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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE
Uncorrected Non -corrigé

CR 99/18 (translation) CR 99/18 (traduction)
Tuesday 11 May 1999 at 10 a.m. Mardi 11 mai 1999 à 10 heures

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Veuillez vous asseoir. La Cour siège aujourd'hui pour
entendre les conclusions de la République fédérale d'Allemagne dans l'affaire relative à la Licéité de l'emploi de

la forceentre la Yougoslavie et la République fédérale d'Allemagne J'ai le plaisir de donner la parole à l'agent
de l'Allemagne, M. Westdickenberg.

M. WESTDICKENBERG : Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, c'est pour moi un honneur
que de me présenter devant vous au nom de la République fédérale d'Allemagne. Avec moi se trouvent
aujourd'hui Eberhard von Puttkamer, ambassadeur d'Allemagne à La Haye, Reinhard Hilger, directeur de la

section du droit international public du ministère fédéral des affaires étrangères à Bonn, Christophe Eick,
premier secrétaire de la division du droit international public du ministère fédéral des affaires étrangères, et
Manfred Emmes, Conseiller juridique à l'ambassade d'Allemagne à La Haye.

Je développerai les trois points suivants :

1. La requête et la demande en indication de mesures conservatoires constituent un abus de la
procédure de la Cour;

2. La demande en indication de mesures conservatoires ne satisfait pas aux conditions de
l'article 41 du Statut;

3. La République fédérale de Yougoslavie n'a pas produit d'éléments de preuve fondant prima facie
la compétence de la Cour.

1. La requête de la République fédérale de Yougoslavie et la demande en indication de mesures conservatoires
constituent un abus de la procédure de la Cour

1.1. La République fédérale de Yougoslavie a introduit une instance devant cette Cour non seulement à
l'encontre de la République fédérale d'Allemagne mais aussi contre les Etats-Unis d'Amérique, le Royaume-
Uni, la France, l'Italie, les Pays-Bas, la Belgique, le Canada, le Portugal et l'Espagne. Comme la Cour l'aura
noté, les requêtes et les demandes en indication de mesures conservatoires sont pratiquement toutes identiques,
hormis les noms des défendeurs. Le dépôt de requêtes et de demandes identiques contre dix Etats n'est pas
seulement sans précédent dans l'histoire de la Cour; il a aussi pour effet d'occulter à la fois la nature exacte de la

demande et les motifs sur lesquels elle se fonde.

1.2. La demande en indication de mesures conservatoires ne vise pas à préserver les droits affirmés dans la
requête en attendant la décision de la Cour. Toute cette procédure n'a qu'un but : obtenir un ensemble de
mesures conservatoires de caractère unilatéral. Cela ressort à l'évidence des termes de la déclaration faite par la
République fédérale de Yougoslavie en application du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut. En déclarant
reconnaître la juridiction de la Cour «pour tous les différends, survenant ou pouvant survenir après la signature
de la présente déclaration, qui ont trait à des situations ou à des faits postérieurs à la présente signature», la

République fédérale de Yougoslavie cherche en effet à exclure du champ de cette juridiction tous les
événements antérieurs au 25 avril 1999, soit la quasi-totalité des «faits» allégués dans la requête.

1.3. La République fédérale de Yougoslavie déforme les faits, dans ce qu'elle dit et par ce qu'elle ne dit pas.

1.3.1. L'opération de l'OTAN a été entreprise en dernier recours pour mettre un terme aux violations massives
des droits de l'homme perpétrées au Kosovo par l'Etat demandeur et pour protéger la population du Kosovo
contre la catastrophe humanitaire qui se profilait. Le secrétaire général de l'OTAN, M. Solana, a été

parfaitement clair sur ce point à la veille du déclenchement des opérations militaires en République fédérale de
Yougoslavie : «L'OTAN ne fait pas la guerre contre la Yougoslavie. Il n'y a pas de querelle entre nous et le
peuple de Yougoslavie, qui, depuis trop longtemps, est isolé en Europe à cause des politique de son
gouvernement. Notre objectif est de prévenir de nouvelles souffrances humaines et la poursuite de

la répression et de la violence contre la population civile du Kosovo.» (Communiqué de presse du
23 mars 1999, http://www.nato.int/docu/pr/1999 . )

La déclaration sur le Kosovo publiée par les chefs d'Etat et de gouvernement participant à la réunion du Conseil
de l'Atlantique Nord tenue à Washington, D.C., les 23 et 24 avril de cette année, réaffirme les principes
fondamentaux qui sous-tendent les opérations militaires de l'OTAN :

«L'action militaire de l'OTAN contre la République fédérale de Yougoslavie (RFY) est menée à

l'appui des objectifs politiques de la communauté internationale, réaffirmés dans les déclarations
récentes faites par le Secrétaire général des Nations Unies et par l'Union européenne : paix,
multiethnicité et démocratie pour un Kosovo où le peuple tout entier puisse vivre en sécurité et
jouir des libertés et des droits de l'homme universels sur une base d'égalité.» (Communiqué de
presse du 23 avril 1999, http://www.nato.int/docu/pr/1999 . )

1.3.2. C'est la République fédérale de Yougoslavie elle-même qui commet des violations massives des droits de
l'homme, point que la requête et la demande passent entièrement sous silence. La République fédérale de
Yougoslavie est à l'origine de la catastrophe humanitaire à laquelle on assiste au Kosovo. Dans les informations

qu'elle a communiquées au Conseil de sécurité de l'ONU le 5 mai 1999, la Haut-Commissaire des
Nations Unies pour les réfugiés a confirmé que 700 000 personnes avaient fui le Kosovo pour se réfugier dans
des pays voisins. Des milliers de personnes sont déplacées à l'intérieur même du Kosovo. Selon Mme Ogata, la
Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés,

«[la] situation des femmes, des hommes et des enfants qui fuient la province du Kosovo-Metohija,
en République fédérale de Yougoslavie, est de plus en plus désespérée. Le Kosovo est en train
d'être vidé - brutalement et méthodiquement - de sa population de souche albanaise» (Informations
fournies par Mme Sadako Ogata, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, au

Conseil de sécurité, New York, 5 mai 1999, http://www.unhcr.ch/refworld ). [Traduction du
Greffe.]

Dans son rapport du 30 avril 1999 sur la situation des droits de l'homme concernant le Kosovo, la Haut-
Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Mme Robinson, a souligné qu'un grand nombre de
femmes et d'enfants réfugiés hors du Kosovo se trouvent séparés des hommes de leur famille, dont on ignore où
ils se trouvent et ce qu'ils sont devenus. L'inquiétude est grande à propos du sort de ces milliers d'hommes
disparus au Kosovo. Les preuves abondent, comme le dit encore la Haut Commissaire des Nations Unies aux
droits de l'homme, qui établissent que les réfugiés ont été contraints de fuir par l'armée et par les forces de

sécurité de la République fédérale de Yougoslavie. Le rapport poursuit :

«Il est difficile d'éviter de conclure à la préméditation en ce qui concerne l'expulsion des réfugiés et
l'intention de les chasser définitivement... Il est difficile d'éviter de conclure à un nettoyage
ethnique systématique réalisé avec une froide détermination.» (Rapport de la Haut Commissaire
des Nations Unies aux droits de l'homme en date du 30 avril 1999, http://www.unhchr.ch. )
[Traduction du Greffe.]

La mission de vérification organisée au Kosovo par l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe
(OSCE) nous dresse un tableau d'après lequel les Albanais de souche sont victimes d'un irrespect total de la loi
et de l'absence quasi complète de la moindre forme de protection :

«Les violations des droits de l'homme les plus fréquentes qui soient signalés sont le déplacement
forcé des Albanais de souche chassés du Kosovo. En fait, il s'agit de «nettoyage ethnique»... On
signale des manoeuvres systématiques d'intimidation et de harcèlement, associées à des agressions,
des pillages, des tirs d'obus, des meurtres, après quoi les habitants fuient ou s'entendent simplement
o
ordonner de partir.» (Communiqué de presse de l'OSCE n 35/99 en date du 20 avril 1999,
http:/www.osce.org/e/docs/presrel.) [Traduction du Greffe.]

S'adressant à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies le 7 avril 1999, le Secrétaire général desNations Unies a dressé le bilan de la situation au Kosovo sans hésiter à accuser :

e
«Pour sa dernière session du XX siècle, la Commission des droits de l'homme se réunit sous de
sombres nuages porteurs du crime de génocide ... Nous n'avons pas d'observateurs indépendants
sur place, mais les indices portent à croire que le drame se produit peut-être bien une fois encore,
au Kosovo... La campagne infâme et systématique de «nettoyage ethnique» menée par les autorités
serbes au Kosovo semble [une fois encore] avoir pour seul et unique objectif d'expulser ou
d'exterminer autant d'Albanais de souche du Kosovo qu'il est possible...» (Déclaration du
Secrétaire général des Nations Unies s'adressant le 7 avril 1999 à la Commission des droits de
l'homme, http://www.unnnnhchr.ch.) [Traduction du Greffe.]

1.4. Monsieur le président, la République fédérale de Yougoslavie n'a pas respecté comme elle le devait les
conditions de l'exercice par la Cour de sa compétence.

1.4.1. Le demandeur a signalé à l'attention de la Cour une masse d'instruments et de normes juridiques qui,
manifestement, ne donnent nullement à la Cour compétence pour connaître de la requête, ni du reste, de la
demande en indication de mesures conservatoires. La République fédérale de Yougoslavie allègue en effet que
o
la République fédérale d'Allemagne a violé les conventions de Genève de 1949, le protocole additionnel n I de
1977, la convention de 1948 sur le Danube (à laquelle, soit dit en passant, la République fédérale d'Allemagne
n'est pas même partie), le pacte international relatif aux droits civils et politiques, le pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels et la Charte des Nations Unies. Or, aucun de ces instruments ne
donne à la Cour compétence pour connaître de l'affaire.

1.4.2. La déclaration que la République fédérale de Yougoslavie fait soudainement au titre de l'article 36,

paragraphe 2, du Statut de la Cour, prouve également que la Yougoslavie ne respecte pas les conditions donnant
compétence à la Cour : délimitant dans le temps la juridiction de la Cour, cette déclaration vise effrontément à
lui donner compétence pour les opérations menées actuellement par l'OTAN tout en l'empêchant d'examiner les
actions de la République fédérale de Yougoslavie elle-même qui ont été et sont toujours à l'origine même des
opérations de l'OTAN. En tout état de cause, cette déclaration de la République fédérale de Yougoslavie, qui,
conformément à la résolution 777 du Conseil de sécurité de 1992 (en date du 19 septembre 1992) et de la
résolution 47/1 de l'Assemblée générale en date du 22 septembre 1992, n'est pas membre des Nations Unies et
n'est donc pas partie au Statut de la Cour (art. 93, par. 1 de la Charte des Nations Unies) ne répond pas aux
conditions énoncées à l'article 36, paragraphe 2, du Statut de la Cour, lu en association avec la résolution 9 du
Conseil de sécurité en date du 15 octobre 1946.

1.4.3. L'allusion à la convention de 1948 sur le génocide n'est qu'un stratagème par lequel la République
fédérale de Yougoslavie cherche à porter devant la Cour un tout autre litige. Personne n'a allégué de façon
plausible que la République fédérale d'Allemagne ni du reste aucune force de l'OTAN ait commis des actes de
génocide et la requête n'indique pas quels sont les droits relevant de la convention sur le génocide qui risquent
en l'espèce de subir un préjudice irréparable.

1.5. La requête introductive d'instance de la République fédérale de Yougoslavie et sa demande en indication de

mesures conservatoires ne sont pas seulement un abus de la procédure de la Cour mais également un abus de la
convention sur le génocide. Comme la Cour l'a dit dans l'avis consultatif qu'elle a rendu le 28 mai 1951 sur les
Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,

«[l]a convention a été manifestement adoptée dans un but purement humain et civilisateur... Dans
une telle convention, les Etats contractants n'ont pas d'intérêts propres; ils ont seulement, tous et
chacun, un intérêt commun, celui de préserver les fins supérieures qui sont la raison d'être de la
convention.» ( C.I.J. Recueil 1951 , p. 23.)

En fait, en cherchant à exploiter l'une des dispositions de la convention sur le génocide, en l'occurrence son
article IX, pour formuler des demandes manifestement sans rapport avec le crime de génocide, le demandeur
foule aux pieds les «fins supérieures de la convention» ( ibid., p. 23).

1.6. La République fédérale de Yougoslavie ne se présente pas devant la Cour «les mains propres». La
République fédérale de Yougoslavie a commis et commet toujours les violations les plus graves du droitinternational. La demande qu'elle présente aujourd'hui vise à éviter d'avoir à subir les conséquences de ses
infractions. En particulier, la République fédérale de Yougoslavie se trouve elle-même accusée d'infractions à
la convention sur le génocide. En outre, elle a tout récemment contesté les fondements mêmes de la compétence

qu'elle cherche désormais à invoquer et elle n'a tenu aucune compte des mesures conservatoires que la Cour a
prescrites en se fondant précisément sur l'article IX de la convention sur le génocide : j'évoque ici l'affaire
relative à l'pplication de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-
Herzégovine c. Yougoslavie). Quand elle invoque la compétence de la Cour à indiquer des mesures
conservatoires ainsi que la convention sur le génocide, la République fédérale de Yougoslavie n'est pas de
bonne foi.

Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour :

2. La demande en indication de mesures conservatoires de la République fédérale de Yougoslavie ne satisfait
pas aux conditions de l'article 41 du Statut

2.1. Avant que la Cour ne puisse indiquer des mesures conservatoires en application de l'article 41 de son
Statut, les conditions suivantes doivent être remplies :

- il doit exister,rima facie, une base sur laquelle fonder la compétence de la Cour puisse être

fondée à l'égard de la requête;

- les mesures conservatoires doivent être demandées pour protéger des droits susceptibles d'être
l'objet d'un arrêt de la Cour dans l'exercice de cette compétence;

- les mesures conservatoires doivent être nécessaires d'urgence pour protéger ces droits contre le
risque de préjudice irréparable.

2.2. Ainsi que la Cour l'a déclaré, il appartient au demandeur de démontrer que ces conditions sont remplies
(Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Danemark), mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillet 1991 ,
par. 21). La République fédérale de Yougoslavie n'a pas établi qu'aucune de ces conditions soit satisfaite.

3. La République fédérale de Yougoslavie n'a pas produit d'éléments de preuve fondant prima facie la
compétence de la Cour

3.1. La Cour ne peut indiquer de mesures conservatoires que s'il a été établi à sa satisfaction qu'il existe, prima

facie, une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée (voir par exemple Passage par le Grand-Belt
(Finlande c. Danemark), mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillet 1991 C.I.J. R,cueil 1991, p. 15,
par. 14; affaire relative à l'plication de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide, mesures conservatoires, ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 11, par. 14).

3.2. Le paragraphe 5 de l'article 38 du Règlement de la Cour, qu'invoque la République fédérale de
Yougoslavie, ne saurait fonder prima facie la compétence de la Cour.

Aux termes du paragraphe 5 de l'article 38 du Règlement, «aucun acte de procédure n'est effectué tant que l'Etat
contre lequel la requête est formée n'a pas accepté la compétence de la Cour aux fins de l'affaire».

Il découle de cette disposition que la Cour ne peut indiquer de mesures conservatoires que si, et à partir du
moment où, l'autre Etat accepte la compétence de la Cour. C'est d'ailleurs précisément la raison qu'a opposée la
Cour à la République fédérale de Yougoslavie quand celle-ci a essayé d'obtenir l'indication de mesures
conservatoires à l'encontre de la République fédérale d'Allemagne et d'autres Etats de l'OTAN en février et
mars 1994. La Cour a alors, rappelons-le, communiqué ce qui suit à la République fédérale de Yougoslavie :

«Il apparaît donc que l'intention de ce texte (art. 38, para. 5, du Règlement) doit être d'exclure
(notamment) toute procédure visant à l'indication de mesures conservatoires» (Lettre No. 90160
adressée le 17 mars 1994 à l'agent de la République fédérale de Yougoslavie par M. Jean-
Jacques Arnaldez, greffier-adjoint). (Traduit de l'anglais).

3.3. En tout état de cause, la République fédérale d'Allemagne n'admet pas la prétention de l'Etat demandeur defonder la compétence de la Cour sur une acceptation qui serait donnée en application du paragraphe 5 de
l'article 38 du Règlement. La République fédérale d'Allemagne rejette énergiquement toute tentative abusive de
se servir de la Cour comme d'une plate-forme pour lancer des allégations aussi fallacieuses et futiles que celles

qu'avance le demandeur.

3.4. Monsieur le président, l'article IX de la convention sur le génocide n'offre pas de base sur laquelle la
compétence de la Cour puisse être fondée.

3.4.1. L'Allemagne ne conteste pas que la convention sur le génocide soit en vigueur entre la République
fédérale d'Allemagne et la République fédérale de Yougoslavie, cette dernière étant l'un des cinq Etats ayant
succédé à l'ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie qui, comme l'a établi la résolution 777 (1992)

du Conseil de sécurité et en date du 19 septembre 1992, a cessé d'exister. Toutefois, l'objet des demandes
présentées par la Yougoslavie n'a pas trait à :

«l'interprétation, l'application ou l'exécution de la ... convention, y compris [les différends] relatifs
à la responsabilité d'un Etat en matière de génocide ou de l'un quelconque des autres actes
énumérés à l'article III [de la convention]».

Il ne suffit pas d'établir que la convention sur le génocide est en vigueur entre la République fédérale

d'Allemagne et la République fédérale de Yougoslavie et qu'elle comporte une clause de règlement des
différends prévoyant leur soumission à la Cour. La Cour doit vérifier si les droits invoqués par la partie en
cause dans la procédure sur le fond sont bien des droits auxquels s'applique la disposition susceptible de fonder
la compétence. D'ailleurs, quand la Cour, dans l'affaire relative à l' Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), a considéré que
l'article IX de la convention sur le génocide constituait une base sur laquelle fonder sa compétence, elle a établi
de façon circonstanciée que les droits invoqués entraient dans le champ d'application de cette convention :

«la Cour, après avoir établi qu'il existe une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée, ne

devrait pas indiquer de mesures tendant à protéger des droits contestés autres que ceux qui
pourraient en définitive constituer la base d'un arrêt rendu dans l'exercice de cette compétence; ...
par voie de conséquence, la Cour se limitera, dans son examen des mesures demandées, et des
motifs mis en avant pour justifier ces demandes, à prendre en considération ce qui entre dans le
champ d'application de la convention sur le génocide» ( ordonnance du 8 avril 1993, p.19, par. 35).

La Cour, dans la même affaire, a insisté sur ce point en déclarant :

«que, de tous les droits énumérés, seul celui énoncé à l'alinéa c) est tel que, par sa nature, il peut
dans une certaine mesure relever prima facie des droits conférés par la convention sur le génocide;
et que c'est par conséquent en relation avec cet alinéa que pour la protection de droits conférés par
la convention que la Cour a indiqué des mesures conservatoires dans son ordonnance du
8 avril 1993» (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide, ordonnance du 13 septembre 1993, p.344, par. 39).

3.4.2. L'Etat demandeur n'a pas établi, même prima facie , que les droits qu'il invoque entrent dans le champ de
la convention sur le génocide et qu'il existe un différend relatif à la responsabilité d'un Etat en matière de

génocide ou de l'un quelconque des actes énumérés à l'article III de la convention. Comme la Cour l'a souligné
dans l'affaire relative à l'plication de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie) ,

«il apparaît à la Cour, d'après la définition génocide figurant à l'article II..., que la caractéristique
essentielle du génocide est la destruction intentionnelle d'un groupe national, ethnique, racial ou
religieux'» (ordonnance du 13 septembre 1993, p. 345, par. 42).

Même si elles étaient avérées, aucune des violations d'obligations internationales qu'aurait commises la
République fédérale d'Allemagne (requête, p. 9 et 11) - l'«obligation de ne pas recourir à la force contre un
autre Etat», l'«obligation de ne pas s'immiscer dans les affaires d'un autre Etat» (pour gagner du temps, je ne les
citerai pas toutes les neuf), l'«obligation d'épargner la population civile, les civils et les biens de caractère
civil», l'«obliation de ne pas commettre d'actes d'hostilité dirigés contre des monuments historiques, desoeuvres d'art ou des lieux de culte constituant le patrimoine culturel ou spirituel d'un peuple», l'«obligation de
ne pas utiliser des armes interdites, c'est-à-dire des armes de nature à causer des maux superflus», l'«obligation
de ne pas causer de dommages substantiels à l'environnement», l'«obligation de respecter le droit à la vie, le

droit au travail, le droit à l'information, le droit aux soins de santé ainsi que d'autres droits fondamentaux de la
personne humaine» et l'«obligation de respecter la liberté de navigation sur les cours d'eau internationaux» -
n'entre dans le champ de la définition donnée à l'article II de la convention sur le génocide.

L'Etat demandeur n'a pas établi que les actes qu'il déclare avoir été commis par la République fédérale
d'Allemagne pourraient être considérés comme une violation de son «obligation de ne pas soumettre
intentionnellement un groupe national à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique
totale ou partielle». Comme la Cour l'a souligné dans l'affaire relative à l'Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie) (mesures conservatoires,

ordonnance du 13 septembre 1993, par. 42), la caractéristique essentielle du génocide est la destruction
intentionnelle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Or, le demandeur lui-même n'a pas formulé de
demande en ce sens à l'encontre de la République fédérale d'Allemagne. Au reste, pareille demande aurait été
totalement absurde.

3.4.3. Les mesures conservatoires demandées par la République fédérale de Yougoslavie n'ont manifestement
aucun rapport avec les droits protégés par la convention sur le génocide et la demande devrait à ce titre être
rejetée.

Dans cette demande, la République fédérale de Yougoslavie prie la Cour d'ordonner que «[l]a République
fédérale d'Allemagne [cesse] immédiatement de recourir à l'emploi de la force et[s'abstienne] de tout acte
constituant ... un recours à l'emploi de la force contre la République fédérale de Yougoslavie». Les mesures qui
sont ainsi demandées n'ont manifestement aucun rapport avec les droits protégés par la convention sur le
génocide. En fait, on peut constater que le mode de citation officiel que la Cour a retenu pour la présente
affaire,Licéité de l'emploi de la force (Yougoslavie c. Allemagne) , lequel n'a aucun lien avec les droits relevant
de la convention sur le génocide, dit parfaitement ce qu'il en est.

3.5. Monsieur le président, la République fédérale de Yougoslavie n'a pas montré que les mesures
conservatoires qu'elle réclame à l'encontre de la République fédérale d'Allemagne sont indispensables dans
l'immédiat pour protéger des droits relevant de la convention sur le génocide contre un risque de préjudice
irréparable. Comme elle l'a dit dans l'affaire relative à l'pplication de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), la Cour doit avoir la preuve qu'il y a
bien risque immédiat de préjudice irréparable avant de prescrire les mesures conservatoires à adopter. C'est
ainsi que dans l'affaire que nous citons, la Cour a prescrit des mesures conservatoires parce qu'elle s'y sentait
tenue, fort justement d'ailleurs, dans une situation où, «[à son] avis, compte tenu des circonstances portées à son
attention et décrites ci-dessus, il existe un risque grave que des actes de génocide soient

commis...» (Ordonnance du 8 avril 1993, p. 22, par. 45).

Comme nous l'avons déjà dit, il n'y a absolument pas lieu de craindre que les forces allemandes ni d'autres
forces de l'OTAN se soient rendues ou se rendent par la suite coupables de génocide en République fédérale de
Yougoslavie. Il ne faut pas indiquer de mesures conservatoires sur la foi d'accusations non étayées. On ne peut
pas imaginer que les opérations militaires menées par les forces allemandes et par d'autres forces de l'OTAN
puissent être assimilables à des actes de génocide.

3.6. Tout au contraire, indiquer des mesures conservatoires comme le demande la République fédérale de
Yougoslavie causerait au Kosovo un préjudice irréparable. Comme nous l'avons montré, la République fédérale
de Yougoslavie est aujourd'hui accusée de commettre aux dépens de la population du Kosovo les violations des
droits de l'homme les plus graves. Comme l'a dit le Secrétaire général des Nations Unies, «de sombres nuages
porteurs de génocide» recouvrent le Kosovo (déclaration du 7 avril 1999 devant la Commission des droits de
l'homme de l'ONU, voir plus haut).

Les opérations militaires aériennes menées par les forces allemandes ainsi que d'autres forces de l'OTAN sont
actuellement le seul frein - je dis bien le seul frein - aux atrocités commises par la République fédérale de

Yougoslavie au Kosovo. Des mesures conservatoires qui pourraient être interprétées comme limitant ces
opérations intensifieraient, au lieu de l'atténuer, le danger de voir commettre des actes de génocide, et la Cour
doit donc s'abstenir d'adopter de telles mesures. Il n'y a absolument aucune correspondance entre les actions dela République fédérale d'Allemagne et de l'OTAN, d'une part, et, de l'autre, les atrocités commises par la
République fédérale de Yougoslavie qui ont précisément imposé à l'OTAN de réagir.

3.7. La Cour doit examiner avec soin les effets que sa décision pourrait avoir sur l'action menée actuellement à
l'échelle internationale pour résoudre la crise. Il convient de citer en particulier la réunion récente, près de
Bonn, des ministres des affaires étrangères du G-8, lequel est composé de la Russie, du Japon et de six pays de
l'OTAN, réunion qui pourrait ouvrir la voie à l'adoption d'une résolution par le Conseil de sécurité des Nations
Unies. Les pays du G-8 ont adopté le 6 mai 1999 une série de principes généraux concernant la solution de la
crise du Kosovo, et ces principes sont les suivants : il doit être mis immédiatement fin à la violence et à la
répression au Kosovo; les forces militaires, les forces de police et les forces paramilitaires yougoslaves doivent
se retirer du Kosovo; il convient de déployer au Kosovo une force civile internationale et une force
internationale de sécurité efficaces, qui soient approuvées et entérinées par les Nations Unies; il faut que le

Conseil de sécurité des Nations unies mette en place une administration intérimaire au Kosovo; il faut assurer
en toute sécurité le rapatriement librement consenti de tous les réfugiés; et il faut engager un processus
politique pour mettre en place au Kosovo un cadre politique intérimaire. Il faut espérer voir très vite aboutir ces
initiatives politiques.

4. Monsieur le président, Madame, Messieurs de la Cour, pour conclure, et pour les motifs que j'ai indiqués, la
République fédérale d'Allemagne prie respectueusement la Cour de refuser d'indiquer les mesures
conservatoires demandées par la République fédérale de Yougoslavie.

Je vous remercie.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : je vous remercie, M. Westdickenberg.

L'audience est levée à 10 h 40.

___________

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