has adopted a teleological interpretation, constructinvg,

on the basis of a purpose which is said by it to govern all of the proviv -
sions, an obligation erga omnes partes which is not substantiated by the

197

6 CIJ1033.indb 391 28/11/13 12:50 616 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

dans l’intention des parties, et encore moins dans leur pratique. Surtout,
elle n’a même pas entrepris leur examen, se bornant à des affivrmations de

principe sans démonstration. L’objet et le but de la convention, tvels que
construits par la Cour, ont absorbé et comme aboli toutes les autres v
considérations. La Cour semble à cet égard soucieuse de reflévter l’air du
temps, de ne pas se couper de certaines juridictions, notamment de l’vesprit
des juridictions pénales internationales, et de ne pas apparaître comme

retardataire par rapport à elles. Mais en l’occurrence il s’agivt d’interpréter
une convention, non de conduire un procès.
36. Si l’on considère d’abord le texte de la convention contre la torture,
on observe que toutes les parties sont loin d’appartenir à un ensevmble
homogène qui assumerait les mêmes obligations et pourrait revendiqvuer
les mêmes droits. Toutes les parties ne sont par exemple pas obligéves d’éta -

blir leur compétence pénale dans les mêmes conditions. L’oblvigation gén-é
rale n’existe que pour la compétence à l’égard des personvnes trouvées sur
le territoire des parties, que l’on dénomme compétence universevlle de façon
excessive puisqu’elle ne concerne que les parties. La compétence pvénale
passive, on l’a dit, n’est que facultative. Seules les parties quiv détiennent

elles-mêmes un titre de compétence pénale opposable aux autres vparties
sont fondées à obtenir l’extradition sur la base de la conventivon. Voici déjà
un premier type de différenciation des droits et obligations.
37. S’y ajoute que la convention comporte un mécanisme particulier,
prévu par ses articles 17 à 24, qui prévoient l’existence d’un Comité contre

la torture. L’article 21 de la convention autorise spécifiquement les Etats
parties à saisir ce comité des manquements à l’application dve ses stipula -
tions. Aucun intérêt subjectif de l’Etat qui agit dans ce cadre n’est requis.
On peut en effet estimer qu’alors un intérêt commun, collectivvement pro -
tégé et garanti, est reconnu et établi. Mais cette procédurev spéciale ne
concerne pas toutes les parties. Elle est subordonnée à leur accepvtation

expresse. Elles peuvent en outre la retirer unilatéralement à toutv moment
(art. 21, par. 2).
38. On serait donc bien en peine d’y trouver un argument en faveur
d’un droit de toutes les parties de demander l’exécution d’uvne obligation
erga omnes partes de saisir les autorités compétentes pour l’exercice de

l’action pénale. Cette procédure n’est applicable que sur lav base de stipu -
lations spéciales, dont l’acceptation par les parties demeure facuvltative et
dont elles peuvent s’exonérer à tout moment après y avoir consenti. Elle
ne peut être mise en œuvre qu’entre ces parties seulement. Si lv’obligation
était erga omnes partes, la participation à la procédure de l’article 21 ne

serait pas facultative mais obligatoire, et elle donnerait un contenu prvécis
à ce caractère omnes partes. Tout au contraire, l’existence même d’une
telle procédure facultative traduit l’absence d’un droit général d’action
extérieur et indépendant de la défense d’un droit propre de l’Etat partie.
Son objet est même de compenser l’absence d’un tel droit, et duv même
coup de la révéler.

39. S’ajoute enfin que la compétence de la Cour ou le recours à lv’arbi -
trage, prévus par l’article 30 de la convention, ne sont également que

198

6 CIJ1033.indb 392 28/11/13 12:50 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. sur) 616

text or the intention of the parties, and even less so by their practicev.
Furthermore, the Court does not even attempt to consider the above

directives, confining itself to unfounded assertions of principle. Thev object
and purpose of the Convention, as determined by the Court, have super -
seded and removed all other considerations. In this respect, the Court
seems anxious to appear up to date, in touch with certain courts, notably
the international criminal courts, and not outmoded by comparison.

However, what is involved here is interpreting a convention, not conductv -
ing a trial.
36. If one first considers the text of the Convention against Torture, it
can be observed that the parties do not form a single homogeneous group
which assumes the same obligations and can claim the same rights. For
example, the parties are not all obliged to establish their criminal jurvisdic-

tion on the same basis. A general obligation exists only for jurisdictiovn in
respect of persons present in the parties’ territory; this is termed universal
jurisdiction — which is an overstatement, since it concerns only the parties.
Passive criminal jurisdiction, as has been pointed out, is optional. Only
those parties which themselves have a title of criminal jurisdiction oppvos -

able to other States may request extradition on the basis of the Conventvion.
Here is already an area in which rights and obligations are differentivated.

37. It should be added that the Convention contains a particular mech-
anism, set forth in Articles 17 to 24, which make provision for the estab -

lishment of a Committee against Torture. Article 21 of the Convention
specifically authorizes States parties to refer to that Committee failvures to
give effect to the provisions of the Convention. A State acting in thivs con -
text need not have a subjective interest. It may thus be considered that a
common interest, collectively protected and guaranteed, is accepted and v
established. However, this special procedure does not concern all partievs.

It is dependent upon their express consent. Moreover, they can unilater -
ally withdraw this consent at any point (Art. 21, para. 2).
38. It would be very difficult, therefore, to argue that the parties all
have the right to request performance of an erga omnes partes obligation
to seise the competent authorities for the purpose of prosecution. That v

procedure can only be applied on the basis of specific provisions, thev par -
ties’ acceptance of which is optional and may be withdrawn at any timve.
It can only be implemented between those parties which have consented
to it. If the obligation were erga omnes partes, participation in the pro-
cedure provided for in Article 21 would not be optional but compulsory,

giving a specific substance to that omnes partes character. On the other
hand, the very existence of such an optional procedure demonstrates the v
lack of a general right of action outside and independent of the protectvion
of a direct right of a State party. Its object is even to compensate forv the
absence of such a right, while at the same time drawing attention to thavt
absence.

39. Finally, it should be added that the Court’s jurisdiction and the
recourse to arbitration provided for in Article 30 of the Convention are

198

6 CIJ1033.indb 393 28/11/13 12:50 617 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

facultatifs, ce qui crée une nouvelle distinction entre les parties, ventre
celles qui peuvent revendiquer le respect de leurs droits devant des insv -

tances indépendantes et celles qui ne le peuvent pas. Qu’on le déplore ou
non, il est bien difficile sur ces bases d’établir un ordre publivc erga omnes
partes, d’introduire de la verticalité dans un système par nature horizon -
tal, dans lequel droits et obligations des parties doivent s’apprécier non
pas de façon abstraite et indifférenciée mais partie par partvie, en fonction

des engagements acceptés et des situations propres à chacune.
40. Si enfin il y a obligation erga omnes partes, comme le pose la Cour,
cette obligation est indépendante de toute plainte individuelle, comme je
l’ai relevé plus haut. Elle pèse sur les autorités publiquesv des parties, c’est
à elles qu’il appartient de déclencher l’action publique, etv si elles ne le font
pas elles montrent du même coup qu’elles ne sont nullement tenues vde le

faire. Le paragraphe 1 de l’article 7 de la convention est clair à ce sujet :
«[l]’Etat partie … soumet l’affaire… ». Il en est ainsi spécialement pour
l’obligation de mener immédiatement une enquête préliminairev sur les
faits incriminés, obligation qui pèse directement sur les parties vet peut être
conduite indépendamment de toute plainte. En attendant en pratique que

des plaintes soient déposées pour mettre en jeu l’ensemble du mécanisme
des poursuites prévues par la convention, les parties montrent bien
qu’elles ne se sentent pas tenues par une obligation erga omnes partes.
41. Pour ce qui est plus largement de la pratique des parties, elle pour -
rait compenser ces limites du texte par l’indication d’une conception com-

mune de la convention, par l’exercice concret d’un droit perçu vet accepté
comme tel de revendiquer la saisine des autorités compétentes lorsvqu’une
personne soupçonnée est sur le territoire d’une partie. La convention est
en vigueur depuis vingt-cinq ans, et la pratique ne devrait pas manquer.v
Malheureusement, rien ne vient le confirmer. C’est plutôt l’ivnverse.
Quelles parties, et quand, ont réclamé à un autre Etat partie avbritant sur

son territoire des personnes soupçonnées de tortures la saisine dev ses
autorités compétentes? Qui par exemple a saisi les Etats-Unis, ou d’autres
Etats parties à la convention, de réclamations relatives à la pvoursuite de
nombreux actes de torture dont l’existence n’était même pas vcontestée,
voire était justifiée aux yeux des Etats en cause par des impévratifs de sécu -

rité? La Belgique elle-même a renoncé à la compétence pénale vuniverselle,
précisément sous la pression des Etats-Unis. Il est permis de suppvoser
qu’elle a ici tenté de la ressaisir à l’encontre du Sénévgal, ce qui est sans
doute plus facile.
42. Dans le cadre du présent différend en particulier, quelles sont les

parties à la convention qui ont réclamé au Tchad des poursuitesv contre les
auteurs ou complices des actes de torture incriminés, alors que les vvic -
times sont pour l’essentiel tchadiennes, ainsi que les auteurs, et quve la
plupart demeurent sur son territoire ? Cent cinquante parties, suivant la
logique de la Cour, auraient été en mesure de le faire. La Belgique elle-
même s’en est-elle inquiétée ? A-t-elle réclamé au Tchad des poursuites

contre les personnes soupçonnées ? La Cour ne semble pas s’être occupée
de cette pratique, ou plutôt de cette pratique négative, pourtant vperti -

199

6 CIJ1033.indb 394 28/11/13 12:50 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. sur) 617

also optional, which creates a further distinction between the parties, v
between those who may claim respect for their rights before independent

courts and those who may not. Regrettable or not, it is very difficult vto
establish an erga omnes partes public order on such bases, to introduce
verticality into a system which is by nature horizontal, in which parties’
rights and obligations must be considered not in a general and abstract v
way, but on a party-by-party basis, according to the commitments they

have made and their individual circumstances.
40. Lastly, if an obligation erga omnes partes does exist, as the Court
states, this obligation is not dependent on complaints by individuals, avs
noted above. It is incumbent on the parties’ government authorities ; it
falls to them to initiate public proceedings, and where they do not takev
action, they are at the same time showing that they are in no way obligevd

to do so. Article 7, paragraph 1, of the Convention is clear on this subject:
“The State Party . . . shall . . . submit the case.” This is particularly true of
the obligation immediately to make a preliminary inquiry into the allegav -
tions, an obligation which is incumbent directly on the parties and whicvh
may be carried out independently of a complaint. By waiting, in practice,

for complaints to be filed before they turn to the mechanisms for prosvecu -
tion provided for by the Convention, the parties show that they do not
consider themselves to be bound by an obligation erga omnes partes.
41. More broadly, the practice of the parties could compensate for
these limitations of the text by pointing to a common understanding of

the Convention and by exercising a perceived and accepted right to
demand that the competent authorities be seised when a suspect is presenvt
in a party’s territory. The Convention has been in force for 25 years and
practice should not be lacking. Unfortunately, there is no evidence to
support this. If anything, it is the opposite. Which parties have demanded
that another State party which is sheltering individuals suspected of tovr -

ture in its territory should seise its competent authorities, and when ?
Who, for example, has protested to the United States, or to other Statesv
parties to the Convention, regarding the continuation of numerous acts
of torture whose existence was not disputed but indeed justified in thve
eyes of the States in question on grounds of security ? Belgium itself

rejected the notion of universal criminal jurisdiction, following pressuvre
from the United States. It may be supposed that it has attempted to
resurrect it here, vis-à-vis Senegal, undoubtedly a much easier prospect.

42. In the context of this dispute in particular, which parties to the

Convention have called for Chad to prosecute the perpetrators of or
accomplices in alleged acts of torture, even though the majority of the v
victims — and the perpetrators — are of Chadian origin and, for the
most part, still in Chadian territory ? According to the Court’s logic, 150
parties would have been in a position to do so. Has Belgium troubled
itself to do this ? Has it requested that Chad prosecute the persons sus -

pected? The Court does not seem concerned by this practice, or rather
negative practice, which is nevertheless pertinent for establishing the v

199

6 CIJ1033.indb 395 28/11/13 12:50 618 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

nente pour établir l’existence d’un droit au profit d’« Etats autres que les
Etats lésés ». Cela démontre encore au passage que la Belgique n’a concrè-

tement fondé son comportement que sur une situation alléguée d’vEtat
lésé, en vertu de sa compétence pénale passive.
43. Le Tchad est quant à lui partie à la convention contre la torture v
depuis le 9 juillet 1995, soit avant la Belgique. L’obligation de poursuivre
les auteurs ou complices des infractions correspondantes lui est pleine -

ment applicable, puisque la compétence pénale est rétroactive, quand
bien même les incriminations ne le sont pas. Il ressort du dossier quve la
Belgique a requis et obtenu la coopération judiciaire du Tchad à cvondi -
tion que les poursuites se déroulent ailleurs et ne l’impliquent pvas. Lorsque
donc la Belgique déclare se préoccuper des victimes, elle semble dvavan -
tage en pratique se soucier d’un procès contre le Sénégal, avlors que cet

Etat cherche quant à lui à organiser un procès de Hissène Havbré qui ne le
met en cause que de façon très indirecte.
44. Ma conclusion est donc que l’obligation erga omnes partes à
laquelle la Cour se réfère sort comme un lapin d’un chapeau magvique. Il
n’est nullement établi que la convention contre la torture créev une obliga -

tion erga omnes partes de saisir les autorités compétentes pour l’exercice
de l’action pénale, et, partant, un droit pour chacune des partiesv d’en
réclamer la mise en œuvre indépendamment d’un titre spécival permettant
de le faire, à savoir une atteinte à son droit propre d’exercerv des pour -
suites en vertu de sa propre compétence. La requête de la Belgiquev ne

saurait donc se fonder sur un droit appartenant à toutes les parties vet non
plus sur sa compétence passive, que la Cour n’a même pas prise ven consi -
dération. La requête de la Belgique contre le Sénégal n’est donc pas à
mon sens recevable, et la décision de Cour n’établit nullement vcette rece -
vabilité. Le Sénégal a certes l’obligation de saisir ses autvorités compé -
tentes pour l’exercice de l’action pénale, et il ne le contestev pas, mais cette

obligation n’est pas due à la Belgique.
45. Quels sont alors les Etats parties juridiquement fondés à réclavmer
à une ou d’autres parties la saisine de leurs autorités compévtentes aux fins
de poursuites, si ce droit n’appartient pas à toutes les parties dvu seul fait
de leur participation à la convention contre la torture ? A mon sens, il

s’agit de ceux qui sont tenus d’établir leur compétence pévnale en vertu de
l’article 5, paragraphe 1, de la convention, soit parce que les actes incrimi -
nés ont été commis sur leur territoire, soit parce que les persvonnes soup -
çonnées possèdent leur nationalité. Le droit de demander la prise en
considération de poursuites dans le for d’autres parties en est lev complé -

ment et la contrepartie, un droit qui complète leur propre obligationv.
46. Elles sont également fondées à demander l’extradition sur lav base
de leur propre compétence pénale, sans que celle-ci soit automatiqvuement
accordée, puisque l’Etat saisi n’y consentira que suivant certavines condi -
tions précisées dans la convention. La Belgique ne remplit pas cesv condi-
tions et ne peut obtenir l’extradition de Hissène Habré sur la vseule base de

sa compétence pénale passive. Je regrette que la Cour ne l’ait vpas claire -
ment indiqué dans le dispositif de l’arrêt, alors qu’elle l’vindique dans la

200

6 CIJ1033.indb 396 28/11/13 12:50 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. sur) 618

existence of a right belonging to “States other than injured States”. This
further demonstrates that, in reality, Belgium has founded its conduct

on nothing more than its purported status as an injured State, by virtue
of its passive criminal jurisdiction.
43. For its part, Chad has been a party to the Convention against Tor -
ture since 9 July 1995, before Belgium even. The obligation to prosecute
the perpetrators of or accomplices in the corresponding crimes fully

applies to it, since criminal jurisdiction is retroactive, even when thev accu-
sations are not. It is clear from the case file that Belgium sought anvd
obtained the judicial co-operation of Chad on the condition that prosecu -
tion take place elsewhere, without the involvement of the latter. More -
over, when Belgium therefore declares that it is worried about the victivms,
in practice it appears more concerned about putting Senegal on trial ; for

its part, Senegal is seeking to organize a trial for Hissène Habré which
involves it only very indirectly.
44. It is therefore my conclusion that the obligation erga omnes partes
to which the Court refers has been produced like a rabbit from a magi -
cian’s hat. It has not been established that the Convention against Tvor -

ture creates an erga omnes partes obligation to seise the competent
authorities for the purpose of prosecution and, consequently, a right
enabling every party to demand its performance regardless of whether it v
has a special title to do so, i.e., an infringement of its direct right vto
prosecute under the terms of its own jurisdiction. Accordingly, Belgium’vs

Application cannot be based on a right belonging to all the parties or ovn
its passive jurisdiction, which was not even taken into consideration by
the Court. In my view, therefore, Belgium’s Application against Senegval
is not admissible, and the Court’s decision in no way makes it so. Sevnegal
undoubtedly has an obligation to seise the competent authorities for thev
purpose of prosecution, and it does not deny that, but this obligation ivs

not owed to Belgium.
45. Which States parties, therefore, are legally entitled to demand that
one or more parties seise their competent authorities for the purpose ofv
prosecution, if not every party has that right solely on the basis of thveir
participation in the Convention against Torture ? To my mind, it is those

which are obliged to establish their criminal jurisdiction under Articlev 5,
paragraph 1, of the Convention, either because the offences in question
were committed in their territory, or because the persons suspected
possess their nationality. The right to ask other parties to consider
prosecution is the balance to and compensation for that obligation, the v

complement to their own obligation.
46. They are also entitled to seek extradition on the basis of their own
criminal jurisdiction, without this being granted automatically, since tvhe
requested State will only consent to it under certain conditions as laidv
down in the Convention. Belgium does not meet those conditions, and
cannot obtain the extradition of Hissène Habré solely on the basis of its

passive criminal jurisdiction. I am disappointed that the Court has failved
to make this clear in the operative clause of the Judgment, even though it

200

6 CIJ1033.indb 397 28/11/13 12:50 619 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

motivation. C’était pourtant une demande formelle de la Belgique dvans
ses conclusions. Là encore, en s’abstenant de statuer, la Cour n’a qu’in -

complètement réglé le différend, ce qui nous conduit au fovnd.

III. Fond

47. Je me suis prononcé en faveur de la compétence de la Cour, en
dépit des réserves que j’ai exprimées au sujet de la procévdure alternative
d’arbitrage, à laquelle il n’a pas été selon moi entièrement satisfait. Cepen -
dant, la présente opinion devrait en bonne logique s’arrêter icvi, puisque,
dès lors que je considère comme irrecevable la requête de la Belgique, il

n’est plus nécessaire de considérer les questions de fond. Je me suis pro -
noncé sur le fond pour trois raisons. D’abord parce que je respectve la
décision de la Cour. Ensuite parce que telle est la pratique ordinairve, les
juges votant point par point de façon indépendante. Enfin parce vque les
règles applicables ne prévoient pas l’abstention, et obligent à voter par

«oui» ou par « non». J’aurais scrupule à voter négativement sur des
points du dispositif que j’estime fondés. Je présenterai donc qvuelques
observations sur le fond, en tant qu’explications de vote.

Article 6, paragraphe 2, de la convention contre la torture

48. Je pense en particulier que le manquement du Sénégal à l’oblviga -
tion, prévue par l’article 6, paragraphe 2, de la convention contre la tor -
ture, de mener immédiatement « une enquête préliminaire en vue d’établir
les faits » lorsqu’une personne soupçonnée d’infractions est découvevrte
sur son territoire est établi. Cette obligation est indépendante dve toute

mesure d’établissement en droit interne de la compétence requisve par la
convention, et donc ne suppose aucune condition supplémentaire à lva
ratification de ladite convention. Il me semble que, même si l’ovn estime
que l’enquête préliminaire requise peut dépendre en droit invterne de la
saisine d’une autorité judiciaire à cet effet, l’obligatiovn est formulée en
termes clairs et précis qui ne comportent ni équivoque ni échapvpatoire.

L’enquête peut en particulier fournir des éléments utiles siv l’Etat partie se
voit saisi d’une demande d’extradition alors qu’il n’a pas lv’intention d’or-
ganiser lui-même un procès. J’ai donc voté en faveur de cettve constatation
d’un manquement du Sénégal à cette stipulation (point 4 du dispositif).

Article 5 de la convention contre la torture

49. J’approuve également la position de la Cour lorsqu’elle considèvre
que le différend relatif à l’établissement de la compétvence du Sénégal en
application de l’article 5 de la convention contre la torture est éteint dès
lors que le droit interne sénégalais a été adapté pour pevrmettre la tenue

éventuelle d’un procès, ce qui a été réalisé en pravtique avant même le
dépôt de la requête belge. Il y a eu là un acte préparatovire indiquant clai-

201

6 CIJ1033.indb 398 28/11/13 12:50 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. sur) 619

states it in its reasoning. It was, however, one of Belgium’s formal vrequests
in its submissions. Here too, by failing to rule on this point, the Courvt has

only partially resolved the dispute, which leads us on to the merits.

III. Merits

47. I voted in favour of the Court’s jurisdiction, despite the reserva -
tions I have expressed on the subject of the alternative arbitration prov-
cedure, a condition which, in my view, was not entirely satisfied. Logvically,
this opinion should end here, because, since I consider Belgium’s Appvlica -
tion to be inadmissible, there is no longer any need to consider the quevs-

tions on the merits. I voted on the merits of the case for three reasonsv.
First, because I respect the decision of the Court. Second, because it ivs the
usual practice to do so — judges vote on each point individually, in an
independent fashion. And, finally, because the applicable rules make nvo
provision for abstentions and require that either a “yes” or “nvo” vote be

cast. I would have misgivings about voting against some points in the
operative clause which I consider to be well founded. I shall therefore vset
out some observations on the merits, by way of explaining my votes.

Article 6, Paragraph 2, of the Convention against Torture

48. In particular, I am of the view that Senegal’s breach of its obliga -
tion, laid down in Article 6, paragraph 2, of the Convention against Tor -
ture, immediately to make “a preliminary inquiry into the facts” when a
person suspected of offences is discovered in its territory, is establvished.
This obligation is not dependent on measures establishing in domestic lavw

the jurisdiction required by the Convention, and therefore does not entavil
any conditions additional to the ratification of the said Convention. vIt
appears to me that, even if one considers that the necessary preliminaryv
inquiry may depend under domestic law on the seisin of a judicial authorv -
ity, the obligation is formulated in clear and precise terms which offver
neither ambiguity nor an escape route. In particular, the inquiry may fuvr-

nish useful information should the State party find itself seised of avn
extradition request when it has no intention of organizing a trial itselvf.
Therefore, I voted in favour of the finding that Senegal has breached vthis
obligation (point 4 of the operative clause).

Article 5 of the Convention against Torture

49. I also agree with the Court’s finding that the dispute relating to vthe
establishment of Senegal’s jurisdiction under Article 5 of the Convention
against Torture ceased to exist when Senegalese domestic law was modi -
fied to enable the holding of a trial, which in practice occurred evenv

before the filing of Belgium’s Application. This was a preparatory vact,
clearly indicating Senegal’s intention to exercise its criminal jurisvdiction,

201

6 CIJ1033.indb 399 28/11/13 12:50 620 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

rement que le Sénégal entendait exercer sa compétence pénalev, puisque
l’adaptation du droit sénégalais a été réalisée àv la suite de la transmission

du mandat d’arrêt par la Belgique.
50. Je suis en revanche en désaccord avec l’idée suivant laquelle lv’adap -
tation du droit interne à une obligation conventionnelle devrait êvtre
immédiate, contemporaine de la ratification, voire simultanée. Ivl me
semble que tout dépend du droit interne considéré. Ce que les rvègles cou-

tumières internationales relatives au droit des traités prescrivenvt, c’est que
les adaptations nécessaires soient opérées dans un délai raivsonnable. La
pratique des Etats et leur opinio juris semblent bien établies en ce sens. Il
est vrai que la formulation de la Cour est sur ce point équivoque, etv
qu’elle maintient une prudente expectative, justifiée dans la mevsure où ce

point n’est guère pertinent pour le présent différend.

Article 7, paragraphe 1, de la convention contre la torture

51. Je ne peux pas adhérer au point 5 du dispositif, qui constate un
manquement du Sénégal à l’obligation de saisir les autoritévs compétentes

pour l’exercice de l’action pénale. La Cour rétablit parfaitvement le sens
exact de cette obligation, en rejetant la prétention d’y voir une v« obliga-
tion de poursuivre », puisque la convention laisse à cet égard jouer les
prescriptions des droits internes des parties. Il convient donc que les vauto -
rités compétentes soient saisies, mais il n’en résulte nullevment que des
poursuites soient engagées, soit en raison de preuves insuffisantes, soit en

fonction de l’opportunité des poursuites pour les droits internes vqui
reposent sur ce principe.
52. Ainsi que je l’ai indiqué à propos de la compétence de la Covur,
l’objet du différend est selon moi le retard mis par le Sénévgal à saisir ses
autorités compétentes pour le déclenchement de l’action pévnale. Les deux

Parties s’opposent nettement sur ce point, qui est à l’origine vdu différend.
La question est donc de savoir si le retard imputé au Sénégal pveut être ou
non justifié. Il l’est à mes yeux, pour les raisons suivantesv.
53. D’abord, une comparaison avec l’attitude de la Belgique : après le
dépôt des plaintes en Belgique, cinq ans ont été nécessaivres pour instruire

l’affaire et pour saisir le Sénégal, en 2005. Ensuite, l’attitude du Sénégal à
la suite de cette saisine. Il a immédiatement engagé les réformves néces -
saires de son droit interne, réalisées en 2007, a maintenu Hissèvne Habré
sous résidence surveillée avec interdiction de quitter le territoire et s’est
préoccupé d’organiser un procès. La Belgique a contribué và ces efforts en

apportant une promesse financière à cette organisation. Le tempsv écoulé
depuis la demande de la Belgique n’est pas supérieur à celui quvi s’est
écoulé depuis lors, de sorte que l’appréciation de la situatvion n’est pas
nécessairement défavorable au Sénégal.
54. On peut également relever qu’il ne ressort pas du dossier que le
Tchad aurait informé le Sénégal de la levée de l’immunitév pénale de His-

sène Habré, alors qu’il l’a fait pour la Belgique. Or la convvention ne pré-
voit pas, à la différence par exemple du Statut de Rome, que l’vimmunité

202

6 CIJ1033.indb 400 28/11/13 12:50 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. sur) 620

given that the modification of Senegalese law was carried out followinvg
the transmission of the arrest warrant by Belgium.

50. On the other hand, I disagree with the idea that modifying domestic
law to meet a treaty obligation must be carried out immediately and con -
temporaneously — or even simultaneously — with ratification. It seems to
me that it all depends on the domestic law in question. What the internav-

tional customary rules relating to the law of treaties stipulate is thatv the
necessary modifications should be carried out within a reasonable timev-limit.
The practice of States and their opinio juris appear well established in this
respect. It is true that the Court retains some ambiguity in its form ofv words
on this point and that it adopts a prudent wait-and-see approach — and

rightly so, since this point is hardly relevant to the present dispute.

Article 7, Paragraph 1, of the Convention against Torture

51. I cannot subscribe to point 5 of the operative clause, which finds
that Senegal has breached the obligation to submit the case to the compev -

tent authorities for the purpose of prosecution. The Court recalls the
exact sense of that obligation perfectly, rejecting the contention that vit
contains an “obligation to prosecute”, since the Convention gives vfree
rein to the provisions of the parties’ domestic laws in this respect.v The
competent authorities should therefore be seised, but this does not necevs-
sarily result in the instigation of proceedings, either because there isv insu-f

ficient evidence, or in the light of the desirability of prosecution uvnder the
domestic laws based on this principle.
52. As I indicated in respect of the Court’s jurisdiction, the subject-
matter of the dispute is, in my view, Senegal’s delay in referring thve
case to its competent authorities for the purpose of prosecution. Both

Parties fervently disagree on this point, which is at the heart of the dvis -
pute. The question is therefore whether or not Senegal’s delay can bev jus-
tified. In my eyes, it is, for the following reasons.
53. First, a comparison with Belgium’s conduct : once complaints had
been filed in Belgium, it took five years for the latter to investigvate the

case and to refer it to Senegal, in 2005. Second, Senegal’s conduct fvollow-
ing that referral : Senegal immediately initiated the necessary reforms of
its domestic law, which were carried out in 2007 ; it kept Hissène Habré
under house arrest, preventing him from leaving its territory, and con -
cerned itself with organizing a trial. Belgium contributed to these effvorts,

promising financial support for the holding of such a trial. The time v
which elapsed between then and the filing of Belgium’s Application vis no
greater than the time which has elapsed since, meaning that an appraisal
of the situation is not necessarily unfavourable to Senegal.
54. It may also be noted that it is not clear from the case file whether ovr
not Chad informed Senegal of the lifting of Hissène Habré’s immunity from

criminal proceedings, as it did Belgium. However, unlike the Rome Statute
for example, the Convention does not state that the immunity of public

202

6 CIJ1033.indb 401 28/11/13 12:50 621 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

des autorités publiques n’est pas opposable aux poursuites engagées devant
les juridictions internes. J’ajoute que la notion d’« autorités compétentes

pour l’exercice de l’action pénale» peut être interprétée de façon assez large,
puisque la convention contre la torture ne prescrit ni n’implique qu’vil doit
s’agir d’une autorité judiciaire. Lorsque les autorités publviques du Sénégal,
au niveau gouvernemental, prennent des mesures concrètes pour mettre
sur pied un procès, demandent et obtiennent à cet égard une coovpération

internationale à cette fin, peut-on dire que l’exercice de l’vaction pénale
n’est pas en cours ? Constater un manquement du Sénégal sur ce point
méconnaît l’existence d’un processus en cours au lieu de l’vencourager.
55. La date à laquelle est intervenue la présente décision n’a pas permis
à la Cour de prendre en considération les développements les plvus récents
de l’attitude du Sénégal. Le Sénégal a fait connaître vpar diverses commu -

nications postérieures à la procédure écrite et orale devantv la Cour
diverses décisions de ses autorités publiques qui sont autant d’actes pré -
paratoires d’un procès. La Cour ne les a pas examinées, et n’vy a pas donné
suite, sans doute parce qu’elles étaient tardives et n’avaient vpas été sou -
mises au principe du contradictoire, la Belgique n’ayant pas pris posvition

à leur sujet. Mais il dépendait de la Cour qu’il en soit ainsi vet que le
principe du contradictoire soit respecté. Au surplus, la Belgique était des -
tinataire de ces communications et était en mesure de faire connaîvtre son
opinion par ses propres communications, à l’instar du Sénégavl.
56. Rien n’aurait été plus facile que d’attendre quelques semainves sup -

plémentaires à cet effet, de solliciter le cas échéant le vpoint de vue de la
Belgique et de constater l’engagement en principe programmé des povur -
suites requises. Je regrette qu’il n’en ait pas été ainsi, evn rappelant que le
règlement judiciaire est un substitut du règlement diplomatique. C’est
pourquoi je ne peux souscrire à l’idée que le Sénégal aurvait d’ores et déjà
manqué à son obligation de déclencher des poursuites, alors quev leur

engagement est décidé dans son principe, assorti d’un délai vtrès bref pour
l’engagement concret de l’action judiciaire. Si ce délai n’avvait pas été res -
pecté, alors j’aurais concouru à la décision constatant le mvanquement. Je
ne suis pas certain en revanche que sa constatation immédiate soit dev
nature à accélérer la procédure, puisque après tout le divfférend est désor -

mais considéré comme réglé sur le plan judiciaire internatiovnal.
57. Je pense donc que la Cour, dans le cadre de sa mission de règle -
ment du différend, aurait pu retenir une appréciation plus substvantielle
que formelle ou procédurale de l’affaire Hissène Habré et du différend. Ce
qui compte en effet pour respecter l’objet et le but de la conventivon contre

la torture, c’est qu’un procès ait lieu et que justice soit renvdue aux vic -
times. S’il est un procès à organiser, c’est celui de Hissèvne Habré, non
celui du Sénégal. Et s’il est un Etat qui peut être mis en cause, c’est à mon
sens le Tchad beaucoup plus que le Sénégal. Il aurait été àv mon sens plus
constructif de tenir compte et d’encourager les efforts du Sénévgal depuis
la première demande de la Belgique tendant à l’organisation d’vun procès.

203

6 CIJ1033.indb 402 28/11/13 12:50 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. sur) 621

authorities is unenforceable in proceedings instituted before domestic cvourts.
I would add that the notion of “competent authorities for the purpose of

prosecution”may be interpreted in a fairly broad manner, since the Conven -
tion against Torture neither prescribes nor suggests that this must be av ju -di
cial authority. When the Senegalese Government authorities are taking
concrete measures towards the organization of a trial and, in that connevc -
tion, have requested and obtained international co-operation towards that

end, can it be said that criminal jurisdiction is not being exercised? Finding
that there has been a breach by Senegal in this respect ignores the exisvtence
of what is an ongoing procedure, instead of encouraging it.
55. The date on which the present decision was made did not allow the
Court to take account of the most recent developments in Senegal’s povsi -
tion. Senegal has made known in a number of communications, following

the written and oral proceedings before the Court, the various decisionsv of
its Government authorities in preparation for a trial. The Court did notv
examine or follow up on these, probably because they were introduced latve
and had not been subject to challenge, Belgium not having commented on
them. But it was for the Court to decide whether that should be the case

and whether the adversarial principle should be applied. Moreover, Bel -
gium received these communications and was in a position to make its
views known in its own communications, in the same way as Senegal.

56. Nothing would have been easier than to wait a few weeks longer

for this purpose, to seek Belgium’s point of view where appropriate, vand
to take note of the planned institution, in principle, of the necessary vpro -
ceedings. I regret that this was not done, and would recall here that judi -
cial settlement is a substitute for diplomatic settlement. That is why Iv
cannot support the finding that Senegal is already in breach of its obvliga -
tion to submit the case for prosecution, when prosecution has been

decided upon in principle and a very short time-limit fixed for the opening
of judicial proceedings. If that time-limit had not been respected, I would
have supported the finding that there had been a breach. However, I am
not convinced that making such a ruling here and now will speed up the
proceedings, since the dispute is now effectively considered to have been

settled at the international judicial level.
57. I am therefore of the view that, in the context of its task of settling v
the dispute, the Court could have focused on the substance of the
Hissène Habré case and of the dispute, rather than considering them from
a formal or procedural point of view. What actually matters, in order to

fulfil the object and purpose of the Convention against Torture, is thvat a
trial should take place and that justice is delivered for the victims. Ivf there
is a trial to organize, it is that of Hissène Habré, not that of Senegal. And
if there is a State about which questions may be asked, then in my view v
that State is Chad, far more so than Senegal. To my mind, it would have v
been more constructive to take account of and encourage the efforts

which Senegal has made since Belgium’s first request regarding the vorga -
nization of a trial.

203

6 CIJ1033.indb 403 28/11/13 12:50 622 obligation de poursuivvre ou d’extrader (op. disvs. sur)

L’obligation permanente de saisir les autorités judiciaires du Sé▯négal

58. Je suis en revanche pleinement d’accord avec la majorité sur la

constatation, au point 6 du dispositif, que le Sénégal, différend ou non,
décision de la Cour ou non, a l’obligation de saisir ses autoritévs judiciaires
aux fins de poursuite. Il s’agit là non d’une conséquence vd’un manque -
ment et d’une condition de sa cessation, mais d’une application orvdinaire
et non contentieuse d’une obligation primaire résultant d’un envgagement

du Sénégal. Elle est indépendante de la constatation d’un mavnquement.
Le Sénégal a en toute hypothèse l’obligation de respecter et d’appliquer
cette obligation, et il se déclare lui-même décidé à le fvaire à très bref délai.

L’absence de droit de la Belgique d’obtenir l’extradition
sur la base de la convention contre la torture

59. Enfin, je regrette qu’aucun élément du dispositif ne concerne la
demande, présentée par la Belgique dans ses conclusions, relative và l’ex -
tradition de Hissène Habré en Belgique. La Cour a justement relevév que

l’obligation de saisir les autorités compétentes et l’obligavtion d’extradi -
tion alléguée par la Belgique n’étaient pas sur le même pvlan et ne consti -
tuaient pas une alternative. L’extradition, si elle est accordée, vlibère certes
l’Etat concerné de son obligation de saisir ses autorités, maisv aucun Etat
n’est tenu d’accorder l’extradition en dehors d’un droit provpre de l’Etat

qui la réclame, sur la base soit d’un engagement international de vl’Etat
saisi, soit de son droit interne. Il en résulte que, sur la base de lva conven -
tion, la Belgique n’est pas en l’occurrence en droit d’obtenir l’extradition.

60. A mon sens, ce point aurait dû figurer dans le dispositif, puisqu’il

s’agissait d’une demande de la Belgique à la Cour dans ses concvlusions. Il
est cependant clair dans la motivation que la Belgique, qui n’est pasv un
«Etat lésé », ne dispose pas d’un droit qu’elle puisse opposer au Sénévgal
pour obtenir l’extradition de Hissène Habré. Mais il n’est pvas répondu à
cette demande de la Belgique dans le dispositif. Là encore, le diffvérend

peut paraître n’être qu’incomplètement réglé. Il esvt cependant une pra -
tique de la Cour qui consiste à rejeter les conclusions infondées.v Elle
aurait pu ici être suivie avec avantage.

(Signé) Serge Sur.

204

6 CIJ1033.indb 404 28/11/13 12:50 obligation to prosecuvte or extradite (diss. ovp. sur) 622

Permanent Obligation to Seise the Senegalese Judicial Authorities

58. On the other hand, I fully subscribe to the majority’s finding, in v

point 6 of the operative clause, that Senegal has an obligation to refer the
case to its judicial authorities for the purpose of prosecution, irrespective
of whether or not there is a dispute and irrespective of the Court’s vdeci -
sion. This is not the corollary of a breach and a condition of its cessavtion,
but the normal and undisputed application of a primary obligation resultv -

ing from a commitment by Senegal. It is not dependent on the finding of
a breach. Senegal must in any event respect and perform this obligation,v
and it declares itself committed to do so in the very near future.

Belgium Does Not Have the Right to Obtain Extradition
on the Basis of the Convention against Torture

59. Finally, I am disappointed that there is nothing in the operative
clause about the request concerning the extradition of Hissène Habré to
Belgium, made by the latter in its submissions. The Court has rightly

noted that the obligation to seise the competent authorities and the oblvi -
gation to extradite, as alleged by Belgium, should not be given the samev
weight and are not alternatives. Although extradition, if granted,
undoubtedly relieves the State concerned of its obligation to seise its vcom -
petent authorities, no State is obliged to agree to extradition unless tvhe

State seeking it has a direct entitlement, either on the basis of an interna -
tional commitment of the requested State or under its domestic law. Con-
sequently, Belgium is not entitled to obtain extradition in this instancve on
the basis of the Convention.
60. In my view, this point should have been included in the operative

clause, given that it relates to a request made to the Court by Belgium vin
its submissions. It is nevertheless clear in the reasoning that Belgium,v
which is not an “injured State”, does not have a right to exercisev vis-à-vis
Senegal in order to obtain the extradition of Hissène Habré. But this
request made by Belgium is not addressed in the operative clause. Here

too, it may be noted that the dispute has only partially been resolved. vIt
is nonetheless the Court’s practice to reject unsubstantiated submissvions.
That could usefully have been done here.

(Signed) Serge Sur.

204

6 CIJ1033.indb 405 28/11/13 12:50

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Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Sur

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