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CR 9815(traduction)

CR 9815(translation)

Lundi 9 mars 1998

Monday 9March 1998 -2-

012 Le PRESIDENT : Veuillezvous asseoir. Nous commençonsaujourd'huile second tour de

plaidoiries. Je donne d'abordla parolel'agentdu Nigéria.

M. IBRAHIM :

1.Monsieur le président, Madameet Messieurs de la Cour,je commencerai,a l'occasionde

ce deuxième tour de plaidoiries,par traiter de quelques questions relativement généralesqui

n'entrentdans aucune rubrique particulièredes exceptions préliminairesdu Nigéria. Le conseil

abordera ensuite d'autres points,concernant directement certaines de ces exceptions.

2. Dans ma plaidoirie liminaire pour la République fédéraeu Nigéria,'avais inviténos

adversaireà faire en sorte que l'instancese déroule dansun esprit de respect pour la Cour et de3

respect mutuel entre deux Etats frères'. Le Nigéria aeu sa réponsejeudi et vendredi derniers,

lorsque le Cameroun a présentune masse de pièces tendancieusesdont nos adversaires doivent

savoir qu'ellessont sans rapport avec les audiencesen cours. Elles sont trèsnombreuses. Etant

donnéle temps dont il dispose, il est clairementimpossible pour leNigériade lesexaminertoutes

et, de toute façon, il ne serait pas appropriéde lefaire, le Nigéria étaéue le Cour ne se

laisserapas influencerpar elles. Toutefois,et pour le dossier, le Nigériaréserve saposition et ses

droits sur toutes les allégationsde fait et de droit que le Camerouna cru bon de formuler.

3. Le Nigéria a le droitde produire des élémentsde preuve a l'appui deses exceptions

préliminaires,et c'est cequ'ila fait. Le Camerouna répondu, d'umanièreassez contradictoire,
w
par trois argumentsprincipaux. Tousvisentàdétournerl'attention desvrais problèmeàsavoirle

contenudes exceptionspréliminairesduNigériaet les élémentsdepreuveque celui-ciproduit pour

les étayer.

4. Premièrement,le Cameroun laisse entendre que les exceptions préliminairesdu Nigéria

comprennent des éléments qui touchent le fond dulitige et sont sans rapport avec des exceptions

préliminaires2. Celan'esttout simplementpas vrai.

'CR9811,p. 28, par.45.

*CR9813,p. 31,par.33. -3-

5. Et nous ne sommespas persuadésque nos adversaireseux-mêmesle pensent réellement.

Car, et c'estlà son deuxièmeargument, le Cameroun déclareaussi, sans crainte de se contredire,

que leNigéria acaché saposition sur le fond3. Cela n'estpas exact. La positiondu Nigéria a été

clairement exposée.

6. Letroisième argumentduCameroun,qui contreditles deuxautres,consiste à aff~rmerque

laconceptionnigérianedesfrontièresdoitêtreagressive etdéstabilisante.Le Camerounfournitune

interprétationquil'arrangedesopinionsqu'ilattribueauNigéria, indiquant,ansaucunejustification,

que les théoriesjuridiques du Nigéria quant autracédes frontièresremettent nécessairementen

cause l'architecturejuridiquede l'ensemblede la frontière4.Monsieur le président,un Etat devrait

pouvoiraccepterqu'unEtatvoisin ait une conceptionjuridique desfrontièresdifférentedela sienne

sansformulerd'accusationscontrouvéesselonlesquelles l'EtatenquestionremetencauseI'ensemble

de la frontière,fortiori sans affirmer, comme l'aeffectivementfait le Cameroun5,que leNigéria

met en périll'existencemêmedu Cameroun et la paix et la stabilitédu continent africain.

7. Avant que ces audiencesne commencent, ilétait apparent,Monsieur le président, quele

Cameroun pensait qu'ilpouvait renforcer sa position au sujet de Bakassi en prétendantque le

Nigéria essayaitdedéstabiliserI'Etatcamerounaisdanssonensemblepardesagressionstout lelong

de la frontière. Aucunepreuve digne de ce nom n'estproduite à l'appui decette fable, concernant

des agressions dont on voit mal, le Cameroun le saittrèsbien, ce qui pourrait les motiver.

8. La comédies'estpoursuiviejeudi et vendredi derniers- Dans la mesure où de nouvelles

allégations ont été formulée pour la premièrefois contre le Nigéria, ellessont pour la plupart

doublementhors de propos,la Courdevantexaminerlesquestionsde compétenceetde recevabilité

à la date de l'introduction de la requêteelle-même. La prétendue attaque à Sangre le

24 février199@ n'estqu'unexemple de telles allégations.

'CR 9814,p. 26 et suiv.,par. 10et suiv.

4Voirnote 3.

9813,p. 20, par.35, et CR 9814,p. 28, par.15.

6CR9813,p. 14,par.20. -4-

9. Monsieur le président,le Nigéria a admisqu'ily avait des problèmesdans la régionde

Darka età Bakassi, mais il n'ya pas de vrais problèmesailleurs. Cameroun le sait trèsbien.

Il affirme que des différends existent toutle long de la frontière. Màcet égard,le Nigéria
'h
estimequ'unequestionqu'unEtatveut appelerun différendne constituepasundifférendsi certains

critères nesont pas satisfaits. En l'espèce, ilsne le sontpas. Pour l'essentiel,le Camerounn'apas

réussi,en évoquant des questionscomme les survols ou divers incidents mettant en cause des

((véhiculesde police))ou autres,démontrerl'existenced'undifférendau sujet de la délimitation

de la frontière.

10.Il ne suffit pas d'affir:e«il y a un différend)).Le Nigériapense que le Cameroun le

comprend parfaitement. C'estpratiquement en substance ce qu'il dit au paragraphe 5.05 de ses -

observations,sanstoutefoissuivre la logiquedeses paroles. SirArthur Watts développce point

en ce qui concerne des incidents dont le Cameroun prétend qu'se seraient produits tout le long

de la frontière.Je ne veux pas anticiper sur ce qu'il va dire. Mais la tendance du Cameroun

alléguer des faits sans aucunepreuve crédiblepour les étayeret à les présenter comme s'ils

constituaient des preuves le pousse au-delà de son répertoire de prétendus inci. n suivant

cette voie, le Cameroun nuià sa propre crédibilité.

11. Monsieur le président, Madameet Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre

attention. Je vous demanderai de donner laparoleàsir Arthur Watts.

LePRESIDENT :Jevous remercie,M. Ibrahim. Je donnemaintenantlaparole à sir Arthur.

Sir Arthur WATTS :

La Cour n'est pascompétentepourconnaîtredela requêtd eu Cameroun

Monsieurleprésident, MadameetMessieursde laCour,j'ail'honneurdeprésenter la réponse

du Nigéria aux observations faitespar le Cameroun les5 et 6 mars sur sa première exception

préliminaire.Permettez-moi derappelertrèsbrièvementtrois élémentsessentielse l'argumentaire

du Nigéria :

- premièrement,c'est délibérémeq nte leNigéria aété maintendans l'ignorancede la véritable

intention du Cameroun,à savoir porter le différenddevant la Cour; - 5-

- deuxièmement,danslecadre dusystèmedelaclausefacultative,l'introductionpar le Cameroun

d'une requête le26 mars ne satisfait pas aux conditions poséespar l'article36 du Statut de la

Cour, comptetenu deladéclarationd'acceptation de lajuridiction de laCourfaitepar leNigéria

en vertu de cet article; et

- troisièmement,l'arrêrtendu dans l'affairedu Droit de passage n'estpas un précédent quela

Cour est tenue de suivre dans tous ses aspects, étant donné lescirconstances de la présente

espèceet l'évolutiondu droit durant les quarante années qui se sontécoulées depuis que cet

arrêt a été rendu.

Permettez-moi d'examiner successivement chacunde ces éléments.

O 1 5, 1. Le comportementdu Cameroun et l'ignorancedu Nigéria

Le Nigéria amontréque durant lapériodependant laquellele Cameroun sepréparait à saisir

la Cour, plusieurs réunionsde haut niveau ont eu lieu lorsdesquelles le Camerounaurait pu et, de

fait, aurait dû informer leNigériade ce qu'ilétaiten train de faire'. Le Camerounn'apas niéque

ces réunion aient eu lieu;il n'apas non plus nié n'avoirlors de ces réunionsrien dit au Nigéria de

son intention de porter le différend concernantBakassi devant la Cour.

Le seulargumentquele Camerouna formulé à cetégardest que leprésidentBiya avait alerté

le généraAl bacha sur lesintentionsdu Cameroundans un passagede sa lettredu 19 février1994'.

J'aiprésenté desobservations sur cette lettre le 2 mars3. Permettez-moi de le faire une nouvelle

fois. Vous pouvez voir à l'écran lepassage pertinent du texte. Comme vous le voyez, le

président BiyaexhortaitlegénéraA l bacha àpersévérerdanslesefforts denégociationdéjàencours

- et pas juste de persévérerans ces efforts, mais mêmede les intensifier. Et l'undes objectifs

de cesefJortsde négociation déjàencours était de trouverune solution par lerecours à des voies

juridictionnelles - celles-ci n'étaient paspécifiées:il pouvait par exemple s'agird'unrecours à

l'arbitraged'un communaccord, ou de la conclusion d'un compromis en vue de saisir la Cour.

'CR9811, p.29-30.

2CR9813,p. 25-26(Kamto) et 44-49(Ntarnark).La lettre est elle-mêmereproducontre-mémoir, . 337.

3~~ 9811,p. 30-31et 32. - 6-

Mais,à une époqueoù le Cameroun n'étaiptas en position d'introduireune instance devantlaCour

(je rappelle que ceci se passait en février1994),pourquoi leNigériaaurait-il dû comprendrecette

référence de caractèrgénéralà des négociationssur - c'est-à-diàela conclusion d'unaccord

bilatéralsur - un éventuelrecours à des voies juridictionnelles comme une indication que le

Cameroun songeait à saisir unilatéralementla Cour? Si le président Biyaétait si désireux

d'informer son homologuenigérian, pourquoi ne pasle lui dire directeme?tNon, Monsieur le

président,c'est la dissimulation, et non la transparence, que le Cameroun avait en tête.

016 Vient ensuite laréunion del'OUAdu 11mars. Yenai parléle2 mars4. M. Ntamark l'aaussi

évoquéele 5 mars5. Selon lui, le rapport de cette réunionattestait que le secrétairegél ead

l'OUAavait déclaré que le Nigériasavait que le Cameroun avait introduit une instance devant la W

Cour. Je relèverai tout d'abord que le rapport en question, reproduit dans le mémoiredu

Cameroun6,n'estpas un compte rendu extérieurimpartialde la réunionde l'OUA,mais le rapport

à usage interne établipar le Cameroun à l'issue de cette réunion. On peut considérerque

M. Ntarnark a travesti la vérité pourtrois raisons. Premièrement, lefait» dont ce rapport

démontrerait quele Nigéria avaitconnaissance neouvai pas avoir étéconnu du Nigéria (oude

quiconque),puisque le 1 mars- date de la réunion del'OU- le Cameroun n'avaitpasencore

engagé laprocédure. Deuxièmement(et làje montre ce qu'adit M. Ntarnarà l'écran- cote 41

du dossier remis auxjuges), la déclaration deM. Ntamark montre,si elle montre quelquechose,

non que le Nigéria avait connaissancede la procédureengagée parle Cameroun, mais qu'il n'en
W
avait pas connaissance ! «Le Nigérian'a pas sembléapprécier ..etc.)) Mais le point le plus

sérieux,et de loin, est le troisième,qui révèlela tentative incroyable du Camerounpour tromper

à la fois le Nigéria et la Cour. Les déclarationsde M. Ntamark sont toujours à l'écran.

Permettez-moi maintenant de vous montrer, en-dessous,ce que dit réellementle document qu'il

prétendciter - le passage pertinent a éretapé, l'origin'étantpas très lisible. Ce document -7-

indique clairement, non que le Nigéria n'avaitpas connaissancede quelque chose, mais que c'est

le secrétairegénéra dle l'OUAqui n'étaitpas au courant(c'est précisémencte qu'adit leNigériale

2 mars, lorsqu'ila démontrél'erreurdansl'affirmationduCamerounselon laquelle«touslesofficiels

africains))étaientau courant de l'introduction d'uinstancepar le Cameroun)'. Cette déformation

grossière d'un document présenté à la Cour est regrettable : mais en dehors de cela, je me

contenteraide relever qu'elle montreque le Camerounn'estmêmepas capable delire correctement

ses propres rapports.

M. Ntamark nous a aussi cité touteune séried'articles ou reportagesdes médias8.Comme

je l'ai dit le2 mars9, la diplomatie par voie de presse est un moyen peu sûr, inhabituel et
al7
inappropriéde conduire les relations internationales. M.Ntamark a mêmerépété devanlta Cour

que celle-cidevrait considérer commeune preuve sérieuseque le Camerounavait «officiellement

annoncé))ses intentions,un reportaged'unestation deradio d'un Etattiers, le Gabon. S'il y avait

eu une telle ((annonce officielle)),où est-elle Pourquoi le texte ne figure-t-il pas dans les

documentssoumis à la Cour? Monsieur le président,deuxchoses sont frappantesau sujet de ces

informationsémanant desmédias(mis àpart, bien entendu, le fait qu'ellesne sont pas fiables et

qu'ellesn'ontaucun caractèreofficiel?) :Premièrement,leCamerounn'apasété enmesuredeciter

un seul communiquéoflciel du Camerounsur cette question (tous ses articles de presse reposent

donc surquoi - des spéculations? Ou doit-onajouterauxnotions de ((procèspar arrière-pensée))

et de ((procèspar accumulation»celle, nouvelle, de ((procèsar fuite inspirée?).Le second point

est le suivant:pourquoi faire fond sur tous ces articles de pres?eSi le Cameroun se réjouissait

de ce que lesmédiassoientau courant dece qui passe et rendent les faits publics, pourquoi nepas

procéder à une annonce officielle, ou informer directementle Nigéria ?

'CR 9811,p. 33.

'CR 9813,p. 49-50.

'CR 9811,p. 33. -8-

Parce que, Monsieur le président,le Cameroun voulait que le Nigériapense que tous les

efforts devaient continuer d'êtreaxés sur lavoie de la négociation,la voie bilatérale.C'est cequi

ressort à l'évidencedu message du ministre des affaires étrangèresdu Cameroun remis au

généraA l bacha le 13janvier, proposant qu'une commissionmixte chargéed'examiner l'ensemble

de la question frontalière1'soit créée,et du passage mentionné précédemmen dte la lettre du

présidentBiya du 19 février- tout juste deux semaines avant que le Cameroun dépose sa

déclarationen vertu de la clause facultative - soulignant la nécessitéde persévérer dans les

négociationsen cours.

Le Camerouna essayéde montrerqu'enréalité toulte débat sur lemaintien duNigériadans

l'ignorance de ses intentions manque de pertinence, parce que le Cameroun n'étaitpas tenu

d'informer leNigéria de ce qu'il étae itn train de faire1'. Permettez-moi donc d'expliquer pourquoi

ce point est au contraire pertinent.

i) Premièrement,le fait que le Camerounn'apas informéle Nigériaet qu'ill'aau contraire

délibérémenitnduit en erreur touche directement l'obligation duCameroun d'agir debonne foi

- tant d'unemanièregénérale que, spécialemene t, ce qui concerne la compétence dela Cour en

vertu de la clause facultati~e'~et, étantdonné queles déclarationsfaites en vertu de cette clause

sont considérées comme des traités,en ce qui concerne l'exécutionde ces déclarations,en raison

de l'obligationclaire qu'imposemaintenantl'article26 de la convention de Vienne surle droit des

traités1- une conventiondontje noteque le Camerounévitede discuter l'importanceen l'espèce.

ii) Deuxièmement,le fait que leNigéria n'était pas au couranett, le fait en particulier que le

Camerouna induit leNigéria enerreur quant à sa position réelle,sont aussi directementpertinents

pour l'établissement de la réciprocité qui fait partieintégrante de ladéclarationfaitepar le Nigéria

envertu de la clausefacultative. Sansconnaissanceil ne peuty avoir réciprocitén ,i rencontre des

''CR 9811p.30.

"CR 9813,p.36.

"CR 9811,p.31.

13C~9811,p.41. -9-

volontés,ni relation consensuelle;et s'iln'ya pas cela, la condition de réciprfigurant dans la

déclaration du Nigériane peut être satisfaite.

II. La clause facultative

Permettez-moid'abordermaintenantle deuxièmeélémene tssentiel de laposition du Nigéria

sur la premièreexception préliminaire,qui concerne le fonctionnement du systèmede la clause

facultative.

M. Simmaa commencésa plaidoirieen demandantque l'onévite de déstabiliser système

«fragile» de la clause facultative14. Un système qui dure depuis trois quarts de siècle et qui

depuis 1990atreize nouveauxadhérentspeut difficilement,Monsieur le président,êtrequalifiéde

«fragile» ! Et si quelquechose devait déstabilisercesystème,ce serait plutôt le fait d'encourager

son utilisation peu scrupuleuse et l'absence detransparence dans son fonctionnement.

M. Simmaa aussi soulevéla questionde savoir ce qu'étaitun «délairaisonnable)),s'agissant

de ne permettre àun Etat d'invoquer sa déclarationqu'àl'issued'undélai raisonnableafin que les

autresEtats puissent enavoirconnaissance. La Cour, Monsieurle président, a montré la voiedans

l'affaire duNicarag~a'~. Dans ce contexte, s'agissant dedéterminer cequi constituait un délai

O 1 9 raisonnable pourmettre fin àune déclaration, laCour a déclaré qu'elln'avait pasà déciderquel

était ce délai, ais seulement si la daàelaquelle le préavisavait étédonnéen l'espèce étaittrop

tôt16.C'estcette approcheque, pourleNigéria, laCour devraitadopter dans laprésenteaffairepour

conclure qu'étandt onnéles circonstancesde l'espèce,le délaitout juste supérieàtrois semaines

qui s'estécoulé entre ldépôtde la déclarationet l'introductionde la requêtene constituait pas un

délairaisonnable. Mais, dans un sens, Monsieurle président,cette question est artificie:lsi le

Cameroundevait faire en sorte que le Nigériasoit au courant, il lui suffisait de le dire au Nigéria.

15A~tivits ilitaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaraguac. Etats-Unis d'Amérique),
C.I.J.Recueil1984.

I6P.420, par.63. - 10-

M. Simma a aussi critiquéle qualificatif «raisonnable» au motif que sa signification est

fonctiondes circonstances. C'estexact,Monsieurleprésident, parcequeles circonstancesvarient :

telle est l'essence des adjectifs souples comme «raisonnable»et «équitable»- ils permettent de

tenir comptede circonstancesdifférentesdanslecadrede lamême règleafin de produireunrésultat

finaljuste et acceptable. Et. Simmanousa dit qu'ilserait«absurde»de penser queleCameroun

aurait dû évaluer dans quelle mesurela crise financièrede l'ONUpouvait avoir causédes retards

dans la communicationdes déclarations aux autresEtats". Mais pourquoi le Cameroun - et les

autres Etats- ne devraient-ils pas effectuercertaines investigations,Monsieur leprésiden? Par

exemple, quant au délai dans lequel le Secrétaire général communiquaitgénéralementles

1
déclarationsà l'époque ? De fait, aucuneinvestigationn'étaitnécessaire:le Camerounrecevait de

telles communicationscomme tous les autres Etats Membres. Et il devait doncsavoir que durant

les quatre annéesprécédanlte dépôtde sa déclaration,en mars 1994,ledélaimoyenpour de telles

communicationsvariait entre deux mois et deux mois et demiaprèsledépôtde ladéclaration.Le

tableau figurant sous la cote 42 dans le dossier remis auxjuges contientdes chiffres détaillés sur

ce point (ce tableau est le résultatd'investigationsfaites la semaine dernièrepar leNigéria auprès

du Secrétariat);il contient aussi des chiffres relatifs aux annéespostérieuresla déclarationdu

Cameroun :d'unemanièregénérale,les délais sontdemeurés lesmêmes.

Permettez-moi maintenant de me pencher sur l'article 102de la Charte. Les Parties sont

d'accordsur un point - les déclarations faitesen vertu de la clausefacultative sont, aux fins de w

l'article 102,considéréescomme des traités;elles sont donc enregistréepar le Secrétairegénéral.

A ce stade, elles produisent un effetjuridiqu: elles sont, pour ainsidire, «en vigueur)). Maià,

partir de là, les Partiesne sont plus d'accLedCameroun dit quecelasignifieque 1'Etatdéclarant

a le droit d'invoquer sa déclaration dèsque celle-ci est enregistrée". Or, tel n'est pas le cas.

L'enregistrementen vertu de l'article 102ne confèrepasle droit d'invoquerun traité;il ne fait que

faire disparaître l'interdiction particulière d'invoquer un traité non enregistré qu'énoncele - 11 -

paragraphe 2del'article 102.Levercetteinterdictionn'affecteenrien lesautresraisonssusceptibles

d'empêcherd'invoque urn traité ouune déclaration.Pour donnerun exemplesimple,supposons

qu'unEtat A a déposé une déclarationdans laquelle il est dit qu'elle nes'appàiun autre Etat

qu'à l'expirationd'undélaide douzemois àcompterdu dépôtpar cet autre Etat de sa déclaration;

et disonsmaintenantque 1'EtatB déposesa déclarationauprèsduSecrétairegénéral. Dans de telles

conditions,ilest clairque bienqueladéclarationde l'EtatB puisseêtreenregistréeimmédiatement,

et êtrejuridiquement envigueur,ellene confêrepasinstantanément à 1'EtatB ledroitde l'invoquer

contre 1'EtatA. L'EtatB doit attendreun an avantd'avoirledroitd'invoquersa déclarationcontre

1'EtatA. Et pourquoi en est-il ainsi, Monsieur le présid?nParce que la déclaration de1'EtatA

impose cette condition. Et il en va de mêmede la déclarationdu Nigéria. La déclarationdu

Nigériaimposeuneconditionde réciprocitéd ,ontl'effet,en pratique,est équivalentaudélaiimposé

par 1'EtatA :la déclarationdu Nigéria ditque 1'EtatB ne peut invoquer sa déclaration contrele

Nigéria tantque la condition d'unevéritableréciprocité mutuelliemposéepar leNigérian'estpas

satisfaite. Parce que le Camerounne comprendpas la différenceentre le fait pour une déclaration

de prendrejuridiquement effet et le droit d'invoquercette déclaration,son argumentsur la base de

l'article 102de laCharte est totalement inopérant.

Au cŒur del'argumentduNigéria surlefonctionnementadéquatde la clausefacultative,on

trouve la condition de réciprociqui figure dans sa déclaration.

Le Nigéria a arguéque la réciprocitexige une«concordanced'interprétation)).M. Simma

l'arec~nnu'~m, aisilvoit cetteconcordanced'interprétatidansl'interactiondes deuxdéclarations.

Mais ce faisant, Monsieur le président, ilignore l'élémendte réciprocitéqui fait partie de la

déclarationdu Nigéria - qui est un élément essentiele l'«interprétatiodu Nigéria,et ce n'est

O 2 1 que si cet élémenetst satisfait que la concordanced'interprétarequise existe, et que les deux - 12-

déclarationspeuvent être considérée comme constituant elles-mêmescette concordance.II n'est

pas étonnant, Monsieurle président, queleCameroun n'aitpas voulu discuterdavantage les divers

arguments«consensuels» avancéspar le NigériaZ0.

Peu importe, déclarele Cameroun, puisqu'ily avait une ((égalité parfaite))entre les Parties,

car toutes deux avaient acceptéla clause facultative2'. Non seulement cet argument méconnaît

totalementles termes dans lesquels le Nigériaavait assujettison acceptationà une condition, mais

il méconnaîtégalementle monde réel. Envisageonsla situationle 26 mars 1994,laveille dujour

où le Cameroun a introduit sarequête.Les deux Etats savaient que le Nigéria avait déposé une

déclarationacceptant la clause facultative. Le Cameroun avait aussi fait une déclaration, etbien

entendu le savait :le Nigéria nele savait pas. Le Nigéria,par l'effet de sa propredéclaration, w

risquaitde voir une instanceintroduitecontre lui; le Cameroun, dansla réalitconcrète,ne courait

pas un tel risque. Le Cameroun savait qu'ilétait enprincipe en mesure d'engagerune instance

contre leNigéria aumomentde son choix; leNigérian'avaitpas une connaissanceéquivalente des

possibilitésqui lui étaient ouvertes contre le Cameroun. Cesdeux dernières différences dansla

position des Parties n'étaient,bien entendu, pas importantes uniquement en ce qui concerne

i'introductiond'une instance devant la Cour, mais elles affectaient aussi la position relative des

Parties dans leurs relations et négociations bilatérales ordinairàsl'évidence audésavantagedu

Nigéria. En aucune manière,Monsieur le président,on ne peut dire qu'il y avait une ((parfaite

égalité)).

Le Cameroun argue qu'ila satisfait à la condition de réciprocitéénoncaé u paragraphe 2 de

l'article6du Statut. Si le Camerounentendsimplementpar là qu'ila fait une déclarationenvertu

de cet article, et que le Nigérial'a aussi fait, cela ne nous avance en rien : il est clair que

l'acceptationde la «mêmeobligation»en application du paragraphe2 de i'article36 (non, comme

on l'anotéle 2 marsz2,la((réciprocité)e)xige que cette dispositionsoit lue enmime temps queles -13 -

déclarationsdes Etats. On ne peut dire du Camerounqu'ila acceptéla ((même obligation))s'il ne

prend paségalementen considérationla condition deréciprocité énoncé par le Nigériadans sa

déclaration : c'est-à-dire que le Cameroun ne peut satisfaire aux conditions énoncées au

paragraphe 2de l'article36 ques'il peut montrer quelaconditionderéciprocité - l'exigenced'une

((concordanced'interprétation)),ue M. Simma a acceptée- a aussi été satisfaite.

Monsieur le président,j'ai commencé la dernière partie de la dernièrephrase par les mots

((c'est-à-dire)).Ceci montre clairement que l'argumentsuivant deM. Simma est erroné : il argue

que ladéclarationduNigéria,en introduisantla référenceà laréciprocitépar lesmots ((c'est-à-dire)),

n'arien ajoutéz3.Mais,comme je l'ai montré, n utilise en générl'expression((c'est-à-dire)our

introduireunenuance, un commentaire,un ornement,uneemphaseou des éclaircissementsajoutés

à ce qui précède.Les mots additionnelssont loin den'êtrequ'unerépétition :de fait, en lesfaisant

précéder de l'expression((c'est-à-dire))l,e locuteur indiquequ'ilsqualifientles mots qui précèdent.

Considéré à lalumièreduprincipejuridique bien établiselonlequelsidesmots sontutilisésilssont

censés avoirune signification et un effet, il est clair que le membre de phrase supplémentaire

introduisantun élément exprèd se réciprociténe peut êtreindûmentécarté commeétantredondant

et de nul effet. Ces mots étaient destinés avoir un effet s'ajoutaàtla répétitiondes termes du

paragraphe 2 de i'article36 du Statut; et cet effet consisteà mettre l'accentsur l'exigencede

réciprocité, edonnant àce terme son sensordinaire. Dans ce contexte, Monsieurle président,je

répète que leNigériadonne au mot «réciprocité» son sensnormal, celui du dictionnaire,et non un

sens particulier, comme l'allèguele Cameroun. Je note avec intérêq tue le Cameroun n'a pas

exprimé dedésaccord avec cequ'adit le Nigériaquant au sens correct, ordinaireet donné parles

dictionnairesdu mot :le Cameroun n'amêmepas abordé cettequestion. - 14-

Le Cameroun ajoute toutefois que dans la jurisprudence de la Cour le sens d'«invocation

réciproque))est régulièrementdonnéau mot «ré~iprocité»*~B.ien que le M. Simma ait dit que la

liste quej'ai donnéedesdivers sens dans lesquels la notion de réciprocest utilisée l'article36

étaituniquement sourcede confusion, cette liste illustre néanmoinsle faitque lajurisprudence de

la Cour à laquelle M. Rosenne (citépar le Cameroun) se réfèrene concerne qu'un aspectde la

notion - le quatrièmequej'aivisé, àsavoir la mesure danslaquelleunepartie peut faire fond sur

les termes de la déclarationde l'autrepartie. L'opinion delaCour sur le sensde «réciprocité»

ce contexte ne doit pas êtreconsidérée comme régissant tous lesautres contextes, divers, dans

lesquels cette notion peut êtreemployée.

Le dernier argument du Cameroun relatif à la réciprocitéque je dois examiner, c'est I

qu'accepter le sens que le Nigériadonne à la réciprocité reviendraita conférerau Nigériala

possibilitéderéexaminersa positioncomptetenudes nouvellesdéclarationsprésentéepsar d'autres

Etats. Cela, dit le Cameroun, démoliraitune «pierre angulaire))de l'ensembledu système26i;l est,

dit-on, «essentiel» que les Etats ne puissent pas réexaminer leurspositions. Voilà un argument

surprenant. Je n'ai besoinde formulerque deux observations. Premièrementu,ne douzained'Etats

ont inclus dans leurs déclarationsdes réserves,qui accordenà chacun, respectivement, un délai

déterminé, pendantlequel il peut réexaminer saposition en présencede nouvelles déclarations

d'autres Etats:le Cameroun soutient-ilque tous ces Etats - Chypre, Espagne, Hongrie, Inde,

Maurice,Royaume-Uni,et ainsi de suite -bouleversent tous lastructurefondamentaledu système
v
de la clausefacultativ? Leurs déclarationsdoivent-ellesêtrejugées inappropriées,voirenulles?

La seconde observation est la suivante. Le Cameroun défendles avantages d'un systèmequi

permetteet mêmeencourage l'introductiond'uneinstance «par surprise))devant la Courcontre des

Etats qui ne se doutent de rien; le Nigéria soutientun systèmequi permette d'aborderla clause

facultative de façon vraiment consensuelle. LeNigériaconclut qu'iln'ya pas de doute que cette

seconde solution ne soit la mieuxà mêmede représenterla ((pierreangulaire))du système. - 15-

Pour finir sur cet aspect de mon exposé,permettez-moi d'examinerl'argumentselon lequel,

malgré sesexceptions préliminaires,le Nigéria a déjà de quelque manière acceptéla compétence

de la Cour. LeNigéria a traitéde cet argument le2 mars2',quand ila fait observer que la mention

d'une procédure eninstance devant la Cour inclut nécessairementles aspects secondaires de

l'instance,y compris des questions telles que les exceptions préliminaires. Je relève que le

Camerounn'afait aucune mention de la façon dontcette question a été ainsi traitéel;e Cameroun

n'a fait qu'ajouterencore une nouvelle référencez8 c,ette fois la lettre du général Abacha du

27 mai 199629au Secrétairegénéralde l'organisation des NationsUnies3'. Elle figure à la

lettreD dansledossierdesjuges présenté par leCameroun. Malgrésoncaractèretardif,leNigéria

est trèsheureuxde formulerdes observations à son sujet. Le général Abacha déclaraitque «la CIJ

estdéjàsaisie de l'objetdu différend))etil s'est référé ju,steà la ligne suivante,à la nécessité

d'éviterun comportement «qui porte atteintà la procédure pendantedevant la Cour)). Une fois

encore, comme à propos des documents antérieurs decette nature, mentionner le fait que la Cour

est saisie d'unequestion, c'estse référàrcelle-citelle qu'elleest, avec tous ses attributs incidents

de procédure - surtout pour un document qui est bien postérieurau dépôt, parle Nigéria,de ses

exceptionspréliminairesetd'unelettre qui se réfèreelle-même aux((procédurespendantesdevant

la Cour)):quelles sont-elles, sinon les procéduresqui incluent et suivent le dépôt des exceptions

préliminaires? La lettre du généraAl bacha, loin de constituer une acceptation de la compétence

de la Cour, affirme qu'ildoit êtrestatué surles exceptions préliminaires.

27CR9811,p. 38-40.

28CR9813,p. 52.

29~eCamerouna indiqué qulea lettreportaitla datedu29 mai;la datevest le27 mai.

30~épos OUS la lettreD dudossier desjugesprkparle Camerounle 5 mars. - 16-

III. L'affairedu Droit depassage

Quand il évoquel'affaire duDroit depassage, le Cameroun relèveque l'article36 n'impose

aucuneautre exigenceque le dépôtd'une déclarationauprèsdu Secrétairegénéral3'. Cependannt,i

l'affaireduemplede Préah Vihéar,ni celle du Nicaragua, invoquéespar le Cameroun3'comme

preuves de la compétencedela Cour à l'appuide cet aspectde l'affairedu Droit depassage, n'ont

une pertinencedirecte dans la présenteinstancedans aucunede ces affaires la Cour n'aexaminé

des argumentsrelatifs au rôle de quasi dépositaireduSecrétairegénérlrévupar le paragraphe 4

de l'article36. En outre les dispositionsdes traitésne doiventpas êtreexaminées isolement,mais

dans le contexte dont elles font partie, et cela inclut en particulier lesautresdispositionsdu même
w
article. Quelle est donc la portée duparagraphede l'article36 du Statu?3Que dire encore de

0 2 5 l'alinéac)de l'article78 de la convention de Vienne sur le droit des traités,ui impose des

obligationsauxdépositairesetstipulequelescommunicationsdesdépositairesneprennentpaseffet

avant d'avoir été reçues palres destinatairesla doit s'appliqueàla déclaration du Cameroun,

car le Camerounadmet que l'ondoit considérersa déclarationcomme un traité, que la convention

était entréen vigueur avant le dépôt, par lui,de sa déclarationet que le Camerounest pàrlae

convention. Le Cameroun a décidé dene tenir compte d'aucunede ces deux questions.

Le Camerounrelève encore quela Cour a déclaré que les autres Etats devaient êprêtsà

l'application d'udéclarationlejour même35C .ependant, selonleNigéria,lapossibilitéd'invoquer

une déclaration«lejour même»,érigée en proposition générale,e peut qu'êtrerronée. Comme 'iii

dans l'exemple queje viens de donner, si la déclaration d'unEtat indique qu'une nouvelle

déclarationne peut pas êtreinvoquéecontre lui pendant douze mois, alors un nouvel Etat quifait

une nouvelle déclarationn'estpas habilitàl'invoquerlejour mêmeoù elle a été déposée auprès

3'C~ 9813,.38.

32CR 9813,.39.

33Voirl'avisduNigériadansCR 98,. 44.

"Voiri'avisduNigeria dansCR 98,. 44.

35C~ 9813,.40-41. - 17-

du Secrétaire général,naiucunjour tant que le délai dedouze moisne s'estpas écoulé.En d'autres

termes, la possibilité d'invoquerune déclarationlejour même dépenddes termes des déclarations

qui ont été faitesemoment auquelleCameroun pouvait invoquersadéclarationcontreleNigéria

est liéd'une manière inextricable et inévitable aux termes dela déclarationdu Nigéria et,en

particulier, sa condition de réciprocité.

On a fait observerussi36que leNigéria n'ani retiré,ni modifiésa déclaration. Or, pourquoi

le Nigéria devrait-ille faireIl a fait sa déclarationenviron huit ans aprèsl'affairedu Droit de

passage et, en y incluant uneconditionexpressede réciprocitéi,l a pris une mesure suffisantepour

se protéger de façon adéquatecontre les effets de cette décision. De fait,le Nigéria s'est montré

moinsradical que certains autres Etats; ceux-ci ont eu tendanàeimposer un délaidéterminé en

mois, mais le Nigérias'estcontenté de se fonder surune exigence de réciprocité, iouvait être

satisfaite dans un délaibeaucoup plus bref,dèslorsque la mutualitéet la concordancenécessaires

des intentionspouvaient exister.

Le Cameroun a aussi évoquébrièvement l'efflorescence du principe de bonne foi

depuis 195737.Il a soutenu que le droit, dans ce domaine, n'avaiten réalrien de nouveau, car

la bonnefoi fait partie du systèmede droit internationaldepuistoujours. Le Nigéria nedit pas que

la bonnefoi soit un concept nouveaudepuis 1957 :mais seulementqu'ils'est dégagéet développé

depuis lors en, commeon l'adit?'un «élémenn totable de l'arsenaljudiciaire)). Defait,jusques et

y compris l'affairedu Droit depassage, la Cour elle-mêmene s'étaitpas référé e la bonne foi.

Dans ce contexte les fait- c'est-à-direles exposéset l'arrêt cette affair- établissentque

1'Inden'afait qu'évoquer lbonne foi sans insister,tandis que la Cour ne l'a pasfait du tout, et ils

justifient pleinement la remarque3'que la manièredont cet aspect de la question a été considéré

dans cette affaire ne peut être qualifiéequeommaire selon lescritèresd'aujourd'hui.Qui plus

"CR 9813 ,.41.

37CR9813 ,.42.

38CR9811 ,.41.

3qoirCR 98/1 ,.41. - 18 -

est, sinous cherchonsdes différencesfactuellesdanscedomaine,j'attirerail'attentionsurle faitque

l'Inden'apas soutenuqu'encetteaffairedesdéclarationserronéesuPortugall'ont induiteen erreur

comme le Nigéria I'aétéen 1994.

En réalité, l'affeurDroi tepassage correspondaità unepremièreimpressionet, pendant

les quarante et une annéesqui se sont écoulédepuis 1957jusqu'à maintenant,elle est restéela

seule affaire ou les questions que l'onsoulève iciont étéexaminées.

Enfin, je dois répondreà ce qu'a dit M. Simma, qu'en droit interne nul ne s'étonnerait

d'aucunemanièrede voir une partie introduire une instance sans informer d'abord l'autrepartie4'.

Les parallélismesavec le droit interne sont très danger:udans nombre de domaines, celui-ci
W
differesensiblementdu droit international. Il n'ya peut-être aspect dudroit ou celasoit plus

vrai que dans celui de la compétencejudiciaire. En droit interne, la juridiction est vraiment

obligatoire; si l'unedes partiess'estimemal traitéeparl'autre,ellen'anéanmoins aucunepossibilité

d'éviterque lestribunaux exercent leurcompétencegénéraleE. n revanche, en droit international,

malgréla mention de la juridiction «obligatoire» de la Cour, qui figure au paragraphe2 de

l'article36, c'estun lieu communjuridique de dire que la juridiction est volontaire par nature et

dépendtoujours du consentementdes Etats. La Cour a toujours gardéprésent à l'espritce point

d'importance fondamentale. Voilà pourquoielle a pris soin de ne pas donner,des déclarationsqui

exprimaient l'acceptationde sacompétencepar un Etat, une interprétationdépassant l'intedeion

cet Etat4'. C'est précisément parce quela juridiction internationale est une question de W

consentement, librement exprimée,que l'onne doit ni permettre, ni recommander d'imposercette

juridictioà un Etat de façon furtive contrairementà la portée qu'ila déclarédonner à son

consentement. Quant à lui, le Nigéria a soumisexpressément son consentementà la condition

nécessaire delaréciprocité,e laréciprocitéréellesanselle, le consentement du Nigér,el qu'il

est exprimédans sa déclaration, fait défaut.

*CR 9813,p. 36.

4LCR9811,p. 35; EPN,par.1.20-1.21. - 19-

Monsieur le président, Madameet Messieurs de la Cour, mon exposé conclutla réponsedu

Nigériasur la première exception préliminaire.Je vous remercie de votre patiente attention.

vous demande maintenant debien vouloir donner la paroleà M. Richard Akinjide.

Le PRESIDENT :Merci, sir Arthur. Je donne la parolà M. Akinjide.

M. AKINJIDE :

L'obligationdes Parties de réglertoutes les questions de frontière
au moyen des mécanismes bilatéraux existants

Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, j'ai l'honneurde répliquerà la

réponsedu Camerounrelative àla deuxièmeexceptionpréliminaireduNigéria.Ma plaidoiriesera

brève. La Cour a devantellel'histoiredesnégociationsbilatéraleset elentenduce que chacune

des Parties avait dire sur cette histoire. Les mécanismesbilatéraux,avec tous leurs éléments

constitutifs, existenttoujours et l'onpeut s'enservirt moment en ce qui concerne le Nigéria.

M. Shaw a dit qu'on ne peutpas faire de briques rien qu'avecde la paille. Je voudrais

rappelerà la Cour que la majoritéde notre population vit dans des maisons qui ne sont pas

construites en briques, mais en paille. Elles n'en sont pas moins pour autant des demeures

convenables et, parmi les nombreux avantagesde l'emploide la paille, on peut dire que c'estun

matériaunon seulement facile àrenouveler, mais aussi durable et souple.

M. Shaw cherche à minimiser la valeur des mécanismesbilatéraux en les qualifiant

d'intermittentset de diffus. Surlabase de cetteanalyse, il déclaredouterque l'onpuisse direqu'un

engagementobligatoirese soit formé entreles Parties comme l'affirmele Nigéria. Il s'estservide

l'analogiede ses rapports avec son marchand dejournaux local.Il a démontréqu'ilest libre de

déciderou il achète sesjournaux.Nous n'essayonspas de dénieà M Shaw la libertéde choixque

le Cameroun tente de dénierau Nigéri an saisissant la Cour.

Cependant, ce n'est pas d'urelationcommercialeque nousparlons ici. Nous parlonsd'une

relationentredesvoisins. Celle-cidiffere,parsoncaractèreet sanature,d'unerelationcommerciale

contractuelle. Les voisins sont tenus d'obligationsles uns envers les autres. Ils ne peuventpas se

contenter de se tourner le dos l'unl'autre,en quelque lieu qu'ilschoisissent d'acheterle Dai& - 20 -

Telegraph. Au niveau des Etats, les gouvernementsont une responsabilitéenvers leurs peuples.

L'unedes manièresdontcetteresponsabilitésemanifesteestlemaintiende frontièresadéquatement

définies.

La frontière terrestredu Nigériaavec le Cameroun représentà peu prèsla même distance

que celle deLand'sEnd àJohn OtGroatsau Royaume-Uni, ou celle de Calais àNice en France.

Imaginez que vous vous efforciez de marquer une frontièrede la longueur de cellede ces deux

pays. Le feriez-vous en demandant àla Chambredes lords ou à la courde cassationde se charger

de cette tâche, ou feriez-vous conférerune commission nationale des frontièresle pouvoir de

s'informer et de s'enquérirauprèsde la population local? La réponseest évidente, commeelle

devrait êtreévidentepour le Cameroun en l'espèce.

Il n'estpas moins évident,selon le Nigéria,que des organismestels que l'organisation de

l'unitafricaine et l'organisation desNationsUnies ne disposeraientpas, elles non plus,detous les

moyensnécessairespourmener àbien latâcheque leCameroundemande à laCour d'entreprendre.

Voilàpourquoi le Nigériane s'estjamais adresséà des tierces partiàspropos de la frontière. Le

Nigérian'apas besoin dedire que les tiercesparties sont excluesdu processus, lesenscommunles

exclut.

Le pointqui sembleéchapperau Cameroun, c'estque, s'ils'agit dela frontièreterrestre, nous

parlons d'unetâche de démarcationet nonpas d'unetâche de délimitation. Sile Nigériatient un

langagequi parle d'uneobligation des Parties de recouràdes mécanismesbilatéraux, c'estd, ans

une certaine mesure, parce que le Nigériacroit sincèrement quetel est le seul moyen pratique de

progresser en ce qui concerne lafrontièreterrestre. Nous ne devrionspas oublier qu'aucours des

vingt-cinqansdu mandatde la SociétédesNations et des quinzeansde la tutelle de l'ONU,aucune

tâche de démarcation détaillée intéressaatfrontière actuellen'ajamais étaccomplie. Il en est

ainsibien que les rapportsannuels,tant de laSociédesNations que del'organisation desNations

Unies, mentionnent à maintes reprises la nécessité d'accomplrne telle tâche.

Pourtant,M. Shawa déclaré :((Aucunmécanisme bilatéran l'aété crépour traiterlatotalité

des problèmesconcernant la frontière terrestreet maritime))(CR9813,p. 53, par. 3). Voilà une

déclaration étrange.A la suite de sa réunionde Yaoundéen août 1970, la commission mixtechargée de délimiterla frontière arecommandéaux gouvernements respectifs de procéder à la

délimitation des frontières entreles deux pays en trois phases, dont la premièreportait sur la

frontière maritime etles deux suivantes sur la totalité dela frontièreterrestre'.

Cette recommandationa été acceptée clairementpalres deuxParties, car les deuxdiscours

liminaires,lorsde laréunion suivantetenue àLagosenoctobre 1970,confirmentqu'ellesdonnaient

suiteà la réunionde Yaoundé.

Bien entendu,onne peutpasattendrequechacunedes réunionsultérieuresdela commission

mixte chargée dela délimitationde la frontière, sans parler desréunionsultérieures des experts,

examine la totalitéde la frontièreà chaque séance.Ce que l'onpeut attendre, c'estce qui s'est

produit enréalitéc,'est-à-direque différentssecteursdela frontièredevaientêtre examinés L.e fait

que la frontière maritime en soit venue à dominer les premières années des travaux de la

commissiontient,dansunetrèslargemesure, à l'insistancedu Cameroun. Les insuffisancesde cette

façon d'aborder leproblème ressortentclairementde l'argumentationde M. Crawfordrelative à la

septième exception préliminaire.

Toutefois, pour en revenir aux cases de paille,M. Shaw n'apas traitédu tout de la perte

qu'entraîne, pourles Parties, la souplesse essentielle au cadre bilatéral.,Or cette souplesse n'en

résidepas moins au cŒurdu processusbilatéral. Commel'a dit sirGerald Fitzmaurice

«Les gouvernements aiment mieux régler les différends par des moyens
politiques qu'enles soumettantà une instancejudiciaire et ils débattentpar crainte de
l'obligation qu'ilfaut encourir pour plai:eils n'aimentpasperdre ainsi lapossibilité
de contrôler l'avenir del'affairedont ils ne sont plus en mesure d'influencerl'issue
politiquement, dèslors qu'ellea étéportéedevant un trib~nal.))~

Ainsi qu'onnous l'adit, l'article33 de la Charte des Nations Unies énumère,commeprocédés de

règlement desdifférends, la négociation, l'enquête,m édiation,la conciliation, le recours aux

organismes ou accords régionauxet d'autres moyens pacifiques du choix des parties. En

l'occurrenceles Partiesont choisi laméthodedela commissionmixtechargéede ladélimitationde

la frontière. Il s'enfaut de beaucoupque les autres moyens indiquéssoient épuisés.L'article33

'Sir Gerald Fitzmaurice,TheFutureofPublic InternationalLaw,Institutde droi:Livre du centenaire1873

à 1973,p. 279. -22 -

inclut aussi l'arbitrageet le règlementjudiciaire.Nigériapersisteà affirmer qu'auxfins de la

tâche nécessaire, relativea frontièreavecle Cameroun,lerèglementjudiciaire estlemécanisme

le moins approprié.

M. Shawpeutestimer que leNigéria s'accroche à despailles, maisces pailles, placéesen de

bonnesmains, peuventêtretisséee snsemblepour formerdesouvragesdurableset,j'oseledire,tout

à fait impressionnants.

Quand le Cameroun s'estécarté des mécanismebsilatéraux, sans avoiraverti leNigéria,il a

enfreint le principe de la bonne foi. Il a aussi commis un acte qui a portéet portera une atteinte

grave aux perspectives de la démarcationd'unefrontière terrestremutuellementsatisfaisante. Le

Nigéria demande àla Cour de faire droià la deuxième exceptionpréliminaire.

Monsieur le président,je vous prie de bien vouloirdonner la paroleM. Ian Brownlie.

Le PRESIDENT :Je vous remercie,Monsieur Akijinde. Je donnela paroleà M. Brownlie.

M. BROWNLIE :Merci, Monsieurle président.

La compétenceexclusive de la commission du bassin du lac Tchad

Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, je vais, dans ce second tour des

plaidoiries, traiter les troisième etquatrièmeexceptions préliminairesdu Nigéria. A ces fins,je

considéreraila quatrième exception préliminaire comme accessoirede la troisième.
I
Les questions de frontière dans le lac Tchad touchent d'embléeles droits juridiques

fondamentauxet les intérêtsnationaudxuNigériadans cetterégion. Comme ledistinguéagent du

Nigérial'asoulignélorsdu premiertour, lestatuquo pacifiquedans cette zoneintéressel'existence

d'unepopulation bien établie de Nigérians, entre autre, ivant dans des villages situésdans le

bassin du lac ou dans les îles des zones inondées.

031 Mon distinguéadversaire,M. Cot, a suggéré quelescaractéristiquesdu lac Tchadsoulèvent

certains problèmes, tant en ce qui concerne les espaces lacustres que les espaces maritimes

(CR 9814, p. 16,par. 12). Aux fins actuelleset au stade actuel,ces suppositionsne sont cependant

pas pertinentes. -23 -

Les principaux éléments sontles suivants :

Premièrement :la commision du bassin du lac Tchad a reconnu dans la pratique que la

question de la démarcationdes frontières faiten pratique partie d'uncadre commundans lequel la

sécuritégénéra debassin doitètremaintenueetconjointementgarantiepartous lesEtatsmembres.

Deuxièmement :la procédurede démarcation surle lac Tchadmet en cause quatre Etats et

figure encore à l'ordredu jour de la commission du bassin du lac Tchad.

Troisièmement :en l'occurrence,ladéterminationdestripointssurle lacTchadet leprocessus

de délimitationconnexe mettent en jeu les intérêts juridiques non seulement du Nigériaet du

Cameroun mais égalementduNiger et du Tchad, deux Etats qui n'auront pas consenti àl'exercice

de la compétencede la Cour si cette dernièredécide qu'elleest compétentedanslaprocédureque

le Cameroun entend porter devant la Cour.

Quatrièmement :dans les circonstancesdans lesquellesle processus de démarcationdans la

région du lacTchad aura lieu, la Cour devrait adopter une attitude de réservejudiciaire analogue

à celle dont elle a faitpreuve dans l'affaireduPlateaucontinental(Libye/Malte)au sujetdes zones

géographiques revendiquées par l'Italie.

Cinquièmement : la Courneseraitnullementhabilitée àrevoir ladécisionfinalede la CBLT

en matière de démarcationdans le lac Tchad, et il s'ensuitdonc que la Cour n'estpas habilitéeà

intervenir alors que la procédurede démarcation est toujoursen cours.

Caractère généra dle la commissiondu bassin du lac Tchad

Selon le Nigéria,les questions de démarcation relèvent dela compétencede la CBLT

depuis 1983. Qu'ilsoit ou non nécessaire de qualifier cette compétence d'«exclusive»,le fait est

que la CBLT et les quatre Etats membres ont clairement estimé que cesquestions étaientdu

domaine de compétencede la CBLT.

Mon distinguéadversaire n'a pas vraiment dénié à la CBLT le caractèred'organisation
032

régionale,bien qu'il cherche à réduire son importance en latraitant d'«organisme modeste,

technique, utile, de coopérationtechnique))(CR 9814,p. 20, par. 23). - 24 -

Mais Monsieur le président,cette modeste organisation s'occupede questionsde sécuritet

de délimitationde frontières,alors que les modestes organisations de coopération techniquene

s'intéressentpas en général de telles questions. Tant dans sa requête additionnque dans son

mémoire,le Cameroun a reconnu l'importancedes procédureset documents de la CBLT. De

surplus, le fonctionnement de la CBLT a étéétroitementliéaux réunions au sommetdes chefs

d'Etat des pays membres. Comment M. Cot peut-il concilier sa position avec la teneur des

paragraphes 12 à 15de sa requête additionnelle,ui sont pleins de référencàsla CBLT et à son

rôle en matièrede délimitationde frontières?

Les pouvoirs dela CBLT en matièrede règlementdes différends

Dans le premier tour, j'ai fait ressortir les nombreuses preuves documentaires tentaàt

montrer que, depuis 1983,la CBLT s'occupedes problèmesconnexesde démarcationde frontières

et de sécurité(CR 9811,p. 66-70). Le communiquéfinal de lasixièmeconférencedes chefsd'Etat

de 1985fait clairement ressortir les vues des Etats membàecet égard.Il y est en effetconsigné

que :

«Leschefsd'Etatont notéavec satisfactionles mesuresprisespar la commission
afin detrouver des solutions définitivesauxproblèmesde démarcationdes frontières

et de sécuritésur le lac Tchad et ont incitéla commissioàintensifier ses efforts.))

Il ressort clairement des documents que la question de démarcation de frontièrerelève

manifestementde la compétence delaCBLT. Tel étaitl'avisdesEtatsmembreset uneprésomption

du caractère exclusifde cette compétence découle tantu principe d'efficacité qdu simple bon

sens.

La pratiquedes Etats membres

Bien que le conseildu Camerounait souhaitéexaminer la pratiquedes Etats membres, il ne

l'apas fait tout en se plaignant des nombreusesréférencquej'avais faiteà des documents sans

en donner complètement lecture(CR 9813,p. 69, par. 27).(33 3 Le conseil du Cameroun a omis d'examiner lesdécisions adoptées par les chefs d'Etatlors

du neuvièmesommetde 1996,deux ans et demi aprèsle dépôtde la requête.Il ne s'estpas référé

en particulier la décisionno2 qui figure sous la cote 43 dans le dossier desjuges. Qu'il me soit

permis derafraîchir la mémoirede la Cour à cet égard.Le texte de cette décision estle suivan:

idXapportsnationauxsur l'adoptionet la ratificationdu document
de la démarcation des frontières

Considérantle point sur la ratification du document de la démarcation des
frontières;

Considérantl'aspectsensiblede cettequestioneu égardauxévénementr sécents;

Considérantles exigences de paix et de tranquillité dansla sous-région;

Vu l'absencedes chefs d'Etatdu Camerounet du Nigéria,

Les chefs d'Etaton décidé :

- de différer les discussions surce sujet;

- de donner mandat au présidentdu sommet pour intervenir, à travers des
consultationsou réunionsaveclesdeuxchefsd'EtatduCamerounet duNigériaen
vue de trouver une solution à l'amiableet dans l'espritde la fraternitéafricaine.))
(EPN 108.)

Ce document établit sansaucun douteque le Niger et le Tchad, deux Etats non parties à la

présenteaffaire, considèrent la question de la démarcation de frontières comme faisant partie

intégrantede l'ordre dujour de la CBLT. C'estlà unepreuve ducomportementdes parties que le

Camerounne saurait écarter.

En ce qui concerne le neuvièmesommet des Etats membres de la CBLT, il n'ya pas de

réciprocitéentre le Cameroun et le Nigéria. La Cour a entendu les vues du Nigéria, maisle

Cameroun n'a aucunementcommentéla décisionprise. Mon éminent collègue, M. Cot, s'est

toutefois référau passage suivant du procès-verbaldu neuvième sommet :

«II. Consultationsprécédanlt e sommet

5. En l'absence du présidentuCamerounetdu chefde 1'Etatnigérian,les autres
chefsd'Etatont invité lespremiers commissairesde ces deux pays à prendre part aux

discussions précédantle sommet. Au niveau ministériel, c'étail t'impasse quant à
l'introductiondansle projet d'ordre dujour du sommet, du point sur laratification du
document de la démarcation des frontières.Alors que le Cameroun insistait sur la
nécessitéde l'inclure dans l'ordre du jour en partant du fait que la ratification
constitueraitla conditionpréalablà la misesurpied d'uneforcecommunede sécurité,
le Nigéria, par contre, a estiméque ce sujet étant portéau niveau de la Cour internationale de Justice, il serait préjudiciabled'endiscuter. Le ministre nigérian
maintient que sa délégatin'estpas mandatéepourdiscuter de ce point, maisque les
034 chefsd'Etatpouvaient décideràleurniveau,de l'incluredans l'ordre dujour. Il en fut
ainsi décidé;les chefs'Etatl'inclurentdans I'ordre dujour pour en discuàeleur
niveau.

6.A laquestiondesavoir si lespremierscommissairesétaientdûmentmandatés
pour représenter leurs présidentst,ous deux répondirentpar la négative. Les chefs
d'Etatdécidèrent l'unanimitqu'ilspouvaientreprésenterleurschefsd'Etat. En outre,

lepremierministredu Tchadet tous lesautrescommissairesfurentinvitéà participer
au sommet.» (EPN 108.)

M. Cot estime que ce passage est décisif(CR 9813,p. 69-70, par.27-32). En réalité,le

représentantdu Nigéria a laisséaux chefs d'Etat le soin de traiter le problème, mais il n'a

aucunement proposé de supprimer le point de I'ordredujour de la CBLT.

Quoi qu'ilen soit, la déclarationnigérianene pouvait aucunementporter atteintefet de W

ladécisionno2 des chefsd'Etat,selon laquelleladémarcationdesfrontièresresàaI'ordredujour.

La question de la démarcation estdonc restéàl'ordredu jour de la CBLT tant durant le

neuvièmesommetde 1996qu'après, malgré le dépôt parle Cameroun desa requête en la présente

affaire. Tel a étél'effetde la décisionn02 du neuvièmesommet, qui représente lespositions du

Niger et du Tchad.

M. Cot n'apas essayéde contester la valeurjuridique de cette décision.

La démarcation dansle lac Tchad suppose un processus multilatéral

Dans la déclarationqu'il a faite vendredi dernierM. Cot a affirmé que la ligne de

démarcationdans le lacTchad avaitfait l'objetd'une délimitapartraité (CR9814,p. 14-15),et 1

il a cité diverstraités. éminentadversairea cependantnégligé d'appeler'attentionde laCour

sur deux aspects trèsimportantsde la question.

En premierlieu,leprocessustechniquededémarcation s'est révclémplexe,etc'estlemoins

qu'onpuissedire. Notamment,ladéterminationdesdeuxtripointsamisenjeu unprocessusintégré

et non pas deux processus indépendants.

En second lieu, l'ensembledu processus de démarcationa été multilatérae lt appelé

l'interventionde la CBLT agissantu nom des quatre Etats riverains. - 27 -

Bref, Monsieur le président,l'élément important ntient pasà la question de savoir si un

pointdonnéest un bipoint ou un tripoint mais au fait que laprocédure d'établissementdeepoint

concerne quatreEtats.

La Cour doit faire face aux conséquencesjuridiques du fait que décisiondemandée dans

la requêteadditionnellemet en jeu les intérêtsjuridiques de deux Etatsl,e Niger et le Tchad, qui

n'ontpas consenti à la compétence dela Cour. L'exposédes ((moyensde droit invoqués parla

Républiquedu Cameroun))montre manifestementque le Cameroun sefonde sur diverses données

découlantdes procéduresde la CBLT restéesen suspens.

M. Cot a admis la semaine dernièreque ces procéduresau sein de la CBLT n'ont pasété

menées àbien. Se référan t la décision prise en 199par les chefs d'Etatd'approuverle rapport

technique signépar les experts nationaux en 1990,M. Cot a ajouté :«Ils estimèrentnéanmoins

qu'uneratification au niveau national étaitnécessaire))(CR 9813,p. 69, par. 23).

Conséquencesjuridiquesde la décision demandée par le Cameroundans sa requête
additionnelle

Quelles sontdoncles conséquencesjuridiques deladécisiondemandéepar leCameroundans

sa requêteadditionnelle,qui figure dans le dossier sous la cote?44

La question de la démarcation reste à l'ordre du jour de la CBLT, comme il ressort

incontestablementdu procès-verbaldu neuvièmesommet. Cette questionest sujette àcontroverse

et ne revêtpas, enl'occurrence, une importancjuridique et politique moindre que celle que revêt

une délimitation.

Or le cadre institutionneldu processus dedémarcationmeten cause deux Etats qui ne sont

pas actuellement présentsdevant la Cour. En outre, dans le contexte du lac Tchad, ce sont les

intérêtjsuridiques du Niger et du Tchad qui sont vraiment en jeu et non simplement leur

participatioà ce processus.

Premièrement, les questions en jeu ne sont
On peut écarter certaines possibilités.

certainementpas sans objet et elles demeurentl'ordredujour de la CBLT. Deuxièmement, rien

ne suggèreque les problèmesdont s'occupela CBLT ne soient pas du ressort de la justice et, -28 -

troisièmement,ni le Nigériani le Cameroun ne suggèrentque l'article 103 de la Charte puisse

fournir une solution.

Cela étantdit, il reste trois principesjuridiques qui devraient, selonmoi, exclure l'exercice,

par la Cour, de sa compétence. Ces principesfonctionnent de manière indépendanteet sont

compatibles entre eux.

Le premier de ces principes est celui qui découle de l'affaire de l'Or monétaire

(C.I. RJe.ueil 1954, p. 19). En l'occurrence, étantdonnéles questionsjuridiques exposéespar le

O 3 6 Cameroun dans sa requête additionnelle,je suis d'avque les intérêtsjuridiqusu Niger et du

Tchad dans la région du lac Tchad ((seraient non seulement touchéspar une décision,mais

constitueraient l'objetmême deladite décision))(ibid.,p. 32). Comme la Cour l'adéclaré dans W

l'affaire de l'Or monétai:e«En pareil cas, le Statut ne peut être considécomme autorisant

implicitement la continuation de la procédure en l'absence debanie.»(Ibid)

A mon avis, la décisiondemandéeen l'espècemettraitdirectement en cause les intérêtsu

Nigéria etdu Tchad,et les intérêtsde ceseuxEtats constitueraient l'objet même a décisionde

la Courà l'égarddu lac Tchad.

En outre, en l'occurrence, l'article59 du Statut fournirait une protection moindre que

d'habitude.

J'enviens maintenant au deuxième destrois principesqui devrait ameneà faire preuve de

réservejudiciaire.

Dans l'affairedu Plateau continental (Libye/Malte),la Coura appliquéle principe selon

lequelelle devaitlimiter lazonesur laquelledevaitportersonpouvoirde délimitationeu égardaux

prétentionsd'unEtat tiers dont elle avait été informé.Selon letexte mêmede l'arrêt

«Laprésentedécisiondoit ...être d'une portée géographique limitée, anière
à ne pasaffecter les prétentionsdel'Ita:autrementdit ellene doit porter quesur la
zone où, selon les indications qu'elle a donnéàsla Cour, l'Italie n'émetpas de
prétentionssur le plateau continental. La Cour, ayantété informéedes prétentnsd
l'Italie, et ayant refuséd'autoriser cet Etatrotégerses intérêtspar la voie de

l'intervention,accorde ainsil'Italiela protection qu'ellerecherchait. Une décision
restreinte de la sorte ne signifie pas que les principes et règles applicaàlla
délimitationdans la zone visée nesoientpas applicablesen dehors de celle-ci,ni que
les prétentions formulées parl'uneou l'autre desParties surdes étenduesde plateau
continental extérieuresà la zone soient tenues pour injustifiées: elle signifie
simplement qu'aucunecompétencen'a étéconférée à la Cour pour déterminer les principes et les règles régissantles délimitationsavecles Etats tiers, ni pour décider
si les prétentions des Partiesen dehors de la zone en question l'emportentsur les
prétentions des Etats tiersde la région.))(C.I.J. Recueil 1985, p. 26, par. 21.)

Le conseil du Cameroun a émis des objections à l'égardde l'applicationde ce principe de

réserveaux espaces terrestres ou lacustres (CR 9814, p. 17-19, par. 14-21). Je me permets

cependant de souligner qu'aucunede ces objectionsn'estbasée sur aucunprincipe ou fondement.

Il est difficile d'expliquerpourquoi lajurisprudence de la Cour ne s'appliqueraitpas au lac Tchad.

Il peut exister d'importantesdifférencesentrela délimitationd'unefrontière terrestreet celle d'une

frontièremaritime, mais les différencesgéographiquesentre les deux cas n'ontrien àvoir avec le

principe de réserve.

Le fait que la Cour a étéinforméedes prétentions italiennes parl'Italieelle-même dansla

précédente affaire ne devrait faire, selon moi, aucune différence,du moment que la Cour dispose

d'informationsfiables quant à la nature des intérêtsjuridiquesu Niger et du Tchad, comme c'est

manifestement le cas en l'occurrence.

En outre, dans l'affaire del'Or monétaire,la Cour a étéclairement d'avisque 1'Etattiers

intéresséne devrait pas êtrepénalisédu fait qu'iln'avait pasprésentéune requêtepour êa rtorisé

à intervenir (voir C.I.J.Recueil 1954, p. 32).

Il est certainement vrai que, dans l'affaireLibye/Malte, la Cour a été, dansune certaine

mesure, influencée parles termes du compromis, mais il n'y a pas de raison de penser que le

principe de réserven'était pasautrementjustifié.

Dans l'affaireLibye/Malte,il n'existait aucuneprocédure de règlementpar unetierce partie

mettant en jeu un Etat tiers. En l'espèce,cependant, il existe bien une telle procédure,ce qui

renforce considérablement le devoirde réservejudiciaire.

Cela m'amène autroisièmeprincipe, qui n'apas moins d'importance que lesdeux autres.

Selon ce principe, la Cour ne saurait revoir la décisiond'un autre tribunal ou déterminerla

compétencede la compétenced'unautre organejudiciaire ou décisionnel. - 30 -

Selon moi, la CBLT est habilitéà agir et agit actuellementen tant qu'organe derèglement

par une tierce partie. En I'occurrence,la Cour ne saurait,en accédantaux termes de la décision

demandée dans la requêtedu Cameroun, déterminer la compétenced'un organe ayant déjà

compétence à son détriment.

Ce principe a été formulé par sreraldFitzmaurice dans sescommentairessur les travaux

de la Cour (voir TheLaw and Procedureof theInternationalCourtofJustice,Cambridge, 1986,

vol. II, p.57-488).

A la page 467 de cet ouvrage, Fitzmaurice fait ressortir la pertinenàcet égard,d'un

passage de l'avisconsultatif rendu par la Courdans l'affairede l'Interprédes traitésdepaix

(premièrephase). Après avoir faitobserverque la demanded'avisconsultatif ne touchait pas le W

fond des différends,la Cour a notéque

038 «Pour le surplus, le règlementde ces différendsétant entièrementréseaux
commissionsprévuespar lestraitésdepaix, c'estàces commissionsqu'ilappartiendra
de statuer sur toutes contestatqui,pour chacunde ces dzflérendss,eraientélevées
contre leur propre compétence, contestations dont le présea nvtis ne préjuge
aucunementla solution. Il en résulteque la positionjuridique des partiesà ces
différendsne sauraità aucun degré être compromise par le éponses quela Cour
pourrait faire aux questions qui lui sont posées.)) (Les italiques sont de nous;
C.I.J.Recueil1950, p. 72.)

Comme l'asoulignéM. Rosenne, la Charte des Nations Unies neconfère à la Cour aucune

prééminence enmatière de compétence (The Law and Practice of the International Court,

1920-1996, vol. II, 1997,p. 530).

Il convient de rappeler les termes de l'article 95de laCharte

«Aucune disposition de la présente Charte n'empêche les Membres de
l'organisation de confier la solutionde leurs différendsutres tribunauxen vertu

d'accords déjàexistants ou qui pourrontêtreconcluà l'avenir)).

Si elle donnait suiteà la requête additionnelle,la Cour porterait atteinte au principe

d'autonomiede la compétencejuridictionnelle. Si l'onconsidère que lestravaux de la CBLT se

poursuivent encore, la Cour empêcheraiten effet ainsi cette dernièred'exercer sa compétence

existante. Si l'onconsidèrelestravaux de laCBLTcomme achevés,laCourexerceraitalorsun rôle

dejuridiction d'appel qu'ellen'amanifestementpaà l'égardestribunauxd'arbitrageou d'organes

ayant des fonctions analogues. -51 -

M. Cot fait ressortir ainsi la nature de l'actjudiciaire envisagée parle Cameroun

((39.J'ajouteque la décision dela Cour dansla présenteaffairen'entraveraiten
aucunemanièrelestravauxde démarcationengagésau sein delaCBLT. Au contraire,
en constatant de manière incontestable de la délimitationde la frontière, la Cour
préciseraitle cadre desestravaux illustreraitainsilacomplémentaritédl'intervention
des deux institutions.

40. En somme, la Cour n'a aucune raison de ne pas se prononcer sur la

délimitation dans la région du lac Tchad. Le Cameroun pense même,
respectueusement, qu'ellea le devoir de se prononcer.))(CR9814,p. 13.)

Cela revient, selon moi,àadmettre clairementle rôle que le Camerounvoudrait voir jouer

à la Cour. L'utilisationdu concept de complémentarité ne modifie pas lefond des choses.

"39 ConcIusion

Monsieurle président, lesindicationsles plusfortespossiblesfontainsiressortir lanécessité

de faire preuve de réservejudiciairà l'égarddu processusde démarcationdans la régiondu lac

Tchad.

Commeje l'aimontré,trois principes entrent ici en effet indépendamment en jeu,principes

qui sont manifestement applicablesen l'occurrenceetqui militent vigoureusementen faveur de la

réservejudiciaire.

Leur application découle tant d'importants principes juridiques que d'une ample

documentation,dont j'ai expliquéla pertinence lors de mon intervention au premier tour.

Monsieur le président,je peux maintenant présenter lestroisième et quatrième exceptions

préliminaires.

Troisième exception préliminaire

Sanspréjuger cequi sera décidéau sujetde la deuxièmeexceptionpréliminaire,lerèglement

des différendsde frontière dansla régiondu lac Tchadest soumisà la compétenceexclusivede la

commissiondu bassin du lac Tchad(CBLT), créée en 1964en vertu de la convention et du statut

relatifà la mise en valeur du bassin du Tchad. A cet égard,les procédures derèglementau sein

de la commission sont obligatoires pour les parties. Le processus de règlementdes différendsau

sein de la CBLT entraînait nécessairement,en ce qui concerne les relations du Nigériaet du - 32-

Cameroun entre eux, l'obligationde ne pas invoquer, envertu du paragraphe2 de l'article36 du

Statut, la compétencede la Cour au sujet de questions relevant de la compétenceexclusive de la

commission.

Le bien-fondéde cette exception préliminaire est confirmépar le principe affirmé dans

I'affairede'Ormonétaire,par le principe de réservejudiciaire appliqué en faveur del'Italiedans

I'affaireduPlateau continentalLibye/Malte),ainsi quepar le principefondamentalselon lequella

Cour ne saurait déterminerla compétencede la compétenced'un autre organe judiciaire ou

décisionnel.

Cette exception concernetant la compétenceque la recevabilité.

Quatrième exception préliminaire

La Cour ne sauraitdéterminer,dansla présenteinstance, lafrontièredans le lac Tchaddans

la mesure où cette frontière constitue ouest constituéepar unripoint dans le lac.

O40 Les bases juridiques de cette exception sont essentiellement les mêmesque celles de la

troisièmeexceptionpréliminaire.

Cette exception concernetant la compétenceque la recevabilité.

Je remercieune fois de plus laCour pour sa patience. Monsieurle président,je suàsvotre

disposition. Peut-êtrvoudrez-vousdonnerde nouveau laparole àmoncollègue,sir ArthurWatts,

aprèsla pause café ?

Le PRESIDENT :Merci, Monsieur Brownlie. L'audience serasuspendue pendant quinze

minutes.

L'audienceest suspendue de II h 30 à II h 45.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Je donne la parolà sir Arthur Watts. Sir Athur WATTS :

Il n'y a pas de différend concernant la délimitationde la frontière
du tripoint dans le lac Tchad jusqu'à la mer

Monsieur le président,Madame et Messieursde la Cour. J'exposerai maintenantla réponse

du Nigéria sur sacinquièmeexception préliminaire, avantde présenter immédiatement après sa

réponse sur sa sixième exception préliminaire.

Laissez-moi commencer par rappeler que le Nigéria estimequ'il n'ya aucun différend

quelconquede frontièreen cequi concerne les zones de Bakassiet de Darak, touten reconnaissant

que les problèmesde souverainetésurces zones ont des effets certainsen matièrede frontière. Le

Nigéria estimequ'ila souverainetésurceszones. Soncomportementdans ces zonesconstitue donc,

selon lui, une manifestation de son titre sur leerritoire en question, et aucunement une preuve

quelconque d'undifférendde frontière à proprement parler.

La seulevraie questionde frontière en suspensa donctrait au reste de la frontière commune

des deux Etats, à savoir la longue ligne de 1850 kilomètres environ allantdu lac Tchad à la

presqu'îlede Bakassi. LeNigéria maintientqu'aumoment où le Camerouna déposé sa requête,il

n'yavait, ni en fait ni en droit, aucun différend sur cette frontière.

A cet égard, leCameroun prétendque le Nigéria met en cause l'ensemble de l'architecture

juridique arrêtant la frontière'. Quelle preuen avait-il lorsqu'ila dépossa requêteinitiale et sa

requête additionnelle ? Aucune, Monsieur le président, etle Cameroun n'ena fait valoir aucune.

11a plutôt cherché à forger despreuves en se basant sur ce qu'ilsupposedespossibles arguments

du Nigéria quant aufond : comme l'admetM. Tomuschat,le Camerounne dispose que de ce qu'il

pense êtrel'argumentationdu Nigéria2. Maisle Nigérian'arien dit sur ses possibles arguments

futurs; il n'entend pas se laisser entraîner dans des arguments prématurésquant au fond. Le

Cameroun se livreàde simples suppositionsqui interviennent, en tout cas,aprèsl'introduction de

la présente instance- et ne peut montrerqu'aumoment du dépôt desa requêteil existait bien un

différend.

'CR 9814,p. 22-23.

2CR 9814,p. 26. -34 -

Le Cameroun, Monsieur le président,devrait considérer (alorsqu'ila souvent tendance à

l'oublier) que les présentes audiences concernent desexceptionspréliminaires. Avant que le

Cameroun ne puisse passer au fond, les deux Parties doivent se placer au point de départ,ce qui

dépendde plusieurs considérationspréliminaires;l'unede ces considérationsa traià l'existence

préalabled'un différendsur la questionconsidérée, qu'ily a lieude déterminersur la base de la

situationàpréciser objectivement, ladatedu dépôtde larequête- propositionàlaquellelaCour

a donné effetdans son arrêtle plus récentconcernant l'affairedeockerbie3.

Evidemment, le Cameroun ne s'estpas fondésur l'architecture intellectuellesupposée de

l'argumentation possibledu Nigéria enoubliant les prétendus «incidents» censés montrerteute

la longueur de la frontière faitl'objet d'undifférend. Lears4,le Nigéria adémontré que ces

prétendus incidents étaient totalement insuffispour étayerla thèse duCameroun; pourtant,le

Cameroun est revenu à la charge5.Voyonsdonc ce que dit maintenant le Cameroun.

04 2 Alors qu'ils'agitd'une frontièrelonguede quelque 1700kilomètres,M. Tomuschata évoqué

des incidents en trois endroitstrois seulement, Monsieur le président. D'abord,une répétition

de la confusion Kontcha-Typsan. Bien que le Nigériaen ait déjàparlédeux fois6,il sembleque

je doive y revenirune fois encore. A l'écran(sous lacote5 dans ledossier desjuges) vousvoyez

une photographiepar satellite de la région,avec Typsan et Kontcha. Au bas du texte, vousvoyez

le passage correspondant de l'échange denotes de 1931 concernant la frontière. Lesmots

directement.pertinentssontsoulignés;j'ajoute seulementque«Maio»signifie simplementrivière et 1

que Typsal avait, dès cetteépoque, diversesorthographes et s'appellemaintenant la Typsan. Ces

mots montrent que la frontièredescendjusqu'à un point situéjuste au nord du village actuel de

Typsan et delà suit «le cours de la rivièreTypsa[n]». LeNigéria accepte-jel'aidit de manière - 35 -

générale le 3 mars7,etje lerépète maintenantn particulier- leNigéria acceptelarivièrecomme

la ligne frontière dans cetterégion;la rivière estbien visible sur la carte; et Typsanest tout aussi

clairement du côténigérian de larivière- de mêmequeKontcha,tout aussi nettement, setrouve

sur la rive camerounaisede celle-ci. J'espère,Monsieur le président,que l'onne nous parlera plus

de cet absurde prétendu«incident». Mais si le Cameroun persiste àaffirmer que le village de

Typsanest au Cameroun,leNigéria espèreque laCour constateraalors que c'estmanifestementle

Cameroun, et non le Nigéria, qui tentede contester la frontière bienétabliele longde la Typsan.

Après cetteréférenceerronée à Typsan, on nous cite certains ((incidents))qui se seraient

produits àYang l'annéedernière. Vous voyezoù se trouve cette localité, indiquée sur la carte

(cote 8 dans le dossier desjuges). Ces incidents sont évidemment toustrop tardifs pour avoir la

moindre pertinence à l'existence éventuelled'un litige en 1994; et de plus, ils sont portàs

l'attention duNigériapour lapremièrefois- bien que l'onnousaff~rmequ'ilsaientété«unecause

depréoccupationtrès grave»'pour leCameroun,aucunn'étaita ,pparemment,assezgravepourfaire

l'objetde la moindre démarche diplomatique. D'ailleurs, Monsieurle président,il ne serait pas

déraisonnable,j'espère,de mesurer la gravité deces «incidents»en fonction du nombre de décès

occasionnés. Effectivement,le 6 mars, MeAurillac a parlé((d'incidentssanglantsayant entraîné

mort d'hommes le long dela fr~ntière))~.Or, quels faits viennent appuyer cette affirmation d'un
0 4 3
carnage qu'auraitcauséle Nigéria tout «le long de la frontière?)MeAurillac ne nous en cite

aucun. Mais si nous consultons le répertoiredes incidents soumis tardivement, nous entrouvons

seulement trois qui ont entraîné mort d'hommes- les incidents 7, 9 et 15. Et deux choses sont

frappantes :il y a eu davantage de morts nigérians (cinq) que de camerounais (trois ou

peut-êtrequatre); et que tous ces décès étaientimputables aux agissements de particuliers

- présentés par leCameroun comme un braconnier, desvoleurs de bétail,des brigands et des

voleurs.

'CR 9812,p. 19.

*CR 9814,p. 23,par.7. - 36 -

Comme il vient seulement d'êtrefait étatdes événementsrécents,on ne saurait attendre du

Nigériaqu'ilait une réponse à leur sujet. Il se trouve, pourtant, que le Nigériapeut répondresur

deux d'entre eux. Prenons le dernier, survenu le 26juin 1997 - une prétendue incursion de

policiers nigériansdans sept véhicules.Par chance, plusieursde ces «policiers» sontpréseàla

Cour aujourd'hui :pourrais-je leur demander de se lever un insta?t Monsieur le président,cet

«incident» étaiten vérité unevisite sur les lieux qu'effectuaient cejour-là dans la régiondes

membres de l'équipejuridiqueduNigéria,desjuristes chargésde préparerle dossier, accompagnés

de fonctionnairesdesservices compétentsnigérians, ainsiqu'unbon nombre decurieux. Voilàqui

est typique du genre d'«incidents»que le Cameroun invente dans ce contexte.

Et puis, il y a l'cincidenb) qui se serait produàtYang. Voici comment le décrit le W

Cameroun :

«Le 24 avril 1997, le préfetdu départementdu Donga Mantung est arrêté à
mi-chemin entre le village de Yang (détruit)et le Makwe, le cours d'eauformant la
frontière internationale entrele Cameroun et le Nigéria.»lo

La première observation à faire, c'estque Yang n'a pas étédétruit, comme l'affirmele

Cameroun : àl'occasionde leur visite sur les lieux, lesjuristes chargés de préparelre dossier ont

pu voir le village, et il y avait vraimentquelquechoseir, et pas detrace de cette «destruction»

dont parle le Cameroun. Pas du tout, Monsieur le président ! Mais ce qui est encore plus

remarquable, c'est cequi s'estvraimentpassélors de cet incident. Vousvoyezmaintenant l'écran

(à la cote 46 dans le dossier desjuges) un groupe -e de quoi ? Un groupe de fonctionnaires:
r*
de fonctionnaires nigérianset camerounais. Et pourquoi sont-ils ensemble ? Ils avaient une

réunion à Yang le 24 avril 1997- la date citée parle Cameroun. Ils se rencontraient pour des

044 négociations; etils se rencontraienà la demande du Nigéria. Et que s'était-il pass? A une

certaine distancede Yang, la policenigériane a stoladélégationcamerounaise et lui a demandé

de retourneràYang. Et c'estlàque, le moment venu,la délégation nigériane estnue la rejoindre,

et que les entretiens ont commencé. Et c'esttout, Monsieur le présidenPas d'«arrestation»du

tout; certainementrien qui remette en questiontoute la délimitationde la frontière. Je dois ajouter -37 -

encore une chose. Comment le Nigériaconnaît-il ces faits ? Parce qu'ils sont relatésdans le

document no3 présenté par le Cameroun lui-même àla Cour il y a quelquessemaines ! Sije puis

ajouter encore quelquesdétails,les délégationsdes deuxparties étaient substantielles-quatorze

personnes du côténigérianet seize du côtécamerounais. La réunionavait étéorganiséepour

discuter de toute une gammede questions d'intérê ltcal. Et le communiquéadopté à l'issuede la

réunionconcluaitque«laréunionquis'esttenuedansune atmosphèreamicaleet cordialea exprimé

saprofondegratitudeet sesremerciementsauxgouvernementsdes deuxpayspour en avoirfait une

granderéussite))''.Voillà'«incident»dont il s'agissait.Ce n'étaitun incident du tout,seulement

une tentative ridicule d'inventerun préjudice.

Enfin, le Cameroun parle d'un survol de la frontière en mars 1993 et «récemment»la

destruction d'uneborne frontière etd'uneexploitation forestièrà la frontière. Ces événements

«récents»sont une fois encore manifestementtrop tardifs pour êtrepertinents (à supposerqu'ils

soient vrais, ce que le Nigéria nereconnaît pas). Quant au survol, il appelle trois observations.

Premièrement,il ne figureque dans le répertoire desincidents, et il est donc trop tardif pour être

invoqué12d ;euxièmement,il n'a pas donnélieu à des protestations diplomatiques,mais seulement

à une anodinedemanded'inf~rmations'~e ;t troisièmement,si chaquesurvolde cegenre devaitêtre

traité comme preuvede ceque la frontièreestcontestée,il n'yauraitguèrede frontièreincontestée

dans le monde entier !

LeCamerounreconnaît, Monsieurleprésident,que certainsde ses«incidents»n'impliquaient

«quedespersonnesprivées, à l'exclusiondes autoritéspubliquenigérian es^' L^.Nigériaapprécie

comme il convient que le Cameroun, ayant disposéde tout le temps qu'illui fallait pour préparer

et présenterson argumentation,ait reconnu, fût-càce stadetardif, que son dossiercomportaitune

bonne part d'élémentd sénuésde pertinence. Pourtant, le Cameroun tente de conclure que cela

"Compterendu dela rkunionderkconciliationdu 24 avriàYang,p,ar.4.

I2CR9812,p. 24.

I3VoirOC 1,p. 345.

I4CR9814,p. 5. - 38 -

montre au moins qu'ily a une ((insécuritmarquée)) en ce qui concerne I'existencede la frontière"

etquedans leurensembleils«illustre[nt]lamiseencausedesinstrumentsjuridiques conventionnels

pertinents par le Nigéria»16.Mais Monsieur le président, ce qu'il s'agidte prouver, ce n'estpas

l'«insécurité» ais I'existenced'undzflérend,n 1994;comment de prétendusincidents impliquant

desparticuliersreconnuscommetelspeuvent-ilsillustrerunemiseencaused'instrumentsjuridiques

conventionnelspertinents par l'Etatnigérian? Celadépassel'entendement- onauraitpuaumoins

s'attendreà un minimum de référence au problèmd ee l'imputabilité.

A partir de là, affirmer tranquillement qu'il ne peut y avoir de date limite pour des

événements récentsqui montrent l'attitudeque l'onprêteau Nigéria à l'égard dela frontière,c'est

démontrer à quel point le Cameroun essaie d'esquiver la question dontil s'agit ici, à savoir : W

existait-il, en fait, le 29 mars 1994,ou aumoins le 6juin 1994,un différend entreles deux Etats

au sujet de la frontière entre le lac Tchad et Bakassi ? La situation est peut-êtreen pleine

«évolution»commele dit le Cameroun :effectivement,le tempsne s'arrêtpeas. Maisle différend,

s'ily en a un, doitavoir existéen 1994,et aucuneévolutionultérieure ne peut modifier lnécessité

que les événements aiené t técristalliséà cette époque-là. Mais ils nel'étaientpas, Monsieur le

président : il n'existaitpas de différenà l'époque - ni maintenant.

Le Camerounaffirmevoir dans lecomportementdu Nigéria vis-à-visde Bakassiet de Darak

lapreuve d'unemiseen causejuridique concernanttoute la longueurde lafrontière". Celaconduit

le Cameroun à craindre que les événements survenud sans ces deux régionspuissent «se répéter
I

demain dans n'importequel autre endroit de la régionfr~ntalière»'~.Le Cameroun se dit menacé

(aumoins p~tentiellement)'~ etprévoitdesconséquencesapocalyptiquesz0 T.outefois,leNigériadoit

"CR 9814,p. 25.

I6Ibid.

"CR 9814,p. 26-28.

''CR9814,p. 28, par.14.

"CR 9814,p.28, par.15et p. 30, par.20.

20CR9814,p. 28. - 39 -

de nouveau ramenerle Cameroun àla questionpratique qui est ici en cause:y avait-il en 1994un

différend existant au sujet des quelque 1700kilomètresde frontière - non pas une ((crainte)),ni

une ((menace potentielle)), ni un risque de ((conséquences ...néfastes pour l'Afrique toute

entière))"- mais il fallait qu'ily ait un différendréeà ce moment-là. Et il n'yen avait pas.

Enfin, Monsieur le président,permettez-moi de parler de l'affirmationdu Cameroun selon

laquelle leNigéria croit queles faits priment le droit. n'enest tout simplementrien. LeNigéria

croit avoir un droit légitimesur la presqu'îlede Bakassi et les régionsdu lac Tchad où il existe

effectivement des problèmes entreles deux Etats. En raison de ce droit légitime,le Nigéria a

naturellementeu divers comportementsque peut avoir tout Etat sur son propreterritoire : les faits

découlentde ce que le Nigéria croitau droit, ils ne créentpas le droit. Le Cameroun ne sait

peut-êtrepas encore quels sont tous lesargumentsjuridiques du Nigéria; maiscela ne signifiepas

qu'ilpuisse en nier l'existenceou qu'ils prétendent créer droità partir des faits, comme le laisse

entendre le Cameroun. Mais tout cela est une affaire de spéculationet portesur lefond, et n'a rien

à voir avec laprocédureactuellequi concerne,leNigériadoitune foisencorelesouligner,certaines

questions préliminairesseulement. La cinquième de ces exceptions, c'est qu'à l'époqueoù le

Cameroun a introduit cette procédure, il n'existaitas de différendconcernant lafrontièreen tant

quetelle, et rien de ce qu'adit leCamerounau cours de cetteprocédureoralen'aétabli le contraire.

Aucun élément ne permet de décider judiciairement que la responsabilitéinternationa dle

Nigéria est engagée à raison de prétendues incursions

Monsieur le président,Madameet Messieurs de la Cour,j'en viens à la répliquedu Nigéria

sur la sixièmeexception préliminaire.Seloncette exception, laCour s'ensouviendra,le Cameroun

n'apas fourni d'informations adéquatesou suffisammentfiables qui permettraient au Nigériade

répondredesaffîrmationsmettantencausesaresponsabilitéinternationalequeleCamerounprétend

engager à raison des divers incidents qu'il a cités,ou qui permettraient à la Cour de statuer

effectivement et équitablement surcette question. Dans cette situation, Monsieur le président,

"CR 9814,p. 28, pa15. - 40 -

associer des questions de responsabilitéd'Etàtun différend territorial seraitnon seulementassez

inusité, maisreviendrait aussà s'exposerà des complicationsconsidérablesdansle traitement de

la procédure, pourles Parties et pour la Cour.

Le Nigéria a fait valoir que leCamerouna tenté à tort d'élargirdans son mémoiresa thèse

relative à la ((responsabilitéinternationale))qu'ilavaàtl'origineprésentée à cette Cour par sa

requêtea ,mendéeensuite. Le Cameroun lenie2'.L'argumentationduNigériasur cepointcomporte

deux aspects. Le premier, c'est que, danssa requête(telle qu'amendée)l,e Cameroun n'apas mis

en cause la responsabilité internationaledu Nigériapour des incidents intervenus en dehors des

régions de Bakassiet du lac Tchad, qui sont désormaisreconnus commedes problèmesdistincts.

Le second est que le Cameroun s'estefforcéà plusieursreprises d'augmenterle nombreet lanature

d'«incidents» dont il prétendqu'ilsengagent la responsabilité internationaledu Nigéria. Je vais

traiter touà tour de ces deux éléments.

La requêteinitialedu Camerounne concernaitque la régionde Bakassi. Par conséquentl ,es

affirmations relativesà la responsabilité internationalequi figurent dans cette requêtene se

rapportaient qu'à Bakassi. Si l'on examine la requêteamendée, c'estau paragraphe 17que le

Cameroun précisece qu'ildemande à la Cour de faire. Vous voyez maintenant le paragraphe 17

à l'écran (etil se trouve sous la cote 44 dans le dossier desjuges). La Cour verra, Monsieur le

président,que la responsabilitéinternationaleetlesréparationsne sontinvoquéesqu'auxalinéas e)

et ei)du paragraphe 17. Ceux-ci renvoientaux alinéasprécédents de ce paragraphe,et ces alinéas

précédentsne concernent que des incidents survenus dans la régiondu lac Tchad. La mention

d'incidents présentéscomme survenus «tout le long de la frontière)) figure à l'alinéa$ du

paragraphe 17 :dans ce paragraphe, il n'estpas demandé à la Cour d'établir deresponsabilité

internationaleà raison de ces faits, pas plus que lesalinéasprécédent,)ete 7 du paragraphe 17

ne se réfèrentà cet alinéa$ antérieur.Il ressort toutà fait clairement du texte de la requêtedu

Cameroun lui-même, telqu'amendé,que le Cameroun n'a pas mis en cause la responsabilité

internationaleduNigériapour les faits qui se sontproduits entre Bakassiet le lac Tchad.'ensuit

UCR 9814,p. 31,par4. - 41 -

doncque si leCamerounaffirmemaintenant,dans sonmémoireet par lasuite,que leNigériaa une

responsabilitéinternationaleau titre de ces événementsi,lgit biend'unetentative pour élargirla

portéede la requête initialedu Cameroun (amendée)et dans cette mesure, elle est irrecevable.

Quantau secondaspectde cette partiede l'argumentation duNigériai,l a fort peude choses

à ajouter a ce qui a étédéjàdit à cet égardle 3 mars23. Comme nous l'avons exposéalors de

manièreassez détaillée, le Camerounn'acesséde procéder «à coups d'ajouts)).Certains incidents

sont cités dansla requête, uelques autres dans celle qui l'amende,puis d'autresdans le mémoire,
0 4 8

quelquesautresencoredanslesobservations,et ainsi desuite- et mêmec ,ommenous l'avonsdéjà

remarqué à propos de la cinquième exceptionpréliminaire,d'autres ont été ajoutélsa semaine

dernière seulement. Il ne suffit pas que le Cameroun considèrequ'ils entrenttous sous la même

rubriquede la((responsabilitéinternational)tqu'ilsecroie donc autorisécontinuerd'ajouterdes

incidents supplémentaires sans que cela modifie la portée de la demande qu'il formule. La

responsabilité internationale, Monsieur le présidentdoit se déterminerincident par incident.

L'affirmationdu Cameroun, qu'«àaucun moment ..il ne chercheà ..modifier la portée[de sa

requête]»2estvisiblementinexacte àcetégard, commeauprécédent :encherchantperpétuellement

à ajouter d'autres incidents, le Cameroun, une fois encore cherche bieà élargirla portée de

l'instancequ'ila introduite contre le Nigéria.

Monsieur le président,le caractèreprimordialde lasituation telle qu'elleexisàl'époque

delarequêteettellequ'elleest décritedanscelle-ci aétacceptépar laCourtout récemmentencore

dans l'affaireLockerbie. Il n'yavait rien de nouveaàcela. La Cour permanente l'aclairement

exposé en1933en l'affairerelative à l'Administration duprince von Pless, où la Cour a affirmé

((qu'auxtermes de l'article 40du Statut, c'est la reeui indique l'objetdu différend...[et] que

le mémoire,tout en pouvant éclaircirles termes de la requête,ne peut dépasser les limitesde la

demande qu'elle contient...)) Dans l'affairedeauru, en 1992, la Cour, tout en notant qu'une

nouvelle demande avait certains liens avec le contexte général danslequel s'inscrivaitla requête, -42 -

a décidéque ce n'étaitpas sufisant et que, pour que la demande puisse être tenue pour incluse

matériellement dansla demande originelle, il ne saurait suffire que des liens de nature générale

existententrecesdemandes,qu'ilconvientquelademandeadditionnellesoitimplicitementcontenue

dans la requêteou découle directement dela question qui fait l'objetde cette requête. En la

présenteespècen , on seulementlesnouvellesquestions n'étaient-elles pas implicitesans larequête

et n'en découlaientpas directement mais elles n'enfaisaient explicitementpas partie.

Toutefois, Monsieurle président,ce qui préoccupesurtoutleNigéria,c'estque le Cameroun

a ététrop économede faits pour permettresoitauNigéria,soit à la Cour d'examinerplus avant ces

questionsde responsabilitéd'Etat. Dansce contexte,le Camerounparaît seméprendregravement :

il semble croire que le Nigériaexige que la requêteexpose des détailscirconstanc deéous les W

prétendusincidentscensésengages raresponsabilité. Pasdutout Monsieurleprésident :leNigéria

n'ajamais ditcela. LadémonstrationdétailléqeueleNigéria adonnéedesfaits insuffisantsavancés

parle Camerouna étéstructuréie ntentionnellementétapeparétape,en prenantchacunedecelles-ci

séparémene tt endétail25. n commençantpar larequête,puis sonamendement,puis son mémoire

et enfin ses observations et mêmele ((répertoiredesincidents))bien qu'ungrand nombre des

incidentsqui y figurentaientétérévélé asvecunretard inacceptable,leNigéria adémontré quetant

à chaque étapeen soi que cumulativement pour l'ensemble, cesdocuments étaiententièrement

insuffisants,et peu fiables, pour servirde baseun examenjudiciaire plus pousséde la part de la

Cour. Et le Nigériase permet de rappeler a la Cour que si le Cameroun pouvait considérer sa
Ir,
requêtecomme unexposéinitialde l'affairesusceptibled'être étofféper lasuite,son mémoireétait

sa première piècede procédureportant sur le fond : il ne saurait y avoir d'excuse pour une

information inadéquatedans cette piècede procédure.

Il faut ajouter que cela n'arien a voir avec les questions de preuv:la preuve, comme le

Cameroun le reconnaît, est une question liéeau fond26. Il ne s'agit pasnon plus de prévoirquel

élémentde preuve manquera à un stade ultérieur,ce dont la Cour a reconnu dans l'affairedu - 43 -

Nicaraguaque ce n'étaitpas une raisonsuffisantepour déclarerun argument irrecevableinlimine

litis2'. C'estune question d'identification,il s'agitd'ensavoirassez dèsmaintenantpour avoir une

idéeraisonnablementclairede ce que sont lesaccusationsportéescontreleNigéria, assezpour que

laCourpuisseappliquerdescritèresjudiciaires appropriési;ls'agitdepouvoir se fondersur lesfaits

allégués qui sont cités,de savoir qu'il a des allégationsqui sont avancéeset qui peuvent être

prises au sérieux, commesusceptibles d'engagerune responsabilité internationale. Monsieur le

président,je ne compte plus le nombre deprétendus((incidents))dont leNigéria amontré aucours

de cette procédure oralequ'ilsétaient totalement- totalement- sans aucun fondement comme

Voilàl'insuffisancedont se plaint le Nigéria,
base d'allégation d'une responsabiliinternationale.

et qui, selon lui, empêche quel'examen.de ces questions soit pousséplus loin.

0 50 Le Cameroun rejette comme non fondéela lecture que fait le Nigéria du Statut et du

Règlementde laCour. LeNigériainsistetoutefoissurces textes, car ilsconstituent labasede toute

procédure devantla Cour, et leur importance a été soulignée danlses affaires antérieuresque je

viens d'évoquer. Evidemment, ie lst facile de caricaturer la position duNigériaen lui faisant dire

qu'ildemandeque tousles détailsde fait figurentdans la requêtep, ourmontrer ensuitequ'unetelle

prétentionn'estpas fondée. Mais le Nigérian'ajamais prétendu cela.Le Nigéria fait valoir que

c'est larequête quiintroduit uneaffaire et qui en détermineles limitesessentielles; mais il admet

aussi qu'un demandeur étoffe sarequêtedans son mémoire, dans certaines limites - de telle

manière que,par exemple, la nature et la portée del'affairen'en soient pas changées. C'est mal

interpréterlaposition duNigéria qued'affirmer, commel'afait M. Kamt~~~q,ue leNigéria rejette

l'amplification,dans le mémoire,d'incidents évoqués dans unerequête :dans le passage des

exceptions préliminairesdu Nigériaqu'ilcite, le Nigériacontestait simplement au Cameroun la

facultéde donnerdes détailsau sujetde certainsévénements totalement no inentzfiésaupréalable.

Il n'y a rien d'illogique non plusà demander qu'une requête soistuffisamment détailléeet à

reconnaître en même temps quele mémoirepuisse développerdavantage la requête : c'est dire -44 -

simplementque lapremièreétape- larequête- n'apas besoind'être entièrementcirconstanciée,

mais qu'elledoit au moins en dire assez pour montrer en quoiconsiste l'accusation portée contre

le Nigéria et si c'est lecas, le mémoirepeut ajouter d'autres détails.

Le Camerounavanceque leNigériaa adoptéunecurieusenotionde laresponsabilité d'~tat?~,

mais l'explicationque donne le Cameroun decette curiosité disparaîtraits'ilvoulait seulement se

rappeler que la procédureen cours concerne les exceptions préliminaires,et non pas le fond.

Commenous l'avonsdéjà expliqué au sujetde lacinquièmeexceptionpréliminaire,et commenous

l'avonsdit le 3 mars3',les incidents de Bakassi et du lac Tchad reflètent des positions différentes

adoptéespar lesdeux Etats. Il ne sertvraimentà rien que le Camerounaffirmemaintenant que la

Cour ne peut absolument pas déciderque Bakassi appartient au Nigéria etque par conséquentle j

Nigéria ne saurait absolumentpas justifier cequ'ily a fait comme s'agissantde manifestationsde

sa souverainetédans cetterégion31 :tout cela concerne le fond, et n'apas sa place ici. Ce que l'on
051
peut dire,à ce stade, c'est quesi la Cour devait en arriveà trancher la question du droit légitime

à cette région, alors cequ'unEtat a pu faire dans une région dont lasouverainetélui estreconnue

ne saurait constituer une incursion dans le territoire de l'autre. Mais il est important de noter,

Monsieur le président,que l'inversen'est pasnécessairementvrai :si la souverainetéd'unEtat est

établie surune région donnée, in le s'ensuit pas nécessairemenq tue tous les actes de l'autreEtat

danscette régionappartenantau premierdoiventautomatiquementêtre considéréscomm desactes

illicitescommiscontresasouverainetéterritoriale- ily auraitplutôtlieud'examinerces actespour I

voir s'il en existe des justificationspossibles.

La situation, en fait, n'est pas toute simple. Comme le Nigéria l'a observéla semaine

si les différends frontalierset territoriaux doivent se transformer simultanémenten

affaires de responsabilitéd'Etat,les problèmesseront aggravés,etnon pas résolus. En outre, non -45 -

seulement des problèmes de fond risquent-ils d'être aggravés,mais aussi, si les plaidoiries

concernantlesaffaires frontalièresdoiventêtre encombréeésgalementde questionscontingentes de

responsabilitéd'Etat,cela compliquera beaucoup la tâche de la Cou- et des parties -pour le

traitementdeces affaires. Lacapacité delaCourà s'acquitterefficacement,entoutes circonstances,

de sa fonctionjudiciaire serait, selon le Nigéria, gravemententravée.

Monsieur le président,Madame et Messieurs dela Cour,j'en termineainsi de la répliquedu

Nigériaau sujet des cinquièmeet sixièmeexceptions préliminaires. Puismaintenantvous inviter

à appelerà la barre M. Crawford, quitraiterades septièmeethuitièmeexceptions préliminairesdu

Nigéria.

Merci, Monsieur le président.

Le PRESIDENT :Merci, sir Arthur. M. Crawford.

M. CRAWFORD : Monsieur le Président, Madameet Messieurs de la Cour.

A. Le contexte factuel

A proposdes septièmeet huitièmeexceptionspréliminaires, relatives la frontièremaritime,

permettez-moi de commencer par un certain nombre dequestions de fait.

052 Fait noI. Il n'ya aucune trace de négociationsvéritablesentre les Parties au sujet de la

délimitation de leurszones maritimes au-delàdu point G. La semaine dernière,j'ai fait observer

qu'aucun document relatif à de telles négociations n'avaitétéprésenté(CR 9812, p. 50).

M. Bipoun Woum, vendredi,n'ena mentionnéaucun. LaCourpeut doncpartirde l'hypothèsequ'il

n'enexiste pas. Il n'ya absolument aucunepreuve de telles négociations surle fond.

Fait no2. Le Camerounn'apas abrogé la loino74/16,du 5 décembre1974,proclamant que

sa mer territoriale s'étendàicinquante milles. Il n'apas non plus adopté deloi proclamant une

zone économique exclusive. Vendredi,le conseil du Cameroun a affirméque ces deux choses

étaient considéréecsomme acquises, non par suite d'une mesure législative qu'auraitprise le

Cameroun,mais grâce àl'effetconjugué desa constitutionet de sa ratificationde la conventiondu

droit de la mer de 1982. Je vais traiter de ces deux zones successivement. La mer territoriale: Je suis accusé d'avoir mal présenté la position du Cameroun.

L'article45 de la constitution camerounaise,dit Highet, a fait tout le nécessaàrla place du

législateur(CR 98/4, p. 55; voir aussi CR 9814,p. 47 (M. Bipoun Woum)). L'avis de l'Amirauté

britannique de 1998, quej'ai citéla semaine dernière, serait simplementerroné.

- Eh bien,cette erreurest courante. C'estune communiserror. Une erreurgénérale. Ellest

faite auxNations Unies, par la division des affaires maritimeset du droit de la mer1. Par le

bureau des affaires maritimes, au départementEtatdes Etats-Unis, aussi2. De même dans

les textes publiés relatifs aux revendicationsmaritimes3. La Cour trouvera les références

correspondantesdans le texte de mon exposé.

- Et qui plus est, cette «erreur courante))semble refléterla situation au regard du droit -

camerounais. M. Highet nous disait citer le texte de la disposition pertinente de la

constitution, l'article 45, mais,ce faisant, il a omis un membrede phrase restrictif important

(CR 9814,p. 55). M. Bipoun Woum, pour sa part, a paraphraséle texte, en évitantluiaussi

la restrictionde natuàecréerdes difficultés (CR9814,p. 47). Permettez-moide combler
053
cette lacune. [PROJECTIONDE L'ARTICLE 45.1 L'article45, dans sa version intégrale,

se lit comme suit:

«Dulyapprovedorratifiedtreaties and internationalagreementsshall,following
theirpublication,overridenational laws Ljusquelà,c'estla citationde M. Highet,mais
il s'y ajoute les mots]provided the other party implements the said treaty or
agreement.))

Et le texte fiançais, comme on peut l'attendrede la langue de Corneille, est encoreplus:clair

«Lestraitésou accords internationauxrégulièrementapprouvéo su ratifiés ont,
dèsleurpublication,une autorité supérieurecelle des lois,sousréservepour chaque
accord ou traité,de son application parl'autrepartie.))

'TheLaw oftheSea. NationalLegislationonthe TerritorialSea,theRightofInnocentPassageandtheContiguousZone
(United Nations, NY1995),p. 78.

'Departmentof State, Office of Ocean Affairs, Limits in t(p revision), NationalCIaimsto Maritime
Jurisdiction(Washington,1995),p. 22.

3Seee.g.,A.Roach& R. W. Smith, UnitedStatesresponresto ExcessiveMaritimeClaims(Nijhoff,TheHague, 1996),
pp. 154, 161. - 47 -

Les mots quej'ai mis en italiquesont étéomis par les conseils du Cameroun, dont chacun

a fait son choix sélectif. Maisil ressort clairement de cette clause de réciprocitéqu'iln'est pas

question d'inconstitutionnalitéautomatique ici.Au mieux, la situation reviente pas appliquer

une loimoyennant réciproqué c,ommeentredesEtatsparties à untraitéquine serait pascompatible

aveccette loi,dansla mesurede cette incompatibilitéet sousréservequesonapplicationpar l'autre

Etat soit établie. Vis-à-vis d'Etatsqui ne sont pas partiàsla convention de 1982, comme les

Etats-Unis, la mer territoriale du Cameroun est toujours de cinquante milles. Elle existait erga

omnes au moment où le Cameroun a introduit sa première instance, parce que la convention

de 1982n'était pasencoreentréeenvigueur4.Quelleest lasituationmaintenant,entre leCameroun

et d'autresEtats partiesla conventionde 1982qui ne prétendentpas à plusde douze milles ? Ce

n'estpas clair,et apparemmentaucuntribunal camerounaisn'aexaminélaquestion. Le Cameroun

fait-il valoir ses droiàsune mer territoriale vis-à-vis de ces autres parties sur une base de

réciprocité? C'est-à-direune mer territoriale de trois milles vis-à-vis d'unEtat qui a lui-même

proclamé une merterritoriale de trois milles, unemer territoriale de six milles vis-à-vis d'unEtat

qui en réclamesix, etc. L'obscuritéplane sur la question;en fait, cela n'aguère desens deparler

de mer territoriale réciproque. Lereste du monde part de l'hypothèseque chaque Etat revendique

de façon déterminéeune mer territoriale d'une largeur déterminée.Et, comme je l'ai dit, la

législationcamerounaisecomportetoujoursune loiquirevendiqueune merterritoriale decinquante

millesmarins. AucunEtat, à ma connaissance, ne s'estfondé sur laconventionde 1982pour fixer

lalargeurdesamerterritoriale,etmoinsencorepourabrogerunerevendicationantérieureexcessive

qu'ilaurait faite. En outre, les Etats partiesa convention du droit de la mer conservent leur

O proprelégislationrelativà lamerterritoriale,même sic,onformément à leurconstitution,lestraités

ont force de loi. C'estsans aucun doute pour des raisons de cet ordre que les Etats-Unis, par

exemple, ont presséle Cameroun à plusieurs reprises d'adopter une«législationpositive))en vue

d'abroger saloi de 1974. Toutefois, le Cameroun s'yest refuséjusqu'à présent, en évoquandtes

((difficultéspolitiques)).

4~apremiére requteété déposéele mars1994.La conventiond1982est entréeen vigueurle 16nov1994. - 48 -

- J'aimerais signalerune autre difficulté pource qui est de ((l'erreurquechérissenM. Highet

et M. Bipoun Woum et qu'ils ont continuéde commettre vendredi. Je veux dire l'erreur

d'affirmer quel'article 45de la constitution créeunemer territoriale de 12milles et emporte

annulationde la loi de 1974. Car le Camerounn'ajamais euune mer territorialede 12milles.

En 1967, il est passé directement de 6 à 18 milles, avant de sauter à50 milles en 1974,

réduisantainsi à néant,soit dit en passant, le paradoxe de Zénonen progressant plutôtplus

rapidement que lentement5. Or la convention de 1982 autorise mais n'exigepas une mer

territoriale de 12milles. Si la loi de 1974 était inconstitutionnelle,le Cameroun aurait

- peut-on le présumer- une mer territoriale de 6 milles, on en reviendraià la situation

juridique antérieure.Maiscette loi n'estpas inconstitutionnellecommeje l'aimontréet comme 4

leconseil constitutionnelfrançaisn'acesséde l'affirmer lorsqul été appeléàse prononcersur

des dispositions analogues de la Constitution française6.

- Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour,le Cameroun reconnaîtra peut-êtru en

jour son erreur. Mais hélas,comme c'estsouvent le cas, «qui chéritson erreur ne la veut pas

connaître))',sije puis citer Corneille.

Quant àla zone économiqueexclusive :M. Highet a affirméque tous les Etats partiesà la

conventionpossèdentunetelle zone, qu'ilslesouhaitent ounon (CR 9814,p. 56). Cetteaffirmation

est évidemment contraire à la pratique. Jusqu'à présent,les Etats ont revendiquédes zones

spécifiques, des zones depêche ou deszones économiquesexclusives, en adoptant des lois
I

expresseset n'ontpas invoqué laconventionde 1982. Démarchequi s'expliqueessentiellementpar

le fait que les dispositions de la convention de 1982 ne sont pas directement applicables. Elles

doiventêtremises en Œuvrepar une loi expresse. En vertude l'article57, la largeurde 200 milles

O 5 5 est un maximum qui n'estpas obligatoire. De plus, 1'Etatqui revendique une zone économique

'~aprogressionétaitla suiv:6 milles marins,dét2-DF-216,25juin 1962;18millesmarins, Loino67/LF/25,
13novembre 19675;0 milles marins,Loi no74/16, 5décembre1974.

6Voirpar exemple la décisiondu conseil dans l'affairede la Loi sur l'interruptiodevla grossesse,
15janvier 1975,Recueildu conseil constitu, 975,p. 19. Cetarrêatconfirméàdenombreuses reprises.

'Corneille,Polyeucte,acteIII,scéneIII. -49 -

exclusive assume d'importantesobligations,par exemple autitre des articles 61, 62, 71, 72 et 75

de la convention. Le Cameroun n'apas indiquépar uneloi oude toute autre façon qu'ila assumé

ces obligations,que ce soitjusqu'à la limitede 200 millesoupas dutout. Surle planlégislatif,tout

ce qu'il a,c'estune mer territoriale demilles.

Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour,je passe maintenantau fait no3.

Les Parties n'ont pas encore tentéde définirun tripoint commun entre les zones maritimes du

Nigéria,du Cameroun et de la Guinéeéquatoriale. Et ce en dépitdes nombreux appels à la

négociation lancéspar le Nigéria. J'ai abordé cepoint dans mon exposé lasemaine passée

(CR 9812,p. 42-43), mais aucun des conseils du Cameroun n'a choisid'yrépondre.L'explication

de l'absence de discussions réside peut-être dansle fait que le Cameroun, bien qu'il eût

antérieurementreconnuqu'ilétaitessentieldedéfinirletripoint,aff~rmemaintenantpour lapremière

fois qu'iln'existe pasdu tout de tripoint entre les trois Etats. Il y a plutôt, entre le Nigéria etla

Guinée équatoriale,une bande continue de territoire maritime camerounais s'étendantjusqu'à

l'océanAtlantique. Au lieu donc qu'ilsoit essentiel de définirle tripoint, le Cameroun affirme

maintenant pour la premièrefois que cela est inutile, voire impossible.

Passons maintenant aufaitno 4. C'est-à-dire,commeje l'aidit la semaine passée,que plus

de quatre-vingts pour cent des points situésle long du tracéque le Camerounrevendique au-delà

du point G sont plus proches de la Guinéeéquatorialeou deSao Tomé-et-Principe quede Bakassi

ou du Cameroun. Il s'agitlà d'unautre élémentque lesconseils du Camerounn'ontpas tenté de

réfuter. Ils n'ontd'ailleurs pas formuléla moindre observation sur nos cartes.

Et j'en arrive pour terminer auitno5. M. Highet s'est plaint dela couleur utiliséepour

représenterla presqu'île deBakassi sur nos cartes (CR 9814,p. 54). Je puis l'assurerque celle-ci

est d'unvert vif. Et il ne saurait vraiment se plaindre du fait que le Nigéria continue,dans le

contextede laprésenteinstance,dese fondersur lapositionqu'elleaadoptéepubliquementau sujet

de la presqu'île puisque c'est sur cette position que repose la compétence que pourrait

éventuellement avoirla Cour de connaître du différendopposant les Parties. [MONTRER LE

TRIPOINT] Mais àsupposer- quodnon - qu'ilseraitestiméou décidé que Bakassaippartient

au Cameroun, la Cour serait peut-êtreintéressée desavoir approximativement où se trouve le tripoint géographiqueou cartographique entreles trois Etats. Vous pouvez le voir maintànant

l'écran,il se trouàeenviron 28 milles marins des points les plus proches de la presqu'île de

Bakassi, du reste du Nigéria et dela Guinéeéquatoriale. La carte se trouve sous la cote 48 du

dossier qui vous a remis. Ce point cartographiquese situe aussiviron 13milles marins au

sud du point G. [MONTRERL'EMPLACEMENT DUTRIPOINTPAR RAPPORTAU TRACÉ

O 5 6 REVENDIQUÉ AU-DELÀ DU POINT G] Son emplacement n'a aucun rapport avec le tracé

revendiquépar le Cameroun, que vouspouvez voir maintenantreportésur la carte.

D. Septième exceptionpréliminaire :La demande tendant à la délimitation dela frontière
maritime est irrecevableà ce stade

Monsieur le président, Madameet Messieurs de la Cour,je passe ensuiàela réponsedu W

Cameroun à la septièmeexception préliminaire.

1) Lafrontière maritime dans soennsemble

En premier lieu, ily atrèspàuajouterau sujet de la frontièremaritime dansson ensemble.

Les Parties reconnaissent qu'il se pose un problème sérieuxde méthodejudiciaire lorsque

l'emplacementde la frontièreterrestre etde la frontièremaritime contiguë soulève des différends

indépendants. Le Cameroun soutient que la Cour devrait se prononcer sur la question de la

méthode après que les Parties auront produit leurs écritures au fond (CR 9814, p. 52-53,

M. Bipoun Woum). Sansvouloiren direplus,il s'agitlàd'unedémarcheinefficaceet, saufentente

expresse entre les Parties, le Nigériasoutientqueêmesi la Cour est compétente pourstatuer
I
à la fois sur la frontière terrestreet la frontièremaritime, ce qui n'estpas le cas en l'espèce pour

d'autres motif- des considérationsd'efficacitéet d'opportujudiciaire jouent mêmeainsi en

faveurde la disjonctiondes deuxvoletsde l'affaire. C'estce que lesparties avaientacceptéde faire

dans l'arbitrage qui se dérouleactuellemententre I'Eryet le Yémen. Maisle Nigérian'apas

eu l'occasiond'indiquersonaccord. La présenteaffaire aintroduitesanspréavisni négociation,

quece soit au sujet de la manièrede procéderou de toute autre chose. si la Cour se déclare

compétentepour statuer sur le secteur allantjusqu'au point G, le Nigéria soutientqu'ilconvient

d'examinerle problèmedes zones terrestre et maritime lors de phases distinctes. - 51 -

2) Lafrontièremaritimeau-delàdupoint G

J'enviens maintenantà la question du plateau continentalau-delà du point G.

Permettez-moi d'abordde rappeler la thèsede M. Cot selon laquelle il y a une différence

entredélimiter des frontièresterrestreset des frontièresmaritimeset quecette différencerevêt une

importanceparticulière lorsqu'l'ya eu aucunetentative de délimiterlafrontièreen causepar voie

conventionnellecommec'estincontestablementlecas pour lafrontièremaritime au-delàdupoint G

(CR 9814,p. 17). J'eussesouhaité queM. Cot portât cette distinctioà la connaissance de son

confrère. Car M. Bipoun Woum a cité comme précédents principaux quant à l'obligation de

ç)57 négocierune frontière maritime deux affaires visant au premier chef des frontières terrestres

(CR 9814, p.45-46). Lepremierétaitl'affaire duDroit depassage elle-même(C.I.J.Recueil 1957,

p. 125). Mais cetteaffairene soulevaitpasde questionde délimitationdefrontièresmaritimes,elle

ne concernaitquedes enclavesen territoireindien. Le deuxièmeétaitl'avisconsultatifsur leic

ferroviaire entre la Lituanieet la Pologne (C.P.J.I.série n042, 1931) décisionde la Cour

permanentequi,ainsiqu'ilressortdudossier,visait unevoieferréeterrestreplutôtqu'unevoieferrée

franchissant une zone maritime.

Ce que M. Bipoun Woum ne pouvait se résoudre àaffronter, autre erreur qu'ilchérit sans

pouvoir la reconnaître, c'est le fait que le paragraphe 1 des articles 74 et 83 de la convention

de 1982 établit une règle de fond en matière de délimitation. Cette règle lie les parties

conventionnellement mais elle est aussi, en tout état de cause, la règle applicable du droit

international général. Le paragraphe 1 de l'article83 énonceque la délimitationdu plateau

continental«est»effectuée«par voie d'accordconformémentau droit internation...afin d'aboutir

à une solution équitable)). Et notez le temps présentqui est employépour marquer l'obligation.

C'estlà la règlede fond applicable. Ce n'estque si on ne parvient àaun accord dans un délai

raisonnable que le paragraphe2 de l'article 83autorise les partiesir recoursauxprocédures

applicables pour parvenià un règlementpacifique. Il n'ya d'ailleurslà rien de nouveau. C'était

la règle proposéedans la déclarationTruman qui avait reçu l'aval de la Cour dans les arrêts

fondateurs du Plateau continentalde la mer du Nord ainsi que de la Chambre dans l'affairedu GoIfedu Maine, et qui n'acessé d'êtrienvoquée depuis lorss. Ce n'estpas la mêmechose que

d'affirmerqu'une délimitationmaritime ne peut s'effectuerunilatéralementmêmesi cela est aussi

vrai. C'est une règlepositive et non négative;la délimitation«est effectuée par voie d'accord)).

Lorsqu'elleveut formulerune règlenégative,la conventionde 1982sait comment le faire. Ainsi

par exemple à l'article57 qui prévoitque la zone économiqueexclusive«ne s'étend pas au-delà de

200 milles marins))de la ligne de base ouà l'article3, qui confèreaux Etats le droit de fixer la

largeur de leur mer territoriale et qui précise que«cette largeur ne dépasse pas12milles)). Le

paragraphe 1de l'article83ne contientpas de négation.Ni d'ailleursleparagraphe 1de l'article74

s'ily a lieu d'en tenir compte. Le paragraphe 2 des articles 83 et 74 a également une formulation

positive. La position est donc tout fait claire.

058 M. Bipoun Woum s'est interrogésur la sanction qui s'appliqueraiten cas de violation de

l'obligationimposéepar leparagraphe 1de l'article83(CR 9814,p. 48). Il semblaitpenser que les

seulesrèglesdu droit internationalsont celles qui entraînentdes sanctions,en d'autrestermes que

l'ensembledu droit international met enjeu le droit de la responsabilité des Etats. Monsieur le

président,Madame et Messieurs de la Cour, ce n'est heureusementpas le cas. De grands pans du

droit international régissent les relations entre les Etats sans toutefois faire intervenir la

responsabilitédesEtatsni souleverdesquestionsderesponsabilitédélictuelleetderéparation.Cela

vaut par exemple pour le droit relatifa souverainetéterritoriale. Le fait de savoir si l'EtatA ou

1'EtatB exerce sa souverainetésur un territoire donnén'ajusqu'à présentjamais étéconsidéré
J
commerelevant du droit de la responsabilitédes Etats. Si c'était lecas, le règlement des conflits

frontaliersse compliqueraiténormément,comme l'asignalésir Arthur.lenestainsi demême d'un

nombreconsidérabled'obligationsdenatureprocéduraleacceptéesplaersEtatsendroitinternational

contemporain,ce sont deréelles conditions,de réelles obligationsdnature procédurale. Prenons

par exemplel'article102de la chartequi exige d'enregistrerles traités.LesEtats qui n'enregistrent

pas leurtraitéengagent-ilsleur responsabilitéinternationale dufait de cette omis?iNul ne l'a

jamais affirmé. L'obligationde nature procéduraleentraînedes conséquencesd'ordreprocédural.

'VoirEPN,par.7.18-7.25;CR9812,p. 48-49. - 53 -

Et ilen est de mêmeavecl'obligationde natureprocéduralefigurantauparagraphe 1desarticles 74

et 83 de la convention de 1982. Le fait de devoir tenter de parvenir à un accord sur une

délimitation maritimedans un délai raisonnabley est expressémenténoncé comme une condition

préalableau recours aux procéduresde règlementpacifiqueviséesau paragraphe 2 des articles 74

et 83. Or commeje l'aimontré,il n'ya eu aucunenégociationau sujet des secteurs situés au-delà

du point G, aucune négociationsur l'emplacement d'unéventuel tripoint qui aurait fait l'objetd'un

accord, et encore moins au sujet des vastes zones qui se situent au-delà du tripoint et dont le

Cameroun revendique aujourd'huila propriété.

M. Bipoun Wouma en outre soutenuque la nécessitéde parvenirà un accord n'était niune

voie exclusive, ni une voie obligatoire de délimitation,et elle peut ou non coexister avec la

procédurejudiciaire)) (CR 98/4, p. 47). Personne n'ajamais affirmé que c'était la seule voie

évidemment etce n'estpas ce que dit l'article 83. Mais son paragraphe 1 dit que cette démarche

est obligatoiredans unpremier tempset la Cour a expliquépourquoidans les affaires du Plateau

continental de la mer du Nord. 11se peut que l'obligation denégocierau sujet du plateau

continental constitue, pour reprendre la formulation de la Cour, «une application particulièred'un

principe, quiestàla basedetoute lesrelationsinternationales))(C.i.1 Recueil 1969,p. 47,par. 86),

mais il s'agitprécisément d'une applicatiopnarticulièreformulée expressément dansles sources

depuis la proclamation Trumanjusqu'à laconventionde 1982. Et l'idéeque des négociations sans

préalable entre deux Etatspuissent coexister avec une action enjustice entre ses mêmesEtats est

dénuéede vraisemblanceem t anque de réalisme.Bien au contraire,il est pratiquementcertain que

l'introductionpar une partie d'une action en justice de manière préventive et sans négociations

empêcheratoutenégociationsérieusepar la suite. La démarchejudiciaires'imposera; despositions

initiales, peut-être extrêmes, figeront encore plus et le processusde délimitation dégénéreern

une course pour atteindre le premier le palais de justice.

M. Bipoun Woum a soutenuque cette position équivalait à interdire le recouàsune tierce

partie «en l'absence dediscussions précisessur chaque portion de cette délimitation))(CR98/4,

p. 51). Mais il ressort du dossier, au-delà du point Gyque non seulement il n'y a pas eu de

discussions précises surchaque portion de laligne à délimiter,mais aussi qu'iln'ya eu aucune - 54-

discussion sur n'importe quelleportion de celle-ci et plus particulièrementsur aucune portiondu

tracéque revendique le Cameroun actuellement, partir de l'instant moù la tortue s'estmise

en marche le longdu tracéque revendiquele Cameroundans une directionplein ouestdupoint G.

Les documents ne font étatd'aucune discussion. On n'entrouve pas la moindre trace.est la

simple réalité.Et il s'ensuitde cette réalité, Monsieulre président, Madameet Messieursde la
Cour,et du libelléclair des articles83de la conventionque la revendicationque leCameroun

fait valoir l'égardde zones maritimes situées au-delàdu point G est irrecevable.

E. Huitième exceptionpréliminaire:La délimitationde lafrontièremeten cause directementle
droitd'Etats tiers

J'en viens maintenanà la huitième exception préliminairedu Nigéria quiconcerne les
-
incidences pour les Etats tiers de la demande tendant à faire délimiterla frontièremaritime du

Cameroun,et enparticulierpourlaGuinéeéquatoriale.J'aidéjàanalyséletracérevendiqu,ntitulé

«la délimitation équitable))ainsi que ses conséquencessur lezsones appartenantde primeàbord

des Etats tiers. Ni M. Bipoun Woum niM. Highet n'ontformuléd'observations vendredisur les

cartes que nous avons montrées. On peutdonc considérerque ces cartes traduisent de façon

généraleles conséquencesde la demande du Cameroun. [MONTRER LA CARTE AVEC

SUPERPOSITION DU TRIPOINT]. 11n'a pasnon plusété nié quele Cameroun veut obtenirune

bande de territoire maritime au sud etest dutracéqu'ilrevendique bien qu'onne nous ait pas

encore dit qu'elleen serait la largeur.
'Iir
A cet égard, l'exposde M. Highet vendredi était remarquable tantpar la richessede ses

allusionsclassiquesquepar sonabsenced'intérptour leproblèmeauquelnoussommesconfrontés.

Et leplus remarquablepeut-êtrfut le faitqu'iln'a pasutilisédeuxmots, le mot «Guinée»et le mot

((équatoriale)).Il est vrai qu'ila utiliséune fois le mot Guinée assortidu mot «Bissau». Mais la

Guinée-Bissauestbien loin. Peut-être que ltaortue de Zénon finiraparriver mais il lui faudra

bien du temps.

Il en est tout autrementde la Guinéeéquatori,om que M. Highet s'interditdeprononcer.

Mêmela tortue parviendrait très rapidementau voisinage de la Guinéeéquatoriale,sans parler

d'Achille. Et la question qui se pose est de savoir si la jurispmdence et la pratique de la Cour - 55-

permettentà celle-ci de se prononcer sur une délimitation bilatérades secteurs intéressant

directement la Guinéeéquatoriale,dans des secteurs situésaux alentours de la zone restreinte se

trouvant entre le point G et le tripoint. [MONTRER LA CARTE TUNISIE-LIBYE]

La thèsede M. Highet sur ce point capital était double. Il a d'abordqu'il s'agissait

d'une contradictionlogiqueimpossible pourensuite affirmer que la contradictionlogique pouvait

être résoluelors de la phase sur le fond. Permettez-moi de répondredans l'ordreces deux

arguments.

En premierlieu,l'argument logique.Les avocatsqui ont des difficultésavecles faits adorent

lesargumentsde logique. C'estcommesi cela les aidaàcacher lefaitqu'ilssont nus. L'argument

développé parM. Highet se fondait sur le paradoxe d'Achilleet de la tortue de Zénon(CR,

p. 58). La Cour se rappellera sans aucun doute qu'ils'agit là d'un paradoxe mathémaondéfe

surla propositionquelerésultatdeladivisionconstantepardeuxd'unnombredonnéne serajamais

égalà ce nombre. Parexemple, si le nombre est un, la moitié, lequart, le huitième,le seizième,

le trente-deuxièmejusqu'àl'infinine fera jamais unj'ai toujours voulu êtreun professeur de

mathématiques. Selonce paradoxe,Achille ne rejoindrajamais la tortue parcequ'ildevra d'abord

parcourir la moitié dela distance et ensuite la moitié dela distance qui restejusqu'àl'infini. C'est

un paradoxe plaisant et tout ce que nous avions besoin de savoir vendredi c'étaitquelle était sa

pertinence par rapportnotre problème. Car notre problème,c'estque trèspeu aprèsle point G

nous nous trouvonsdans des zonesqui relèventtrès probablementde la Guinée équatoretdont

ladélimitationéchappeàla compétencede laCour danslaprésenteinstance. C'estpour ne pasvoir

ce fait brut que Highet s'estréfugié derrièeon paradoxe. [MONTRERLE TRACÉQUELE

CAMEROUN REVENDIQUE AVEC LE TRIPOINT]

On peut certesaccepter que cette exception ne s'appliquàla déterminationdupoint G

lui-mêmeen supposantpour l'instantquetous les autres obstacles s'oppàsladéterminationde

la frontièremaritime ont étésurmontés. On peut aussi accepter qu'elle ne s'appliquepasa

déterminationdu point G un mètreplus loin ou cent mètres plus loin, dans des zones qui sont

clairementencoreplusprochesde l'uneou l'autredesPartiesque d'unEtattiers enprenant certaines

hypothèses comme points de départ. Mais cela n'autorise pasM. Highet àfaire progresser
0 61 - 56 -

obstinémentsatortue jusqu'auboutdutracéque leCamerounrevendiqueoujusqu'àun endroit s'en

approchant plus ou moins. Le problèmeest tout à fait différentet apparaîten pleine lumière dans

un passage clédu mémoiredu Cameroun que j'ai cité lasemaine passéeet que M. Highet a

complètementomis d'aborder. Le Camerounavait alors déclaré - et je répètece passage - %

qu'«unesituationcomme celle de la présenteaffaire nécessiteun équilibragecollectif deséquités,

des avantageset des inconvénientsentre les différentsEtats du littoralde la baie de Biafim (MC,

par.5.114). Sicela est vrai,il s'ensuit queletracérevendiqué parle Camerounest irrecevabledans

son ensemble. La seule chose que la Cour ne peut faire en la présenteinstance estde se livàer

un équilibragecollectif des droits équitables.Se déclarercompétenteen l'espècereviendraitpour

'W
la Cour à indiquer aux autresEtats intéressés qu'eentendprocéder à cet ((équilibracollectif))

quelles que soient les attitudes que ces Etats pourraient adopter, quel que soit l'effet qu'une

délimitation pourraitavoirà leur égard. Cela forcerait très probablement ces Etaàintervenir,

chose que la Cour ne devrait pas faire et qu'ellen'acesséde dire qu'elle ne pouvaitpas faire.

Je souligne, Monsieurle président,Madame et Messieurs de la Cour, que nous parlons de

l'irrecevabilitéde la demande du Camerountelle qu'elleest formuléedans sa requêteet dans son

mémoire, demandetendant à la délimitation del'ensembledes eaux au-delà du pointGjusqu'à la

limite de 200milles. Cettedemande est irrecevable;elle débordelargement lacompétencequ'ala

Cour de statuersurle différend opposantleNigériaauCameroun. Il esttroptard pour le Cameroun

de retirer cettedemande et de lui substituerune demande beaucoupplus modeste invitant la Cour e

à délimiterles eaux relevant clairement du Nigériaet du Cameroun et n'atteignant pas n'importe

quel tripointdonné.Il s'agiraitalorsd'uneentreprisemodeste, d'unremakeen miniatureen quelque

sorte de ce que la Cour a accompli dans l'affaireTunisie/Libye,d'une apparitionéclair dela Cour

au large de Bakassi ouà un autre endroit quelconque. [MONTRER LE TRACE REVENDIQUE

PAR LE CAMEROUN] Maisce queleCamerounrechercheest biendifférent,c'estunrôlevedette

pour la Cour dans l'ensembledu golfe de Guinée,où le Nigériaet le Cameroun seraient deux
3
personnages à la recherche des autres acteurs. La Courne peut contraindre les acteurs càés -57 -

participeràcette représentation,la Guinée équatoriaet Sao Tomé-et-Principe,et elle ne devrait

pas selancerdansuneproductionquiexigerait leurprésences ,itantestqu'ilconvientd'entreprendre

cette production.

J'enarrive ainsi au deuxième argumentde M. Highet selon lequel tout cela se rattache au

fond ou du moins ne revêtpas un caractèreexclusivement préliminaire. Selon M. Highet, une

62 demande tendant à faire délimiterune zone maritime ne peut jamais, au grand jamais, être

irrecevable. Elle se rattacheratoujours au fond car elle exigera toujours un examendes questions

de fond opposant les parties et les Etats tiers ne serontpas affectésdu fait de l'articleut

et de leur statut en tant que tierces parties (CR p. 60-62). Ce raisonnement montre le parti

extrêmeauquel est réduitM. Highet pour trouver un moyen qui permettraità la Cour d'examiner

le tracérevendiquépar le Camerounet de se livreràcette entreprised'équilibrage collectif.Il l'a

pratiquementobligé àabolirl'ensembledesrèglesderecevabilitéà l'égarddesdemandesmaritimes.

Il l'aaussi obliàtrouveruneexplicationconvaincantepourrejeter la démarcheadoptéepar

la Cour dans l'affaireLibye/Malte.[MONTRERLA CARTE LIBYEIMALTE]Car la Cour avait

décidé dans cette affaire qu'elleétaitsans compéten,e répète,sans compétencepour délimiter

des zonesmaritimes revendiquéespar un Etat tiers. Et c'estla décision qu'avait prise dans un

contextegéographiquebienmoinsexceptionnelqueceluide labaiedeBiafra. Et que dit M. Highet

de cette affaire Simplement que la Coura traitéla question au stade du fond (CR 9814,p. 61).

Il n'apasnié quelacompétence de laCourétaiten causeen ce quiconcerne leszonesrevendiquées

par l'Italie. s'estbornéàdire que la Cour pourrait protégerles droits des Etats tiers (Etats dont

il ne peut se résoudreàprononcer les noms)lors de la phase sur le fond. Mais cette solution

négligel'évidencemême, à savoir que la Cour ne peut traiter du fond dans ces zones de

chevauchement. Il ne s'agit pasde protéger,il s'agitde s'abstenir. La Cour ne doit pas accepter

de descendredans l'arène lorsqu'lst clairqu'elledevra,aprèsl'avoirfait, se refuserer le rôle

que ledemandeur lui a attribué. Iln'ya absolumentaucune raison pourlaquellela Courne devrait

pas prendre cette décision maintenant. -58 -

A titre d'illustration,supposonsque dansl'affaireLibye/Malte,les seuleszonessur lesquelles

la Cour étaitinvitéàse prononcer aient étcelles que revendiquaitl'Italie. Supposonsaussi que

les parties avaient déjà délimipar voie d'accord la zone centralesur laquelle la Cour s'est

effectivement prononcéedans son arrêtet que celles-ci lui demandaient de se prononcer sur les 4

zones contestéespar l'Italie. Peut-on douter que la Cour aurait refuséde le faire en l'absencede

l'Ital?e [MONTRER LE TRACE REVENDIQUEPAR LE CAMEROUN] Et dans une affaire

commecelle quinousoccupe,où cetteexceptionest régulièremens toulevée àun stadepréliminaire

conformémentau Statut et au Règlement,pourquoi la Cour ne pourrait-elle pas se prononcer

maintenant ? La demande concernant le tracéque revendique le Cameroun est irrémédiablement

irrecevable, la Courest sans compétencepour statuer sur celle-ci en l'espècepour les raisons que'J

j'aiénoncéesla semaine dernière et queM. Highet à peinetentéde réfuter. Mais, a-t-il déclaré,

occupons-nousen detoute façon, débattonsde l'ensemblede ce tracéau cours destrois prochaines

O 6 3 années,occupons-nousdes interventionsdes deuxautres Etats si elles se produisentet lorsqu'elles

se produiront (le Camerounne nous a pas dit quelle sera son attitude faceinterventions). Et

laissonsensuite la Cour refuser de se prononcer,comme elle doit le faire, suivanten cela son arrêt

Libye/Malte,en l'absencedes deux Etats intéressés. Débauchd'effortsen pure perte. Les règles

dedroit en matièrede recevabilitéontprécisémentour objetde permettreàla Cour d'éviteruntel

gaspillage d'efforts.

F. Conclusion

Monsieur leprésident, Madameet Messieursde la Cour,noussoutenonspour cesmotifs que

la demande relativeà la délimitationde la frontière maritime est irrecevàbce stade et plus

particulièrement qu'elleest irrecevable quant aux secteurs empiétantsur des zonesà l'égard

desquelles des Etats tiers pourraient faire valoir des revendications.

Je vous prierai.maintenant,Monsieurleprésident,d'appelàrlabarre l'agentduNigériapour

conclurenotre exposé. Je vous remercie, Madame et Messieurs de la Cour.

Le PRESIDENT :Je vous remercie, M. Crawford. Je donne la parolà l'agent duNigéria,

M. Ibrahim. -59 -

M. IBRAHIM :Monsieurleprésident,Madameet Messieursde la Cour,leNigéria afaitde

son mieux pour soumettre à la Cour les moyenset éléments de preuvepertinents afin de permettre

à laCour deprocéder àl'examendes exceptionspréliminaireset pour éviterd'êtreentraînédans des

débats surdes questions dénuées de pertinence.

M. Guillaume a poséune question vendredi après-midi, nous y répondronspar écritdans le

délai quia étéindiqué.

Monsieur le président,Madame et Messieursde la Cour, pour lesmotifs qui ont étéexposés

par écritou oralement, le Nigéria conclut:

Sur la première exception préliminaire

1.1.que le Cameroun,en déposantsarequêtedu 29 mars 1994,a violéson obligation d'agir

de bonnefoi, a abusédu systèmeinstituépar leparagraphe 2 de l'article36 du Statutet n'apastenu

comptede la condition de réciprocitprévue parleparagraphe 2 de l'article36 du Statut, ainsique

des termes de la déclarationdu Nigériadu 3 septembre 1965;
064
1.2.qu'enconséquence,les conditionsnécessairespour autoriser le Camerouna invoquer sa

déclarationen vertu du paragraphe2 de l'article36comme fondementde la compétence delaCour

n'étaientpas remplies lorsque la requêtea étésoumise;

1.3. que, partant, la Cour n'est pascompétentepour connaître de la requête;

Sur la deuxième exception préliminaire

2.1. que, pendant une périoded'aumoins vingt-quatre ans avant le dépôt dela requête, les

Parties ont, au cours des contactset des entretiensqu'ilsont eus régulièrement,accl'obligation

de réglertoutes les questions frontalièresau moyen des mécanismes bilatéraux existants;

2.1.1. que cet ensemble de comportementscommuns constitue un accord implicite de recourir

exclusivementaux mécanismesbilatérauxexistants et de ne pas invoquerla compétence

de la Cour;

2.1.2. qu'à titre subsidiaire,dansces circonstances, laRépubliqueduCamerounn'est pasfondée

(estoppe dinvoquer la compétencede laCour; - 60 -

Sur la troisièmeexception préliminaire

3.1. que, sans préjugerdece qui sera décidé au sujet dela deuxièmeexception préliminaire,

le règlement des différends frontaliersdans la régiondu lac Tchad relève de la compétence

exclusive de la commission du bassin du lac Tchad et que, dans ce contexte, les procéduresde 5

règlementprévues dansle cadre de la commission sontobligatoires pour les Parties;

3.2. que le recours.auxprocédures derèglementdes différendsde la commission du bassin

du lac Tchad impliquaitnécessairement,pour ce qui atrait auxrelationsmutuelles entre leNigéria

et le Cameroun, que ne soit pas invoquée la compétence dlea Cour en vertu du paragraphe 2 de

l'article 36en ce qui concerneles questionsrelevantde la compétenceexclusivede la commission;

Sur la quatrièmeexception préliminaire

4.1. que la Cour ne devrait pas déterminerenl'espèce l'emplacemend te la frontièredans le

lac Tchad dans la mesure où cette frontière constituele tripoint dans le lac ou est constituée par

celui-ci;

Sur la cinquièmeexception préliminaire

5.1. que, sans préjugerde la question du titre du Nigériasur la presqu'île de Bakassi, il

n'existepas de différend concernantla délimitation dela frontièreen tant que telle sur toute sa

longueurentre le tripoint du lac Tchad et la mer, et notamment :

a) qu'il n'ya pas de différend concernantla délimitationde la frontièreen tant que telle dans le *ir

lac Tchad,sanspréjugerde laquestiondutitre surDaraket lesîlesavoisinanteshabitées pardes

Nigérians;

b) qu'iln'ya pas de différend concernantla délimitationde la frontièreen tant que telle entre le

tripoint du lac Tchad et le mont Kombon;

c) qu'il n'ya pas de différend concernantla délimitation dela frontièreen tant que telle entre la

borne frontière64 sur la rivièreGamana et le mont Kombon; et

d) qu'iln'ya pas de différend concernantla délimitationde la frontièreen tant que telle entre la

borne frontière64 sur la rivièreGamana et la mer; - 61 -

Sur la sixième exception préliminaire

6.1.que larequête(et les pièces ultérieuresdansla mesure oùelles pouvaientêtredéposées)

introduitepar leCameroun nesatisfaitpas auxcritèresexigés quantà l'exposé desfaits sur lesquels

elle se fonde, notamment en ce qui concerne les dates, les circonstances et les lieux précisdes

prétendusincursions et incidents imputésà des organes de 1'Etatnigérian;

6.2. que ces carences font qu'ilest impossible

a) auNigériade connaître,ainsi qu'il ena le droit, les circonstancesqui, selon leCameroun, sont

à l'originede l'engagementde la responsabilitéinternationale duNigéria etde l'obligationde

réparationqui en découlepour lui; et

b) à laCour de procéderà unexamenjudiciaire équitableet effectifdes questionsde responsabilité

étatiqueet de réparationsoulevéespar le Cameroun et de se prononcer sur celles-ci;

6.3. que, par conséquent,toutes les demandes concernant les questions de responsabilité

étatiqueet de réparation présentéep sar le Cameroun dans ce contexte doivent être déclarées

irrecevables;

066 6.4.que, sans préjudicede ce qui précède, leallégationsformuléespar leCamerounquant

à la responsabilité étatiqdu Nigériaou à la réparationdue par celui-cà l'égarddes questions

viséesà l'alinéaj du paragraphe 17de la requête additionnelldu 6 juin 1994 du Cameroun sont

irrecevables;

Sur la septième exception préliminaire

7.1.qu'iln'existepasdedifférendjuridique concernantladélimitationdelafrontièremaritime

entre les deux Parties, qui se prêterait actuellementune décisionde la Cour, pour les motifs

suivants:

1) il n'est pas possible de déterminerla frontière maritime avant de se prononcer sur le titre

concernant la presqu'îledeBakassi;

2) en tout étatde cause, les demandes concernant les questions de délimitation maritimesont

irrecevables faute de mesuressuffisantes des Parties pour effectuer, sur un pied d'éga,neéu

délimitation«par voie d'accordconformément au droit international)); - 62 -

Sur la huitième exception préliminaire

8.1. que la question de ladélimitationmaritime met nécessairementen cause les droits et les

intérêtsd'Etatstiers et que la demande a ce sujet est irrecevable au-delàdu point G.

Partant, le Nigéria prie officiellementla Cour de dire etju:er

1) qu'ellen'a pascompétencepour connaîtredesdemandesformulées àl'encontrede laRépublique

fédéraledu Nigériapar la Républiquedu Cameroun; etlou

2) que lesdemandesformuléesa l'encontrede laRépubliquefédérale duNigériapar la République

du Cameroun sont irrecevables dans les conditions énoncées dans les présente esxceptions

préliminaires.

Ainsi se termine, Monsieur le président, l'exppar leNigériade sesexceptionspréliminaires. W

Nous remercions la Cour de son attention et de sa courtoisie.

Le PRESIDENT : Je vous remercie beaucoup. Le Nigériaa terminéson exposé. La Cour

se réunira mercredipour entendre la répliquedu Cameroun. L'audienceest levée.

L'audienceest levée à 13 heures..

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