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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE
Uncorrected Non -corrigé

CR 99/14 (translation) CR 99/14 (traduction)
Monday 10 May 1999 at 10 a.m. Lundi 10 mai 1999 à 10 heures

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président :

Veuillez vous asseoir. La séance est ouverte. La Cour est aujourd'hui réunie, conformément au paragraphe 3 de
l'article 74 du Règlement, pour entendre les observations des Parties sur les demandes en indication de mesures
conservatoires présentées par la République fédérale de Yougoslavie dans les instances relatives à la Licéité de
l'emploi de la force qu'elle a introduites le 29 avril 1999 contre la Belgique, le Canada, la France, l'Allemagne,
l'Italie, les Pays-Bas, le Portugal, l'Espagne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis d'Amérique, respectivement.

Bien qu'il s'agisse d'instances distinctes, elles ont été introduites par des requêtes similaires dans lesquelles le
demandeur soutient la même position au fond; quant aux mesures conservatoires sollicitées dans chacune

desdites instances, elles sont identiques. La Cour a en conséquence estimé qu'il y avait lieu de prendre certaines
dispositions pratiques à l'effet de faciliter le déroulement de la procédure orale sur les demandes en indication
de mesures conservatoires. Elle a décidé de procéder comme suit :

La Yougoslavie, qui est le demandeur et l'Etat qui a sollicité les mesures conservatoires, prendra la parole en
premier, sur les demandes en indication de mesures conservatoires présentées dans toutes les affaires. La
Yougoslavie sera suivie par chacun des défendeurs, pour ce qui est de l'affaire à laquelle il est Partie; aux fins
des présentes espèces, les défendeurs seront entendus dans l'ordre alphabétique anglais, qui est aussi celui dans

lequel les différentes affaires ont été inscrites au rôle général de la Cour. Ces dispositions pratiques ne
préjugent en rien la décision que la Cour pourrait prendre ultérieurement, conformément à l'article 47 de son
Règlement, d'ordonner à tout moment que des instances soient jointes ou d'ordonner une action commune au
regard d'un ou de plusieurs éléments des procédures en cours.

*

L'article 32 du Règlement de la Cour prévoit que si le président est ressortissant de l'une des Parties dans une

affaire, il n'exerce pas la présidence dans cette affaire. Le président de la Cour, M. Schwebel, n'exercera donc
pas la présidence dans l'affaire qui oppose la Yougoslavie aux Etats-Unis d'Amérique. Bien que l'article 32 ne
s'applique pas comme tel aux autres instances introduites par la Yougoslavie le 29 avril 1999, M. Schwebel a
estimé approprié de ne pas davantage exercer la présidence dans ces affaires. Il m'incombe donc, en ma qualité
de vice-président de la Cour, d'assurer la présidence dans toutes les affaires relatives à laéité de l'emploi de
la force, conformément à l'article 13 du Règlement.

*

Par une lettre en date du 26 avril 1999, qui accompagnait toutes les requêtes, le ministre des affaires étrangères
de Yougoslavie a fait savoir à la Cour que son gouvernement, se prévalant des dispositions de l'article 31 du
Statut de la Cour, entendait désigner M. Milenko Kreca pour siéger en qualité de juge ad hoc dans toutes les
affaires ainsi portées devant la Cour. Aucun des gouvernements défendeurs n'a soulevé d'objection dans les
délais fixés à cet effet en vertu du paragraphe 3 de l'article 35 du Règlement de la Cour. La Cour elle-même
n'en ayant vu aucune, la désignation de M. Kreca s'est trouvée confirmée.

Par lettre du 5 mai 1999, l'ambassadeur de Belgique aux Pays-Bas a fait connaître à la Cour que le

Gouvernement belge entendait désigner M. Patrick Duinslaeger pour siéger en qualité de juge ad hoc dans
l'affaireougoslavie c. Belgique . Par lettre du même jour, le ministre des affaires étrangères du Canada a
informé la Cour que son gouvernement entendait désigner l'honorable Marc Lalonde, C.P., O.C., C.R., pour
siéger en qualité de jugead hoc dans l'affaireougoslavie c. Canada . Par lettre du 7 mai 1999, l'ambassadeur
d'Italie aux Pays-Bas a informé la Cour que le Gouvernement italien entendait désigner M. Giorgio Gaja pour
siéger en qualité de jugead hoc dans l'affaireougoslavie c. Italie. Par lettre du même jour, le chargé d'affaires
de l'Espagne aux Pays-Bas a fait savoir à la Cour que son gouvernement entendait désigner
M. Santiago Torres Bernárdez pour siéger en qualité de juge ad hoc dans l'affaireYougoslavie c. Espagne . Dans
les délais fixés à cet effet en vertu du paragraphe 3 de l'article 35 du Règlement de la Cour, le Gouvernementyougoslave, se référant au paragraphe 5 de l'article 31 du Statut de la Cour, a fait objection, en des termes
identiques, à chacune de ces désignations. Le paragraphe 5 de l'article 31 du Statut est ainsi libellé :

«5. Lorsque plusieurs parties font cause commune, elles ne comptent, pour l'application des
dispositions qui précèdent, que pour une seule. En cas de doute, la Cour décide.»

La Cour, après en avoir dûment délibéré, est parvenue à la conclusion que la désignation d'un juge ad hoc par la
Belgique, le Canada, l'Italie et l'Espagne se justifiait dans la présente phase des affaires concernées, et que
MM. Duinslaeger, Lalonde, Gaja et Torres Bernárdez siégeraient donc lors des présentes audiences et
prendraient part aux délibérations que la Cour tiendrait ultérieurement dans la phase en cours de ces affaires.
Les Parties ont été immédiatement avisées de cette décision de la Cour.

J'en viens donc maintenant à l'agréable devoir qui m'incombe d'installer ces éminentes personnalités. M. Kreca,
professeur de droit international à la faculté de l'Université de Belgrade et ancien vice-doyen de cette faculté,
est bien connu de la Cour puisqu'il siège déjà en qualité de juge ad hoc dans l'affaire relative à l'plication de
la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie).
M. Duinslaeger est avocat général près la Cour de cassation de Belgique; auparavant, il a notamment été
substitut du procureur général près la Cour d'appel de Bruxelles et magistrat de liaison belge pour le Tribunal
pénal international pour l'ex-Yougoslavie et pour le Tribunal pénal international pour le Rwanda. M. Lalonde
est une personnalité bien connue du monde politique et juridique; il est lui aussi familier de la Cour puisqu'il a

récemment siégé en qualité de juge ad hoc dans l'affaire de laCompétence en matière de pêcheries (Espagne c.
Canada). M. Gaja, membre de l'Institut de droit international, est professeur à la faculté de droit de l'Université
de Florence et a été doyen de cette même faculté; il a été conseil du Gouvernement italien devant cette Cour en
l'affaire de l'ettronica Sicula S.p.A. (ELSI) . Enfin, M. Torres Bernárdez n'est plus à présenter; membre, lui
aussi, de l'Institut de droit international, il a été greffier de cette Cour et jugeoc dans les affaires du
Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant)) et de la
Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada) ; il siège actuellement en qualité de jugead hoc dans
l'affaire de laélimitation maritime et des questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn) .

Comme on le sait, le paragraphe 6 de l'article 31 du Statut rend applicable aux juges ad hoc l'obligation que
l'article 20 met à la charge de tout membre de la Cour, avant d'entrer en fonction, de prendre en séance publique
l'engagement d'exercer ses attributions en pleine impartialité et en toute conscience. Par ailleurs, conformément
au paragraphe 3 de l'article 8 du Règlement, les juges ad hoc doivent prononcer une déclaration «à l'occasion de
toute affaire à laquelle ils participent», même s'ils ont déjà fait, antérieurement, une telle déclaration, hors du
cadre de l'affaire considérée.

J'inviterai donc maintenant les distingués juges ad hoc désignés dans les différentes affaires à prononcer la
déclaration dont le texte figure au paragraphe 1 de l'article 4 du Règlement. Nous procéderons affaire par

affaire, en suivant l'ordre dans lequel elles ont été inscrites au rôle. Je demanderai à M. Kreca de faire sa
déclaration en premier; exceptionnellement, cette déclaration sera considérée comme ayant été faite dans
chacune des dix affaires. J'appellerai ensuite, dans l'ordre, MM. Duinslaeger, Lalonde, Gaja et Torres
Bernárdez. Je prierai l'assistance de bien vouloir se lever. M. Kreca.

M. KRECA :

«Je déclare solennellement que je remplirai mes devoirs et exercerai mes attributions de juge en
tout honneur et dévouement, en pleine et parfaite impartialité et en toute conscience.»

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : M. Duinslaeger.

Mr. DUINSLAEGER : «Je déclare solennellement que je remplirai mes devoirs et exercerai mes attributions de juge en
tout honneur et dévouement, en pleine et parfaite impartialité et en toute conscience.»

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : M. Lalonde.

Mr. LALONDE :

"I solemnly declare that I will perform my duties and exercice my powers as judge honourably,
faithfully, impartially and conscientiously."

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : M. Gaja.

Mr. GAJA :

"I solemnly declare that I will perform my duties and exercice my powers as judge honourably,
faithfully, impartially and conscientiously."

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : M. Torres Bernárdez.

M. TORRES BERNÁRDEZ :

«Je déclare solennellement que je remplirai mes devoirs et exercerai mes attributions de juge en
tout honneur et dévouement, en pleine et parfaite impartialité et en toute conscience.»

Le VICE-PRESIDENT faisant fonction de président : Je vous remercie. Veuillez vous asseoir. Je prends acte de
l'engagement solennel pris par MM. Kreca, Duinslaeger, Lalonde, Gaja et Torres Bernárdez, et les déclare en
conséquence dûment installés comme juges ad hoc dans chacune des affaires relatives à laicéité de l'emploi
de la force pour lesquelles ils ont été désignés.

* *

Toutes ces affaires, comme je l'ai déjà indiqué, ont été portées devant la Cour par des requêtes séparées,

déposées simultanément au Greffe par la Yougoslavie le 29 avril 1999.

Les requêtes dirigées contre la Belgique, le Canada, les Pays-Bas, le Portugal, l'Espagne et le Royaume-uni
fondent la compétence de la Cour sur le paragraphe 2 de l'article 36 du Statut de la Cour et sur l'article IX de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par l'Assemblée générale des
Nations Unies le 9 décembre 1948. Les requêtes dirigées contre la France, l'Allemagne, l'Italie et les Etats-Unis
d'Amérique, pour leur part, fondent la compétence de la Cour sur l'article IX de la convention sur le génocide et
sur le paragraphe 5 de l'article 38 du Règlement de la Cour.

Chaque requête définit en des termes mutatis mutandis identiques l'objet du différend soumis à la Cour. De
même, chacune des re quêtes présente les faits et moyens de droit, ainsi que les demandes au fond en des termesmutatis mutandis identiques.

Je prierai à présent le greffier de donner lecture des demandes formulées par la Yougoslavie dans ses requêtes,

en remplaçant uniformément le nom des Etats défendeurs concernés par les mots «le défendeur».

LE GREFFIER :

«Le Gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie prie la Cour de dire et juger :

- qu'en prenant part aux bombardements du territoire de la République fédérale de
Yougoslavie, [le défendeur] a agi contre la République fédérale de Yougoslavie, en
violation de son obligation de ne pas recourir à l'emploi de la force contre un autre
Etat;

- qu'en prenant part à l'entraînement, à l'armement, au financement, à l'équipement et à
l'approvisionnement de groupes terroristes, à savoir la prétendue «armée de libération

du Kosovo», le [défendeur] a agi contre la République fédérale de Yougoslavie, en
violation de son obligation de ne pas s'immiscer dans les affaires d'un autre Etat;

- qu'en prenant part à des attaques contre des cibles civiles, [le défendeur] a agi contre
la République fédérale de Yougoslavie, en violation de son obligation d'épargner la
population civile, les civils et les biens de caractère civil;

- qu'en prenant part à la destruction ou à l'endommagement de monastères, d'édifices

culturels, [le défendeur] a agi contre la République fédérale de Yougoslavie, en
violation de son obligation de ne pas commettre d'actes d'hostilité dirigés contre des
monuments historiques, des oeuvres d'art ou des lieux de culte constituant le
patrimoine culturel ou spirituel d'un peuple;

- qu'en prenant part à l'utilisation de bombes en grappe, [le défendeur] a agi contre la
République fédérale de Yougoslavie, en violation de son obligation de ne pas utiliser
des armes interdites, c'est-à-dire des armes de nature à causer des maux superflus;

- qu'en prenant part aux bombardements de raffineries de pétrole et d'usines
chimiques, [le défendeur] a agi contre la République fédérale de Yougoslavie, en
violation de son obligation de ne pas causer de dommages substantiels à
l'environnement;

- qu'en recourant à l'utilisation d'armes contenant de l'uranium appauvri, [le défendeur]
a agi contre la République fédérale de Yougoslavie, en violation de son obligation de
ne pas utiliser des armes interdites et de ne pas causer de dommages de grande

ampleur à la santé et à l'environnement;

- qu'en prenant part au meurtre de civils, à la destruction d'entreprises, de moyens de
communication et de structures sanitaires et culturelles, [le défendeur] a agi contre la
République fédérale de Yougoslavie, en violation de son obligation de respecter le
droit à la vie, le droit au travail, le droit à l'information, le droit aux soins de santé ainsi
que d'autres droits fondamentaux de la personne humaine;

- qu'en prenant part à la destruction de ponts situés sur des cours d'eau internationaux,
[le défendeur] a agi contre la République fédérale de Yougoslavie, en violation de son
obligation de respecter la liberté de navigation sur les cours d'eau internationaux;

- qu'en prenant part aux activités énumérées ci-dessus et en particulier en causant des
dommages énormes à l'environnement et en utilisant de l'uranium appauvri, [le
défendeur] a agi contre la République fédérale de Yougoslavie, en violation de son obligation de ne pas soumettre intentionnellement un groupe national à des conditions
d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;

- que [le défendeur] porte la responsabilité de la violation des obligations
internationales susmentionnées;

- que [le défendeur] est tenu de mettre fin immédiatement à la violation des obligations
susmentionnées à l'égard de la République fédérale de Yougoslavie;

- que [le défendeur] doit réparation pour les préjudices causés à la République fédérale
de Yougoslavie ainsi qu'à ses citoyens et personnes morales.»

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Le 29 avril 1999, ayant déposé ses requêtes introductives
d'instances, le Gouvernement yougoslave a présenté dans chaque affaire une demande en indication de mesures
conservatoires, en invoquant l'article 73 du Règlement de la Cour. Dans chacune de ces demandes, la
Yougoslavie développe de la même manière les faits exposés dans les requêtes et énumère notamment, en
termes identiques, les cibles qui auraient été visées par des attaques aériennes ainsi que les dommages qui

auraient été infligés à ces cibles. Au terme de chaque demande en indication de mesures conservatoires, la
Yougoslavie précise que

«Si les mesures demandées ne sont pas adoptées, il y aura de nouvelles pertes en vies humaines, de
nouvelles atteintes à l'intégrité physique et mentale de la population de la République fédérale de
Yougoslavie, d'autres destructions de cibles civiles, une forte pollution de l'environnement et la
poursuite de la destruction physique de la population de Yougoslavie.»

J'invite à présent le greffier à donner lecture de la mesureutatis mutandis identique que la Yougoslavie prie la
Cour d'indiquer dans chacune de ses demandes, et le prierai, par commodité, de remplacer le nom de l'Etat
défendeur concerné dans chaque cas par les mots «le défendeur».

Le GREFFIER :

«[Le défendeur] doit cesser immédiatement de recourir à l'emploi de la force et doit s'abstenir de
tout acte constituant une menace de recours ou un recours à l'emploi de la force contre la
République fédérale de Yougoslavie.»

*

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président :

Immédiatement après le dépôt des requêtes et des demandes en indication de mesures conservatoires, des
copies signées en ont été transmises aux gouvernements intéressés, conformément au paragraphe 4 de
l'article 38 et au paragraphe 2 de l'article 73 du Règlement de la Cour.

Selon l'article 74 du Règlement, une demande en indication de mesures conservatoires a priorité sur toutes
autres affaires. La date de la procédure orale doit être fixée de manière à donner aux parties la possibilité de s'y
faire représenter. En conséquence, par des communications en date du 29 avril 1999, les Parties à chaque
affaire ont été informées que la date d'ouverture de la procédure orale prévue au paragraphe 3 de l'article 74 du
Règlement, au cours de laquelle elles pourraient présenter leurs observations sur la demande en indication de
mesures conservatoires, avait été fixée au 10 mai 1999 à 10 heures. Par lettres en date des 4 et 8 mai 1999, les
Parties ont en outre été avisées des dispositions pratiques prises par la Cour aux fins de faciliter le déroulement
de ces audiences. * *

Ainsi que je l'ai annoncé à l'ouverture de la présente séance, la Cour entendra tout d'abord la Yougoslavie, qui

exposera son argumentation dans toutes les affaires. Au cours de cette présentation, l'ensemble de la Cour et
tous les juges ad hoc seront présents sur le siège.

Chacun des défendeurs sera ensuite entendu en suivant l'ordre alphabétique anglais et la Cour, recomposée
selon qu'il conviendra, remontera sur le siège pour chacune de ces audiences.

Il est prévu que la présentation de l'argumentation de la Yougoslavie durera deux heures et qu'ensuite chaque
Partie défenderesse s'adressera à la Cour pendant une heure.

Je donne donc maintenant la parole à M. Etinski, agent de la République fédérale de Yougoslavie.

M. ETINSKI : Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour, j'ai l'honneur de me
présenter devant vous en qualité d'agent de la République fédérale de Yougoslavie dans une instance introduite

contre les Etats-Unis d'Amérique, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, la République
française, la République fédérale d'Allemagne, la République italienne, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume
de Belgique, le Canada, le Portugal et le Royaume d'Espagne (ci-après dénommés les défendeurs), à la suite du
bombardement du territoire yougoslave en violation de l'obligation de ne pas recourir à l'emploi de la force
contre un autre Etat et d'autres obligations.

J'ai le plaisir et l'honneur de vous présenter M. Ian Brownlie, M. Olivier Corten, M. Stevan Djordjevic M.
Miodrag Mitic, Mr. Eric Suy, M. Paul de Waart qui paraissent devant vous en qualité de conseils et d'avocats,
et Mme Sanja Milinkovic, qui est notre d'assistante.

A la suite des requêtes qu'il a déposées, le Gouvernement yougoslave a également déposé des demandes en
indication de mesures conservatoires, par lesquelles il demande à la Cour d'ordonner aux défendeurs de cesser
immédiatement de recourir à l'emploi de la force et de s'abstenir de tout acte constituant une menace de recours
ou un recours à l'emploi de la force contre la République fédérale de Yougoslavie.

J'essaierai d'appeler votre attention sur les principaux éléments de l'argumentation de la République fédérale de
Yougoslavie dans cette procédure incidente.

M. Brownlie développera la question de l'emploi illicite de la force.

M. de Waart fournira des explications sur la tentative d'imposer par la force le prétendu accord de
Rambouillet.

M.Suy traitera de la question de la compétence de la Cour.

M. Mitic exposera les faits qui confèrent un caractère d'urgence au prononcé par la Cour
d'ordonnances.

A la fin de notre première série d'exposés, je soumettrai notre demande.

Les demandes formulées dans les requêtes s'énoncent comme suit, et étant donné que je me réfère maintenant à

l'ensemble des défendeurs, le nom de chaque défendeur apparaissant initialement dans chaque requête sera
dorénavant remplacé par les termes «les défendeurs»); pour gagner du temps, je ne donnerai pas lecture des
demandes, dont le texte figurera dans le compte rendu de la séance :

«- qu'en prenant part aux bombardements du territoire de la République fédérale de Yougoslavie,
les défendeurs ont agi contre la République fédérale de Yougoslavie, en violation de leur obligation
de ne pas recourir à l'emploi de la force contre un autre Etat; - qu'en prenant part à l'entraînement, à l'armement, au financement, à l'équipement et à
l'approvisionnement de groupes terroristes, à savoir la prétendue «armée de libération
du Kosovo», les défendeurs ont agi contre la République fédérale de Yougoslavie, en

violation de leur obligation de ne pas s'immiscer dans les affaires d'un autre Etat;

- qu'en prenant part à des attaques contre des cibles civiles les Etats-Unis d'Amérique
ont agi contre la République fédérale de Yougoslavie, en violation de leur obligation
d'épargner la population civile, les civils et les biens de caractère civil;

- qu'en prenant part à la destruction ou à l'endommagement de monastères, d'édifices
culturels, les défendeurs ont agi contre la République fédérale de Yougoslavie, en

violation de leur obligation de ne pas commettre d'actes d'hostilité dirigés contre des
monuments historiques, des oeuvres d'art ou des lieux de culte constituant le
patrimoine culturel ou spirituel d'un peuple;

- qu'en prenant part à l'utilisation de bombes en grappe les défendeurs ont agi contre la
République fédérale de Yougoslavie, en violation de leur obligation de ne pas utiliser
des armes interdites, c'est-à-dire des armes de nature à causer des maux superflus;

- qu'en prenant part aux bombardements de raffineries de pétrole et d'usines chimiques
les défendeurs ont agi contre la République fédérale de Yougoslavie, en violation de
leur obligation de ne pas causer de dommages substantiels à l'environnement;

- qu'en recourant à l'utilisation d'armes contenant de l'uranium appauvri les défendeurs
ont agi contre la République fédérale de Yougoslavie, en violation de leur obligation
de ne pas utiliser des armes interdites et de ne pas causer de dommages de grande
ampleur à la santé et à l'environnement;

- qu'en prenant part au meurtre de civils, à la destruction d'entreprises, de moyens de
communication et de structures sanitaires et culturelles les défendeurs ont agi contre la
République fédérale de Yougoslavie, en violation de leur obligation de respecter le
droit à la vie, le droit au travail, le droit à l'information, le droit aux soins de santé ainsi
que d'autres droits fondamentaux de la personne humaine;

- qu'en prenant part à la destruction de ponts situés sur des cours d'eau internationaux,
les défendeurs ont agi contre la République fédérale de Yougoslavie, en violation de

leur obligation de respecter la liberté de navigation sur les cours d'eau internationaux;

- qu'en prenant part aux activités énumérées ci-dessus et en particulier en causant des
dommages énormes à l'environnement et en utilisant de l'uranium appauvri les
défendeurs ont agi contre la République fédérale de Yougoslavie, en violation de leur
obligation de ne pas soumettre intentionnellement un groupe national à des conditions
d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;

- que les défendeurs portent la responsabilité de la violation des obligations
internationales susmentionnées;

- que les défendeurs sont tenus de mettre fin immédiatement à la violation des
obligations susmentionnées à l'égard de la République fédérale de Yougoslavie;

- que les défendeurs doivent réparation pour les préjudices causés à la République
fédérale de Yougoslavie ainsi qu'à ses citoyens et personnes morales.»

Les éléments fondamentaux de notre argumentation sont les suivants :

1. La Cour est compétente pour se prononcer sur les demandes qui lui sont adressées;

2. L'emploi de la force contre la République fédérale de Yougoslavie est illicite; 3. Rien ne peut justifier l'emploi de la force contre la République fédérale de Yougoslavie;

4. La nation yougoslave en tant que groupe national est intentionnellement soumise à des

conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;

5. Les actes d'emploi de la force sont imputables aux défendeurs;

6. Il s'agit là de faits qui prouvent l'urgence extrême de prendre des mesures conservatoires de
protection et qui attestent de l'existence d'un préjudice irréparable.

Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour,

1. La Cour est compétente pour se prononcer sur ces demandes

La compétence de la Cour pour se prononcer sur ces demandes est fondée sur les dispositions du paragraphe 2

de l'article 36 du Statut de la Cour et de l'article IX de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide en ce qui concerne le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, le Royaume des
Pays-Bas, le Royaume de Belgique, le Canada, le Portugal et le Royaume d'Espagne. Dans le cas des Etats Unis
d'Amérique, de la République française, de la République fédérale d'Allemagne et de la République italienne, la
Cour est habilitée à statuer en vertu de l'article IX de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide. Le demandeur se réfère aussi au paragraphe 5 de l'article 38 du Règlement de la Cour et invite les
défendeurs à se soumettre à l'autorité de la Cour pour ce que est de la licéité de leur attitude.

Madame et Messieurs les Membres de la Cour,

2. L'emploi de la force contre la République fédérale de Yougoslavie est illicite

2.1. Le bombardement du territoire yougoslave constitue une violation de l'obligation de ne pas recourir à la
menace ou à l'emploi de la force contre un autre Etat, obligation qui représente un principe général du droit
coutumier et un principe fondamental de la Charte des Nations Unies et qui a le caractère du jus cogens . C'est à
juste titre que Bruno Simma affirme :

«Dans le droit international contemporain, tel que codifié par la Convention de Vienne de 1969 sur
le droit des traités (articles 53 et 64), l'interdiction énoncée au paragraphe 4 de l'article 2 de la
Charte fait partie dujus cogens . En d'autres termes, elle est acceptée et reconnue par l'ensemble de
la communauté internationale des Etats comme une norme ne souffrant aucune dérogation et ne
pouvant être modifiée que par une norme de droit international général adoptée ultérieurement,
ayant le même caractère impératif. Dès lors, le jus cogens universel, à l'instar de l'interdiction
consacrée par le paragraphe 2 de l'article 2, ne peut faire l'objet d'aucune dérogation qui serait
décidée au niveau régional. En outre, l'interdiction de recourir à la menace ou à l'emploi de la force
armée s'impose aux Etats, tant à titre individuel qu'en leur qualité de membres d'organisations

internationales, telles que l'OTAN, comme elle s'impose aux organisations internationales elles-
mêmes.» (Bruno Simma, Nato, the UN and the Use of Force: Legal Aspects, EJIL , 1999, Vol. 10,
n° 1)

2.2. Le bombardement du territoire de la Yougoslavie n'est pas seulement illégal. Il constitue un crime contre la
paix, ainsi qu'un crime de génocide.

2.3. Le Conseil de sécurité des Nations Unies est seul habilité par la Charte pour décider de l'emploi de la force,

conformément aux dispositions du chapitre VII de ladite Charte. Le Conseil de sécurité peut se servir d'accords
ou d'organismes régionaux pour l'application des mesures coercitives. Mais, aux termes de l'article 53 de la
Charte : «... aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d'accords régionaux ou par des organismes
régionaux sans l'autorisation du Conseil de sécurité...». Le Conseil de sécurité n'a pas autorisé l'OTAN et ses
Etats membres à recourir à l'emploi de la force contre la République fédérale de Yougoslavie.

Il m'apparaît opportun de citer à présent quelques dispositions. Tout d'abord, l'article 103 de la Charte desNations Unies dit ceci : «En cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations Unies en vertu de la
présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront.»

Ensuite, l'article 7 du traité de l'Atlantique Nord de 1949, qui se situe dans le droit fil de l'article 103 de la
Charte, se lit comme suit :

«Le présent traité n'affecte pas et ne sera pas interprété comme affectant en aucune façon les droits
et obligations découlant de la Charte pour les parties qui sont membres des Nations Unies ou la
responsabilité primordiale du Conseil de Sécurité dans le maintien de la paix et de la sécurité
internationales.»

2.4. En bombardant des cibles civiles, les Etats défendeurs violent les obligations consacrées par la convention
de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949 et par le protocole I
du 8 juin 1977 y relatif.

2.5. En détruisant des raffineries pétrolières et des usines chimiques, les Etats défendeurs ont provoqué une
pollution considérable du sol, de l'air et des eaux, ce qui menace les éléments essentiels dont dépend la survie
de la nation. Ils ont bombardé, à plusieurs reprises, les raffineries pétrolières de Pancevo, près de Belgrade, de
Novi Sad, les usines chimiques de production d'engrais de Pancevo, l'usine de production d'azote de Pancevo,

l'entreprise chimique «Prva iskra» de Baric, près de Belgrade, ainsi que d'autres installations. Une grande partie
de la population de Pancevo a quitté son domicile afin de se protéger.

2.6. En utilisant des bombes en grappes et des armes contenant de l'uranium appauvri, les Etats défendeurs
violent leur obligation de ne pas utiliser des armes interdites, c'est-à-dire de nature à causer des maux superflus,
qui est un principe établi du droit des conflits armés. Le nombre de bombes en grappes utilisées par les Etats
défendeurs est estimé à 15 000. Pas moins de 3600 bombes en grappes ont été utilisées lors des attaques
dirigées contre des villes du Kosovo et de la Metohija, notamment Pristina, Urosevac, Djakovica et Prizren.

Monsieur le Président,

3. Rien ne peut justifier l'emploi de la force contre la République fédérale de Yougoslavie.

La déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération
entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, que l'Assemblée générale a adoptée par consensus
dans sa résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970, dispose:

«Aucun Etat ni groupe d'Etats n'a le droit d'intervenir, directement ou indirectement, pour quelque
raison que ce soit, dans les affaires intérieures ou extérieures d'un autre Etat. En conséquence, non
seulement l'intervention armée, mais aussi toute autre forme d'ingérence ou toute menace, dirigée
contre la personnalité d'un Etat ou contre ses éléments politiques, économiques et culturels, sont
contraires au droit international.»

La Cour internationale de Justice a appliqué strictement ce principe fondamental. Dans l'affaire du Nicaragua ,

elle a clairement précisé son interprétation juridique de ce principe :

«La Cour relève par ailleurs que le Nicaragua est accusé de violer les droits de l'homme, selon la
conclusion tirée par le Congrès des Etats-Unis en 1985 ... si les Etats-Unis peuvent certes porter
leur propre appréciation sur la situation des droits de l'homme au Nicaragua, l'emploi de la force ne
saurait être la méthode appropriée pour vérifier et assurer le respect de ces droits. Quant aux
mesures qui ont été prises en fait, la protection des droits de l'homme, vu son caractère strictement
humanitaire, n'est en aucune façon compatible avec le minage de ports, la destruction d'installation
pétrolières, ou encore l'entraînement, l'armement et l'équipement des contras. La Cour conclut que

le motif tiré de la préservation des droits de l'homme au Nicaragua ne peut justifier juridiquement
la conduite des Etats-Unis et ne s'harmonise pas, en tout état de cause, avec la stratégie judiciaire
de l'Etat défendeur fondée sur le droit de légitime défense collective.» (Affaire des A ctivités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci Nic(ragua c. Etats-Unis d'Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 124-125, par. 267-268).Le professeur Schachter est très clair dans son ouvrage intitulé «International law in Theory and Practice»
publié en 1991. Il affirme à la page 128 :

«Le droit international ne légitime et ne doit d'ailleurs pas légitimer l'emploi de la force au-delà des
frontières nationales, à l'exception des cas de légitime défense (y compris des cas de légitime
défense collective) et de mise en oeuvre de mesures coercitives ordonnées par le Conseil de
sécurité. Les droits de l'homme, la démocratie ou le principe d'auto-détermination ne constituent
pas un fondement juridique acceptable pour faire la guerre, pas plus qu'en l'occurrence, ce que l'on
appelle traditionnellement les justes causes ou les préjudices ouvrant droit à réparation. Cette
conclusion est non seulement en accord avec la Charte des Nations Unies telle qu'initialement
interprétée, mais également conforme à l'interprétation actuellement adoptée par la grande majorité
des Etats.»

Je pourrais m'en tenir là. Mais, sans préjudice de la compétence de la Cour telle que définie par la déclaration
yougoslave d'acceptation de la juridiction obligatoire de celle-ci, j'estime qu'il peut être utile, pour la pleine
compréhension de l'affaire, de jeter la lumière sur les circonstances dans lesquelles elle se situe.

La République fédérale de Yougoslavie est partie à presque tous les instruments internationaux relatifs aux
droits de l'homme. Elle est partie à la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de
génocide, à la convention internationale de 1966 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

au pacte international de 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, au pacte international de
1966 relatif aux droits civils et politiques, à la convention de 1968 sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre
et des crimes contre l'humanité, à la convention internationale de 1973 sur l'élimination et la répression du
crime d'apartheid , à la convention de 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des
femmes, à la convention de 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants, à la convention internationale de 1985 contre l' apartheid dans les sports et à la convention de 1989
relative aux droits de l'enfant. L'assemblée fédérale a ratifié en 1998 la convention-cadre pour la protection des
minorités adoptée par le Conseil de l'Europe en 1994. La convention-cadre est devenue partie intégrante du
droit interne et l'on trouvera, à l'annexe 1, le texte de la loi 35 reprenant cette convention. Les droits
fondamentaux des personnes physiques membres de minorités sont garantis par la constitution yougoslave et

les lois pertinentes. Il existe en Yougoslavie un grand nombre de communautés minoritaires. Dans la partie
nord de la Serbie, la Voïvodine, les principales communautés minoritaires sont les Hongrois, les Slovaques, les
Roumains et les Ruthéniens. Les relations entre ces communautés et l'Etat ne soulèvent pas de difficultés
particulières. Ces communautés sont représentées à tous les niveaux d'organisation de l'Etat. Elles jouissent de
l'autonomie locale et exercent leurs droits dans les domaines de l'éducation, de la culture et des médias. La
communauté albanaise du Kosovo-Metohija a le même statut juridique et les mêmes droits. Le problème des
relations entre cette communauté et l'Etat a son origine dans le mouvement sécessionniste militant qui a abouti
à une demande de sécession.

Réclamant uniquement et exclusivement la sécession, dans le dessein de s'unir à l'Albanie pour créer la Grande
Albanie, la plus grande partie de la minorité albanaise a refusé, ces dernières années, d'exercer les droits que lui
reconnaît le droit interne, de participer aux élections et de coopérer avec les organes de l'Etat. Malgré tout,
l'atmosphère était tolérable. Même pendant la guerre civile en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, il n'y a pas eu
de difficultés particulières. La situation concernant les droits de l'homme en République fédérale de
Yougoslavie, y compris au Kosovo-Metohija, a été jugée positive par les défendeurs. Entre 1996 et 1998, la
République fédérale de Yougoslavie a conclu plusieurs accords bilatéraux sur le retour et la réadmission des
citoyens yougoslaves obligés de quitter le territoire d'un autre Etat. De tels accords ont été appliqués à l'égard
er
de la République fédérale d'Allemagne à partir du 1 décembre 1996 (annexe 2). L'accord avec la République
italienne a été signé le 19 juin 1997 (annexe 3). L'accord avec le Royaume de Belgique a été paraphé le
16 janvier 1998 (annexe 4). Les négociations avec le Canada ont commencé en septembre 1997. Les accords
précités concernent presque exclusivement les Albanais du Kosovo-Metohija. Ceux-ci avaient quitté le Kosovo-
Metohija pour des raisons économiques. Pour donner une justification légale à leur séjour à l'étranger, ils
alléguaient une discrimination nationale. A mesure que leurs demandes d'asile étaient rejetées, et que leur
nombre augmentait, les pays d'accueil ont négocié leur réadmission par la Yougoslavie. Le rejet des demandes
d'asile ainsi que la négociation et la conclusion d'accords sur la réadmission des citoyens yougoslaves obligés

de quitter le territoire d'un autre Etat sont la preuve que les Etats en question n'ont pas constaté en Yougoslavie
de discrimination nationale contre les Albanais ni de violation de leurs droits de l'homme. Sinon, ces Etats
seraient en infraction au regard de leurs obligations envers les réfugiés.Dans le courant de 1996 et de 1997, il y a eu quelques attaques terroristes occasionnelles perpétrées par de
petits groupes criminels. En 1998, la situation a changé. Cette année-là, on a dénombré 1854 attaques
terroristes, lors desquelles 284 personnes ont été tuées et 556 blessées. Parmi ces victimes, il y a eu

115 policiers tués et 399 blessés. Plus de 100 civils ont été enlevés par des groupes terroristes. On ignore ce
qu'ils sont devenus. Les Gouvernements de la République fédérale de Yougoslavie et de la République de
Serbie ont essayé de trouver une solution pacifique, en offrant au Kosovo-Metohija une large autonomie et en
désignant une délégation gouvernementale pour discuter de la question de l'autonomie avec des représentants
des partis politiques d'Albanais du Kosovo. En 1998, cette délégation s'est rendue une vingtaine de fois à
Pristina, la capitale du Kosovo-Metohija, où ils ont attendu les représentants des partis politiques albanais. Mais
ceux-ci ne se sont pas présentés.

A la fin de l'été 1998, les forces de police ont réussi à venir à bout des activités terroristes et à disperser les

groupes terroristes du Kosovo-Metohija. Des Albanais qui avaient été recrutés de force ont remis leurs armes à
la police et sont retournés dans leurs villages, où ils ont reçu des autorités de l'Etat des soins médicaux et des
secours, alimentaires notamment.

Loin de se soustraire à un contrôle extérieur de la situation au Kosovo-Metohija, le Gouvernement de la
République fédérale de Yougoslavie a conclu avec l'OSCE, le 16 octobre 1998, l'accord sur la mission de
vérification de l'OSCE au Kosovo, par lequel il acceptait l'entrée d'une mission de surveillance forte de
2000 membres et une réduction de la présence de ses forces de police et forces armées au Kosovo-Metohija.
Les groupes terroristes ont abusé de la volonté d'apaisement ainsi manifestée par le Gouvernement yougoslave.

Ils se sont réorganisés et ont poursuivi leurs attaques terroristes. Lorsqu'il s'agissait d'attaques contre des civils,
les défendeurs leur ont occasionnellement, pour la forme, adressé un avertissement, comme s'ils étaient en droit
de tuer des policiers et des soldats yougoslaves. En fait, les groupes terroristes bénéficiaient de l'appui des
défendeurs. Il existe aux Etats-Unis d'Amérique, en République française, en République italienne, au Royaume
de Belgique, en République fédérale d'Allemagne, au Royaume des Pays-Bas et au Canada des comptes
bancaires pour le versement de contributions en faveur du terrorisme au Kosovo-Metohija, qui font l'objet
d'annonces publicitaires dans les médias et sur l'Internet.

Désireux de surmonter les difficultés de la situation, les Gouvernements de la République fédérale de

Yougoslavie et de la République de Serbie ont accepté l'invitation des pays du groupe de contact à rencontrer à
Rambouillet les représentants des partis politiques des Albanais du Kosovo, dans un effort pour arriver à un
accord politique sur une large autonomie du Kosovo-Metohija. Pour satisfaire à la condition préalable mise par
les partis albanais du Kosovo à ces pourparlers, les gouvernements ont accepté la médiation des représentants
du groupe de contact. Malheureusement, certains pays membres du groupe de contact ont exploité abusivement
l'occasion ainsi offerte. Ils ont tenté d'imposer à la République fédérale de Yougoslavie, par la voie d'un
ultimatum, le prétendu accord intérimaire pour la paix et l'autonomie au Kosovo. Ces pays ont tenté d'imposer
un projet d'autonomie dont il n'existe d'exemple nulle part au monde, qui comportait des éléments de
souveraineté et de compétence excédant ceux d'unités constitutives d'une fédération. En outre, il prévoyait une

sorte de protectorat sur le Kosovo-Metohija, ainsi qu'une occupation militaire par des forces militaires
internationales placées sous la direction de l'OTAN. Aucun Etat qui se respecte tant soit peu ne saurait accepter
une telle proposition. Cela ne signifie pas que la délégation des Gouvernement de la Serbie et de la
Yougoslavie, lors de la réunion tenue en France, aient renoncé à l'idée d'une large autonomie. Les membres de
la délégation ont signé leur proposition intitulée «Accord sur l'autonomie au Kosmet».

A la suite de l'échec de la réunion de Rambouillet-Kleber, l'OTAN a commencé à envoyer des soldats dans des
pays frontaliers de la Yougoslavie, c'est-à-dire de la province serbe du Kosovo-Metohija. La Yougoslavie a
réagi en renforçant la présence de ses troupes dans la région mais il n'y a rien eu de spectaculaire au Kosovo-

Metohija. Sans le moindre motif, le président en exercice de l'OSCE a annoncé le retrait de la mission de
vérification au Kosovo. Il dit dans sa lettre :

[Traduction du Greffe] :

«La mission de l'OSCE a beaucoup favorisé la stabilité au Kosovo et c'est avec tristesse que je dois
procéder au retrait de la mission. En ma qualité de président en exercice de l'OSCE, responsable de
la sécurité d'environ 1400 vérificateurs originaires de nombreux pays, je n'ai toutefois pas d'autre

choix dans les circonstances actuelles. J'ai pris ma décision en raison de l'intensification de la violence au Kosovo dont sont coupables à la
fois l'armée yougoslave et l'armée de libération du Kosovo. Le renforcement des troupes
yougoslaves au Kosovo en violation de l'accord d'octobre a toutefois aggravé indûment la situation

et a constitué pour moi un élément déterminant.» (Lettre du 19 mars 1999 adressée par le président
en exercice de l'OSCE au président de la République fédérale de la Yougoslavie, annexe 5.)

Le président de l'OSCE en exercice n'a pas fait mention de la catastrophe humanitaire parce que celle-ci
n'existait pas à l'époque. Mais c'est précisément la catastrophe humanitaire qui a servi par la suite de prétexte au
recours à la force. Le président en exercice a uniquement fait état de

«l'intensification de la violence au Kosovo» dont il rendait coupables à la fois l'armée yougoslave

et la prétendue armée de libération du Kosovo. Il n'a pas donné d'autre précision. A l'époque, les
groupes terroristes intensifiaient leur activité, cherchant à commencer à justifier l'intervention
militaire de l'OTAN. Le président en exercice de l'OSCE faisait également état du «renforcement
des troupes yougoslaves au Kosovo en violation de l'accord d'octobre».

Comme je l'ai déjà dit, l'effectif des forces armées yougoslaves a été légèrement accru pour faire écho à
l'augmentation de l'effectif des troupes de l'OTAN aux frontières de la Yougoslavie.

En bombardant le territoire de la Yougoslavie, les défendeurs ont provoqué une catastrophe humanitaire dans
l'ensemble de la Yougoslavie, y compris le Kosovo-Metohija. Des flots de réfugiés se sont déplacés depuis
toutes les régions de Yougoslavie. Le Gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie a
unilatéralement proclamé, avant les Pâques orthodoxes, la cessation des actions qu'il menait contre les groupes
terroristes au Kosovo-Metohija et il a demandé aux réfugiés de rentrer chez eux. Les défendeurs ont répondu
que ce n'était pas assez, qu'il fallait que les forces de l'OTAN viennent au Kosovo-Metohija pour assurer en
toute sécurité le retour des réfugiés. Après quoi, l'OTAN a bombardé une colonne de réfugiés, tuant 75 réfugiés
albanais qui rentraient chez eux.

Je voudrais souligner que la minorité albanaise en Yougoslavie n'est pas menacée par l'Etat serbe ou
yougoslave. Elle est victime de la politique sécessionniste de ses dirigeants politiques qui la pousse à un
affrontement avec l'Etat.

Madame et Messieurs les Membres de la Cour, si les défendeurs font valoir que leurs intentions sont pures et
visent à protéger les droits de l'homme, montrez-vous prudents face à cette affirmation. Mon gouvernement a
demandé à devenir membre du Conseil de l'Europe (annexe 6). Chacun sait que l'entrée au Conseil de l'Europe
passe par la convention européenne des droits de l'homme et l'adhésion à la Cour européenne des droits de
l'homme. Au lieu d'appuyer cette demande et d'ouvrir la voie à un éventuel contrôle judiciaire extérieur du

respect des droits de l'homme dans mon pays, les défendeurs ont choisi les bombardements comme méthode
pour améliorer la situation des droits de l'homme en République fédérale de Yougoslavie. En tuant des gens, en
assassinant des enfants, en détruisant l'économie, en polluant le sol, l'air et l'eau, les défendeurs prétendent
protéger les droits d'une minorité. En brisant toute une nation, ils veulent protéger une partie de cette nation,
c'est-à-dire une de ses nombreuses communautés ethniques. Monsieur le président, Madame et Messieurs les
Membres de la Cour, une telle attitude n'est, à aucun point de vue, acceptable.

Madame et Messieurs les Membres de la Cour, les défendeurs soumettent intentionnellement un groupe
national, en l'occurrence la nation yougoslave, à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction

physique totale ou partielle.

4.1. Le bombardement constant de tout le territoire national, la pollution du sol, de l'air et de l'eau, la
destruction de l'économie du pays, la contamination de l'environnement par de l'uranium appauvri reviennent a
soumettre la nation yougoslave à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique.

4.2. Les défendeurs se sont servis d'armes qui contiennent de l'uranium appauvri. L'institut de science nucléaire
qui siège à Belgrade a confirmé le fait (annexe 7). Un institut étudiant la politique environnementale de l'armée

(Army Environmental Policy Institute) chargé par le cabinet du secrétaire adjoint aux installations, à la
logistique et à l'environnement de l'armée des Etats-Unis (Army Installations, Logistic and Environment of the
USA) a publié un rapport technique sur les conséquences pour la santé et l'environnement de l'utilisation
d'uranium appauvri par l'armée des Etats-Unis. Sur les risques que cette irradiation fait courir à la santé, cerapport dit ceci :

[Traduction du Greffe]

«A l'intérieur du corps, l'uranium appauvri irradie partout où il émigre. Ce sont les radiations alpha
qui constituent l'élément le plus dangereux du risque d'irradiation lié à l'uranium appauvri. La dose
d'irradiation subie par les organes vitaux dépend de la durée du séjour de l'uranium appauvri dans
les organes en question. Quand cette valeur est connue ou calculée, il est possible d'évaluer à titre
estimatif le risque de cancer et le risque héréditaire.» (Health and Environnemental Consequences
of Depleted Uranium Use in the US Army : Technical Report, p. 108, annexe 8.)

On sait parfaitement que le risque d'irradiation s'est matérialisé pour un grand nombre de soldats américains
participant à des actions dirigées contre l'Iraq. De graves conséquences pour la santé et l'environnement ont été
constatées dans des régions de Bosnie-Herzégovine exposées aux effets d'armes qui contiennent de l'uranium
appauvri. Les défendeurs connaissent certainement par avance les dommages que vont subir à long terme la
santé et l'environnement, et cela témoigne implicitement de l'intention de détruire totalement ou partiellement
un groupe national en tant que tel.

4.3. Au cours de la nuit du 2 mai 1999 et par la suite, les défendeurs ont bombardé des centrales électriques, des

transformateurs et des lignes de transmission, détruisant ainsi la plus grande partie du réseau d'alimentation en
électricité du pays et privant d'électricité la quasi totalité des usagers. Les défendeurs ont, avec cet acte, pris
pour cible la nation yougoslave toute entière en tant que telle. Or, dans le monde d'aujourd'hui, l'électricité est
un élément de survie de la société. Les défendeurs devaient incontestablement savoir que la destruction du
réseau d'alimentation d'électricité d'un pays peut avoir des conséquences énormes, qui vont jusqu'aux pertes en
vies humaines. Cela aussi, incontestablement, les défendeurs le savaient d'avance, ce qui signifie implicitement
qu'ils avaient l'intention de détruire le groupe national yougoslave.

4.4. Les faits ci-dessus justifient la qualification de crime de génocide.

Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, les actes de force en question sont imputables aux
défendeurs.

5.1. Les défendeurs ont fait appel à leurs forces militaires pour bombarder. Les forces militaires sont des
organes de l'Etat et leurs actes sont imputables à l'Etat.

5.2. Selon l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord de 1949, et je cite :

«Les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en
Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les
parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d'elles,
dans l'exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l'article 51 de la
Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt,
individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris
l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord.»

Selon la règle de base susmentionnée, les défendeurs sont en train d'agir individuellement et de concert.

5.3. A mon avis, les détails fournis par le manuel de l'OTAN, publié en 1998, sur le fonctionnement de cette
organisation, peuvent être pertinents en la matière. A propos des «hautes instances de l'Alliance chargées de la
politique générale et de la prise de décisions», il est dit dans ce manuel que :

«Lorsque des décisions doivent être prises, elles le sont à l'unanimité et d'un commun accord. Il n'y
a ni vote ni décision à la majorité. Chaque pays représenté au Conseil ou à l'un quelconque de ses
comités subordonnés conserve son entière souveraineté et la pleine responsabilité de ses
décisions.» (Manuel de l'OTAN, Bruxelles, 1998, p. 38)

5.4. Concernant le rôle des forces armées intégrées, il est précisé dans le manuel que : «Conformément aux principes fondamentaux sur lesquels reposent les relations entre institutions
politiques et militaires dans les Etats démocratiques, la structure militaire intégrée reste à tout
moment sous le contrôle des responsables politiques au niveau le plus élevé, qui fixent les

orientations à suivre.» (Ibid, p. 271).

5.5. C'est ainsi que, même intégrées aux forces militaires de l'OTAN, les forces militaires des défendeurs
demeurent sous leur contrôle et sont soumises à leurs orientations.

Madame et Messieurs de la Cour, les faits font ressortir le caractère extrêmement urgent de mesures
provisoires de protection et montrent l'existence de préjudices irréparables

Jusqu'à présent, les défendeurs ont causé la mort de plus de 1200 personnes en Yougoslavie et des blessures à
plus de 4500 autres. Depuis la présentation des demandes de mesures préliminaires de protection, les
défendeurs ont tué plus de 200 personnes en Yougoslavie.

Au cours de la nuit du 30 avril 1999, le Centre trauma de Belgrade a admis 38 citoyens blessés lors de l'attaque
perpétrée par les défendeurs dans le centre-ville de Belgrade. L'un d'eux est décédé.

er
Le 1 mai 1999, à 13 heures environ, une bombe des défendeurs a atteint un autobus sur la route reliant Pristina
et Podujevo, au Kosovo et au Metohija, respectivement, tuant soixante voyageurs. Des treize blessés qui ont été
amenés à la clinique de Pristina, neuf sont Albanais et quatre Serbes. Quatre sont des enfants. Un autobus
reliant Nis et Pristina a été d'autre part directement atteint par un missile qui l'a coupé en deux. Une heure plus
tard, une ambulance qui arrivait sur les lieux pour prendre soin des victimes a été prise pour cible. Un médecin
a été blessé à la tête (des éléments de preuve photographiques sont joints au dossier).

Le 3 mai 1999, aux alentours de midi, les défendeurs ont frappé un autobus reliant Pec-Kula et Rozaje, au
Kosovo et au Metohija, respectivement. Vingt civils ont été tués et quarante-trois autres blessés. A bord se
trouvaient essentiellement des femmes, des enfants et des personnes âgées. Un autobus reliant Djakovica et
Podgorica a été d'autre part incendié par une frappe. L'autobus a été directement atteint par deux missiles et des
bombes à fragmentation ont été lâchées lorsque des policiers et une équipe médicale de Pec arrivaient sur les
lieux pour secourir les victimes. Beaucoup de fragments de ces bombes ont été retrouvés sur la scène de
l'incident. Les mots «sensor proximity - 39/b» étaient inscrits sur lesdites bombes. Outre l'autobus, plusieurs
voitures ont été atteintes.

Le 7 mai 1999, les défendeurs ont lâché des bombes à fragmentation dans le centre-ville de Nis, la deuxième
plus grande ville de Yougoslavie, tuant 10 civils.

Au cours de la nuit du 7 mai 1999, et lors d'un bombardement du centre-ville de Belgrade, les défendeurs ont
détruit l'ambassade de la République populaire de Chine, tuant quatre membres de son personnel diplomatique.

Les défendeurs ont confirmé tous ces incidents meurtriers.

Depuis la présentation des demandes de mesures préliminaires, les défendeurs ont bombardé Belgrade,
Podgorica, Novi Sad, Pristina, Nis, Pancevo, Vrsac, Uzice, Cacak, Kraljevo, Trstenik, Nova Varos, Pec,
Leposavic, Berane, Sombor, Novi Pazar, Krusevac, Pozega, Bajina Basta, Prijepolje, Valjevo, Sremska
Mitrovica, Gnjilane, Kosovska Mitrovica et Backa Palanka, ainsi qu'un grand nombre de villages (des éléments
de preuve photographiques sont joints au dossier). Les défendeurs ont donc bombardé l'ensemble du territoire
de la Yougoslavie et fait de très nombreuses victimes civiles et militaires et d'énormes dégâts matériels. Ils se
proposent de détruire complètement la nation yougoslave. Il faut les arrêter avant qu'ils n'y parviennent.

Je vous remercie, Monsieur le président et Madame et Messieurs de la Cour, de votre attention, et vous
demande, Monsieur le président, de bien vouloir donner la parole à M. Brownlie.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je vous remercie Monsieur Etinski. Je donne maintenant
la parole à M. Brownlie.M. BROWNLIE : Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour,

J'ai le privilège de représenter la République fédérale de Yougoslavie. Ma tâche initiale consiste à passer en
revue les questions juridiques que soulève l'emploi de la force par les Etats défendeurs.

I. Propositions

J'aimerais tout d'abord présenter une série de propositions.

Premièrement : L'attaque perpétrée contre le territoire de la Yougoslavie constitue une violation
systématique du paragraphe 4 de l'article 2 de la Charte des Nations Unies.

Deuxièmement : Cette attaque ne peut se justifier en tant que moyen individuel ou collectif de
légitime défense et n'est autorisée par aucune résolution du Conseil de sécurité.

Troisièmement : L'intervention humanitaire que les Etats défendeurs ont invoquée tardivement en
tant que justification n'a aucune valeur juridique.

Quatrièmement : Le recours à l'intervention humanitaire, en tout état de cause - en tout état de
cause - n'est pas valable, du fait des modalités illicites des bombardements aériens et les moyens
mis en oeuvre par les Etats défendeurs sont extrêmement disproportionnés par rapport aux buts
avoués de l'action entreprise.

Cinquièmement : Les rares défenseurs de l'intervention humanitaire confèrent à cette doctrine un
profil qui est totalement étranger à cette campagne de bombardement.

Sixièmement : La structure de commandement de l'OTAN constitue un instrument au service des
Etats défendeurs et leur sert d'agent.

Ceci termine ma série de propositions.

II. Le paragraphe 4 de l'article 2 de la Charte des Nations Unies

Ainsi l'attaque perpétrée contre le territoire de la Yougoslavie constitue une violation systématique du
paragraphe 4 de l'article 2 de la Charte.

A mon avis, le principe évoqué au paragraphe 4 de l'article 2, tel qu'établi en 1945, demeure intact. Ainsi que l'a
souligné, parmi d'autres, le professeur Virally, il ressort clairement des travaux préparatoires de la Charte que
l'inclusion du membre de phrase «contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout Etat» (voir
Cot et Pellet,La Charte des Nations Unies , 1985, p. 114) exclue toute intervention justifiée par des motifs
spéciaux. Tel est l'avis du professeur Virally.

La pratique suivie ultérieurement par les Etats membres des Nations Unies n'a donné lieu à aucune dérogation
en droit international général. Une telle dérogation constituerait en principe une aberration majeure et exigerait

que soient rapportés des éléments de preuve concordants et substantiels. Aucun des Etats membres de l'OTAN
n'a affirmé l'existence et encore moins apporté la preuve d'une telle évolution du droit coutumier.

III. Confirmation de cette position

La position énoncé dans la Charte a été confirmée, vingt-cinq ans plus tard, en 1970, dans la déclaration relative
aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats. La Courreconnaîtra sans doute que la déclaration apporte la preuve du consensus auquel sont parvenus les Etats quant à
la signification des principes de la Charte. La déclaration confirme en particulier : « Le principe relatif au devoir
de ne pas intervenir dans les affaires relevant de la compétence nationale d'un Etat, conformément à la

Charte.»

Ce document contient ensuite un commentaire officiel :

«Aucun Etat ou groupe d'Etats n'a le droit d'intervenir, directement ou indirectement, pour quelque
raison que ce soit, dans les affaires intérieures ou extérieures d'un autre Etat. En conséquence, non
seulement l'intervention armée, mais aussi tout autre forme d'ingérence ou toute menace, dirigées
contre la personnalité d'un Etat ou contre ses éléments politiques, économiques et culturels, sont

contraires au droit international;

Aucun Etat ne peut appliquer ni encourager l'usage de mesures économiques, politiques ou de tout
autre nature pour contraindre un autre Etat à subordonner l'exercice de ses droits souverains et pour
obtenir de lui des avantages de quelque ordre que ce soit. Tous les Etats doivent aussi s'abstenir
d'organiser, d'aider, de fomenter, de financer, d'encourager ou de tolérer des activités armées
subversives ou terroristes destinées à changer par la violence le régime d'un autre Etat ainsi que
d'intervenir dans les luttes intestines d'un autre Etat.

L'usage de la force pour priver les peuples de leur identité nationale constitue une violation de leurs
droits inaliénables et du principe de non-intervention .

Tout Etat a le droit inaliénable de choisir son système politique, économique, social et culturel sans
aucune forme d'ingérence de la part d'un autre Etat

Rien dans les paragraphes qui précèdent ne devra être interprété comme affectant les dispositions

de la Charte relatives au maintien de la paix et de la sécurité internationales.»

Le régime juridique général de la Charte a été exposé par celui qui était alors le professeur Schwebel dans la
série de conférences qu'il a donné en 1971 à l'académie de La Haye sous le titre général «Agression,
intervention and self-defence in Modern International Law » (Recueil des cours , vol. II (1972), p. 413-497).

Les principes fondamentaux du régime juridique régissant l'emploi de la force ont également été réaffirmés
dans la définition de l'agression adoptée par l'Assemblée générale le 14 décembre 1974 (résolution 3314

(XXIX). L'article 5 de la définition dispose qu': «aucune considération de quelque nature que ce soit, politique,
économique, militaire ou autre, ne saurait justifier une agression.»

IV. La doctrine de l'intervention humanitaire n'est pas reconnue de source faisant autorité

A mon avis, les Etats défendeurs ne peuvent se prévaloir de la prétendue doctrine de l'intervention humanitaire.

Il n'existe aucune preuve d'une telle évolution en droit international coutumier. En outre les représentants des
Etats défendeurs ont en fait cherché à se prévaloir de résolutions du Conseil de sécurité et non pas d'une
doctrine de l'intervention humanitaire. Je me réfère à l'intervention formulée par le Secrétaire d'Etat aux affaires
étrangères du Royaume-Uni, M. Robin Cook, le 19 octobre 1998, et à la déclaration faite devant le parlement
par le premier ministre, M. Blair, le 23 mars courant. Le principe de l'intervention humanitaire n'a pas été
reconnu de source faisant autorité au cours des trente ans écoulés.

S'agissant de la doctrine, je passerai en revue par ordre chronologique les sources pertinentes faisant autorité.

La première est Mme Marjorie Whiteman, rédacteur en chef du célèbre Digest of International Law qui reflète
la pratique des Etats-Unis (vol. 12, p. 204-215 (1971) (onglet 3 du dossier déposé par l'agent)). Il s'agit d'une
publication officielle du département d'Etat des Etats-Unis. Mme Whiteman expose diverses opinions -
certaines pour, certaines contre - mais ne propose aucun exemple dans lequel le principe aurait été entériné par
le Gouvernement des Etats-Unis. Ce Digest a été publié en 1971.Deuxièmement, nous avons aussi les vues exprimées en 1972 par le professeur Schwebel dans le cadre de sa
contribution aux conférences de l'Académie de La Haye. Dans son examen approfondi des questions de
l'agression et de l'intervention, M. Schwebel n'a pas fait une seule fois mention de l'intervention humanitaire.

C'était en 1972.

Troisièmement, nous avons l'avis du professeur Oscar Schachter, paru dans la Michigan Law Review (vol. 82
(1984), p. 1629). Le professeur Schachter a écrit que «les gouvernements dans leur ensemble (et la plupart des
juristes) ne revendiqueraient pas le droit d'intervenir par la force pour protéger les nationaux d'un autre pays
contre les atrocités commises dans ce pays».

Quatrièmement, nous avons les vues du Foreign Office britannique exprimées dans le document de politique
o
étrangère n 148. Ces vues sont reprises intégralement dans le British Year Book of International Law ,
volume 57 (1986), à partir de la page 614.

Le passage clef s'énonce comme suit :

«II.22. En fait, le meilleur argument que l'on puisse avancer en faveur de l'intervention humanitaire

est que l'on ne peut pas dire qu'elle soit clairement illicite. Pour soutenir une telle intervention, il
faut démontrer, en se référant en particulier au paragraphe 3 de l'Article 1 de la Charte des
Nations Unies qui inclut le développement et l'encouragement du respect des droits de l'homme
parmi les buts et principes des Nations Unies, que les paragraphes 7 et 4 de l'Article 2 ne
s'appliquent pas en cas de violation flagrante des droits de l'homme. Mais, dans la grande majorité
des cas, la doctrine contemporaine se prononce contre l'existence d'un droit d'intervention
humanitaire, pour trois grandes raisons : premièrement, la Charte des Nations Unies et le droit
international contemporain positif ne semblent pas prévoir spécifiquement un tel droit;
deuxièmement, la pratique des Etats au cours des deux siècles derniers et en particulier depuis
1945, fournit tout au mieux une poignée de cas authentiques d'interventions humanitaires voire,

selon certains auteurs, aucun; enfin, eu égard aux abus auxquels un tel droit pourrait donner lieu, la
prudence plaide fortement contre la création d'un tel droit. Comme le fait valoir Akehurst, le fait
que certains Etats revendiquent le droit d'employer la force pour prévenir les violations des droits
de l'homme peut dissuader d'autres Etats d'accepter des obligations juridiques en matière de droits
de l'homme. Par essence donc, la raison pour laquelle il ne faut pas accepter que l'intervention
humanitaire fasse exception au principe de la non-intervention est que ses coûts en termes de
respect du droit international l'emporteraient largement sur ses avantages hypothétiques.» (Note de
bas de page omise.) (P. 619.)

Je passerai ensuite à l'opinion du professeur Yoram Dinstein dans sa monographie intitulée War, Aggression
and Self-Defence (CUP, 1988, p. 89 (onglet 4 du dossier déposé par l'agent)). Le professeur Dinstein conclut
que «rien dans la Charte ne justifie le droit d'un Etat de recourir à l'emploi de la force contre un autre Etat sous
prétexte d'assurer la mise en application des droits de l'homme». ( Ibid., p. 89.)

Nous avons aussi l'opinion du professeur Randelzhofer d'Allemagne, dans le volume édité par Bruno Simma,
«The Charter of the United Nations, A Commentary» (OUP, 1994 (onglet 6 du dossier déposé par l'agent),
p. 123-124).

Le professeur Randelzhofer considère qu'il n'y a pas place pour le concept d'intervention humanitaire, ni dans la
Charte, ni dans le droit coutumier.

Enfin, nous avons l'opinion du professeur Bruno Simma qui écrit dans le European Journal of International
Law (vol. 10 (1999) disponible sur Internet). Il considère que l'emploi de la force à des fins humanitaires est
incompatible avec la Charte des Nations Unies en l'absence d'une autorisation du Conseil de sécurité (onglet 8
du dossier déposé par l'agent).

Monsieur le président, ces sources couvrent une période de 30 ans et constituent l'opinion soigneusement pesée
de personnes connues de différentes nationalités qui font autorité en la matière. V. Au vu des faits, cette attaque contre la Yougoslavie ne peut être qualifiée d'intervention humanitaire

Monsieur le président, en dehors des questions juridiques, il existe de très fortes raisons de ne pas reconnaître

les «frappes aériennes» comme une intervention humanitaire.

Premièrement : Il n'y a tout simplement pas d'objectif humanitaire. Les mesures prises contre la
Yougoslavie, comme bien de diplomates le savent, font partie d'un agenda géopolitique en cours
sans aucun lien avec les droits de l'homme. Lorsqu'en 1995, 600 000 Serbes ont été forcés de
quitter le Krajina, les Etats défendeurs n'ont rien dit.

Deuxièmement : Les modalités choisies ôtent tout caractère humanitaire aux activités entreprises.

Les bombardements des zones peuplées de la Yougoslavie et le recours à des armes hautement
performantes et anti-personnel suppose des politiques entièrement contraires à une intervention
humanitaire. En outre, des bombardements à partir d'une altitude de quelque 4500 mètres mettent
inévitablement en danger la vie de civils et ce mode opérationnel ne vise qu'à éviter les risques d'un
combat au sol.

L'ensemble de la population yougoslave est ainsi soumise à un traitement et à un châtiment inhumains pour des
raisons politiques. Mille deux cents civils ont été tués jusqu'à présent et quatre mille cinq cents grièvement

blessés.

Certains groupes de civils, comme le personnel des services de télévision sont délibérément visés. Le chef
d'Etat de la Yougoslavie a fait l'objet de plusieurs tentatives d'assassinat. De telles initiatives écartent
clairement, selon nous, toute prétention humanitaire.

Troisièmement : Le choix d'une campagne de bombardements est sans proportion avec les buts
déclarés de l'action entreprise. La protection d'une minorité dans une région soumet en effet toutes

les autres communautés de l'ensemble de la Yougoslavie aux risques de bombardements intensifs.

Quatrièmement : Les cibles choisies et l'étendue géographique des bombardements fait ressortir de
larges objectifs politiques n'ayant rien à voir avec des questions humanitaires.

VI. Importantes considérations d'ordre public international interdisant de de qualifier les
bombardements d'action humanitaire

Monsieur le président, il existe, outre ces éléments de fait, des considérations majeures ressortissant à l'ordre
public international qui, séparément et cumulativement, interdisent de qualifier le bombardement de la
Yougoslavie d'action humanitaire.

Premièrement : Comme les Etats défendeurs le savent fort bien, la prétendue crise a son origine dans le conflit
civil qui a été délibérément fomenté au Kosovo et dans l'intervention qui s'est ensuivie des Etats de l'OTAN

dans la guerre civile. Cette ingérence se poursuit. Dans ces conditions, les Etats responsables de ce conflit et de
l'intervention sont forclos à invoquer des motifs humanitaires.

Il y a lieu, à cet égard, de rappeler que le projet de la commission du droit international de 1980 sur la
responsabilité des Etats dispose en son article 33 (pour l'essentiel) que :

«2. En tout état de cause, l'état de nécessité ne peut pas être invoqué par un Etat comme une cause
d'exclusion d'illicéité

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

c)si l'Etat en question a contribué à la survenance de l'état de nécessité.» (nnuaire de la
commission du droit international, 1980, vol. II, deuxième partie, p. 33 à 50.)Deuxièmement : Les menaces de recours à l'emploi massif de la force remontent à sept mois et ont toujours eu
pour but non pas d'aboutir à un véritable règlement pacifique mais d'imposer un diktat. La campagne aérienne
massive était prévue depuis un certain temps à des fins de coercition générale, pour contraindre la Yougoslavie

à se soumettre aux exigences de l'OTAN. Il est de notoriété publique que la première menace de frappes
aériennes de l'OTAN date d'octobre de l'année dernière.

Troisièmement : Rien n'a été fait pour essayer d'obtenir l'autorisation du Conseil de sécurité. Madame et
Messieurs de la Cour, s'il s'agissait là d'une intervention à l'évidence humanitaire, acceptable pour l'ensemble de
la communauté internationale, pourquoi n'était-il pas possible de demander l'autorisation du Conseil de
sécurité ?

Quatrièmement : Rien ne permet de dire que le principe de jus cogens qui concerne le recours à la force ait été
remplacé par quelque autre principe de jus cogens .

VII. Les auteurs prônant l'intervention humanitaire avaient en vue un modèle radicalement différent

Monsieur le président, j'ajouterai ceci. Si l'on étudie les arguments des rares auteurs qui prônent l'intervention

humanitaire, on s'aperçoit clairement qu'ils n'ont jamais envisagé quoi que ce soit qui ressemble aux
bombardements lancés par l'OTAN sur des régions habitées de Yougoslavie, aux dommages infligés au système
de santé, à la destruction de l'infrastructure civile, à l'emploi d'armes prohibées ou à la destruction à grande
échelle de biens culturels.

Enfin, les Etats défendeurs sont solidairement et conjointement responsables des actions du commandement
militaire de l'OTAN, qui selon moi est leur instrument.

Monsieur le Président, je voudrais vous prier de bien vouloir donner la parole à mon collègue le professeur Paul
de Waart.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Merci, Monsieur Brownlie. Le moment est peut-être
venu d'une brève suspension d'audience. L'audience sera suspendue pendant 15 minutes.

L'audience est suspendue de 11 h 25 à 11 h 45.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président: Veuillez vous asseoir. Je donne à présent la parole à M.
de Waart.

M. de WAART: Monsieur le président, Madame et Messieurs les Membres de la Cour,

1. Remarques liminaires

Il m'appartient d'examiner les aspects juridiques relatifs à la menace de l'emploi de la force par les Etats
défendeurs pour exiger de la République fédérale de Yougoslavie (RFY) qu'elle signe le projet d'accord
intérimaire pour la paix et l'autonomie au Kosovo, ci-après dénommé l'accord intérimaire. Ces aspects
juridiques touchent, respectivement, au droit des traités, à la portée et à la teneur de l'accord intérimaire, aux
principes fondamentaux du droit international qui sont en jeu dans ce que l'on appelle la diplomatie coercitive et
à l'absence d'état de nécessité».Je démontrerai que la menace de l'emploi de la force puis l'emploi de la force par les Etats défendeurs après que
la Yougoslavie a refusé de signer l'accord, constituent une violation de la Charte des Nations Unies et de la
convention de Vienne sur le droit des traités. Même si la Yougoslavie avait signé l'accord intérimaire, celui-ci

aurait été nul et non avenu au regard du droit international positif.

2. Le droit des traités

Monsieur le président, la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités dispose «qu'[e]st nul tout traité
dont la conclusion a été obtenue par la menace ou l'emploi de la force en violation des principes de droit
international incorporés dans la Charte des Nations Unies» (art. 52).

Dans son avant-propos à l'ouvrage de Malawer intitulé «Imposed Treaties and International Law», publié en
1977, le professeur R.R. Baxter affirme :

«la manière remarquable dont la convention de Vienne sur le droit des traités a été reçue dans le
droit international coutumier a sans nul doute donné une place solide à l'article 52 dans le droit
international général. Mais ni l'article 2.4 de la Charte, ni l'article 52 de la convention de Vienne
n'ont résolu le problème des traités imposés.»

Malawer définit un traité imposé comme étant «non seulement un traité mettant un terme aux hostilités comme
décrit ci-dessus, mais également tout accord international dont la conclusion résulte de l'emploi agressif de la
force armée» (p. 9). Selon lui, selon Malawer, le terme «force» utilisé à l'article 52 doit être interprété dans tous
les cas comme désignant une «force armée» (p. 162). Selon Meinhard Schröder, le libellé de l'article 52 «vise
non seulement l'utilisation injustifiée de la contrainte physique ou de la force armée, mais également les
pressions économiques et politiques» (les italiques sont de moi) («Treaties, validity», in R. Bernhardt,
Encyclopedia of Public International Law, fascicule 7, 1984, p. 513).

La menace ou l'emploi de la force contre la République fédérale de Yougoslavie pour la contraindre à signer le
projet d'accord de Rambouillet sur le Kosovo sont injustifiés car ils impliquent une grave violation des
principes du droit international consacrés par la Charte des Nations Unies, notamment le principe d'égalité
souveraine de tous ses Membres, l'obligation des Etats de régler leurs différends internationaux par des moyens
pacifiques et leur obligation de ne pas s'immiscer dans des affaires qui relèvent essentiellement de la
compétence nationale d'un Etat.

L'actuelle catastrophe humanitaire, que le monde entier déplore profondément, résulte de l'interprétation et de
l'application inéquitables des principes fondamentaux susmentionnés du droit international par le groupe de

contact, en particulier par les membres de l'OTAN. Comme vous le savez, ce groupe se compose des ministres
des affaires étrangères de la France, de l'Allemagne, de l'Italie, de la Fédération de Russie, du Royaume-Uni et
des Etats-Unis. Les dispositions de mise en oeuvre de l'accord intérimaire reconnaissent censément l'intégrité
territoriale et l'indépendance politique de la République fédérale de Yougoslavie. Cependant, les membres de
l'OTAN ont encouragé le séparatisme de l'UCK en menaçant unilatéralement la République fédérale de
Yougoslavie de bombardements aériens si celle-ci n'acceptait pas l'accord intérimaire. Ceci ressort du contenu
de l'accord intérimaire. C'est le groupe de contact pour la Yougoslavie qui a rédigé cet accord. Le projet a été
soumis aux trois parties intéressées : la République fédérale de Yougoslavie, la République de Serbie et le
Kosovo, successivement à Rambouillet et à Kleber en février et en mars 1999. La République fédérale de
Yougoslavie et la Serbie ont refusé de signer. Deux des trois témoins seulement - les Etats-Unis et l'Union

européenne - ont signé l'accord intérimaire. Le troisième témoin, la Fédération de Russie, s'y est refusé.

Ainsi que cela ressort du plan général de l'accord, les chapitres de mise en oeuvre par une force armée sous le
contrôle de l'OTAN constituent le coeur de l'accord intérimaire. J'examine ce plan en détail dans une note de
bas de page dont je donnerai à présent lecture1. Le texte d'une partie de l'accord intérimaire a été téléchargé à
partir de l'Internet et est fourni en tant qu'en annexe à mon exposé. L'appendice B du chapitre 7 porte sur le
statut de la force militaire internationale d'exécution (KFOR) - Kosovo FOR, vraisemblablement. Aux termes
de son dernier paragraphe, les dispositions de l'annexe B resteront en vigueur jusqu'à ce que l'opération soit

menée à son terme ou jusqu'à ce que les parties et l'OTAN en décident autrement (p. 43 de l'accord intérimaire).

Selon le projet, on entend par «opération» : «le soutien, la mise en oeuvre, la présence et la participation assurés par l'OTAN et le personnel de
l'OTAN pour promouvoir la réalisation des objectifs de ce chapitre qui sont de parvenir à une
cessation durable des hostilités, et de fournir un appui et une habilitation aux forces du Kosovo

(KFOR)» (ann. B, par. 1 d); accord intérimaire, p. 41) [traduction du Greffe] .

En outre, l'accord intérimaire dispose que les obligations des parties ont pour objectif :

«b) d'assurer le soutien et l'habilitation de la KFOR, en particulier d'autoriser celle-ci à prendre les
mesures qui s'imposent, y compris l'utilisation de la force nécessaire, pour garantir le respect des
dispositions du présent chapitre et la protection de la KFOR, de la mission d'exécution (ME) et des
autres organisations internationales, agences, organisations non gouvernementales participant à la

mise en oeuvre du présent accord et pour contribuer à la création d'un environnement sûr;

c) de permettre, sans frais, l'utilisation de tous les services et installations nécessaires au
déploiement des opérations et au soutien de la KFOR» [traduction du Greffe] .

Le plan général de l'accord permet de constater que, quantitativement parlant, la substance de l'accord
intérimaire n'est pas tant la partie politique - l'autonomie du Kosovo - que la partie relative à la mise en oeuvre -
l'installation des forces de l'OTAN au Kosovo.

Des progrès ont été réalisés lors de la première conférence de Rambouillet. Lors de la seconde conférence à
Kléber, la délégation yougoslave a demandé que les négociations se poursuivent pour parvenir à un accord sur
la partie politique avant d'examiner la question de la mise en oeuvre sans la pression d'une présence militaire
étrangère. Mais certains Etats du groupe de contact ont été d'avis qu'il fallait d'abord aboutir à accord
concernant la mise en oeuvre, y compris la présence militaire étrangère.

Monsieur le président, les Etats membres de l'OTAN n'ont pas tenu compte du fait que l'on ne peut attendre

d'aucun Etat souverain qui se respecte et qui n'a pas été vaincu en tant qu'agresseur dans un conflit interétatique,
qu'il accepte la présence sur son territoire d'une force armée investie d'un mandat similaire à celui d'une force
d'occupation.

Il ne fait aucun doute que la souveraineté de la République fédérale de Yougoslavie et l'entrée de forces de
l'OTAN au Kosovo sont des questions qui relèvent de la juridiction nationale de la République fédérale de
Yougoslavie. L'accord intérimaire le reconnaît lui-même très justement, puisqu'il affirme

- l'attachement de la communauté internationale à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de la
République fédérale de Yougoslavie (accord intérimaire, p.1 et 4) et prévoit que;

- la mission d'exécution au Kosovo doit être invitée par les parties (c'est-à-dire la République
fédérale de Yougoslavie, la Serbie et le Kosovo) (accord intérimaire, p. 25).

Toutefois, le projet ressemble à un traité de paix imposé à un Etat agresseur vaincu auquel ne s'appliquent pas
les dispositions de la convention de Vienne sur le droit des traités (article 75). Le paragraphe 8 de l'appendice B

du projet de Rambouillet intitulé «Statut de la force d'exécution militaire multinationale» est significatif à cet
égard. Ce paragraphe est rédigé comme suit :

«Le personnel de l'OTAN, ainsi que ses véhicules, navires, aéronefs et son matériel, bénéficient du
droit de passage libre et sans restriction et d'accès sans entrave sur tout le territoire de la
République fédérale de Yougoslavie [et non pas seulement du Kosovo], y compris l'espace aérien
correspondant et les eaux territoriales. Ce droit inclut, sans que cette liste soit limitative, le droit de
bivouac, de manoeuvre, de cantonnement et d'utilisation de toutes les zones ou facilités requises
aux fins d'appui, d'entraînement et d'opération.» (Accord intérimaire, p. 42.) [Traduction du

Greffe.]

Qui plus est, c'est le chef de la mission d'exécution (CME) de l'OSCE qui a autorité en dernier ressort pour
interpréter le chapitre 2 de l'accord intérimaire - consacré à la police et à la sécurité publique civile. En ce qui
concerne l'interprétation du chapitre 7 - consacré à la phase d'exécution II - cette autorité appartient au
commandant de la KFOR, dont les décisions sont obligatoires pour toutes les parties et personnes (projetd'accord, chap. 7, art. XV; voir p. 38 de l'accord intérimaire).

En résumé, l'accord intérimaire impose une contrainte illégale à la République fédérale de Yougoslavie.

4. Les principes fondamentaux du droit international sont en jeu

L'accord intérimaire soulève des questions fondamentales concernant les relations qui existent entre un certain
nombre de principes fondamentaux du droit international, tels que :

- la souveraineté, l'intégrité territoriale et l'indépendance politique des Etats;

- l'emploi de la force dans le contexte d'une intervention humanitaire par des Etats sous l'égide
d'une organisation créée par traité, sujet évoqué avant la pause par le professeur Brownlie.

Le Conseil de sécurité, agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, a invité la République

fédérale de Yougoslavie et les autorités albanaises du Kosovo à parvenir à une solution politique (résolution
1160 (1998) du 31 mars 1998 et 1199 (19980 du 23 septembre 1998). Il s'est félicité de l'accord conclu le 16
octobre 1998 entre la République fédérale de Yougoslavie et l'OSCE concernant l'établissement d'une mission
de vérification de l'OSCE au Kosovo (résolution 1203 (1998) du 24 octobre 1998). Ce faisant, il a demandé à la
République fédérale de Yougoslavie et aux autorités albanaises du Kosovo de prendre des mesures immédiates
pour coopérer aux efforts internationaux entrepris pour améliorer la situation humanitaire et pour éviter une
catastrophe humanitaire imminente.

5. Absence d'«état de nécessité»

Les principes arrêtés le 6 mai 1999 par le soi-disant G-8 - ce soi-disant G-8 étant en fait un G-7, composé du
Canada, de la France, de l'Allemagne, de l'Italie, du Japon, du Royaume-Uni et des Etats-Unis, avec la Russie
comme n 8 - reconnaissent la nécessité d'un accord avec la République fédérale de Yougoslavie, c'est-à-dire de

son approbation en tant qu'Etat souverain.

Dans la «déclaration sur le Kosovo» publiée par les chefs d'Etat et de Gouvernement participant à la réunion du
conseil de l'Atlantique Nord à Washington D. C. les 23 et 24 avril 1999, il est dit que l'action militaire
entreprise par l'OTAN contre la République fédérale de Yougoslavie soutient les objectifs politiques de la
communauté internationale qui ont été réaffirmés dans de récentes déclarations du Secrétaire général de
l'Organisation des Nations Unies et de l'Union européenne, à savoir : «un Kosovo pacifique, multiethnique et
démocratique dont toute la population pourra vivre en sécurité et jouir sur un pied d'égalité des droits et libertés

universels de l'homme».

Toutefois ni l'Union européenne ni le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies n'ont le pouvoir
d'autoriser les membres de l'OTAN à obtenir par une intervention militaire que la République fédérale de
Yougoslavie souscrive aux objectifs susvisés et ce, au nom de la communauté internationale. Les membres de
l'OTAN ont encore moins le droit de dicter des conditions dans lesquelles il ne peut y avoir de compromis.

L'article 53 de la Charte des Nations Unies dispose qu'«aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu

d'accords régionaux par des organismes régionaux sans l'autorisation du Conseil de sécurité». Dans le
commentaire sur cet article figurant dans La Charte des Nations Unies un ;ommentaire (déjà mentionné)
(Bruno Simma (ed.), OUP, 1994, p. 735), on note que l'on peut présumer que le Conseil de sécurité a examiné
les limites de la compétence d'une organisation régionale au stade préliminaire de son autorisation et donc que
l'activité de l'organisation régionale dans le cadre de l'autorisation accordée par le Conseil de sécurité ne
s'exerce pas ultra vires. Toutefois, dans le cas présent un tel examen et une telle autorisation accordée par le
Conseil de sécurité font défaut. En déclenchant un bombardement aérien, l'OTAN a en fait agi ultra vires.

L'OTAN appartient à la catégorie des organisations internationales traditionnelles qui sont «fondées par essencesur la coopération intergouvernementale entre des Etats qui conservent le contrôle du processus décisionnel et
e
du financement de l'organisation» (Peter Malanczuk, Akehurst's Modern Introduction to International Law , 7
édition révisée, p. 95).

Il est significatif que le statut des forces de l'OTAN se fonde sur un accord conclu entre les parties au traité de
l'Atlantique Nord et non sur un accord conclu entre l'OTAN et ses membres. En d'autres termes, l'OTAN ne
possède apparemment pas de pouvoirs implicites.

Les Etats membres de l'OTAN n'ont aucunement le droit en vertu du traité de Washington de mener une

intervention humanitaire au Kosovo en invoquant l'état de nécessité. Le projet d'articles de la CDI sur la
responsabilité des Etats déjà mentionné indique clairement que l'état de nécessité ne peut être invoqué par un
Etat pour justifier un acte illicite sauf si

a) cet acte constitue le seul moyen de protéger un intérêt essentiel de l'Etat contre un péril grave et
imminent et si

b) cet acte ne nuit pas gravement à un intérêt essentiel de l'Etat envers lequel existait l'obligation.

En outre, un Etat ne peut invoquer l'état de nécessité comme une circonstance permettant d'écarter l'illicéité si,
entre autres choses, l'obligation internationale à laquelle l'acte de l'Etat n'est pas conforme découle d'une norme
impérative du droit international ou si l'Etat en question a contribué à la survenance de l'état de nécessité.
(International Legal Materials (1998), p. 451-452; Th. Meron, Internal Strife : Applicable Norms and a
Proposed Instrument, in Astrid Delissen et Gerard J. Tanja, Humanitarian Law of Armed conflicts : Challenges
Ahead - Essays in Honour of Frits Kalshoven, Martinus Nijhoff Publishers, 1991).

Les Etats membres de l'OTAN ont contribué eux-mêmes à la création de l'état de nécessité par leur menace
illicite et prématurée de bombardements aériens. Si l'on applique de la même manière le projet d'articles sur la
responsabilité des Etats à la relation entre la République fédérale de Yougoslavie, la Serbie et le Kosovo, on
constate que la situation au Kosovo ne répond pas aux conditions de l'article 33 dudit projet, puisque l'UCK a
contribué à la survenance de l'état de nécessité.

Les bombardements aériens de l'OTAN ne satisfont pas non plus aux critères de l'article 33. Ces
bombardements n'étaient certainement pas les seuls moyens disponibles. Certains Etats de l'OTAN ont à leur
disposition un certain nombre de moyens pacifiques de règlement des différends. Les bombardements portent

atteinte à un intérêt essentiel de la République fédérale de Yougoslavie. Enfin, ce qui n'est pas le moins
important, l'interdiction de l'emploi de la force au plan international découle d'une norme impérative du droit
international. De plus, l'emploi ou la menace d'emploi de la force constitue une contre-mesure interdite.
(Art. 50, International Legal Materials (1988), p. 457-458).

On peut également se référer à la fameuse affaire de la Caroline au XIX siècle, qui a donné naissance à la

règle de droit international coutumier selon laquelle la doctrine de la légitime défense doit être cantonnée aux
risques qui sont «instantanés, irrésistibles et ne laissent aucun choix des moyens ni aucune pause pour la
délibération» (Werner Meng, «The Caroline», in R. Bernhardt, Encyclopedia of Public International Law , vol. I
(1992, p. 538).

Les Etats de l'OTAN ne peuvent soutenir qu'un différend portant sur l'emploi de la force est un différend
politique et que la Cour ne doit pas examiner des différends politiques. La Cour a rejeté cet argument, très
justement à mon humble avis, dans l'affaire Etats-Unis/Iran C(I.J. Recueil 1980, p. 19).

En l'espèce, les membres de l'OTAN ne peuvent s'abriter derrière le Conseil de sécurité. Il est significatif de
constater que les principes énoncés par le récent G-8 appellent l'approbation du Conseil de sécurité.

En résumé, Monsieur le président, les Etats défendeurs ont violé la norme impérative (jus cogens) concernant
l'interdiction de l'emploi de la force en participant aux bombardements aériens de la République fédérale de
Yougoslavie afin de contraindre cet Etat à signer l'accord intérimaire.

Je vous remercie, Monsieur le président et Madame et Messieurs les membres de la Cour. Je demandemaintenant à Monsieur le président de donner la parole à mon collègue M. Suy.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je vous remercie, Monsieur de Waart. Monsieur Suy
vous avez la parole.

Mr SUY: Mr. President, Members of the Court.

Introduction

The honour which falls to me once again to appear before the Court is overshadowed by the dramatic
circumstances which have led the Federal Republic of Yugoslavia to submit the present Application. The
premeditated attack from the air against the residence of the Head of State with a view to his physical
destruction and the bombing of the Embassy of the People's Republic of China are now added to so many other
instances of acts of violence committed in violation of fundamental rules of international law. They show that

the Republic of Yugoslavia is entitled to request, on an emergency basis, action to protect ITS rights in this
case. An order of the International Court of Justice indicating provisional measures could thus constitute a
specific contribution to the current diplomatic initiatives.

1. Perhaps you will allow me to point out briefly similarities between the dramatic circumstances we see today,
i.e., the use of force, and events of 60 years ago. At the time, Nazi Germany threatened to invade
Czechoslovakia if that country refused to grant a large degree of autonomy to the Sudetenland, a part of
Czechoslovakia a great majority of whose inhabitants were German-speaking and of German origin. To avoid
armed intervention, the Prague Government, and the United Kingdom and French Governments too, gave way

and signed the Munich Agreements. President Milosevic, wishing to avoid a second Munich, has therefore
refused to sign the Rambouillet Agreements. He was told in very clear terms by Richard Holbrook, negotiating
on the other side, that in these circumstances Yugoslavia would be bombed. Only a few months after the
signing of the Munich Agreements, Hitler demanded of the Czech Government that the Sudetenland be
incorporated into Germany. He told the Czech authorities that if they refused, Prague would be bombed. Sixty
years later, the situation is thus worse. What we have is not a threat of force, but actual bombing designed to
compel Yugoslavia to yield to a dikta. This regression of international law, a reversion to gunboat diplomacy,
in violation of the constitutional order established by the international community after the defeat of Nazi
Germany, does not augur well for the future of the rule of law in international relations as we move towards the

21st century.

2. Mr. President, I should like now to look at various aspects of provisional measures. The Court has dealt, I
believe, with 21 cases of requests for such measures. Consequently, in view of the ample case-law established
on the subject, I will consider briefly the following aspects: the prima facie jurisdiction of the Court, the
safeguarding of parties' rights, and the urgency of the situation.

1. Prima facie jurisdiction

Each time that the Court is called upon to exercise its power to indicate provisional measures it must assure
itself - and this is one of the "circumstances" referred to in its Statute - that it is prima facie competent to do so.
A clear distinction has always been drawn between the jurisdiction of the Court as regards a decision on the
merits (which is not at issue at this stage of the proceedings) and its jurisdiction for purposes of the indication
of provisional measures.

Perhaps I might cite the Court's classic statement in its Order of 29 July 1991 in the case concerning Passage
through the Great Belt:

"[on] a request for provisional measures the Court need not, before deciding whether or not to
indicate them, finally satisfy itself that it has jurisdiction on the merits of the case, yet it ought not to indicate such measures unless the provisions invoked by the Applicant appear, prima facie, to
afford a basis on which the jurisdiction of the Court might be founded" (see also case concerning
theVienna Convention on Consular Relations (Paraguay v. United States of America) , Order of

9 April 1998, para. 23).

Yugoslavia, Mr. President, relies first on its own declaration of acceptance of the jurisdiction of the Court,
made on 25 April 1999 pursuant to Article 36, paragraph 2, of the Statute of the Court, and on the declarations
made by the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland (1969), the Netherlands (1956), Belgium
(1958), Canada (1994), Portugal (1955) and Spain (1990).

In the case concerning the Land and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v.

Nigeria) ,equest for the indication of provisional measures , this Court considered that declarations made under
Article 36, paragraph 2, of its Statute "constitute a prima facie basis upon which its jurisdiction might be
founded" (Order of 15 March 1996).

The Federal Republic of Yugoslavia further relies on Article IX of the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide, which provides as follows:

"Disputes between the Contracting Parties relating to the interpretation, application or fulfilment of

the present Convention, including those relating to the responsibility of a State for genocide or for
any of the other acts enumerated in article III, shall be submitted to the International Court of
Justice at the request of any of the parties to the dispute."

In its Orders of 3 April and 13 September 1993, the Court considered that Article IX of the Genocide
Convention, to which both the Applicant and the Respondent are parties, appeared to "afford a basis on which
the jurisdiction of the Court might be founded" ( I.C.J. Reports 1993 , p. 16, para. 26 and p. 342, para. 36).

It accordingly follows, in Yugoslavia's view, that there appears to be no doubt as to the prima facie jurisdiction
of the Court to indicate provisional measures to be taken or implemented by the Parties against whom the
requests have been filed.

2. Preservation of each party's rights

In relation to provisional measures, Article 41 of the Statute of the Court speaks of "le droit de chacun". The
English text is more precise, referring to "provisional measures which ought to be taken to preserve the
respective rights of either party".

The need to safeguard the rights currently at issue constitutes the legal basis enabling the Court to indicate
measures. The jurisprudence of the Court in this regard has, however, undergone a certain evolution. In recent
years, your Court has tended to be prepared to indicate provisional measures in case of armed conflicts or
violent incidents. It has introduced into its jurisprudence the notion of preventing aggravation of the dispute and

the need to avoid incidents.

In support of this tendency I would cite the case concerning Military and Paramilitary Activities in and against
Nicaragua (Nicaragua v.United States of America) , in which the Court unanimously indicated a provisional
measure which provided that:

"The Governments of the United States of America and the Republic of Nicaragua should each of
them ensure that no action of any kind is taken which might aggravate or extend the dispute

submitted to the Court ( I.C.J. Reports 1984, p. 187, para. 41, B 3).

In the Frontier Dispute case between Burkina Faso and the Republic of Mali the Chamber of the Court stated:

"Considering that, independently of the requests submitted by the Parties for the indication of
provisional measures, the Court or, accordingly, the chamber possesses by virtue of Article 41 of
the Statute the power to indicate provisional measures with a view to preventing the aggravation or extension of the dispute whenever it considers that circumstances so require" ( I.C.J. Reports 1986,
p. 9, para. 18).

Finally, it is also worth citing the passage in the case concerning the Land and Maritime Boundary between
Cameroon and Nigeria (Cameroon v.Nigeria), Provisional Measures, Order of 15 March 1996 , where the
Court considered that "there is a risk that events likely to aggravate or extend the dispute may occur again, thus
rendering any settlement of that dispute more difficult" ( I.C.J. Reports 1996, p. 23, para. 42).

Mr. President, in all cases involving an armed conflict resulting in the loss of human life and material damage,
the preservation of the respective rights of the parties requires that they avoid any aggravation or extension of
the dispute or any armed confrontation.

The Court may exercise its power to indicate provisional measures only to the extent that it considers that the
circumstances so require in order to preserve the respective rights of the parties. It is therefore necessary to
identify the rights capable of being protected. Looking at Yugoslavia's Application, and in particular the
statement of international obligations which Yugoslavia claims to have been violated, we are bound to conclude
that these are rights which are neither inexistent, illusory or non-specific. It is quite clear that acts prejudicial to
the rights of Yugoslavia have been, and continue to be, committed over a period now extending to almost two
months. Does this then entitle us to conclude, Mr. President, that there is no longer any urgency, given that
these acts are continuing and intensifying day by day? Can it be said that the rights which Yugoslavia invokes

in virtue of international law do not deserve, or no longer deserve, to be safeguarded, by reason of the fact that
they have in any case already been ignored and violated?

The Federal Republic of Yugoslavia considers that the circumstances of this case, namely the massive and
continuing military intervention by countries of the Atlantic Alliance, by means of aerial bombardment causing
substantial damage to civilian targets, to protected targets and to the civilian population, as evidenced by the
documentation produced to the Court, requires that the International Court of Justice indicate provisional
measures in accordance with Article 41 of the Statute of the Court.

Finally, I shall deal briefly with the question of urgency.

3. Urgency

Article 74 of the Rules of Court provides inter aliathat a request for the indication of provisional measures
shall have priority over all other cases and that the Court . . . shall be convened forthwith for the purpose of
proceeding to a decision on the request as a matter of urgency. In the case concerning the Land and Maritime
Boundary between Cameroon and Nigeria, this Court stated that provisional measures "are only justified if
there is urgency" (I.C.J. Reports 1996, p. 22, para. 35).

In the case concerning the Passage through the Great Belt (Finland v.Denmark) , the Court gave the following
definition of urgency:

"Whereas provisional measures under Article 41 of the Statute are indicated 'pending the final
decision' of the Court on the merits of the case, and are therefore only justified if there is urgency
in the sense that action prejudicial to the rights of either party is likely to be taken before such final
decision is given" (I.C.J. Reports 1991, p. 17, para. 23).

In the Land and Maritime Boundary case, Nigeria argued that the circumstances of the case, and in particular
the fact that efforts to reach a diplomatic solution were being undertaken, demonstrated that there was no
urgency. The Court did not accept this view. Having first stated that these efforts at mediation "[did] not,

however, deprive the Court of the rights and duties pertaining to it in the case brought before it" ( I.C.J. Reports
1996, p. 22, para. 37), the Court then immediately went on to add an important criterion for determining
whether there was urgency:

"there were military incidents and ... they caused suffering, occasioned fatalities - of both military
and civilian personnel - while causing others to be wounded or unaccounted for, as well as causing major material damage" ( ibid.,para. 38).

In these circumstances, how can it be denied, Mr. President, Members of the Court, when we consider the

totality of the acts carried out since 25 March inside the Federal Republic of Yugoslavia, in the form of an
increasingly intensive aerial bombardment by countries of the Atlantic Alliance, causing ever more serious
civilian damage and injury to the civilian population, that the request for the indication of provisional measures
is in truth a matter of urgency?

Thank you, Mr. President. I now ask you to call upon Dr. Mitic.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Merci, M. Suy. M. Mitic, vous avez la parole.

M. MITIC : Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, les conséquences qui sont dues jusqu'à
présent à l'agression de l'OTAN contre la Yougoslavie et que cette agression continue de produire sont

tragiques. La Yougoslavie subit d'énormes pertes en vies humaines. Les victimes sont extrêmement
nombreuses, en particulier dans la population civile, car l'OTAN, l'agresseur, bombarde délibérément et
sauvagement les installations civiles et les quartiers résidentiels pour décourager la population et la priver des
conditions élémentaires de son existence. Des corps carbonisés et mutilés de victimes innocentes au milieu des
débris de leur foyer; des corps d'adultes et d'enfants malades et désemparés dans des hôpitaux; des corps
d'ouvriers dans des usines réduites à néant; des corps de journalistes et de techniciens dans des stations de radio
et de télévision; des corps de voyageurs de lignes d'autobus et de trains; des corps d'enfants sur des aires de jeu
et dans des écoles; des corps de passants dans les rues où pleuvent des bombes jour et nuit; des corps de
réfugiés serbes et albanais, tués et blessés dans des centres d'accueil et des camps pris pour cible - voilà quel est

l'effet de cette prétendue «campagne aérienne» de l'OTAN qui, soulignons-en l'ironie, a été baptisée «ange
noble».

Les attaques lancées sur des quartiers résidentiels, principalement des quartiers ouvriers de la ville minière
d'Aleksinac, de Cuprija, de Nis, de Surdulica, des immeubles de logements ouvriers à Belgrade et les attaques
lancées contre un grand nombre de villes du Kosovo-Metohija ont fait des centaines de victimes innocentes, des
enfants pour la plupart, des femmes, des personnes âgées. Dans la seule ville de Surdulica, des centaines
d'habitations ont été démolies ou endommagées, et 200 d'entre elles ont été complètement rasées ou ne peuvent
plus être remises en état. En fait, cette petite ville a perdu le quart de ses maisons. Or, parmi les constructions

détruites, il n'existe pas une seule installation militaire, pas une seule installation revêtant la moindre
importance pour l'armée. Alors que, dans cette même ville, on retirait des habitations détruites les corps
d'enfants, de femmes, de personnes âgées, à peu près au même moment, lors d'une conférence de presse, le
porte-parole de l'OTAN disait froidement : «L'OTAN n'a jamais pris des civils pour cible et ne le fera jamais».
Pourtant, quelques minutes plus tard, sous la pression des questions posées par les journalistes, il admettait que
«des missiles peuvent s'égarer», et causer ce qu'il est convenu d'appeler des dommages collatéraux, que l'OTAN
admettait officiellement après les avoir tout d'abord niés. L'OTAN a également reconnu avoir causé des
dommages collatéraux quand une colonne de réfugiés albanais a été attaquée sur la route de Djakovica à
Prizren. Au cours de cette attaque, 75 civils ont été tués par des projectiles tirés depuis des avions de l'OTAN et
beaucoup d'autres personnes ont été gravement blessées. On a d'abord cherché à rendre l'aviation yougoslave

responsable de l'incident. Il en a été de même pour les attaques lancées sur des bâtiments civils à Aleksinac,
Kraljevo, Uzice, Nis, Cuprija, des quartiers de Belgrade, pour le bombardement d'un train de voyageurs sur un
pont près de Grdelica, dont plus de 50 passagers ont été tués. Certains de ces corps carbonisés n'ont même pas
pu être identifiés. Le bombardement d'un autobus «Nis-ekspres» à Luzane, près de la ville de Podujevo, qui a
tué une bonne soixantaine de voyageurs civils, les attaques lancées contre un certain nombre d'autres autobus
qui ont fait plusieurs dizaines de victimes civiles, y compris le bombardement tout récent de l'ambassade de
Chine et du marché du centre de Nis, ont également été qualifiés de «dommages collatéraux». La brutalité est
plus grande encore quand la frappe qui atteint son but est immédiatement suivie d'autres frappes tendant à
empêcher les pompiers et les équipes médicales de s'occuper des premières victimes gravement blessées. Je

citerai à titre d'exemple le fait que, dix minutes après que l'autobus a été touché à proximité de Luzane,
l'ambulance qui se précipitait sur les lieux avec une équipe médicale a été également touchée. Au cours de cet
incident, un membre de cette équipe médicale a été grièvement blessé. Lors des bombardements de Belgrade,dix minutes après que des missiles ont tué et blessé un grand nombre de personnes, l'équipe de secours qui
venait s'occuper des civils blessés a été elle-même attaquée. A cette occasion, le directeur de l'inspection de la
ville de Belgrade a perdu les deux jambes et plusieurs membres de l'équipe ont été grièvement blessés.

Plus de 300 villes et villages de diverses régions de Yougoslavie ont été pris pour cible jusqu'à présent et ont
subi le feu de missiles de croisière, notamment de missiles «Tomahawk» et de bombardements aériens. Les
villes et les villages sont généralement bombardés la nuit, à l'exception des zones peuplées et des installations
du Kosovo-Metohija qui sont attaqués quasiment sans interruption. Les zones où résident des Serbes sont
bombardées de la même façon que celles où résident des Albanais ainsi que les membres d'autres communautés
nationales. De nombreuses régions et villages dont la population est intégralement albanaise ont également été
bombardés. Le fait a profondément déçu la majorité des membres de la communauté nationale albanaise,
puisque l'agression devait prétendument servir leurs intérêts. Pour susciter l'hostilité de la population albanaise

à l'encontre des autorités légitimes yougoslaves, l'OTAN a officiellement répandu divers mensonges, diverses
calomnies concernant des exécutions massives, des viols, des pillages, dont les Albanais seraient victimes. On a
dit aussi que les autorités yougoslaves tuaient d'éminents dirigeants de partis politiques albanais, comme
M. Ibrahim Rugova notamment, ainsi que leur famille. Mais, au dam des services de propagande de l'OTAN,
ces personnalités sont apparues en public, en Yougoslavie comme ailleurs dans le monde, et elles étaient en
parfaite santé.

Les intentions de l'Alliance de l'OTAN sont évidentes : elle veut non seulement affaiblir les moyens de défense
yougoslaves en détruisant des installations militaires, en tuant, en blessant, sans la moindre justification en

droit, des soldats, des officiers et des membres des forces de police yougoslaves, mais encore détruire une
grande partie de la population serbe et des ressortissants yougoslaves. Sous prétexte d'empêcher une prétendue
persécution dont serait victime la communauté nationale albanaise au Kosovo-Metohija, des casernes sont
bombardées non seulement dans cette région mais sur tout le territoire de la Yougoslavie. Plus de deux cents
casernes ont ainsi été bombardées dans diverses régions avec l'intention manifeste de faire le plus grand nombre
possible de victimes. On peut vraiment se demander qui peut ainsi s'arroger le droit de tuer les soldats d'un Etat
souverain, des jeunes gens innocents qui, comme dans n'importe quel autre pays d'Europe, font leur service
militaire sur le territoire de leur propre pays et ne sont nullement engagés contre l'armée d'un Etat étranger.
Comble d'hypocrisie, l'OTAN a également bombardé un certain nombre de postes de contrôle militaires le long

de la frontière de la République fédérale de Yougoslavie. Ces bombardements et les autres formes d'agression
qui sont pratiquées représentent le soutien le plus direct aux forces séparatistes et terroristes albanaises qui
visent à séparer de la Yougoslavie une partie de son territoire pour se souder à l'Albanie. Avec ce soutien patent
de l'Albanie et des Etats membres de l'OTAN, les groupes terroristes ne sont pas seulement formés et entraînés
sur le territoire yougoslave mais il se commet sur ce territoire des actes éhontés d'agression contre la
Yougoslavie.

Que l'action de l'OTAN soit dirigée non seulement contre l'armée et la police yougoslave mais également contre
l'ensemble de la population se manifeste non seulement par les attaques sauvagement menées contre la

population civile au moyen des armes et des explosifs les plus raffinés, mais encore par d'autres formes
systématiques d'agression visant la vie et la santé de la population yougoslave. En portent tout particulièrement
témoignage les attaques innombrables visant des usines chimiques, des raffineries de pétrole et des installations
pétrolières (certaines de ces installations ont été bombardées des dizaines de fois). Ces attaques ont d'ores et
déjà provoqué une catastrophe écologique sous forme de pollution atmosphérique et de déversement de
substances nocives dans les cours d'eau. Ces quantités importantes de rejets et ces marées noires vont avoir
aussi des conséquences désastreuses pour certains voisins déjà plus éloignés de la Yougoslavie. Les
installations pétrolières et les raffineries de Pancevo et de Novi Sad, les usines chimiques de Belgrade ou de
Pancevo notamment sont prises pour cible quasiment tous les jours. L'intention étant de priver les gens
ordinaires de leurs moyens d'existence, les plus grandes entreprises économiques qui occupent des centaines de

milliers d'ouvriers et nourrissent plus d'un million de membres de leurs familles ont été complètement détruites.
Il convient de citer en particulier les usines automobiles «Zastava» à Kragujevac, dont le bombardement a
blessé plus de cent vingt ouvriers et employés; l'usine d'azote et d'engrais de Pancevo; l'industrie mécanique de
Nis, l'usine dite du «14 octobre» de Krusevac, l'usine «Feronikl» à Pristina, le complexe industriel «Lola-Utva»
à Pancevo; l'usine d'appareils électro-ménagers «Sloboda» à Cacak; la société holding «Krusik» à Valjevo,
l'usine de moteurs dite du «21 mai» à Rakovica et une bonne cinquantaine d'autres entreprises économiques
importantes, construites et modernisées depuis des décennies au prix de grands sacrifices de la part de leurs
ouvriers, qui pratiquent une coopération commerciale et financière avec des partenaires appartenant la plupart
du tem ps à l'Europe occidentale.La destruction systématique de l'infrastructure des transports, notamment des ponts, des routes, des aéroports
civils, des installations ferroviaires et des lignes de chemin de fer, a paralysé le cours normal de l'existence
quotidienne et l'activité économique dans tout le pays, mettant encore davantage en péril les conditions

élémentaires d'existence et de subsistance de la population. Ce sont soixante-cinq grands ponts et voies de
raccordement qui ont été détruits, dont les trois ponts qui enjambent le Danube à Novi Sad; les ponts qui
traversent le Danube près de Kovin, Beska et Ilok; le nouveau pont au-dessus de la Sava, à proximité
d'Ostruznica (Belgrade), qui était presque achevé; les ponts enjambant les principales voies de chemin de fer
entre Belgrade et Bar, Nis et Vranje, Prukuplje et Pristina, Priboj et Nova Varos et d'autres voies de
communication, si bien que le territoire du pays est désormais découpé en plusieurs morceaux isolés.

En détruisant les ponts enjambant le Danube, l'OTAN a immobilisé la navigation sur le cours d'eau le plus
important d'Europe, causant un préjudice énorme aux transports et à l'économie d'autres pays européens

également, ce qui est une violation flagrante de la convention sur le Danube et de tous les autres accords
internationaux pertinents. Sans se contenter d'interrompre la navigation fluviale et le trafic routier, l'OTAN a
détruit la quasi-totalité des aéroports civils de Yougoslavie, supprimant ainsi sans scrupules la liberté du
transport aérien.

On n'avait jamais vu non plus qui que ce soit chercher à détruire les moyens d'information du public, comme l'a
fait l'OTAN en Yougoslavie, au mépris de toutes les normes en matière de droits de l'homme et de liberté de
l'information. A Belgrade, le bâtiment de la télévision de Serbie a été bombardé. Dans les décombres, on a
trouvé les corps de quatorze journalistes, metteurs en scène, cameramen notamment, y compris de deux jeunes

filles qui travaillaient au service du maquillage. Plusieurs membres du personnel ont été gravement blessés. Le
bâtiment et les équipements de la télévision de Novi Sad, qui informe en cinq langues cinq communautés
nationales de Voïvodine, ont été détruits. Les studios de télévision de cinq stations privées et un certain nombre
de stations de radio ont été pilonnés sans relâche. Lors d'une attaque brutale dirigée contre les infrastructures de
la télévision, une bonne quarantaine d'émetteurs, de relais et d'antennes ont été complètement détruits, y
compris la grande et célèbre tour de la télévision du mont Avala. La station centrale de satellite d'Ivanjica, qui
assure les télécommunications avec le monde entier, a également été détruite. Pour couper encore davantage le
pays du reste du monde dans le domaine du courrier postal, l'OTAN a détruit les bâtiments et le matériel d'un
grand nombre de bureaux de poste civils, dans les petits villages comme dans les grandes villes, par exemple

Uzice, Vranje, etc.

Utilisant l'agression contre la Yougoslavie comme une occasion et un moyen d'essayer de nouvelles armes,
l'OTAN, outre qu'elle a employé massivement des bombes en grappe et des munitions contenant de l'uranium
appauvri, a aussi fait usage pour la première fois de bombes au graphite entraînant des court-circuits et
perturbant tout le système d'alimentation en électricité de la Yougoslavie. Il s'en est suivi des coupures de
courant qui ont laissé non seulement les citoyens et les structures économiques, mais aussi les hôpitaux et
d'autres établissements médicaux et humanitaires sans eau ni électricité pendant des jours. L'OTAN a aussi
bombardé un convoi de camions transportant des fournitures d'aide humanitaire grecques près d'Urosevac, et

frappé des installations calorifères dans plusieurs villes, privant la population de chauffage. Il faut ajouter que
plus de soixante hôpitaux, maternités et établissements de santé ont été endommagés ou complètement détruits
par des raids aériens. Cela a occasionné d'énormes difficultés pour fournir des soins de santé aux citoyens,
contribuant à concrétiser la volonté de l'agresseur d'exterminer la population par tous les moyens disponibles.

Même les monuments culturels les plus importants, les lieux présentant un intérêt historique, les églises et les
monastères n'ont pas été épargnés, l'objectif étant de gommer l'identité culturelle, religieuse et historique de tout
un peuple. Le célèbre monastère de Gracanica a été endommagé par une douzaine de frappes consécutives qui
ont touché l'église et la zone avoisinante.

D'importants monuments architecturaux tels que le bâtiment du Gouvernement de la province de Voïvodine à
Novi Sad, les bâtiments abritant plusieurs ministères fédéraux et de la République à Belgrade, la tour de la
télévision sur le mont Avala, le club des forces aériennes à Zemun, ainsi que des bâtiments de la rue Nemanjina
à Belgrade, etc., ont été touchés.

Le système d'alimentation en électricité de la Serbie, outre qu'il a été pilonné avec par des dispositifs spéciaux
entraînant des court-circuits et des perturbations, a également été bombardé. De nombreuses installations ont

été détruites, dont la centrale thermique d'Obrenovac, l'usine électrique «Drmno» à Kostolac, les usines
électriques de la Lim, le complexe hydroélectrique «Perucac» près de Bajina Basta, l'usine hydroélectrique«Bistrica», le lac artificiel de Medjuvrsje près de Cacak, mais aussi des fournisseurs de matières premières pour
les centrales électriques, telles que les mines de Volujak et Goles, ou encore les transformateurs de Zemun
Polje, Baric, Nis, Novi Sad et les systèmes hydrauliques et conduites servant à la production d'énergie

électrique.

Cette agression sans précédent contre un Etat souverain, qui fait partie des Etats Membres et qui est un Etat
fondateur de l'Organisation des Nations Unies, a atteint son point culminant avec le bombardement direct de la
résidence officielle du chef de l'Etat - le président de la République fédérale de Yougoslavie. A cette occasion,
un missile téléguidé a touché la chambre à coucher du maître de maison et la résidence a été démolie, ce qui
équivaut à une tentative de meurtre contre le chef de l'Etat, un acte tout à fait déplacé dans les relations entre
membres de la communauté mondiale à la fin du deuxième millénaire. L'explication officielle de l'OTAN, sans
précédent dans l'histoire, est qu'elle n'avait pas l'intention de tuer le chef de l'Etat, mais de détruire le centre de

commandement militaire, situé précisément dans la chambre à coucher du président. Tout cela s'est passé à
l'aube, alors que la plupart des personnes dormaient.

Depuis le début de l'agression le 24 mars 1999, les sirènes d'alarme retentissent dans toute la Yougoslavie et
des centaines de milliers de personnes sont contraintes de passer la nuit dans des caves et des abris souterrains
depuis maintenant près de deux mois. Cela entraîne de sérieux problèmes de santé pour les enfants, les
personnes âgées et les malades. Au Kosovo et en Metohija, dans d'autres parties du sud de la Serbie et plus
récemment, dans tout le pays, les alarmes anti-aériennes, accompagnées par de fréquents bombardements
quotidiens, paralysent également la vie pendant la journée. Il s'ensuit que les activités économiques sont

considérablement réduites. En raison des risques graves qui pèsent sur la vie des écoliers, les écoles sont restées
fermées pendant les cinq dernières semaines.

Les bâtiments et installations d'un grand nombre d'organes et de services locaux ou gouvernementaux ont été
lourdement bombardés, ce qui a causé d'énormes dégâts matériels et entraîné des morts et des blessés parmi les
civils. Ainsi, le bâtiment du ministère fédéral des affaires intérieures et celui du ministère fédéral de la défense
ont été bombardés à plusieurs reprises. Les bâtiments abritant le ministère fédéral des affaires étrangères et le
Gouvernement de la République de Serbie ont été gravement endommagés. Le bâtiment du ministère des
affaires intérieures de la Serbie a été détruit; de nombreux bâtiments des administrations locales et

gouvernementales dans tout le pays ont également été détruits. Plusieurs musées et théâtres ont été gravement
endommagés. Un certain nombre de cimetières n'ont pas non plus été épargnés. Les restes des personnes
enterrées dans ces cimetières ont été soufflés en même temps que les pierres tombales. C'est comme si l'OTAN
cherchait à gommer toute trace de l'existence d'un peuple en faisant simplement disparaître même les traces de
ses membres qui reposaient en paix.

Des données détaillées et précises sur toutes les conséquences de l'agression, y compris des documents
photographiques, ont été mis à la disposition de la Cour.

Les pertes de vies humaines et les dommages matériels immenses se multiplient au fil de cette agression
perverse contre la Yougoslavie qui se poursuit sans relâche. Les Etats Membres de l'OTAN, en l'absence de
toute base juridique, morale ou politique, expliquent cette violation flagrante et sans précédent des principes et
dispositions fondamentaux de la Charte des Nations Unies et du droit international par la volonté de prévenir
une prétendue catastrophe humanitaire contre la population albanaise du Kosovo et de la Metohija. Il est
inconcevable qu'un être humain normalement constitué puisse soutenir l'idée que l'on pourrait protéger les
droits et intérêts de quiconque sur son territoire en faisant subir à tous les citoyens de la Yougoslavie, y compris
les Albanais, une catastrophe humanitaire générale déclenchée par cette agression sans précédent, à l'exception

peut-être des intérêts de la prétendue armée de libération du Kosovo, une organisation terroriste, qui après le
début de l'agression de l'OTAN contre la Yougoslavie, a perdu le soutien non seulement d'une partie
considérable de la communauté albanaise, mais aussi des principaux dirigeants des partis politiques albanais.

L'agression contre la Yougoslavie, et ses conséquences indirectes et directes, ont suscité l'inquiétude de
l'opinion publique non seulement dans les pays voisins, qui subissent les conséquences de l'agression tant sur le
plan économique que sur le plan de la défense militaire, mais aussi dans le monde entier. Cela est attesté par les
protestations énergiques non seulement de gens ordinaires, mais encore d'éminentes personnalités politiques,
publiques et culturelles de nombreux pays. Tous demandent la cessation de l'agression, des bombardements et

de l'effusion de sang. Parmi ceux qui appellent à l'arrêt immédiat des bombardements figurent Sa Sainteté le
Pape Jean-Paul II, le secrétaire général du Comité international de la Croix-Rouge, M. Cornelio Somaruga, laHaut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Mme Mary Robinson, et le rapporteur spécial de
la Commission des droits de l'homme de l'ONU, M. Jirzi Dienstbir.

Le Gouvernement yougoslave, qui conduit la résistance générale du peuple, se tient prêt à accueillir une
solution politique respectueuse des intérêts des membres de toutes les communautés nationales au Kosovo-
Metohija, y compris la communauté albanaise. Mais il n'est pas prêt à accepter des conditions qui menacent la
souveraineté et l'intégrité territoriale du pays, comme celles qu'on a tenté de lui imposer à Rambouillet et à
Paris, en contravention de la Charte des Nations Unies et des articles 51 et 52 de la convention de Vienne sur le
droit des traités. Il s'agissait en l'occurrence de contrainte pure et simple, du recours à la menace de la force
pour nous faire accepter un accord dont le gouvernement d'aucun Etat souverain du monde ne saurait accepter
les termes. Cette menace a été formulée publiquement, devant les membres de la délégation de la République
de Serbie, par la secrétaire d'Etat des Etats-Unis, Mme Madeleine Albright. Par conséquent, la cause immédiate

de l'agression a été le refus d'accepter cet accord-diktat, dont les dispositions, controversées, n'avaient d'ailleurs
pas non plus été approuvées par le groupe de contact, dont les propositions concertées, y compris tous les
principes proposés, avaient été acceptées par la partie yougoslave. Après l'acte d'agression et le bombardement
barbare du Kosovo-Metohija dont a été victime la population de cette région, une deuxième raison a été
inventée pour justifier l'agression illicite contre la Yougoslavie, à savoir la prévention de la catastrophe
humanitaire créée par l'augmentation du nombre de réfugiés. Mais le fait que les réfugiés aient quitté leurs
foyers au Kosovo-Metohija, précisément à cause du bombardement sauvage et impitoyable de la population
civile par l'OTAN, a été passé sous silence. Cela vaut pour les membres de la communauté albanaise comme
pour ceux de la communauté serbe et de toutes les autres communautés. Ils ont fui non seulement vers les pays
voisins mais aussi vers d'autres régions de la Yougoslavie qui, au début de l'agression, n'étaient pas exposés aux

raids aériens massifs de l'OTAN. En témoignent de nombreux faits faciles à prouver, mais aussi les rapports
officiels de la mission de vérification de l'OSCE, dont les 1400 vérificateurs ont observé la situation dans la
province jusqu'au début de l'agression. Un jour seulement avant que celle-ci ne commence, la mission de
l'OSCE a quitté le territoire, sans aucune raison du côté yougoslave. Cela a permis à l'OTAN d'attaquer
librement et brutalement la Yougoslavie et sa population avec un maximum de force. Cela ressort d'ailleurs du
communiqué officiel du Conseil de l'OTAN daté du 17 décembre 1998, où le Conseil «[se] félicit[e] de l'accord
conclu entre la République fédérale de Yougoslavie (RFY) et l'OTAN sur l'établissement de la mission de
vérification aérienne, qui, complémentaire de la mission au sol de l'OSCE», a permis d'«éviter une catastrophe
humanitaire». Le communiqué du Conseil de l'OTAN en date du 8 décembre 1998, indiquait clairement : «la

mise en place des missions de vérification au Kosovo a ouvert une nouvelle phase de la coopération entre
l'OTAN et l'OSCE», ce qui se traduisait aussi par une «étroite coordination avec l'OSCE au cours de ces
derniers mois pour planifier et mettre en place ces missions».

Malgré cela, la mission de l'OSCE, sur les instances de l'OTAN, avec laquelle elle «coopérait étroitement», s'est
retirée du territoire de la Yougoslavie, montrant ainsi que la situation du Kosovo-Metohija et de sa population
lui était indifférente et qu'elle s'intéressait avant tout à la fonction de l'OTAN et à ses intentions génocidaires à
l'encontre du peuple de la Yougoslavie.

Il faut ajouter par ailleurs que l'OTAN et les Etats dits occidentaux ont joué un rôle agressif dans la dislocation
de la Yougoslavie en 1991-1992, en soutenant ouvertement les républiques sécessionnistes sur la base du droit
à l'autodétermination.

Seule la population serbe du territoire des anciennes républiques yougoslaves de Croatie et de Bosnie-
Herzégovine s'est vu dénier l'exercice de ce droit au motif de sa volonté clairement exprimée de demeurer dans
l'ancien Etat commun; tout au moins, dans les zones à population serbe homogène du territoire qui, lors de la
création du Royaume de Yougoslavie, constituait «l'Etat des Croates, des Slovènes et des Serbes» (Croatie,

Slovénie et Bosnie-Herzégovine). Les membres de l'OTAN se sont également montrés sourds aux intérêts
serbes après la signature de l'accord de Dayton, imposant de nouvelles sanctions à la Yougoslavie. Tel a été le
cas, en particulier, des Etats-Unis. Les sécessionnistes du Kosovo-Metohija ont ainsi été encouragés à boycotter
le dialogue avec le Gouvernement de la Serbie et à commettre des actes de terreur inouïs contre toute la
population de cette province, y compris contre des Albanais, qui couraient le risque d'être tués pour le moindre
acte de loyalisme envers leur Etat, s'ils allaient voter lors d'élections ou s'ils occupaient un emploi dans les
services techniques de l'Etat ou dans une entreprise d'Etat. La veille de l'agression contre la Yougoslavie, les
membres de l'OTAN ont voulu montrer clairement aussi aux Serbes de Bosnie-Herzégovine et à la Yougoslavie
que la raison du plus fort est toujours la meilleure, et que la force prime n'importe quel droit ou n'importe quel

accord. Le même jour, ils ont annoncé, par l'intermédiaire de leur haut représentant, le remplacement duprésident démocratiquement élu de la Republika Srpska. Et l'arbitre américain a annoncé sa décision concernant
Brcko, décision qui, comme celle du haut représentant concernant la Bosnie-Herzégovine, constitue une

révision non autorisée de l'accord de Dayton. L'intention évidente, à Rambouillet, était de placer le Kosovo-
Metohija sous un «protectorat» analogue, dans lequel la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Yougoslavie
ne seraient qu'une façade.

Notre pays subit sans relâche les bombardements quotidiens de 1000 avions appartenant à l'alliance militaire la
plus puissante du monde. A ses frontières sont massés près de 20 000 soldats de l'OTAN équipés d'avions, de
chars et d'artillerie lourde. Comme condition à l'arrêt des bombardements, il est exigé de la Yougoslavie qu'elle

retire son armée de son propre territoire et en laisse le contrôle aux soldats des pays agresseurs. Quel Etat au
monde pourrait bien accepter un tel diktat ? Nous sommes un petit pays faible par comparaison avec cette
formidable puissance militaire qui nous a attaqués unilatéralement et sans la moindre justification. Mais même
s'il doit nous en coûter les plus grands sacrifices, nous ne pouvons nous rendre. Car nous avons de notre côté
aussi bien la justice que la vérité, que les puissants s'efforcent d'étouffer par leur monopole de l'information et
par la destruction physique de nos médias et de notre peuple. Outre la résistance courageuse opposée par notre
armée et le peuple tout entier, nos moyens essentiels, dans cette lutte inégale, sont des moyens juridiques et la

confiance que nous plaçons dans les délibérations de cette éminente Cour mondiale sur une question dont
l'importance est cruciale non seulement pour le sort de la Yougoslavie, mais aussi pour celui de l'Organisation
des Nations Unies et de la communauté internationale tout entière.

Je vous remercie, Monsieur le Président. Je vous prie de bien vouloir donner la parole à M. Etinski.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je donne maintenant la parole à l'agent de la
Yougoslavie, M. Etinski.

M. ETINSKI : Merci, Monsieur le président.

Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, l'affaire dont vous êtes saisis est claire. La demande
que je vous soumets est fondée en fait et en droit. La question est honnête. Arrêtez les tueries. Sauvez la vie de
tous les citoyens yougoslaves, Serbes et Albanais, civils et militaires. Sauvez la nation tout entière et toutes ses

communautés. Ne tardez pas !

Je prie la Cour d'indiquer la mesure conservatoire suivante :

Les Etats-Unis d'Amérique, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, la République française,
la République fédérale d'Allemagne, la République italienne, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume de

Belgique, le Canada, le Portugal et le Royaume d'Espagne doivent cesser immédiatement de recourir à l'emploi
de la force et doivent s'abstenir de tout acte constituant une menace de recours ou un recours à l'emploi de la
force contre la République fédérale de Yougoslavie. Je vous remercie, Monsieur le président.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Merci beaucoup, Monsieur Etinski. L'audience est

maintenant levée. La Cour se réunira à nouveau à 15 heures pour entendre les conclusions de la Belgique.

L'audience est levée à 13 h 05.

successivement de la Constitution (11 articles), des forces de police et de sécurité publique civile (9 articles), de la conduite et de la
supervision des élections (3 articles), des questions économiques (2 articles), de l'aide humanitaire, de la reconstruction et du
développement économique (1 article), de la phase I de la mise en oeuvre (5 articles), de l'ombudsman (3 articles), de la phase II de la
mise en oeuvre (16 articles) avec deux appendices, à savoir l'appendice A relatif aux VJ (forces armées) et MUP (forces de police
dépendant du ministère de l'intérieur) autorisées et aux sites de cantonnement (8 paragraphes) et l'appendice B relatif au statut de laforce militaire internationale d'exécution (25 paragraphes), et enfin des amendements, de l'évaluation d'ensemble et des dispositions
finales (2 articles) [traduction du Greffe]. Le texte de l'accord intérimaire a été téléchargé à partir de l'Internet.

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