Opinion individuelle de M. Al-Khasawneh (traduction)

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094-20021010-JUD-01-07-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE AL-KHASAWNEH

[Traduction]

Actes, omissions et ~léclarationsdu Nigériane laissailt aucun doute quant à la
reconnaissance de la souveraineté camerounaise sur dakassi - Inutilité, mais
aussi inopportunité de l'invocation d'autres sources de titre -- Difficultés nzo-

rales soulei~éep sur la ci'kmarclzetendant à concilierpro'ection et démembrement
d'une entitk protégée - En outre, fragilité dujondentctnt du titre - Confusion
en droit international et en droit colonial sur la questiorlde savoir si lapuissance
coloniale détenaitla souverainetéterritoriale - Quest;ons de droit interternpo-

rel ConPrence de Berlin - Pacta sunt servanda - Traitement inadéquatde
la ~fistinctionnormative entre colonies et protectorats (!its coloniaux - Bukassi
n'étaitpas terra nulliiis en 1884 --- Utilité restreinte de l'avis consultatif' en

I'ajfaire du Sahara occidental s'agissant de la question du titre dans lesprotec-
torats colo~?iaux - Curactéreessentiel de l'accord en question - Max Huher
manijbstement dans l'erreur -- Cot$.t.sionentre inégaritéde statut et inégcllité

ciepouvoir - Généralisationexcessive - Conception eurocentrique du droit
international - Interprétation poussée à 1'e.xtrênzd etvla théoriede la recon-
naissance corzstitutive - Non étayéepar lu pratique dus Etars - E.xenzp1e.sde
pratique britannique - Distinction entre colonies et p -otectorat.sconstanîment

naint tenueriunslapratique [luRoyaume- Uni - Ainsi qu'cilu conférencede Ber-
lin - Protectorats coloniaux: sous-catégorieJictive, i,zventi'epur les commen-
tateur.~ - Droit interternporel - sinlple mais, à la vérité,insuisis.sahle -

Concept clas.~iquede protectorat remontant à Ulpien - Exernples de pratique
nîusulmane -- Tutelle - Pratique de l'époque de la ccnference de Berlin cons-
tituant une déformatiorzdu concept classique - Droit ~ntertemporeldevant être
appliqué au regard des object(fis du concept classiqu: et non d'une pratique

défirrnée - Antinomie entre protection et propriété - Pratique ne pouvant
invalider le principe pacta sunt servanda - Confusion supplémentaire en droit
intertenzporel résultantde la combinaison d'élémentsst[itiques et dynamiques -

Omis dans le droit des traitcss -- Négligé danslajuri.prudencc. de la Cour -
Intention tarciii~eclesParties - Ou interprétationd'ins~rumentshérités dupassé
à la IumiPrede rPgleset va1eur.rm . odc~rnt,~ - Rejetéedms lujurisprudence de la

Cour européennedes droits de l'homme - Abundonnénen droit pénalinterna-
tional, notion bancale - Ne pouvant justifier le transfevt de Bakussi en 1913 -
Pertinence d~ltitre con,stituépar le traitéde 1884 - Conclusions à inférer dece
titre - Mise en doute de la cohérence générale avtvc d'autres décisions -

Caractéredécisifdu droit international, et non du drooitcolonial - Libellédu
teste du traitén'impliquant aucun transfert de souvemineté - Aucune conclu-
sion & tirer & I'udmini,rtrationbritannique - Adminis'ration et protection non

esclusives l'une de l'autre - Changement de situation cn 1913 -- Présomption
contre la perte inciùe,izte de souvc~raineti. - Passiviré des rois et clzclfs -
Absence de protestatio,iz.s- Volenti non fit injuria - Telle est l'unique raison
de souscrire à la partie de l'arrêtrelative aux articles de 1'~~ccord de 1913

concernant Bakassi.

1. Les raisons qui m'ont conduit à souscrire à la position de la majo-
ritéconcernant le rattachement au Cameroun de la presqu'île de Bakassisont congrûment expriméesaux paragraphes 214 à 216 de l'arrêt:au

cours de la période qui a précédé son accession à l'indépendance(1961),
puis de celle-cijusqu',audébutdes années quatre-vingt-dix, le Nigérian'a,
que ce soit par ses actes, ses omissions ou les déclarations de ses repré-
sentants et experts juridiques, laisséplaner aucun doute sur le fait qu'il
reconnaissait la souveraineté camerounaise à I'ég~dde la presqu'île de
Bakassi. 11va donc sainsdire que je m'associeau raisonnement suivi dans
cette partie de l'arrêt.Ce qu'il me semble utile de préciser, en revanche,
c'estque la Cour n'avait pas besoin d'aller au-delà -et n'aurait d'ailleurs
pas dû le faire- pour trancher de manière satisfaisante la question de la
souveraineté territoriale sur Bakassi en faveur du Cameroun.

2. Au lieu de cela, la Cour a fait le choix de re~,enir,tout à fait inuti-
lement, sur la question de la validitéde l'accord de 1913entre la Grande-
Bretagne et l'Allemagne. Cet accord prévoyait la cession à l'Allemagnede
l'intégralitédu territoire des rois et chefs du Vieux-Calabar - territoire
qui correspond a la presqu'île de Bakassi -, sans l'assentiment de ces
derniers, nonobstant le fait que ces rois et chefs ataient, en 1884,conclu
avec la Grande-Breta.gne un traité de protectorat aux termes duquel ils
s'engageaient «a s'abstenir de toute correspondancr, de tout accord et de
tout traité avec une quelconque nation ou pui:csance étrangkre sans

l'autorisation préalabledu gouvernement de Sa Majestébritannique)), en
échange dequoi la Couronne britannique étendrait sur eux ses ((bonnes
grâces et sa bienveillante protection)). Il convieni ici de relever que le
traitéde 1884fut coriclu par le consul britanniqur, représentant expres-
sément la reineVictoria.
3. Il n'était passeulement inutile, comme je viens de l'indiquer, mais
également malvenu, de revenir sur ces traités, c.ir tenter de concilier
devoir de protection et aliénation ultérieure dela t~talitédu territoire de
l'entité protégée - et ce, indépendamment de la question de savoir si
l'entitéen question étaitou non dotée d'unepersoiinalitéjuridique inter-

nationale - n'est certespas chose aisée,non seulement du point de vue
moral mais encore, sur un plan juridique, parce qlle la distinction entre
colonies, protectorats et protectorats dits «coloniaux» est pétriedeconfu-
sion, tant au regard du droit international qu'au re=ard de celui des puis-
sances coloniales elles-mêmes.Cette confusion tient essentiellement au
fait que le statut de ces territoires était dictépir des considérations
d'ordre pragmatique et des questions de convenznce politique, encore
que les problèmes de nomenclature n'y aient pas été étrangers.Or une
telle confusion - à peine est-il besoin de le préciser-jette le doute sur

le fait que la puissance coloniale/protectrice ait bien étéen possession du
titre ou l'aitseulemenitrevendiqué.
En outre, si elleentend que son arrêtconstitue uii ensemble défendable
du point de vuejuridique et moral, la Cour ne sauiait se contenter d'une
appréciation formaliste des questions qui sont ici er jeu, lesquellesconsis-
tent notamment àdéterminerquelle est la véritable portéedu droit inter-
temporel, et dans quelle mesure celle-ci doit s'apprécierau regard des
valeurs ~ontemporain~esque la Cour devrait promoiivoir; à étudierla pra- FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP. IND. AL-KHASAWNEH) 494

tique des Etats à l'époque pertinente,ainsi que le rôle de la conférencede
Berlin sur l'Afrique occidentale de 1885; à cherchcr à savoir si cette pra-
tique - à supposer qu'elle ait permis l'acquisiti1 de titres sur les pro-

tectorats dits coloniaux - peut êtreirivoquéedans un différendafricain
alors même qu'aucuriEtat africain n'a participé à ;a formation; à s'inter-
roger, s'agissant du transfert de titre, sur la pertinrnce du principe pacta
sunt srrvanda ainsi que sur la valeur normative à attribuer à la pratique
constamment suiviepar la puissance colonialeconcernée (la Grande-Bre-
tagne) et consistant ;idistinguer entre colonies et protectorats. Ce n'est
qu'en se lançant dan:; une analyse pousséede cet ensemble d'aspects per-
tinents et interdépendants que la Cour aurait pu prétendrerépondre à la
question que n'a cesséde marteler sir Arthur Watts, conseil du Nigéria:
qui conféra à la Grande-Bretagne le droit de cider Bakassi? Quand?
Comment? A mon sens, la Cour, en prenant nc'tamment pour acquis

l'existence d'unecatégorie deprotectorats assimilables a des colonies, ou
encore le droit pour les puissances coloniales detrkiter avec des potentats
africains en faisant abstraction du principe fondamental pacta sunt ser-
vandu, a, dans son arrêt, manquéde répondre à ces questions. Dans la
mesure ou ces aspects occupent une place centrale dans la présenteespèce
- et ont, au demeurant, des implications qui la dépassent-, j'estime de
mon devoir d'exposer dans une opinion individuell: mes vuesà leur sujet.
4. La presqu'île dl: Bakassi ne constituait de talute évidencepas une
terra nullius lorsque la Grande-Bretagne conclut, en 1884, un traité de
protectorat avec lesrois et chefs du Vieux-Calabar. Comme lejuge Dillard
a remarquablement résumé cettequestion dans son opinion individuelle

en l'affaireduSaharaoccidental: «[slelonla formule mystérieuse employée
pendant l'instance: on ne protège pas une terra nullius. C'est là un point
qui n'est guère disputé.» (Avis consultatif; CI.J. Recueil 1975, opinion
individuelle du juge Dillard, p. 124.)C'est cependant dans ce même avis
consultatif que laCour a laisséentendre, àtout le riloinsprimajàcie, que,
mêmesi le territoire en auestion n'étaitDas terriz nullius. la ~uissance
coloniale ne se tro~v~aitpas nécessairementempêc'léd e'acquérirun titre
dérivép , ar oppositiorà un titre originaire, lequel ne pouvait être obtenu
que par occupation vraisemblableme n'tccupat on effective de terrae
nullius) (ibid, p. 39,par. 80). Dans la présenteespè:e, la Cour s'est essen-
tiellement appuyée surce passage (arrêt,par. 205) Ilour affirmer que, bien

que la presqu'île de Bakassi n'eût pas le statut deerra nullius, la Grande-
Bretagne avait de fait acquis sur elleune souverainetépar un mode dérivé.
A premièrevue, donc, le Sahara occidental semble offrir des arguments à
l'appui de cette thèse- encore qu'il ne faille pas oublier que le passage
citéétaitun obiter dicturn. Un second examen, toutefois, les fait paraître
bien minces, car, daris l'affaire en question, la Cour ne cherchait pas à
déterminersi l'Espagne détenaitun titre juridique \alable, mais répondait
à une question distincte et bien précise:le Sahara occidental (Rio de Oro
et Sakiet El Hamra) était-il, au moment de la coloriisation par l'Espagne,
un territoire sans maître (terra nullius)? De fait, au paragraphe 82 de
l'avisconsultatif, la Cour s'estexpressément refuséeà seprononcer sur (<le FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP. IND. AL-KHASAWNEH) 495

caractère juridique ou la légalité des titresauxquels l'Espagne doit d'être

devenue Puissance administrante au Sahara occiclental» (C. IJ. Recueil
1975, p. 40, par. 82), bien qu'elle disposât de nomtlreux élémentssur cette
question particulière et eût été priée d'y répondre De plus, en affirmant
qu'«on estimait plutôt en généralque la souverailieté [à l'égard de terri-
toires qui ne sont pas terrae nullius]ne pouvait s'acquérir unilatéralement
par l'occupation de la terra nullius en tant que t~tre originaire, mais au

moyen d'accords conclus avec les chefs locaux» (iteid.,p. 39, par. 80), elle
faisait de manière générale référence aua xccords e 1 vertu desquels le titre
passait des mains des chefs qui le détenaient en t.int que titre originaire
aux nouvelles puissances administranteslprotectrict~s qui acquéraient ainsi
un titre dérivé.De toute évidence,le facteur crucial est l'accord lui-même,

et s'il est parfaitement possible que de tels instrunients aient conféréaux
((nouveaux arrivants )>une souveraineté, l'inverse 1est tout autant, auquel
cas la souveraineté demeurait entre les mains du chef local en application
d'un régimede protection ou d'administration mis en place d'un commun
accord. Il s'agit là de questions relevant de l'interprétation des traitéset de

la pratique ultérieure des parties, qu'on ne saurait éluderen s'abritant der-
rière une sous-catégorie de protectorats dits ((protectorats coloniaux)),
simple vue de l'esprit où le titre est censéêtre autoniatiquement transmis à
la puissance protectrice, indépendamment des di:*positions du traité de
protection. Une telle pratique irait en effet à I'enccmtrede la règlefonda-
mentale pucta sunt servanda, se traduirait par ce que I'on a appelé une

((violation institutiorinalisée de traité))- situation qu'aucune règle de
droit intertemporel n'a jamais justifiée -, et brouillerait en outre la dis-
tinction que la Cour s'est efforcée d'établir entr~:, d'une part, un titre
transmis de manière automatique par suite d'une occupation effective et,
d'autre part, un titre transmis par suite d'un accord conclu avec les chefs

locaux.
5. Si I'on ne peut inférer de l'avis consultatif rendu par la Cour en
l'affaire du Sahara occidental que les accords de protection conclus avec
des chefs locaux sont toujours une source d'acqiiisition de titre dérivé
valable, pourrait-on, sans risque d'erreur, énoncer cette même proposi-
tion en s'appuyant sur certains passages de I'artitrage souvent cité de

l'arbitre Max Hubei- en l'affaire de l'lle de Pulmas (Nations Unies,
Recueil des sentences arbitrales, vol. II,p. 858-859; traduction française:
Ch. Rousseau, Revue généralede droit ~nternation~lpublic, t. XLII, 1935,
p. 187)? Au moins c:ejuge érudit et renommé y a-t-il exprimé un avis
empreint de toute la certitude dogmatique requise, ne laissant aucune

place à l'interprétation. Toutefois, si l'analyse de Max Huber ne peut être
taxéede manque de clarté, elle présente I'inconvé lient d'êtremanifeste-
ment erronée.
Premièrement, l'arbitre part de l'hypothèse que, parce que de tels
accords ne sont pas conclus entre égaux, ils soit «plutôt une forme

d'organisation intérieure d'un territoire colonial, slr la base de l'autono-
mie des indigènes ...Eltc'est la suzeraineté exercée sur1'Etat indigène qui
devient la base de la souveraineté territoriale à l'égard des autresmembres de la comrriunauté des nations. » Ce faisant, il confond inégalité
de statut et inégalitéde pouvoir. Que les souverains et chefs locaux
fussent faibles, le fait qu'ils acceptaient de conclure des traités de protec-
tion l'atteste, mais cela n'enlève rien au constat qu'ils disposaient préci-
sémentde la capacité de conclure des traités.

Deuxièmement, ci: postulat pèche par une ginéralisation excessive,
puisqu'il suppose que les territoires des chefs locaux, quelque valide et
ancien qu'ait pu êtreleur titre, quelques patents qu'aient été la manifes-
tation de leur souveraineté et leur degréd'organi~ation, et indépendam-
ment des disposition,^du traité de protection en q lestion, seraient quasi-

ment devenus des colonies, ou des Etats vassaux pl.icéssous la suzeraineté
de la puissance protectrice coloniale, et ce mêmesi - comme c'était fré-
quemment le cas - Ilecontrôle exercésur eux n'éiaitque symbolique, et
si, dans les relations qu'ils furent par la suite arnenés à nouer avec la
métropole, les chefs continuèrent A être traitéscornme détenant une part

de souveraineté, par exemple aux fins de I'immulité souveraine, ou en
tant qu'ils avaient pour interlocuteur le ministère des affaires étrangères
de la puissance coloniale. L'on comprend mal qu'~n chef local ait pu être
considérésimultanénient comme en droit dejouir d'une immunité souve-
raine absolue, et con~me ayant étédéchu de sa souveraineté territoriale

(voir, par exemple, krighell v.Sultan of Johore [l8(J4]QB 149et Sultan of
Johore v. Abuhakur Tunku Aris Bendahar and C'thers L19521JC 318).
Ces affaires sont d'autant plus pertinentes qu'elles concernaient des chefs
locaux de la régionque devait traiter Max Huber dans son arbitrage sur
1'Ilede Palmas, a savoir l'Asie du Sud-Est, et qu'elles furent tranchées

par les instances judiciaires de ces mêmesmétropcdesqui avaient conclu
un traité de protectoirat avec les rois et chefs du kieux-Calabar.
Troisièmement, ce postulat repose manifestement sur une conception
eurocentrique du droit international fondée sur la notion d'altérité,ce
dont témoignele fait qu'il existait à l'époqueen Exope des principautés

protégéesdont personne ne pensait sérieusement qu'elles avaient aliéné
leur souveraineté à la puissance protectrice et que ,elle-ci pouvait en dis-
poser à son gré. Leclroit intertemporel est généraldans son application
- sa raison d'êtreet sa principale unitéde propoj étant le temps (tern-
pore), comme son nom l'indique, et non la géographie; il ne saurait être
subdivisé en droits iintertemporels régionaux, et ce à plus forte raison

lorsque aucun Etat de la région concernée, qu'il s'agissede l'Afrique sub-
saharienne ou de l'Asie du Sud-Est, n'a pris part a sa formation.
Quatrièmement, I'a~nalysede Max Huber est foiidéesur une interpré-
tation excessive de la théoriede la reconnaissance cmstitutive, dont je me
contenterai de rappeler qu'elle n'est, précisément, riend'autre qu'une

théorie, et qu'elle connpte autant de détracteurs que de partisans.
6. Enfin - et c'est là un plaisant paradoxe -, l'on est en droit dedou-
ter que la généralisationopéréepar Max Huber coricernant la suzeraineté
et la vassalité des protectorats dits coloniaux soit jtayée par la pratique
des Etats à l'époque. Les ccchefslocaux)) auraient ité les premiers surpris

d'apprendre qu'en concluant un traité de prote~ti~~n - ou un traité de FRONTIERE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.AL-KHASAWNEH) 497

commerce et d'amitik, qui s'y apparentait parfois ' - ils avaient renoncé
à leur souveraineté.Nous ne prétendons pas qu'il n'yait jamais eu aban-
don de souveraineté, mais ces questions relèvent, une foisde plus, de
l'interprétation des traités et de la pratique ultkrieure des Parties. Et
pareillement, les puissances protectrices elles-mêrnesn'étaient-elles pas,
dans nombre de cas, en quêtenon de titres coloniaux mais simplement de
sphèresd'influence, de contrôle, ou de dominatioii au sens de pouvoir et
d'autorité, et non au sens de possession territoriale (territorial domi-

nion ).
7. Assurément,les traités de protection représentaientparfois une pre-
mière étape vers la constitution d'un titre colonial a part entière, ou,
comme on les a décrits, «un levier juridique pour acquérir une ébauche
de titre territorial: un titre à mêmed'êtreparachevé plus ou moins
à loisir)) (D. J. Latham Brown, «The Ethiopiii-Somaliland Frontier

Dispute)), Internatio~zaland Comparative Law Quc~rterly(ICLQ), vol. 5,
p. 254-255), mais jusqu'a ce qu'un tel résultatfût atteint et en l'absence
de dispositions pouvant êtreinterprétéescomme conférant un titre, ils
demeuraient un levier et rien de plus. Certains exemples de pratique
des Etats permettroint d'illustrer ce point, et ce d'autant mieux qu'ils
remontent à l'époquede la conférencede Berlin.

a) En 1885, le Foreign Office britannique indiqui que, selon lui,

«un protectorat n'implique pas d'appropriation directe de la sou-
verainetéterritoriale, mais revient à «reconiiaître le droit des abo-
rigènes, ou autres habitants effectifs, a leur propre pays, sans
appropriation de droits territoriaux autres qu'il n'est nécessaire à
la puissance protectrice pour exercer I'autoiitésuprêmeet remplir

les fonctions qui lui incombent en tant que ielle))(FO 40319,no 92
(14 janvier 1885), citépar Malcolm Shaw, Title to Territory in
AfLic~z,note de bas de page 155,p. 283).

h) En 1884, plusieurs traités furent conclus avec des chefs locaux du
Bechuanaland, pitr lesquels la souveraineté interne et externe fut pro-
gressivementtransférée ala puissance protectric,e,la Grande-Bretagne.
Dans l'annéequi suivit, le protectorat britannique devint colonie de la
Couronne et l'autoritéde son gouverneur s'étrnditdèslors au terri-
toire protégé. Un tribunal britannique devait néanmoins confirmer,

dans l'affaire R. 11.Crewe,la distinction entre colonies et protectorats,

' Un traité de protection était parfois appelé traité d'amtié en langue vernaculaire;
ainsi, le traitéuccialli conclu en 1887 entre I'ltalie et I'Eihiopie fut-il ultérieurement
rique différaient. Dans la version italienne, l'empereurnt[ait]àavoir recours auha-
Gouvernement italienpour toutesnégociations qu'il pourrait engager avec d'autres puis-
sances ou gouvernement:;)), tandis que version amhariqu: indiquait qu'il «p[ouvait]
recourir))aux Italiens en qualité d'intermédiaires.L'empere~r d'Ethiopie considérait cet
instrumentcomme un traité d'amitié, alorsque le Gouvernerlent italien y voyait, lui. un
traité de protection (A.. M. Jones et E. MonroeHistory(,fEthiopiup. 139-140). L. J. Vaughan PJilliams notant que «le protectorat du Bechuanaland
relèvede la souveraineté de Sa Majestéau seiis de pouvoir et d'auto-
rité, mais non au sens de possession territori,zle» ([1910] 2 KB 603-
604, citépar Malcolm Shaw, Title to Territ0r.v in Africa, note de bas
de page 161, p. 283; les italiques sont de moi).
c) En 1884et en 1886, des accords furent concliis entre la Grande-Bre-
tagne et les chefs de cinq tribus somaliennes. Dans la première série
d'accords, les chefs somaliens s'engageaientà ne pas aliéner leurter-
ritoire, sinonau1Gouvernement britannique. Dans la seconde (qui

comprenait cinq accords), ils s'engageaient s'abstenir de toute cor-
respondance, de tout accord et de tout trait: avec une quelconque
nation ou puissance étrangèresans l'autorisation préalable du gou-
vernement de Sa Majesté britannique)). De :;on côté, le Gouverne-
ment britannique s'engageait «à étendre sur eux, ainsi que sur les
territoires relevant de leur autorité et de leur compétence, les bonnes
grâces et la bienveillante protection de Saa.iestéla reine et impéra-
trice)). En 1897, les terres pastorales des trilusomaliennes furent
cédéespar la Grande-Bretagne à I'Ethiopie.P près la défaitede 1'Ita-
lie au cours de la seconde guerre mondiale, ces territoires furent
confiésà l'administration militaire britannique pour la Somalie. En
1954, celle-ci se retira, conformément aux tlispositions d'un traité

négocié de novo entre la Grande-Bretagne et I7Ethiopie, qui confir-
mait de fait la prépondérancedu traité de 1897sur les accords passés
avec les chefs somaliens, en concédant tout~:fois aux tribus soma-
liennes quelques; garanties relatives à leurs droits de pâture. La
contradiction entre la cession à I'Ethiopie, 6.n 1897, de ce que les
Somaliens regardaient comme leursterres anccstrales et les précédents
traitésde protection fit l'objet d'un débatau Parlement devant lequel,
relate un commentateur (D. J. Latham Brown, op. cit.p. 254-255),
le secrétaire d'Etat aux colonies affirma dédorer le traité de
1897 «sur lequel, toutefois, comme sur nonibre de faits passés, il
[était]impossiblr: de revenir)). Un membre du Parlement s'exprima
de manière plus explicite:

«les anciens dlestribus s'étaientvolontairenient placéssous la pro-
tection britannique, dans l'espoir de préserver leur indépendance,
l'ordre établi, ainsi que pour d'autres raisons valables et suffi-
santes. En résumé,l'on est, semble-t-il, foldé à affirmer qu'il ne
fut à aucun rnoment opéré de transfert de territoire. En consé-
quence, il nléi.aitpas en notre pouvoir de céder ce que nous ne
possédions pa:s.))

Si, par la suite, la cession fut en pratique confirméepar le traité de
1954,elle le futn dépitde la maxime nenzod#ztquod non habet, sans
toutefois que celle-ci fût contestéeou que quic:onque prétendît que la
Grande-Bretagne avait acquis le titre. Au lieu de cela,'on chercha a
expliquer la contradiction entre les obligations conventionnelles
contractées auprès de I'Ethiopie d'une part et des chefs somaliens de FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP. IND AL-KHASAWNEH) 499

l'autre en invoquant la prétendue supériorité(L'untraité international
sur les accords ironclus avec ces derniers, ainsi que I'absence d'une
définition de l'étenduede leur territoire. Du moins avança-t-on une
tentative d'explication, cedont on peut déplorr~r l'absence dans l'arrêt,
ou la Cour affirme sans états d'âme que le traité de protectorat de

1884 n'empêchait pas la cessionde Bakassi à l'Allemagne pour la
simple raison qu'il établissait un protectorat (:olonial.
d) Au cours de la périodepertinente, les Britaniiiques ne laissèrent pas
d'insister, dans li:cadre de leur politique colo~iiale,sur la nécessitéde
distinguer entre colonies et protectorats. Maintenir une telle distinc-
tion fut, a laconférencede Berlin, l'un des principaux objectifs de la
diplomatie britannique. Celle-ci l'emporta sur les derniers venus dans
le clan impérialiste, qui, tournant en dérisi011le concept de protec-
tion, qu'ils taxaient de ((prises de possession (iurle papier)) (en fran-

çais dans le texte), avaient tout simplement pour ambition I'occupa-
tion effective. Il est raisonnable de supposer que ce ne fut pas pour
des raisons purement formelles ou terminol<lgiques que les Britan-
niques insistèrent sur le maintien d'une telle distinction, mais pour
des raisons pratiques, lesquelles ont étéamplrment commentées par
les historiens (Robinson et Gallagher, Africa lind the Victorians: The
OfJicialMind of Imperialism, 1961).Quelles qu'aient été cesraisons,
ce qui importe, c'est qu'une différenciation normative étaitassociée à
cette distinction, ce dont témoigneau reste la pratique britannique2.

8. Il semblerait ainsi que l'on ne puisseétablir(lemanière certaine que
les traités de protection en Afrique subsaharienne permettaient générale-
ment le transfert de souveraineté ala puissance co~oniale/protectrice ni en
s'appuyant sur la sentence rendue en l'affaire de 1'Ilede Palmas, ni en
invoquant la pratique censéeprévaloir à I'époqiiede la conférence de
Berlin - pratique dont on ne saurait de toute inanière rien inférer de
définitifet aui confirme en réalitéle maintien d'une distinction normative
entre colonies et protectorats dits coloniaux et, partant, le respect de la
maxime nernodut uz~odnon hahet.

9. J'ai jusqu'a présenttenté demontrer que l'e:,istence d'une catégorie
de protectorats, les protectorats dits «coloniaux» dans le cadre desquels
la puissance protectrice étaitlibre de disposer à volontédu territoire pro-
tégé,est une thèse qui ne trouve confirmation rii dans la pratique des
Etats ni dans la jui-isprudence. Selon toute probabilité, elle n'est rien
d'autre qu'une chimère néede l'imagination de certains commentateurs
s'efforçant de légitimerà posteriori des faits incorlpréhensibles et illicites
en inventant des soils-catégories dans lesquelles les règles généralement
applicables n'ont pas cours. Quoi qu'il en soii, supposons, pour les

Sir Robert Jennings et sir Arthur Watts (dir. publ.), Opprnhrim's Intrrnutional Laiv,
9'éd., vol1,p. 269; la note de bas de9pénumère descoinportementset des décisions
judiciaires britanniques qui confirment de manière généralel'existence d'une distinction
entre colonies et protectorats dits coloniaux.besoins de l'argumentation - et ne serait-ce quc par souci d'exhausti-
vité, que la conférence de Berlin sur l'Afrique occidentale ait approu-
vé ce comportement, et que la pratique ultérie~iredes Etats l'atteste.
Cette pratique pourrait-elle être invoquée dans 11:cadre d'un différend

africain alors mêmequ'aucun Etat africain ne participa à la formation de
celle-ci?A mon sens, la réponse ne peut êtreque négative,et le fait que
la présente espèceoppose deux Etats africains est sans pertinence ici. Ce
qui importe, c'est que l'argumentation développé:par l'une des Parties
- le Cameroun - est fondée sur la légitimité présumée de cette pra-

tique, qui est présentéecomme opposable à la Pa;.tie adverse.
10. Se pose également la question de savoir dans quelle mesure I'appli-
cation de la règle(ou du principe) du droit interteinporel doit permettre
de soustraire pareille pratique à tout contrôle judiciaire intervenant à une

date bien ultérieure, quand des juges appelés a trancher un différend qui
leur est contemporain doivent apprécier la pertin1:nce d'autres règles de
droit international concernant l'égalitésouveraine des Etats, I'autodéter-
mination, la non-discrimination et, dans une certaine mesure (car ce
domaine n'en est malheureusement qu'à ses balbu iements, tant du point

de vue de la procéclure que de celui du fond), les droits des peuples
indigènes.
11. Je commencerai par rappeler que la notion de droit intertemporel
est irrémédiablement insaisissable. A première vue, elle paraît simple.
Pour citer une fois ifleplus Max Huber: «[u]n acte juridique doit être

appréciéà la lumière du droit de l'époque, et non à celle du droit en
vigueur au moment où s'élèveou doit êtrerégléuii différend relatif à cet
acte» (Recueil des sentences arbitrales, vol. II,p. 845) (traduction fran-
çaise: Ch. Rousseau., op. cit., p. 172).
12. D'un point de vue général, cette thèsepeut se soutenir, mais dès

lors que I'on se penche de plus près sur son application, des problèmes
commencent à se faire jour: apprécierun acte ju-idique - un traité de
protection par exemlple - à la lumière du droit (le I'époque revient-ilà
l'interpréter à la lumière du droit de l'époque? Ou doit-on seulement
comprendre qu'il faut, lorsque I'on applique à uii instrument héritédu

passé les canons consacrés par l'usage en matiè-e d'interprétation des
traités,prendre en considération le contexte tempcrel, lequel peut fournir
des éclaircissements sur l'intention présumée desparties et, partant, nous
aider à établircelle-ci? Doit-on interpréter un tel a1:tejuridique (un traité)
en tenant compte du fait que son objet et son but étaient de garantir ou

de confirmer certains principes, comme le caractèri: de «mission sacréede
civilisation)) du régime de mandat (Conséquentes juridiques pour les
Etuts de laprésencecontinue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) uu Conseil de sécurité,

Au sujet de la terminologie employée en ce qui concerne le statut du droit inter-
temporel, voir T. O. Elias, «The Doctrine of Inter-temporal Law», Atnerican Journal of
Intc~rtzatioIIu~~vol. 7.4.1980, p. 285.C.I.J. Recueil 1971, p. 16)? De même,lorsque I'oriinterprète un traité de
protection, ne doit-on pas apprécier le droit de l'époqueen gardant à
l'esprit cequ'impliqiiait la notion de protection? Cette notion, à l'instar
de celle de mandat, connote des élémentsde tutelle4 que l'on peut faire
remonter au grand jurisconsulte romain Ulpien, lequel affirmait: «du

point de vue du droit, certaines citésne peuvent être considéréecsomme
majeures)) - notion qui exclut donc celledepropriété.S'agissantd'appré-
cier le droit contemporain du traité de 1884, gard~~ns-nousd'oublier que
le concept classique de protection est antérieur à 11conférencede Berlin.
Ainsi, pour citer quelques exemples, la Grande-Bretagne avait, sur la

base de cette conception excluant toute notion de rouveraineté dela puis-
sance protectrice, établi en 1814un protectorat siir les îles ioniennes, et,
bien des siècles auparavant, lors des conquêtes islamiques, nombre
d'accords de protection avaient été conclus avec dessouverains locaux
dans certaines parties d'Europe, notamment5. Après 1885, la pratique
des Etats, pour reprendre les termes d'un commentateur, «marqua une

tendance à 1l4fi)rrnerle concept original traditionnel de protectorat, et à le
transformer en instrument du colonialisme» (Alexiindrowicz, The Role of
Treaties in the Euro,pean-Ajricun confrontation ln the Nineteenth Cen-
tury, Ajrican International Legal History, p. 55, citépar Malcolm Shaw
dans Titleto Territory in Africa, p. 47; les italique:,sont de moi). L'appli-
cation du droit intertemporel ne nous imposerait-elle pas dèslors, en tant

que juges, de prendre en considération non pas seulement la pratique,
mais également le fait que celle-ci constituait une déformation de la
notion de protection et de l'exercicede cette dernière,l'objet du régimede
protectorat - comme celui du régimede mandat - étantd'instituer une
forme de tutelle qui, par définition, exclutles noti 3ns de propriétéou de
possession territoriale? Tel est, à mon sens, le principe du droit de

l'époquequ'il convient d'apprécieren vertu de la règledu droit intertem-
porel, et l'on nesaurait se contenter de dresser le constat d'une déforma-
tion mi-kafkaïenne rni-orwellienne, où amitié signifie ingérencedans les
affaires intérieures, où protection signifie perte de souveraineté et
démembrement, et où conclusion de traitéssignifi: violation instantanée

Sir Robert Jennings et sir Arthur Watts (dir. publ.), Opponheim's International Luw,
9' éCitons,à,titre d'exemple, le traitéde Tudmir de Rajab (znnée94 de l'h-giavril
731 de l'èrechrétienne), conclu entre 'Abd al-'AziMüsa ibn Nusayr, gouverneur de
l'Espagne omeyyade, et Théodémir, représentantdes petites p .incipautésmilitaires locales
du sud-est de l'Espagne (correspondant aux actuelleségi<,nsde Murcie, Alicante et
Valence): par ce pacte, le pouvoir politique était transféri des mains des Wisigoths
d'Espagne aux Omeyyades de Damas, mais les princes etleu'-sdescendants conservaient
les droits de propriétéainsi que d'autres droits. Pour le texteté, voir Robin Burns
et Paul Cliveddan (dir. publ.),otiutingCulturesBilingual Surrender Treuties in Mos-
lem-CrusacierSpuin under Jume.sthe Conqueror, p. 202. Les Ottomans conclurent nombre
de traitésde protection semblables avec diverses principautés d'Europe orientale, dans le
cadre desquelles la souveraineté, au sens d'autorité, passait aux mains des Ottomans.
tandis que les chefs européens conservaient leurs droits de pr2priétéet autres.de ceux-ci. Autrement dit, saisir la signification véritable du droit inter-
temporel nous oblige à nous interroger sur la qualité de l'acte juridique
considéréà la lumière non seulement de la pratique alléguée,mais aussi
de l'ensemble du droit relatif à la protection, c'est-à-dire en nous référant
à son objet et en prenant en compte d'autres règles pertinentes à l'épo-

que. La pratique de l'Afrique du Sud était-elle conforme au but et a
l'objet du régimede mandat en tant que «mission sacréede civilisation»?
Et, de même, lapratique consistant à aliéner un ,.erritoire protégéétait-
elle conforme à l'idéeque le concept de protection se fonde sur des
notions de tutelle développées endroit qui, par définition, excluent toute
synonymie entre protection et propriété territoriale?

Est également pertinente, s'agissant d'apprécier le droit contemporain
de l'acte juridique considéré (le traité), l'obligation de prendre en consi-
dération d'autres règles de droit. La principale d'entre elles est la règle
fondamentale pacta sunt servanda, en laquelle on peut voir la plus impor-
tante règlede droit international, sinon de droit er général,et qui ne sau-
rait, en tout état de cause, êtreinvalidée par la pratique supposée de

certains Etats. Je ne :sachepas que, à l'époquede la conférencede Berlin,
cette règleait cesséd'exister.
13. En tout état de cause, le droit intertemporel tel que l'a formulé
Max Huber n'est pa.s aussi statique que d'aucuns voudraient le croire,
son caractère insaisi;ssable étant encore accentué par ce qu'il ajoute au

paragraphe suivant, à savoir: «l'existence de ce di.oit, en d'autres termes
sa manifestation continue, [doit suivre] les conditions requises par l'évo-
lution du droit ))(Recueil des sentences arbitrales, $01.II,p. 845) (traduc-
tion française :Ch. FLousseau,op. cit., p. 172).
14. Il ne nous appartient pas, dans le cadre de 12 présente opinion indi-
viduelle, d'entrer dans ce débat bien connu et tout à fait légitime qui

entoure le champ d'application de la règleou du principe de droit inter-
temporel auquel a donné lieu la combinaison par 'MaxHuber d'éléments
statiques et d'élémeiltsdynamiques dans la défiiiition de son concept.
Qu'il nous suffise de rappeler que la confusion fut telle que ni la Com-
mission du droit international, sous la houlette de l'éminentrapporteur
spécial sur la question, sir Humphrey Waldock, ni la conférence de

Vienne elle-mêmene furent en mesure de démêler,ette question, de sorte
que la notion de droit intertemporel fut omise de 121convention de Vienne
sur le droit des traitks de 1969. L'article31 de ce1e-ci ne renvoie expres-
sément à aucun élénienttemporel, se contentant j'évoquer «toute règle
pertinente de droit)), et son article 64 va mêm: au rebours de cette
notion, s'agissant de la survenance d'une nouvelk: norme de jus cogens.

15. En d'autres termes, nous n'avons pas affaire à une règlesimple et
bien définie susceptible d'être appliquée automaticluement, mais plutôt à
une idée complexe qui n'a pas réussià trouver sa place dans la conven-
tion de Vienne de 19169 . e mêmele concept de croit intertemporel n'a-
t-il pas été consacréd :ans les décisions d'organes judiciaires, qui sont
souvent passés outri: grâce à une découverte tardive de l'intention des

parties, comme ce fut le cas dans l'affaire de laMc,rEgée,ou à une inter-prétation du traité à la lumière des dispositioiis du droit moderne,
approche que retint la Cour dans son avis corisultatif sur la Nami-
bie, en s'exprimant ainsi: «tout instrument international doit être inter-
prétéet appliqué dans le cadre de l'ensemble di! systèmejuridique en
vigueur au moment (où l'interprétation a lieu(Conséquencesjuridiques
pour les Etilts de la présence continue de lc.Afriqrledu Sud en Namibie
(Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution276 (1970) du Conseil de
sécurité.C.1.J. Recueil 1971. W. 31).
16. En outre, c'est peut-êtredans le domaine du droit pénal que la

règlede droit interteimporel revêtune importance particulière et se prête
a une définition. En effet, bienque l'aspect tempor.:l de la maximenullum
crimen nullu poenu .si,nelegerequière une définition précise, c'etourtant
précisémentdans ce domaine qu'elle a étéle plus ~emarquablement écar-
tée. Ainsi,son app1ic:ationaurait permis de soustraire à la justice pénale
les auteurs de crimes internationaux commis dans le cadre de la seconde
guerre mondiale, crimes qui, pour beaucoup d'entre eux, ne relevaient
pas du droit positif. 'IToutefois,on le sait, cette protection qu'impliquait le
respect du droit intertemporel ne fut pas accordée. S'ilen fut ainsi alors
que le droit étaitplu!;précis,les contours du concc:ptlui-même plus aisé-
ment identifiables et les conséquences (à savoir la criminalisation) fort
lourdes, je ne vois pas pourquoi l'invocation CU droit intertemporel
devrait protéger un comportement incompatible aTiecles règlesmodernes

du droit international et inacceptable au regard des valeurs morales
modernes qui sous-tendent ces règles,et ce, à plus.forte raison quand la
réprobation ultérieurese manifeste non par une criminalisation mais sim-
plement par une invalidation.
17. L'on peut donc, semble-t-il, raisonnablemelit affirmer que, s'agis-
sant du droit interte:mporel, nous avons affaire à une notion complexe,
dont le statut en tant que règle,principe, doctrine ou règled'interpréta-
tion est matière a force controverses, et qui fut en outre intentionnelle-
ment omise de la coinvention sur le droit des trai..ésde 1969, systémati-
quement rejetéedans diverses décisionsde la Cour européenne des droits
de l'homme, sans compter qu'elle fut écartéedan: certaines décisionsde
la Cour internationale de Justice et abandonnée dans le domaine des

crimes internationaux, le seul, paradoxalement, où elle semblait a peu
près définieet cohérimte.En d'autres termes, il s'sgit d'une notion ban-
cale par laquelle on a tort d'espérerpouvoir justifier la cession de Bakassi
à l'Allemagne en 1913.
18. Au paragraphe 205de l'arrêt,la Cour appelle l'attention sur le fait
«que le statut juridique international d'un ((traitéde protection)) conclu
sous l'empire du droit alors en vigueur ne saurait être déduit de sonseul
titre)), ce qu'elle illustre par les exenlples suivants:

((Certains traités de protection furent ainsi conclus avec des enti-
tésqui conservèrent, dans le cadre de ces trai és, lasouveraineté qui
étaitantérieurement la leur au regard du droi~.international, que ces territoires protégésaient ensuite été appelés«protectorats» (comme
dans le cas du Maroc, de la Tunisie et de Madagascar ... dans leurs
relations conventionnelles avec la France) ou «Etats protégés))

(comme dans le cas de Bahreïn et de Qatar dans leurs relations
conventionnelles avec la Grande-Bretagne). »

19. Ce raisonnement appelle deux observations: primo, s'ilest vrai que
le statut juridique international d'un ((traité de ~)rotection» ne saurait
être déduit de son seul titre, ce titre doit néanmoins avoir certaines impli-

cations. Il nous apprend ainsi d'emblée que l'entité enquestion n'était
pas terru nullius, car «on ne protège pas une terru nuIlius». Nous pou-
vons également en dkduire, sans risque d'erreur, que le traité avait pour
objet la protection et non le titre colonial. Nous pouvons encore en
conclure que l'entitéen cause était habilitéeàétablirdes relations conven-

tionnelles. Enfin, sauf à postuler, erronément, qu'une partie à un traité
peut déterminer de manière unilatérale le statut ir ternational de l'autre,
nous pouvons en infiirer que le traité étaitjuridicuement valable sur le
plan international.
Secundo, la Cour cherche, dans son arrêt, à ctablir une distinction

entre cette affaire et d'autres dans le cadre desquelles elle a étéamenéeà
se prononcer sur l'existence de la personnalité juridique internationale de
la partie protégée (leMaroc et la Tunisie par rapport à la France, et
Qatar et Bahreïn vis-,à-visde la Grande-Bretagne), mais, une fois encore,
il appert que les protectorats dits coloniaux participent des protectorats
en général et neconstituent pas une sous-catégorie, sauf à admettre que

la volonté d'une partie (la puissance protectrice) soit décisive. En outre,
s'agissant de Qatar et Bahreïn, ces territoires placis sous l'autorité d'un
cheikh n'étaient pas des Etats indépendants lorsqiie la Grande-Bretagne
noua avec eux, par le biais de traités, des rapports (le protection, mais des
possessions ottomanes gouvernées par des chefs locaux vassaux de

l'Empire. Il en allait 'demêmepour la Tunisie. Il serait paradoxal que la
Cour juge que des chefs vassaux étaient de fait souverains, parce que,
pour des raisons pratiques d'ordre politique, ilseyait à la Grande-Bre-
tagne qu'ils fussent considéréscomme tels, mais ne reconnaisse pas
les mêmesattributions à ceux qui échappaient à toute souveraineté ou

suzeraineté lorsque 1;iGrande-Bretagne conclut avec eux des traités de
protection. Non seulement le facteur déterminant serait alors le droit
colonial, et non le droit international, mais aussi la cohérence géné-
rale des décisions de la Cour pourrait dès lors êtremise en doute.
20. Abstraction faite de la question du titre, le jimple libellé du traité
- qui, par bonheur, est fort bref - ne laisse aucune incertitude sur le fait

que l'enjeu de cet inst:rument se résumait, pour unr, partie, à étendre «ses
bonnes grâces et sa bienveillante protection)), et pour l'autre, à s'engager
à ne conclure aucun traité avec des puissances auties que la Grande-Bre-
tagne sans l'autorisation de celle-ci. Il n'est fait référenceà aucun trans-
fert de souveraineté territoriale, que ce soit par l'emploi du mot cession,

pour reprendre la terminologie qu'emploie la Cour au paragraphe 80 de FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP. IND.AL-KHASAWNEH) 505

l'avisconsultatif rendu en l'affaire du Sahara occitlental, ou sous quelque
autre forme. L'absence de toute intention de transférer la souveraineté
territoriale découle trèsclairement de la maxime inclusio unius exclusio
alterius d'une part et, d'autre part, du fait que l'ot~jetdu traitén'était pas

la propriétémais la protection.
21. Que, par la suite, la Grande-Bretagne ait effectivement administré
le territoire en question (arrêt,par. 207) neodiia en rien la situation:
celle-ci était exactement la mêmedans le protectorat du Bechuanaland
évoquéplus haut (voir par. 7 de la présente opinion), ce qui n'empêcha
pas un tribunal britannique de maintenir la distinction entre colonie et
protectorat, ou, pour reprendre ses termes exacts: «un protectorat rele-
v[ant] de l'autorité cle Sa Majestéau sens de pouvoir et d'autorité,mais
non au sens de po.s,ses.sionterritoriale)) (les italiques sont de moi). En
outre, une puissance peut parfaitement administrer un Etat qu'il protège.
La situation ne changea pas non plus lorsque la Grande-Bretagne décida

d'intégrerles territoires des rois et chefs du Vieux-Calabar au protectorat
de la côte du Niger. Ellechangea, en revanche, en 1913,lorsque la Grande-
Bretagne céda à l'Allemagne l'actuelle Bakassi en effet, c'était sous
protection britannique, et non allemande, que les rois et chefs avaient
consenti à se placer et la cession aurait, en outre, exigédes pouvoirs asso-
ciésà la souverainetéterritoriale que la Grande-Bi.etagne ne détenait pas.
22. Il existe, en clroit international, une forte présomption contre la
perte incidente de souveraineté, mais c'est là d'iine présomption réfra-
gable, et si la situation des rois et chefs du Vieux-('alabar ne fut pas affai-
blie par le traitélui-même,elle le fut assurément par leur comportement
ultérieur. L'ondit que le dieu de la souverainetéest un dieujaloux, mais,

à Bakassi, cette divinitédérogeapparemment à la règle: à la réflexion,
l'on ne peut manquer d'être frappépar la passivité et l'inaction dont
firent preuve les rois et chefs du Vieux-Calabar, poussées à un point tel
que la présomption s'en trouva renversée.A l'exception d'une unique
visiteà Londres en 1913, au cours de laquelle le^r délégationdiscuta de
questions relatives au régime foncier,les rois et chefs demeurèrent silen-
cieux face à des événementscapitaux qui mettaient en jeu leur statut. Le
fait, en particulier, qu'ils ne protestèrent pas contre la cession]'Alle-
magne de leur territoire aux termes de l'acco~d de 1913 m'oblige à
conclure qu'ils avaient donné leur consentement à ce transfert: volenti
non fit injuria. C'est uniquement pour cette raison - et non en me

fondant sur l'interprétationsurréalistedu traitéde 1884qui a été avancée,
pas plus que sur le renvoi à une chimériquesou:;-catégoriede protecto-
rats coloniaux, ou à une non moins chimérique fmne de droit intertem-
porel qui permettrait de soustraireàI'invalidatior unepratique déformée
de la protection - que j'ai votéen faveur du point III A) du dispositif
relatif aux articles de l'accord de 1913concernant Bakassi.

(Signé) f\wn AL-KHASAWNEH.

Bilingual Content

SEPARATE OPINION OF JUDGE AL-KHASAWNEH

Nigerian actions, omissions und other stutements leave no room jOr doubt

regarding recognition of Cameroonian sovereignty in Bakassi - Resort to other
sources of title unnecessury, also unfortunate - Moral difJiculties of reconciling

protection and dismemberment of protected entity - Also not solidfoundation
for title - Confusion in international und colonial la~vregarding whether colo-
nial poiver possessed territorial sovereignty - Questions of intertemporal law

- Berlin Conference - Pacta sunt servanda - Normative distinction betiveen
coloniesand so-called colonialprotectorates not addressed adequately - Bakassi
not o terra nullius in 1884 - No real support jkom Western Sahara Advisory

Opinion on question of title in colonial protectorates - Agreement in question
crucial - Max Huber clearly wrong - Confusion of inequality in status and
weakness in power - Sweeping generalization - Eurocentric approach to

international laiv - Extreme interpretation of constitutive theory uf recognition
- Unsupported by relevant State practice - Examples from British practice -
A distinction betiveen colonies and protectorates constant feature of United

Kingdoin practice - Also at Berlin Conference - Colonial protectorates,ficti-
tious sub-categories invented by cornmentators - Interten~poral laiv - simple
but in,fact elusive - Concept of protectorates classic concept traceable to

Ulpian-Exanzples from Moslen~practice - Elenlents ofguurdianship - Ber-
lin Conference practice a d<formation of classical concept - Intertemporal law
slzould be checked against the objectives of classical concept und not deformed

practice - Protection excludes oitwership - Practice cannot overrule pacta
sunt servanda - Further confusion in intertenzporal lawfrom combining evo-
lutionary und static elernents - Droppedfronz lait.of treaties - Circun7vented

in Court jurisprudence - Belated intent of Parties - Or reading n~odernrules
und values into instruments of the past - Rejected in European Court of
Humun Rights jurisprudence - Abandoned in international criminul lair~,trun-

cated concept - Cannot legitimize transjer of Bakussi in 1913 Relevance of
title of 1884 Treaty - Deductions to be maclefrom title - Broad consistency

with other judgments called into question - International law and not colonial
law decisive - Treaty test means no sovereignty transfer - No inference to be
draivnfrom British administration -Administration andprotection can co-exist

- Situation altered in 1913 - Presumption against incidental loss of sover-
eignty - Passivity of Kings unci Chiefs - Failure to protest - Volenti non fit
injuria - Only rhis reasonfor concurrence ivith part of Judgment clealingitlith

relevant articles of'1913 on Bakassi.

1. The reasons that led me to concur with the majority view regarding
the appurtenance of the Bakassi Peninsula to Cameroon are adequately OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE AL-KHASAWNEH

[Traduction]

Actes, omissions et ~léclarationsdu Nigériane laissailt aucun doute quant à la
reconnaissance de la souveraineté camerounaise sur dakassi - Inutilité, mais
aussi inopportunité de l'invocation d'autres sources de titre -- Difficultés nzo-

rales soulei~éep sur la ci'kmarclzetendant à concilierpro'ection et démembrement
d'une entitk protégée - En outre, fragilité dujondentctnt du titre - Confusion
en droit international et en droit colonial sur la questiorlde savoir si lapuissance
coloniale détenaitla souverainetéterritoriale - Quest;ons de droit interternpo-

rel ConPrence de Berlin - Pacta sunt servanda - Traitement inadéquatde
la ~fistinctionnormative entre colonies et protectorats (!its coloniaux - Bukassi
n'étaitpas terra nulliiis en 1884 --- Utilité restreinte de l'avis consultatif' en

I'ajfaire du Sahara occidental s'agissant de la question du titre dans lesprotec-
torats colo~?iaux - Curactéreessentiel de l'accord en question - Max Huher
manijbstement dans l'erreur -- Cot$.t.sionentre inégaritéde statut et inégcllité

ciepouvoir - Généralisationexcessive - Conception eurocentrique du droit
international - Interprétation poussée à 1'e.xtrênzd etvla théoriede la recon-
naissance corzstitutive - Non étayéepar lu pratique dus Etars - E.xenzp1e.sde
pratique britannique - Distinction entre colonies et p -otectorat.sconstanîment

naint tenueriunslapratique [luRoyaume- Uni - Ainsi qu'cilu conférencede Ber-
lin - Protectorats coloniaux: sous-catégorieJictive, i,zventi'epur les commen-
tateur.~ - Droit interternporel - sinlple mais, à la vérité,insuisis.sahle -

Concept clas.~iquede protectorat remontant à Ulpien - Exernples de pratique
nîusulmane -- Tutelle - Pratique de l'époque de la ccnference de Berlin cons-
tituant une déformatiorzdu concept classique - Droit ~ntertemporeldevant être
appliqué au regard des object(fis du concept classiqu: et non d'une pratique

défirrnée - Antinomie entre protection et propriété - Pratique ne pouvant
invalider le principe pacta sunt servanda - Confusion supplémentaire en droit
intertenzporel résultantde la combinaison d'élémentsst[itiques et dynamiques -

Omis dans le droit des traitcss -- Négligé danslajuri.prudencc. de la Cour -
Intention tarciii~eclesParties - Ou interprétationd'ins~rumentshérités dupassé
à la IumiPrede rPgleset va1eur.rm . odc~rnt,~ - Rejetéedms lujurisprudence de la

Cour européennedes droits de l'homme - Abundonnénen droit pénalinterna-
tional, notion bancale - Ne pouvant justifier le transfevt de Bakussi en 1913 -
Pertinence d~ltitre con,stituépar le traitéde 1884 - Conclusions à inférer dece
titre - Mise en doute de la cohérence générale avtvc d'autres décisions -

Caractéredécisifdu droit international, et non du drooitcolonial - Libellédu
teste du traitén'impliquant aucun transfert de souvemineté - Aucune conclu-
sion & tirer & I'udmini,rtrationbritannique - Adminis'ration et protection non

esclusives l'une de l'autre - Changement de situation cn 1913 -- Présomption
contre la perte inciùe,izte de souvc~raineti. - Passiviré des rois et clzclfs -
Absence de protestatio,iz.s- Volenti non fit injuria - Telle est l'unique raison
de souscrire à la partie de l'arrêtrelative aux articles de 1'~~ccord de 1913

concernant Bakassi.

1. Les raisons qui m'ont conduit à souscrire à la position de la majo-
ritéconcernant le rattachement au Cameroun de la presqu'île de Bakassireflected in paragraphs 214 to 216 of the Judgment, namely that in the
period leading to its independence in 1961 and since then till the early
1990s,Nigeria, by its actions and omissions and through statements ema-
nating from its officials and legal experts, left no room for doubt that it

had acknowledged Cameroonian sovereignty in the Bakassi Peninsula. It
goes without saying, therefore, that 1associate myself with the reasoning
in this part of the Judgment. What needs to be said, however, is that this
was al1the Court needed to do, and al1it should have done, to dispose
satisfactorily of the issue of territorial sovereignty over Bakassi in
Cameroon's favour.

2. Instead the Court chose, quite unnecessarily, to revert to the ques-
tion of the validity of the 1913 Agreement between Great Britain and
Germany under which the former ceded the entire territory of the Kings
and Chiefs of Old Calabar - which territory corresponds to the Bakassi

Peninsula - to Germany without the consent of those Kings and Chiefs,
notwithstanding that Great Britain had entered earlier into a Treaty of
Protection with them in 1884 under which, in return for their agreeing
and promising "to refrain from entering into any correspondence, Agree-
ment or Treaty, with any foreign nation or Power, except with the know-
ledge and sanction of Her Britannic Majesty's Government", Her Majesty

would extend Her "favour and protection" to them. It must be noted
here that the 1884 Treaty was concluded by the British Consul expressly
as the representative of Queen Victoria.

3. Reversion to those treaties was not only unnecessary as 1 stated

earlier, it was also unfortunate, for the attempt at reconciling a duty of
protection on the one hand with, on the other, the subsequent alienation
of the entire territory of the protected entit- regardless of whether that
entity possessed international legal personality or not - cannot be an
easy matter, not only due to the moral difficulties that such an attempt
would entail, but also, as a matter of law, because the distinction between

colonies, protectorates and the so-called "colonial protectorates" is
steeped in confusion both under international law and under the laws of
the colonial Powers themselves, the confusion arising mainly from the
fact that it was considerations of pragmatism and political convenience
that determined the status of those territories, though problems of nomen-

clature are also a contributory factor. Needless to say, such confusion
engenders doubt as to whether the colonial/protecting Power possessed
or even claimed title.

In addition, if the Judgment is to constitute a legally and morally

defensible scheme, it cannot merely content itself with a formalistic
appraisal of the issues involved. Such issues include the true scope of
intertemporal law and the extent to which it should be judged by con-
temporary values that the Court ought to foster; an ascertainment of
State practice at the relevant time and the role of the Berlin Conferencesont congrûment expriméesaux paragraphes 214 à 216 de l'arrêt:au

cours de la période qui a précédé son accession à l'indépendance(1961),
puis de celle-cijusqu',audébutdes années quatre-vingt-dix, le Nigérian'a,
que ce soit par ses actes, ses omissions ou les déclarations de ses repré-
sentants et experts juridiques, laisséplaner aucun doute sur le fait qu'il
reconnaissait la souveraineté camerounaise à I'ég~dde la presqu'île de
Bakassi. 11va donc sainsdire que je m'associeau raisonnement suivi dans
cette partie de l'arrêt.Ce qu'il me semble utile de préciser, en revanche,
c'estque la Cour n'avait pas besoin d'aller au-delà -et n'aurait d'ailleurs
pas dû le faire- pour trancher de manière satisfaisante la question de la
souveraineté territoriale sur Bakassi en faveur du Cameroun.

2. Au lieu de cela, la Cour a fait le choix de re~,enir,tout à fait inuti-
lement, sur la question de la validitéde l'accord de 1913entre la Grande-
Bretagne et l'Allemagne. Cet accord prévoyait la cession à l'Allemagnede
l'intégralitédu territoire des rois et chefs du Vieux-Calabar - territoire
qui correspond a la presqu'île de Bakassi -, sans l'assentiment de ces
derniers, nonobstant le fait que ces rois et chefs ataient, en 1884,conclu
avec la Grande-Breta.gne un traité de protectorat aux termes duquel ils
s'engageaient «a s'abstenir de toute correspondancr, de tout accord et de
tout traité avec une quelconque nation ou pui:csance étrangkre sans

l'autorisation préalabledu gouvernement de Sa Majestébritannique)), en
échange dequoi la Couronne britannique étendrait sur eux ses ((bonnes
grâces et sa bienveillante protection)). Il convieni ici de relever que le
traitéde 1884fut coriclu par le consul britanniqur, représentant expres-
sément la reineVictoria.
3. Il n'était passeulement inutile, comme je viens de l'indiquer, mais
également malvenu, de revenir sur ces traités, c.ir tenter de concilier
devoir de protection et aliénation ultérieure dela t~talitédu territoire de
l'entité protégée - et ce, indépendamment de la question de savoir si
l'entitéen question étaitou non dotée d'unepersoiinalitéjuridique inter-

nationale - n'est certespas chose aisée,non seulement du point de vue
moral mais encore, sur un plan juridique, parce qlle la distinction entre
colonies, protectorats et protectorats dits «coloniaux» est pétriedeconfu-
sion, tant au regard du droit international qu'au re=ard de celui des puis-
sances coloniales elles-mêmes.Cette confusion tient essentiellement au
fait que le statut de ces territoires était dictépir des considérations
d'ordre pragmatique et des questions de convenznce politique, encore
que les problèmes de nomenclature n'y aient pas été étrangers.Or une
telle confusion - à peine est-il besoin de le préciser-jette le doute sur

le fait que la puissance coloniale/protectrice ait bien étéen possession du
titre ou l'aitseulemenitrevendiqué.
En outre, si elleentend que son arrêtconstitue uii ensemble défendable
du point de vuejuridique et moral, la Cour ne sauiait se contenter d'une
appréciation formaliste des questions qui sont ici er jeu, lesquellesconsis-
tent notamment àdéterminerquelle est la véritable portéedu droit inter-
temporel, et dans quelle mesure celle-ci doit s'apprécierau regard des
valeurs ~ontemporain~esque la Cour devrait promoiivoir; à étudierla pra-494 LAND AND MARITIME BOUNDARY (SEP. OP. AL-KHASAWNEH)

on West Africa of 1885; the question, whether that practice - assuming

it permitted the acquisition of title in the so-called colonial protectorates
- could be invoked in an African case when no African State had par-
ticipated in the formation of such alleged practice; the relevance of the
fundamental rule pacta sunt servanda on the passing of title and the nor-
mative value to be attached to the consistent practice of the colonial

Power in question (Great Britain) of distinguishing between colonies on
the one hand and protectorates on the other. Only when a serious
attempt has been made to analyse this host of relevant and interrelated
considerations can it be said that the question repeatedly and forcefully
posed by Sir Arthur Watts as counsel for Nigeria - Who gave Great
Britain the right to give away Bakassi? And when? And how? - would

be answered. To my mind, the Judgment, by taking for granted such
premises as the existence of a category of protectorates indistinguishable
from colonies, or the right of colonial Powers to deal with African poten-
tates on the basis that the fundamental rule ~acta sunt servanda does not
exist, has failed to answer that question. To the extent that these are cen-

tral issues in this case and have implications that go beyond it, 1 feel 1
must append my thoughts on them in a separate opinion.

4. It is evident that the Bakassi Peninsula was not a terra nullius when

Great Britain entered into a Treaty of Protection with the Kings and
Chiefs of Old Calabar in 1884.As Judge Dillard cogently summarized the
matter in his separate opinion in the Western Sahara case: "[als was
cryptically put in the proceedings: you do not protect a terra nullius. On
this point there is little disagreement." (Advisory Opinion, I.C.J. Reports

1975, p. 124.) Yet it was also in that Advisory Opinion that the Court
implied, at least prima facie, that, even if the territory in question was not
a terra nullius, this would not in itself preclude the colonial Power from
acquiring a derivative root of title, as opposed to an original title, which
could be obtained only by occupation (presumably effective occupation

of terrae nullius) (ibid., p39,para. 80). In the present case, the Judgment
has relied mainly on that passage (paragraph 205) in support of the con-
tention that, the absence of a terra nullius status notwithstanding, Great
Britain had in fact acquired sovereignty to the Bakassi Peninsula through
a derivative root of title. Prima facie, Western Sahara rnay seem to lend

support to such a proposition. Though it should not be forgotten that the
passage cited was an obiter dictunz. Secundo facie, however, the support
lent seems negligible indeed, for in that instance the Court was not
enquiring whether Spain held valid legal title but was answering a dis-
tinct, specific question: Was Western Sahara (Rio de Oro and Sakiet El

Hamra) at the time of colonization by Spain a territory belonging to no
one (terra nullius)? Indeed in paragraph 82 of that Opinion the Court
expressly declined to pronounce upon "the legal character or the legality
of the titles which led to Spain becoming the administering Power of
Western Sahara" (ibid., p. 40, para. 82), even though there was much FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP. IND. AL-KHASAWNEH) 494

tique des Etats à l'époque pertinente,ainsi que le rôle de la conférencede
Berlin sur l'Afrique occidentale de 1885; à cherchcr à savoir si cette pra-
tique - à supposer qu'elle ait permis l'acquisiti1 de titres sur les pro-

tectorats dits coloniaux - peut êtreirivoquéedans un différendafricain
alors même qu'aucuriEtat africain n'a participé à ;a formation; à s'inter-
roger, s'agissant du transfert de titre, sur la pertinrnce du principe pacta
sunt srrvanda ainsi que sur la valeur normative à attribuer à la pratique
constamment suiviepar la puissance colonialeconcernée (la Grande-Bre-
tagne) et consistant ;idistinguer entre colonies et protectorats. Ce n'est
qu'en se lançant dan:; une analyse pousséede cet ensemble d'aspects per-
tinents et interdépendants que la Cour aurait pu prétendrerépondre à la
question que n'a cesséde marteler sir Arthur Watts, conseil du Nigéria:
qui conféra à la Grande-Bretagne le droit de cider Bakassi? Quand?
Comment? A mon sens, la Cour, en prenant nc'tamment pour acquis

l'existence d'unecatégorie deprotectorats assimilables a des colonies, ou
encore le droit pour les puissances coloniales detrkiter avec des potentats
africains en faisant abstraction du principe fondamental pacta sunt ser-
vandu, a, dans son arrêt, manquéde répondre à ces questions. Dans la
mesure ou ces aspects occupent une place centrale dans la présenteespèce
- et ont, au demeurant, des implications qui la dépassent-, j'estime de
mon devoir d'exposer dans une opinion individuell: mes vuesà leur sujet.
4. La presqu'île dl: Bakassi ne constituait de talute évidencepas une
terra nullius lorsque la Grande-Bretagne conclut, en 1884, un traité de
protectorat avec lesrois et chefs du Vieux-Calabar. Comme lejuge Dillard
a remarquablement résumé cettequestion dans son opinion individuelle

en l'affaireduSaharaoccidental: «[slelonla formule mystérieuse employée
pendant l'instance: on ne protège pas une terra nullius. C'est là un point
qui n'est guère disputé.» (Avis consultatif; CI.J. Recueil 1975, opinion
individuelle du juge Dillard, p. 124.)C'est cependant dans ce même avis
consultatif que laCour a laisséentendre, àtout le riloinsprimajàcie, que,
mêmesi le territoire en auestion n'étaitDas terriz nullius. la ~uissance
coloniale ne se tro~v~aitpas nécessairementempêc'léd e'acquérirun titre
dérivép , ar oppositiorà un titre originaire, lequel ne pouvait être obtenu
que par occupation vraisemblableme n'tccupat on effective de terrae
nullius) (ibid, p. 39,par. 80). Dans la présenteespè:e, la Cour s'est essen-
tiellement appuyée surce passage (arrêt,par. 205) Ilour affirmer que, bien

que la presqu'île de Bakassi n'eût pas le statut deerra nullius, la Grande-
Bretagne avait de fait acquis sur elleune souverainetépar un mode dérivé.
A premièrevue, donc, le Sahara occidental semble offrir des arguments à
l'appui de cette thèse- encore qu'il ne faille pas oublier que le passage
citéétaitun obiter dicturn. Un second examen, toutefois, les fait paraître
bien minces, car, daris l'affaire en question, la Cour ne cherchait pas à
déterminersi l'Espagne détenaitun titre juridique \alable, mais répondait
à une question distincte et bien précise:le Sahara occidental (Rio de Oro
et Sakiet El Hamra) était-il, au moment de la coloriisation par l'Espagne,
un territoire sans maître (terra nullius)? De fait, au paragraphe 82 de
l'avisconsultatif, la Cour s'estexpressément refuséeà seprononcer sur (<lematerial before it on this precise question as wellas requests to answer it.
Moreover, when the Court said that "in the case of such territories (ter-
ritories that are not terrae nullius) the acquisition of sovereignty was not
generally considered as effected unilaterally through 'occupation' of terra
nullius by original title but through agreements concluded with local
rulers" (I.C.J. Reports 1975, p. 39, para. 80), it was referring in general
to agreements that had the effectof passiilgtitle from those rulers who pos-
sessed it on the basis of original title to the new administeringlprotecting

Powers, who through such agreements acquired derivative title. Clearly
the crucial factor is the agreement itself, and whilst it is entirely possible
that such agreements vested sovereignty in the newcomers it is equally
possible that they did not, in which case sovereignty wasretained by the
local ruler under an agreed scheme of protection or administration.
These are questions of treaty interpretation and of the subsequent prac-
tice of the parties and cannot be circumvented by the invention of a fic-
titious sub-category of protectorates termed "colonial protectorates"
where title is assumed to pass automatically and regardless of the terms
of the treaty of protection to the protecting Power, for that would be
incompatible with the fundamental rule pucta sunt servanda and would
lead to what has been termed "institutionalized treaty breach", a situa-
tion that no rule of intertemporal law has ever excused. It would also
blur the distinction that the Court was trying to make between title auto-
matically assumed on the basis of effective occupation on the one hand,
and title assumed on the basis of agreement with local rulers on the other.

5. If the Court's Advisory Opinion in the Western Sahara case does
not furnish the basis for the proposition that agreements of protection
with local chiefs are always the source of valid title acquired through
derivative roots, could such a proposition be safelyadvanced on the basis
of passages from arbitrator Max Huber's often quoted Award in the
Island of Palmas case (United Nations, Reports of International Arbitral
Awards (RIAA), Vol. II, pp. 858-859), for at least there that learned
and renowned judge spoke with dogrnatic certainty leaving nothing to
possible interpretations? The problem with Max Huber's analysis how-
ever is not its lack of clarity but rather that it is clearly wrong.

In the first place he starts from the premise that because such agree-
ments are not between equals they are: "rather a form of interna1organi-

sation of a colonial territory on the basis of autonomy for the natives . . .
And thus suzerainty over the native State becomes the basis of territorial
sovereignty as towards other members of the community of nations." FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP. IND. AL-KHASAWNEH) 495

caractère juridique ou la légalité des titresauxquels l'Espagne doit d'être

devenue Puissance administrante au Sahara occiclental» (C. IJ. Recueil
1975, p. 40, par. 82), bien qu'elle disposât de nomtlreux élémentssur cette
question particulière et eût été priée d'y répondre De plus, en affirmant
qu'«on estimait plutôt en généralque la souverailieté [à l'égard de terri-
toires qui ne sont pas terrae nullius]ne pouvait s'acquérir unilatéralement
par l'occupation de la terra nullius en tant que t~tre originaire, mais au

moyen d'accords conclus avec les chefs locaux» (iteid.,p. 39, par. 80), elle
faisait de manière générale référence aua xccords e 1 vertu desquels le titre
passait des mains des chefs qui le détenaient en t.int que titre originaire
aux nouvelles puissances administranteslprotectrict~s qui acquéraient ainsi
un titre dérivé.De toute évidence,le facteur crucial est l'accord lui-même,

et s'il est parfaitement possible que de tels instrunients aient conféréaux
((nouveaux arrivants )>une souveraineté, l'inverse 1est tout autant, auquel
cas la souveraineté demeurait entre les mains du chef local en application
d'un régimede protection ou d'administration mis en place d'un commun
accord. Il s'agit là de questions relevant de l'interprétation des traitéset de

la pratique ultérieure des parties, qu'on ne saurait éluderen s'abritant der-
rière une sous-catégorie de protectorats dits ((protectorats coloniaux)),
simple vue de l'esprit où le titre est censéêtre autoniatiquement transmis à
la puissance protectrice, indépendamment des di:*positions du traité de
protection. Une telle pratique irait en effet à I'enccmtrede la règlefonda-
mentale pucta sunt servanda, se traduirait par ce que I'on a appelé une

((violation institutiorinalisée de traité))- situation qu'aucune règle de
droit intertemporel n'a jamais justifiée -, et brouillerait en outre la dis-
tinction que la Cour s'est efforcée d'établir entr~:, d'une part, un titre
transmis de manière automatique par suite d'une occupation effective et,
d'autre part, un titre transmis par suite d'un accord conclu avec les chefs

locaux.
5. Si I'on ne peut inférer de l'avis consultatif rendu par la Cour en
l'affaire du Sahara occidental que les accords de protection conclus avec
des chefs locaux sont toujours une source d'acqiiisition de titre dérivé
valable, pourrait-on, sans risque d'erreur, énoncer cette même proposi-
tion en s'appuyant sur certains passages de I'artitrage souvent cité de

l'arbitre Max Hubei- en l'affaire de l'lle de Pulmas (Nations Unies,
Recueil des sentences arbitrales, vol. II,p. 858-859; traduction française:
Ch. Rousseau, Revue généralede droit ~nternation~lpublic, t. XLII, 1935,
p. 187)? Au moins c:ejuge érudit et renommé y a-t-il exprimé un avis
empreint de toute la certitude dogmatique requise, ne laissant aucune

place à l'interprétation. Toutefois, si l'analyse de Max Huber ne peut être
taxéede manque de clarté, elle présente I'inconvé lient d'êtremanifeste-
ment erronée.
Premièrement, l'arbitre part de l'hypothèse que, parce que de tels
accords ne sont pas conclus entre égaux, ils soit «plutôt une forme

d'organisation intérieure d'un territoire colonial, slr la base de l'autono-
mie des indigènes ...Eltc'est la suzeraineté exercée sur1'Etat indigène qui
devient la base de la souveraineté territoriale à l'égard des autresSuch an approach is a confusion of inequality in status on the one hand
and ineauLJiLv in power on the other. That local rulers and chiefs were
weak is apparent from their agreeing to enter into treaties of protection,
but this does not detract from the fact that they had the capacity to enter
into treaty relations.
Secondly, it ischaracterized by its sweepinggeneralization, the assump-
tion being that the local chiefs or rulers, no matter how valid and old
their title and how clear the display of their sovereignty and the degree of
their organization and regardless of the terms of the Treaty of Protection
in question, are deemed to have become virtual colonies or vassal States

under the suzerainty of the protecting colonial Power even if - as was
not uncommon - control over them was nominal and even if in subse-
quent dealings with the metropolitan State they continued to be treated
as retaining some sovereignty, for example, for the purposes of sovereign
immunity, or by being dealt with by the Foreign Ministry of the colonial
Power. It is difficult to understand how a local ruler would be considered
to be entitled to absolute sovereign immunity and to have been divested
of his territorial sovereignty at one and the same time. See, for example,
Mighell v. Sultan of Johore [1894] QB 149and Sultan of Johore v. Abu-

hakar Tunku Aris Bendahar and Others [1952]AC 318. These cases are
al1the more relevant since they related to local rulers in the same region
that Max Huber was dealing with in the Island of Palmas Award,
i.e. South-East Asia, and were decided by the courts of the same metro-
politan State that entered into a treaty of protection with the Kings
and Chiefs of Calabar.

Thirdly, such an approach is clearly rooted in a Eurocentric concep-

tion of international law based on notions of otherness, as evidenced by
the fact that there were at the time in Europe protected principalities
without anyone seriously entertaining the idea that they had lost their
sovereignty to the protecting Power and could be disposed of at its will.
Intertemporal law is general in its application, its underlying rationale
and unity of purpose being time (tempore) as its name implies, not geo-
graphy, and cannot be divided into regional intertemporal law, al1 the
more so when no State in the concerned region, be it sub-Saharan Africa
or South-East Asia, participated in its formation.

Fourthly, Max Huber's approach is based on an extreme interpreta-
tion of the theory of constitutive recognition. A theory, suffice it to say,
that remains no more than a theory and has as many opponents as it has
adherents.
6. Lastly, it is doubtful- and this is not without irony - that Max
Huber's generalization about suzerainty and vassalage with regard to the
so-called colonial protectorates is supported by the State practice of the
time. To the "local rulers" the notion that they had given up their sov-
ereignty upon entering into a treaty of protection or a treaty of commercemembres de la comrriunauté des nations. » Ce faisant, il confond inégalité
de statut et inégalitéde pouvoir. Que les souverains et chefs locaux
fussent faibles, le fait qu'ils acceptaient de conclure des traités de protec-
tion l'atteste, mais cela n'enlève rien au constat qu'ils disposaient préci-
sémentde la capacité de conclure des traités.

Deuxièmement, ci: postulat pèche par une ginéralisation excessive,
puisqu'il suppose que les territoires des chefs locaux, quelque valide et
ancien qu'ait pu êtreleur titre, quelques patents qu'aient été la manifes-
tation de leur souveraineté et leur degréd'organi~ation, et indépendam-
ment des disposition,^du traité de protection en q lestion, seraient quasi-

ment devenus des colonies, ou des Etats vassaux pl.icéssous la suzeraineté
de la puissance protectrice coloniale, et ce mêmesi - comme c'était fré-
quemment le cas - Ilecontrôle exercésur eux n'éiaitque symbolique, et
si, dans les relations qu'ils furent par la suite arnenés à nouer avec la
métropole, les chefs continuèrent A être traitéscornme détenant une part

de souveraineté, par exemple aux fins de I'immulité souveraine, ou en
tant qu'ils avaient pour interlocuteur le ministère des affaires étrangères
de la puissance coloniale. L'on comprend mal qu'~n chef local ait pu être
considérésimultanénient comme en droit dejouir d'une immunité souve-
raine absolue, et con~me ayant étédéchu de sa souveraineté territoriale

(voir, par exemple, krighell v.Sultan of Johore [l8(J4]QB 149et Sultan of
Johore v. Abuhakur Tunku Aris Bendahar and C'thers L19521JC 318).
Ces affaires sont d'autant plus pertinentes qu'elles concernaient des chefs
locaux de la régionque devait traiter Max Huber dans son arbitrage sur
1'Ilede Palmas, a savoir l'Asie du Sud-Est, et qu'elles furent tranchées

par les instances judiciaires de ces mêmesmétropcdesqui avaient conclu
un traité de protectoirat avec les rois et chefs du kieux-Calabar.
Troisièmement, ce postulat repose manifestement sur une conception
eurocentrique du droit international fondée sur la notion d'altérité,ce
dont témoignele fait qu'il existait à l'époqueen Exope des principautés

protégéesdont personne ne pensait sérieusement qu'elles avaient aliéné
leur souveraineté à la puissance protectrice et que ,elle-ci pouvait en dis-
poser à son gré. Leclroit intertemporel est généraldans son application
- sa raison d'êtreet sa principale unitéde propoj étant le temps (tern-
pore), comme son nom l'indique, et non la géographie; il ne saurait être
subdivisé en droits iintertemporels régionaux, et ce à plus forte raison

lorsque aucun Etat de la région concernée, qu'il s'agissede l'Afrique sub-
saharienne ou de l'Asie du Sud-Est, n'a pris part a sa formation.
Quatrièmement, I'a~nalysede Max Huber est foiidéesur une interpré-
tation excessive de la théoriede la reconnaissance cmstitutive, dont je me
contenterai de rappeler qu'elle n'est, précisément, riend'autre qu'une

théorie, et qu'elle connpte autant de détracteurs que de partisans.
6. Enfin - et c'est là un plaisant paradoxe -, l'on est en droit dedou-
ter que la généralisationopéréepar Max Huber coricernant la suzeraineté
et la vassalité des protectorats dits coloniaux soit jtayée par la pratique
des Etats à l'époque. Les ccchefslocaux)) auraient ité les premiers surpris

d'apprendre qu'en concluant un traité de prote~ti~~n - ou un traité deand friendship which were sometimes of the same ilk, would be astonish-
ingl. This is not to suggest that there were no cases when such loss of
sovereigntyever took place, but that it is again a question of treaty inter-
pretation and subsequent practice of the parties. Similarly, for the pro-
tecting Powers themselves, in many cases they were not seeking colonial
title but merely spheres of influence or dominance, or domination in the
senseofpower andjurisdiction and not in the senseof territoriuldominion.

7. To be sure, treaties of protection were sometimesa first step towards
the development of a full colonial title, or as they have been described, "a
legal lever for acquiring an inchoate title to territory: a title capable of
being perfected more or less at leisure" (D. J. Latham Brown, "The
Ethiopia-Somaliland Frontier Dispute", International and Comparative
Law Quarterly (ICLQ), Vol. 5, pp. 254-255)but until that happened and
in the absence of provisions which may be interpreted as conveying title,
they remained a lever and no more. Some examples from State practice
will serve to illustrate the point, al1the more so in view of the fact that

they were contemporaneous with the Congress of Berlin era.

(a) In 1885the British Foreign Office gave its view that

"a protectorate involves not the direct assumption of territorial
sovereignty but is 'the recognition of the right of the aborigines,
or other actual inhabitants to their own country, with no further
assumption of territorial rights than is necessary to maintain the

paramount authority and discharge the duties of the protecting
power'" (FO 40319,No. 92 (14 January 1885)cited by Malcolm
Shaw, Title to Territory in Africa, footnote 155,p. 283).

(6) In 1884 a number of treaties were concluded with local chiefs in
Bechuanaland, where interna1 and external sovereignty gradually
passed to the protecting Power: Great Britain. In the following year
a British protectorate was made a crown colony and its governor
exercised jurisdiction over the protected territory as well. Never-
theless, a British court in R. v. Crewe maintained the distinction
between colonies on the one hand and protectorates on the other,

' Sometimes a treaty of protection was called a treaty of friendship in the local lan-
guage, for example, the 1887Treaty of Uccialli between Italy and Ethiopia was denounced
later by Menelik the Ethiopian Emperor on the ground that the Italian and Amharic texts
differed. In the Italian text the Emperor "consents toimself of the ltalian Govern-
ment for any negotiations which he may enter into with other powers or governments",
theAmharic text reads "may use" thealians as intermediaries. The Emperor of Ethiopia
as a treaty of protection. (A. H. M. Jones and E. Monroe, HiofEthiopia, pp. 139-viewed
140.) FRONTIERE TERRESTRE ET MARITIME (OP.IND.AL-KHASAWNEH) 497

commerce et d'amitik, qui s'y apparentait parfois ' - ils avaient renoncé
à leur souveraineté.Nous ne prétendons pas qu'il n'yait jamais eu aban-
don de souveraineté, mais ces questions relèvent, une foisde plus, de
l'interprétation des traités et de la pratique ultkrieure des Parties. Et
pareillement, les puissances protectrices elles-mêrnesn'étaient-elles pas,
dans nombre de cas, en quêtenon de titres coloniaux mais simplement de
sphèresd'influence, de contrôle, ou de dominatioii au sens de pouvoir et
d'autorité, et non au sens de possession territoriale (territorial domi-

nion ).
7. Assurément,les traités de protection représentaientparfois une pre-
mière étape vers la constitution d'un titre colonial a part entière, ou,
comme on les a décrits, «un levier juridique pour acquérir une ébauche
de titre territorial: un titre à mêmed'êtreparachevé plus ou moins
à loisir)) (D. J. Latham Brown, «The Ethiopiii-Somaliland Frontier

Dispute)), Internatio~zaland Comparative Law Quc~rterly(ICLQ), vol. 5,
p. 254-255), mais jusqu'a ce qu'un tel résultatfût atteint et en l'absence
de dispositions pouvant êtreinterprétéescomme conférant un titre, ils
demeuraient un levier et rien de plus. Certains exemples de pratique
des Etats permettroint d'illustrer ce point, et ce d'autant mieux qu'ils
remontent à l'époquede la conférencede Berlin.

a) En 1885, le Foreign Office britannique indiqui que, selon lui,

«un protectorat n'implique pas d'appropriation directe de la sou-
verainetéterritoriale, mais revient à «reconiiaître le droit des abo-
rigènes, ou autres habitants effectifs, a leur propre pays, sans
appropriation de droits territoriaux autres qu'il n'est nécessaire à
la puissance protectrice pour exercer I'autoiitésuprêmeet remplir

les fonctions qui lui incombent en tant que ielle))(FO 40319,no 92
(14 janvier 1885), citépar Malcolm Shaw, Title to Territory in
AfLic~z,note de bas de page 155,p. 283).

h) En 1884, plusieurs traités furent conclus avec des chefs locaux du
Bechuanaland, pitr lesquels la souveraineté interne et externe fut pro-
gressivementtransférée ala puissance protectric,e,la Grande-Bretagne.
Dans l'annéequi suivit, le protectorat britannique devint colonie de la
Couronne et l'autoritéde son gouverneur s'étrnditdèslors au terri-
toire protégé. Un tribunal britannique devait néanmoins confirmer,

dans l'affaire R. 11.Crewe,la distinction entre colonies et protectorats,

' Un traité de protection était parfois appelé traité d'amtié en langue vernaculaire;
ainsi, le traitéuccialli conclu en 1887 entre I'ltalie et I'Eihiopie fut-il ultérieurement
rique différaient. Dans la version italienne, l'empereurnt[ait]àavoir recours auha-
Gouvernement italienpour toutesnégociations qu'il pourrait engager avec d'autres puis-
sances ou gouvernement:;)), tandis que version amhariqu: indiquait qu'il «p[ouvait]
recourir))aux Italiens en qualité d'intermédiaires.L'empere~r d'Ethiopie considérait cet
instrumentcomme un traité d'amitié, alorsque le Gouvernerlent italien y voyait, lui. un
traité de protection (A.. M. Jones et E. MonroeHistory(,fEthiopiup. 139-140). L. J.Vaughan Williams noting that the "the Bechuanaland protec-

torate is under His Majesty's dominion in the sense of power and
jurisdiction, but is not under his dominion in the sense of territorial
dominion" ([1910] 2 KB 603-604, cited by Malcolm Shaw, Title to
Territory in Aj'ricu, footnote 161, p. 283; emphasis added).
(c) In 1884and 1886respectively agreements were signed between Great
Britain and the Chiefs of five Somali tribes. In the first series of

agreements the Somali Chiefs covenanted not to alienate their terri-
tory unless to the British Government. In the second (consisting of
five agreements), they agreed and promised to "refrain from enter-
ing into any correspondence, Agreement or Treaty with any foreign
nation or Power, except with the knowledge and sanction of Her
Majesty's Government". For their part the British Government
undertook "to extend to them and to the territories under their

authority and jurisdiction the gracious favour and protection of
Her Majesty the Queen Empress". In 1897 the Somali tribes'
grazing areas were ceded by Great Britain to Ethiopia. After the
defeat of Italy in World War II those territories were placed under
the British Military Administration for Somalia. In 1954 that
administration was withdrawn from those territories in accordance

with a treaty negotiated de novo between Great Britain and
Ethiopia which in effect upheld the 1897 Treaty over the agree-
ments with the Somali Chiefs, though with some guarantees for the
grazing rights of the Somali tribes. The inconsistency between the
cession to Ethiopia in 1897 of what the Somalis regarded as their
traditional land and the earlier treaties of protection was the sub-

ject of a debate in the House of Commons where, we are told
by a commentator (D. J. Latham Brown, op. cit., pp. 254-255),
that the Secretary of State for the Colonies regretted "the treaty
of 1897 but, like much that has happened before, it is impossible
to undo it". While the words of one Member of Parliament were
more telling :

"the tribal elders voluntarily placed themselves under British pro-
tection. They sought it for the maintenance of their independence,

the preservation of order and other good and sufficient reasons.
In short there seems to be argument that at no time was any ter-
ritory transferred. Consequently, it was not in our power to give
away that which we did not possess."

Whilst in the event the cession was in practice confirmed by the 1954
Treaty, this was done by circumventing the maxim nemo dut quod
non huhet but not by denying it or by pretending that Great Britain
had acquired title. Instead the alleged superior character of an inter-
national treaty over agreements with the Somali Chiefs, together

with the lack of their delineated territorial expanse, were cited in an L. J. Vaughan PJilliams notant que «le protectorat du Bechuanaland
relèvede la souveraineté de Sa Majestéau seiis de pouvoir et d'auto-
rité, mais non au sens de possession territori,zle» ([1910] 2 KB 603-
604, citépar Malcolm Shaw, Title to Territ0r.v in Africa, note de bas
de page 161, p. 283; les italiques sont de moi).
c) En 1884et en 1886, des accords furent concliis entre la Grande-Bre-
tagne et les chefs de cinq tribus somaliennes. Dans la première série
d'accords, les chefs somaliens s'engageaientà ne pas aliéner leurter-
ritoire, sinonau1Gouvernement britannique. Dans la seconde (qui

comprenait cinq accords), ils s'engageaient s'abstenir de toute cor-
respondance, de tout accord et de tout trait: avec une quelconque
nation ou puissance étrangèresans l'autorisation préalable du gou-
vernement de Sa Majesté britannique)). De :;on côté, le Gouverne-
ment britannique s'engageait «à étendre sur eux, ainsi que sur les
territoires relevant de leur autorité et de leur compétence, les bonnes
grâces et la bienveillante protection de Saa.iestéla reine et impéra-
trice)). En 1897, les terres pastorales des trilusomaliennes furent
cédéespar la Grande-Bretagne à I'Ethiopie.P près la défaitede 1'Ita-
lie au cours de la seconde guerre mondiale, ces territoires furent
confiésà l'administration militaire britannique pour la Somalie. En
1954, celle-ci se retira, conformément aux tlispositions d'un traité

négocié de novo entre la Grande-Bretagne et I7Ethiopie, qui confir-
mait de fait la prépondérancedu traité de 1897sur les accords passés
avec les chefs somaliens, en concédant tout~:fois aux tribus soma-
liennes quelques; garanties relatives à leurs droits de pâture. La
contradiction entre la cession à I'Ethiopie, 6.n 1897, de ce que les
Somaliens regardaient comme leursterres anccstrales et les précédents
traitésde protection fit l'objet d'un débatau Parlement devant lequel,
relate un commentateur (D. J. Latham Brown, op. cit.p. 254-255),
le secrétaire d'Etat aux colonies affirma dédorer le traité de
1897 «sur lequel, toutefois, comme sur nonibre de faits passés, il
[était]impossiblr: de revenir)). Un membre du Parlement s'exprima
de manière plus explicite:

«les anciens dlestribus s'étaientvolontairenient placéssous la pro-
tection britannique, dans l'espoir de préserver leur indépendance,
l'ordre établi, ainsi que pour d'autres raisons valables et suffi-
santes. En résumé,l'on est, semble-t-il, foldé à affirmer qu'il ne
fut à aucun rnoment opéré de transfert de territoire. En consé-
quence, il nléi.aitpas en notre pouvoir de céder ce que nous ne
possédions pa:s.))

Si, par la suite, la cession fut en pratique confirméepar le traité de
1954,elle le futn dépitde la maxime nenzod#ztquod non habet, sans
toutefois que celle-ci fût contestéeou que quic:onque prétendît que la
Grande-Bretagne avait acquis le titre. Au lieu de cela,'on chercha a
expliquer la contradiction entre les obligations conventionnelles
contractées auprès de I'Ethiopie d'une part et des chefs somaliens de FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP. IND AL-KHASAWNEH) 499

l'autre en invoquant la prétendue supériorité(L'untraité international
sur les accords ironclus avec ces derniers, ainsi que I'absence d'une
définition de l'étenduede leur territoire. Du moins avança-t-on une
tentative d'explication, cedont on peut déplorr~r l'absence dans l'arrêt,
ou la Cour affirme sans états d'âme que le traité de protectorat de

1884 n'empêchait pas la cessionde Bakassi à l'Allemagne pour la
simple raison qu'il établissait un protectorat (:olonial.
d) Au cours de la périodepertinente, les Britaniiiques ne laissèrent pas
d'insister, dans li:cadre de leur politique colo~iiale,sur la nécessitéde
distinguer entre colonies et protectorats. Maintenir une telle distinc-
tion fut, a laconférencede Berlin, l'un des principaux objectifs de la
diplomatie britannique. Celle-ci l'emporta sur les derniers venus dans
le clan impérialiste, qui, tournant en dérisi011le concept de protec-
tion, qu'ils taxaient de ((prises de possession (iurle papier)) (en fran-

çais dans le texte), avaient tout simplement pour ambition I'occupa-
tion effective. Il est raisonnable de supposer que ce ne fut pas pour
des raisons purement formelles ou terminol<lgiques que les Britan-
niques insistèrent sur le maintien d'une telle distinction, mais pour
des raisons pratiques, lesquelles ont étéamplrment commentées par
les historiens (Robinson et Gallagher, Africa lind the Victorians: The
OfJicialMind of Imperialism, 1961).Quelles qu'aient été cesraisons,
ce qui importe, c'est qu'une différenciation normative étaitassociée à
cette distinction, ce dont témoigneau reste la pratique britannique2.

8. Il semblerait ainsi que l'on ne puisseétablir(lemanière certaine que
les traités de protection en Afrique subsaharienne permettaient générale-
ment le transfert de souveraineté ala puissance co~oniale/protectrice ni en
s'appuyant sur la sentence rendue en l'affaire de 1'Ilede Palmas, ni en
invoquant la pratique censéeprévaloir à I'époqiiede la conférence de
Berlin - pratique dont on ne saurait de toute inanière rien inférer de
définitifet aui confirme en réalitéle maintien d'une distinction normative
entre colonies et protectorats dits coloniaux et, partant, le respect de la
maxime nernodut uz~odnon hahet.

9. J'ai jusqu'a présenttenté demontrer que l'e:,istence d'une catégorie
de protectorats, les protectorats dits «coloniaux» dans le cadre desquels
la puissance protectrice étaitlibre de disposer à volontédu territoire pro-
tégé,est une thèse qui ne trouve confirmation rii dans la pratique des
Etats ni dans la jui-isprudence. Selon toute probabilité, elle n'est rien
d'autre qu'une chimère néede l'imagination de certains commentateurs
s'efforçant de légitimerà posteriori des faits incorlpréhensibles et illicites
en inventant des soils-catégories dans lesquelles les règles généralement
applicables n'ont pas cours. Quoi qu'il en soii, supposons, pour les

Sir Robert Jennings et sir Arthur Watts (dir. publ.), Opprnhrim's Intrrnutional Laiv,
9'éd., vol1,p. 269; la note de bas de9pénumère descoinportementset des décisions
judiciaires britanniques qui confirment de manière généralel'existence d'une distinction
entre colonies et protectorats dits coloniaux.ference on West Africa did sanction such behaviour as evidenced by the
State practice emanating from it. Could this practice be invoked in an
African dispute when no African State has participated in the formation
of such practice? To my mind the answer must be clearly in the negative,
and it matters not that the present dispute is between two African States.

What is material is that the argument used by counsel for one State -
Cameroon - is rooted in the alleged legitimacy of this practice which is
claimed to be opposable to the other Party.

10. A further question is the extent to which the operation of the rule
(or principle) of intertemporal law should shield such practice from judi-
cial scrutiny taking place at a much later time when other rules of inter-
national law, regarding the sovereign equality of States, self-determina-

tion, non-discrimination and to some extent (for this area is sadly only
rudimentarily developed, both from the procedural and the substantive
aspects) the rights of indigenous peoples, have to be appraised by judges
called upon to decide a contemporary dispute.

11. Let me start by recalling that the concept of the intertemporal law
is an irretrievably elusive one. At first sight it looks simple. To quote Max
Huber once more: "A juridical fact must be appreciated in the light of

the law contemporary with it, and not of the law in force at the time
when such a dispute in regard to it arises or falls to be settled." (RIAA,
Vol. II, p. 845.)

12. At a general level, the proposition is sustainable, but when we
come to enquire more closely into its operation, problems start to arise:
is appreciation in the light of the law contemporary with the judicial act,
for example, a treaty of protection, the same as interpretution of such a
treaty in the light of contemporaneous law? Or does it merely mean that

in interpreting a treaty of the past one should be mindful, in applying the
time-honoured and established canons of treatv inter~retation. of the
temporal context that may shed light on the presumed intention of the
parties and thus help ascertain it? Should such a legal act (a treaty) be
interpreted against the background that the object and purpose of the
treaty was the guaranteeing or upholding of a certain principle, for
example, that the mandate system is a "sacred trust of civilization" (Legul
Con.sequence.sfor Stutes of the Continued Presence of South Africu in
Numibiu (South West Ajrica), notwithstunding Srcurity Council Resolu-
tion 276 (1970), I. C.J. Reports 1971, p. 16)? Similarly, in interpreting a

For different names used to connote the status of intertemporal law see T. O. Elias,
"The Doctrine of Inter-temporal Law", Americun Journof~~tc.rnutionulLaw, Vol. 74,
1980, p. 285.besoins de l'argumentation - et ne serait-ce quc par souci d'exhausti-
vité, que la conférence de Berlin sur l'Afrique occidentale ait approu-
vé ce comportement, et que la pratique ultérie~iredes Etats l'atteste.
Cette pratique pourrait-elle être invoquée dans 11:cadre d'un différend

africain alors mêmequ'aucun Etat africain ne participa à la formation de
celle-ci?A mon sens, la réponse ne peut êtreque négative,et le fait que
la présente espèceoppose deux Etats africains est sans pertinence ici. Ce
qui importe, c'est que l'argumentation développé:par l'une des Parties
- le Cameroun - est fondée sur la légitimité présumée de cette pra-

tique, qui est présentéecomme opposable à la Pa;.tie adverse.
10. Se pose également la question de savoir dans quelle mesure I'appli-
cation de la règle(ou du principe) du droit interteinporel doit permettre
de soustraire pareille pratique à tout contrôle judiciaire intervenant à une

date bien ultérieure, quand des juges appelés a trancher un différend qui
leur est contemporain doivent apprécier la pertin1:nce d'autres règles de
droit international concernant l'égalitésouveraine des Etats, I'autodéter-
mination, la non-discrimination et, dans une certaine mesure (car ce
domaine n'en est malheureusement qu'à ses balbu iements, tant du point

de vue de la procéclure que de celui du fond), les droits des peuples
indigènes.
11. Je commencerai par rappeler que la notion de droit intertemporel
est irrémédiablement insaisissable. A première vue, elle paraît simple.
Pour citer une fois ifleplus Max Huber: «[u]n acte juridique doit être

appréciéà la lumière du droit de l'époque, et non à celle du droit en
vigueur au moment où s'élèveou doit êtrerégléuii différend relatif à cet
acte» (Recueil des sentences arbitrales, vol. II,p. 845) (traduction fran-
çaise: Ch. Rousseau., op. cit., p. 172).
12. D'un point de vue général, cette thèsepeut se soutenir, mais dès

lors que I'on se penche de plus près sur son application, des problèmes
commencent à se faire jour: apprécierun acte ju-idique - un traité de
protection par exemlple - à la lumière du droit (le I'époque revient-ilà
l'interpréter à la lumière du droit de l'époque? Ou doit-on seulement
comprendre qu'il faut, lorsque I'on applique à uii instrument héritédu

passé les canons consacrés par l'usage en matiè-e d'interprétation des
traités,prendre en considération le contexte tempcrel, lequel peut fournir
des éclaircissements sur l'intention présumée desparties et, partant, nous
aider à établircelle-ci? Doit-on interpréter un tel a1:tejuridique (un traité)
en tenant compte du fait que son objet et son but étaient de garantir ou

de confirmer certains principes, comme le caractèri: de «mission sacréede
civilisation)) du régime de mandat (Conséquentes juridiques pour les
Etuts de laprésencecontinue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) uu Conseil de sécurité,

Au sujet de la terminologie employée en ce qui concerne le statut du droit inter-
temporel, voir T. O. Elias, «The Doctrine of Inter-temporal Law», Atnerican Journal of
Intc~rtzatioIIu~~vol. 7.4.1980, p. 285.treaty of protection should not the law contemporary with the legal act
be read against the background of the concept of protection which, like

the concept of the mandate, connotes an element of guardianship4 trace-
able to the great Roman jurist Ulpian who said :"for certain purposes of
the law some cities and municipalities are to be treated as minors". A
concept that therefore excludes notions of ownership. It should not be
forgotten that, in appreciating the law contemporary with the 1884
Treaty, we should be mindful that the ancient concept of protection ante-
dates the Berlin Conference; thus, to cite a few examples, Great Britain
had established a protectorate over the Ionian Islands in 1814which was

maintained in accordance with the classical concept of protection which
excluded any notion of sovereignty of the protecting Power, and much
earlier during the Muslim Conquests many agreements of protection
were concluded with local rulers in certain parts of Europe and else-
where5. After 1885,State practice, to use the words of one commentator
"revealed a tendency to deform the original classic concept of the protec-
torate and to convert it into an instrument of colonialism"' (Alexandro-

wicz, The Role of Treaties in the European-African Confrontation in the
Nineteenth Century, African International Legul History, p. 55, cited by
Malcolm Shaw in Title to Territory in Africa, p. 47; emphasis added).
Would then the operation of intertemporal law not require us as judges
to appraise not just the practice but the fact that it was a deformation of
the concept and practice of protection against the background that the

object of the protectorate system - like the mandatory system - is a
form of guardianship that by definition excludes notions of territorial
ownership or territorial dominion? To my mind this is the relevant law
that should be appreciated as a consequence of the rule of intertemporal
law and it cannot be reduced to a mere review of a deformation, half-
Kafkaesque, half-Orwellian, where friendship means interference in the
interna1 affairs and protection means loss of sovereignty and dismember-
ment and the conclusion of treaties means instantaneous breach. Put dif-

ferently, ascertainment of the true meaning of intertemporal law requires
us to enquire into the quality of the juridical act in the light not only of

Oppenheim'.~International Law, Sir Robert Jennings and Sir Arthur Watts (eds.), 9th
ed., Vol.1, p. 267.
For example, the Treaty of Tudmir of Rajab 94 AH-April731AD,concluded between
Abdulaziz Son of Musa Son of Nusair the Ummayyad Governor of Spain and Theo-
the modernrregion of Murcia, Alicante and Valencia; the pact itself transformed politicul
poicer from the Hispanic Visigoths to the Ummayyads of Damascus, but rights in prop-
erty and other rights were retained by those chiefs and their descendants. For the text of
the treaty seeN<~g»tiutingCultur~~B.ilingual Surrencler Treatic,~in Moslem-Crusuder
Spain under Jantes the Conqueror, edited by Robin Burns and Paul Cliveddap. 202.
Many similar treaties of protection were entered into by the Ottomans with various prin-
cipalities in Eastern Europe where dominion in the sense of power passed to the Ottomans
but ownership rights and other rights were retained by the indigenous European chiefs.C.I.J. Recueil 1971, p. 16)? De même,lorsque I'oriinterprète un traité de
protection, ne doit-on pas apprécier le droit de l'époqueen gardant à
l'esprit cequ'impliqiiait la notion de protection? Cette notion, à l'instar
de celle de mandat, connote des élémentsde tutelle4 que l'on peut faire
remonter au grand jurisconsulte romain Ulpien, lequel affirmait: «du

point de vue du droit, certaines citésne peuvent être considéréecsomme
majeures)) - notion qui exclut donc celledepropriété.S'agissantd'appré-
cier le droit contemporain du traité de 1884, gard~~ns-nousd'oublier que
le concept classique de protection est antérieur à 11conférencede Berlin.
Ainsi, pour citer quelques exemples, la Grande-Bretagne avait, sur la

base de cette conception excluant toute notion de rouveraineté dela puis-
sance protectrice, établi en 1814un protectorat siir les îles ioniennes, et,
bien des siècles auparavant, lors des conquêtes islamiques, nombre
d'accords de protection avaient été conclus avec dessouverains locaux
dans certaines parties d'Europe, notamment5. Après 1885, la pratique
des Etats, pour reprendre les termes d'un commentateur, «marqua une

tendance à 1l4fi)rrnerle concept original traditionnel de protectorat, et à le
transformer en instrument du colonialisme» (Alexiindrowicz, The Role of
Treaties in the Euro,pean-Ajricun confrontation ln the Nineteenth Cen-
tury, Ajrican International Legal History, p. 55, citépar Malcolm Shaw
dans Titleto Territory in Africa, p. 47; les italique:,sont de moi). L'appli-
cation du droit intertemporel ne nous imposerait-elle pas dèslors, en tant

que juges, de prendre en considération non pas seulement la pratique,
mais également le fait que celle-ci constituait une déformation de la
notion de protection et de l'exercicede cette dernière,l'objet du régimede
protectorat - comme celui du régimede mandat - étantd'instituer une
forme de tutelle qui, par définition, exclutles noti 3ns de propriétéou de
possession territoriale? Tel est, à mon sens, le principe du droit de

l'époquequ'il convient d'apprécieren vertu de la règledu droit intertem-
porel, et l'on nesaurait se contenter de dresser le constat d'une déforma-
tion mi-kafkaïenne rni-orwellienne, où amitié signifie ingérencedans les
affaires intérieures, où protection signifie perte de souveraineté et
démembrement, et où conclusion de traitéssignifi: violation instantanée

Sir Robert Jennings et sir Arthur Watts (dir. publ.), Opponheim's International Luw,
9' éCitons,à,titre d'exemple, le traitéde Tudmir de Rajab (znnée94 de l'h-giavril
731 de l'èrechrétienne), conclu entre 'Abd al-'AziMüsa ibn Nusayr, gouverneur de
l'Espagne omeyyade, et Théodémir, représentantdes petites p .incipautésmilitaires locales
du sud-est de l'Espagne (correspondant aux actuelleségi<,nsde Murcie, Alicante et
Valence): par ce pacte, le pouvoir politique était transféri des mains des Wisigoths
d'Espagne aux Omeyyades de Damas, mais les princes etleu'-sdescendants conservaient
les droits de propriétéainsi que d'autres droits. Pour le texteté, voir Robin Burns
et Paul Cliveddan (dir. publ.),otiutingCulturesBilingual Surrender Treuties in Mos-
lem-CrusacierSpuin under Jume.sthe Conqueror, p. 202. Les Ottomans conclurent nombre
de traitésde protection semblables avec diverses principautés d'Europe orientale, dans le
cadre desquelles la souveraineté, au sens d'autorité, passait aux mains des Ottomans.
tandis que les chefs européens conservaient leurs droits de pr2priétéet autres.the alleged practice, but in the light of the totality of the law relating to
protection, i.e. with reference to its object and taking into account other
rules relevant at the time. Did the practice of South Africa conform to
the object and purpose of the mandate system as "a sacred trust of civi-
lization"? And, similarly, did the practice of alienating protected terri-
tory conform to the notion that the concept of protection is based upon
legallydeveloped notions of guardianship which by definition exclude the
concept that protection is synonymous with territorial ownership?

Also relevant in appreciating the law contemporary with the legal act
in question, i.e. a treaty, is the requirement that other rules of law should
be taken cognizance of. Paramount among these is the fundamental rule

puctu sunt servundu, arguably the most important rule in international
law and indeed in law generally, and one which cannot be overturned by
the assumed practice of some States. 1 am not aware that in the Berlin
Conference era that rule had ceased to exist.

13. At any rate, intertemporal law as formulated by Max Huber is not
as static as some would like to think, for it should not be forgotten that
its elusivenessis further increased by his immediately followingstatement
that "the existence of the right, in other words, its continued manifesta-
tion, shall follow the conditions required by the evolution of law"(RIAA,
Vol. II, p. 845).

14. It is beyond the scope of this separate opinion to enter into the
well-known and legitimate debate on the scope of the rule or principle of
intertemporal law arising out of the combination by Max Huber of evo-
lutionary and static elements in his formulation of the concept. Sufficeit

to say that the confusion was such that neither the International Law
Commission, guided by its distinguished and learned Special Rapporteur
on the topic Sir Humphrey Waldock, nor the Vienna Conference itself,
were able to resolve the issue, with the consequence that the concept of
intertemporal law was dropped from the 1969Vienna Convention on the
Law of Treaties, Article 31 of that instrument containing no expressly
temporal element and merely speaking "of relevant rules of law" and
Article 64 in fact following an opposite direction in the case of a subse-
quently emerging rule of jus cogens.

15. In other words, we are not faced with a simple well-defined rule
capable of automatic application, but rather with a perplexing idea that
was incapable of finding a place in the 1969Vienna Convention. Nor has
the concept of intertemporal law found support in judicial decisions,
where it has been often overcome with the aid of a belated discovery of
the intention of the parties as was the case in theAegeun Seu case, or by

reading the provisions of modern law into the treaty, which was thede ceux-ci. Autrement dit, saisir la signification véritable du droit inter-
temporel nous oblige à nous interroger sur la qualité de l'acte juridique
considéréà la lumière non seulement de la pratique alléguée,mais aussi
de l'ensemble du droit relatif à la protection, c'est-à-dire en nous référant
à son objet et en prenant en compte d'autres règles pertinentes à l'épo-

que. La pratique de l'Afrique du Sud était-elle conforme au but et a
l'objet du régimede mandat en tant que «mission sacréede civilisation»?
Et, de même, lapratique consistant à aliéner un ,.erritoire protégéétait-
elle conforme à l'idéeque le concept de protection se fonde sur des
notions de tutelle développées endroit qui, par définition, excluent toute
synonymie entre protection et propriété territoriale?

Est également pertinente, s'agissant d'apprécier le droit contemporain
de l'acte juridique considéré (le traité), l'obligation de prendre en consi-
dération d'autres règles de droit. La principale d'entre elles est la règle
fondamentale pacta sunt servanda, en laquelle on peut voir la plus impor-
tante règlede droit international, sinon de droit er général,et qui ne sau-
rait, en tout état de cause, êtreinvalidée par la pratique supposée de

certains Etats. Je ne :sachepas que, à l'époquede la conférencede Berlin,
cette règleait cesséd'exister.
13. En tout état de cause, le droit intertemporel tel que l'a formulé
Max Huber n'est pa.s aussi statique que d'aucuns voudraient le croire,
son caractère insaisi;ssable étant encore accentué par ce qu'il ajoute au

paragraphe suivant, à savoir: «l'existence de ce di.oit, en d'autres termes
sa manifestation continue, [doit suivre] les conditions requises par l'évo-
lution du droit ))(Recueil des sentences arbitrales, $01.II,p. 845) (traduc-
tion française :Ch. FLousseau,op. cit., p. 172).
14. Il ne nous appartient pas, dans le cadre de 12 présente opinion indi-
viduelle, d'entrer dans ce débat bien connu et tout à fait légitime qui

entoure le champ d'application de la règleou du principe de droit inter-
temporel auquel a donné lieu la combinaison par 'MaxHuber d'éléments
statiques et d'élémeiltsdynamiques dans la défiiiition de son concept.
Qu'il nous suffise de rappeler que la confusion fut telle que ni la Com-
mission du droit international, sous la houlette de l'éminentrapporteur
spécial sur la question, sir Humphrey Waldock, ni la conférence de

Vienne elle-mêmene furent en mesure de démêler,ette question, de sorte
que la notion de droit intertemporel fut omise de 121convention de Vienne
sur le droit des traitks de 1969. L'article31 de ce1e-ci ne renvoie expres-
sément à aucun élénienttemporel, se contentant j'évoquer «toute règle
pertinente de droit)), et son article 64 va mêm: au rebours de cette
notion, s'agissant de la survenance d'une nouvelk: norme de jus cogens.

15. En d'autres termes, nous n'avons pas affaire à une règlesimple et
bien définie susceptible d'être appliquée automaticluement, mais plutôt à
une idée complexe qui n'a pas réussià trouver sa place dans la conven-
tion de Vienne de 19169 . e mêmele concept de croit intertemporel n'a-
t-il pas été consacréd :ans les décisions d'organes judiciaires, qui sont
souvent passés outri: grâce à une découverte tardive de l'intention des

parties, comme ce fut le cas dans l'affaire de laMc,rEgée,ou à une inter-approach that the Court took in its Advisory Opinion on Namibia when
it stated that: "an international instrument must be interpreted and
applied within the overall framework of the juridical system in force at
the time of interpretation" (Legal Consequencefor States of the Con-
tiizued Presence of South Africa in Namibia (South West Africa), not-
bvithstanding Security Council Resolution 276 (1970), I.C.J. Reports
1971, p. 31).

16. Furthermore, it is perhaps in the realm of criminal law that the
rule of intertemporal lawcomes to the forefront and lends itselfto delinea-
tion. This is so because the temporal aspect in the maxim nullum critnen
nulla poena sine legerequires a precise definition, yet it was precisely in
thissame realm that the rule has been significantlyabandoned. Thus, the
operation of the rule would have acted to shield the perpetrators of grave
crimes in World War II from criminalization because many of
these crimes were not part of positive law, but in the event, as is well

known, that protection afforded by adherence to intertemporal law was
not accepted. If such was the case where the law was more precise, the
concept itself more readily delineated and the consequences, criminaliza-
tion, grave, 1 see no reason why a behaviour that is incompatible with
modern rules of international law and morally unacceptable by modern
values underlying those rules should be shielded by reference to inter-
temporal law, al1the more so when the reprobation of later times mani-
fests itself not in criminalization but merely in invalidation.

17. It would thus seem reasonable to assert that in speaking of inter-
temporal law, we are faced with a confusing concept the status of which
as a rule, or principle, or doctrine, or rule of interpretation, is steeped in
controversy and which was consciously dropped from the 1969Conven-
tion on the Law of Treaties and consistently rejected in successive deci-
sions of the European Court of Human Rights, not to speak of the way

it was overcome by certain decisions of this Court and abandoned in the
realm of grave crimes, ironically the very area where it can be said to
have some delineation and coherence. In other words, it is a truncated
concept on which the hopes of finding the basis for ceding Bakassi to
Germany in 1913are misplaced.

18. In paragraph 205 the Judgment draws attention to "the fact that
the international legal status of a 'Treaty of Protection' entered into
under the law obtaining at the time cannot be deduced from its title
alone". In support of this assertion the Judgment goes on to illustrate by
examples :

"Some treaties of protection were entered into with entities which
retained thereunder a previously existing sovereignty under interna-
tional law. This was the case whether the protected party was hence-prétation du traité à la lumière des dispositioiis du droit moderne,
approche que retint la Cour dans son avis corisultatif sur la Nami-
bie, en s'exprimant ainsi: «tout instrument international doit être inter-
prétéet appliqué dans le cadre de l'ensemble di! systèmejuridique en
vigueur au moment (où l'interprétation a lieu(Conséquencesjuridiques
pour les Etilts de la présence continue de lc.Afriqrledu Sud en Namibie
(Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution276 (1970) du Conseil de
sécurité.C.1.J. Recueil 1971. W. 31).
16. En outre, c'est peut-êtredans le domaine du droit pénal que la

règlede droit interteimporel revêtune importance particulière et se prête
a une définition. En effet, bienque l'aspect tempor.:l de la maximenullum
crimen nullu poenu .si,nelegerequière une définition précise, c'etourtant
précisémentdans ce domaine qu'elle a étéle plus ~emarquablement écar-
tée. Ainsi,son app1ic:ationaurait permis de soustraire à la justice pénale
les auteurs de crimes internationaux commis dans le cadre de la seconde
guerre mondiale, crimes qui, pour beaucoup d'entre eux, ne relevaient
pas du droit positif. 'IToutefois,on le sait, cette protection qu'impliquait le
respect du droit intertemporel ne fut pas accordée. S'ilen fut ainsi alors
que le droit étaitplu!;précis,les contours du concc:ptlui-même plus aisé-
ment identifiables et les conséquences (à savoir la criminalisation) fort
lourdes, je ne vois pas pourquoi l'invocation CU droit intertemporel
devrait protéger un comportement incompatible aTiecles règlesmodernes

du droit international et inacceptable au regard des valeurs morales
modernes qui sous-tendent ces règles,et ce, à plus.forte raison quand la
réprobation ultérieurese manifeste non par une criminalisation mais sim-
plement par une invalidation.
17. L'on peut donc, semble-t-il, raisonnablemelit affirmer que, s'agis-
sant du droit interte:mporel, nous avons affaire à une notion complexe,
dont le statut en tant que règle,principe, doctrine ou règled'interpréta-
tion est matière a force controverses, et qui fut en outre intentionnelle-
ment omise de la coinvention sur le droit des trai..ésde 1969, systémati-
quement rejetéedans diverses décisionsde la Cour européenne des droits
de l'homme, sans compter qu'elle fut écartéedan: certaines décisionsde
la Cour internationale de Justice et abandonnée dans le domaine des

crimes internationaux, le seul, paradoxalement, où elle semblait a peu
près définieet cohérimte.En d'autres termes, il s'sgit d'une notion ban-
cale par laquelle on a tort d'espérerpouvoir justifier la cession de Bakassi
à l'Allemagne en 1913.
18. Au paragraphe 205de l'arrêt,la Cour appelle l'attention sur le fait
«que le statut juridique international d'un ((traitéde protection)) conclu
sous l'empire du droit alors en vigueur ne saurait être déduit de sonseul
titre)), ce qu'elle illustre par les exenlples suivants:

((Certains traités de protection furent ainsi conclus avec des enti-
tésqui conservèrent, dans le cadre de ces trai és, lasouveraineté qui
étaitantérieurement la leur au regard du droi~.international, que ces forth termed 'protectorate' (asin the case of Morocco, Tunisia and
Madagascar (in their treaty relations with France) or a 'protected
state' (as in the case of Qatar and Bahrain in their treaty relations
with Great Britain)."

19. This reasoning calls for two comments: Firstly, whilst it is true
that the international legal status of a "treaty of protection" cannot be
deduced from its title alone, that title must nevertheless have some
impact, for we can instantly glean from the title that the entity in ques-

tion was not a terra nulliusgiven that "you do not protect a terra nul-
lius".We can also safelydeduce from the title that the subject-matter was
protection and not colonial title. We can further deduce that the entity in
question had the capacity to enter into treaty relations and, unless we
start from the false premise that one party to a treaty can unilaterally
determine the international status of the other, we can also deduce that
the treaty has international legal standing.

Secondly, the Judgment seeks to distinguish between this case and
other cases where it had occasion to pronounce on the existence of an
international legal personality of the protected party: Morocco and
Tunisia with regard to France and Qatar and Bahrain with regard to
Great Britain, but again this argues that the so-called colonial protector-

ates are part and parcel of protectorates in general and do not constitute
a sub-category unless the will of one party, the protecting Power, is deci-
sive. Moreover, in the case of Qatar and Bahrain these sheikhdoms were
not independent States when Britain entered into treaty relations of pro-
tection with them but Ottoman dominions ruled under the suzerainty of
the Ottoman Empire by local chiefs. The same is true of Tunisia. It would
be ironic for the Court to decide that those who were under Ottoman
suzerainty were in fact sovereign because it suited practical considera-
tions of British policy that they should be so seen, and not those chiefs
who were under no one's sovereignty or suzerainty when Great Britain
entered into treaties of protection. Not only would this make colonial law
and not international law the determining factor, it would also raise

doubts regarding the broad consistency of the Court's decisions.

20. Leaving aside the question of title, the plain words of the treat-
and it is a mercifully brief one- leaveno room for doubts that what was
at issue was nothing but "favour and protection" in return for agreeing
not to enter into treaties with other Powers without British sanction.
There is no reference to a transfer of territorial sovereignty, either byall-
ing it a cession or otherwise to use the terminology employed by the
Court in the Western Sahara Advisory Opinion in paragraph 80. The
lack of any intent to transfer territorial sovereignty can be safely arrived territoires protégésaient ensuite été appelés«protectorats» (comme
dans le cas du Maroc, de la Tunisie et de Madagascar ... dans leurs
relations conventionnelles avec la France) ou «Etats protégés))

(comme dans le cas de Bahreïn et de Qatar dans leurs relations
conventionnelles avec la Grande-Bretagne). »

19. Ce raisonnement appelle deux observations: primo, s'ilest vrai que
le statut juridique international d'un ((traité de ~)rotection» ne saurait
être déduit de son seul titre, ce titre doit néanmoins avoir certaines impli-

cations. Il nous apprend ainsi d'emblée que l'entité enquestion n'était
pas terru nullius, car «on ne protège pas une terru nuIlius». Nous pou-
vons également en dkduire, sans risque d'erreur, que le traité avait pour
objet la protection et non le titre colonial. Nous pouvons encore en
conclure que l'entitéen cause était habilitéeàétablirdes relations conven-

tionnelles. Enfin, sauf à postuler, erronément, qu'une partie à un traité
peut déterminer de manière unilatérale le statut ir ternational de l'autre,
nous pouvons en infiirer que le traité étaitjuridicuement valable sur le
plan international.
Secundo, la Cour cherche, dans son arrêt, à ctablir une distinction

entre cette affaire et d'autres dans le cadre desquelles elle a étéamenéeà
se prononcer sur l'existence de la personnalité juridique internationale de
la partie protégée (leMaroc et la Tunisie par rapport à la France, et
Qatar et Bahreïn vis-,à-visde la Grande-Bretagne), mais, une fois encore,
il appert que les protectorats dits coloniaux participent des protectorats
en général et neconstituent pas une sous-catégorie, sauf à admettre que

la volonté d'une partie (la puissance protectrice) soit décisive. En outre,
s'agissant de Qatar et Bahreïn, ces territoires placis sous l'autorité d'un
cheikh n'étaient pas des Etats indépendants lorsqiie la Grande-Bretagne
noua avec eux, par le biais de traités, des rapports (le protection, mais des
possessions ottomanes gouvernées par des chefs locaux vassaux de

l'Empire. Il en allait 'demêmepour la Tunisie. Il serait paradoxal que la
Cour juge que des chefs vassaux étaient de fait souverains, parce que,
pour des raisons pratiques d'ordre politique, ilseyait à la Grande-Bre-
tagne qu'ils fussent considéréscomme tels, mais ne reconnaisse pas
les mêmesattributions à ceux qui échappaient à toute souveraineté ou

suzeraineté lorsque 1;iGrande-Bretagne conclut avec eux des traités de
protection. Non seulement le facteur déterminant serait alors le droit
colonial, et non le droit international, mais aussi la cohérence géné-
rale des décisions de la Cour pourrait dès lors êtremise en doute.
20. Abstraction faite de la question du titre, le jimple libellé du traité
- qui, par bonheur, est fort bref - ne laisse aucune incertitude sur le fait

que l'enjeu de cet inst:rument se résumait, pour unr, partie, à étendre «ses
bonnes grâces et sa bienveillante protection)), et pour l'autre, à s'engager
à ne conclure aucun traité avec des puissances auties que la Grande-Bre-
tagne sans l'autorisation de celle-ci. Il n'est fait référenceà aucun trans-
fert de souveraineté territoriale, que ce soit par l'emploi du mot cession,

pour reprendre la terminologie qu'emploie la Cour au paragraphe 80 deat by reference to the maxim inclusio unius exclusio alterius and by the
fact that it was protection andnot ownership that was the subject of that
treaty.

21. The situation was not altered by the fact that Great Britain in fact
went on to administer the territory in question (Judgrnent, para. 207) for
this was exactly the same situation in the Bechuanaland Protectorate

referred to above (see para. 7 above) but where, nevertheless, a British
court maintained the distinction between a colony on the one hand and a
protectorate on the other, or to use its exact words: "a protectorate
under his Majesty's dominion in the sense ofpower and jurisdiction it was
not under his dominion in the sense of territorial dominion" (emphasis
added). Moreover, the administration of a protected State can perfectly
CO-existwith protection. Nor was the situation altered by the British deci-
sion to incorporate the territories of the Kings and Chiefs of Old Calabar
into the Niger Coast Protectorate. The situation did alter, however, in
1913 when Great Britain ceded present-day Bakassi to Germany, for
what the Kings and Chiefs had consented to was British and not German
protection and because, moreover, that cession implied powersassociated
with territorial sovereignty that Great Britain did not possess.

22. There is a strong presumption in international law against the inci-
dental loss of sovereignty, but it is a rebuttable presumption, and whilst
the case of the Kings and Chiefs of Old Calabar was not weakened by the
treaty itself, their subsequent behaviour certainly has had that effect. It is
said that the God of sovereignty is a jealous God but apparently not in
Bakassi. for. in reflecti"tzon this case. one cannot but notice an extreme
passivit; and inaction on their part that managed to rebut the presump-
tion. Apart from a single trip in 1913to London, when a delegation sent
on their behalf discussed matters relating to land tenure, they remained
silent in the face of momentous events that had an im~act on their status.
Most notably, their failure to protest at the cession of their territory to
Germany under the 1913 Agreement leaves me with no choice but to con-

clude that they had given their consent to that transfer volenti non Jit
injuria. It is for this reason alone - and not the surrealistic interpreta-
tion of the Treaty of 1884or the reference to a fictitious sub-category of
colonial protectorates, nor the equally fictitious reference to a form of
intertemporal law that would shield a deformed practice of the con-
cept of protection from invalidation - that 1 have voted in favour of
point III (A) of the dispositifrelating to those provisions of the 1913
Agreement that deal with Bakassi.

(Signed) Awn AL-KHASAWNEH. FRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME (OP. IND.AL-KHASAWNEH) 505

l'avisconsultatif rendu en l'affaire du Sahara occitlental, ou sous quelque
autre forme. L'absence de toute intention de transférer la souveraineté
territoriale découle trèsclairement de la maxime inclusio unius exclusio
alterius d'une part et, d'autre part, du fait que l'ot~jetdu traitén'était pas

la propriétémais la protection.
21. Que, par la suite, la Grande-Bretagne ait effectivement administré
le territoire en question (arrêt,par. 207) neodiia en rien la situation:
celle-ci était exactement la mêmedans le protectorat du Bechuanaland
évoquéplus haut (voir par. 7 de la présente opinion), ce qui n'empêcha
pas un tribunal britannique de maintenir la distinction entre colonie et
protectorat, ou, pour reprendre ses termes exacts: «un protectorat rele-
v[ant] de l'autorité cle Sa Majestéau sens de pouvoir et d'autorité,mais
non au sens de po.s,ses.sionterritoriale)) (les italiques sont de moi). En
outre, une puissance peut parfaitement administrer un Etat qu'il protège.
La situation ne changea pas non plus lorsque la Grande-Bretagne décida

d'intégrerles territoires des rois et chefs du Vieux-Calabar au protectorat
de la côte du Niger. Ellechangea, en revanche, en 1913,lorsque la Grande-
Bretagne céda à l'Allemagne l'actuelle Bakassi en effet, c'était sous
protection britannique, et non allemande, que les rois et chefs avaient
consenti à se placer et la cession aurait, en outre, exigédes pouvoirs asso-
ciésà la souverainetéterritoriale que la Grande-Bi.etagne ne détenait pas.
22. Il existe, en clroit international, une forte présomption contre la
perte incidente de souveraineté, mais c'est là d'iine présomption réfra-
gable, et si la situation des rois et chefs du Vieux-('alabar ne fut pas affai-
blie par le traitélui-même,elle le fut assurément par leur comportement
ultérieur. L'ondit que le dieu de la souverainetéest un dieujaloux, mais,

à Bakassi, cette divinitédérogeapparemment à la règle: à la réflexion,
l'on ne peut manquer d'être frappépar la passivité et l'inaction dont
firent preuve les rois et chefs du Vieux-Calabar, poussées à un point tel
que la présomption s'en trouva renversée.A l'exception d'une unique
visiteà Londres en 1913, au cours de laquelle le^r délégationdiscuta de
questions relatives au régime foncier,les rois et chefs demeurèrent silen-
cieux face à des événementscapitaux qui mettaient en jeu leur statut. Le
fait, en particulier, qu'ils ne protestèrent pas contre la cession]'Alle-
magne de leur territoire aux termes de l'acco~d de 1913 m'oblige à
conclure qu'ils avaient donné leur consentement à ce transfert: volenti
non fit injuria. C'est uniquement pour cette raison - et non en me

fondant sur l'interprétationsurréalistedu traitéde 1884qui a été avancée,
pas plus que sur le renvoi à une chimériquesou:;-catégoriede protecto-
rats coloniaux, ou à une non moins chimérique fmne de droit intertem-
porel qui permettrait de soustraireàI'invalidatior unepratique déformée
de la protection - que j'ai votéen faveur du point III A) du dispositif
relatif aux articles de l'accord de 1913concernant Bakassi.

(Signé) f\wn AL-KHASAWNEH.

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Document Long Title

Opinion individuelle de M. Al-Khasawneh (traduction)

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