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CR 2000/30 (traduction)

CR 2000/30 (translation)

Jeudi 16 novembre 2000 à 10 heures

Thursday 16 November at 10 a.m. - 2 -

The PRESIDENT: Please be seated. Today we begin the second round of oral arguments in

the LaGrand Case (Germany v. United States of America) and I shall immediately give the floor to

the Agent of the Federal Republic of Germany, Mr. Westdickenberg.

M. WESTDICKENBERG :

I. REMARQUES LIMINAIRES

Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour.

1. Ce prétoire est celui de la Cour mondiale. Non seulement nos gouvernements et le monde

universitaire, mais aussi nos concitoyens et le pub lic en général ont les yeux tournés vers cette

affaire. Il semble que malgré cela nos amis américains, dans leurs exposés de mardi, aient

sous-estimé l’autorité de la Cour, son rôle éminen t en droit international. Ils ont manifestement

adopté une démarche consistant :

⎯ à pousser jusqu’à l’extrême les arguments de l’Allemagne, afin de vous effrayer, vous,

éminents juges, en vous faisant entrevoir les abîmes de l’extravagance juridique où la Cour

pourrait tomber;

⎯ à donner une présentation exagérée de ces argume nts, comme si nous voulions entraîner la

Cour sur une pente glissante, celle de la tentation de faire le droit, au lieu de l’interpréter;

⎯ à affirmer des faits et ou des positions ne correspondant pas à ce que nous avions dit.

2. Permettez-moi de revenir sur certains des le itmotiv que nous avons ainsi entendus depuis

l’ouverture des plaidoiries jusqu’au finale, et qui , pour rester dans cette veine philharmonique, ont

été marqués par trop de «da capo» et de fausses notes.

Premier mouvement : l’Allemagne voudrait que la Cour réécrive la convention de Vienne

Loin de là. L’Allemagne considère la Cour comme la «gardienne de la convention» et lui

demande d’en préserver la lettre et l’esprit. Le paragraphe 1 de l’article 36 de la convention énonce

l’obligation qu’ont les Etats parties d’informer les ressortissants étrangers de leur droit individuel à

l’assistance consulaire, et notre propos est seulement qu’il soit déclaré que les Etats-Unis ont

enfreint cette obligation. Le paragraphe 2 de l’article 36 de la convention énonce que tous les Etats

parties à celle-ci doivent permettre la «pleine ré alisation» de ses dispos itions. Tout ce que nous - 3 -

demandons c’est qu’il soit déclaré que la règle américaine de la carence procédurale rend

l’exécution de cette obligation impossible, et que les Etats-Unis doivent veiller à ce que soit

permise la «pleine réalisation» des dispositions de la convention. Se conformer aux dispositions de

la convention n’est pas une faveur qui serait acco rdée aux ressortissants étrangers ou à leur Etat

d’envoi: c’est une obligation juridique qui découl e directement de l’application de la convention

de Vienne.

Deuxième mouvement: l’Allemagne, en demanda nt aux Etats-Unis de permettre la pleine
réalisation des dispositions, s’immiscerait dans la législation interne américaine

Loin de là. L’Allemagne a démontré que c’est le principe même de la carence procédurale

qui, dans des cas comme celui-ci, entraîne systémat iquement des violations de la convention de

Vienne. Tout ce que l’Allemagne demande à la C our de faire, en tant que «gardienne de la

convention», c’est de contraindre les Etats-Unis à prévoir un réexamen effectif des condamnations

pénales viciées par l’application de ce principe, ai nsi qu’une réparation. Quant à la façon dont les

Etats-Unis doivent remplir cette obligation ―obligation qui, je le souligne, découle de la

convention de Vienne, et donc du droit international ―, nous ne nous aventurerons pas à la

prescrire et nous ne demandons pas à la Cour de le faire. Nous nous en tenons au principe sur

lequel j’ai déjà insisté dans mon exposé d’introduc tion: nous traitons, dans cette Cour, de droit

international, de rien de plus, mais de rien de moins! Après tout, les Etats-Unis ont signé la

convention de Vienne, s’engageant ainsi à en re specter les dispositions. Les modifications à

apporter à leur système juridique interne sont l’affa ire de l’Etat signataire. Rappeler cet Etat à son

obligation par une décision de la Cour ne constitue pas une ingéren ce dans sa législation interne,

mais est conforme au premier protocole de signature facultative, visant à résoudre les «différends

relatifs à l’interprétation ou à l’application de laconvention». Je me demande comment on peut

dire, à propos de l’accomplissement de cette tâche, que ce serait utiliser le protocole facultatif «en

tant qu’aspirateur», selon l’expression de M. Meron. Les Etats-Unis ne sont-ils pas, quant à eux,

en train d’utiliser un «mixeur» ⎯ pour poursuivre cette métaphore d’appareils ménagers — en

mélangeant des choses qui, par leur nature même, sont distinctes ? - 4 -

Troisième mouvement : l’Allemagne ferait un usage abusif de la convention de Vienne afin de
servir sa campagne pour l’abolition de la peine de mort

Loin de là. Oui, l’Allemagne milite pour l’ab olition de la peine de mo rt, mais ce n’est pas

notre propos devant cette Cour. Que pouvons-nous faire de plus que de redire avec insistance,

comme je l’ai déjà fait lundi dans mon exposé d’in troduction, que «la présente affaire ne porte ni

sur la peine de mort en général ni sur son app lication dans un pays par ticulier»! Cependant, il

s’agit ici de ce que la Cour a dénommé l’«affaire LaGrand» et il se trouve, si triste et regrettable

que cela soit, que la condamnation à mort et l’exécution des frères LaGrand sont indissociablement

liées à l’objet de cette affaire. L’Allemagne veut que la convention de Vienne soit respectée dans

sa lettre et dans son esprit, ce qui est exactement le contraire, me semble-t-il, de ce que n’importe

quel dictionnaire ou ouvrage de droit qualifierait d’«usage abusif».

Quatrième mouvement: L’Allemagne veut entraî ner la Cour à jouer le rôle d’une cour
d’appel criminelle

Loin de là. Nous voulons que la Cour agisse da ns l’exercice même de la capacité prévue au

premier protocole de signature facultative, celle de connaître des différends relatifs à la convention

de Vienne, et non pas en tant que cour d’appel.

Cinquième et dernier mouvement ― pour rester dans la ligne de cette symphonie classique :
l’Allemagne appliquerait deux poids et deux mesures, demandant aux Etats-Unis de se
conformer à des normes qu’elle-même ne peut pas ou ne veut pas respecter

Loin de là. Comme nous le montrerons, l’A llemagne, dans son droit et dans sa pratique,

applique pleinement ce que nous a ttendons de la part des Etats-Un is. Permettez-moi de déclarer

sans ambiguïté que, quelle que soit la décision de cette Cour, l’Allemagne en respectera la lettre et

l’esprit; et je prie la Cour de nous prendre au mot ! C’est ainsi, par exemple, que dans le cas où une

décision d’un tribunal allemand serait entachée d’une violation de la convention de Vienne, le droit

procédural allemand offre déjà, bien entendu, un recours; nous n’avons pas à en créer pour remplir

nos obligations au regard de la convention de Vienne: le para graphe2 de l’article337 du code

allemand de procédure pénale pr évoit en effet un recours pour les cas où une norme juridique, y

compris une norme de droit international, n’a pas été appliquée du tout ou a été mal appliquée, et

dans lesquels il existe une possibilité ⎯ le lien de causalité direct n’a pas à être démontré ⎯ que la - 5 -

décision en ait été altérée. L’existence d’une di sposition semblable dans la loi américaine aurait

permis aux frères LaGrand d’invoquer la violation de la convention de Vienne devant les tribunaux

fédéraux américains.

3. Je voudrais dire un mot de l’argumentation développée mardi par M. Trechsel, qui tendait

à opposer systématiquement les droits de l’homme a ux engagements pris par les Etats. Il a fait de

chaque droit de l’homme un «droit fondamental» que les conventions internationales se borneraient

à constater. Selon moi, il s’agit là d’une con ception «objectiviste» des droits de l’homme, voire

une conception simplement fondée sur le «droit naturel», qui à premiè re vue peut sembler

généreuse mais ne correspond pas à la réalité du dr oit positif. Les droits de l’homme ont d’abord

leur source dans des conventions internationa les conclues volontairement entre des Etats

souverains. On ne saurait donc opposer artificie llement les obligations conventionnelles des Etats

et les droits de l’homme.

4. Je relèverai également quatre points de la plaidoirie faite mardi par les

Etats-Unis ⎯points présentant un caractère exemplaire et auxquels je me limiterai, pour des

raisons de temps ⎯ qui déforment manifestement les positi ons exprimées par l’Allemagne et ses

affirmations. Je suis désolé d’avoir à prendre vot re temps pour cela, mais je ne peux laisser passer

ces points sans rectification, de peur d’être accusé de les concéder.

Premièrement, l’Allemagne n’a pas demandé de garantie absolue qu’il ne se produira plus,
par erreur, des violations de la convention de Vienne

Nous ne demandons pas l’impossible, nous sa vons que l’erreur est humaine et existera

toujours. Mais il ne nous a pas paru nécessaire d’exclure ce cas et de préciser l’évidence. Pour

ceux qui ont besoin d’explications : nous dema ndons l’assurance que les Etats-Unis remédieront à

la situation qui existe toujours et qui est celle d’une méconnaissance cons tante et générale des

obligations établies par la conven tion de Vienne de la part des services de police américains

―situation qui est reconnue, puisque les Etats-Un is ont renforcé leur action visant à faire mieux

connaître ces obligations: malgré cela, le problème n’est toujour s pas réglé, comme nous l’avons

vu par le nombre de violations de la convention qui ont été commises depuis précisément que cette

action a été renforcée. - 6 -

Deuxièmement, l’Allemagne n’a pas demandé l’annulation automatique des décisions
entachées de violation, comme l’a laissé entendre M. Trechsel mardi après-midi

Il suffit de renvoyer à la plaidoirie faite lundi par M.Simma: tout ce que nous demandons

c’est que soient prévus un réexamen effectif des condamnations, et des mesures de réparation.

Troisièmement, l’Allemagne n’a pas limité ses demandes aux cas où la peine de mort est en

jeu mais a insisté sur ces cas en raison du caractère irréversible de la peine.

Quatrièmement, l’Allemagne n’a pas demandé aux Etats-Unis de faire ce qu’ils ne sauraient
faire en raison de leur système fédéral

Je vous le demande, Monsieur le président, Mada me et Messieurs de la Cour: s’agit-il là

d’un nouveau principe de droit international, selon lequel une constitution fédérale permettrait à un

Etat de se dégager de ses obligations conventionnelles ?

5. Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, j’allais oublier de

répondre brièvement sur deux points soulevés par le défendeur dans des documents qui nous ont

été communiqués respectivement le 13 et le 14n ovembre, et qui n’ont pas l’effet qu’ils sont

manifestement censés produire, à savoir discréditer l’état général de préparation de l’Allemagne en

ce qui concerne sa mission d’assistance consulaire :

⎯ premièrement, la déclaration de M.Villareal en date du 2novembre2000 (document n o1 du

13novembre2000). M.Villareal a été avocat de la défense de M.MichaelApelt, un

ressortissant allemand condamné à mort avec son frère pour meurtre dans l’Etat d’Arizona.

Dans sa déclaration, M.Villareal soutient que le Gouvernement a llemand ne souhaitait pas

intervenir avant que toutes les voies de recours soient épuisées, et qu’il a refusé d’apporter le

concours financier qui lui était demandé. Je souh aite déclarer officiellement ici, m’étant

informé auprès du fonctionnaire responsable du mi nistère des affaires étrangères d’Allemagne

à Berlin, que le Gouvernement fédéral allemand et le gouvernement d’un des Länder ont à eux

deux dépensé à ce jour, dans le cadre de la procédure d’appel encore pendante dans l’affaire

Apelt, plus de 100000marks pour des projets devant contribuer à la défense des frères, en

particulier pour la recherche d’éléments rela tifs à leur jeunesse en Allemagne qui pourraient

constituer des circonstances atténuantes; - 7 -

o
⎯ deuxièmement, en ce qui concerne la lettre du mars 1993 (document n 1 du

14novembre2000) adressée par le consul allemand à M.RichardBozich, ancien enquêteur

privé pour KarlLaGrand, il suffit de dire que la question posée par le consul, celle de savoir

dans quelle mesure la nationalité allemande de Karl LaGrand ét ait «un élément crucial pour la

stratégie de la défense», s’explique aisément par le fait que M.Bozich n’était pas l’avocat

chargé de la stratégie de défense, mais simpleme nt l’enquêteur. Par ailleurs, la nationalité ne

pouvait à ce moment-là jouer un rôle que dans le contexte d’une éventuelle intervention

politique (dans le cas des frères Apelt, la question de la viol ation de l’article36 de la

convention de Vienne n’a jamais été soulevée); la question visait une intervention politique et

n’exprimait pas de doute quant à la nécessité d’assister un ressortissant allemand.

6. Pour conclure mes remarques liminaires dans ce second tour, permettez-moi de récapituler

nos principaux arguments, qui demeurent inchangés, dans la mesure où les plaidoiries faites par les

Etats-Unis mardi ne nous donnent pas de raison d’ en modifier la ligne directrice, en dépit de

l’habileté avec laquelle nos amis, du côté du défendeur, ont fait valoir leurs arguments.

⎯ Nous nous sommes présentés devant vous, Monsieur le président, Madame et Messieurs de la

Cour, pour obtenir une décision de nature à clarifier d’importants principes de droit

international découlant de la convention de Vienne ainsi que du Statut et du Règlement de cette

Cour, s’agissant de l’effet obligatoire de vos ordonnances en indication de mesures

conservatoires.

⎯ Nous avons vu les frères LaGrand privés des droits qui étaient les leurs en vertu de l’article 36

de la convention de Vienne parce qu’ils n’ont été informés par les autorités américaines de

leurs droits en matière de protection consulaire que plus de seize ans après leur arrestation et

parce qu’ils ont été privés, par l’effet du principe de la carence procédurale, de la possibilité

d’invoquer cette violation de leurs droits. Les autorités américaines, responsables, ainsi que les

Etats-Unis l’ont reconnu, du fait que les LaGra nd ont été informés trop tard, retournent cette

faute contre les frères, en disant qu’ils ne pouvaient invoquer ce moyen qu’à un stade antérieur.

⎯ De même, en ce qui concerne l’ordonnance, les autorités américaines n’ont tenu aucun cas de

ce que la Cour leur demandait, préférant conti nuer sur la voie qu’elles avaient déjà choisie,

celle de l’exécution, comme si plus de dix-sep t ans après l’arrestation un sursis de quelques - 8 -

jours ou de quelques mois était impossible, comme si le bref délai entre le moment de

l’ordonnance et celui de l’exécution ⎯ les trois heures sans cesse mentionnées

mardi ⎯ relevait d’une loi physique immuable et ne pouvait être prolongé. La gouverneur de

l’Arizona avait toute latitude pour décider de cette prolongation, mais d’autres autorités au

niveau fédéral auraient également pu intervenir ! Le droit international, en l’occurrence le

Statut et le Règlement de cette Cour, et le respect dû au plus haut organe judiciaire des

NationsUnies, la Cour internationale de Jus tice, exigent que les décisions de la Cour ne

puissent pas être vidées de leur sens du fait dactes accomplis par l’une des parties avant la

décision définitive.

⎯ Même si cette affaire a son origine dans le cas des frères LaGrand, qui ont été exécutés il y a

plus d’un an, nous estimons que votre décision sera d’un grand poids pour les ressortissants

allemands qui se trouvent aux Etats-Unis mais aussi pour les ressortissants de tous les Etats

parties à la convention de Vienne se trouvant à l’ étranger. En effet, la convention de Vienne

sur les relations consulaires est un important pilier de la protection des étrangers.

L’Allemagne, qui a confiance dans le juge ment de la Cour, attend sereinement votre

décision, à laquelle elle attache la plus grande importance, et à laquelle elle se conformera

fidèlement.

Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je vous remerc ie de votre attention

et vous prie d’appeler à la barre M.BrunoSimma pour poursuivre la plaidoirie de l’Allemagne.

Merci.

Le PRESIDENT: Merci beaucoup, Monsieur Westdickenberg. I now give the floor to

Professor Simma.

Mr. SIMMA: Thank you Mr. President. Merc i Monsieur le président de me donner la

parole ce matin.

II.C OMPETENCE ET RECEVABILITE

1. Je vais tout d’abord examiner la question de la compétence et de la recevabilité. Mardi, le

conseil des Etats-Unis a rappelé, comme l’Allemagne l’avait déjà fait la veille, que la compétence - 9 -

de la Cour est toujours une compétence limitée. Les parties conviennent également que l’unique

base de compétence dans notre affaire est l’article premier du protocole de signature facultative.

Cette disposition s’applique aux «différends relatifs à l'interprétation ou à l'application de [cette

seule] convention». Tout le reste, et là encorenous ne pouvons que souscrireà ce que dit l’agent des

Etats-Unis , échappe à la compétence de la Cour. Mais il subsiste incontes tablement un différend

quant à la façon dont il faut interpréter cette clause attributive de compétence pour en déterminer la

portée.

2. Contrairement à ce que l’agent des Etats- Unis a annoncé, M. Meron n’est pas le seul à

avoir traité des questions relatives à la compétence de cette Cour. Les questions de compétence et

de recevabilité ont couru comme un fil rouge tout au long des exposés des Etats-Unis et sont

apparues parfois là où on ne les attendait pas, c’est-à-dire parmi de s questions relevant

manifestement du fond de cette affaire. Ce fa it et la désinvolture de certaines déclarations qui

pourraient être lourdes de conséquences ne nous facilitent pas la tâche ce matin. Je citerai, à titre

d’exemple, M. Thessin pour qui l’affaire «se tro uve résolu[e] dès lors que les Etats-Unis ont

présenté leurs excuses et donné d es assurances de non-répétition, priv ant ainsi cette affaire de son

objet» (CR 28, par. 1.17). Monsieur le président, si l’une des parties demande certaines mesures de

réparation et que l’autre est seulement disposée à en accorder moins, ou qu’elle en a déjà proposé

moins, il s’agit certainem ent d’une question essentielle de fond, et elle n’a rien, et répète, rien à

voir avec le «défaut d’objet», au sens technique ou en n’importe quel autre sens.

3. L’argument central de M. Meron est que l’ Allemagne a utilisé «le protocole de signature

facultative [comme un] fourre-tout dans lequel on pe ut empiler l’une après l’autre n’importe quelle

allégation de fait ou de droit, qu ’elle ait ou non à voir avec l’inte rprétation ou l’application de la

convention sur les relations consulaires, et même si les éléments de preuve s ont indirects, et leurs

fondements juridiques indigents» 2. Monsieur le président, non seulement cette déclaration

dénature nos conclusions, mais e lle traduit une interprétation bien trop stricte de la portée du

protocole de signature facultative et elle est donc totalement indéfendable.

1
CR 2000/28, p. 8, par. 1.5.
2CR 2000/28, p. 38, par. 3.6. - 10 -

4. Toutefois, M. Meron nous a invités à consulter la page1209 du grand oeuvre 3 du

professeur Rosenne et cela nous a été en effet fort utile. La principale décision citée à propos de

cette question est l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Ambatielos, et nous lisons dans cet arrêt

ceci :

«La Cour doit s’assurer que les arguments avancés par le gouvernement

hellénique au sujet des dispositions du traité sur lesquelles la réclamation Ambatielos
est prétendument fondée sont de caractère suffisamment plausible pour permettre la
conclusion que la réclamation est fondée sur le traité. Il ne suffit pas que le
gouvernement qui présente la réclamation ét ablisse un rapport lointain entre les faits

de la réclamation et le traité de 1886. En revanche, il n’est pas nécessaire que ce
gouvernement démontre, aux fins de la pro cédure actuelle, qu’une prétendue violation
du traité présente un fond juridique inattaquable…

[S]’il apparaît que le Gouvernement hellénique avance une interprétation
défendable du traité, c’est-à-dire une interp rétation du traité qui puisse se soutenir,
qu’elle l’emporte finalement ou pas, il ex iste des motifs raisonnables pour conclure

que sa réclamation est fondée sur le traité.»

5. Nous soutenons, et j’espère que nous avons été suffisamment clairs à la fois dans notre

mémoire et notre exposé oral, que la lecture faite par l’Allemagne de l’article 36 de la convention

de Vienne et des conséquences de sa violation re pose sur une «interprétation défendable du traité»,

pour reprendre les termes de la décision Ambatielos. Rien de plus n’est requis pour répondre par

l’affirmative à la question de la compétence.

6. En outre, nous ne devons pas oublier que la clause attributive de compétence sur laquelle

repose notre action ne se limite pas à «l’interpréta tion ou à l’application de la convention», mais

vise expressément les «différents relatifs» à ces questions. Cela signifie que la Cour n’est pas

cantonnée à une fonction quasi-«cons ultative» consistant à interpré ter les règles énoncées dans la

convention de Vienne, mais qu’elle est appelée à statuer sur des affaires contentieuses «relati[ves] à

[son] interprétation ou à [son] application». C’est justement ce que nous avons devant nous,

s’agissant de la totalité des prétentions émises par l’Allemagne. Sur la base du protocole de

signature facultative, la Cour ne peut examiner de questions purement abstraites ou hypothétiques

relatives à la convention de Vienne: sa compét ence suppose qu’il existe un différend concret.

Dans l’affaire qui nous concerne, ce différend se ra pporte malheureusement à la peine de mort. Il

nous est tout simplement impossible de ne pas en parler quand nous formulons les questions que la

3Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Couof Justice [Droit et pr atique de la Cour
e
internationale de Justice], 1920-1996 (3 éd., vol. III ― Procédure) - 11 -

Cour devra trancher. Mais ce qui est au cŒur de notre différend, c’est l’article 36 de la convention

de Vienne en tant que tel. La question de l’application de cette disposition fait nécessairement

intervenir une analyse du droit et de la pratique au sein du système juridique interne des Etats-Unis,

mais seulement dans l’optique des exigences du droit international. Soutenir que l’Allemagne tente

de faire de la Cour sans qu’elle soit habilitée à exercer cette fonction un organe de contrôle du droit

des Etats-Unis et de l’utiliser comme une sorte de cour d’appel pénale dénote une incompréhension

profonde, et bien entendu délibérée, des conclusi ons de l’Allemagne, ains i que de la portée du

protocole de signature facultative.

7. L’un des sujets sur lequel mon collègue M. Meron s’est particulièrement étendu est celui

de la protection diplomatique. Monsieur le président, je tiens à préciser d’emblée que cette

question n’entre en ligne de compte que par le tr uchement de la conventio n de Vienne. Ce que

nous demandons à la Cour, c’est de dire que non seulement l’article 36 crée des droits et des

obligations entre les Etats, mais aussi qu’il fait na ître des droits au profit des individus. Si l’on

adopte ce point de vue, un différend relatif à l’in terprétation de l’article 36 englobe nécessairement

un différend relatif à la question de savoir si l’A llemagne est en droit ou non de faire jouer sa

protection diplomatique au profit de ses ressortissan ts. Dès lors, la protection diplomatique n’est

pas un moyen isolé, séparé, comme M. Meron veut vous le faire croire, mais elle est étroitement et

indissolublement liée au différend relatif à l’in terprétation qu’il convient de donner de la

convention. Autrement dit, si, comme l’Allemagne le soutient, l’article36 contient des droits

propres à l’individu, le droit de l’Allemagne d’ exercer sa protection diplomatique en sera le

corollaire nécessaire. Si, en revanche, c’est la conception des Etats-Unis qui est retenue, la

question de la protection diplomati que va inévitablement disparaître sans laisser de trace. Cela

prouve que le débat qui nous oppose sur le point de savoir si, en l’espèce, l’Allemagne est en droit

d’exercer sa protection diplomatique relève clairement d’un «différend relatif à l’interprétation ou à

l’application de la convention de Vienne».

8. Le conseil des Etats-Unis a en outre dit que «l’obligation d’épuiser les voies de recours

internes empêcherait d’aller plus loin dans l’examen de ces demandes [de protection

diplomatique]». M. Meron a ensuite réfuté l’a ffirmation de l’Allemagne selon laquelle toutes les

voies de recours ouvertes aux LaGrand avaient été épuisées, au motif qu’«il existe bien des recours - 12 -

avant une condamnation par un jury et au niveau de l’Etat» " . Je vais une fois de plus rappeler les

faits de cette affaire qui ne sont pas contestés: les autorités des Etats-Unis ont omis d’informer

Karl et WalterLaGrand des droits que leur conf érait la convention de Vienne et ils n’étaient

eux-mêmes toujours pas au fait de ces droits bien après la conclusion du procès devant jury et des

autres procédures (d’appel) engagées au niveau de l’Etat. Monsieur le président, le conseil de la

Belgique dans l’affaire de la Barcelona Traction a très bien décrit l’élément essentiel de la règle de

l’épuisement des voies de recours internes dans le s termes suivants: «[p]our pouvoir entrer en

ligne de compte dans la vérifica tion de la conduite de la personne lésée, les recours doivent lui

avoir été effectivement accessibles». Et il a ensuite exp liqué cette condition d’«accessibilité»

comme suit :

«La première condition, à savoir l’accessibilité des recours envisagés … est
dictée par le bon sens. Comme l’indique la sagesse populaire, «à l’impossible, nul
n’est tenu». Un recours inaccessible doit donc être assimilé à un recours inexistant et

on ne pourra opposer à l’action d’un Etat l’in action de son ressortissant lorsque celle-
ci est due à une force majeure, a fortiori lorsque l’impossibilité a été due à l’attitude
des autorités de l’Etat défendeur».

Et il poursuit : «L’accessibilité du recours, c’est la possibilité juridique et matérielle pour la victime

d’y avoir recours». 5.

9. Je soutiens que cette déclaration reflète pa rfaitement le droit généralement admis en la

matière et confirmé par la jurisprudence de la C our actuelle et de sa devancière, par la doctrine et

enfin par le nouveau projet d’article 45 b) de la Commission du droit international sur la

responsabilité des Etats 6, qui précise que les voies de recours internes devant être épuisées sont les

«voies de recours internes disponibles et effi caces». Peut-on trouver meilleure citation

correspondant aux circonstances particulières de l’espèce, où c’est justement en raison du

comportement des Etats-Unis que les LaGrand n’ ont pu soulever la question de la notification

consulaire à un stade suffisamment précoce de la procédure pénale les concernant? Sans

m’attarder davantage sur cette évidence, il est cl air qu’il n’existait en l’espèce aucun recours que

4
CR 2000/28, p. 43, par. 3.24.
5
Cité d’après C. F. Amerasinghe, Local Remedies in International Law [Les voies de recours internes en droit
international] (Cambridge, 1990), p. 153.
6Texte reproduit in Nations Unies, document A/55/10, p. 136. - 13 -

les LaGrand pouvaient exercer et qu’ ils n’ont pas utilisé, pour reprendre la conclusion que la Cour

7
a formulée en l’affaire ELSI . M. Amerasinghe résume la situation comme suit :

«La disponibilité d’un recours supp ose non seulement que celui-ci soit
accessible pour l’individu en cause, si un tel recours existe, mais aussi qu’il soit
disponible en tant que recours possible dans le cadre précis de l’affaire dans laquelle
8
l’individu est justement mis en cause.» [Traduction du Greffe.]

Quant à la thèse du professeur Meron, qui affirme que les LaGrand n’ont pas épuisé leurs

voies de recours internes parce qu’ils n’ont pas fait valo ir leur droit, un droit dont ils n’avaient pas

été informés, je la trouve gênante, et le mot est faible. Elle revient à dire : vous n’avez pas épuisé

les voies de recours internes parce que vous n’av ez pas soulevé une question dont vous ignoriez

l’existence puisque l’autorité qui va procéder à votre exécution a violé le droit international en

omettant de vous informer. Voilà bien une déclaration extraordinaire.

III. L’A RTICLE 36 DE LA CONVENTION DE V IENNE SUR LES RELATIONS CONSULAIRES

1. Monsieur le président, permettez-moi ma intenant de parler de l’interprétation de

l’article36 de la convention de Vienne. Le dé fendeur nous a présenté à ce sujet une lecture

restrictive et inexacte de cet article. Aussi, permet tez-moi d’abord d’expliquer une fois de plus le

système de l’assistance consulaire prévu au paragraphe 1 de l’article 36. Ensuite, je montrerai que

les droits visés au paragraphe 1 de l’article 36 so nt des droits de l’individu et des droits de

l’homme. Enfin, je parlerai de la violation de l’article 36 qui est imputable à l’application de règles

du droit interne des Etats-Unis d’Amérique qui ne donnent pas leur plein effet aux droits visés au

paragraphe 1 de l’article 36.

2. Le conseil des Etats-Unis d’Amérique voudrait vous convaincre que l’article36 ne

constitue pas un système cohérent et complet. Pour les Etats-Unis, cet article est plutôt un

agglomérat de droits isolés sans relation entr e eux et sans aucune pertinence aux fins des

procédures pénales. Cette description sous-estime non seulement les auteurs de la convention mais

aussi le résultat de leur travail. En réalité, tant le droit pour un ressortissant étranger de

communiquer avec son poste consulaire que le dr oit à une assistance consulaire dans le cadre

d’actions judiciaires, pénales notamment, sont prévus à l’article 36.

7
Affaire de l’Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI), C.I.J. Recueil 1989, p. 47.
8C. F. Amerasinghe, op. cit., p. 154. - 14 -

3. Cet article 36 met en place un régime cohére nt dont l’efficacité est justement garantie par

la nécessité d’informer le prévenu de son droit à la notification de son consulat. Les droits en

question concernent non seulement le consul ou l’Etat d’envoi mais avant tout l’étranger lui-même.

Premièrement, l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 36 pr évoit non seulement que les agents

consulaires puissent se mettre en rapport avec leurs ressortissants mais aussi la réciproque. L’ordre

de ces deux phrases est certainement moins important que le contenu des droits visés par cet alinéa.

Deuxièmement, l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 ne couvre pas uniquement les

arrestations mais aussi la détention préventive [en attente du procès]. Mardi, M. Trechsel a affirmé

que l’application de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 à la mise en détention préventive et

au procès de ressortissants étrangers équivaudr ait à faire bénéficier un prévenu arrêté d’un

«traitement préférentiel» par rapport à un suspect en liberté 9. Cette affirmation revient à interpréter

cet alinéa à l’envers. La situation d’une personne en liberté est-elle réellement plus mauvaise que

celle d’une personne en état d’arrestation? Alor s qu’un détenu est incapable de bénéficier d’un

soutien extérieur sans l’aide de représentants de l’Etat, celui qui est en liberté a tous les moyens de

préparer sa défense et de se mettre en rappor t avec qui il veut. Troisièmement, l’alinéa c) du

paragraphe 1 de l’article 36 traite explicitement des modalités de la représentation en justice. Le

conseil des Etats-Unis d’Amérique a déclaré que n’importe quel type de représentation en justice

serait conforme au sens et à l’objet de cet alinéa 10. Cette façon de voir non seulement ne tient pas

compte du caractère «approprié» de la représenta tion en justice pourtant expressément prescrit à

l’alinéa i) de l’article 5 de la convention de Vie nne sur les relations consul aires, mais permettrait

aussi à n’importe quel Etat de se soustraire à ce tte disposition en désignant un défenseur conforme

à ses vŒux mais pas forcément à ceux du préve nu. Je suis convaincu que Mme Brown, qui

pratique à un haut niveau la convention de Vie nne, n’accepterait pas une telle disposition si elle

était appliquée par l’Allemagne à l’encontre d’un citoyen des Etats-Unis d’Amérique. Là encore,

la lecture extrêmement restrictive proposée par le défendeur vide les droits énoncés à l’article 36 de

l’essentiel de leur sens pratique. Quatrièmement, la thèse des Etats-Unis ne tient pas compte de la

structure de l’article36. D’un côté, l’article 36 donne au détenu le droit d’être informé de ses

9
CR 2000/29, par. 6.45.
10CR 2000/28, par. 4.25. - 15 -

droits. De l’autre, il donne au consulat le droit de porter assistance à ses ressortissants. Pour que

l’étranger puisse à tout moment exercer son droit à communiquer, on doit absolument, car c’est

essentiel, informer l’étranger de ses droits. Ce n’ est que s’il est informé qu’il peut demander la

notification de son consulat et, par la suite, bénéficier de la liberté qui lui est ainsi donnée de

communiquer et de se mettre en rapport avec lui. Ce n’est que dans l’optique de cette corrélation

systématique que les droits visés à l’article 36 pr ennent tout leur sens et toute leur efficacité,

comme le demande expressément le paragraphe 2 de l’article 36.

4. M. Trechsel et Mme Brown ont préte ndu que l’interprétation donnée par l’Allemagne

selon laquelle l’article 36 confère des droits à l’in dividu était contraire au droit qu’a l’Etat de

refuser d’entrer en communication avec ses ressortissants. Mais cet argument revient à confondre

le droit de l’individu envers l’ Etat de résidence et celui d’un ressortissant envers son propre Etat.

Alors que le premier relève du droit internationa l, le second se rapporte au droit interne. La

législation allemande prévoit par exemple que les ressortissants allemands ont le droit de bénéficier

de l’assistance de leur consulat.

5. J’aimerais maintenant revenir à la critique que M. Trechsel a faite de la dimension «droits

de l’homme» de l’article 36. Pour commencer, je connais plus que par cŒur, pour ne pas dire que

j’en suis fatigué, ces arguments qui font état d’une prétendue «inflation des droits de l’homme», et

cela non seulement en raison de mes travaux univ ersitaires, mais aussi de mes dix années

d’expérience en tant que membre du comité d es droits économiques, sociaux et culturels de

l’Organisation des Nations Unies, car ce sont ces dro its qui sont généralement au centre de ce type

de débat. Quand on avance un tel argument, c’est en général pour écarter du bénéfice des droits de

l’homme des candidats indésirables en s’appu yant sur ce que j’appellerais une conception

«fondamentaliste » ― ou fondamentaliste à l’occidentale ― de ces droits. Sur un plan plus

personnel, cela m’attriste d’entendre un éminent ju riste spécialiste des droits de l’homme dans une

région du monde où la peine de mort a été abolie et où ne pourrait se produire une situation comme

celle dans laquelle les frères LaGrand se sont trouv és enfermés, tenter de démolir l’avis juridique

émanant d’une cour des droits de l’homme da ns une autre région du monde où la question est

particulièrement sensible. Je vais être franc : pour moi, il s’agit d’une tentative, de la part de nos

adversaires, d’apaiser la conscience de la Cour en donnant à entendre qu’il est tout à fait possible - 16 -

de rejeter l’avis de la Cour interaméricain e quant aux dimensions «droits de l’homme» de

l‘article 36 sans courir le risque de paraître être opposé à ces droits en général. Je n’ai rien contre

les droits de l’homme: certains de mes compa gnons les plus familiers, les droits visés par la

convention européenne, appartiennent à cette catégorie.

6. Pour revenir à la conception «fondamentalis te» que M. Trechsel a des droits de l’homme,

son côté abstrait, même distant, purement natu raliste, prive ces droits de leur caractéristique

essentielle, à savoir qu’ils s’appliquent à des individus de chair et d’os dans la vie de tous les jours.

Dans ce sens, un examen plus attentif du droit contemporain relatif aux droits de l’homme montrera

que, dans bien des cas, ces droits s’appliquent à des groupes qui ont besoin d’une protection

particulière tels que les trava illeurs migrants, les personnes âgées, les femmes, les enfants ou les

habitants des pays en développement. M. Tr echsel veut-il vraiment donner à entendre que ces

droits ne sont pas des «droits de l’homme» au sens propre? Si l’Organisation des NationsUnies

s’était appuyée sur cette conception pour le trav ail normatif auquel elle s’est attelée dans le

domaine des droits de l’homme, elle n’aurait abouti à rien.

7. Pour ce qui concerne les droits des étrange rs, nous connaissons tous l’adage qui nous dit

que tout être humain est un étranger, presque part out — sauf bien sûr dans son propre pays. C’est

ainsi que la quasi-totalité d’entre nous dans ce pr étoire et, à une exception près, tous les juges qui

siègent ici sont des étrangers bénéficiant de l’ hospitalité des Pays-Bas. Et là encore, cette

conception absolutiste s’avère fondamentalemen t viciée et irréaliste. Aussi, l’Allemagne

propose-t-elle que nous examinions le droit en vigu eur, en particulier le texte de l’article 36, pour

déterminer s’il donne naissance à des droits de l’i ndividu ou des droits de l’Etat. Incidemment, la

distinction entre les relations «interétatiques» et les droits de l’homme ne correspond pas au stade

actuel où se situent le droit international et le dro it international relatif aux droits de l’homme. En

fait, aujourd’hui, les droits de l’homme sont consacrés par des conventions entre Etats et font partie

intégrante des relations internationales.

8. Comme nous l’avons démontré tant dans nos écritures que dans nos plaidoiries, quand on

interprète l’article 36 en tenant compte de la s ituation actuelle, suivant une interprétation moderne,

on voit clairement que cet article confère bien des dr oits à l’individu. En fait, comme le montrent

les travaux préparatoires, l’intention des auteurs n’était pas d’imposer à l’étranger une assistance - 17 -

consulaire mais de permettre à celu i-ci de bénéficier d’une telle assistance si telle était sa volonté,

ce qui veut dire que ce sont les droits de l’indivi du qui sont en jeu et non, du moins pas au premier

chef, ceux de l’Etat. En fait, les termes choisi s par les conseils des Etats-Unis d’Amérique

montrent qu’eux aussi n’ont pu évoquer les dro its visés à l’article 36 sans se référer aux droits

individuels des ressortissants étrangers. Ainsi, Mme Brown elle-même a parlé des droits visés au

paragraphe1, … notamment du droit de l’agent c onsulaire et du ressortissant étranger d’entrer en

communication et en rapport… et «du droit de l’ étranger à ce que son consulat soit avisé et à ce

11
que ses communications soient transmises» . Cette impossibilité même d’évoquer l’article 36 sans

évoquer les droits des étrangers est bien la preuve que cet article vise de tels droits, du moins si l’on

s’en tient au texte de la convention et non si l’ on se réfère à une conception déformée et abstraite

de ce qu’il faut entendre par droits de l’individu et droits de l’homme. Est-ce que les Etats-Unis à

l’instar du célèbre HumptyDumpty sont autorisés à donner des «droits» une définition différente

de celle qu’en donne le reste du monde ?

9. La dimension «droits de l’homme» de l’article 36 était loin d’être étrangère à ceux qui ont

rédigé la convention il y a environ quarante ans. Comme nous l’avons montré dans notre mémoire,

les travaux préparatoires abondent en références à la relation entre les droits de l’homme et le droit

à la notification consulaire. Pour ne citer qu’un exemple, M. Spyridakis, représentant de la Grèce à

la conférence de Vienne de 1963, a dit: «La Conférence respecte aussi la tendance actuelle à

favoriser et à protéger les droits de l’homme, ce qui lui vaudra la reconnaissance des générations

futures» 12. J’aimerais dire à ce stade que, par ce que j’appellerais un heureux hasard, les équipes de

juristes de l’Allemagne et des Etats-Unis d’Amérique ont été logées au même hôtel, ce qui m’a

donné ce matin l’occasion de m’entretenir avec Mm e Brown du sens du mot «théoricien» qu’elle a

utilisé dans son exposé. Je m’apprêtais en effet à faire une petite remarque à ce sujet, indiquant par

exemple qu’à ma connaissance, M. Spyridakis n’ avait pas été un simple théoricien. Mais

MmeBrown a précisé le sens de ce terme d’une façon si charmante et si désarmante que je

m’abstiendrai de faire ces remarques, sous réserve peut-être d’une petite exception, plus tard.

11
CR 2000/28, par. 4.24.
12Nations Unies, Documents officiels de la Conférence des Na tions Unies sur les relations consulaires , vol. 1,
document des Nations Unies A/CONF.25/16, p. 366, par. 13. - 18 -

10. Pour en revenir à ma thèse sur les droits de l’homme, cette dimension de l’article 36 n’est

pas une sorte de demande «inventée» par l’ Allemagne mais l’expression d’une évolution

qu’avaient déjà prise en compte les négociateurs de la conventi on de Vienne. L’Allemagne ne

partage pas l’attitude méprisante du conseil du dé fendeur à l’égard de l’Assemblée générale de

l’Organisation des Nations Unies et de la Cour inte raméricaine des droits de l’homme. Il est vrai,

et l’Allemagne n’a jamais donné à penser le contra ire, que la déclaration de 1985 de l’Organisation

des NationsUnies sur les droits des personnes qui ne possèdent pas la nationalité du pays dans

lequel elles vivent ne mentionne pas expressément les droits visés à l’alinéa b) du paragraphe 1 de

l’article 36. Mais, compte tenu du grand nombre de pays qui ont ratifié et qui appliquent la

convention sur les relations consulaires, il me paraît évident qu’en évoquant le droit de se mettre en

rapport avec son consulat «à tout moment», c’est-à-dire aussi en cas d’arrestation ou de mise en

détention, l’Assemblée générale se référait à la gamme complète des droits visés à l’article 36 et

non pas seulement à l’alinéa a) du paragraphe1. Il n’était to ut simplement pas nécessaire de

redéfinir tous ces droits en détail puisqu’ils avaient déjà été reconnus vingt-deux ans auparavant par

la convention de Vienne. Toutefois, la décl aration de l’Assemblée générale précise que nous

sommes ici en présence de droits de la personne humaine garantis à des étrangers et nous

partageons bien sûr l’idée exprimée par la Cour dans son avis consultatif sur la Licéité de la

menace ou de l’emploi d’armes nucléaires , à savoir que les résolutions de l’Assemblée générale

«peuvent … fournir des éléments de preuve im portants pour établir l’existence d’une règle ou

l’émergence d’une opinio juris » 13. Cela est d’autant plus vrai d’une déclaration solennelle de

l’Assemblée générale qui a été adoptée par consensus.

11. Comme je l’ai déjà laissé entendre, il est étrange que M. Trechsel ait invoqué la

jurisprudence de la Cour europée nne dans une affaire qui concerne le respect de droits individuels

aux Etats-Unis d’Amérique. Cette déférence mani festée à la Cour européenne est en contraste

frappant avec son rejet catégorique de l’avis consultatif de la Cour interaméricaine des droits de

l’homme. Une étude approfondie des arrêts de St rasbourg dont M. Trechsel a fait un véritable tir

de barrage montrerait qu’aucun d’en tre eux n’est de loin aussi pertinent pour l’affaire qui nous

13Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nuléaires, avis consultati f, C.I.J. Recueil 1996 , p, 254-255,
par.79. Voir aussi Tribunal pénal pour l’ex-YougoslaviProcureur c. Furundzija , arrêt du 10 décembre 1998, cas
n IT-9517/1-T (1998), dans International Legal Materials (1999), p. 317. par. 160. - 19 -

occupe, Monsieur le président, que l’avis consultatif de la Cour interaméricaine. Mais, pour des

raisons bien compréhensibles, cet avis n’est pas défendu par les Etats-Unis d’Amérique. Une

approche aussi sélective de la question des droits de l’homme paraît particulièrement déplacée

devant cette Cour dont la juridiction est véri tablement mondiale. Je ne répéterai pas les

nombreuses citations extraites de l’avis de la Cour interaméri caine que nous avons présentées.

Nous sommes certains que la Cour aura de l’imp act de la jurisprudence des cours régionales des

droits de l’homme sur la présen te instance une vue plus équilib rée que celle que présente notre

défendeur. Dans la résolution qu’elle a récemment adoptée sur la question de la peine de mort, la

Commission des droits de l’homme de l’Organisation des NationsUnies, qui est l’organe

véritablement universel dans ce domaine, prie instamment :

«tous les Etats qui maintiennent la peine de mort … d’observer les garanties pour la
protection des droits des personnes passibles de la peine de mort et de satisfaire
intégralement à leurs obligations internati onales, en particulier celles qu’elles ont
contractées en vertu de la convention de Vienne» 1.

12. La nature des garanties prévues au paragra phe1 de l’article36 éclaire aussi le sens du

paragraphe 2 dans la mesure où ce tte disposition requiert que les lois et règlements internes soient

conformes aux droits énoncés au paragraphe 1. Aucun spécialiste digne de ce nom de la question

des droits de l’homme n’accepterait l’idée qu’il soit possible de donner effet à ces droits sans

prévoir de recours au cas où ils seraient violés. Ce n’est qu’à cette condition que l’individu peut

bénéficier de ses droits et non pas être à la merci des autorités étatiques.

13. Comme nous l’avons longuement expliqué lundi, l’impact du paragraphe 2 de l’article 36

sur l’affaire actuelle est double: premièrement, il a pparaît que le droit interne entre bien dans le

domaine d’application des droits visés au paragra phe1 et leur est subor donné. Deuxièmement, il

est clairement indiqué que les droits visés au paragraphe 1 doivent être effectivement appliqués par

le droit interne. Il est compréhensible que M.Mathias cherche à contrer l’argument de

l’Allemagne sur la clause conditionnelle en nous re nvoyant à la première pa rtie de l’article36.

Mais même s’il est rappelé au dé but du paragraphe 2 que le droit interne s’applique, la règle qu il

est demandé au droit interne de pratiquer à cet ég ard est de garantir l’effectivité des éléments du

droit international contenus dans l’article36, c’ est-à-dire des droits accordés aux étrangers. Pour

14
Document des Nations Unies E/2000/23-E/CN.4/2000/167, p. 278. - 20 -

l’Allemagne, cela signifie clairement que le préjudice causé à l’accusé par la violation de ses droits

doit pouvoir être réparé au niveau interne. Sin on, l’information consulaire ne serait pas un droit

effectif comme le requiert le paragraphe 1 de l’article 36 mais resterait subordonnée au bon vouloir

de l’Etat de résidence.

14. Cela n’a rien à voir avec l’argument des Etats-Unis d’Amérique selon lequel l’article 36

ne traite pas spécifiquement des moyens de dé fense dans les affaires pénales. Mais cette

disposition concerne très clairement le droit des étrangers à se mettre en rapport avec leur consulat

et à l’informer ainsi que la mise en Œuvre effectiv e de ces droits par le biais du droit interne. Il

s’agit là de critères internes visés par la dispositio n et non d’une série d’éléments du droit interne

couverts par la disposition. Formulant au suje t des travaux préparatoires une remarque peu

théorique ―MmeBrown, c’est là ce qui reste de mon intention première ― peu théorique donc

parce que non étayée de références, le conseil des Etats-Unis d’Amérique a parlé du malaise

considérable qu’avaient éprouvé les délégations parce que les changements étudiés concernaient

des individus et leurs droits. Pour ma part, cont rairement au conseil des Etats-Unis d’Amérique, je

ne prétends pas pouvoir lire dans les pensées des dé légations réunies il y a quarante ans; cela m’est

tout simplement impossible.

15. L’autre jour, le conseil des Etats-Unis d’Amérique a fait valoir qu’aucun des droits

relevant du paragraphe 1 de l’artic le 36 n’avait été violé par l’appli cation de la règle de la carence

procédurale. Une telle affirmation masque simplement le fait qu’en l’absence de recours en cas de

manquement, un droit à l’information n’a plus aucun sens ni aucune efficacité, contrairement à la

demande expresse contenue dans la clause conditio nnelle du paragraphe2. De l’avis des

Etats-Unis d’Amérique, le paragraphe2 n’ajoutera it rien au paragraphe1. A ce stade, il ne me

reste plus qu’à affirmer que le demandeur et le défendeur restent profondément et fortement

opposés sur ce point.

16. Mardi, MmeBrown a dit que les praticiens ont une autre conception de l’article36.

L’accent a été mis sur l’impossibilité de respecter parfaitement toutes les dispositions de cet article.

Appliquant ce raisonnement, le conseil des Etats- Unis d’Amérique ferait-il également valoir que

les limites de vitesse fixées sur les autoroutes aux Etats-Unis d’Amérique, en Allemagne (il y a

bien des limites de vitesse sur les autoroutes a llemandes) ou en Grande-B retagne ne sont guère - 21 -

pertinentes en matière judiciaire tout simplement parce que des milliers de chauffeurs risquent tous

les jours leur vie en ne respectan t pas ces limites ? Le défendeur veut-il vraiment nous faire croire

que l’article36 correspond à une sorte de droit à l’état naissant o"soft law", sans grand intérêt

pour la personne qui est placée en détention? Permettez-moi d’être clair sur ce point: la

convention de Vienne a été acceptée par la grande majorité des Etats et elle constitue une pièce

solide du droit international en vigueur. Les st atistiques relatives au respect d’une obligation,

d’une part, et, de l’autre, le contenu et l’essence de cette obligation sont deux choses bien

différentes. Dans tout ce qu’elle a plaidé, l’Allemagne ne demande rien de plus que le respect de la

convention de Vienne ou du moins la mise en place d’un régime qui ne permette pas la violation

automatique et répétée de la convention, avec, pour seule interruption, les excuses du

Gouvernement des Etats-Unis.

17. Monsieur le président, puis-je vous prier à présent de demander à M. Kaul d’expliquer la

pratique des Etats en ce qui concerne la mise en Œu vre de l’article 36, en particulier la pratique de

l’Allemagne. Merci, Monsieur le président.

The PRESIDENT: Thank you, Professor. I now give the floor to Mr. Kaul.

Mr. KAUL : Thank you, Mr. President.

IV.L A PRATIQUE DES E TATS EN CE QUI A TRAIT A L ARTICLE 36
DE LA CONVENTION DE V IENNE

1. Monsieur le président, l’Allemagne va maintenant exposer une fois encore les raisons pour

lesquelles la pratique des Etats ne saurait appuyer ni justifier le comportement des Etats-Unis dans

le cas des frères LaGrand et elle démontrera aussi que cette pratique ne saurait conforter

l’interprétation restrictive et inexacte que le défe ndeur donne de l’article 36 de la convention de

Vienne.

Permettez-moi de signaler en passant que ce n’est pas en tant que théoricien mais en tant que

praticien du droit consulaire ayant exercé des fonctions consulaires auprès des ambassades

d’Allemagne à Oslo, à TelAviv et aussi à Wash ington que je formule ces observations sur la

pratique des Etats. - 22 -

2. MmeBrown s’est risquée mardi à faire de vant la Cour une déclaration tout à fait

catégorique et de portée considérable au sujet de la pratique des Etats. Elle a dit: «[L]a pratique

suivie par les Etats parties à la convention de Vienne sur les relations consulaires, qui sont

[actuellement] plus de centsoixante-cinq, apporte un appui écrasant à notre position». Voilà

manifestement qui reprend, mais avec beaucoup d’ insistance, la thèse subsidiaire énoncée dans le

contre-mémoire, selon laquelle «[l]a pratique des Etats, y compris celle de l’Allemagne, contredit

15
les prétentions de celle-ci» . MmeBrown a également jugé utile d’indiquer ⎯ à tort ⎯ que

l’Allemagne n’a pas contesté hier le point de vue des Etats-Unis et que «[l]’Allemagne sembl[e]

disposée à admettre l’observation».

3. Point n’est besoin de dire que cela est tout simplement faux. Mais avant de démontrer à

nouveau que les considérations fondées sur la pratique des Etats ne sauraient appuyer ni justifier la

position des Etats-Unis en l’espèce, permettez-moi de formuler une remarque générale: ce qui

nous réunit ici ce n’est pas un séminaire sur la pratique des Etats relative à la convention de Vienne

sur les relations consulaires. Il nous faut ab solument concentrer notre attention sur les faits

fondamentaux et les principes juridiques déterminants dans le cas concret des frères LaGrand dont

la Cour est saisie. Cette affaire concerne un différend non résolu entre les Etats-Unis et

l’Allemagne découlant de l’application de la c onvention de Vienne, alors que le défendeur a de

nouveau choisi délibérément en l’espèce de faire fi d’une violation grave et continue du droit à

l’assistance consulaire avant de mettre à mort deux ressortissants allemands. Dans le cas de

M. Breard, des frères LaGrand, de M. Faulder et de M. Flores, exécuté il y a à peine une semaine,

la pratique étatique du défendeur semble être cel le-ci dans les faits: «Violons l’article36, ne

tenons pas compte de cette violation dans l’ action publique, refusons d’en examiner les

conséquences sur la condamnation à mort, pro cédons à l’exécution et présentons nos excuses

comme d’habitude.»

La question concrète dont la Cour est saisi e est de savoir si une telle pratique est

effectivement conforme à la c onvention de Vienne, si elle satisfait à l’obligation expresse de

donner plein effet aux droits reconnus en vertu de l’article 36 et si «l a pratique suivie par les Etats

15
Contre-mémoire, note de bas de page, par. 91-94. - 23 -

parties à la convention de Vienne sur les relations consulaires, qui sont [actuellement] plus de

cent soixante-cinq, apporte [vraiment] un appui écrasant à cette manière de voir.

4. Devant les considérations partiales et fall acieuses que les Etats-Unis développent au sujet

de la pratique des Etats, nous avons été tent és dans un premier temps de réagir en disant: «si

tacuisses philosophus mansisses». L’Allemagne, Monsieur le président, juge nécessaire de mettre

un peu d’ordre dans ce pot-pourri de considér ations où l’on trouve tout et son contraire, ⎯ où la

pratique des Etats se trouve ramenée à la notion de pratique consulaire, ⎯ où l’on n’opère pas la

distinction qui s’impose entre les affaires mineur es et les affaires graves, entre les pratiques

consulaire, judiciaire et législative des Etats, ⎯ où cette pratique est exposée de manière partiale et

sélective et où le défendeur ⎯ surtout ⎯ passe de nouveau cavalièrement sous silence le fait qu’il

n’existe tout simplement pas de pratique des Etats s’agissant de la question ⎯ capitale ⎯ qui se

pose en l’espèce, c’est-à-dire celle de savoir si une condamnation à mort entachée d’une violation

grave du droit à l’assistance consulaire devrait ou non donner ouverture à un recours quelconque.

Nous savons évidemment que l’ordonnance rendue le 9 octobre 1998 par la Cour dans le cas

de M.Breard et l’avis consultatif de la Cour interaméricaine des dro its de l’homme portent

expressément sur ces questions et que ces décisions sont la seule jurisprudence sur ce point précis

dont disposent les tribunaux internationaux à ce jour.

5. Monsieur le président, les Etats-Unis ont de façon générale ra ison d’affirmer que la

plupart des Etats semblent avoir pour usage, dans le ur pratique consulaire au sens propre et étroit

de cette expression, de procéder à une enquête, de présenter leurs excuses le cas échéant et de

s’engager à mieux respecter l’article 36 lorsqu’un gouvernement reproche à un autre d’avoir violé

cette disposition. L’Allemagne a aussi indiqué mardi que la plupart des violations de l’article 36 se

produisent dans des affaires d’importance mineure. L’Allemagne ne conteste pas pour sa part que

la pratique consistant à procéd er à une enquête et à présente r des excuses pui sse demeurer la

solution appropriée dans la majorité de ces cas.

6. Mais, Monsieur le président, cela justif ie-t-il dans le cas concret des frèresLaGrand

soumis à la Cour l’affirmation ⎯ d’ailleurs incroyable ⎯ selon laquelle «la pratique suivie par les

Etats parties à la convention de Vienne sur les relations consulaires, qui sont plus de

cent soixante-cinq, apporte un appui écrasant» à la position des Etats-Unis ? L’Allemagne estime - 24 -

qu’il faut ici faire preuve de pl us de rigueur. L’affirmation de s Etats-Unis ne serait selon nous

exacte que si la réponse donnée aux deux questions précises qui suivent était nettement positive :

⎯ En premier lieu, est-ce que la pratique des Etats, l’expression englobant leur pratique judiciaire

et législative, appuie la thèse des Etats-Unis pour qui il n’y a pas lieu de tenir compte des

violations de la convention de Vienne dans des procédur es pénales internes? Et les

condamnations entachées d’une telle viola tion ne peuvent-elles pas donner ouverture à un

recours quelconque visant à en apprécier les conséquences ?

⎯ En second lieu et de manière plus spécifique: la pratique des Etats conforte-t-elle la thèse

défendue par les Etats-Unis qui est qu’il n’y a p as lieu de tenir compte des violations de la

convention de Vienne lorsqu’il s’agit de pronon cer et d’exécuter une condamnation à mort?

Et une condamnation à mort entachée d’une vi olation du droit à l’assistance consulaire ne

peut-elle et ne saurait-elle pas donner ouverture à un recours quelconque ?

Point n’est besoin de dire, Monsieur le président, que la réponse que nous donnons, quant à nous, à

ces deux questions est un «non» très catégorique.

7. En ce qui concerne la première question: la pratique judiciaire intéressant les cas où un

ressortissant étranger n’est pas informé de son droit à bénéficier de l’assistance consulaire est

pauvre et ne permet guère de tirer des conclusions . Par exemple, une affaire jugée en Australie,

l’affaire Abbrederis, ne porte que sur la recevabilité d’élémen ts de preuve, et non sur le défaut de

notification consulaire pendant tout le procès 16. Dans une affaire jugée en Italie, l’affaire Yater, la

Cour de cassation a refusé de se fonder sur la violation de l’article36 pour casser une décision

pénale. Or dans cette affaire, l’accusé avait été représenté par l’avocat de son propre choix et non

17
par un avocat commis d’office et il n’était év idemment pas question d’une condamnation à mort .

En revanche, deux affaires jugées par la Crow n Court en Grande-Bretagne semblent indiquer

qu’une violation de l’article 36 peut effectivemen t entraîner la cassation d’une décision fondée sur

des éléments de preuve sujets à caution du fait de cette violation 18. La cour d’appel du 9 e circuit

16
Australian Law Reports, vol. 110, p. 123.
17International Law Reports, vol. 77, p. 541.

18R. v. Van Axeland Wezwer (décision du 31 mai 1991 de M. Sich, juge, Crown Court de Snaresbrook, reproduite
dans Legal Action, 12 septembre 1991; R. v. Bassil and Mouffareg (décision du 28 juillet 1990 de M. Sich, juge, Crown
Court d’Acton, reproduite dans Legal Action, 23 décembre 1990. - 25 -

aux Etats-Unis a décidé, à l’issue de son exam en de dispositions de procédure administrative

américaine ressemblant à l’article36, qu’une vi olation de ces dispositions exige dans certains cas

qu’il y ait un nouveau procès, mais il semble que les tribunaux internes des Etats-Unis estiment

actuellement que de telles violations sont sans effet sur la procédure pénale . 19

8. Mardi, M. Trechsel a rassemblé un arsenal im pressionnant de décisions internationales. Il

a toutefois brossé un tableau plutôt incomplet, voi re totalement fallacieux, de droit comparé en

matière de procédure pénale. Au lieu d’examiner tel ou tel cas où l’article36 est expressément

mentionné dans la doctrine, il aurait plutôt dû examiner, d’une part, les règles des codes de

procédure et ce que celles-ci disent au sujet d’éventuels griefs tirés de la violation de l’article 36 et,

d’autre part, l’application concrète de cette disposition dans les systèmes de justice pénale.

9. Contrairement à ce qui a été dit à la Cour mardi, la plupart des systèmes nationaux ouvrent

des recours dans leur procédure pénale en cas de violation de l’article 36. Il se peut certes que ces

recours n’aient pas été institués dans le seul but de réparer des violations de la convention sur les

relations consulaires. Mais pe rsonne n’a jamais exigé un recours aussi extraordinaire. Que l’on

puisse exercer un recours quelconque par les voies ordina ires de l’appel est parfaitement suffisant.

Et ce indépendamment du fait que, bien entendu, l’appel peut en fin de compte être rejeté en raison

des circonstances de l’affaire.

Le point capital cependant est tout simplement celui-ci : les appelants ne doivent pas se voir

automatiquement privés du droit de soulever ce moyen en appel uniquement parce qu’il n’a pas été

invoqué en première instance. Cette règle est d’ ailleurs propre aux Etats-Unis. D’autres pays ont

incorporé directement l’article 36 à leur code de procédure pénale 20⎯ par exemple l’Espagne et la

République tchèque ⎯ ou bien encore reconnaissent que cet te disposition ouvre, en principe du

moins, droit à l’exercice d’un recours en appel.

10. S’agissant de la pratique de l’Allemagne, les conseils des Etats-Unis se sont de nouveau

attachés à donner l’impression que l’Allemagne ne serait pas elle-même en mesure de faire ce

qu’elle demande aux Etats-Unis dans sa quatrième conclusion. Au ssi permettez-moi d’invoquer le

19Cf. United States v. Rangel-Gonzalez, 617 F.2d 529 (9 circuit 1980); United States v. Calderon-Medina,
e
591 F.2d 529 (9 circuit 1979) et United States v. Lombera-Camorlinga, contre-mémoire, annexe 9.
20Voir art. 70 du code de procédure pénale tchèque; art. 520, al. 2 d) du code de procédure pénale espagnol. - 26 -

droit allemand pour vous démontrer que le dr oit de procédure pénale allemand autorise

effectivement le contrôle des décisions qui, pour reprendre les termes de la quatrième conclusion,

sont «entachées» d’une violation de l’article 36.

11. En premier lieu, s’agissant de la mesure de réparation que constitue la cassation de la

décision, la cour constitutionne lle allemande, dans son arrêt Pakelli fondé sur la convention

européenne des droits de l’homme, a laissé en suspen s la question de savoir si le principe juridique

international de la restitutio in integrum peut entraîner la cassation de jugements de tribunaux

allemands. L’Allemagne a d’ailleurs adopté en juillet 1998 une disposition prévoyant la possibilité

d’infirmer une décision dans le cas où la Cour eu ropéenne des droits de l’homme conclut à une

violation de la convention européenne des droits de l’homme. Dans ce même arrêt, la cour

constitutionnelle allemande a toutefois précisé que, si le droit international l’exigeait, les tribunaux

allemands pourraient infirmer une décision judiciai re tout comme n’importe quel autre acte public.

Partant, l’affirmation des Etats-Unis selon laquelle le droit allemand ne prévoit pas la possibilité

d’infirmer des décisions judiciaires si le droit international l’exig e est de nouveau tout simplement

erronée.

12. Le droit de procédure pénale allemand pr évoit quant à lui trois voies pour soulever en

appel une erreur de droit qui n’est pas réparée lors du procès: la Berufung, la Revision et la

Wiederaufnahme. Dans les affaires de meurtre, le recours exercé serait celui de Revision devant la

cour fédérale de justice. La Revision est un appel sur des points de droit uniquement.

Permettez-moi de mentionner en passant que les tribunaux allemands n’ont pas encore été appelés à

se prononcer dans une af faire concrète de Revision sur une violation de l’article36. Mais la

doctrine est claire : pour être accueilli, ce recours doit satisfaire à trois critères.

i) Il faut qu’il y ait violation de «la loi» selon l’article337 du code de procédure pénale

allemand. Le terme «loi» inclut ici aussi le droit coutumier international et les traités

internationaux comme la convention de Vie nne, et ce sans qu’il soit besoin d’une loi

d’application 21.

21Voir Kleinknecht/Meyer-Go βner, StPO, 44 eéd., art. 337, MN 2, Karlsruher Kommentar zur
Strafprozeβordnung, 3 éd., par. 337, MN 8. - 27 -

ii) Il faut que le jugement soit fondé sur la vi olation de la loi. Cette condition est analogue à

celle du préjudice appliquée par les tribuna ux des Etats-Unis. Avec toutefois une

importante différence: selon la jurisprudence allemande, il n’est pas nécessaire de

prouver le lien de causalité! Selon la jurisp rudence constante de la cour fédérale de

justice, il suffit de démontrer qu’il ne saurait être exclu que la décision du tribunal aurait

pu être différente si la loi avait été régu lièrement appliquée. Si vous examinez

attentivement notre quatrième conclusion, vous remarquerez qu’elle se borne à demander

le réexamen des décisions «entachées» d’une violation de l’article 36.

iii) Il faut que l’accusé n’ait pas été déchu de son droit d’interjeter l’appel.

13. Le droit allemand, selon l’interprétation qu’en donnent les tribunaux, ne connaît pas de

dispositions analogues à la règle dite de la «caren ce procédurale». La démarche en Allemagne est

différente. L’accusé ne peut être forclos à invoquer que des moyens d’appel précis. Il peut tout

d’abord être déchu de son droit de soulever une erreur de droit en appel s’il est représenté par un

avocat et s’il ne s’oppose pas en bonne et due forme à une décision prise par le tribunal en cours

d’instance (article238, par.2 du code de procé dure civile allemand (StPO)). Ce point est sans

intérêt cependant dans la situation qui nous occ upe. L’accusé peut ensuite être considéré comme

ayant renoncé à son droit de soulever un moyen d’ appel donné si son avocat ne conteste pas la

recevabilité de déclarations obtenues illégalement avant le procès. Il ne peut toutefois y avoir

renonciation si le juge était tenu d’informer l’accusé de ses droits, y compris de celui qu’il tient de

l’article 36.

14. Les conseils des Etats-Unis ont affirmé que la doctrine allemande était muette à ce sujet,

or c’est le contraire qui est vrai. Tous les ouvrages allemands sur la procédure pénale mettent

l’accent sur l’obligation qui découle de l’article36 de la convention de Vienne sur les relations

22
consulaires . Citons le commentaire dit de Karlsruhe qu’invoque M.Trechsel: «En cas

d’arrestation d’un étranger, le consulat de s on pays d’origine doit être averti sans retard si

23
l’intéressé en fait la demande après avoir été obligatoirement informé de son droit» .

22Voir Kleinknecht/Meyer-Goβner, Strafprozeβordnung, 44 éd., art. 114 b), MN4 et 9, Karlsruher Kommentar
zur Strafprozeβordnung, 3 éd., art. 114 b), MN 10; Löwe/Rosenberg, Strafprozeβordnung, 31 éd., art. 114.

23Karlsruher Kommentar zur Strafprozeβordonung, 3 éd., art. 114 b), MN 10. - 28 -

15. La pratique allemande est conforme a ux exigences du code de procédure pénale à cet

égard. Le point135 des directives applicables (Richtlinien für den Verkerhr mit dem Ausland in

strafrechtlichen Angelegenheiten ― RiVASt) est très clair à ce sujet. Il est d’office remis aux

détenus un formulaire ― le voici ― les informant des droits que leur confère l’article36. Ce

formulaire a été traduit en vingt et une langues. P our aider le juge dans l’exercice de ses fonctions,

les autorités allemandes ont établi ce formulaire qui énumère tous les actes à accomplir lors de la

première audition de l’accusé. Une section spéciale est réservée au cas de la détention d’un

étranger, section que doit remplir le juge décer nant un mandat d’arrêt. Le juge doit cocher

plusieurs cases en indiquant notamment s’il a informé l’accusé des droits que lui reconnaît

l’article 36 et si le détenu exige d’avertir ou non le consulat de son pays d’origine. L’emploi de ce

formulaire ne saurait évidemment pas exclure l’erre ur humaine. Mais il démontre bel et bien que

l’article 36 est applicable en matière pénale et que les juges et responsables de l’application des lois

en Allemagne s’y conforment dans l’exercice habituel de leurs fonctions.

16. En conclusion, il est raisonnable de dire que, même s’il va de soi que la violation de

l’article 36 de la convention «ne peut en aucun cas amener à la nullité au tomatique du jugement»,

proposition que M.Trechsel a tenu à nous asséner, il existe incontestablement des moyens de

contester la décision d’un tribunal dans un procès où l’accusé n’a pas été informé des droits qu’il

tient de l’article 36 de la convention. Et surt out, l’accusé n’est pas forclos à soulever ce moyen en

appel du seul fait qu’il ne l’a pas invoqué en prem ière instance. Partant, la loi allemande est

parfaitement en mesure de satisfaire aux exigences de l’article 36 telles que l’Allemagne les énonce

dans sa quatrième conclusion.

17. Monsieur le président, quant à la question de savoir si la pratique des Etats conforte la

thèse des Etats-Unis pour qui les violations de la convention de Vienne n’entrent pas en ligne de

compte dans les cas où il s’agit d’infliger ou d’exécuter une condamnation à mort, la réponse est

encore plus évidente. Si vous examinez la pratique des Etats dans le monde entier, aucun autre Etat

dans le monde n’affirme actuelle ment, pour autant que nous sachions, que les violations du droit à

l’assistance consulaire n’entrent pas en ligne de co mpte dans les affaires de condamnation à mort.

Aucun autre Etat n’applique la règle dite de la «carence procédurale» ou toute autre règle analogue

de manière aussi constante et rigoureuse. Il n’est aucun autre Etat qui nie concrètement à la Cour - 29 -

ne serait-ce que le droit d’examiner la question de savoir, premièrement, si le fait d’infliger et

d’exécuter une condamnation à mort après violation du droit à l’assistance consulaire constitue une

application régulière de la conve ntion de Vienne et, deuxièmement, si une condamnation à mort

entachée d’une violation du droit à l’assistance consulaire devrait ou non faire l’objet d’un contrôle

juridictionnel quelconque.

18. Ce que cela signifie sur le plan pratique aujourd’hui, c’est que dans les affaires de

condamnation à mort qui sont malheureusement si fréquentes aux Etats-Unis, nous continuerons

très probablement de voir le même scénario se répéter : «Violons l’article 36, ne tenons pas compte

de cette violation dans l’acti on publique, refusons d’en exam iner les conséquences sur la

condamnation à mort, continuons d’a ppliquer la règle dite de la « carence procédurale», procédons

à l’exécution et présentons nos excuses comme d’habitude.»

Voilà donc, à notre avis, le problème fonda mental, essentiel, qui se pose au sujet de

l’application et de l’interprétation exactes de la convention de Vienne da ns le monde entier.

Comme le défendeur l’a reconnu expressément, le droit à l’assistance consulaire revêt

effectivement une importance capitale, non seulement pour les quatre millions de ressortissants

américains à l’étranger, mais aussi pour tous l es ressortissants étrangers aux Etats-Unis, dont les

ressortissants allemands.

C’est la raison pour laquelle l’Allemagne vous prie, vous qui êtes les Membres de l’organe

judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, de rendre, sur les quatre conclusions que

nous vous avons soumises, un arrêt qui nous donne la solution.

19. Monsieur le président, je vous prierai ma intenant de bien vouloir donner la parole à

M. Simma qui résumera notre position sur les mesure s de réparation que l’Allemagne sollicite. Je

vous remercie de m’avoir écouté.

The PRESIDENT: Thank you very much. I now give the floor again to Professor Bruno

Simma.

Mr. WESTDICKENBERG: Mr. President, we still need about an hour for our oral pleading

and I shall leave you to decide whether it is perhaps now already time for the coffee break or

whether we are going to continue with Professor Simma. - 30 -

The PRESIDENT: Thank you. I think that we can still hear Professor Simma and will take

a coffee break after he has spoken.

M. SIMMA: Merci, Monsieur le président, je prends comme un compliment que vous me

supportiez avant la pause café !

V. L ES GARANTIES DE NON -REPETITION

1. J’en viens à ce que dit le défendeur sur la question des assurances et garanties et, plus

concrètement, à notre conclusion n 4.o

2. Tout d’abord, je voudrais souligner une fo is encore que pour l’Allemagne, ces questions

relèvent de la compétence de la Cour. Le pr otocole de signature facultative vise les «différends

relatifs à l’interprétation ou à l’application», et ce dont vous êtes saisis en l’espèce, c’est d’un

différend relatif à des violations de la convention de Vienne; l’Allemagne fait valoir des droits qui

découlent de ces violations et réclame des Etats-Un is qu’ils réparent le préjudice moral qu’ils ont

causé et qu’ils reviennent au respect intégral de leurs obligations. Il s’agit là d’une question de

responsabilité d’Etat et par conséquent, les questions de responsabilité d’Etat évoquées par

l’Allemagne entrent clairement dans le cadre du protocole de signature facultative.

3. La thèse des Etats-Unis, à savoir que les aspects de cette affaire qui portent sur la

responsabilité relèvent du droit cout umier et ne sont donc pas couvert s par le protocole, conduirait

à des résultats absurdes. Les clauses ou les protocoles additionnels de signature facultative

concernant le règlement des différends relatifs a ux traités ne pourraient pas remplir leur rôle

puisque l’on ne pourrait pas traiter de manièr e adéquate, ni même traiter du tout, les cas

d’infraction. Il me semble que ce qui se passe ic i, c’est que l’on voit surg ir une fois encore une

version atténuée de l’idée que le régime de la convention de Vienne est autarcique, c’est-à-dire que

les seuls recours ouverts contre les infractions de vraient se trouver dans la convention elle-même.

Mais la convention de Vienne ne contient évidemment aucun moyen de recours contre des

violations de cette nature ! Puis-je également vous rappeler à cet égard l’alinéa c) du paragraphe 3

de l’article31 de la convention de Vienne sur le droit des traités, selon lequel un traité doit être

interprété à la lumière des règles pertinentes de dro it international, qui entourent le traité pour ainsi

dire, et la responsabilité des Etats entoure chaque traité. - 31 -

4. Pour en venir plus concrètement à l’assurance que l’Allemagne demande dans sa

conclusion n 4, le conseil des Etats-Unis a tenté de créer l’impression que la Commission du droit

international avait formulé son pr ojet d’article 30 à ce sujet avec beaucoup d’hésitations et que cet

article allait beaucoup plus loin que le droit existant 24. Or nous constatons en fait, au contraire, que

la proposition de la CDI a été largement acceptée. Pas un seul Etat ne s’est opposé à ce que de ce

texte soit inclus dans le projet d’articles relatif à la responsabilité des Etats. Il n’y avait pas un seul

mot de critique dans les commentaires que les Etats-Unis ont formulés au sujet du projet d’articles

adopté en première lecture en 1996. Il en va de même pour les déclarations que les Etats-Unis ont

faites lors du débat de la Sixième Commission il y a quelques jours. Certes, je ne serais pas étonné

que nous trouvions quelque chose qui ferait écho aux plaidoiries de mardi dans les commentaires

que les Etats-Unis présenteront par écrit au début de l’année prochaine, mais il faudra alors les

situer dans une certaine perspective.

5. En revanche, un bon nombre d’Etat ont bi en accueilli la proposition de la Commission du

droit international. Par exemple, selon l’Ita lie, «[q]uant aux assurances et aux garanties de

non-répétition du comportement illicite, bien qu’elles ne soient pas toujours nécessaires, elles se

25
configurent comme indispensable en de nombreuses hypothèses» . Quant à l’observation de

l’Allemagne sur le projet d’articles de 1996 26sur lequel le conseil des Etats-Unis a appelé notre

attention, voyons ce texte :

«Il existe … un doute quant à la question de savoir si l’Etat lésé a, en vertu du

droit international coutumier, droit à d es «garanties de non-répétition» … Imposer
l’obligation de garantir la non-répétition dans tous les c as serait certainement aller

au-delà de ce qui est jugé approprié dans la pratique des Etats.»

Eh bien, ce point de vue ne me pose aucun problème. Il peut y avoir quelques doutes au sujet de

son ancrage en droit coutumier ― notre débat le montre bien ― et les assurances ne s’imposent

certainement pas dans tous les cas. J’y reviendrai dans un moment.

6. Quant à la tendance qui se dégage du débat de la CDI, elle était nettement positive.

Permettez-moi de citer le rapport de la Commission sur sa dernière session :

24
CR 2000/29, p. 13, par. 5.18 et suiv.
25
Déclaration du 25 octobre 2000, manuscrit, p. 4.
26Nations Unies, document A/CN.4/488, p. 103. - 32 -

«On a souscrit à l’idée d’incorporer dans le projet d’articles une disposition sur
le devoir de donner des assurances et des ga ranties de non-répétition, parce qu’il était
des cas où les risques de répétition étaient réels et où les pays ne pourraient s’en tirer
27
tout simplement en s’excusant chaque fois.»

Voilà donc le texte du rapport de la Commission à l’Assemblée générale. Soit dit en passant, dans

ce contexte, des infractions répétées à l’article 36 ont été expressément citées en exemple dans les

débats de la CDI. Pour citer un autre passage du rapport de la Commission :

«On a exprimé l’avis…que des assurances et garanties de non-répétition
étaient nécessaires dans les cas où les lois d’un Etat et leur application donnaient lieu à
de graves violations qui, sans être continues, étaient récurrentes.» 28

7. Dans l’intervention qui conclut le dé bat de la Commission, le Rapporteur spécial,

M. James Crawford, a déclaré :

«Quant au maintien de cet alinéa lui-même [c’est-à-dire celui qui concerne la
cessation, et qui regroupe maintenant la cessation et nos garanties], des vues

divergentes avaient été exprimées. Il ressortait cependant sans ambiguïté du débat que
la majorité des membres de la Commission y étaient favorables … aucun
gouvernement n’avait proposé de supprimer [l’article en question]… Répondant aux

observations selon lesquelles il n’existerait pour ainsi dire pas d’exemples de garanties
de non-répétition données devant un tribunal, le Rapporteur spécial a admis qu’ils

étaient très peu nombreux; en revanche, ils étaient courants dans la pratique
diplomatique… [L]e projet d’article relevait essentiellement des relations entre Etats,
mais il n’en était pas moins vrai que les tr ibunaux pourraient avoir à en appliquer les

dispositions si le problème ne pouvait pas êt re réglé par voie diplomatique. [C’est
précisément le cas ici.] Il était vrai que fréquentes étaient les assurances et garanties
de non-répétition données par des gouvernemen ts en réponse à une violation d’une
29
obligation, même si le fait internationalement illicite n’était pas continu.»

8. Le rapport du comité de rédaction, en août dernier, va dans le même sens :

«Plusieurs membres ont fait observer que les assurances et les garanties de
non-répétition n’étaient pas pertinentes dans toutes les circonstances. Elles devaient
être exigées particulièrement dans les cas où l’on pouvait craindre une répétition.»

Ces assurances «ne sont appropriées que si le fait illi cite est susceptible de se reproduire». Tout en

ayant conscience qu’il y avait eu dans le pa ssé des demandes de garantie de non-répétition

comportant des exigences qui allaient très loin, le comité de rédaction a estimé «qu’on ne pouvait

pas faire silence sur les garanties simplement parce qu’on en avait abusé» . 30

27Nations Unies, doc. A/55/10, par. 87.
28
Ibid., par. 90.
29
Ibid., par. 110.
30Nations Unies, doc. CN/4/SR.2662, p. 6 et 7. - 33 -

9. Pour résumer la teneur du débat de la Co mmission du droit international, celle-ci a trouvé

un terrain solide pour nos assurances et garanties de non-répétition dans le projet de codification.

Qu’on ne vienne pas le nier, Monsieur le prési dent, parce que, contrairement au conseil des

Etats-Unis, j’étais là ! Et vous pouvez me croire, je ne dormais pas du tout pendant le débat sur le

projet d’article 30.

10. Le conseil des Etats-Unis a appelé l’ attention sur une observation faite devant la

Commission, à savoir que donner une garantie de non-répétition «constitu erait un engagement

supplémentaire qui s’ajouterait à l’enga gement initial qui avait été violé» 3. Mais évidemment,

cette observation portait sur la distinction qui so us-tend les travaux de la Commission sur la

responsabilité des Etats, entre ce que l’on appelle les règles primaires et les règles secondaires,

c’est-à-dire qu’elle se rapportait à la doctrine sel on laquelle la violation d’une règle primaire, par

exemple une règle de la convention de Vienne su r les relations consulaires, donne naissance à des

règles nouvelles, secondaires, et en ce sens seul ement à des obligations qui, du fait de cette

violation, s’ajouteraient à l’article 36. C’est tout ce que cette déclaration veut dire.

11. Je tiens aussi à souligner que les assura nces et garanties de non-répétition envisagées

dans le texte n’ont jamais été comprises comme étant aussi absolues que le conseil des Etats-Unis a

essayé de les représenter en cherchant par conséque nt à les pousser à l’absurde, et notre agent a

déjà appelé l’attention sur ce point dès sa déclaration liminaire. Il est bien clair qu’à l’impossible

nul n’est tenu. C’était tellement évident pour la Commission qu’elle n’a pas jugé nécessaire de le

o
dire dans son projet. Il en va de même pour l’Allemagne et pour l’énoncé de notre conclusion n 4.

Il se peut, je le reconnais, que le terme de «garanties» ne soit pas très heureusement choisi par la

Commission, à en juger par les malentendus a uxquels il semble donner lieu, mais la Commission

utilise les termes d’«assurances» par opposition à «garanties» tout simplement pour désigner par ce

second terme des réparations qui ne sont pas uniquement verbales et qui font jouer certaines actions

préventives : d’où le rapport du Comité de rédaction. Ces actions doivent, selon le projet d’article,

être appropriées et «appropriées» signifie à mon sens qu’elles sont adaptées et sont efficaces. Dans

notre contexte, ce que cela veut dire, c’est que les mesures internes que doivent prendre les

31
Nations Unies, doc. A/55/10, par. 87. - 34 -

Etats-Unis, des mesures laissées à leur choix ⎯ je le souligne ⎯doivent permettre de sortir de la

situation d’impasse absurde, un cercle vicieux, que nous avons décrite à plusieurs reprises.

12. Monsieur le président, j’ai expliqué lundi que des garanties de non-répétition sont

appropriées en l’espèce au titre des deux rubriques différentes correspondant à la position qui leur

est attribuée dans les deux lectures du projet d’ar ticles de la Commission du droit international:

d’abord comme un moyen de réparation, ensuite, c’ est-à-dire maintenant, comme corollaire de la

cessation [des préjudices] dans les cas où on risque gravement la répétition. Monsieur le président,

aucun de ces deux sedes materiae n’exige davantage de preuve du préjudice et du lien de causalité

que l’Allemagne n’en a déjà pr ésenté. L’Allemagne a subi un préjudice moral du fait de la

méconnaissance répétée des droits qu’elle tient de la convention de Vienne à cause des actes des

Etats-Unis, et la cause de ce dommage est incontestable. Si vous considérez les garanties de

non-répétition comme le corollaire de la cessatio n dans les cas où un acte illicite se répète à

plusieurs reprises, ce qui est le cas ici, ni le pr éjudice ni le lien de causalité n’ont besoin d’être

démontrés.

13. Monsieur Mathias a cité l’arrêt que la Cour a rendu dans l’affaire Haya de la Torre, où la

Cour a déclaré qu’elle n’était pas en mesure de dire comment la Colombie devrait mettre fin à

l’asile accordé à cet homme politique péruvien, et la Cour a dit qu’elle «ne saurait donner aucun

conseil pratique quant aux voies qu’il conviendrait de suivre pour mettre fin à l’asile, car ce faisant,

elle sortirait du cadre de sa fonction judiciaire» 3. Mais Monsieur le président, dans sa

o
conclusion n 4, l’Allemagne établit précisément une distinction entre ce qu’elle demande à la Cour

de faire, à savoir énoncer l’obligation qu’ont les Etats-Unis de donner à l’Allemagne une assurance

de non-répétition et de faire en sorte que leur droi t et leur pratique internes permettent l’exercice

effectif des droits prévus à l’article36, d’une pa rt, et d’autre part, une part laissée entièrement à

l’initiative des Etats-Unis, l’aspect pratique des choses (pour reprendre la terminologie de l’arrêt

Haya de la Torre) c’est-à-dire le choix des moyens de donner vraiment effet à ces assurances.

14. Monsieur le président, pour revenir su r un aspect de cette question, l’agent des

Etats-Unis a émis mardi matin l’idée que la Cour devrait décider que le différend réel entre les

32
CR 2000/29, p. 16, par. 5.26; affaire Haya de la Torre, arrêt du 13 juin 1951, C.I.J. Recueil 1951, p. 83. - 35 -

parties «a été résolu par les excuses offertes pa r les Etats-Unis et des assurances appropriées de

33
non-répétition» . Mais, Monsieur le président, cela ne serait tout simplement pas vrai.

L’Allemagne ne considère pas les prétendues «assurances» proposées par le défendeur comme

adéquates. Et par conséquent, il reste à la Cour de décider de ce qui constituerait une mesure de

réparation appropriée pour le préjudice causé à l’Allemagne et à ses deux ressortissants.

15. Avant de quitter le domaine de la res ponsabilité des Etats, perm ettez-moi de préciser

qu’à aucun moment de mon exposé de lundi, je n’ai manifesté de la dérision ou exprimé du mépris,

comme l’a prétendu le conseil des Etats-Unis, à l’égard des formes de satisfaction autres que les

assurances et les garanties 34.

16. Monsieur le président, une objection que le défendeur n’a cessé d’élever contre notre

o
conclusion n 4 a été que dans cette conclusion, l’Alle magne exige des Etats-Unis quelque chose

qu’elle n’est pas en mesure de donner elle-même. Monsieur Kaul a déjà réfuté cette critique, et de

manière très convaincante je crois, mais je voudrais dire pour conclure mon exposé, très

franchement et très simplement, que si l'on formulait la conclusion n o4 à l’encontre de

l’Allemagne, l’Allemagne serait en mesure de lui donner effet.

J’en ai ainsi terminé. Permettez-moi cependa nt de finir sur une note personnelle. Mes deux

expériences des NationsUnies ⎯ma participation aux travaux de la Commission du droit

international et ma plaidoirie devant la Cour ⎯ me donnent nettement l’impression de rajeunir. Je

me retrouve étudiant : à la Commission du droit in ternational, je me sens comme dans un colloque

de très haut niveau et devant la Cour, je me tr ouve comme face à un jury grand de grand oral. Je

vous remercie vivement de m’avoir écouté.

The PRESIDENT: Thank you very much Professor. I now give the The Court will adjourn

for ten minutes.

The Court adjourned from 11.35 a.m. to 11.55 a.m.

33
CR 2000/28, p. 10, par. 1.17.
34CR 2000/29, p. 14, par. 5.22. - 36 -

M. DONOVAN :

VI. L IEN DE CAUSALITE

1. Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, je voudrais revenir

brièvement sur le déroulement de la procédur e dans l’affaire LaGrand pour répondre à trois des

points soulevés par MmeNapolitano, qui a dit, pr emièrement que les agents consulaires de

l’Allemagne n’auraient rien fait pour apporter le ur assistance aux LaGrand, deuxièmement que les

éléments constitutifs de circonstances atténuantes dont les LaGrand n’ont pas eu le bénéfice à cause

de la violation se seraient simplement surajoutés à ceux déjà présentés, et troisièmement que la

Cour d’appel fédérale a établi que la production des éléments en question n’aurait rien changé.

2. Néanmoins, je commencerai par deux observations préliminaires. Premièrement, les

Etats-Unis ont suggéré mardi que, la veille, l’Allemagne avait condamné leur système judiciaire et

«fabriqué» de nouveaux griefs de discrimination raciale. Ce n’ est absolument pas le cas.

L’Allemagne a signalé plusieurs problèmes relatifs à l’administra tion de la peine de mort aux

Etats-Unis qui ont été mis en lumière par des uni versitaires respectés et des institutions aussi bien

établies que l’American Bar Association. Certes, les opinions peuvent varier quant à l’ampleur et

aux conséquences de ces problèmes et à la façon de concilier les mesures visant à les résoudre avec

celles qui visent d’autres objectifs légitimes sociétaux légitimes, mais il est difficile de nier qu’ils

existent. Et, parce que ces problèmes existent, ils font partie des circonstances de fait au regard

desquelles on doit évaluer les incidences des violations de la convention de Vienne.

3. Deuxièmement, pour être clair, le fondement de la responsabilité in ternationale dans la

présente affaire réside dans la violation de l’artic le 36 de la convention de Vienne qu’ont commise

les Etats-Unis. Cependant, cette violation n’a pas seulement lésé les intérêts juridiques de

l’Allemagne même, elle a aussi eu des conséquen ces fatales pour les frères LaGrand. L’argument

fondé sur le lien de causalité concerne ce deuxi ème aspect qui, même s’il n’est pas essentiel du

point de vue juridique pour que la responsabilité internationale des Etats-Unis se trouve engagée,

vient aggraver sa violation. L’Allemagne l’a signa lé lundi en faisant obser ver que les Etats-Unis,

dans leur contre-exposé des faits, avaient prétendu que l’exercice du droit d’entrer en rapport avec - 37 -

le consulat n’aurait fait aucune différence mais n’en avaient tiré aucune conséquence juridique.

Mise à part l’objection des Etats-Unis à l’un des cinq éléments que comporte, selon eux, la

première conclusion de l’Allemagne, ce point n’a pas été réfuté.

4. Pour répondre à l’ Attorney General, je relèverai d’abord son assertion que, même si les

frères s’étaient mis en rapport avec le consulat, l’ Allemagne n’aurait rien fait. Nous savons qu’au

contraire, une fois élucidée la question de la nationalité, les frères demandèrent une assistance et

l’Allemagne l’a fournie. Il s’agit là de la meilleure preuve, établie par les pièces soumises à la

Cour, de ce qui ce serait passé en 1982.

5. Deuxièmement, l’ Attorney General a prétendu que les éléments de preuve dont

l’Allemagne affirme que les frères n’ont pas eu le bénéfice avaient, en fait, été présentés lors de

l’audience sur les circonstances aggravantes et atténuan tes. Elle veut en trouver la preuve dans le

témoignage donné par un expert à l’audience du pr ononcé de la peine ainsi que dans un passage du

rapport pré-sentenciel.

6. Pour bien évaluer les incidences de la violation, il est malheureusement nécessaire de se

plonger dans les réalités concrètes de la procédure, et c’est pourquoi j’invite la Cour à étudier les

dépositions qui ont été consignées. J’en donnerai ic i un bref aperçu. Le premier expert appelé à

témoigner à l’audience l’a été pour WalterLaGra nd. Au cours du contre-interrogatoire, qui

n’occupe même pas trois pages du procès-verbal de cette audience, le procureur établit,

premièrement, que l’expert avait rencontré Walter LaGrand pendant une heure tout au plus, environ

un an avant l’audience, deuxièmement, que l’objet de cette rencontre était seulement de déterminer

l’état mental de Walter LaGrand au moment ou à l’époque de l’incident, et non d’examiner les faits

susceptibles de constituer des circonstances a tténuantes pour la fixation de la peine et,

troisièmement, que le seul autre travail accompli par l’expert avait consisté à revoir les rapports

pré-sentenciels. Il n’est pas étonnant que le proc ureur ait jugé aussi peu utile de procéder à un

contre-interrogatoire.

7. Le deuxième expert était appelé à témoigne r pour Karl LaGrand. Ce sont ses propos que

MmeNapolitano a cités. L’expert a déclaré qu’il avait passé une heure et demie avec Karl, et le

principal élément de son témoignage a été qu’il pe nsait, d’après l’enregistrement des aveux de

Karl, que celui-ci avait été sincère en exprimant d es remords immédiatement après son arrestation. - 38 -

Dans la mesure où il a parlé des antécédents soci aux de KarlLaGrand, la superficialité de son

analyse, qu’a citée l’Attorney General, saute aux yeux. Le procureur a manifestement été lui aussi

de cet avis car il a consacré à l’expert de Karl encore moins de temps qu’à celui de Walter ― six

questions, pour être précis, qui occupent moins d’une page du procès-verbal.

8. Le seul autre témoin appelé à déposer a été Patricia LaGrand, la sŒur de Karl et de Walter.

Elle a bien sûr témoigné de leur enfance diffic ile, mais sûrement aussi, son témoignage ne pouvait

compenser l’absence de renseignements détaillés su r les premières années des enfants LaGrand ni,

cela va sans dire, les lacunes du témoignage des experts.

9. Enfin, les rapports pré-sentenciels font certes brièvement état, en termes généraux, des

piètres conditions dans lesquelles les LaGrand ont été élevés. Mais quelques indications d’un

rapport pré-sentenciel ne sauraient suppléer une ar gumentation raisonnée en faveur de l’octroi de

circonstances atténuantes.

10. Nous savons que les informations fina lement obtenues en Allemagne apportent des

preuves concrètes et abondantes de la gravité des mauvais traitements et du manque de soins qu’ont

connus les deux frères quand ils étaient encore bébés et pendant leur petite enfance. Pour avoir une

idée de l’effet qu’auraient pu avoir ces preuves, j’in vite une nouvelle fois la Cour à examiner la

déclaration de la consultante en atténuation de peine figurant dans les annexes. Elle décrit en détail

ce à quoi il convient de veiller lorsqu’un accusé enc ourt la peine capitale, les antécédents sociaux

qu’il faut au moins retenir pour préparer une demande de circonstances atténuantes et l’exploitation

qui doit en être faite. Plus précisément, elle explique que :

«Seules des données recueillies de manière adéquate et indépendante permettent
aux professionnels de la santé mentale d’évaluer :

1) la présence et l’impact de troubles médicaux, psychiatriques et de
développement; et

2) le rôle de facteurs déterminants, so ciaux, émotionnels et autres, dans des
expériences clés de la vie et leur impact sur l’état mental de l’accusé et sur son
comportement à des moments critiques qui entrent en ligne de compte pour les
chefs d’accusation et les procédures judiciaires.» - 39 -

En d’autres termes, un dossier convenable à l’a ppui de circonstances atténuantes, non seulement

indique les facteurs sociaux, psychologiques et développementaux qui ont pu jouer un rôle, mais

doit aussi démontrer un lien de causalité entre ces facteurs et les chefs d’accusation: c’est là un

minimum.

11. Au regard de ces exigences, la présentati on des circonstances aggravantes et atténuantes

faite à l’audience de déterminati on de la peine ne peut être qu alifiée que de déplorable. Une

comparaison entre le procès-verbal de cette audience et la déclaration de la consultante permet d’en

mesurer les lacunes. Mais d’autres éléments soumis à la Cour viennent aussi conforter cette

conclusion. Ce sont: premièrement, la déclara tion dans laquelle l’avocat de Karl a admis ses

propres insuffisances, et dont l’Allemagne a déjà parlé; deuxièmement, la déclaration d’un

pénaliste d’Arizona qui a estimé que la prestation de l’avocat de Walter n'avait pas atteint le niveau

minimum requis d’un avocat de la défense lors du prononcé de la peine capitale; et, troisièmement,

de nouveau à propos de l’audience de fixation de la peine, la déclaration d’un avocat ayant

l’expérience des affaires dans lesquelles l’accusé en court la peine de mort, qui a représenté Walter

lors de sa demande d’ habeas corpus et qui a dit que si leur avocat au procès avait présenté un

dossier complet à l’appui de la demande de circonstances atténuantes, les LaGrand n’auraient
35
probablement pas été condamnés à mort» .

12. Enfin, je voudrais revenir sur ce qu’a suggéré l’ Attorney General en disant que, dans son

opinion de 1998, la Cour d’appe l fédérale avait en quelque sorte jeté un coup d’Œil derrière le

rideau pour s’assurer que, même si les LaGrand n’avaient pas pu présenter de preuves de

36
circonstances atténuantes avant le prononcé de leur peine, il n’y avait pas eu mal-jugé . Toutefois,

comme la transcription que j’ai examinée ne pe rmet pas de comprendre exactement ce qu’a voulu

dire l’Attorney General, je veux m’assurer qu’il n’y a pas de confusion. Ce qui ressort de l’opinion

de la Ninth Circuit Court, c’est qu’elle a considéré qu’il lui ét ait interdit, par une jurisprudence de

la Cour suprême faisant autorité, d’examiner l’effet qu’aurait pu avoir la production des preuves de

circonstances atténuantes. Aussi, n’a-t-elle pris en considération que les circonstances aggravantes

pouvant faire des LaGrand des candidats à la pein e de mort. Or, bien évidemment, les LaGrand

35
Mémoire de l’Allemagne : annexe 46, p. 1013-1017, annexe 50, p. 1013; et annexe 52, p. 1216.
36Mémoire de l’Allemagne : annexe 10, p. 483 (citant Sawyer v. Whitley, 505 US p. 333 (1992)). - 40 -

n’ont pas fait valoir que les preuves manquant es des circonstances atténuantes eussent un rapport

quelconque avec les circonstances aggravantes dont on avait déterminé l’existence et qui en

faisaient des candidats à la peine de mort et, par conséquent, la cour a considéré que ces éléments à

l’appui de circonstances atténuantes ne relevaient pas de son examen, une autorité supérieure lui

interdisant d’en tenir compte. Donc, les LaGrand ont été en fait privés du bénéfice de ces éléments

de preuve lors du procès en première instance ⎯ ce que la Cour suprême des Etats-Unis a appelé

37
«l’événement principal» et ni la Ninth Circuit Court ni aucune autre juridiction des Etats-Unis n’a

jamais examiné l’effet qu’auraient eu les preuv es de circonstances atténuantes qui manquaient sur

la sentence prononcée contre les LaGrand.

13. C’est cela qui constitue le point de fait principal et c’est à propos de ce point que

l’Allemagne rencontre en matière de preuve les obstacles que j’ai mis en évidence lundi. L’un des

piliers de la personnalisation de la peine, exigée par la Constitution des Etats-Unis, est que l’accusé

peut, à l’audience de fixation de celle-ci, présenter toutes preuves de circonstances atténuantes qu’il

estime appropriées, et que le juge ou le jury a tout pouvoir pour en apprécier le poids en les mettant

en balance avec les circonstances aggravantes qui font de l’accusé un candidat à la peine de mort.

14. Inutile de dire qu’il s’agit là d’une appréciation hautement subjective et, au point où nous

sommes rendus, il est quasiment impossible de reconstituer la démarche mentale qui a été suivie en

l’occurrence. En pareilles circonstances ⎯quand un fait est laissé à l’appréciation du juge ⎯

quelle valeur un système judiciaire donne-t-il à ce fait ? Si l’on peut établir une comparaison, c’est

avec la règle la plus largement appliquée aux Et ats-Unis dans les procé dures de réexamen des

décisions, selon laquelle en cas d’erreur au cours d’un procès, si un droit se trouve violé, le

défendeur a droit à un recours à moins que la cour n’établisse qu’il s’agit d’une erreur bénigne.

Les Etats-Unis ont objecté mardi à la suggestion faite à la Cour par l’Allemagne de présumer

l’existence d’un lien de cause à effet, mais ils n’ont pas contesté ⎯parce qu’ils ne le pouvaient

pas ⎯ l’argument avancé par l’Allemagne selon leque l la Cour a le pouvoir d’apprécier la valeur

des preuves produites eu égard aux circonstances par ticulières et concrètes de l’espèce, de décider

de la manière dont elle déterminera les faits et de prendre une décision appropriée compte tenu du

37
Wainwright v. Sykes, 433 US 72, 90 (1977). - 41 -

préjudice que les actes des Etats-Unis ont causé à l’Allemagne pour ce qui est de l’administration

de la preuve. Ce pouvoir devrait inclure celui de considérer des faits contestés comme établis ou de

déplacer la charge de la preuve sur la base ce que l’Allemagne a déjà démontré, si de telles

décisions sont nécessaires. Ce pouvoir est laprérogative nécessaire de quiconque est chargé

d’établir les faits. Comme je l’ai dit lundcependant, aucune décision de ce genre touchant

l’administration de la preuve n’est nécessaire.

15. Dans la mesure où l’existence d’un lien de causalité précis est susceptible de preuve en

l’espèce, l’Allemagne a démontré que les violations de la convention de Vienne ont conduit à la

condamnation à mort des LaGrand. A tout le moin s, l’Allemagne a montré que les violations, dont

la réalité a été admise, ont privé les LaGrand du bénéfice de circonstances atténuantes qui auraient

été d’une extrême importance pour la fixation de la peine et auraient pu conduire le juge à

prononcer une peine de réclusion à perpétuité au lieu de la peine capitale. L’affaire Trostler dont a

été saisie la cour suprême de l’Arizona et dontj’ai parlé lundi montre que ce type même de

circonstances atténuantes, dont le bénéfice a ici été pe rdu, peut avoir un tel effet. Aucune règle de

preuve ni aucun principe du droit international n’oblige l’Allemagne à démontrer quoi que ce soit

de plus.

A présent, Monsieur le président, je voudrais vprier de bien vouloir donner la parole à

M. Dupuy.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur D onovan. Je passe la parole maintenant au

professeur Pierre-Marie Dupuy.

Le PRESIDENT : Merci, M. Donovan. I now give the floor to Professor Dupuy.

DMUr.UY:

VII. THE FAILURE OF THE UNITED STATES TO COMPLY WITH THE O RDER OF 3MARCH 1999

1. Mr. President, it falls to me to reply to the arguments expounded before you by the

United States in respect of provisional measures a nd of Germany's third submission. I shall do so

quite briefly, as the UnitedStates pleadings of l ast Tuesday were largel y based on the arguments

already developed in its Counter-Memorial, althou gh it did make certain concessions, the extent of - 42 -

which I shall evaluate (I). Focusing on the Order of 3 March 1999 (the better to avoid a substantive

debate on the legal nature of pr ovisional measures), rather than arguing the law, it sought to

concentrate on the facts. It thus set out to s how that the UnitedStates could not have acted

differently than it did after receiving the Court's Order(II); and that this was so because the

German request for the indication of provisional measures was submitted too late (III). Finally, the

United States did its utmost to dissociate its non-compliance with the Court's Order from the merits

of the German Application itself (IV). I shall take up these points briefly.

I

2. On the question of the law , I shall not reiterate the substa nce of my presentation of last

Monday concerning the legal nature of provisional measures and the obligations to which they give

rise ⎯ measures representing procedural decisions , as distinct from judgments, which impose

obligations of diligence on the parties to whom they are addressed, obligations whose content and

relative strictness will depend, in each case, on the particular circumstances.

Let us note two aspects of the argument put forward by the United States on Tuesday: first,

a strategic withdrawal, and secondly, a contradiction.

The withdrawal relates to the fact that, accord ing to the United States, it would be futile, for

the purposes of the case, for the Court to rule on the legal status of provisional measures, since in

this instance those indicated on 3 March 1999 were manifestly optional.

The United States then again deploys what is undoubtedly its favourite weapon, namely what

might be called the linguistic "should/ought" argument.

So then, Members of the Court, let us remain in doubt about what you do when you order

provisional measures. Do it in mezzotint or ch iaroscuro, and you will at least satisfy the

United States.

3. However, and this is what bothers the Am ericans, your desire to dispel the uncertainties

regarding the decisional nature of your orders and, hence, of their legal effects, has already been

very clearly manifested on a number of occasions, of which I have, moreover, reminded you. The - 43 -

most recent instance was in your Order of 1July2000 in the Congo v. Uganda case, where this

was done in the crystal-clear terms which I myself spelled out last Monday. Hence the

contradiction that I spoke of in the United States position.

Indeed, how is it possible, at one and the same time, on the one hand to assert, as the

United States did the day before yesterday, that "indications of provisional measures by the Court

38
do not give rise to binding legal obligations" and on the other hand to acknowledge that, when the

Court uses different language, "language of understood mandatory character 39, as it did recently in

the above-mentioned case, it is because it intends to issue an order with binding force?

Come on, gentlemen! Make up your minds! Can the Court order provisional measures with

binding effect, or can it not? It is either one or the other.

Well, we are told by the other side, it is all a question of language! Depending on the case

concerned, the UnitedStates tells us, depending on whether the Court confines itself to "should"

and "ought", or whether it decides to use the language of authority, that is to say... French, the

parties will know what it meant!

But in the final analysis, the UnitedStates concludes, suddenly aware that "concession" in

this context rhymes with "contradiction", provisional measures "stand as a clear statement of the

Court's expectations and desires". Expectations and desires! That sounds like the title of a very

bad novel!

4. As far as we are concerned, Mr.Presi dent, Germany wishes to inform you, through

myself, that in its view "your wish is our command"! And that there are not 101ways of

interpreting the meaning, logic and relevance of the provisional measures which you indicate. And

that a court cannot go so far as to meet, deliberate and issue an order ⎯ even if it is said that the

intention is to "indicate" ⎯ without expecting, in law, that the parties will comply with its order.

And that there can be no half-measures or hesitati on. And that one need only look at the judicial

logic inherent in the process of international court proceedings ⎯ as was pointed out by

Sir Gerald Fitzmaurice on the basis of your own jurisprudence ⎯ to conclude that such orders are

always, and not just on one, two or a few occasions, genuine decisions.

38
Statement by Mr. Matheson, CR 2000/29, para. 7.1, p. 44.
3Ibid., para. 7.6, p. 3. - 44 -

They are procedural decisions and they are always binding, although provisional and

ancillary to the judgment; but the strictness of the obligations which they engender will depend,

inter alia, on the degree of urgency and the balance of in terests at stake. In this instance, it was

literally a question of life and death, and there was no possible solution other than to comply, that is

to say, quite simply, to stay the execution.

II

5. It is here, precisely ⎯ and this is my second point ⎯ that we come to the facts. The facts,

says the United States, did not allow us to do anyt hing but what we did: we woke up the Legal

Adviser of the Department of State (no small ma tter apparently) and transmitted the Order to the

appropriate authorities, even though, in the cas e of the Supreme Court, the Solicitor-General

pointed out that this Order had no effect. And if , says the US, it happened this way, it was because

Germany and also the Court, having made a ruling without even hearing us, had placed us in this

situation.

So, since the United States invites us to get dow n to the facts, we shall now examine them.

And we will do so in order to answer two sets of specific questions. The first is as follows: could

the United States, yes or no, have done anything but what it did after receiving your Order ⎯ and

at any of three separate levels: the State of Ariz ona; the federal judicial authority, that is, the

Supreme Court; and the Federal Executive?

In all three cases, the answer is yes: at state level, in other words in Arizona, as

MsNapolitano has moreover acknowledged, the Gove rnor cannot at this stage order a stay of

execution unless requested to do so by the Clemen cy Board. Yet in this case precisely, the

Respondent has, if I may say so, hastened to fail to remind you that this was the situation. The

Governor had indeed been so requested by the Clemency Board!

At federal level, the Supreme Court could quite easily still have acted, under its emergency

procedures, to order a stay of execution. And it has itself demonstrated that it did in fact have time

to do this. For it did indeed render a judgment within the period preceding the execution of

WalterLaGrand. It is just that its judgmen t was the reverse, namely, authorizing that

Walter LaGrand be placed in the gas chamber. - 45 -

As regards the Federal Executive, it might, in vi ew in particular of the outcry raised by the

Breard case in numerous quarters, including some of the best-informed, have asked the Supreme

Court to order a stay, or itself taken steps at local level; but it merely restated, word for word,

through the medium of the Solicitor-General, its view that your Order had no binding effect.

A second series of practical questions: the UnitedStates claims it could have acted

otherwise given more time. But it forgets one small detail, which is that a year before, placed in

the same situation as in the LaGrand case, but then with much more time, it nonetheless acted in

exactly the same way with respect to AngelFran ciscoBreard as it would later do with respect to

Walter LaGrand.

So, clearly, the French chanson which tells us "time changes nothing" is right. Especially as,

in this case, the defendant's argument is once agai n circular, since what the Court asked it to do

was, precisely, to grant it time. And legally and in practice, the United States could have done this.

6. However, Mr. President, Members of the Court, you do not have to believe me. As a mere

humble "academician" ⎯ a calling which, as MsCatherineBrown has so amply demonstrated to

you, deserves such scant respect ⎯ I am not as such going to call a witness, but simply to ask you,

Mr.President, to give the floor again to anothe r of Germany's counsel regarding the two sets of

questions I have just referred to, for he is mo st decidedly a practitioner, and what is more an

American practitioner. I refer to Mr. Donovan.

After which, if you will allow me, I shall briefl y take the floor again to conclude this oral

presentation on the effect of the provisional measures and their violation by the Respondent. I

would therefore ask you, Mr. President, to give the floor to Mr. Donovan for a brief statement.

The PRESIDENT: Thank you, ProfessorDupuy. Je donne maintenant la parole à

M. Donovan.

M. DONOVAN :

III

7. Monsieur le président, Madame et Messi eurs les Membres de la Cour, ainsi que le

professeurDupuy l’a indiqué, je vais répondre aux Etats-Unis qui prétendent que, même si - 46 -

l’Arizona a choisi de procéder à l’exécution de WalterLaGrand au mépris de l’ordonnance de la

Cour, ils se sont néanmoins conformés à l’ordonnance puisqu’ils ont pris toutes les mesures «dont

ils dispos[ai]ent» pour que M. Walter LaGrand ne soit pas exécuté. Je renvoie respectueusement la

Cour aux citations figurant dans la version écr ite de mes interventions, mais j’estime que les

Etats-Unis ont tort tant sur le plan du droit intern ational, qui est en cause ici, qu’au regard de leur

droit interne, qui ne l’est pas.

8. D’abord, et de façon fort claire, l’ Attorney General nous a expliqué mardi que la

législation de l’Arizona permet au gouverneur d’accorder la grâce, une commutation de peine ou

un sursis à l’exécution d’une peine capitale si la Commission des grâces le recommande 40. Ainsi

que l’ Attorney General l’a également expliqué ici, en ra ison justement de l’intervention de

l’Allemagne auprès de la Cour, la Commission des grâces a recommandé un sursis.

9. Les Etats-Unis ont assuré la Cour qu’ils ont suivi sa directive précise de notifier au

gouverneur cette ordonnance en indication de mesur es conservatoires, et rien ne donne à penser

que les fonctionnaires de l’Arizona n’ont pas pr is connaissance de ladite ordonnance une fois

qu’elle est parvenue à destination. Ainsi que l’ Attorney General l’a indiqué, à l’époque, le

gouverneur était pleinement habilité, même en vertu de la législation de l’Arizona, à accorder la

grâce, mais elle a choisi de ne pas le faire. D’ailleurs, comme l’Attorney General l’a déjà dit, avant

même que la Cour se fût prononcée, le gouverneur av ait pris sa décision négative. Elle a annoncé

la veille qu’elle n’accorderait ni commutation de peine, ni sursis, n’accorderait pas davantage la

grâce, et elle s’est ainsi exprimée, toujours suivant les explications données à la Cour par

l’Attorney General, pour partie en se fondant sur la positio n des Etats-Unis, selon laquelle aucune

ordonnance que la Cour pourrait rendre ne serait obligatoire.

10. Comme les Etats-Unis le reconnaissent aux paragraphes3 et6 de leur contre-mémoire,

ils sont internationalement responsables «des ac tes de l’Etat d’Arizona». Ainsi le refus du

gouverneur de surseoir à l’exécution fait foin à lui seul de l’argument des Etats-Unis suivant lequel

ils ont pris toutes les mesures dont ils disposent. Le gouverneur aurait pu arrêter l’exécution, elle a

choisi de ne pas le faire.

40
Const. Ariz., art. 5, sect. 5; lois rev. Ariz., art. 31-402. - 47 -

11. En tout état de cause, les autorités fé dérales des Etats-Unis disposaient d’abondants

moyens supplémentaires pour donner suite à l’ordonna nce. L’autorité judiciaire fédérale, bien

entendu, engage elle aussi sa responsabilité interna tionale. Le jour de la décision de la Cour,

l’Allemagne et Walter LaGrand ont l’une et l’autre introduit une requête auprès de la Cour suprême

des Etats-Unis demandant respectivement une injonc tion contre l’exécution et un sursis à celle-ci.

Le pourvoi de Walter soulevait le moyen tiré de la convention de Vienne, l’action de l’Allemagne

se fondait directement sur l’ordonnance de la CIJ. Les deux requêtes ont été rejetées 41. En rejetant

celle de l’Allemagne, la Cour suprême a expr imé certains doutes sur sa compétence concernant

l’action. Comme l’a indiqué l’ Attorney General, ladite action était engagée en vertu d’une

disposition très rarement utilisée de la constitution américaine autorisant à déposer directement une

requête introductive d’instance auprès de la Cour s uprême. Mais même si des questions pouvaient

se poser à propos de la compétence de la Cour suprême pour connaître de la requête de

l’Allemagne, il ne pouvait pas s’en pos er quant à sa compétence pour faire droit à celle de Walter,

saisie comme elle l’était d’une demande en habeas corpus en instance 4. Bien que la décision de la

Cour suprême sur la requête de l’Allemagne allègue le caractère tardif de celle-ci comme l’un des

fondements de son refus d’y faire droit, il est hors de doute d’après cette décision que la Cour

suprême avait effectivement le temps de statuer; et c’est aussi ce qui ressort clairement de l’opinion

dissidente qui figure dans l’ordonnance parallèle refusant de faire droit à la requête de

WalterLaGrand. Ainsi, la Cour suprême, qui est également l’autorité judiciaire fédérale, a eu le

temps de décider si elle allait se conformer ou non à l’ordonnance rendue par la Cour internationale

de Justice.

12. La Cour suprême fut d’ailleurs enco re saisie d’une autre instance concernant

WalterLaGrand sur laquelle elle a dû statuer le j our fixé pour l’exécution. La cour d’appel du

neuvième circuit, c’est-à-dire la cour d’appel fé dérale de niveau intermédiaire ayant compétence

41Annexe30 ( Federal Republic of Germany v. United States, 526 US, p.111 (1999), annexe 32 (LaGrand v.
Arizona, 526 US, p. 1001 (1999).
42
Art. 2254 du titre 28 du Code des Etats-Unis (autor isant un tribunal fédéral à connaître des recours en habeas
corpus émanant de personnes en détention en application d’un ju gement d’un Etat «au motif que cette détention viole la
constitution, ou une loi, ou des traités des Etats-Unis»); voir Missouri v. Jenkins, 495 US 33, p. 57 (1990) (un
tribunal fédéral peut imposer à une municipalité de lever des taxes pour se conformer à un ordre de déségrégation, même
dans les cas où ces taxes contreviendr aient à la législation de l’Etat); Asakura v. Seattle, 265 US332 (1924) (ordonnant
l’application d’un arrêté munici pal en violation d’un traité); French v. Hay, 89 US (22Wall.)250 (1874) (un tribunal
fédéral peut ordonner l’exécution d’un jugement d’un Etat rendu en violation de la législation fédérale). - 48 -

pour l’Arizona, avait prononcé ce jour-là une injonc tion interdisant de procéder à l’exécution au

motif que l’exécution par gaz mortel était un châtiment cruel et inhabituel, partant, contraire à la

Constitution. L’Etat d’Arizona a immédiatement saisi la Cour suprême des Etats-Unis d’une

requête tendant à ce que so it rendue une ordonnance de certiorari, dans laquelle il demandait

l’annulation de l’injonction. Le jour fixé pour l’exécution, la Cour suprême a fait droit à la

demande d’ordonnance de certiorari, a infirmé purement et simplement la décision de la cour

d’appel du neuvième circuit et annulé l’inj onction. Cette troisième ordonnance rendue le

3mars1999 par la Cour suprême des Etats- Unis dans les instances mettant en cause

Walter LaGrand a permis de procéder à son exécution 43.

13. Le même scénario s’est répété le jour fixé pour l’exécution de Karl LaGrand. Ce jour-là,

la cour d’appel du neuvième circuit a prononcé une injonction interdisant de procéder à l’exécution

au motif que l’exécution par gaz mortel était contraire à la Constitution. L’Arizona a déposé le jour

même une requête en mainlevée de l’injonction, qu e la Cour suprême a accordée. Les avocats de

KarlLaGrand ont ensuite déposé une requête tendant à obtenir des éclaircissements sur

l’ordonnance, requête que la Cour suprême a re jetée. C’est à ce moment-là, à ce moment-là

44
seulement, que les fonctionnaires de l’Arizona ont mis en place le dispositif de l’exécution .

14. Ce genre de requêtes préalables à une ex écution est classique dans le contentieux de la

peine de mort aux Etats-Unis et les juridictions fédérales des Etats-Unis y sont tout à fait habituées.

Que l’on accepte ou non par principe les décisi ons rendues par ces juridictions à la suite de

condamnations à mort prononcées aux Etats-Unis, il ne fait aucun doute que la Cour suprême prend

très au sérieux l’obligation qui est la sienne de st atuer dans ce domaine comme dans d’autres. Les

juges sont toujours disponibles pour entendre une requê te en référé. Dans le cas précis de recours

concernant la peine de mort, lorsque la date d’ une exécution est fixée, le greffier de la Cour

suprême des Etats-Unis se tient en communication ét roite tant avec le greffier de la juridiction

inférieure dont la décision pourrait être portée en appel qu’avec les fonctionnaires de l’Etat chargés

de faire procéder à l’exécution.. On ne sera pas surpris d’apprendre que les fonctionnaires de l’Etat

43
Annexe 31 (Steward v. LaGrand, 526 US 115 (1999)).
44Annexe 31, p. 674 ; voir LaGrand v. Steward, 173 F.3d 1144 (24 février 1999), sursis à exécution annulé par
l’arrêt Steward v. LaGrand, 525 US 1173 (24 février 1999). - 49 -

attendent généralement que la Cour suprême se prononce avant de procéder à une exécution

susceptible de faire l’objet d’une requête. Je di rai respectueusement à la Cour que ce serait un

affront à la fois à la dignité de la Cour suprêm e des Etats-Unis et à la diligence que celle-ci exerce

de laisser entendre qu’elle ne fe rait pas, dans une affaire où une vie humaine est en jeu, tout ce

qu’il faut pour statuer comme elle le doit sur l’affaire dont elle est saisie.

L1’5.écutif dispos[ait] lui aussi de moyens pour se conformer à l’ordonnance de la Cour.

Investi de très larges pouvoirs l’habilitant à fac iliter la résolution de différends internationaux 45, le

46
président aurait pu les exercer ⎯ selon ce que dit un spécialiste au moins ⎯ en prenant un décret .

Les Etats-Unis affirmeront certainement qu’un déla i de quelques heures n’était pas suffisant pour

que soit réellement pris un décret présidentiel, ma is on est porté à croire que si l’exécutif fédéral

avait fait nettement savoir aux fonctionnaires re sponsables de l’Etat d’Arizona qu’il avait

l’intention de prendre un tel décret, lesdits fonctio nnaires auraient peut-être sursis à l’exécution de

manière à permettre à l’exécutif fédéral de prendre les mesures voulues.

16. Toujours est-il qu’il est clair également que l’exécutif fédéral peut intenter devant les

tribunaux fédéraux une action en ju stice contre l’Etat ou ses fonctionnaires afin de faire respecter

au pouvoir une obligation fédérale. Les Etats-Un is eux-mêmes l’ont d’a illeurs confirmé dans

l’affaire Breard lorsqu’ils ont indiqué à la Cour suprêm e dans le mémoire qu’ils lui ont soumis

qu’ils avaient le pouvoir «d’agir en justice pour faire respecter la convention de Vienne» 47. En

l’espèce, par exemple, le procureur fédéral ( Attorney des Etats-Unis) dans le district de l’Arizona

aurait pu saisir un juge fédéral de ce même distri ct d’une requête en référé priant celui-ci de

surseoir à l’exécution afin de respecter l’ordonnanc e de la Cour internationale de Justice. Les

juridictions fédérales s’en reme ttent généralement à l’interpré tation que l’exécutif donne de ses

obligations internationales et, compte tenu tout par ticulièrement de l’urgence de la situation à ce

moment-là, il est vraisemblable qu’un tribunal fédéral aurait accédé à la demande des Etats-Unis.

45
Dames & Moore v. Regan, 453 US 654 (1981).
46 Voir Carlos Manuel Vásquez, "Breard and the Federal Power to Require Compliance with ICJ Orders of

Provisional Measures", American Journal of International Law, vol. 92 (1998), p. 683.
47 «Mémoire soumis par les Etats-Unis à titre d’ amicus curiae», p. 15, note de bas de page 3, Breard v. Greene,
523 US 371 (1998). - 50 -

17. Cela dit, il vaut peut-être la peine de marquer ici un temps d’arrêt pour rappeler que rien

dans cet exposé n’a d’importance. Selon un principe fondamental de droit international, comme un

ancien président de la Cour l’a dit, un Etat

«ne saurait se soustraire à sa responsabilité [internationale] en prétendant que les
pouvoirs de contrôle que lui reconnaît la C onstitution sur [ses subdivisions politiques]
ne lui permettent pas d’obéir à ses obligations internationales» 48. [Traduction du

Greffe.]

Or, la Cour, lorsqu’elle a invité les Etats-Unis à prendre toutes les mesures dont ils disposaient pour

que M. Walter LaGrand ne fût pas exécuté, n’ente ndait certainement pas intégrer à son ordonnance

des restrictions particulières aux pouvoirs exercés par les autorités fédérales américaines au sein du

régime constitutionnel des Etats-Unis. Ce ge nre d’interprétation non seu lement bafouerait un des

principes absolument fondamentaux du droit intern ational mais obligerait également la Cour à

trancher des questions complexes de droit constitu tionnel américain simplement pour établir si son

ordonnance a été respectée. Telle ne pouvait certainement pas être l’intention de la Cour.

18. Enfin, les Etats-Unis affirment que le moment auquel la Cour a rendu son ordonnance ne

leur a pas laissé un temps de réflexion suffisant. Or, il est évident que l’ordonnance émanant d’un

tribunal ne se conçoit généralement pas comme une invitation à la réflexion adressée à une partie; il

est généralement admis que l’ordonnance elle-mêm e constitue un jugement porté sur la nécessité

d’une action donnée dans les circonstances du moment . Mais, quoi qu’il en soit, il n’y a pas de

raison de croire que plus ample réflexion aurait abouti à un résultat différent. Les Etats-Unis ont

eux-mêmes procédé à la comparaison avec l’affaire Breard dans laquelle le Paraguay avait, selon

eux, agi avec une célérité suffisante pour permettre à tous les intervenants de prendre les décisions

qui s’imposaient. Or nous savons ce qui est arrivé dans cette affaire : l’exécutif fédéral américain a

fait savoir tant au gouverneur de Virginie qu’à la Cour suprême des Etats-Unis que l’ordonnance en

indication de mesures conservatoires rendue par la C our n’avait pas d’effet obligatoire. Dans cette

affaire comme dans celle qui nous occupe, la C our suprême des Etats-Unis et le gouverneur de

l’Arizona ont souscrit à cette recommandation et ont refusé de donner suite à l’ordonnance de la

Cour internationale de Justice.

48Jiménez de Aréchaga, "International Responsibility" , dansManual of Public International Law

(Max Sørenson, dir. de publ. 1968), p. 531, 557. - 51 -

19. Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, les Etats-Unis sont

un Etat de droit, profondément attaché à la primauté du droit. S’ils n’ont pas respecté l’ordonnance

en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour, ce n’est pas faute d’avoir eu le temps

de lui obéir, mais parce qu’ils ne considéraient pas que l’indication disait le droit, ainsi qu’ils l’ont

soutenu à la barre. La présente affaire donne à la Cour l’occasion d’établir que son ordonnance

valait bien droit.

20. Je prie la Cour de donner à nouveau la parole à M. Dupuy.

Le PRESIDENT : Merci beaucoup. I now give the floor to Professor Pierre-Marie Dupuy.

Mr. DUPUY: Thank you, Mr. President. I shall be very brief. I have just one final point

still to deal with concerning the desire of the Un ited States to eliminate any link between its failure

to comply with the provisional measures and the substance of the case.

IV

21. On Tuesday counsel for the United States clear ly stated to you that, in their view, "The

49
Court can dispose of the merits of this c ase without any need to resolve this issue" . "This issue"

is the question of US responsibility for failure to apply the provisional measures.

The Court is being asked not to rule on Ge rmany's third submission, on the grounds that,

ultimately, it has nothing to do with the substa ntive issues involved. For the United States, the

substantive issue is Germany's request for repa ration by satisfaction. The question of the

provisional measures is another matter, a point of procedure, a hiccough, a hitch, not to say a

peccadillo, nothing more than that. I shall therefor e be brief, particularly as it would be unseemly

for me to repeat myself.

I would merely point out that the United States has failed to comply with a legal obligation,

flowing from the legal act constituted by your Order. In the event, in light of the circumstances of

the case, that is the extreme urgency, the vital issu e at stake, and the balance of interests involved,

the United States was bound to stay the execution. It did not do so. It incurred responsibility. And

49
Ibid., p. 52. - 52 -

it incurred that responsibility on a new basis in re lation to the main charge against it by Germany,

which, as you know, concerns the violation of Article 36 of the Vienna Convention.

22. But this responsibility for violating the Order of 3 March 1999, new element though it is,

and even if it can be examined as such, remains, in so far as the facts are concerned, bound up with

the principal responsibility of the United States. And it also has legal consequences for the

substantive issue. It remains bound up with that issue because it precluded the only adequate form

of reparation, which was not sa tisfaction but could have been restitutio in integrum if

WalterLaGrand had been permitted to live long en ough for you to render your own judgment.

That would not have reversed the United States inte rnal court decisions; this is something that you

cannot and must not do. But your judgment w ould have confirmed the existence, in the

international legal order, of a body of obligatio ns – with which the United States has in this

instance failed to comply ⎯ which required it to "answer", under international law, for its

internationally wrongful act, in other words to bear responsibility at international level. And it is

perfectly normal that this responsibility under international law should then be reflected in

consequences at domestic level; indeed situations such as this we re to be found even before the

advent of human rights ⎯ themselves by no means a recent phenomenon.

23. The United States is responsible per se because it did not comply with the provisional

obligation you imposed upon it as a matter of urgency. But at the same time it is also ultimately

responsible for aggravating the consequences of the injury it did to Germany by violating

Article 36 of the 1963 Vienna Convention. Indeed, it would seem to be mere common sense to say

that aggravated damage equally implies aggravated responsibility.

24. Germany, by way of reparation, is aski ng you for satisfaction. But it does so in the

knowledge that there is nothing more unsatisfactory th an satisfaction! At least, when this involves

payment of a pretium doloris, which could here be translated as "blood money"!

This is why ⎯ also why ⎯ that simple satisfaction under, as it were, the ordinary law which

consists of apologies is not sufficient, even if the apologies of the United States were to extend ⎯

which they indeed do not ⎯ to all the violations of Article 36. - 53 -

The aggravation of the damage caused by the failure to comply with the Order, rendering the

injury to Germany irreparable ⎯ that is to say, incapable of full reparation ⎯ presupposes

enhanced satisfaction.

If I wished to be facetious, which is not the case, given the tragically repetitive nature of the

conduct of the United States with regard to tho se sentenced to death without receiving consular

assistance, I would say that enhanced satisfacti on is what is forced upon children when you ask

them not only to "own up to what they've done" but also to "promise not to do it again". I fear,

however, Mr.President, Members of the Court, th at without your decision and, this time, your

Judgment, the United States will not spontaneously display the wisdom usually credited to

children . . .

I have now finished, at least with the main points of the oral argument of the United States

on provisional measures that I considered needed to be dealt with, and I ask you, Mr. President, to

be so kind as to give the floor to Mr. Westdick enberg, Agent of the Federal Republic of Germany,

so that he can conclude this second and final round of our oral presentation.

The PRESIDENT: Thank you, Professor. I now give the floor to Mr.Westdickenberg,

Agent of the Federal Republic of Germany.

M. WESTDICKENBERG :

VIII

Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, après l’exposé du

professeur Dupuy, nous arrivons au terme des plaidoiries de l’Allemagne dans la présente instance.

Avant de donner lecture des conclusions de l’Allemagne, permettez-moi d’ajouter deux

remarques :

⎯ en premier lieu, mes collègues et moi-même, qui représentons ensemble la République fédérale

d’Allemagne en cette affaire, n’ oublions ni le fait qu’à l’orig ine de celle-ci il y avait deux

hommes qui ont été exécutés pour des crimes qu’ ils avaient commis, ni les souffrances des

victimes et de leurs proches; - 54 -

⎯ en second lieu, le déroulement de la procédure orale devant cette Cour a confirmé jusqu’ici

l’espoir que j’avais exprimé dans mon exposé lim inaire:que l’Allemagne et les Etats-Unis

d’Amérique puissent s’opposer dans ce litige d’une façon qui reflète les relations aussi bonnes

qu’étroites qu’entretiennent nos deux pays, en tant qu’amis et que partenaires.

C ONCLUSIONS DE L ’ALLEMAGNE

La République fédérale d’Allemagne prie respectueusement la Cour de dire et juger que

1) en n’informant pas sans retard Karl et Walter LaGrand, après leur arrestation, des droits qui

étaient les leurs en vertu du paragraphe 1 b) de l’article 36 de la co nvention de Vienne sur les

relations consulaires, et en privant l’Allema gne de la possibilité de fournir son assistance

consulaire, ce qui a finalement conduit à l’exécution de Karl et Walter LaGrand, les Etats-Unis

ont violé les obligations juridiques international es découlant de l’article 5 et du paragraphe 1

de l’article 36 de ladite conven tion dont ils étaient tenus à l’ég ard de l’Allemagne, au titre de

son droit propre et de son droit de protection diplomatique de ses ressortissants;

2) en appliquant des règles de leur droit intern e, notamment la doctrine dite de la «carence

procédurale», qui ont empêché Karl et Walter LaGrand de faire valoir leurs réclamations au

titre de la convention de Vienne sur les relations consulaires, et en procédant finalement à leur

exécution, les Etats-Unis ont violé l’obligation juridique internationale, dont ils étaient tenus à

l’égard de l’Allemagne en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 de la convention de Vienne, de

permettre la pleine réalisation des fins pour lesquelles sont prévus les droits énoncés à l’article

36 de ladite convention;

3) en ne prenant pas toutes les mesures dont ils disposaient pour que Walter LaGrand ne soit pas

exécuté tant que la Cour inte rnationale de Justice n’aurait pas rendu sa décision définitive en

l’affaire, les Etats-Unis ont violé leur obliga tion juridique internationale de se conformer à

l’ordonnance en indication de mesures conservato ires rendue par la Cour le 3 mars 1999 et de

s’abstenir de tout acte pouvant interférer avec l’objet d’un différend tant que l’instance est en

cours;

et que, conformément aux obligations juridiques internationales susmentionnées, - 55 -

4) les Etats-Unis devront donner à l’Allemagne l’ assurance qu’ils ne répéteront pas de tels actes

illicites et que, dans tous les cas futurs de dé tention de ressortissants allemands ou d’actions

pénales à l’encontre de tels ressortissants, l es Etats-Unis veilleront à assurer en droit et en

pratique l’exercice effectif des droits visés à l’ article 36 de la convention de Vienne sur les

relations consulaires. En particulier dans les affaires où l’accusé est passible de la peine de

mort, cela entraîne pour les Etats-Unis l’oblig ation de prévoir le réexamen effectif des

condamnations pénales entachées d’une violatio n des droits énoncés à l’article 36 de la

convention, ainsi que des mesures de réparation.

Merci, Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, ici prennent fin les

plaidoiries de la Partie allemande.

The PRESIDENT: Thank you, Mr. Westdickenberg. The Court notes the final submissions

you have made on behalf of the Fe deral Republic of Germany. This concludes our business today.

The Court will meet again tomorrow at 2 p.m., to hear the second round of the oral argument of the

United States of America. The Court is adjourned.

The Court rose at 12.45 p.m.

___________

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