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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE
Uncorrected Non -corrigé

CR 99/27 (translation) CR 99/27 (traduction)
Wednesday 12 May at 3.20 p.m. Mercredi 12 mai à 15 h 20

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : La Cour va maintenant entendre les conclusions du
Canada dans le second tour de parole. J'ai le plaisir de donner la parole à l'agent du Canada.

M. KIRSCH : Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour,

Avant de répondre à certains des arguments avancés ce matin par le demandeur, j'aimerais rappeler que notre
argumentation lors du premier tour de parole se fondait sur deux propositions fondamentales. Premièrement,

nous avons contesté que la Cour soit compétente prima facie, condition qui constitue un préalable nécessaire à
l'exercice de l'autorité de la Cour en vertu de l'article 41. Deuxièmement, nous avons fait valoir qu'en indiquant
des mesures conservatoires, la Cour ferait en l'espèce un usage inapproprié de son pouvoir discrétionnaire.

J'aimerais tout d'abord attirer l'attention de la Cour sur une omission flagrante dans la réponse de la République
fédérale de Yougoslavie, à savoir l'absence de toute référence à la deuxième partie de nos conclusions : le
caractère inapproprié des mesures conservatoires. Cette absence est d'autant plus manifeste que non seulement
le Canada mais également je crois tous les autres défendeurs ont appelé l'attention sur les nombreuses
violations, commises par la République fédérale de Yougoslavie, de ses obligations juridiques internationales

erga omnes, et sur les conséquences tragiques que ces violations ont eues sur le peuple kosovar et dans les pays
voisins. Le fait que la République fédérale de Yougoslavie n'ait même pas tenté d'aborder ces points indique
clairement qu'elle est consciente du fait qu'elle ne se présente pas devant la Cour les mains propres. A ce sujet,
je renverrai simplement le tribunal à la présentation initiale du Canada.

Il a été noté ce matin que les défendeurs n'avaient pas jusqu'ici abordé la question au fond. En fait, le Canada et
les autres défendeurs se sont abstenus à juste titre de le faire. Les mesures conservatoires mettent en cause la
compétence prima facie, le préjudice irréparable et l'urgence, comme le montre la pratique constante de la

Cour. Il ne s'agit pas de procéder par anticipation à l'examen du fond, c'est-à-dire d'établir qu'il sera
probablement fait droit à la demande. Il ne s'agit pas là de l'un des critères prévus en vertu de l'article 41.

Monsieur le président, nous rejetons catégoriquement les accusations d'actes illicites formulées ce matin mais
nous ne sommes pas disposés à répondre à ces déclarations par trop générales dans le cadre d'une procédure
sommaire, où seule une gamme réduite de considérations tout à fait différentes présente un caractère pertinent.

Ceci dit, j'aimerais évoquer brièvement quatre points.

Appartenance à l'Organisation des Nations Unies

Monsieur le président, mon premier point concerne la question de l'appartenance à l'Organisation des
Nations Unies. Permettez-moi de rappeler que la République fédérale de Yougoslavie 'estn pas membre de
l'Organisation des Nations Unies, n'est pas partie au Statut et que sa déclaration n'est pas valable.

On a tenté ce matin de confondre deux questions. La question qui se pose à nous n'est pas ce qui reste des

attributs de la qualité d'Etat qui s'attachait à la Yougoslavie initiale, dans ce qui demeure une situation
transitoire. La vraie question est de savoir si la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro)
peut prendre la place de l'ancienne Yougoslavie en tant qu'Etat successeur. Si elleétaitl'Etat prenant sa place,
la République fédérale jouirait de tous les privilèges accordés à chacun des Membres de l'Organisation des
Nations Unies, y compris du droit de participer aux débats de l'Assemblée générale et du Conseil économique
et social. Mais il ne peut en être ainsi, car une telle situation ferait fi des résolutions 47/1 et 777 et viendrait
infirmer la position adoptée par les organes politiques de l'Organisation des Nations Unies, selon laquelle la
République fédérale de Yougoslavie ne peut pas assumer automatiquement la qualité de membre qui
appartenait à l'ancienne Yougoslavie et devrait présenter une demande d'admission conformément à l'article 4

de la Charte.Ainsi, la question posée, Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, est très simple, étant donné la
position très claire qu'ont adoptée l'Assemblée générale des Nations Unies et le Conseil de sécurité : la
République fédérale de Yougoslavie a-t-elle présenté une demande d'admission à l'Organisation des

Nations Unies, et a-t-elle admise comme nouveau membre de celle-ci ? Il s'agit là d'une considération de fait,
et la réponse est négative. La République fédérale de Yougoslavie n'est donc pas Membre de l'Organisation des
Nations Unies.

La République fédérale de Yougoslavie s'appuie sur une lettre émanant d'un fonctionnaire qui réclame le
paiement de sa contribution à titre de membre de l'Organisation et sur le règlement qui a été effectué
ultérieurement, pour ce qui est du paiement de cette contribution. Monsieur le président, de telle considérations
ne peuvent aucunement remettre en question la position parfaitement claire adoptée par l'Assemblée générale
des Nations Unies ni les décisions obligatoires du Conseil de sécurité sur lesquelles nous nous appuyons.

Enfin, la participation à certains autres organes des Nations Unies est également une situation de caractère
transitoire. Ceci est une chose. La question du statut de partie à un instrument constitutif tel que celui de cette
Cour, qui définit ses propres critères spécifiques de participation, en est une autre. Le Canada renvoie à celles
de ses conclusions initiales qui se rapportent à toutes ces questions.

Compétence ratione temporis

Mon deuxième point, Monsieur le président, porte sur l'argumentation présentée par le Canada selon laquelle la
Cour n'est pas compétente ratione temporis et sur les efforts déployés par le demandeur pour réfuter cet
argument. Le demandeur vous a invité à prendre en compte l'intention subjective qui inspire sa déclaration
d'acceptation du 25 avril au titre du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut de la Cour et il cite à l'appui de sa
thèse deux affaires portées devant la Cour.

Monsieur le président, ni l'affaire de l'nglo-Iranian Oil Co., ni l'affaire desêcheries de 1998 ne traitent de
questions se rapportant de près ou de loin à l'«intention subjective». Dans les deux cas, l'intention visait

uniquement à préciser le sens du texte - et non pas seulement à en modifier le sens. L'intention n'a jamais été
simplement étrangère au texte - tout au contraire. Le sens ordinaire de la déclaration du demandeur est sans
ambiguïté : la compétence de la Cour n'est reconnue qu'en matière de «différends survenant ou pouvant
survenir après la signature de la présente déclaration, qui ont trait à des situations ou à des faitsstérieurs à la
présente signature» - à moins que les parties n'en conviennent autrement.

Le Canada ne peut manifestement accepter ce point de vue. Les mots «après» et «postérieurs» ne laissent place
à aucune ambiguïté et la Cour n'aura aucun besoin de demander à la République fédérale de Yougoslavie de
préciser ses intentions pour être comprise.

En tout état de cause, Monsieur le président, le fait que le demandeur souhaite l'application rétroactive de sa
déclaration ne peut en rien modifier le fait incontestable qu'il n'adéposé cette déclaration que le 25 avril. Le
demandeur ne peut demander à la Cour de remonter le fil du temps.

Enfin, Monsieur le président, je note que le demandeur souhaite que la Cour considère la totalitéde l'offensive
aérienne lancée contre la République fédérale de Yougoslavie comme preuve d'une intention de génocide.
Toutefois, aux fins d'invoquer la compétence ratione temporis de la Cour en vertu de la déclaration qu'elle a

faite au titre de la clause facultative, le demandeur s'attend à ce que la Cour érige chacun de ces incidents en
violation du droit humanitaire. Monsieur le président, le demandeur ne peut gagner sur tous les tableaux. Il
aurait pu situer sa requête par rapport à un incident particulier survenu après le 25 avril. Il a choisi de ne pas le
faire. La demande ne porte aucune date et ne cite aucun incident de cet ordre. Elle s'attache à l'ensemble du
conflit qui lui-même remonte au 24 mars.

La convention sur le génocide

Comme au premier tour de parole, le demandeur a tenté d'établir une compétence prima facie au titre de la
convention sur le génocide en confondant systématiquement l'objet de cette convention avec d'autres principes
juridiques totalement différents. Permettez-moi, Monsieur le président, de rappeler à la Cour que le génocide,
par essence, contient deux éléments : l'intention et ladestruction - la destruction de populations entières. La
Cour a défini ce crime comme la destruction intentionnelle d'un groupe national ethnique ou religieux. Riendans ce qu'a pu écrire ou dire le demandeur ne correspond à une description de cet ordre ni ne satisfait à la
condition de l'intention. Le demandeur n'a même pas tenté d'aborder la question de l'intention, se fondant à
plusieurs reprises sur des incidents qui se produisent malheureusement dans toutes les situations de conflits

armés. Comme nous l'avons dit lors du premier tour de parole, c'est affaiblir la notion de génocide et nuire à son
intégrité en tant que principe autonome que d'assimiler celui-ci à l'utilisation de la force ou même à l'agression,
ou encore aux dommages collatéraux subis par des civils, ou aux problèmes soulevés en matière de
proportionnalité de l'emploi de la force. Ces questions sont visées par d'autres instruments, y compris les
protocoles des conventions de Genève, ainsi naturellement que par la Charte des Nations Unies. La convention
sur le génocide a son propre champ d'application distinct et si elle est interprétée de bonne foi comme le prescrit
la convention de Vienne, elle est sans rapport avec l'objet de la requête dont est saisie la Cour.

Monsieur le président, un dernier point concernant la question du génocide. Les assertions de caractère général

formulées ce matin par la République fédérale de Yougoslavie sont les mêmes que celles que nous avons
entendues lors de son premier tour de parole. Nous avons donc dû rejeter une fois encore ces assertions. Mais
j'aimerais demander à la Cour de garder présent à l'esprit le fait que l'obligation qui nous a été faite de répondre
une première et une deuxième fois à ces points ne donne en aucun cas naissance à un différend juridique portant
sur des allégations qui sont manifestement sans fondement. S'il en allait autrement, il suffirait à tout demandeur
d'invoquer un quelconque argument, aussi absurde qu'il fût, comme c'est le cas présentement, pour justifier la
compétence prima facie de la Cour. La Cour est fondée à procéder à une évaluation préliminaire de ces
arguments dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Cette évaluation, à notre avis, ne peut conduire la
Cour qu'à décliner toute compétence, y compris une compétence prima facie .

Responsabilité solidaire

Permettez-moi enfin de dire quelques mots, Monsieur le président, sur la question de l'imputabilité. Nous
avions dit, il y a deux jours, qu'aucune allégation spécifique n'avait été formulée contre le Canada en soi, en tant
qu'Etat souverain indépendant, ni d'ailleurs contre l'un quelconque des autres défendeurs. Faute de pouvoir
imputer la responsabilité d'actes spécifiques à aucun des défendeurs, le demandeur affirme de manière générale
que chacun d'entre eux peut se voir imputer la responsabilité solidaire d'actes qu'il peut ne pas avoir commis
dans le cadre de la structure de commandement intégré de l'OTAN.

Monsieur le président, il appartenait au demandeur de démontrer que cette position était fondée en droit
international et il n'a pas été en mesure de le faire. Il est impossible d'établir une responsabilité solidaire,
s'agissant d'actes accomplis par une organisation internationale ou d'actes accomplis par d'autres Etats agissant
dans le cadre d'une telle organisation, sauf si l'instrument pertinent prévoit une telle responsabilité. L'article 5
de la convention de l'OTAN de 1949, cité lors du premier tour de parole, ne contient aucune indication quant à
une présomption de responsabilité solidaire, pas plus que ne le font les dispositions du manuel relatif à la
structure militaire intégrée de l'organisation. La responsabilité individuelle de l'Australie dans l'affaire deauru

était naturellement fondée sur les termes spécifiques des accords de tutelle en cause dans cette affaire et non pas
sur des principes généraux en matière d'organisations internationales. Les travaux de la Commission du droit
international sur la responsabilité des Etats ne confirment pas non plus la notion de responsabilité solidaire. Je
note en outre que ces notions ont été évoquées dans le contentieux du Conseil de l'étain au Royaume-Uni, et les
conclusions de cette affaire ne feraient rien pour renforcer la thèse du demandeur dans l'affaire en cours.

Conclusion

Pour terminer, Monsieur le président, je réaffirme les conclusions que j'avais formulées lors du premier tour de
parole. L'initiative prise par la République fédérale de Yougoslavie ne rend service ni à la Cour ni à la cause de
la paix ni à la primauté du droit. Comme nous l'avons souligné lors de ce premier tour, les mesures
conservatoires qui ont été demandées causeraient un préjudice irréparable et ne ferait que retarder le moment où
la tragédie du Kosovo prendra fin. Il serait impensable que des mesures conservatoires soient indiquées à
l'encontre de l'OTAN, alors que la cause réelle du différend est la conduite du demandeur, comme cela a été
amplement démontré par les documents faisant foi de l'Organisation des Nations Unies.

Monsieur le président, je remercie la Cour de son attention et je conclus en présentant la demande suivante au

nom du Gouvernement du Canada :

Le Canada prie respectueusement la Cour de rejeter la demande en indication de mesures conservatoiresprésentée par la République fédérale de Yougoslavie le 29 avril 1999. Je vous remercie.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je vous remercie, Monsieur Kirsch. Cette intervention
met fin au deuxième tour de parole dans l'affaire opposant la Yougoslavie au Canada. La Cour va maintenant
entendre l'affaire opposant la Yougoslavie à la France. M. le juge ad hoc pour le Canada va maintenant nous
quitter et va être accompagné hors de l'enceinte de la Cour. Nous le remercions de sa participation. Nous allons
prendre quelques instants pour, de façon à ce qu'il soit procédé au réaménagement de la table des conseils, et
nous pourrons alors entamer la prochaine affaire.

L'audience est levée à 15 h 35.

s

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