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102-20020607-ORA-02-01-BI
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INMA
CR 2002/32 (traduction)
CR 2002/32 (translation)
Vendredi 7 juin 2002 à 15 heures
Friday 7 June 2002 at 3 p.m.
- 2 -
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. La séance est ouverte et je donne la parole, au nom
de la Malaisie, à sir Elihu Lauterpacht.
Sir Elihu LAUTERPACHT :
EFFECTIVITÉS
1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, il m’incombe à présent de
répondre plus précisément aux arguments relatifs aux effectivités que l’Indonésie a fait valoir dans
ses plaidoiries. Je n’aborderai qu’incidemment la version qu’elle donne de ses activités
— ou de son inactivité —, déjà analysée par M. Schrijver. Je ne parlerai pas non plus de la thèse
de l’Indonésie en ce qui concerne les concessions pétrolières. Celles-ci seront examinées,
conjointement avec les cartes, par M. Crawford. Ma tâche consistera à répondre aux observations
formulées par l’Indonésie quant au comportement de la Malaisie et de ses prédécesseurs. Mais ce
n’est pas parce que les questions relatives à la nature et à l’incidence de la conduite des Parties sont
ainsi réparties entre plusieurs conseils que les effectivités de l’Indonésie et de la Malaisie sont
réellement comparables. La Malaisie fait valoir des arguments positifs. J’évoquerai certains
comportements des Britanniques et des Malaisiens qui constituent sans équivoque l’affirmation et
l’expression de leur souveraineté. Les arguments de l’Indonésie, au contraire, sont essentiellement
négatifs. En fait de comportement, elle n’a ainsi rien à avancer à l’appui de ses prétentions au titre.
Rien ne saurait mieux illustrer cette différence entre les Parties que la manière dont l’Indonésie a
traité la question des effectivités dans son premier tour de plaidoiries. Prenez l’exposé fait le 3 juin
par M. Soons. Sous le titre «exercice de fonctions étatiques par les Néerlandais : les activités de la
marine royale néerlandaise», M. Soons commence par évoquer une liste de navires de guerre
néerlandais qui, prétend-il, «montre que les Pays-Bas veillaient à la sécurité dans cette partie de
leurs possessions»1
. Mais lorsque nous nous reportons à l’annexe du contre-mémoire de
l’Indonésie qu’il cite à l’appui de cette assertion2
, qu’y trouvons-nous ? Les noms de trente navires
de la marine néerlandaise ayant «patrouillé au large des côtes du nord-est de Bornéo au cours de la

1 CR 2002/28, p. 33, par. 12 (Soons).
2 CMI, vol. 2, annexe 32.
- 3 -
période 1895-1928». Sans même parler des quatre premières années (1891-1895) d’inactivité, on
peut se demander ce qui s’est passé entre 1928 et 1949, date de l’accession de l’Indonésie à
l’indépendance, puis entre 1949 et 1969 ? Les Néerlandais et les Indonésiens se sont-ils
désintéressés de la région ? De quelle manière cette présence au large des côtes nord-est de Bornéo
s’est-elle manifestée à l’égard de Ligitan et Sipadan ? Et de quelle manière qui fasse apparaître la
souveraineté néerlandaise ? Aucun élément n’a été produit sur ces points.
2. Cette maigre liste est ensuite complétée par une référence à la présence dans la région,
en 1910, d’un navire de la marine néerlandaise, le Koetei — qui, nous dit-on, «n’effectuait pas de
levé [mais] était en patrouille»3
. Quand bien même cela aurait été le cas, cette activité ne
constituerait pas un exercice de compétence territoriale. Et quand bien même elle en constituerait
un, ce qui est difficilement soutenable, la position de l’Indonésie ne s’en trouverait guère renforcée.
3. Puis nous arrivons aux levés effectués par le Macasser en 1903, qui montrent, aux dires de
l’Indonésie, que «[les Néerlandais] «avaient [là] des intérêts»4
. Mais manifester un intérêt en
procédant à un levé n’atteste pas une souveraineté. Si tel était le cas, existerait-il au monde un seul
pays sur lequel la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis qui, dans le monde entier, se sont livrés à ce
type d’activités, ne pourraient faire valoir de prétentions ?
4. Enfin, Monsieur le président, nous en venons à ce que M. Soons a qualifié d’«exemple le
plus marquant des actes de souveraineté néerlandais», à savoir la venue dans la région du Lynx
en 19215
. «L’exemple le plus marquant», certes, puisque, abstraction faite des quelques incidents
insignifiants déjà évoqués, c’est le seul ! De sorte qu’il nous a été relaté en détail, sur six pages de
transcription. Eh bien, supposons, sans néanmoins le concéder un seul instant, que la signification
que M. Soons prête à ce singulier voyage — et par singulier j’entends unique, mais aussi
extraordinaire — soit fondée. Que pouvons-nous en inférer ? Rien, sinon qu’un commandant d’un
vaisseau de la marine néerlandaise aurait, au cours d’un voyage, considéré Si Amil comme étant
britannique et, implicitement, Sipadan comme ne l’étant pas. Et encore — il faut le rappeler —
a-t-il pris soin de rester en contact avec le résident britannique à Tawau. Se pourrait-il que le

3 CR 2002/28, p. 33, par. 12 (Soons).
4
CR 2002/28, p. 34.
5
Ibid.
- 4 -
commandant du Lynx ait agi ainsi en pensant que, puisqu’il naviguait peut-être dans des eaux
britanniques, il serait prudent d’informer les autorités locales qu’il ne faisait que patrouiller, à la
poursuite de pirates ?
5. M. Soons a, par la suite, été relayé par M. Pellet sur cette question6
. Celui-ci a commencé
par une dissertation sur ce qu’il a appelé «la pertinence limitée des «effectivités» dans le présent
différend». Cela est parfaitement compréhensible. Reste que la longueur de son développement
n’est pas un gage d’exactitude; elle est, en revanche, révélatrice des difficultés que les
«effectivités» britanniques causent à l’Indonésie. A cet égard, M. Pellet s’est en fait contenté de
répéter la thèse exposée par l’Indonésie dans son contre-mémoire7
et dans sa réplique8
. La
Malaisie a, quant à elle, déjà traité ces considérations juridiques dans son mémoire9
, et plus
complètement dans sa réplique10. Et le fait qu’elle les ait traitées succinctement ne diminue en rien
la validité de sa thèse. La Cour ne me saurait aucun gré, j’en suis convaincu, de répéter ici nos
arguments.
6. Néanmoins, il ne serait peut-être pas malvenu, à ce stade, de rappeler en quelques mots ce
que la Malaisie entend par «effectivités», et leur pertinence en la présente espèce.
7. Les effectivités consistent en un comportement imputable à un Etat attestant l’autorité de
celui-ci dans le territoire litigieux ou à son égard. Plus les effectivités sont nombreuses, plus la
période sur laquelle elles s’étendent est longue, plus l’éventail des actions gouvernementales qui les
constituent est large, et plus leur rôle est important. Inversement, moins elles se manifestent, moins
elles pourront servir à prouver la souveraineté.
8. Dans la présente espèce, les effectivités entrent en ligne de compte de deux façons.
9. En premier lieu, en indiquant de quelle manière, dans quelle mesure et sur quelle durée la
Malaisie et ses prédécesseurs ont affirmé leur autorité sur les îles litigieuses, elles fondent le rejet
par la Malaisie de l’interprétation que donne l’Indonésie de la convention de 1891.

6
CR 2002/29, p. 17 et suiv.
7
CMI, vol. 1, chap. VII, sect. 1.
8
RI, vol. 1, chap. VII, sect. 2.
9
MM, vol. 1, par. 61-69.
10 RM, par. 5.54-5.64.
- 5 -
10. En second lieu, même si æ ce que conteste la Malaisie æ la convention de 1891 avait
conféré un titre à l’Indonésie, le fait qu’au cours des soixante-dix-huit années qui ont suivi (soit
jusqu’en 1969), et même après, la Malaisie et ses prédécesseurs ont, au contraire de l’Indonésie,
effectivement exercé une autorité sur les îles signifie que, pour autant que l’Indonésie ait pu
acquérir un quelconque titre en 1891, celui-ci a été supplanté par un titre malaisien fondé sur la
présence de la Grande-Bretagne et les actes accomplis par elle «à titre de souverain».
11. Je me permettrai de rappeler que j’évoquais hier, vers la fin de ma première intervention,
les vues exprimées par M. Huber dans l’affaire de l’Ile de Palmas — en les résumant de la manière
suivante : «Un titre fondé sur un exercice pacifique et continu de l’autorité étatique l’emporterait en
droit international sur un titre d’acquisition de la souveraineté non suivie d’un exercice effectif de
l’autorité étatique.»11 Et en supposant toujours, sans le concéder en aucun cas, que les Pays-Bas
aient d’une façon ou d’une autre acquis un titre sur les îles en 1891, c’est exactement ce qui se
serait produit au cours des soixante-dix-huit années qui ont suivi. Je n’ai pas besoin de revenir sur
le fait qu’il n’y a pas eu d’exercice effectif de l’autorité étatique par les Pays-Bas ou l’Indonésie.
Je me bornerai à analyser les manifestations de l’exercice pacifique et continu de l’autorité étatique
par la Grande-Bretagne et la Malaisie.
12. Comment le faire brièvement, en évitant de redire longuement et inutilement ce qui a
déjà été amplement démontré dans nos écritures ? La réponse à cette question nous est donnée par
M. Pellet : il a produit, sous les onglets 49, 50, 51, 52 et 53 du dossier d’audience soumis par
l’Indonésie le 4 juin, des listes d’effectivités qui, à quelques réserves près, constituent un point de
départ tout à fait valable pour l’examen de la conduite de la Grande-Bretagne et de la Malaisie qu’il
me faut — même sommairement — entreprendre à présent. Je ne saurais trop remercier M. Pellet
de sa contribution.
13. La première observation que je formulerai au sujet de ces listes est qu’elles sont quelque
peu gonflées artificiellement. On dirait que M. Pellet s’emploie, en les surchargeant de documents
d’un intérêt limité sinon nul, à diminuer l’importance de ceux qui sont pertinents. Si vous me
permettez de m’exprimer en français, malgré mes lacunes dans cette langue, je dirai que ce qu’il

11 CR 2002/30, par. 22.
- 6 -
fait ici ne consiste pas à «reculer pour mieux sauter» mais à «sauter pour mieux reculer»*
. Que ce
soit par exagération ou élimination, l’Indonésie cherche à minimiser l’importance des effectivités
restantes.
14. Je ne m’arrêterai pas sur les documents de la liste générale qui concernent la période
antérieure à 1891. Ceux qui sont numérotés de 1 à 8 peuvent donc être écartés. Peuvent également
l’être les documents 9 à 13, qui ne traitent pas directement des questions qui nous occupent ici.
Mais certainement pas les documents 14 et 15 — les documents américains. Bien qu’ils ne
présentent, de l’avis de M. Pellet, aucune pertinence juridique, ils attestent æ M. Crawford l’a
montré æ que les îles n’ont jamais été tenues pour néerlandaises. Mais ils font plus. Au
numéro 15 figure le rapport de 1903 sur les îles placées sous la souveraineté des Etats-Unis au
large des côtes du Nord-Bornéo britannique, rédigé par le lieutenant de vaisseau Boughter qui
commandait un navire américain, le Quiros. Ce rapport se termine par le paragraphe suivant, dans
la partie intitulée «Iles de Danawan et Si Amil», qui corrobore à tous égards les faits exposés par la
Malaisie :
«Il m’a été dit que les indigènes ont toujours considéré l’île de Sipadan située au
sud-ouest de Danawan comme un apanage de cette dernière île dont les habitants
possèdent, selon la coutume indigène, le droit exclusif de ramasser les œufs de tortue
qui s’y trouvent.»
J’insiste donc sur le premier point, à savoir que Sipadan a toujours été considérée par les
gens de la région comme un apanage de Danawan et de Si Amil. Le lieutenant de vaisseau
Boughter ajoutait : «Des Bajau d’autres localités y ramassent illégalement depuis peu des œufs et le
résident de Lahad Datu a été saisi d’une plainte à cet égard.» — Je souligne les derniers mots : «le
résident de Lahad Datu a été saisi d’une plainte à cet égard». Le lieutenant de vaisseau indiquait
ainsi que c’était au résident britannique — britannique — qu’il revenait de s’occuper d’une plainte
relative à un acte de braconnage, élément qui a son importance s’agissant de confirmer l’existence
et l’exercice d’une compétence britannique à l’égard de Sipadan en 1903. Ainsi, conjugués à
l’échange de notes entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis autorisant la British North Borneo

*
En français dans le texte.
- 7 -
Company à continuer d’administrer les îles, ces documents contribuent à démontrer l’exercice de
l’autorité britannique sur les îles et ne sauraient décemment être présentés comme dépourvus de
pertinence juridique.
15. Les documents nº 18 et 19 sont tout aussi pertinents. Ils montrent clairement qu’en 1910,
les autorités de la British North Borneo Company — le responsable adjoint de district à Semporna
et le résident de la côte orientale — estimaient qu’il leur appartenait de résoudre les différends
relatifs à la collecte des œufs de tortue à Sipadan. De même pour le document nº 21 — la lettre
de 1916 du résident par intérim de la côte orientale à Lahad Datu concernant l’attribution d’un
monopole sur le ramassage des œufs de tortue à Sipidan. Le dernier paragraphe, par son renvoi à
l’ordonnance XXX de 1914, montre en outre la pertinence du document 20, une ordonnance ou
proclamation du gouverneur de l’Etat du Nord-Bornéo dont il était manifestement entendu qu’elle
s’appliquait à Sipadan12, ce qui n’a pas empêché M. Pellet de l’éliminer. Sont également à prendre
en considération les documents nº 22 et 23, qui illustrent le fonctionnement du système
d’autorisations à Sipadan. Quant au document nº 24 (la Turtle Preservation Ordinance,
ordonnance de 1917 sur la protection des tortues), il ne saurait faire de doute qu’il s’applique à
cette dernière.
16. Je pourrais m’attarder sur ces documents, ainsi que sur des documents ultérieurs relatifs à
la collecte des œufs de tortue, qui attestent que la législation britannique était applicable et
appliquée à Sipadan et témoignent de l’exercice d’une compétence britannique. Mais M. Pellet
manie son scalpel avec précision, et je me dois de lui répondre. Je reviendrai donc sur certaines de
ses observations.
17. On n’y trouve, dit M. Pellet, aucune mention de Ligitan. C’est vrai. Mais la valeur des
documents relatifs à Sipadan n’en est en rien diminuée. Et si Sipadan était britannique, Ligitan
l’était aussi. D’une part, parce que la carte du mémoire explicatif néerlandais de 1891 situe Ligitan
au nord du parallèle 4º 10’. D’autre part — et c’est là le plus important — parce que, comme je l’ai

12 MM, vol. 4, annexe 93.
- 8 -
fait observer hier, Sipadan et Ligitan appartiennent l’une et l’autre à un même groupe d’îles, à une
même entité économique et sociale. Si Sipadan était britannique, et non pas néerlandaise, Ligitan
était aussi britannique, et non pas néerlandaise.
18. M. Pellet relève ensuite que les habitants de Danawan n’étaient pas les seuls à se livrer à
la collecte des œufs de tortues à Sipadan qui, ajoute-t-il, étaient ramassés illégalement par des
Bajau d’autres localités. Rien n’indique que ce braconnage se soit déroulé sur une échelle
significative. Mais quand bien même cela aurait été le cas, quelle incidence un fait comme le vol
peut-il avoir sur le titre du souverain local ? De plus, comme nous venons de le voir, la répression
du braconnage relevait des attributions du résident britannique à Lahad Datu.
19. La collecte des œufs de tortue, nous dit-on, était une activité traditionnelle. Sans doute.
Mais les préoccupations des autorités britanniques à cet égard et l’existence et l’application d’une
législation britannique n’en sont pas moins des faits avérés. La tradition était reconnue et défendue
par ces autorités, qui résolvaient en outre les différends auxquels elle donnait lieu. Ce sont là des
activités étatiques classiques, appropriées à la nature de la situation et du territoire.
20. En ce qui concerne l’ordonnance de 1917 sur la protection des tortues, M. Pellet invoque
la première guerre mondiale pour expliquer que l’administration néerlandaise n’en aurait
vraisemblablement rien su. A supposer qu’elle soit fondée, sa thèse pourrait à la rigueur expliquer
que, peut-être, l’ordonnance ne soit pas parvenue à la connaissance des autorités néerlandaises
en 1917. Mais elle ne saurait expliquer pourquoi celles-ci ne connaissaient toujours pas son
existence en 1918, en 1919, en 1920 et pendant tout le temps où elle est restée en vigueur. A la
vérité, si les Pays-Bas n’ont pas réagi, c’est parce qu’ils ne s’intéressaient pas plus à ce qui se
passait à Sipadan et à Ligitan qu’à la situation dans le Nord-Bornéo britannique.
21. M. Pellet demande si l’on peut inférer l’acquisition d’un titre sur Sipadan de l’activité
législative dont cette ordonnance constitue un exemple. Pourquoi ne le pourrait-on pas ? La
promulgation d’une loi constitue l’une des manifestations les plus évidentes et reconnues de
l’autorité souveraine. Il s’agit, à n’en pas douter, d’un élément au moins aussi probant, et même
bien plus probant, que le voyage isolé du Lynx.
- 9 -
22. Arrivé à ce stade de son exposé, M. Pellet passe aux documents relatifs à l’établissement
de la réserve d’échassiers en 1932. Ce faisant, il omet de mentionner le document nº 26 de sa liste,
à savoir le rapport de 1922 sur les produits commerciaux de la mer provenant de la côte du
Nord-Bornéo britannique13. Ce document ne devrait cependant pas être balayé avec une telle
légèreté, puisqu’on y lit, très précisément à la page 47, que «les plages de sable de certaines de nos
îles, tout particulièrement Taganac … Turtle Island … et l’île de Sipadan, dans la baie de Sibuko,
abondent en œufs de tortue». «Nos îles». Si, donc, les autorités néerlandaises avaient continué
depuis 1917 à ignorer l’existence de l’ordonnance sur la protection des tortues, ce rapport, paru
en 1932, les aurait éclairées sur le fait que les Britanniques considéraient Sipadan comme une de
«[leurs] îles». Ou bien les autorités néerlandaises ignoraient-elles aussi l’existence de ce rapport ?
23. De même, l’éminent conseil de l’Indonésie passe sous silence d’autres documents
témoignant d’une activité officielle des Britanniques à l’égard de la collecte des œufs de tortue,
bien qu’il les ait à fort juste titre inclus dans sa liste14
.
24. J’en reviens à présent au point que soulève ensuite M. Pellet : la question des réserves
d’échassiers ou réserves ornithologiques15. A cet égard, M. Pellet ne trouve rien à invoquer sinon
le fait qu’aucune mesure concrète d’exécution n’est attestée. Une critique que l’on comprend mal.
Quel meilleur exemple de mesure d’exécution pourrait-on donner que l’avis reproduit à
l’annexe 101, indiquant qu’un certain nombre d’îles, dont Sipadan, sont destinées à servir de
refuges pour oiseaux ? Il s’agit d’un avis officiel du gouvernement, publié au Journal officiel.
Quant aux observations rebattues par l’Indonésie sur le fait que la carte de 1935 indiquait Sipadan
comme une réserve d’oiseaux, la Malaisie y a amplement répondu dans sa réplique16 et elle n’a pas
besoin de répéter ici ses arguments. Une fois de plus, je prierais très respectueusement les
Membres de la Cour de se reporter à notre réplique.

13 MM, vol. 4, annexe 99.
14 Voir MM, Vol. 1, page 67.
15 CR 2002/29, p. 29.
16 RM, p. 73-74, par. 5.21-5.22.
- 10 -
25. Toutefois, puisque nous évoquons ici la question des preuves cartographiques, j’attirerais
votre attention sur une carte qui semble être passée à travers les mailles du filet de M. Pellet. Il
s’agit du croquis de 1958 représentant le district de police de Lahad Datu, fait par S. M. Ross17, qui
englobe dans ce district Sipadan et Ligitan, dont il représente aussi la limite, sans équivoque,
comme courant au sud-est de Kalampang et continuant en mer au sud de Sipadan. Il est à peine
besoin de préciser que le fait que les deux îles soient comprises dans le district de police montre lui
aussi clairement que la Grande-Bretagne estimait avoir compétence sur l’une et l’autre, ainsi qu’il
ressortait déjà du rapport établi par le lieutenant de vaisseau Boughter cinquante-cinq ans plus tôt.
26. Venons-en maintenant aux observations de l’Indonésie sur la construction et l’entretien
de ce que M. Pellet a choisi de rabaisser au rang de «lanternes lumineuses» parce qu’elles ne
méritent pas, selon lui, le nom de «phares». Il concède néanmoins qu’elles constituent de
véritables effectivités æ ce sont là ses mots æ mais ne leur reconnaît qu’une portée fort limitée, au
nom d’un argument juridique selon lequel la construction d’un phare ne constituerait pas la preuve
d’une volonté d’agir à titre de souverain. Cela est parfois vrai, du moins lorsqu’il s’agit d’un acte
isolé, qui ne s’accompagne pas d’autres manifestations d’une activité étatique. Dans la présente
espèce, toutefois, l’installation de phares à Ligitan et à Sipadan n’est pas un acte isolé, mais
participe d’un ensemble de manifestations d’autorité étatique appropriées par leur caractère et leur
portée à la nature du lieu concerné — pour reprendre le critère énoncé par la Cour permanente dans
l’affaire du Groënland oriental. Elle ne saurait être écartée au motif qu’elle serait dépourvue de
pertinence juridique. La construction de ces phares était suffisamment importante pour être
mentionnée dans la partie du rapport annuel de 1961 de la colonie du Nord-Bornéo18 consacrée aux
«développement et maintenance des aides à la navigation». De même, on ne saurait révoquer en
doute leur pertinence en mettant en avant un prétendu «accord» donné ex post facto concernant leur
entretien, quelque vingt-six années plus tard, ou en arguant une fois de plus que le silence maintenu
jusqu’alors par l’Indonésie était la conséquence d’une «situation politique difficile» — de même,
sans doute, que le silence que gardèrent les Pays-Bas au sujet de l’ordonnance sur la protection des
tortues de 1917, et que l’Indonésie impute à la première guerre mondiale.

17 MM, atlas, no
18.
18 MM, vol. 4, annexe 110.
- 11 -
27. Ainsi, Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, nous en venons à la
conclusion de cette partie. Vous remarquerez que je n’ai pas évoqué les effectivités postérieures
à 1969. Ce qui ne signifie nullement que la Malaisie souscrive à la thèse de l’Indonésie, qui juge
irrecevables les éléments concernant cette période. J’ai déjà développé mes arguments à ce sujet,
et je n’entends pas les répéter, l’important étant que la position de la Malaisie est suffisamment
étayée par les effectivités antérieures à 1969. La Grande-Bretagne détenait sur ces îles un titre
solide, dont la Malaisie a hérité. La Malaisie l’a conservé. L’Indonésie n’a produit aucun élément
qui le remette en question. Aussi m’abstiendrai-je de faire perdre son temps à la Cour en répétant
ce qui a déjà été amplement développé dans nos écritures.
28. Je passerai donc aux conclusions avancées par M. Pellet. A ses yeux, la possession dont
se prévaut la Malaisie ne satisfait pas à trois critères : elle n’a pas été exercée de manière publique;
elle n’a pas été exercée à titre de souverain; et elle n’a pas été exercée de façon ininterrompue. Je
ne contesterai pas ces critères, car la Malaisie les remplit tous. Permettez-moi de rappeler
comment.
29. S’agissant du premier point, la présence britannique dans les îles ou dans une partie du
groupe d’îles, administrées depuis la péninsule de Semporna, a toujours été un fait notoire et
incontesté. Il n’est pas nécessaire que chacune de ses manifestations ait été portée à la
connaissance du public. La structure administrative était connue de tous, comme en témoigne le
fait que le commandant du Lynx, lors de sa fameuse patrouille de 1921, jugea opportun d’informer
de ses intentions le responsable de district à Tawau. Tous les textes législatifs ou réglementaires
étaient publiés : la proclamation XXX de 1914, l’ordonnance de 1917 sur la protection des tortues,
l’avis du gouvernement de 1933, les avis aux navigateurs, l’arrêté relatif à la préservation de la
faune du Nord-Bornéo (1963) — autant de textes accessibles au public, tout comme l’était le
rapport de 1922 sur les produits commerciaux de la mer provenant de la côte du Nord-Bornéo
britannique. Cela eût suffi, pour peu que l’on en eût tenu compte, à dissiper toute ambiguïté en ce
qui concerne la position de la Malaisie.
30. La Malaisie agissait-elle à titre de souverain ? M. Pellet met en question le caractère
souverain des activités de la BNBC dans la région. C’est un argument si faible qu’il n’appelle pas
de réponse. De quelle nature auraient bien pu être sinon les activités étatiques qu’a exercées la
- 12 -
BNBC dans la région, avant de céder ses droits au Gouvernement britannique ? Et le fait que
certaines manifestations de l’autorité de la BNBC concernent le règlement de différends privés
n’altère en rien le caractère souverain de la compétence que la compagnie exerça au cours de cette
période.
31. Qu’en est-il de la continuité de l’exercice par la Malaisie de son autorité ? Le caractère
ininterrompu de l’administration n’est pas modifié par le fait qu’il n’est pas attesté sous tous ses
aspects et jour après jour. L’Indonésie n’a produit aucun élément contredisant la continuité
historique et juridique qui relie, implicitement, les épisodes invoqués par la Malaisie.
32. Il y a, Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, une bonne dose
d’absurdité et une inversion de la réalité dans cette tentative que fait l’Indonésie pour contraindre la
Malaisie à établir son titre à l’aune de critères qu’elle-même, par son comportement, est on ne peut
plus loin de remplir. Si les Pays-Bas ont acquis un titre sur les îles en 1891, il ne tenait qu’à eux de
le conserver. Et de le conserver par des effectivités comparables à celles que l’Indonésie exige
aujourd’hui de la Malaisie. Que fait valoir la Malaisie ? Un examen attentif et circonstancié de la
conduite britannique et malaisienne, qui ne laisse aucun doute sur la question de savoir qui exerçait
vraiment l’autorité étatique. Et que fait valoir l’Indonésie ? Le Lynx, le Lynx, et encore le Lynx.
33. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je conclurai respectivement que
les preuves attestant l’activité britannique et malaisienne æ même limitées à la période antérieure
à 1969 æ sont plus que suffisantes pour étayer à la fois l’interprétation que donne la Malaisie du
traité de 1891 à la lumière du comportement ultérieur des Parties et son titre, fondé sur la
consolidation historique. Elles montrent également que les Pays-Bas et l’Indonésie n’ont rien fait,
en ce qui concerne ces îles, pour conserver leur prétendu titre.
34. Je vous remercie, Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, de m’avoir
une fois de plus accordé le privilège de m’adresser à vous, et je vous prie à présent de bien vouloir
appeler à la barre M. Crawford.
- 13 -
Le PRESIDENT : Je vous remercie, sir Elihu. Je donne maintenant la parole à M. Crawford.
M. CRAWFORD : Monsieur le président, mon exposé durera un peu moins d’une heure : je
vous laisse le soin d’indiquer si vous souhaitez prendre la pause café pendant cette période ou si
nous nous efforcerons de tenir jusqu’au bout ?
Le PRESIDENT : Je vous en prie. Commencez, nous verrons plus tard.
M. CRAWFORD : Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour.
LES CARTES
Introduction
1. Dans cet exposé qui mettra fin au premier tour de plaidoiries de la Malaisie, il
m’incombera de vous présenter brièvement les éléments de preuve cartographiques, et d’aborder
dans ce contexte la question des licences pétrolières, avant de résumer rapidement la thèse de la
Malaise. Je m’attacherai à vous montrer que, dans l’ensemble, les preuves cartographiques
confirment clairement la revendication de la Malaisie sur les îles — sans étayer sur aucun point
précis celle de l’Indonésie. Pour faciliter la tâche de la Cour, vous trouverez sous l’onglet 51 de
vos dossiers une liste chronologique de toutes les cartes de la région qui sont reproduites dans les
pièces de chacune des Parties, avec les références correspondantes. Et, ici encore, l’ordre
chronologique est utile. Il y a au total soixante-dix-sept cartes, sans compter celles qui ont été
dressées spécialement pour la présente affaire.
2. Je tiens à exprimer ma gratitude aux membres du département malaisien de la topographie
et de la cartographie, dirigés par M. Hassan Jamil, pour l’énorme travail qu’ils ont fait à cette
occasion. Je souhaite remercier tout particulièrement M. Tan Ah Bah et M. Hasnan Hussin.
3. La Cour sait que toutes les cartes ne se valent pas. Shakespeare a écrit que certains
hommes naissent dans la grandeur, d’autres y parviennent, à d’autres encore elle s’impose
d’elle-même19. Que ce soit ou non vrai pour les hommes, ce l’est certainement pour les cartes.
Certaines cartes naissent dans la grandeur — notamment, celles qui sont annexées à un traité. Ce

19 W. Shakespeare, La nuit des rois, acte 2, scène 5.
- 14 -
sont les cartes de la première catégorie, les «grandes» cartes du point de vue juridique. D’autres
parviennent à la grandeur, parce qu’elles ont été adoptées et présentées par des Etats dans le cadre
de leurs relations internationales comme illustrant une frontière, puis peut-être acceptées par
d’autres Etats, comme la carte de l’annexe I dans l’affaire du Temple Préah Vihéar. La carte de
l’annexe I est parvenue à la grandeur20. Ce sont les cartes de la deuxième catégorie.
4. Viennent ensuite les cartes de la troisième catégorie, les cartes diverses, autrement dit
celles qui n’entrent pas dans les deux catégories précédentes, celles qui n’ont reçu aucune
approbation internationale officielle. Elles n’ont aucune valeur sur le plan international. Elles
représentent de manière plus ou moins fiable, ou plus ou moins sujette à caution, à une échelle ou
une autre, des éléments divers. Elles ont parfois été publiées à titre privé; ce sont parfois des cartes
à usage interne n’ayant jamais été publiées. La troisième catégorie est donc très large. Il est
impossible, lorsqu’on étudie les frontières internationales, de travailler sur des cartes relevant de
cette troisième catégorie, sans être frappé — et même déprimé — par leurs contradictions, leurs
incohérences et leur imprécision sur les points de détail. C’est pourquoi, comme vous l’avez
maintes fois répété — encore récemment dans l’affaire Namibie/Bostwana21
— ces cartes n’ont
jamais en elles-mêmes une valeur normative, contrairement aux cartes des deux premières
catégories, qui ont ou peuvent avoir une telle valeur. Dans l’affaire Namibie/Bostwana, vous avez
cité, en l’approuvant, un passage de l’arrêt de la Chambre chargée de connaître de l’affaire
Burkina Faso/République du Mali, qui disait que ces cartes :
«ne sont que de simples indications, plus ou moins exactes selon les cas; elles ne
constituent jamais — à elles seules et du seul fait de leur existence — un titre
territorial, … [comme peut le faire] … un document auquel le droit international
confère une valeur juridique intrinsèque aux fins de l’établissement des droits
territoriaux…»
Ces propos émanent d’une Chambre qui a une longue expérience en matière de cartographie.
Le contraste est manifeste : les cartes de la troisième catégorie sont, tout au plus «des éléments de

20 C.I.J. Recueil 1962, p. 33-35.
21 C.I.J. Recueil 1999, p. 1098-1100 (par. 84-87), citant la Chambre chargée de connaître de l’affaire du Différend
frontalier (Burkina Faso/République du Mali), C.I.J. Recueil 1986, p. 582, par. 54, 56.
- 15 -
preuve extrinsèques», elles doivent être mises dans le même sac que les «éléments de preuve de
nature circonstancielle»22. Elles n’ont absolument aucune valeur particulière. J’examinerai donc
maintenant, si vous me le permettez, les cartes relevant de ces trois catégories.
Catégorie 1. Les cartes annexées à un traité
5. Je vais tout d’abord m’intéresser à la catégorie la plus importante, la première catégorie,
celle des cartes qui sont annexées à un traité et consacrées par celui-ci comme une description
valable de la frontière. Comme nous l’avons montré, la carte néerlandaise à usage interne ne relève
pas de cette catégorie. Mais sur les soixante-dix-sept cartes de la liste chronologique, cinq sont des
cartes annexées à un traité : trois d’entre elles représentent des lignes frontières établies par traité et
présentent, d’une manière ou d’une autre, un intérêt pour le différend.
6. [Onglet 52 : carte de 1907.] La première de ces cartes est celle qui était annexée à
l’échange de notes de 1907 entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, elle figure sous l’onglet 52
de vos dossiers23. J’ai déjà décrit cet échange de notes, qui indiquait que la carte faisait partie
intégrante de l’accord. Vous pouvez voir que la ligne rouge qui y est figurée descend jusqu’à 4° de
latitude nord, très au sud des îles, dont l’emplacement était connu avec certitude en 1907 grâce aux
relevés topographiques effectués par l’Egeria et d’autres navires. Toutes les îles situées au sud et à
l’ouest de la ligne rouge à plus de 9 milles nautiques de la côte étaient reconnues comme étant
administrées par la BNBC et comme appartenant aux Etats-Unis [fin de la projection de la carte
de 1907].
7. [Onglet 53 : carte de 1915.] La deuxième carte est celle qui figure en annexe à l’accord
anglo-néerlandais de 1915 : elle se trouve sous l’onglet 53 de vos dossiers. M. Cot l’a déjà
examinée. Elle contredit la thèse de l’Indonésie. La ligne rouge représentant la frontière s’arrête à
la côte orientale de Sebatik. Il n’est nulle part indiqué, ni sur la carte, ni dans l’accord, ni dans les
travaux préparatoires, ni où que ce soit, que la carte de 1915 n’était pas une représentation
complète de la frontière définie par l’article IV de la convention de délimitation de 1891. Cette
carte a été établie avec beaucoup de soin à partir d’un rapport conjoint de 1913, le rapport Tawao.

22 C.I.J. Recueil 1986, p. 582.
23 MM, vol. 2, annexe 23-24 et pour la carte, voir MM, vol. 5, carte n° 6.
- 16 -
Si vous aviez demandé aux auteurs du rapport Tawao si leur ligne était une représentation complète
et exacte des dispositions de la convention de 1891 æ en particulier l’article IV æ ils vous
auraient répondu «bien entendu, on nous a fait venir ici pour cela». Et c’est d’ailleurs ce qu’ils
affirmèrent au paragraphe 3 de leur rapport : «Nous avons défini comme suit le tracé de la frontière
entre le territoire néerlandais et l’Etat du Nord-Bornéo britannique, telle que décrite dans le traité
de frontière…» Or le tracé de la frontière «travers[ait] l’île de Sibetik» et est décrit d’est en
ouest24. Cette description contredit la thèse de l’Indonésie. [Fin de la projection de la carte
de 1915.]
8. [Onglet 54 : carte de 1930, «Sud-ouest des îles Philippines».] La troisième carte est celle
qui figure en annexe au traité anglo-américain de 1930, et que vous trouverez sous l’onglet 5425
.
Comme je l’ai indiqué ce matin, deux cartes étaient annexées à ce traité : voici celle qui nous
intéresse. Il n’est pas très facile de distinguer la ligne représentée sur la carte, c’est pourquoi nous
l’avons surlignée en rouge. Aux termes du traité, toutes les îles au nord et à l’est de cette ligne
appartenaient aux Philippines, toutes celles situées au sud et à l’ouest faisaient partie du
Nord-Bornéo britannique. [Fin de la projection de la carte de 1930.]
9. [Onglet 55 : carte synthétique représentant l’effet combiné des trois lignes représentées sur
les cartes annexées.] Il est instructif d’examiner l’effet combiné des trois cartes annexées aux
traités, les trois cartes pertinentes relevant de la première catégorie. Tout d’abord, la carte de 1915
confirme que la convention de 1891 aboutit à une ligne s’arrêtant à la côte orientale de Sebatik.
Ensuite, la ligne Durand de 1907 : toutes les îles situées à l’ouest et au sud de cette ligne et à plus
de neuf milles de la côte sont administrées par la BNBC, conformément à l’échange de notes
de 1907. Enfin, la situation est régularisée par le traité de 1930, qui rend aux Philippines certaines
îles plus au nord, en particulier l’archipel des Turtle æ ces îles sont situées dans la partie en retrait
où figure l’indication «1930 Treaty» æ mais qui laisse définitivement le groupe des îles Ligitan au
Nord-Bornéo. Tel est l’effet juridique des cartes ayant fait l’objet d’un accord international, des
cartes relevant de la première catégorie, dans cette espèce. [Fin de la projection de la carte
synthétique.]

24 MM, vol. 2, annexe 25, p. 95-96.
25 MM, vol. 5, carte n° 25.
- 17 -
10. Pour finir, j’évoquerai la carte annexée à l’accord de 1969 sur la délimitation du plateau
continental26. Les Parties conviennent que cette carte ne délimitait les zones maritimes au large de
la côte orientale de Bornéo. Si ce n’était pas le cas, c’est parce que l’Indonésie venait de formuler
sa revendication sur les deux îles. Naturellement, la Malaisie rejeta cette revendication et les
Parties ne délimitèrent la frontière maritime que dans les autres secteurs. Manifestement, la carte
de 1969 ne délimite rien sur la côte orientale de Bornéo. Elle a été acceptée sous la réserve
expresse des revendications concurrentes sur les îles. L’Indonésie n’en essaie pas moins de faire
valoir que les lignes et points figurant sur cette carte sans indication de nom équivalent à la
reconnaissance par la Malaisie du bien-fondé de la revendication indonésienne27. Cette affirmation
est naturellement absurde : un Etat ne peut en même temps rejeter vigoureusement une nouvelle
revendication territoriale formulée par un autre Etat et signer une carte qui fait droit à cette
revendication. La Malaisie ne l’a assurément pas fait.
Catégorie 2. Cartes affirmant les prétentions de l’Etat d’origine
11. Monsieur le président, après ces cinq cartes annexées à un traité, j’en arrive au deuxième
type de cartes, les cartes relevant de la deuxième catégorie. Ce sont celles qui, bien que n’ayant
pas fait l’objet d’un accord entre les Etats concernés ni été annexées à un traité, sont présentées et
approuvées, dans le cadre des relations entre Etats, d’une façon qui leur confère une valeur
juridique intrinsèque. Par exemple, une carte peut être utilisée par un Etat lors de négociations
pour préciser une revendication qu’il formule à l’encontre d’un autre Etat participant également
aux négociations, auquel cas elle représente les limites de cette revendication territoriale.
12. Dans la présente espèce, on dénombre cinq cartes de la deuxième catégorie, et il est
intéressant de souligner qu’elles ont été établies par chacun des cinq principaux acteurs pour
illustrer ses revendications territoriales ou ses possessions dans la région. Je me propose de vous
les présenter brièvement.

26 MM, vol. 2, annexe 32, et en ce qui concerne la carte elle-même, MI, atlas cartographique, carte n° 17.
27 Voir les compte rendus d’audience.
- 18 -
13. [Onglet 56 : contre-mémoire de l’Indonésie, vol. 2, annexe 22.] La première est la carte
de 1888, qui figure sous l’onglet 56. Elle était jointe à une lettre adressée par le comte von Bylandt
à son ambassadeur à Londres le 28 juillet 1889, et fut communiquée aux Britanniques au cours des
négociations28. Tant les Néerlandais que les Britanniques reconnaissaient que la ligne rouge
dessinée sur la carte représentait la «frontière septentrionale des possessions néerlandaises» à
Bornéo. Pas la moindre revendication sur un territoire insulaire ou continental à l’est de
Batu Tinagat. Toutes les descriptions des revendications néerlandaises sur la côte orientale,
qu’elles émanent des Néerlandais ou des Britanniques, concordent à montrer que les revendications
néerlandaises n’allaient pas au-delà de Batu Tinagat. Les archives le confirment entièrement. [Fin
de la projection CMI, vol. 2, annexe 22.]
14. [Onglet 57 : service hydrographique des Etats-Unis, carte de 1903.] La deuxième de ces
cartes a fait l’objet d’une controverse, et nous pouvons dire, je suppose, qu’elle se situe à la limite
de la deuxième catégorie. C’est la carte de 1903 élaborée par le service hydrographique des
Etats-Unis, elle figure sous l’onglet 57. Elle indique le groupe des îles de Ligitan, et notamment
Sipadan, comme «îles … sous la souveraineté des Etats-Unis d’Amérique»29. Cette carte est bien
sûr contemporaine du voyage du Quiros æ voyage au cours duquel Sipadan et Ligitan furent toutes
deux revendiquées par les Etas-Unis æ mais elle n’a pas de rapport avec ce voyage. L’Indonésie
prétend que cette carte n’a pas été diffusée officiellement par les Etats-Unis, et que ceux-ci l’ont en
fait retirée30. J’ai déjà examiné cet argument, il n’est qu’à demi-vrai : la diffusion de la carte a bien
été suspendue, mais les Etats-Unis n’ont jamais abandonné la base juridique sur laquelle elle avait
été établie, comme je l’ai montré ce matin. En outre, la raison pour laquelle la ligne figurant sur
cette carte fut «momentanément» laissée en suspens n’avait absolument rien à voir avec les
Pays-Bas, et était entièrement liée à la revendication de la BNBC sur les îles31. En fait, les
Britanniques, gardant à l’esprit la position qu’ils avaient adoptée en 1885, reconnurent que les îles
appartenaient officiellement aux Etats-Unis32. Vous noterez qu’ils le firent de manière beaucoup

28 MM, vol. 3, annexe 47, p. 66.
29 MM, vol. 5, carte n° 5.
30 RI, par. 6.33-6.34.
31 MM, par. 5.27-5.37 ainsi que les documents qui y sont mentionnés.
32 MM, vol. 3, annexe 66.
- 19 -
plus explicite que la Thaïlande ne reconnut la souveraineté française, dans l’affaire du Temple de
Préah Vihéar, par renvoi à la carte de l’annexe I. Il existe une autre différence importante entre les
deux affaires. L’analyse faite par les Etats-Unis de la situation résultant des négociations
postérieures à 1878 n’était pas simplement claire du point de vue de la cartographie æ comme
l’était la carte de l’annexe I. Elle correspondait au droit, ce qui n’était pas le cas de la carte de
l’annexe I. [Fin de la projection de la carte des Etats-Unis.]
15. [Onglet 58 : carte Durand.] Quoi qu’il en soit, rien n’indique que les Etats-Unis aient
abandonné la position représentée sur cette carte avant la conclusion des traités pertinents. Cette
position est confirmée du côté de la BNBC par la carte Durand de 1903, ou plutôt par la ligne
figurant sur cette carte, qui était annexée à l’échange de notes de 1907 et que vous trouverez sous
l’onglet 58. Malheureusement, malgré des recherches approfondies, nous n’avons pas pu retrouver
la carte originale qui était jointe à la dépêche adressée le 13 juillet 1903 par la BNBC au
Foreign Office33; nous avons la dépêche, mais pas la carte. Toutefois, toutes les preuves écrites
étayent la conclusion selon laquelle la ligne représentée à l’écran est effectivement ce qu’elle
prétend être, la «ligne rouge dont il est question au paragraphe 24 de la dépêche adressée au
Foreign Office le 13 juillet 1903» æ la dépêche envoyée par M. Martin, président de la BNBC,
immédiatement après le voyage du Quiros. La ligne représente les îles effectivement administrées
par la BNBC et, naturellement, elle traduit aussi sa revendication : elle englobe clairement tant
Ligitan que Sipadan. [Fin de la projection de la carte Durand.]
16. J’en arrive maintenant à deux cartes plus récentes que les Parties au différend,
l’Indonésie et la Malaisie, ont élaborées et publiées pour illustrer leurs revendications maritimes.
Les frontières maritimes dépendent des frontières terrestres, on vous l’a dit récemment; ces cartes
illustrent donc, dans le cadre de revendications entre Etats, le point de vue des Parties. En outre, ce
sont des cartes non seulement officielles, mais préparées avec soin car la question des frontières
maritimes revêtait une importance potentielle considérable pour les Parties. Il ne s’agissait pas
d’une édition occasionnelle.

33 MM, vol. 3, annexe 59.
- 20 -
17. [Onglet 59 : carte du plateau continental indonésien; agrandissement du segment
correspondant au Nord-Bornéo.] La première de ces cartes est celle qui était annexée à la loi
indonésienne nº 4 du 18 février 1960 et qui décrit les nouvelles lignes de base archipélagiques
revendiquées par l’Indonésie34. La carte est à l’échelle 1/14 000 000e
, mais elle est le fruit d’un
travail soigneux de préparation et d’étude, et la proclamation de la loi nº 4 a été à juste titre
considérée par l’Indonésie comme marquant un moment important. Vous pouvez constater qu’un
grand nombre de points d’infléchissement ont été définis, chacun ayant naturellement été calculé
séparément. Ils sont le fruit d’un processus d’élaboration méthodique.
18. Cependant, comme nous l’a appris M. Pellet, sur la côte orientale de Bornéo, les lignes
de base représentées contredisent toute revendication territoriale sur des îles telles que Sipadan et
Ligitan. Si ces îles avaient été revendiquées, les lignes de base auraient été totalement différentes :
[ajouter la ligne rouge] il y aurait eu des lignes rouges comme vous en voyez maintenant en
surimpression sur la carte, tracées depuis le point d’infléchissement 37 et remontant brusquement
vers les îles en direction du nord-est. L’extrémité de la ligne, vraisemblablement située sur Ligitan,
aurait été le point d’infléchissement 3635, alors que celui-ci se trouve en fait sur l’île de Sebatik.
19. M. Pellet a essayé de trouver des excuses pour expliquer pourquoi l’Indonésie n’a pas
tracé cette ligne. Il a fait valoir que celle-ci n’aurait pas suivi la direction générale des côtes et
aurait violé par conséquent le droit de la mer36. Mais rien, absolument rien, n’indique que c’était
effectivement la raison pour laquelle l’Indonésie n’avait pas tenu compte de Ligitan et de Sipadan
en 1960. L’Indonésie a sûrement dans ses archives des informations sur le choix des points
d’infléchissement; elle n’a pourtant rien produit pour étayer l’argument de M. Pellet. Et un bref
coup d’œil aux lignes de base suffit pour comprendre que c’est, en fait, le genre d’argument qu’un
avocat utilise quand il est en difficulté. [Fin de la projection de l’onglet 59.]
20. [Onglet 60 : montrer la partie agrandie de la carte de 1960.] Vous voyez maintenant à
l’écran, ainsi que sous l’onglet 60, un autre segment des lignes de base de 1960. Il correspond à
une zone située plus à l’est, vers les points d’infléchissement 70 à 73. Vous pouvez constater que

34 MM, vol. 4, annexe 107; MM, vol 5, carte nº 7.
35 Voir MM, p. 46, hors-texte 10.
36 CR 2002/29, p. 54-55, par. 12-17.
- 21 -
l’Indonésie n’a pas fait preuve ici de réserve prudente, et nous aurions pu choisir un certain nombre
d’autres exemples. Bref, nous pouvons supposer que, si l’Indonésie n’a pas tracé ces lignes de base
jusqu’à Ligitan, ce n’était pas par prudence, mais simplement parce qu’elle ne revendiquait pas les
deux îles en 1960. [Fin de la projection de la carte indonésienne.]
21. [Onglet 61 : carte du plateau continental malaisien de 1979.] Pour finir, nous avons la
carte de 1979, «Eaux territoriales et limites du plateau continental de la Malaisie», qui figure sous
l’onglet 6137. Elle montre les limites de la mer territoriale et du plateau continental de manière
générale en incluant, naturellement, les limites tracées autour de Sipadan et Ligitan. Là encore, il
n’y a aucune ambiguïté. Contrairement à la Malaisie, l’Indonésie n’a jamais, à aucun moment,
avec ou sans note d’avertissement, produit une seule carte représentant les deux îles comme
indonésiennes. Les Néerlandais ne l’ont jamais fait non plus, comme je le montrerai dans un
instant. [Fin de la projection de la carte de 1979 représentant le plateau continental malaisien.]
22. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je vous ai présenté cinq cartes
relevant de la deuxième catégorie, illustrant les revendications ou les possessions des Parties. La
carte néerlandaise de 1888, représentant la limite orientale de la revendication des Pays-Bas. La
carte des Etats-Unis de 1903, représentant les revendications formulées au cours du voyage du
Quiros, même si celles-ci avaient été suspendues dans l’attente de négociations avec les
Britanniques. La ligne Durand illustrait le point de vue de l’administration de la BNBC. Enfin, les
cartes modernes, établies avec soin et montrant les revendications maritimes, formulées par
l’Indonésie en 1960 et la Malaisie en 1979. On dénombre donc huit cartes pertinentes dans les
deux premières catégories. Chacune d’elles coïncide avec la position de la Malaisie en la présente
espèce. Aucune n’est conforme à la position de l’Indonésie.
Les cartes de la troisième catégorie
23. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, il reste encore soixante-sept
cartes sur la liste et nous disposons d’environ deux heures. Ces cartes relèvent de la catégorie
restante, la troisième. Elles constituent de simples indications d’ordre général. La grande majorité
d’entre elles représentent les îles comme malaisiennes ou ne les représentent pas du tout. Certaines

37 MM, vol. 5, carte nº 19.
- 22 -
sont ambiguës. L’une d’elles, la carte britannique que nous a présentée mardi Mme Malintoppi38
,
montre, semble-t-il, Sipadan comme indonésienne et Ligitan comme malaisienne. Elle est assortie
d’une note d’avertissement. Elle ne cadre absolument pas avec les autres cartes, ni avec la position
des deux Parties à l’instance, et il n’y a rien à ajouter à son sujet.
24. [Onglet 62 : extrait d’une carte néerlandaise à usage interne (1891).] La carte
néerlandaise à usage interne de 1891 est naturellement beaucoup plus importante pour l’Indonésie
en l’espèce. Elle a en effet été présentée par l’Indonésie comme le pilier, la pierre angulaire,
l’élément central de son argumentation. L’Indonésie a de toute évidence cherché à insuffler de la
grandeur à cette carte !
25. Vous pouvez voir la partie pertinente de cette carte, qui vous est à nouveau projetée à
l’écran, sous l’onglet 62 de vos dossiers. En réalité, elle n’a pas été analysée attentivement.
Trois remarques peuvent être formulées à son sujet, d’un point de vue géographique, juridique, et
historique.
26. Examinons tout d’abord le point de vue géographique. Vous pouvez constater que la
ligne en mer s’arrête juste après «P. Maboel», autrement dit l’île de Maboel, que la carte attribue au
Nord-Bornéo. Aucune île n’est figurée au sud de cette ligne, ni au sud du prolongement de cette
ligne æ de ce qui en serait le prolongement si on la continuait vers l’est æ à l’exception,
naturellement, de la partie méridionale de Sebatik elle-même. La carte ne représente pas Sipadan.
En revanche, elle montre bien une petite île sans nom bordée d’un récif, très à l’est et légèrement
au nord, que vous voyez maintenant entourée d’un cercle sur la carte. Il s’agit de Ligitan, avec une
partie de son récif en forme d’étoile. Elle se trouve très exactement là où le répertoire maritime
britannique de 1890 la situait, à «4o
12,5’ de latitude nord et à 118o
54’ de longitude est»39. Le
répertoire maritime, qui figure dans le contre-mémoire de la Malaisie, est de loin la pièce qui
montre le mieux ce qu’on savait généralement à l’époque de la situation des îles. Il fallut attendre
l’année suivante pour que l’Egeria se rende jusqu’à Ligitan et y réalise un levé détaillé. Il est à
noter au passage que le répertoire maritime n’indique pas les coordonnées de Sipadan. Quelqu’un
qui aurait eu à sa disposition la carte néerlandaise et le répertoire maritime aurait pensé que les

38 CR 2002/29, p. 49, par. 60.
39 Voir CMM, par. 1.3.
- 23 -
deux îles appartenaient au Nord-Bornéo : l’une d’elles se situe au nord de 4o
10’ de latitude nord,
aucune coordonnée n’est indiquée pour l’autre. Quelqu’un qui n’aurait eu que la carte aurait pensé
que la ligne n’attribuait aucune île au Bornéo néerlandais, et que l’île sans nom était attribuée au
Nord-Bornéo. Comme je l’ai dit, l’île sans nom est Ligitan.
27. La carte néerlandaise situe donc l’une des îles en litige au nord de la ligne 4o
10’ de
latitude nord, mais ne représente pas l’autre. La ligne figurant sur la carte n’attribue aucune île au
Bornéo néerlandais. Bien sûr, nous savons maintenant que ces îles sont toutes deux situées au sud
de la ligne 4o
10’ de latitude nord, mais les négociateurs n’ont rien dit qui puisse donner à penser
qu’ils le savaient. En 1891, comme je l’ai déjà dit, les levés britanniques qui ont situé les îles à leur
emplacement exact n’avaient pas encore été réalisés. Voilà pour le point de vue géographique.
[Fin de la projection de la carte à usage interne.]
28. [Onglet 63 : montrer la première version de la carte néerlandaise à usage interne.] Mes
collègues ont déjà abordé la question du point de vue juridique. Tant dans sa première version que
dans sa version définitive, il s’agit d’une carte à usage interne, établie par des Néerlandais après la
conclusion du traité. Nous avons la toute première version de cette carte40, où la ligne est encore
plus courte, s’arrêtant beaucoup plus à l’ouest. Vous pouvez le constater sur l’écran et sous
l’onglet 63. Naturellement, cette carte à usage interne ne faisait pas partie des travaux
préparatoires. Tout ce qu’un fonctionnaire néerlandais bien informé put affirmer par la suite était
qu’il «n’excluait pas» que cette carte fût connue des Britanniques41. Entre «ne pas exclure» et
«porte officiellement à la connaissance», il y a une grande différence. En fait, nous savons que les
Britanniques s’en étaient procuré un exemplaire. Mais la carte ne leur avait pas été communiquée
officiellement et la Grande-Bretagne n’était nullement tenue d’y répondre. De toutes façons il n’y
avait rien à répondre. La carte n’attribuait aucune île au Bornéo néerlandais. [Fin de la projection
de la première version.]
29. Et voici pour finir le point de vue historique : après sa brève apparition dans les archives
parlementaires néerlandaises, la carte disparut, même en tant que carte à usage interne, avant de
refaire surface dans les années vingt lors des discussions sur la mer territoriale. A aucun moment

40 MM, vol. 1, hors-texte no
15.
41 CMM, vol. 2, annexe 5, p. 27-28.
- 24 -
elle ne fut invoquée dans les débats, même pas dans les débats internes des Néerlandais : la ligne en
mer n’est pas mentionnée dans les comptes rendus du Parlement néerlandais. Elle fut encore moins
citée au cours des échanges diplomatiques ultérieurs, jusqu’en 1969. Les Néerlandais n’avaient
tout simplement pas de revendication en mer que la carte à usage interne aurait ou n’aurait pas pu
appuyer. Ainsi, même si cette carte étayait la thèse de l’Indonésie du point de vue cartographique
æ ce qui n’est pas le cas æ, elle est aussi dénuée de valeur historique que de pertinence
géographique ou de poids juridique. Cette carte a sans aucun doute été revêtue de grandeur par
l’Indonésie, mais malheureusement pour celle-ci, le fil était trop fragile pour en supporter le poids.
30. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, si je ne tiens pas compte de ces
deux dernières cartes, le nombre des cartes de la troisième catégorie est ramené à soixante-cinq. Il
serait fastidieux de présenter chacune d’elles à la Cour, et je ne m’engagerai pas dans une telle
entreprise. Je me contenterai de formuler trois remarques d’ordre général.
a) L'absence de toute carte néerlandaise ou indonésienne revendiquant les îles sur la base de la
convention de 1891
31. Premièrement, il convient de se demander si les cartes néerlandaises et indonésiennes
produites depuis la ratification de la convention de 1891 étayent la thèse de l’Indonésie. Vous
trouverez sous l’onglet 64 une liste chronologique de toutes les cartes néerlandaises et
indonésiennes publiées après 1891, avec leurs références. Elles couvrent près d’un siècle, de 1894
à 1992. Cette liste énumère quinze cartes néerlandaises et sept cartes indonésiennes, soit un total
de vingt-deux.
32. Je vous laisse le soin de les examiner, mais vous constaterez qu’aucune de ces vingt-deux
cartes néerlandaises et indonésiennes ne représente les deux îles comme appartenant au Bornéo
néerlandais ou à l’Indonésie æ pas une seule. Certaines ne les indiquent pas du tout. Celles qui le
font les représentent en grande majorité comme appartenant au Nord-Bornéo (Sabah).
33. Je me contenterai de prendre trois exemples, deux datant de la période néerlandaise et un
de l’époque indonésienne.
- 25 -
34. [Onglet 65 : carte néerlandaise de 1913 : MM, hors-texte no
2.] La première de ces cartes
est la «Carte des divisions méridionale et orientale de Bornéo», publiée en 1913 par le service
topographique des Indes néerlandaises à Batavia42, qui figure sous l’onglet 65 de vos dossiers. Elle
représente la frontière de 1891 comme s’arrêtant à la côte orientale de Sebatik. Beaucoup plus à
l’est, elle montre le groupe des îles Ligitan. Celles-ci relèvent manifestement du Gouvernement du
Nord-Bornéo britannique, comme sur les autres cartes, même si à cette date c’est bien sûr
conformément à l’échange de notes de 1907. [Fin de la projection de la carte de 1913.]
35. [Onglet 66 : carte néerlandaise de 1941 : CMM, carte 7.] La seconde des cartes
néerlandaises que je voudrais vous présenter est la dernière carte néerlandaise de la liste. Elle date
de 1941 et a elle aussi été publiée à Batavia. Vous pouvez en voir un extrait sur l’écran, et
également sous l’onglet 66 de vos dossiers. Elle représente de manière exacte la frontière
anglo-néerlandaise de 1891 et la frontière anglo-américaine de 1930 et entre les deux, le groupe des
îles Ligitan. Tout l’ensemble d’îles au large de Semporna est de toute évidence rattaché au
Nord-Bornéo britannique. C’est ce que vous pouvez déduire d’un point de détail intéressant. Vous
remarquerez que, sur cette carte néerlandaise, les îles néerlandaises portent l’abréviation «P.» pour
pulau, comme par exemple P. Oost Noenoekan. Regardez maintenant les îles entourant Semporna.
Elles portent l’abréviation «I.» («islands»). C’est le cas par exemple de l’île de Sipadan. La
personne qui a dressé cette carte en 1941 voulait distinguer les îles néerlandaises, avec le mot
pulau, et îles britanniques, avec l’abréviation «I.» et elle l’a fait de la manière la plus claire du
point de vue typographique, sur une carte qui représentait clairement et exactement les frontières
dans la région. Voilà pour l’héritage néerlandais. [Fin de la projection de la carte de 1941.]
36. [Onglet 67 : carte indonésienne de 1976 : CMM, carte 10, détail.] Et maintenant, si vous
me le permettez, je vais vous présenter l’une de six cartes indonésiennes intitulée «Bandar Seri
Begawan» et publiée à Djakarta en 1976, après la naissance du différend. Vous la trouverez sous
l’onglet 67. Cette carte ne contient pas de note d’avertissement. Vous constaterez que la frontière
de 1891 y traverse Sebatik, en s’arrêtant à la côte orientale æ même si ce n’est pas très net ici, je
peux vous assurer qu’il y a bien une ligne de petites croix. Vous voyez la frontière

42 MM, atlas cartographique, carte 1.
- 26 -
anglo-américaine de 1930, qui est maintenant la frontière entre les Philippines et le Sabah. Vous
voyez également le chapelet d’îles formant le groupe de Ligitan. Quelqu’un aurait-il pu penser en
regardant cette carte que deux de ces îles appartenaient à l’Indonésie ? Bien sûr que non. [Fin de
la projection de la carte figurant sous l’onglet 67.]
37. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, la conclusion à tirer des
vingt-deux cartes indonésiennes et néerlandaises est que les deux îles n’ont jamais été considérées
ni revendiquées comme faisant partie du Bornéo néerlandais ou, après 1945, de l’Indonésie. C’est
parfaitement clair, et en parfait accord avec la position adoptée par les Néerlandais et par
l’Indonésie jusqu’en 1969.
38. Cela mérite d’être souligné. L’Indonésie ne prétend pas qu’un événement quelconque
survenu depuis 1945 ait effectivement changé la situation juridique. Elle a tout fait au contraire
pour faire valoir que rien n’aurait pu modifier la situation juridique. Si les Néerlandais ne
possédaient pas les îles en 1945, l’Indonésie ne laisse pas entendre qu’un événement ou une
transaction intervenu depuis lors aurait pu changer la situation. Et il n’y a pas eu d’événement ou
de transaction pouvant produire un tel effet. Mais les preuves cartographiques confirment que les
Néerlandais n’ont pas revendiqué les îles comme faisant partie du Bornéo néerlandais avant 1945.
L’Indonésie a hérité des îles et des territoires des Indes orientales néerlandaises en accédant à
l’indépendance. Ces territoires ne comprenaient pas les deux îles. L’Indonésie n’a pas pu hériter
d’une revendication territoriale que les Néerlandais n’ont jamais formulée. Elle ne pouvait
posséder des titres que les Néerlandais n’ont jamais revendiqués. Elle a hérité de la situation
territoriale néerlandaise en ce qu’elle avait de positif et de négatif. Elle a acquis tout ce que les
Néerlandais avaient acquis. Elle n’a pu acquérir ce qu’ils n’avaient pas acquis æ et, à fortiori, ce
qu’ils n’avaient jamais revendiqué. C’est aussi simple que cela.
Monsieur le président, j’aurais besoin d’encore une demi-heure pour terminer mon exposé.
Je m’en remets à votre décision.
Le PRESIDENT : Continuez, je vous prie.
- 27 -
M. CRAWFORD :
b) La pratique pétrolière des Parties
39. Le second point dont je voudrais parler concerne la pratique des Parties en matière
pétrolière depuis l’indépendance. L’Indonésie cherche à invoquer cette pratique pour montrer
qu’elle a revendiqué les îles et/ou que la Malaisie ne l’a pas fait. Mais le dossier, qui est très
mince, n’apporte aucun début de preuve à cet égard. En fait, il y a apparemment très peu de pétrole
dans les environs, ce qui explique que les documents soient peu nombreux.
40. [Onglet n° 68 : MI, carte 6.2.] En dehors des cartes illustrant les revendications relatives
au plateau continental, il existe dans le dossier de l’affaire une seule carte originale qui représente
l’activité des concessions pétrolières. C’est une carte malaisienne de 1968, qui montre les permis
et baux de prospection pétrolière accordés dans l’ensemble du Sabah et au large de cette région43
.
Vous la voyez à l’écran. La carte ne représente aucune île au sud de Semporna. Elle est générale
et n’a manifestement pas pour objet d’indiquer la situation territoriale d’îles qui n’y figurent pas.
41. L’Indonésie n’a pour sa part jamais délivré de permis d’exploration sur la zone où se
trouvent les deux îles en litige ou à proximité de celles-ci, comme l’Indonésie elle-même le
reconnaît et comme M. Pellet l’a expliqué mardi44. Si l’on se fie aux documents existants, aucune
des deux Parties n’a en fait mené d’activités pétrolières à proximité des îles. Ni l’une ni l’autre des
Parties ne peut donc invoquer une pratique pertinente dans ce domaine. Puisque la Malaisie a
toujours administré les îles, et que l’Indonésie ne l’a jamais fait, la situation relative à leur
administration demeure ce qu’elle était, ou presque.
42. Mais vous vous souviendrez que, si la limite orientale des concessions accordées par
l’Indonésie est assez proche de Sebatik, très loin des deux îles, et n’implique aucune prétention sur
celles-ci, la limite des concessions malaisiennes traverse quant à elle la mer territoriale de Ligitan.
Ce sont les concessions de la Malaisie et non celles de l’Indonésie qui impliquent une
revendication territoriale sur l’une au moins des deux îles en litige. [Fin de la projection de la
carte 6.2.]

43 MM, carte 6.2 en regard de la page 106 de l’original.
44 Voir MM, carte 6.3 en regard de la page 108 de l’original.
- 28 -
43. Toutefois, je ne veux pas dire que cela soit déterminant. Ce sont de grandes concessions
délimitées par de longues lignes droites; les considérations d’ordre local n’y ont apparemment joué
aucun rôle, pas plus d’ailleurs que la pratique pétrolière du Yémen dans l’affaire Erythrée/Yémen45
.
On peut néanmoins affirmer avec certitude que les concessions indonésiennes n’impliquent aucune
revendication sur les deux îles.
c) Cartes indiquant des tracés en mer
44. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, j’en viens brièvement au
troisième grand point, que je pourrais appeler l’argument des «tracés en mer». Cet argument a été
présenté par Mme Malintoppi mardi dernier avec une grande élégance. C’est pour moi un plaisir
de lui répondre. Elle a indiqué qu’un certain nombre de cartes figurent des lignes tracées en mer à
l’est de Sebatik, en essayant d’en tirer un argument à l’appui de la revendication de l’Indonésie.
45. Avant d’entrer dans les détails, je relèverai tout d’abord que l’Indonésie ne prétend pas
qu’aucune de ces cartes suffise à elle seule à établir son titre. D’ailleurs, Mme Malintoppi l’a dit
expressément en commençant son exposé46. Elle n’a pas dit que, si les Néerlandais ne possédaient
pas les îles à la suite de la convention de délimitation de 1891, ces cartes ultérieures lui en
attribuèrent le titre. L’importance de ces cartes est donc, au mieux, secondaire. Elles ont pour
fonction de corroborer un titre qui, comme la Malaisie l’a déjà montré, ne peut pas exister. La
raison pour laquelle il ne peut pas exister est que les Néerlandais ne revendiquèrent les îles ni
en 1891 ni par la suite : les Britanniques n’en devinrent propriétaires qu’en 1930. La convention
de 1891 n’a pas donné aux Pays-Bas, et n’aurait pas pu donner aux Pays-Bas, des îles que les
Néerlandais n’avaient pas revendiquées auparavant et que la Grande-Bretagne ne possédait pas.
46. Même si l’argument de l’Indonésie est apparemment subsidiaire, permettez-moi
néanmoins d’examiner pour elles-mêmes ces cartes qui indiquent des tracés en mer.
47. [Onglet no
69 : carte no
1.] Pour cela je ne tiendrai pas compte d’un certain nombre de
cartes anciennes qui ne concernent pas particulièrement la côte orientale de Bornéo. Par exemple,
l’Indonésie a quelque peu insisté dans ses écritures sur cette superbe carte, qui est tirée des pièces

45 Sentence du 3 octobre 1996, p. 138-139, par. 416-417.
46 CR 2002/29, p. 36, par. 3.
- 29 -
de l’affaire de l’Ile de Palmas. Elle est reproduite sous l’onglet no
69 de votre dossier. Nous
l’appelons la carte «long-courrier» parce qu’elle représente une zone qui va de la Birmanie jusqu’à
la côte nord-est de l’Australie æ et je peux vous dire, car j’en ai fait l’amère expérience, qu’il faut
près de sept heures pour parcourir cette distance en avion. Les prétendues lignes frontières à l’est
de Bornéo, qui sont illustrées par des lignes courbes de couleur sur la carte de 1881, ne nous
apprennent strictement rien au sujet des petites îles situées au large de la côte est de Bornéo. [Fin
de la projection.]
48. Pour ce qui est des cartes qui traitent particulièrement de la côte orientale, la première
chose à dire est que, sans exception, toutes les cartes annexées à un traité et toutes les cartes
exprimant des revendications officielles que j’ai analysées et qui figurent une ligne à travers
Sebatik représentent cette ligne comme s’arrêtant à la côte orientale —toutes les cartes de la
première et de la deuxième catégories.
49. Parmi les cartes de la troisième catégorie qui indiquent une ligne frontière à travers
Sebatik, certaines il est vrai montrent une ligne se continuant en mer. Le problème pour
l’Indonésie est qu’aucune des cartes n’étaye vraiment son argumentation, ceci indépendamment du
fait que, par définition, une carte de la troisième catégorie ne peut pas servir à cela. Voyons ces
cartes d’un peu plus près.
50. Tout d’abord, il y a bien sûr la carte néerlandaise à usage interne ainsi que sa première
version, qui représentent des tracés de différentes longueurs en mer à l’est de Sebatik. J’en ai déjà
parlé tout à l’heure et n’ai rien à ajouter. Même du point de vue cartographique, elles n’étayent pas
la thèse de l’Indonésie.
51. Il y a ensuite un groupe de cartes qui montre des lignes se continuant sur quelques milles
à l’est de Sebatik. Peut-être les auteurs de ces cartes pensaient-ils que l’on délimitait la mer
territoriale en prolongeant la ligne de la frontière terrestre, même si les Néerlandais, quand ils
l’avaient envisagé dans les années vingt, avaient abouti à la conclusion inverse.
52. Pour illustrer mon argument, je prendrai deux exemples dans ce groupe que j’appellerai
les «cartes aux lignes courtes». L’un est une carte néerlandaise, l’autre une carte indonésienne.
- 30 -
53. [Onglet no
70; annexe 28.] La première carte, qui est projetée à l’écran, est une carte
néerlandaise de 1939 représentant le district administratif de Tarakan. Vous vous souviendrez des
contrats passés entre les Néerlandais et le Bulungan en 1850, 1878 et 1893 au sujet de Sebatik,
Nunukan, Tarakan et des petites îles qui y étaient rattachées. Voici donc ces petites îles : on les
distingue clairement sur la carte administrative néerlandaise de 1939. La ligne court en direction
de l’est le long de la frontière de 1891, se continue en mer sur une courte distance (environ
3 milles), puis s’oriente au sud et suit la courbure de la côte et des îles côtières47. Nous avons là
une belle et classique illustration d’une mer territoriale. La carte représente l’étendue de la
souveraineté néerlandaise juste avant qu’éclate la seconde guerre mondiale. [Fin de la projection
de l’annexe 28.]
54. [Onglet no
71 : CMM, vol. 2, carte 11.] Monsieur le président, Madame et Messieurs de
la Cour, la position de l’Indonésie avant 1969 ne s’écarte pas de celle des Néerlandais. Elle est
d’ailleurs identique dans toutes ses cartes de toutes les époques. Vous constaterez cela sur la carte
indonésienne de 1987 intitulée «Systèmes fonciers et qualité des terres», qui est reproduite sous
l’onglet no
71 et qui a été établie, en fait, à la suite d’une étude conjointe des Britanniques et des
Indonésiens. Vous voyez que la ligne de 4º 10’ traverse Sebatik, se continue sur une courte
distance (environ 3 milles marins), puis s’arrête. La carte ne représente bien sûr aucun élément au
nord ou à l’est, puisque l’étude concernait la partie indonésienne de Bornéo et non le Sabah. Les
auteurs de l’étude ne s’étaient pas intéressés à la qualité des terres sur Ligitan ni aux systèmes
fonciers sur Sipadan. La carte contredit la position selon laquelle l’Indonésie comprendrait les îles.
Cela dit, je dois reconnaître qu’elle contient une note d’avertissement. [Fin de la projection.]
55. [Onglet no
72 : MI, atlas, carte 12 (détail).] J’en viens aux cartes malaisiennes sur
lesquelles Mme Malintoppi a tenté de s’appuyer. Elle a en particulier invoqué certaines cartes qui
figurent des lignes sans nom à l’est de Sebatik. Apparemment, ces cartes montrent surtout les
limites provinciales intérieures d’un ou de plusieurs districts du Nord-Bornéo. Certaines montrent
des limites provinciales s’arrêtant en pleine mer sans aller très loin, par exemple pour le district
administratif de Tawao. D’autres cartes les prolongent vers l’est. Toutes semblent représenter

47 Voir RI, vol. 2, annexe 28.
- 31 -
Ligitan au nord de la ligne — quelle que soit cette ligne. Une de ces cartes est actuellement
projetée à l’écran : c’est une publication de la Direction nationale de la cartographie datant de 1966
et intitulée «Malaysia Timor. Sabah». Vous la trouverez sous l’onglet no
72. Elle contient une
clause limitative de responsabilité. Pour une raison ou une autre, Sipadan n’y figure pas du tout.
Mais, note d’avertissement ou pas, cette carte n’attribue aucune des deux îles à l’Indonésie. En
fait, elle inclut manifestement Ligitan dans le district de Semporna.
56. Dans ce contexte, je dois dire quelques mots sur Stanford, l’éditeur de cartes établi à
Londres. Stanford était, et est toujours, une société commerciale. Le simple fait d’avoir publié des
cartes pour la BNBC n’en faisait pas un éditeur officiel. Et quoi qu’il en soit, les cartes publiées
par Stanford pour la BNBC qui montrent des lignes en mer ne décrivent pas des frontières
internationales, mais de simples limites administratives internes. Au pire, elles sont ambiguës dans
leur représentation des îles situées hors de ces limites. [Fin de la projection.]
57. L’Indonésie a cherché à donner davantage de poids ses preuves cartographiques par deux
stratégies. La première de ces stratégies consistait à négliger les preuves qui contredisaient sa
position, la seconde à allonger les lignes courtes.
58. Dans le cadre de la première stratégie, Mme Malintoppi a déclaré qu’il ne fallait pas tenir
compte des cartes sur lesquelles ne figurait aucune ligne vers l’est, car elles n’indiquaient que la
ligne frontière, qui s’arrêtait à la côte orientale48. Au contraire, les cartes qui représentaient
effectivement des lignes se continuant en mer sur une certaine distance prouvaient qu’il y avait bel
et bien une ligne d’attribution courant vers l’est, et appuyaient la thèse de l’Indonésie. C’est sur
cette base  et uniquement sur cette base  qu’elle a pu prétendre que la grande majorité des
cartes donnait raison à l’Indonésie49. Voilà ce qui s’appelle jouer sur les deux tableaux : si nous
écartons tous les éléments de preuve qui contredisent une proposition litigieuse, il n’est pas
étonnant que les preuves qui la confirment semblent largement l’emporter. Mais la présente affaire
porte sur une ligne frontière qui se transformerait, on ne sait trop comment, en une ligne
d’attribution au-delà de la mer territoriale, et la plupart des cartes qui décrivent la frontière comme
s’arrêtant à la côte ou seulement à quelques kilomètres au-delà, comme s’il s’agissait d’une

48 CR 2002/29, p. 47, par. 53-54.
49 CR 2002/29, par. 42, par. 30-31.
- 32 -
délimitation de la mer territoriale  comme la carte de Tarakan, que je viens de vous
présenter  prouvent qu’il n’y a pas de ligne d’attribution. On ne peut pas faire comme si ces
cartes, la majorité en fait, n’existaient pas.
59. [Onglet 73 : carte de Kalimantan, 1968.] La seconde stratégie était plus insidieuse.
L’Indonésie considère que chaque ligne indiquée sur une carte comme se prolongeant jusqu’à l’est
de Sebatik étaye sa thèse, quelles que soient la longueur de la ligne ou la nature de la limite qu’elle
représente. Prenons, si vous le permettez, la question de la longueur. Les cartes sur lesquelles on
trouve effectivement des lignes à l’est de Sebatik représentent souvent des lignes assez courtes,
comme je l’ai déjà dit, et elles ne prouvent rien quant aux zones situées plus à l’est. L’Indonésie
est obligée de prendre ces lignes, de les étirer vers l’est et de les arrêter après qu’elles ont atteint
Ligitan. En d’autres termes, elle doit reconstruire les lignes afin de les faire coïncider avec sa
revendication. Considérons par exemple la carte indonésienne de 1968 de «Kalimantan Utara», qui
se trouve sous l’onglet n° 73 de votre dossier. Vous y voyez une ligne qui s’arrête quelques
kilomètres à l’est de Sebatik. L’Indonésie veut faire passer pour importante l’existence de cette
ligne, mais non sa longueur. Encore une fois, elle ne peut pas jouer sur les deux tableaux. Le
cartographe avait certainement une raison pour tracer une ligne vers l’est  peut-être voulait-il
indiquer la limite présumée de la mer territoriale  et une raison aussi pour arrêter la ligne à cet
endroit  peut-être savait-il que la mer territoriale ne s’étend pas très loin. Sur cette carte, la ligne
s’arrête à quelque 6 milles marins de la côte. On ne saurait légitimement considérer qu’une telle
carte confirme une ligne d’attribution se prolongeant sur 50 milles vers l’est. Cette carte est
d’autant plus importante qu’elle a été produite juste avant que le différend n’éclate. Elle n’étaye
pas la position de l’Indonésie. [Fin de la projection.]
60. [Projection de la carte néerlandaise à usage interne.] En vérité, la carte néerlandaise à
usage interne pose elle-même un problème similaire. Vous n’aurez pas oublié que l’Indonésie a
représenté la ligne par une ligne rouge se terminant par une flèche. Or, on ne trouve pas trace de
flèche sur la carte néerlandaise interne  encore un tour du fameux «Harry Potter», peut-être !
L’Indonésie a décrit la ligne comme s’étendant au-delà de Ligitan. La ligne qui figure sur la carte
- 33 -
néerlandaise interne s’arrête bien avant Ligitan. Même cette carte, qui est la pierre angulaire du
système de preuve de l’Indonésie, doit subir une opération de chirurgie esthétique pour étayer la
thèse indonésienne.
61. [Onglet 74 : prolongation de la flèche de l’Indonésie jusqu’à l’île de Karakelong.] Mais
alors, comment ne pas s’interroger ? Si la ligne se prolonge vers l’est, pourquoi s’arrêterait-elle
après avoir atteint Ligitan ? Pourquoi n’irait-elle pas plus loin ? Vous voyez là la carte fournie par
l’Indonésie dans son mémoire, avec la ligne tracée en travers de la carte. Pourquoi cette ligne
s’arrêterait-elle juste après Ligitan ? Il n’a jamais été question de Ligitan avant 1891. Vous pouvez
voir ici ce qui se produit si la ligne se continue : elle traverse une île appelée Karakelong, qui fait
partie des Célèbes et  c’est du moins ce que l’on considérait jusqu’à maintenant  du territoire
indonésien. Selon sir Arthur Watts, la Malaisie retire des avantages de la ligne d’attribution, et pas
seulement des inconvénients. Alors pourquoi la Malaisie n’aurait-elle pas la partie septentrionale
de l’île de Karakelong, comme la partie nord de Sebatik ? Pourquoi la ligne doit-elle s’arrêter après
Ligitan et ne pas aller jusqu’aux territoires appartenant aux Parties ? Après tout, cette ligne est
munie d’une flèche, et une flèche peut faire beaucoup de chemin sur une carte. L’Indonésie dira
sans doute  d’ailleurs sir Arthur l’a déjà dit, il pensait peut-être à Karakelong  qu’il faut bien
que la ligne s’arrête quelque part. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas l’arrêter là où elle prend fin
sur la carte50 ? Et si l’on procède ainsi, pratiquement aucune des soixante-sept cartes de la catégorie
C n’étaye la thèse de l’Indonésie. [Fin de la projection.]
CONCLUSION
62. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je passe maintenant de la
question  assez rébarbative  des cartes incohérentes à celle  plus intéressante  des
argumentations incohérentes. Ici, c’est la thèse de l’Indonésie qui est incohérente, et à maints
égards. Examinons, si vous le voulez bien, six incohérences, compte tenu du temps qui nous reste
cet après-midi.

50 CR 2002/28, p. 16, par. 34 (Watts).
- 34 -
1) L’Indonésie est incohérente en ce qu’elle est incapable de décider si le Bulungan est important
ou non. Son mémoire penche pour l’affirmative ; sa réplique pour la négative. Cette semaine,
sir Arthur a dit que le Bulungan était sans importance, et M. Soons a dit le contraire. Peut-être
parviendront-ils à se décider la semaine prochaine.
2) L’Indonésie est incohérente en ce qu’elle revendique un titre conventionnel dont elle aurait
hérité de la Grande-Bretagne à une époque où elle reconnaît pourtant que celle-ci ne possédait
pas les îles.
3) L’Indonésie est incohérente dans sa manière de considérer les effectivités. Une demi-heure de
présence de quelques marins du Lynx sur Sipadan est considérée comme la preuve d’une
administration ouverte et continue «pendant toute cette période». En revanche, elle considère
la réglementation relative à la collecte d’œufs de tortues sur Sipadan  attestée
dès 1903  comme une initiative privée et sporadique.
4) L’Indonésie est incohérente dans sa manière de considérer la date critique. Elle voudrait
exclure les preuves de la réglementation par la Malaisie du tourisme sur les îles, mais non ses
propres preuves concernant une incursion épisodique d’une troupe de scouts.
5) L’Indonésie est incohérente dans sa manière de considérer les balises lumineuses pour la
navigation. Elle considère l’installation, après la date critique, de balises lumineuses sur des
récifs situés très à l’ouest (Alert Patches et Roach Reef) comme un fait très important. Par
contre, elle présente comme pratiquement négligeable le fait que la Malaisie ait construit, avant
la date critique, des phares sur les îles mêmes.
6) L’Indonésie est incohérente dans sa manière de considérer les cartes, que celles-ci émanent
d’organes officiels ou de sociétés privées. La carte néerlandaise à usage interne ne montre
aucune île au sud de la ligne et n’est associée à aucun raisonnement juridique. Pourtant
l’Indonésie lui prête une importance décisive. La carte publiée en 1903 par le service
hydrographique des Etats-Unis qui, elle, montre les îles entourées par une ligne  elle présente
les choses de façon limpide  est considérée comme dépourvue de pertinence, même si elle
était bel et bien associée à un raisonnement juridique et même si la Grande-Bretagne avait
expressément accepté ce raisonnement juridique. Quant aux cartes privées, celles qui décrivent
des lignes tracées en mer sont considérées comme décisives, quelle que soit la longueur de la
- 35 -
ligne; par contre, celles qui n’indiquent pas de lignes en mer n’ont, pour l’Indonésie, aucune
pertinence. Et cela, vous me permettrez de le souligner, alors que la véritable question est de
savoir si une frontière terrestre s’est transformée, d’une manière ou d’une autre, en autre chose.
Je pourrais continuer, mais ne le ferai pas.
63. Mais je ne voudrais pas conclure sur une note négative. Permettez-moi de faire le
bilan  positif  de la thèse de la Malaisie. Celle-ci repose sur six propositions :
1) Le groupe de Ligitan n’a jamais fait partie du Sultanat du Bulungan. Les îles appartenaient à
Sulu  ce que la Grande-Bretagne et les Pays-Bas reconnaissaient.
2) Les îles ne faisaient pas partie du Nord-Bornéo britannique en 1891; aucun titre conventionnel
ne pouvait donc découler de la convention de 1891, quelle que soit l’interprétation qu’on donne
de son article IV.
3) Et, surtout, la convention de 1891 ne saurait avoir le sens que l’Indonésie cherche à lui donner.
Interprété dans le contexte des négociations, l’article IV est de toute évidence limité aux
frontières terrestres et, pour Sebatik, à l’île proprement dite. La carte néerlandaise à usage
interne ne fait pas partie des travaux préparatoires et n’est pas recevable en tant que moyen
complémentaire d’interprétation du traité. En revanche, l’accord de démarcation de 1915 est
un accord ayant rapport au traité et dont il faut tenir compte, au sens du paragraphe 3.a) de
l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités; la carte de démarcation annexée
est à la fois recevable et décisive aux fins de l’interprétation de l’article IV, si tant est que le
libellé même de cet article ne soit pas suffisamment clair.
4) Le comportement des Néerlandais après la conclusion de la convention de 1891 contredit
totalement la position de l’Indonésie. Les Néerlandais ne revendiquèrent jamais les îles, ni
dans des accords ultérieurs conclus avec le sultan du Bulungan, ni par des cartes, ni par aucun
comportement dont on aurait pu déduire une telle revendication, pas plus qu’il ne formulèrent
la moindre protestation concernant les actes publics accomplis par la Grande-Bretagne ou les
Etats-Unis, et qui auraient dû amener tout Etat revendiquant les îles en question à se poser des
questions quant au contrôle de ces îles.
- 36 -
5) La question de la possession et du titre éventuel sur les îles fut réglée publiquement entre la
Grande-Bretagne et les Etats-Unis après 1903, sans que rien permette de penser qu’un Etat tiers
aurait pu être concerné.
6) Ni les Pays-Bas, ni l’Indonésie n’ont jamais exercé de contrôle effectif sur les îles. En
revanche, la Malaisie et ses prédécesseurs l’ont fait. Les preuves d’effectivités abondent en
faveur de la Malaisie. Puisque l’Indonésie ne peut pas revendiquer un titre conventionnel, nous
devons appliquer le critère des affaires de l’Ile de Palmas et du Statut juridique du Groënland
oriental : quel Etat a la revendication la plus solide sur la base de l’administration ? La
réponse est : la Malaisie, sans aucun doute. Mais même si les Pays-Bas avaient un titre
conventionnel en théorie, le fait qu’ils ne l’aient pas défendu après 1891, et que la BNBC et la
Grande-Bretagne ont administré et contrôlé effectivement les îles, doit avoir mis fin à ces
prétentions théoriques bien avant 1945.
64. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, voilà qui met un terme au
premier tour des plaidoiries de la Malaisie. Au nom de l’équipe malaisienne, je remercie la Cour
de sa patiente attention. Je vous remercie, Monsieur le président.
The PRESIDENT: Thank you, Professor. This statement concludes today’s hearing. I wish
to thank the Parties for the quality of the statements they have made to us. The Court’s sittings will
resume on Monday 10 June at 10 a.m. to hear the second round of oral pleadings of the Republic of
Indonesia, to which two sittings will be available for this purpose, one of three hours on Monday
morning and the other of a maximum of one-and-a-half hours on Monday afternoon. The second
round of oral pleadings by Malaysia is scheduled for Wednesday 12 June under the same
conditions. I would nevertheless remind you that, in accordance with Article 60, paragraph 1, of
the Rules of Court, oral statements must be as succinct as possible. I would add that the sole object
of the second round of pleadings is to enable each Party to reply to the arguments put forward
- 37 -
orally by the other Party. The second round should not therefore be a repetition of statements
already made by the Parties, who moreover are not bound to use the entire time allowed them.
Thank you. The session is closed.
The Court rose at 4.35 p.m.
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