Opinion dissidente de M. Vereshchetin (traduction)

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096-19981204-JUD-01-08-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. VERESHCHETIN

[Traduction]

Principaux points sur lesquelsporte la présente opinion dissidente(par. 1).
I. L'objet du litigeprincipal entre les Parties (par. 2-9) :

Position de l'Espagne concernant l'objetdu différend (par.2, 5) - Position
du Canada à ce sujet (par. 3 et 6) - Le paragraphe 1de l'article40 du Statut
comme point de départde la décisionde la Cour (par. 4) - Affirmation du
Canada selon laquelle tout différend porté devanlta Cour doit nécessairement
constituer un tout ((indivisible))englobant lesfaits et les règlesde droit (par. 6)
- Position de la Communauté européenn(e par. 7) - Absence de motifsfondés

pour restreindre l'objet dudiffërend telqueprésenté par I'Etatdemandeur(par. 8).
II. Les effets de la réservecanadiennesur lacompétencede la Couren l'espèce
(par. 10-24) :

Le principe duconsentement des Parties est délimité(par. IO) - Les tâches
incombant à la Cour,((organeet gardienne du droit international)) (par. II) -
«La Cour ne sauraitsefonder sur une interprétation purementgrammaticale du
texte)) (par. 12) - Interprétation à la lumièredu droit international (par. 13)
- Définitionde la notion de ((mesures de conservation et de gestion)) dans de
récents accords multilatéraux - Haute pertinence de ces instruments
(par. 14-15) - Elément sine qua non de ladite définition (par. 16-18) -
((Compte dûment tenu)) de l'intention du déclarant(par. 19) - La Cour doit

chercher à interpréterla réserve demanière compatibleavec ledroit internatio-
nal (par. 20-21) - Intention du déclarant - Débatsparlementaires (par. 19,
21-22) - Les effets de la réservecanadiennesur la compétencede la Courne
peuvent être déterminé dse manièreconcluante au stade actuel (par. 23-24).

1. C'est avec regret que, compte tenu de l'arrêt rendu par laCour en

l'espèce,je me vois contraint d'exprimer une opinion dissidente. Je ne
puis souscrire aux arguments et conclusions auxquels la Cour a abouti
sur deux points essentiels :

1) l'objet du différend;
2) les effets de la réservecanadienne sur la compétencede la Cour en
l'espèce.Je me propose donc de traiter successivement de ces deux

aspects.

1. L'OBJET DU LITIGE PRINCIPAL ENTRE LES PARTIES

2. L'Espagne a soutenu à maintes reprises, tant dans ses écritures que
dans son exposéoral, que le cŒur,l'objetdu litige entre les deux Etats est
l'existence ou l'absence d'un titre, en droit international, pour agir en
haute mer à l'encontre de navires battant pavillon d'un autre Etat et, plus

particulièrement, à l'encontre de bateaux battant pavillon espagnol(voir,notamment, mémoirede l'Espagne, chap. II, sect. IX, par. 22; chap. IV,
sect. II, par. 173-176; CR9819, p. 18-19, 31, 42 et suiv.; conclusions
finales del'Espagne). Demêmel,'Espagnea insistésurlefait que sarequête
«n'est pas l'exercicede la pêcheen haute mer; pas plus que la gestion et
la conservation desressources biologiques dansla zonede réglementation
de l'OPANO» (CR 9819,p. 53, par. 39).
L'Espagne a expliquéce qu'elleentend par le terme «titre». Ce faisant,
elle s'estfondée sur la jurisprudence de la Cour dans l'affaire Burkina
FasolRépubliquedu Mali, où la Cour a déclaréque cette notion peut
«viser aussi bien tout moyen de preuve susceptible d'établirl'existence

d'un droit que la source mêmede ce droit» (Différendfrontalier, arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 564, par. 18). L'agent de l'Espagne, sans nier
qu'au cours de la procédure, l'Espagne ait parfois utiliséle mot «titre»
dans un sensdifférent,a conclu sa présentationde l'affairepar la déclara-
tion suivante:
((Lorsquenous soutenons que le Canada n'a aucun titre juridique
international pour agir en haute meràl'encontre des navires battant

pavillon espagnol, nous employonsla notion de titre retenue par la
Cour. C'est-à-dire,le défaut de droit duCanada à procéder à de tels
agissements.» (CR 9819,p. 16.)
Ainsi, l'Espagne a insisté à de nombreuses reprises sur le fait qu'elle
avait soumis àla Cour un différendayant trait non a des mesures de ges-
tion et de conservation de stocks de poissons (différendqui a étéréglé
ailleurs), mais serapportant d'une manièregénérale au fait que le Canada

n'avait aucun titre en droit international pour agir en haute mer contre
des navires battant pavillon espagnol, comme il l'a fait en mars 1995.
3. Quant au Canada, il a soutenu à l'inverse que le différend ne
concerne rien d'autre que lesmesures de conservation et de gestion prises
par le Canada et que mêmesi cen'est pas le cas, la question générale du
titre requis pour agir en haute mer à l'encontre de navires battant
pavillon espagnolreste liéeauxdites mesures et à leur application, et que
par conséquent, la Cour ne peut pas la traiter séparément de faits qui
entrent dans le cadre de la réservecanadienne.
4. Pour réglerce différendapparu à l'intérieurdu différend,la Cour
devrait sefonder sur leparagraphe 1de l'article40 du Statut, qui dispose
que c'està 1'Etatdemandeur d'indiquer l'objet du différend.Dèslors, s'il
est vrai qu'il ((ressort de la jurisprudence de la Cour que celle-ci ne se
contente pas de la formulation employéepar le demandeur, lorsqu'elle
déterminel'objet du différend))(paragraphe 30 de l'arrêt),il n'en estcer-

tainement pas moins vrai que lorsqu'elle qualifiece qui constitue le dif-
férendprincipal entre les parties, la Cour ne saurait sans motifs dûment
étayés redéfinilr'objet du différendsans tenir compte des termes de la
requête etdes autres moyens présentéspar le demandeur. C'estpourtant
ce qu'ellesembleavoir fait dans son arrêt(voir paragraphe 35de l'arrêt).
5. La requête faitréférence au différendentre les Parties en indiquant
que, «dépassant le cadre de la pêche,[il] affecte gravement l'intégritémêmedu mare liberum de la haute mer et de ses libertés ..» Elle évoque
également «une atteinte très grave contre les droits souverains de l'Es-
pagne, un précédent inquiétantde recours à la force dans les relations
inter-Etats...» (requêtede l'Espagne, p. 10).Plus précisément,il est spé-
cifiédans la requête:

«La auestion n'est Dasla conservation et la uestion des ressources
de pêchesinon le titre pour exercerunejuridiction sur des espacesde
la haute mer et leur opposabilitéà l'Espagne.» (Zbid.,p. 12.)

L'emploi du terme «titre», dans la requête,n'est pas dénué d'ambi-
guïté.Il ne renvoie pas seulementà l'existenceou à la non-existence de ce.
droit en droit international, mais aussià la législationcanadienne qui,
aux yeux du demandeur, ne constitue pas à proprement parler des me-
sures de conservation et de gestion. Toutefois, tant dans sa requête que
dans ses conclusions finales, l'Espagne demande essentiellement à la
Cour de statuer sur la question de savoir si leCanada a ou non un titre
juridique international pour exercer sa juridiction en haute mer sur des

navires battant pavillon espagnol et pour y faire usage de la force à
leur encontre. Ses autres demandes sont subsidiaires à cette réclamation
essentielleet non l'inverse.
6. L'affirmation du Canada selon laquelle:
«[il1est impossible d'isoler un différendportant sur des questions de
droit international général,et plus particulièrement de compétence

étatique, d'un différendportant sur des mesures de gestion et de
conservation des ressources vivantes de lamer» (CR 98/12,p. 57)

ne saurait être retenue pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, affirmer que chaque différendporté devantla Cour doit

seprésenter sousla formed'un tout ((indivisible»,((indissociable»,englo-
bant toujours et nécessairement à la fois les faits et les règlesde droit,
ne serait pas conforme au Statut de la Cour et à sa jurisprudence. Aux
termes de l'alinéab) du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut, la Cour
exerce sa juridiction sur tous les différendsd'ordre juridique ayant pour
objet «tout point de droit international)). Les différendsd'ordre juridique
ayant pour objet «la réalitéde tout fait qui, s'ilétait établi, constituerait
la violation d'un engagement international)) sont mis sur le mêmeplan
que les différendsconcernant «tout point de droit international)). Rien
dans le Statut ne s'oppose à ce que la Cour connaisse d'un différend
d'ordre «purement» juridique ayant trait à un point de droit internatio-
nal. Dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, compte
tenu de la teneur des compromis, la Cour n'est pas alléejusqu'à déclarer

applicables des principes et règlesde droit international(C.Z.J. Recueil
1969, p. 54 et 55).
En second lieu, si la Cour interprétait cette argumentation du Canada
comme une thèse générale selon laquelllea Cour ne saurait examiner iso-lémentun différendayant trait à l'interprétation deprincipes et règlesdu
droit international pour la seule raison que les mêmesprincipes et règles
pourraient s'appliquer à un autre différend, ou à un autre aspect du dif-
férendconsidérécenséêtreexclu de la compétencede la Cour, ladite
argumentation serait ici encore contraire à la jurisprudence dérivée des
affairesde la Mer du Nord, ainsi qu'à la décision prisepar la Cour dans
l'affairerelative auPersonnel diplomatique et consulairedes Etats-Unis à
Téhéran :

((aucune disposition du Statut ou du Règlement $]interdit [àla
Cour] de se saisir d'un aspect d'un différendpour la simple raison
que ce différendcomporterait d'autres aspects...)) (C.I.J. Recueil
1980, p. 19,par. 36).
Dans son arrêtconcernant la mêmeaffaire, la Cour a égalementfait

observer que :
«si la Cour, contrairement à sa jurisprudence constante, acceptait
une telle conception, il en résulteraitune restriction considérable et
injustifiéede son rôle en matière de règlement pacifique des diffé-
rends internationaux)) (ibid., p. 20, par. 37).

Troisièmement,un différendporté devant laCour peut comporter plu-
sieurs objets, ou un mêmeobjet présentantdivers aspects. C'estainsi que
dans l'affaire du Droit de passage sur territoire indien, la Cour a relevé
que «le différendsoumis à la Cour a[vait] un triple objet)), y compris
«[l'elxistence contestée d'undroit...» (C.I.J. Recueil 1960, p. 33-34; les
italiques sont de moi). Dans telle ou telle affaire, la Cour peut estimer
qu'elle estcompétenteen ce qui concerneun objet, ou un aspect particu-

lier de cet objet, et qu'elle est incompétente en ce qui concerne les
autres.
7. Dans la présenteinstance, il convient de tenir dûment compte du
fait que la Communauté européenne etses Etats membres semblent être
convenus qu'il existait un différendentre l'Espagne et le Canada, distinct
de celui opposant la Communauté etle Canada et concomitant avec lui,
concernant les pêcheriesdans la zone de réglementation de 1'OPANO.
8. Selon moi, l'analyse qui précèdedémontreque la question du titre
juridique (((l'existence contestée d'un droit») peut légitimement être
portée devantla Cour à titre de litige distinct. Il étaitloàsl'Espagne,
en tant qu7Etat demandeur, de saisir la Cour de tel ou tel aspect du dif-
férendexistant entre les Parties, et uniquement de celui-là, parce qu'il
présentaitpour elleun intérêt particulier ou qu'il n'avait pétéréglé par
d'autres moyens pacifiques.

La portéedu différendentre les Parties est beaucoup plus large que la
poursuite et l'arraisonnement de l'Estai et leurs conséquences.Toutà fait
indépendamment de cette cause immédiate du litige, il semblerait que
celui-citrouve son origine dansla conception différentequ'ont lesparties
des droits et obligations qui sont ou ne sont pas ceux d'un Etat côtier
dans une zone donnée de lahaute mer; ou, d'une manière plusgénérale,la conception différente qu'ellesont de la relation entre les impératifs du
droit de la mer d'un côté, etceux du droit de l'environnement de l'autre.
La Cour n'était pas fondée à redéfiniret limiter l'objet du différendsou-
mis par le demandeur même si,sans doute, elle pouvait raisonnablement
s'estimer compétentepour certains aspects du différend maisnon pour
d'autres.

9. Jusqu'à présent, nous n'avons pas abordé la questionde savoir si le
différendentre les Parties, quelle que soit la façon dont la Cour le défi-
nisse, est couvert ou non par la réservedont le Canada a assorti sa décla-
ration d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour. Nous nous
proposons maintenant d'examiner cette question cruciale.
Il y a lieuà ce propos de rappeler les termes de la réservecanadienne.
L'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration canadienne de 1994exclut
de la juridiction de la Cour:

«les différendsauxquels pourraient donner lieu les mesures de ges-
tion et de conservation adoptées par le Canada pour les navires
pêchant dans la zone de réglementationde I'OPAN, telle que définie
dans la convention sur la future coopération multilatérale dans les
pêchesde l'Atlantique Nord-Ouest, 1978, et l'exécution detelles
mesures D.

II. LES EFFETS DE LA RÉSERVE CANADIENNE SUR LA COMPÉTENCE
DE LA COUR EN L'ESPÈCE

10. Quelques observations préliminaires paraissent s'imposer. Il est
notoire que «la juridiction de la Cour est fondée surle consentement des
parties)).Toutefois, ce préceptene rend pas totalement compte des faits.
Si la compétencedevait toujours se fonder sur le consentement au sens

littéraldu terme, aussitôt que ce consentement serait retiré(à n'importe
quel moment) par 1'Etat défendeur,la Cour cesserait automatiquement
d'être compétente pour connaître dela requête formulée àl'encontre de
cet Etat. Or, il est tout aussi notoire que la réalitéest différente.xiste
un certain nombre de normes du droit international qui encadrent le
principe du consentement. Dèslors qu'un Etat a consenti à lajuridiction
de la Cour, que ce soit par voie d'accord spécial(compromis), en vertu de
la clausejuridictionnelle d'un traité ou parune déclaration d'acceptation
de la clause facultative,sa libertéà l'égard dela juridiction de la Cour
cesse d'être sans limite;à plus forte raison, elle ne saurait être absolue.
Selon le cas, cette libertéest régiepar les règlesgénéralesdu droit inter-
national (pacta sunt servanda), par les règles spécifiquesédictéesdans

l'instrument considéré(les termes de la clause compromissoire), par le
Statut et par les règlesde procédure de la Cour. Dèslors, on ne sauraitaffirmer ou présumer, à un moment donné, la liberté absolue d'un Etat
à l'égardde la juridiction de la Cour sans tenir dûment compte des cir-
constances de l'espèce.
L'une des règlesqui attestent les limites apportéescette libertéest la
comvétencede la comvétence. Il est exclu de laisseà 1'Etatintéresséla
librl appréciation de ia compétence.C'est à la Cour qu'il appartient de
dire si elle est ou non compétentedans tel ou tel cas d'espèce. Cefaisant,
loin d'êtreguidéepar ce que souhaite en l'occurrence1'Etatdéfendeur,la

Cour se fonde sur l'interprétation des initiatives prises par les parties
dans le passé, à l'époque oùelles ont acceptéla juridiction de la Cour,
ainsi que sur les normes existantes du droit international et sur sa juris-
prudence.
11. S'agissant de la clause facultative relatiàela compétence (dite
aussi de lajuridiction obligatoire), tout Etat est absolument libre d'adhé-
rer ou non au système dela clause facultative et de limiter ou de ne pas
limiter son acceptation de la juridiction de la Cour en l'assortissant de
certainesconditions et réserves.Mais cela ne signifiepas que le rôle de la
Cour, lorsqu'elle examine les réserves ou conditions dont un Etat a
assorti sa déclaration d'acceptation de la clause facultative, peut se limi-
ter à une simple recherche de l'intention ou de la volonté de 17Etatinté-

ressé; au reste, cela ne signifie pas non plus que ladite intention ou
volonté doit toujours peser d'un poids décisifsur les décisionsconcernant
la compétence.La Cour manquerait à ses devoirs en tant qu'«organe et
gardienne)) du droit international si elle conféraàun document l'effet
juridique recherchépar 1'Etat dont il émane sansexaminer la compati-
bilitédudit document avec les exigencesfondamentales du droit interna-
tional.
Certes, un Etat qui émetune réservele fait parfois parce qu'il éprouve
«des doutes quant àla compatibilitéde certains de ses actes avec le droit
international)) (paragraphe 54 de l'arrêt) et que dece fait, il souhaite voir
sa conduite échapper à l'examen de la Cour. Cependant, le fait que la

licéitde certainesactions puisse apparaître douteuse est une chose, mais
c'en est une toute différente que de constater que les actions que 1'Etat
cherche, par sa réserveà soustraireà l'examen de la Cour sont manifes-
tement contraires àla Charte des Nations Unies, au Statut de la Cour ou
aux obligations evga omnes imposéespar le droit international. Il appar-
tientà la Cour, placéedevant un tel dilemme, de faire la distinction entre
ces deux situationsjuridiques distinctes, qui sont susceptibles de donner
lieuà des conclusionsdifférentesquant à la validitéetàla recevabilitéde
la réserveen question.
Un Etat n'a pas toute latitude pour assortir à son gréla déclaration
qu'il faià titre facultatif en vertu du paragraphe 2 de l'article 36du Sta-

tut de n'importe quelle réserveou condition. C'est ainsi qu'il n'est pas
contesté que la Cour ne saurait donner effetà une condition imposant à
la Cour certaines règlesde procédurequi seraient contrairesà son Statut
ou à son Règlement. Ainsi que M. Armand-Ugon a fait valoir fort jus-
tement dans l'affaire del'interhandel, «[l]es règlesde fond et de procé-dure fixéespar le Statut doivent êtreconsidéréescommeimmuables :ni la
Cour ni les parties ne peuvent y porter atteinte)) (Interhandel,exceptions
préliminaires,arrêt, C.I.J. Recueil 1959, p. 93, opinion dissidente de
M. Armand-Ugon). De même,selon moi, la Cour ne saurait donner
effet à une réserveexcluant expressémentde sa juridiction l'examen de
conduites manifestement incompatibles avec les principes fondamen-
taux du droit international. Une exception à la juridiction de la Cour se
fondant sur une réserveentachéed'untel vicedoit êtrerejetéepar la Cour
commeirrecevable. Si la Cour reconnaissaitqu'une telle réservepeut s'ap-
pliquer, cela pourrait être interprétécomme un aval juridique donné à
ce qui devrait en réaliêtreconsidéré commeun abus, de la part de l7Etat,
de sondroit de ne pas êtreassignésans sonconsentementdevant un tribu-

nal international. D'une manière générale,les réserveset conditions for-
muléesne doivent pas saper ce qui est la raison d'êtremêmedu système
de la clause facultative.
12. En l'espèce,la situation juridique est différente.La réservecana-
dienne se prête à plusieurs interprétations. Ce n'est pas la réserve elle-
mêmequi est contestéepar l'Espagne, mais l'interprétation qu'en donne
en l'occurrence le Canada. Et la Cour n'a pas lieu d'estimer que le
contenu de la réservecanadienne la rend ab initio manifestement incom-
patible avec les principes fondamentaux du droit international et dès
lors inapplicable.En l'espèce, illui incombe de décider laquelle desinter-
prétations possibles de la réserveest correcte puis,à la lumière de cette
décision, de réglerle différend concernant sa compétence en cette
affaire.
Selon les règlesconsacrées enmatière d'interprétationdes déclarations

et des réservesqui y sont apportées,la Cour doit lire ces textes comme un
tout et conféreraux termes qui y figurent une signification naturelle et
ordinaire. Or, la Cour a expressémentfait valoir dans le passéque:

((laCour ne saurait se fonder sur une interprétation purement gram-
maticale du texte. Elle doit rechercher l'interprétation quiest en har-
monie avec la manière naturelle et raisonnable de lire le texte, eu
égard à l'intention [de 1'Etat déclarant]à l'époque où celui-ci a
acceptéla compétenceobligatoire de la Cour.)) (Anglo-Iranian Oil
Co., exception préliminaire,C.I.J. Recueil 1952, p. 104.)

13. Pour la Cour, la question de la licéiténe saurait être totalement
séparée dela ((manièrenaturelle et raisonnable de lire letexte)). Puisque

la Cour a pour mission de régler les différendsconformément au droit
international (paragraphe 1de l'article 38 du Statut), elle doit interpréter
chaque document international à la lumière du droit international. Le
langage de la Cour est celui du droit international. Tel terme d'une décla-
ration ou d'une réservepeut avoir une signification plus large ou plus
étroitedans le langage courant ou dans le contexte d'une autre discipline,
mais pour la Cour, sa signification ((naturelle et raisonnable)) est cellequ'il revêt endroit international. Pour un biologiste, pour un spécialiste
des pêcheriesl,a conservationet la gestion des ressourceshalieutiques res-
tent de la conservationet de la gestion quel que soit l'endroit où ellessont
pratiquées etqu'ellessoient licitesou non. Mais du point de vue du droit

international, cela ne signifiepas que l'on puisse qualifier de mesures de
conservation et de gestion des mesures prises par un Etat dans les eaux
territoriales d'un Etat voisin sans le consentement de ce dernier, pour
protégerdes stocksde poissons chevauchants par exemple.Le droit inter-
national reconnaît l'importance de la coopération transfrontalièrevisant
à protégerles ressources naturelles et notamment des stocks de poissons
chevauchants, et il en encourage le développement; mais il n'admet pas
que l'on puisseassurer cette protection en transgressant pour ce faire des
principes fondamentaux du droit international. Pour la Cour, l'acception
des termes qu'elle emploieest celle qui est en usage dans le contexte du

droit international, mêmesi cestermes peuvent revêtir une signification
quelque peu différentedansd'autres disciplines.
14. Il s'ensuitdèslors que l'expression((mesuresde conservation et de
gestion)) figurant dans la réservecanadienne doit êtreinterprétéepar la
Cour commedésignantuniquementdes mesures acceptées dans lecadredu
droit international moderne. Une source naturelle où trouver la défini-
tion de termes et de notions en usage dans le nouveau droit de la mer
international est offerte par les instruments multilatéraux pertinents et
notamment ceux rédigés récemmenL t.a notion de ((mesures de conser-
vation et de gestion)) utiliséeen droit maritime international est définie

dans l'accord aux fins de l'application des dispositions de la convention
des Nations Unies sur le droit de la mer du 10décembre1982relatives à
la conservation et à la gestion des stocks de poissons dont les déplace-
ments s'effectuent tant à l'intérieur qu'au-delà de zones économiques
exclusives (stocks chevauchants) et des stocks de poissons grands
migrateurs (ci-aprèsdénommé ((accorddes Nations Unies de 1995sur les
stocks chevauchants))) l.
15. Cet instrument, et les termes qu'il contient, sont éminemmentper-
tinents pour l'affaire qui nous occupe. Au demeurant, cet accord est
contemporain de l'apparition du différend. Son objectif (((assurer la

conservation àlong termeet l'exploitation durable des stocksde poissons
chevauchants et des stocks de poissons grands migrateurs)) (art. 2)) est
identique à l'objectif proclamé par le Canada en ce qui concerne les
mesures qu'il a prises. Les mesures prévuespar l'accord, tout comme les
mesures canadiennes, sont destinées à êtreappliquéesau-delà des limites
de la juridiction nationale. L'accord a étérédigé «aux fins de I'applica-
tion des dispositionsde la conventiondes Nations Unies sur ledroit de la

'Adopté sans avoir émis aux voix le4 août 1995par la conférence desNations Unies
sur les stocks de poissons chevauchants et les stocks de poissons grands migrateurs. Cent
trente-huit Etats et de nombreuses organisations internationales participaient
rence.A l'heureactuelle, l'accord aétésignépar plus de soixante Etats, mais il n'est pas
encore entré envigueur.mer du 10 décembre 1982)); c'est dire qu'il est intimement lié à la
((Grande Charte)) du droit de la mer moderne2. Enfin, le Canada comme
l'Espagne ont signé cet accord (maisne l'ont pas encore ratifié).
L'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article premierde l'accord dispose:

«On entend par ((mesuresde conservation et de gestion)) les me-
sures visant à conserver et à gérer une ou plusieursespècesde res-
sources biologiques marines qui sont adoptéeset appliquées dema-

nière compatible avec les règlespertinentes du droit international
telles qu'ellesressortent de la convention et du présentaccord.»(Les
italiques sont de moi.)

Un autre instrument juridique international récent, qui concerne direc-
tement lesproblèmesde conservation et de gestion en haute mer, est à cet
égard encore plus précis:il s'agit del'accord visant à favoriser le respect
par les navires de pêcheen haute mer des mesures internationales de
conservation et de gestion. Cet accord, adoptéen 1993 àla vingt-septième
session de la conférence dela FAO, fait partie intégrante du code de

conduite pour une pêcheresponsable3. L'article premier de cet accord,
intitulé ((Définitions)),contient une définition des ((mesures internatio-
nales de conservation et de gestion)) qui, entre autres éléments - iden-
tiques à ceux figurant dans la définition précité -e comporte aussi l'élé-
ment de licéitéf,ormulé commesuit: (([mesures]adoptées et appliquées
conformémentaux règlespertinentes du droit international tellesque reflé-
téesdans la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982)).

16. Il ressort des textesqueje viensde citer que, contrairement à cequi
est affirmédans l'arrêt, pour qu'unemesure puisse êtrequalifiéede
«mesure de conservation et de gestion))oude «mesure internationale de
conservation et degestion »,ilnesuffitpas, en droit international, ((qu'elle
ait pour objet de gérer et de conserver des ressources biologiqueset

réponde, à cet effet, à diverses caractéristiques techniques)) (para-
graphe 70de l'arrêt). Une autre exigenceessentielle - et mêmeune condi-
tion sine qua non - est que l'adoption et l'application d'une telle mesure
soient ((compatibles »,ou «en conformité» avec les règlespertinentes du

résultatsde la conférence devraient être pleinement conformeasux dispositions de la con-
vention desNations Unies sur le droit de la mer, en particulier lesdroits et obligations des
Etats côtiers et des Etats menant des activités denaute mer)) (voir le Rapport de
la confërence des Nations Uniessur l'environnement et ledéveloppement,Rio de Janeiro,
3-14juin 1992,vol. 1:résolutionsadoptéespar la conférence,rés.1,annexe II, par. 17.50).
Département des pêches de laFAO. Accord visant à favoriser le respect par les
navires de pêche enhaute mer des mesures internationales de conservation et de gestion.
Vingt-cinq acceptations sont nécessairespour que cet accord entre en vigueur. A cejour,
dix acceptations ont été re,ont celledu Canada. On notera que le Canada a accepté
ledit accord le 20 mai 1994, soit dix jours seulement après avoir déposésa déclaration
d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour, où figurait la réservequi nous
occupe.droit international et, plus spécifiquementet avant tout, avec la conven-
tion sur le droit de la mer.
De plus, ainsi qu'ilressort des travaux qui ont abouti la rédaction de
l'accord des Nations Unies de 1995 sur les stocks chevauchants, le
Canada a étéparmi les Etats qui ont formellement proposé d'inclure,
dans l'article premierde l'accord, une définitiondes ((mesuresinternatio-
nales de conservation et de gestion)), définitionqui supposait que ces
mesures soient adoptéeset appliquées«conformément aux principes du
droit international dans la convention des Nations Unies sur le droit de
la mer...»4
17. L'argument avancédans l'arrêtselon lequel il ressort de la «pra-

tique des Etats» que les exigencesdu droit international n'entrent pas en
ligne de compte lorsqu'il s'agit de définirla notion de ((mesures de
conservation et de gestion» est inconciliable avec un certain nombre de
faits. Aucun des instrumentsnationaux àcaractèrelégislatifou réglemen-
taire citésdans l'arrêt pourillustrer la pratique «communément» suivie
par les Etats (par. 70) ne comporte une quelconque définitiondes «me-
sures de conservation et de gestion)), mais tous incluent effectivement
des clauses particulièresprévoyant l'application de ces lois et règlements
dans les eaux relevant de la juridiction nationale (ce qui est en harmo-
nie avecle droit international). Quelques-uns de cesinstrumentsstipulent

expressément qu'ils doiventêtre interprétée st appliqués d'une manière
compatible avec les engagements internationaux (voir par exemple l'ar-
ticle5 de la loi néo-zélandaisede 1996sur les pêcheries).
18. Je souscrisà l'affirmation figurant dans l'arrêtselon laquelle:
«[en] lisant le texte de la réserve[canadienne]d'une manière «natu-

relle et raisonnable)), rien ne permet de conclure que le Canada
aurait eu l'intention d'utiliser l'expression((mesuresde gestion et de
conservation))dans un sens différentde celui communémentadmis
en droit international» (par. 71).
Mais je suis foncièrement en désaccord avecl'idéeque la signification

conféréedans l'arrêtà la notion de ((mesuresde conservation et de ges-
tion» est conforme à la si"nification donnée à cette notion Dar le droit
international moderne, telle qu'elleressort des deux récentsaccords mul-
tilatérauxprécitéset des débatsauxquels leur rédaction a donnélieu.
19. Conformément à la jurisprudence de la Cour, il convient aussi,
dans le travail d'interprétation, detenir dûment compte» de l'intention
de 1'Etat auteur de la déclarationlréserve à l'époqueoù il l'a formulée.
Dire qu'il faut en tenir ((dûment compte» ne signifie pas que cet élé-
ment doit êtrele critère décisifet concluant pour l'interprétation que
donnera la Cour, mais il doit certainement être un facteur important,

Projet de convention sur la conservation et la gestion des stocks chevauchants et
des stocks de poissons grands migrateurs en haute mer (présentépar les délégations de
l'Argentine, du Canada, du Chili, de l'Islande et de la Nouvelle-Zélande,
AICONF. 164lL.1l du 14juillet 1993).

151s'agissant d'établir l'objet de l'instrument juridique.Il faut en tout pre-
mier lieu rechercher l'intention de'Etatauteur du texte dans le libellédu
document lui-même.Dans certains cas, la Cour a trouvé«une confirma-
tion décisivede l'intention» de1'Etatdéclarant dansle texte mêmede la
déclarationlréservequ'elleexaminait (voir l'affaire de7Anglo-IranianOil
Co., exception préliminaire,arrêt,C.I.J. Recueil 1952,p. 107).
20. En règlegénéralel,a Cour doit partir du principe que l'intention
était de demeurer dans le cadre du droit international. Il faut prendre

pour hypothèse que l'objet dela déclarationlréserveest licite. La Cour
permanente de Justice internationale a soulignéque la Cour ne pouvait
pas présumerl'existenced'un abus de droit (Certains intérêtasllemands
en Haute-Silésiepolonaise,fond, arrêt no 7, 1926, C.P.J.I. sérieAno 7,
p. 30). Dans l'affaire du Droit depassage, la présenteCour a fait valoir:
((C'est une règled'interprétation qu'un texte émanant d'un gou-
vernement doit, en principe, être interprété comme produisant et

étantdestiné à ~roduire des effets conformes et non Das contraires
au droit existant.(Droit depassage sur territoire indien,exceptions
préliminaires, arrêtC ,.I.J. Recueil 1957,. 142.)
La Cour ne peut considérerqu'un Etat est de mauvaise foi et lui impu-
ter l'intention d'utiliser une réservepour couvrir une violation du droit
international.
21. Se fondant sur la licéitéprésuméede l'intention du Canada, la

Cour ne saurait discerner dans le texte de la réservecanadienne une
intention de violer le principefondamental de la libertéde la hautemer et
de chercher à éviterque cette conduite soit examinéepar la Cour. Elle
doit au contraire s'efforcer d'interpréter laréservedans un sens compa-
tible avecledroit international et, par conséquent,comprendrelestermes
((mesuresde conservation et de gestion))comme le font les accords mul-
tilatérauxrécents (voir ci-dessuspar. 16) ou,à tout le moins, dans une
acception pouvant avoir une légitimité endroit international.
22. La Cour peut aussi rechercher l'intention ayant inspiré la décla-
rationiréserve dans tout indice disponible ayant trait à l'adoption de
l'instrument. Lesélémentf sournis par le Canadaà cet égard sont ambiva-
lents. Des déclarationsde parlementaires,faitesà l'époque oùla déclara-
tion et la réservel'accompagnant venaient d'êtredéposéess ,embleraient
limiter l'application des mesures envisagéesaux ((navirespirates(cequi

serait conforme au droit international). Le ministre des affaires étran-
gèresainsi que le ministre des pêcheset des océansont essentiellement
parlé desnavires apatrides ou «pirates» comme cibles de la législation
envisagée(projet de loiC-29), dont la réserveavait pour but de protéger
((l'intégrité)).Eu égard aulien existant entre la législationet la réserve,
leurs déclarations pourraient êtreconsidéréescomme l'interprétationoffi-
cielle de la réserve émisepar le Canada à l'époqueoù celle-ci a été
déposée.
C'est seulement un an plus tard que le Canada a promulguéla régle-
mentation en vertu de laquelle la loi C-29 a été appliquée auxnaviresespagnols et portugais. On pourrait faire valoir que cette réglementation
ne saurait entrer en ligne de compte pour interpréter la réserveconfor-
mément àl'objet qui étaitle sieà l'époqueoù elle a été déposéD e.ès
lors, on ne saurait se fonder sur le débatparlementaire et les autres élé-

ments présentéspar le Canada pour formuler des conclusions quant à
((l'intention manifeste du déclarant))(paragraphe 66 de l'arrêt;les itali-
ques sont de moi) à l'époque quiest à prendre en considération pour
interpréterla réserve.

23. Compte tenu des considérations qui précèdent,la portée (ratione
mateviae et vationepersonae) de la réservecanadienne,de mêmeque ses
effets sur la compétencede la Cour en l'espèce,apparaissent beaucoup
moins clairs qu'il ne sembleraitpremière vue.Pour éclaircirces points,
il convient d'analyser de manière plusapprofondie les faits et le droit, et
d'établirde manière concluante si les mesures prises par le Canada, et

notamment leur exécution,tombent sous le coup de la réserve.Cela ne
peut se faire que lors de l'examen du fond.
24. D'autre part, il apparaît très clairement, mêmedans la phase
actuelle, qu'en raison des incertitudes juridiques entourant la réserve
canadienne, il est impossible la Cour, en se fondant sur cette réserve,
d'en arriver avec certitude la conclusion qu'elle n'estpas compétente
pour connaître du différendjuridique généraloncernant letitre qu'aurait,
en droit international, un Etat côtier d'intervenir en haute mer en faisant
usage de la forceà l'encontre de navires battant pavillon d'autres Etats.
Selon moi, la Cour aurait été plusavisée deconclure que dans les cir-
constances de l'espèce,les exceptions du Canada ne revêtaient pasun
caractèreexclusivementpréliminaire.

(Signé) Vladen S. VERESHCHETIN.

Bilingual Content

DISSENTING OPINION OF JUDGE VERESHCHETIN

Principal points of the dissent (para. 1).

1.Subject-matter of the main dispute between the Parties (paras. 2-9)
Spain'sposition on the subject-matter of the dispute (paras. 2, 5) - Cana-
da'sposition on this issue (paras. 3, 6) - Article 40,paragraph l, of the Stat-

ute as the point of departurefor the Court'sJinding (para. 4) - Canada's
contention that every dispute before the Court must necessarily consist of an
"indivisible" wholeembracing thefacts and rules of law (para. 6) - European
Community'sattitude (para. 7) - Absence of well-founded reasonsfor narrow-
ing the subject-matter of the dispute presented by the Applicant (para. 8).
II. Effects of the Canadian reservation on the Court'sjurisdiction in this case

(paras. 10-24) :
Principle of the consent of the Parties is circumscribed (para. 10) - Court's
duties as "an organ and guardian of international law" (para. II) - "The
Court cannot base itseif on a purely grammatical interpretation of the text"
(para. 12) - Construction in the light of international law (para. 13) - De$-
nition of the concept "conservation andmanagement measures" in recent multi-

lateral agreements - Eminent relevanceof these agreements (paras. 14-15) -
Sinequa non element of the abovedefinition (paras. 16-18) - "Due regard" to
the declarant's intention (para. 19) - Court should seek to interpret the res-
ervation as consistent with international law (paras. 20-21) - Declarant"~
intention - Parliamentary debates (paras. 19, 21-22) - Implications of the
Canadian reservationfor the jurisdiction of the Court cannot be conclusively
established ut this stage (paras. 23-24).

1. 1 regret that 1find myself obliged to dissent from the Judgment of
the Court in the present case. 1 cannot concur with the arguments and
findings relating to two principal points:

(1) the subject-matter of the dispute, and
(2) the effects of the Canadian reservation on the Court's jurisdiction in

this case. Accordingly, 1propose to deal with each of these issues in
turn.

2. Spain has steadfastly reiterated throughout both the written and
oral pleadings that the core, the subject-matter, of the dispute between
the two States is the existence or non-existence of a title under interna-
tional law to act on the high seas against ships flying the flag of a foreign
State, and more concretely, against ships flying the Spanish flag. (See, OPINION DISSIDENTE DE M. VERESHCHETIN

[Traduction]

Principaux points sur lesquelsporte la présente opinion dissidente(par. 1).
I. L'objet du litigeprincipal entre les Parties (par. 2-9) :

Position de l'Espagne concernant l'objetdu différend (par.2, 5) - Position
du Canada à ce sujet (par. 3 et 6) - Le paragraphe 1de l'article40 du Statut
comme point de départde la décisionde la Cour (par. 4) - Affirmation du
Canada selon laquelle tout différend porté devanlta Cour doit nécessairement
constituer un tout ((indivisible))englobant lesfaits et les règlesde droit (par. 6)
- Position de la Communauté européenn(e par. 7) - Absence de motifsfondés

pour restreindre l'objet dudiffërend telqueprésenté par I'Etatdemandeur(par. 8).
II. Les effets de la réservecanadiennesur lacompétencede la Couren l'espèce
(par. 10-24) :

Le principe duconsentement des Parties est délimité(par. IO) - Les tâches
incombant à la Cour,((organeet gardienne du droit international)) (par. II) -
«La Cour ne sauraitsefonder sur une interprétation purementgrammaticale du
texte)) (par. 12) - Interprétation à la lumièredu droit international (par. 13)
- Définitionde la notion de ((mesures de conservation et de gestion)) dans de
récents accords multilatéraux - Haute pertinence de ces instruments
(par. 14-15) - Elément sine qua non de ladite définition (par. 16-18) -
((Compte dûment tenu)) de l'intention du déclarant(par. 19) - La Cour doit

chercher à interpréterla réserve demanière compatibleavec ledroit internatio-
nal (par. 20-21) - Intention du déclarant - Débatsparlementaires (par. 19,
21-22) - Les effets de la réservecanadiennesur la compétencede la Courne
peuvent être déterminé dse manièreconcluante au stade actuel (par. 23-24).

1. C'est avec regret que, compte tenu de l'arrêt rendu par laCour en

l'espèce,je me vois contraint d'exprimer une opinion dissidente. Je ne
puis souscrire aux arguments et conclusions auxquels la Cour a abouti
sur deux points essentiels :

1) l'objet du différend;
2) les effets de la réservecanadienne sur la compétencede la Cour en
l'espèce.Je me propose donc de traiter successivement de ces deux

aspects.

1. L'OBJET DU LITIGE PRINCIPAL ENTRE LES PARTIES

2. L'Espagne a soutenu à maintes reprises, tant dans ses écritures que
dans son exposéoral, que le cŒur,l'objetdu litige entre les deux Etats est
l'existence ou l'absence d'un titre, en droit international, pour agir en
haute mer à l'encontre de navires battant pavillon d'un autre Etat et, plus

particulièrement, à l'encontre de bateaux battant pavillon espagnol(voir,inter alia, Memorial of Spain, Chap. II, Sec. IX, para. 22; Chap. IV,
Sec.II, paras. 173-176;CR9819,pp. 18-19,31, 42 et seq. ; Final Subrnis-
sions of Spain). Equally, it has insisted that "Spain's Application is not
concerned with fishing on the high seas, nor with the management and
conservation of biological resources within the NAFO zone" (CR9819,
p. 53, para. 39 [translation by the Registry]).
Spain has explained what it means by the term "title". In so doing it
has relied on thejurisprudence of the Court in the Burkina FasolRepublic
of Mali case, where the Court held that this concept may "comprehend
both any evidence which may establish the existence of a right, and the
actual source of that right" (Frontier Dispute, I.C.J. Reports 1986,

p. 564, para. 18). The Agent of Spain, while not denying that in the
course of the proceedings Spain sometimes used the word "title" in a dif-
ferent sense, concluded his presentation of the issue by the following
statement :
"When we contend that Canada has no international legal title to
take action on the high seas against ships flyingthe Spanish flag, we

are using the concept of title accepted by the Court: in other words,
Canada's lack of entitlement to engage in such actions." (CR9819,
p. 16 [translation by the Registry].)
Thus, Spain has emphasized over and over again that it had submitted
to the Court a dispute relating not to measures for the management and
conservation of fish stocks (whichdisputehad been dealt with elsewhere),
but relating generally to Canada's lack of titleunder international law to

take actions on the high seas against ships flying the Spanish flag, as it
did in March 1995.
3. Contrary to this position, Canada has contended that the dispute
does not go beyond the conservation and management measures taken
by Canada and that, evenif it does, the general issueof the entitlement to
take actions on the high seas against ships flyingthe Spanish flagremains
related to the above measures and their enforcement. and therefore can-
not be treated by the Court separately from the factbal framework cov-
ered by the Canadian reservation.
4. The point of departure for the Court's resolution of this dispute
within the dispute should be Article 40, paragraph 1, of the Statute,
which provides that it is for the applicant State to indicate the subject of
the dispute. Hence, while it is true that "[tlhe Court's jurisprudence
shows that the Court will not confine itself to the formulation by the

Applicant when determining the subject of the dispute" (para. 30 of the
Judgment), it must be equally true that, in characterizing the main dis-
pute between the Parties, the Court cannot without well-founded reasons
redefine the subject of the dispute in disregard of the terms of the Appli-
cation and of other submissions by the Applicant. Yet this appears to be
what the Court has done in its Judgment (seepara. 35 of the Judgment).
5. The Application refers to the dispute between the Parties as
one "going beyond the framework of fishing, seriously affecting thenotamment, mémoirede l'Espagne, chap. II, sect. IX, par. 22; chap. IV,
sect. II, par. 173-176; CR9819, p. 18-19, 31, 42 et suiv.; conclusions
finales del'Espagne). Demêmel,'Espagnea insistésurlefait que sarequête
«n'est pas l'exercicede la pêcheen haute mer; pas plus que la gestion et
la conservation desressources biologiques dansla zonede réglementation
de l'OPANO» (CR 9819,p. 53, par. 39).
L'Espagne a expliquéce qu'elleentend par le terme «titre». Ce faisant,
elle s'estfondée sur la jurisprudence de la Cour dans l'affaire Burkina
FasolRépubliquedu Mali, où la Cour a déclaréque cette notion peut
«viser aussi bien tout moyen de preuve susceptible d'établirl'existence

d'un droit que la source mêmede ce droit» (Différendfrontalier, arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 564, par. 18). L'agent de l'Espagne, sans nier
qu'au cours de la procédure, l'Espagne ait parfois utiliséle mot «titre»
dans un sensdifférent,a conclu sa présentationde l'affairepar la déclara-
tion suivante:
((Lorsquenous soutenons que le Canada n'a aucun titre juridique
international pour agir en haute meràl'encontre des navires battant

pavillon espagnol, nous employonsla notion de titre retenue par la
Cour. C'est-à-dire,le défaut de droit duCanada à procéder à de tels
agissements.» (CR 9819,p. 16.)
Ainsi, l'Espagne a insisté à de nombreuses reprises sur le fait qu'elle
avait soumis àla Cour un différendayant trait non a des mesures de ges-
tion et de conservation de stocks de poissons (différendqui a étéréglé
ailleurs), mais serapportant d'une manièregénérale au fait que le Canada

n'avait aucun titre en droit international pour agir en haute mer contre
des navires battant pavillon espagnol, comme il l'a fait en mars 1995.
3. Quant au Canada, il a soutenu à l'inverse que le différend ne
concerne rien d'autre que lesmesures de conservation et de gestion prises
par le Canada et que mêmesi cen'est pas le cas, la question générale du
titre requis pour agir en haute mer à l'encontre de navires battant
pavillon espagnolreste liéeauxdites mesures et à leur application, et que
par conséquent, la Cour ne peut pas la traiter séparément de faits qui
entrent dans le cadre de la réservecanadienne.
4. Pour réglerce différendapparu à l'intérieurdu différend,la Cour
devrait sefonder sur leparagraphe 1de l'article40 du Statut, qui dispose
que c'està 1'Etatdemandeur d'indiquer l'objet du différend.Dèslors, s'il
est vrai qu'il ((ressort de la jurisprudence de la Cour que celle-ci ne se
contente pas de la formulation employéepar le demandeur, lorsqu'elle
déterminel'objet du différend))(paragraphe 30 de l'arrêt),il n'en estcer-

tainement pas moins vrai que lorsqu'elle qualifiece qui constitue le dif-
férendprincipal entre les parties, la Cour ne saurait sans motifs dûment
étayés redéfinilr'objet du différendsans tenir compte des termes de la
requête etdes autres moyens présentéspar le demandeur. C'estpourtant
ce qu'ellesembleavoir fait dans son arrêt(voir paragraphe 35de l'arrêt).
5. La requête faitréférence au différendentre les Parties en indiquant
que, «dépassant le cadre de la pêche,[il] affecte gravement l'intégritévery integrity of the mare liberum of the high seas and the freedoms
thereof ...". It also refers to "a very serious infringement of the sovereign
rights of Spain, a disquietingprecedent of recourse to force in inter-State

relations . . ."(Application of Spain, p. 11). More specifically,it states:

"The question is not the conservation and management of fishery
resources, but rather the entitlement to exercise a jurisdiction over
areas of the high seas and the opposability of such measures to
Spain." (Ibid., p. 13.)

The use of the word "title" in the Application is not without ambigu-
ity. It refers not only to the existence or non-existence of the right under
international law, but also to the Canadian legislation, which, in the
Applicant's view, is distinct from conservation and management meas-
ures proper. However, both in the Application and in the final submis-
sions the Court is primarily asked to adjudicate on the question whether
or not Canada has an international legal title to exercisejurisdiction over,
and use forceagainst, ships flyingthe Spanish flag on the high seas. Other
claims by Spain are functions of this central claim, but not vice versa.

6. The contention of Canada that:
"[ilt is impossible to isolate a dispute relating to matters of general
international law, and more particularly State jurisdiction, from a
dispute relating to measures for the conservation and management
of the living resources of the sea" (CR98112, p. 57 [translation by
the Registry])

cannot be sustained on several accounts.
First, to maintain that every dispute before the Court must consist of
an "indivisible", "indissociable" whole, always and necessarily embracing
both facts and rules of law, would not accord with the Statute of the
Court and its jurisprudence. Under Article 36, paragraph 2 (b), of the
Statute, the Court has jurisdiction in al1legal disputes concerning "any
question of international law". Legal disputes concerning "the existence
of any fact which, if established, would constitute a breach of interna-
tional obligation", are categorized on a par with disputes concerning

"any question of international law". Nothing in the Statute prevents the
Court from entertaining a "purely" legal dispute relating to a question of
international law. In the North Sea Continental Shelf cases, in accord-
ance with the Special Agreements, the Court stopped short at declaring
applicable principles and rules of international law (1C.J. Reports 1969,
pp. 54-55).

Secondly, were the Court to understand the above contention by
Canada as a general proposition that the Court cannot entertain in isola-mêmedu mare liberum de la haute mer et de ses libertés ..» Elle évoque
également «une atteinte très grave contre les droits souverains de l'Es-
pagne, un précédent inquiétantde recours à la force dans les relations
inter-Etats...» (requêtede l'Espagne, p. 10).Plus précisément,il est spé-
cifiédans la requête:

«La auestion n'est Dasla conservation et la uestion des ressources
de pêchesinon le titre pour exercerunejuridiction sur des espacesde
la haute mer et leur opposabilitéà l'Espagne.» (Zbid.,p. 12.)

L'emploi du terme «titre», dans la requête,n'est pas dénué d'ambi-
guïté.Il ne renvoie pas seulementà l'existenceou à la non-existence de ce.
droit en droit international, mais aussià la législationcanadienne qui,
aux yeux du demandeur, ne constitue pas à proprement parler des me-
sures de conservation et de gestion. Toutefois, tant dans sa requête que
dans ses conclusions finales, l'Espagne demande essentiellement à la
Cour de statuer sur la question de savoir si leCanada a ou non un titre
juridique international pour exercer sa juridiction en haute mer sur des

navires battant pavillon espagnol et pour y faire usage de la force à
leur encontre. Ses autres demandes sont subsidiaires à cette réclamation
essentielleet non l'inverse.
6. L'affirmation du Canada selon laquelle:
«[il1est impossible d'isoler un différendportant sur des questions de
droit international général,et plus particulièrement de compétence

étatique, d'un différendportant sur des mesures de gestion et de
conservation des ressources vivantes de lamer» (CR 98/12,p. 57)

ne saurait être retenue pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, affirmer que chaque différendporté devantla Cour doit

seprésenter sousla formed'un tout ((indivisible»,((indissociable»,englo-
bant toujours et nécessairement à la fois les faits et les règlesde droit,
ne serait pas conforme au Statut de la Cour et à sa jurisprudence. Aux
termes de l'alinéab) du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut, la Cour
exerce sa juridiction sur tous les différendsd'ordre juridique ayant pour
objet «tout point de droit international)). Les différendsd'ordre juridique
ayant pour objet «la réalitéde tout fait qui, s'ilétait établi, constituerait
la violation d'un engagement international)) sont mis sur le mêmeplan
que les différendsconcernant «tout point de droit international)). Rien
dans le Statut ne s'oppose à ce que la Cour connaisse d'un différend
d'ordre «purement» juridique ayant trait à un point de droit internatio-
nal. Dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, compte
tenu de la teneur des compromis, la Cour n'est pas alléejusqu'à déclarer

applicables des principes et règlesde droit international(C.Z.J. Recueil
1969, p. 54 et 55).
En second lieu, si la Cour interprétait cette argumentation du Canada
comme une thèse générale selon laquelllea Cour ne saurait examiner iso-tion a dispute relating to the interpretation of principles and rules of
international law merely because the same principles and rules rnay gov-

ern another dispute, or another aspect of the dispute which is, allegedly,
exempted from the jurisdiction of the Court, then this contention would
again go contrary to the North Sea cases'jurisprudence as well as to the
Court's dictum in the case concerning United States Diplornatic and
Consular Staff in Tehran:

"no provision of the Statute or Rules contemplates that the Court
should decline to take cognizance of one aspect of a dispute merely

because that dispute has other aspects . . ."(I.C.J. Reports 1980,
p. 19,para. 36).
The Court also remarked in its Judgment in the same case that:

"if the Court were, contrary to its settled jurisprudence, to adopt
such a view,it would impose a far-reaching and unwarranted restric-
tion upon the role of the Court in the peaceful solution of interna-
tional disputes" (ibid., p. 20, para. 37).

Thirdly, a dispute before the Court rnay have several subjects, or sev-
eral distinct aspects of the same subject. Thus in the Right of Passage
over the Indian Territory case the Court noted that "the dispute submit-
ted to the Court ha[d] a threefold subject" including "the disputed exist-
ence of a right . ." (1.C.J. Reports 1960, pp. 33-34,emphasisadded). In
a concrete case, the Court rnay find that it hasjurisdiction with regard to
one subject, or to a specificaspect of that subject, and has nojurisdiction
with regard to others.

7. In the case under consideration, due regard should also be given to
the fact that the European Community and its member States would
appear to have agreed that there was a dispute between Spain and
Canada distinctfrom, and CO-existentwith, that between the Community
and Canada concerning fisheries in the NAFO Regulatory Area.
8. In my view, the preceding analysis shows that legal entitlement
("the disputed existence of a right") rnay properly be the subject of a

separate litigation before the Court. Spain, as an applicant State, was at
liberty to bring before the Court and to single out a distinct aspect of the
dispute between the Parties, which presented for it a special interest or
had not been resolved by some other peaceful means.

The scope of the dispute between the Parties is much broader than the
pursuit and arrest of the Estai and the consequences thereof. Quite apart
from this proximate cause of the dispute, it would appear that what
underlies it are differentperceptions by the Parties of the rights and obli-
gations which a coastal State rnay or rnay not have in a certain area of
the high seas; or, more generally, differentperceptions of the relationshiplémentun différendayant trait à l'interprétation deprincipes et règlesdu
droit international pour la seule raison que les mêmesprincipes et règles
pourraient s'appliquer à un autre différend, ou à un autre aspect du dif-
férendconsidérécenséêtreexclu de la compétencede la Cour, ladite
argumentation serait ici encore contraire à la jurisprudence dérivée des
affairesde la Mer du Nord, ainsi qu'à la décision prisepar la Cour dans
l'affairerelative auPersonnel diplomatique et consulairedes Etats-Unis à
Téhéran :

((aucune disposition du Statut ou du Règlement $]interdit [àla
Cour] de se saisir d'un aspect d'un différendpour la simple raison
que ce différendcomporterait d'autres aspects...)) (C.I.J. Recueil
1980, p. 19,par. 36).
Dans son arrêtconcernant la mêmeaffaire, la Cour a égalementfait

observer que :
«si la Cour, contrairement à sa jurisprudence constante, acceptait
une telle conception, il en résulteraitune restriction considérable et
injustifiéede son rôle en matière de règlement pacifique des diffé-
rends internationaux)) (ibid., p. 20, par. 37).

Troisièmement,un différendporté devant laCour peut comporter plu-
sieurs objets, ou un mêmeobjet présentantdivers aspects. C'estainsi que
dans l'affaire du Droit de passage sur territoire indien, la Cour a relevé
que «le différendsoumis à la Cour a[vait] un triple objet)), y compris
«[l'elxistence contestée d'undroit...» (C.I.J. Recueil 1960, p. 33-34; les
italiques sont de moi). Dans telle ou telle affaire, la Cour peut estimer
qu'elle estcompétenteen ce qui concerneun objet, ou un aspect particu-

lier de cet objet, et qu'elle est incompétente en ce qui concerne les
autres.
7. Dans la présenteinstance, il convient de tenir dûment compte du
fait que la Communauté européenne etses Etats membres semblent être
convenus qu'il existait un différendentre l'Espagne et le Canada, distinct
de celui opposant la Communauté etle Canada et concomitant avec lui,
concernant les pêcheriesdans la zone de réglementation de 1'OPANO.
8. Selon moi, l'analyse qui précèdedémontreque la question du titre
juridique (((l'existence contestée d'un droit») peut légitimement être
portée devantla Cour à titre de litige distinct. Il étaitloàsl'Espagne,
en tant qu7Etat demandeur, de saisir la Cour de tel ou tel aspect du dif-
férendexistant entre les Parties, et uniquement de celui-là, parce qu'il
présentaitpour elleun intérêt particulier ou qu'il n'avait pétéréglé par
d'autres moyens pacifiques.

La portéedu différendentre les Parties est beaucoup plus large que la
poursuite et l'arraisonnement de l'Estai et leurs conséquences.Toutà fait
indépendamment de cette cause immédiate du litige, il semblerait que
celui-citrouve son origine dansla conception différentequ'ont lesparties
des droits et obligations qui sont ou ne sont pas ceux d'un Etat côtier
dans une zone donnée de lahaute mer; ou, d'une manière plusgénérale,between the exigenciesof the law of the sea, on the one hand, and envi-

ronmental law on the other. The Court had no good reason for redefin-
ing and narrowing the subject-matter of the dispute presented by the
Applicant, although, certainly, the Court could reasonably find that it
hadjurisdiction in respect of some aspects of the dispute and was without
jurisdiction in respect of others.

9. Up to now we have not been concerned with the question whether
the dispute between the parties, however defined by the Court, covered
or otherwise by the reservation attached by Canada to its declaration of

acceptance of the compulsoryjurisdiction of the Court. We propose now
to turn to this crucial question.
It willbe appropriate to recall at this juncture the text of Canada's res-
ervation. Subparagraph (d) of paragraph 2 of the Canadian declaration
of 1994excludes from the jurisdiction of the Court:

"disputes arising out of or concerning conservation and manage-
ment measures taken by Canada with respect to vesselsfishingin the
NAFO Regulatory Area, as defined in the Convention on Future
Multilateral Co-operation in the Northwest Atlantic Fisheries, 1978,
and the enforcement of such measures".

II. THEEFFECTS OF THE CANADIAR NESERVATIO ON THE COURT'S
JURISDICTIO INTHISCASE

10. A number of preliminary observations seem to be necessary. It is
common knowledge that "jurisdiction of the Court is based on the con-
sent of the parties". However, this precept does not reflect the whole
truth. If jurisdiction must always be based on consent in the literal
ing of the word, then, as soon as that consent is withdrawn (at any given
time) by the respondent State, the Court automatically ceases to have
jurisdiction to deal with the case brought against that State. As is, how-
ever, also wellknown, the realitys different.There are a number of rules
of international law which circumscribe the principle of consent. Once a
State has given its consent to thejurisdiction of the Court, be that in the
form of a special agreement (compromis), a jurisdictional clause of a
treaty, or in the form of a declaration of acceptance of the optional
clause, its freedom in respect of the Court's jurisdiction ceases to be un-

limited; still less, can it be absolute. As the case may be, it is constrained
by general rules of international law (pacta sunt sevvanda), specificrules
of the treaty in question (the terms of the compromissory clause), the
Statute and procedural rules of the Court. Having regard to these con-
siderations, it is impossible toert or to presume the absolute freedomla conception différente qu'ellesont de la relation entre les impératifs du
droit de la mer d'un côté, etceux du droit de l'environnement de l'autre.
La Cour n'était pas fondée à redéfiniret limiter l'objet du différendsou-
mis par le demandeur même si,sans doute, elle pouvait raisonnablement
s'estimer compétentepour certains aspects du différend maisnon pour
d'autres.

9. Jusqu'à présent, nous n'avons pas abordé la questionde savoir si le
différendentre les Parties, quelle que soit la façon dont la Cour le défi-
nisse, est couvert ou non par la réservedont le Canada a assorti sa décla-
ration d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour. Nous nous
proposons maintenant d'examiner cette question cruciale.
Il y a lieuà ce propos de rappeler les termes de la réservecanadienne.
L'alinéad) du paragraphe 2 de la déclaration canadienne de 1994exclut
de la juridiction de la Cour:

«les différendsauxquels pourraient donner lieu les mesures de ges-
tion et de conservation adoptées par le Canada pour les navires
pêchant dans la zone de réglementationde I'OPAN, telle que définie
dans la convention sur la future coopération multilatérale dans les
pêchesde l'Atlantique Nord-Ouest, 1978, et l'exécution detelles
mesures D.

II. LES EFFETS DE LA RÉSERVE CANADIENNE SUR LA COMPÉTENCE
DE LA COUR EN L'ESPÈCE

10. Quelques observations préliminaires paraissent s'imposer. Il est
notoire que «la juridiction de la Cour est fondée surle consentement des
parties)).Toutefois, ce préceptene rend pas totalement compte des faits.
Si la compétencedevait toujours se fonder sur le consentement au sens

littéraldu terme, aussitôt que ce consentement serait retiré(à n'importe
quel moment) par 1'Etat défendeur,la Cour cesserait automatiquement
d'être compétente pour connaître dela requête formulée àl'encontre de
cet Etat. Or, il est tout aussi notoire que la réalitéest différente.xiste
un certain nombre de normes du droit international qui encadrent le
principe du consentement. Dèslors qu'un Etat a consenti à lajuridiction
de la Cour, que ce soit par voie d'accord spécial(compromis), en vertu de
la clausejuridictionnelle d'un traité ou parune déclaration d'acceptation
de la clause facultative,sa libertéà l'égard dela juridiction de la Cour
cesse d'être sans limite;à plus forte raison, elle ne saurait être absolue.
Selon le cas, cette libertéest régiepar les règlesgénéralesdu droit inter-
national (pacta sunt servanda), par les règles spécifiquesédictéesdans

l'instrument considéré(les termes de la clause compromissoire), par le
Statut et par les règlesde procédure de la Cour. Dèslors, on ne sauraitof a State at any givenmoment in respect of thejurisdiction of the Court,
without due regard to the attendant circumstances.

One of the manifestations of the existing limitations on this freedom is
the Court's compétencede la compétence."Self-judging" by the State

concerned isexcluded. It isfor the Courtto establishthe existenceor other-
wise of its jurisdiction in a concrete case. In doing so the Court is not
guided by the present wish of the respondent State, but rather relies on
the interpretation of the voluntary acts of the parties in the past, at the
time when they accepted the jurisdiction of the Court, as well as on the
existing rules of international law and itsjurisprudence.

11. In case of the optional clausejurisdiction (or so-called compulsory
jurisdiction), a State is absolutely free to join or not join the optional
clause system and to limit or not limit its consent to the Court's jurisdic-
tion by certain conditions and reservations. This does not mean, how-
ever, that the role of the Court in the assessment of a State's reservationl
condition to its declaration of acceptance of the optional clause may be
reduced solely to the establishment of the intentionlwill of the State con-
cerned or, for that matter, that the above intentionlwill must always be
conclusive for purposes of a decision on the Court's jurisdiction. The
Court would be failing in its duties of an "organ and guardian" of inter-
national law should it accord to a document the legal effect sought by the

State from which it emanates,without having regard to the compatibility
of the said document with the basic requirements of international law.

Certainly, a State making a reservation sometimes does so because it
"lack[s] confidence as to the compatibility of certain of its actions with
international law" (para. 54 of the Judgrnent) and for that reason wishes
to evade the scrutiny of its conduct by the Court. However, it is one thing
when the legality of certain actions may be seen as doubtful, and quite a
differentthing when the actions whose examination by the Court a State
seeksto avoid, by making a reservation, are clearly contrary to the Char-
ter of the United Nations, the Statute of the Court or to erga omnes obli-
gations under international law. Being confronted with such a dilemma,
it is for the Court to draw a distinction between these two different legal
situations, which may lead to different conclusions as to the validity or
admissibility of the reservation in question.

A State is not absolutelv free to make anv reservation or condition it

pleases to its optional declaration deposi<ed under Article 36, para-
graph 2, of the Statute. For example, it isuncontested that the Court can-
not give effect to a condition imposing certain terms on the Court's pro-
cedure which run counter to its Statute or Rules. As Judge Armand-
Ugon rightly argued in the Interhandel case, "[tlhe rules of substanceand
procedure fixed by the Statute must be regarded as immutable: neitheraffirmer ou présumer, à un moment donné, la liberté absolue d'un Etat
à l'égardde la juridiction de la Cour sans tenir dûment compte des cir-
constances de l'espèce.
L'une des règlesqui attestent les limites apportéescette libertéest la
comvétencede la comvétence. Il est exclu de laisseà 1'Etatintéresséla
librl appréciation de ia compétence.C'est à la Cour qu'il appartient de
dire si elle est ou non compétentedans tel ou tel cas d'espèce. Cefaisant,
loin d'êtreguidéepar ce que souhaite en l'occurrence1'Etatdéfendeur,la

Cour se fonde sur l'interprétation des initiatives prises par les parties
dans le passé, à l'époque oùelles ont acceptéla juridiction de la Cour,
ainsi que sur les normes existantes du droit international et sur sa juris-
prudence.
11. S'agissant de la clause facultative relatiàela compétence (dite
aussi de lajuridiction obligatoire), tout Etat est absolument libre d'adhé-
rer ou non au système dela clause facultative et de limiter ou de ne pas
limiter son acceptation de la juridiction de la Cour en l'assortissant de
certainesconditions et réserves.Mais cela ne signifiepas que le rôle de la
Cour, lorsqu'elle examine les réserves ou conditions dont un Etat a
assorti sa déclaration d'acceptation de la clause facultative, peut se limi-
ter à une simple recherche de l'intention ou de la volonté de 17Etatinté-

ressé; au reste, cela ne signifie pas non plus que ladite intention ou
volonté doit toujours peser d'un poids décisifsur les décisionsconcernant
la compétence.La Cour manquerait à ses devoirs en tant qu'«organe et
gardienne)) du droit international si elle conféraàun document l'effet
juridique recherchépar 1'Etat dont il émane sansexaminer la compati-
bilitédudit document avec les exigencesfondamentales du droit interna-
tional.
Certes, un Etat qui émetune réservele fait parfois parce qu'il éprouve
«des doutes quant àla compatibilitéde certains de ses actes avec le droit
international)) (paragraphe 54 de l'arrêt) et que dece fait, il souhaite voir
sa conduite échapper à l'examen de la Cour. Cependant, le fait que la

licéitde certainesactions puisse apparaître douteuse est une chose, mais
c'en est une toute différente que de constater que les actions que 1'Etat
cherche, par sa réserveà soustraireà l'examen de la Cour sont manifes-
tement contraires àla Charte des Nations Unies, au Statut de la Cour ou
aux obligations evga omnes imposéespar le droit international. Il appar-
tientà la Cour, placéedevant un tel dilemme, de faire la distinction entre
ces deux situationsjuridiques distinctes, qui sont susceptibles de donner
lieuà des conclusionsdifférentesquant à la validitéetàla recevabilitéde
la réserveen question.
Un Etat n'a pas toute latitude pour assortir à son gréla déclaration
qu'il faià titre facultatif en vertu du paragraphe 2 de l'article 36du Sta-

tut de n'importe quelle réserveou condition. C'est ainsi qu'il n'est pas
contesté que la Cour ne saurait donner effetà une condition imposant à
la Cour certaines règlesde procédurequi seraient contrairesà son Statut
ou à son Règlement. Ainsi que M. Armand-Ugon a fait valoir fort jus-
tement dans l'affaire del'interhandel, «[l]es règlesde fond et de procé-the Court nor the parties can break them" (Interhandel, Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1959, p. 93, dissenting opinion of
Judge Armand-Ugon). Equally, in my view, the Court cannot give effect
to a reservation which expresslyexempts from itsjurisdiction the exami-

nation of conduct manifestly inconsistent with the basics of international
law. An objection to the Court's jurisdiction based on a reservation
tainted with such a defect must be rejected by the Court as inadmissible.
Recognition by the Court of the operation of a reservation of this kind
might be viewed as tantamount to legal endorsement of what in fact
should be considered as an abuse of the right of a State not to be sued
without its consent before an international tribunal. Generally, reserva-
tions and conditions must not undermine the very raison d'êtreof the
optional clause system.

12. In Our case the legal situation is different. The Canadian reserva-
tion admits of more than one interpretation. It is not the reservation
itself, but rather its current interpretation by Canada that is challenged
by Spain. Nor has the Court any reason to find that the content of the
Canadian reservation makes it ab initio manifestly inconsistent with the
basic principles of international law and therefore inapplicable.The task

of the Court in the present case is to find which of the possible interpre-
tations of the reservation is correct and, depending on this finding, to
resolve the dispute over itsjurisdiction in the case.

According to the well-established rules for the interpretation of decla-
rations and reservations thereto, the Court must read them as a whole
and accord the natural and ordinary meaning to the words used in the
text. At the same time, the Court has specificallyemphasized in the past
that :

"the Court cannot base itself on a purely grammatical interpretation
of the text. It must seek the interpretation which is in harmony with
a natural and reasonable way of reading the text, having due regard
to the intention of [the declarant State] at the time when it accepted
the compulsoryjurisdiction of the Court." (Anglo-Iranian Oil Co.,
Preliminary Objection,I.C.J. Reports 1952, p. 104.)

13. For the Court, the question of legality cannot be totally irrelevant
to "a natural and reasonable way of reading the text". Sincethe function
of the Court is to decide disputes in accordance with international law
(Article 38, paragraph 1, of the Statute), every international document
must be construed by the Court in the light of international law. The lan-
guage of the Court is the language of international law. A term of a dec-
laration or of a reservation may have a wider or narrower meaning in
common parlance or in some other discipline, but for the Court "the
natural and ordinary" meaning of the term is that attributed to it in inter-dure fixéespar le Statut doivent êtreconsidéréescommeimmuables :ni la
Cour ni les parties ne peuvent y porter atteinte)) (Interhandel,exceptions
préliminaires,arrêt, C.I.J. Recueil 1959, p. 93, opinion dissidente de
M. Armand-Ugon). De même,selon moi, la Cour ne saurait donner
effet à une réserveexcluant expressémentde sa juridiction l'examen de
conduites manifestement incompatibles avec les principes fondamen-
taux du droit international. Une exception à la juridiction de la Cour se
fondant sur une réserveentachéed'untel vicedoit êtrerejetéepar la Cour
commeirrecevable. Si la Cour reconnaissaitqu'une telle réservepeut s'ap-
pliquer, cela pourrait être interprétécomme un aval juridique donné à
ce qui devrait en réaliêtreconsidéré commeun abus, de la part de l7Etat,
de sondroit de ne pas êtreassignésans sonconsentementdevant un tribu-

nal international. D'une manière générale,les réserveset conditions for-
muléesne doivent pas saper ce qui est la raison d'êtremêmedu système
de la clause facultative.
12. En l'espèce,la situation juridique est différente.La réservecana-
dienne se prête à plusieurs interprétations. Ce n'est pas la réserve elle-
mêmequi est contestéepar l'Espagne, mais l'interprétation qu'en donne
en l'occurrence le Canada. Et la Cour n'a pas lieu d'estimer que le
contenu de la réservecanadienne la rend ab initio manifestement incom-
patible avec les principes fondamentaux du droit international et dès
lors inapplicable.En l'espèce, illui incombe de décider laquelle desinter-
prétations possibles de la réserveest correcte puis,à la lumière de cette
décision, de réglerle différend concernant sa compétence en cette
affaire.
Selon les règlesconsacrées enmatière d'interprétationdes déclarations

et des réservesqui y sont apportées,la Cour doit lire ces textes comme un
tout et conféreraux termes qui y figurent une signification naturelle et
ordinaire. Or, la Cour a expressémentfait valoir dans le passéque:

((laCour ne saurait se fonder sur une interprétation purement gram-
maticale du texte. Elle doit rechercher l'interprétation quiest en har-
monie avec la manière naturelle et raisonnable de lire le texte, eu
égard à l'intention [de 1'Etat déclarant]à l'époque où celui-ci a
acceptéla compétenceobligatoire de la Cour.)) (Anglo-Iranian Oil
Co., exception préliminaire,C.I.J. Recueil 1952, p. 104.)

13. Pour la Cour, la question de la licéiténe saurait être totalement
séparée dela ((manièrenaturelle et raisonnable de lire letexte)). Puisque

la Cour a pour mission de régler les différendsconformément au droit
international (paragraphe 1de l'article 38 du Statut), elle doit interpréter
chaque document international à la lumière du droit international. Le
langage de la Cour est celui du droit international. Tel terme d'une décla-
ration ou d'une réservepeut avoir une signification plus large ou plus
étroitedans le langage courant ou dans le contexte d'une autre discipline,
mais pour la Cour, sa signification ((naturelle et raisonnable)) est cellenational law. For natural scientists, for the fisheries industry, conserva-
tion and management of fisheries resources remain conservation and
management irrespective of the location and legality of this activity.This
does not mean, however, that from the position of international law we
can characterize as conservation and management, for example, meas-
ures for the protection of straddling fish stockstaken by one State in the
territorial waters of a neighbouring State without the consent of the
latter. International law recognizes the importance and encourages the
development of transborder CO-operationfor the protection of natural
resources, including straddling fish stocks, but itdoes not admit the pos-
sibility of providing this protection by way of violation of fundamental
principles of international law. The terms of the art for the Court are the
terms used in the context of international law, even though they may
have a somewhat different meaning in other disciplines.

14. It followsthat the expression"conservation and management meas-
ures", as used in the Canadian reservation,must be read by the Court as
referring only to measures accepted within the system of modern inter-
national law. A natural source in which to seek definitions of terms and
concepts used in the context of the new international law of the sea is the
relevant multilateral agreements, particularly those drawn up recently.
The meaning of the concept "conservation and management measures"
in the international law of the sea is defined in the Agreement for the
Implementation of the Provisions of the United Nations Convention on
the Law of the Sea of 10 December 1982Relating to the Conservation
and Management of Straddling Fish Stocks and Highly Migratory Fish
Stocks (hereinafter referred to as the "United Nations Agreement on

Straddling Stocks of 1995") '.

15. This Agreement and the terms used therein are eminently relevant
for the issueunder consideration. Indeed, the Agreement is contempora-
neous with the emergence of the dispute. Its objective ("to ensure the
long-term conservation and sustainable use of straddling fish stocks and
highly migratory fish stocks" - Article 2) coincides with the proclaimed
objective of the Canadian measures. Both the measures under the Agree-
ment and the Canadian measures are designed for application beyond
areas under national jurisdiction. The Agreement was drawn up "for the
implementation of the provisions of the United Nations Convention on
the Law of the Sea of 10December 1982",that is, it is intimately linked

Adopted without a vote on 4 August 1995 at the United Nations Conference on
Straddling Fish Stocks and Highly Migratory Fish Stocks. One hundred and thirty-eight
States and many international organizations participated in the Conference. As of now,
the Agreement has been signedby more than 60 States, but has not yet corne into force.qu'il revêt endroit international. Pour un biologiste, pour un spécialiste
des pêcheriesl,a conservationet la gestion des ressourceshalieutiques res-
tent de la conservationet de la gestion quel que soit l'endroit où ellessont
pratiquées etqu'ellessoient licitesou non. Mais du point de vue du droit

international, cela ne signifiepas que l'on puisse qualifier de mesures de
conservation et de gestion des mesures prises par un Etat dans les eaux
territoriales d'un Etat voisin sans le consentement de ce dernier, pour
protégerdes stocksde poissons chevauchants par exemple.Le droit inter-
national reconnaît l'importance de la coopération transfrontalièrevisant
à protégerles ressources naturelles et notamment des stocks de poissons
chevauchants, et il en encourage le développement; mais il n'admet pas
que l'on puisseassurer cette protection en transgressant pour ce faire des
principes fondamentaux du droit international. Pour la Cour, l'acception
des termes qu'elle emploieest celle qui est en usage dans le contexte du

droit international, mêmesi cestermes peuvent revêtir une signification
quelque peu différentedansd'autres disciplines.
14. Il s'ensuitdèslors que l'expression((mesuresde conservation et de
gestion)) figurant dans la réservecanadienne doit êtreinterprétéepar la
Cour commedésignantuniquementdes mesures acceptées dans lecadredu
droit international moderne. Une source naturelle où trouver la défini-
tion de termes et de notions en usage dans le nouveau droit de la mer
international est offerte par les instruments multilatéraux pertinents et
notamment ceux rédigés récemmenL t.a notion de ((mesures de conser-
vation et de gestion)) utiliséeen droit maritime international est définie

dans l'accord aux fins de l'application des dispositions de la convention
des Nations Unies sur le droit de la mer du 10décembre1982relatives à
la conservation et à la gestion des stocks de poissons dont les déplace-
ments s'effectuent tant à l'intérieur qu'au-delà de zones économiques
exclusives (stocks chevauchants) et des stocks de poissons grands
migrateurs (ci-aprèsdénommé ((accorddes Nations Unies de 1995sur les
stocks chevauchants))) l.
15. Cet instrument, et les termes qu'il contient, sont éminemmentper-
tinents pour l'affaire qui nous occupe. Au demeurant, cet accord est
contemporain de l'apparition du différend. Son objectif (((assurer la

conservation àlong termeet l'exploitation durable des stocksde poissons
chevauchants et des stocks de poissons grands migrateurs)) (art. 2)) est
identique à l'objectif proclamé par le Canada en ce qui concerne les
mesures qu'il a prises. Les mesures prévuespar l'accord, tout comme les
mesures canadiennes, sont destinées à êtreappliquéesau-delà des limites
de la juridiction nationale. L'accord a étérédigé «aux fins de I'applica-
tion des dispositionsde la conventiondes Nations Unies sur ledroit de la

'Adopté sans avoir émis aux voix le4 août 1995par la conférence desNations Unies
sur les stocks de poissons chevauchants et les stocks de poissons grands migrateurs. Cent
trente-huit Etats et de nombreuses organisations internationales participaient
rence.A l'heureactuelle, l'accord aétésignépar plus de soixante Etats, mais il n'est pas
encore entré envigueur.to the "Magna Carta" of the modern law of the sea2. Moreover, both

Canada and Spain have signed (but not yet ratified) this Agreement.

Article 1, paragraph 1 (b), of the Agreement provides that:

"'Conservation and management measures' means measures to
conserve and manage one or more species of livingmarine resources
that are adopted and applied consistent with the relevant rules of
international law as reflected in the Convention and this Agree-
ment." (Emphasis added.)

Even more specificin this regard is another recent international legal
instrument directly related to the problems of conservation and manage-
ment on the high seas, namely: the Agreement to Promote Compliance

with International Conservation and Management Measures by Fishing
Vessels on the High Seas. This so-called "Compliance Agreement" was
adopted in 1993by the Twenty-seventh Session of the FA0 Conference
and forms an integral part of the Code of Conduct for Responsible Fish-
eries3.Article 1of this Agreement, entitled "definitions", contains a defi-
nition of "international conservation and management measures" which,
among other elements - identical to those in the above-cited definition

- also includes the element of legality, which is formulated in the fol-
lowing way :"[measures]that are adopted and applied in accordance with
the relevant rules of international law as reflected in the 1982 United
Nations Convention on the Law of the Sea".
16. It follows from the texts just cited that, contrary to what is said
in the Judgment, in international law, in order for a measure to be
characterized as a "conservation and management measure" or an
"international conservation and management measure", it is not

sufjcient that "its purpose is to conserve and manage living resources
and that, to this end, it satisfies various technical requirements" (para-
graph 70 of the Judgment). Another essential requirement - indeed
a sine qua non - is that the adoption and application of such a
measure be "consistent" or "in accordance" with the relevant rules of

According to the mandate of the Conference which adopted the agreement, "[tlhe
United Nations Convention on the Law of the Sea, inparticular the rights and obligations
of coastal States and States fishing on the high See Report of the United Nations
Conference on Environment and Development, Rio de Janeiro, 3-14 June 1992,Vol. 1:
Resolutions adopted by the Conference, Res. 1,Ann. II, para. 17.40.
FA0 Fisheries Department. Agreement to Promote Compliance with International
Conservation and Management Measures by Fishing Vesselson the High Seas. Twenty-
fiveacceptances are required for the Agreement to corneinto force. As of now, tenaccept-
ances have been received, includingthat of Canada. Significantly,Canada accepted the
Agreement on 20 May 1994,that is, only 10 days after the filing of its declaration of
acceptance of the compulsory jurisdiction ofthe Court, which declaration contained the
reservation discussed.mer du 10 décembre 1982)); c'est dire qu'il est intimement lié à la
((Grande Charte)) du droit de la mer moderne2. Enfin, le Canada comme
l'Espagne ont signé cet accord (maisne l'ont pas encore ratifié).
L'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article premierde l'accord dispose:

«On entend par ((mesuresde conservation et de gestion)) les me-
sures visant à conserver et à gérer une ou plusieursespècesde res-
sources biologiques marines qui sont adoptéeset appliquées dema-

nière compatible avec les règlespertinentes du droit international
telles qu'ellesressortent de la convention et du présentaccord.»(Les
italiques sont de moi.)

Un autre instrument juridique international récent, qui concerne direc-
tement lesproblèmesde conservation et de gestion en haute mer, est à cet
égard encore plus précis:il s'agit del'accord visant à favoriser le respect
par les navires de pêcheen haute mer des mesures internationales de
conservation et de gestion. Cet accord, adoptéen 1993 àla vingt-septième
session de la conférence dela FAO, fait partie intégrante du code de

conduite pour une pêcheresponsable3. L'article premier de cet accord,
intitulé ((Définitions)),contient une définition des ((mesures internatio-
nales de conservation et de gestion)) qui, entre autres éléments - iden-
tiques à ceux figurant dans la définition précité -e comporte aussi l'élé-
ment de licéitéf,ormulé commesuit: (([mesures]adoptées et appliquées
conformémentaux règlespertinentes du droit international tellesque reflé-
téesdans la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982)).

16. Il ressort des textesqueje viensde citer que, contrairement à cequi
est affirmédans l'arrêt, pour qu'unemesure puisse êtrequalifiéede
«mesure de conservation et de gestion))oude «mesure internationale de
conservation et degestion »,ilnesuffitpas, en droit international, ((qu'elle
ait pour objet de gérer et de conserver des ressources biologiqueset

réponde, à cet effet, à diverses caractéristiques techniques)) (para-
graphe 70de l'arrêt). Une autre exigenceessentielle - et mêmeune condi-
tion sine qua non - est que l'adoption et l'application d'une telle mesure
soient ((compatibles »,ou «en conformité» avec les règlespertinentes du

résultatsde la conférence devraient être pleinement conformeasux dispositions de la con-
vention desNations Unies sur le droit de la mer, en particulier lesdroits et obligations des
Etats côtiers et des Etats menant des activités denaute mer)) (voir le Rapport de
la confërence des Nations Uniessur l'environnement et ledéveloppement,Rio de Janeiro,
3-14juin 1992,vol. 1:résolutionsadoptéespar la conférence,rés.1,annexe II, par. 17.50).
Département des pêches de laFAO. Accord visant à favoriser le respect par les
navires de pêche enhaute mer des mesures internationales de conservation et de gestion.
Vingt-cinq acceptations sont nécessairespour que cet accord entre en vigueur. A cejour,
dix acceptations ont été re,ont celledu Canada. On notera que le Canada a accepté
ledit accord le 20 mai 1994, soit dix jours seulement après avoir déposésa déclaration
d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour, où figurait la réservequi nous
occupe.international law and, more specificallyand primarily, with the Law of
the Sea Convention.
Moreover, as the legislativehistory of the United Nations Agreement
on Straddling Stocks of 1995shows, Canada was among the States which
formallyproposed to include in Article 1 of the Agreement the definition
of "international conservation and management measures", which defini-
tion embraced the requirement of the adoption and application of such

measures "in accordance with the principles of international law as
reflectedin the United Nations Convention on the Law of the Sea .. ."4.

17. The argument in the Judgment that "the practice of States" sup-
ports the view that the exigenciesof international law are irrelevant for
the definition of the concept "conservation and management measures"
does not accord with a number of facts. None of the instruments of
national legislation and regulations, cited in the Judgment as evidenceof
"typical" practice of States (para. 70), contain any definition whatsoever
of "conservation and management measures", but al1of them do contain

specialclausesproviding for the application of those laws and regulations
in the waters under national jurisdiction (that is, in harmony with inter-
national law). Some of these instruments specificallystipulate that their
interpretation and application must be in a manner consistent with inter-
national obligations (see, for example, New Zealand Fisheries Act 1996,
Art. 5).

18. 1agree with the statement in the Judgment that:

"[rleading the words of the reservation [ofCanada] in a 'natural and
reasonable' manner, there is nothing which permits the Court to
conclude that Canada intended to use the expression 'conservation
and management measures' in a sense different from that generally
accepted in international law" (para. 71).

But 1fundamentally disagree that the meaning given by the Judgment to
the concept of "conservation and management measure" accords with
the meaning of this concept accepted in modern international law, as evi-
denced by the two above-cited recent multilateral agreements and their
legislativehistory.
19. In the process of interpretation, followingthejurisprudence of the
Court, "due regard" should also be given to the intention of the State
author of the declaration/reservation at the time when such declarationl
reservation was made. "Due regard" does not mean that this factor
should be controlling and definitivefor the outcome of the interpretation

by the Court, but it must certainly play an important role in ascertaining

Draft Convention on the Conservation and Management of Straddling Fish Stocks
and Highly Migratory Fish Stocks on the Higheas (submitted by the delegations of
Argentina, Canada,Chile, Iceland and New Zealand), doc. A/CONF.164/L.11of 14July
1993.droit international et, plus spécifiquementet avant tout, avec la conven-
tion sur le droit de la mer.
De plus, ainsi qu'ilressort des travaux qui ont abouti la rédaction de
l'accord des Nations Unies de 1995 sur les stocks chevauchants, le
Canada a étéparmi les Etats qui ont formellement proposé d'inclure,
dans l'article premierde l'accord, une définitiondes ((mesuresinternatio-
nales de conservation et de gestion)), définitionqui supposait que ces
mesures soient adoptéeset appliquées«conformément aux principes du
droit international dans la convention des Nations Unies sur le droit de
la mer...»4
17. L'argument avancédans l'arrêtselon lequel il ressort de la «pra-

tique des Etats» que les exigencesdu droit international n'entrent pas en
ligne de compte lorsqu'il s'agit de définirla notion de ((mesures de
conservation et de gestion» est inconciliable avec un certain nombre de
faits. Aucun des instrumentsnationaux àcaractèrelégislatifou réglemen-
taire citésdans l'arrêt pourillustrer la pratique «communément» suivie
par les Etats (par. 70) ne comporte une quelconque définitiondes «me-
sures de conservation et de gestion)), mais tous incluent effectivement
des clauses particulièresprévoyant l'application de ces lois et règlements
dans les eaux relevant de la juridiction nationale (ce qui est en harmo-
nie avecle droit international). Quelques-uns de cesinstrumentsstipulent

expressément qu'ils doiventêtre interprétée st appliqués d'une manière
compatible avec les engagements internationaux (voir par exemple l'ar-
ticle5 de la loi néo-zélandaisede 1996sur les pêcheries).
18. Je souscrisà l'affirmation figurant dans l'arrêtselon laquelle:
«[en] lisant le texte de la réserve[canadienne]d'une manière «natu-

relle et raisonnable)), rien ne permet de conclure que le Canada
aurait eu l'intention d'utiliser l'expression((mesuresde gestion et de
conservation))dans un sens différentde celui communémentadmis
en droit international» (par. 71).
Mais je suis foncièrement en désaccord avecl'idéeque la signification

conféréedans l'arrêtà la notion de ((mesuresde conservation et de ges-
tion» est conforme à la si"nification donnée à cette notion Dar le droit
international moderne, telle qu'elleressort des deux récentsaccords mul-
tilatérauxprécitéset des débatsauxquels leur rédaction a donnélieu.
19. Conformément à la jurisprudence de la Cour, il convient aussi,
dans le travail d'interprétation, detenir dûment compte» de l'intention
de 1'Etat auteur de la déclarationlréserve à l'époqueoù il l'a formulée.
Dire qu'il faut en tenir ((dûment compte» ne signifie pas que cet élé-
ment doit êtrele critère décisifet concluant pour l'interprétation que
donnera la Cour, mais il doit certainement être un facteur important,

Projet de convention sur la conservation et la gestion des stocks chevauchants et
des stocks de poissons grands migrateurs en haute mer (présentépar les délégations de
l'Argentine, du Canada, du Chili, de l'Islande et de la Nouvelle-Zélande,
AICONF. 164lL.1l du 14juillet 1993).

151the purpose of the legal instrument. The purpose intended by the State
author must be primarilysought in the wording of the document itself. In
some cases, the Court has found "a decisive confirmation of the inten-
tion" of the declarant State in the text itself of the examined declarationl
reservation. (See case concerning Anglo-Iranian Oil Co., Preliminary
Objection, Judgment, I.C.J. Reports 1952, p. 107.)
20. As a general premise, the Court should proceed from the presump-
tion that the intent was to remain within the orbit of international law.
The purpose of the declarationlreservation must be presumed as legal.
The Permanent Court of International Justice stressed that the Court
cannot presume an abuse of rights (Certain German Intevests in Polish
Upper Silesia, Merits, Judgment No. 7, 1926, P.C.I.J., Series A, No. 7,
p. 30). The present Court in the Right of Passage case stated that:

"It is a rule of interpretation that a text emanating from a Gov-
ernment must, in principle, be interpreted as producing and as
intended to produce effects in accordance with existing law and not
in violation of it."Rightof Passage over Indian Territory, Prelimi-
nary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1957, p. 142.)

The Court cannot impute to a State bad faith, an intent by way of a res-
ervation to cover a violation of international law.

21. Basing itself on the presumed lawfulness of Canada's intent, the
Court cannot read into the text of the reservation of Canada an intention
to violate the fundamental principle of the freedom of the high seas and
at the same time to avoid review of this conduct by the Court. Rather, it
should seek to interpret the reservation as consistent with international
law and, therefore, to construe the words "conservation and management
measures" in the sense accepted in recent multilateral agreements (see
supra, para. 16)or, at the very least in a sensehaving somejustification in
international law.
22. The purpose intended to be served by the declaration/reservation
may also be sought by the Court in any available evidence pertaining to

the adoption of the instrument. The evidencefurnished by Canada to this
effect is ambivalent. Parliamentary statements, made at the time when
the declaration and the reservation thereto had just been deposited,
would appear to limit the application of the envisaged measures to
"pirate vessels" (which would be consistent with international law). Both
the Minister for Foreign Affairs and the Minister for Fisheries and
Oceans principally spoke of stateless or "pirate vessels" as the target of
the proposed legislation (Bill C-29), whose "integrity" the reservation
was intended to protect. In light of the link between that legislation and
the reservation,the above statementscould be viewed as the officialinter-
pretation of the reservation by Canada at the time of its deposit.

Only some one year Iater did Canada introduce the regulations
by which Act C-29 was applied to Spanish and Portuguese vessels.s'agissant d'établir l'objet de l'instrument juridique.Il faut en tout pre-
mier lieu rechercher l'intention de'Etatauteur du texte dans le libellédu
document lui-même.Dans certains cas, la Cour a trouvé«une confirma-
tion décisivede l'intention» de1'Etatdéclarant dansle texte mêmede la
déclarationlréservequ'elleexaminait (voir l'affaire de7Anglo-IranianOil
Co., exception préliminaire,arrêt,C.I.J. Recueil 1952,p. 107).
20. En règlegénéralel,a Cour doit partir du principe que l'intention
était de demeurer dans le cadre du droit international. Il faut prendre

pour hypothèse que l'objet dela déclarationlréserveest licite. La Cour
permanente de Justice internationale a soulignéque la Cour ne pouvait
pas présumerl'existenced'un abus de droit (Certains intérêtasllemands
en Haute-Silésiepolonaise,fond, arrêt no 7, 1926, C.P.J.I. sérieAno 7,
p. 30). Dans l'affaire du Droit depassage, la présenteCour a fait valoir:
((C'est une règled'interprétation qu'un texte émanant d'un gou-
vernement doit, en principe, être interprété comme produisant et

étantdestiné à ~roduire des effets conformes et non Das contraires
au droit existant.(Droit depassage sur territoire indien,exceptions
préliminaires, arrêtC ,.I.J. Recueil 1957,. 142.)
La Cour ne peut considérerqu'un Etat est de mauvaise foi et lui impu-
ter l'intention d'utiliser une réservepour couvrir une violation du droit
international.
21. Se fondant sur la licéitéprésuméede l'intention du Canada, la

Cour ne saurait discerner dans le texte de la réservecanadienne une
intention de violer le principefondamental de la libertéde la hautemer et
de chercher à éviterque cette conduite soit examinéepar la Cour. Elle
doit au contraire s'efforcer d'interpréter laréservedans un sens compa-
tible avecledroit international et, par conséquent,comprendrelestermes
((mesuresde conservation et de gestion))comme le font les accords mul-
tilatérauxrécents (voir ci-dessuspar. 16) ou,à tout le moins, dans une
acception pouvant avoir une légitimité endroit international.
22. La Cour peut aussi rechercher l'intention ayant inspiré la décla-
rationiréserve dans tout indice disponible ayant trait à l'adoption de
l'instrument. Lesélémentf sournis par le Canadaà cet égard sont ambiva-
lents. Des déclarationsde parlementaires,faitesà l'époque oùla déclara-
tion et la réservel'accompagnant venaient d'êtredéposéess ,embleraient
limiter l'application des mesures envisagéesaux ((navirespirates(cequi

serait conforme au droit international). Le ministre des affaires étran-
gèresainsi que le ministre des pêcheset des océansont essentiellement
parlé desnavires apatrides ou «pirates» comme cibles de la législation
envisagée(projet de loiC-29), dont la réserveavait pour but de protéger
((l'intégrité)).Eu égard aulien existant entre la législationet la réserve,
leurs déclarations pourraient êtreconsidéréescomme l'interprétationoffi-
cielle de la réserve émisepar le Canada à l'époqueoù celle-ci a été
déposée.
C'est seulement un an plus tard que le Canada a promulguéla régle-
mentation en vertu de laquelle la loi C-29 a été appliquée auxnaviresArguably, those regulations are not relevant to the interpretation of the
reservation at the time of its deposit. It follows that the parliamentary
debate and other evidence submitted by Canada cannot be relied on in
order to draw conclusions as to "the evident intention of the declarant"
(paragraph 66of the Judgment ;emphasisadded)at the timematerial for the
interpretation of the reservation.

23. In view of the above considerations, the scope (ratione materiae
and rationepersonae) of the Canadian reservation, as well as its impli-
cations for the Court's jurisdiction in this case, appear much less clear

than it may seem on the face of the matter. The clarification of these
issues requiresfurther analyses of facts and law and the conclusive estab-
lishment whether the measures taken by Canada, includingtheir enforce-
ment, fa11within the terms of the reservation. This can be done only at
the merits stage.
24. On the other hand, already at the present stage, it is amply clear
that legal uncertainties surrounding the Canadian reservation make it
impossible for the Court, relying on this reservation, to arrive with con-
fidence at the conclusion that it has no jurisdiction to entertain the broad
legal dispute over the title under international law for a coastal State to
act on the high seas with the use of force against vessels of other States.
In my view,the correct course of action for the Court would have been to
find that in the circumstances of the case the objections of Canada did
not have an exclusivelypreliminary character.

(Signed) Vladlen S. VERESHCHETIN.espagnols et portugais. On pourrait faire valoir que cette réglementation
ne saurait entrer en ligne de compte pour interpréter la réserveconfor-
mément àl'objet qui étaitle sieà l'époqueoù elle a été déposéD e.ès
lors, on ne saurait se fonder sur le débatparlementaire et les autres élé-

ments présentéspar le Canada pour formuler des conclusions quant à
((l'intention manifeste du déclarant))(paragraphe 66 de l'arrêt;les itali-
ques sont de moi) à l'époque quiest à prendre en considération pour
interpréterla réserve.

23. Compte tenu des considérations qui précèdent,la portée (ratione
mateviae et vationepersonae) de la réservecanadienne,de mêmeque ses
effets sur la compétencede la Cour en l'espèce,apparaissent beaucoup
moins clairs qu'il ne sembleraitpremière vue.Pour éclaircirces points,
il convient d'analyser de manière plusapprofondie les faits et le droit, et
d'établirde manière concluante si les mesures prises par le Canada, et

notamment leur exécution,tombent sous le coup de la réserve.Cela ne
peut se faire que lors de l'examen du fond.
24. D'autre part, il apparaît très clairement, mêmedans la phase
actuelle, qu'en raison des incertitudes juridiques entourant la réserve
canadienne, il est impossible la Cour, en se fondant sur cette réserve,
d'en arriver avec certitude la conclusion qu'elle n'estpas compétente
pour connaître du différendjuridique généraloncernant letitre qu'aurait,
en droit international, un Etat côtier d'intervenir en haute mer en faisant
usage de la forceà l'encontre de navires battant pavillon d'autres Etats.
Selon moi, la Cour aurait été plusavisée deconclure que dans les cir-
constances de l'espèce,les exceptions du Canada ne revêtaient pasun
caractèreexclusivementpréliminaire.

(Signé) Vladen S. VERESHCHETIN.

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Opinion dissidente de M. Vereshchetin (traduction)

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