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Translation
Uncorrected
CR 94/4 (traduction)
CR 94/4 (translation)
Vendredi 4 mars 1994
Friday 4 Match 1994 -2-
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. La Cour reprend ce matin ses
audiences dans l'affaire ~atar/~ahrein,pour entendre Bahrein dansson
premier tour de plaidoirie. Je donne donc la parole à
S. Exc. M. Al-Baharna, ministre de Bahrein.
M. AL-BAHARNA : Monsieur le Président, Messieurs de la Cour,
1. J'ai l'honneur de comparaître devantvous en qualité d'agent de
loEtat de Bahreïn. Qu'il me soit permis, en cette qualité, de vous
présenter tout d'abord à vous M. le Président et à vous
M. le Vice-Président, les respectueuses félicitationsde mon pays à
l'occasion de votre électionaux hautes fonctions que vous exercez avec
un si grand talent. Je voudrais également féliciter M. Shi,
M. Fleischhauer et M. Koroma à ltoccasion de leur récente électioncomme
membres de la Cour et leur présenter les meilleursvoeux de mon
gouvernement. Le Gouvernementbahreïnite tient à faire part de son ferme
espoir, ainsi que de sa très haute considérationet de son éminent
respect pour la Cour - sentiments qui n'ont jamais fait le moindredoute
depuis le moment où, en 1987, un recours conjoint à la Cour a pour la
première fois été envisagé par le médiateur et les Parties.
2. A un moment comme celui-ci, mon gouvernement tient également à
rappeler son admiration et son estime pour le concours sageet
constructif prêté, en sa qualité de médiateur, par le Royaume doArabie
saoudite. La conception qu'il se fait personnellementde son activité
suivie et du rôle qu'il attribue à la Cour est mise en lumiêre par la
nouvelle tentativequ'il a faite en septembre 1991 - alors qu'il savait
parfaitement que le Qatar avait introduit unilatéralement unerequête en
l'espèce - pour persuader les Parties à s'en tenir à la ligne de conduite -3-
qui avait pendant si longtemps reflété leur seulepréoccupation, à savoir
conclure un accord en vue de soumettre leur différend conjointementet
globalement à la Cour. Le projet d'accord que l'Arabie saoudite a
proposé aux Parties en septembre 1991 figure en tant que pièce no 9 dans
329
le 'livred'audience. 11 s'agit du volume rouge à feuilles mobiles qui se
trouve devant vous et que, pour la commodité,mes collègues et moi-même
dénommons «Le livre d'audience,. Il contient les copies de plusieurs
documents auxquels nous nous référerons dans le cadre de nos
argumentations. Tous ces documentsont soit déjà été versés au dossier
soit se résument à des plans générauxou des listes dont nous ferons
usage au fur et à mesure de nos plaidoiries.
3. Je ne saurais, en une occasion telleque celle-ci, même si nous
sommes peut-être en désaccord, omettre de souligner la relation
fraternelle qui existe entre 1'Etat de Bahreïn et 1'Etat du Qatar. Nous
sommes convaincusque cette relation doit toujoursêtre maintenue dans la
paix, l'affectionet la cohésion auxquellesles pays du Golfe aspirent.
4. C'est un grand ~rivilège pour moi de comparaître au nom de 1'Etat
de Bahreïn. Nous nous réjouissonsbeaucoup, mes collègues et moi, à la
perspective de fournir a la Cour toute l'aide que nous pourrons, dans
l'accomplissementde son importante tâche.
5.Les points soulevés par le Qatar dans son argumentationont été
si nombreux qu'il est impossible de répondre à tous. Aussi ne
faudrait-ilpas voir un accord dansnotre absence de réaction. Par
exemple, je ne prendrai pas le temps de répondre aux griefs du Qatar
selon lesquelsla lettre du 18 août 1991, adressée à la Cour par Bahreïn,
a été une communication irrégulière,que Bahreïn a omis de se conformer
au Règlement de la Cour, que Bahreïn a omis de désigner un agentet qu'il -4-
n'a pas soulevé d'exception préliminaire. Touten réfutant l'ensemble de
ces accusations, je dois préciser qu'elles n'ont absolument rien à voir
avec les questions dont la Cour est saisie.Il en est de même pour les
observations historiqueset géographiques de l'agent du Qatar. Je ne les
commenteraipas - non parce que j'y souscris mais uniquement parce
qu'elles sont hors de propos dans la présente procédure. J'ajouterai
toutefois que Bahrein estimait ne pas pouvoir désigner un agent sur la
base de la requête unilatéraledu Qatar. Toutefois, après l'utile
Ci1 O
rencontre avec le Présidentde l'époque, où il a été décidé qu'il serait
traité de la compétence enpremier, Bahrein s'est senti à même de
désigner un agent.
6. Mon gouvernement est déçu et regrette, - alors qu'il comparaît
aujourd'hui pour la première fois devantla Cour - de venir non pas pour
se prononcer en faveur de votre compétencemais pour la contester. Je
puis donner llassurance à la Cour que la position qui a été imposée à mon
gouvernement n'exprime aucune objection deprincipe à un règlement, par
la Cour, de l'ensemble du différend quioppose actuellementles Etats de
Bahreïn et du Qatar. Bahreïn serait fier d'être l'un des deux premiers
Etats du Golfe à saisir conjointementla Cour d'une affaire. Bahrein a
fait incontestablementcomprendre, à cinq reprises au moins, qu'il
souhaitait formellement participer à une saisine commune de la Cour de
ses différends avec le Qatar : en décembre 1987; en mars 1988; en
octobre 1988; en septembre 1991; et tout récemment le 20 juin 1992 où
Bahreïn a proposé un nouveau projet de saisine commune (livred'audience,
no10). Le Qatar avait la possibilité d'accepter cette proposition ily
a six semaines encoremais n'y a pas répondu. Non plus qu'il ne semble
avoir répondu au projet saoudien antérieur de septembre 1991 que jlai -5-
mentionné tout à l'heure. Pourquoine l'a-t-il pas fait ? Pourquoi le
Qatar mettrait-il Bahreïn dans une positionoù Bahrein est tenu de
justifier son objection à la compétence de la Cour dèslors qu'elle est
invoquée unilatéralement par leQatar, cependant que le Qatarse
considère en droit dene fournir aucune explicationsur les raisons pour
lesquelles il ne saurait ni accepter une proposition parfaitement
raisonnable de saisine commune ni même indiquer sa volonté de discuter de
la question ? Pourquoi le Qatar présumerait-ilque s'il reste des points
à négocier, la discussion devrait impérativementse terminer par un
règlement, favorable au Qatar, de tous les points ? Pourquoi le
311 règlement de ces points ne serait-ilpas également favorable à Bahrein ?
Ne participons-nouspas, nous aussi, de la «justice% que
sir Francis Vallat a si pertinemment invoquée dansson exposé final ?
7. Bahreïn s'est associé sans réserve auxefforts de mise en
application de l'accord de 1987, conformément à ses termes. Ce que
Bahreïn ne saurait accepter est que le Qatar déforme l'accord de 1987 en
tentant de traduire Bahreïn devant la Coursans son consentementet à des
conditions qui lui sont défavorables sur la base d'une requête
unilatérale du Qatar, jamais envisagée par Bahreïn et jamais examinée
avec lui.
8. Plutôt que de nous appesantir, au même point que le Qatar, sur
les raisons qui l'on incité à introduire unilatéralementune requête,
sollicitons dès l'abord une réponse à la question suivante : pourquoi le
Qatar n'a-t-il pas manifesté de la même volonté queBahreïn de participer
à une saisine commune de la Cour ? Pourquoi le Qatar a-t-il, au
contraire, cherché à prendre l'avantage en rejetant non seulement le
projet d'accord conjoint présenté en 1991 par le médiateur mais aussi le -6-
projet proposé par Bahrein en 1992 ? Si le Qatar souhaitait hâterle
règlement de son différend avec Bahreïn, il s'y est pris de la manière la
plus inefficace qui allait précisément à l'encontre du but recherché.
D'une part, il n'a jamais veillé à ce que Bahreïn soit directement avisé
de son intention d'engager cette procédure, comme la pratique l'exige
normalement. Contrairement à ce que le conseil du Qatara laissé
entendre dans sa plaidoirie, Bahreïn n'a reçu aucune notificationdu
contenu des lettres adressées à l'Arabie saoudite par le Qatar en mai et
juin 1991. D'autre part, il est évident que si le Qatar avait apporté
une réponse positiveau projet saoudien de saisine communede
septembre 1991, l'affaire aurait maintenant dépassé même le stade de
l'échange de contre-mémoires. ~ême si le Qatar s'était contenté
d'accepter l'offrebahreïnite de saisinecommune en juin 1992, l'affaire
11 2
aurait maintenant dépasséle stade de l'échange de mémoires. Il n'y
aurait pas eu le délai imputable à l'examen de la présente exception
d'incompétence. Aussi n'est-ce pas, de toute évidence, le souci de
procéder par la voie la plus rapide qui a incité le Qatar à agir
unilatéralement. Le Qatar a dû escompter quelque avantage plus
important, qu'il n'a pas encore révélé.
9. Mais peut-être ne faut-il pas chercher bien loin les raisons pour
lesquelles le Qatar a agi comme il l'a fait. Le Qatar souhaitait
organiser l'affaire d'une manière qui lui convenait. Il voulait avoir la
haute main sur l'éventail des questions que la Cour serait appelée à
trancher. Il voulait être le premier à déposer un mémoire et avoir,
partant, l'avantagede pouvoir présenterson affaire d'une manière qui ne
l'exposeraitpas à l'effet compensateur immédiat d'une pièce de procédure
déposée simultanément par Bahrein (préférence existant et à laquelle ne - 7 -
porte aucunement atteintela déclaration faite par le Qataril y a
deux jours selon laquelle le Qatar est maintenant disposé à accepter le
dépôt simultané de pièces de procédure si Bahreïn engage une procédure
distincte). Le Qatar voulait êtresûr d'être la Partie qui aurait le
premier mot dans la procédure orale. Il tenait à ne pas être entravé par
une réaffirmation expresse de la règle qui interdit la production de
preuves attestant que despropositions de règlement ont été faitesau
cours de négociations passées. Il voulait se rendre devant la Cour sans
accorder au Gouvernement bahreïnite letemps d'accomplir les procédures
requises par l'article 37 de la constitution bahreïnite. Tellessemblent
avoir été les raisonspour lesquelles le Qatar, au lieu d'honorer son
engagement de négocierune saisine commune conformément à l'accord
de 1987, a pris les devants en juillet 1991 en introduisant
unilatéralementune requête. C'est en vain que M. Salmon prétend à cet
égard qu'un avantage d'ordre stratégique et tactique n'existe pas dans un
litige international. Ce n'est aucunement manquer de respect à la Cour
que de reconnaîtreque la manoeuvre fait partie de la conduite de
i-ij J
l'affaire - et c'est précisément à une telle manoeuvre que sellvre le
Qatar.
10. Peut-être plus encore que de grands Etats, Bahreïn est
profondément attaché à ce que l'état de droit réglsse les relations
internationales. Mais celui-ci doit s'appliquerde façon prévisible.
L'une des considérations fondamentales à cet égard est que cette Cour
n'exerce pas sa juridiction surun Etat sans le consentementde celui-ci.
Si Bahreln ne nie pas avoir exprimé, dans l'accord de 1987, son
assentiment de principe à soumettre d'un commun accord ses différends
avec le Qatar au jugement impartialde cette haute Cour, il n'a toutefois - 8 -
pas accepté de le faire dans les conditionsou selon les modalités qui
sont maintenant imposées parla requête unilatéraledu Qatar.
11. Il ne s'agit pas simplementd'égalité et de la dignité d'un Etat
souverain. Lorsque Bahreina consenti en 1987 à ce que cette Cour soit
l'instance de dernier recours, il n'entendaitpas, ni ne comptait, qu'il
serait placé en position dedéfendeur, avec tout ce qu'implique une telle
situation - en particulier dans une affaire qui porte sur des questions
de titre à un territoire et de frontières de zones maritimes.
12. Assurément, Bahreïn éprouve commeun affront ce qu'ilperçoit
comme un manquement délibéréet fondamental de la part du Qatar à des
ententes clairement établiesil y a plusieurs annéeset régulièrement
respectées par la suite.
13. Je comprends bien que la Cour puisse se poser la question : si
Bahreïn est disposé à procéder à une soumission conjointe del'affaire à
la Cour, pourquoi n'est-il pas prêt à participer à une affaire introduite
par une requête unilatérale ? Ne demandera-t-onpas :Bahreïn n1adopte-
t-il pas une attitude bien formalisteet tatillonne alors que les
314 questions de fond à examiner et les règles de fond à appliquer risquent
fort d'être les mêmes quelle que soitla procédure ? Je crois que la
Cour a le droit de recevoir une réponse à cette question; et j'espère que
ce qui suit paraîtra aussi raisonnable, convenable et acceptable à la
Cour qu'à Bahrein.
14. La première raisonest de principe - le respect de la parole
donnée. Bahrein croitfermement que leQatar a accepté en 1987, et
confirmé par son comportementultérieur, que la procédure de soumission à
la Cour ferait l'objet d'un accord exprès ultérieur. C'est une affaire
de principe, particulièrement dansla perspective des relations durables - 9 -
et, nous l'espérons, amicales entre les deux Etats :Bahrein ne saurait
admettre que le Qatar modifie unilatéralement des accords établis.Si
laissons passer cela à cette occasion sans manifester la plus ferme
nous
opposition, on ne pourra par lasuite avoir aucune confiance dansle
respect d'un engagement quelconque prispar l'autre Partie. L'obligation
de respecter la parole donnée équivaudraau droit de la reprendre. De
toute évidence, c'est inadmissible.
15. La deuxième raisonde rejeter une requêteunilatérale, c'est
que le Qatar a présenté la question de manière tendancieuseet
incomplète. Ainsi, au paragraphe 41 de sa requête, le Qatar a demandé à
la Cour de décider qu'il a souverainetésur les îles de Hawar et qu'il a
des droits souverainssur les hauts-fonds de Dibal et de Jaradah. Le
Qatar a aussi demandé à la Cour, compte dûment tenude la ligne de
partage établie par la Grande-Bretagneen 1947, de tracer une limite
maritime unique entre le Qatar et Bahreïn. Permettez-moi,Monsieur le
Président, d'expliquer en quoi cetteprésentation des problèmes par le
Qatar est inacceptable.
16. Un élément essentieldu premier principede médiation était que
«toutes les questions en litigeentre les deux Etats ... doivent être
considérées comme des questions complémentaires formant ut nout
indivisiblequi doit faire l'objet d'un règlement d'ensemble». Pourtant,
la liste des points que cite le Qatar dans sarequête laissede côté des
questions importantesque Bahreïn avait soulevées et qui font partie du
différend d'ensemble enzre les deux Parties : prircipalement celle des
revendicationsde Bahreïn au sujet de Zubarah. Qatar n'a pas rappelé non
plus qu'il existe des différends entre les Parties au sujet des bancs
d'huîtres perlières et des zones de pêche traditionnels. - 10 -
17. Pour revenir à la question de Zubarah, que le Qatar a exclue des
points présentés danssa requête, il n'y a aucun mystère. Je suis
certain que les dossiers du Qatar, tout autant que ceux de Bahreïn,
contiennent une volumineuse documentation sur tout l'historiquedu
différend de Zubarah. Il n'y a évidemment pas lieu de s'étendre sur les
détails au sujet de cette questionde fond au cours d'une procédure dont
la portée est limitée aux affaires de compétence. Maisla Cour peut être
assurée qu'il se pose bien là une question de fond. Un aperçu général
sur la nature du différend figure dansle contre-mémoirede Bahrein sur
la compétence, aux pages 15 à 17. Les principaux problèmes que soulèvent
la nature et la portée des revendications de Bahrein concernant Zubarah
ressortent d'une lecture de documents historiquesqui figurent dans le
volume III du contre-mémoirebahreïnite. Les revendications de Bahrein
tirent leurs origines de l'époque où il était présent à Zubarah et y
exerçait son contrôle. Elles remontent pourainsi dire à deux siècles.
Il existe un traité relatif à Zubarah entre les deux pays - l'accord de
statu quo conclu en 1944, que le Qatar enfreint depuis longtemps. Des
échanges diplomatiquesont eu lieu à ce sujet entre Bahreïn et la Grande-
Bretagne, en tant que puissance protectrice,jusqu'à l'époque où, au
début des années soixante-dix,la Grande-Bretagnes'est retirée du Golfe.
Et le Qatar était informé de ces échanges. Il a reconnu l'existenced'un
différend, qui a été dûment consignée dans leprocès-verbal de la sixième
réunion de la commission tripartite, tenue le 6 décembre 1988
(contre-mémoirede Bahreïn, vol. II, p. 111). Il ne sert à rien que le
Qatar prétende n'être pas suffisammentau fait de l'existenceet de la
nature des revendicationsde Bahreïn concernant Zubarah. L'exposé final
de sir Francis Vallat relatantl'historique des relations entre les deux Etats montre que le Qatar est parfaitement capable de se souvenir des
événements des années trenteet quarante, et qu'il n'a vraisemblablement
pas oublié sa propre attaque de Zubarahen 1937 ni ses propres violations
de l'accord de 1944. Les populations de Bahreïn commecelles du Qatar,
et particulièrement les membresde la tribu d'Al Naim, co~aissent cette
histoire.
18. Le Qatar présente une plainte entièrement fallacieusl eorsqu'il
déclare que
«ni la Cour ni le Qatar ne savent encoresur quelle base on
pourrait déterminer si les prétentions de Bahreïn concernant
Zubarah sont recevables ou non, conformément à la formule
bahreïnite qui fait partie du procès verbalde 1990, qui s'y
réfère».
Le fait est que le Qatar, en tant que défendeur de fait dans toute
revendication bahreïnite relative à Zubarah, n'a pas intérêt à présenter
lui-même les prétentions à Zubarah devant la Cour. Que les
revendications de Bahreïnconcernant Zubarah soient recevablesou non ne
justifie aucunement quele Qatar procède par la voie d'une requête
unilatérale au lieu de participer à une démarche commune. En résumé, si
les dispositions du premierprincipe de médiation doiventêtre
respectées, et toutes les questions en litige entre les deux Etats
considérées comme complémentaires,formant un tout indivisible qui doit
faire l'objet d'un règlement d'ensemble, la formulation présentéepar le
Qatar dans sa requêteest incontestablementfautive de ce point de vue
p,4 *
-. f important,pour ne pas parler d'autres. Le seul moyen convenablede
soumettre la question de Zubarah à la Cour s'inscrit dans le cadre de
l'applicationexacte de la formulebahreïnite, selon laquelle il
appartient à Bahreïn d'exposer sa propre demande. - 12 -
19. L'éminent agent du Qatar a argué (CR 94/11 que Bahreïn a la
faculté d'introduire sa propre requête à la Cour au sujet de Zubarah et
que «la Cour peut à tout moment déciderde joindre les instances dans les
deux affaires> (ibid.; voir aussi répliquedu Qatar, par. 4.114). Il y a
quatre raisons importantes pour lesquelles cet argumenn te saurait en
aucune façon justifier la démarche unilatérale du Qatar.
20. Premièrement,la validité et l'effet d'une requête doit se juger
dans le cadre de la requête elle-même et non en fonction d'événements
ultérieurs qui peuvent se produire ou ne pas se produire. La seule
exception est une situation de forum prorogatum, qui ne s'applique
naturellement pas ici. Le Qatar n'avance pas que sa requêteen cette
affaire suffit parfaitement pour régler toutes les questionsen litige.
Ce qu'il affirme, c'est qu'une condition fondamentaledu consentementde
Bahreïn à aller devant la Cour, à savoir que l'affaire couvre toutes les
questions pendantesentre les Parties, peut être remplie siBahreïn
lui-même introduit une affaire supplémentaire et séparée contrele Qatar.
21. Cette thèse du Qatarest tout à fait fausse. L'imperfection
d'une requête n'~?stpas rachetée par la possibilité d'un comportement
ultérieur de l'autre Partie qui y remédierait,mals seulementpar le
comportement effectif de l'autre Partie, si celle-CI déclde d'aglr en ce
sens. Dans sa plaidoirie pour le Qatar (CR 94/1), sir Ian Srnclalr a
largement soulignéla règle selon laquelle, s'agissantde compétence, la
position d'une Partie doit se déterminer au moment du dépôt dela
requête. Certes, en rappelant ce qui a été écrit sur ce point dans les
n,7 !7.'
ci ; .; affaires des Droits de passage et Nottebohm, il voulait étayer sa thèse,
selon laquelle une fois qu'un requérant a invoqué l'existence d'unebase
de compétence, le comportement ultérieurdu défendeur ne peut retirer - 13 -
compétence à la Cour. Mais la règle est la même qu'il s'agisse d'établir
celle-ci au titre de la clause facultative (commedans les deux affaires
que je viens de citer) ou de déterminer si la requêterépond aux
conditions convenuesentre les parties pour présenter l'affaire à la
Cour. Ce sont les conditions qui existent au moment de la requête qui
importent et non pas la possibilité d'un comportement ultérieur éventuel
du défendeur .
22. Deuxièmement,de toute manière Bahrein n'estime pas, comme le
Qatar, que l'accord de 1987 et le procès-verbalde 1990 habilitent
Bahrein à déposer sa propre requête devant la Cour, pas plus que ces
actes ne justifient la requête du Qatar lui-même. Certes le Qatar se
réclame avec insistance d'une telle faculté, car en cela consiste s'agit
ce qu'il se déclare lui-même habilité à faire. Cela suppose pourtant que
le Qatar soit bien fondé dansson interprétation del'effet du
procès-verbalde 1990. Bahreïn estime que leQatar se trompe. Il serait
donc incompatibleavec la position de Bahreïn d'agir de la manière
réclamée par le Qatar.
23. Troisièmement,même si Bahreïn devait déposer une requête
distincte, le Qatar a réservé son droit de contester la recevabilité de
la revendication bahreïniterelative à Zubarah. C'est à cela que Bahreïn
s'oppose. La situation seraittoute différente si les Parties s'étaient
associées pour formuler un acte conjointde saisine de la Cour. Dans une
formulation de ce genre il est sous-entenduqu'on ne soulèvera ni d'un
côté, ni de l'autre, aucune questionde recevabilitévis-à-vis d'un point
litigieux quelconque nécessairement lié à ce dont il s'agit. Le même
principe s'applique quand l'acte de saisine conjoint permet à chaque
Partie de libeller ses propres questions (cq eue fait la formule - 14 -
bahréïnite). Toutefoisquand le Qatar insiste pour réserver le droit
d'opposer une exception d'irrecevabilité à toute demande que Bahreïn
pourrait formuler à l'égard de Zubarah, Bahrein se trouve aussitôt placé
dans une situation préjudiciableet d'inégalité;voilà qui met en relief
le caractère inapproprié dela méthode du Qatardes «deux requêtes» au
lieu de l'acte unique de saisineconjoint et convenu que prévoient les
termes de la formule bahreïnite.
24. Quatrièmement, le Qatar répète dansses plaidoiries ce qu'il
dit dans sa réplique, à savoir qu'il «ne devrait ... y avoir aucun
obstacle à ce que les instances soient jointes si Bahreïn décidait de
déposer sa propre requête, (réplique du Qatar, par. 4.115). A
l'évidence, cela revient à reconnaître à la fois qu'une jonction serait
nécessaire et qu'elle ne serait pas assurée. La jonction relèvede la
Cour en sa discrétion et aucune des deux Parties n'est fondée à supposer
qu'une jonction serait certaine afinde remédier à l'invaliditéd'une
requête défectueuse antérieure.
25. Compte tenu de ces observations,on voit pourquoi la lacune de
la requête du Qatar ne saurait être comblée parune requête ultérieurede
Bahreïn limitée à la question de Zubarah. Ce n'est pas une simple
formalité qui incite Bahreïn à s'opposer ainsi à la requête unilatérale
du Qatar.
26. Ce n'est pas davantage ici que s'achève la liste des raisons
pour lesquelles l'exception soulevée par le Bahreïn contre la requête
unilatérale du Qatarest réelle et fondée. La Cour n'ignore évidemment
pas que la pratique généraledes Etats en matière de différends
territoriaux et frontaliers consiste à les porter devant la Cour par voie
de compromis. Ainsi aucune des deux Partiesn'est-elle le demandeur, ni - 15 -
le défendeur. L'introduction d'instancesrelatives à des questions de ce
genre en vertu de clauses préexistantes de juridiction obligatoiro eu en
vertu de la clause facultativeest exceptionnelle. Il y a à cela une
borne raison. Les Etats qui ont des chances d'affronter des questions de
frontière hésitent à accepter les clauses de juridiction obligatoirequi
permettent d'introduireune instance relative à de telles questionspar
un acte unilatéral. Les affaires decette nature sont en général
considérées comme si délicates que les tribunaux internationau ne
peuvent en connaître que sur la base d'un consentement délibéré, clair et
dépourvu d'ambiguïté à la compétence. Un tel consentementn'a pas été
donné dans laprésente affaire.
27. Je voudrais maintenant aborder un problème tout différent : la
question de la nature et du rôle diplomatiquedu procès-verbal de 1990
(livred'audience no 8). Dans la suite des plaidoiries M. Lauterpacht
présentera à la Cour des considérationsplus détaillées au sujet de
l'interprétationet de l'effet de ce document.
28. Comme la Cour, d'ores et déjà, ne manque pas de le voir, la
nature et l'effet du procès-verbalde 1990 occupent une place centrale en
l'espèce. Sans le procès-verbalde 1990 il serait inconcevableque le
Qatar ait pu lancer la présente instance. Même avec le procès-verbal
de 1990 Bahreïn soutient que la requêteunilatérale du Qatar ne repose
sur aucun fondement.
29. Je vais examiner deux aspects duprocès-verbal de 1990. Le
premier est ce que Bahreïn s'est proposé et a compris lors des
discussions qui se sont déroulées à Doha en décembre 1990 et ont abouti à
la signature du procès-verbalde 1990. Les documents officielsindiquent
que le principal représentant de Bahreïn participant à ces entretiens - 16 -
était le ministre des affaires étrangèresde Bahrein, Son Excellence le
cheik Mohammed. Le récit, donné par le ministre des affaires étrangères,
du déroulement des discussions pertinenteslors de la réunion de Doha
figure dans sa déclaration jointe au contre-mémoirede Bahrein (livre
d'audience, no 12). M. Lauterpacht s'y référera plus en détail
ultérieurement. Ce sur quoi je voudrais insisterd'emblée, c'est
l'importance des modifications qui furent apportées aux projets
successifs du texte qui constitua, pour finir, le procès-verbal de 1990.
Comme M. Shankardass l'a souligné avec raison dans sa plaidoirie, il
331
n'existe pas d'indication plus déterminante d'une intention que, selon
ses termes, «le rejet catégoriquesd'une proposition.
30. Comme il résulte de la déclaration du ministre des affaires
étrangères, l'Arabie saoudite lui a remis, le 24 décembre 1990, un
premier projet du procès-verbal. Celui-ci se trouve dans le livre
d'audience no 5. Ce projet contenait unedéclaration aux termes de
laquelle, à l'issue des consultations,«les deux Parties se sont mises
d'accord sur la formulation de la question qui sera soumise à la Cour
internationale de Justicepar chacune d'elles».
Bien que le ministre ait
ajouté les mots <comme il est précisé dans le mémorandum bahréïnites
afin, comme il l'a dit, <<desouligner que la question faisait partied'un
document plus vaste (le compromis) et n'était pas un point séparé», il a
rejeté le projetsaoudien en totalité. Pour le ministre, le seul moyen
de saisir la Cour était un compromis, c'est-à-direune saisine conjointe.
La présence des mots «qui sera soumise à la Cour par chacune d'elles»
était incompatible avec cette notion fondamentale et rendait le projet
inacceptable en totalité. - 17 -
31. Le même jour, le 24 décembre, le ministre des affaires
étrangères d'Oman remit au ministre desaffaires étrangères de Bahreinle
document que nous appelons ale projet d'Ornans(livred'audience, no 6).
Ce projet contenait aussi les mots «chacuned'elles,, termes qui auraient
pu ouvrir la voie à l'introductiond'une instance par requête
unilatérale. Cette fois le ministre desaffaires étrangères de Bahreina
expressément remplacé les mots «chacune d'ellesw par les mots «les deux
parties» (al -tarafan) . Le but d'effectuer cette substitution des mots
eles deux parties,, c'est-à-dired'exclure l'introductiond'une instance
par l'une des parties à elle seule, ne pouvait échapper à nul intéressé.
32. Le Qatar affirme qu'il n'avait pas connaissancedu projet
saoudien original. Cela est très étrange, mais s'il en va de la sorte
cela ne change pas grand-chose, car l'important, c'est que le Qatar ne
nie pas avoireu connaissance duprojet d'Oman. Il semble donc
inconcevableque le Qatar ait pune pas remarquer, ou comprendre,la
portée de la substitutiondes mots «les deux parties» (al-tarafan) aux
mots «chacune d'elles». M. Lauterpachtva examiner l'allégationde
l'agent du Qatar (CR 94/11 selon laquelle cette substitutionde termes
était tout à fait acceptable pourle Qatar.
33. Ainsi que l'indique ma déclaration, lorsquej'ai vu la version
finale du projet omanais le 25 décembre, j'ai recommandé d'ajouter les
mots «et à la procédure quien résulte» après les mots «acceptéepar le
Qatar» à la fin de la deuxième phrase du paragraphe 2. En d'autres .
termes, j'ai proposé des mots qui, s'ils sont bien traduits en anglais,
pouvaient seulement signifier cles procédures resultant de l'application
de la formule bahreïnite». Ainsi que je l'ai dit dans ma déclaration, aces mots étaient destinés à se rapporter au procédures qu'il
faudrait suivre pour donner effet à la formule de Bahrein :
autrement dit, à l'expirationdu délai indiqué dans le
procès-verbal convenu,les Parties, avec l'Arabie saoudite - le
médiateur - devaient procéder à de nouvelles consultations en
vue de conclure un compromis sur la base duquel les deux
Parties pourraient porter devantla Cour les questionsqui
faisaient entre ellesl'objet d'un désaccord».
Cette propositiona été acceptée et incorporée dans le texte sans
objection, réserve ou observation de la part du Qatar. Il convient de
noter que M. Badawi et M. Holes, experts de Bahrein, ont considéré que la
traduction correcte en anglais dumot arabe pertinent au paragraphe 2 du
procès-verbal de 1990 était cprocedureswet non «proceedingswcomme le
voudrait le Qatar. Le rapportentre le mot «procedures»et la formule
bahreinite est encore plus clair en arabe qu'il ne l'est en anglais. La
3 i ? traduction des Nations Uniesa employé le mot xarrangementsr.qui est
plus proche dans ce contexte, de «procedures»que de «proceedings».
34. A un moment de sa plaidoirie du 1" mars (CR94/2,
sir Ian Sinclair a voulu attribuer «quelque importance»,a-t-il dit, à
mon apparition à Doha le 25 décembre 1990. Sir Ian Sinc1air.a laissé
entendre que :
«on (Bahreïri)ne convoque pas subitementson plus haut
responsable des affaires juridiques pour participer à la
rédaction d'un simple document diplomatique qui n'est censé
avoir aucun effet de droit».
La réponse à cet argument est si évidente que je suis surpris que
sir Ian Sinclair aitpris la peine de l'avancer.
Si vous ne voulez pas
prendre un engagement juridique, qui mieux qu'un juriste peut vous dire
comment l'éviter ? Et le juriste c'était moi. Il existait un risque que
soit donné une valeur juridiquea tout ce que pourrait signerle
cheikh Mohammed. Il était évidemment soucieuxde ne pas se trouver pris - 19 -
dans un piège juridique. N'y avait-il rien de plus naturel et de plus
prudent que de faire appel à un avis juridique ?
35. Monsieur le Président,Messieurs de la Cour, je passerai
maintenant à la deuxième questiondont je voudrais traiterdevant vous, à
savoir les règles constitutionnelles de 1'Etat de Bahreïn se rapportant à
la conclusionde traités et d'accords internationauxen tant qu'elles
pourraient avoir affecté 1 'intention duminisrre des affaires étrangères.
Bien qu'il s'agisse d'un sujet dont j'ai particulièrement à connaître en
ma qualité de ministre dlEtat chargé des affaires juridiques, je ne suis
pas ici pour vous donner un avis d'expert surle droit de Bahreïn, mais
pour vous parler, comme pourrait le faire n'importe quel autre avocat
représentantun Etat, des dispositionsdu droit internede cet Etat en
matière constitutionnelle.
36. Je souligne ce que je viens de direadans la mesure où ces
règles constitutionnellespourraient avoiraffecté l'intention du
ministre des affaires étrangères*.Mes observations sont à placer dans
le contexte suivant. Outre la preuve que constituel'idée que se faisait
de la situation le ministre des affairesécrangères de Bahreïn et
l'intentionqu'il avait.,sur le plan tant subjectif qu'objectif, en
souscrivantau procès-verbalde 1990, et que M. Lauterpacht vous
rappellera plus tard de manière pluscomplète, il existe un certain
nombre d'autres éléments qui viennent à l'appui des déclarationsfaites
par le cheikhMohammed et moi-même à propos du caractère politique et non
juridique du procès-verbalde 1990. L'un d'eux est l'observationfaite
par le cheikh Mohammed dans sadéclaration (livred'audience no 12,
par. 13) :
«Je n'oubliais pas non plus que mes pouvoirs en qualité de ministre des affaires étrangères étaient limitéset qu'il ne
m'était pas permis de signer un traité prenant effet à la
signature. La constitutionde Bahrein dispose très clairement
que les traités <relatifs aux territoires de ltEtatw ne peuvent
entrer en vigueurqu'après avoir été effectivement adoptés
comme des lois. Voilà pourquoile projet de compromis
bahreïnite du 15 mars 1988 stipulait que l'accord n'entrerait
en vigueur qu'à «l'échangedes instruments de ratification
conformément aux exigences constitutionnellesdes Partiess.~
37. Je désire soulignerun point pour commencer. Le ministre des
affaires étrangères de Bahreïnne se réfère pas ici aux termes de la
constitution de Bahreinafin d'invoquer les dispositions del'article 46
de la convention de Viennesur le droit des traités. Cet article, ainsi
qu'il a été rappelé à la Cour, présuppose à la fois le consentementde
1'Etat et l'intention des représentants dellEtat de lier ltEtat. Dans
la présente affaire, Bahrein soutientqu'il n'y avait ni consentement ni
intention d'être lié. Là est la différence.
38. Le ministre des affaires étrangèresa mentionné la constitution
de Bahreïn parce qu'il avait à l'esprit les dispositions pertinentesde
cette constitution. Il savait qu'il n'avait pas autorité pour engager
Bahreïn de la manière prétendue par le Qatar. Cette connaissanceavait
pour effet d'exclure de sa part toute intention d'engager Bahreïn. Si
7 5 lui n'avait pas une telleintention, 06 peut-on situer l'intentionde
Bahreïn ? La personne désincarnéequ'est 1'Etat ne peut pas être
entièrement dissociéed'une personne réelle et apte à le représenter.
39. Le Qatar devait également êtreau courant des restrictions
imposées à la capacité du ministre de lier Bahrein avec effet immédiat.
Le Qatar ne pouvait pas ignorer la constitution de son voisin. Plus
important encore, pourtant, il avait vu le projet de compromisbahreïnite
du 19 mars 1988 (livre d'audienceno 3), à l'article VI11 duquel Bahrein - 21 -
avait expressément prévuque le compromis
«entrera en vigueur à la date de l'échange des instruments de
ratification conformémentaux dispositions constitutionnelles
respectives des Parties,.
La disposition comparable figurant à l'article V du projet de compromis
du Qatar du 15 mars 1988 stipulait que *le present compromis entreraen
vigueur le jourde sa signature,. Si le Qatar avait comparé lesdeux
projets, comme il l'a certainement fait, il aurait indiscutablement
remarqué la différence d'approche et aurait été alerté sur les exigences
constitutionnellesde Bahrein se rapportant à ce type d'engagement
40. Ce point, concernant la relation entre une disposition
constitutionnelleet l'intentiondu négociateurest à vrai dire
pratiquement identique à celui qu'avait avancé El Salvador dans l'affaire
du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime, en faisant
valoir que le droit constitutionnelde son pays était important car il
excluait lavraisemblanced'une intention de la part de son ministre des
affaires étrangèresd'accepter de signer un compromis prévoyant la
délimitation des eaux du golfe de Fonseca. Sir Ian Sinclair a soutenu le
le'mars (CR 94/2, p. 48) que la Chambre dans cetteaffaire n'avait pas
voulu s'appuyer sur la déclaration du ministre desaffaires étrangères
concernant son intention. Mais, ainsi que l'a dit sir Ian Sinclair, la
,-,'-f
1--/'O Chambre a conclu que le Honduras n'avait pas apporté la preuve que, dans
l'esprit des Parties, un sens particulierdevait être attribué à la
phrase «déterminer la situation juridique des ... espaces maritimes». Il
est de fait que la déclaration du ministre des affaires étrangères
d'El Salvador se rapportait à ce qu'avait été son intention en employant
cette expression - une intentionqui correspondait à son désir de ne pasvioler la constitution de son pays. La Chambre n'avait pas à préciser
toutes les considérationsqui avaient étépertinentes pour l'amener à
conclure que le Honduras n'avait pas apporté la preuve de ce qu'il
avançait. Si la Chambre avait voulu établir quela preuve de l'intention
du ministre était dénuée d'importance,elle l'aurait dit. Mais elle ne
l'a pas fait.
41. Cela dit, je désire soulignerqu'il existe une distinction
manifeste entre lefait d'invoquer une restriction constitutionnelle
comme un facteur de nature à exclure une intention de la partd'un
ministre des affaires étrangères de conclure un certain traité
particulier, d'une part, et la question des pleins pouvoirs duministre,
d'autre part. Bahreïn ne prétend pas que son ministre des affaires
étrangères n'avait pas pleins pouvoirspour conclureun traité. Bahreïn
dit que ce point est ici dénué de pertinence, car la seule question qui
se pose est de savoir si le ministre avait une quelconque intention de
conclure un traité. Mais puisque sir Ian Sinclair a jugé bon de citer
M. Blix, il m'appartient de rappeler ce que cet éminentspécialiste avait
à dire au sujet des pleins pouvoirs d'un ministre desaffaires
étrangères :
«La règle semble s'être dégagée dans la pratique,
cependant, et avoir reçu l'appui de certains pays,
qu'actuellement,de par sa position même qui l'exempte d'avoir
à produire des pleins pouvoirs, un ministre des affaires
étrangères est compétenten droit international - à moins d'une
preuve dans I'espèce particulière que manifestement il n 'est
pas compétent, ou que la chose est connue de 1 'autrePartie -
pour lier son Etat par un accord relevantdu domaine de
compétence de l'exécutif en matière de traités ...»
(Treaty-MakingPower, p. 40.) 11 est à peine utile que je répète que dans la présenteaffaire, la
- --1
limitation imposéeau pouvoir du ministre des affaires étrangèresétait
connue du Qatar.
42. Je dois également évoquer maintenant un aspect de l'élaboration
du procès-verbal de 1990 qui est pertinent pour mon propos. Dans sa
réplique (par. 4.57), le Qatar a affirmé que :
«Lors de la rédaction de l'accord de Doha par les deux
Etats à l'initiativede l'Arabie saoudite avec l'assistance
d'Oman, le Qatar n'a eu vent d'aucune réserve que Bahreïn
aurait pu avoir concernantle caractère contraignantde
1 instrument. »
Cette pnrase donneune impressionerronée des circonstancesqui ont
entouré l'élaborationdu procès-verbal.
43. Il est inexact de parler «de la rédaction de l'accord de Doha
par les de- Etats (Qataret Bahreïn),. Ce qui s'est passé à ~oha ne
peut pas être assimilé à une opérationde rédaction d'un traité. Je
laisse de côté le fait que le Qatar est le seul à appeler le document en
question un «accord». La question est que les termes employéspar le
Qatar suggèrentun processus de «rédaction»comportant des discussions
étendues qui auraientété menées face à face entre lesdeux côtés. En
réalité, il n'y a jamais eu aucun face à face direct, aucune discussion
entre les deux côtés sice n'est à la première réunion publique du sommet
du conseil de coopération duGolfe. Par la suite, les deux ministres des
affaires étrangèresne se rencontrèrent que poursigner le procès-verbal.
Toute la discussion a été menée séparément parchaque partie avecles
représentants saoudienet omanais qui servaient d'intermédiaire. Bien
que le Qatar ne puisse pas apporter la preuve d'une proposition négative,
il est néanmoins probableque son allégation selon laquelle«il n'a eu
vent d'aucune réserve que Bahreïn aurait pu avoir concernant le caractère - 24 -
contraignant de l'instrument* est dénuéede fondement. Mais ce qui est
véritablement important iciest que ce n'était pas à Bahrein d'indiquer
la nature d'un document qui pour lui n'était rien de plus qu'un élément
d'une série de documents de forme comparable qui jamaisprécédemment
n'avaient reçu de dénomination précise,ni n'avaient été considéréscomme
étant individuellement la source d'obligationsde nature juridique.
C'était le Qatar qui cherchait à modifier toute la physionomiede la
relation de négociation qui avait jusque-là existé entre les deuxcôtés.
Il appartenait doncau Qatar de faire en sorte que le document soit
rédigé dans des termes quidémontraient demanière claire et dénuée
d'équivoque sa nature juridiquement obligatoire,et de manière tout aussi
manifeste exprimaientson but essentiel, à savoir de permettre que
chacune des Parties puisse agirseule.
44. La Cour pourrait trouver étrange qu'un tel document, auquel le
Qatar voudrait maintenant qu'elle reconnaisseune portée aussi vaste,ait
été <négocié» sans que le Qatar en ait eu préalablement connaissance et
sans qu'il y ait eu de contact direct entreles Parties - et je mets le
participe passé ...aégocié entre guillemets de façoc à ne pas conférer au
résultat des discussions uneimportancequ'ils n'ont pas.
45. Je ne puis conclure sansdire quelquesmots au sujet de
l'insistance avec laquellele Qatar demande quelseussent été le but et
l'objet du procès-verbalde 1990 s'il n'était pas censé opérerun
changement d'approche dans lemode de saisine de la Cour - un passage de
l'action conjointe à l'action unilatérale.
46. Bahreïn a déjà répondu à cette question au paragraphe 6.70 de
son contre-mémoireet aux paragraphes 5.42 à 5.48 de sa duplique. Notre
réponse aujourd'hui demeure une simple réponse de bon sens. Le -25 -
procès-verbal a constitué une réaction minimale à une initiative
qatarienne malencontreuseet malavisée. A un moment où le reste de la
communauté du Golfe était vivement préoccupée par la situation bien plus
pressante et urgente de l'invasionet de l'occupationdu Koweït par
1'Iraq - événement qui menaçait directement 1'intégrité et la stabilité
9 2 .
de l'ensemble de la région - 1'Etat du Qatar a fait obstacle à l'examen
de ces problèmesvitaux en soulevant laquestion de ses relations avec
Bahreïn. Mais hormis l'Arabie saoudite et Bahrein, aucun Etat du Golfe
ne connaissait vraiment le problème.
47. Ce faisant, le Qatar cherchait à pousser Bahrein à accepter une
formule qui aurait permisau Qatar de saisir unilatéralementla Cour,
dans les termes deson choix - nonobstant l'absence d'accord entre les
deux Parties sur la possibilité de soumettre la question de Zubarah à la
Cour, sur l'interdictiond'invoquer devant elle des éléments de preuve
relatifs aux propositions de règlement et sur le respect des règles
constitutionnelles bahreïnites. En fait, le Qatar voulait que Bahreïn
s'en remît entièrement à lui.
48. Bahreïn ne pouvait aucunementaccepter cette manière de
procéder. Il a tenu bon, et exigé une modification du texte destinée à le
prémunir contre touteaction unilatérale. Bienentendu, Bahreïn aurait
pu refuser de signer aucun document. Mais un refus aussi catégorique
aurait soulevé des difficultésd'ordre diplomatique dansla mesure oùles
autres Etats du Golfe auraient pu ne pas le comprendre. -Enoutre, le
projet contenaitdeux élémentsque Bahreïn seréjouissait de voir : d'une
part, l'acceptationpar le Qatar de la formule bahreïnite et, d'autre
part, la prorogation du mandat donné au médiateur afin qu'il pût
poursuivre ses efforts en vue d'un règlement du différend sur le fond. 49. Vu la nature des relations personnelles dans la région, Bahrein
était disposé à faire un geste. Dès l'instant où ce geste n'aurait pas
pour lui la conséquenced'être traduit unilatéralement devantla Cour par
le Qatar, dans des conditionsqu'il ne pourrait accepter, Bahreïn était
disposé à participer à un système de sauvegarde desapparences, qui
530
allait permettre au médiateur de reprendreses efforts en vue d'un
règlement sur le fond. Il était convenu que les deux Parties pourraient
porter ensemble leur différend devant laCour, avec la bénédiction du
médiateur.
50. Tels étaient, en définitive, l'objetet le but du procès-verbal
de 1990. On ne pouvait pas, en décembre 1990, prévoir que les événements
prendraient une tournure différente. Et c'est en se référant à l'entente
qui existait alors entre les Parties que la Cour doit aujourd'hui
examiner la question. Elle doit toutefoiséviter de faire supporter à
Bahreïn les conséquences d'un accord qu'il n'a jamais entendu conclure,
ni n'a jamais conclu. Bahreïnn'a jamais entrepris quoi que ce fût pour
modifier l'objectifpréexistant des Parties, à savoir la négociation d'un
compromis en vue d'agir conjointement.
51. Bahrein est parfaitement disposé à comparaîtredevant la Cour,
mais non en tant qu'otage du Qatar. Un accord est un accord. Nous
sommes convenusdès 1987 de venir devant la Coursur la base d'un
compromis dans le cadre d'une action conjointe. Il y avait à cela de
bonnes raisons de fond, qui demeurent valables. Et nous nous-permettons,
avec tout le respectdû à la Cour, de persister dsns notre position à cet
égard. - 27 -
52. Ceci m'amène à la fin de mes observations liminaires. Je vous
serais reconnaissant,Monsieur le Président, de bien vouloir appelerles
conseils de Bahreïn dans l'ordre suivant :
M. Bowett prendra la paroleen premier et traitera de l'accord
de 1987 et des réunions de la commission tripartite. M. Lauterpacht
analysera la nature, le contenu et les effets du procès-verbal de 1990;
puis M. Bowett reviendra à la barre pour traiterde la relation entre
l'accord de 1987 et le procès-verbalde 1990. Il sera suivi de
M. Jiménez de Aréchaga, qui démontrera l'incompatibilité entre les
questions telles que formuléespar le Qatar et les termes de la formule
bahreïnite prétendumentacceptée par le Qatar. M. Weil examinera ensuite
la portée du consentement donnépar Bahreïn à la compétence de la Cour et
montrera que cette portée n'estpas telle qu'elle permet au Qatar de
déposer une requête unilatérale. Enfin, M. Highet expliquera en quoi
Bahreïn est défavorisé du fait qu'il se trouve en position de défendeur,
au lieu de comparaître surun pied d'égalité dans le cadre d'une action
conjointe.
Monsieur le Président,Messieurs de la Cour, je vous remerciede la
patience que vous m'aveztémoignée. Je vous seraisreconnaissant,
Monsieur le Président, de bien voulolr maintenant appelerM. Bowett à la
barre.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Excellence. Il est environ
11 h 15, c'est un peu tôt pour notre pause-café habituelle. Je voudrais
demander à M. Bowett s'il préfère commencer après la pause ou prendre la
parole maintenant,pour environ une vingtaine deminutes.
M. BOWETT: Je préférerais commencer après la pause. - 28 -
Le PRESIDENT : Très bien. L'audience est suspendue pour quinze
minutes. Merci.
L'audience estsuspendue de 11 h 15 à 11 h 30.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Je donne la parole à
332
M. Derek Bowett.
M. BOWETT : Je vous remercie, Monsieurle Président. Monsieur le
Président, Messieurs de la Cour, ma tâche ce matin est double. Je
commencerai par expliquer commentl'accord de 1987 a été réalisé et ce
qu'il impliquait pour les deux Partiesau différend. Puis je passerai à
un examen des travaux de la commission tripartite.
Comme vous vous en rendez d'ores et déjà compte, il y a eu
deux phases successives dans l'évolutiondu différend : au cours de la
première phase, on nourissait de très grands espoirs de trouver une
solution satisfaisante,grâce à la médiation de l'Arabie saoudite; au
cours de la deuxième phase, ces espoirs, encore qu'ils n'aient pas été
abandomés, ont été tempérés par l'échec, et l'on s'est bien davantage
attaché à se mettre d'accord, si possible, sur une méthode de recours à
la Cour, en tant que moyen d'obtenir un règlement obligatoire.
1. LES PRINCIPES POUR UN CADRE DE REGLEMENT DE 1987
L'accord de 1987 a son origine, plusieurs annéesauparavant; dans
les principes proposés parl'Arabie saoudite pour sa médiation en 1978 et
finalement acceptés parles deux Parties en 1983.
Ces principes de médiation (contre-mémoirede Bahrein, vol. II,
annexe 1.1, p. 1) assignaient certaines obligations de retenue aux deux - 29 -
Parties - s'abstenir de toute activité de propagande dirigée contre
l'autre Partie, s'abstenirde tout acte quientraverait le cours des
négociations,etc. - et prévoyaient laconstitution d'une commission qui
devait tenter de parvenir à une solution négociée. Maisil était
deux principes qui se rapportaient directement à la possibilité d'un
règlement par un tiers, et sur lesquels je voudrais .appelerl'attention
de la Cour. Le premier principe consacrait l'engagementde régler toutes
les questions en litige dans le cadre d'un règlement d'ensemble.
Et le cinquième principe, tel que modifiéet accepté par les
Parties, en 1983, prévoyait qu'en cas d'échec des négociations
entreprises en vue d'une solution politique, des négociations seraient
engagées pour déterminer lemeilleur moyende règlement sur la base du
droit international.
Ce sont plus particulièrement ces deux principes qui présentent de
l'intérêt. Le premier illustrece qu'on entendait par règlement ou
solution d'ensemble. Un tel règlement devaits'étendre à «toutes les
questions en litige» afin qu'elles puissent êtreréglées «ensemble». La
formule descriptive - «au sujet de la souverainetésur les îles, des
frontièresmaritimes et des eaux territoriales» - contenue dans le
premier principede la proposition saoudiennen'était pas, dans l'esprit
de l'Arabie saoudite, censée constituerune définition définitiveet
exclusive du différend. A ce stade, les Saoudiens n'avaient pas une
connaissance suffisantedu différend pourtenter d'en donner une
définition précise de façon à lier et limiter les Parties, et telle
n'était pas non plus leur intention. 11 appartiendraitaux Parties de se
mettre d'accord sur une définition précise. Lebut principal était de
régler toutes les questions en litige. Il s'ensuit que toute conception - 30 -
selon laquelle une partie pourrait, par la voie d'une action ou d'une
requête unilatérale, limiter les questionsen litige, n'a jamais été
envisagée. Une telle conception eûtété radicalement contraireau but
premier qui était de rechercherun règlement d'ensemble.
D'autre part, à ce premier stade, il existait quelque espoir de
parvenir à un règlement politique. Le recours à un règlement judiciaire,
envisagé dans le cinquième principe, constituait une faculté qui ne
devait être prise en considération que si la négociation politique
échouait. Et, de toute évidence, la forme de règlement judiciaire
n'avait pas été arrêtée. Il n'était pas fait expressément mention de la
Cour internationalede Justice - en fait, les premières conversations
avaient porté sur l'arbitrage. La possibilitéd'un arbitrage a été
évoquée en 1986, après l'incident de Dibal (contre-mémoirede Bahreïn,
vol. 1, p. 25). Et, bien entendu, avec l'arbitrage,toute possibilité de
requête unilatéraleétait exclue. Un compromis, un accord d'arbitrage,
s imposait.
Tel est le contexte dans lequel il faut situer 1 'accord'de 1987.
Nous savons que les négociations politiquesont échoué et en 1987, le
moment était doncvenu de mettre à exécution l'idée d'un règlement
judiciaire, exprimée dans le cinquième principe de médiation.
2. L'ACCORD DE 1987
L'accord de 1987 procédait également d'une proposition saoudienne.
4
cette propositionétait formulée dans deux lettres identiques datées du
19 décembre 1987 et adressées aux émirs du Qatar et de Bahreïn par le roi
Fahd d'Arabie saoudite (contre-mémoirede Bahreïn, vol. II, p. 3). - 31 -
Ayant pris acte du manquement à parvenir à une solution concertée,
et se référant à l'accord antérieur de recourir, dans cette éventualité,
à un règlement judiciaire - était évidemmentvisé le cinquième principe
de médiation - le roi a proposé de renvoyer le différend devant la Cour.
La proposition était conçueen des termes assezgénéraux :
«1. Les questions qui font l'objet du différend seront
soumises à la Cour internationalede Justice, à La Haye, pour
que celle-ci rende un arrêt définitif et obligatoire,dont les
dispositionsdevront être appliquées par les deux Parties.,
La manière dont le Qatar a compris cette proposition ressort très
clairement de la traduction qatarienne. «1. Toutes les questionsqui
font l'objet du différend seront soumises à la Cour internationalede
Justice, à La Haye. ..» (Contre-mémoirede Bahreïn, vol. II, p. 8.)
L'adjectif «toutes» est important. Il correspond à ce que j'ai
indiqué comme étant l'intentionclaire des premiers principesde
médiation : le règlement devait êtreun règlement d'ensemble,portant sur
toutes les questicns en litige.
La Cour constateraque le roi d'Arabie saoudite n'a aucunement tenté
de définir en quoi consistaient ces questions. Encore que, qu'il me soit
permis de donner cetteprécision, il savait parfaitement à ce stade que
pour Bahreïn la question de Zubarah faisaitpartle des questionsen
litige. Je donne cette précision car en octobre 1986, accédant à une
demande saoudienne,Bahreïn avait présentéau roi d'Arabie saoudite un
mémorandum où Zubarah était clairement identifiée comme faisant partie
des questions en litige (contre-mémoirede Bahreïn, vol. 1, p. 13). Si
Bahreïn n'a pas versé ce mémorandumau dossier, en l'espèce, c'est parce
qu'il aborde le fond des revendicationsde Bahreïn et n'aurait donc - 32 -
aucunement sa place dans une audience limitéeaux questions de compétence
et de recevabilité.
Il ne fait guère de doute que le roi Fahd ne voyaitaucune raison
d'identifier toutes les questionsen litige. Il appartiendrait aux
Parties de le fairelorsqu'ellesconviendraientdu renvoi à la Cour
internationalede Justice.
Certes, les modalités de ce renvoi à la Cour n'ont pas été fixées
par le roi dans sa proposition. C'était là une tâche qui était assignée
à la commission dontla constitution était envisagée au paragraphe 3 de
la proposition. Cette tâche consistait à <accomplir les formalités
requises pour que le différend soit soumis à la Cour conformément à son
Règlement et à ce qu'elle prescrira ...> (traduction de l'organisationdes
Nations Unies; contre-mémoirede Bahrein, vol. II, p. 13).
Je vais brièvementrappeler à la Cour les procès-verbauxde la
commission tripartite,pour montrer comment celle-ci percevait sa tâche.
La remarque essentielle, d'emblée, est que l'accord de 1987 n'était pas
considéré commeun engagement obligatoire, inconditionnel, de saisirla
Cour. C'était un accord de principe : les parties étaient convenues,en
principe, de soumettre leur différend à la Cour.
Mais cet accord étaitconditionnel,car comme le reconnaissait le
paragraphe 3, il fallait remplir lesconditions pour saisirla Cour.
Telle était précisément la tâche confiée à la commission. Si
l'obligationde soumettre l'affaire avait-été inconditionnelle,la
commission aurait étéinutile. Et effectivement,nous le verrons, il
restait beaucoup à faire :d'abord et avant tout, les parties devaient se
concerter pour définir les questions en litige. Malheureusement, la
requête qatarienne à la Cour indiquequ'à ce jour, elles n'ont pas réussi - 33 -
à s'entendre sur ce point, si bien que la condition la plus fondamentale
de toutes n'est pas remplie.
Avant la première réunionde la commissiontripartite, les
deux Parties ont élaboré des documentsqui révèlent comment elles
comprenaient l'accordde 1987.
En décembre 1987, Bahrefn a presenté au conseil de coopération du
Golfe, qui se réunissait à Riyad, un projet d'accord «de procédure»
(mémoiredu Qatar, vol. III, p. 113, annexe 11.17). Il s'efforçaitd'y
exposer ses idées sur la compositionde la commission tripartiteet les
modalités de sa mission. Le passage crucial se trouveau paragraphe 1.
Dans la traduction qatariennedu document, la commission était
cchargée de se mettre en rapport avec la Cour internationalede
Justice et d'accomplir toutes les formalités requises pour que
le différend soit soumis à la Cour ..s
L'expression est peut-être vague, mais elle établit qu'il restait
des formalités à accomplir : l'accord de 1987 n'était pas applicable tel
quel comme base decompétence,et le Qatar le reconnaît.
Le deuxième document,lui aussi présenté à la réunion au sommet du
CCG, était un proaet du Qatar : non pas un projet de compromis, comme
celui de Bahreïn, mais de lettre datée du 27 décembre 1987, que le Qatar
proposait de faire adresser par les deux ministresdes affaires
937
étrangères, du Qatar et de Bahreïn, au Greffier de la Cour (mémoiredu
Qatar, vol. III, p. 119, annexe 11.18). Pour la commodité de la Cour,
les paragraphespertinents de cettelettre sont reproduitsau début de
l'annexe 1 de votre livre d'audience. Ce texte était beaucoup plus
explicite : les deux paragraphes du dispositif énonçaientl'accord des
parties : al. de soumettre lesdits différends à la Cour
internationalede Justice (ou à une chambre de celle-ci
composée de cinq juges) pourqu'ils soient réglés conformément
au droit international.
2. d'entamer des négociationsentre eux afin de rédiger le
compromis nécessaire à cet égard et de vous en remettre une
copie certifiée conforme lorsqu'il sera conclu.»
On ne saurait guère être plus clair. Le Qatar voyait certainement
l'accord de 1987 comme un simple accord deprincipe, un engagement de
négocier de bonne foi afin de conclure un compromis. Il restait donc
encore deux mesures à prendre. Premièrement, décider sil'on
s'adresserait à la Cour en formation plénièreou à une chambre; et
deuxièmement, négocierun compromis
Il est important que le Qatar ait reconnula nécessité d'un
compromis. En effet, si l'obligationde négocier un compromis découlait
de l'accord de 1987, et que les Parties étaient convenues que ce serait
le moyen de le mettre en oeuvre, et si cet accord de 1987 est toujours en
vigueur - comme elles l'affirment toutes deux - il s'ensuit
nécessairement qu'en l'absence d'un accord nouveau sur une modalité
différente, les parties sont juridiquementtenues de soumettre leur
litige à la Cour par la voie d'un compromis, et par aucun autre moyen !
Et par conséquent toute tentative de l'une des parties pour en saisir la
Cour par une requête unilatéraleest une violation de l'accord de 1987
Passons maintenant aux négociationsde la commission tripartitepour
338
voir comment, dans cette organisme, les Parties concevaient leurtâche.
III. LES REUNIONS DE LA COMMISSION TRIPARTITE
Monsieur le Président, j'en viens aux travaux de la commission
tripartite. Elle a tenu six réunions, entre janvier et décembre 1988. - 35 -
Comme la Cour l'a entendu, son mandat étaitdéfini dans l'accord de 1987
et consistait à
«s'adresser à la Cour internationale de Justiceet
[d']accomplirles formalités requises pour saisircelle-ci du
différend conformémentau Règlement de la Couret à ce qu'elle
prescrira ...» (d'aprèsla traduction établiepar les Nations
Unies) .
A mon sens, il est indispensable devoir exactement comment les deux
Parties comprenaient cette mission. C'est pourquoi j'inviterai la Cour à
examiner soigneusementle procès-verbalde chaque séance. Dans votre
livre d'audience, en annexe 1, j'ai reproduit,pour plus de commodité,
les extraits les plus cruciaux des déclarations du Qatar figurant dans
ces procès-verbaux. Ce qu'ils montrent, sans le moindre doute, c'est une
intention commune de s'adresser à la Cour par voiede compromis. Une
requête unilatérale n'a jamais été envisagée, à aucun moment, même par le
Qatar.
La première réunion de la commission tripartite, le 17 janvier 1988
Lorsque lapremière réunion a commencé, les Parties avaient déjà
échangé desprojets de textesindiquant ce qu'à leur avis la commission
avait à faire. Il s'agit de l'accord «de procédure> de Bahreïn et du
projet de lettre du Qatar qui avaient étéprésentés au CCG et que jtai
mentionnés tout à l'heure. Nous l'avons vu, aussi bien le projet de
texte bahreïnite, amendé, que le projetde lettre du Qatar envisageaient
la négociation d'un compromis.
Il n'est donc pas ëtonnantqu'à la première réunionde la commission
tripartite il n'y ait pas eu de désaccord sur ce point. La seule
divergence a porté sur le point de savoir si, en plus d'un compromis, il
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y avait lieu d'envoyer une lettre pour entrer en rapport avec la Cour.Bahrein estimait quece n'était pas nécessaire et même peu judicieux : en
effet, le projet qatarien de lettre à cette fin cherchait à préciser les
objets du différend avant qu'ils n'aient été définis d'un commun accord
et insérés dans le compromis. Bahrein considérait qu'il suffirait de
notifier le compromis à la Cour le momentvenu. Le Qatar croyait qu'il
fallait envoyerune première lettre ed'introduction*,qui serait suivie
plus tard par le compromis.
Il n'y a jamais eu de doute à ce sujet. Je voudrais citer le
représentant qatarien, feu M. Hassan Kamel - les citations sont
reproduites dans votre livred'audience
<un accord doit être conclu pour soumettre l'affaire à la
Cour ...» (p. 6).
eLTengagement à présenter l'affaire à la Cour est un
engagement moral plutôt que juridique. 11 y aura un engagement
juridique lorsquej'introduiraiune instance devantla Cour
pour la saisir du différend.> (P. 22.)
Vous constatez que le Qatar reconnaît clairement que l'accord
de 1987, dans la mesure où il concerne la soumlsslon du dlfférend à la
Cour, n'était qu'un engagement «moral». Il failai: quelque chose de plus
pour le traduireen un engagement juridique ayant force obligatoire.
M. Hassan Kamel avait absolument raison sur ce polnt
Mais il se trompait au sujetde ce qu'il considérait comme la
nécessité d'<enregistrer>ou de «notifier» le dlfférend à la Cour.
Quelle que soit son erreur, le procès-verbaladopté et signé, établi par
le médiateur, ne laissait aucun doute sur ce que les Parties avaient à
faire.
a11 a été décidé qu'[el ... chaque partie présentera ... le
projet de compromisqu'elle propose pour soumettre le différend
à la Cour internationalede Justice ...* (Contre-mémoirede
Bahrein, vol. II, p. 39.) - 37 -
Le Qatar présentaun projet de compromis
C'est ce qu'elles firent.
détaillé le 15 mars 1988 : le texte complet figure dans les écritures
(contre-mémoirede Bahreïn, vol. II, p. 43) et dans votre livre
d'audience. Le projet de Bahreïnvint quatre jours plus tard, le 19 mars
(ibid.,p. 47).
Ainsi, lors de la réunion suivantedes Parties, ce malentendu
préliminaire avait-il été dissipé. L'idée d'une lettre de «prise de
contact, fut abandonnée et les Parties, dans leurs travaux, partaient du
principe de la nécessité d'un compromis.
La deuxième réunion de la codssion tripartite, tenue le 3 avril 1988
Quand les Parties se réunirent le 3 avril elles abordèrent
directement les deux projets de compromis.Permettez-moide citer une
fois encoreM. Hassan Kamel, représentantdu Qatar :
«Je pense moi aussi que lebut de cette très importante
réunion dcit Gtre d'examiner les moyens de nous mettre d'accord
sur une formule pour soumettre nos différends à la Cour.»
(Ibid.,p. 57.)
Le Qatar ne mettait pasen doute que la voie à suivre à cet effet ne
dût être un compromis. Les observations écrites présentées parle Qatar
le 27 mars 1988 au sujet du projet de compromis de Bahreïn déclaraient
ceci :
«Premièrement,au sujet de l'article II :
1) ce qui a été convenu entre nos trois Etats, c'était
d'élaborer un compromis communpour soumettre les questions
qui font l'oblet d'un différend entrenous à la CIJ ...»
(Dupliquede Bahreïn, p. 87.)
Le problème tenait plutôt à l'inaptitudedes Parties à décider d'un
commun accord comment, dans le compromis, elles devaientdéfinir lesdites
questions faisant l'objet d'un différend. - 38 -
Comme l'indiquent lesactes, les objections du Qatar portaient avant
tout sur l'article 2, qui définissait l'objet du différend, et
l'article 5, destiné à exclure la preuve de propositions de compromis
présentées lors de tentatives faites auparavantpour aboutir à un
règlement. Quant à l'article 2, c'est contre Zubarah que le Qatar
élevait des objections : le Qatar ne voulait pas que la question de
Zubarah soit considérée comme faisant partiedes questions en litige. De
même, Bahrein ne voulait pas que la question desîles de Hawar soit
considérée comme en faisant partiecar Bahrein estimait que sa
souveraineté sur ces îles était incontestable.
Il n'y eut, à ce stade, aucun accord car les projets des deux
Parties tendaient, chacun,vers des fins personnelles. C'est ainsi qu'il
fut décidé de tenir une autreréunion, et les questions dont elle devait
être saisie ont été résumées par le médiateur,le prince Saud, comme
suit :
<La question à poser à chacun des pays est la suivante : la
totalité des points évoquéspar les deux pays peut-elle être
incluse dans un document commun à présenter à la Cour ?»
(P. 87.)
L'accent mis sur la nécessité d'un document commun est clair.
Aucune des deux Parties ne contestait cette nécessité, en fait c'était là
le but. Le besoin d'un compromis était reconnu. La question était de
savoir quels devaient en être les termes.
La troisième réunion de la conuniasion tripartite (17 avril 1988)
La commission a tenu une troisièmeréunion, eew semaines plus tard,
le 17 avril.
Le Qatar continuaitd'élever des objectionset contre l'article 2 et
contre l'article 5 du projet bahréinite,et aucun progrès véritable n'a - 39 -
été réalisé. Mais ilest absolument clairque les deux Parties
estimaient qu'elles avaient pour tâche de tenter de parvenir à un
compromis.
Et je cite à nouveau M. Hassan Kamel :
«Nous nous réunissons ... afin de poursuivre notre tâche.
Il s'agit de nous mettre d'accord sur la forme du compromis qui
les
permettra de soumettre à la Cour internationalede Justice
points de fond de notre différend ...* (p. 113)
«il avait été convenu entre nous de soumettrenotre différend à la
Cour internationale de Justicepar la voie d'un compromis* (p. 114)
«ce compromis doit être acceptablepour les deux Parties* (p. 115)
encus devons convenird'une formule raisonnable acceptablepour
les deux parties» (p. 116).
«Nous sommes venus ici pour formuler un compromis ...a
(P. 132.)
Pendant toute laréunion, pas un seul mot n'a indiqué que l'une ou
l'autre Partie avait le droitde procéder par voie de requête
unilatérale
La quatrième réunion de la commission tripartite,
28 juin 1988
La quatrième réunion était saisiede deux propositionsnouvelles.
L'une était une version révisée par Bahreïn de l'article II de
l'avant-projetantérieur de compromis, de mars 1988 (contre-mémoirede
Bahreïn, Vol. II, p. 83). L'autre était le texte que le Qatar proposait
pour le même article II (documents relatifs aux réunionsde la commission
tripartite présentés par le Qatar, p. 189). Ainsi, les deux Parties
avaient encore une fois une seule préoccupation : convenir d'un texte de
compromis. - 40'-
Aucun doute ne régnait à ce sujet. Selon les termes du prince Saud,
le médiateur, "le but principal de la présente commissionest de préparer
un projet de compromis"(p. 171). Malheureusement,le procès-verbal en
témoigne clairement, aucun progrès ne fut réalisé.
Néanmoins, avant la réunion suivante, Bahrein fit une nouvelle
tentative, en présentant un nouveau libelléd'article II, en octobre 1988
(contre-mémoirede Bahreïn, Vol. II, p. 91). Il s'agissait d'une formule
générale brève, neutre, visant à permettre à chacune des parties de
formuler ses propres demandes à sa manière. C'est ce texte que l'on
appela "la formule bahréïnitel'.Mais je le souligne, parce que c'est
important, ce texte était destiné à être l'article II d'un compromis.
La cinquième réunion de la commission tripartite,
15 novembre 1988
Le Qatar s'est félicité du nouveau libelléde l'article II, proposé
par Bahreïn, et en réponse, M. Hassan Kamel a donné lecture d'une
déclaration écrite duQatar. Je le cite
«Le Gouvernement du Qatar se félicite de pouvoiren
débattre comme d'une base possible de négociationpour parvenir
à un texte mutuellementacceptable de l'article II du projet de
compromis. » (P. 199.)
Voilà qui est important ! La Cour remarqueraque la formule
bahreïnite devaitêtre discutée, non comme un projet isolé, et non comme
la base pour une requête unilatérale,mais comme un élément de projet de
compromis.
Dans la suite de la même réunion, M. Hassan Kamel allait répéter
qu'un compromis était nécessaire pourservir de base à toute saisine de
la Cour.
«notre commission tripartite a pour mission de rédiger un texte
acceptable de part et d'autre constituant le compromisen vertu duquel nous saisirons la CIJ des questions qui font l'objet
d'un différend.. .» (p. 204).
«le compromis par lequel nous saisirons laCour de notre
différend [doitprésenter] de manière claireet complète les
objets du différend.. .» (p. 204) .
Cependant, bien que le Qatar ait été entièrementd'accord pour que
la formule bahreinite trouve sa place à l'intérieurd'un compromis, il a
soulevé plusieurs questionsau sujet de cette formule (p. 199-200,
204-206). On a été d'avis que, s'agissantde questionsde nature
juridique, la réunion suivanteserait précédée d'une réunion des
conseillers juridiquesdes deux Parties
La sixième réunion de la commission tripartite,
6 décembre 1988
La sixième réunioneut lieu le 6 décembre et comprit effectivement
deux parties. Il y eut d'abord une réunion des experts juridiques, qui
fut suivie d'une réunion des représentantspolitiques. A la réuniondes
experts juridiques, 1s Qatar et Bahreïn étaient représentés par
M. Hassan Kamel et M. Husain Al Baharna, respectivement. M. Hassan Kamel
n'avait aucun doute quant aubut recherché.
«Nous espérons qu'une formule commune pourra être trouvée
pour l'article II du compromis que nous soumettronsa la Cour
internationale deJustice.» (P. 233.)
M. Hussain Al Baharna expliqua qu'avecune formule cneutrez pour
l'article II, chaque Partie pourrait formuler ses propres revendications
dans ses écritures. M. Shankardass (CR 94/2, p. 10-11) a malheureusement
mal lu ce qu'avait dit M. Al Baharna. 11 n'a pas dit que chaque Partie
serait libre de déposer sa propre requête et de saisir séparément laCour
de ses propres revendications. Il existe un monde de différence entre
deux instances distinctesintroduitesunilatéralement,et deux ensembles de pièces de procéduredans la mêmeaffaire déposés conjointementsur la
base d'un compromis convenuentre les Parties.
En outre, M. Hassan Kamel désirait savoir sila formule bahreïnite
autoriserait Bahrein à revendiquer la souveraineté sur Zubarah. 11
souhaitait également avoir des éclaircissementa su sujet des lignesde
base archipélagiques
Lorsque la réunion politique principales'ouvrit ensuite le même
jour, le Qatar était persuadé qu'il n'avait pas reçu les éclaircissements
demandés. M. Hassan Kamel demanda à nouveau des éclaircissementsau
sujet de la revendication de Bahreïn concernant Zubarah : il semblait que
Qatar était préparé à accepter que soient soumises à la Cour des
questions de droits privés mais non la question de souveraineté
Le Qatar proposa une solution. Elle consistait à adopter la formule
345
générale bahreïnitecomme article II, mais a ensuite autorisé chaque
Partie à soumettre sa propre annexe dans laquelle elle décrirait plus
précisément ses revendications. Mais, bien entendu, il s'agirait
d'annexes à un compromis.
La discussion n'aboutit à aucun accord sur un projet définitif, mais
le procès-verbal, signé par les deux Parties, consignait ce qui suit :
*La commission a ensuite procédé à une discussion en vue de
définir les questions qui seraient soumises à la Cour,
lesquelles devraient porter uniquement sur 1es points
suivants :
1. les îles de Hawar, y compris l'île de Janan;
2. Fasht at Dibal et Qit'at Jaradah;
3. les lignes de base archipélagiques;
4. Zubarah;
5. les zones désignéespour la pêche des perles et pour la
pêche des poissons et toutes autres questions liées aux
limites maritimes. Les deux Parties ont convenu des points susmentionnés. La
délégation du Qatar a proposé qu'il y ait deux annexes à
l'accord à soumettre à la Cour ...w (P. 282.)
Il faut ajouter que le procès-verbal poursuivaiten notant le
souhait de Bahrein d'étudier l'amendementproposé par le Qatar -
c'est-à-direl'idée d'avoir deux annexes. Et le Qatar a fait prendre
acte à nouveau qu'il ne pouvait pas être d'accord pour que soit soulevée
la question de la souverainetésur Zubarah.
Mais ce qui importe, c'est la mention d'un <texte acceptable ...
constituant le compromis en vertu duquel nous saisirons la Cour». Cela
ne pouvait signifier rien d'autre qu'un compromis. On peut conclure avec
suffisammentde certitude que quels que soient les points demeurant en
litige, les parties avaient convenuqu'elles devraient saisirla Cour par
la voie d'un compromis.
Ce fut la dernière réunionde la commission tripartite.
Au cours des deux années suivantes, comme que le Qatar l'a noté dans
sa réplique (répliquedu Qatar, vol. 1, p. 31), l'Arabie saoudite s'est à
nouveau efforcée,en sa qualité demédiateur, de parvenir à un règlement
sur le fond du d:fférend; mais en vain.
Certains progrèsavaient cependant été accomplis au cours des six
réunions de la commission tripartite. Quelques points au moins avaient
pu faire l'objet d'un accord, à savoir :
1. Les Parties porteraient leuraffaire devant la Cour plénière et
non devant une chambre.
2. Les Parties devraient porter leur différend devant la Cour par
notification d'un compromis.
3. La possibilité d'une requête unilatérale n'était envisagée par
aucune des deux Parties. - 44 -
4. La formule bahreinite - la formule générale correspondant à
l'article II - représentait une solution possible à la
principale questionen litige. Mais il restait à déterminer si
elle devait être complétéed'une annexe, ou de deux, et si le
Qatar reconnaîtrait à Bahrein le droit de contestersa
souveraineté sur Zubarah.
Bahrein demanda un délai pour étudier la proposition qatarienne
d'ajouter deux annexes au texte modifié de l'article II. On s'attendait
à ce que la commission tripartitetienne de nouvelles réunions. Les
comptes rendusne laissent aucunement entendre que les travaux de la
commission étaient arrivés à leur terme.
Si aucune autre réunionn'a été tenue en 1989 et 1990 c'est tout
simplement parce que l'Arabie saoudite a fait une nouvelletentative pour
parvenir à un règlement sur le fond. Comme le Qatar l'a lui-même
expliqué dans son mémoire (vol. 1, p. 55), le roi Fahd d'Arabie saoudite
avait demandé que lui soit accordéeune période de six mois puis,
ultérieurement,deux mois supplémentaires,pour obtenir un règlement à
l'amiable sur le fond du différend. C'est ce qui explique la suspension
des travaux de la commission tripartite qui visaient à fixer d'un commun
accord les termes d'un compromis. Mais ces travauxn'ont jamais pris fin
et la commission tripartite avaitaccompli des progrès considérables sur
947
la voie de la formulation d'un compromis.
Il est évident que lesdeux Parties étaient très désireuses de
préserver les points sur lesquels elless'étaient mises d'accord.
Certes, ces points étaient incompletset demeuraient provisoirestant que
les deux Parties n'auraient pas négocié et accepté Ilensemble du texte
d'un compromis à effet obligatoire, conformément à leurs règles - 45 -
constitutionnelles. Néanmoins, c'est parce que les Parties souhaitaient
conserver ces éléments - y compris leur accord quant à la notification
d'un compromis - qu'elles firent consigner, dans le procès-verbal de la
réunion qu'elles ont tenue à Doha le 25 décembre, le point 1 suivant :
«1. Ce dont les Parties étaient convenues précédemmenta été réaffirmé.>
(Contre-mémoirede Bahreïn, vol. II, p. 60.)
Il est essentiel pour unebonne compréhensionde l'affaire de
reconnaître ce lien entre les élémentsd'accord dégagés lors des réunions
de la commission tripartiteet ce qui fut convenu à Doha. Et j'y
reviendrai en temps voulu.
Mais je crois que la Cour aimerait entendre ce que Bahreïn a à dire
sur ce qui s'est vraiment passé à Doha.
C'est tout ce que j'avais à dire à ce stade de la présentation de
mon argumentation. Puis-je me permettre, Monsieur le Président, de vous
prier de bien vouloir appeler M. Lauterpacht à la barre ?
Le PRESIDENT : Merci Monsieur Bowett. Je donne maintenantla parole
à M. Elihu Lauterpacht.
M. LAUTERPACHT : Monsieur le Président,Messieurs de la Cour.
1. Qu'il me soit permis de vous dire tout d'abord à quel point je me
sens privilégié deme présenter devant vousen cette occasion au nom du
Gouvernement de Bahreïn. C'est un grand plaisir pour tous les amisde la
Cour que de vous voir, Monsieur le Président, installé dans ces fonctions
948
éminentes et, de même, de voir Monsieur Schwebel installé dans les
siennes. Puis-je vous offrir à tous deux mes félicitationset mes voeux
les plus sincères, ainsi qu'à MM. Shi, Fleischhaueret Koroma pour leur
récente élection. - 46 -
La fin de matinée n'est pas la meilleure heure pour commencerun
exposé devant quelque tribunal que cesoit, même une juridiction aussi
compréhensiveque la Cour. J'espère néanmoins que je saurai suffisamment
capter son intérêt pour méritersa patience; j'espère m'arrêter au plus
tard à 13 heures.
2. Monsieur le Président, je reprends la question là où l'a laissée
mon collègue, M. Bowett. Il a fait apparaître très clairement qu'avant
les événements de décembre 1990, rien dans les relations entreles
Parties n'aurait habilité le Qatar à prétendre déposer une requête
unilatérale auprès dela Cour. Tout ce que les Partiesont entrepris a
été fait dans l'optique de la recherche d'un accord sur une action
conjointe.
3. En particulier, M. Bowett a souligné que la formule bahreïnite
remplissaitune seule et unique fonction - permettre à chacune des
Parties de formuler 1.ecûatenu de la question qu'elle souhaitait
soumettre à la Cour (et j'insiste sur l'expression«formuler le contenu
de la question») dans les termes de son choix certes, mais dans le cadre
d'une action unique. A vrai dire, la formule était comparable à celle
utilisée dans l'arbitragedu Détroit de Beagle, dans lequel chaque partie
était habilitée à formuler elle-même ses prétentions, dansun cadre
unique mutuellement accepté. A l'évidence, la formule bahreïnite ne
permettait pas aux Parties de faire valoir des prétentions distinctespar
une requête unilatérale. Si tel avait été lecas, il aurait été loisible
au Qatar, selon sa propre analyse de la situation, d'accepterla formule
à tout moment après sa présentation par Bahreïn et d'engager une
procédure unilatéralement,sans qu'il fût besoin du procès-verbal
349 de 1990.
L'initiativeprise par le Qatar en vue de favoriser l'adoption - 47 -
du procès-verbal de 1990 confirme encore une fois qu'en décembre 1990 il
ne lui était pas venu à l'idée d'attribuer à la formule bahreïnitela
signification étenduequ'il semble aujourd'huivouloir lui prêter.
Comment aborder le procès-verbal de 1990
4. Ce nonobstant, le principal argument du Qatarrepose toujours sur
le rôle central et dominant du procès-verbal de 1990. Dans cette
perspective, le Qatar doit satisfaire à deux conditions. Il lui incombe,
d'une part, de prouver que leprocès-verbal de 1990 constitue un accord
juridiquement obligatoire. Il lui incombe,d'autre part, d'autre part,
d'établir que son contenu constitue,au sens de l'article 36,
paragraphe 1, du Statut, un consentement à l'exercice de la compétence de
la Cour sur la base d'une requête unilatérale. Chacune de ces deux
conditions est indispensable à la thèse du Qatar. A défaut de remplir
l'une ou l'autre, le Qatar doit être débouté. Or, de l'avis de Bahreïn,
le Qatar ne satisfait à aucune d'entre elles.
5. La Cour est bien entendu libre d'aborder ces deux questions dans
l'ordre qui lui sied. Si elle décide quele procès-verbal ne constitue
pas un accord juridiquementobligatoire,elle sera alors dispensée
d'examiner la question de savoir s'il permettait au Qatar d'engager
unilatéralement laprésente action. A l'inverse, si la Cour commence par
la seconde questionet décide que le procès-verbaln'autorise pas le
Qatar à introduire unilatéralementune instance,point ne sera besoin
d'examiner s'il constitue un accord.
6. Il est vrai, toutefois,que certains élémentsse rapportent
simultanément à ces deux questions - en particulier les témoignagesde
ceux qui, du côté bahreinite,ont le plus étroitement participé à - 48 -
l'adoption du procès-verbal, à savoir le ministre des affaires étrangères
de Bahrein, S. Exc. le cheikh Mohammed,et le ministre dlEtat chargé des
affaires juridiques, S. Exc. H. M. Al-Baharna, notre agent en l'espèce.
Ces témoignagesportent à la fois sur la nature et le contenu juridiques
du procès-verbal. Plutôt que de commencer par l'une de ces deux
questions, il convient donc que je m'attache dans un premier temps au
témoignage du ministre des affairesétrangères. Le texte de sa
déclaration est reproduitau point 12 du livre d'audience. Je reviendrai
ensuite aux autres points connexes : tout d'abord le statut juridique du
procès-verbal de 1990, puis son contenu juridique.
La déclaration du ministre des affaires étrangères de Bahreïn
7. Il y a deux conclusions à tirer de la déclaration du ministre des
affaires étrangères. En premier lieu, le procès-verbalde 1990 n'est pas
un accord international parceque, quand le ministre a àiscuté de ce
texte et l'a signé, il n'entrait pas dans ses intentions d'ex falre
découler des obligationsjuridiquementobliga~oires ciügenre de celles
qu'allègue à présent le Qatar. En deuxième lie^,ie procès-verDa1ne
permet pas au Qatar d'introduireunilatéralementune inszance,
essentiellementparce que cette possibilité a été expressémer,: envisagée
et tout aussi expressément écartée lors del'élaboration du texte de ce
procès-verbal.
8. Dans sa déclaration, le ministre expose ce qui a filtré à Doha
fin décembre 1990, tel qu'il s'en souvient et qu'il l'avait perçu. Cela
est de la plus haute importance. Malheureusement,le temps qui m'est
imparti ne me permet pas de vous lire intégralement cette déclaration en
la commentant pas à pas. Elle mérite néanmoins un examen attentif, aussi - 49 -
l'ai-je incluse dans le livred'audience. Pour l'instant, je me
limiterai donc à certaines observations à son sujet.
Une exactitude jamais contestée
'35 1
9. Ma première observationest que l'exactitudede la déclaration
n'a jamais été contestée, à l'exceptiond'un détail factuelminime
dépourvu d'importanceen l'espèce, sur lequel je reviendrai plus tard.
Le Qatar aurait pu inclure une déclaration en réponse danssa réplique,
mais il s'en est abstenu. Le silence de Qatar sur ce point crucial a été
signalé par Bahreïn dans sa duplique. Le Qatar aurait encore pu, à ce
stade, chercher à obtenir l'autorisation de produire des éléments de
preuve supplémentairesavant les audiences, mais il s'en est gardé. Le
Qatar aurait même pu faire déposerdes témoins au cours des présentes
audiences, mais, une fois de plus, il n'en a rien fait.
10. Un autre point important vient confirmer le bien-fondé des
déclarations da cheikh Monammed et de M. Al-Baharna. Quand ces
déclarations ont été déposées en juin 1992 avec le contre-mémoire
bahreïnite, Bahreïn ignorait qu'elles constitueraient les seuls comptes
rendus de première main présentés à la Cour par despersonnes ayant
effectivement participi aux négociations de Doha. Certes, lors du dépôt
du contre-mémoire,on ne savait pasqu'une réplique et une duplique
seraient également déposées. Mais on savait déjà qu'il y aurait des
audiences et Bahrein ne pouvait pas se douter que le Qatar s'abstiendrait
de faire entendre des témoins pour contredire ses propos. La Cour
admettra doncque leurs Excellences lecheikh Mohammed et M. Al-Baharna
n'auraient couru ni l'un ni l'autre le risque de faire des déclarations - 50 -
erronées qui auraient pu par la suiteêtre contredites sur quelque point
que ce fût par le Qatar, Oman, ou l'Arabie saoudite.
11. En conséquence, le Qatar ne pourrait maintenant sérieusement
prétendre qu'il conviendrait que la Cour relativise, mette encause ou
rejette les éléments de preuve contenus dans ces déclarationsconcernant
ce qui s'est passé à Doha, les effets que le ministreprêtait à ces
552
textes, ou la nature de ses intentions. Et c'est à bon escient que le
Qatar s'est bien gardé d'avancer de telles allégations. Bienplutôt il
n'a pas tenu compte de ces déclarations. Bien plutôtil a préféré se
fonder sur une appréciationdu procès-verbal de 1990 dictée par d'autres
considérations,dont il prétend qu'elles sont davantage pertinentesou
concluantes. J'y reviendrai en temps voulu. Pour le moment, je
m'attache à la déclaration du ministre desaffaires étrangères.
L'absence de notification préalablede l'initiative du Qatar à Doha
12. Ma seconde observationest la suivante : il ressort de ce qu'a
déclaré le ministre que laquestion du différend entreBahreïn et le
Qatar a été soulevée à la réunion au sommet du conseil de coopération du
Golfe à peu près sans avertissement. La tentative faite par le Qatar
pour inscrirela question à l'ordre du jour de la réunion préliminaire
des ministres des affaires étrangèresdébut décembre fut rejetée, fait
que le Qatar n'a même pas mentionnéen relatant les événements lors des
actuelles audiences. Entre cette réunionet la réunion principale deux
semaines plus tard, le Qatar n'indiqua d'aucune menière qu'il soulèverait
la question une fois encore. Le Qatar ne s 'est jamais adressé au
médiateur pour luidemander une nouvelle réunionde la commission
tripartite. Le Qatar ne s'est jamais adressé à Bahreïn directementou - 51 -
indirectement pour proposerun accord stipulantles clauses que,
maintenant, le Qatardit être entrées en vigueur. Un tel défaut
d'avertissementet de préparation diplomatiquesne s'accorde guère avec
l'allégationdu Qatar selon laquelle, à la conférence de Doha, il
entendait obtenir un instrument obligatoire en droit pour modifier de
façon fondamentalela conception du moyen de porter le différend devant
la Cour : au lieu de la voie d'un compromis conjoint, celle qui permet
une requête unilatérale. Le Qatar n'a pas davantage indiquéau préalable
qu'il souhaitait désormais accepterla formule bahreïniteou
l'interprétationqu'il semble maintenant enclin à donner de cette
formule. Le Qatar aurait pu facilement envoyerdes notes à la fois au
J w' 4
médiateur et à Bahreïn pendant la périodequi s'écoula du 8 au
22 décembre 1990, afin d'avertir quelque peu de sa nouvelle attitude.
Aucune note de ce genrene fut envoyée. Une telle absence de préparation
initiale n'indique guère l'intention d'obtenir, au moyen d'un accord de
nature juridique, un changement de position radical. Bien plus tôt,
juste avant l'ouverturede la réunion au sommet quel'émir du Qatar
présidait en qualité d'hôte dans sa propre capitale, il insista
inopinément pourque la question fût débattue.
L'ignorance de la question de la part du conseil de coopération du Golfe
13. Troisième observation : le Qatar décidade soulever la question
au sein d'un organe doct les membres - sauf l'Arabie saoudite et
Bahreïn - ignoraient tout de ce dontil s'agissait. J'expliqueraila
portée de cette considérationd'ici quelques minutes. - 52 -
Le déroulement des événements à la réunion de Doha
14. Quatrième observation : la déclaration indiquetrès clairement
dans quel ordre les différents projetsfurent présentés au ministre des
affaires étrangères de Bahrein.
Le projet de l'Arabie eaoudite
15. En premier lieu, le 24 décembre l'Arabie saoudite présenta un
projet de procès-verbal sur papier à l'en-tête de son ministère des
affaires étrangères. Ce projet contenait deux éléments importants :l'un
était le texte de la formule bahreïnite que l'émir du Qatar avait déclaré
accepter.
16. L'autre élément important du projet saoudien figuraitdans le
paragraphe où apparaissait la citation intégrale dela formule
bahreïnite. C'était la déclaration selon laquelle«la question ... sera
soumise à la Cour internationalede Justice par chacune d'elles»,
c'est-à-direpar chacune desparties.
ri54 Le rejet du projet saoudien par Bahreïn
L'-
17. S'il est vrai qu'en elle-même la déclaration par laquelle le
Qatar acceptait la formule bahreïniteconstituait un pas en avant
manifeste, Bahreïnne pouvait l'accepter,car elle était jointeau
deuxième élément du projet de procès-verbal,c'est-à-dire à l'indication
que la question seraitportée devantla Cour par chacune des Parties.
Ces termes étaientinterprétés comme susceptiblesde permettre à chaque
Etat d'introduire unilatéralement une instance devant la Cour.
18. Le cheikh Mohammed nous dit qu'après une consultation avecses
collègues il a rejeté le projet commeinacceptable, ce qu'indique le
paragraphe 8 de sa déclaration.Le projet d'Oman
19. Monsieur le Président, je passe maintenant à l'étape suivante :
la présentation par Oman, plus tard le même jour, d'une nouvelle
proposition que vous trouverez aussi jointe à la déclaration du ministre
comme la pièce B (livre d'audience,no 12). Les références que je vous
ai données pour les projets de procès-verbauxde l'Arabie saoudite et
d'Oman sont erronées. Bien qu'ils aient été d'abord présentés à la Cour
comme des annexes à la déclaration du cheikhMohammed, ils sont
reproduits de façon distincte dans le livre d'audience aux points 5 et 6
respectivement. Ce projet contenait troisdispositions :
Réaffirmation de ce qui avait été convenu précédemment
i) la première dispositioncontenue dans le projet de résolution
d'Oman consistait à «réaffirmer ce qui a été convenu précédemmententre
les deux parties». L'anpleur de cette disposition suffirait à l'étendre
à l'accord que les parties avaient auparavantconclu en vue de négocier
un compromis pour porter l'affaire devant la Cour. A cet égard je puis
expliquer l'importancede mes observationsd'il y a un moment relatives
au fait que les seuls membres de la réunion au sommet du conseil de
coopération du Golfequi eussent quelqueconnaissancedu problème étaient
l'Arabie saoudite et les deux Parties elles-mêmes. On ne pouvait guère
attendre des autres membres une contribution appréciableau règlement du
problème. Ce point intéresse directement le rôlequ'Oman a commencé à
jouer quelques heures après que le Qatar eut soulevé la question. La
Cour se souvient que l'éminent agent du Qatar a déclaré il y a deux jours
que le projet d'Oman, présenté à Bahreïn la nuit du 24 octobre, avait été
«préparé de façon tout à fait indépendante par Oman* (CR 94/3, p. 38). - 54 -
Cependant, avant le débat ouvert qui se déroulalors de la réunion au
sommet de cette matinée, il est évident qu'Oman n'avait jamais encore
participé à des discussions importantes relatives à ce sujet, que ce fût
directement avec les partiesou à la commission tripartite. Bahreïnne
cesse de se demander comment, en quelques heures, Oman aurait pu acquérir
une connaissance suffisante de toutel'histoirede l'affaire pour se
trouver en mesure de présenterun projet s'il ne s'agissait pas des
intérêts de quelquepartie intéressée, qui ne pouvait être, en
l'occurrence,ni l'Arabie saoudite, ni Bahrein. Cela, à son tour, devait
avoir une certaine incidencesur les préoccupationsqui incitèrent
peut-être Oman à proposer le premier paragraphe du dispositif du
procès-verbal dont je viens de donner lecture. Quelqu'un qui ne
connaissait pas les détails des discussions antérieures (telétait,
d'après ce que laisse entendre le Qatar, le cas d'Oman) n'aurait guère eu
l'intentionde limiter la portée de la formule «ce qui a été convenu
précédemment» au seul accordde 1987 (commele soutient le Qatar). Une
personne se trouvant dans cette situation n'aurait pu attribuer à cette
formule que le sens suivant : «tout ce qui a été convenuprécédemment»,y
compris, bien entendu, les différentes questionsqui avaient fait l'objet
d'un accord lors des réunions antérieures dela commission tripartite.
Alors que faisaitdéfaut, comme on nous le dit, la connaissance détaillée
de tout le déroulement des discussionsde 1987 à la fin de 1988, Oman
n'aurait tout simplement pas été en mesure de savoir si, oui ou non, des
éléments avaient été convenus autresque l'accord de 1987 lui-même; et le
projet d'Oman n'aurait donc pu être censé exclurede sa portée
l'éventualité d'accords surd'autres questions, à moins d'avoir été
dressé à la légère, ce qu'il n'y a pas lieu d'envisager. - 55 -
L'une ou l'autre des parties peut porter l'affaire devant la Cour
ii) Je passe au deuxième paragraphedu projet omanais. Celui-ci
prévoyait que les bons officesdu Gardien des deux saintesMosquées
continueraient entre les deux pays jusqutenmai suivant. Ensuite, l'une
ou l'autre des deux partiespourrait porterl'affaire devant la Cour
internationalede Justice. Les bons offices du Royaume d'Arabie saoudite
se poursuivraienttant que l'affaire resterait soumise à l'arbitrage. Je
reviendrai sur ce paragraphe dans un moment.
Effet d'une solution
iii) Enfin, au troisième paragraphe,le projet omanais prévoyaitque
«si l'on parvient à une solution fraternelle susceptible d'être acceptée
par les deux Parties, l'affaire sera retirée de l'arbitrage*.
Modifications apportées par le ministre des affaires étrangeres de
Bahreïn
20. Le cheikh Mohammed, au paragraphe 10 de sa déclaration,nous dit
qu'il souleva deux objections,l'une et l'autre relatives au libellé du
deuxième paragraphe, et fit deux modifications manuscrites
21. En ce qui concernel'une de ces modificaticnsqu'aurait faites
le cheikh Mohammed, à savoir l'insertiondes mots <<conformément à la
formule bahreïniteque le Qatar a acceptée», le Qatar a fait observer que
cette modification a en réalité été apportée par son propre conseiller
juridique,M. Sherbini. A la réflexion, le cheikh Mohammed ne conteste
pas ce point, ayant confondu cette deuxième modificationavec celle qu'il
avait apportée lui-même au projet précédent, celui proposé par l'Arabie
saoudite.Remplacement de ellune ou l'autre des deux Parties, par ales deux
Partiesw
22. L'autre modification apportée parle cheikh Mohammed, qui n'est
pas contestée, a été la suppression desmots «l'une ou l'autre des deux
Partiesw dans la phrase «l'une ou l'autre des deux Partiespeut porter
l'affaire devant la Cour internationale deJustice». Il les a remplacés
par les mots ales deux Partiesw. Cette modification indiquaitclairement
qu'il n'était pas acceptable pour Bahreïnqu'à la fin de la période,
«l'une ou l'autre des deux Partiesw puisse agir unilatéralement. Le
remplacementde «l'une ou l'autre des deux Parties» par ales deux
Parties* traduisaitde la manière la plus clairel'intention du ministre
des affaires étrangèresde Bahreïn qu'une procédure ne puisse être
engagée que conjointementpar les deux Parties ensemble.
23. Le Qatar ne conteste pasque cette modification ait été apportée
par le ministre des affaires étrangèresde Bahreïn. Au contraire, le
Qatar a déclaréfianssa réplique (répliquedu Qatar, par. 3.66) qu'il
aestima que les mots al tarafan (les parties) ... étaient
parfaitement acceptablepuisque lesdeux parties avaient des
prétentions distinctes à soumettre à la Cour et que cette
formulation permettait à chacune d'elles de porter ses propres
demandes devant la Cour» .
Le distingué agent du Qatar s'est exprimé en des termes presque
identiques dans son exposé il y a deux jours (CR 94/3, p. 29).
24. Monsieur le Président, Bahreïn se considère obligé d'observer
que cette explication par le Qatar de la raison pour laquelleil accepta
le changementde libellé est plus qu'incorrecte. Etant donné que le
Qatar concède qu'il savait que le remplacement de«l'une ou l'autre des
deux Parties> par <<lesParties, sous une formequi, en arabe, pouvait, à
ce que prétend leQatar, être interprétée comme signifiantales parties ensemblew, que croyait donc faire le Qataren acceptant cette
-
modification sans faire clairement connaître sa propre position ?
25. Le Qatar semble allerau-devant de cette question quandil
remarque que «rien dans les amendements proposéspar Bahreïn n'indiquait
que ce dernier envisageait depoursuivre les négociationsou qu'il
pensait à un compromis». Bien entendu, il n'était question de rien de
tel «dans les amendements». Comment une indicationde ce genre
aurait-ellepu figurer «dans les amendements,étant donné que ceux-ci se
bornaient à modifier des mots essentielsdu texte ? Mais il est certain
que l'idée était implicite dansla modificationdu libellé. Que pouvait
vouloir dire leremplacementde «l'une ou l'autre des deux Partiesw par
ales Parties,, sinon qu'aucune des Partiesne pouvait saisir séparément
la Cour ? Et si aucune des Parties ne pouvait agirseule, comment la
question pouvait-elle être soumise à la Cour <<parles deux Parties
ensemble» en l'absence d'un accord préalabledans la ligne de ce dont
discutaient en détail les parties depui1 s987.
Mesure dans laquelle le Qatar était au courant de l'évolution de la
situation
26. Afin d'atténuer encore la portée des conclusions défavorables à
sa thèse que l'on doit tirer des modifications du libellé des projets
saoudien et omanais, le Qatar a soutenu qu'il n'avait pas eu connaissance
du projet de l'Arabie saoudite ni des modificationsde texte proposées
par Bahreïn. Bahreïn peut difficilement le croire. Sir Ian Sinclair a
dit mardi qu'il était Cifficile pour le Qatar de supposer que des
responsables saoudiensn'avaient jamais laissé entrevoir à Bahreïn que le
Qatar avait l'intentiond'engager unilatéralement une procédureen
juin 1991 (voir la déclarationde mardi de sir Ian Sinclair, CR 94/2, - 58 -
p. 26-27). Assurément, il est encore plus difficile de croirele Qatar
quand il prétend qu'il n'était pas au courant du projet saoudien. Après
tout, tous les participantsse trouvaient très près les uns des autres
i:c
durant toute la brève période pendant laquellese sont déroulées les
discussions. Il semble presque inconcevableque le secret ait été si
bien gardé par les délégationsque le Qatar n'ait pas pu être au courant
de quelque chose qui touchait si immédiatement à ses intérêts.
27. A propos de cette prétendue «ignorance%de la part du Qatar et,
à vrai dire, d'une manière générale de toutes les allégations du Qatar
concernant ce qu'il savait et ce qu'était son intention à ce moment
précis, Bahreïn doit répéter ce qu'il a déjà dit danssa duplique, à
savoir que le Qatar, dans les comptesrendus qu'il donne dans ses
écritures de ce qui s'est passé entre le 23 et le 25 décembre 1990, ne
mentionne aucun négociateurqatarien particulier en dehors de
M. Adel Sherbini, le conseiller juridique de sa délégation. Le Qatar n'a
pas estimé nécessaire ni souhaitable de produire à l'appui de sa relation
des événements en cause une déclarationpour laquelle M. Sherbini aurait
été préparé à engager sa responsabilité personnelle, si nécessaire dans
le cadre d'un examen contradictoire
Qui a négocié pour le Qatar ?
28. En outre, en dehors de la signature finaledu procès-verbalpar
le ministre desaffaires étrangèresdu Qatar, il semble que ce distingué
personnage n'ait joué aucun rôle dans les discussions qui ont eu lieu
après la réunion d'ouverture du sommet du conseil de coopération du
Golfe. Il n'est mentionné nullepart dans le récit du Qatar. Et
pourtant, le Qatar n'en affirme pas moins que : «comme il ressort de la - 59 -
relation ci-dessus de l'enchaînementdes événements, le Qatar a joué un
rôle important dans lamise au point du texte de l'accord de Doha*
(répliquedu Qatar, par. 3.67). Dans ces conditions, il faut se demander
qui, du côté du Qatar, a joué ce rôle important. Personnen'est nommé et
personne ne semble prêt à se mettre en avant et à accepter une
responsabilité. La Cour peut à juste titre se demander quellesen sont
les raisons. Est-il excessif de suggérer que personnen'est prêt, du
côté du Qatar, à dire que le Qatar est resté silencieux devant ces
modifications parce qu'une certaine personneou n'a pas compris ces
modificationsde libellé, ou bien ne s'est pas souciée de leurs
conséquences,ou bien même pensait que le libellé ainsi modifiéétait
suffisamment clairpour ne pouvoir être lasource d'aucune difficulté ?
Effet limité du procès-verbal de 1990
Monsieur le Président, j'en viens enfin à la réponse du ministre des
affaires étrangères à la qdestion posée par le Qatar de savoir quel est
l'effet du procès-verbalde 1990 s'il n'est pas celui que prétend le
Qatar.
29. Le Qatar s'est irrité lorsqueBahreïn a expliqué pourquoi le
procès-verbala finalement été adopté sous une forme qui ne donnaitrien
de concret au Qatar malgré tous les efforts qu'il avait déployés. Il
n'en reste pas moins que la seule explication plausibleest celle qu'a
fournie le ministre desaffaires étrangères de Bahreïn au paragraphe 14
de sa déclaration. Je le cite :
«Quand j'eus bien fait comprendre, en m'opposant de façon
énergique à la fois au libellé du projet initialcommuniqué par
l'Arabie saoudite et à celui du projet ultérieur qui émanait
d'Oman, que cette manièrede procéder était tout à fait
inacceptable pour Bahreïn, le problème se réduisit à ceci :
établir un texte qui permettraitde sauver la face et éviterait de donner aux autres chefs dlEtat du GCC l'impressionque
l'émir du Qatar n'avait absolument pas pu atteindre son
objectif.»
30. Et cette réalité désagréablea dû aussi être évidente pour les
négociateurs qatariens, quelsqu'ils aient été. Finalement, ilsont
donné leur assentiment à la seule formulequ'ils pouvaient obtenir,
plutôt que d'insister davantage sur une position intenableen risquant
ainsi de dévoiler publiquementl'échec de leur initiative. Enfait, ils
$61 ont délibérément joué sur le libellé. Ils ont dû considérer quemême un
procès-verbal imparfait valaitmieux que pas de procès-verbal du tout.
Ils ont dû juger qu'ils n'avaient rien à perdre en acceptant le textetel
qu'il était alors. Peut-être ont-ils même pensé qu'il servirait au moins
de base de lancement à la requête unilatéralequ'ils ont maintenant
envoyée à la Cour. Eh bien, Monsieur le Président,je dois direque si
tel était leur raisonnement,ils ne manquaient pas d'optimisme. Et si ce
ne l'était pas, alors la Cour est en droit d'attendre du Qatar qu'il
explique de manière plusconvaincante, preml$rernen~, les mo::fs poür
lesquels il a donné son accord au changement ae rédac~~on,e:
deuxièmement pou.-quoi il n'a pas présenté une seale persczne qui soit
prête à venir témoigneràes raisons qui l'ont amene à acceprer ce texte
qui était aumieux, de son point de vue ambigü
Les conclusions du ministre des affaires étrangères de Bahreïn
31. Je conclus ces citations de la déclaration du mlnistre des
affaires étrangèresen rappelant cequ'il a dit de la nature juridique,
par opposition à la teneur juridique,du texte qu'il avait signé :
aA aucun moment je n'ai estimé qu'en signant le
procès-verbal j'engageaisBahreïn par un accord obligatoire en
droit. J'étais naturellementprêt à souscrire une déclaration
qui consignait une entente politiqueentre les deux Parties,
comme j'avais signé les procès-verbauxde réunions antérieures de la commission tripartite. Toutefois, même ainsi je n'étais
pas disposé à accepter un libellé susceptibled'indiquer que
Bahrein fût disposé, à un titre quelconque, à s'écarter de sa
position fondamentale,c'est-à-direqu'il existait une seule
manière de porter l'affaire devant la Cour : la saisine
conjointe fondéesur un compromis dûmentconclu entre les
Parties.s
Signification du témoignage d'intention direct et sans contradiction
32. Dans une situation de cettenature, ou - tant pour
l'interprétationque pour la nature juridiquede l'instrument - le
principal élémentde l'analyse que la Cour fait de la situation doit être
0 5 2
l'intentiondes Parties, on ne saurait négliger le rôle de premier plan
qui revient à l'intention réelle des négociateurs en cause. Certes,
d'autres facteurs interviennent aussi -et avec votre permission, j'y
reviendrai lundi. Mais les facteursobjectifs, comme on les appelle dans
cette affaire, ne remplacent pas le témoignage de la personne même dont
les intentionscomptent.
33. Et d'autant plus que ce témoignagen'est pas contredit. S'il
l'avait été, la Cour aurait pu trouver difficile de choisir entre deux
déclarations contradictoires. Mais tel n'est pas le cas. Ici, le
témoignage est tout à fait explicite :lorsque le ministre des affaires
étrangères a signé le procès-verbal, il ne considérait pas qu'il signait
un traité. Lorsqu'il a insisté sur l'emploi des mots «les deux Parties,
au lieu de al'une ou l'autre des deux Parties, il entendait bien marquer
que la procédure ne pourrait être commencée que parles deux parties
ensemble.
34. Mais cette conclusionne signifie pas que les autres
considérations, les aspectsaintrinsèques~au texte, ceux que l'on a
appelé les facteurs <objectifssne confirment pas pleinementles dires du
ministre des affaires étrangères. A mon sens, ils l'appuient assurément. - 62 -
Clest à ces facteurs que je voudrais revenir lundi,si vous le permettez
Merci, Monsieur le Président.
Le PRESIDENT : Merci beaucoup, Monsieur Lauterpacht. L'audience est
963 le
levée et reprendra pour entendre la délégation de Bahrein lundi matin, -
7 mars, à 10 heures.
L'audience est levée à 13 heures.
Traduction