CR 2000/28 (traduction)
CR 2000/28 (translation)
Mardi 14 novembre 2000 à 10 heures
Tuesday 14 November 2000 at 10 a.m. - 2 -
The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open. I give the floor to Mr.James
Thessin, Acting legal Adviser, United State s Department of State.
M. THESSIN :
1.1. Merci, Monsieur le président. Madame et Messieurs de la Cour, éminents amis de
République fédérale d’Allemagne, Mesdames, Messieurs :
1.2. C’est un honneur pour moi que de me présenter devant vous en tant qu’agent des
Etats-Unis. Mes collègues et moi-même sommes ici pour aider la Cour à saisir les faits et principes
juridiques qui sous-tendent un différend surgi entre les Etats-Unis et l’Allemagne.
1.3. Parce que ce différend a été porté devant la Cour dans les circonstances les plus
dramatiques, alors qu’un individu faisait face à une exécution imminente pour meurtre, il est aisé
de perdre de vue les questions centrales dont il s’ag it dans l’affaire qui nous occupe aujourd’hui.
Mais en tant qu’internationalistes et juristes, nous devons nous concentrer exclusivement sur les
faits et principes juridiques fondamentaux en jeu.
1.4. Permettez-moi de résumer ce sur quoi cette af faire porte et ce sur quoi elle ne porte pas.
Mes collègues qui prendront la parole après moi en treront davantage dans le détail. Avec votre
permission, Monsieur le président , les conseils ne citeront pas intégralement les références qui
étayent nos arguments, mais elles figurent dans les textes fournis à la Cour et aux conseils de la
Partie adverse.
Questions dont la Cour a à connaître
1.5. Cette affaire a trait à l’interprétation et à l’application de la convention de Vienne sur les
relations consulaires et à rien d’autr e. Bien qu’elle s’intitule affaire LaGrand (Allemagne c.
Etats-Unis d’Amérique) , elle concerne uniquement le différend qui oppose les Etats-Unis et
l’Allemagne au sujet de l’applica tion de la convention de Vienne sur les relations consulaires.
Toute autre question soulevée dans les prétentions et conclusions de l’ Allemagne se trouve en
dehors de la compétence conférée à la Cour par le protocole facultatif.
1.6. Les Etats-Unis et l’Allemagne sont d’ accord sur deux points essentiels de l’affaire.
Premièrement, nous convenons que la convention sur les relations consulaires exigeait des autorités - 3 -
compétentes qu’elles informent sans retard Walter et Karl LaGrand qu’ ils avaient l’un et l’autre le
droit de demander à ces autorités d’avertir l es fonctionnaires consulaire s allemands de leur
arrestation. Et deuxièmement, nous convenons que les autorités compétentes n’ont informé ni l’un
ni l’autre des LaGrand de ce droit.
1.7. En revanche, l’Allemagne et les Etats-Unis sont en désaccord quant à l’obligation pesant
sur les Etats-Unis du fait de cette violation. En effet, les Etats-Unis estiment qu’ils ont déjà apporté
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la réparation voulue de cette violation en offrant une satisfaction appropriée .
1.8. Premièrement, les Etats-Unis ont rec onnu que leurs autorités n’avaient pas informé
Walter et Karl LaGrand de leur droit à notifica tion consulaire comme l’exige le paragraphe 1 b) de
l’article 36 de la convention sur l es relations consulaires. Nous l’avons admis, alors même que ce
manquement est intervenu à la suite d’une erreur de bonne foi dans des circonstances complexes et
qu’il n’a pas eu, à notre avis, d’effet préjudiciable.
1.9. Deuxièmement, au nom des Etats-Unis, le département d’Etat a fait savoir au
Gouvernement de l’Allemagne que les Etats-Unis regrettaient profondément et s’excusaient
sincèrement d’avoir manqué, envers Karl et Walt er LaGrand, à l’obligation que l’article36,
paragraphe 1 b), mettait à leur charge. Je n’ai d’ailleurs aucune hésitation, Monsieur le président, à
renouveler nos excuses devant cette Cour.
1.10. Troisièmement, le département d’Etat a assuré l’Allemagne que les Etats-Unis étaient
conscients qu’il y avait lieu d’améliorer le r espect des exigences relatives à la notification
consulaire et qu’ils avaient engagé une démarche globale à cette fin.
1.11. L’amélioration du respect de la convention sur les relations consulaires revêt pour nous
le plus grand intérêt. Des ressortissants des Etats-Unis se rendent dans toutes les parties du monde.
Sans un bon fonctionnement du système international de notification consulaire, nos fonctionnaires
consulaires à l’étranger ne peuvent s’acquitter plei nement de leurs fonctions. En conséquence,
notre détermination à apporter des améliorations dans ce domaine est sincère et durable.
1.12. Pour renforcer cette démarche, les Etats- Unis ont invité l’Allemagne, dans une note du
18février2000, à leur faire connaître sans tarder les éventuelles affaires dans lesquelles elle
11.8. Les mesures prises à cet effet sont exposées en détail dans les deux premières annexes au contre-mémoire
des Etats-Unis: la note du 18février2000 adressée à l’amba ssade de la République fé dérale d’Allemagne par le
département d’Etat des Etats-Unis (annexe 2) et le rapport d’enquête du 17 février 2000 joint à cette note (annexe 1). - 4 -
estimait qu’un manquement à la notification consul aire avait pu se produire. L’Allemagne n’a pas
répondu à cette note mais elle a, le 26octobre, dé posé auprès de cette Cour une liste de cas dans
lesquels elle estime apparemment qu’il y a eu manquement à l’obligation de notification consulaire.
Il serait peu équitable de conclure de ces allégations de dernière minute, faites sans que les Etats-
Unis aient eu l’occasion de les étudier, que les Etat s-Unis violent de façon flagrante l’article36.
Compte tenu de la date tardive à laquelle la Cour a accepté la production de ces nouveaux
documents, elle ne devrait pas leur reconnaître de force probante.
1.13. Monsieur le président, une fois ces di fférentes mesures prises par les Etats-Unis, le
différend avec l’Allemagne aurait dû se trouver réglé. Comme la Cour l’entendra aujourd’hui, un
tel règlement est en conformité av ec la convention sur les relations consulaires. Il l’est également
avec la pratique des Etats ; et il l’est enfin avec le droit de la responsabilité des Etats. Aucune autre
réparation de la part des Etats-Unis n’est nécessaire ou appropriée dans les circonstances de
l’espèce.
1.14. L’Allemagne n’en a pas fait davantag e dans les cas où elle-même a manqué à son
obligation d’informer en temps voulu des ressortissants des Etats-Unis de leurs droits consulaires,
et les Etats-Unis ne lui en ont pas demandé davantage.
1.15. L’Allemagne, cependant, se fait une id ée beaucoup plus large de la réparation que
doivent les Etats-Unis pour n’avoir pas informé les frères LaGrand. L’Allemagne prie la Cour de
dire que les exécutions ont été illicites, alors même qu’elle n’a pas démont ré que le défaut de
notification ait porté atteinte, en l’espèce, à l’équité des deux procès ou à l’appréciation
approfondie des circonstances atténuantes. L’ Allemagne demande aussi des garanties de
non-répétition, alors qu’elle-même est loin d’avoir toujours respecté ses obligations en la matière.
L’Allemagne demande enfin l’application de règles spéciales quand la peine de mort est en jeu,
alors même que la convention de Vienne n’établit aucune distinction de ce genre.
1.16. En fait, l’Allemagne prie cette Cour de créer des obligations supplémentaires
auxquelles les Parties n’ont pas donné leur assentiment . La Cour ne servirait ni les intérêts de
l’Allemagne, ni ceux des Etats-Unis, ni ceux de la communauté internationale dans son ensemble
en acceptant, comme l’y invite l’Allemagne, de déna turer les prescriptions de la convention sur les
relations consulaires et d’amplifier les mesures de réparation dues en cas de violation. - 5 -
1.17. Nous estimons qu’il existe une issue pour la Cour : dire que le véritable différend entre
les Parties ― relatif à la violation de l’obligation dont étaient tenus les Etats-Unis envers
l’Allemagne d’informer les LaGrand de le ur droit à la notification consulaire ― se trouve résolu
dès lors que les Etats-Unis ont présenté leurs ex cuses et donné des assurances de non-répétition,
privant ainsi cette affaire de son objet. Les autr es revendications de l’A llemagne sont de nature
spéculative et dérivée et n’ont pas d’existence autonome.
Questions dont la Cour n’a pas à connaître
1.18. La Cour n’a pas à se pencher, dans la présente instance, sur certaines autres questions
auxquelles l’Allemagne a consacré hier un temps considérable.
1.19. Les systèmes pénaux des Etats. Comme la Cour l’a elle-même déclaré avec sagesse, sa
fonction est de résoudre les différends juridiques internationaux entre Etats et «non pas d’agir en
tant que cour d’appel en matière criminelle» 2. Le rôle de la Cour est en effet centré sur
l’interprétation et l’application des conventions internationales. Ainsi, nous ne devons pas nous
laisser entraîner par l’Allemagne à examiner à nouveau si les avocats se sont montrés compétents, à
analyser de nouvelles allégations de discriminati on raciale, et à réorganiser le système pénal
américain.
1.20. Aucune lecture convenable de la conven tion de Vienne sur les relations consulaires
n’autorise à penser qu’elle dicte à un Etat la façon dont il doit organiser son système judiciaire
interne. L’Allemagne, en fait, a invité cette Cour à créer une nouvelle obligation juridique
internationale, qui se traduirait nécessairement, chaq ue fois qu’il y aurait violation de la règle de
notification consulaire, par une profonde intrusion da ns le système de justice pénale interne de tout
Etat réprimant une infraction, quelle qu’elle soit. Monsieur le président, Madame et Messieurs de
la Cour, la position de l’Allemagne tend à conduire la Cour à légiférer, et non à interpréter, en
outrepassant largement les limites de la fonction judiciaire qui est la sienne.
1.21. Si nous nous élevons contre les tentativ es de l’Allemagne d’élargir le champ de cette
affaire, ce n’est pas que nous craignions de telles i nvestigations. En effet, à la seule exception du
manquement à l’obligation d’informer les LaGrand, les Etats-Unis ont agi dans le respect total du
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Ordonnance du 3 mars 1999, affaire LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), par. 25. - 6 -
droit étatique, fédéral et international à toutes l es étapes de la procédure, devant les tribunaux de
l’Arizona, devant les tribunaux fédé raux et devant cette Cour. Lo rs de l’audience au cours de
laquelle les peines ont été prononcées, les avocat s des LaGrand ont plaidé les circonstances
atténuantes en invoquant des faits remontant à la petite enfance des deux frères en Allemagne. Les
LaGrand ont été traités à tous égards comme s’ils étaient des citoyens américains, ce que de
nombreux fonctionnaires et au moins l’un des deux frè res pensaient être le ca s. L’intervention de
l’Allemagne n’eût au mieux qu’un effet d’accumulation, en venant se surajouter à ce processus
exhaustif. Comme l’a déclaré M. Oda,
«si les autorités consulaires avaient pu entrer en communication avec
M.WalterLaGrand à l’époque de son arrest ation ou de sa détention, la procédure
judiciaire dans cette affaire devant les tribunaux internes des Etats-Unis n’aurait pas
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été différente» .
1.22. Malgré la sévère condamnation du système juridique américain prononcée par
l’Allemagne dans son mémoire et dans ses plaidoiries, et avant que les thèses contestables qu’elle
défend devant cette Cour n’aient eu besoin d’a ppui, les plus hautes autorités de l’Allemagne, le
président Herzog et le ministre de la justice, qui ont assurément toute autorité pour parler au nom
de l’Allemagne, ont salué le caractère équitabl e de la procédure suivie dans l’affaire LaGrand. Le
président Herzog a écrit: «Je ne doute nullement de la légitimité de le ur condamnation ni de
l’équité de la procédure suivie devant les juri dictions de l’Etat de l’Arizona et devant les
juridictions fédérales.» Le ministre de la justice a écrit dans le même sens :
«pas plus que je n’ai de doute quant à la régularité de la procédure intentée à leur
encontre devant les juridictions de l’Et at de l’Arizona et devant les tribunaux
fédéraux, et qui s’est soldée par l’imposition aux condamnés ― avec effet définitif et
obligatoire ― de la peine de mort».
Les LaGrand ⎯ pour citer le ministre de la justice ⎯ ont commis «un crime abominable, empreint
d’une brutalité toute particulière».
1.23. La bonne foi. La bonne foi des Etats-Unis n’est pas vraiment en cause non plus. Le
rapport d’enquête (reproduit à l’annexe1) expo se avec force détails les circonstances qui ont
entouré l’arrestation des frères LaGrand, y compri s la confusion qui existait à propos de leur
nationalité, et explique la façon dont la violation de l’obligation d’information a eu lieu. Dans un
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Affaire LaGrand (Allemagne c.Etats-Unis d’Amérique) , ordonnance du3mars1999, déclaration de M.Oda,
par. 4. - 7 -
pays d’immigration où la plupart des résidents ont leurs racines dans d’autres pays, dans un pays où
il n’existe pas de carte d’identité nationale, les Etats-Unis font beaucoup d’efforts pour éviter les
divisions entre citoyens et non-citoyens. Di stinguer un citoyen américain d’un individu qui ne
l’est pas est donc souvent difficile. La déléga tion des Etats-Unis, par exemple, comprend des
avocats nés en Allemagne, en Pologne et en Su isse ainsi qu’un autre dont les ancêtres ont émigré
d’Allemagne; un seul d’entre nous n’est pas citoye n américain. L’insinuation selon laquelle les
autorités de l’Arizona auraient violé par néglig ence ou délibérément l’ob ligation d’informer les
frères LaGrand est intolérable.
1.24. Les efforts des Etats-Unis pour remédier à la violation en question du mieux qu’ils
pouvaient ont néanmoins été sérieusement compromis par la date tardive à laquelle l’Allemagne a
soulevé le problème. M. Fischer, le ministre allemand des affaires étrangè res, a évoqué pour la
première fois la possibilité d’un défaut de notif ication consulaire auprès de MmeAlbright, la
secrétaire d’Etat, le 22 février 1999, deux jours seu lement avant la date prévue pour l’exécution de
Karl LaGrand, ce qui ne laissait pas assez de temp s pour procéder à une enquête avant l’exécution.
De la même manière, la requête et la demande en indication de mesures conservatoires ont été
déposées devant cette Cour le soir précédant la date prévue pour l’exécution de Walter LaGrand.
Je prie la Cour de bien vouloir considérer que, si la communication diplomatique relative au défaut
de notification consulaire et le dépôt de la requête devant cette Cour ont tous deux eu lieu
tardivement, cela est imputable au Gouvernement de l’Allemagne.
1.25. La peine capitale. Même si de nombreuses personnes ici ont de graves réserves à
l’égard de la peine capitale, cette affaire n’est pas, comme la Cour 4et le mémoire de l’Allemagne 5
s’accordent à le reconnaître, une affaire sur la pe ine capitale. Le droit international autorise la
peine capitale lorsqu’elle est dûment prescrite pour la commission des crimes les plus graves et
appliquée par un Etat dans le respect des droits de la défense et en étant assortie de garanties
procédurales rigoureuses, comme c’est le cas aux Etat s-Unis. Le pacte international relatif aux
droits civils et politiques le reconnaît expressément . Environ soixante-dix Etats, actuellement,
prévoient et appliquent la peine de mort pour l es crimes les plus graves. Les Etats fédérés des
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Ordonnance du 3 mars 1999, affaire LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), par. 25.
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Mémoire, par. 1.08-1.09. - 8 -
Etats-Unis qui ont choisi de maintenir la possib ilité de prononcer la peine de mort pour les crimes
les plus graves l’ont fait par des moyens transparents et démocratiques.
1.26. Plus important encore, la convention de Vienne sur les re lations consulaires ne fait pas
mention de la peine de mort. Il n’en est p as non plus question dans ses travaux préparatoires,
pourtant volumineux. La doctrine no n plus, dans les écrits ayant trait à la convention, ne s’est pas
penchée sur la peine capitale avant l’affaire introdui te par le Paraguay devant cette Cour en 1998.
Les dispositions de la convention n’établissent pas non plus de distinction entre les affaires pénales
où la peine de mort est encourue et celles où d’au tres peines sont en jeu. Toute interprétation que
fera la Cour de cette convention en l’espèce devr a donc être également applicable aux infractions
qui ne sont pas punissables de la peine de mort. Je ne doute pas que la Cour gardera à l’esprit que
sa compétence se limite à l’interprétation et à l’ application de la convention de Vienne sur les
relations consulaires et ne s’étend pas à des in itiatives de grande portée qui, sous couvert d’une
violation de cette convention, tendent à faire le procès de la peine de mort.
1.27. Monsieur le président, Madame et Me ssieurs de la Cour, permettez-moi de vous
présenter les conseils des Etats-Unis et de résumer brièvement les exposés restant à faire
aujourd’hui.
Ordre des exposés
1.28. Monsieur le président, je vous prierai d’abord d’appeler à la barre
l’honorable Janet Napolitano, Attorney General de l’Etat d’Arizona; l’Attorney General est le plus
haut magistrat du parquet de cet Etat, élu par le peuple de l’Arizona. Mme Napolitano exposera les
faits importants de cette affaire et montrera le caractère hypothétique et peu plausible du préjudice
allégué par l’Allemagne.
1.29. Nous prierons ensuite la Cour d’ente ndre M. Theodor Meron, professeur titulaire de la
chaire Charles L. Denison à la New York University, actuellement conseiller chargé des questions
de droit international au département d’Etat des Et ats-Unis. M. Meron parlera de la question de la
compétence de la Cour en l’espèce.
1.30. Après M. Meron, nous prierons la C our d’entendre Mme Catherine Brown, conseiller
juridique adjoint chargé des affaires consulair es au département d’Etat et agent adjoint en - 9 -
l’instance. Mme Brown parlera des efforts considérables déployés par les Etats-Unis pour prévenir
de nouveaux manquements et analysera les dispositions de la convention de Vienne relatives à la
notification consulaire.
1.31. Nous prierons ensuite la Cour d’ente ndre M. Stephen Mathias, conseiller juridique
adjoint chargé des questions concernant les Nations Unies au département d’Etat et agent adjoint en
l’instance, qui parlera des mesures demandées par l’Allemagne.
1.32. Après M. Mathias, nous prierons la C our d’entendre M. Stefan Trechsel, professeur à
l’Université de Zurich, longtemps membre et an cien président de la commission européenne des
droits de l’homme. M. Trechsel examinera la nature du droit qu’a un ressortissant étranger d’être
informé de son droit de faire avertir son consul at. Son exposé sera centré sur trois questions.
Premièrement, ce droit peut-il être considéré co mme relevant de la catégorie des droits de
l’homme? Deuxièmement, quelle que soit la façon dont on définit ce droit d’information
consulaire, constitue-t-il un droit de la défense, participant du droit à un procès équitable?
Troisièmement, en supposant qu’il s’agisse d’un tel droit (ce qui n’est pas le cas, conclura
M. Trechsel), quelles conséquences découlent ou ne découlent pas de sa violation ?
1.33. Après M. Trechsel, la Cour entendra M. Michael Matheson, professeur à la School of
Advanced International Studies de la Johns Hopkins University, qui parlera de l’ordonnance en
indication de mesures conservatoires rendue par la Cour en l’espèce et de la réaction des Etats-Unis
à celle-ci.
1.34. Je remercie la Cour de son attention. M onsieur le président, je vous prie d’appeler à la
barre Mme Napolitano.
Le PRESIDENT : Thank you Mr. Thessin. I now give the floor to the Attorney General of
the State of Arizona, the Honourable Janet Napolitano,.
Mme NAPOLITANO :
2.1. Monsieur le président, Madame et Messi eurs les Membres de la Cour, c’est un honneur
pour moi que deme présenter devant vous aujour d’hui. Je suis sensible au fait que c’est la
première fois que les Etats-Unis invitent un fonctionnaire d’un des Etats des Etats-Unis à collaborer
à leur représentation devant cette Cour. C’est une chance que j’apprécie à sa juste valeur, et - 10 -
j’espère que mes observations vous aideront à mi eux comprendre les questions que soulève cette
affaire.
2.2. Ma présence en ces lieux s’explique en par tie par le fait que c’est l’Etat d’Arizona qui a
assumé la responsabilité directe de traduire en ju stice les frères LaGrand pour le crime de meurtre
aggravé et d’appliquer la peine prononcée à leur en contre. Je suis également là aujourd’hui parce
que, bien que les Etats-Unis soient responsables au regard du droit international de toute violation
de l’article 36 de la conventi on de Vienne, celle dont il s’agit en l’espèce tient au fait que des
fonctionnaires de l’Etat d’Arizona n’ont pas informé les frères La Grand, une fois la nationalité
allemande connue, de leur droit de faire avertir leur consulat. Le département d’Etat des Etats-Unis
a estimé approprié, et je partage ce point de vue, qu e j’entreprenne d’expliquer à la Cour les faits
essentiels de l’affaire. Ma démarche sera d’expl iquer d’abord les faits se rapportant à la violation
de l’article 36, puis d’analyser pour la Cour les di fférents éléments de la procédure pénale, et enfin
de montrer l’absence d’effet préjudiciable.
2.3. Je dirai d’abord quelques mots du contex te dans lequel est née l’affaire. La Cour
n’ignore pas, bien sûr, que les Etats-Unis sont un Etat fédéral. L’une des caractéristiques
fondamentales de notre fédéralisme, qui n’est pas toujours bien comprise, est que notre Etat fédéral
a été constitué par des Etats différents qui se sont unis et ont transféré des compétences, mais
seulement des compétences précise s et limitées, à l’Etat fédéral. Les Etats ont conservé pour
eux-mêmes, et pour le peuple, toutes les autr es compétences. Il en résulte, entre autres
conséquences, qu’un Etat comme l’Arizona a un sy stème de justice pénale autonome dans lequel
l’Etat fédéral ne joue pratiqueme nt aucun rôle. Ce sont donc les autorités de l’Arizona qui ont
poursuivi les frères LaGrand pour le meurtre qu’ ils avaient commis, sans que l’Etat fédéral
intervienne en rien. Il s’agissait d’un crime cont re le peuple d’Arizona, et c’est en application du
droit de l’Arizona que les frères LaGrand ont été in culpés de meurtre. Bien qu’il soit le chef du
pouvoir exécutif des Etats-Unis, le président des Et ats-Unis n’avait pas le pouvoir de traduire les
frères LaGrand en justice pour ce meurtre, et il n’avait aucun pouvoir quant à l’administration de la
peine. Seuls les tribunaux fédéraux des Etats-Unis , en tant que garants d es droits constitutionnels
fédéraux aux Etats-Unis, avaient le pouvoir d’influer sur l’issue de l’affaire LaGrand. - 11 -
2.4. Aux Etats-Unis, chaque Etat dispose de sa propre structure gouvernementale, qui peut
varier considérablement d’un Etat à l’autre. L’Arizona se compose de quinze comtés et son
système de justice pénale est décentralisé. En plus de l’ Attorney General de l’Arizona, qui est un
fonctionnaire élu à l’échelle de l’Etat, cha que comté a son propre procureur général
(county attorney), qui est élu par les habitants du comté. Chaque county attorney a compétence en
première instance pour poursuivre les crimes de meurtre. C’est le county attorney qui met en
mouvement la procédure de jugement d’un acc usé ou d’un prévenu et la procédure de
détermination de la peine si ce dernier est déclaré coupable. En principe, c’est seulement quand il
y a appel que mes services prennent en charge une affaire de meurtre. Conformément à ce
système, les LaGrand ont été poursuivis par le procureur du comté (county prosecutor) relevant du
bureau du county attorney de Pima. Mes services se sont chargés de l’affaire en appel, mais c’est
le county prosecutor qui a de nouveau représenté l’Etat d’Arizona au cours de l’audience sur le
recours en grâce final. Il incombait à la gouvern eur de l’Arizona, chef de l’exécutif de l’Etat
d’Arizona, de veiller à ce que les peines soient co rrectement appliquées. Elle pouvait commuer les
peines à l’issue du recours en grâce, mais seulement sur avis favorable de la commission des grâces
de l’Arizona.
2.5. Peut-être serait-il utile de donner à la Cour quelques indications concernant la
géographie et la démographie de l’Arizona. L’Ar izona est un peu plus petit que la Pologne, et a à
peu près la même population que la Finlande ou le Danemark. Il est contigu sur sa frontière sud
avec le Mexique. Les LaGrand ont été arrêtés à Tu cson, qui est à environ une heure de voiture de
la frontière mexicaine. Le lieu de l’attaque de la banque et le meurtre se situe non loin de là, un
peu plus au nord et à l’ouest. La ville de Lo s Angeles, en Californie, où se trouve le poste
consulaire allemand du ressort duquel dépend l’Ariz ona, est à environ 488miles de Tucson. La
population de l’Arizona est très variée et comp rend aussi bien des Hispano-Américains, des
Amérindiens, des Afro-Américains et des Amérasi ens que des personnes de race blanche. Cette
diversité de la population s’expliq ue par notre situation au sud-ouest des Etats-Unis et par la
proximité du Mexique, ainsi que par la présence en Arizona de plusieurs bases militaires. De
nombreux soldats de l’armée américaine ont fondé une famille dans d’autres pays avant d’être
envoyés en Arizona. Leurs femmes, maris ou en fants sont souvent nés à l’étranger mais les - 12 -
enfants, en particulier, sont généralement cito yens des Etats-Unis. (Le fait que les LaGrand
n’avaient pas la nationalité américaine était donc inhabituel, et tient, prem ièrement, à ce qu’ils
étaient nés de pères américains hors mariage et, deuxièmement, à ce qu’ils avaient été adoptés par
un citoyen américain qui n’avait pas accompli les formalités nécessaires pour leur naturalisation).
En raison de cette diversité en Arizona, notre personnel de police a souvent affaire à des personnes
nées à l’étranger qui sont enfants de militaires améri cains et ont la citoyenneté des Etats-Unis. Il
sait, étant donné les préoccupations qui ont cours en matière de discrimination et d’égalité de
traitement devant la loi, et instruit par son expé rience au contact de cette population variée, qu’il
risque d’offenser de tels citoyens américains en mettant en doute leur nationalité.
Les faits pertinents en ce qui concerne la violation de l’alinéa b) du paragraphe 1 de
l’article36 et l’intervention de dernière minute de l’Allemagne dans l’affaire ne sont pas
tels que l’Allemagne les a présentés
2.6. Après ces remarques préliminaires, je voudrais maintenant en venir aux faits relatifs au
défaut de notification dans la présente affaire. Après l’introduction de l’instance par l’Allemagne,
mes services ont collaboré avec le département d’Etat des Etats-Unis à une enquête sur le problème
de la notification consulaire. Les résultats de cette enquête figurent dans un rapport volumineux
que les Etats-Unis ont ad ressé à la Cour ainsi qu’au gouvernemen t allemand en février dernier : il
s’agit de l’annexe 1 au contre-mémoire. Avant cette enquête, il régnait une grande confusion sur la
nationalité des LaGrand et sur ce qu’on en savait entre janvier 1982, date à laquelle les LaGrand
ont été arrêtés, et juin 1992, date à laquelle ils ont pris contact avec les fonctionnaires du consulat
allemand à Los Angeles.
2.7. Notre enquête a montré que les policiers ayant procédé à l’arrestation pensaient, sur la
foi des indications fournies par Karl et Walter LaGr and, que c’étaient des citoyens des Etats-Unis.
La procédure d’arrestation du comté de Pima ex ige que soit rempli un rapport d’arrestation sur
lequel doivent figurer des informations relatives à la nationalité de la personne arrêtée. Sur ce
rapport, le choix était soit de cocher une case indiquant la citoyenneté américaine, soit ⎯ si
l’intéressé n’avait pas la citoyenneté américaine ― d’inscrire sur la ligne prévue à cet effet le nom
du pays dont l’intéressé avait la nationalité. Il s’agit de l’annexe 1 au mémoire de l’Allemagne. Ce
rapport contient les informations fournies par la pe rsonne arrêtée. Le rapport d’arrestation de Karl - 13 -
fait apparaître clairement, mais à tort, que l’intéressé est citoyen américain. Sur le rapport
d’arrestation de Walter, la case «citoyenneté des Etats-Unis» n’est pas cochée, mais la ligne à
remplir quand l’intéressé n’a pas la citoyenneté américaine est également laissée en blanc. A partir
de ces informations, les enquêteurs ont conclu qu’aucun des frères ne s’était présenté comme un
ressortissant allemand aux fonctionnaires ayant procéd é à l’arrestation, et que Karl avait déclaré
qu’il était citoyen américain. En outre, au moment du crime, les deux frères étaient coiffés à la
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mode afro-américaine et parlaient sans la moindre trace d’accent allemand . Ils avaient l’allure
d’Américains, ils parlaient comme des Américains et ils se comportaient comme des Américains.
2.8. Nous avons aussi appris que certains des fonctionnaires ayant procédé à l’arrestation
savaient que les pères des LaGrand étaient d es militaires américains, ce qui n’a fait que les
conforter dans leur idée que les LaGrand étaient citoyens des Etats-Unis, même s’ils savaient que
les frères étaient nés en Allemagne. Cette idée reposait sans doute en partie sur leur connaissance
de la population militaire américaine en Arizona. J’ai appris depuis lors qu’il s’agit d’une méprise
très fréquente sur le droit de la nationalité des Et ats-Unis, et que même des citoyens américains
ayant adopté des enfants nés à l’étranger pensen t à tort que leurs enfants adoptifs acquièrent
automatiquement la citoyenneté américaine. De fait, Masie LaGrand, après avoir adopté les frères,
pensait apparemment que ses fils adoptifs étaient devenus américains car il les a clairement
présentés tous deux comme tels auprès des forces ar mées des Etats-Unis lorsqu’il a organisé leur
voyage en Allemagne en 1974. Cela étaie fort ement la thèse selon laquelle les frères eux-mêmes
pensaient lors de leur arrestation qu’ils étaient ou pouvaient être des citoyens des Etats-Unis. Ils
n’ont en tout cas rien fait qui pût donner à pens er aux policiers ayant procédé à leur arrestation
qu’il fallait se renseigner plus avant sur leur nationalité.
2.9. Notre enquête a également montré qu’à l’origine les LaGrand étaient détenus à la prison
du comté de Pima, et qu’apparemment le personnel de la prison aussi pensait que les LaGrand
étaient américains. Cela se comprend, puisqu’il devait disposer des mêmes informations que les
fonctionnaires ayant procédé à l’arrestation.
6
Annexe 1 au contre-mémoire des Etats-Unis déposé devant la Cour le 27 mars 2000, p. 1. - 14 -
2.10. Cependant, notre enquête a aussi dévo ilé que, après que les LaGrand eurent été
transférés de la prison du comté à une prison de l’Etat d’Arizona, les fonctionnaires de la prison
d’Etat ont apparemment appris qu’en fait ils n’ étaient pas américains. Nous n’avons pas pu
déterminer exactement ce qu’ils savaient, ni co mment ou à quel moment ils l’ont su, vu le temps
qui s’est écoulé depuis. Mais un fonctionnaire de la prison d’Etat a écrit au Service de
l’immigration et des naturalisations des Etats-Unis au milieu de l’année 1983 pour l’avertir qu’il se
pouvait que les LaGrand fussent des étrangers en situa tion irrégulière. Vers la fin de l’année 1984,
les registres carcéraux indiquaient clairement que les LaGrand étaient allemands. Le rapport
d’enquête en a tiré la conclusion que le service de l’immigration avait confirmé à la prison que les
LaGrand étaient allemands. Il est clair qu’il au rait fallu, une fois l’in formation confirmée,
demander aux LaGrand s’ils voulaient qu’un fonctio nnaire consulaire allemand soit averti de leur
détention. L’Arizona regrette que l’information voulue n’ait pas été fournie alors aux LaGrand.
2.11. Je me suis concentrée jusqu’ici sur les au torités responsables de l’arrestation et de la
détention parce qu’elles ont été considérées aux Et ats-Unis comme les autorités compétentes aux
fins de l’article 36. Il importe cependant de savoir que d’autres personnes non considérées comme
compétentes en la matière savaient, ou avaient accès à des informations qui leur auraient permis de
savoir, que les LaGrand étaient en fait des ressortissants allemands.
2.12. Une fois les LaGrand déclarés coupables, la procédure de déterm ination de la peine
comportait l’établissement de ce que nous appe lons un «rapport pré-sentenciel». Le rapport
pré-sentenciel est établi par un employé du tribunal après le verdict de culpabilité pour aider le
tribunal à fixer la peine. Il expose les antécéd ents sociaux des intéressés et contient d’autres
informations pertinentes pour la fixation de la pe ine, ainsi que des informations concernant le
crime. Je renvoie la Cour à l’annexe 6 au contre -mémoire des Etats-Unis, ainsi qu’à l’annexe 2 au
mémoire de l’Allemagne. Les employés du tribun al qui étaient chargés de rédiger le rapport
pré-sentenciel savaient que les LaGrand étaient allemands et ont consigné cette information dans le
rapport. Ces employés n’avaient toutefois aucune responsabilité dans l’arrestation ou la détention
des LaGrand et n’agissaient pas en qualité d’avocats ou de policiers assermentés chargés de la mise
en détention des individus arrêtés. Les Etats-Unis ne les ont jamais considérés comme des autorités
compétentes auxquelles incombait la notification cons ulaire prévue par la convention de Vienne. - 15 -
Et les autorités chargées de l’ arrestation et de la détenti on n’ont pas pu recevoir le rapport
pré-sentenciel et ne pouvaient donc pas savoir que ce rapport, à l’inverse du rapport d’arrestation,
identifiait les LaGrand comme étant des ressortissants allemands.
2.13. Il est important de souligner, au vu d es protestations de l’Allemagne selon lesquelles
les rapports pré-sentenciels étaient en quelque so rte inaccessibles, que les rapports pré-sentenciels
concernant Karl et Walter ont été communiqués non seu lement au juge mais aussi au procureur et
aux avocats des LaGrand. Vous pouvez constate r, à la lecture de l’annexe 5 du mémoire de
l’Allemagne, que les avocats de la défense avaien t ce rapport. Cette annexe montre que, au cours
de l’audience de détermination de la peine tenue le 12 décembre 1984, le juge a demandé
expressément aux avocats s’ils en avaient reçu copie, et les deux avocats ont répondu par
l’affirmative7. Il est donc clair qu’au moins le procureu r et les deux avocats de la défense ont eu
accès à l’information relative à la nationalité allemande des LaGrand.
2.14. L’avocat de Walter nous a lui-même c onfirmé qu’il savait que Walter était allemand.
En revanche, l’avocat de Karl supposait, comme les fonctionnaires de l’Ariz ona qui ont arrêté les
LaGrand, que ceux-ci étaient des citoyens américains. L’avocat de Karl savait que Karl était né en
Allemagne, mais il savait aussi que les pères des La Grand étaient des soldats américains et il était
lui-même enfant de militaire américain. En tout cas, les deux avocats de la défense savaient que les
frères avaient vécu en Allemagne pendant leurs premières années.
2.15. Je crois comprendre que l’Allemagne prétend avoir été abusée sur la date à laquelle les
fonctionnaires de l’Arizona ont su que les frères LaGrand étaient allemands . Elle a dit que ce
n’était que lors de l’audience tenue le 23févr ier1999 par la commission des grâces au sujet de
KarlLaGrand qu’elle avait appris que l’Arizona était au courant depuis le début de la nationalité
allemande des LaGrand. Les LaGrand eux-mêmes sont en partie respon sables de la confusion
créée, mais il n’en reste pas moins que l’Etat, les av ocats de la défense et le juge étaient au courant
de leur nationalité avant le prononcé de la peine. L’Allemagne a confondu la question de la date à
laquelle les autorités de l’Arizona ayant arrêté et détenu les LaGrand ont été informées avec celle
de la date à laquelle l’ont été les avocats des LaGrand et le procureur.
7
Annexe 5, p. 120. - 16 -
2.16. L’Allemagne s’est attachée à souligner qu’elle n’avait eu connaissance de l’ampleur de
la violation alléguée que lors de l’audience tenue par la commission des grâces, quand le procureur
du ministère public du comté de Pima ― l’organe qui avait à l’origine porté les accusations et
intenté les poursuites contre les LaGrand ― a déclaré qu’on savait parfaitement avant qu’ils ne
passent en jugement qu’ils étaient de nationalité a llemande. Si la Cour examine attentivement le
contexte des propos du procureur, elle constatera que celui-ci répondait à l’affirmation faite à
l’audience que les fonctionnaires consulaires allemands auraient pu, si le consulat avait été averti,
réunir en Allemagne des éléments de preuve établissant l’existence de circonstances atténuantes qui
auraient pu aboutir à ce que soit prononcée contre le s LaGrand une peine de réclusion à perpétuité.
Ce que le procureur voulait dire, c’est que les a vocats défendant les LaGrand savaient parfaitement
que ceux-ci étaient nés en Allemagne et y avaient passé les premières années de leur vie. Les
avocats des LaGrand auraient donc pu chercher à réunir en Allemagne des éléments de preuve
établissant l’existence de circonstances atté nuantes, indépendamment de toute assistance
consulaire. Le fait pour l’Arizona de ne pas avoir informé les LaGrand de la faculté qui était la leur
de demander l’assistance consulaire n’a donc nullement eu pour effet de les empêcher d’obtenir des
éléments de preuve en Allemagne et de les présenter dans le cadre de leur défense, comme ils l’ont
d’ailleurs fait.
2.17. La possibilité qu’avaient les avocats de la défense de consulter le rapport pré-sentenciel
entraîne aussi que les LaGrand auraient pu invoque r la violation de l’article36 comme moyen de
défense lors des procédures pénales dont ils ont fa it l’objet s’ils avaient estimé qu’il s’agissait là
d’un point de droit important. Mais surtout, il en découle que rien ne peut justifier le retard mis par
l’Allemagne elle-même à soulever la question de la notification c onsulaire puisqu’elle reconnaît,
comme elle y est bien obligée, qu’elle était égal ement au courant de la situation des LaGrand
en 1992, sept ans avant d’introduire la présente inst ance. Si elle avait vraiment voulu savoir quels
étaient les éléments dont il avait été tenu comp te pour fixer la peine infligée aux LaGrand,
l’Allemagne aurait pu se procurer les rapports pr é-sentenciels n’importe quand après1992 en les
demandant simplement aux avocats des LaGran d ou bien encore à l’Etat d’Arizona ou au
département d’Etat des Etats-Unis. L’indica tion donnée hier par l’Allemagne que le rapport
pré-sentenciel était placé sous scellés est fallacieu se. La Cour constatera à la lecture de la - 17 -
page1009 du mémoire de l’Allemagne que les rap ports pré-sentenciels étaient devenus publics
depuis mars 1993 au moins, date à laquelle Karl LaGrand les a déposés auprès du tribunal fédéral
de première instance à l’appui de son recours tendant à faire infirmer la déclaration de culpabilité et
la peine prononcée à son encontre 8. Si l’Allemagne avait fait pre uve d’une diligence raisonnable,
les propos tenus par le procureur du comté lors de l’audience de la commission des grâces ne
l’auraient pas surprise car celui-ci avait absolume nt raison de dire que le fait de ne pas avoir
informé les LaGrand de la faculté qui était la le ur de faire avertir leur consulat ne les avait
nullement empêchés de présenter des éléments de preuve en provenance d’Allemagne lors de
l’audience sur les circonstances atténuantes. Il est tout simplement faux de laisser entendre que
l’Allemagne n’a pas pu consulter le rapport pré-sen tenciel avant la date de l’audience tenue par la
commission des grâces.
2.18. Je tiens aussi à assurer la Cour que l’Arizona a pris d’importantes initiatives
depuis1992 en matière de notification consulaire . Avant même que les projecteurs ne soient
braqués sur la présente affaire, la gouverneur de l’Arizona et mon prédécesseur ont pris diverses
mesures pour s’assurer que tous les fonctionnaires co mpétents de l’Arizona comprenaient bien les
obligations des Etats-Unis en matiè re de notification consulaire et les respectaient. Nous avons à
cet effet travaillé en étroite collaboration avec le département d’Etat des Etats-Unis, pour nous
assurer que les directives que nous donnons sont c onformes aux exigences tant de la convention de
Vienne que des nombreux traités bilatéraux auxquels les Etats-Unis sont partie.
2.19. Ces exigences ont été rappelées par écrit à tous les procureurs de comté de l’Arizona
chargés d’exercer l’action publique et le même rappel a été adressé à tous les responsables des
divers services de police en Arizona. Les corps de police locaux qui sont chargés de procéder aux
arrestations ont adopté des règles en matière de notification consulaire. L’administration
pénitentiaire de l’Arizona qui a pour mission de détenir les personnes condamnées ainsi que
certaines personnes placées en détention provisoire di spose maintenant de directives en matière de
notification consulaire et a dressé et distribué à tous les centres de détention une liste des postes
consulaires aux Etats-Unis qui sont établis en Arizona ou dans un Et at proche. Y figure
8
Mémoire de l’Allemagne, annexe 46. - 18 -
évidemment le consulat de l’Allemagne à LosAngeles, en Californie, qui dessert l’Arizona.
L’administration pénitentiaire de l’Arizona a a dopté des règles qui prescrivent de déterminer la
nationalité de tous les détenus et d’informer tous ceux qui sont nés à l’étranger de l’existence d’une
assistance consulaire, même s’ils ont la qualité de citoyens américains. Mon prédécesseur a
adressé au président de la cour suprême de l’Ariz ona une lettre le priant d’apporter au règlement
des tribunaux de l’Arizona une modification qui contribuera aussi à assurer un meilleur respect de
cette obligation. Nous avons organisé et con tinuerons d’organiser de nombreuses sessions de
formation, complétées par les formations que dispensent des fonctionnaires du département d’Etat
des Etats-Unis en divers endroits de l’Arizona et par une large diffusion dans cet Etat des directives
écrites du département d’Etat en matière de notification consulaire. Je puis affirmer
catégoriquement que l’Etat d’Arizona manifeste à ce t égard une grande déterm ination et le faisait
déjà bien avant l’introduction de la présente instance.
Les LaGrand ont bénéficié de toutes les garanties judiciaires nécessaires pour leur assurer un
procès équitable
2.20. Je voudrais maintenant aborder les pro cédures pénales elles-mêmes ainsi que les deux
prétentions de l’Allemagne à cet égard. Selon la première, les LaGrand n’ayant pas été informés de
la faculté qui était la leur de faire avertir leur consulat, il aurait dû être possible par la suite de
modifier l’issue de leur procès. Selon la seconde, si les LaGrand avaient été informés de leur droit
de notification consulaire en temps utile, l’issue du procès aurait en fait été différente. Je soutiens
qu’aucune de ces propositions n’est exacte.
2.21. Les LaGrand ont été jugés, comme je l’ai dit, par l’Etat d’Arizona en vertu des lois de
l’Arizona. Ils ont bénéficié de toute la panoplie des garanties judiciaires s’appliquant en Arizona
tant au niveau de la procédure que du fond en ma tière pénale dans les cas où la peine capitale est
requise. Il s’agit notamment des garanties instituées par ce que les Américains appellent la
«Déclaration des droits» ( Bill of Rights ), c’est-à-dire les dix premiers amendements à la
Constitution des Etats-Unis, déclaration qui définit en matière pénale les droits reconnus à tous les
individus aux Etats-Unis, qu’ils soient ou non resso rtissants américains. Le temps dont je dispose
aujourd’hui ne me permet pas de passer en revue toutes les garanties qui étaient applicables, mais
je voudrais analyser les plus pertinentes dans le cas du procès de Walter et de Karl LaGrand. - 19 -
2.22. En premier lieu, les LaGrand se voyaie nt garantir par les cinquième et quatorzième
amendements à la Constitution des Etats-Unis le droit d’être jugés par un tribunal équitable et
9
impartial . Il n’est pas contesté en l’espèce que le jury et le juge ont tous les deux fait preuve
d’équité et d’impartialité.
2.23. En deuxième lieu, les LaGrand bénéficiai ent en vertu du droit de l’Arizona et de celui
des Etats-Unis de la garantie de ne pas faire l’obj et de discrimination à raison de leur race, origine
ethnique, sexe ou origine nationale 10. Rien n’indique et il n’a à aucun moment été allégué que les
LaGrand aient été victimes de discrimination. Il s ne l’ont assurément pas été à raison de leur
nationalité allemande.
2.24. En troisième lieu, le cinquième amendement à la Constitution des Etats-Unis
reconnaissait aux LaGrand le droit de garder le silence et de ne faire aucune déclaration à la police
ou à d’autres fonctionnaires. Ces droits ont été scrupuleusement respectés 1.
2.25. En quatrième lieu, les LaGrand avaient au ssi le droit, en vertu du sixième amendement
à la Constitution des Etats-Unis, d’être informés des charges retenues contre eux, de bénéficier
d’un procès public devant jury et de disposer d’un délai et de moyens suffisants pour préparer leur
12
défense et consulter un avocat . Les LaGrand ont, là encore, bénéficié de tous ces droits.
2.26. Le sixième amendement garantit également le droit à l’assistance d’un avocat. Hier,
l’Allemagne a insisté sur le fait qu’elle au rait aidé les LaGrand à obtenir une meilleure
représentation en justice s’ils avaient été informés de leur droit de faire avertir leur consulat, et que
son intervention aurait pu modifier l’issue du procès. Cette affirmation ne résiste pas à l’analyse.
Les LaGrand étaient en droit, lorsqu’ils ont interj eté appel des verdicts de culpabilité, de soulever
la question de la qualité de la représentation que leur avaient assurée leurs avocats. Walter
LaGrand a choisi de ne pas soulever ce moyen lo rs des premiers recours qu’il a formés, alors que
Karl LaGrand l’a fait. Les tribunaux de l’Arizona comme des Etats-Unis ont conclu à la
9 Delaware v. Van Arsdall, 475 US 673 (1986).
10 Craig v. Boren, 429 US 190 (1976); Loving v. Virginia, 388 US 1 (1967); Bolling v. Sharpe, 347 US 497
(1954); Korematsu v. United States, 323 US 214 (1944); Yick Wo v. Hopkins, 118 US 356 (1886).
11 Tague v. Louisiana, 444 US 469 (1980); North Carolina v. Butler, 441 US 369 (1979); Miranda v. Arizona,
384 US 436 (1966); US v. Garibay, 143 F.3d 534 (9 circuit, 1998).
12 County of Riverside v. McLaughlin, 500 US 44 (1991); Jones v. Barnes, 463 US 745 (1983); Duncan v.
Louisiana, 391 US 145 (1968); Gideon v. Wainwright, 372 US 335 (1963); Glasser v. United States, 315 US 60 (1942). - 20 -
13
non-violation du droit des LaGrand à une représentation en justice efficace . L’Allemagne l’a
reconnu d’assez mauvaise grâce dans le cas de Walter LaGrand et a apparemment admis aussi
qu’on ne pouvait rien reprocher à son avocat. Elle a, en revanche, dénigré le travail de l’avocat de
Karl LaGrand. La cour suprême de l’Arizona a examiné de manière approfondie tous les aspects
du moyen tiré de l’assistance inefficace de l’avo cat de Karl LaGrand et a écarté à bon droit ce
moyen. La cour suprême a tenu compte du fait que Karl avait été jugé en même temps que Walter
et que l’avocat de ce dernier avait procédé à un contre-interrogatoire exhaustif et vigoureux des
témoins. La cour a dit que la décision de ne pas invoquer le moyen de l’aliénation mentale était
raisonnable car cela aurait conduit à prendre en consid ération le casier judiciaire de Karl LaGrand
lorsqu’il était mineur. Son avocat a invoqué l’ impulsivité, seul autre moyen de défense suggéré
dans ses observations finales et au cours de l’audi ence sur le prononcé de la peine. La cour n’a
donc pu déceler aucun préjudice qui aurait causé à Karl LaGrand par les décisions de son avocat 14.
2.27. L’Allemagne se trouve par conséquent en terrain peu solide à cet égard. Elle insiste sur
le fait qu’il n’est pas dans son intention de faire de la Cour une cour d’appel criminelle, et pourtant
elle voudrait faire croire à la Cour que l’avocat qui a défendu Karl LaGrand était incompétent à un
titre ou à un autre et qu’un avocat différent aura it peut-être obtenu un résultat différent. Rien,
hormis cette clairvoyance rétrospective et le fait de prendre ses désirs pour des réalités, ne vient
étayer l’affirmation de l’Allemagne selon laquelle c’est l’incompétence de l’avocat qui a entraîné la
condamnation à mort de Karl. La preuve la plus éclatante en est naturelle ment le fait que Walter
LaGrand a lui aussi été condamné à mort malgré le s efforts de son avocat, à qui l’Allemagne n’a
pas adressé les mêmes critiques.
2.28. Pour en revenir aux droits qui leur ont été reconnus en tant qu’accusés, les LaGrand
avaient droit à l’assistance d’enquêteurs et d’expert s s’ils pouvaient démontrer un besoin précis en
15
ce sens . Ils auraient eu en outre droit, s’ils ne comprenaient pas l’anglais, à l’assistance d’un
13
Mémoire de l’Allemagne, annexes 4 et 10.
14Mémoire de l’Allemagne, annexe 4, p. 306-307.
15 Ake v. Oklahoma, 470 US 68 (1985); State v. Dickens, 926 P.2d 468 (1996); Lois revisées de l’Arizona,
par. 13-4013 a). - 21 -
16
interprète . Point n’était besoin toutefois d’interprè te. La Cour pourra s’en rendre compte
elle-même en écoutant les bandes vidéo : les LaGrand parlaient parfaitement l’anglais.
2.29. Enfin, du fait que le procureur avait re quis la peine de mort, les LaGrand bénéficiaient
de garanties additionnelles visant à éviter qu’une condamnation à mort puisse être prononcée d’une
manière inconséquente ou arbitraire ou dans un cas où cette peine serait disproportionnée. Par
exemple, le verdict de culpabilité et la peine prononcée font de plein droit l’objet d’un pourvoi 17.
En application de cette garantie, les déclarations de culpabilité et les peines prononcées à l’encontre
des LaGrand ont été soumises à l’examen de la co ur suprême de l’Arizona, qui n’est que l’une des
nombreuses juridictions à avoir contrôlé le caractère équitable du procès.
2.30. Les LaGrand avaient aussi le droit d’in troduire un recours en grâce, et notamment de
18
demander la commutation des peines auxquelles ils avaient été condamnés . Ils ont exercé ce droit
et l’Allemagne a fourni à la Cour copie des enregistrements vidéo officiels réalisés lors de
l’examen de ces recours par la commission des grâces. Ces enregistrements montrent qu’il a été
procédé à un examen approfondi de tous les éléments pris en considération à l’origine pour fixer la
peine: la gravité du crime, l’impact dévastateur de celui-ci sur la victime survivante, l’enfance
difficile des LaGrand, ainsi que leurs remords. La commission des grâces a conclu en dernière
analyse qu’il n’y avait pas lieu de modifier l’appréciation faite de ces éléments par le juge qui avait
prononcé les peines ni de commuer celles-ci.
2.31. S’il y avait eu violation de l’un des dr oits fondamentaux que j’ai énumérés ou de tout
autre droit fondamental garanti aux LaGrand, les recours en justice qui leur étaient ouverts auraient
pu déboucher sur un nouveau procès ou un nouveau pronon cé de la peine. De nombreux tribunaux
ont d’ailleurs réexaminé à leur initiative, sur une pé riode de quinze ans, les verdicts de culpabilité
et peines prononcés à leur encontre et ont conclu qu’il n’y avait pas lieu de les modifier. Les
LaGrand ont d’abord disposé d’un pourvoi de plei n droit devant la cour suprême de l’Arizona,
composée de cinq juges venant tous d’horizons différents. Les opinions exprimées à l’issue de ce
16
State v. Hansen, 705 P.2d 466 (cour d’appel, 1985).
17
State v. Brewer, 826 P.2d 783 (1992).
18Gregg v. Georgia, 428 US 153 (1976); State v. Richmond, 560 P.2d 41 (1976). - 22 -
pourvoi ont été soumises à la Cour et figurent en annexes au mémoire de l’Allemagne 19. Il ressort
de ces opinions que les deux frères ont soulevé de no mbreux points. La cour suprême de l’Etat a
procédé par exemple à un examen indépendant de la recevabilité des déclarations faites par Karl.
Elle a examiné les instructions données au jury. Elle s’est demandé s’il était légitime d’écarter du
jury une personne opposée à la peine capitale. Elle a examiné si cette peine avait été prononcée
dans le respect des règles légales applicables. E lle a également recherché si Karl avait bénéficié
d’une représentation en justice satisfaisante. Et elle a aussi examiné un certain nombre d’autres
points techniques.
2.32. Saisie directement en appel, la cour s uprême de l’Arizona n’a pas examiné si le défaut
d’informer les LaGrand de la faculté qu’ils av aient de demander une assistance consulaire avait
joué un rôle dans l’issue du procès car aucun des deux frères n’avaient soulevé cette question. La
cour suprême a examiné tous les éléments pouva nt constituer des circonstances atténuantes qui,
d’après l’Allemagne, avaient été négligés, notamment l’éducation difficile des LaGrand. La cour
suprême de l’Arizona a d’ailleurs dit expressément dans sa décision que le juge de première
instance avait lui aussi tenu compte des circonstances atténuantes et je cite : «Le juge de première
instance a conclu à l’existence de trois circonsta nces atténuantes: l’âge des accusés (Walter avait
dix-neuf ans et Karl dix-huit au moment du meur tre), leur vie familiale antérieure et leurs
remords» 20. La cour suprême a relevé que le juge de première instance n’avait pas jugé ces
circonstances atténuantes suffisantes eu égard aux circonstances aggravantes. La cour suprême a
ensuite conclu elle aussi, indépendamment, que les circonstances atténuantes n’étaient pas
suffisantes pour justifier la clémence. La cour a déclaré : «Nous avons non seulement pris note de
l’âge relativement jeune des accu sés, mais examiné les rapports concernant leur éducation…» 21
Ainsi, les éléments même que l’Allemagne, selon ses dires, aurait pu fournir à la cour lui ont en fait
été soumis. La cour suprême a néanmoins c onclu que «ces circonstances atténuantes ne
l’emportent pas sur les circonstances aggravantes exis tantes et ne justifient par conséquent pas la
19Mémoire de l’Allemagne, annexes 3 et 4, toutes deux du 30 janvier 1987.
20
Mémoire de l’Allemagne, annexe 3, p. 293, 299 et 300.
21Ibid., p. 293, 301. - 23 -
clémence» 22. Les circonstances aggravantes relevées par la cour étaient le caractère
particulièrement cruel, odieux et pervers du comportement des LaGrand, leur condamnation
antérieure pour infraction majeure avec violence et le fait que le meurtre avait été commis dans un
esprit de lucre. Rappelez-vous qu’il s’agissait d’un cambriolage de banque au cours duquel les
LaGrand avaient poignardé un gérant de la banque âgé de soixante-trois ans à vingt-quatre reprises
avec un coupe-papier, jusqu’à ce que mort s’ensu ive. Ils avaient également poignardé à de
multiples reprises une caissière, qui a survécu et a pu témoigner à charge. Aucun des éléments
additionnels que l’Allemagne aurait pu produire n’au rait rien changé à ces faits ni à la nature des
circonstances atténuantes dont la cour a tenu compte.
2.33. Les LaGrand ont prié la Cour suprême d es Etats-Unis de réexaminer la décision de la
cour suprême de l’Arizona . Pareil recours est laissé à la disc rétion de la Cour suprême qui, en
23
l’espèce, a décidé de ne pas se saisir de l’affaire . Une telle décision de la Cour suprême des
Etats-Unis indique en général que celle-ci a conclu, sur la base du recours introduit par les accusés,
que l’affaire ne soulève pas de question de droit fédéral importante qui justifierait l’exercice de son
contrôle.
2.34. Après avoir ainsi épuisé leurs recours directs, les LaGrand avaient le droit d’introduire
ensuite des recours indirects, tant devant les tr ibunaux d’Etat que devant les tribunaux fédéraux,
pour tester la validité des verdicts de culpabilité et des peines prononcés à leur endroit. Ils ont
d’abord introduit ces recours devant les tribunaux de l’Etat. En 1989, la juridiction inférieure de
l’Arizona les a rejetés et, en1990, la cour suprême de l’Arizona a confirmé cette décision. En
juin 1991, la Cour suprême des Etats-Unis a, de nouveau, refusé d’examiner ces décisions. Lors de
cette première procédure de rec ours indirect devant les tribunaux d’Etat de l’Arizona, les LaGrand
ont soulevé un certain nombre de questions mais, là non plus, ils n’ont pas soulevé celle de la
notification consulaire.
2.35. Les LaGrand ont ensuite exercé leur droit de demander a ux tribunaux fédéraux
d’examiner la légalité de leur déten tion par l’introduction d’un recours en habeas corpus. Cette
voie de recours permet de soulever directement devant un tribunal fédéral de première instance tous
22
Ibid.
23Mémoire de l’Allemagne, annexe 7, 5 octobre 1987. - 24 -
moyens tirés de violations de la constitution d es Etats-Unis ou d’autres dispositions du droit
fédéral. Ils se sont engagés dans cette voie en mars 1993, en introduisant un recours devant le
tribunal fédéral de première instance (United States District Court) pour le district de l’Arizona 24.
C’est devant cette juridiction que les LaGrand ont invoqué pour la première fois le moyen fondé
sur le défaut de notification consulaire. Le tribunal fédéral de prem ière instance a rendu deux
25
décisions sur différents aspects des procédures devant les tribunaux d’Etat ; celle du 24janvier
porte sur la question de la notification consulai re. Le tribunal a relevé que ce moyen n’était
recevable que si les LaGrand pouvaient justifier le fait de ne pas l’avoir soulevé antérieurement
devant les tribunaux de l’Etat et démontrer l’ex istence d’un effet préjudiciable. A défaut, cette
carence procédurale faisait obstacle à l’exercice du recours.
2.36. L’Allemagne a critiqué la règle dite de la «carence procédurale». Il s’agit d’une règle
fédérale qui oblige l’accusé traduit devant les tribunaux d’un Etat à soumettre ses moyens au
tribunal d’Etat avant de pouvoir exercer un recours de vant un tribunal fédéral. Si cet accusé veut
soulever une question nouvelle lors d’une procédure d’ habeas corpus devant un tribunal fédéral, il
ne pourra le faire qu’en justifiant sa carence antérieure et en démontrant le préjudice à sa cause. La
justification doit être un élément extérieur qui a empêché l’accusé de faire valoir un moyen et le
préjudice, lui, doit être a priori manifeste. L’une des fonctions importantes de cette règle est de
garantir que les tribunaux d’Etat auront eu l’occasi on d’examiner les points intéressant la validité
des verdicts de culpabilité prononcés au niveau de l’Etat avant que les tribunaux fédéraux
n’interviennent.
2.37. Le tribunal fédéral a conclu que, les La Grand n’ayant pas satisfa it à l’obligation de
démontrer l’existence d’une cause extérieure ju stifiant la carence, il n’était pas nécessaire
26
d’aborder la question du préjudice . Bien que le tribunal ne se soit pas attardé sur ce point, je ferai
néanmoins remarquer qu’on attend généralement des avocats de la défense qu’ils soient au fait des
droits de leurs clients qui sont utiles à leur défe nse. Je tiens aussi à signaler que rien n’empêchait
les avocats qui ont défendu les LaGrand d’obten ir l’assistance du Gouvernement allemand, ou
24Mémoire de l’Allemagne, annexe 46.
25
Mémoire de l’Allemagne, annexes 8 et 9, 24 janvier 1995 et 16 février 1995.
26Mémoire de l’Allemagne, annexe 8, p. 456 et 458. - 25 -
d’autres concours en Allemagne, s’ ils avaient estimé cette démarche utile, ni d’examiner s’il n’y
avait pas obligation d’informer l’Allemagne des arrestations.
2.38. Les décisions du tribunal fédéral de première instance ont été examinées en appel par la
cour d’appel des Etats-Unis pour le neuvième circ uit. Celle-ci a joint les appels et rendu sa
27
décision le 16 janvier 1998 . Elle a jugé les moyens des LaGrand dépourvus de fondement. Elle a
examiné de manière approfondie la question de sa voir si les LaGrand devaient être autorisés à
soulever la question de la notification consulaire à ce stade très avancé. Elle a relevé que les
LaGrand étaient forclos à invoquer ce moyen pour cause de carence procédurale, n’ayant pas
justifié celle-ci ni démontré l’effet préjudiciable. La cour d’appel a néanmoins déclaré ce qui suit :
«Malgré l’absence de justification de la carence procédurale reprochée au requérant et de
démonstration du préjudice qu’il a subi, nous p ouvons connaître de demandes irrecevables pour
cause de carence procédurale dès lors que s’abstenir de le faire entraînerait la condamnation ou
28
l’exécution d’un innocent» . J’invite la Cour à lire le passage où la cour d’appel pour le neuvième
circuit développe ce point, à la page 483 du volume II du mémoire de l’Allemagne.
2.39. Comme l’indique la décision de la cour d’ appel pour le neuvième circuit, la règle dite
de la carence procédurale n’est pas d’une application rigoureuse ou absolue au point d’autoriser
une erreur judiciaire. Comme c’est souvent le cas, la cour d’appel, pour parvenir à sa conclusion, a
regardé quels arguments les LaGra nd entendaient faire valoir. On pourrait dire qu’elle a jeté un
coup d’Œil derrière le rideau et a décidé que ce qu ’il dissimulait ne justifiait pas de l’ouvrir tout
grand. Il ressort clairement de l’analyse de la cour d’appel pour le ne uvième circuit que celle-ci
savait que les LaGrand étaient issus d’un mariage mixte et avaient connu une enfance difficile. La
cour d’appel a néanmoins conclu que, même en tena nt compte de ces éléments plaidant en faveur
de la clémence, le crime que les LaGrand avaien t commis et la manière dont ils l’avaient commis
justifiaient la condamnation à mort. Il n’y avait par conséquent pas eu d’erreur judiciaire. La Cour
suprême des Etats-Unis a, de nouveau, refusé en décembre 1998 de réexaminer cette décision 2.
27
Mémoire de l’Allemagne, annexe 10.
28
Ibid., p. 483.
29Mémoire de l’Allemagne, annexe 11. - 26 -
2.40. La décision ainsi rendue en décembre 1998 par la Cour suprême des Etats-Unis était
donc le dernier acte de trois procédures distinct es qui avaient offert aux LaGrand une possibilité
équitable de contester pleinement les déclarati ons de culpabilité et peines prononcées à leur
encontre. La première était évidemment le rec ours direct introduit devant la cour suprême de
l’Etat, puis devant la Cour suprême des Etats- Unis, contre la décision du tribunal d’Etat de
première instance. La deuxième était le recours indirect formé contre les verdicts de culpabilité
devant les tribunaux de l’Etat d’Arizona, et la troisième le recours indirect exercé contre ces mêmes
verdicts devant les tribunaux fédé raux. Sur une période de quinze ans, cette affaire a donc fait
l’objet de trois séries de recours distincts exhaus tifs devant les tribunaux, qui se sont chaque fois
prononcés contre les LaGrand.
2.41. Au bout du compte, l’affaire LaGrand a donc, après la procédure du tribunal d’Etat de
première instance, été examinée au total par quinze juges indépendants différents, de quatre
juridictions différentes. Et même au terme de ce processus, l’Etat d’Arizona ne pouvait toujours
pas exécuter la peine prononcée sans l’autorisation e xpresse de la cour suprême de l’Arizona. Le
15janvier1999, celle-ci a délivré les ordres au torisant l’exécution des condamnations à mort
initialement prononcées en décembre 1984 à l’encontre de Walter et de Karl LaGrand. Elle a fixé
la date d’exécution de Karl LaGrand au 24 février 1999 et celle de Walter LaGrand au
3 mars 1999. L’ordre d’exécution de Walter LaGrand a été soumis à la Cour et figure à l’annexe
13 du mémoire de l’Allemagne. Ces ordres d’ex écution autorisent l’Arizona à fixer l’heure à
laquelle les exécutions auront lieu. Dans un cas co mme dans l’autre, si l’exécution n’avait pas eu
lieu dans les vingt-quatre heures de l’heure fixée, les ordres d’exécution auraient cessé d’être
valables et il se serait écoulé un temps considérable avant qu’il fût possible d’obtenir une nouvelle
date de la cour suprême de l’Arizona.
2.42. La délivrance de l’ordre d’exécution a entraîné un certain nombre de réactions. Au
niveau politique, au début de février, des fonctionnaires du Gouvernement allemand ont adressé un
appel au président Clinton, à la secrétaire d’Etat Albright et à la gouverneur de l’Arizona, les
invitant à commuer pour des mo tifs humanitaires les condamnati ons à mort en des peines de
réclusion à perpétuité. Le Gouvernement a llemand n’a pas demandé, à ce moment-là, la
commutation des peines pour cause de défaut de no tification consulaire. Les lettres indiquaient - 27 -
d’ailleurs clairement que l’Allemagne reconnaissait que les LaGrand avaient bénéficié d’un procès
équitable. Les LaGrand ont aussi saisi à nouveau les tribunaux d’Etat de l’Arizona le
2février1999, ainsi que les tribunaux fédéraux. Devant les tribunaux de l’Etat, ils ont tenté de
soulever un certain nombre de questions, dont le moyen tiré du défaut de notification consulaire.
2.43. L’un des aspects de notre système judiciaire, qui est critiqué par certains et loué par
d’autres, est que, même après les quinze années de recours multiples dont je viens de parler, les
LaGrand pouvaient encore saisir les tribunaux d’Etat et fédéraux d’un recours de dernière minute,
et c’est ce qu’ils ont fait. Dans une décision rendue le 23février1999, la cour supérieure de
l’Arizona a dit que le moyen tiré du défaut de notification consulaire était irrecevable pour cause de
30
carence procédurale dans le cas de Karl LaGrand . La cour d’appel fédéra le a rendu le 24 février
31
une autre décision dans laquelle elle déclarait elle aussi ce moyen irrecevable, au même motif .
Divers points ont alors été soulevés devant la Cour suprême des Etats-Unis mais celle-ci a
32
finalement autorisé l’exécution de Karl LaGrand le soir même .
2.44. Le même scénario s’est répété, à la dern ière minute, dans le cas de WalterLaGrand.
En outre, le jour même fixé pour son exécution ⎯ le 3 mars ⎯ l’Allemagne, se fondant sur
l’ordonnance en indication de mesures conservato ires rendue par la Cour, a tenté d’introduire une
instance contre les Etats-Unis devant la Cour s uprême des Etats-Unis pour empêcher l’exécution.
Ce genre d’instance relève d’une des catégories tr ès limitée d’actions qui peuvent être introduites
directement devant la Cour suprême sans l’avoir ét é d’abord devant les tribunaux inférieurs. Elles
sont extrêmement rares et la Cour suprême ne les accepte pas volontiers, notamment parce qu’elle a
pour fonction première d’examiner des questions de droit et non de se prononcer sur les faits, dont
l’établissement peut demander beaucoup de temps. Pour les motifs qu’elle a exposés dans sa
décision (annexe32 du mémoire de l’Allemagn e), la Cour suprême a refusé d’autoriser
l’introduction d’une telle instance à la dernière minute. Aucun des tribunaux d’Etat ou fédéraux
qui se sont penchés sur les moyens soulevés pa r les LaGrand en févr ier et mars1999 n’ont
découvert de motif de droit les autorisant à surseoir aux exécutions.
30Mémoire de l’Allemagne, annexe 24.
31
Mémoire de l’Allemagne, annexe 21.
32Mémoire de l’Allemagne, annexe 23. - 28 -
2.45. Abstraction faite de tout empêchement juridique, les LaGrand ont aussi eu l’occasion
de demander qu’il soit sursis à leur exécution ou que leur peine soit commuée par le mécanisme de
recours en grâce mis en place par l’Etat d’Arizona. Comme je l’ai déjà indiqué, la Cour pourra se
faire une idée de ce mécanisme en visionnant les bandes vidéo soumis es par l’Allemagne.
Le 23 février 1999, la commission des grâces de l’Arizona s’est réunie pour examiner une demande
de commutation de peine présentée au nom de KarlLaGrand. Le même jour, à l’issue de
l’audience, la commission a décidé à la majorité de ne pas recommander une telle mesure, ce qui
ôtait à la gouverneur de l’Arizona toute possibilité d’accorder à Karl LaGrand une mesure de grâce.
2.46. Le2mars1999, la commission des grâces de l’Arizona s’est réunie pour examiner le
cas de Walter LaGrand. La commission s’est de nouveau prononcée contre la commutation. Vers
la fin de l’audience, la commission a toutefois été mise au courant des requête et demande en
indication de mesures conservatoires présentées par l’Allemagne. Dans la précipitation des
événements, elle a recommandé à la gouverneur d’acco rder un délai de grâce de soixantejours.
Celle-ci, malgré cette recommandation, a décidé que l’exécution aurait lieu. La déclaration
constatant sa décision vous a été soumise, elle se trouve à l’annexe 33 du mémoire de l’Allemagne.
La Cour notera que la déclaration de la gouvern eur est datée du2mars, alors que l’exécution de
Walter LaGrand était fixée et a eu lieu à la date du 3 mars : c’est parce que la commission a rendu
son avis le 2 mars, et que la gouverneur, plutôt qu e d’attendre jusqu’à la dernière minute, a pris sa
décision sans tarder dans l’intérêt de la justice et afin que les victimes comme l’accusé sachent avec
certitude à quoi s’en tenir.
2.47. La décision d’accorder ou non un délai ou une mesure de grâce revêt un caractère très
personnel, et je me bornerai à vous renvoyer à la déclaration de la gouverneur sans tenter
d’analyser ce qu’elle pensait. Je noterai toutef ois que la décision de la commission de ne pas
recommander une mesure de clémence indiquait qu’elle estimait qu’il n’y avait pas lieu de modifier
la peine prononcée. De plus, le peuple de l’Ar izona avait accordé aux frères LaGrand le bénéfice
d’un procès équitable, de trois mécanismes dis tincts de recours et de toute une panoplie de
garanties judiciaires, alors que pendant tout ce temps les victimes du meurtre brutal qu’ils avaient
commis attendaient patiemment. La gouverneur sava it que les victimes et le procureur restaient
favorables à une condamnation à mort et la loi lu i faisait obligation de tenir compte de l’opinion - 29 -
des victimes 33. Rien ne lui permettait de penser que le fait de ne pas avoir informé les
frèresLaGrand de leur droit de demander une assistance consulaire avait eu une incidence
quelconque sur l’issue de ces longues procédures. E lle savait que les LaGrand avaient soumis au
juge chargé à l’origine de prononcer la condamnat ion des éléments de preuve attestant de leur
enfance difficile, y compris au cours des quelques années qu’ils avaient vécues en Allemagne. Elle
savait qu’ils avaient bénéficié de tous les droits dont aurait joui un ressortissant américain. Et elle
était au courant de l’interprétation donnée à l’or donnance en indication de mesures conservatoires
par le département d’Etat des Etats-Unis, interp rétation que M.Matheson dé veloppera plus tard.
Aussi est-il raisonnable de dire que, sachant qu’il n’y avait aucun obstacle juridique s’opposant à
l’exécution et que la commission des grâces s’était pr ononcée contre la commutation de la peine,
elle a conclu que tout bien pesé la balance penchait en faveur de l’exécution.
L’affirmation de l’Allemagne selon laquelle l’issue de l’affaire aurait été différente si les
frères LaGrand avaient été informés de leur droit de faire avertir des fonctionnaires
consulaires allemands de leur détention est hypothétique et manifestement dénuée de
fondement
2.48. Je voudrais maintenant analyser plus en détail l’affirmation de l’Allemagne selon
laquelle, si les frères LaGrand avaient été info rmés en1982, 1983 ou 1984 qu’ils pouvaient faire
avertir des fonctionnaires consulaires allemands de leur arrestation et de leur détention, l’issue de la
procédure qui a abouti à leur condamnation aurait ét é différente. Je soutiens qu’en fait cette issue
aurait été la même, pour plusieurs raisons.
2.49. Tout d’abord, il est clair que pour les La Grand, l’Arizona n’était pas un pays inconnu,
dont la langue ou la culture ou le système judiciaire leur auraient été peu familiers. Ils étaient bien
assimilés en Arizona et aux Etats-Unis. Tout es leurs attaches familiales se trouvaient aux
Etats-Unis. Leur mère, leur sŒur (qui a témoigné en leur faveur), leurs petites amies et leurs amis
étaient tous aux Etats-Unis. Ils connaissaient bien le système judiciaire américain. Ils parlaient
l’anglais avec l’aisance d’Américains de naissance . Ils avaient l’allure d’Américains. Leur
manière de se comporter était américaine. Il est inconcevable qu’ils aient été désavantagés en quoi
que ce soit, tout au long de la procédure pénale, par le fait qu’ils étaient des ressortissants
33
Lois revisées de l’Arizona, art. 13-4401 et suiv. - 30 -
allemands. Mieux, comme je l’ai déjà relevé, l’un des frères s’est même présenté comme citoyen
des Etats-Unis au moment de son arrestation, et ni l’un ni l’autre ne s’est présenté comme
allemand, bien qu’ils aient eu l’occasion de le faire. Il semble que les LaGrand eux-mêmes
croyaient avoir acquis la citoyenneté des Etats-Un is à la suite de leur adoption par un militaire
américain.
2.50. Deuxièmement, il y a toutes raisons de cr oire que les LaGrand n’auraient pas demandé
de notification consulaire s’ils avaient été informés qu’ils pouvaient le faire. En 1982, les LaGrand
n’avaient pour ainsi dire eu aucun contact avec les autorités allemandes depuis quinze ans. Ils
n’avaient jamais eu de document attestant de leur nationalité allemande après avoir été inscrits sur
le passeport allemand de leur mère en1967. Ils étaient retournés une fois en Allemagne
après 1967, pendant environ six mois, mais c’était avec un ordre de mission de l’armée américaine,
et ils y avaient été logés dans des cantonnements militaires des Etats-Unis. Tout semble indiquer
qu’ils ont séjourné en Allemagne comme Américai ns et qu’ils ne savaient même plus parler
l’allemand. Contrairement à ce que l’on a prét endu hier, que les deux frères LaGrand avaient eu
recours à l’assistance consulaire, WalterLaGrand a refusé la visite d’un fonctionnaire consulaire
allemand à au moins deux reprises.
2.51. Enfin, même si les LaGrand avaient demandé une assistance consulaire avant
l’audience au cours de laquelle la peine a été prononcée, l’Allemagne n’a pas démontré qu’elle leur
aurait prêté une assistance déterminante qui aurait eu une incidence sur l’issue de la procédure.
Lorsque les fonctionnaires cons ulaires allemands ont appris en1992 que les LaGrand étaient
emprisonnés en Arizona, ils ne savaient pas eux-mêmes avec certitude si les LaGrand étaient
allemands ou américains, et ils se sont abste nus apparemment de leur fournir des services
consulaires avant que la nationalité allemande des La Grand ne fût confirmée. Il est intéressant de
constater que, tout comme les fonctionnaires de la prison d’Etat de l’Arizona, les autorités
allemandes ont écrit aux services américains de l’i mmigration et de la naturalisation pour avoir
confirmation de la nationalité exact e des LaGrand. Même après que l’avocat de Karl LaGrand se
fut mis en rapport avec les autorit és allemandes, celles-ci ne voyaient pas la portée juridique que
pouvait avoir pour lui la nationalité allemande. Dans une lettre du 17 mars 1993, que nous avons
remise à la Cour ce matin parmi nos documen ts supplémentaires, le Gouvernement allemand - 31 -
écrivait qu’il «aimerai[t savoir] … pourquoi leur nationalité allemande est un élément crucial de
o
[leur] défense». Cette lettre porte le n 5 des documents supplémentaires. Il a fallu six mois aux
fonctionnaires allemands pour c onfirmer la nationalité des LaGr and. Il est donc hautement
probable que la procédure de confirmation de la nationalité des LaGrand n’aurait pas été terminée à
temps pour qu’une assistance consulaire puisse leur être apportée avant leur condamnation.
2.52. Pour tenter de montrer le niveau de service consulaire offert à ses ressortissants arrêtés
à l’étranger, l’Allemagne a déposé auprès de la Cour le texte de ses instructions consulaires
de 1975. Ces instructions ne précisent nulle part que l’Allemagne prendra des mesures tangibles en
faveur d’un accusé qui est déjà représenté par un avocat, comme l’étaient les frères LaGrand. Au
mieux, les instructions indiquent que l’Allemagne aurait pu prêter de l’argent aux LaGrand pour
assurer leur défense, mais même cel a n’est pas clair. Qui plus est, une feuille de papier où sont
énoncées des instructions ne prouve pas que ces instru ctions étaient suivies par le consulat général
de Los Angeles en 1982, 1983 ou1984, ni comment elles l’étaient.
2.53. Toujours pour essayer de montrer la qua lité de ses services consulaires, l’Allemagne a
appelé l’attention de la Cour su r l’affaire de deux autres frères a llemands qui se trouvent dans le
couloir de la mort en Arizona . Les frères Apelt ont été arrêtés en janvier1989, et des
fonctionnaires allemands se sont mis en rapport avec eux en mars 1989, bien avant leur procès, qui
a eu lieu un an plus tard. Les fonctionnaires c onsulaires allemands ont eu l’occasion d’assister
lesApelt avant leur procès. Or hier, l’Alle magne a donné à entendre qu’elle aurait pris de
meilleurs avocats pour les LaGrand si elle avait connu leur situation plus tôt. Au rebours de cette
réécriture de l’histoire sur des bases hypothétiques, l’Allemagne, lorsqu’elle en a eu l’occasion, n’a
rien fait et a laissé les avocats fournis par l’Etat d’Arizona défendre les Apelt. L’un de ces avocats
a fourni une déclaration qui est soumise à la Cour sous le n o 6 des documents supplémentaires. Il
nous a déclaré que les fonctionnaires consulaires allemands n’avaient pas aidé les avocats à
préparer la défense des Apelt. Les fonctionna ires consulaires ont simplement demandé à être
informés du déroulement de l’affaire. Ces faits démentent eux aussi les affirmations de
l’Allemagne. S’il n’a été assuré que des services minimaux à deux ressortissants allemands
passibles de la peine de mort en1989, il y a enco re moins de raisons de croire que l’assistance
prêtée entre1982 et 1984 aurait été de poids. Et la condamnation à mort des frèresApelt bat - 32 -
encore davantage en brèche la thèse de l’Alle magne selon laquelle une notification consulaire
aurait modifié l’issue des affaires LaGrand.
2.54. Il est fantaisiste d’imaginer que les éléments de preuve attestant de l’enfance
malheureuse des frères LaGrand en Allemagne, dont l’Allemagne a prétendu qu’ils auraient permis
leur condamnation à une peine de réclusion à perpétuité, auraient eu le moindre effet. Ces éléments
ne portent que sur les trois ou cinq premières années de la vie des LaGrand. Il est vrai qu’ils
montrent que ces années ont été perturbées. Il est vrai aussi qu’au regard du droit de l’Arizona, une
preuve d’enfance perturbée est un élément acceptable comme circonstance atténuante dans un
procès pénal. En l’espèce, cependant, la défense pouvait aussi prouver amplement que les LaGrand
avaient eu une vie tout aussi perturbée, sinon plus, aux Etats-Unis. En fait, ils avaient, au moment
de leur procès, passé la plus grande partie de leur vie aux Etats-Unis, et il est peu probable
qu’aucun avocat de la défense eût jugé nécessaire de remonter jusqu’aux brèves années qu’ils
avaient vécues en Allemagne pour réunir encore plus de preuves d’une enfance perturbée que celles
dont il disposait déjà.
2.55. Cela est d’autant plus vrai que les él éments de preuve disponibles comprenaient pour
l’essentiel le même type de témoignages sur l’ enfance des LaGrand en Allemagne que ceux que
l’Allemagne elle-même a présentés. Lors de l’audience de condamnation, des psychologues qui
ont déposé en faveur des LaGra nd ont souligné que leur enfance avait été difficile même en
Allemagne, où ils étaient issus d’un mariage interracial et avaient été placés dans un foyer
d’accueil. L’un des psychiatres qui ont témoigné lors de l’audience relative aux circonstances
aggravantes et atténuantes a déclaré précisément à la cour :
«L’Allemagne n’est pas exactement pareille à la France, l’Italie ou l’Espagne.
On y est très sensible aux différences de race ― et on n’y apprécie guère les mariages
interraciaux, ce qui a une influence sur le ma riage et sur les enfants, sur les relations
interpersonnelles des enfants avec les enfants a34emands en Allemagne, et qui aura une
influence négative sur les enfants LaGrand.»
Le rapport pré-sentenciel précise que les actes de l’accusé «peuvent avoir partiellement résulté d’un
environnement familial médiocre , d’un manque de stabilité familia le, d’un foyer désuni, de la
pauvreté et/ou d’un manque d’éducation» . Une autre partie du rapport pré-sentenciel présenté par
34
Mémoire de l’Allemagne, annexe 5, p. 355.
35Mémoire de l’Allemagne, annexe 2. - 33 -
les Etats-Unis dit aussi clairement que leur mère avait placé les LaGrand dans un couvent en
36
Allemagne car elle était incapable de s’occuper d’eux . En condamnant les frères LaGrand, le
juge en a tenu compte. Chacune des instances qui ont examiné cette affaire en appel a observé que
les informations relatives à l’enfance perturbée de s LaGrand, y compris le fait qu’ils avaient été
placés en foyer d’accueil en Allemagne et pouvaient avoir fait l’objet de discrimination en
Allemagne du fait de leur origine multiraciale, étaient connues au moment de leur procès et de leur
condamnation. Aussi les éléments de preuve prése ntés par l’Allemagne ne font-ils, au mieux, que
se surajouter à ceux qui existaient aux Etats-Unis et aux informations dont le juge qui a prononcé la
condamnation avait déjà connaissance.
2.56. Qui plus est, ces éléments de preuve auraient simplement, comme je l’ai dit, été mis en
balance, en même temps que d’autres circonstances atténuantes, avec les éléments de preuve
présentés par le procureur du comté à l’appui de sa réquisition de peine capitale. Je ne voudrais pas
infliger de nouveau à la Cour le récit détaillé des circonstances du meurtre commis par les frères
LaGrand. Vous les trouverez exposées dans les d écisions judiciaires qui vous ont été soumises.
Vous pouvez aussi avoir quelque idée des dépositi ons faites lors du procès en regardant les
enregistrements magnétoscopiques de l’audience de la commission des recours en grâce, que
l’Allemagne a fait tenir à la Cour. Ces enregistrements montrent qu’un témoin décisif qui a déposé
à charge contre les frèresLaGrand était une jeun e femme qui, à l’âge de vingtans, avait vu son
collègue de soixante-trois ans brutalement assassiné et qui avait été presque assassinée elle-même.
En 1999 encore ― dix-sept ans plus tard ― la terreur et le bouleversement de cette femme étaient
palpables. Etant donné les circonstances horribles du crime commis par les frèresLaGrand, et le
témoignage oculaire de cette jeune femme, des circonstances atténuantes de la nature de celles qu’a
présentées l’Allemagne n’auraient rien changé à la décision de prononcer la peine de mort.
2.57. Avant de terminer, je voudrais, en ta nt que représentante du ministère public, faire
quelques observations générales. Certes, je ne suis pas une experte en droit international, mais j’ai
pour responsabilité de faire appliquer les lois pénales adoptées par une assemblée législative
librement élue dans une démocratie représentative. En examinant les questions qui se posent dans
36
Contre-mémoire des Etats-Unis, annexe 6. - 34 -
la présente affaire, qui ne porte pas sur la peine de mort mais sur les relations entre la justice pénale
d’un pays et l’obligation de notification consul aire, il importe de se souvenir qu’un meurtre
horrible a été commis simplement parce que deux hommes ne sont pas parvenus à réaliser leur
dessein de dévaliser une banque, et de se rappeler que l est l’enjeu: il s’agit pour la société de se
protéger contre la violence criminelle et de veiller à ce que ceux qui perpètrent de tels crimes soient
traduits en justice. Le fait que l’on ait dit ou non aux frères LaGrand qu’ils pouvaient contacter des
fonctionnaires consulaires allemands n’a aucun lien nécessaire avec les questions fondamentales de
savoir s’ils ont été assistés de façon adéquate pa r un avocat, s’ils ont compris la procédure dont ils
faisaient l’objet, et s’ils ont bénéficié d’un procès équitable. A posteriori, il est toujours possible de
penser qu’on aurait pu faire quelque chose de plus . Mais en l’espèce, il ne peut y avoir aucun
doute que les frèresLaGrand ont bénéficié d’un procès équitable et de toutes les garanties
appropriées de procédure et de fond, ainsi que de la même protection que celle dont aurait bénéficié
un citoyen américain. Il est chimérique d’imaginer que l’issue de la procédure aurait été différente
si les frèresLaGrand avaient été informés prom ptement qu’ils pouvaient faire avertir de leur
détention des fonctionnaires consulaires allemands. La Cour ne devrait certainement trouver aucun
motif de conclure que les Etats-Unis sont fa utifs lorsqu’ils appliquent une règle de carence
procédurale à un moyen invoqué si longtemps après le jugement et si éloigné de la question de la
culpabilité ou de la peine.
2.58. Monsieur le président, Madame et Messi eurs de la Cour, cela termine mon exposé. Je
vous remercie de m’avoir donné l’occasion de prendr e la parole devant vous aujourd’hui. J’espère
vous avoir été de quelque utilité pour comprendre les faits relatifs à cette affaire. Je vous invite
maintenant à donner la parole au professeur Meron.
Le PRESIDENT : Thank you. Le professeur Me ron désire-t-il prendre la parole maintenant,
ce qui l’obligerait à couper son exposé, ou préférez-vous commencer tout à l’heure ?
M.MERON: Monsieur le président, je serais très heureux que vous suspendiez l’audience
maintenant. - 35 -
Le PRESIDENT : Comme vous le souhaitez.
L’audience est suspendue de 11 h 30 à 11 h 45.
The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is resumed and I now give the floor to
Professor Theodor Meron.
M. MERON : Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour,
3.1. C’est pour moi un honneur et un plaisir que de prendre la parole devant vous. Je parlerai
de la compétence de la Cour qui, comme l’indiqu e clairement la requête introductive d’instance,
repose exclusivement sur le protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les
relations consulaires. Cette compétence concerne uniquement les différends nés de l’interprétation
ou de l’application de cette convention.
3.2. Permettez-moi de commencer par une indi cation personnelle. Pour moi, cette affaire
concerne un manquement à des obligations entre Etats et n’a rien à voir avec les droits de l’homme
ni avec la régularité des procédures judiciaires. C’est pour ces raisons qu’en tant que spécialiste
des droits de l’homme, je n’hés ite pas, je n’hésite vraiment pas du tout, à défendre ce matin la
position de mon gouvernement.
3.3. Laissez-moi vous dire quelle sera ma démarche . Je parlerai de la nature du différend et
de l’obligation qui incombe à l’Allemagne de dé montrer que ses demandes et ses conclusions font
appel à l’interprétation ou à l’application de la convention sur les relations consulaires. Je
démontrerai ensuite que c’est à l’Allemagne, et à e lle seule, qu’appartient la charge d’établir le
bien-fondé de ses demandes en fait et en droit. Je fe rai ensuite valoir que le protocole de signature
facultative ne donne pas compétence à la Cour sur l’ exercice de la protection diplomatique et que
même si la Cour peut avoir compétence sur la ba se de la protection dipl omatique ou de droits
individuels, les demandes présentées en l’espèce sont irrecevables parce que les voies de recours
internes n’ont pas été épuisées. J’expliquerai ensuite le rôle joué par les avocats des
frères LaGrand et soulignerai qu’il n’excuse pas le non-épuisement des voies de recours internes et
qu’au regard du droit international, un accusé et son avocat sont une seule et même personne aux
fins précisément des recours internes. Je mont rerai en dernier lieu que l’Allemagne oppose aux - 36 -
Etats-Unis d’Amérique des principes qu’elle ne suit pas elle-même dans sa pratique et j’expliquerai
pourquoi cela ne devrait guère inciter la Cour à décider d’examiner les demandes de l’Allemagne et
à les examiner au fond.
La compétence de la Cour est limitée par les dispositions du protocole de signature facultative
et de la convention consulaire
3.4. L’Allemagne reconnaît dans son mémoire «le caractère prima facie des conclusions sur
la compétence et la recevabilité au cours d’une procédure en indication de mesures
37
conservatoires» . S’ils ne contestent pas que la Cour ait en vertu du protocole de signature
facultative compétence pour statuer sur le manquement à l’obligation de notification, les Etats-Unis
se réservent dans leur contre-mémoire le droit de contester la compétence de la Cour en ce qui
38
concerne les autres demandes de l’Allemagne ainsi que la recevabilité de ces dernières . Ainsi, en
ce qui concerne la compétence de la Cour au sujet de ces autres demandes, le débat est largement
ouvert. Comme l’écrit le professeur Rosenne, «la C our peut aborder les questions de compétence
39
quand elle statue sur le fond» . L’éminent conseil de l’Allemagne, M.Khan, a évoqué hier une
déclaration du professeur Rosenne sur les délais dans lesquels il faut soulever les exceptions à la
compétence d’une juridiction. Je renvoie la Cour à la page 843 de l’ouvrage du
professeur Rosenne où celui-ci indique clairement, dans un passage que M. Khan n’a pas cité, que
ces délais concernent exclusivement les affaires dans lesquelles il s’agit d’empêcher la poursuite de
l’argumentation sur le fond et de mettre ainsi un terme à la procédure. Tel n’est pas ici le cas.
Rosenne ajoute que «L’une ou l’autre Partie peut, au fur et à mesure du déroulement des
plaidoiries, soulever d’autres questions relatives à la compétence de la Cour ou à sa capacité de
poursuivre la procédure jusqu’à la décision sur le fond.» 40
3.5. Pour commencer, je tiens à confirmer que nous continuons à défendre les points qui ont
déjà été présentés dans notre contre-mémoire.
37
Mémoire de la République fédérale d’Allemagne, par. 3.12 et 3.78.
38
Contre-mémoire des Etats-Unis d’Amérique, par. 48.
39Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920-1996, 531 (3 éd., 1997).
40Rosenne, note 39 ci-dessus, p. 843. - 37 -
3.6. L’Allemagne prétend que «l’ensemble des demandes» qu’elle présente dans son
mémoire relève de la compétence de la Cour au titre du protocole de signature facultative et est
41
recevable . Les Etats-Unis d’Amérique ne sont pas d’accord. Monsieur le président, le protocole
de signature facultative n’est pas un fourre-tout dans lequel on peut empiler l’une après l’autre
n’importe quelle allégation de fait ou de droit, qu’elle ait ou non à voir avec l’interprétation ou
l’application de la convention sur l es relations consulaires, et même si les éléments de preuve sont
indirects, et leurs fondements juridiques indigents.
3.7. Il incombe à notre avis à la Cour de déterminer si chacune des demandes et des
conclusions présentées par l’Allemagne relève logiquement et par nature des dispositions du
protocole de signature facultative et de la convention consulaire. Comme la Cour l’a déclaré dans
l’affaire de la Compétence en matière de pêcherie s, il lui incombe «de définir elle-même, sur une
base objective, le différend qui oppose [vraiment] les Parties» 42. Je renvoie également la Cour à la
page 1209 de l’ouvrage du professeur Rosenne.
3.8. Consciente du caractère hypothétique de ses demandes, l’Allemagne a tenté de déplacer
la charge de la preuve pour l’imposer aux Etats-Unis d’Amér ique. A la suite du mémoire,
l’éminent conseil de l’Allemagne, M.Donovan, a prétendu hier que la Cour devait «présumer un
lien de causalité». Avec tout le respect que je do is à la Cour, permettez-moi de dire que cette
tentative revient à mettre le droit internationa l sans dessus dessous. L’Allemagne veut que les
Etats-Unis d’Amérique démontrent que le manque ment qui leur est reproché n’a pas causé de
préjudice aux frères LaGrand. Le droit internati onal nous enseigne pourtant que c’est au requérant
qu’incombe la charge de prouver le préjudice ainsi que tous les autres éléments d’une demande.
3.9. Le principe de l’ actori incumbit probatio est bien établi dans la jurisprudence de la
Cour. Comme elle l’a indiqué dans l’affaire Nicaragua (compétence et recevabilité) , «c’est en
43
définitive au plaideur qui cherche à établir un fait qu’incombe la ch arge de la preuve» . La Cour
41
Mémoire de la République fédérale d’Allemagne, par. 1.11.
42Affaire de la Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), C.I.J. Recueil 1998, par. 30.
43Activités militaires et par amilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.Etats-Unis d’Amérique) ,
C.I.J. Recueil 1984, p. 437, par. 101. - 38 -
«ne saurait présumer qu’un élément de preuve qui n’ est pas disponible aurait, s’il avait été produit,
44
plaidé en faveur de la cause de l’une des parties» .
Le protocole de signature facultative ne donne pas compétence à la Cour sur l’exercice de la
protection diplomatique
3.10. Il est difficile de dire quel sens donne l’Allemagne à l’expression «protection
diplomatique» en l’espèce ou quelles sont les conséquences de la présentation de cet argument dans
le contexte actuel. Permettez-moi de dire qu’ il n’y a rien de commun entre cette affaire et la
défense de réclamations d’ordre économique dans l’affaire Mavrommatis.
3.11. L’Allemagne prétend que le protocole de signature facultative donne compétence à la
Cour pour traiter du droit de l’Allemagne d’ex ercer sa protection diplomatique au bénéfice
45
des LaGrand . Les Etats-Unis d’Amérique maintiennent l’opinion déjà exprimée selon laquelle le
droit coutumier de la protection diplomatique ne relève pas de la compétence de la Cour aux termes
46
de ce protocole .
3.12. Le conseil de l’Allemagne et ses conclu sions, sous leur forme revisée, créent une règle
spéciale pour les cas où il y a violation de l’obliga tion de notification dans des affaires où l’accusé
encourt la peine capitale. Pourtant, Monsieur le président, la convention sur les relations
consulaires ne contient aucune disposition qui pe rmette d’introduire la no tion de peine et encore
moins de faire une distinction entre les différents types de peine. Si l’ Allemagne souhaite faire
amender cette convention pour qu’e lle énonce des dispositions spécial es relatives à la peine de
mort, elle devrait à cette fin procéder autrement.
3.13. Le devoir de notification n’est bien entendu pas limité aux affaires dans lesquelles
l’accusé est passible de la peine capitale et intervie nt dans toutes les affaires impliquant une mise
en arrestation et une détention, y compris les affa ires d’immigration. Supposons que dans certains
cas de manquement à ce devoir de notification, un Etat soumette à cette Cour, au titre de la
protection diplomatique, une demande d’indemnisation en faveur de l’un de ses ressortissants qui
aurait perdu une semaine de salaire pour avoir ét é placé en détention sans être informé du droit
44Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras), C.I.J. Recueil 1992, p. 399.
45
Mémoire de la République fédérale d’Allemagne, par. 3.22, p. 19.
46Contre-mémoire des Etats-Unis d’Amérique, par. 74. - 39 -
qu’il avait d’aviser son consulat. Les nouvelles affaires que l’Allemagne a présentées à la Cour
concernent quai toutes aussi des situations assez insi gnifiantes. Si la thèse de l’Allemagne était
acceptée, la Cour devrait statuer sur toutes les requêtes de ce type, présentes et à venir.
3.14. Dans le mémoire lui-même, l’Allemagne reconnaît que le droit qu’elle a d’exercer sa
protection diplomatique repose sur le droit inte rnational, c’est-à-dire sur le droit coutumier 47. Je
renvoie la Cour au premier rapport que le prof esseur JohnDugard a soumis à la Commission du
droit international et dans lequel il explique le caractère coutumier du droit de la protection
48
diplomatique .
3.15. Monsieur le président, la protection diplomatique, qui relève du droit coutumier,
échappe aux critères de compétence créés par le protocole de signature facultative.
L’arrêt rendu dans l’affaire Nicaragua fait clairement la distinction entre la compétence
conventionnelle et la compétence coutumière
3.16. J’estime que l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Nicaragua autorise nettement à
opérer une distinction entre la compétence en matiè re conventionnelle et la compétence relative au
droit coutumier. Dès l’arrêt de 1984, la Cour indiquait que le fait que certains principes soient
«codifiés ou incorporés dans des conventions multilatérales ne veut pas dire qu’ils
cessent d’exister et de s’appliquer en tant que principes de droit coutumier, même à
49
l’égard de pays qui sont parties aux dites conventions» .
Même si une norme conventionnelle et une norme coutumière avaient exactement le même
50
contenu, chacune aurait et là, je cite en core la Cour, une «applicabilité distincte» . Dans un
prononcé qui, je crois, fait autorité en l’espèce, la Cour a indiqué, dans son arrêt de 1986 sur le
fond, que : «deux règles de même contenu sont tr aitées différemment, pour ce qui est des organes
chargés d’en contrôler la mise en Œuvre, selon qu’elles sont l’une coutumière et l’autre
conventionnelle» 51.
47
Mémoire de la République fédérale d’Allemagne, par. 4.87-4.90, p. 72-73 (16 septembre 1999).
48 Commission du droit international, cinquante-deuxièmesession, documen t des NationsUniesA/CN.4/506,
par. 36, p. 9-10 (2000).
49 Activités militaires et par amilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 424, par. 73.
50 Activités militaires et par amilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.Etats-Unis d’Amérique),
fond, C.I.J. Recueil 19846 p. 94, par. 175.
51 Ibid., p. 95-96, par. 178. - 40 -
3.17. S’appuyant sur cette distinction entre droit conventionnel et droit coutumier et
invoquant la réserve des Etats-Unis d’Amérique relative aux traités multilatéraux, la Cour, dans
l’affaire Nicaragua, a refusé d’appliquer certains traités multilatéraux mais a appliqué le droit
coutumier en se fondant sur l’acceptation par les parti es de la juridiction obligatoire de la Cour en
vertu de la compétence plus générale que la Cour tient de l’article 36, paragraphe 2 de son Statut.
Comme nous le savons tous, cette compétence générale n’est pas valide en l’espèce. Dans l’affaire
LaGrand, qui relève des prévisions de l’article36, paragraphe1 de son Statut, la Cour n’est
compétente que pour un traité précis, la convention sur les relations consulaires. Elle n’est pas
compétente pour connaître du droit coutumier de la protection diplomatique. Le principe régissant
l’affaire actuelle est donc exactement le même que celui qui a été pris en considération pour
déterminer l’étendue de la compét ence de la Cour dans l’affaire Nicaragua, sauf que les éléments
sont inversés. Les Etats-Unis demandent simplement à la Cour d’appliquer ici le principe qu’elle a
appliqué à l’encontre des Etats-Unis dans l’affaire Nicaragua.
3.18. L’éminent conseil de l’Allemagne ne manquera pas de faire remarquer que dans
l’affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis d’Amérique à Téhéran ,
les Etats-Unis d’Amérique, invoquant entre autres les protocoles facultatifs aux conventions de
Vienne sur les relations diplomatiques et les relations consulaires, ont présenté eux-mêmes
certaines demandes «sur la base de leur droit propre et dans l’exercice de leur droit de protection
52
diplomatique» . La ressemblance éventuelle entre ces deux affaires est toutefois très superficielle
et s’y référer serait totalement hors de propos. Da ns l’affaire des otages, contrairement à ce qui se
passe dans l’affaire actuelle, il y avait un lien in extricable, un nŒud gordien si vous préférez, entre
les demandes et le rôle des Etats-Unis d’Améri que en tant qu’Etat victime et les violations
continuelles des éléments les plus fondamentaux de s conventions sur les relations diplomatiques et
consulaires, à savoir l’inviolabilité des locaux dipl omatiques et consulaires ainsi que la détention
illégale de diplomates et de consuls et les mauvais traitements qui leur étaient infligés.
3.19. Seuls deux des otages étaient de simpl es particuliers. Tous les autres étaient des
diplomates et des consuls. Alors que le fait même d’être retenues en otages dans l’ambassade
52
Affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire des Et ats-Unis d’Amérique à Téhéran (Etats-Unis
d’Amérique c. Iran), C.I.J. Recueil 1980, p. 6, par. 8 c). - 41 -
faisait bénéficier ces deux personnes de la protection des conventions sur les relations
diplomatiques, la Cour a choisi de citer, à leur sujet, la protection du traité d’amitié, de commerce
53
et de droits consulaires entre les Etats-Unis et l’Iran , établissant ainsi une distinction entre de
simples ressortissants (couverts par le traité d’amitié) et des personnalités officielles (couvertes par
les conventions diplomatiques). Par ailleurs, le dispositif ―et c’est ce qui compte ici ― le
dispositif de l’arrêt ne fait pas mention de la protection diplomati que. S’écartant nettement de la
lettre des conclusions des Etats-Unis d’Amérique, la Cour a simplement fait état du préjudice direct
causé aux Etats-Unis d’Amérique: «décide que l’Iran est tenu envers le Gouvernement des
Etats-Unis d’Amérique de l’obligation de réparer le préjudice causé à celui-ci» 54.
3.20. Il s’ensuit que la compétence conférée à la Cour par le protocole de signature
facultative à la convention sur les relations consulaires ne s’étend pas aux questions de protection
diplomatique, je dis bien diplomatique.
Les LaGrand n’ont pas épuisé les voies de recours interne
3.21. Si la Cour décidait néanmoins qu’e lle a compétence au sujet de la protection
diplomatique des frères LaGrand ou sur la base d’un e violation de droits individuels, l’obligation
d’épuiser les voies de recours interne empêcherait d’aller plus loin dans l’examen de ces demandes.
Comme le fait observer le professeurRosenne, la C our peut traiter les exceptions d’irrecevabilité
de toute manière qu’elle juge appropriée. 55
3.22. Le distingué coagent de l’Allemagne , le professeurSimma, a admis hier que des
demandes qui ont trait à la protection diplomatique , ou à des droits individuels, sont subordonnées
à la règle de l’épuisement des voies de recours inte rne et l’affirmation se trouve également dans le
56
mémoire . Cela dit, l’Allemagne prétend que les LaGrand avaient épuisé toutes les voies de
recours qui leur avaient été ouvertes par le système judiciaire des Etats-Unis 5. Nous montrerons
que cette affirmation est inexacte.
53Ibid., p. 26, par. 50.
54
Ibid., p. 45, par. 95, point 5.
55
Voir supra, note 3, p. 840 (1997)
56Mémoire de la République fédérale d’Allemagne, p. 116, par. 5.16.
57Ibid., par. 5.17 et 3.23. - 42 -
3.23. L’Allemagne donne de l’ obligation d’épuiser les voies de recours interne une lecture
nouvelle, qui s’écarte radicalement de la pratique et de la jurisprudence très riches du droit
international en la matière. Elle se plaint de ce que «le droit des Etats-Unis ne prévoit pas de
recours effectif contre la violation de l’obligation de notification … dans l’hypothèse où l’omission
de la notification consulaire est découverte ap rès la condamnation d’un accusé ou d’un prévenu au
terme d’un procès avec jury» 58.
3.24. Par ces affirmati ons, l’Allemagne reconnaît qu’ il existe bien des recours avant une
condamnation par un jury et au niveau de l’Etat. Le manquement dont se plaint l’Allemagne est un
manquement à l’obligation d’informer. Monsieur le président, ce manquement aurait pu facilement
être réparé au stade du procès si la question ava it été soulevée en temps opportun. Le juge aurait
permis la notification du consulat et les accusés au raient bénéficié d’une aide consulaire tout au
long de la procédure.
3.25. Mais, je regrette de le dire, l’Alle magne voudrait que la Cour réécrive le droit
américain, ainsi que le droit international, en de mandant que certains rec ours, s’ils n’ont pas été
épuisés au niveau indiqué par la législation na tionale, soient encore disponibles à un niveau
différent, devant des juridictions différentes. Mais c’est certainemen t là une question qu’il
appartient à l’Etat souverain de régler.
3.26. L’Allemagne prétend que les Etats-Unis d’Amérique violent le droit international en ne
fournissant pas de recours supplémentaire ―j’insiste sur le terme supplémentaire ― à l’échelon
fédéral. Le droit international ne donne bi en entendu pas la faculté de procéder à un nouvel
examen, de type habeas, des demandes qui n’ont pas été formulées devant les juridictions de l’Etat.
Les règles relatives à la carence procédurale ne vi olent aucune des obligations internationales des
Etats-Unis d’Amérique. Elles sont une émanation du système fédéral américain qui décourage
toute intervention inutile des autorités fédérales dans des affaires qui relèvent de la compétence des
Etats. Et, comme l’expliquerontmes collègues, le paragraphe 2 de l’article 36 traite de questions
tout à fait différentes, telles les visites dans les prisons, etc.
58
Ibid., p. 47, par. 4.25. - 43 -
3.27. Même s’il existait une obligation de ré parer le manquement dans le cadre du système
judiciaire, ce serait tout à fait conforme à la tradition du droit international que d’accepter qu’un
Etat exige que soient épuiséesles voies de rec ours internes devant un type ou un niveau de
juridiction donné et dans un cadre procédural donné. Tout le sen s de la question de l’épuisement
des recours internes est que l’Etat défendeur ait la possibilité de remédier à un manquement dans le
cadre de son propre système juridique en autorisant le recours à des tribunaux, à des institutions ou
à toute autre autorité selon les modalités déterminées par la législation nationale et conformément à
des limites telles que des délais et des procédur es à respecter, afin d’empêcher une infraction au
droit international. Monsieur le président, ces propositions vont de soi.
3.28. L’obligation d’épuiser les recours intern es en droit international englobe la carence
procédurale et l’obligation de soumettre sa requête en temps utile. Par exemple, si une personne
n’intente pas d’action devant les tribunaux natio naux avant qu’il n’y ait prescription, sa demande
ne pourra plus être examinée à l’échelon national et sera irrecevable à l’échelon international pour
non-épuisement des recours internes.
59
3.29. Dans l’arbitrage Ambatielos , que je porte à l’attention de la Cour, la personne dont la
cause a été défendue et soumise à arbitrage par la Grèce n’avait pas cité à comparaître un témoin
essentiel pour le succès de son action. Ce témoignage n’a pu être produit devant la cour d’appel.
La commission d’arbitrage a décidé que la non-présentation de ce témoignage équivalait au
«non-épuisement des voies de recours interne di sponibles … [devant le tribunal de première
instance]» et que l’affaire était donc irrecevable.
3.30. Il me semble que l’affaire Ambatielos est instructive pour la présente espèce, où le
manquement aurait pu être mis en cause en temps opportun — mais il ne l’a pas été — au niveau
de l’Etat. Le fait que, dans ces conditions, il n’ait pas été possible de le mettre en cause à l’échelon
fédéral ne viole aucune règle du droit international. Mais cela n’apporte pas non plus de remède au
non-épuisement des voies de recours interne, le quel porte un coup fatal à la recevabilité de la
requête dont la Cour est saisie.
59 Ambatielos claim (Greece v. UK) (1956), Recueil des sentences arbitrales de l’Organisation des
Nations Unies, vol. 12, p. 120. - 44 -
3.31. Au cas où le Gouvernement allema nd trouverait dure la démarche adoptée dans
l’affaire Ambatielos, nous rappelons qu’elle a été confirmée et suivie, avec citation nominale, par la
Cour européenne des droits de l’homme da ns l’arrêt qu’elle a rendu dans l’affaire Cardot c.
France. En déclarant la requête de Cardot irrecevable au motif du non-épuisement des recours
internes, la Cour a précisé que l’épuisement des recours internes exige
«que soient soulevés devant ces mêmes juridi ctions [internes], au moins en substance
et dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l’on entendait
formuler par la suite à Strasbourg» 60.
3.32. L’affaire Cardot n’est pas le seul ex emple de l’approche qu’adopte ainsi la Cour
européenne des droits de l’homme. Dans l’affaire Barbera, Messegué et Jabardo c. Espagne , par
exemple, les accusés ont fait valoir que le fait qu’un juge ait été remplacé à la dernière minute par
un autre juge qu’ils considéraient comme partial c onstituait une violation de leur droit à un procès
équitable. Toutefois, ils n’avaient pas émis de protestation contre ce changement lors du procès et
61
la Cour a jugé irrecevable leur requête sur ce point particulier .
3.33. Le fait est qu’il existe dans la plupart des pays ―je dis bien dans la plupart des
pays ― des règles qui, à certains égards, font écho au x règles de la carence procédurale en vigueur
aux Etats-Unis d’Amérique. Certaines juridictions internationales ont fait droit à ces règles et jugé
des affaires irrecevables au motif du non-épuisement des voies de recours interne.
Le fait que les avocats n’aient pas invoqué le ma nquement au stade et au moment appropriés
de la procédure n’excuse pas le non-épuisement des voies de recours interne
3.34. En tentant d’expliquer pourquoi les LaGrand n’ont pas soulevé le manquement selon
les modalités requises par la législation des Etat s-Unis d’Amérique et d’excuser ainsi le
non-épuisement des recours internes, l’Allemagne fa it valoir que les LaGrand ne connaissaient pas
62
les dispositions de la convention .
60 o
Cardot c. France, Cour européenne des droits de l’homme, n 200, par. 34 (1991).
61 Barbera, Messegué et Jabardo c. Espagne , Cour européenne des droits de l’homme, série A n o 146,
par. 59 (1988).
62Mémoire de la République fédérale d’Allemagne, p. 6, par. 2.07, 4.05 et 4.81. - 45 -
3.35. Dans la plupart des affaires toutefois, le droit est compliqué et c’est aux avocats qu’il
63
appartient d’invoquer d’éventuels manquements, comme l’Allemagne le reconnaît elle-même . La
règle de l’épuisement des voies de recours in ternes, l’une des règles cardinales du droit
international, perdrait toute viabilité si les accusés n’étaient pas liés par les actions de leurs avocats.
Il a toujours été estimé en droit qu’un accusé et s on avocat sont une seule et même entité du point
de vue de la position juridique qu’ils adoptent.
3.36. L’Allemagne reconnaît elle-même que c’était aux avocats de découvrir et d’invoquer le
64
manquement . Elle critique l’avocat de Karl LaGrand, qui aurait pu et dû invoquer le manquement
et estime qu’il n’a pas bien rempli son rôle. En revanche, elle n’a pas mis en question la
compétence de l’avocat de Walter LaGrand alors que c’est Walter LaGrand qui a fait l’objet des
mesures conservatoires indiquées par la Cour dans son ordonnance du 3 mars 1999.
3.37. Même si, exceptionnellement, la notifica tion consulaire concernait l’administration de
la justice, il incomberait aux avocats d’invoquer la question au stade et au moment appropriés.
Dans l’affaire LaGrand, les avocats ont to ujours été libres de demander l’assistance de
l’Allemagne.
3.38. Monsieur le président, nous ne dis ons pas que les avocats commis d’office sont
toujours les meilleurs, mais les conclusions des tr ibunaux américains, selon lesquelles l’avocat de
Karl LaGrand a assuré une représentation correcte du point de vue des règles de la Constitution, ne
sont pas à écarter.
3.39. Etant donné l’indépendance du barreau aux Etats-Unis d’Amérique comme dans
beaucoup d’autres pays et le fait qu’aux Etats-Unis, les avocats de la défense et les procureurs sont
plus adversaires que partenaires, l’Etat d’Arizona ne pouvait pas demander à être partie prenante à
la stratégie de défense des avocats des LaGrand. Il ne pouvait leur dire quels moyens invoquer ni
même demander pourquoi certains arguments étaient présentés ou non.
3.40. L’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire
Kamasinski c. Autriche va tout à fait dans le sens de ce tte position des Etats-Unis. Un citoyen
américain qui avait été condamné en Autriche pour des actes délictueux s’est pourvu en cassation
63
Ibid., par. 4.41 et 4.42.
64Ibid. - 46 -
pour n’avoir pas été représenté de manière adéquate par son avocat 65. La Cour suprême d’Autriche
a rejeté le pourvoi au motif qu’il incombait au tr ibunal régional de désigner un défenseur mais non
66
de contrôler ses activités . Soulignant le principe de l’indépendance du barreau, la Cour
européenne a estimé qu’on «ne saurait pour autant imputer à un Etat la responsabilité de toute
défaillance d’un avocat d’office» 67.
3.41. La Cour a refusé de faire une distincti on entre les activités de l’accusé et celles de son
avocat, soulignant qu’il fallait «identifier M. Ka masinski au conseil qui agissait en son nom» et
qu’il «ne saurait donc imputer à l’Etat défendeur la moindre responsabilité pour les décisions (de
l’avocat) en la matière» 68. La Cour est parvenue à cette c onclusion bien qu’elle ait reconnu que
Kamasinski, qui n’avait pas vécu longtemps en Au triche, n’était pas fam iliarisé avec le système
judiciaire autrichien. Contrairement à Kamasins ki, les LaGrand ne pouvaient pas prétendre ne pas
connaître le système américain.
3.42. La Commission européenne des droits de l’homme a elle aussi conclu que le fait que
les avocats indiquent qu’un nouveau recours sera it inutile ne constitue pas une «circonstance
69
particulière» qui puisse «dispenser le requérant d’épuiser ce recours» . La Commission a estimé
que la même considération s’appliquait dans le cas où un avis analogue avait été donné tant par
70
l’avocat du requérant que par le juge . Dans une autre affaire, la Commission a conclu que le
conseil donné par les avocats ne dispensait pas de la nécessité d’épuiser les voies de recours interne
71
ni ne modifiait les règles applicables en la matière . Je renvoie la Cour au résumé que fait
Amerasinghe du droit à ce sujet et que j’aimerais voir figurer dans le compte rendu 72.
65Kamasinski c. Autriche,. Cour européenne des droits de l’homme, série A n 168, par. 35 (1989).
66Id., par. 37.
67Id, par. 65.
68Id., par. 91.
69 o
Simon Herold c. Autriche, requête n 4340/69 (1971), Recueil de décisions, vol. 38, p.33.
70
Ibid.
71 o
X c. Belgique, requête n 1488/62 (1963), Recueil de décisions, vol. 13, p. 96.
72C. F. Amerasinghe, Local Remedies in International Law, p. 213 (1990) :
«De simples doutes quant à l’existence ou à l’effi cacité d’un recours ne dispensent pas d’exercer
un recours, pas plus que les mauvais conseils ou l’opinion de l’avocat ou l’opinion de la personne quant
aux chances de succès ou à l’opportunité d’un recours ou à la tactique à suivre.» [Traduction du Greffe.] - 47 -
L’Allemagne invoque contre les Etats-Unis d’Am érique des principes qu’elle n’applique pas
dans sa pratique
3.43. La recevabilité d’une plainte n’est pas simplement un problème technique de droit
international. Dans certaines circonstances, e lle pose des questions fondamentales d’équité et
d’égalité et exige beaucoup de prudence de la part du juge. J’estime que l’affaire qui nous occupe
entre dans cette catégorie.
3.44. Bien qu’elle condamne durement la règl e américaine de la carence procédurale,
l’Allemagne demande, quand elle est l’Etat défendeur, à bénéficier de règles analogues. Dans la
requête I.H.c. République fédérale d’Allemagne relative à la condamnation, confirmée en appel
par un tribunal fédéral, d’un requé rant par un tribunal régional a llemand, la Cour constitutionnelle
fédérale a jugé irrecevable la réclamation du re quérant parce qu’elle n’avait pas été déposée dans
les délais prévus par la loi portant cr éation de la Cour c onstitutionnelle fédérale 73. Il n’y a là
pratiquement pas de différence entre l’approche d es tribunaux des Etats-Unis d’Amérique et celle
de la Cour constitutionnelle de la République fédérale d’Allemagne.
3.45. Même lorsqu’un avocat commis d’office a été refusé ― catégoriquement refusé ― à
un accusé sans ressources ― en l’occurrence, un ressortissant turc ― pour un procès en appel fort
complexe, l’Allemagne s’est opposée à l’annulation de la condamnation, faisant valoir, en adoptant
là une position radicalement opposée à celle qui est la sienne dans l’affaire LaGrand, que l’accusé
n’avait pas subi de préjudice 74. Naturellement, la Cour eur opéenne des droits de l’homme,
75
invoquant «les intérêts de la justice» , a conclu que l’Allemagne avait commis une violation de
l’article 6 3) c) de la convention européenne, leque l est comparable à l’article 14 3) d) du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, auquel l’Allemagne est également partie. Il est
intéressant de noter que la Cour européenne a reconnu que la conventio n ne lui attribuait pas
compétence pour annuler l’arrêt de la Cour fédérale allemande 76.
3.46. Ainsi, Monsieur le président, dans la procédure actuelle, l’Allemagne cherche à
appliquer aux Etats-Unis d’Amérique d’autres cr itères que ceux qu’elle su it dans sa pratique.
73I. H. c. République fédérale d’Allemagne (non publié), (12 février 1990).
74 o
Pakelli c. Allemagne, Cour européenne des droits de l’homme, n 64, par. 40 (1983).
75Ibid..
76Ibid., par. 45. - 48 -
L’Allemagne n’a pas montré que son système judi ciaire exigeait l’annulation de condamnations
pénales en cas de manquement à l’obligation de not ification consulaire. Même hier, elle n’a pas
fait valoir que dans sa pratique, elle réexamine ou annule des condamnations au seul motif d’un tel
manquement. Les affaires citées dans le contre-mémoire des Etats-Unis d’Amérique montrent que
lorsque des citoyens américains ont été condamnés à des peines de prison en Allemagne sans avoir
eu la possibilité de notifier leur poste consulaire, l’Allemagne, tout en présentant ses excuses aux
77
Etats-Unis d’Amérique, n’a même pas évoqué la possibilité d’annuler les condamnations .
D’autres ressortissants américains ont été placés en détention en Allemagne sans avoir été avertis
de leur droit d’informer leur consul. J’attir e l’attention de la Cour sur la déclaration
complémentaire d’Elizabeth Swop que nous avons déposée hier. Dans toutes ces affaires, les
Etats-Unis d’Amérique n’ont pas eu autre chose que des excuses. Je conclus que dans sa pratique,
l’Allemagne ne respecte pas ce qu’elle affirme être, dans l’affaire LaGrand, l’interprétation
correcte de la convention sur les relations consulai res, à savoir que la violation de l’obligation de
notification a des conséquences sur le déroulement de la procédure au niveau national et exige que
soient remises en cause les condamnations et les peines formulées en l’absence de notification.
3.47. Monsieur le président, ne faut-il pas se demander si la Cour doit se déclarer prête à
examiner les demandes de l’Allemagne alors que celle-ci n’accepte pas comme obligatoires pour
elle-même des normes qu’elle n’hésite pas à opposer aux Etats-Unis d’Amérique ? Les Etats-Unis
demandent à cette Cour de considérer si l’Alle magne ne devrait pas être empêchée de soulever,
contre les Etats-Unis d’Amérique, de prétendues rè gles qu’elle ne respecte pas elle-même. Mais il
ne s’agit pas ici uniquement d’une question de forc lusion. On constate que l’interprétation de la
convention que revendique l’Allemagne n’est pas de venue une partie du dro it international qui lie
les Etats-Unis.
3.48. Les Etats-Unis ne demandent pas ici la réciprocité mais souhaitent plutôt soulever deux
autres points. Premièrement, les principes fondame ntaux de l’administration de la justice et de
l’égalité exigent que les deux parties en présence soient soumises aux mêmes principes du droit
77
Contre-mémoire des Etats-Unis d’Amérique, p. 38, par. 93-94, annexes 8-11. - 49 -
international. Il serait contraire à ces principes d’appliquer contre les Etats-Unis d’Amérique des
règles que l’Allemagne ne semble pas suivre.
3.49. Le deuxième point concerne le statut de ces règles au regard du droit international. Les
règles invoquées par l’Allemagne sont au mieux incert aines. En cas d’incertitude du droit, le fait
que la partie adverse recourt elle-même à une pratique contestée a pour effet de rendre encore plus
floue l’autorité de ces prétendues règles de droit international 78.
3.50. La pratique suivie par l’Allemagne sur son territoire a pour effet d’ôter toute
justification à la requête qu’elle présente à la C our pour que celle-ci adopte son interprétation de la
convention consulaire. Ainsi, les affirmations de l’Allemagne non seulement posent une question
d’équité envers l’Etat défendeur mais sont égal ement contraires aux principes de l’administration
de la justice que la Cour a toujours défendus.
3.51. De plus, dans la mesure où la pratique de l’Allemagne tout comme celle des Etats-Unis
d’Amérique expriment, ainsi que nous le démontrer ons, la pratique générale des Etats parties à la
convention, il y a un rejet général par les Etat s de l’interprétation de la convention que défend
actuellement l’Allemagne contre les Etats-Unis d’Amérique.
3.52. S’il fallait accepter l’interprétation donnée par l’Allemagne de la convention, tous les
Etats qui y sont parties se trouveraient actuellement en train de violer ce texte, ce qui ne faciliterait
pas l’adoption de mesures visant à mieux le faire appliquer.
3.53. En sa qualité d’Etat demandeur, il a ppartenait à l’Allemagne d’établir que son
interprétation de la convention sur les relati ons consulaires était bonne. L’Allemagne n’a
manifestement pas rempli cette obligation.
Conclusions
3.54. Pour conclure, je rappelle à la Cour ce qu’elle a dit dans l’affaire du Cameroun
septentrional :
«même si, une fois saisie, [elle] estime a voir compétence, la Cour n’est pas toujours
contrainte d’exercer cette compétence. Il y a des limitations inhérentes à l’exercice de
la fonction judiciaire dont la Cour, en tant que tribunal, doit toujours tenir compte…
78
Theodor Meron, Human Rights and Humanitarian Norms as Customary Law 40 (1989). - 50 -
Cette fonction est soumise à des limitations inhérentes qui, pour n’être ni faciles à
classer, ni fréquentes en pratique, n’en sont pas moins impérieuses en tant
qu’obstacles décisifs au règlement judiciaire.» .9
Monsieur le président, permettez-moi de suggére r qu’en la présente affaire, qui repose sur une
interprétation de la convention c onsulaire que ni l’Allemagne ni aucune autre partie à cette
convention n’accepte et n’applique dans sa pratique , peut-être conviendrait-il que la Cour, en tant
que tribunal, exerce sa compétence discrétionnaire en matière judiciaire pour décider si elle doit ou
non connaître de cette affaire.
3.55. Monsieur le président, ceci met fin à mon intervention. Madame et Messieurs les
Membres de la Cour, je vous remercie de votre patience et, Monsieur le président, je vous demande
de bien vouloir donner la parole à Mme Catherine Brown.
The PRESIDENT : Thank you Professor. Je donne maintenant la parole à
Mme Catherine Brown.
Mme BROWN :
4.1. Monsieur le président, Madame et Messi eurs les Membres de la Cour, c’est un honneur
pour moi de me présenter devant vous aujourd’hui. Ce dont je vais parler, c’est de la réaction des
Etats-Unis à la violation dans la présente instance et de la question de savoir si la convention de
Vienne sur les relations consulaires appelait une réaction différente. En particulier, j’examinerai si
cette convention oblige les Etats parties à offrir dans leur système de justice pénale des recours aux
accusés étrangers qui n’ont pas été informés, comme l’article 36 de la convention le prévoit, de la
possibilité qui leur est offerte d’avertir leur consulat. L’Allemagne a élaboré une théorie fantaisiste
pour persuader la Cour qu’elle devait conclure à une réponse affirmative. Les Etats-Unis
soutiennent que la réponse est en fait incontest ablement «non» et que la Cour déformerait
sérieusement le cadre des relations consulaires en concluant autrement. Je me propose aujourd’hui
d’abord d’examiner brièvement ce qu’ont fait les Etats-Unis à la suite de la violation de l’article 36
dans la présente instance ainsi que la question d’en semble, c’est-à-dire la façon dont les Etats-Unis
respectent cet article 36. Ensuite, je parlerai de ce qu’exige la convention de Vienne et montrerai
79Affaire du Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni) , C.I.J. Recueil 1963, exceptions
préliminaires, p. 29. - 51 -
qu’elle ne contient aucun élément qui oblige les pays à offrir le recours de droit interne que
l’Allemagne voudrait imposer aux Etats-Unis.
Les Etats-Unis ont enquêté au sujet de la prétendue violation, ont présenté des excuses à
l’Allemagne et ont mené une vaste action pour améliorer la façon dont ils appliquent les
dispositions de l’article 36
4.2. Monsieur le président, nul n’ignore qu’aux yeux des Etats-Unis, la convention de
Vienne est une convention qui crée des droits et des obligations entre les Etats et non pas des droits
individuels inhérents à chacun dont le non-respect relève nécessairement du système de justice
pénale. Cette conception de la convention nous conduit à considér er que les violations de son
article36 ne nécessitent pas de recours dans le cadre de la justice pénale. Nous pensons que
l’Allemagne partageait cette façon de voir jusq u’à ce qu’elle décide, récemment, qu’elle avait
intérêt à réinterpréter la convention aux fins d es affaires où l’accusé encourt la peine capitale. En
conséquence, tant les Etats-Unis que l’Allemagne ont toujours eu pour pratique, quant il était
signalé un manquement à l’article 36, d’enquêter, de présenter des excuses le cas échéant et de
prendre des mesures pour améliorer le respect de ses dispositions. Ni l’un ni l’autre pays n’a prévu
de recours dans son système de justice pénale à la suite de violations de ce type, qui sont courantes
dans les deux pays. Dans des affaires récentes où des étrangers ont été condamnés à la peine
capitale aux Etats-Unis, nous avons en outre demand é aux autorités compétentes de considérer la
violation comme un facteur qui, sans être détermin ant, pouvait faire éventuellement pencher la
balance vers la clémence. Notre position est en effet que les recours sont politiques et non pas
judiciaires.
4.3. A la suite de la violation de l’article 36 dans la présente instance nous avons procédé
autant que possible de cette façon-là étant donné que l’Allemagne a soulevé auprès des Etats-Unis
la question de la notification au consulat deux jo urs seulement avant la date fixée pour l’exécution
de KarlLaGrand, dans la lettre que M.Fischer, ministre des affaires étrangères, a adressée à
MmeAlbright, secrétaire d’Etat, et qui est soumise à la Cour en annexe au mémoire de
l’Allemagne (annexe18). Dans ses communicati ons précédentes, l’Allemagne avait demandé la
clémence uniquement parce qu’elle est opposée à la peine de mort 80.
80
Mémoire de l’Allemagne, annexes 14, 15 et 16. - 52 -
4.4. Conformément à la pratique établie des Etats-Unis et de l’Allemagne, une fois
confirmée l’existence effective d’une violation ⎯ et cela seulement plusieurs mois après ⎯, nous
avons exprimé nos regrets et présenté les excuses officielles des Etats-Unis à l’Allemagne à
laquelle nous avons indiqué en détail les mesures qui étaient prises aux Etats-Unis pour empêcher
que cela ne se reproduise. Nous avons aussi remi s à l’Allemagne un rapport sur notre enquête et
proposé de répondre à toute question qu’elle voudrait nous poser à ce sujet. C’est l’objet de la note
o
diplomatique qui est jointe au contre-mémoire (pièce n 2).
4.5. Dans notre note diplomatique, nous avons assuré l’Allemagne du sérieux avec lequel les
Etats-Unis considéraient la notification aux au torités consulaires et avons parfaitement reconnu
qu’il était nécessaire d’améliorer l’application d es prescriptions de l’article36. Les mesures que
les Etats-Unis prennent actuellement à cette fin sont décrites tant dans la note (pièce n o2) que dans
o
la pièce n 3 jointes au contre-mémoire mais l’action engagée a été poursuivie depuis
l’établissement de ces deux pièces. La secrétai re d’Etat, MmeAlbright, appuie totalement et
personnellement cette action depuis le début, de même que Mme Janet Reno, Attorney General des
Etats-Unis. Notre action principale a consisté, en 1998, à publier une brochure et à distribuer une
petite carte dont un modèle a été mis à la dispositi on de la Cour. Actuellement, nous estimons
avoir distribué dans l’ensemble du pays plus de soixantemille exemplaires de la brochure et
quatrecentmille cartes aux services chargés du maintien de l’ordre public et aux services
judiciaires fédéraux, étatiques et locaux.
4.6. Nous organisons aussi une formation sur t out le territoire, parfois en coopération avec
les fonctionnaires consulaires de pays tiers comme le Mexique, qui sont vraiment désireux de nous
aider à mieux appliquer l’article36. Notre action vise tous les niveaux administratifs. De plus,
comme vous l’a dit Mme l’ Attorney General Napolitano, alors que nous avions toujours considéré
que c’étaient les fonctionnaires chargés de l’arrest ation et de la détention qui étaient compétents
aux fins de l’application de l’ article36, nous faisons désormais aussi appel à des membres des
services judiciaires à qui nous demandons de s’assu rer que l’obligation d’informer les services
consulaires a bien été respectée quand des étrangers comparaissent devant eux. Nous avons tout
spécialement signalé ce changement de pratique à l’Allemagne parce qu’il vise à dissiper la
confusion qui a régné dans le cas de Karl et Walt erLaGrand. Dernièrement, la secrétaire d’Etat, - 53 -
MmeAlbright, a personnellement décidé de créer au département d’Etat un service permanent
chargé de veiller au respect, par les Etats-Unis et les pays tiers, des dis positions qui prévoient la
communication d’informations aux services consulaires et la liberté d’accès à ces services.
4.7. Nous avons été franchement déçus hier de constater que l’Allemagne minimisait ces
efforts, comme s’ils n’étaient pas authentiques ou n’avaient pas d’effet. L’Allemagne a été jusqu’à
trouver ces mesures inefficaces au point que la Cour devrait prendre la décision extraordinaire
d’ordonner aux Etats-Unis de créer dans leur syst ème de justice pénale, d es recours au profit des
détenus qui encourent la peine de mort. Sans même qu’il soit besoin de dire que la convention de
Vienne ne contient aucun élément en faveur d’un tel recours ―nous reviendrons sur cela plus
tard ― la description de l’Allemagne déforme la réalité. D’abord, il importe que la Cour sache que
les Etats-Unis se sont toujours attachés à respecter les dispositions de l’article 36 depuis le jour où
ils sont devenus parties à la conve ntion de Vienne. De plus, il n’y a guère de raison de penser que
les gouvernements étrangers n’ont pas été satisfa its de ce que nous avons entrepris jusqu’aux
années quatre-vingt-dix. L’Allemagne n’a certainement rien fait pour nous signaler qu’elle avait le
moindre souci à ce sujet ―tout comme elle s’est abstenue de nous signaler l’affaire LaGrand
entre 1992 et 1999. Donc, l’action que nous me nons actuellement n’a commencé que relativement
récemment.
4.8. Ensuite, l’ensemble de mesures que nous avons prises a donné des résultats bien
supérieurs à ce que l’Allemagne admet. De fait, l’Allemagne a positivement déformé ce qui se
passe aux Etats-Unis actuellement. C’est ainsi que, parmi les pièces s upplémentaires qu’elle a
tardivement soumises à la Cour, figure une lettr e de la Californie que l’Allemagne cite pour
prouver que cet Etat ne pense pas être tenu de se conformer aux dispositions de l’article36. A
notre tour, nous avons soumis une lettre de la Californie dans laquelle celle-ci déclare
expressément accepter pleinement les obligations découlant de l’article 36. Ce qui manque dans ce
que dit l’Allemagne, c’est que c’est précisément pour mieux appliquer cet article que la Californie
a décidé récemment d’incorporer ses dispositions au droit californien. Comme je l’expliquerai plus
tard, nous ne pensons pas que la convention exige ce tte incorporation et, de fait, les Etats parties à
la convention qui ont choisi de procéder ainsi s ont relativement peu nombreux. On penserait que
l’Allemagne saluerait un tel effort au lieu de le critiquer. Nous ne voyons certainement rien qui - 54 -
justifie qu’elle dénature la déclaration anodine et manifestement exacte d’un fonctionnaire
californien selon laquelle la législation californienne n’est en vigueur que depuis peu et il n’a donc
pas été possible de l’enfreindre ju squ’à une date récente. Je pourra is citer des initiatives positives
analogues qui ont été prises un peu part out aux Etats-Unis et, ce matin, Mme
l’Attorney GeneralNapolitano, a exposé celles qu’a prises notamment l’Etat d’Arizona pour faire
participer les membres de ses services judiciaires à l’action menée, là encore à la suite de la
confusion qui a régné dans l’affair e Karl et Walter LaGrand. Mon cabinet reçoit tous les jours de
la part des services de police de tous les coins des Etats-Unis des demandes visant notre brochure et
nos cartes pour suivre les instructions. De pl us, les postes consulaires étrangers nous ont dit
expressément qu’ils étaient avisés plus souvent grâce à l’action que nous menons.
4.9. La liste des cas de prétendues viola tions dont M.Simma a parlé hier ne nous fait
d’ailleurs pas douter des résultats de notre actio n. La liste diffère un peu de celle que les
Etats-Unis pourraient établir au sujet de l’Allemagne ou d’un certain nombre d’autres pays, comme
le montre la déclaration supplémentair e que nous avons présentée et qu’a établie
Mme Elizabeth Swope, qui dirige la coordination des notifications consulaires au secrétariat d’Etat.
L’Allemagne oublie de reconnaîtr e que la notification aux cons ulats ne fonctionne jamais
parfaitement, ni en Allemagne, ni aux Etats-Unis , ni ailleurs et, qu’habituellement, les agents
consulaires sont informés de la détention de le urs ressortissants par divers moyens et à divers
stades de la procédure pénale. Dans la mesure où la liste montre que les agents consulaires
allemands tiennent leurs informations de parents, ou les ont obtenues par des contacts directs avec
leurs ressortissants ou bien d’autre façon, elle illustre simplement les réalités de la pratique
consulaire. On voit comment les méthodes de notifi cation varient aussi dans au moins l’un des cas
où l’Allemagne n’a pas respecté l’article 36, que la déclaration de Mme Swope met en évidence, et
on trouvera des renseignements abondants sur cette di versité dans notre examen de la pratique des
Etats, qui fait l’objet de l’annexe 8 à notre contre-mémoire.
4.10. Ce qui est plus important, c’est que l’Allemagne méconnaît totalement ce qu’il faut
faire pour garantir l’application de la di sposition, les Etats-Unis ont un territoire
d’environ 9,2 millions de kilomètres carrés, alors que celui de l’Allemagne s’étend sur
quelques350000kilomètres carrés seulement. Nous avons 270millions d’habitants alors que - 55 -
l’Allemagne en a moins de 83 millions. Comme on vous l’a dit, notre structure fédérale est tout à
fait particulière. En fait, le pouvoir d’arrestation et de mise en détention aux Etats-Unis est
décentralisé et est partagé non pas seulement entre l’ administration fédérale et celle des Etats mais
aussi à l’intérieur de l’administration fédérale et à l’intérieur de celle des Etats. Selon nos
estimations, il y a aux Etats-Unis plus de 700 000 fonctionnaires chargés du maintien de l’ordre
public qui sont répartis dans plus de 18 000 subdivisions administratives.
4.11. Ce n’est pas là une excuse c’est une explication. Les Etats-Unis se sont lancés dans ce
que nous considérons comme une action systématique, de longue haleine, pour régler cette question
de l’application de l’article36. Nous n’avons pas besoin de règles supplémentaires pour assurer
cette application parce que nous comprenons parfa itement, et nos Etats comprennent parfaitement,
que l’article 36 a force de loi aux Etats-Unis et peut être appliqué directement. Le problème qui se
pose, c’est de joindre les agents qui en sont charg és et sont multiples et fort nombreux dans de fort
nombreuses subdivisions administratives, grâce à des programmes de formation à long terme,
constamment renouvelés. En critiquant notre action, l’Allemagne laisse tous ces éléments de côté
et témoigne franchement, à l’égard des Etats-Unis d’une naïveté surprenante de la part d’un pays
qui a entrepris de formuler des cr itiques décisives au sujet du systèm e judiciaire des Etats-Unis, et
d’un pays qui a lui-même des difficultés à appliquer les dispositions en cause à une échelle plus
petite pourtant et dans un environnement beaucoup moins complexe.
4.12. Quoi qu’il en soit, l’Allemagne a tort de faire si piètre cas de la position défendue par
les Etats-Unis qui est que, dans les cas où l’article 36 n’est pas respecté, ils agissent comme ils le
doivent en faisant une enquête, en présentant des excuses et en s’engageant véritablement de bonne
foi à mieux faire à l’avenir. Dans des observations qui font autorité sur la convention de Vienne
sur les relations diplomatiques, EileenDenza a fa it remarquer que l’application et le respect de
cette convention avaient remarquablement progressé. L’une des raisons à cela, selon elle, c’est
«que la réciprocité sanctionne de manière c onstante et effective le respect de presque
toutes les dispositions de la convention. Chaque Etat est à la fois un Etat d’envoi et un
Etat de résidence. Ses propres représentant s à l’étranger, dans un certain sens, sont
toujours des otages.» 81 [Traduction du Greffe.]
81 e
E. Denza, Diplomatic Law, 2 ed., 1998, p. 2. - 56 -
On peut en dire autant de la c onvention de Vienne sur les relations consulaires. Les Etats parties
savent que les règles de conduite qu’ils veulent voir les pays tiers respecter sont des règles qu’ils
doivent eux-mêmes être prêts à suivre. A l’inverse, ils savent que la façon dont ils traitent les Etats
parties à la convention par les modalités d’applicati on qu’ils adoptent peut avoir des effets sur la
façon dont ils sont eux-mêmes traités. Dans ce cont exte, la réaction des Etats-Unis est loin d’être
inutile. Elle constitue un message clair, réfléc hi et concerté adressé publiquement par le
département d’Etat et le ministère de la justi ce des Etats-Unis, au plus haut niveau, aux Etats
parties à la convention pour les assurer que nous pr enons l’article 36 au sérieux et que nous savons
parfaitement qu’ils comptent de notre part, chez nous, sur des règles de comportement analogues à
celles que nous comptons les voir adopter à l’égar d de nos ressortissants à l’étranger. Nous
poursuivrons nos efforts quel que soit le résultat da ns la présente instance et que des pays comme
l’Allemagne cessent ou non de s’y intéresser parce que leur véritable souci, c’est la peine capitale
et non pas la notification consulaire. D’ailleur s, nous pouvons légitimement considérer avec
méfiance la tentative tardive, de la part de l’Allemagne, pour définir une règle spéciale de
notification au consulat dans les affaires où l’accusé encourt la peine capitale puisqu’une telle règle
n’aurait pas d’effet de réciprocité sur le système allemand de justice pénale.
La convention de Vienne n’appelle aucune autre réaction
4.13. J’aborderai maintenant la question de savoir si l’attitude des Etats-Unis à la suite de la
violation de l’article 36 qui a été commise a été insuffisante au regard de la convention de Vienne.
Contrairement à ce que donne à entendre l’Allema gne, ce n’est pas en décidant ou non si la
convention de Vienne est conçue dans l’intérêt de l’individu que l’on répondra à cette question.
L’accomplissement des fonctions consulaires, par dé finition, est utile à des individus. En outre, il
est clair que l’article36, en reconnaissant aux ag ents consulaires le droit d’entrer en rapport avec
les ressortissants de leur pays et à leur apporter leur assistance, sert l’intérêt de ceux-ci. Ce que
l’on cherche à déterminer, ce n’est pas non plus si l’article 36 reconnaît les droits d’individus ⎯ il
est clair qu’il le fait expressément. Mais cela ne nous dit pas grand-chose sur la nature de ces droits
ni sur les recours prescrits par la convention en cas d’infraction à l’article 36. Ce à quoi l’on doit
répondre c’est la question de savoir si l’obligatio n de dire à un étranger qu’il peut demander que - 57 -
son consulat soit averti doit être incorporée aux procédures pénales de l’Etat de résidence et
considérée comme fondamentale aux fins desdites procédures au point qu’il faut prévoir la
possibilité d’annuler la procédure si l’obligation n’ est pas respectée. Là encore, manifestement, la
réponse à cette question est négative. Cela ne veut pas dire qu’informer l’individu ne peut pas,
dans certains cas, susciter une assistance consulaire qui peut être utile à la défense dans une affaire
pénale. Mais cette éventualité ne constitue p as un argument permettant de conclure que la
convention fait de la notification c onsulaire une partie intégrante de la procédure pénale ou oblige
les Etats parties à prévoir des recours dans le cadre de leur système de justice pénale pour les cas
où des étrangers ne seraient pas informés de la possibilité qu’ils ont de demander à faire aviser leur
consulat.
Le texte de la convention ne conforte pas la position de l’Allemagne
4.14. D’une certaine façon, notre examen pourrait commencer et s’achever avec le texte de la
convention. Permettez-moi de signaler un certa in nombre d’omissions importantes qui ont un
rapport direct avec ce que prétend l’Allemagne. Le titre de la convention, évidemment, nous dit
très simplement que son objet, ce sont les relations consulaires entre Etats. Cet intitulé ne parle pas
d’affaires pénales, d’individus, et en aucune f açon ne donne l’impression que la convention vise le
système interne de justice pénale des Etats pa rties ou des questions touchant des droits de
l’individu dans une procédure pénale.
4.15. On peut faire la même constatation en lisant le préambule de la convention qui dit
expressément que celle-ci traite des relations c onsulaires et cherche à favoriser les relations
d’amitié entre les pays. Le seul passage du préam bule qui parle de droits qui pourraient être
entendus comme servant l’intérêt de l’ individu dans un contexte judiciaire ⎯les privilèges et
immunités ⎯ est immédiatement nuancé par une précision: ces privilèges et immunités servent
l’intérêt non des individus mais des Etats. L’Allemagne a prétendu que cette restriction ne
concernait que les privilèges et immunités reconnus aux agents consulaires par la convention et ne
concerne pas nécessairement l’article 36. Cependant, même si nous admettons que c’est exact, cela
ne change rien au fait que le préambule nous di t que la convention a fondamentalement pour objet - 58 -
de réglementer les relations consulaires entre Etat s et de servir l’intérêt des Etats et non celui des
individus.
4.16. Une fois de plus, nous ne voulons pas dire que l’article36 ne sert pas l’intérêt des
individus : il le fait, bien évidemment. Mais il a pour titre «Communication avec les ressortissants
de l’Etat d’envoi». Il fait partie d’une section intitulée «Facilités, privilèges et immunités
concernant le poste» à l’intérieur du chapitre c oncernant les «Facilités, privilèges et immunités
concernant les postes consulaires, les fonctionnair es consulaires de carrièr e et les autres membres
d’un poste consulaire». Ces intitulés, eux aussi , concordent avec l’objet fondamental de la
convention qui est le droit des Etats et non pas le droit des individus. Rien non plus dans ces
intitulés ne donne à entendre que nous ayons affaire à une disposition qui, d’une façon quelconque,
concerne le droit pénal ou la procédure pénale des Etats membres.
4.17. Hier, nos amis allemands ont longuement promené la Cour à travers le texte lui-même
et la structure de l’article 36. Pour ma part, je pr atique le droit consulaire tous les jours et je dois
admettre avoir trouvé beaucoup d’intérêt à l’interprétation donnée à cet article par trois théoriciens.
Nos perspectives sont assez éloignées et franchement je n’hésite pas à dire à la Cour que les
théoriciens ont mis cet article 36 sens dessus dessous. Une disposition ajoutée après coup a pris
une importance exagérée et l’essence de l’article 36 a été plutôt obscurcie.
4.18. L’Allemagne a glissé rapidement sur l es mots importants qui figurent au début du
paragraphe 1 de l’article 36 : «Afin que l’exercice des fonctions consulaires relatives aux
ressortissants de l’Etat d’envoi soit facilité». Ces mots servent d’introduction aux trois alinéas qui
suivent et, évidemment, ne confortent absolument pas l’idée que les droits et obligations énumérés
au paragraphe1 le sont pour garantir que les resso rtissants de l’Etat d’envoi bénéficient de droits
particuliers ou d’un traitement particulier dans le cadre d’une procédure pénale.
4.19. Les théoriciens n’ont pas non plus su mesurer l’importance du premier alinéa du
paragraphe1 de l’article36 qui énonce un prin cipe général: «Les fonctionnaires consulaires
doivent avoir la liberté de communiquer avec des ressortissants de l’Etat d’envoi et de se rendre
auprès d’eux» ⎯ et son principe réciproque. C’est cette liberté de communication qui constitue le
droit le plus important exposé dans l’article 36 parce que la communication est indispensable pour
que l’Etat d’envoi puisse accomplir ses fonctions consulaires. L’alinéa a) du paragraphe 1 énonce - 59 -
un principe général qui est entièrement suffisant chaque fois que la liberté de mouvement du
fonctionnaire consulaire et de l’étranger est san s entrave. Reconnaît-il un droit de communication
individuel ? Oui. Mais donne-t-il à penser que ce droit est indépendant du droit de l’Etat d’envoi ?
Non. En fait, c’est précisément parce que le droit de l’individu d écoule du droit de l’Etat d’envoi
que les négociateurs ont donné aux deux phrases l’ ordre qu’elles ont, en renversant l’ordre initial
proposé par la Commission du dr oit international. L’alinéa a) du paragraphe1 de l’article36
concerne-t-il le droit de l’individu à une procédur e pénale ? Là encore, la réponse est non. Cette
omission est importante parce que, comme le professeur Trechsel le démontrera, il existe de
nombreux cas où la procédure pénale peut se déroul er tandis que le ressortissant étranger demeure
libre.
4.20. Enfin, nous arrivons à l’alinéa b) du paragraphe1 de l’artic le36, qui concerne la
situation particulière où l’on se trouve quand l’étranger est détenu. Il traite des problèmes
particuliers de communication avec le consulat qui se posent quand l’étranger est en détention.
Parce que l’étranger est détenu, ni lui ni le fonc tionnaire consulaire ne peut exercer les droits
fondamentaux énoncés à l’alinéa a) du paragraphe1 à moins d’y être aidé. C’est la raison pour
laquelle nous avons à l’alinéa b) du paragraphe1 des dispositions spéciales pour que les agents
consulaires soient informés des détentions et pour que les communications soient transmises.
4.21. Evidemment, la notification de la déten tion aux termes de la convention de Vienne ne
doit être faite que si l’étranger le demande et, comme le déroulement de s négociations nous le
montre, c’est parce que cette restriction a été introdui te, qui modifiait le projet de la CDI, que nous
trouvons aussi, à la dernière phrase de l’alinéa b) du paragraphe1, la prescription imposant aux
autorités de l’Etat de résidence d’informer le dé tenu étranger qu’il a le droit de faire aviser son
représentant consulaire et de lui faire transmettre ses communications. Hier, l’Allemagne a plaidé
que cette dernière phrase ⎯celle que les Etats-Unis n’ont pas respectée ⎯ était la disposition la
plus importante de l’article 36. A partir de là, elle a essayé de prétendre que, donc, nécessairement,
toutes les autres dispositions de l’article36 avaient été violées. En fait, cette dernière phrase n’a
été ajoutée au texte qu’à la dernière minute pour le cas où l’étranger risquait d’ignorer qu’il pouvait
demander à entrer en rapport avec son consulat. Ma is, là encore, c’est une éventualité. Il pouvait - 60 -
être tout à fait au courant de cette possibilité , ou bien sa famille l’être, ou un fonctionnaire
consulaire faisant diligence pouvait se mettre en rapport avec lui, qu’il soit informé ou non.
D’ailleurs, il n’est pas exceptionnel que les fonc tionnaires consulaires apprennent par ces voies-là
que des ressortissants de leur pays sont en détention. La dernière phrase de l’alinéa b) du
paragraphe 1 de l’article 36 prévoit, au fond, un e mesure prophylactique. Elle ne consacre pas un
droit de l’individu à être informé. Elle ne dit pas : «L’intéressé a le droit d’être informé.» Elle dit
simplement que les autorités compétentes «doivent sans retard informer l’intéressé de ses droits».
Je pense que le choix des termes n’est pas indifférent. Autrement dit, la phrase exprime une
obligation que l’Etat de résidence contracte à l’ég ard de l’Etat d’envoi, c’est l’Etat d’envoi qui a
droit à ce que son ressortissant soit informé.
4.22. L’erreur la plus importante de nos amis allemands, toutefois, tient à ce qu’ils partent du
principe que les droits définis dans l’article36 so nt conçus pour faire pa rtie intégrante de la
procédure pénale. Ils semblent faire reposer cette déduction sur l’obligation pour les autorités, de
procéder à la notification sans retard. Je tendr ais à souligner qu’ils déforment la position que nous
défendons au sujet du sens des mots «sans retard» ma is cela n’est pas directement pertinent pour
notre argument. Notre argument, c’est que l’article36 traite des communications avec les
fonctionnaires consulaires et non pas de la procédure pénale. Par exemple, l’alinéa b) ne dit pas
que l’étranger détenu doit être informé de ses droits avant toute déclaration aux fins de l’instruction
ou avant toute étape particulière de la procédure pénale. La disposition n’établit pas de lien entre
l’information communiquée au fonctionnaire consulai re et une étape quelconque de la procédure,
par exemple le déclenchement de l’instruction, le dépôt de l’accusation ou le début du procès.
L’alinéa b) entre en jeu dans les cas de détention et ses règles s’appliquent quelles que soient les
raisons de la détention et que celle-ci soit liée ou non à une procédure pénale.
4.23. Seul l’alinéa c) du paragraphe1 de l’ar ticle36 aborde directement la question de la
procédure judiciaire en disposant que les foncti onnaires consulaires ont le droit de pourvoir à la
représentation en justice des étrangers en déten tion. Du même coup cependant, une fois que
l’étranger est représenté en justice, l’objet de la disposition est réalisé.
4.24. Reste le paragraphe 2 de l’article 36. Nos amis allemands ont glissé sur le fait qu’il est
exclusivement consacré aux droits visés au paragr aphe1: premièrement, le droit à communiquer - 61 -
avec les fonctionnaires consulaires et la lib erté d’accès, sous condition de réciprocité,
deuxièmement, dans les circonstances particulières de la détention, le droit de l’étranger à ce que
son consulat soit avisé et à ce que ses communications soient transmises, troisièmement, là aussi
dans les cas de détention, le droit des fonctionnaires consulaires à rendre visite aux ressortissants de
leur pays, à s’entretenir et à correspondre avec eux et à organiser leur représentation en justice.
Evidemment, les lois et règlements qui concernent l’exercice de ces droits sont les lois relatives à la
communication et à la liberté d’accès, particulièrement à l’emploi de moyens de communication:
quelle peut-être la fréquence des le ttres, est-il possible de téléphoner ? Les détenus ont-ils le droit
de se rendre en personne à leur ambassade ? Y a-t-il un couvre-feu en vigueur ? Y a-t-il un horaire
de visite? Y a-t-il des règles de sécurité? Si tel est le cas, ces règles ne doivent pas être
restrictives au point de faire échec aux buts de la convention. Mais les règles relatives aux moyens
de défense qu’un étranger peut utiliser dans une procédure pénale n’ont absolument aucun rapport
avec les droits visés au paragraphe1. En suggéra nt que le paragraphe2 de l’article36 interdit
d’appliquer les règles de la carence procédurale aux plaintes concernant la violation de l’alinéa b)
du paragraphe 1 de l’article 36, l’Allemagne s’éloigne beaucoup du texte qui devrait être largement
réécrit pour donner les résultats que cherche l’Allemagne.
4.25. En conséquence, l’Allemagne n’est donc pas fondée à prétendre que les Etats-Unis ont
violé le paragraphe2 ou une disposition quel conque du paragraphe1 autre que l’obligation
prophylactique d’informer les LaGrand qu’ils po uvaient communiquer s’ils le voulaient avec les
fonctionnaires de leur consulat . L’Allemagne n’a pas cité un seul cas concret ni une seule
disposition de droit qui ait fait obstacle à une communication quelconque entre les LaGrand et les
fonctionnaires du consulat d’Allemagne ou qui l’ ait empêchée. Elle n’a pas trouvé un seul
manquement à l’obligation d’assurer la liberté d’ accès. Elle n’a pas non plus trouvé le moindre
signe indiquant que les LaGrand auraient essayé d’organiser leur représentation en justice, et
encore moins un signe indiquant qu’engagés dans cette voie, ils auraient rencontré des obstacles.
4.26. Je tiens à faire une autre observation au sujet de ce texte, en soulignant une nouvelle
fois une omission importante. Rien dans la convention n’oblige les Etats parties à incorporer celle-
ci à leur droit interne ni à prévoir des recours dans leur système de droit. Il y a en cela une
différence, par exemple, entre ladite convention et le pacte international relatif aux droits civils et - 62 -
politiques dont l’article2 énonce l’obligation d’a dopter les mesures législatives nécessaires et qui
impose aux Etats parties d’offrir des recours effec tifs. Manifestement, lorsque les Etats ont voulu
demander par le truchement de conventions internationales que des changements soient apportés au
droit interne, ils ont trouvé des termes clairs pour le faire.
La pratique des Etats en application de la conv ention de Vienne sur les relations consulaires
ne conforte pas non plus la suggestion de l’Allemagne selon laquelle les Etats parties
doivent prévoir des recours dans leur système de justice pénale en cas de non-respect de
l’article 36
4.27. Monsieur le président, il ne semble guère nécessaire d’aborder à présent la pratique des
Etats. Pourtant, je suis bien obligée de dire que la pratique suivie par les Etats parties à la
convention de Vienne sur les relations consulaires, qui sont plus de cent soixante-cinq, apporte un
appui écrasant à notre position. L’Allemagne a essayé hier de passer sous silence cette pratique des
Etats pour des raisons faciles à comprendre. Elle a dit que cette pratique est mince alors qu’en fait,
elle est très abondante même si les théoriciens n’ y ont pas facilement accès. L’Allemagne a dit
aussi que cette pratique est sans intérêt soit par ce que les violations ont lieu dans des affaires
mineures ⎯ proposition qui ne repose sur rien ⎯ soit parce que la pratique est inexistante dans les
affaires où l’accusé encourt la peine capitale, argum ent qui laisse de côté le fait que la convention
de Vienne ne s’intéresse pas à la nature de la peine et n’établit même pas de lien entre la
notification du consulat et la procédure pénale. On ne voit pas très bien comment l’Allemagne peut
concilier cette prise de position avec la conven tion de Vienne sur le droit des traités ⎯ à laquelle
l’Allemagne a dit souscrire avec enthousiasme hier. En fait, il est particulièrement important que
l’Allemagne ne trouve rien pour défendre sa positi on ni dans sa propre pratique, ni dans celle
d’autres Etats, et ce n’est pas seulement parce que la convention de Vienne sur le droit des traités
accorde beaucoup de poids à la pratique ultérieure . Je dis cela parce que la convention de Vienne
sur les relations consulaires n’est pas un traité or dinaire. Au contraire, avec la convention de
Vienne sur les relations diplomatiques, c’est désorm ais le cadre dans lequel la grande majorité des
pays organisent leur dialogue diplomatique et c onsulaire. J’emploie le mot «dialogue» à dessein,
pour souligner à quel point ces conventions ont ét é intégrées aux échanges quotidiens d’arguments
et aux communications entre gouvernements qui discute nt de leurs divers droits et obligations.
Ceux d’entre nous qui travaillent dans les mi nistères des affaires étrangères examinent ces - 63 -
conventions sur le plan interne et avec d’autr es ministères des affaires étrangères quotidiennement
et continuellement et, grâce à ce dialogue et à la pratique quotidienne de la convention de Vienne,
l’article 36 s’est véritablement imprégné de sens.
4.28.La Cour trouvera un compte rendu détaillé de la pratique des Etats en ce qui concerne la
convention à l’annexe8 jointe à notre contre-mémoire, comme je l’ai déjà dit. Comme
l’Allemagne semble disposée à admettre ce que nous disons à ce sujet, je me limiterai aux points
les plus importants, et j’ai déjà parlé de certains d’entre eux.
4.29. Premièrement, l’obligation d’informer les consulats est rarement respectée
parfaitement, et deuxièmement, elle est fréquemment l’objet de débats. Le plus important, c’est
que rien ne prouve que, lors de ces débats, les Etats introduisent da ns leur procédure pénale des
recours dans les cas où la notification n’est pas faite. On ne saurait trop insister sur l’importance de
ce fait puisque le manquement à l’obligation est si fréquent. Mais cette situation est sûrement due à
ce que l’on considère que l’article 36 n’oblige pas, en cas de violation, à offrir des recours dans le
cadre de la procédure pénale. Deux exemples pa tents sont soumis à la Cour dans les pièces10
et 11 que nous avons jointes au contre-mémoire. Il s’agit de not es adressées par l’Allemagne aux
Etats-Unis dans lesquelles l’Allemagne présen te ses excuses et s’engage à apporter des
améliorations mais ne suggère nu llement que la peine imposée au ressortissant américain en cause
doit être levée parce que la notification n’a pas eu lieu.
4.30. Depuis quelques années évidemment, les avocats de la défense aux Etats-Unis ont
essayé de persuader nos tribunaux d’instituer des r ecours dans notre système de justice pénale.
Nous ne les avons pas suivis, pour toutes les rais ons que nous exposons à la Cour. En outre, nous
ne pouvons pas dire que l’obligation de notifier le consulat soulève, en matière d’équité, des
questions qui ne trouvent pas par ailleurs de ré ponse dans les garanties considérables accordées à
tous les accusés par le droit pénal des Etats-Unis.
4.31. Un dernier élément que nous avons pris en considération, c’est qu’il serait très difficile
de concevoir des recours adaptés que les tri bunaux chargés des affaires pénales pourraient
administrer comme il convient. D’une part, adopte r une règle automatique de rétablissement du
statu quo ante aboutirait certainement à des résultats absurdes, particulièrement dans les cas
comme celui-ci où les accusés sont théoriquement allemands mais, à toutes fins pratiques, sont des - 64 -
ressortissants des Etats-Unis. D’autre part, une rè gle autorisant les recours sur preuve qu’il y a eu
effet préjudiciable ferait nécessairement dégéné rer de manière très problématique les cas de
violations de traités à régler entre Etats en litige de vant des juridictions pénales. Par exemple, les
accusés feront inévitablement valoir qu’ils auraie nt demandé à ce que leur représentant consulaire
soit informé si seulement on le leur avait proposé. Ils convaincront leur représentant consulaire, si
celui-ci le peut, de présenter en leur nom une déclaration qui, à tous les coups, dirait que ce
représentant ⎯ou son prédécesseur, de nombreuses années ou seulement quelques mois
auparavant ⎯ aurait accompli toutes sortes de choses qui auraient abouti à un résultat très différent.
Comment s’assurer de la véracité de ces affirmations? Pour y parvenir totalement et
équitablement, les procureurs devraient avoir accès à des archives consulaires inviolables afin de
déterminer les principes et les moyens ayant dict é la réaction des représentants consulaires. Le
procureur aurait besoin aussi de faire lever l’im munité de déposition du responsable consulaire
pour pouvoir procéder à son contre-interroga toire et lui demander quelle importance son
gouvernement accorde véritablement à l’assistance consulaire. En l’espèce, par exemple, nous
avons des preuves manifestes que l’Allemagne n’a pas réagi promptement lorsqu’elle a été
informée de la situation des LaGrand, qu’elle n’ a fourni aucune assistance á l’un des avocats lors
du procès des Apelt, qu’elle ne paye pas les avocats de ressortissants allemands et au contraire
qu’elle les laisse se faire représenter par des avo cats payés par le gouvernement fédéral des Etats-
Unis ou par celui de l’Etat ⎯pour ne mentionner que quelques faits qui pourraient être gênants.
J’espère que la Cour conviendra que, si un Etat par tie peut choisir de s’embarquer dans cette voie,
la convention de Vienne ne l’y oblige pas.
Les travaux préparatoires de la convention de Vienne sur les relations consulaires ne
confortent pas non plus l’idée défendue pa r l’Allemagne que les Etats parties doivent
offrir des recours dans le cadre de leur système de justice pénale en cas de non-respect de
l’article 36
4.32. Monsieur le président, j’en ai peut-être encore pour dix minutes. Je ne sais pas si vous
voudrez lever l’audience à l’heure habituelle.
Le PRESIDENT : Si ce n’est pas plus de dix minutes qu’il vous faut, continuons.
Mme BROWN : Je vous remercie. Je vais essayer de résumer. - 65 -
4.33. Je voulais juste faire quelques observati ons au sujet du déroulement des négociations,
préludant à l’adoption de la convention, do nt je ne peux pas donner un aperçu suffisant
aujourd’hui. Je prierai la Cour d’accorder une attention particulière à l’analyse que nous en faisons
dans le contre-mémoire.
4.34. Je vais consacrer mon intervention à quelques points seulement qui concernent les trois
principales modifications intervenues entre le projet de la CDI et le projet final et qui ont un
rapport avec la présente affaire. L’un de ces ch angements est la permutation des deux phrases de
l’alinéa a) du paragraphe 1 à laquelle j’ai déjà fait allusion; le deuxième changement est le suivant :
l’obligation de signaler tous les cas de détention, qui figurait dans le texte de la CDI, a été
remplacée par la disposition selon laquelle la notif ication n’a lieu qu’à la demande de l’étranger
détenu; le troisième changement a consisté à re mplacer, au paragraphe2, la clause conditionnelle
du projet de la CDI interdisant de rendre «inopérants» les droits visés au paragraphe 1 de la clause
conditionnelle qui a été finalement adoptée.
4.35. Les débats qui ont conduit à ces changements montrent clairement que l’alinéa b) du
paragraphe 1, qui parle d’informer l’intéressé des «droits» que lui reconnaît ce paragraphe n’a pas
été adopté parce que l’on voulait créer ou reconnaîtr e des droits individuels qui soient opposables
dans les systèmes de justice pénale des Etats. Au contraire, les travaux préparatoires montrent on
ne peut plus clairement que cette disposition a été retenue pour maintenir un équilibre entre le droit
de l’Etat de protéger ses ressortissants et la prot ection de la vie privée et pour réduire la charge
imposée aux Etats.
4.36. Au cours des débats, je pense qu’il est particulièrement révélateur qu’un représentant
ait fait observer qu’on pouvait alléger la charge ai nsi créée par la proposition initiale en permettant
aux pays de renoncer à leur droit à notification. Le fait même qu’une délégation ait présenté l’idée
d’une renonciation montre clairement qu’il partait du principe que c’était du droit des Etats dont il
était question; et de fait, on ne devrait pas avoi r besoin de se demander si, même aujourd’hui, un
Etat d’envoi peut avertir un Etat de résiden ce que celui-ci n’a pas besoin d’informer ses
ressortissants à lui, Etat d’envoi, qu’ils ont le dr oit d’entrer en rapport avec les services consulaires
— par exemple si l’Etat d’envoi a décidé qu’il ne souhaite pas ou ne peut pas donner suite aux
demandes d’assistance consulaire. - 66 -
4.37. Les débats qui ont conduit à modifier l’alinéa b) du paragraphe 1 montrent aussi que
les délégations trouvaient extrêm ement gênant que les modifications apportées concernent des
individus et leurs droits. C’est pour cette raison, à cause de ce malaise, et pour faire en sorte que la
convention concerne davantage les droits des Et ats, que l’ordre des deux phrases dont j’ai parlé
précédemment a été inversé.
4.38. Enfin, rien dans les travaux préparatoires n’étaie l’idée que l’article 36 a été conçu pour
avoir, sur les droits de l’individu dans le cadre du droit pénal ou de la procédure pénale des Etats
membres, d’autres incidences que celles qui concernent les communications, les visites en prison et
les règles que j’ai décrites précédemment. L’A llemagne, une nouvelle fois, s’est beaucoup écartée
du texte hier. Il ne s’agit pas ici de la primauté du droit international par rapport au droit interne.
Manifestement, la clause conditionnelle du paragra phe2 prendrait le pas sur les dispositions de
droit interne prévoyant que les fonctionnaires cons ulaires ne peuvent pas rendre visite à leurs
ressortissants en détention, pour donner un exemple extrême. Ce n’est pas là la question. La
question est de savoir si l’article 2 s’applique aux règles de droit pé nal et de procédure pénale qui
concernent la défense ou le moment auquel il faut faire valoir certaines demandes dans les affaires
pénales —règles qui n’ont rien à voir avec la fa culté des fonctionnaires consulaires d’entrer en
contact avec leurs ressortissants ou de les aider. J’ ai déjà expliqué pourquoi il est évident dans ce
texte que ce n’est pas le cas. Dans les travaux pr éparatoires, il ressort clairement des observations
de la CDI, et de sa référence expresse à des règles concernant les visites aux ressortissants en
prison, que la réponse est négative. De même, le débat relatif au paragraphe 2 ne donne nullement
à penser que les délégations comptaient, même après la modification apportée à la clause
conditionnelle, que ce para graphe aurait des incidences sur la validité d’un procès pénal. L’idée
émise par l’Allemagne que la clause conditionnelle du paragraphe 2 exige d’instituer des recours en
matière pénale est une invention fantaisiste qui ne s’appuie absolument sur aucun élément des
travaux, de même qu’elle n’est étayée ni par le texte ni par la pratique des Etats.
4.39. Monsieur le président, je voudrais en c onclusion inviter à la prudence au sujet de la
position adoptée par l’Allema gne dans cette affaire. Ce que l’Allemagne cherche manifestement,
c’est à utiliser l’article 36 à d es fins politiques qui reviennent à supprimer la peine capitale et, il
faut le comprendre, consistent aussi à protéger ses ressortissants contre une telle peine chaque fois - 67 -
que possible. Cet objectif ne nous gêne pas mais ce qui nous gêne beaucoup, c’est la méthode de
l’Allemagne. Quelle que soit la position officie lle de l’Allemagne sur la peine de mort, elle
n’apporte aucun fondement autori sant à réécrire concrètement le texte de la seule convention
quasiment universelle qui constitue le principa l cadre dans lequel s’organisent les relations
consulaires partout dans le monde. Les Etats pa rties à la convention ne l’ont pas ratifiée en
escomptant qu’elle aurait sur leur système de ju stice pénale les incidences que l’Allemagne
voudrait que la Cour impose aux Etats-Unis.
4.40. Je prie instamment la Cour d’écouter a ttentivement le dialogue auquel j’ai fait allusion
et qui se déroule tous les jours dans quasiment t ous les pays du monde au sujet de questions liées à
la notification consulaire et à la liberté d’accès. Je la prie de rejeter cette invitation qui lui est faite
par l’Allemagne de transformer radicalement ce dialogue et de modifier fondamentalement chez les
cent soixante-cinqEtats parties à la convention de Vienne sur les relations consulaires le sens de
leur attente, car la décision de la Cour va inévitablement avoir pour eux des incidences.
4.41. Je conclus en vous remerciant de votre patience. Après la pause du déjeuner, j’inviterai
la Cour à entendre mon collègue, M. Mathias.
The PRESIDENT: Thank you very much. the sitting is closed. The Court will reconvene
this afternoon at 3.00 p.m.
The Court rose at 1.15 p.m.
___________
Traduction