Opinion dissidente de M. Koroma (traduction)

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101-19990325-JUD-01-02-EN
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101-19990325-JUD-01-00-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. KOROMA

[Traduction]

Demandejugée irrecevable pour des raisons semblantreleverde la casuistique
- Interpréterl'arrêtsans l'interpréter- Conclusions du Nigéria - Conclu-
sions du Cameroun - Existence du diffërend - Reconnaissance de la compé-
tence de la Cour - Dispositions pertinentes du Statut et du Règlement de la
Cour - Nécessité d'honores res obligations et de respecter leRèglement de
la Cour lorsque l'onsoumet une affaire à celle-c- L'absence de clariJication
risque de prolonger et de perturber l'instanc- Non-contestation de l'autorité
de h chose jugée - ((Interprétation))qui ne clariJiepas ni ne précise laportée
et/e sens del'arrê t Demande d'interprétation satisfaisana tux critères appli-
cables - La Cour aurait dûfaire droit à la demande.

1. J'estime que les motifs, tels qu'énoncésdans l'arrêt,pour lesquels la
demande a étéjugée irrecevable relèventdans une certaine mesure de la
casuistique et je regrette de ne pouvoir souscrire à l'arrêt.
2. On peut considérer qu'en déclarant la demande irrecevable après
avoir dit au paragraphe 15de son arrêtqu'ellen'avait pas distingué,dans

son arrêtdu 11 juin 1998,entre «incidents» et «faits», la Cour a donné
une ((interprétation)) indirecte mais à mon avis insatisfaisante, qui
n'éclaircitpas le sens et la portéede l'arrêt.Il est regrettable qu'en adop-
tant cette position la Cour semble essayer de faire droit à la demande
tout en la rejetant.

3. En présentant sa demande en interprétation de l'arrêtde la Cour du
Il juin 1998, le Nigériaattendait de la Cour qu'elle précisesi le Came-
roun étaiten droit, après le dépôt de sa requête additionnelle, de faire
, état à plusieurs reprises devant la Cour de nouveaux «incidents», après
avoir prétendu que la responsabilité internationale du Nigéria était
engagée «en raison de certains incidents qui se seraient produits en divers

lieux de Bakassi et du lac Tchad et le long de la frontière entre ces deux
régions)).Le Nigériasoutenait égalementque le Cameroun avait fait des
allégationsconcernant plusieurs «incidents» de ce genre dans sa requête
du 29 mars 1994,dans sa requête additionnelledu 6 juin 1994,dans ses
observations du 28 avril 1996,et au cours des audiences tenues du 2 au
11mars 1998.Il faisait aussi valoir que le Cameroun avait dit qu'il serait

en mesure de fournir des renseignements relatifs à d'autres «incidents»
sans préciser a quel moment. Le Nigéria a enfin avancé que la Cour
n'avait pas précisé «quels [étaient] ceux de ces incidents alléguésqui
[devaient] encore êtrepris en considération lors de l'examen de l'affaire
au fond». C'est pourquoi le Nigériaconsidérait que l'arrêtn'était «pas
clair sur le point de savoir si le Cameroun était en droit, à diverses dates

après le dépôt de sa requêtemodifiée,de soumettre à la Cour de nou-
veaux incidents ». DEMANDE EN INTERPRÉTATION (OP.DISS.KOROMA) 50

4. Le Nigéria a fait valoir que l'on ne saurait considérer comme
entrant dans le différendporté devant la Cour par les requêtesde mars et
de juin 1994des incidents qui se seraient produits après juin 1994et que
le Cameroun était seulement en droit, en l'espèce,de communiquer des
«faits supplémentairespour décrireplus en détail des incidents déjàmen-
tionnésde façon succincte)) et non de présenter «un exposéconcernant
des incidents entièrement nouveaux et distincts qui donnent lieu a de
nouvelles demandes portant sur des questions de responsabilité)). Le
Nigériaa égalementsoutenu que l'arrêtdu 11juin 1998devait par consé-
quent êtreinterprété commesignifiant

«en ce qui concerne la responsabilité internationale du Nigéria ...
[que] le différend soumis a la Cour n'inclut pas d'autres incidents
alléguésque ceux (tout au plus) qui sont indiquésdans la requête ...
et dans la requête additionnelle... présentéespar le Cameroun)).

5. Dans ses observations écrites,le Cameroun a notamment avancé
qu'il étaiten droit d'invoquer tous les faits, quelle que soit leur date, qui
contribuent à établirla violation continue de ses obligations internatio-
nales par le Nigéria, et il a prié la Cour de déclarer irrecevable la
demande en interprétation. 11existe donc bien un différendsur la portée
et le sens de l'arrêtet il revenait la Cour de déclarer que le Cameroun
n'étaitautorisé à invoquer que des incidents antérieurs à 1994 a l'appui
de sa requête de1994sauf, bien entendu, si la Cour estimait que la portée
et le sens de son arrêtn'étaientpas ainsi limités.

6. Dans son arrêt,la Cour s'estreconnue compétente, conformémenta
l'article 60 de son Statut complétépar le paragraphe 1de l'article 98de
son Règlement,pour connaître de la demande en interprétation de l'arrêt.
Elle s'est ensuite demandée si la demande était recevable, soulignant
qu'en la matière l'une des conditions de la recevabilitéétait que le but
véritable de la demandesoit d'obtenir une interprétation - un éclaircis-
sement sur le sens et laportée de l'arrêt. Aprèsavoir examinéles conclu-
sions des parties, la Cour a conclu qu'elle n'avait pas distinguéentre
«incidents»et «faits», que les ((incidentssupplémentaires))' constituaient
des <<«faitssupplémentairrs~)',et que leur introduction dans une instance
devant elle étaitrégiepar les mêmesdispositions.
7. A mon avis, des «incidents» à venir ne sauraient fonder une requête
dont la Cour est déjàsaisie, puisque cela signifierait qu'il n'y avait pas de
différendlorsque la requête aété déposéc e, qui serait en soi incompa-
tible avec les obligations statutaireset lesdispositions du Règlementde la
Cour relatives a une procédure régulière;la Cour aurait dû le dire. Autre-
ment dit, une requête introductive d'instance devantla Cour ne saurait se

fonder sur des «incidents» postérieurs àson dépôt, car cela risquerait de
créer uneconfusion et d'obscurcir le point de savoir quel «incident» est,
ou quels «incidents» sont, à l'origine de cette procédure.

'Les italiques sont de moi 8. Ainsi, dans la mesure où l'arrêt de laCour du Il juin 1998était
susceptible d'une interprétation erronéeou pouvait prêter à confusion en
ce qui concerne sa portéeet son sens, il étaità la fois nécessaireet oppor-
tun que la Cour le clarifieou l'interprètede manière à éliminertoute pos-
sibilitéd'interprétation erronéeou de confusion. A cet égard, lorsqu'une
partie prie la Cour d'expliciter sonarrêten précisant quel incident - ou
quels incidents - forment d'aprèsellela base d'une requêteet d'indiquer
la date butoir, une telle demande me semble remplir les critères appli-

cables pour obtenir une interprétation au sens de l'article 60 du Statut et
du paragraphe 1de l'article98 du Règlementde la Cour. En conséquence,
si, en disant dans son arrêtqu'ellen'avait pas distinguéentre «incidents>)
et «faits», la Cour semble dans une certaine mesure donner une inter-
prétation,elle n'en laisse pasmoins subsister la possibilitéd'une interpré-
tation erronée ou d'une confusion, ce qui, à défaut d'éclaircissements,
pourrait mêmeêtre contraire auxdispositions pertinentes du Statut et du
Règlementde la Cour.
9. L'article 40du Statut et l'article 38 du Règlementde la Cour sont
applicables en la matière. Le paragraphe 1 de l'article 40 du Statut est

ainsi libell:
«Les affaires sont portéesdevant la Cour, selon le cas, soit par
notification du compromis, soit par une requête, adresséea su Gref-
fier; dans les deux cas, l'objet du différendet les parties doivent être

indiqués.))
L'article 38 du Règlement disposequant à lui:

« 1. Lorsqu'une instance est introduite devant la Cour par une
requêteadresséeconformément à l'article 40, paragraphe 1, du Sta-
tut, la requêteindique la partie requérante, 1'Etat contre lequel la
demande est formée et l'objetdu différend.
2. La requête indiqueautant que possible les moyens de droit

sur lesquels le demandeur prétendfonder la compétencede la Cour;
elle indique en outre la nature précisede la demande et contient un
exposé succinct des faits et moyens sur lesquels cette demande
repose.))

10. En conséquence,conformément à ces dispositions, pour qu'une
partie puisse saisir la Cour d'une requêteconcernant un différend, ce
différend,de mêmeque les faits et les motifs qui en constituent la base,
doivent déjà existeret êtreindiqués.
11. Au paragraphe 16de son arrêt,la Cour a également déclaré que:

«Les deux autres conclusions, à savoir que:
ttb) la latitude dont dispose le Cameroun pour présenter desélé-
ments de fait et de droit supplémentairesne concerne (tout
au plus) que les éléments indiquéd sans la requêtedu 29 mars
1994et dans la requêteadditionnelle du 6 juin 1994présen-

teéspar le Cameroun)), et que:

«c) la question de savoir si les faits alléguéspar le Cameroun
sont établisou non ne concerne (tout au plus) que ceux qui
sont indiquésdans la requêtedu 29mars 1994et dans la requête
additionnelle du6juin 1994présenteép sar le Cameroun)),

tendent à soustraireà l'examen de la Cour des élémentsde fait et de
droit dont la présentation a déjàétéautoriséepar l'arrêtdu 1l juin
1998.»

et qu'ellen'étaitdonc pas en mesure de faire droià cesconclusions. Avec
tout le respect dû, cette affirmation est sujetteution, en particulier en
tant que motif de rejet de la demande. Signifie-t-elleque, étantdonné que
la Cour a «autorisé» le Cameroun à présenterdes élémentsde fait et de
droit, une telle ((autorisation)) ne saurait êtrecontestéeet, dans le cas où
elle le serait, la Cour serait tenue de ne pas donner suiteette contesta-
tion parce qu'elle a autorisé la présentation de ces éléments?En outre,

présenterdes élémentsde fait et de droit à l'appui d'une thèse n'est-elle
pas une prérogativedes parties plutôt qu'une démarchesoumise à auto-
risation de la Cour? A la lumièrede cesconsidérations,l'affirmation, telle
qu'elle estformulée,semble pouvoir être contestéetant d'un point de vue
procédural que sur le plan juridique.
12. La raison d'être del'article 60 du Statut est de préserver l'intégrité
et le caractère définitif desarrêtsde la Cour, c'est-à-dire l'autoritéde la
chose jugée, uneautorité que la demande en interprétation ne remet pas
en cause. Mais cette disposition, complétéepar le paragraphe 1 de l'ar-
ticle 98 du Règlement de la Cour, envisage et permet égalementque la
Cour interprète ou clarifie ses arrêts pouren préciserla portéeet le sens2.

Lorsque la précisionou la clartéfont défaut, les parties sont en droit de
demander à la Cour d'y remédier.
13. En l'espèce, l'absencede clarification quant au sens etàla portée
de l'arrêtpourrait prolonger et perturber inutilement la procédure,ce qui
aurait pu êtreévitési la Cour avait interprété sonarrêt.

14. A mes yeux, les motifsà la base de la demande, et donc les raisons
de demander des éclaircissements,sont à la fois solides et légitimes et
satisfont aux critères énoncésdans les dispositions pertinentes du Statut
et du Règlement de la Cour. La demande ne créepas un nouveau diffé-

rend et elle découlede la procédure antérieure.Le demandeur a établi
que ses intérêtst,ant sur le plan du droit que des faits, méritaient d'être
juridiquement protégésen ce sens qu'en tant que partie au différendil a
un intérêt denature juridique àveillerà ce que la partie adverse s'acquitte
des obligations qui sont les siennes aux termes du Statut du Règlementde
la Cour, et à faire en sorte d'êtreen mesure de répondre au mémoireen

Interprétation desarrno'7 et 8 (usine de ChorzOw), arrêtno Il, 19P.J.I.
sérieA no 13. p. 10.tant que de besoin. L'intérêdtu défendeurdans le différendporté devant
la Cour serait notamment de connaître les «incidents» spécifiques ence
qu'ils se distinguent des «faits» invoqués à l'appui de la requête,inci-
dents sur lesquelsil devra répondre dans son contre-mémoire.
15. Aprèsréflexion,je considèreque l'«interprétation»de l'arrêtqui a
étédonnéen'a pas apporté les éclaircissementset les précisions sollicités
dans la demande. La Cour aurait dû faire droit a celle-ci et la déclarer
recevable, puisqu'elle remplit tous les critères énoncésdans les disposi-
tions pertinentes du Statut et du Règlement, de mêmeque dans sa juris-
prudence.

(Signé) Abdul G. KOROMA.

Bilingual Content

DISSENTING OPINION OF JUDGE KOROMA

Inadmissibility of request seemingly casuistic - Interpreting while not inter-
preting the Judgment - Nigeria's submissions - Cameroon'ssubmissions -
Existence of dispute - Acknowledgment of Court'sjurisdiction - Relevant

provisions of Statute and Rules of Court - Need to comply with obligations
and Rules of Court in bringing matter before the Court - Absence of clarijica-
tion could lead to prolongation and confusionof pleading - Resjudicata not
contested - "Interpretation" has not resulted in clarijîcation and dejnition of
scope and meaning of Judgment - Requestfulfils criteriafor interpretation -
Court should haveacceded to request.

1. 1 wish to state that 1 consider the reasons given in the Judgment

for finding the request inadmissible to be somewhat casuistic and, with
regret, 1am unable to support the Judgment.
2. To have declared the request inadmissibleafter the Court had stated
in paragraph 15of the Judgment that it made no distinction in itsJudgment
of 11June 1998between "incidents" and "facts" can be read as an oblique,

though, in my view,unsatisfactory "interpretation", which does not clarify
the meaning and scope of that Judgment. Regrettably, by taking this posi-
tion the Court would, on the one hand, seemto be trying to meetthe object
of the request whileat the same time rejectingthe request itself.
3. Nigeria, in its Application requesting the Court to interpret its
Judgment of 11 June 1998, had sought the Court's clarification as to

whether Cameroon was entitled at various times, after the submission of
its amended Application, to bring before the Court new "incidents", fol-
lowing Cameroon's allegations that Nigeria bore international responsi-
bility "for certain incidents said to have occurred at various places in
Bakassi and Lake Chad and along the length of the frontier between

those two regions". Nigeria also contended that Cameroon had made
allegations involving a number of such "incidents" in its Application of
29 March 1994, its Additional Application of 6 June 1994, its observa-
tions of 28 April 1996, and during the oral hearings held from 2 to
11 March 1998. It further pointed out that Cameroon had also stated

that it would be able to provide information as to other "incidents" on
some unspecified future occasion. It was also its contention that the
Court had not specified "which of these alleged incidents are to be con-
sidered further as part of the merits of the case". Thus Nigeria maintains
that the Judgment "is unclear whether Cameroon was entitled at various

times, after the submission of its Amended Application, to bring before
the Court new incidents7'. OPINION DISSIDENTE DE M. KOROMA

[Traduction]

Demandejugée irrecevable pour des raisons semblantreleverde la casuistique
- Interpréterl'arrêtsans l'interpréter- Conclusions du Nigéria - Conclu-
sions du Cameroun - Existence du diffërend - Reconnaissance de la compé-
tence de la Cour - Dispositions pertinentes du Statut et du Règlement de la
Cour - Nécessité d'honores res obligations et de respecter leRèglement de
la Cour lorsque l'onsoumet une affaire à celle-c- L'absence de clariJication
risque de prolonger et de perturber l'instanc- Non-contestation de l'autorité
de h chose jugée - ((Interprétation))qui ne clariJiepas ni ne précise laportée
et/e sens del'arrê t Demande d'interprétation satisfaisana tux critères appli-
cables - La Cour aurait dûfaire droit à la demande.

1. J'estime que les motifs, tels qu'énoncésdans l'arrêt,pour lesquels la
demande a étéjugée irrecevable relèventdans une certaine mesure de la
casuistique et je regrette de ne pouvoir souscrire à l'arrêt.
2. On peut considérer qu'en déclarant la demande irrecevable après
avoir dit au paragraphe 15de son arrêtqu'ellen'avait pas distingué,dans

son arrêtdu 11 juin 1998,entre «incidents» et «faits», la Cour a donné
une ((interprétation)) indirecte mais à mon avis insatisfaisante, qui
n'éclaircitpas le sens et la portéede l'arrêt.Il est regrettable qu'en adop-
tant cette position la Cour semble essayer de faire droit à la demande
tout en la rejetant.

3. En présentant sa demande en interprétation de l'arrêtde la Cour du
Il juin 1998, le Nigériaattendait de la Cour qu'elle précisesi le Came-
roun étaiten droit, après le dépôt de sa requête additionnelle, de faire
, état à plusieurs reprises devant la Cour de nouveaux «incidents», après
avoir prétendu que la responsabilité internationale du Nigéria était
engagée «en raison de certains incidents qui se seraient produits en divers

lieux de Bakassi et du lac Tchad et le long de la frontière entre ces deux
régions)).Le Nigériasoutenait égalementque le Cameroun avait fait des
allégationsconcernant plusieurs «incidents» de ce genre dans sa requête
du 29 mars 1994,dans sa requête additionnelledu 6 juin 1994,dans ses
observations du 28 avril 1996,et au cours des audiences tenues du 2 au
11mars 1998.Il faisait aussi valoir que le Cameroun avait dit qu'il serait

en mesure de fournir des renseignements relatifs à d'autres «incidents»
sans préciser a quel moment. Le Nigéria a enfin avancé que la Cour
n'avait pas précisé «quels [étaient] ceux de ces incidents alléguésqui
[devaient] encore êtrepris en considération lors de l'examen de l'affaire
au fond». C'est pourquoi le Nigériaconsidérait que l'arrêtn'était «pas
clair sur le point de savoir si le Cameroun était en droit, à diverses dates

après le dépôt de sa requêtemodifiée,de soumettre à la Cour de nou-
veaux incidents ». 4. Nigeria submitted that it would be inadmissible to treat as part of
the dispute brought before the Court by the Applications of March
and June 1994alleged incidents occurring subsequent to June 1994,and
that Cameroon is entitled in this case to submit only "additional facts in
amplification of incidents previously adverted to" ;that it was not entitled
to submit "entirely new and discrete incidents which are made the subject
of new claims of responsibility". Nigeria further submitted that the
Judgrnent of 11June 1998was accordingly to be interpreted as meaning
that

"so far as concerns the international responsibility [of] Nigeria . . .
the dispute before the Court does not include any alleged incidents
other than (at most) those specified in [the] Application . . .and
Additional Application".

5. Cameroon, in its written observations, inter alia, had contended
that it is entitled to rely onal1facts, irrespective of their date, that go to
establish the continuing violation by Nigeria of its international obliga-
tions, and had asked the Court to declare the request inadmissible. Thus
a dispute does exist regarding the scope and meaning of the Judgment,
and it would have been for the Court to declare that Cameroon is entitled
to use only pre-1994 incidents in support of its Application filed in 1994,
except, of course, if the Court felt that the scope and meaning of that
Judgment was not so limited.
6. In its Judgment the Court acknowledged its jurisdiction, pursuant
to Article 60of the Statute of the Court supplemented by Article 98,para-

graph 1,of the Rules of Court, to entertain the request for interpretation
of the Judgment. It thereafter proceeded to consider whether the request
was admissible, emphasizing that a condition of admissibility of such
request is that the realpurpose should be to obtain an interpretation - a
clarijïcationof the meaning andscope of the Judgment. After considering
the submissions, the Court concluded that it had made no distinction
between "incidents" and "facts" and found that "additional incidents" '
constituted "additional facts"', and that their introduction in proceedings
before the Court was governed by the same Rules.
7. In my view, reference to future "incidents" cannot be the basis of an
application of which the Court has already been seised, since this would
suggest that at the time the application was filed such dispute did not
exist and, as such, would be inconsistent with the statutory obligations
and the proper procedure of the Rules of Court, and the Court should
have so stated. Put differently, an application instituting proceedings
before the Court cannot be based on "incidents" posterior to the filingof
that application, as this could lead to confusion and obscurity as to
which "incident" or "incidents" had informed those proceedings.

' Emphasis added. DEMANDE EN INTERPRÉTATION (OP.DISS.KOROMA) 50

4. Le Nigéria a fait valoir que l'on ne saurait considérer comme
entrant dans le différendporté devant la Cour par les requêtesde mars et
de juin 1994des incidents qui se seraient produits après juin 1994et que
le Cameroun était seulement en droit, en l'espèce,de communiquer des
«faits supplémentairespour décrireplus en détail des incidents déjàmen-
tionnésde façon succincte)) et non de présenter «un exposéconcernant
des incidents entièrement nouveaux et distincts qui donnent lieu a de
nouvelles demandes portant sur des questions de responsabilité)). Le
Nigériaa égalementsoutenu que l'arrêtdu 11juin 1998devait par consé-
quent êtreinterprété commesignifiant

«en ce qui concerne la responsabilité internationale du Nigéria ...
[que] le différend soumis a la Cour n'inclut pas d'autres incidents
alléguésque ceux (tout au plus) qui sont indiquésdans la requête ...
et dans la requête additionnelle... présentéespar le Cameroun)).

5. Dans ses observations écrites,le Cameroun a notamment avancé
qu'il étaiten droit d'invoquer tous les faits, quelle que soit leur date, qui
contribuent à établirla violation continue de ses obligations internatio-
nales par le Nigéria, et il a prié la Cour de déclarer irrecevable la
demande en interprétation. 11existe donc bien un différendsur la portée
et le sens de l'arrêtet il revenait la Cour de déclarer que le Cameroun
n'étaitautorisé à invoquer que des incidents antérieurs à 1994 a l'appui
de sa requête de1994sauf, bien entendu, si la Cour estimait que la portée
et le sens de son arrêtn'étaientpas ainsi limités.

6. Dans son arrêt,la Cour s'estreconnue compétente, conformémenta
l'article 60 de son Statut complétépar le paragraphe 1de l'article 98de
son Règlement,pour connaître de la demande en interprétation de l'arrêt.
Elle s'est ensuite demandée si la demande était recevable, soulignant
qu'en la matière l'une des conditions de la recevabilitéétait que le but
véritable de la demandesoit d'obtenir une interprétation - un éclaircis-
sement sur le sens et laportée de l'arrêt. Aprèsavoir examinéles conclu-
sions des parties, la Cour a conclu qu'elle n'avait pas distinguéentre
«incidents»et «faits», que les ((incidentssupplémentaires))' constituaient
des <<«faitssupplémentairrs~)',et que leur introduction dans une instance
devant elle étaitrégiepar les mêmesdispositions.
7. A mon avis, des «incidents» à venir ne sauraient fonder une requête
dont la Cour est déjàsaisie, puisque cela signifierait qu'il n'y avait pas de
différendlorsque la requête aété déposéc e, qui serait en soi incompa-
tible avec les obligations statutaireset lesdispositions du Règlementde la
Cour relatives a une procédure régulière;la Cour aurait dû le dire. Autre-
ment dit, une requête introductive d'instance devantla Cour ne saurait se

fonder sur des «incidents» postérieurs àson dépôt, car cela risquerait de
créer uneconfusion et d'obscurcir le point de savoir quel «incident» est,
ou quels «incidents» sont, à l'origine de cette procédure.

'Les italiques sont de moi 8. It follows that, to the extent that the Court's Judgment of 11 June
1998had laid itself open to the possibility of misconstruction and confu-
sion regarding its scope and meaning, it was both necessary and appro-
priate for the Court to clarify andlor interpret that Judgment, so as to rid
it of any such misunderstanding and confusion. In this regard, where a
party requests the Court to clarify itsjudgment by stating which incident
or incidents the Court would consider as forming the basis of an applica-
tion and to state the relevant cut-off date, this would appear to me to
meet the tests for interpretation within the meaning of Article 60 of the
Statute and Article 98,paragraph 1,of the Rules of Court. Consequently,
while the Court's statement in this Judgment that it made no distinction
between "incidents" and "facts" would appear to provide a measure of
interpretation, it still leaves open the possibility of misconstruction and
confusion, which, if not clarified, could even be at variance with the rele-

vant provisions of the Statute and Rules of Court.

9. Germane to this issue are Article 40 of the Statute and Article 38 of
the Rules of Court. Article 40, paragraph 1, of the Statute of the Court
provides as follows :
"Cases are brought before the Court, asthe case may be, either by

the notification of the special agreement or by a written application
addressed to the Registrar. In either case the subject of the dispute
and the parties shall be indicated."
While Article 38 of the Rules of Court stipulates that

" 1. When proceedings before theCourt are instituted by means of
an application addressed as specifiedin Article40, paragraph 1,of the
Statute, the application shall indicate the party making it, the State
against which the claim is brought, and the subject of the dispute.
2. The application shall specify as far as possible the legal
grounds upon which the jurisdiction of the Court is said to be based;
it shall also specify the precise nature of the claim, together with a
succinct statement of the facts and grounds on which the claim is
based. "

10. Accordingly, and in terms of these provisions, in order for a party
to seisethe Court of an application regarding a dispute, that dispute, as
well as the facts and grounds on which it is based, must already exist and
be specified.
Il. The Court in paragraph 16 of the Judgment also stated that :

"The two other submissions, namely that:
'(6) Cameroon's freedom to present additional facts and legal
considerations relates (at most) only to those specified in
Cameroon's Application of 29 March 1994and Additional
Application of 6 June 1994'; 8. Ainsi, dans la mesure où l'arrêt de laCour du Il juin 1998était
susceptible d'une interprétation erronéeou pouvait prêter à confusion en
ce qui concerne sa portéeet son sens, il étaità la fois nécessaireet oppor-
tun que la Cour le clarifieou l'interprètede manière à éliminertoute pos-
sibilitéd'interprétation erronéeou de confusion. A cet égard, lorsqu'une
partie prie la Cour d'expliciter sonarrêten précisant quel incident - ou
quels incidents - forment d'aprèsellela base d'une requêteet d'indiquer
la date butoir, une telle demande me semble remplir les critères appli-

cables pour obtenir une interprétation au sens de l'article 60 du Statut et
du paragraphe 1de l'article98 du Règlementde la Cour. En conséquence,
si, en disant dans son arrêtqu'ellen'avait pas distinguéentre «incidents>)
et «faits», la Cour semble dans une certaine mesure donner une inter-
prétation,elle n'en laisse pasmoins subsister la possibilitéd'une interpré-
tation erronée ou d'une confusion, ce qui, à défaut d'éclaircissements,
pourrait mêmeêtre contraire auxdispositions pertinentes du Statut et du
Règlementde la Cour.
9. L'article 40du Statut et l'article 38 du Règlementde la Cour sont
applicables en la matière. Le paragraphe 1 de l'article 40 du Statut est

ainsi libell:
«Les affaires sont portéesdevant la Cour, selon le cas, soit par
notification du compromis, soit par une requête, adresséea su Gref-
fier; dans les deux cas, l'objet du différendet les parties doivent être

indiqués.))
L'article 38 du Règlement disposequant à lui:

« 1. Lorsqu'une instance est introduite devant la Cour par une
requêteadresséeconformément à l'article 40, paragraphe 1, du Sta-
tut, la requêteindique la partie requérante, 1'Etat contre lequel la
demande est formée et l'objetdu différend.
2. La requête indiqueautant que possible les moyens de droit

sur lesquels le demandeur prétendfonder la compétencede la Cour;
elle indique en outre la nature précisede la demande et contient un
exposé succinct des faits et moyens sur lesquels cette demande
repose.))

10. En conséquence,conformément à ces dispositions, pour qu'une
partie puisse saisir la Cour d'une requêteconcernant un différend, ce
différend,de mêmeque les faits et les motifs qui en constituent la base,
doivent déjà existeret êtreindiqués.
11. Au paragraphe 16de son arrêt,la Cour a également déclaré que:

«Les deux autres conclusions, à savoir que:
ttb) la latitude dont dispose le Cameroun pour présenter desélé-
ments de fait et de droit supplémentairesne concerne (tout
au plus) que les éléments indiquéd sans la requêtedu 29 mars
1994et dans la requêteadditionnelle du 6 juin 1994présen-

teéspar le Cameroun)), and that :

'(c) the question whether facts alleged by Cameroon are
established or not relates (at most) only to those specifiedin
Cameroon's Application of 29 March 1994 and Additional
Application of 6 June 1994',

endeavour to remove from the Court's consideration elements of law
and fact which it has, in its Judgment of Il June 1998, already
authorized Cameroon to present . .."

and it is therefore unable to entertain the submissions. With respect, this
statement leaves itself open to question, especially when it constitutes a
ground for rejecting the request. Does the statement mean that since the
Court had "authorized" Cameroon to present elements of law and fact,
such purported authorization cannot be challenged and if challenged the
Court is bound to reject the challenge because it had in the first place
authorized their presentation? Furthermore, is it not the prerogative of a

party to present the elements of fact and law of its case rather than for
the Court to authorize such elements? In the light of such considerations,
the statement as formulated appears to leave itself open to procedural as
well as juridical challenge.

12. The underlying reason for Article 60 of the Statute is to preserve
the integrity and finality of a judgment of the Court - the issue of res
judicata - a matter not contested in the request. But the provision sup-
plemented by Article 98, paragraph 1, of the Rules of Court also con-
templates and allows for the interpretationlclarification of its judgment
by the Court so as to giveprecision and definition to the scope and mean-

ing of such ajudgment2. Where such precision or clarification is missing,
a party is entitled to request the Court to make it.
13. The lack of clarification regarding the meaning and scope of the
Judgment could lead to an unnecessary and conceivable prolongation
and confusion of pleadings that could have been obviated by the Court's
interpretation of its Judgment.
14. The reasons for the request, and hence the clarification sought, are,
in my view, both sound and legitimate and meet the criteria set out in the
relevant provisions of the Statute and Rules of Court. The request does
not create a new issue and is consequential upon the former proceedings.
The Applicant had established its interests, both in law and in fact, as

worthy of legal protection, in the sense that, as a Party to the dispute, it
has an interest of a legal nature in ensuring that the other Party observes
the obligations imposed by the Statute and Rules of Court, and to enable
it to respond to the Memorial asappropriate and necessary. The Respon-
dent's interest in the dispute before the Court would include its knowing

Interpretation of Judgmenfs No7.and 8 (Factory ut Chorzow), Judgment No. II,
1927, P.C.I.J., SeriesA, No. 13,p. 10.

25 et que:

«c) la question de savoir si les faits alléguéspar le Cameroun
sont établisou non ne concerne (tout au plus) que ceux qui
sont indiquésdans la requêtedu 29mars 1994et dans la requête
additionnelle du6juin 1994présenteép sar le Cameroun)),

tendent à soustraireà l'examen de la Cour des élémentsde fait et de
droit dont la présentation a déjàétéautoriséepar l'arrêtdu 1l juin
1998.»

et qu'ellen'étaitdonc pas en mesure de faire droià cesconclusions. Avec
tout le respect dû, cette affirmation est sujetteution, en particulier en
tant que motif de rejet de la demande. Signifie-t-elleque, étantdonné que
la Cour a «autorisé» le Cameroun à présenterdes élémentsde fait et de
droit, une telle ((autorisation)) ne saurait êtrecontestéeet, dans le cas où
elle le serait, la Cour serait tenue de ne pas donner suiteette contesta-
tion parce qu'elle a autorisé la présentation de ces éléments?En outre,

présenterdes élémentsde fait et de droit à l'appui d'une thèse n'est-elle
pas une prérogativedes parties plutôt qu'une démarchesoumise à auto-
risation de la Cour? A la lumièrede cesconsidérations,l'affirmation, telle
qu'elle estformulée,semble pouvoir être contestéetant d'un point de vue
procédural que sur le plan juridique.
12. La raison d'être del'article 60 du Statut est de préserver l'intégrité
et le caractère définitif desarrêtsde la Cour, c'est-à-dire l'autoritéde la
chose jugée, uneautorité que la demande en interprétation ne remet pas
en cause. Mais cette disposition, complétéepar le paragraphe 1 de l'ar-
ticle 98 du Règlement de la Cour, envisage et permet égalementque la
Cour interprète ou clarifie ses arrêts pouren préciserla portéeet le sens2.

Lorsque la précisionou la clartéfont défaut, les parties sont en droit de
demander à la Cour d'y remédier.
13. En l'espèce, l'absencede clarification quant au sens etàla portée
de l'arrêtpourrait prolonger et perturber inutilement la procédure,ce qui
aurait pu êtreévitési la Cour avait interprété sonarrêt.

14. A mes yeux, les motifsà la base de la demande, et donc les raisons
de demander des éclaircissements,sont à la fois solides et légitimes et
satisfont aux critères énoncésdans les dispositions pertinentes du Statut
et du Règlement de la Cour. La demande ne créepas un nouveau diffé-

rend et elle découlede la procédure antérieure.Le demandeur a établi
que ses intérêtst,ant sur le plan du droit que des faits, méritaient d'être
juridiquement protégésen ce sens qu'en tant que partie au différendil a
un intérêt denature juridique àveillerà ce que la partie adverse s'acquitte
des obligations qui sont les siennes aux termes du Statut du Règlementde
la Cour, et à faire en sorte d'êtreen mesure de répondre au mémoireen

Interprétation desarrno'7 et 8 (usine de ChorzOw), arrêtno Il, 19P.J.I.
sérieA no 13. p. 10.the specific "incidents" as distinct from "facts" relied on in support of
the Application and to which it would be expected to respond in its
Counter-Memorial.

15. It is my considered opinion that the "interpretation" given of the
Judgrnent has not rendered the clarification and precision of meaning
which the request seeks. The Court should have acceded to the request
and found it admissible, as it meetsal1the criteria set out in the relevant
provisions of the Statute and Rules of Court as well as in its jurispru-
dence.

(Signed) Abdul G. KOROMA.tant que de besoin. L'intérêdtu défendeurdans le différendporté devant
la Cour serait notamment de connaître les «incidents» spécifiques ence
qu'ils se distinguent des «faits» invoqués à l'appui de la requête,inci-
dents sur lesquelsil devra répondre dans son contre-mémoire.
15. Aprèsréflexion,je considèreque l'«interprétation»de l'arrêtqui a
étédonnéen'a pas apporté les éclaircissementset les précisions sollicités
dans la demande. La Cour aurait dû faire droit a celle-ci et la déclarer
recevable, puisqu'elle remplit tous les critères énoncésdans les disposi-
tions pertinentes du Statut et du Règlement, de mêmeque dans sa juris-
prudence.

(Signé) Abdul G. KOROMA.

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Opinion dissidente de M. Koroma (traduction)

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