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CR 9812(traduction)
CR 9812(translation)
Mardi 3 mars 1998 (10 heures)
Tuesday3 March 1998 (10 a.m.) Liste des abréviations
EPN Exceptions préliminairesdu Nigéria
MC Mémoire du Cameroun
OC Observationsdu Cameroun012 Le PRESIDENT :Veuillezvousasseoir. Nousallons continuer àentendrece matin la suite
des plaidoiries de la Républiquefédéraledu Nigériaetje donne donc la parole à M. Brownlie.
M. BROWNLIE :
La Cour ne peut déterminer l'emplacementdu tripoint dans le lac Tchad
Je vous remercie, Monsieurleprésident.Je vais acheverce matin mon exposéen traitant de
la quatrième exceptionpréliminairedu Nigéria. Celle-ci peut être formulée comme suit:
«La Cour ne devrait pas en l'espècedéterminerla frontière dansle lac
Tchad dans la mesure où lafrontière constitue letripoint dans le lac ou
est constituéepar celui-ci.))
Les élémentsqui constituent le fondement de cette exception ont été exposés dans les w
écrituresdu Nigériaet il suffira d'enmentionner certains des principaux aspects.
Dans lesobservationsdu Cameroun(p. 75-78) il est indiquéquelajurisprudence de la Cour
sanctionne la possibilitéde poursuivre une délimitationjusqu'aupoint terminal de la frontière.
L'arrêtde la Chambre dans l'affaire duDzfSérendfrontalier(BurkinaFaso/République du Mali)
caractérisecettetendance de la conception de la Cour. Le passage pertinent est le suiva:t
«LaChambre estime en outre qu'une telle compétencene se trouve pas limitée
du seul fait que le pointterminal de la frontièrese situe sur la frontièred'unEtat tiers
non partie àl'instance.En effet les droits de 1'Etatvoisin, le Niger, sont sauvegardés
en tout étatde cause par lejeude l'article59 du Statut de la Cour, lequeldispose que:
«La décisionde la Cour n'estobligatoire que pour les parties en litige et dans le cas
qui a été décidé.))
La Chambre poursuit en ces termes :
«LesParties auraientpu àtout moment conclureun accord portantdélimitation
de leur frontièreselon la conceptioncommunequ'ellesauraientpu avoir de son tracé,
et un tel accord, tout en les liant juridiquement en vertu du principe pacta sunt
servanda ,ne serait pas opposable au Niger. Une décisionjudiciaire, qui«n'estqu'un
succédané aurèglementdirect et amiable))d'undifférent entre les parties(C.P.I.J.
sérieAno22, p. 13),ne fait que substituerà la solution résultant directementde leur
volonté communela solutiondégagée par lejuge en vertu du mandat qu'elles lui ont
confié.Dans les deux cas, la solutionn'ade valeurjuridique et obligatoirequ'entreles
Etats quil'ontacceptée,soitdirectement,soitdu fait de l'acceptation de lacompétence
dujuge pourréglerl'affaire.A supposerdonc que laChambre,dansson arrêt, identifie
un point qui représentepour elle la limite extrêmevers i'estde la frontièreentre les
Parties, rien ne s'opposeraàtce que le Niger fasse valoir ses droità,l'encontrede
l'uneou l'autre desParties, surdes territoires sitàél'ouestdu point identifiépar la
Chambre.)) (C.I.J. Recueil1986, p. 577-578, par. 46.) -3-
O 1 3 A mon avis, cette évolutiondes opinionsjuridiques n'est pas aussi déterminanteque l'aff~rmele
Cameroun danscette affaire et n'estcertainementpas déterminanteen l'espèce.
En premier lieu,on dispose de preuves considérablesd'une ambivalencedans l'attitudde la
Cour et cela ressort particulièrementde la conception de la Cour à l'égardde l'institutionde
l'interventionet de l'article62 du Statut. On sait bien comment la Cour, ayant refuséd'autoriser
l'interventionde l'ItaliedansI'affaire duteaucontinental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte),a
soigneusementévité unedélimitationdezonessechevauchantaveclesprétentionsitalienneslorsque
la décisionconcernantcette délimitation aétéprise (C.I.J. Recueil1985,p. 24- 28, par. 20-30).
Monsieur le président,à mon avis, il y a une analogie manifeste avec la situation du lac
Tchadmais avecune différenceessentielle. Dansle systèmed'ordrepublic du lac Tchad,avec son
régimemultilatéralde démarcation, lapositionjuridique des quatreEtats riverains est directement
en cause. En revanche,laposition de la Cour dansl'affaireJamahiriyaarabe libyenne/Malteavait
un caractèreexclusivementconservatoire. La Cour a évoqué: «Les limitesà l'intérieurdesquelles
la Cour doit, afin de préserver lesdroits des tiers, inscrire sa décision enla présente espèce...))
(C.I.J.Recueil 1985, p. 26, par. 22). En tout étatde cause, un certain nombre de membres de la
Couront constammentconsidéré que l'article59nefournit pasune protectionsuffisanteàdes Etats
tiers. A cet égard,Monsieur le président, j'aimerais rappeleles préoccupationsque vous avez
expriméesau sujet de la requête àfin d'interventionde l'Ital:e
((9.Ce n'estpas une réponse que dedire - comme laCour semble le faire en
substance - que l'intérêdt'ordre juridiquede l'Italiene saurait être en cause dans
l'arrêen l'espèce,vu qu'auxtermes de l'article59 du Statut «la décisionde la Cour
n'estobligatoireque pour les parties en litige et dans le cas qui a étédécidé.))
Vous avez dit ensuite
«Si cette réponseétait valable,l'article62 n'aurait pas d'objet;et aucune affaire
ne se présenteratamais où l'article62devraitou pourrait s'appliquer, puisquraison
de l'articl59 les intérêts juridiquesdes Etats tiers ne peuvent en aucun cas être
touchéspar les décisionsde la Cour. Or aucune règled'interprétation nepermet de
penser que l'articl59 raye du Statut l'article62.)) 10. La Cour s'efforce derépondre à cette conclusion évidenteenaffirmant que
son interprétation de l'article 59ne rend pas l'article62 sans objet, étantdonnéque,
si les intérêtsjuridiques des Etats tiers strotégés parl'article59 contre les effets
des décisions rendues dans les affaires auxquelles ilsne sontpas parties,lesdits Etats
tiers conserventnéanmoins,grâce à laconjonctiondes articles 62 et 59, lafaculté soit
de rechercher l'économiede procédureofferte par le premier de ces textes, soit de se
contenter de l'immunitéjuridique assuréepar le second. Autrement dit, le but de
l'article62, dans la logiquede la Cour, ne serait pas d'offriraux Etats tiers la faculté
d'intervenirpour sauvegarder ou faire valoir un intérêt d'ordrjuridique susceptible
d'être mis en cause dansl'arrêt en l'espèce, puisqu'en raisonl'article 59aucun arrêt
de laCour ne peut affecter les intérêjsridiques d'un Etat tie:sil seraitseulementde
permettre à l'Etattiers d'évilacharged'une actiondirecteultérieurecontrelesParties
principales - si la base juridictionnelle nécessairà une telle action existe - en
l'autorisantà intervenirà l'instance,si la Cour en décide ainsi. Cette analyse, qui
réduitI'article62 à une douteuse commoditéprocédurale,n'est corroboréeni par la
lettre de ce texte ni par lestravaux préparatoires.Elle revient pratiquemànrayerdu
Statut l'article62.))
Et vous avez conclu en ces termes :
11.Deplus,on ne sauraitsoutenirqu'unedécisiondelaCour énonçantlesrègles
à appliquer pour partager entre deux Etats certaines zones de plateau continental ne
puisse avoir pour effet de mettre «en cause» les intérêts juridiques d'un Etat tiers
revendiquant une partie de ces mêmeszones. Avancer un tel argument serait
dévaloriser lesarrêtsdleaCour,quidoivent,pourtous lesmembresdelacommunauté
internationale, constituer des énoncés autoriséd su droit international.)) (Plateau
continental (Jamahiriya arabe Iibyenne/Mah), requête à fin d'intervention
(C.I.J. Recueil 1984,p. 134-135.)
Des opinions analogues ont été exprimées danc sette affaire par. Sette-Carnara(p. 87,
par. 81), M. Oda (p. 104-105, par. 29), et sir Robert Jennings (p. 157-160,par. 27-34).
Comptetenu de l'importancede cesavis, il n'estpas surprenantde constaterqu'ilsontété pris
w
en considération dansla dernière édition del'ouvragequi fait autoritésur la Cour rédigépar
M. Rosenne. Le passage pertinent a une importanceparticulièreau regard de laprésenteinstance.
Rosenne écrit :
«A la suite des tentatives d'interventiondans les affaires des Essais nucléaires
et les deux affaires du Plateau continental, et surtout l'interventionduNicaragua qui
n'était pas partiàl'instanceau sujet du golfe de Fonseca, la questiona éttraitéede
plus en plus en détail dans les écrituet les plaidoiries, dans les arrde la Couret
des chambres,et dans les opinions individuellesdesjuges. Un ensembleconsidérable
d'avisjuridiquess'estdéveloppé en faveurde l'idéeselon laquelleun lienjuridictionnel
ayant la nature d'une acceptationn'étaitpas nécessairetoutau moins dansdes affaires
où l'Etatdemandant à intervenirne faisaitpas valoirune demandecontrel'unou l'autre
des Etats parties, mais tout au plus souhaitait protéger ses propresdroits, prétentions
et intérêtscontruen préjudiceéventueldécoulantdle 'instance principale.Néanmoins,
pour d'autres raisons dansces affaires, la Cour, en constatant qu1'Etatdemandant à intervenir ne possédaitpas un intérêd te caractère juridique auquel la décision en
l'affaire risquait deporter préjudice,n'ajamais atteint la phase où elle aurait dû se
prononcer sur cette question. L'existencede cette tendance indique toutefois que la
dispositionformelledel'article 59du Statutprévoyantque«ladécisiondelaCourn'est
obligatoire que pour les parties en litige et dans le cas qui a été déc)e,peut pas
toujours protégersufisamment les Etats tiers, en particulier dans des différends
touchant la souverainetéou les droitssouverainssur des parties de la surfaceterrestre,
notammentdesdifférendsconcernantdesprétentionsqus iechevauchentsurdeszones
maritimes, et que dans certaines situations des élémentsplus précis pourraient être
nécessaires.)) (Rosenne,TheLawandPractice oftheInternationalCourt, 1920-1996,
3' édition., 1997,p. 1540-41).
C'est là l'opinionmûrement réfléchie de M. Rosenne.
0 :1 5 Ces considérationss'appliquent à la fois dans les affaires relativesau territoireterrestre et la
frontièremaritime,et selonmoi, elles ne sontcertainementpas moinsapplicablesau régime d'Etats
CO-riverainsd'unlac ou d'unemer intérieure,comme le lac Tchad.
La démarcation des frontières dans lelac Tchad, et la détermination des tripoints quis'y
rapportent, est en principe opposable aux quatre Etats riverains, puisquece qui est en cause c'est
un systèmed'ordre publicmultilatéral et institutionnel. La fixation des tripoints fait partie de ce
système. Et, étant donné la nature et les fonctionsde la commission du bassindu lac Tchad, tous
les quatre Etats ont un intérdtans la fixation decesuxtripoints. Les tripoints danscette affaire
font donc partie d'un régimequi estsuigeneris sur le planjuridique. Pour cette seule raison, les
précédentsinvoqués concernant la déterminationdes tripoints ne sont pas pertinents en l'espèce.
Les Etats parties aux statuts de la commission du bassin du lac Tchad,autres que leNigéria
et le Cameroun, ne sont pas des ((Etatstiers)à l'égard dutripoint en question. Ils ont été et
continuent d'êtrep,arties aux processus de démarcationde la frontièrà,la gestion des ressources
et au règlementdes différends, à l'égarddu lac. Pour le Tchad et le Niger, ces questions ne sont
pas res inter alios acta, mais font partie du système multilatéral découlanla convention et du
Statut.
Pour ces raisons, la Cour ne devrait pas déterminerla frontière dans lelac Tchad dans la
mesure où 1aJi.ontièreconstitue le tripoint dans le lac ou est déterminépar celui-ci. Que l'on
considèrequela questionrelèvede la compétencede la Cour(par analogieavec le principe énoncé - 6 -
dans l'affairede l'Ormonétaire(C.I.J. Recueil 1954, p. 32) tel qu'il aappliquépar la Cour, et
plus récemment, dansl'affaire relative du Timor oriental (C.I.J. Recueil995, p. 90) ou que la
requête est recevable (par analogavecdes affairestelles que l'affairedu Camerounseptentrional
(C.I.J. Recueil1963, p. 32), n'a selonmoi aucun effet sur la conclusion dictéepar la logique
juridique et l'intérptublic. J'aiainsiterminémon exposéde ce matin, Monsieur le président. Je
vous prie de bien vouloir donner la parole sir Arthur Watts.
Le PRESIDENT :Merci, M. Brownlie. Je donne la parole àsir Arthur Watts.
Sir Arthur WATTS :
Iln'existe pas de différend concernantla délimitationde la frontière entre letripointdu
lac Tchad et la mer
O16 Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, je vais maintenant examiner les
cinquième et sixième exceptions préliminairedsu Nigéria.
Ces deux exceptions sont liées,car l'une et l'autreportent sur les conséquencesque le
Camerouncherche à tirer d'uncertainnombre d'incidentsallégués llongde la frontière:lesdeux
portent sur des faits sur ce qui s'estpassé(s'il s'est pquelque chose),à quel endroit,àquel
moment, ce qu'ilen est résulté etinside suite. Premièrement- et tel est l'objetde la cinquième
exceptionpréliminaire - le Cameroundéclarequeces incidentsétablissentque leNigériaconteste
la totalitéde la frontière; puis le Cameroun déclare qu'ils mettenten cause la responsabilité
internationaledu Nigéria- questionexaminéedansla sixièmeexceptionpréliminaire duNigéria.
En ce qui concerne les questions auxquelles se rapportent les deux exceptions préiiminaires,le
Nigéria réservela plénituddee saposition, bien entendu,vis-à-visdes allégationsde droitoude fait
du Cameroun.
La cinquième exception préliminaire estqu'il n'existe pas de différend concernant la
délimitation dela frontièreentre leripoint du Lac Tchadet la mer. Les incidents alléguésar le
Camerounn'établissent l'existenced'aucundifférenddecegenre. Permettez-moide commencerpar
une question préliminaire. Le Nigériadéniel'existence d'undifférend concernant«la délimitation -7-
de la frontièrecommetelle)). Bien entendu,leNigériareconnaîtqu'ilsepose unproblème à propos
du titre afférent la presqu'île de Bakassi,ainsi qu'autitre afféreàtDarak et à certaines zones
adjacentes du lac Tchad;et l'issuefinale peut avoir une incidencesur le tracéde lafrontièredans
ces régions. Ce ne sont pourtant paslà des différends frontaliers«commetels))- les différends
concernentle territoire et tous effets sur la frontièresontsecondaires,ils présententle caractèrede
conséquences. Il n'ya donc aucuneincompatibilitéentrela formulationde lacinquièmeexception
préliminaireduNigéria etla reconnaissance,par leNigéria,de l'existencede problèmesrelatifsaux
titres sur Bakassi, Darak et certaines autres régions.
Dans ce contexte, le Cameroun a mal interprétéet dénaturéla cinquième exception
préliminaireduNigéria.Le Camerouna choisi1de l'interprétec romme unedénégation généralepar
le Nigériade l'existence d'un différend quelconque entreles deux Etats. Or, il n'enva pas de la
sorte: le Nigérianie l'existenced'undifférendconcernant la délimitation dela@ontière comme
telle dans la zone dont il s'agit. En ce qui concerne Bakassi, Darak et les zones adjacentes,le
Nigéria admetqu'ily a un problème, quel'ontraite actuellementde façon bilatéraleet multilatérale
017
selon le cas. Ce problèmene porte pas sur la ligne frontièrecomme telle, mais plutôt sur la
question sous-jacente du titre. Les arguments détaillésque le Cameroun a avancés dans ses
observations2à propos de'lajurisprudence de la Cour relative à ce que signifie un «différend»
sortent donc de la question pour la plupart.
Mêmeainsi, deux aspects de cet argument et de lajurisprudence de la Cour sont pertinents
pour la cinquième exceptionpréliminairedu Nigéria. L'unest l'insistance dela Cour, réitérée
encore la semaine dernière dans l'affairede ~ockerbie~- sur la nécessitéque l'existence d'un
différend soit manifeste,ou objectivementappréciée.Commeje l'établirai, ilrésultedu dossier
'OC,par.5.01, 5.02.
'OC,par.5.03-5.09.
'Questions d'interprétation et d'applie conventiode Montréalde 1971 résultantde l'incident derien
Lockerbie(Jamahiriyaarabe libyennec. Etats-Unisd'Amé,rrêdtu 17fkvrier1998,par.21. -8-
objectif qu'aucundifférendn'existe à propos du tracéde la ligne frontière sur la totalitéde sa
longueur :il n'ya pas de vues contrairesdes Partiàscepropos. Deuxièmement,la Cour a établi
avecclarté,et leCameroun l'accepte4,qu'undemandeurne peut pas inventerun différendrienqu'en
affirmant qu'il enexiste un. Cependant, commeje l'établirai auss,'estlà précisément ce quele
Cameroun cherche à faire en l'espècà propos de la totalitédu tracéde la ligne frontière.
Comme l'indiquela cartequi setrouvesous lacote 22, la partiede lafrontièrecompriseentre
le lac Tchad et Bakassiest longueelle s'étensur prèsde 1000millesou environ 1680 kilomètres.
Pour cette frontière,la position peut êtdéfinie defaçontrès tranchée. Il n'existeenfait aucun
différend relatif cette ligne frontière;il n'existeaucunedivergenceentreles Partieà proposdu w
tracéde la frontière le long de cettegrande distance et le Cameroun n'averséaux débatsaucun
élémend tepreuve de l'existenced'untel différend.
Avant que l'onne puisse porter uneaffaire devantla Cour, ildoit existerun différendd'ordre
juridique entre les parties. Ce différendd'ordrejuridiquedoit avoir existéomentdu dépôtde
la requête quitend à introduire l'instan:il ne suffitpas qu'unEtat suscite le différendpar l'acte
mêmedu dépôt de sa requête en incluant dans celle-ci quelque allégationavec laquelle l'autreEtat
ne puisse manquer d'être en désaccord :sinon n'importequelle questionpourrait êtretransformée
artificiellement en «différend».
Or c'estprécisémentcela ce que leCamerounaessayéde faireen l'espèce.Avant mars 1994 w
le Cameroun ne donnait nullement àentendrequ'il yeûtun différendrelatifà toute cette longueur
018 de la frontière. Il ne reste la trace d'aucune correspondance diplomatique, ni de discussions
bilatérales mettanten cause la délimitationde cette frontière. Les élémendu dossier établissent
tout àfait le contraire, comme le Nigérial'aétabli5. Encoreen août 1991dans le procèsverbal
«adopté»d'uneréunion conjointed'expertssurles problèmesfrontaliers,il était indiqué:«lesdeux
40~,par.5.5.
5E~~,par.5.10-5.13 -9-
parties ont noté avec satisfactionque la frontièreterrestre a étébien définieet qu'iln'ya aucun
problèmemajeur à ce niveaw6. Mêmeen août 1993-juste sept mois avant l'introductionde la
présenteinstance par le Cameroun, le procès-verbaladoptéd'une nouvelle réunion dumême
organisme ne contenait aucune mention d'unquelconque différend relatif à la délimitationde la
frontière terrestre7.
C'estseulementdans la requête amendéd eu Cameroun que cette frontièrejusqu'alorsstable
a étémise en question; c'est seulementalors quele Cameroun a affirméqu'ilexistait un différend
relatif latotalitéde sa longueur,bienqu'ileûtreconnuauparavantqu'aucunproblèmenese posait.
C'est leCameroun, et non pas le Nigéria,qui introduit un élément d'instabilité danlsa frontière
commune des Parties.
Je le répète, l'allégation seloaquelle la totalitéde cette frontière était litigieusen'a été
formuléeque dans lamodificationapportéepar leCameroun à sa requêteinitiale. Cela, en soi, en
dit long. Après avoir présenté sa requêteinitialeà propos de Bakassi, et là le Nigériaaccepte
l'existenced'unproblème(qui fait l'objetde mesuresbilatérales),le Cameroun a ajouté,seulement
deux mois plus tard, que la totalité de lafrontièreétait aussilitigieuse.ins si,n présentantsa
requêtes,usceptibled'entraînerdeseffetspour environ 40,8 kilomètresdela frontière,leCameroun
a oubliéde quelque manière qu'ilparaissait exister aussi un différend surprès de 1680 autres
kilomètresde la frontière et l'a donc ajouté à l'affaire aprèscoup. Cela suffit à indiquer très
fortementqu'àl'époque le Camerounne pensait pasqu'il yeût aucundifférend relatif à cette partie
supplémentairede la longueur de lafrontièreet cet élémend t u différendalléguén'arien de réel.
Le Cameroun, on doit le rappeler, s'étaitpréparé depuisquelque temps àporter la présente
affaire devant la Cour. Du côtédu Cameroun il n'y a pas eu beaucoup de hâte. S'ilavait existé
un différend véritable surune partie aussi longue de la frontière, il n'est tout simplementpas
6EPN,par.5.11etannexe82.
7EPN 55. - 10-
O1 9 croyable de suggérerque le Camerounne s'ensoit souvenuque plus tard. La vérité, c'esqtu'iln'y
avait et qu'iln'ya aucun différendde ce genre.
LeCameroundit qu'ila été poussé àmodifieret à amplifiersa requêteinitiale quandil a reçu
lanote duNigériadu 14 avril 1994*,qui affirmaitdiversdroitsdans lazone situéeautour deDarak,
dans le lac Tchad. Quelque soit l'effetque cettenote ait pu produire en donnantau Camerounune
raison valable de chercher à adjoindre au présentlitige la situation dans le lac Tchad, elle ne
contient absolument rien qui autorisemettre en cause la totalité dela longueur de lafrontièreau
sud du lac Tchad et jusqu'à Bakassivers le sud. Non, cette adjonction gratuite n'étaitqu'un
((contentieuxajouté après coup».
w
Bien entendu, il n'estpas surprenant que le Cameroun n'aitréussià indiquer aucune trace
documentaire d'un différend actuel relatià la totalité de la frontière,pour la simple raison qu'il
n'existe aucunedivergence entre les Partiesàce sujet. Pour éviter toutincertitude sur ce point,
permettez-moid'être clair. Ence qui concerne la partie de la frontière situéeentre Bakassiau sud
et le lac Tchad au nord le Nigérian'apas contesté,ni ne conteste actuellement le tracéque doit
suivre cette frontière.e Nigéria accepteen principe cette frontière établie. Puisquele Nigéria
accepte la ligne de la frontièreet si, comme nous le supposons,le Cameroun agitde même,il n'y
a ni ne peut y avoir aucundifférend entre les deux Etatsau sujet de la ligne de lafrontièrecomme
telle.
Le Cameroun soutient maintenant dans ses observationsque le différendrelatif Bakassiet
àla zone deDarak ne limitepas seseffetsà cesrégionsparticulièresde la frontièrecommunem , ais
qu'il aune incidence plus généralisée9il dit que le Nigéria attaque toutel'architecture juridique
sur laquelle repose la délimitationde la frontière entreles deuxs»'0et qu'il«met en question
'MC,annexe355.
'OC, pa5.01, 5.05.
''OC,par5.13. - 11 -
ladélimitationdelafrontièredanssonintégralité))". LC eamerounaffronte iciunedifficultégrave.
Aumomentoù il a déposé sa requêteo ,u mêmequand il l'a modifiéepar la suite le Cameroun ne
0 fi!0 pouvait se fondersur rien pouralléguerl'existenced'undifférendrelatif à la totalitéde la longueur
de la frontière, en dehors de quelques mentions tout à fait insuffisantes d'incidentsfrontaliers
allégués sur lesquellejse reviendrai dans un moment. Il édifie maintenantun tel argument, mais
ne le fonde que sur des implications qu'iltente de trouver dans ce que le Nigéria a déclarér la
suite: cela ne peut pas établirl'existenced'undifférend au momentoù la requête a éte'déposée.
Le fait est que le Cameroun,quand il a engagé laprésenteinstance, inventait un différend etqu'il
voudraitmaintenant, eninvoquantces événementu sltérieures,donnertardivement une réalitéà son
invention. Rien que la semaine dernière,la Cour répétait quele moment critique pour établir sa
compétence estla date du dépôtde la requête12.
Le Cameroun affronte encore une autre difficulté : mêmeces déclarations nigérianes
ultérieuresne donnent pas toute la mesure des arguments du Nigéria :et le Nigérian'a aucune
raison de la donner àce stade préliminaire.Ainsi le Cameroun doit-il inventer l'idéequ'ilse fait
de cequi pourraitconstituer les argumentsduNigéria. Defait, le Cameroun sembleconfondre, de
façongénérale, les actuellesexceptionspréliminairesavec des argument qsui relèventplus du fond
de 1'affairel3. Le Nigérian'est pas disposé à se laisser entraîner sur cette voie. La présente
exception préliminairedéclare que, si l'onsefonde sur lesfaits connusau momentdu dépôtde la
requête du Cameroun et mêmelors de sa modification deux mois plus tard et si l'onse fonde sur
ce que le Cameroun a déclaré dans sa requêteavec la modification ultérieure, ainsi que, dansla
mesure permise, dans son mémoire,il n'yavait en fait et en droit aucun différend actuel relatif
la délimitationde la frontière entrele lac Tchad et Bakassi.
"OC,par. 5.14.
"~uestions d'interprétationet d'application de laconventionde Montréalde 1971 résultantde l'incidentaériende
Lockerbie(Jarnahiriyuarabe libyennec. Etats-Unis d'A),rrêtu27 février,par. 37, 43.
I3PaexempleOC, par.5.18-5.20, 5.23. - 12-
Permettez-moi de reveàl'argumentationinitiale du Cameroun. A savoir qu'ilressortait
de divers incidents frontaliers allégués quele Nigérian'acceptaitpas la ligne frontière actuelle.
Avant d'examiner deplus prèslesincidentsast les implicationsqu'onleurattribuedu
point de vue de l'acceptationde la frontièrepar le Nigéria,nous pourrions assister la Cour en
réexaminantcette étenduede frontière deprèsde 1680 kilomètres. Lacartefigure sous la cote 22.
En bas au fond se trouvekassi, tout juste visible. Si l'on progressevers le nord jusqu'au
lac Tchad, il y a là la longue ligne frontièreque le Camerounavait d'abordoubliée.
(321 C'estune chose que de regarder la frontièretracée surune carte; c'en est une autre que
d'examiner le terrain sur lequel la frontièreest tracée.La nature du terdécritentalier a été
-
hier par l'agent duNigéria. Permettez-moi,pour mémoire, de projetersudes cartesl'une
montréeshier; et maintenantl'une desphotographies du dossierdesjuges,quidonneuneillustration
typique du genre de terrain que traverse la frontière.
Dans un paysage de ce genre, on ne peut pas trouver une frontièredu genre clairement
démarqué possibleen d'autres circonstances. Mêmeainsi, ilune certaine démarcation
partielle de la frontière. Même aguerre de 1914-1918 la frontièreentre le Nigéria etle
territoire allemand du Cameroun avait été démarquéeir de Yola vers le sud jusqu'à la
rivière Akwayafepar une sériede bornes numéde 1es14. Celafigure sur la carte sous la
cote 15. Lapartie norddece tronçon frontaliern'estpaspertinenteauxfinsde la frontièreactuelle
-
entre leNigéria etleCameroun,mais, au sudde labornefrontière 64,lesbornes restentpertinentes.
Ces 51 bornes, de à114, s'étendent surenviron 320 kilomètresde lafrontière. Il y a aussi
certains autres secteurs relativement restreint de la fronmarquésà des époques
antérieureset dont lesbornesrestent pertinentespour lafrontièreactuelle. Au total il semblequ'un
peu plus de 335 kilomètres de la frontière actuelle aient étémarquésde façon claire par le
placement de bornes. - 13-
Je voudraisajouter que cette mention des bornesdonne une impressionassez trompeuse de
l'incertitudeactuelle, même dansles secteurs limitésoù des bornes ontplacées. «Trompeuse»,
car certaines bornes sont tombéesen ruine avec le temps, tandis que d'autres semblent avoir été
retiréesou détruites.
Surleterrain, pour laplus grandepartiede sa longueur,c'est-à-direenviron 1350kilomètres,
la frontière estune question de réputation localeétablie. Sursa longueur,il y a de part et d'autre,
desgroupes d'établissementslocaux. Surde grandeslongueurs, lafrontièretraversedesrégionsoù
l'habitationhumaine est rare ou absente; compte tenu de la difficultédu terrain, cela n'est pas
étonnant.
Permettez-moi d'illustrer cequeje suisen train d'établir. Permettez-moi de prendrlea partie
de lafrontièresituéentre la bornefrontièreet leMont Kombon(lacarte figuresouslacote 22).
Lda frontièreest délimitée palr'OrderinCounci britannique" quidécritla frontièreentrece qui
O 2 2
étaitalors leCameroun septentrionalet le Camerounméridional.Ladescription est donnéeen des
termes toutà faitgénéraux. Or, cequiimporte,c'estde savoir commentla descriptiongénéralequi
figure dans cette ordonnance correspond sur place au terrain. Sur l'écran,vous voyez maintenant
une photographie d'une partiede ce terrain (cote 20); regardez bien et près du centre vous verrez
un homme; il setient prèsd'unbuissonen fleurs;ce buissonmarque lafrontière- l'hommele sait,
les villageois du pays le savent; telle est la dans un paysage de ce genre. Voici une autre
photographie(toujours la cote 20):une fois encore,elle montre leterrain a proximitéde l'endroit
où la photographie précédente a étpérise. Une troisièmephotographie(encore la cote 20). Elle
aussi montre la mêmezone que les autres; vous voyez un groupe de huttes au centre de la photo.
Ou ce sont peut-être en réalitdeux groupes de huttes, car la frontièrepasse dans l'intervalle qui
les sépare.
I4Nigér(Protectorateand Cameroons)Orderin Council, 1946,SecondSchedule:memoireduC,nnexe181. - 14-
Voilà ce qu'est, enréalité,loin la plus grandepartie de cette frontière. Les communautés
locales saventbien oùla frontièrepasse.A certains momentsil y a eu des incertitudesfrontalières
localisées,mais elles ont été réglées serplan local,entre les communautésde part et d'autrede
la frontière. Tel est le meilleur moyende résoudre ces difficultéslocalesre les communautés
qui savent,de leurpropre connaissancepersonnelle,oùpasse lafrontière,quellefrontièreaun sens
en pratique du point de vue de la situation locale et quelles conditions connexes doivent être
établies.
Comptetenu duterrain,de lasituationdesétablissementset ducaractèreengénéraldépourvu
dedémarcationdelafrontière,ilfaut s'étonnere,n réalité,dla raretédestransgressionsfrontalières
d
qui se sont produites. Compte tenude toutes les circonstancesenvironnantes,la frontièrea é,ne
réalité,emarquablementstable et exempte d'incidents.
Cependant le Camerounaffirme que les transgressions frontalièrescommisespar leNigéria
ont étéfréquentes. L'insuffisancedes renseignementsdont le Cameroun dispose à propos de ces
incidents est une question que l'on examinera davantage à propos de la sixième exception
préliminaireduNigéria.Pour l'instantet sanspréjudicedece quel'ondira plustard, permettez-moi
de prendre ces incidents alléguéspour cequ'ilssemblent être.
Premièrement, je voudrais rappeler à la Cour que, dans sa requête amendée - au
0 2 3
paragraphe 17jl- le Camerounn'aproposé qu'une vague afirmation à l'appuide sa réclamation ril
selon laquelle la totalité dela frontière est litigieuse, simplement«les incursions répétses
populationsdes forcesarméesnigérianes enterritoire camerounaistout le longde la frontièreentre
lesdeux pays»" :cette affirmationétait dépourvuedetoute substance- pas de noms de lieux,pas
de dates, pas de détails,rien. partir de la requêtedu Cameroun, avec tout juste cette simple
affirmation,onne peuttireraucuneconséquence,quellequ'ellesoit,au sujet de l'attitude duNigéria
vis-à-vis de lafrontière.
"Requêtme odifi,ar.17B. - 15 -
Certainsdétails,il est vrai, sont donnésdans lemémoiredu Cameroun. Premièrement,nous
pouvons isoler ceux qui se rapportent à Bakassi ou à Darak et aux zones adjacentes : ils
correspondent aux problèmes reconnus qui concernent le titre et font déjàl'objet de mesures
bilatéralesou multilatéralesselon le cas; ces incidents ne sont pas pertinentsdu point de vue du
différend frontalier allégule long de prèsde 1680 kilomètresde frontièreentre Bakassi et le lac
Tchad. Nous restons alors, semble-t-il, avec seulement cinq incidents citésdans le mémoire,
apparemment pour amplifier l'allégationtout à fait vague du paragraphe 17$ de la requête
amendée. (Je dis ((semble-t-il»et ((apparemment)),car le Cameroun n'aété ni clair, ni précàsce
propos.) L'undes cinq s'estproduit après le dépôtde la requêtedu Camerounet sa modification
ultérieure etne saurait donc êtreinvoqué commeélémend te preuve de l'existenced'undifférend
au moment du dépôt dela requête; à propos d'un autre, relatifà Kontcha, le dossier indique
- comme l'agent duNigérial'adéjàrelevé- non pas qu'ily ait eu undifférend frontalier, mais
tout lecontraire,car il établitqueleNigéria acceptaitlafrontièredanscetterégionet admettaitque
Kontcha se trouvait du côtédu Cameroun16.Ainsi restons-nous, dansle mémoire,avec seulement
trois incidentsentre 1992et 1994,sur une frontièred'unelongueur de près de 1680 kilomètreset
on nous dit qu'ilen résulteque le Nigéria contestela frontière en totalitéSans mêmeexaminer
la naturede ces incidents,il apparaîtque l'implicationque leCamerouns'efforced'en tireràpropos
de la longueurtotale de la frontière deprèsde 1680kilomètresne repose absolument sur rien.
Le Nigéria a le droit de s'en tenir là dans son argumentation. Le Nigéria est appelé à
répondre à l'argumentationdu Cameroun telle qu'elle estexposée danssa requête amendée et
- danscertaineslimites-développée danssonmémoire.Le Camerounatotalementéchouédans
sa tentative pour établir,en présentantainsi sa cause, l'existenced'undifférend quelconque,en
termes exprèsoupar implication,relatif au tracéde la longueurtotale de la frontièreentre Bakassi
-
I6EPNp, ar5.7et annexe79. -16-
et le lac Tchad. Pourdes raisons qu'ilconviendrade développer à propos de la sixièmeexception
préliminaire,le Nigéria conclutque les élémentsde preuve additionnels considérables quele
Cameroun a soumis a la Cour aprèsle mémoirene devraient pas entrer en ligne de compte.
Toutefois, sans préjudicede cette conclusion,leNigérian'aaucundésir d'éviter de discuter
detelles allégationsultérieures,et strictementhorsdélais,d'incidentsqueleCamerouna présentées.
Dans ses observations, près de deux ans aprèsqu'il sesoit lancé dans cette affaire, le Cameroun a
rassembléces incidentsainsi dénomméd sans son((Répertoiredes incidentssurvenus à la frontière
entreleCamerounetleNigérian".LeCamerounyrecenseenvironquarante-sept incidentsdistincts
survenus en quarante-deuxendroits dans la zone de la frontièregénérale : mais ils n'incluentpas
w
tous les incidents mentionnés auparavantdans son mémoire,bien qu'ils encontiennent certains et
l'onreste dans l'incertitudetotale sur le point de savoir si ce nouveaurépertoire estou non censé
constituer une liste définitive. De toute façon, vingt-sept de ces incidents semblent faire partie
intégrantedesproblèmesreconnusrelatifsaux zonesdeBakassi etdu lacTchad;si nous les laissons
de côté, cela nouslaisse environ vingt incidentspour le reste de la frontière.
Leplusanciendecesincidentsnouvellementallégués - celuide billa as si"monte à 1962.
Cela signifie donc que maintenant,hors délais,mais enfintout de mêmel ,e Cameroun se présente
avecenvironvingt incidentsqui s'échelonnentdanslepassé sup rrèsdetrente-cinq anslelongd'une
partie de prèsde 1680kilomètresd'unefrontière trèsdépourvuede démarcation, qui traverseun
1
terrain des plus difficiles. Loin d'établirque toutela frontière estlitigieuse,les chiffres établissent
plutôt le contraire: en de telles circonstances, la frontière a été remarquablement stableet
incontestée.
"OC, annexe1.
"Ibid, app14. -17-
Cette conclusion se trouve entièrementconfirméesi nous ne nous arrêtonspas aux seuls
chiffres mais examinons la nature mêmedes prétendusincidents. L'ensembledes circonstances
O 2 5 entourantbon nombre de ceux-ci sont incertaines. Mais, mêmeainsi, il est évident quela grande
majorité- voire latotalité -de cesincidentsnerévèlenntullementl'existenced'undifférendentre
les deux Etats au sujet de la frontière. Ainsi dans un cas, le Cameroun invoque comme incident
frontalier le fait que des éleveurs nigérians aient fait paître leurs troupeauxen territoire
carnero~nais'~;or ce fait est totalement indifférent s'agissant dela prétention selon laquelle le
Nigériaconteste la frontière. Il y a ensuite l'incidentqui est survenu dans les villages de Dadi et
~aje*':le rapport camerounais signaleque des paysans nigériansse sont introduits de force dans
certainsvillages frontaliers ce qui ne signifie nullementque le Nigériaen tant qu'Etatconteste
lafrontière.Ilya ensuitel'incident23du répertoire.Que peut-ondoncen conclure ? Ony trouve
deux documents. Le premier, datédu 22 janvier 1988 concerne uniquement les déplacements
d'éleveursnomades - lui aussi ne démontrenullement que le Nigéria contestela frontière. Le
deuxième document,postérieurde sept ans (datédu 10février1995),vient non seulement un an
environaprès la date de la requêtedu Cameroun, mais est également incompletet vise quelque
chose de totalement différent.
Si tant est que tout ce qui précèdeprésenteun intérêqtuelconque, Monsieur le président, il
s'agit d'événements de nature très localeq,ui sont souvent la conséquence d'une absence de
délimitationeffective de la frontière. Le fait que des incidents oudes problèmes peuvent survenir
le long de la frontière est unequestiontrèsdifférenteet ne signifie pas que la frontière elle-même
soulève des difficultés.n ne sauraitnullement considérer que ces menus incidents de caractère
local soulèvent une question deprincipeau sujet du tracéde l'ensemblede la frontière. Mêmesi
on adopte une vision large de l'étenduede la frontièreviséepar ces incidents de nature locale
19hexe OC 1, incident14.
20hexe OC 1. incide33. - 18 -
(disons environ 400 mètres de la frontière par «incident»), ils concernent, même s'isont tous
pertinents(ce qui n'estpas le cas) peut-être à 20 kilomètresde sa longueur. Une telle distance
ne saurait êtreconsidérée comme mettanten doute la totalitéde la longueur de cette frontière
d'environ 1680 kilomètresou comme soulevant un différend à son sujet.
Le Nigéria tientaussi à signaler, Monsieur le président,que les violations locales de la
frontièreconsistent toutautant en incursionsde laendarmeriecamerounaiseenterritoire nigérian
qu'enmouvementsdansl'autredirection. LeNigérias'opposebienentendu àces incursionssurson
territoire, mais il n'apas cherchéxagérer l'importancede ces menusincidentsde caractèrelocal
en donnant à entendre que le Cameroun avait ainsi remis en cause l'ensemblede la frontière. J
026 Bien au contraire, le Nigérian'a cesséde dire qu'il étaitpréférablede circonscrire2'les
empiétementsde caractèrelocal, si la preuvepeut en êtrrapportée,et de lesréglerlocalementpar
une coopérationde part et d'autre de la frontière demanièreà pouvoir évaluer et faire entreren
lignede compte lesconditionslocales. Ilestextrêmemend touteux quela Coursoitl'organe indiqué
pour se pencher sur ces questions locales par le biais d'uneenquêtejudiciaire,surtout lorsqueles
Parties continuen- du moins c'estce que fait le Nigér-a à respecterle tracé dela frontièretel
qu'ila été réputé établi depu diesnombreuses années.
Certes il peut avoirquelques lacunesdans la délimitationde lafrontière,maisleCameroun
est d'accord22pour dire avec le Nigéria qu'il n'appartientpas à la Cour de procéder à cette j
délimitation.Et toutecarencedansle dispositifcommundesurveillancede lafrontièrene constitue
pas non plus une lacunequ'ilappartientàla Cour de combler. Ces questions ne relèventd'ailleurs
pas non plus de la seule responsabilitédu Nigéria;il incombe tout autant au Cameroun qu'au
Nigériade les régler. Le Cameroun ne prétendpas danssa requêteamendéeni dans son mémoire
avoir jamais pris l'initiativede rétablirou d'améliorer'étatdes travaux de délimitation de la
2LVoirPN,par.5.6.
U~C,par.5.12. -19-
frontière. Selon le dossier nigérian, c'est d'ailleurs plutôtle Nigériaqui a pris l'initiative,comme
en 1991lorsqu'ila proposéqu'une équipecommune d'expertsprocèdeau levéet à la délimitation
de la frontièreterrestrez3.Le Camerouna donc acquiesàéla situationactuelleen ce quiconcerne
la délimitationde cette fiontièreet ne saurait donc se souàsa part de sa responsabilitépour
les conséquencesqui en découlent lecas échéant.
Ni l'uneni l'autredesPartiesne contestent lafiontière tellequ'elleexisteactuellementettelle
qu'elle a été matériellement établie depuis de nombreusnées. Mêmesi le Camerounaffirme
aprèscoupdans son amendementqu'ilexiste un différendrelativementàl'ensemblede la longueur
de la frontièredu lac Tchaà la mer, un différendne s'élèsimplementpas parce qu'unepartie
conclut à son existence. Rien n'indiquait, jusqu'audépôtde l'amendementdu Cameroun, qu'il
existaitundifférendrelativemenàtoute la longueurdecette fiontière.LesPartiesavaientd'ailleurs
convenuen 199 1qu'iln'yavaitpas de problèmes,etmême en 1993,ellesn'avaientfaitétatd'aucun
* différendlorsqu'elles s'étaienrtencontrées pour discuterdes questions de frontière. Au moment
critique, c'est-à-direau momentdu dépôtde la requêteou auplus tard aumomentdu dépôt de
l'amendement,aucun différendn'opposait les Parties sur cette question et c'est encore le cas
aujourd'hui.
Pour ces motifs, Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, le Nigériainvite
la Cour àretenir la cinquième exceptionpréliminairedu Nigériaàtdéclarerqu'iln'existe pasde
différend concernantla délimitationde la frontièreen tant que telle sur toute sa longueurentre le
tripoint du lac Tchad et la mer àtconclure qu'ily a lieu de rejeter ce volet de la requêtedu
Cameroun, dans sa rédaction modifiée.Aucun élémenn te permet de déciderjudiciairementque la responsabilitéinternationale du
Nigériaest engagée à raison de prétenduesincursions
Monsieur leprésident,permettez-moi d'abordem r aintenantla sixièmeexceptionpréliminaire
du Nigéria. Elleconcerne un autre aspect des divers incidents qui seraient survenus selon le
Cameroun. Celui-ci prétendque la responsabilitéinternationaleduNigéria est engagéeà raison de
ces incidents. Selon cette sixième exception préliminaire,le Cameroun n'a pas fourni des
renseignements adéquatsou suffisammentfiables qui permettraient au Nigériade répondre à ces
affirmations mettant en cause sa responsabilitéinternationale ou qui permettraieàtla Cour de
statuer effectivement et équitablement surcette question.
iii'
Permettez-moid'abord à titre préliminaire, Monsieurle président,de revenir sur la question
de l'existence oude l'inexistenced'undifférendopposantles Parties. Le Camerounsoutientque la
responsabilitéinternationale duNigériaestengagée àraison de certains incidentset affirmeensuite
que le Nigéria contestesa responsabilitéà ce titre, d'où il suit,dit le Cameroun, qu'ilexiste un
différend internationalentre les deuxtat~~~.
Mais il s'agitlà d'une interprétatierronée de laposition duNigéria. Celui-ci se borneà
dire àce stade qu'onne lui a pas communiquésuffisamment de renseignementssur les prétendus
incidents pour lui permettre d'arrêtsa réponse. Plus grave encore, la Courelle aussi est laissée
dans l'ignorance des fait: elle se retrouve sans critères judiciaires ou maniables qu'ellepuisse
*
utiliser pour statuer équitablementeteffectivementsur les allégationspar lesquellesle Cameroun
met en cause laresponsabilitéinternationaleduNigéria.Il seraitvain pour laCour d'enpoursuivre
l'examen.
Les allégations reprochant à un Etat d'avoir engagé sa responsabilité internationalene
devraient pas êtreformulées à la légère.Le Nigériane les prend certainement pas à la légère
- mais, Monsieur le président,le Nigéria nesait pas quelles sont réellement ces allégations. Et
240~,par5.29et 5.30. - 21 -
c'est là que le bât blesse. La personne accusée d'un acteillicite est en droit de connaître avec
0 2 8
suffisammentde précisionsl'accusationportée à son encontre. LeCamerouna de manièreflagrante
omis de fournirces éléments d'informationet il a ainsi démontré, Monsieulre président, qul tait
disposépour sa part à prendreà la légèrela grave question de formulerdes allégationsreprochant
à un Etat voisin un acte internationalementillicite.
Les éléments devant lesquelsle Nigéria et la Cour se trouvent sont donc totalement
insuffisants pour leur permettre de répondrecomme il se doit aux allégationsdu Camerounsur les
incidents frontaliers. Permettez-moi d'abord,Monsieur le président,de poser deux questions :
qu'est-cequ'un Etata besoin de savoir avantdepouvoir répondreeffectivement àuneallégationlui
reprochant d'être internationalementresponsable d'une violation du territoire d'un autre Etat?
Qu'est-cequ'untribunal a besoin de savoir pourexercer effectivement ses fonctionsjudiciairesà
l'égardd'unepareille allégation?
Compte tenu de la jurisprudence internationale abondante, le Nigériasoutient que 1'Etat
défendeuret la Cour ont besoin au minimum de connaître quatre choses :les faits essentiels de
l'incidentqui seraitsurvenu,lemomentoùilseserait produit,le lieuprécisoù il seraitsurvenu(tout
particulièrementpar rapport à une frontière donnée) etles raisons pour lesquelles le défendeur
aurait engagé sa responsabilité internationaleraison de l'incident enquestion.
Le Cameroun ne satisfait tout simplement pas à aucune de ces conditions minimales.
Permettez-moide préciserpour laCour en quoiconsiste les allégationsavancées par le Cameroun
- tout d'abord, danssa requêteinitiale.
i) Cette requêtedénoncede façon générales ,'agissant deBakassi et pour la périodede trois
mois courantde la fin de 1993jusqu'àla date de son dépôt,«une agression de la part de la
République fédérald eu Nigériadont lestroupes occupentplusieurs localitéscamerounaises
situées dansla presqu'île deBal~assi))~~A. ucune précision,de quelque nature que ce soit,
n'est donnée.
2SIbid,par.2. ii) En deuxièmelieu,on y affirmeun peu plus loin26,denouveau àl'égardde Bakassimaiscette
fois sansindiquerunepériodeprécisemaisqui sesitueapparemmentdanslesannéessoixante
et soixante-dix,que «[le] Nigéria[se livre...à de fréquentes contestations dela frontière],
qui ont donnélieu àde nombreux incidents))et qu'après quele Nigéria eutniéla validitéde
la déclarationde Maroua «[Iles incidents frontaliers se son...poursuivis dans la région
litigieuse)). Encore une fois pas la moindre précisionn'estdonnée.
iii) Vient ensuite2',en troisièmelieu, un incident sur lequel sont au moins fournies quelques
précisions,bien qu'elles ne brillentpas par leur abondance : «C'est dans ce contexte que
survient, le 21 décembre1993,l'agressiondu Cameroun par le Nigéria, avecl'invasiondes
.*
localités camerounaisesde Jabane et de Diamond Island situées dansla presqu'île de
Bakassi.)) Nous avons donc cette fois une date et deux endroits, mais guère plus.
iv) En quatrième lieu, le Cameroun fait ensuite étatdu comportement du Nigéria«[qui a]
introdui[t] massivement ses troupes arméesdans la presqu'îlelitigieuse et [y a mené]des
activitésmilitaires))apparemmentdepuis 1 99228.Encoreunefoisils'agit-làd'une affirmation
extrêmementvague et générale.
C'est sur le seul fondement «[d]es actes visésdans l'exposédes faits ci-dessus))que le
Cameroun prétend quele Nigéria a engagé sa responsabilité internationale, résumantnsuite ses
allégationsd'unemanièrequn i'ajoute rien defondamentalou d'accessoireàce qui vient d'êtreit?9.
w
Et voilà M,onsieur le président,tous lesrenseignementsque la requêtedu Camerounfournit
auNigéria et à la Cour. C'estmanifestementinsuffisant. Et, abstraction faite de l'insuffisancede
cesrenseignements,je ferai observerque les griefs du Cameroun à l'égarddes activitésduNigéria
261bid.,ar.8 et 9.
271bid.,ar.9.
ZBIbid.,ar.9.
29~bid.,ar. 13,18, 19,20 c) et d). -23 -
à Bakassi sont évidemmenttotalement dénués de fondementétantdonnéque leNigéria est certain
que Bakassi lui appartient.
Le Cameroun aensuitetenté,par sa requête additionnelledéposéequelque dix semainesplus
tard, d'élargirla portéedu différendafind'yinclure la frontièredu lac Tchadà la mer. Et les
renseignementsqui nous sont fournis au sujetdes incidents qui seraient survenus le long de cette
longuebande de terrain sont les suivants.
i) En premier lieu,ily a eu apparemment à une époque donnée, avant1994(mais on ne nous
dit pas quand),d'abord ..une introductionmassive de ressortissantsnigérians dansla zone
litigieuse, suiviepar celle des forces de sécuritéian es^^ '.a «zone litigieuse))semble
viser des endroits situés dans lelac Tchad;hormis cela, les précisions fontencore une fois
totalement défaut.
0 3 0 ii) En deuxièmelieu, àcette affirmation générale s'ajoutetiverses assertions faisant étatde
l'incursion en territoire camerounaisdans le lac Tchad de ((populationsnigérianes,pour la
plupart despêcheurs~~s ', ivies ultérieurement par«les forces de sécunigérian es^^ ^.
Cameroun indiqueque c'est à Darak notammentque ce genre de choses se seraientpassées
et déclare que«les Nigériansoccupent plus d'une vingtainede localitéscamerounaise^))^^.
Encore une fois, Monsieur le président,le Cameroun, tout en donnant superficiellement
l'apparencede laprécision,est loin defournir suffisammentde précisionspour permettre de
statuer sur la présente instance. Le Cameroune précisepas si les occupations dont il fait
état sont le fait de forces nigérianesou de civils nigérians les mentions de ((groupes
nigérians)),de ((ressortissannigérians))et de «Nigérians»donnent à penser qu'ils'agit de
301bipar,2.
"Ibidpar.3.
321bipar,4.
"Ibidpar.5. -24 -
civils nigérians.L'imprécisiorègneaussi sur lenombre de localitésen cause :leCameroun
n'hésitepasà parler d'«unevingtaine de localités)). Monsieurle président, leCameroun ne
connaît-il donc pas exactement le nombre de localitéstouchéesdans ce qui, selon lui,
constituesonterritoire? Et mêmelà, le Cameroun ne peuten indiquer queneuf, et non pas
vingt.
iii) En troisième lieu,le Cameroun mentionneensuite «notamment»quatre autres endroitsoù la
présencede «ressortissants nigérians))a étébservée34.Encoreune fois, il ne semble s'agir
que de civilset cette affirmationest au demeuranttotalementvagueet imprécisetout comme
le rapport entre les événements survenusà ces endroits et ceux mentionnésplus tôt. Le
w
Cameroun semble en outre avoir considérétrois de ces incidentscomme des erreurset les a
écartésde sonmémoire tandis quele quatrième,qui y est mentionné,vise de façon curieuse
Kontcha dont l'agent du Nigéria a fait état hier.
iv) Et, pour terminer, le Cameroun fait allusion à «[l]a présenceprolongée dansla partie
camerounaisedu lac Tchad des forces de sécurité de la Républiquefédérale du Nigérimet
à «l'occupationillégale des partiesde son territoi-e y comprisla partie situéedans lelac
031 Tchad - par des nationaux et militaires nigérians~~~. es allusions, en plus de confondre
encore une fois des situationsmettant encause des civils aveccelles qui mettraienten cause
des militaires, manquent totalement de précision.
Hormis la troisième allégationqui, comme je l'ai signalé,ne vise que des civils, tous les
incidentsrelevésneconcernentque la régionde Darak surlaquelleleNigéria exercesasouveraineté
(et qui de toute façonrelèvedu mandat de la commissiondu bassindu lac Tchad). Aussi, comme
341bid,ar.6.
351bid,ar.7. - 25 -
je l'aidéjà indiqué à l'égarddes incidents à Bakassi, Monsieur le président,on ne saurait guère
considérerceux quiseraientsurvenus à Darak commedes violations duterritoire camerounaispar
le Nigéria.
Mais laissonscelade côté,c'estuniquementsurlefondement «[d]esactesvisésdansl'exposé
des faits ci-dessus)) que le Cameroun fonde sa thèse de l'engagement de la responsabilité
internationale du Nigéria à raison de son activité dans la régiondu lac Tchad36 : les paragraphes
figurant en guise de conclusion37résumentces allégations antérieures sansrien y ajouter. Mais
surgit alors, Monsieur le président,un nouvel élément. Donnantlibre cours à son imagination
fertile, le Cameroun ajoute3'qu'ily a eu «[d]es incursionsrépétéed ses populations et des forces
arméesnigérianes en territoire camerounaistout le long de lafrontièreentre les deux pays,[quiont
été suiviesd']incidentsgraves et répétés)). Aucué nlément depreuve n'estfourni : aucune date,
aucuneprécision, aucuneallégationprécised'actesaccomplp iar 1'Etatnigérian n'est mêm aeancée
à l'appuide cette affirmation extravagante, de trèslarge portée.
Marquons un temps d'arrêt iciM , onsieur le président. Il est réellementimpossible de
répondrede façon satisfaisante à de pareilles allégationsvagues,générales, ambiguësp ,eu dignes
de foi et incomplètes. Etre succinct, c'est trèsbien, mais le paragraphe 2 de l'article38 du
Règlementde la Cour prescrit aussi d'indiquerla nature «précise» dela demande. Il faut que soit
donnéun minimum de précisionssur les allégationsavancées contre un Etat défendeursi l'onveut
quejustice soit faite. Le Nigéria soutientque leCamerounn'aabsolumentpas atteintce minimum
dans sa requête initialeet dans sa requête modifiée.
- - --
36Par.1.
"Par.15, 16, 1c)et4.
"Par.17B. - 26 -
032 Bien que la présenteinstance doive être fondée sur les termes mêmes dela requêtedu
Cameroun, celui-ci disposed'unecertainelatitudepour développerdans sonmémoirelathèsequ'il
a déjàprésentée danssa requête. Mais le mémoirene saurait donner naissance à une nouvelle
affaire. Or les requêtesinitiale et additionnelle du Cameroun ne mettent pas en cause la
responsabilité internationaledu Nigériaà l'égard d'actesilleursqu'àBahsi et quedansle lac
Tchad. La requêteinitialene visait que Bakassi et la demande adresséà la Cour et énoncéeau
paragraphe 17 de la requêteadditionnelle, faisant état del'engagementde la responsabilitédu
Nigéria àraison de diversfaits qui seraientintemationalementillicites3',ne renvoyait.qu'à certains
actes qui concernaient le lac Tchad etne renvoyait notammentpas au paragraphe suivant qui *
mentionnait des actes prétendumentsurvenus«tout le long de la frontière)),c'est-à-direle long de
la frontièreentre le lac Tchad et Bakassi4'. L'introduction deces questions plus larges de
responsabilité étatiqudansl'affaireconstitue unetentative inadmissibled'élargirdansun mémoire
la portéed'uneaffaire telle qu'elle a été énoncée daasrequête.
De surcroît, Monsieurle président, même ecne qui concerne lesquestionsde responsabilité
des Etats qui peuvent êtrdéveloppées àjuste titre dans le mémoire,on constateraque le mémoire
du Cameroun ne représenteguère un progrès par rapport à la requête initiale.11abonde lui aussi
en affirmations reprochant au Nigéria des'êtrelivré des actes illicite, tout aussi impréciseset
infondées.
Le Nigéria a déjà recenséde façon assez détaillée les faibledu mémoiredu Cameroun
à cet égard4'.Dans ses exceptions préliminaires,le Nigériaa examiné douze prétendusincidents
- deux seraient survenus à Baka~si~~c,inq en mer au large de Baka~si~~et cinq le long de la
3voir le paragra17,alinéas) et3.
%es alinéae) et e3 duparagrae7 ne renvoyatu'auxalinés) àd)duparagraph17et nonàI'alinéaJsuivant
dece mêmp earagraphe.
4'EPN,par.6.10-6.13.
42~PN,par.6.10. - 27 -
frontière entre Bakassi et le lac b ch ad^^.Parmi les insuffisances constatées à l'égardde ces
incidents, il a notamment l'invocationabsurdepar leCameroun, à l'appuide sa proprethèse,d'un
incident où cinq Nigérians ont trouvéla mort et à l'égard duquelle Cameroun a présentéses
excuses et versédes dédommagement^ labsencede faits à l'appuides cinq incidents qui se
seraient produits en mer, d'ailleurs non suivis de protestations diplomatiques de la part du
~arneroun~~ et le fait qu'undes cinq incidents invoquéspour démontrer laremise en cause de la
frontière entre le lac Tchad et Bakassi est survenu après le dépôtde la requêteet de son
amendementultérieuret que lesquatre autres - abstractionfaite de leurirrecevabiliàél'égardde
la question de la responsabilité internationale- ont été décrits avec une précisiontotalement
insuffisante pour permettre de statuer sur la responsabilitéinternationale4'.
Monsieur le président,le Cameroun a répétéq 4'e les incidents defrontière dontil rend le
Nigéria responsable sont si nombreux qu'il lui est impossible d'en donner une énumération
exhaustive. Monsieur leprésident,cette Cour est uneinstitutionjudiciaire, non un rallye politique.
Des allégationsde responsabilité internationalene peuventêtretraitées - ni par le Nigériani par
la Cour - sur la base des généralités edtes élémentpseu solides qu'avancele Cameroun. Si le
Camerounveut mettre en cause laresponsabilitéinternationaleduNigéria,il lui incombeaussi d'en
indiquer les circonstances avec la précision nécessaire.S'ily a vraiment tant d'incidentsparmi
lesquels choisir, ilest frappantque le Camerounen ait citési peu dans sa requêteet son mémoire,
et n'ait donnéque les informations les plus inadéquatesmêmeau sujet de ces quelques cas.
43EPN,par.6.11.
"Par.6.12.
4SEPNp, ar.6.10.
46EPN,par.6.11.
47EPN,par.6.12.
480C,par.6.04. - 28 -
La manièredeprocéder duCamerounest lasuivante. Larequêteénoncq euelquesallégations
vagues,puis l'amendementquelquesautres, le mémoireun peuplus, puis les obsetvationsquelques
autres encore, en nous promettant que les exemples ((peuvent...êtremultipliés si celas'avère
nécessairelors de la reprise de l'instanceauond»49.Monsieur le président,j'ai déjà qualifiéla
requêteamendéedu Cameroun de ((procédure à coup de retouches));dans le présentcontexte, le
0 3 4 Cameroun suit une ((procédureà coup d'ajouts)). Cene saurait êtreun moyen acceptablede faire
valoir des allégationsgraves de responsabilité internationale.
Voilà donc ce quej'avais àdire de cet aspect des thèses quele Cameroun expose dans sa
requête(telle qu'amendée)et dans son mémoire. L'argumentation présentée est unebase
*
manifestement insuffisante pourpoursuivreplus avant i'examenen droitde questionsrelativeà la
responsabilitéd'un Etat. Rien de ce que dit le Cameroun dans ses observations ultérieuresne
remédie à cette insuffisance.
Ilconvient ici de développerun point quej'ai abordéà propos de la cinquième exception
préliminaireduNigéria. Il y a lieu d'accorder uneimportancefondamentaleauxtermesutilisésdans
la requête5';t bien que le Nigéria reconnaissequ'unEtat a une certaine latitude pour développer
ultérieurementce qu'ila énoncé dans sa requête, notamment dan on mémoire,il doit se limiter
pour l'essentiel,aux faits qu'ila présendans sa requête5'.Rien dans la décision quela Cour a
renduedans l'affairedeshosphatesduMaroc, quecite leCameroun5', n'esc tontraireàcettethèse : 1
dans cette autre affaire, la Cour chercàadéterminer lanature de la demande d'unEtat non pas
en fonction d'une réponspossible à cette demande sur le fond, mais seulement du point de vue
de la question de savoir si elle était antérieàrela dateà laquelle les déclarations de clause
490C,par.6.04.
'"EPN,par.6.à6.9.
"EPN, par.6.9.
520C,par.6.08. - 29 -
facultatives correspondantesde la France et de l'Italieavaient pris effet. De même,les citations
de l'ouvragede M. Abi-Saab concernent la correctiond'imperfectionsoude lacunesformellesque
comportait unerequête. Ce qui est pluspertinent,c'esltadécisionque la Cour a rendue lasemaine
dernière dans l'affaire deockerbie, où elle a soulignéencoreune fois l'importance,aux fins de la
compétence etde la re~evabilité'~d,e la date du dépôtd'unerequête.
Conformément à l'article79 du Règlementde la Cour, c'estaprèsla présentationdumémoire
de l'Etat demandeur que 1'Etatdéfendeur doit décider s'il alieu de soulever des exceptions
préliminaires.Il ne peut donc le faire que sur la base de la documentationqui existeàce moment
3 5 là: c'est-à-dire, larequêteet le mémoire dudemandeur. Le demandeur peut, bien entendu,
commenterdanssesobservationslesargumentsprésentéd sanslesexceptionspréliminairesde1'Etat
défendeur. Mais il faut distinguer entre commenter légitimementles exceptions et, d'autrepart,
étoffer considérablemenu tn dossier auquel l'Etatdéfendeurdoit pouvoirrépondre.Pas plus que le
mémoirene saurait élargirla portéedu différend telleque l'énoncela requête (bienqu'ilpuisse
développerlesargumentsqui yfigurent),ilseraitencoremoinsadmissiblequelesobservationsd'un
Etatvisent à élargirencoredavantagelaportéedu fond du différend en présentantdescirconstances
nouvelles qui ne figuraient pas dans la requête etle mémoire. Pourtant, c'est ce qu'a fait le
Cameroun en introduisantdans ses observationsdes allégationsd'incidentssupplémentairesdont il
prétend quele Nigéria est responsable :le Cameroun s'estefforcéd'étoffer surle fond le dossier
qu'ilavait présenté dans sa requête, tellequ'amendée,et telle que développée dans son mémoire.
Ces éléments supplémentairesdevraien dtonc être écartés.
53Questiomd'interprétation et d'application de la coienMontréalde 1971 résultantde l'incidentaériende
Lockerbie(Jarnahiriarabe libyennec. Etats-Unis d'Améri),rrt u 27fëvrier 1998, par.37 et 43. - 30 -
En introduisant cette instance, le Cameroun savait ce que l'onattendaitde lui - au premier
chef, conformémentau Règlement,un texte qui ((indique ..la nature précise dela demande et
contient un exposésuccinct des faitsnS4.J'appelle l'attention sles mots «indique»et «précise» :
tout le contraire, Monsieur le président,du vague et de l'imprécision.Et «succinct»ne permet pas
non plus les généralitéest l'absencede détail:ce terme évoquesimplementla brièvetéet la clarté.
La requête du Cameroun auraitdû contenir un exposé d'informations suffisantes:ce n'était pasle
cas - elle étaitsimplementvague, générale et incomplète.
11faut aussi rappeler qu'àces premiers stades de laprocédure,le demandeurest entièrement
maître de son calendrier - c'estlui qui décides'ilestime être enpossession desuffisamment de
.rrr
faits pour étayerla demande qu'ilprésente à la Cour, c'estlui qui détermines'illui faut davantage
de temps pour réunirdes faitsplus probants, c'est lui qui choisitle moment où ildéposesa requête
- sans doute lorsqu'ilest touà fait prêt;et comme si cela ne suffisait pas, c'estlui qui a ensuite
le temps d'étoffer dans son mémoire le dossier qu'ila présentédans la requête :le Cameroun est
bien tout à fait le maître de la formulation de sa propre argumentation.
La situation de l'Etatdéfendeur est toute différente: il lui faut une baseferme sur laquelle
fonder les décisions qu'ildoit prendre dans un délaiprécis,que fixe le Règlement,et il n'est que
justice que cette base ferme soit l'état dela documentationtelle qu'elle existece moment-là. Et
cela signifie,Monsieur leprésident,que lesélémentd sepreuvesupplémentairesprésentés à la Cour U
dans les observations du Cameroun ne devraient pas intervenirdans la décisionde la Cour sur la
sixième exception préliminairedu Nigéria.
Néanmoins, et indépendammend te cet argument, quelquesremarques sur les éléments que
contiennent les observations du Cameroun peuvent aider la Cour à voir la situation dans une
perspective équitable. Le Cameroun, commeje l'aiobservé toutà l'heure,a donné laliste de ces
"~é~lemend te la Cour,art.38, par.2. - 31 -
élémentd sans le((Répertoire des incidents))soumisavec sesobse~ations~~.La première remarque
sur ce point, c'estque la relationentre les incidentsévoquésdans ce répertoiret ceux dont il a été
question précédemments,i vaguement que ce soit, dans les requêteset le mémoiredu Cameroun,
est loin d'êtreclaire; certains incidents paraissent visiblement être des répétitions, d'autssnt
manifestementnouveaux,d'autresencorepourraientappartenir àl'uneoul'autrecatégoriee ;td'autres
incidentsencore, évoqués dans la requêteou le mémoire nefigurent plus dans le répertoire - il
faut croireque l'ony a purementet simplementrenoncé.Bref,le répertoireest-il completounon ?
Si seulement le Camerounavait donné les détails appropriés,nous saurions mieu xquoi nous en
tenir.
Toutefois,Monsieurle président,malgréla confusion,examinons la teneur de ce document.
On pourrait peut-être penseq rue dans un document censé être une preuve àl'appui deses thèses,
soumis par une Partie deux ans environ après le dépôt desa requête,cette Partie présenterait
quelquechose devalable. Et si l'onattendaitcela,Monsieurleprésident,on serait gravementdéçu.
Pour ainsidire tous lesélémentscités dans le répertoirelaisseb ntaucoup à désirerdupoint devue
des informations fournies. A propos de la cinquième exception préliminairedu Nigéria,j'aidéjà
relevécertaines rubriques non pertinentes :je vais en examiner quelques autres.
Prenonspar exemplel'incident 24 :c'estun bref rapportd'une demi-page,au sujetd'un litige
foncier entre membres d'unefamille, qui a été entièrement régla éu niveau local. Ou prenez
l'incident13 :il s'agitde trois chasseurs nigérians quisont entrés dansun village camerounais et
ont tiré quelquescoupsde feu - mais en quoi donc celapeut-il engager la responsabilitéde 1'Etat
nigérian ? On peut en dire autant de l'incident18,concernantdes voleurs de bétail nigérians.Et
puis l'incident10 :il s'agit dedeux gendarmescamerounaispoursuivant un cycliste nigérianet qui
se retrouventde l'autre côtéde lafrontière, auNigéria! Et cela, Monsieur le président,est une
Ss~nnexeOC,1. - 32 -
preuve de la responsabilité internationaledu Nigéria Le Cameroun, Monsieurle président,ne
peut pas être sérieux.Le fait est que ce volume, outre qu'ilest soumis trop tard, est trèsloin de
répondre àdes normes acceptables de crédibilitéou devaleur probante.
Enfin,je dois revenirà un point quej'ai évoquédevantla Cour tout à l'heure. 11s'agitde la
distinction qu'ilconvient de faire entre deux situations différentes.D'une part,il peutir des
incursions faites par les autoritésd'un Etatdans le territoire d'unautre Etat par-delàune frontière
qui est en principe acceptéeet qui est claire sur le terrain.
D'autre part,les actes des autoritésd'unEtat sur un territoire qui se trouve sous sa propre
souverainetésont licites. Et leNigéria na anifestementaucuneresponsabilitéinternationalepour
avoir violéla souverainetéterritorialedu Cameroun du fait de sa présencedans des zonesqui font
en droit partie du Nigéria.11peut y avoir,comme à Bakassi,un problème desouveraineté;mais
le Cameroun, ayant mis la frontière en cause dans certaines zones, ne saurait en mêmetemps
soulever des questionsde responsabilité internationalequ'ilattribuedes incursionsàtravers une
frontièrequ'ilconsidère,parhypothèse,commecontestée.Si lesdifférendsfrontaliersetterritoriaux
doivent être transformés simultanémen etn affaires de responsabilité'Etat, ces différendsse
trouveront aggravés, etnon résolus. Les deux Parties peuvent se sentir justifiées à formuler
prématurément des demandes mettanten cause la responsabilitéde l'autre, et le travail des
commissions de délimitation pourraitsetransformer en exercicede comptabilité,pour évaluerles
conséquencesdes incursionsantérieures atravers la frontièrequ'ellesseraientjustement en train de
fixer.
Il y a un autre aspecà tout cela, sur lequelje me permets d'appeler l'attention dCour.
Si les plaidoiries dans les affaires de différends frontaliers doivent aussi être encombrées
questions subsidiaires de responsabilitéd'Etat, le traitement de telles affaires par la Cour s'en
trouvera évidemmentrendu plus compliqué - et inutilementsans doute puisquela décisionde la
Cour sur la question frontalière déterminera,soit que telle ou telle ((incursion au-delà de la -33 -
frontière))n'étaiten vérité pas uneincursion du tout, ou bien amènerales Parties à négocierun
règlement tenant compte de la décision prisepar la Cour au sujet de la frontière :d'ailleurs
Monsieurleprésident,laCourpourrait parfoisjuger bonde dissocierlesquestionsderesponsabilité
d'Etatposées parle Cameroun de la questionfrontalièreprincipale dontelle est saisie, et d'inviter
O :3 8
les partieà négocierun règlement desquestionsde responsabilitéen fonction de la décision que
prendra laCour sur les questions concernantla frontière. Parsoucid'efficacitédansle ((traitement
de Ifaffaire»,si je puis utiliser cette expression, il serait prque les Parties ne soient pas
obligées de déployer toute la gamme despiècesde procédure etdes preuves concernant chaque
allégationde violation de frontière, pour que la Cour les examine, tant que I'on ne voit pas
clairementdans quelle mesure, éventuellement,il existeencore undifférendjuridique véritable sur
telle ou telle allégation précisede violation.
Dans l'ensemble, le Nigéria se trouve dans cette procédure devantdes informations
entièrement inadéquateset non fiables concernant des allégations d'incidentsdont le Nigéria,
prétend-on,porterait la responsabilitéinternationale. De mêmes,elon le Nigéria,le manque de
précision empêchela Cour de procéder à un examen judiciaire véritable des questions de
responsabilitéd'Etatet de réparationque soulève le Cameroun, etde trancherjudiciairement ces
questions.
Pour ces motifs, Monsieur le président,leNigéria estimeque laCour devraitrejeter comme
irrecevablesles questionsderesponsabilitéfEtatetderéparationque leCamerouna soulevéesdans
le contexte des divers incidents qu'ila allégués.
Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, cecitermine mon exposé relatif
la sixième exception préliminairedu Nigéria. Puis-jevous inviter à donner ensuite la parole,
lorsquevous le désirerezàM. James Crawford,SC,qui parlera à laCour des septièmeet huitième
exceptions préliminairesdu Nigéria.
Merci, Monsieur le président. - 34 -
LE PRESIDENT : Merci, sir Arthur. L'audience estsuspendue pour15 minutes.
L'audienceest suspenduede II h 15 a 1I h 35.
LE PRESIDENT :Veuillez vous asseoir. MonsieurCrawford.
M. CRAWFORD :
La compétencede la Cour au sujet de la frontièremaritime
Je vous remercie. Monsieurle président, Madame,Messieurs les Membres de la Cour.
1. Je suis chargéde présenter laseptièmeet la huitièmeexception préliminairedu Nigéria,
qui portent spécifiquement surla frontière maritime. Ces exceptions peuvent êtrecaractérisées
comme concernant soitvotre compétence ài'égardde la requêteunilatéraledu Cameroun pour la
délimitationdes zones maritimes des parties, soit la recevabilitéde cette requête. Dans l'unet
l'autrecas, il s'agit clairementde questionspréliminaires. Si l'une ou l'autre deces exceptionsest
retenue, la conséquencesera que les prétentionsdu Camerounqui y correspondentsont exclues.
2.11convient denoter que ces exceptionspréliminairessont indépendantesde cellesqui ont
été soulevéesà l'égardde l'ensemble de l'affaire,et la frontièreter-estexceptions qui ont été
traitées par mescollègues. Les considérationsqui concernentla question de la compétence dela
Cour à l'égardde la frontière terrestre sont différentesde celles qui s'appliàula frontière
maritime. Mon propos est maintenant de parlerde celle-ci.
A. Le cadre géographique
3. (Cote 1) Mais auparavant, permettez-moi d'illustrer le cadre géographique assez
spectaculaire au large de ces deux pays. Le golfe de Guinée estun vaste golfe concave, d'une
surface d'environ 1 528 000 kilomètrescarrés. Sa superficie en fait la neuvième merdu monde,
plus grande que lamer de Barents, la mer du Japon ou lamer duNord. (Cote9.) Maisà l'intérieur - 35 -
du golfe de Guinée,il y a une zone plus réduite,juste là où la côte de l'Afriquechange d'une
orientation prédominancenord-sud pours'orienterplutôt vers l'ouest,dans la baie de Bonny que
l'onappelle aussi la baie de Biafra. Dans cette zone plus limitée, vousvoyez les quatre Etats du
golfe figuréspour les besoins de la présente affair: Nigéria,Cameroun, Guinée équatoriale et
Sao Tomé-et-Principe.Lorsque l'onregarde cette zone,quijouxte immédiatementlapresqu'île de
Bakassi, la position de la Guinée équatoriale est clairementcruciale. L'île de Bioko,
l'ancienneFernando Poo, a plus de 2000 kilomètres carrés de surface, et une population
d'environ90 000 habitants, soit environ 20 pour cent de la population totale de la Guinée
équatoriale. C'est là que se trouve la capitale nationale, Malabo, ainsi que la montagne la plus
élevée du pays. Il ne s'agit pas d'unesimple dépendance aularge de lamétropole;on pourraittout
aussi bien dire que Rio Muni, qui est la partie continentale de la Guinéeéquatoriale, estune
dépendancede Bioko. Bioko se trouve à 40 milles marins du point le plusproche de la presqu'île
de Bakassi. Elle se trouveà 19,28milles marins du Cameroun, en d'autrestermes àune distance
de moins de deux fois la largeur d'unemer territoriale de 12 milles.
4. Or l'importancede cette situation pour ladélimitationmaritimede la partie intérieuredu
golfe est évidente. En partant de la côte du Cameroun on ne peut guèrealler au-delà de la mer
territoriale de 12milles avant que l'influence de laGuinée équatoria,e Bioko, ne commence à
jouer. On nepeut certainementpas délimiterleszonesmaritimes duNigériaet du Cameroundans
labaiede Biafra,comme leCamerounvoudraitquecetteCour lefasse,sansdéterminerau préalable
non seulement le tripoint, mais la portéedes intérêts quitables des trois Etats.
5. Ce fait élémentaire, cette réalité da position centrale la Guinée équatoriale, ressort
égalementde la frontière maritime que réclame le mémoiredu Cameroun, que vous voyez
maintenant à l'écran.(Cote 24.) Je dois observertrois choses au sujet de la ligne de démarcation
que revendiquele Cameroun. La première,c'estque c'était unepremière ! Car la toute première
fois que le Nigériaa vu cette ligne, ou d'ailleurs n'importe quelle ligne de revendication du -36 -
Cameroun à l'égarddu plateau continentalou de la zone économiqueexclusive fut lorsqu'il reçut
lemémoiredu Cameroun. La deuxièmechoseest que, assez visiblement,letracéque demandele
Cameroun est représentéde manièreassez approximative, et sur une carte assez approximative.
Notre cartographe a transposé la ligne de son mieux, sur une carte plus claire et moins
approximative, que vous voyez maintenantà l'écran. (Cote25.) Et la troisièmechose, c'est que
letracédu Cameroun,au-delàdu point G de ladéclaration deMaroua,est représenté bienàl'ouest
detoute ligne d'équidistancequi aurt u êttiréesimplemententreleterritoireduNigéria etcelui
du Cameroun. Peu importe le pointde base qui est retenu sur la côte, qu'ils'agissede l'estou de
l'ouestde la presqu'îlede Bakassi. Quel que soit le point de base utilisé,letracédu Cameroun se
situe loinl'ouestd'une simpleligned'équidistancentre leNigéria et leCameroun. C'est évident.
(Cote26.) Cela se voit en examinant le tracé du Cameroun sur une carte ou l'on aurait
temporairementeffacé Bioko. Le tracé camerounaisainsi dessinest manifestementintenablesur
unebase bilatérale.La seuleraisonde tracer la ligne de cettefaçonàilaprésencede la Guinée
équatoriale. Malgréses protestations de ce qu'il s'agit simplement d'unefrontièrebilatérale,le
Camerounestimenécessairedeprésenteu rnerevendicationconcernantdeszonesqui sontbeaucoup
plusproches duNigériaet de la Guinéeéquatorialeque du Cameroun. Et la raisonen est, de toute
évidence, laGuinéeéquatoriale. ladifférencedu Cameroun, la Courne peutpastraiter laGuinée
équatorialecomme si celle-ci n'existaitpas.
O4 1 B. Le contexte diplomatique
6. Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, voilà donc pour le contexte
géographique. Yenviens au contexte diplomatique.
7. Ainsi que le Cameroun le démontredansses écritures,il y a eu des débats considérables
entre les parties au sujet de leurs frontières côtières entre1971 et 1975. Ces négociationsont eu
lieu sur la base que toutes les zones dont il s'agissait étaient classées palres deux parties comme -37 -
mer territoriale. Les deux Parties revendiquaient alors une mer territoriale de 18 milles. Le
Cameroun la porta ensuite à 50 milles en 1974. Pendant un certain temps, le Nigérialui aussi
étendit samer territoriale,à 30 milles. (Cote 27.) La Cour verra sur la carte qui est à l'écran
maintenantque le rayon deces revendicationsde mer territorialede 18millesva clairement au-delà
du point G;un rayon de 30 ou de 50 milles le ferait afortiori. Le Camerounl'admet,qui déclare
dans son mémoire quela déclarationde Maroua((concerneessentiellementles eauxterritoriales))
(mémoiredu Cameroun, par. 5.66). Mais au-delà du point G il n'ya eu et il n'ya absolument
aucune discussion, aucune négociation.
8. Certes, les parties savaient que de telles négociationsdevaient avoir lieu. II en est
question, occasionnellement,dans des communiquésou d'autres déclarations, commd ee quelque
chose qui devrait se produire tôt ou tard. Mais de telles allusions ne sauraient remplacer de
véritables discussions,de véritablesnégociations,échanges depositions,échangesd'informations
au sujet despositions,à plusforte raisonde tentatives de parveniràunaccord. A peines'agissait-il
de pourparlers au sujet de pourparlers.
9.Et laraison enest claire. Dèsque lesparties envisagentla nécessité de délimiterdeszones
situées au-delàde leur mer territoriale, il leur faut confronter
- premièrement, leurdésaccord surle statut de la déclarationde Maroua;
- deuxièmement,leur différendau sujet de la presqu'île deBakassi, et
- troisièmement,où que se trouve la frontière entreelles le longde la côte, l'effet évident
de l'existence de la Guinée équatoriale,surtout pour le Cameroun, et la nécessité
manifeste de faire participer cettat à toute négociation.
10.Les parties ont consciencedepuis longtempsde ladifférencejuridiqueentre délimitation
de la mer territoriale et du plateau continental et de la nécessid'une participationde la Guinée
équatoriale. Parexemple, lors de la réunionde juin ,1971de la commissionmixte chargée de la
délimitationde la frontièreNigériaICameroun,les parties se sont entenduespour : ((attirer l'attentiondes chefs dlEtats du Cameroun et du Nigériapour une actàon
042 prendre au cas où les plateaux continentauxduNigéria,du Cameroun et de laGuinée
équatoriale auraientun point commun))(EPN, annexe 21, p. 246).
11. Des difficultés se posèrentalors au sujet de la frontière côtière,mobilisant toute
l'attention.Il n'est donc plus question de la frontière concernant leplateau continental dans les
déclarationset communiquésconjointsjusqu'à 1975. Le mémoire du Cameroun évoque seulement
des réunions tenuesau cours des années1971-1975, en d'autres termespendant la périodeallant
jusqu'à la déclaration de Marouaqui, comme le reconnaît lui-mêmele Cameroun, concernait
essentiellement les eaux territoriales seulement. Mais il est instructif de rappeler brièvement les
échanges bilatéraux, dans lamesure où ilen a eu, plus récemment. (Cote 28.)
v
La question a été soulevéear leNigéria lorsde la session inauguralede la commissionmixte
bilatéraleen août 1987,où leNigériaa ((propoque les deuxpayscollaborentàladélimitation
exacte de lafrontière)),et le Camerounyépondudemanièreévasive(annexeEPN 51,vol. II,
p. 388).
Lors de la réunion mixted'expertstenuà Yaoundé en août 1991l,e Cameroun a mis l'accent
sur la validité dela déclarationde Maroua; agrès unéchangede vues sur la frontièreterrestre,
la partie nigériane a proposéla créationd'unecommission du golfe de Guinéevisant «la
valorisation,l'harmonisatioetlamiseencommundes ressourcesde lazonepar lesdzférents
pays en vue de minimiserles risquesde conflits)). La Partie camerounaise s'yest montrée *
favorable, en suggérantque leNigériacontacte les autres gouvernementsconcernésen vue de
tenir la première réunionYaoundéen décembre 1991(annexe EPN 52,vol. II, p. 410-411).
Là encore, il n'y a pas eu le moindre débatau niveau bilatéral sur le fondd'unefrontière
maritime au-delà du pointG.
Lors d'une réunion ministérielle organise la mêmeépoque,c'est-à-dire en août1991, le
Cameroun a officiellement acceptéla créationde la commissiondu golfe de Guinéeet accepté - 39 -
d'accueillir une réunioninitiale d'experts chargésd'établirl'instrument constitutif de cette
commission (EPN, annexe 53; EPN, annexes, vol. II, p. 418).
Une réunion mixte d'experts tenue à Abuja en décembre 1991 a étépresque totalement
O4 3 consacrée à la validité dela déclaration deMaroua. La partie nigérianea souligné que «très
peu de travaux avaient étéentrepris par les deuxpays dans ce secteur [c'est-à-direle secteur
maritime])),et cetteffirmationa été contredipar le Cameroununiquementpar référenceaux
négociations ayantaboutià la déclarationde Maroua(EPN, annexe 54; EPN,annexes, vol. II,
p.445-446). En d'autrestermes, la partie camerounaise n'a pas nque «très peude travaux))
avaient étéentrepris dans le secteur maritime au-delà du point G. Elle n'apas essayé de nier
ce fait.
Lors de la réunion conjointedes experts sur les problèmes frontaliers tenuà Yaoundé en
août 1993, leNigériaa de nouveau soulevéla question de la commissiondu golfe de Guinée.
Le Cameroun a réaffirmé son accord de principeà la proposition, et a soulignéqu'ilfallait
((entreprendredesdémarchesauprèsdesautresEtatsmembreséventuels,enparticulierlaGuinée
équatorialeet le Gabon, dont l'attitudeavait étésqu'ici réservée(EPN, knexe 85; EPN,
annexes, vol. III, p. 842). Autre citation concernant la délégacamerounaise : «Elle a en
outre proposé queles deux délégationsrencontrent les représentantsdela Guinée équatoriale
afin de déterminerle tripoint entre les trois pays.)) (Ibid.).rocès-verbal de la réunion
indique: «Les deux parties ont ensuite décidqu'une réuniontripartite devrait être organisée
afin d'étudier laquestion de la déterminationdu tripoint.)) (EPN, annexe 55; EPN, annexes,
vol. II, p. 199,et voir le communiqué conjoint,ibid., p. 201.)
A la deuxième session de la commission mixte de coopération tenue àAbuja en novembre
1993,le Cameroun a déclaré qu'ilétaitprêtà accueillir la réunionde la commissiondu golfe
de Guinée,avec la participationde la Guinée équatoriale,fin de déterminerle tripoint. Cette
réuniondevait êtreconvoquée parle Cameroun avant la fin de mars 1994(voir EPN, Ex 4). -40 -
12.Telleétaitlasituation lorsqueleCamerouna introduitsapremière requêtdeevantlaCour,
le 28 mars 1994. Cette requête concernaitnon seulement la presqu'îlede Bakassi maisaussi «la
frontière maritimejusqu'àla limite des zones maritimesque le droit internationalplace sous leurs
juridictions respectives)). Je répète,la situationaumoment de l'introductionde la première requête
était lasuivante. Premièrement,il n'ya pas eu de discussion entre les parties au sujet de la
délimitationd'unequelconque frontièremaritime au-delà du pointG. Deuxièmement,il avait été
convenu que de telles discussions devaient avoir lieu. Troisièmement, ilétaitprévuau départ
d'associerlaGuinéeéquatorialeau processus, soitdansle cadredepourparlertrilatérauxdirectssoit
par le biais de la commission du golfe de Guinée. Quatrièmement,le Cameroun avait accepté de w
convoquer une réunioninaugurale de cette commission avant lafin de mars 1994, ce quiil n'a
jamais fait, nice moment là ni plustard. Et cinquièmement,depuis 1975 chaque discussionau
niveau bilatéral concernantla frontière maritime a été dominpear la controverse au sujet de la
déclaration de Maroua (voirannexe 82,EPN, p. 192). En fait, elle concernait la délimitationdes
eaux intérieures.
C. Etat des revendications maritimesdes Parties
13.Monsieur leprésident,Madame et Messieursde laCour,je me dois àce staded'évoquer
uneautre question,à savoir celle de l'étatactuel desrevendicationsdes Parties en ce qui concerne
les frontières maritimes.Comme je l'ai dit, le Cameroun revendique une mer territoriale de *
50 milles. Vous pouvezvoir maintenant àl'écran l'effte cetterevendicationsous la formed'une
lignetracéeà 50 millesmarins de la côte camerounaise. Deux chosessont claires. Premièrement,
la mer territoriale de 50 milles marins n'est pas opposable à la Guinée équatoriale. Et
deuxièmement, cette limite de 50 milles marins n'a aucun rapport avec la limite actuellement
revendiquée parle Cameroun dans la présenteprocédure,absolument aucune relation. Mais la
revendication par le Cameroun d'unemer territoriale de 50 milles marins appelle plusieurs autres
observations. - 41 -
14. La premièreest la suivante. Le Camerouna engagéla présenteinstancesans préavisni
négociationpréalable. 11demande la délimitation,entre autres, de sa zone économiqueexclusive,
mais il ne revendique pas effectivement une zone économique exclusive. Vous pouvez voir à
l'écran l'étaatctuel des revendications maritimes du Cameroun. Le tableau provient de
l'édition1988de AnnualSummaryofAdmiraltyNotices to Mariners. Comme vous le voyez, le
Cameroun revendique une mer territoriale de 50 milles marins et rien d'autre. Certes, le
paragraphe 3 de l'article 77de la convention sur le droit de la àelaquelle lesdeux Etats sont
parties, confirmeque«les droitsde l'Etatcôtiersur le plateaucontinentalne dépendentp..d'une
proclamation expresse)). Ainsi, en tant'Etatcôtier, le Camerouna un plateaucontinental. Mais
il n'existepas de disposition équivalenteen ce qui concerne la zone économiqueexclusive. Une
telle zone doit êtrerevendiquée,et le Camerounn'apas revendiquéde zone économiqueexclusive.
Il demande à la Cour de délimiterce qui est en droit une zone non existante.
15. Le Camerounva à cet égard évidemmen dtéclarer:«Nous pouvonsfacilementremédier
à cette carence, nous pouvons revendiquer immédiatementune zone économique exclusive.))
104 5 Peut-êtrele feront-ilsjeudi, Monsieurle président, Madameet Messieurs de la Cou? Mais il ne
s'agit pas d'une formalité, cela seraitune nouvelle demande au fond. Comme la Cour a eu
récemmentl'occasion delesouligner,«la datecritiquepourdéterminerlarecevabilitéd'une requête
est la dateà laquelle elle a étéintroduite))(affaires relaàides Questionsd'interprétationet
d'applicationde la convention de Montréa dle 1971 résultantde l'incident aériede Lockerbie
(Jamahiriya arabelibyenne c. Royaume-Uni), exceptionspréliminaires,arrêdt u27février1998,
par. 42-43; et ibid., (Jamahiriyaarabelibyennec. Etats-Unisd'Amérique),ar. 43-44 avec renvoi
à des précédents),Maisceci m'amène àmon second point, àsavoirque leCameroun,bienqu'étant
demandeur en laprésenteaffaire,n'afait aucuneffortpourharmoniser sa législationmaritime avec
larevendicationqu'ilformuleactuellementcontreleNigéria ausujet de la délimitation,ni avec les
règles du droit international. On dit que celui qui recherche l'équitédoit se comporter - 42 -
équitablement, maisce n'est pas ce que semble faire le Cameroun. Malgrésa ((délimitation
équitable)),il n'a aucunement essayé d'exécuter ses obligations conventionnellau titre de la
convention de 1982. Je peux dire que le Nigéria,bien que défendeuren la présenteaffaire, a mis
de l'ordre danssesaffaires. Vous allezvoirl'écran,tvous trouverezdans votredossier, ledécret
de 1998relatif aux eaux territoriales (amendement)signé le"janvier de cette annéepar le chef
de 1'Etatnigérian.Ce décret établitne mer territoriale de 12milleà;l'évidence lchef de I'Etat
travaille le 1"janvier. Le Nigéria, bien entendu, revendique depuis longtemps une zone
économique exclusivede 200 milles. Vous trouverez ce décret àla cote 31 de votre dossier.
16. Cette différencede comportement entre les Parties est pertinente lorsqu'onenvisage la
question de la délimitation, commeje vaisle montrer. Commentle Cameroun peut-il direqu'ila
tentéde bonnefoi de négocier unezonemaritime qui n'existepas,qu'ilne revendique même pas ?
Mais en dehors de cela, la Cour peut trèsbien estimer qu'unequestion d'opportunité spose en
l'espèce. Est-il opportun que la Cour, dans la premièreaffaire entre deux paràla convention
sur le droit de la mer, délimite une zone maritime sur les instances d'un Etat qui viole
manifestementcette convention ?La Cour doit-elle délimiterune mer territoriale de 50 mill?s
Certainement pas.
D. Exception préliminaire7 :la demandetendant àune délimitationde lafrontièremaritime
est irrecevableà ce stade
17. Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, c'est dans ce contexte que nous
046
devonsexaminerles septièmeet huitièmeexceptionspréliminairesdu Nigéria. J'aborderai d'abord
la septième exception préliminaire, savoir que la demande tendant à ce que soit délimitéela
frontièremaritimeest irrecevablà cestade. Cetteexceptionestposéede deuxmanièresdistinctes,
dont je dois traiter séparément. La première concerne l'ensemblede la frontièremaritime, la
seconde la partie de cette frontière se trouventau-delà du point G. - 43 -
1) Lafrontière maritimedans son ensembk
18.En ce qui concerne lafrontière maritimedans sonensemble,il est évidentqu'elledépend
de la frontière terrestre. La frontière terrestre dans la zone de la péninsule de Bakassiest, le
Cameroun le reconnaît, en litige dans la présenteaffaire. On ne peut commenceràdélimiter des
zones maritimes tant que le point de baseà partir duquel elles doivent être tracén'a pas été
déterminé.
19. A ceci, le Cameroun répond(OC, par. 7.10) qu'il suffiraàtune partie de revendiquer
n'importequellefrontièreterrestre,aussiinvraisemblableque soitcetterevendicationsoit-elle,pour
empêcher la Cour de déterminerles frontièresmaritimes.Mais, dans lemêmetemps,le Cameroun
reconnaîtqu'ily a bien un différendau sujet de la frontièreterrestre dansla régionde la péninsule
de Bakassi (OC, par. 7.05). Ainsi, le problèmehypothétiquequ'ilpose à la Cour n'a pasà être
examiné. 11suffit d'observerqu'il nes'agitpas seulement ici d'uneprétention spécieuse,d'une
simple diversion pour escamoter la questionde la frontière maritime- une prétention sanslien
avec les positions effectivement prises par les Parties,mpris leurs positions actuelles sur le
terrain. LaCourn'aurait aucunedifficulté disposerdetelles prétentions,si ellesétaientformulées.
20. Bien entendu, les partieà un compromis peuvent expressément décider que lesdeux
opérations distinctes de délimitation terrestre etde délimitation maritime s'effectueront
simultanément,impliquanten cela qu'ellesaborderontles questionsmaritimes en assumant que les
prétentionsterritoriales de leur adversairepourraient êtrevalidées. Maisla Cour n'apassaisie
de la présenteaffaire par voie de compromis. Elle a étésaisie par une requête unilatéralnon
annoncéeintroduiteen vertu de la clause facultative. Le Nigérian'estcoup sûrjamais convenu
qu'ilaborderait la question de la frontière maritime devantla Cour en partant de l'hypothèseque
sa revendicationconcernantBakassi étaitsansmérite. Etle Cameroun n'acertainement pas traité
de la question de la frontière maritimedans le cas contraire, sur la base de la revendication du
Nigéria. - 44-
047 21.Ladifficultéressort très clairtes observationsdu Cameroun. D'une part il nie qu'il
puisse être question quela Cour soit appàlagir nonjudiciairement c'est-à-diresur la base
d'une présomptionselon laquelle la positiond'unepartie est correcte (OC,par. 7.12). D'autrepart,
il argue que cet aspect de la septième exceptionpréliminairedoit êtrerejeté parce que, selon lui,
«les frontières terrestreset maritimes ont tracées))(OC,par. 7.20). Il sembleque la Cour
n'existe quepourconfirmerl'opinionduCameroun(OC,par. 7.20). Etpourtant,pourleCameroun,
cela ne soulève aucun problèmed'opportunijudiciaire (OC, par. 7.12).
22. Monsieurleprésident,Madameet Messieurslesmembresde la Cour,celatout lemoins
est certainement clair. La situationpar l'existenced'unefrontièreterrestredonton reconnaît
-
qu'elle est controversée ainsique d'une frontière maritime contiguë indétesoulève une
question de méthoderéliminairesérieuse.Le Cameroun prétendqu'ilne s'agitpas d'unequestion
préliminairemaisd'unequestion quidoit êtretraitée efond. Le seulappuiqu'ilpuisse trouver
provient de passages de deux décisions dela Cour, dans l'affairehmet dans l'affaire des
Essais nucléaire(OC, par. 7.23). Mais ces passages ont trait au pouvoir discrétionnairenon
contestéde laCour de choisir, parmi lesargumentsjuridiques quiprésentéslorsd'unephase
particulièrede l'affaire,ceux qu'elleva effectivementexaminerafin de statuer. Celan'arien
avec le problème qui existe enl'espèce. Au contraire, si la Cour a le pouvoir de déterminerquel
est le but et l'objetvéritable dela demandedu Cameroun, pourreprendrelestermesemployés dansw
I'affairedesEssais nucléaisC.I.J. Recueil1974, p. 263 (par. 30)), eàlcoupsûr conclure
que le but et l'objetvéritable dela demande du Cameroun est la déterminationde la frontière
terrestre, etspécialementlasouverainetésurlapéninsule deBa,t,en conséquencel,a frontière
maritime au large de la péninsulede Bakassi. Nul ne peutdire qu'enil s'agit«réellement»
en l'espèced'uneaffaire de frontièremaritime, et que le différend au sujet i 'est qu'un
écrande fumée. -45 -
23. Le Camerountravestit la position du Nigéria enprétendantque ce dernier viàe((isoler
totalement lesquestionsmaritimesetterrestres))(OC,par. 7.22). Aucontraire,leNigériaargueque
ces deux questions sont liéesde la manièresuivante,assez simple. La question maritime dépend
de lasolution donnéeà laquestionterrestre,et nonle contraire. Laquestion maritime, logiquement
etjuridiquement, est une questionsubséquente.Celan'en faitpasunequestion((totalementisolée));
une revendication concernant une frontière maritime «totalement isolée))n'existe pas en droit
international. En droit, toutes les frontières maritimessont dépendantesdu territoire terrestre.
048 24. Tout ceci donneà penser,à tout le moins,que l'aspectmaritime de l'affaire nedoit être
examinéqu'aprèsque lesquestionsconcernantlafrontièreterrestre l'aurontété.Il peut s'agird'une
questiondeméthode, commelereconnaît leCameroun(OC,par. 7.16). Mais, unefoisencore,c'est
une question de méthode préliminaire.
2. La frontière maritimeau-delà du point G et l'absence de négociations substantielles
25. Je passe maintenant à la seconde partie de l'exceptionpréliminaire7, qui a tràila
frontièremaritime au-delà du point G. La situation est, là encore, toàtfait simple. Le droit
internationalexige qu'enpremierlieulespartiesessaientd'établleursfrontièresmaritimesparvoie
d'accord. Or il n'y a pas eu de discussion de fond entre les parties en vue deparvenirn tel
accord. Pour le Nigéria,la Cour ne peut êtrerégulièrementsaisie par la requêteunilatérale d'un
Etaten ce quiconcerneladélimitationde lalimited'unezoneéconomiqueexclusiveou d'un plateau
continental, si cet Etat n'apas tenté deparvenir accord avec 1'Etatdéfendeurau sujet de cette
frontière. Toute requête unilatéraee cette espèceest irrecevable.
26. A cet égard,la règle applicable estposéedans les articles 74 et 83 de la convention
de 1982, à laquelle, commeje I'aidit, tant le Nigéria quele Cameroun sont parties. L'article74
s'appliqueà lazoneéconomiqueexclusive.L'article83 s'appliqueauplateau continental. Cesdeux
dispositions sont pour l'essentielrédigées dansles mêmes termes. (Cote 32) Aux termes du
paragraphe 1 qui leur est commun, la délimitation doitêtre effectuée «par voie d'accord -46 -
conformémentau droit international ...afin d'aboutià une solution équitable)). Aux termesdu
paragraphe 2 commun :«S'ils ne parviennent pas àaccord dans un délai raisonnable,les Etats
concernésontrecoursaux procéduresprévues àla partie XV.» Leparagraphe 3 communconcerne
la situationen attendant la conclusion de I'accordviséau paragraphe 1», et sans préjudicede
((l'accorddéfinitif)).De tels arrangementsdoivent êtresans préjudice dela délimitation finale.Le
paragraphe 4 communconcernelecas où«unaccord est envigueurentre lesEtats concernés))d ;ans
un tel cas, cet accordprime, et cela n'estpas surprenant. Le mot «accord»figure dans chacun des
paragraphes de chaque article, et douze fois au total.
27. L'accent manifesteainsi mis sur l'accord estpleinementreflété danlajurisprudence de
w
la Cour, comme le montrent les citations figurant dans les exceptions préliminairesdu Nigéria
(par. 7.18-7.25). Le Cameroun n'ayant pas dans ses observations essayé de discuter cette
jurispmdence, je n'yreviendraipas ici. Il suffit de citer lepassagesuivantde l'affairedu Golfedu
Maine dans laquelle la Chambre a énoncéle premier - et ((fondamental))- principe de
délimitation :
«cette délimitationdoit êtrerecherchéeet réaliséau moyen d'unaccord faisant suite
à une négociation menée de bonne foi et dans l'intention réed'aboutirà un résultat
positif. Au cas où, néanmoins,un tel accord ne serait pas réalisable, la délimitation
doitêtreeffectuéeen recourant àuneinstancetiercedotéede lacompétencenécessaire
pour ce faire.» (Affaire du Golfe du Maine (CanadaIEtats-Unis d'Amérique),
C.I.J. Recueil1984, p. 299, par. 112); les italiques sont de nous; voir ibid., p. 311,
par. 154 ((premièrerègle»).
Demêmed , ans l'affaire duPlateau continentalmahiriya arabe libyenne/Malte),laCour arelevé
«surtout ..l'obligationincombant aux parties de rechercher en premier lieu une délimitationpar
voie d'accord,ce quirevientà viser un résultatéquitable)). (Plateaucontinental (Jamahiriya arabe
libyenne/Malte),C.I.J.Recueil 1985, p. 39,par. 46.) Commel'aditProsperWeil, nul ne songerait
«à contester que lesparties ne peuvent recouàiune délimitationunilatéraleet sontjuridiquement
tenues de rechercher en premier lieu une délimitationpar voie d'accord)). (Thew of Maritime - 47 -
Delimitation- Rejlections(Grotius, Cambridge, 1989),p. 110;en français,Perspectives dudroit
de la délimitationmaritime(Pedone, Paris, 1988),p. 119). A tout le moins,nul n'aurait soàgé
le faire avant que le Cameroun le fasse effectivement.
28. Ainsi, la disposition conventionnelle applicable tout autant que la règle du droit
international généralà laquelle la Cour s'est constamment référée renvoie les questions de
délimitationsen premier lieuauxparties et, uniquementitresubsidiaire,etaprès quelestentatives
pour parveniràun accord ont échouéa,u règlementpar unetierce partie. LesEtats ne peuventpas
porter une question de délimitation de frontière maritime devantla Cour par anticipation, afin
d'empêcheq rue des différendsne naissent. La question de la frontièremaritimedoit d'abord avoir
été discutée quant auond. Mais j'ai déjàmontréqu'iln'ya pas eu de négociationsde fond entre
les Parties au sujet de la frontière maritimeau-delà du pointers le large. Quantà la zone
économique exclusive,il n'a puy en avoir, puisque cette zone n'existepas encore. Il en découle
que les tentatives visaàtfaire délimitercette frontièrejudiciairementpar une tierce partie sont
irrecevables ce stade.
29. Faceà cet argument, le Cameroun dit que la conduite de négociations«n'est pas un
préalable obligatoire conditionnantla recevabilitéd'unerequêtedevant lar» (OC, par. 7.27).
Alors qu'ilprétendêtreattachéau droitdes traitéset aux décisionsde laCour,le Cameroun semble
écarter lesunescomme l'autreen une seulephraseembarrassée. SelonleCameroun,apparemment,
l'article et le paragraphe 2 de l'article83 doivent êtrereforrnulés demanièàeexclure toute
référenceàun accord. Mêmeen l'absencedetentative de parveniràun accord,un Etat peut saisir
0'5 0 unilatéralementla Cour. Ce n'est pas ce que disent les articles, ni ce que la Cour a àide
nombreuses reprises.
30. A défaut, leCameroun argue que les Partiesont négociéà suffisance pour parvenià
délimiter leurszones maritimesrespectives))(OC,p. 164). De fait, c'estlàson principal argument,
et il cherche l'étayer detrois manières. -48 -
1) Premièrement,le Cameroun déclare (OC,par. 7.31)que les parties ont toujours eu pour
objectif de négocier latotalité deleur frontièremaritime, et de ne paru pointteaMais
quelles qu'aientpu être leursintentions, les parties n'ont discuté d'aucunpoint, quel qu'il soit,
au-delà dupoint G. Toutesles négociationsantérieuresavaientàla frontièreterrestre. Toutes
lesnégociations,quelles qu'ellesaient,epuis 1975,avaientégalement traitette partie de la
frontière. Le Camerounne cite aucundocument depuis 1975,communiquébilatéralou document
interne, par exemple, qui indique que les zones situéesau-delà du pointG ont fait l'objet de
discussions.Il ne cite aucun documentdans son mémoire, commel'afait observerleNigériadans
ses exceptions préliminaires (EPN,par. 7.12). Il n'a citéaucun document de ce type dans ses
1
observations(voir OC par. 7.39-7.40). Onpeut donc en déduirequ'il n'enexiste aucun document
de ce type.
2) En second lieu, le Cameroun déclare (OC,par. 7.33) que la déclarationde Maroua ne
s'arrêtaitas aux eaux territoriales, mais s'étendaitau plateau continental,àsila zone
économiqueexclusive.De fait cela constitue, pourle Cameroun, meilleure illustration))de ce
point(ibid .)onsieur leprésident,Madameet Messieurs les membres de la Cour, c'est peut-être
lameilleure illustrationmaisça n'enestpasmoins uneassezmauvaiseillustration. Carquellequ'ait
pu êtrela situation objectivement,époqueles deux parties considéraientles zones en question
comme faisant partie de la mer territoriale. Le Cameroun le fait encore, commejeit. Et
w
pourtantcetteclassification,contraireaudroit positif,leCamerounl'ignore. LeCamerounétaitplus
francdanssonmémoire, lorsqu'il reconnuque la déclarationdeMarouaoncemeessentiellement
les eaux territoriales))(MC, par. 5.66). En ce qui concerne les parties, cela étaitvrai
Et puisque la question est de savoir si elles ont engagé des discussionsen vue de la délimitation
O 5 1 duplateau continentaloude la zone économiqueexclusive,l'attitude qu'ellesont eu encommunest
cruciale. Ence qui lesconcerne,jusqu'en 1975ou 1978,ellesne l'avaientpasfait. Et elles ne l'ont
pas fait depuis. - 49 -
3) Troisièmement,eten dernier lieu, le Cameroun affirme que «toute nouvelle négociation
est devenue vaine»(OC, p. 107). Je passe sur l'expression«nouvellenégociation)),qui dissimule
le fait qu'iln'y aeu aucunenégociation au-delàdu point G. On peut accepterque si le Cameroun
devaitmaintenant demanderque l'onnégociesur ladélimitationau-delàdupoint G, leNigériaserait
tenuderépondrequ'ilest nécessaired'abord de parvenir à un accord surla frontièreterrestre. Mais
desnégociationssurune frontièreterrestrene sontpas la mêmechosequedesnégociations surune
zone économiqueexclusive ou un plateau continental, et les tentatives pour parvenir un accord
quisontrequisesparl'article76,paragraphe 2 et l'article 83,paragraphe2 delaconventionde 1982
sont toutà fait différentesd'unaccord sur des frontièresterrestres. J'aidéjà examinépoint. Le
Nigériarépondraitaussi,celan'est pasdouteux,que lesparties sont convenuesque toute discussion
concernant la frontièremaritime doit comprendre la Guinée équatoriale,afin de déterminerle
tripoint. Elles en sont convenues enaoût et en novembre 1993. Mais comme nous l'avonsaussi
vu, laparticipationde la Guinéeéquatorialeétait requiseen raison de réalitésconcrète:les zones
maritimes au large des trois Etats sont si imbriquéesque tout trois doivent participer aux
négociations. Mais le fait que le Cameroun n'ait pasnégocié avecle Nigéria et avec la Guinée
équatorialeau sujet d'une zonequi concerne les trois Etats n'excusepas le Cameroun de ne pas
avoirnégocié avec le Nigéria. Le Cameroun ne peutarguer que parce qu'ilest pratiquementtenu
de négocieravec deuxEtats il ne peut être tenude négocieravec l'unou l'autre. Le Cameroun n'a
pas révéléà la Cour l'état deses négociations avecla Guinée équatoriale.Il ne peut justifier son
manquementaux articles 76 et 83 de laconvention de 1982vis-à-vis du Nigériaen évoquantdes
négociations,ou l'absence denégociation,avecun Etattiers. En outre,desnégociationstrilatérales
seraientloin d'êtrsans objet,ainsi que les parties l'ontexpressémentreconnu. Donc, letroisième
argumentdu Camerounn'estpas non plus valide. - 50 -
31. Monsieur le président,Madame et Messieurs les membres de la Cour, pour ces raisons,
la demande unilatéraledu Cameroun tendant à voir délimitéesles zones maritimes en particulier
celles qui se trouvent au-delà du pointyest irrecevable. Il y a de bonnes raisons de ne pas
regretter cette situation. La situation en ce qui concerne la frontièremaritime au-delà des eaux
territoriales dans le golfe du Biafra est très particulière. Elle ne doit pas êtrerégléeau coup par
coup, sur la base de requêtes unilatéraleisntroduitessans préavis parun seuldes Etats concernés.
E. Exceptionpréliminaire8 :Ladélimitationmaritimemetnécessairement en causelesdroits
dlEtats tiers
32. Je passe maintenantà la huitième exceptionpréliminaire du Nigéria.Elle soulèveune
1
question distincte, qui n'apas son origine dans le droit génle la délimitation maritime mais
dans la situation géographiqueparticulièreaquelleles parties,et la Cour, sontconfrontées.C'est
ainsi logiquement et juridiquement une basesuesante pour rejeter la demande de délimitation
maritime isolée.
33. La huitièmeexception préliminairedu Nigéria estque la Cour ne peut déterminer la
frontière maritime des deux Etatssur une base bilatéraleen l'absencede la Guinée équatorialeu,n
Etat tiers intimement impliqué. (Cote 24) Pour comprendre cette exception, il est nécessaire
d'examiner lademande du Cameroun. Vous pouvezvoir sur l'écranle tracé qu'il revendiquet,el
qu'ilfigure sur la carte contenue dans son mémoireet intitulée«La délimitationéquitable))(MC,
*
p. 556). Pour la clarté,permettez-moid'utiliser notretranspositionde cette ligne. (Cote 25) Vous
verrez que la ligne revendiquéeparle Camerounpart du point G directement vers l'ouestjusqu'au
point H, puis dans une direction sud-ouest en passant par lespoints 1,G Kt et vers le large en
direction de I'Atlantique-sud.
34. Il est importantde noter qu'en présentatette ligne, le Camerounn'agitpas en tant que
factotum de la Guinée équatorialeou de Sao Tomé-et-Principe.Il n'a produitaucune procuration
l'habilitantagir pour lecomptedes deux autresEtats. Il agitentièrementpourson propre compte. - 51 -
Le Cameroun prétendavoir droità une bande de merterritoriale et de plateau contiàeI'estet
au sud de la ligne reliant le point G au pointau-delà. Les zonesse trouvant immédiatement
à I'estet au sud de cette ligne font selon lui partie du territoire maritime du Cameroun. Il est
demandé à la Cour de statuer en ce sens. C'estce qui ressort expressément desécrituresdu
O 5 3 Cameroun (MC, par. 9.1 c)) et du texte de son mémoire(MC, p. 555, par. 5.127). En bref, le
Camerounrevendiqueunebandedeterritoire maritimedélimitée parcette ligne.lnedit pasquelle
doitêtrela largeurde cette bandemaisl'évidenccelle-ci doitêtrelarge,càdéfautelle neserait
pasexploitable. Peut-êtrelors delaprochainesérie deplaidoiries leCamerounnousdira-t-ilquelle
devrait être salargeur.
35. Monsieur le président, Madame et Messieursde la Cour,vous pouvez voir maintenant
les incidences de la ligne de délimitationproposéepar le Camerounrtir des cartes dont vous
disposez, montrant les distances séparant lespointsJ et K des différents Etatsdu golfeainsi
que de la presqu'île deBakassi. Laissez-moi les examiner avec vous.
* (Cote 33) Voyons tout d'abordle Point H.Ce point se trouvà moins de 26 milles du
Nigéria, à plus de 34 milles de Bakassi, à 41 milles de la Guinéeéquatorialeet
à 50 millesduCamerounproprementdit. S'agissantdecepoint H, lesdroitsde laGuinée
équatorialene seraient premièrevue à écarter,par rapportàceux du Cameroun,que si
Bakassi était censée appartenirCameroun. Mais la Cour, entant qu'organejudiciaire,
ne sauraitassurersa compétencesurunefrontièremaritime,compétencequ'elle seulepeut
exercer, si elle avait auparavant décde rejeter la positionjuridique d'une des deux
Partiesà l'affairedont elle est saisie. Cela revieàdfaire manifestement preuve de
parti pris. Ainsi donc,me en ce quiconcernelepoint H,la recevabilité de la demande
du Cameroun est hautement contestable. (Je ne dirais rien, évidemment,du bien-fondé
de cette demande). -52 -
* (Cote 34)Mais, Monsieur le président, les chosesse compliquent.Regardez le PointI.
Il se trouvà quelque 44 milles du Nigériaà plus de 52 milles de Bakassià 34 milles i
de la Guinéeéquatorialeetà 62 milles du Cameroun proprementdit. Ence quiconcerne
ce point, le Cameroun pourraitêtrelégèrementplus généreux àl'égarddu Nigériaque
pour ce qui est du point H puisquele point 1est plus proche de la Guinée équatorialeque
du Nigéria. Cette générositne s'exerce pasaux dépensdu Cameroun ! S'étanatssigné
autour du pointH des zones appartenant assez manifestement au Nigéria, leCameroun
reconnaît en compensation au Nigériades zones situéesl'ouestdu point 1mais quel'on
peut considérercomme appartenant à la Guinée équatoriale.
v
* (Cote 35) Quant au Point J, il se trouàequelque 79 milles du Nigériaà 67 milles de
la Guinéeéquatoriale, à plus de 115 milles de Bakassi età 118 milles du Cameroun
proprement dit. Mais un autreEtat entre ici enjeuà savoir Sao Tomé-et-Principe. Le
point J setrouve en effàt80 millesde Principe. Autrement dit, le point J est beaucoup
plus prochedu Nigéria,de la Guinéeéquatorialeet de Principeque du Cameroun. Mais
le Nigériaet Sao Tomé-et-Principene sauraient évidemmentpas prétendredéciderdes
droits maritimes concernant le pointen l'absencede la Guinéeéquatoriale. Comment
le Cameroun ose-t-il prier la Courde le faire, comme si cela ne concernait que lui-même
et le Nigéria? Le Cameroun se trouve en effet à 37, 50 et 38 milles plus loin, e
respectivement, du point J que les trois autres Etats.
* (Cote 36) Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, laissez-moiachever
rapidement ma démonstration.Regardez le Point K. Il se trouve à un 100milles àpeu
près du Nigéria,à 103milles de la Guinée équatoriale,à 66 milles de Principe età
quelque 150milles du Cameroun. Je dois dire que ces mesures peuvent être légèrement
approximatives en raison ducaractèrelui-mêmeapproximatifde la carte présentéear le
Cameroun. -53 -
36. Mais la Guinée équatorialet Sao Tomé-et-Principene sont tout simplementpas parties
à la présente affaire. La Courne sait rien de leur attiàul'égarddes revendicationsmaritimes
extraordinairesdu Camerounauregard de zonesmaritimesleurappartenantprimafacie. (Cote 24.)
La Cour se rappellera commentl'Italiea essayéd'intervenir dansl'affaireLibye/Malte. Dans cette
affaire, un Etat tiers, l'Italie, a tenté d'intervenir pour exprimer son intérêtdans les zones
considérées. L'intérêt ld aeGuinée équatorialeà l'égarddes zones en question en l'espèceest
cependantbeaucoup plus grandque celui de l'Italiedans l'affaireLibye/Malte. Sur la base de cette
décision,imaginezseulementleszonesquelaCourdevraitécarterdu processusde délimitationpour
éviter d'empiéter sur toueone susceptibled'appartenià un Etat tiers. La position de la Couren
matière de compétenceest-elle aujourd'hui meilleure du fait qu'il n'y a pas eu en l'espèce
d'interventionde cet ordre et qu'elle nesait rien des revendications éventuellesd'unEtat tiers
Comment cela pourrait-il êtr?
37. Il y a lieu de soulignerqu'iln'estpas question ici de déclarerun non liquet, comme le
prétendle Cameroun (OC, par. 8.03;voir également par.8.25). Il s'agitsimplementpour la Cour
de ne pasporter directementatteinteaux droitsEtatstiers ni de préjugercesdroits en prenantune
décision qui mettrait ces droits en cause. On ne demande pas non plus ici, tout au moins
directement,àlaCourd'appliquerleprincipede l'Ormonétaire,bienque lespolitiquessous-tendant
cette décisionsoient certainement en jeu. Quelle que soit la position en matière de frontières
terrestres,detripointsoudezoneslacustres- questionsqu'aexaminéesmoncollègueM. Brownlie
O5 5 - la positionau sujet des frontièresmaritimesest différente. Cettedistinctionexpressément
formuléepar laChbbre dansl'affaire BurkinaFaso/Mali. Danscette affaire, laChambrea déclaré
que :
«lejuge saisi d'unedemande portant sur la délimitationd'unplateau continental doit
se garder de statuer,mêmesi les partiesen litige l'yautorisent, surdesdroits afférents
à des zones où s'exprimentdes prétentionsd'Etatstiers, prétentionsqui risquent de
fausser les considérationsde droit - et surtout celles ayant trait aux principes
équitables- ayant servidebase àsa décision»(C.I.J. Recueil 1986,p. 578, par. 47). -54 -
38.Comment pourrait-ondouterquetel soit le casen l'espèce ? Commentpourrait-ondouter
que la Guinéeéquatoriale a desprétentions qui((risquentde fausser les considérationsde droit
O
et surtoutcellesayant trait aux principeséquitableàlabasede toute décisionde la Cour àl'égard
i
duCamerounet du Nigéria ? (Cote 24.) Onn'aqu'à regarderla ligne de délimitation proposéear
leCamerounpour lapremièrefois danssonmémoire(MC,p. 556.) Le Cameroundéclare àla Cour
que, conformément à l'équitél,a Guinée équatorialedevrait êtreprivéed'importantes partiesdu
plateau continental et de zone économiqueexclusive, qui se trouvent cependant plus prèsde ce
dernier Etat que du Cameroun. Je rappelleà la Cour que la ligne reliant lespoints H1sur cette
carte représente une délimitation entrele Nigériaet le Cameroun. Nous constatons, de manière
V
surprenante, qu'iln'ya pas de tripoints. Le Cameroun prétendque les pointssituéà l'estde cette
ligne lui appartiendraientsans discontinuité.Mais, dupoint au pointK, laplupart de ces points,
entre 80 et 90% à peu près d'entre eux, se trouvent plus près de la Guinéeéquatoriale etde
Sao Tomé-et-Principe que de Bakassi ou du Cameroun. Ce sont donc des zones sur lesquellesla
Guinéeéquatoriale ou Sao Tomé-et-Principeou ces deuxEtatspeuvent fairevaloir des prétentions
parfaitementlégitimes.ToutdépenddelaGuinéeéquatorialee,t la carteprésentéepalreCameroun
sous le titreLa délimitation équitable))fait entièrement ressortir cette réalk.a délimitation
équitable.La base de la ligneallant du point 6 au poiH, au point Iet au-delà. La demande que
fait le Cameroun à la Cour de trancher la présenteaffaire sans tenir aucunement compte des W
incidences de sa décisionpour des Etats tiers est entièrementirréaliste. Le Cameroun contredit
d'ailleurs cette demandepar le raisonnementqu'iltient lui-mêmedans son mémoireet la manière
dont il dit comment, où et pourquoi la Courdevrait établirletracéde la lignede délimitation(MC,
par. 5.107-5.128) par la carte qu'ilprésentelui-même.
39. Enoutre, celan'estpas simplementvrai en fait. Lesdeux Parties sont eneffet convenues
que cela est vrai. J'ai déjà évoqué cette question et jn'ai qu'à citer le passage pertinent du L
communiquéconjoint de la réuniontenue à Yaoundéen août 1993, selon lequel (cote 37) : «Après avoir soulignéque la déterminationdu tripoint était essentielle à la
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délimitationdela frontière entreleNigéria,la Guinée équatorialeteCameroun, les
deux parties sont convenues qu'une réuniontripartite devrait se tenir dans le but
d'examinerla question de la déterminationdu tripoint et du projet de commission du
golfe de Guinée.))(EPN 55, annexes, Vol. II, p. 202.)
Je répète:«la déterminationdu tripoint était essentielle)).On prétendcependant maintenant que
la Cour peut se prononcersur l'entière portees droits maritimes du Cameroun sans que cela ait
aucune incidence préjudiciablepour la Guinée équatorialeou Sao Tomé-et-Principe. Cela est
manifestement faux.
40. Dans ses observations, le Cameroun tente néanmoinsde répondre àcette objection par
un certain nombre d'arguments (OC,par. 8.05-8.33.) Je peux en compter sept et, faute de mieux,
je les traiterai par ordre numérique.
41. Premièrement, le Cameroun évoquela série d'affairesreprenant le principe de l'Or
monétaire,en prétendant queles intérêtsjuridiques des Etats tiese constituent pas l'objetd'une
demande formulée à la Cour de procéder à une délimitation territorialeentre deux Etats (OC,
par. 8.06). Cela peut être vraid'une manièregénéraledans les cas de délimitationmaritim,ême
dans ceux où la Cour est priée d'établilre tracé dela ligne de délimitation,ce qui ne revient pas
à énoncer simplement les principes applicables.Il s'agitcependant en l'occurrenced'unesituation
très particulière, entièrement différeee toutes celles que la Cour a dû traiterauparavant. C'est
une situationoù lesprétentionsmaritimesde 1'Etatrequérantet cellesd'un Etattiers se chevauchent
presque entièrement. Quant aux zones considérables revendiquées parle Cameroun et qui se
trouventplusprès de la Guinéeéquatorialequd ee sonpropreterritoire, l'objet dela présenteaffaire
concerne bien précisément lesintérêtjuridiques d'unEtat tiers.
42. Deuxièmement,le Cameroun répète à satiétqu'ilne demandeque ladéterminationde la
frontière séparantle Nigéria du Cameroun uniquement (OC, par. 8.05, par.8.07 (deux fois),
par. 8.12,par. 9.23). Cela va de soi. La Cour n'apas compétencepouragir autrement. Mais ce
qu'elle nesaurait faire sur le plan de la forme, elle ne saurait non plus le faire quant au fond, et certainement pas dans le contexte spécifique d'une délimitation maritime.La Cour ne saurait
disposer par un arrêtrendu entre le Nigériaet le Cameroun et ayant l'autorité de la chosjeugée,
b
d'unezone qui intéressedirectement le Nigéria et la Guinée équatoU.n tel arrêtn'aurait pas,
4
bien entendu, de force obligatoire pour la Guinée équatoriale, qui esten droit de fairevaloir ses
intérêts juridiquesdans les zones considéréestantl'encontre duNigéria quedu Cameroun.
Supposons que la Guinée équatoriale décide de saisilra Cour d'un problème de délimitation
maritime entre elle et le Cameroun. Deux choses seraient alors possibles. Soit l'apppariation
laCour des principes équitables seraitexactementlamêm,t chacun pourrait constaterque l'arrêt
0 5 7 précédent prenaitbien en compte «les considérationsde droitet surtout celles ayant trait aux
-
principes équitables))touchantla Guinée équatoriale.Soit, son appréciation serait différente, et
l'autoritéde l'artrécédent seraicompromise.
43. Troisièmement,le Cameroun tente de montrer par une brève analyse des affaires
précédentes quela Cour a toujours établile tracé d'une frontière maritime entre deux Etats
lorsqu'elleavait compétencepour le faire, mêmesi ce tracé pouvaitavoir des incidencespour un
Etat tiers (OC, par..13-8.24). Comme le Cameroun l'admet, les affaires pertinentes sont
simplementau nombre de deux, à savoir l'affaireTunisie/Libyeet l'affaireLibye/Malte. Dans les
deuxcas, l'instancea éintroduitepar notificationd'uncompromiset non pas autitre de la clause
facultative. Cela est certes important,puisquelorsquedeuxEtats conviennentexpressémentqu'une #
zone déterminée doit être délimitée,nlssauraient ensuite se plaindre lorsque laCour s'acquitte
dumandat spécifiquequ'ilslui ont conféré. vaut cependantlapeine d'examiner cesdeuxaffaires
brièvement.
44. Le tracéindiquépar la Cour dans l'affaireTunisie/Libyeapparaît maintenant surl'écran
(cote38). Il évidentquela Cour a soigneusementpréserla position deMalte dansce tracé.Elle
8
n'apas indiqué detripoint et n'atenu compte des zones voisines apparteàla Tunisieetà la
Libye qu'envue de parvenià un résultat satisfaisant,d'unemanière généralee,u égardau critère -57 -
de proportionnalité(C.I.J. Recueil 1982, p. 91, par. 130). Elle a notéque «la question de savoir
jusqu'où la ligne de délimitation se prolongera versle nord-ouest dépendrabien entendu des
délimitationsfutures avecdesEtatssetrouvantde l'autrecôtéde lamerpélagienne)) (ibid.). C'était
là une situation entièrement différentede celle que doit maintenant réglerla Cour et bien moins
extrême. Dans la présenteaffaire , Cameroundemandeen fait à laCour denetenir aucun compte
d'unEtatriverain, laGuinéeéquatoriale,etd'attribuearuCameroundeszonessetrouvantbeaucoup
plus prèsde la Guinée équatorialeque du Cameroun. Le contraste entre la méconnaissance, parle
Cameroun,de la position d'unEtat tiers riverain et du souciqu'aeu la Cour de protégerla position
de Malte dans l'affaireTunisie/Libyeest manifeste.
45. Ce souci a étéencore plusévident dansl'affaireibye/Malte. Bien que la Cour ait rejeté
la demande d'interventiondel'Italie,elle atenu pleinementcompte durisquede porteratteinteaux
intérêtsjuridiquesd'Etatstiers et n'adonc traitéqu'unepartie de la zone en question. La Cour ne
O 5 8 s'est prononcée que surla zone sur laquelle l'Italien'avaitpas de droiàsfaire valoir et l'afait
malgréles instances tant de la Libye que de Malte. La Cour a noté :
«Sans doute les Partiesont-elles en fait invitélaCou..à ne pas limiter son arrêt
à la régionoù elles sontseules en présence;mais la Cour ne pensepas avoir une telle
liberté d'action, vu l'intérêt manifesté par l'Italie à l'égard de l'instance.))
(C.I.J. Recueil 1985, p. 25.)
La Cour s'estdonc limitée lazone sur laquelle elle avait compétenceconformément à la
requêtede la Libye et de Malte àla zone qui ressort sur l'écran(cote 39). Il y a lieu de souligner
que la Cour a agi ainsi, non pas par des considérationsde prudence mais de compétence. Elle a
déclaré en effet:
«Une décisionrestreinte de la sorte..signifie simplement qu'aucune compétence
n'a étéconférée à la Cour pour déterminer les principes et lesrèglesrégissantles
délimitations avecles Etats tiers, ni pour décidersi les prétentionsdes Parties en
dehors de la zone en question l'emportentsur les prétentionsdes Etats tiers de la
région.))(Ibid, p. 26, par. 21; les italiques sont de moi.) -58 -
C'est la Cour plénièrequi a pris cette décisionpar quatorze voix contre trois. En ce qui
concerne la restriction géographiquede la zone soumisea compétencede la Cour, la majorité a I
été encore plus importante.
46. Dans ses observations, le Cameroun fait un certain nombre de remarques sur cette
décision.Il ditque latentative inhctueuse del'Italied'intervenirest un ((rteuvraisemblable
aujourd'hui, à la suite de l'intervention couronnée de succès du Nicaragua dans l'affaire
El Salvador/Honduras» (OC, par. 8.17). Voilà qui restàvérifier.La demanded'interventiondu
Nicaragua n'aété en effet acceptéequedemanière limitée.Mais,ce qui est plusfondamental,c'est
que la compétence dela Cour à l'égardd'undifférendne saurait êtreélargiepar une intervention
w
en vertu de l'article62 du Statut, au titre duquel l'Etatqui intervient ne devient pas une partie a
proprementparler. Soit la compétenceexisteinterpartes soit elle n'existe pas. L'intervd'unon
Etattiers peut fournir plus d'information Cour mais ne sauraitélargir sacompétenceni donner
à la Cour plus de pouvoirs. Quoi qu'ilen soit, rien absolument n'indique l'intervéventuelle
d'unEtat tiers en l'espèce.
47. Celamène àun autre argumentformulépar leCamerounsur labase del'arrêrtendudans
l'affaireibye/Malte. Selonlui,«la Cournes'estpas déclaréincompétente)()OC, par. 8.17). Cela
est tout simplement inexact. La Cour a dit expressémentqu'ellen'avait pas compétencel'égard
des zones dont la délimitation porteraitatteinteaux droits ou intérêtsjuridiquesstiers. J'ai W
déjàcité ce passage (C.I.J. Recueil 1985, p. 26, par. 21). Je rappelle qu'elle a dit qu'«aucune
compétencen'a étéconférée à la Cour pour déterminerles principes et les règles régissantles
délimitationsavec lesEtats tiers)). (Cote25.) Et il convientde souligner que, si on la compare
avec la situationdans l'affaireye/Malte,lasituationgéographiquede laprésenteaffaireprésente
une ((difficultéexceptionnelle))-jecite ici les termes mêmesdu Cameroun - une «diff~culté
exceptionnelle))encore plus grande (OC, par. 8.17). Le Cameroun a lui-mêmereconnu que la
situation est plus difficile «afortiori)) (OC, par. 8.26). Peu aprèsle point G on se trouve dans des - 59 -
eaux à l'égardlesquelles la Guinée équatoriale ades intérêtjsuridiques et peut faire valablement
valoir des droits. Dans son mémoire,le Camerouna été parfaitementclair à ce sujet, bien qu'ilait
fait preuve d'unpeu plus de timiditépour ce qui est de l'exceptionpréliminairecorrespondante.
Ecoutez cependant ce qu'ildit dans son mémoire :
«La ligne doit aussi prendre en compte la présencede la grande île de Bioko, non
pas pour établirdes droits du Cameroun par rapport à la Guinée équatoriale ...mais
plutôt pour refléterl'existence decette grandeîle en tant que fait géographique, aux
dépensdu Cameroun,dansune zone qui devraitêtrepartagéeéquitablemententretous
les Etats de la zone... [ulne situation commecelle de la présenteaffaire nécessiteun
équilibragecollectifdeséquitésd ,es avantages etdes inconvéniente sntrelesdzflérents
Etats du littoral de la Baie de Biafra..» (MC,par. 5.114 ; les italiques sont de moi.)
On pourrait reprocher au Cameroun d'essayer,dans ce passage, de corriger la géographie,
tentative que la Cour a plus d'une foisdésavouée.Mais ce n'est pasde cela qu'il s'agitdans la
phase actuelle. Dans ce passage, le Cameroun reconnaîtla réalité de la situation, qui appelle un
((équilibrage collectif)),et non pas un équilibrage bilatéral et certainementpas un équilibrage
bilatéralavec le Nigéria. C'est pourquoi,l'absencede toute discussioncollective ou bilatérale en
matière de frontière, bien que le Cameroun ait déjà reconnu qu'une telle négociationétait
«essentielle», est particulièrement frappante.
48. A cet égard,il convient de soulignerque laprincipale raison pour laquelle le Cameroun
est unpays àplateau continentalenclavénevientpasde l'existencede lacôte adjacentedu Nigéria
mais de celle de la côte opposéede la Guinée équatoriale.Le Cameroun ne saurait éludercette
difficulté en introduisant, sans préavini négociationpréalable,une requête contrele Nigéria.
49. Le Cameroun fait ensuite valoir que si la Cour ne peut trancher la présenteaffaire, son
rôle en matière de délimitation maritime nepourraitque diminuer (OC, par. 8.22). Mais cela ne
tient aucunementcomptedes circonstancesextrêmes et particulières dela présente affaire,d'autant
plus extrêmeset particulièresque le Cameroun a déposé sa requêtesans négociationpréalablesur
la frontière maritime, contrairement à l'accord antérieurementconclu selon lequel les Parties
mettraient en cause le troisième Etatmanifestementaffecté. Les incidencessur le rôle générad le -60 -
la Cour en matièrede délimitationmaritime sont négligeables. Quoi qu'il en soit, la Cour doit
rendre lajusticeconformémentau droit international,eu notamment égardaux décisionsqu'ellea i
précédemmenrtendus quant à l'étendue de sacompétenceintepr artes. Voilà ce qui suscitera et
maintiendra la foi des gouvernementsen son rôle.
50. Le Cameroun fait d'autre part remarquerque la ligne de délimitation qu'il proposteient
pleinementcomptedes droitset intérêtd se laGuinéeéquatorialeem t ême de SaoTomé-et-Principe
(MC, par. 5.120-5.126, 5. 135). (Cote 24.) Eu égardaux cartes que je vous ai précédemment
montrées,celan'est tout simplementpasvrai. Que ce soit vrai ou non, cela ne saurait cependant
améliorerla situation. La Cour n'atout simplementpas compétence surles droits d'Etatstiers du *
fait seulementque le requérantréserveraitàces Etats untraitementgénéreux! Du momentque les
droits et intérêtse ces Etats sont directement en cause, la Cour ne saurait exercer ses fonctions.
On peut le voir en considérantce que le Nigériadevrait faire en vue de donner effet à «la
délimitation équitable))roposée parle Cameroun, que vous pouvez voir maintenant. Le Nigéria
devrait fairevaloir l'applicationde principeséquitablesnon seulementvis-à-visdu Camerounmais
aussi des autresEtats. La Cour ne saurait accepter un tel argument et encore moins se prononcer
sur lui. Lesdemandes du Cameroun sont irrémédiablemenitrrecevables.
51.Le Cameroun prétendpar ailleurs que la positiondu Nigéria neprésenteaucun caractère
préliminaire(OC, par. 8.28). Monsieur le président, Madameet Messieurs de la Cour, si elle w
intéressela compétence,cette position abien un caractèrepréliminaire. Et,commeje l'aimontré,
tel est bien lecas. La raison pourlaquelleces questionsn'ontéttraitéesqu'austade du fond dans
l'affaireibye/MaZtevient de ce que les parties au compromisdemandaient instamment à la Cour,
comme on pouvait s'yattendre,de ne pas tenir compte des intérêtds'un Etattiers dans une affaire
où ils étaient d'accordsur la compétence dela Cour et où il n'ya pas eu de phase préliminaire.
52. Le Cameroun déclareensuite et,la Cour seraheureuse de l'entendre,enfin, que les Etats
adoptentsouvent,par voie d'accord,des délimitationssusceptiblesd'affecterdesEtats tiers, de tels
accords étantfondéssur la non-opposition à ces délimitations (OC,par. 8.29-8.32). Cela n'a -61 -
cependant rienà voir avec la présente affairequi concerne une claire déterminationjudiciaire des
((considérationde droit- et surtout cellesayanttrait aux principeséquitables))affectant desEtats
tiers. Dans le tumulte des négociationsinternationales,deux Etats peuvent peut-êtreempiéter sur
la position d'unEtat tiers et tenter d'amenercet Etateconnaître leur accord oà y acquiescer.
La Cour se trouve dans une position différente commeellel'aclairement montrédans les affaires
Libye/Malteet BurkinaFaso/Mali. Elle a respecté lesnormes de la compétencejudiciaire.
061
F. Conclusion
53.Monsieurleprésident,Madameet Messieurs de la Cour,leNigéria estd'avis, pourtoutes
cesraisons,que larequêteduCameroun,danslamesureoù elle concernela frontièremaritime, doit
être rejetée.Un tel rejet serait, bien entendu,sans préjudice des droitsde l'uneet l'autre Partie
d'entamer une procédure indépendante relative a la frontière maritime, lorsque les conditions
juridiques préalables cet effetauront étréunies. Teln'estpas le caàprésentetleNigériainvite
la Courà tirer les conclusions qui s'imposent.
Monsieur le président,Madame et Messieurs de la Cour, je conclus ainsi l'exposédes
argumentsde laRépubliquefédérald euNigéria danscette premièrephase orale.Je vous remercie
de votre attentiontde votre patience.
Le PRESIDENT :Mercibeaucoup, MonsieurCrawford. LaCour seréunira denouveaujeudi
à 10 heures pour entendre l'argumentationdu Cameroun.
L'audienceest levée à 12 h 40.
Traduction