Opinion individuelle de M. le juge Parra-Aranguren

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130-20080523-JUD-01-02-EN
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130-20080523-JUD-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE PARRA-ARANGUREN

[Traduction]

Dispositif de l’arrêt — Interprétation de la correspondance de 1953 — Exa-
men du comportement des Parties après 1953 — Souveraineté sur South
Ledge — Considérations finales.

I

1. Au paragraphe 300 de l’arrêt, la majorité de la Cour conclut que la
souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh appartient à la Répu-
blique de Singapour (point 1)); que la souveraineté sur Middle Rocks

appartient à la Malaisie (point 2)); et que la souveraineté sur South Ledge
appartient à l’Etat dans les eaux territoriales duquel il est situé (point 3)).
Il est toujours possible de trouver des raisons juridiques à l’appui de
n’importe quelle décision.

II

2. Je suis en désaccord avec la conclusion du point 1) du para-
graphe 300 de l’arrêt au motif qu’elle repose essentiellement sur l’inter-
prétation de la correspondance de 1953 exposée dans la section 5.4.5,
que je ne puis accepter pour les raisons ci-après.

3. Le 12 juin 1953, M. J. D. Higham, au nom du secrétaire colonial de
Singapour, adressa au conseiller britannique du Johor une lettre citée au
paragraphe 192 de l’arrêt comme suit:

«1. J’ai pour instruction de vous demander des renseignements
sur le rocher appelé Pedra Branca, qui se trouve à environ 40 milles
de Singapour et sur lequel est situé le phare Horsburgh. La question
est d’importance pour la détermination des limites des eaux territo-
riales de la colonie. Ce rocher se trouve apparemment à l’extérieur

des limites du territoire cédé en même temps que l’île de Singapour
à la Compagnie des Indes orientales par le sultan Hussain et le
dato tumunggong dans le traité de 1824 (voir extrait sous «A»).
Cependant, il en était fait mention dans une dépêche du gouverneur
de Singapour datée du 28 novembre 1844 (voir extrait sous «B»).
Ce phare fut construit en 1850 par le gouvernement de la colonie,

qui en a toujours assuré l’entretien depuis lors, ce qui, de par l’usage
international, confère sans doute à la colonie certains droits et
obligations.
2. Dans le cas de Pulau Pisang, qui se trouve également à l’exté-
rieur des limites de la colonie établies par le traité, nous avons pu

99 retrouver dans le Johore Registry of Deeds un acte, daté du 6 oc-
tobre 1900, qui montre qu’une partie de Pulau Pisang fut accordée à

la Couronne dans le but d’y construire un phare. Cet acte était assorti
de certaines conditions et, de toute évidence, ne mettait pas fin à la
souveraineté de Johore. Le statut de Pisang est donc très clair.
3. Il y a lieu à présent de clarifier le statut de Pedra Branca. Je

vous serais donc très reconnaissant de bien vouloir me faire savoir
s’il existe des documents indiquant que le rocher a fait l’objet d’un
bail ou d’une concession, ou si le gouvernement de l’Etat du Johore
l’a cédé ou en a disposé de toute autre manière.
4. Copie de la présente est transmise au secrétaire principal à

Kuala Lumpur.» (Mémoire de la Malaisie, vol. 3, annexe 67;
mémoire de Singapour, vol. 6, annexe 93.)

4. Le secrétaire d’Etat par intérim du Johor répondit le 21 septembre
1953. La réponse est citée au paragraphe 196 de l’arrêt:

«J’ai l’honneur de me référer à votre lettre ... du 12 juin 1953
adressée au conseiller britannique à Johore concernant la question
du statut du rocher Pedra Branca à quelque 40 milles de Singapour
et de vous informer que le gouvernement du Johore ne revendique

pas la propriété de Pedra Branca.» (Mémoire de la Malaisie, vol. 3,
annexe 69; mémoire de Singapour, vol. 6, annexe 96.)

5. Singapour a eu la possibilité inopinée d’exposer son argument fondé
sur la correspondance de 1953 en répondant à la question du juge Keith
à la fin de l’audience publique du 23 novembre 2007, après que les deux
Parties eurent déposé leurs conclusions finales.

6. La question était la suivante:
«Quelle réponse Singapour souhaite-t-elle éventuellement appor-

ter à la conclusion présentée hier par l’Attorney-General de la Malai-
sie en rapport exprès avec les dispositions de l’accord relatif au
Johor et de celui relatif à la Fédération de Malaya, tous deux
de 1948? Il est dit, dans cette conclusion, que le secrétaire d’Etat par

intérim du Johor, et je cite, «n’était nullement habilité à écrire la
lettre de 1953 et n’avait pas juridiquement qualité pour ce faire,
pas davantage qu’il n’était autorisé à renoncer à un titre, à déclarer
n’en pas revendiquer ou à en confirmer un sur quelque partie du
territoire du Johor que ce fût».» (CR 2007/31, p. 59-60.)

7. Dans sa réponse, Singapour déclare, entre autres choses:

«Singapour n’a jamais soutenu que le Johor avait renoncé au titre
sur Pedra Branca pour la simple raison que le Johor ne détenait sur

Pedra Branca aucun titre auquel il eût pu renoncer ou qu’il eût pu
abandonner. En ce qui concerne la confirmation du titre, Singapour
ne prétend pas que le secrétaire d’Etat du Johor aurait confirmé son
titre territorial. Elle se contente d’affirmer que, en indiquant que le
Johor ne revendiquait pas Pedra Branca, sa lettre a eu pour effet de

100 confirmer le titre singapourien sur Pedra Branca et l’absence de titre,
historique ou autre, du Johor sur l’île.» (Réponse écrite de Sin-

gapour à la question posée par le juge Keith en date du 30 no-
vembre 2007.)

8. S’agissant de l’expression «non-revendication du titre», Singapour
a rappelé l’explication donnée dans son mémoire:

«8.16. Il faut souligner que l’argument de Singapour ne consiste
pas à dire que, en 1953, le Johor a abandonné un titre sur Pedra
Branca ou y a renoncé. On ne peut abandonner un titre ou y renon-
cer que si on le détient. Ce que contient la lettre du Johor de 1953, ce

n’est pas une renonciation à un titre (puisque le Johor n’avait aucun
titre) ou à une «revendication» de propriété, mais une déclaration
explicite selon laquelle le Johor n’avait pas de revendication de pro-
priété sur Pedra Branca. Il faut également souligner que, dans le

contexte de la possession de l’île par Singapour et en l’absence de
toute revendication ou d’intérêt de la part d’Etats tiers, la déclara-
tion de non-revendication du Johor ne saurait être considérée autre-
ment que comme une reconnaissance sans équivoque du titre de
Singapour.» (Ibid.)

9. La Malaisie a commenté la réponse de Singapour, notant que celle-

ci n’affirmait pas que la lettre de 1953 équivalait à une «renonciation» ou
à un «abandon» de titre par le Johor, ni que la lettre «confirmait le titre
de Singapour sur le territoire». Puis la Malaisie a ajouté:

«La réponse de Singapour présente une confusion et une contra-
diction évidentes puisque, dans la phrase suivant immédiatement
celle dans laquelle elle nie que la lettre «confirm[ait] son titre terri-
torial», Singapour poursuit en disant que la «lettre a eu pour effet de

confirmer le titre singapourien sur Pedra Branca» (les italiques sont
de nous). Ce que dit Singapour n’est pas clair: la lettre de 1953
confirme-t-elle ou ne confirme-t-elle pas la prétention de Singapour
sur Pulau Batu Puteh? Si elle ne confirme pas le titre de Singapour,

il est difficile de comprendre en quoi la lettre vient à l’appui de sa
thèse. Si, en revanche, la lettre est censée confirmer la prétention de
Singapour, on saisit difficilement comment les termes selon lesquels
le Johor «ne revendiqu[ait] pas la propriété de Pedra Branca» peu-
vent devenir une reconnaissance positive de la souveraineté de Sin-

gapour sur l’île.» (Observations de la Malaisie sur la réponse écrite
de Singapour à la question posée par le juge Keith à Singapour en
date du 7 décembre 2007.)

10. A cet égard, la Malaisie avait déjà déclaré:

«La Cour doit comprendre que, avant la lettre de Singapour du
12 juin 1953, il n’y avait, en ce qui concerne la souveraineté de Sin-
gapour sur Pulau Batu Puteh, que deux possibilités. Soit Singapour
détenait cette souveraineté, l’ayant acquise plus d’un siècle aupara-

101 vant, soit elle ne la détenait pas. Si elle la détenait, alors la réponse
de la Malaisie en date du 21 septembre 1953 est sans pertinence pour

la question du titre. La lettre ne pouvait conférer à Singapour une
souveraineté qu’elle possédait déjà.
Si, en revanche, Singapour ne détenait pas la souveraineté sur
Pulau Batu Puteh en juin 1953, alors Singapour traite de fait la lettre

de la Malaisie de septembre 1953 comme le fondement de son titre.
Cela impliquerait qu’aucun des actes accomplis par la Grande-
Bretagne ou par Singapour au cours du siècle précédent n’avait
valeur d’illustration ou de fondement du titre, et que seule la ré-
ponse de septembre 1953 de la Malaisie conféra réellement un titre

à Singapour.» (CR 2007/26, p. 51-52, par. 55-56.)

11. Selon moi, l’argument de Singapour n’est pas très clair. D’une
part, elle affirme qu’elle «n’a jamais soutenu que le Johor avait renoncé

au titre sur Pedra Branca pour la simple raison que le Johor ne détenait
sur Pedra Branca aucun titre auquel il eût pu renoncer ou qu’il eût pu
abandonner»; qu’elle n’a jamais prétendu qu’«en 1953, le Johor a[vait]
abandonné un titre sur Pedra Branca ou y a[vait] renoncé», car «[o]n ne
peut abandonner un titre ou y renoncer que si on le détient»; et que

«Singapour ne prétend pas que le secrétaire d’Etat du Johor aurait
confirmé son titre territorial». D’autre part, Singapour précise qu’elle se
borne à affirmer que la lettre du secrétaire d’Etat du Johor, en indiquant
que le Johor ne revendiquait pas Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, avait

eu pour effet de confirmer le titre singapourien sur Pedra Branca et
l’absence de titre, historique ou autre, du Johor sur l’île.
12. A cet égard, il convient de rappeler, comme le conclut la Cour plus
haut dans l’arrêt, que Singapour ne détenait pas le titre sur Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh avant 1953. Par conséquent, contrairement à ce

qu’affirme Singapour, il est à mon sens impossible que la lettre de 1953
émanant du secrétaire d’Etat par intérim du Johor ait eu pour effet de
confirmer le titre de Singapour sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.
13. Pour la même raison, on ne saurait davantage accepter l’autre pos-

sibilité mentionnée par Singapour, à savoir que la lettre de 1953 adressée
par le secrétaire d’Etat par intérim du Johor confirme que le Johor ne
détenait pas de titre sur l’île, historique ou autre. Tel qu’établi dans les
sections précédentes de l’arrêt, le Johor détenait bien le titre sur Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh et il n’est dès lors pas possible que la lettre

de 1953 adressée par le secrétaire d’Etat par intérim confirme que le
Johor ne détenait pas le titre sur l’île.
14. L’argument selon lequel la lettre de 1953 doit être entendue comme
une renonciation par le Johor à son titre ou un abandon de celui-ci sur

Pedra Branca/Pulau Batu Puteh n’est pas celui que Singapour a avancé
et, partant, j’estime qu’il n’aurait pas dû être analysé comme il l’a été
dans plusieurs paragraphes de l’arrêt, et que la Cour n’aurait pas dû en
faire état à l’effet de conclure que Singapour détenait le titre sur Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh.

102 15. Les lettres de 1953 sont examinées de manière très détaillée dans
l’arrêt; et le paragraphe 196 indique: «Il n’y eut pas d’autre lettre et les

autorités de Singapour ne donnèrent aucune suite officielle à cette
réponse.»
16. Il est surprenant d’apprendre qu’«[i]l n’y eut pas d’autre lettre»,
étant donné que le Johor n’avait pas communiqué les renseignements

demandés par Singapour. Le Johor n’a pas fait savoir à Singapour s’il
existait ou non «des documents indiquant que le rocher a[vait] fait l’objet
d’un bail ou d’une concession», et n’a pas davantage répondu à la ques-
tion de savoir s’il avait «cédé» ou «a[vait] disposé de toute autre manière»
de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Il est d’usage dans les relations inter-

nationales de réitérer la demande par écrit et d’insister, d’autant que,
dans ce cas précis, le but de la correspondance de 1953 était de «clarifier»
le statut de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Singapour décida cependant
de s’en abstenir et elle n’a pas exposé à la Cour les raisons d’une telle

abstention.
17. En outre, la lettre du Johor datée de 1953 répondait à une question
totalement différente de celle que posait Singapour, indiquant simple-
ment que «le gouvernement du Johore ne revendiqu[ait] pas la pro-
priété de Pedra Branca». Au paragraphe 222 de l’arrêt, la Cour recon-

naît que «la propriété» est en principe distincte de «la souveraineté»
mais que, «[e]n matière de litiges internationaux, la «propriété» d’un terri-
toire a parfois été employée comme synonyme de «souveraineté»».
Il n’en reste pas moins que le Johor a utilisé le terme de «propriété» et

non celui de «souveraineté». Par conséquent, si Singapour avait
compris que la lettre de 1953 signifiait en réalité que le Johor «ne reven-
diqu[ait] pas la souveraineté sur Pedra Branca», elle aurait dû, à tout
le moins, demander à la Malaisie l’explicitation dont elle avait besoin.
Cela aurait peut-être été le meilleur moyen de «clarifier le statut de

Pedra Branca», ce qui était l’objet principal de sa lettre du 12 juin
1953.
18. Les demandes de renseignements complémentaires dont il est ques-
tion dans les paragraphes précédents de cette opinion individuelle, et qui,

à mon sens, auraient dû être adressées par Singapour à la Malaisie, ne
peuvent être considérées comme sortant de l’ordinaire puisque les deux
Etats entretenaient des liens d’amitié très étroits, ainsi que l’arrêt le sou-
ligne maintes fois.
19. L’absence de «suite officielle» donnée par les autorités singapou-

riennes est encore plus difficile à comprendre que le fait qu’«il n’y eut pas
d’autre lettre».
20. Si Singapour considérait en fait que sa souveraineté sur Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh avait été reconnue, nonobstant les termes

ambigus de la lettre du Johor datée de 1953, les principes élémentaires de
la bonne foi exigeaient d’elle une revendication de souveraineté officielle
sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Cela est d’autant plus évident que,
comme indiqué aux paragraphes 196 et 224 de l’arrêt, le secrétaire colo-
nial écrivit au Master Attendant par intérim le 13 octobre 1953 pour

103l’informer que, puisque le gouvernement du Johor ne revendiquait pas la
propriété de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, «l’Attorney-General admet-

[tait] que [les autorités singapouriennes] pouv[aient] le revendiquer comme
territoire de Singapour»; et que, le 6 février 1953, le Master Attendant
rappela l’opinion du chef des services topographiques selon laquelle Sin-
gapour devait revendiquer une limite de 3 milles autour du phare Hors-

burgh. Or Singapour ne l’a pas fait et, du fait de l’inaction de ses auto-
rités, le statut de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, loin d’être «clarifié»,
est demeuré obscur.
21. Par ailleurs, on peut observer que le secrétaire colonial de Singa-
pour demandait des renseignements au sujet de Pedra Branca/Pulau Batu

Puteh en raison de l’«importance [de la question] pour la détermination
des limites des eaux territoriales de la colonie». Le paragraphe 225 de
l’arrêt fait état d’une correspondance interne de Singapour datée
de juillet 1953 indiquant que:

«les services du Foreign Office et du Colonial Office à Londres se
livraient à un vaste examen des questions relatives aux eaux territo-

riales. L’arrêt qu’avait peu avant rendu la Cour en l’affaire des
Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège) (arrêt, C.I.J. Recueil 1951 ,
p. 116) constituait un élément important de cet examen (cet arrêt
avait été rendu le 11 décembre 1951). Le secrétaire colonial de Sin-

gapour était parvenu à la conclusion que, en raison des circonstances
géographiques, la colonie avait très peu à gagner des nouvelles
méthodes de définition des eaux territoriales. En revanche, «l’appli-
cation des nouveaux principes par les Etats voisins ... ne pou[v]ait
qu’entraîner une restriction peu souhaitable des zones de pêche

généralement utilisées par les pêcheurs de Singapour». «[P]our
des raisons d’ordre général, la fermeture d’espaces de haute mer
par des Etats étrangers [était] contraire à l’intérêt de cette colonie
maritime densément peuplée, tributaire du commerce maritime.»

La lettre interne de juillet 1953 mentionnait en conclusion qu’une
entente pour s’en tenir aux méthodes antérieures de définition des
eaux territoriales avait été trouvée avec l’Indonésie en juillet 1951
et faisait état du souci de ne pas perturber les relations qu’entrete-
naient alors la colonie et l’Indonésie.» (Mémoire de la Malaisie, vol. 3,

annexe 68.)
22. Le paragraphe 225 se conclut ainsi: «l’absence de réaction de la

part des autorités à Singapour — ou à Londres, car c’est là qu’étaient
prises les décisions en dernier ressort — est loin d’être surprenante».
Toutefois, même à supposer que les questions maritimes aient fait l’objet
d’un «plus ample examen» à Londres en juillet 1953, on ne sait pas bien

pourquoi, si leur examen était en cours le 12 juin 1953, le secrétaire colo-
nial de Singapour décida de demander des renseignements sur le statut
de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, précisément en raison de son «im-
portance pour la détermination des limites des eaux territoriales de la
colonie».

104 III

23. J’ai également voté contre le point 1) du paragraphe 300 de l’arrêt
parce que je ne souscris pas à l’examen du «comportement des Parties
après 1953» exposé dans la section 5.4.6 de l’arrêt, qui conclut au para-
graphe 274 ce qui suit:

«Le comportement du Royaume-Uni et de Singapour se ratta-
chait, à bien des égards, à l’exploitation du phare Horsburgh, mais
tel n’était pas toujours le cas. Sans prétendre à l’exhaustivité, la

Cour rappellera, d’une part, les enquêtes sur les accidents maritimes
menées par l’un et l’autre ainsi que leur contrôle sur les visites au
phare et, d’autre part, l’installation par Singapour de matériel de
communication militaire et ses projets visant à gagner des terres,
autant d’actes accomplis à titre de souverain, dont la plupart sont

postérieurs à 1953. La Malaisie et ses prédécesseurs n’ont jamais
réagi à ce comportement, ni à d’autres formes de comportement de
même nature dont il a été question plus haut dans cet arrêt et qui
toutes (sauf en ce qui concerne l’installation du matériel de commu-

nication) avaient été portées à sa connaissance.»
24. La majorité de la Cour mentionne les actes que Singapour a, selon

elle, entrepris à titre de souverain. Toutefois, «la plupart» sont posté-
rieurs à 1953, comme indiqué au paragraphe 274 de l’arrêt. A cet égard,
il faut rappeler que la Cour a décidé le 10 octobre 2002 que

«[l]es faits et circonstances avancés par le Nigéria à l’égard des vil-
lages du lac Tchad concernent ... une période d’une vingtaine
d’années en tout état de cause trop brève au regard même de la théo-
rie [de la consolidation historique] invoquée» (Frontière terrestre et

maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria;
Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002 , p. 352,
par. 65).

25. Au paragraphe 34 de l’arrêt, le 14 février 1980 est considéré
comme la date critique aux fins du différend relatif à la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Partant, même à supposer que les actes

mentionnés dans la section 5.4.6 de l’arrêt aient été accomplis par Singa-
pour à titre de souverain, ils couvrent une période bien trop brève et,
pour cette raison, ne suffisent pas à compromettre le titre historique du
Johor sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Les effectivités de Singapour
ne correspondent pas au droit et, comme la Cour l’a répété à plusieurs

occasions,
«[d]ans le cas où le fait ne correspond pas au droit, où le territoire

objet du différend est administré effectivement par un Etat autre que
celui qui possède le titre juridique, il y a lieu de préférer le titulaire
du titre» (Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali),
arrêt, C.I.J. Recueil 1986 , p. 587, par. 63; voir également Différend
territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil

105 1994, p. 38, par. 75-76; Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée équatoriale

(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002 , p. 353, par. 68).

26. Au paragraphe 275 de l’arrêt, il est indiqué que «les autorités du
Johor et leurs successeurs n’ont pas mené la moindre activité sur Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh après juin 1850 et ce, pendant tout un siècle,
voire plus». Des déclarations similaires figurent également dans plusieurs

autres paragraphes de l’arrêt et ont été faites à maintes reprises par Sin-
gapour dans la présente procédure. Toutefois, les autorités du Johor et
leurs successeurs n’étaient nullement tenus en droit international de réa-
gir, puisque le Johor détenait le titre historique sur Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh, ainsi qu’il est admis dans l’arrêt. Au contraire, la clarifica-

tion du statut de l’île revêtait une importance cruciale pour la Grande-
Bretagne, en raison des investissements substantiels de cette dernière dans
la construction et l’entretien du phare Horsburgh. La Grande-Bretagne a
cependant gardé le silence pendant toutes ces années et le statut de Pedra

Branca/Pulau Batu Puteh n’était toujours pas clair en 1953, comme
l’atteste la lettre adressée par M. J. D. Higham pour le compte du secré-
taire colonial de Singapour. Singapour a gardé le silence pendant les
années qui suivirent. La Malaisie ne reçut aucune autre lettre visant à
obtenir les clarifications nécessaires et aucune suite officielle ne fut don-

née par les autorités singapouriennes.

IV

27. Au paragraphe 297 de l’arrêt, il est indiqué que la Cour «retient le
principe selon lequel il faut établir si South Ledge se trouve dans les eaux

territoriales générées par Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, qui appartient
à Singapour, ou dans celles générées par Middle Rocks, qui appartient à
la Malaisie»; et «que South Ledge relève des eaux territoriales générées
par la Malaisie continentale, par Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et par

Middle Rocks, eaux territoriales qui semblent se chevaucher». La Cour
ajoute au paragraphe 298 qu’elle «[a] été spécifiquement priée, dans le
compromis et dans les conclusions finales des Parties, de se prononcer sur
la question de la souveraineté sur chacune des trois formations maritimes
prises séparément», mais fait observer dans le même temps qu’elle «n’a

pas reçu pour mandat de tracer la ligne de délimitation des eaux territo-
riales de la Malaisie et de Singapour dans la zone en question». Partant,
au point 3) du paragraphe 300 de l’arrêt, la Cour «[d]it que la souverai-
neté sur South Ledge appartient à l’Etat dans les eaux territoriales duquel

il est situé».
28. Comme exposé dans les deux sections précédentes de cette opinion
individuelle, Pedra Branca/Pulau Batu Puteh appartient à la Malaisie et
je conviens que Middle Rocks relève de la souveraineté de la Malaisie,
ainsi qu’il est dit au point 2) du paragraphe 300 de l’arrêt. Par conséquent,

106je considère que South Ledge est situé à l’intérieur des eaux territoriales

de la Malaisie et, pour cette raison, appartient à la Malaisie.

V

29. Le 23 novembre 2007, la Cour a informé la Malaisie et Singapour
qu’elle se retirait pour délibérer. Les audiences publiques sur le fond de
l’affaire introduite par Djibouti contre la France ont commencé le 21 jan-

vier 2008, et la Cour s’est retirée huit jours plus tard pour entamer son
délibéré, qui est en cours. Les audiences publiques sur les exceptions
préliminaires en l’affaire relative à l’Application de la convention pour

la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie-
et-Monténégro), devant se tenir du 26 au 30 mai 2008, exigent que
l’argumentation écrite et certaines demandes des Parties soient étudiées
soigneusement au préalable. Les contraintes découlant des délais fixés

par la Cour pour la préparation de cette opinion individuelle m’ont
empêché d’expliciter de manière approfondie mon désaccord avec les
points 1) et 3) du paragraphe 300 de l’arrêt et, de ce fait, je n’ai exposé
que certaines des raisons principales m’ayant amené à voter contre.

(Signé) Gonzalo P ARRA -ARANGUREN .

107

Bilingual Content

SEPARATE OPINION OF JUDGE PARRA-ARANGUREN

Operative clause of the Judgment — Interpretation of the 1953 correspon-
dence — Examination of the conduct of the Parties after 1953 — Sovereignty
over South Ledge — Final considerations.

I

1. In paragraph 300 of the Judgment, the majority of the Court finds
that sovereignty over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh belongs to the
Republic of Singapore (subpara. 1); that sovereignty over Middle Rocks

belongs to Malaysia (subpara. 2); and that sovereignty over South Ledge
belongs to the State in the territorial waters of which it is located (sub-
para. 3). Juridical reasons can always be found to support any conclu-
sion.

II

2. I disagree with the finding in paragraph 300 (1) of the Judgment
because it is based mainly on the interpretation of the 1953 correspon-
dence made in section 5.4.5, which I cannot accept for the reasons
explained hereafter.

3. On 12 June 1953, Mr. J. D. Higham, on behalf of the Singapore
Colonial Secretary, sent the British Adviser at Johor a letter, which is
quoted in paragraph 192 of the Judgment as follows:

“1. I am directed to ask for information about the rock some
40 miles from Singapore known as Pedra Branca on which the Hors-
burgh Lighthouse stands. The matter is relevant to the determina-
tion of the boundaries of the Colony’s territorial waters. It appears
this rock is outside the limits ceded by Sultan Hussain and the

Dato Tumunggong to the East India Company with the island of
Singapore in the Treaty of 1824 (extract at ‘A’). It was however men-
tioned in a despatch from the Governor of Singapore on 28th Novem-
ber 1844 (extract at ‘B’). The lighthouse was built in 1850 by the
Colony Government who have maintained it ever since. This by
international usage no doubt confers some rights and obligations on

the Colony.

2. In the case of Pulau Pisang which is also outside the Treaty
limits of the Colony it has been possible to trace an indenture in the

99OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE PARRA-ARANGUREN

[Traduction]

Dispositif de l’arrêt — Interprétation de la correspondance de 1953 — Exa-
men du comportement des Parties après 1953 — Souveraineté sur South
Ledge — Considérations finales.

I

1. Au paragraphe 300 de l’arrêt, la majorité de la Cour conclut que la
souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh appartient à la Répu-
blique de Singapour (point 1)); que la souveraineté sur Middle Rocks

appartient à la Malaisie (point 2)); et que la souveraineté sur South Ledge
appartient à l’Etat dans les eaux territoriales duquel il est situé (point 3)).
Il est toujours possible de trouver des raisons juridiques à l’appui de
n’importe quelle décision.

II

2. Je suis en désaccord avec la conclusion du point 1) du para-
graphe 300 de l’arrêt au motif qu’elle repose essentiellement sur l’inter-
prétation de la correspondance de 1953 exposée dans la section 5.4.5,
que je ne puis accepter pour les raisons ci-après.

3. Le 12 juin 1953, M. J. D. Higham, au nom du secrétaire colonial de
Singapour, adressa au conseiller britannique du Johor une lettre citée au
paragraphe 192 de l’arrêt comme suit:

«1. J’ai pour instruction de vous demander des renseignements
sur le rocher appelé Pedra Branca, qui se trouve à environ 40 milles
de Singapour et sur lequel est situé le phare Horsburgh. La question
est d’importance pour la détermination des limites des eaux territo-
riales de la colonie. Ce rocher se trouve apparemment à l’extérieur

des limites du territoire cédé en même temps que l’île de Singapour
à la Compagnie des Indes orientales par le sultan Hussain et le
dato tumunggong dans le traité de 1824 (voir extrait sous «A»).
Cependant, il en était fait mention dans une dépêche du gouverneur
de Singapour datée du 28 novembre 1844 (voir extrait sous «B»).
Ce phare fut construit en 1850 par le gouvernement de la colonie,

qui en a toujours assuré l’entretien depuis lors, ce qui, de par l’usage
international, confère sans doute à la colonie certains droits et
obligations.
2. Dans le cas de Pulau Pisang, qui se trouve également à l’exté-
rieur des limites de la colonie établies par le traité, nous avons pu

99 Johore Registry of Deeds dated 6th October, 1900. This shows that
a part of Pulau Pisang was granted to the Crown for the purposes of

building a lighthouse. Certain conditions were attached and it is
clear that there was no abrogation of the sovereignty of Johore. The
status of Pisang is quite clear.
3. It is how [now] desired to clarify the status of Pedra Branca. I

would therefore be most grateful to know whether there is any docu-
ment showing a lease or grant of the rock or whether it has been
ceded by the Government of the State of Johore or in any other way
disposed of.
4. A copy of this letter is being sent to the Chief Secretary, Kuala

Lumpur.” (Memorial of Malaysia, Vol. 3, Ann. 67; Memorial of
Singapore, Vol. 6, Ann. 93.)

4. The Acting State Secretary of Johor replied on 21 September 1953.
The answer is quoted in paragraph 196 of the Judgment:

“I have the honour to refer to your letter . . . dated 12th June 1953,
addressed to the British Adviser, Johore, on the question of the
status of Pedra Branca Rock some 40 miles from Singapore and to
inform you that the Johore Government does not claim ownership

of Pedra Branca.” (Memorial of Malaysia, Vol. 3, Ann. 69; Memo-
rial of Singapore, Vol. 6, Ann. 96.)

5. Singapore had an unexpected opportunity to explain its argument
based on the 1953 correspondence when answering the question put by
Judge Keith at the end of the public sitting on 23 November 2007, after
both Parties had filed their final submissions.

6. The question was the following:
“What response, if any, does Singapore wish to make in reply to

the submission made yesterday by the Attorney-General of Malay-
sia, expressly by reference to provisions of the Johor Agreement of
1948 and the Federation of Malaya Agreement of 1948, that the
Acting State Secretary of Johor, to quote part of the submission,

‘was definitely not authorised’ and did not have ‘the legal capacity to
write the 1953 letter, or to renounce, disclaim, or confirm title of any
part of the territories of Johor’?” (CR 2007/31, pp. 59-60.)

7. In its response Singapore stated, inter alia :

“Singapore has never argued that Johor renounced title to Pedra
Branca for the simple reason that Johor had no title to Pedra Branca

to renounce or abandon. As for confirmation of title, it is not Sing-
apore’s argument that the Johor State Secretary confirmed Singa-
pore’s title to territory. Singapore’s argument is simply that, by
declaring that Johor did not claim Pedra Branca, the Johor State
Secretary’s letter had the effect of confirming Singapore’s title to

100 retrouver dans le Johore Registry of Deeds un acte, daté du 6 oc-
tobre 1900, qui montre qu’une partie de Pulau Pisang fut accordée à

la Couronne dans le but d’y construire un phare. Cet acte était assorti
de certaines conditions et, de toute évidence, ne mettait pas fin à la
souveraineté de Johore. Le statut de Pisang est donc très clair.
3. Il y a lieu à présent de clarifier le statut de Pedra Branca. Je

vous serais donc très reconnaissant de bien vouloir me faire savoir
s’il existe des documents indiquant que le rocher a fait l’objet d’un
bail ou d’une concession, ou si le gouvernement de l’Etat du Johore
l’a cédé ou en a disposé de toute autre manière.
4. Copie de la présente est transmise au secrétaire principal à

Kuala Lumpur.» (Mémoire de la Malaisie, vol. 3, annexe 67;
mémoire de Singapour, vol. 6, annexe 93.)

4. Le secrétaire d’Etat par intérim du Johor répondit le 21 septembre
1953. La réponse est citée au paragraphe 196 de l’arrêt:

«J’ai l’honneur de me référer à votre lettre ... du 12 juin 1953
adressée au conseiller britannique à Johore concernant la question
du statut du rocher Pedra Branca à quelque 40 milles de Singapour
et de vous informer que le gouvernement du Johore ne revendique

pas la propriété de Pedra Branca.» (Mémoire de la Malaisie, vol. 3,
annexe 69; mémoire de Singapour, vol. 6, annexe 96.)

5. Singapour a eu la possibilité inopinée d’exposer son argument fondé
sur la correspondance de 1953 en répondant à la question du juge Keith
à la fin de l’audience publique du 23 novembre 2007, après que les deux
Parties eurent déposé leurs conclusions finales.

6. La question était la suivante:
«Quelle réponse Singapour souhaite-t-elle éventuellement appor-

ter à la conclusion présentée hier par l’Attorney-General de la Malai-
sie en rapport exprès avec les dispositions de l’accord relatif au
Johor et de celui relatif à la Fédération de Malaya, tous deux
de 1948? Il est dit, dans cette conclusion, que le secrétaire d’Etat par

intérim du Johor, et je cite, «n’était nullement habilité à écrire la
lettre de 1953 et n’avait pas juridiquement qualité pour ce faire,
pas davantage qu’il n’était autorisé à renoncer à un titre, à déclarer
n’en pas revendiquer ou à en confirmer un sur quelque partie du
territoire du Johor que ce fût».» (CR 2007/31, p. 59-60.)

7. Dans sa réponse, Singapour déclare, entre autres choses:

«Singapour n’a jamais soutenu que le Johor avait renoncé au titre
sur Pedra Branca pour la simple raison que le Johor ne détenait sur

Pedra Branca aucun titre auquel il eût pu renoncer ou qu’il eût pu
abandonner. En ce qui concerne la confirmation du titre, Singapour
ne prétend pas que le secrétaire d’Etat du Johor aurait confirmé son
titre territorial. Elle se contente d’affirmer que, en indiquant que le
Johor ne revendiquait pas Pedra Branca, sa lettre a eu pour effet de

100 Pedra Branca and of confirming that Johor had no title, historic or
otherwise, to the island.” (Written response of Singapore to the

question put by Judge Keith dated 30 November 2007.)

8. In respect of the term “disclaimer of title”, Singapore recalled the
explanation given in its Memorial:

“8.16. It should be emphasised that it is not Singapore’s case that
Johor abandoned or relinquished title to Pedra Branca in 1953.
Abandonment or relinquishment of title is possible only if there is a
pre-existing title. What Johor did by her 1953 letter was not to

renounce title (since she did not have title) or a ‘claim’ to ownership,
but rather to pronounce explicitly that Johor did not have a claim to
ownership of Pedra Branca. It must also be emphasised that, in the
context of Singapore’s possession of the island and in the absence of

any claim or interest by third States, Johor’s disclaimer can only be
regarded as unequivocal recognition of Singapore’s title.” (Ibid.)

9. Malaysia commented on Singapore’s answer by noting that Singa-

pore did not argue that the 1953 letter amounted to a “renunciation” or
“abandonment” of title by Johor, or that the letter “confirmed Singa-
pore’s title to territory”. Malaysia then added:

“There is an evident confusion and self-contradiction in the Sing-
apore Response since, in the sentence immediately following the
denial that the letter ‘confirmed Singapore’s title to territory’ the
Response goes on to say that ‘the letter had the effect of confirming

Singapore’s title to Pedra Branca’ (emphasis added). It is unclear
what Singapore is saying: is it that the 1953 letter does not confirm
or does confirm Singapore’s claim to Pulau Batu Puteh? If it does
not confirm Singapore’s title it is difficult to see how that the letter

assists its case. If, on the other hand, the letter is said to confirm
Singapore’s claim, it is difficult to see how the words that Johor
‘does not claim ownership of Pedra Branca’ can be converted into a
positive acknowledgement that Singapore has sovereignty over the
island.” (Malaysia’s comments on Singapore’s written response to

the question put by Judge Keith to Singapore dated 7 December
2007.)

10. In this connection Malaysia had already stated:

“The Court should bear in mind that prior to the Singapore letter
of 12 June 1953 there were only two possibilities regarding Singa-
pore’s sovereignty over Pulau Batu Puteh. Either Singapore had sov-
ereignty, acquired over a century earlier, or it did not have sov-

101 confirmer le titre singapourien sur Pedra Branca et l’absence de titre,
historique ou autre, du Johor sur l’île.» (Réponse écrite de Sin-

gapour à la question posée par le juge Keith en date du 30 no-
vembre 2007.)

8. S’agissant de l’expression «non-revendication du titre», Singapour
a rappelé l’explication donnée dans son mémoire:

«8.16. Il faut souligner que l’argument de Singapour ne consiste
pas à dire que, en 1953, le Johor a abandonné un titre sur Pedra
Branca ou y a renoncé. On ne peut abandonner un titre ou y renon-
cer que si on le détient. Ce que contient la lettre du Johor de 1953, ce

n’est pas une renonciation à un titre (puisque le Johor n’avait aucun
titre) ou à une «revendication» de propriété, mais une déclaration
explicite selon laquelle le Johor n’avait pas de revendication de pro-
priété sur Pedra Branca. Il faut également souligner que, dans le

contexte de la possession de l’île par Singapour et en l’absence de
toute revendication ou d’intérêt de la part d’Etats tiers, la déclara-
tion de non-revendication du Johor ne saurait être considérée autre-
ment que comme une reconnaissance sans équivoque du titre de
Singapour.» (Ibid.)

9. La Malaisie a commenté la réponse de Singapour, notant que celle-

ci n’affirmait pas que la lettre de 1953 équivalait à une «renonciation» ou
à un «abandon» de titre par le Johor, ni que la lettre «confirmait le titre
de Singapour sur le territoire». Puis la Malaisie a ajouté:

«La réponse de Singapour présente une confusion et une contra-
diction évidentes puisque, dans la phrase suivant immédiatement
celle dans laquelle elle nie que la lettre «confirm[ait] son titre terri-
torial», Singapour poursuit en disant que la «lettre a eu pour effet de

confirmer le titre singapourien sur Pedra Branca» (les italiques sont
de nous). Ce que dit Singapour n’est pas clair: la lettre de 1953
confirme-t-elle ou ne confirme-t-elle pas la prétention de Singapour
sur Pulau Batu Puteh? Si elle ne confirme pas le titre de Singapour,

il est difficile de comprendre en quoi la lettre vient à l’appui de sa
thèse. Si, en revanche, la lettre est censée confirmer la prétention de
Singapour, on saisit difficilement comment les termes selon lesquels
le Johor «ne revendiqu[ait] pas la propriété de Pedra Branca» peu-
vent devenir une reconnaissance positive de la souveraineté de Sin-

gapour sur l’île.» (Observations de la Malaisie sur la réponse écrite
de Singapour à la question posée par le juge Keith à Singapour en
date du 7 décembre 2007.)

10. A cet égard, la Malaisie avait déjà déclaré:

«La Cour doit comprendre que, avant la lettre de Singapour du
12 juin 1953, il n’y avait, en ce qui concerne la souveraineté de Sin-
gapour sur Pulau Batu Puteh, que deux possibilités. Soit Singapour
détenait cette souveraineté, l’ayant acquise plus d’un siècle aupara-

101 ereignty. If Singapore had sovereignty, then the Malaysian reply of
21 September 1953 has no relevance to the question of title. The let-

ter could not confer on Singapore a sovereignty that it already pos-
sessed.
If, on the other hand, Singapore did not possess sovereignty over
Pulau Batu Puteh in June 1953, then Singapore is effectively treating

the Malaysian September 1953 letter as its root of title. This would
imply that nothing that Britain or Singapore had done in the pre-
ceding century had been effective to reflect or establish title and that
it is only the Malaysian reply of September 1953 that effectively cre-
ated Singapore’s title.” (CR 2007/26, pp. 51-52, paras. 55-56.)

11. In my opinion, Singapore’s argument is not very clear. On the one
hand, it maintained: that it “has never argued that Johor renounced title

to Pedra Branca for the simple reason that Johor had no title to Pedra
Branca to renounce or abandon”; that its argument was not that “Johor
abandoned or relinquished title to Pedra Branca in 1953”, because “[a]ban-
donment or relinquishment of title is possible only if there is a pre-exist-
ing title”; and that “it is not Singapore’s argument that the Johor State

confirmed Singapore’s title to territory”. On the other hand, Singapore
explained that its argument was simply that, by declaring that Johor did
not claim Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, the Johor State Secretary’s
letter had the effect of confirming Singapore’s title to Pedra Branca/Pulau

Batu Puteh and of confirming that Johor had no title, historic or other-
wise, to the island.
12. In this respect, it is to be recalled that, as the Court concludes
earlier in the Judgment, Singapore did not have title to Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh prior to 1953. Therefore, contrary to Singapore’s con-

tention, it is, in my opinion, not possible for the 1953 letter from the
Johor Acting State Secretary to have had the effect of confirming Singa-
pore’s title to Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.
13. Nor, for the same reason, can the other possibility mentioned by

Singapore be accepted, i.e., that the 1953 Johor Acting State Secretary’s
letter confirmed that Johor had no title, historic or otherwise, to the
island. As found in previous sections of the Judgment, Johor did have
title to Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, and therefore it was not possible
for the 1953 letter from the Acting State Secretary to confirm that Johor

had no title to Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.

14. The argument that the 1953 letter should be understood as Johor’s
renunciation, abandonment or relinquishment of its title to Pedra Branca/

Pulau Batu Puteh was not the argument made by Singapore and, accord-
ingly, in my opinion it should not have been analysed, as it has been in
many paragraphs of the Judgment, and relied upon as the main basis to
conclude on Singapore’s sovereign title to Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh.

102 vant, soit elle ne la détenait pas. Si elle la détenait, alors la réponse
de la Malaisie en date du 21 septembre 1953 est sans pertinence pour

la question du titre. La lettre ne pouvait conférer à Singapour une
souveraineté qu’elle possédait déjà.
Si, en revanche, Singapour ne détenait pas la souveraineté sur
Pulau Batu Puteh en juin 1953, alors Singapour traite de fait la lettre

de la Malaisie de septembre 1953 comme le fondement de son titre.
Cela impliquerait qu’aucun des actes accomplis par la Grande-
Bretagne ou par Singapour au cours du siècle précédent n’avait
valeur d’illustration ou de fondement du titre, et que seule la ré-
ponse de septembre 1953 de la Malaisie conféra réellement un titre

à Singapour.» (CR 2007/26, p. 51-52, par. 55-56.)

11. Selon moi, l’argument de Singapour n’est pas très clair. D’une
part, elle affirme qu’elle «n’a jamais soutenu que le Johor avait renoncé

au titre sur Pedra Branca pour la simple raison que le Johor ne détenait
sur Pedra Branca aucun titre auquel il eût pu renoncer ou qu’il eût pu
abandonner»; qu’elle n’a jamais prétendu qu’«en 1953, le Johor a[vait]
abandonné un titre sur Pedra Branca ou y a[vait] renoncé», car «[o]n ne
peut abandonner un titre ou y renoncer que si on le détient»; et que

«Singapour ne prétend pas que le secrétaire d’Etat du Johor aurait
confirmé son titre territorial». D’autre part, Singapour précise qu’elle se
borne à affirmer que la lettre du secrétaire d’Etat du Johor, en indiquant
que le Johor ne revendiquait pas Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, avait

eu pour effet de confirmer le titre singapourien sur Pedra Branca et
l’absence de titre, historique ou autre, du Johor sur l’île.
12. A cet égard, il convient de rappeler, comme le conclut la Cour plus
haut dans l’arrêt, que Singapour ne détenait pas le titre sur Pedra Branca/
Pulau Batu Puteh avant 1953. Par conséquent, contrairement à ce

qu’affirme Singapour, il est à mon sens impossible que la lettre de 1953
émanant du secrétaire d’Etat par intérim du Johor ait eu pour effet de
confirmer le titre de Singapour sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh.
13. Pour la même raison, on ne saurait davantage accepter l’autre pos-

sibilité mentionnée par Singapour, à savoir que la lettre de 1953 adressée
par le secrétaire d’Etat par intérim du Johor confirme que le Johor ne
détenait pas de titre sur l’île, historique ou autre. Tel qu’établi dans les
sections précédentes de l’arrêt, le Johor détenait bien le titre sur Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh et il n’est dès lors pas possible que la lettre

de 1953 adressée par le secrétaire d’Etat par intérim confirme que le
Johor ne détenait pas le titre sur l’île.
14. L’argument selon lequel la lettre de 1953 doit être entendue comme
une renonciation par le Johor à son titre ou un abandon de celui-ci sur

Pedra Branca/Pulau Batu Puteh n’est pas celui que Singapour a avancé
et, partant, j’estime qu’il n’aurait pas dû être analysé comme il l’a été
dans plusieurs paragraphes de l’arrêt, et que la Cour n’aurait pas dû en
faire état à l’effet de conclure que Singapour détenait le titre sur Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh.

102 15. The 1953 letters are examined in great detail in the Judgment; and
paragraph 196 states: “No further correspondence followed and the Sing-

apore authorities took no public action.”

16. It is surprising that “[n]o further correspondence followed”,
because Johor had not given the information requested by Singapore.

Johor did not inform Singapore of the existence or non-existence of any
“document showing a lease or grant of the rock”, nor did Johor answer
the question whether it had “ceded” “or in any other way disposed of”
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. It is basic practice in international rela-
tions whenever a question remains unanswered to repeat the request in

writing and to insist that the information be provided. This would have
been particularly true here, because the aim of the 1953 correspondence
was to “clarify” the status of Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. However,
Singapore chose not to proceed in this way and has not explained to the

Court why it abstained from acting.
17. Moreover, the 1953 letter from Johor answered a completely dif-
ferent question from the one asked by Singapore. It merely stated that
“the Johore Government does not claim ownership of Pedra Branca”. It
is acknowledged in paragraph 222 of the Judgment that “ownership” is in

principle distinct from “sovereignty”, but that “[i]n international litiga-
tion ‘ownership’ over territory has sometimes been used as equivalent to
‘sovereignty’”. It is a fact that Johor used the term “ownership”, not
“sovereignty”. Therefore, if Singapore understood Johor’s 1953 letter to

mean in reality that “the Johore Government does not claim sovereignty
over Pedra Branca”, it should at the very least, have requested the nec-
essary explanation from Malaysia. This would have been perhaps the
most appropriate way to “clarify the status of Pedra Branca”, which was
the main purpose of Singapore’s letter of 12 June 1953.

18. The requests for further information which are referred to in the
preceding paragraphs of this separate opinion, and which, in my view,

Singapore should have made to Malaysia, cannot be considered out of
the ordinary, since both States “enjoyed very close and friendly rela-
tions”, as stressed several times in the Judgment.

19. The lack of “public action” by Singapore’s authorities is more dif-

ficult to understand than the “lack of further correspondence”.

20. If Singapore did in fact consider that its sovereignty over Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh had been acknowledged, notwithstanding the

ambiguous terms of Johor’s 1953 letter, elementary principles of good
faith required Singapore to assert a formal claim of sovereignty over
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. It is particularly clear that Singapore
should have done so, because, as explained in paragraphs 196 and 224 of
the Judgment, the Colonial Secretary wrote to the Acting Master Attend-

103 15. Les lettres de 1953 sont examinées de manière très détaillée dans
l’arrêt; et le paragraphe 196 indique: «Il n’y eut pas d’autre lettre et les

autorités de Singapour ne donnèrent aucune suite officielle à cette
réponse.»
16. Il est surprenant d’apprendre qu’«[i]l n’y eut pas d’autre lettre»,
étant donné que le Johor n’avait pas communiqué les renseignements

demandés par Singapour. Le Johor n’a pas fait savoir à Singapour s’il
existait ou non «des documents indiquant que le rocher a[vait] fait l’objet
d’un bail ou d’une concession», et n’a pas davantage répondu à la ques-
tion de savoir s’il avait «cédé» ou «a[vait] disposé de toute autre manière»
de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Il est d’usage dans les relations inter-

nationales de réitérer la demande par écrit et d’insister, d’autant que,
dans ce cas précis, le but de la correspondance de 1953 était de «clarifier»
le statut de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Singapour décida cependant
de s’en abstenir et elle n’a pas exposé à la Cour les raisons d’une telle

abstention.
17. En outre, la lettre du Johor datée de 1953 répondait à une question
totalement différente de celle que posait Singapour, indiquant simple-
ment que «le gouvernement du Johore ne revendiqu[ait] pas la pro-
priété de Pedra Branca». Au paragraphe 222 de l’arrêt, la Cour recon-

naît que «la propriété» est en principe distincte de «la souveraineté»
mais que, «[e]n matière de litiges internationaux, la «propriété» d’un terri-
toire a parfois été employée comme synonyme de «souveraineté»».
Il n’en reste pas moins que le Johor a utilisé le terme de «propriété» et

non celui de «souveraineté». Par conséquent, si Singapour avait
compris que la lettre de 1953 signifiait en réalité que le Johor «ne reven-
diqu[ait] pas la souveraineté sur Pedra Branca», elle aurait dû, à tout
le moins, demander à la Malaisie l’explicitation dont elle avait besoin.
Cela aurait peut-être été le meilleur moyen de «clarifier le statut de

Pedra Branca», ce qui était l’objet principal de sa lettre du 12 juin
1953.
18. Les demandes de renseignements complémentaires dont il est ques-
tion dans les paragraphes précédents de cette opinion individuelle, et qui,

à mon sens, auraient dû être adressées par Singapour à la Malaisie, ne
peuvent être considérées comme sortant de l’ordinaire puisque les deux
Etats entretenaient des liens d’amitié très étroits, ainsi que l’arrêt le sou-
ligne maintes fois.
19. L’absence de «suite officielle» donnée par les autorités singapou-

riennes est encore plus difficile à comprendre que le fait qu’«il n’y eut pas
d’autre lettre».
20. Si Singapour considérait en fait que sa souveraineté sur Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh avait été reconnue, nonobstant les termes

ambigus de la lettre du Johor datée de 1953, les principes élémentaires de
la bonne foi exigeaient d’elle une revendication de souveraineté officielle
sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Cela est d’autant plus évident que,
comme indiqué aux paragraphes 196 et 224 de l’arrêt, le secrétaire colo-
nial écrivit au Master Attendant par intérim le 13 octobre 1953 pour

103ant on 13 October 1953 informing him that, since the Johor Government
did not claim ownership of Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, “the Attor-

ney General agrees that we can claim it as Singapore territory”; and
because on 6 February 1953 the Master Attendant recalled the Chief Sur-
veyor’s opinion that Singapore should claim a 3-mile limit around Hors-
burgh. However, Singapore failed to do so and, as a result of the inaction

of its authorities, the status of Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, far from
being “clarified”, remained obscure.

21. Additionally, it may be observed that information about Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh was sought by the Colonial Secretary of Sing-

apore because it was “relevant to the determination of the boundaries of
the Colony’s territorial waters”. Paragraph 225 of the Judgment refers to
internal Singapore correspondence of July 1953 indicating:

“that the Foreign Office and Colonial Office in London were involved
in a wider examination of issues relating to territorial waters, with

the then recent Judgment of this Court in the Fisheries case (United
Kingdom v. Norway) (Judgment, I.C.J. Reports 1951 , p. 116) con-
stituting an important element (that Judgment was rendered on
11 December 1951). The conclusion reached in Singapore by the

Colonial Secretary was that because of geographical circumstances,
the colony would gain very little from the new methods of defining
territorial waters. On the other hand, ‘an application of the new
principles by neighbouring countries’ could ‘only result in an un-
desirable restriction to fishing grounds normally used by Singapore

fishermen’. ‘For general reasons also any enclosure of the high seas
by foreign States is contrary to the interest of this densely populated
maritime Colony dependent on sea-borne trade.’ The internal letter
of July 1953 concluded by mentioning an understanding reached on

the former methods of defining territorial waters with Indonesia
in July 1951, and a concern not to disturb the relationship which
then existed between the Colony and Indonesia.” (Memorial of
Malaysia, Vol. 3, Ann. 68.)

22. Paragraph 225 concludes: “the fact that the authorities in Singa-

pore — or in London for that is where the final decision-making power
lay — took no action at that time is not at all surprising”. However, even
assuming that maritime issues had been under “a wider examination” in
London in July 1953, it is not clear why, if the examination of them was

ongoing at 12 June 1953, the Colonial Secretary of Singapore decided to
demand information about the status of Pedra Branca/Pulau Batu Puteh
precisely because it was “relevant to the determination of the boundaries
of the Colony’s territorial waters”.

104l’informer que, puisque le gouvernement du Johor ne revendiquait pas la
propriété de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, «l’Attorney-General admet-

[tait] que [les autorités singapouriennes] pouv[aient] le revendiquer comme
territoire de Singapour»; et que, le 6 février 1953, le Master Attendant
rappela l’opinion du chef des services topographiques selon laquelle Sin-
gapour devait revendiquer une limite de 3 milles autour du phare Hors-

burgh. Or Singapour ne l’a pas fait et, du fait de l’inaction de ses auto-
rités, le statut de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, loin d’être «clarifié»,
est demeuré obscur.
21. Par ailleurs, on peut observer que le secrétaire colonial de Singa-
pour demandait des renseignements au sujet de Pedra Branca/Pulau Batu

Puteh en raison de l’«importance [de la question] pour la détermination
des limites des eaux territoriales de la colonie». Le paragraphe 225 de
l’arrêt fait état d’une correspondance interne de Singapour datée
de juillet 1953 indiquant que:

«les services du Foreign Office et du Colonial Office à Londres se
livraient à un vaste examen des questions relatives aux eaux territo-

riales. L’arrêt qu’avait peu avant rendu la Cour en l’affaire des
Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège) (arrêt, C.I.J. Recueil 1951 ,
p. 116) constituait un élément important de cet examen (cet arrêt
avait été rendu le 11 décembre 1951). Le secrétaire colonial de Sin-

gapour était parvenu à la conclusion que, en raison des circonstances
géographiques, la colonie avait très peu à gagner des nouvelles
méthodes de définition des eaux territoriales. En revanche, «l’appli-
cation des nouveaux principes par les Etats voisins ... ne pou[v]ait
qu’entraîner une restriction peu souhaitable des zones de pêche

généralement utilisées par les pêcheurs de Singapour». «[P]our
des raisons d’ordre général, la fermeture d’espaces de haute mer
par des Etats étrangers [était] contraire à l’intérêt de cette colonie
maritime densément peuplée, tributaire du commerce maritime.»

La lettre interne de juillet 1953 mentionnait en conclusion qu’une
entente pour s’en tenir aux méthodes antérieures de définition des
eaux territoriales avait été trouvée avec l’Indonésie en juillet 1951
et faisait état du souci de ne pas perturber les relations qu’entrete-
naient alors la colonie et l’Indonésie.» (Mémoire de la Malaisie, vol. 3,

annexe 68.)
22. Le paragraphe 225 se conclut ainsi: «l’absence de réaction de la

part des autorités à Singapour — ou à Londres, car c’est là qu’étaient
prises les décisions en dernier ressort — est loin d’être surprenante».
Toutefois, même à supposer que les questions maritimes aient fait l’objet
d’un «plus ample examen» à Londres en juillet 1953, on ne sait pas bien

pourquoi, si leur examen était en cours le 12 juin 1953, le secrétaire colo-
nial de Singapour décida de demander des renseignements sur le statut
de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, précisément en raison de son «im-
portance pour la détermination des limites des eaux territoriales de la
colonie».

104 III

23. My vote against paragraph 300 (1) of the Judgment is also
explained because I do not agree with the examination of “[t]he conduct
of the Parties after 1953” made in section 5.4.6 of the Judgment. Its para-
graph 274 concludes as follows:

“The conduct of the United Kingdom and Singapore was, in
many respects, conduct as operator of Horsburgh lighthouse, but
that was not the case in all respects. Without being exhaustive, the

Court recalls their investigation of marine accidents, their control
over visits, Singapore’s installation of naval communication equip-
ment and its reclamation plans, all of which include acts à titre de
souverain, the bulk of them after 1953. Malaysia and its predecessors
did not respond in any way to that conduct, or the other conduct

with that character identified earlier in this Judgment, of all of which
(but for the installation of the naval communication equipment) it
had notice.”

24. The majority of the Court specifies the actions that, in its opinion,

Singapore performed à titre de souverain. However, “the bulk of them”
took place after 1953, as stated in paragraph 274 of the Judgment. In this
respect it is to recalled that the Court decided on 10 October 2002 that

“the facts and circumstances put forward by Nigeria with respect to
the Lake Chad villages concern a period of some 20 years, which is
in any event far too short, even according to the theory [of historical
consolidation of title] relied on by it” (Land and Maritime Boundary

between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria: Equatorial
Guinea intervening), Judgment, I.C.J. Reports 2002 , p. 352, para. 65).

25. In paragraph 34 of the Judgment, 14 February 1980 is found to be
the critical date for the purposes of the dispute as to sovereignty over
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Therefore, even assuming that the

actions referred to by the majority of the Court in section 5.4.6 of the
Judgment were performed by Singapore à titre de souverain, they con-
cern a period far too short and for this reason are not sufficient to un-
dermine Johor’s historical title to Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Sing-
apore’s effectivités do not correspond to the law, and, as the Court has

reiterated more than once:
“Where the act does not correspond to the law, where the territory

which is the subject of the dispute is effectively administered by a
State other than the one possessing the legal title, preference should
be given to the holder of the title.” (Frontier Dispute (Burkina Faso/
Republic of Mali), Judgment, I.C.J. Reports 1986 , p. 587, para. 63;
see also Territorial Dispute (Libyan Arab Jamahiriya/Chad), Judg-

105 III

23. J’ai également voté contre le point 1) du paragraphe 300 de l’arrêt
parce que je ne souscris pas à l’examen du «comportement des Parties
après 1953» exposé dans la section 5.4.6 de l’arrêt, qui conclut au para-
graphe 274 ce qui suit:

«Le comportement du Royaume-Uni et de Singapour se ratta-
chait, à bien des égards, à l’exploitation du phare Horsburgh, mais
tel n’était pas toujours le cas. Sans prétendre à l’exhaustivité, la

Cour rappellera, d’une part, les enquêtes sur les accidents maritimes
menées par l’un et l’autre ainsi que leur contrôle sur les visites au
phare et, d’autre part, l’installation par Singapour de matériel de
communication militaire et ses projets visant à gagner des terres,
autant d’actes accomplis à titre de souverain, dont la plupart sont

postérieurs à 1953. La Malaisie et ses prédécesseurs n’ont jamais
réagi à ce comportement, ni à d’autres formes de comportement de
même nature dont il a été question plus haut dans cet arrêt et qui
toutes (sauf en ce qui concerne l’installation du matériel de commu-

nication) avaient été portées à sa connaissance.»
24. La majorité de la Cour mentionne les actes que Singapour a, selon

elle, entrepris à titre de souverain. Toutefois, «la plupart» sont posté-
rieurs à 1953, comme indiqué au paragraphe 274 de l’arrêt. A cet égard,
il faut rappeler que la Cour a décidé le 10 octobre 2002 que

«[l]es faits et circonstances avancés par le Nigéria à l’égard des vil-
lages du lac Tchad concernent ... une période d’une vingtaine
d’années en tout état de cause trop brève au regard même de la théo-
rie [de la consolidation historique] invoquée» (Frontière terrestre et

maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria;
Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002 , p. 352,
par. 65).

25. Au paragraphe 34 de l’arrêt, le 14 février 1980 est considéré
comme la date critique aux fins du différend relatif à la souveraineté sur
Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Partant, même à supposer que les actes

mentionnés dans la section 5.4.6 de l’arrêt aient été accomplis par Singa-
pour à titre de souverain, ils couvrent une période bien trop brève et,
pour cette raison, ne suffisent pas à compromettre le titre historique du
Johor sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Les effectivités de Singapour
ne correspondent pas au droit et, comme la Cour l’a répété à plusieurs

occasions,
«[d]ans le cas où le fait ne correspond pas au droit, où le territoire

objet du différend est administré effectivement par un Etat autre que
celui qui possède le titre juridique, il y a lieu de préférer le titulaire
du titre» (Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali),
arrêt, C.I.J. Recueil 1986 , p. 587, par. 63; voir également Différend
territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil

105 ment, I.C.J. Reports 1994 , p. 38, paras. 75-76; Land and Maritime
Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria:

Equatorial Guinea intervening), Judgment, I.C.J. Reports 2002 ,
p. 353, para. 68).

26. Paragraph 275 of the Judgment states that “the Johor authorities
and their successors took no action at all on Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh from June 1850 for the whole of the following century or more”.
Similar statements are also found in a number of other paragraphs of the

Judgment and were made repeatedly by Singapore throughout the present
proceedings. However, the Johor authorities and their successors were
under no international obligation to undertake any action at all, because
Johor had historical title to Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, as recog-
nized in the Judgment. On the contrary, clarification of the status of the

island was a matter of prime importance to Great Britain, because Great
Britain had made a substantial investment in the construction and main-
tenance of Horsburgh lighthouse. However, Great Britain remained silent
over the years and the status of Pedra Branca/Pulau Batu Puteh was still

unclear in 1953, as evidenced in Mr. J. D. Higham’s letter, on behalf of
the Singapore Colonial Secretary. Singapore’s silence continued in the
following years. No further correspondence was sent to Malaysia to
obtain the necessary clarifications and no public action was undertaken
by Singapore authorities.

IV

27. Paragraph 297 of the Judgment states that the Court “will proceed
on the basis of whether South Ledge lies within the territorial waters gen-

erated by Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, which belongs to Singapore,
or within those generated by Middle Rocks, which belongs to Malaysia”;
and “that South Ledge falls within the apparently overlapping territorial
waters generated by the mainland of Malaysia, Pedra Branca/Pulau Batu

Puteh and Middle Rocks”. The Court adds in paragraph 298 that “in the
Special Agreement and in the final submissions it has been specifically
asked to decide the matter of sovereignty separately for each of the three
maritime features”, but at the same time observes that it “has not been
mandated by the Parties to draw the line of delimitation with respect to

the territorial waters of Malaysia and Singapore in the area in question”.
Consequently in paragraph 300 (3) of the Judgment the Court “[f]inds
that sovereignty over South Ledge belongs to the State in the territorial
waters of which it is located”.

28. As explained in the two preceding sections of this separate opin-
ion, Pedra Branca/Pulau Batu Puteh belongs to Malaysia and I agree that
Middle Rocks is under the sovereignty of Malaysia, as found in para-
graph 300 (2) of the Judgment. Therefore, I consider South Ledge to be

106 1994, p. 38, par. 75-76; Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée équatoriale

(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002 , p. 353, par. 68).

26. Au paragraphe 275 de l’arrêt, il est indiqué que «les autorités du
Johor et leurs successeurs n’ont pas mené la moindre activité sur Pedra
Branca/Pulau Batu Puteh après juin 1850 et ce, pendant tout un siècle,
voire plus». Des déclarations similaires figurent également dans plusieurs

autres paragraphes de l’arrêt et ont été faites à maintes reprises par Sin-
gapour dans la présente procédure. Toutefois, les autorités du Johor et
leurs successeurs n’étaient nullement tenus en droit international de réa-
gir, puisque le Johor détenait le titre historique sur Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh, ainsi qu’il est admis dans l’arrêt. Au contraire, la clarifica-

tion du statut de l’île revêtait une importance cruciale pour la Grande-
Bretagne, en raison des investissements substantiels de cette dernière dans
la construction et l’entretien du phare Horsburgh. La Grande-Bretagne a
cependant gardé le silence pendant toutes ces années et le statut de Pedra

Branca/Pulau Batu Puteh n’était toujours pas clair en 1953, comme
l’atteste la lettre adressée par M. J. D. Higham pour le compte du secré-
taire colonial de Singapour. Singapour a gardé le silence pendant les
années qui suivirent. La Malaisie ne reçut aucune autre lettre visant à
obtenir les clarifications nécessaires et aucune suite officielle ne fut don-

née par les autorités singapouriennes.

IV

27. Au paragraphe 297 de l’arrêt, il est indiqué que la Cour «retient le
principe selon lequel il faut établir si South Ledge se trouve dans les eaux

territoriales générées par Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, qui appartient
à Singapour, ou dans celles générées par Middle Rocks, qui appartient à
la Malaisie»; et «que South Ledge relève des eaux territoriales générées
par la Malaisie continentale, par Pedra Branca/Pulau Batu Puteh et par

Middle Rocks, eaux territoriales qui semblent se chevaucher». La Cour
ajoute au paragraphe 298 qu’elle «[a] été spécifiquement priée, dans le
compromis et dans les conclusions finales des Parties, de se prononcer sur
la question de la souveraineté sur chacune des trois formations maritimes
prises séparément», mais fait observer dans le même temps qu’elle «n’a

pas reçu pour mandat de tracer la ligne de délimitation des eaux territo-
riales de la Malaisie et de Singapour dans la zone en question». Partant,
au point 3) du paragraphe 300 de l’arrêt, la Cour «[d]it que la souverai-
neté sur South Ledge appartient à l’Etat dans les eaux territoriales duquel

il est situé».
28. Comme exposé dans les deux sections précédentes de cette opinion
individuelle, Pedra Branca/Pulau Batu Puteh appartient à la Malaisie et
je conviens que Middle Rocks relève de la souveraineté de la Malaisie,
ainsi qu’il est dit au point 2) du paragraphe 300 de l’arrêt. Par conséquent,

106located within the territorial waters of Malaysia and for this reason to

belong to Malaysia.

V

29. On 23 November 2007 the Court informed Malaysia and Singa-
pore that it was retiring for deliberation. Public hearings on the merits in
the case brought by Djibouti against France commenced on 21 Janu-

ary 2008 and eight days later the Court retired for deliberation, which is
ongoing. Public hearings on the Preliminary Objections in the case con-
cerning Application of the Convention on the Prevention and Punishment

of the Crime of Genocide (Croatia v. Serbia and Montenegro), to be held
from 26 to 30 May 2008, require examination in advance of the written
arguments and requests made by the Parties. Time constraints to present
this separate opinion within the time-limit fixed by the Court did not per-

mit me to make a complete explanation of my disagreement with sub-
paragraphs 1 and 3 of paragraph 300 of the Judgment. Therefore I only
advanced some of the main reasons for voting against them.

(Signed) Gonzalo P ARRA -ARANGUREN .

107je considère que South Ledge est situé à l’intérieur des eaux territoriales

de la Malaisie et, pour cette raison, appartient à la Malaisie.

V

29. Le 23 novembre 2007, la Cour a informé la Malaisie et Singapour
qu’elle se retirait pour délibérer. Les audiences publiques sur le fond de
l’affaire introduite par Djibouti contre la France ont commencé le 21 jan-

vier 2008, et la Cour s’est retirée huit jours plus tard pour entamer son
délibéré, qui est en cours. Les audiences publiques sur les exceptions
préliminaires en l’affaire relative à l’Application de la convention pour

la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie-
et-Monténégro), devant se tenir du 26 au 30 mai 2008, exigent que
l’argumentation écrite et certaines demandes des Parties soient étudiées
soigneusement au préalable. Les contraintes découlant des délais fixés

par la Cour pour la préparation de cette opinion individuelle m’ont
empêché d’expliciter de manière approfondie mon désaccord avec les
points 1) et 3) du paragraphe 300 de l’arrêt et, de ce fait, je n’ai exposé
que certaines des raisons principales m’ayant amené à voter contre.

(Signé) Gonzalo P ARRA -ARANGUREN .

107

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Document Long Title

Opinion individuelle de M. le juge Parra-Aranguren

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