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CR 95/10 (Traduction)
CR 95/10 (Translation)
jeudi 9 février 1995
Thursday 9 February 1995 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. La Cour reprend sesaudiences
O08
dans l'affairedu Timor oriental et je donne la parole à M. Burmester.
M. BURMESTER : Monsieur le Président,Messieurs de la Cour, nous en
étions restés hieraux accords de pêche de 1988 et 1992 entre la
Communauté européenneet le Maroc. J'ai montré que l'accord de 1988
n'avait de sens que s'il s'appliquait aux eaux du Sahara occidental,et
une carte qui vous a été remise ce matin sur une seule feuille et dans le
dossier indiquel'emplacementde la limite septentrionalede la zone sud
créée en vertu de l'accord, à 28' 44' nord - c'est une ligne situéejuste
au nord de la limite du Sahara occidental. De toute évidence,la
frontière du Sahara occidentaln'était pas censée représenterla limite
méridionale dela zone de pêche visée parl'accord.
J'ai montré aussi que l'accord de 1992 accepte expressément
l'autorité du Maroc sur les eaux du Sanara occidental, en particulier
lorsqu'il mentionne Dakhlacomme port marocain - et Dakhla figure aussi
sur votre carte. Malgré une certaine opposition de la part du Parlement
européen, le Conseil des Communautéseuropéennes,y compris le
représentant du Portugal, a approuvé cetaccord sans condition.
Avant l'accord de 1988, il y avait eu celui de 1977 entre le Maroc et
l'Espagne. Il divisait les aires maritimes auxquellei sl s'appliquait,
en se référant aux eaux situéesau nord et au sud du Cap Noun. Il
s'agissait d'un compromis politiquecommode dissimulantle fait que
l'accord s'appliquaitaux eaux du Saharaoccidental. C'est en partie
parce que l'Espagne n'était pas disposée à le dire explicitement quele
Maroc a décidé de ne pas ratifier le traité (voir A. Lahlou, Le Maroc et
le droit des pêches maritimes, 1983, p. 178-179) . Il y a eu aussi un
accord en 1976 entre le Maroc et le Portugal, qui portait sur la -3-
coopération en matière de pêche, conclu un an seulement après la décision
rendue par cette Cour dans son avis consultatif sur le Sahara occidental
(Lahlou, p. 195-196). Ainsi, tous les membres de l'Union européenne, y
compris le Portugal, font exactement ce qu'aux dires du Portugal aucun
Etat ne devrait faire. Cette conduite constitue l'argument le plus
puissant en faveur de la position de l'Australie dans la présente
affaire.
Même si à certaines fins le Portugal est ou doit être considéré comme
la puissance administrante, rien n'interdit aux Etats tiers de traiter
avec un autre Etat dont l'autorité est bien assise sur le territoire, en
ce qui concerne les ressources naturelles du territoire en tant que
telles. Dans le cas des accords de pêche, les intérêts économiques de
l'Espagne et du Portugal ont' à l'évidence constitué une motivation
majeure. Et c'est la même chose pour l'Australie s'agissant àe protéger
ses propres intérêts économiques nationaux. 11 incombe aux organes
compétents de l'organisation des Nations Unies d'imposer des obligations
de ne pas traiter dans de tels cas, 11s ne l'ont feit ni en ce qul
concerne le Sahara occidental ni en ce qui concerne le Timor oriental.
Le Portugal tente de minimiser l'importance de ces traités en disant
con ne peut pas présumer que leur conclusion ait été licite» (CR 95/4,
p. 66). Mais le Portugal est, par l'intermédiaire de la Communauté
européenne, partie à ces accords et ses navires de pêche en tirent
profit. Quelle hypocrisie de la part du Portugal de reprocher à
l'Australie de commettre des faits illicitesalors qu'il fait la même
chose. Cela me rappelle, Monsieur le Président, la doctrine des «mains
propres» et l'idée qu'il ne faut pas souffler le chaud et le froid. Je
renvoie le conseil du Portugal aux paragraphes 402 et 403 des exceptions
préliminaires de l'Australie dans l'affaire Nauru, un document auquel il -
-4-
est à l'évidence attaché puisqu'il le cite régulièrement ! Les mains du
Potugal ne semblent pas propres.
Certes, la position n'est pas en l'espèce la même que dans la cas du
Sahara occidental, mais c'est parce qu'elle est plus faible, du point de
vue des griefs du Portugal, pour trois raisons.
Premièrement, les accords de pêche de la ~ommunauté'européenne
envisagent le Sahara occidental sousla rubrique «eaux marocaines,.
Dakhla est décrit comme un port marocain. La seule raison de la
présence des navires de pêche de la Communautéeuropéenne au large du
Sahara occidentalest que les eaux en questionsont des «eaux
marocaines». Par contraste, l'Australierevendique depuis de nombreuses
années des droitssouverains,en sa qualité dlEtat côtier, sur l'ensemble
ae la zone de coopération,et le traité ae 1989 est en fait un compromis
provisoire concernant cesrevendications.
Deuxièmement, les principaux organesae l'organisationdes
Nations Unies - y compris la Cour dans un avis consultatif demandépar
llAssembléegénérale - s'occupent et continuenz de s'occuper activement
de la situation au Sahara occidental. La question du Timor oriental, par
contre, n'a pas été examinée par un organe policique principal de
l'organisationdes Nations Unies depuis 1982, en raison de l'absence
totale d'accord entre les Membres de l'organisationdes Nations Unies sur
cette question;le Portugal est maintenant disposé à discuter avec
l'Indonésie,l'autorité en place, «sans conditionspréalables».
Troisièmement, 1'action de 1'Organisation des Nations Unies en faveur
de l'autodéterminationa été, cela est démontrable,plus vigoureuse et
plus efficace en ce qui concerne l'autodéterminationdu Sahara occidental
que celle du Timor oriental, en partie en raison de l'attitude très
différente des deux organisations régionales concernées, l'OUA d'une part - 5 -
et l'ASEAN de l'autre. Chacune de ces différences donne à penser que la
position du Sahara occidental devrait être beaucoup plus claire et
beaucoup plus définitive que celle du Timor oriental. Et pourtant il n'a
pas été fait interdiction aux Etats tiers, y compris les Etats membres de
la Communauté européenne, de traiter avec le Maroc, et ils ne se sont pas
abstenus de le faire, en ce qui concerne les ressources naturelles du
Sahara occidental. Cette pratique des Etats ne peut être ignorée.
Une autre considération s'impose ici, à savoir celle de la bonne foi
Fq 1 dans l'administration de la preuve et l'application de règles du droit
international dont on affirme qu'elles existent. Le Portugal ne peut
affirmer l'existence d'une règle aans le cas du Timor oriental lorsque sa
propre conduite, dans des situations à fortiori ailleurs dans le monde,
est contraire à cette règle. Le Portuga; ne peu= exlger de l'Australie
p'elle satisfasse à des normes de conauite auxquelles lui-même ne
satisfait pas.
Cette volonté des Etats de tralter avec l'Etat -1 contrôle
effectivement le territoire est aussi appàrenze ez ce concerne les
ressources en phosphates du Sahara occidentai. Ces ressources sont
exploitées par Fosbucraa, une coertreprlse enEre des entreprises
publiques marocaines et espagnoles. Le phosphate est exporté sans que le
peuple du Sahara occidental n'en tire un profit direct (voir duplique de
l'Australie, p. 119, par. 212).
Si les arguments du Portugal aans la présente affaire sont corrects,
les membres de l'union européenne ont à l'évidence traité avec le
«mauvais» Etat relativement au Sahara occidental et ils devraient être
empêchés de le faire. Le Portugal est coupable précisément de ce dont il
accuse l'Australie. -
- 6 -
Le fait que, comme dans le cas de l'Australie, il n'y a eu aucune
critique par l'Organisation des Nations Unies desactes de ces Etats
confirme la conclusionsur laquelle l'Australie appellel'attention : par
le simple fait de traiter avec des Etats qui contrôlent effectivement des
territoires ayant droit à l'autodétermination,les Etats tiers ne portent
pas atteinte au droit à l'autodétermination.
Mayotte
On peut illustrer l'acceptationpar les Etats de la nécessité de
tenir compte des réalités en citantd'autres différends concernant
l'autodétermination. Prenons par exemple la question de Mayotte.
Il s'agit d'un nouvel exemple de revendicationsconcurrentes de
souveraineté. Un référendum sür l'autodéterminationde l'archipel des
Comores fut organisé le 22 décembre 1974, mais la France refusa
ultérieurement de reconnaître l'unité territoriale de l'archipel et
conserva le contrôle de Mayotte. La France continuede revendiquer sa
1.;.{T-
- 1 - souveraineté sur Mayotte, alors que 180rganisatior. àes Natlons Unies
continue de réaffirmer la souveraineté de la République fédérative
islamique des Comores sur l'île (résolution 45/11 du 1 novembre 1990).
Dans des résolutionspresque ldentlques adoptées en 1984 et 1994,
1'Assembiée générale a instamment prié la France d'accélérer les
négociations avec le Gouvernement des Comoresen vue d'assurer le retour
rapide et effectif de l'île de Mayotte sous souveraineté comorienne. Ces
résolutions ne demandent pas néanmoins aux Etats dene pas traiter avec
la France en ce qui concerne Mayotte. Et, inévitablement, des Etatsont
jugé nécessaire et approprié de traiter avec la France en ce qui concerne
l'île. Par exemple, la Communauté européennea adopté, en dépit des
appels lancés par l'ONU, une décision qui inclut Mayotte parmiles «pays - 7 -
et territoires d'outre-mer~ «intéressant> la France (Journal Officiel,
no L263/1, 19.9.91). A l'annexe 1 de la décision, Mayotte est citée
comme une «collectivité territoriale» de la France. Cette décision n'est
pas moins qu'une reconnaissance, qui va à l'encontre de la position
adoptée par l'ONU, et à l'encontre de l'obligation dont la Communauté
européenne serait, selon la thèse portugaise, tenue envers les Comores.
Là encore, le Portugal invoque une règle pour apprécier la conduite de
l'Australie et une autre pour juger la sienne propre.
Un autre exemple dlEtats acceptant la réalité est celui de Goa, qui
avant 1961 était reconnu par l'Organisation des Nations Unies comme
territoire non autonome «sous administration portugaise». Aucun organe
de l'Organisation des Nations Unies n'a jamais adopté de résolution
indiquant formellement que le peuple de Goa avait exercé son droit à
l'autodétermination ou que le Portugal n'écait plus la «puissance
administrante» de Goa. Néanmoins, pendant les années qui ont suivi
l'occupation militaire de Goa par ''Inde en 1961, civers Etats ont
reconnu l'annexion du territoire par l'Inde, ez le Portugal lui-même l'a
"13 reconnu en 1974. Le Portugal tence d'expliquer cet exemple en disant que
tout s'est passé avant la révolution de 1974 (CR 95/3, p. 61). Mais ce
fait ne peut affecter la situation juridique. Des Etats ont traité avec
1'Etat contrôlant effectivement le territoire avant que l'organisation
des Nations Unies ait décidé d'accepterson annexion.
Selon la thèse du Portugal, partout où la puissance administrante
perd le contrôle d'un territoire à la suite d'un soulèvement de la
population locale, les autres Etats seraient toujours tenus de respecter
le statut de la puissance aaministrante jusqu'à ce que l'Organisation des
Nations Unies décide soit que le territoire a accédé à l'indépendance
soit que l'ancien Etat colonial n'est plus la puissance administrante. -
- 8 -
Un tel soulèvement ne mettrait fin pas, en soi, au statut de territoire
non autonome du territoire,ni au statut de la puissance administrante,
puisque les groupesprenant le pouvoir pourraient n'être pas
représentatifs des aspirations authentiques de la majorité de la
population.
Or tant la doctrine que la pratique contredisentcette thèse
Dans l'arbitrage~uinée-Bissau/Sénégal,le Tribunal arbitrala noté
l'existence en droit international d'une norme qui limite la capacité de
llEtat de conclure, après l'engagementd'un processus de libération
nationale, des traités portant sur des éléments essentiels des droits des
peuples. Le tribunal arbitral a déclaré :
«dans ce processus de formation d'un mouvement délibération
nationale, la question juridiquene consiste pas à identifier
l'instant précis où celui-ci est né en tant que tel. Ce qu'il
importe de savoir, c'est à partir de quand son activité a eu une
portée internationale (p. 38).
De telles activitésont une portée sur le plan
international à partir du moment où ellesconstituent dans la
vie institutiomelle de 1'Etat territorialun événement anormal
qui le force à prendre des mesures exceptionnelles,c'est-à-dire
lorsque, pour dominer ou essayer de dominer les événements, il
se voit amené à recourir à des moyens qui ne sont pas ceux que
l'on emploi d'ordinairepour faire face à des troubles
occasionnels.> (P. 38-39, annexe à la requête introductive
d'instance déposée par la Guinée-Bissaudevant la Cour.)
Dans cette affaire, le tribunal arbitraln'a pas considéré qu'ainsi
que l'affirme le Portugal tous les Etats étaient tenusde respecter le
droit exclusifdu Portugal ae traiter avecd'autres Etats en ce qui
concerne le territoirejusqu'au moment où l'organisationdes
Nations Unies décideraitqu'il n'était plus la puissance administrantede
la Guinée-Bissau -9-
Le tribunal a fait observer dans cette affaire qu'il y avait eu des
déclarations répétées confirmant la proposition selon laquelle la guerre
de libération nationale avait commencé en Guinée portugaise en 1963,
admettant ainsi que le Portugal aurait perdu sa capacité de conclure des
traités portant sur des éléments essentiels des droits des peuples en ce
qui concerne ce territoire en 1963. Il en était ainsi bien que
l'Assemblée générale de l'organisation des Nations Unies n'eût reconnu
qu'en 1972 «que les mouvements de libération nationale de ... Guinée
(Bissau) ... sont les représentants authentiques des véritables
aspirations des peuples de ces territoires» (résolution 2918 (XXVIII) du
14 novembre 1972 de l'Assemblée générale), et en 1973 que la
Guinée-Bissau était un Etat indépendant (résolutions 3061 (XXVIII),du
2 novembre 1973 et 3181 (XXVIII), du 17 décembre 1973, de l'Assemblée
générale). Ainsi, le tribunal arbitral était prêt à accepter
qu'entre 1963 et 1972, le Portugal n'avait pas le droit de conclure en ce
qui concerne le territoire des traites portant sur des éléments
essentiels des droits des peuples, en particulier des traités concernant
la délimitation maritime du territoire, alors même que l'Assemblée
générale n'avait alors encore rien falt dans le but de mettre fin au
statut de puissance administrante du Portugal, et alors même que le
Portugal était encore, dans une certalne mesure, reconnu comme capable de
représenter le territoire dans les instances internationales. Les
-ss P- conclusions du tribunal s'écartent donc totalement de l'affirmation du
t 3
Portugal selon laquelle lui seul peut conclure des traités pour le compte
du Timor orientai
Au moment où les Nations Unies ont reconnu son indépendance, la
République de Guinée-Bissau avait déjà été reconnue par une quarantaine
dlEtats, après la proclamation de l'indépendance de ce pays par le parti -
- 10 -
africain de l'indépendancede la Guinée-Bissau et des îles du Cap-Vert
(PAIGC),le 26 septembre 1973 (Rousseau,Revue générale de droit
internationalpublic, vol. 78, 1974, p. 1166, 1168). Ces quarante Etats
ne s'étaient manifestement pas sentis obligésd'attendre la décision de
l'Assemblée générale pour constaterqu'une ancienne puissance coloniale
avait, par la force des événements, cesséd'exercer et de pouvoir exercer
quelque droit ou pouvoir que ce soit à l'égard des ressourcesmaritimes
dom territoire non autonome.
En tout état de cause,le Portugal n'est pas llEtat avec lequel
l'Australie était obligée de négocier après novembre 1975.
Monsieur le Président, jlai tenté de démontrer comment,en l'absence
de toute directive des NationsUnies, les Etats traitent en fait
avec les autorités qui contrôlentun territoire qui a le droit à
l'autodétermination,afin de passer les ententes pratiques qui permettent
une coexistence pacifique. A l'occasion, il faut conclure un accord
sur des ressources qui font l'objet de prétentions contradictoires.
L'Australie affirme que dans ces conditions, la conclusion d'un tel
accord ne porte pas atteinte à une obligation concernant le droit à
l'autodéterminationde la conclusion de l'accord.
L'Australie ne conteste pas les affirmations du Portugalselon
lesquelles les appels au respect de l'autodéterminationne laissent pas
les Etats libres d'avoir des activités totalement incompatibles avec
ces objectifs déclarés (répliquedu Portugal, par. 6.37).
Toutefois, le Portugal répète,mais sans aucune analyse ou preuve à
l'appui, que conclure un accord pratique pour partager des ressources que
l'Australie n'a cessé, de bonne foi, de réclamer comme luiappartenant
entièrement, revient à certains égards à traiter la population du Timor
oriental comme si celle-ci n'avait plus son droit à l'autodétermination, - 11 -
ou comme si l'on ne respectait ou ne favorisait pas ce droit. Ce genre
d'allégation ne saurait convaincre.
Favoriser valoir le droit à l'autodétermination : la pratique des Etats
Si l'on examine les actes dont le Portugal se plaint qu'ils ne
favoriseraient ou ne respecteraient pas le droit à l'autodétermination,
on constate qu'il s'agit en fait de prétendues violations d'une
obligation de «respecter» la puissance administrante. La Cour voudra
bien se reporter au paragraphe 72 de notre duplique. Mais lorsqu'il
tente d'établir un lien indissoluble entre l'obligationd'un Etat de
respecter l'autodétermination et celle de respecter une puissance
administrante, le Portugal échoue totalement. Il suffit de se souvenir
de la dissociation claire et délibérée de ces deux aspects qui ressort
des résolutions des Nations Unies sur les territoires portugais avant
1974 (voir appendice à la duplique) pour voir combien l'argument
du Portugal est fallacieux.
L'absence de tout fondement à l'allégatioc seion laquelle la conduite
de l'Australie, concluant l'accord du Timor Gap, porte atteinte aux
obligations de celle-ci en macière d'autodétermination est confirmée par
l'examen des textes que le Portugal lui-même présente à propos des
instruments relatifs aux droits de l'homme.
Les droits de l'homme
J'évoque en particulier l'article 1" du pacte international relatif
aux droits civils et politiques et du pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels.
n:: 7 La portée des obligations des Etats parties est énoncée au
-' ,
paragraphe 3 de l'article les de ces pactes - il s'agit d'une obligation
qui vaut aussi bien pour les Etats responsables de l'administration des territoiresnon autonomes que pourd'autres Etats. Cetteobligation est
de *faciliter la réalisationdu droit des peuples à disposer d'eux-mêmes,
et de «respecter ces droits, conformémentaux dispositionsde la Charte
des Nations Unies».
L'examen des textes figurant dansles annexes aux écritures
portugaises révèle le caractère limité de cette obligation. Au lieu
d'étayer la thèsedu Portugal, selon laquellel'Australieaurait commis
une infraction, ils démontrent le contraire.
L'observationgénérale 12 adoptée par le Comité des droits de l'homme
(répliquedu Portugal, annexe 11-34) conclut à propos du paragraphe 3 de
l'article lerdupacte relatif aux droit civilset politiques :
«[T]ous les Etats parties doivent prendre desmesures positives
pour faciliter la réalisationet le respect du droit des peuples de
disposer d'eux-mêmes.Ces mesures positives doivent être conformes
aux obligationsqui incombentaux Etats en vertu de la Charte des
Nations Unies et du droit international :en particulier, lesEtats
doivent s'abstenir de toute ~ngérencedans les affaires intérieures
d'autres Etats et, ainsi, de compromettrel'exercice du droit à
l'autodétermination.»
Si l'on examine ensuitele rapport des Pays-Bas au Comité des droits de
l'homme, joint par le Portugal comme documentation pertinente (réplique
du Portugal,annexe 11.351, on voit des remarques sur la réaction des
Pays-Bas vis-à-vis de la Namibie, de l'Afrique du Sud eE du Moyen-Orient.
Quelles mesures les Pays-Bas suggèrent-ilsafin de promouvoir le droit à
l'autodéterminationdans ces situations ?
- Condamnation répétée de l'apartheid.
- Appels à reconnaîtrepleinement le droit du peuple palestinien
à l'autodétermination.
Mais le rapport note, et cela est particulièrement pertinent ici :
Ji1 8
«La thèse selon laquelle maintenir des relations avec un
Etat suppose que l'on encourage la politique de cet Etatou que
l'on impose sa politique ne saurait être acceptée.» (Par. 3.) L'Australie en est bien d'accord ! Autrement dit, selon les Pays-Bas,
l'obligation qu'a un Etat de promouvoir l'autodéterminationn'est pas
incompatible avecles relations qu'il entretient avec un Etat susceptible
d'être accusé de dénier ce droit.
De même, dans le rapport de la Finlande incluspar le Portugal parmi
ses documents (répliquedu Portugal, annexe II.36), la Finlande note à
propos de la Namibiecertaines mesuresprises pour favoriser
l'indépendanceet elle évoque particulièrement la prestation d'aide et
dlassistanceau développement. C'est ce que l'Australiea fait pour le
Timor oriental, dans de larges proportions. Cela aurait été impossible
si l'Australien'avait pas eu de relations avec 1'Etat exerçant une
autorité effective.
De plus, et c'est très significatif,le Portugal lui-même Indique
ce qu'il considère être lalimite de ses obligations à l'égard de
l'application,au Timor orientai,des pactes relatifsaux droits de
l'homme. M. Gomes déclarait lors de la 936e séance du Comité des droits
de l'homme, le 1" novembre 1989 (répliqueau Portugal, annexe 11.38) :
«Même si le Portugal déclarait quele Pacte est applicable
au Timor oriental, il ne serait pas en mesure de le faire
appliquer et respecter effectivement, pulsqu'il n'a pas accès
au territoire et se voit empêché d'exercer ses fonctions
de puissance administrante (par. 18) ...
<Le Portugal a exprimé ses préoccupations au sujet
du territoire, et aussi des nombreuses violationsdes
droits de l'homme qui y persistent dans plusieurs instances
internationales. Il continue à collaborer avec le Secrétaire
général dans les effortsqu'il a engagés pour trouver une
solution juste, globale et internationalementacceptable
à ce problème. » (Par. 20).
Autrement dit, le mieux que le Portugal croyaitavoir à faire,
c'était d'exprimer ses préoccupations. De même, à propos de la
Palestine, le Portugal «a toujours exprimésa préoccupation,. S'agissant
de la Namibie, le Portugal a appuyé l'autodétermination clors de votes -
- 14 -
sur des résolutionsde l'Assembléegénérale> (par. 23). Quant à
l'Afrique du Sud il a
<toujours exprimé sans équivoque sa condamnatioa nu régime
de l'apartheid ... Le Gouvernementportugais considère que
l'applicationde sanctions non sélectives contre l'Afrique
du Sud serait contraire auxintérêts de la majorité de la
population sud-africaineet des Etats voisins, dont l'économie
est étroitement liée à celle de l'Afrique du Sud, et que de
telles sanctionsne contribuerontpas à créer un climat interne
favorable au dialogue, seule façon dBobtenir le démantèlement
de l'apartheid.> (Par. 26.)
Monsieur le Président, de ces quelques documents seulementdu Comité
des droits de l'homme il ressort une seule conclusion. C'est que
l'obligationqui incombe aux Etats de favoriser l'autodétermination et de
respecter ce droit n'implique pas que les Etats rompent tousleurs liens
et relations avec les Etats qui exercent leur autorité sur une population
qui a le droit à l'autodétermination. L'action d'un Etat, en l'absence
d'une décision collectivede prendre des sanctionsprécises, ne va
d'ordinairepas au-delà d'appels lancés devantdes instances
internationales appropriées,et ae la prestation d'aide et d'assistance
humanitaires.
Lorsque le Portugal affirme que le comportementde l'Australieenvers
le Timor oriental violeses o~ligationsen matière de droitsde l'homme
vis-à-vis de la population du Timor oriental,cela est complètement dénué
de fondement. En ce qui concerne le Timororiental, comme nous l'avons
déjà montré, l'Australien'a cessé, au niveau bilatéral, d'appeler
l'attentionde l'Indonésiesur la nécessité de protéger les droits de
la population du Timor oriental, de réduire saprésence militaire,de
favoriser l'autonomieculturelle. L'Australie a elle-mêmeapporté une
contribution importante à l'assistancehumacitaire destinée à cette
population. A la différence du Portugal, l'Australie,en acceptant de traiter
avec llEtat exerçant son autorité sur cette population,a réussi à
contribuer bien davantage à la promotion des droits decelle-ci. Le
'-0
comportement del'Australie,comme le démontre l'analyse qui précède, est
également conforme aux attentes de la communauté internationale en ce qui
concerne la marge d'action limitée qu'envisagel'article 1, paragraphe 3,
des pactes relatifsaux droits de l'homme.
Les résolutions des NationsUnies sur l'autodéterminationparlent
régulièrementdtEtats fournissant«une assistance morale et matérielles
aux populations des territoires coloniaux. Il n'est pas suggéré d'aller
plus loin, en dehors d'appelsprécis, dans des casprécis, à prendre des
mesures précises. L'Australie s'est entièrementconformée à toutes les
résolutions des NationsUnies'relatives au Timororiental, et il n'a pas
été prouvé que les actions dont se plaint le Portugal étaient contraires
à ce que demandaient lesNations Unies.
Enfin, je peux évoquer brièvementles résolutionset déclarations du
Parlement européen et du Conseil de l'Europe, sur lesquellesle Portugal
cherche également à se fonder imémolreau Portugal, annexes 11.106
à 11.114, CR 95/2, p.40). Ces déclarationsn'étayent pas la thèse du
Portugal, selon laquelle lesEtats sont tenus ae ne pas traiteravec
l'Indonésiede ce qui concernele territoire. Elles confirmentque la
population duTimor oriental a le droit à disposer d'elle-même,mais ce
n'est pas contesté en l'espèce. Elles appuientpeut-être la thèse selon
laquelle ces instances considèrent qul ea présence de l'Indonésieau
Timor oriental est illégale - mais le Portugal convientqu'il s'agit
d'une question que la Cour n'est pas en mesure de trancheren l'espèce.
Elles confirment lapréoccupationqu'inspire le bilan indonésienen
matière de droits de l'homme. L'Australie a exprimé le même souci. -.
- 16 -
Monsieur le Président, je n'ai pas examiné les mesuresprécises
que d'autres Etats ont prises vis-à-vis du Timor oriental lui-même.
M. Bowett s'en chargera dans le cadrede son analyse des résolutionsdes
Nations Unies. Leur conduitemontre que biendes Etats reconnaissent
l'Indonésieet traitent avec elle commeEtat habilité à s'occuper du
territoire du Timor oriental. LesEtats concluentavec l'Indonésiedes
- 221
traités bilatérauxqui s'appliquent au Timor oriental. L'Indonésie
applique des traités multilatéraux à son territoire,qui comprend le
Timor oriental. Et pourtant, il n'y a pas de protestation (voirle
contre-mémoirede l'Australie,par. 169-173 et annexe 24). Tout cela
confirme que les Etats ne voient pas d'incompatibilitéentre le devoir
de favoriser et de respecter le droit à l'autodéterminationet le fait
de traiter avec 1'Etat qui exerce effectivement son autoritésur le
territoire de la population qui possède ce droit. Le comportementde
l'Australien'est pas différent à cet égard de celui de bien d'autres
Etats - tant vis-à-vis du Timor oriental lui-même que suagissant d'autres
territoires où se posent des problèmes d'autodétermination et dont
la souverainetéest contestée.
Conclusion
Monsieur le Président, en conclusion, l'obligationde promouvoir
l'autodéterminationest un exemple d'obligationqui n'est pas assortie
d'une prescription de moyens. Pour que le Portugal puissefaire valoir
que l'Australiea violé le droit de la population du Timororiental à
l'autodétermination,il doit prouver que le comportement précisde
l'Australiedont il lui fait griefa entravé ou empêché d'une façon ou
d'une autre l'exercice de ce droit à l'autodétermination. Pour toutes
les raisons exposéesen détail, tant par M. Crawford quepar moi-même, - 17 -
il y a échoué. L'Australien'a pas violé le droit du peuple du Timor
oriental à disposer de lui-même.
je vous invite maintenant à donner la parole au professor Bowett.
Mercie de votre patience.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Burmester. Je donne
la parole au professeur Derek Bowett.
Mr. BOWETT : Merci, Monsieur le Président.
Comment l'organisation des Nations Unies voit le comportement
de l'Australie
Monsieur le Président, Messieurs de laCour, après tant de jours de
plaidoierie vousvoyez sans difficulté quel comportement del'Australie
le Portugal conteste. L'Australie a négocié un traité avec l'Indonésie
pour organiser l'explorationet exploitation de sespropres ressources
marines. Le Portugal veut vous faire accroire qu'elle a ainsi violé
le droit international.
Le Portugal contestemaintenant la légitimité de l'intérêt que
l'Australie a dans les ressources en question dans une partie dela zone
de coopération. Dans ses écritures, il ne s'en prend pas à la validité
intrinsèque du traité mais argueen substance que le traité a été conclu
avec la partie qu'il ne fallait pas : l'Indonésie et non le Portugal.
Il va sans dire que cette position a maintenant évolué. Dans ses exposés
oraux, le Portugal a nettement contestéle contenu même du traité : Il
organise le «pillage» des ressources du Timor oriental par l'Australie,
et il est contraire au jus cogens que sont le droit à l'autodétermination
et son corollaire, le droit à la souveraineté permanentesur les
ressources naturelles (CR 95/2, p. 37, 45; CR 95/3, p. 73 à 81). Mais considérez la situation dans laquelle se trouvait l'Australie.
Il était indispensablequ'elle s'entende avec 1'Etat dont les côtes
faisaient faceaux siennes avant de pouvoir entreprendrel'explorationet
l'exploitation de ses propres ressources marines. Avec qui pouvait-elle
négocier ? Avec le Portugal ? Ce n'était pas très réaliste. Le Portugal
avait quitté le Timor oriental, n'était plus un Etat côtier effectif,et
n'était ni apte et ni disposé à mettre en oeuvre quelque ententeque ce
soit. Avec qui alors ? La seule réponse réaliste était avecl'Indonésie,
car c'était l'Indonésiequi exerçait l'autorité effectivesur le
territoire, et ce depuis quatorzeans; rien n'indiquait que la situation
changerait. A toutes fins utilesl'Indonésieétait llEtat côtier d'en
face et, pour conclure un accord effectif,ll~ustraiien'avait personne
d'autre avec qui négocier.
n r\ 7 Ainsi, ce sont les circonstances mêmes qui ont dicté le choix du
'-L! 3
partenaire de l'Australie,et elle a fait ce choix dans l'exercicede sa
faculté dlEtat souverain de négocier avec les Etats côtiers voisins des
accords concernant les ressourcesàes zones marines contiguës.
Pourtant, le Portugal nie que 1'Aus~raiieait eu la moindre liberté
de choix et il argue qu'elle était légalement tenuede négocier avec
le Portugal, et de ne pas négocier avec l'Indonésie.
Je souhaiterais maintenant,Monsieur le Président,m'intéresser à
l'origine de cette prétendue obligation juridique :celle de négocier
avec le Portugal et non avec l'Indonésie1. La source de la prétendue obligation présumée de négocier
avec le Portugal et de ne pas négocier avec l'Indonésie
Il me semble qu'il y a deux sources possibles de cette prétendue
«obligation» : le droit internationalgénéral, et la Charte des
Nations Unies. Je les aborderai tour à tour.
Je sais bien que M. Dupuy a nommé trois sources (CR 95/3, p. IO),
la troisième étant les pactes relatifs aux droits de l'homme, dont
M. Burmester a déjà parlé. Mais, lorsqu'il invoque ces pactes, M. Dupuy
parle des droits de l'homme du peuple du Timor oriental. Je parle ici du
droit que le Portugal revendiqued'être le seul Etat habilité à traiter
pour le compte du territoire.
a) Droit international général
Le droit international généraiest assurément pertinent ici, et
toutes les règles qui seraient applicables confortenten fait la position
de l'Australie et semblent tout à falt incompatibles avec «l'obligation»
alléguée par le Portugal.
Prenons les règles générales enmatière de délimitation maritime
et de gestion des ressources. Elles imposent clairement l'obligation
de négocier avec 1'Etac côtier concerné et ce, pour la bonne raison que
c'est le seul qui puisse honorer etexécuter un accord de gestion et de
partage des ressources marines. Une chose est claire. Le Portugal
n'était pas 1'Etat côtier en ce qui concerne le Timor oriental, et
l'obligation dont l'Australie aurait été tenue de négocier le traité
relatif au Timor Gap avec le Portugal - et le Portugal seulement -
contredit directement cette règlegénérale.
Ou bien, prenons les règlesgénérales de la reconnaissance. Comme
elle l'a montré dans son contre-mémoire (troisièmepartie, chap. II),
l'Australie avait le droit - en l'absence d'une résolution obligatoire - 20 -
d'effet contraire du Conseil de sécurité - de reconnaître la souveraineté
de llEtat qui possddait effectivementet réellement le territoire. Or,
l'Indonésiedétenait le contrôle effectif duTimor oriental depuis
quatorze ans quand le traité a été conclu !Là encore donc, l'allégation
du Portugal selon laquelle l'Australieavait l'obligationjuridique de
ne pas reconnaîtrel'Indonésieet de ne pas traiter avec elle à propos
du Timor oriental, contredit directementles règles relatives à la
reconnaissancedu droit internationalgénéral.
L'Australie admet bien volontiers,faut-il le dire, que la Charte des
Nations Unies peut lui imposer une obligation qui n'a pas d'équivalent
dans le droit internationalgénéral. Mais le cas ne peut se présenter
que si une dispositionde la Charte le prévoit clairementet si le
Conseil de sécurité, appliquant les dispositions de la Charte et agissant
dans le cadre du chapitreVII, impose à un Etat une obligation
impérative. 11 nousfaut donc examiner ceque j'appelleraile «droit
des Nations Unies» pour voir si nous y trouvons la source de ces
obligations qu'allègue le Portugal.
b) Droit des Nations Unies
i) La Charte des Nations ünies
Pour ce qui concerne laCharte même, le Portugal n'a pu y trouver
une seule dispositionconsacrant clairementl'obligationjuridique dont
il dit qu'elle s'imposait à l'Australie.
Il cite bien sûr diverses dispositionsde la Charte :le paragraphe 2
de l'articlepremier; le paragraphe 5 de l'article 2, les articles 55
et 73 par exemple. Maisaffirmer le droit à l'autodéterminationdu
peuple du Timor oriental (quel'Australiereconnaît sansréserve) ou le
droit au développement de cepeuple, ou le devoir d'aider l'ONU, ou même - 21 -
le statut du Portugal en tant que <puissances administrantew, ne donne
aucun contenu à cette obligation juridique de l'Australie, relativement
précise. Déduire une obligation juridique aussi bien définie de
dispositions aussi générales relève, de la part du Portugal, de la pure
spéculation. Et, comme nous allons le voir, il est le seul à spéculer
dans ce sens : on ne trouve nulle part - ni dans les résolutions du
Conseil de sécurité, ni même dans les recommandations de l'Assemblée
générale - la moindre chose indiquant que ces organes ont souscrit à la
thèse portugaise selon laquelle une obligation juridique précisepeut
être extrapolée de dispositions très générales de la Charte , ou même
de résolutions concernant le Timor oriental.
ii) Résolutions de 1 'Organisationdes Nations Unies
Monsieur le Présidect, perme~zez-mol d'examiner maintenant avec une
certaine attention les résoiut~ons aaopcées à propos au Timor oriental.
Je commencerai par celies du ConselI Se sécurité car, sur le plan du
droit, il est le seul à pouvoir, 1,--sqx1il asiz au tlzre du Chapitre VII,
imposer à l'Australie cette obligatio- jurin~que expresse, aans une
situation comme celle qui nous intéresse. Je c'ec continuerais pas moins
par l'examen des résoiu~ions Se 1'Assembiée générale elle-même, parce
qu'il est important, indépendamment du point ae vue strictement
juridique, de voir si 1'Assemblée a jamais souscrit à l'extraordinaire
interprétation de la Charte que donne le Portugal.
Ce que nous cherchons aans ces résolutions, c'est un témoignage de ce
que pensait llOrganisatiorA aes KaEions Unie des trois points suivants :
1) L'Australie était-elle juridiquement tenue de négocier avec le
seul Portugal ?
2) L'Australie était-elle dans l'imposibilité juridique de traiter
avec l'Indonésie ? - 22 -
3) L'Australie a-t-elle janais été jugée en infraction avec la
Charte ? En particulier, l'ONU a-t-elle jamais considéré que l'Australie
était en infraction avec le droit à l'autodétermination du peuple du
Timor orientai ?
a) Résolutions du Conseil de Sécurité
Le Conseil de sécurité nia adopté que deux résolutions :
la résolution 385 du 22 décembre 1975, et la résolution 389 du
22 avril 1976.
Permettez-moi de dire un mot du fondement constitutionnel de ces
résolutions. Je peux être bref parce que les textes montrent qu'aucune
d'elles ne porre sur l'un des trois poin~s que je viens de mentionner.
Aucune rksolution n'invite L'Australie, ci d'une manière générale les
Ecats Membres, à ne négocier qr'avec le Portugal. Aucune résolution ne
5emande à l'Australie de ne pas tra;zer avec l'Indonésie. Et aucune
résoluCion ne condamne 1'Auszralie pour avoir vicié la Charte de
l'organisation des Nations Ucies oü le drclt inzernational. Et cela peut
se dire non seulement de tous les paragraphes CG 1'Austraile serait
nommément citée (et il n'y er a aururi,,mais aussi de tout paragraphe qui
traiterait d'une manière générale àes Ecats Membres, et s'adresserait
àonc aussi à l'Australie.
De ce point de vue àonc, débattre da fondement constitutionnel n'a
qu'un intérêt marginal pour notre argumentation. La question critique
habituelle, celle de savoir si le Conseil fait une simple recommandation
ou prononce une injonccion irnpéraziveayant force obligatoire, ne se pose
guère puisque les résolu~io~s Le parlent pas àu tout de l'Australie.
Cependant, comme certains pourraient ne pas être de cet avis - ce qui
est le cas du Portugal -, permettez-moi de pousser le raisonnement e: de - 23 -
moncrer que le Conseil de sécurité agissait sciemment au titredu
L'2 7
chapitre VI de la Charte, et non du chapitre VII, et qu'il faisait en
outre des recommandations visant au règlement pacifique de la situation
plutôt qu'il ne donnait aux Etats aes directives obligatoires ez
impératives.
J'admets bien sûr que le Conseil n'a pas à invoquer expressément
le chapitre VI1 pour agir au titre du chapitre VII. Mais en l'espèce,
tous les éléments d'appréciation montrent que le Conseil a délibérément
choisi d'éviter le chapitre VII, et même d'éviter de prendre des
décisions exécutoire au titre du chapitre VI. L'Australie affirme que
le Conseil agissait touc à fait délibérément, car il savait que les Etats
Membres n'approuvaient pas l'adoption de sanctions obligatoires à
l'encontre de l'Indonésie. 2our la même raison. le Conseil a même évité
de demander aux Etats Membres de déciencher ia sanction qu'aurait
constitué la non-reconnaissance. Laisser eEtendre, comme le fait le
Portugal, que les Etats Membres avaien; quarZ même l'obiigation
d'appliquer des sanctions, en àisanc que cela décoüle nécessairement
du fait que le Conseil a conclu à l'existence d'un droit à
l'autodétermination, c'est vraimenz aller à l'opposé àe la politique
délibérée du Conseil, qui était d'éviter tout ce qui pouvait faire penser
à une sanction. C'est ce que montrent clairement les résolutions.
Considérez la manière doct elles sont formulées. Vous noterez
l'absence complète de renvoi à l'aticle 39 ou à la notion de <menace
contre la paix, rupture de 12 paix oc acte d'agression». Vous noterez
que le Conseil «prie» les Etats ou leur «demande» de faire telle ou telle
chose. Vous constaterez l'absence totale de termes dénotant une
obligation impérative, comme «décide», «exige», «ordonne* ou «insiste*. - 24 -
Les résolutions évoquent l'objectif d'une <solution pacifiques de
la situation, terminologie qui est celle du chapitre VI.
Considérez ce qu'ont dit les délégations au Conseil de sécurité,
vous arriverez à la même conclusion. La France a parlé des
«négociations> nécessaires et de «l'entremise» du Secrétaire général
(doc. S/PV.l915, 22 avril 1976, p. 11-12). Le Japon a parlé de
Ilobjectif d'un <<règlementnégociés et d'une <solution pacifiques
C 2 8
(doc. A/C.4/SR.2180, 3 décembre 1975). Cette terminologie corrobore
la conclusion que la situation relevait proprement du chapitre VI de
la Charte.
Tel est clairement l'avis de 1'As~em~lée générale. Le
12 décembre 1975, elle a adopté sa résolution 3485 (XXX). Au
paragraphe 6 du texte, elle a-peilait i'attenzioc du Conseil de sécurité
sur la situatioc dans le territoire dü Timor orienta? «conformémect au
paragraphe 3 de l'article i: àr la Charcex
La Cour se souviendra que le paragrapne 3 àe cet arcicle 11 dispose :
«LIAssemblée générale peut attirer l'aztencioc du Conseil de
sécurité sur les situations qui sembienz devoir mettre en danger
la paix et la sécurité interna:lonales."
Il ne fait absolument aucun àoute qu'une situation qui semble
devoir mettre en danger la paix et la sécurité internationales relève
du chapitre VI :l'article 33 dit la même chose.
La première résolution, la résolution 385 (1975), a indubitablement
été adoptée au titre du cnapitre VI, et non du chapitre VI1 de la Charte,
et le nom de l'Australie n'apparaît nulle part. En fait, deux Etats
seulement sont mentionnés : le premier est l'Indonésie - dont on «déplore
vivement» l'intervention militaire, on «regrette» en second lieu que le
Portugal ne se soit pas pleinement acquitté des responsabilités qui lui
incombaient en tant que puissance admi~istrante. - 25 -
11 est clair - ez ses délibérations l'attestent - que le Conseil a
jugé qu'un blâme revenait et à l'Indonésie et au Portugal. Mais il
n'était pas disposé à condamner l'Indonésie pour agression, ni à la tenir
responsable d'avoir menacé, ou violé la paix ou, même s'il lui aemandait
de retirer ses forces. Mais il n'a pris, autorisé, ni même recommandé,
aucune sanction, d'aucune sorte, contre l'Indonésie, pas même la sanction
de non-reconnaissance.
Quant aux autres Etats Membres, dont bien sûr l'Australie, ils ont
été priés de coopérer pleinement avec l'organisation des Nations Unies
et ont en outre fait l'objet d'une «demande» dans un paragraphe du
dispositif qu'il vaut la peine de citer, tant le Portugal s'appuie sur
la disposition qu'il contient :
«Le Conseil de sécuriré,
... Demande à tous les Etats ae respecter l'intégrité
territoriale du Timor criencal, ainsi que le àroir inaliénable
de son peuple à 19autodé:ermrnarion... »
La deuxième résolu:ion, ia résclution 389 du 22 avril 1976, répète
cette demande . Sous ses autres aspects aussi, y compris la aemande
adressée à l'Indonésie de rezirer ses forces, cette deuxième résolution
reprend la première en suostance, quoiquoen termes plus modérés.
Devant le texte de ces deux résolutions, comment peut-on laisser
entendre que l'Australie avait en 1989 l'obligation juridique de ne pas
traiter avec l'Indonésie, ez Se traiter seulement avec le Portugal en
ce qui concerne les ressources du Timor Gap ? Si, comme l'Australie le
soutient, le Conseil agiscal: ac titre du chapitre VII, à priori, aucune
obligation juridique impérativen'aurait existé de toute manière. Mais,
outre cela, l'obligaticn expresse de traiter ou de ne pas traiter avec
tel ou tel Etat n'est pas une inférencenécessaire et logique de -
- 26 -
l'appel général laccé aux Ecats Membres de respecter le droit à
llautodétermination d'un certain peuple.
Cela apparaît nettement dans la pratique du Conseil de sécurité
lui-même. Prenons l'exemple de ce qu'il a fait à l'égard de la Rnodésie
Le Conseil ne s'est pas contenté de demander aux Etats de respecter le
droit à l'autodétermination du peuple rhodésien, en laissant la logique
inférer le reste. Il a très explicitement défini les obligations*de
ne pas reconnaître* le régime blanc minoritaire (résolution 216, 1965),
<de n'entretenir aucune relation diplomatique ou autre, avec ce régime
(résolution 217, 1961) , et ade considérer comme ~bsolument illégal
.LJ3 t]
le régime de la minorité raciste» (résolution 328, 1973).
Il a fait la même chose à propos de la Namibie. Après avoir affirmé
le droit du peuple namibien à l'aü~odétermination,le Conseil n'a pas
abandonné le reste à la simple déductio~ logique. Aucune obligation
juridique des Etats Memnres n'est censée naîcre par inférence de cette
affirmation dü Conseil. Celui-ci a ait prScisément ce que les Etats
Membres devaient faire. Ils ont été préc~sé~ent priés de «s'abstenir de
toutes les relations avec ie Gouvernement sud-africain* qui seraient
incompatibles avec la conclusion au Conseil selon laquelle la présence de
l'Afrique du Sud dans le territoire était illégale
(résolution 276, 1970); ils ont été précisément priés de «s'abstenir de
toutes relations - diplomatiques, consulaires ou autres - avec l'Afrique
du Sud qui indiqueraient qr'ils reconnaissent l'autorité du Gouvernement
sua-africain sur le territoire de la Namibie ...» (résolution 283, 1970).
Et, dans l'avis consultati: rendu par la Cour en 1970 à propos de la
Namibie, c1est à cause de la résolution 276, 1970, et de la conclusion
expresse que la présence de l'Afrique du Sud était illégale, que les
Etats Membres ont été considérés comme tenus de s'abstenir de toutes - 27 -
relations avec l'Afrique du Sud qui concerneraien: des traités àans
lesquels celle-ci assumerait les compétences de représentant de la
Namibie.
Le Conseil de sécurité a suivi exactement la même pratique dans le
cas des Homelands de l'Afrique du Sud, de Chypre sous occupation turque,
de l'occupation du Koweït par l'Iraq, et de l'occupation par Israël des
territoires arabes après la guerre de six jours de juin 1967. Dans le
contre-mémoire de l'Australie (p. 182-193, app. A), nous avons illustré
cette pratique de manière assez détaillée et il est inutile de la passer
à nouveau en revue.
La conclusion est claire. Le Conseil de sécurité n'a pas pour
pratique de laisser les obligations juridiques des Etats naître «par
inférence» de conclusions générales quant à l'existence d'cn droit à
llau~odétermination ni même quanr à l'illégalité de l'occupation d'un
territoire par un Etat. Cass r3üs les câa, le Conseil explicite les
obligations qu'il impose, er ze pour l'excellente raison que si certaines
choses sont laissées aux simples inférences, il eE résulte aes méprises
car il est presque inévita~ie que les EEacs er tirent des conclusions
différentes. Ici, pourZan:, on n'â rieu. Le Conseil de sécurité n'a pas
prononcé ni imposé la moinare obligation juridique à l'Australie, ni à
aucun autre Etat Membre, qul mettrait l'Australie dans l'impossibilité de
conclure avec l'Indonésie le traits relatif au Timor Gap. Le Portugal
n'a non plus jamais propos0, ni au Conseil de sécurité ni à l'Assemblée
générale, un projet de résoluzion qui aurait mis l'Australie - ou plus
généralement les Etats Yembres - dans l'impossibilité de traiter avec
l'Indonésie, ou qui l'aurai: conaamnée pour l'avoir fait.
C'est là, selon l'Australie, un fait concluant. Mais supposons un
instant que cette pratique concluacce n'existait pas et que l'on puisse - 28 -
soutenir, comme le fait maintenant le Portugal, que par simple izférence
il en découlait des obligations juridiques. Si tel était le cas, et si
nous partons de l'hypothèse que le Portugal a raison de prétendre qüe ces
deux résolutions du Conseil de sécurité imposaient des ob1iga:io~s
juridiques à l'Australie, n'est-il pas extraordinaire que le Conseil
n'ai: jamais mis en cause la conclusion du traité de 1989 par
l'Australie ? Après tout, si le Portugal a raison, en décembre 1989
l'Australie a commis une violation flagrante des devoirs découlant de
l'affirmation explicite par le Conseil du droit à l'autodétermination du
peupie du Timor oriental. Le Conseil connaissait bien l'existence du
traité. Donc le Portugal nous demande de croire que pendant quatorze ans
le Conseil, connaissant cette violation flagrante par l'Australie, est
demeuré silencieux ! Cette idée esr impossible à accepter. Quels que
soient les défauts du Ccnseii de securité, le silence ne figure pas parmi
eux.
Et puis il y a une aczre considérat~an, tcut à fait dis~incce.
Le Portugal nous a beaucoup parlé aes o~llgaflons que l'Australie, par
inférence, aurait assumées. Je voüdrais maintenant parler des droits de
l'Australie.
Comme le montrera M. Pellet, 1'Aus:ralie aussi a un droit de
souveraineté sur ses ressources naturelles. L'Australie aussi a le droit
d'exploiter ses ressources en mer, et, à cette fin, de négocier les
arrangements voulus avec les Etats côtiers voisins. Sans de tels
arrangements, l'exploitation esc en général impossible.
Or, dans la présente affaire, :a négociation avec le Portugal était
inutile. L'Australie n'avait pas le choix : ou négocier avec
l'Indonésie, ou abandonner tout espoir d'exercer ces droits importants. - 29 -
La Cour comprendra aisément les implications de ia tnèse portugaise.
On veut dénier à l'Australie ces droits souverains par inférence
nécessaire tirée de l'appel général au respect de l'intégrité
territoriale du Timor oriental et du droit de son peuple à
l'autodétermination.
Monsieur le Président, j'ai du mal à y croire. Pour priver
l'Australie de ces droits importants, il faudrait i) une décision
expresse du Conseil de sécurité selon laquelle l'Australie a commis un
délit consistant en «une menace contre la paix, une rupture de la paix,
ou un acte d'agression» et, en conséquence, qu'une telle sanction devait
s'appliquer à l'Australie, et ii) un rappel expresse ou implicite par
le Conseil de ses pouvoirs au titre du Chapitre VII. Je ne crois pas
que l'Australie puisse être privée ae ses droizs souverains par simple
inférence ou par une action au titre aü Chapitre VI de la Charte.
Je suppose que malgré le s~lence dü Conseil de sécurité, l'Assemblée
générale, même en l'absence ae pouvoirs coc~raignsnts, aurai^pu exprimer
l'opinion selon laquelle une obliga~ion juridique avait été imposée à
2 b-' l'Australie, et qu'en concluant le Craité du *Timor Gapr, 1'Australie
avait manqué à cette obligation. Après tout, la promotion et la
protection du droit à l'autodétermination est une compétence spécifique
de l'Assemblée. Voyons donc brièvement les résolutions pertinentes de
l'Assemblée générale pour voir si elles confortent la thèse du Portugal.
b) Les résolutions de l'Assemblée générale
Huit résolutions ont été adoptées entre 1975 et 1982. Aucune d'entre
elles ne mentionne l'Australie. Il n'est pas surprenant que rien dans
aucune de ces résolutions ne suggère que L'Australie doit être privée de
ses droits à exploiter ses ressources naturelles. Encore plus frappant,
aucune d'entre elles ne met d'obligations juridiques à la charge de tous - 30 -
les Etats Membres, par exemple celie de ne pas reconnaître le conzrôle de
l'Indonésie ou de ne pas traiter avec l'Indonésie dans des domaines
affectant le Timor oriental. C'est là un fait remarquable, ne serait-ce
qJe parce que dans ses résolutions sur la Rhodésie, la Namibie et les
territoires arabes occupés par Israël, par exemple, c'est précisément
ce qu'a fait l'Assemblée générale.
En revanche ce que l'on trouve, c'est une censure initiale de
l'Indonésie - pas pour une agression, remarquez-le bien - mais pour son
«intervention militaire*, qui est déplorée. Et même cette censure
disparaît après 1976 en tant que paragraphe explicite des résolutions.
Dans les débats, de plus en plus dlEtats ont évoqué la nécessité
d'accepter la réalité de la sicuatioc créée par le contrôle de
1'Indonésie. Certains se sont même aemanaés si la questioc aevaiz
coctinuer d'être inscrite à l'ordre du joür. L'intérêt de l'Assemblée
s'est déplacé, pour s'arrêter sur la médiation de l'Organisation des
Nations Unies entre l'Indonésie, le Portugal et le peuple du Tlmor
oriental afin d'essayer de prorncuvo:rl'au~odéterminationet traiter les
questions humanitaires. Même aiors, maiori les termes de plus en plus
modérés des résolutions, l'appui ae l'Assemblée à toute intervention de
l'organisation des Nations Unies a EaiBl1. La dernière résolution, celle
de 1982, n'a été adoptée qu'à une très faible majorité, cinquante Etats
seulement ayant voté pour, quarante-six contre, et cinquante s'étant
abstenus. J'invite la Cour à examiner le tableau qui porte le numéro 2
dans le dossier qui lui a été remis. Il montre le déclin de plus en plus
marqué de l'appui exprimé à l'Assemblée en faveur d'une action quelle
qu'elle soit concernant le Timor oriental. En 1982, moins d'un tiers
des Membres y étaient favorables. C'est ce laps de temps, entre les premières résolutions de 1975
et 1976 la conclusion du traité sur le <Timor Gap,, qui est crucial.
Certes, au début, les Nations Unies étaient prêtes à censurer l'Indonésie
en termes relativement modérés, pour affirmer le droit du Timor oriental
à son intégrité territoriale et le droit de son peuple à
l'autodétermination. Mais le fait est que les Nations Unies se sont
désintéressées de la question, ou du moins ont perdu l'espoir de modifier
la situation. C'est là un facteur dont l'Australie a dû tenir compte :
il signifiait que l'Australie n'avait d'autre choix que de traiter avec
l'Indonésie.
Mais la thèse du Portugal, telle qu'elle a été si bien et si
clairement présentée par Mme Hiogins, est que le passage du temps n'a pas
d'importance. Les obligations des Etatc Membres perdurent, sur la base
d'une inférence logique et nécessaire cirée aes premières résolutions.
Arrêtons-nous un instant pour exar.inerces inférences logiques et
nécessaires tirées des premières résolurions. Le Pcrtugal a-=-il tiré
de telles inférences ? Permettez-mû: ae ri~er ÿc exErait du compce-rendu
des travaux de la Quatrième Commission en 1962 (A/C.4/37, SR.19, p. 34) :
«Le Portugal es:, pour Is première fois, coauteur d'un projet de
résolution sur le Timor oriental. Auparavant il considérait qu'en
tant que puissance administrante, il pouvait difficilement appuyer
des résolutions qui n'abordaient pas le problème essentiel : la
reprise effective de l'administration du territoire ...» (Par. 25.)
Or, si Mme Higgins a raison, si par inférence logiqye et nécessaire
on peut déduire des résoluzions antérieures que la position du Portugal
en tant que puissance aaminis~rante est inattaquable, pourquoi le
Portugal a-t-il eu du ma1 à les appuyer ? Pourquoi le Portugal a-t-il
estimé qu'elles «éludaien: la quescioc principale» ? Monsieur le
... Président, selon toute vraisemblance la réponse est que ces résolutions
ne confirmaient pas que le Portugai avait des droits exclusifs à - 32 -
représenter le territoire et n'exigeaien: pas des Etats Membres qu'ils
reconnaissent uniquement le Portugal.
S'il en était ainsi lorsque les résolutions ont été adoptées au
débuc, on peu: imaginer ce qu'il en était lorsqu'elles sont devenues plus
faibles au fil des ans et que la majorité qui les appuyait a diminué.
Mais Mme Higgins nie cela. Le passage du temps n'a pas d'importance.
Les Etats doivent continuer à faire leur devoir - leur devoir inféré -
sur la base des résolutions initiales et ne tenir aucun compte du profond
changement d'attitude qui a eu lieu au sein des Nations Unies. Les Etats
doivent continuer d'agir comme si l'Organisation des Nations Unies s'en
était toujours inflexiblement tenue à ses résolutions antérieures.
Monsieur le Présiàent, c'est là une vue des obligations des Etats
Membres qui est bien loix de la réalité ou des impératifs pratiques.
Vous vous souviendrez de l'argumen: du Portugal - exposé par Mme Higgins
(CR 95/5, p. 8-32) - selon lequel l'absence àe résolution après 1982
n'a aucune pertinence juridique ez s'explique aisémen: par le fait que
l'Assemblée était trop occupée pcur rt5affirmerles mêmes résolutions, que
de toute façon ce n'est pas l'usage et que clé:ait difficile en raison de
la guerre froide.
Monsieur le Président, c'est au contraire l'usage. Des questions
comme celles du Sud-Ouest africain et de la Rhodésie ont continué à être
inscrites à l'ordre du jour e: des résolutions ont été adoptées, malgré
la guerre froide, d'année ec année précisément parce que les Etats
Membres ne s'en sont pas désintéressés et étaient décidés à changer la
situation. Si l'intérêt existe, il n'est pas question que l'Assemblée
soit trop occupée.
La véritable explication se trouve dans le tableau 1 que je viens
d'évoquer. Après 1982, les Etats Membres ont estimé que l'Indonésie - 33 -
était à Timor pour y rester. L'Australie est parvenue à la même
conclusion et, lorsqulà défaut d'autre solution, elle a traité avec
l'Indonésie, aucune critique ne s'est élevée au sein de l'Organisation
des Nations Unies.
Monsieur le Président, quel que soit le jugement que l'on porte sur
936
l'action de l'Assemblée en l'espèce, une chose est claire. Il n'y a pas
le moindre élément de preuve attestant que llAssemblée ait soutenu les
prétentions que le Portugal présente devant la Cour. Au cours de toutes
ces années, il n'y a pas eu une seule voix à l'Assemblée pour appuyer la
thèse selon laquelle les Etats Membres ne pouvaient traiterqu'avec le
Portugal et non avec l'Indonésie. Et pas une seule voix n'a été entendue
pour faire écho à la plainte du Porcugal alléguant que l'Australie a
violé le droit du peuple du Timor oriental à l'autodétermination. Et
cela est vrai autant pour les débats au Conseil de sécurité que pour les
débats à l'Assemblée générale.
Comment peut-il donc se faire que l'obligation légale de traiter
exclusivement avec le Portugal a éz6 imposée à l'Australie - en tant que
conséquence directe et nécessaire du droit à l'autodétermination du
peuple du Timor oriental - et qu'aucun des deux organes n'ait jamais
mentionné cette obligation ni considéréque l'Australie l'avait
enfreinte ? Le traité relatif au «Timor Gap» n'a jamais constitué un
secret. Le Portugal a attiré l'attention du Comité des Vingt-Quatre sur
ce traité le 9 novembre 1988. Les Etats Membres en avaient pleinement
connaissance. Et pourtant personne - à part le Portugal - n'a jamais
accusé l'Australie d'avoir manqué à cette prétendue obligation de
traiter exclusivement avec le Portugal ou d'avoir violé le droit à
l'autodétermination. Si le Portugal a raison, l'Australie a violé
une règle du jus cogens découlant des résolutions de l'Organisation - 34 -
des Nations Unies - et personne ne s'en est aperçu ! C'est vraiment
étonnant. Est-il possible que les Nations Unies ne partageaient pas
l'opinion du Portugal ?
Est-il possible, Monsieur le Président, que toute la communauté
mondiale ait tort et que le Portugal ait raison ? Je ne le pense pas
Et pas seulement parce que les comptes rendus des débats'ne soutiennent
pas le Portugal. Le fait est que le Portugal est incapablede montrer,
par un processus quelconque de raisonnement juridique, comment on
peut partir des prémisses simples et inattaquables du droit à
llautodétermination pour aboutir, par extrapolation, à cette allégation
. .
'.J7 insensée d'une obligation juridique qui SI imposerait à l'Australie de
traiter exclusivement et inutilement avec le Portugal. Le défaut du
raisonnement réside dans cette extrapolatioc insensée que personne
d'autre n'accepte.
2. La conduite d'autres Etats comme preuve de l'existence de l'obligation
juridique alléguée par le Portugal
Monsieur le Président, je vouarais maintenant, avec votre permission,
examiner la conduite d'autres Etats. La pertinence de cette conduite est
évidente. Si, comme le soutient le Portugal, la source des prétendues
obligations, contraignantes pour l'Australie, réside dans le droit à
l'autodétermination, alors tous les Etats doivent être soumis à des
obligations similaires. Car le droit à l'autodétermination du peuple du
Timor oriental existe erga omnes. En conséquence, tous les Etats doivent
être liés par les mêmes devoirs. Comme je vais le montrer, de nombreux
Etats rejettent l'idée qu'ils puissent être soumis à ces obligations : ce
n'est pas seulement l'Australie. Et de cette abondante pratique des
Etats, on pourra tirer la conclusion que les obligations supposées sont
entièrement illusoires. - 35 -
Prenons d'abord le groupe dlEtats qui estiment que le peuple du Tlmor
oriental a déjà exercé son droit à l'autodétermination. C'est là une
position plus extrême que celle de l'Australie, mais s'ils ont raison, il
est évident que tout le fondement de l'argumentation portugaise
s'effondre : en effet, selon cette opinion, le territoire a été
licitement intégré à l'Indonésie. Ce groupe dlEtats comprend le
Bangladesh, l'Inde, l'Iran, l'Iraq, la Jordanie, la Malaisie, le Maroc,
Oman, les Philippines, l'Arabie saoudite, Singapour, le Suriname et la
Thaïlande. Dans son contre-mémoire (p. 77-76) l'Australie a reproduit
les déclarations faites par les représentants de ces Etats, qui
soutenaient cette position.
Il y a ensuite un groupe dlEtats qui estiment que le peuple du Timor
oriental conserve son droit à l'autodétermination,mais en même temps qui
acceptent la réalité du contrôle effectif du territoire par l'Indonésie
et ne s'attendent pas à ce que ia situation change. Dans ce groupe,
on compte le Canada, le Japon, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, la
Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni, la Suède, la Mauritanie et les
Etats-Unis. Citons les observations aü représentant de la Suède
devant la Quatrième Commission en 1979 :
*La délégation suédoise estime par ailleurs qu'il
s'est maintenant créé au Timor orientai une situation de
fait et qu'il n'existe aucune autre perspective réaliste.»
(A/C.5/34/SR.23, 2 novembre 1970. )
Allant dans le même sens, ia Nouvelle-Zélande a exprimé l'opinion
que «la situation dans ce territoire est irréversible» (contre-mémoirede
l'Australie, annexe 6); enfin, les Etats-Unis ont jugé que l'«intégration
[à savoir, l'intégration par 1'Indonésiel était un fait accompli»
(annexe 4) Les Etats sont habilités à traiter avec l'autorité qui exerce
le pouvoir. Et ce faisant ils n'agissent pas de manière illicite.
Il y a encore un autre aspect de la pratique des Etats qui étaye
cette thèse, car il est clair que d'autres Etats ont, comme l'Australie,
conclu des traités avec l'Indonésie à propos du territoire du Timor
oriental. Il s'agit en l'occurrence d'accords tendant à éviter la double
imposition ou de traités visant la promotion et la protection des
investissements, ou encore d'accords sur le transport aérien;
manifestement si ces instruments s'appliquent explicitementau Timor
oriental, ils impliquent la reconnaissance de la capacit6 de l'Indonésie
a représenter ce territoire.
Il ne fait pas de doute qu'en 1976 l'Indonésie a adopté une loi
incorporant le Timor oriental à son terri~oire en tant que vingt-septième
province. A partir de ce moment, en ce qui concerne l'Indonésie, toute
référence au «territoire de l'Indonésie» comprenait le Timor oriental.
Ainsi, il y a au moins vingt traités postérieurs à 1976 tendant
à éviter la double imposition (voir contre-mémoire de l'Australie,
annexe C) signés avec l'Allemagne, l'Autriche, le Canada, la Corée,
le Danemark, la Finlande, la France, llInae, le Japon, le Luxembourg, la
Norvège, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, la Pologne, la République
tchèque, le Sri Lanka, la Suède, la Suisse, la Tunisie et la Thaïlande.
d?3 9 Tous contiennent une dispositioc définissant comme suit leurchamp
d'application territorial :«le terme «Indonésie» comprend le territoire
de la République d'Indonésie tel qu'il est défini dans ses lois ...»
Il y a neuf accords récents sur la protection et la promotion des
investissements qui utilisent la même clause quant au champ d'application
territorial : avec la Suède et la Pologne en 1992, avec llEgypte, - 37 -
la Malaisie, les Pays-Bas, le Turkmenistan, la Slovaquie, le Laos et
la Hongrie en 1994.
Il y a ensuite deux accords sur les transports aériens réguliers,
avec la Turquie en 1997 et avec la Nouvelle-Zélande en 1994. Dans ces
accords également, on trouve la formule *le territoire de la République
d'Indonésie tel que défini dans ses lois ..s
Forcément, puisque des lois indonésiennes définissent leTimor
oriental comme faisant partie de l'Indonésie, on reconnaît clairement
par là la capacité de l'Indonésie à conclure des traités touchant
le territoire du Timor oriental.
Ainsi, Monsieur le Président, au moins trente Etats ont traité
avec l'Indonésie dans aes termes qui comprennent le Timor oriental. A
l'évidence, ces Etats r'acceptent pas la thèse du Portugal selon laquelle
seul le Portugal peut représenter le territoire. Ils ne pensent pas non
plus - par inférence nécessaire tirée àes résolutions de l'Organisation
des Nations Unies -qu'ils ont l'obligation morale de ne pas conclure
avec l'Indonésie de traités affectant le territoire au Timor oriental.
L'argument portugais contraire es:, très franchement, inacceptable
(voir réplique du Port~gal, par. 6.14!. IL ne s'agit pas de savoir
si les accords visant à éviter la double imposition nient le droit à
l'autodétermination. Il s'agit du fait que les traités reconnaissent
nécessairement la capacité de l'Indonésie à conclure des accords touchant
le Timor oriental. Et dire, comme le fait le Portugal, que le Timor
oriental fait partie dc territoire indonésien selon les lois internes
de cet Etat mais n'en fait pas partie selon le droit international est
également à côté de la questioc. Il s'agit simplement, je le répète,
f 4 6 du fait que tous ces Etats ont reconnu la capacité de llIndonésie de
conclure des traités au nom du Timor oriental. Il y a aussi un autre - 38 -
point qui n'est pas sans importance. Nous n'avons pas trace d'une
protestation quelconque du Portugal adressée aux Etats qui ont conclu
ces traités avec l'Indonésie. 11 ne s'agit pas de traités csecretsw, et
le Portugal en a sans doute eu co~aissance. Le Portugal se considère
comme la puissance administrante. Pourquoi alors n'a-t-il pas protesté
ou exprimé des réserves lorsque, selon les termes des traités, ceux-ci
entraînaient la reconnaissance du droit de l'Indonésie de traiter en ce
qui concerne le Timor oriental ? De telles protestations ou réserves
n'auraient rien d'inhabituel. Il s'agit en fait d'un usage courant dans
la pratique des Etats lorsqu'un Etat s'oppose à ce que un autre Etat
traite un territoire appartenant au premier comme si c'était le sien.
Les Etats considèrent qu'il s'agit là d'une mesure de prudence, une
mesure minimale pour préserver leursdroits. Se pourrait-il que le
Portugal aussi ait accepté la réalité du contrôle indonésien ?
En conclusion, Monsieur le Président, je voudrais simplement
souligner qu'aussi bien au sein de l'orgacisation des Nations Unies
qu'à l'extérieur, dans leurs relations bilatérales avec l'Indonésie,
de nombreux Etats acceptent la réalité au con~rôle indonésien et sont
disposés à traiter avec l'Indonésie en ce qui concerne le territoire
du Timor oriental.
Dire, comme le fait le Portugal, qu'il s'agit d'un acte illicite
parce que seul le Portugal peut représenter le territoire c'est tout
simplement prendre ses désirs pour des réalités. L'Organisation des
Nations Unies n'a pas été de cet avis, ni ses Etats Membres, et il n'y
a aucune règle de droit international, absolument aucune, qui étaye
la position du Portugal.
En arrivant à cette conclusion, je ne dis pas que les diverses
résolutions de l'organisation des Nations Unies touchant le Timor -
- 39 -
oriental sont sans signification. Et je ne dis pas non plus que le
principe de l'autodétermination ne peut s'appliquer dans cette situation.
Il pourrait donc être utile que je dise quelques mots sur les
!-Li+!
L I T
conséquences significatives de ces résolutions, aux yeux de l'Australie.
Monsieur le Président, peut-être souhaitez-vous que je fasse
une pause.
Le PRESIDENT : Combien de temps vous faut-il pour terminer ?
M. BOWETT : Neuf minutes.
Le PRESIDENT : Bien, continuez je vous en prie.
M. BOWETT :
3. Les effets des résolutions relatives au Timor oriental
Les résolutions entraînent à'impor~anres conséquences, bien qu'après
tant d'années d'inaction relatlve, à 1'Organisation des Nations Unies,
sur la question du Timor orientai, il soit difficile d'apprécier leur
portée pratique ou juridique aujourd'hül.
Premièrement, il existe manifesceme-: un différend entre
l'organisation des Nations Unies ec llInaonésie, surtout sur le point
de savoir s'il y a eu un acte valide d'autodétermination de la part
du peuple du territoire, mais aussi, au cas où le Conseil de sécurité
considérerait encore la résolution 389 (1976) comme applicable, à propos
de la présence des forces indonésiennessur le territoire.
Deuxièmement, il existe assurément un différend entre le Portugal
et l'Indonésie, car c'est la présence même de l'Indonésie qui oblige
le Portugal à n'être puissance administrante que de nom et le prive de
l'exercice effectif de l'autorité qui est normalement celle d'une
puissance administrante. Voilà pour quelle raison la médiation du - 40 -
Secrétaire général a tendu à établir des contacts à la fois avec
l'Indonésie et le Portugal, ainsi qu'avec le peuple du territoire.
Troisièmement, la décision expresse selon laquelle le peuple du Timor
042
oriental a droit à l'autodétermination produit des effets pour tous les
Etats. L'Australie ne conteste pas cette décision : ce que l'Australie
conteste, c'est que l'on puisse en inférer une obligation juridiquede
traiter exclusivement avec le Portugal. Il est clair que la conséquence
principale de cette décision est son incidence sur le Portugal et
l'Indonésie, car c'est à ceux-ci qu'il appartient de lui donner effet :
voilà précisément pourquoi les effortsde médiation du Secrétaire général
comportent des relations directes avec ces deux Etats.
Quant aux autres Etats, la décision a manifestement pour conséquence
qu'ils doivent respecter ce droit à l'autodétermination : l'Australie
accepte pleinement une telle obligation. Toutefois, comme le montre la
pratique des Etats, aucun Etat n'a estimé que cela signifie ne traiter
qu'avec le seul Portugal. L1obligaCion de respecter le droit à
l'autodétermination est plus que l'obligation de faire des gestes
futiles. Mais, ce que cette obligation signifieprécisément, du point de
vue de la conduite requise des Etats Mem~res, ni l'Assemblée générale, ni
le Conseil de sécurité ne l'ont précisé. Les Etats Membres étaient tenus
à eune obligation de résultat», rien de plus :on s'en remettait à leur
discrétion pour les moyens par lesquels ils devaient exécuter cette
obligation. Or nul à l'Organisation des Nations Unies - sauf le Portugal
- n'a contesté le pouvoir discrétionnairede l'Australie.
Je demande à la Cour de se mettre à la place du Gouvernement
australien en 1989. Quels choix pouvait-il faire ? Un choix possible,
je le suppose, consistait à négocier avec le Portugal pour aboutir à un
accord totalement dépourvu d'effet concret : un bout de papier ! Non, -
- 41 -
plutôt deux bouts de papier, car il y aurait eu, de surcroît, une
énergique protestation officiellede l'Indonésie. Vous pouvez être
certains que ce choix aurait entraîné une grave détérioration des
relations entre l'Australie et l'Indonésie, sans aider d'aucune manière
943
le peuple du Timor oriental.
Un autre choix consistait à ne rien faire : laisser simplement cette
importante région maritime, avec ses ressources, à l'écart de toute
revendication, de toute réglementation et de toute mise en valeur. La
Cour peut imaginer quelles difficultés le Gouvernement australien aurait
affrontées pour tenter de justifier cette politique d'inaction aux yeux
de son propre peuple.
Un autre choix, proposé par le conseil du Portugal la semaine
dernière (CR 95/5, p. 32) consistait, pour l'Australie, à limiter ses
activités en mer à la zone située au sud de la ligne d'équidistance.
Quel choix ! Abandonner ses propres revendicationset s'accommoder d'une
exploitation aux conditions de l'adversaire ! La ,Coursait bien quels
dangers comporte l'acceptation d'une aélimitation maritime de facto. Le
seul bénéficiaire d'un tel choix aurait été l'Indonésie !
Ou existait-il encore une autre option, ec fait celle qu'a retenue
l'Australie ? Cette option consistait à respecter la décision prise à la
fois par le Conseil de sécurité et l'Assemblée générale, selon laquelle
le peuple avait un droit à l'autodéterminationet un droit au
développement et voir comment, d'un point de vue pratique, l'on pouvait
faire une place à ces droits. Cela nécessitait un arrangement avec
l'Indonésie, car seule l'Indonésie était en mesure de transmettre au
peuple du territoire les avantages économiquesde la mise en valeur de
ses ressources en mer. - 42 -
L'arrangement conclu fut le traité relatif au *Timor Gap*, un accord
dont les clauses protègent bien, dans la mesure du possible, les intérêts
du peuple du Timor oriental. Plus loin dans cette plaidoirie,
j'évoquerai pour la Cour les aspects essentiels du traité, afin qu'elle
puisse s'assurer qu'il ne s'agit pas d'un traité agourmandw. Il ne
s'agit pas de quelque accord méprisable, destiné à permettre à
l'Australie de piller les ressources du Timor orientai en mer. La Cour
remarquera que le Portugal, dans ses conclusions écrites, n'attaque pas
l'accord lui-même. C'est seulement au cours des présentes audiences que
le traité a été dénigré comme instrument de pillage.
De plus, nous ne nous trouvons pas dans une situation où tout dépend
des droits du Portugal, ou du droit du peuple du Timor oriental. La Cour
me pardonnera de souligner une fois encore que l'Australie, elle aussi, a
des droits. En sa qualité dtEtat côtier, elle a pleinement le droit de
négocier des accords qui lui permettront d'exploiter ses propres
ressources marines. L'AusEralie, elle aussi, a des obligations envers
son peuple et ne saurait demeurer passive et inactive quand celui-ci
réclame la conclusion d'accords pratiques permettant la mise en valeur
des ressources marines.
Pour l'Australie, le problème était ae savoir comment parvenir à ce
résultat dans une situation difficile et très inhabituelle, où, en
réalité, l'organisation des Nations Unies ne donnait aucune directive.
Il fallait à l'évidence éviter les frictions entre l'Australieet
l'Indonésie, si tant est que cela fûtpossible. Si vous lisez le
préambule du traité relatif au «Timor Gap*, vous verrez à quel point les
deux parties ont eu ce souci. Elles ont déclaré qu'elles étaient
résolues à «maintenir, renouveler et renforcer encore par le biais des
accords et arrangements existants le respectmutuel, l'amitié et la - 43 -
coopération entre leurs deux pays,. Elles ont conclu l'accord
soucieuses des intérêts que partagent leurs pays en tant que voisins
immédiats,.
Ce ne sont pas seulement des paroles fleuries utilisées par souci des
apparences. Elles expriment les réalités pratiquesde la région.
L'Australie et l'Indonésie sont voisines. Elles ont besoin de favoriser
l'amitié et la coopération. L'Australie a estimé que l'on pouvait
arriver à ces fins sans porter atteinte aux intérêts du peuple du Timor
oriental et c'est encore ce qu'elle pense aujourd'hui.
Réservons toutefois cela pour une étape ultérieure. Pour le moment,
qu'il me suffise pour conclure de souligner une fois encore qu'à aucun
moment le Conseil de sécurité et llAssemblée générale n'ont considéré
ri 4,r: L'Australie comme tenue en droit de traiter exclusivement avec le
-'
Portugal et non avec l'Indonésie; aucun aes ces deux organes n'a condamné
l'Australie, à aucun moment, pour une vlclatisc quelconque du droit à
l'autodétermination du peuple du Timor sriectal; aucun de ces deux
organes n'a condamné, à aucun momen:, la conciusion au traité sur le
«Timor Gap».
Monsieur le Président, j'achève ainsi mon exposé. Je prie la Cour de
m'excuser de l'avoir retenue.
Le PRESIDENT :Merci beaucoup, Monsieur Bowett. La Cour va faire une
pause de quinze minutes. L'audience est suspendue.
L'audience est sus~endue de 11 h 40 à 12 h 05.
Le PRESIDENT : Veuillez prendre place. Je donne la parole à
M. Christopher Staker.
M. STAKER : Les effets de la désignation du Portugal comme étant la
puiesance administrante du Timor oriental
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, c'est la première fois
que je prends la parole devant la Cour et je suis profondément conscient
de l'honneur qui m'est fait.
J1ai pour tâche, ce matin, d'examiner un autre aspect de
l'argumentation du Portugal relative à l'autodétermination et à la
reconnaissance fautive. C'est l'argument qui concerne les prétendus
effets de la désignation du Portugal comme la cpuissance administrante~
du Timor oriental.
Dans la présente instance, le Portugal fait grief à l'Australie
d'avoir négocié au sujet des ressources pétrolières de la fosse de Timor
avec l'Indonésie plutôt qu'avec le Portugal et d'avoir exclu toute
négociation avec celui-ci (ce grief figure dans les conclusions 2 et 3 du
Portugal). Le Portugal dit que, par ces actes l'Australie a «méconnuw le
statut du Portugal en tant que puissance administrante du Timor oriental.
Le Portugal soutient qu'il existe en àroit international un statut
juridique objectif de «puissance aàministrante~ d'un territoire non
autonome (par exemple CR 95/5, p. 61, Me GalvZo Teles; CR 95/6, p. 44-45,
M. Correia). Le Portugal soutient que, quand l'Assemblée générale ou le
Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies visent dans une
résolution un Etat déterminé en le qualifiant de puissance administrante
d'un territoire non autonome déterminé, cette mention constitue une
«qualification ou constatation déterminative», qui est «incontestablew,
étant opposable erga omnes. C'est-à-dire qu'elle est opposable à tous les
Etats (voir duplique de l'Australie, par. 182; voir aussi CR 95/2,
p. 62-66, M. GalvZo Teles). - 45 -
Le Portugal dit que les résolutions de llAssemblée générale et du
Conseil de sécurité relatives à la question du Timor oriental, qui ont
été adoptées entre 1975 et 1982, qualifient le Portugal de puissance
administrante de ce territoire et que l'organisation des Nations Unies
n'a jamais révoqué ce statut. Dans ces conditions, déclare le Portugal,
son statut de puissance administrante du Timor oriental constitue une
«donnée% en l'espèce, laneachose réglée> ou res decisa (réplique du
Portugal par. 2.22, 2.23, 4.28, 4.30; CR 95/2, p. 57, M. GalvZo Teles.
CR 95/3, p. 52-53, M. Correia; CR 95/5, p. 59, M. GalvZo Teles).
Enfin le Portugal soutient qu'en qualité de puissance administrante
du Timor oriental il possède un droit et une compétence légitime
exclusifs pour conclure avec d'autres Etats des traités relatifs au Timor
oriental. Le fait de traiter'avec un Etat tiers - n'importe lequeï - à
propos du Timor oriental est présenté comme une «méconnaissance» illicite
des droits et pouvoirs du Portuoal en cari: que puissance administrante
(par exemple mémoire du Portugal, par. 6.14; réplique du Portugal,
par. 6.15).
Avant d'aborder cet aspecc du fona de l'affaire, je dois formuler une
-i7
o~servation préliminaire au sujet ae ses rapports avec les questions de
compétence et de recevabilité donc l'Australie a déjà traité dans ses
plaidoiries. Le Portugal soutient que comme son statut de puissance
administrante est une «donnée» en l'espèce et que le seul fait de traiter
avec un autre Etat que lui, quel qu'il soit, est illicite, il n'est pas
nécessaire, pour déclarer l1Aus:ralie responsable, de statuer à titre
préliminaire sur les droits et responsabilités d'un Etat tiers qui n'est
pas présent devant la Cour. Le Portugal dit que le principe de l'Or
monétaire ne s'applique aonc pas. MM. Crawford et Pellet ont déjà
examiné cet argument. - 46 -
Toutefois, même quand on envisage l'argumentation du Portugal sur le
fond en supposant établie la recevabilité, le principe de l'Or monétaire
impose d'importantes restrictions à la question de fond sur laquelle le
Portugal demande à la Cour de statuer. Il s'agit de savoir si tous les
Etats sont tenus de traiter exclusivement avec le Portugalau sujet du
Timor oriental, à llexclusion de tout autre Etat, par l'effet du prétendu
statut juridique objectif du Portugal en tant que puissance administranre
du Timor oriental. Voilà sur quelle question le Portugal demande à la
Cour de statuer. S'il n'est pas possible de répondre à cette question
comme le Portugal le propose, la Cour se trouve - de quelque façon que
l'on envisage le principe de l'Or monétaire - dans llimpossibilité de
prononcer une décision quelconque sur la légalité des relations
entretenues par l'Australie avec 111nd3nésie en ce qui concerne le
Timor Gap. Il serait impossible de juger que l'Australie n'est pas
habilitée à traiter avec l'Indonésie sans d'abord examiner la capacité et
les droits de l'Indonésie relazifs au territoire et statuer à leur sujet.
Toute l'action du Portugal repose 5occ sxr ces deux mots - «puissance
administrante» - et sur l'effet juridique qu'il leur prête
Le Portugal peut faire observer que cinq ou six des dix résolutions
de l'Assemblée générale et du Conseil de sécurité adoptées entre 1975
et 1982 sur la question du Timor oriental désignent le Portugal comme la
«puissance administrante~ de ce territoire. Le Portugal fait aussi
observer que le Comité des Vingt-Quatre l'a qualifié de cpuissance
administrante» depuis lors. Toutefois, en soi, cela ne confirme en rien
la thèse portugaise relative à la signification de ces termes.
L'Australie soutient qu'il n'existe en droit international aucun
statut juridique objectif spécial de puissance administrante, qui soit
obligatoire erga omnes, opposable à tous les Etats (duplique de - 47 -
l'Australie, deuxième partie, chap. 1, surtout les paragrapnes 184
à 198). L'Australie ne conteste pas que dans certains cas l'Assemblée
générale puisse adopter des résolutions à effet «déterminatif», qu;
produisent des effets juridiques pour les Etats. Cela ne signifie
pourtant pas que toute mention d'une situation de fait ou de droit dans
une résolution de l'Assemblée générale ou du Conseil de sécurité
constitue un règlement juridiquement obligatoire de cette situation.
L'Australie ne nie pas que l'Assemblée générale puisse décider avec
effet obligatoire si un territoire déterminé est un territoire non
autocornerelevant du chapitre XI àe la Charte. Il clec résulte pourtant
pas que la qualification de «puissance administrante» d'un tel territoire
appiiquée par l'Assemblée générale à un certain Etat constitue la
decormination d'un statut juridiqüe 2bjectif, opposable à tous les Erats
2 coures fins utiles, ni, moins encore, ?s'un te; statut «objectif»
enzraîne les conséquences alléquees par Le ?zr=ügal.
De fait, l'examen ae ;a pratique àe I'Orgar-isarionaes Natians Unies
donne lieu de penser précisé me^^ le coctrâ:re. Xisn r'inaique, dans
aucune aes résolutions pertinentes de llOrqanisation des Nations Unies
qui traitent des territoires noc auccnomes, qu'il existe un statut
juridique correspondant de «puissance aàrninistrante». Comme
, ,
d . 9 dlimportantes résolutions de llrissembléegénérale relatives à
l'autodétermination l'ont affirmé à maintes reprises, il incombe à
ltAssemblée générale de déciaer s: un territoire est ou non un territoire
non autonome et il ne s'agi= pas ,o d'une question relevant du domaine
réservé de 1'EEat qui aaminlscre ce territoire. L'Organisation des
Nations Unies a aussi assumé la responsa~ilité de décider quand le
chapitre XI cesse de s'appliquer à un territoire non autonome.
L'Assemblée générale a égalemen: adopté des résolutions où elle indique - 48 -
quels critères elle doit appliquer pour déterminersi un certain
territoire est ou n'est pas non autonome.
Par contre, ni l'Assemblée générale, ni le Conseil de sécurité, ni le
Comité des Vingt-Quatre, ni aucun autre organe de l'ONU n'a jamais
cherché à définir le contenu d'une notion de *puissance administrante,,
ni à préciser les critères qui auraient permisde déterminer si tel ou
tel Etat a cette qualité à l'égard d'un territoire non autonome donné, ni
à délimiter la portée de ses pouvoirs d'administration concernant ce
dernier. Non plus que l'Assemblée générale ni aucun autre organe n'a
tenté de se réserver la compétence pour déterminer d'une manière
juridiquement contraignante pour tous les EtatsMembres, si tel ou tel
Etat a cette qualité. Jamais les résolutions pertinentes de
l'Organisation des Nations Unies n'ont laissé entendre même très
indirectement que le fait, pour l'Oroanlsation, de reconnaître tel ou tel
Etat comme «puissance aaministrante» établit en droit international une
qualité juridique particulière, ayant effet ipso jure et obiigatoire erga
omnes jusqu'à ce qu'elle soit ultérieurement modifiée par l'Organisation.
Elles n'ont pas davantage suggéréqu'un EEat désigné par l'organisation
comme puissance administrante jouit de la compétence exclusive pour
traiter avec d'autres Etats de questions touchant le territoire, que
llEtat ainsi désigné exerce ou non un contrôle quelconque sur celui-ci.
Dans sa déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux
peuples coloniaux (résolution 1514 (XV) du 15 décembre 1960 de
l'Assemblée générale), l'Assemblée générale s'abstient de mentionner
directement les puissances aàministrantes et donne encore moins à
entendre que celles-ci ont, en vertu du chapitre XI, des droits ou des
pouvoirs particuliers que les autres Etats seraient tenus de respecter.
Cette déclaration n'évoque pas non plus les circonstances dans lesquelles - 49 -
un changemect pourrait se produire àans l1Etat qui administre un
territoire non autonome, ou devrait ou ne devrait pas être reconnu par
les autres Etats.
Toutefcis, afin de vérifier la thèse du Portugal, supposons pour les
besoins de l'argumentation que la première proposition de cette thèse
soit juste - en d'autres termes, que l'Assemblée générale et le Conseil
àe sécurité aient la capacité de décider d'autorité que tel ou tel Etat
est la puissance administrante d'un territoire non autonome. Supposons
également que dans leurs résolutions sur le Timor oriental, adoptées
entre 1975 et 1982, le Conseil de sécurité et l'Assemblée générale aient
conclu que le Portugal es: la puissance adninistrante du Timor oriental
- même si toutes ces résoiutions ne le désignent pas comme tel - et
supposons aussi qü'ils ne soien: pas revenus sur cette décision.
Examinons alors quelles en seraien: ;es conséquences.
Selon le Portugal, plusieurs conséquences sécouient nécessairement de
-- - . . .
la qualité de puissance aàmirlszraxte. I- =a;: va-clr que comme or.ne
saurait lui contester celle-ci, 11 est inccct?scable aussi que ces
conséquences lui sont applica~les pour ce cü: concerne le Timor oriental.
Premièrement, le Portugal aff~rne qc'e~ sa quallté de puissance
adrninistrantedu Timor oriental, il exerce tous les pouvoirs
correspondant à une souveraineté ou à une autorité souveraine sur le
Timor oriental. Le Portusal, selon ses propres termes, exerce à l'égard
du territoire «toutes les compé~ences qui s'attachent à sa qualité dlEtat
sujet de droit internatiozal> !CX 95/6, F. 36, M. Correia) , ou «toutes
les compétences propres aux Dtats avec les seules limitations découlant
des normes du droit de la décolonisation» (réplique du Portugal,
par. 4.60). - 50 -
Deuxièmement, le Portugal affirme exercer ces pouvoirs, au regard du
Timor oriental à llexclusion de tout autre Etat. La thèse du Portutal,
telle que M. GalvZo Teles l'a formulée, est que la qualité du Portugal en
tant que puissance administrante aimplies that, so far ass that territory
is concerned, theris no de jure authority other than that Portugal,
except, of course, that of the people of East Timor itselfs (CR 95/2,
p. 60 GalvZo Teles). Il en résulte, déclare-t-il, que *Le fait que le
Portugal n'y soit pas partie empêche de conclure un trait6 concernant le
Timor oriental ... [Lles compétences juridiques en matière de traités lui
restent attachées [c'est-à-dire,attachées au Portugal] et
n'appartiennent à aucun autre* (CR 95/4, p. 14). En bref, le Portugal
affirme que cl'Australie est tenue de traiter avec le Portugal et avec
nul autre» (CR 95/4, p. 25, M. Correia) .
Troisièmement, le Portugal affirme que le droit et la capacité
exclusifs du Portugal de traiter avec d'autres Etats de questions
concernant le territoire continueront d'exister jusqu'à ce que
l'Assemblée générale mette fin à la qualité du Portugal en tant que
puissance administrante (réplique du Portugal, par. 4.16 et 4.22;
CR 95/4, p. 10-11, M. Correia). La question de savoir si le Portugal
exerce ou non un contrôle quelconque sur le territoire est considérée
comme étant sans objet. Le Portugal affirme qu'aussi longtemps que
l'organisation des Nations Unies n'a pas mis expressément fin à son
mandat de puissance administrante, tous les Etats restent tenus de
traiter exclusivement avec le Portugal.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, chacune de ces trois
prétendues conséquences de la désignation du Portugal comme puissance
administrante représente un bond gigantesque dans l'argumentation du
Portugal. Si l'on part de la prémisse que le Portugal a la qualité de - 51 -
pnissance administrante, et si l'on admet, comme il l'affirme, que les
Etats sont tenus de respecter les pouvoirs et devoirs d'une puissance
administrante (par exemple, mémoire du Portugal, par. 3.01), l'étape
suivante consisterait logiquemen: à aemanaer : quels sont (le cas
échéant) les droits et pouvoirs d'une puissance administrante ? Pourquoi
faudrait-il, comme le Portugal le prétend, que llEtat auquel
l'organisation des Nations Unies a donné qualité de puissance
administrante soit considéré par tous les Etats du monde comme seul
autorisé à traiter avec d'autres Etats de questions concernant le
territoire, même si ledit Etat n'a exercé aucun contrôle quel qu'il soit
scr ce territoire depuis près ae vingt ans ?
Cn attendrait du Porcugal qu'il avance une argumentation
soigneusement constrüite à l'appui d'une prcpositioc -cl vo aussi loin.
Ir- fair, on ne trouve presque aucTx arzcmont a~ ~oü:. Aussi biez dans
les écritures que aans les plaidzlrles 5.2?ûr:ugâ,, ;a zhèse selon
laquelle la puissacce aaninistra-te désigcéo es= ;e se22 Etat autcrisé à
conclure aes accoras avec d'auzres itatc aL re-ara 5: :erri:cLre semble
conscituer plus un postulat yx'uc ar3ü~e-z. Le Prrrugal présume que si
l'Assemblée générale peut aàqter àes résa~.~:icxs«ccns:itutives»,
déterminant que tel oü tel territcire es: uz territoire non autonome au
sens du chapitre XI, elle doit, par voie de conséquence logique, pouvoir
adopter des résolutions analogues déterminant quel Etat est la puissance
aaministrante de ce territoire (par exemple, réplique du Portugal,
par. 4.09; CR 95j2, p. 56, K. GalvZo Teies; CR 95/3, p. 64-65,
M. Correiaj. Dans sa réplique, le Portugal déclare que la détermination,
par l'organisation des Nations Unies, ar la nature non autonome d'un
territoire aserait incomplète et ne pourrait produire les effets juridiques
voulus par cette déclaration avec force obligatoire s'il
subsistait une incertitude sur l'identité du titulaire des
pouvoirs et des devoirs juridiques concernant l'administration
du territoires (répliquedu Portugal, par. 4.09).
Cependant, à supposer que l'ONU puisse déterminer quel Etat est le
353
titulaire des droits et des devoirs de la puissance administrante, cette
argumentation du Portugal ne fait qu'éluder la question de savoir quels
sont ces droits et devoirs.
M. Dupuy a déclaré à la Cour qu'en matière d'autodétermination, la
Charte parle d'elle-même, par la seule vertu de son propre texte (Carta
ipça loquitur) (CR 95/3, p. 11-14, notamment p. 13). Mais la Charte ne
dit précisément rien des pouvoirs qu'une puissance administrante peut
exercer sur un territoire non auzonome ou de la capacité - exclusive ou
autre - qu'a cet Etat de traiter avec d'autres Etats de questions
concernant ce territoire
L'Australie soutient qu'elle n'es: pas tenue par le droit
international de traiter uni~emecr avec le Portugal, comme étant la
puissance administrante, de quesEions concernant le Timor oriental. Je
devrais peut-être ajouter, par souci de clarte, que cela n'équivaut pas
nécessairement à dire qu'il serait illégal de reconnaître au Portugal la
capacité - voire la capacité exclusive - de conclure des traités relatifs
à des questions concernant le territoire. L'Australie ne demande pas à
la Cour de conclure que tous les Etats sont tenus de reconnaître que le
Portugal a perdu ses droits et pouvoirs de traiter avec d'autres Etats de
telles questions. Toutefois, aans les circonstances de l'espèce, vu que
le Portugal n'est plus présenz dans le territoire et n'y a exercé aucune
autorité depuis près de vingt ans, il n'est pas contraire au droit - 53 -
international que des Etats reconnaissent que le Portugal n'exerce plus
de pouvoirs de souveraineté sur ledit territoire.
M. Correia a déclaré la semaine dernière que cllAustralie n'explique
jamais sur quelle jurisprudence, sur quelle pratique, sur quelle
documentation elle appuie cette étrange théorie du statut restreint d'une
puissance administrante comme le Portugal* (CR 95/4, p. 15). C'est là
une critique curieuse, car les autorités et les précédents sur lesquels
1'AusEralie se fonde sont indiqués dans la duplique (duplique de
l'Australie, deuxième partie, chap. 1). Je me référerai prochainement à
L.4
certains d'entre eux. C'est au contraire le Portugal qui ne cite aucune
autorité à l'appui de sa thèse, et c'est la thèse àü Portugal qui est
incompatible avec l'économie fondamentale du chapitre XI iüi-même.
Comme K. Crawford l'a démoczré, ies drcizs c'un Etat - quels qu'ils
püissent être - d'exercer sa scuveraineti, oü so~ aütcrité souveraine,
sur ün territoire nor auconorne X'CIC~ pas leur sscrce dans :a Cnarte. Au
contraire, ces droits naissent et meurecz en aenors ae 1à Charte en vertu
du drcit international générai. Le chapicrê XI ~E ;a Charce impose
incontestablement certaines obligar~=ns aux Etais qui oct ou assument des
responsabilités en matière d'admiclszrazion de territclres non autonomes,
mais le chapitre XI ne crée ci n'abclit lui-même aes droits d'exercer des
pouvoirs souverains dans ces territoires.
En fait, le Portugal, dans son argumentation, assimile les
territoires non autonomes, qui relèvent du chapitre XI, aux territoires
sous tutelle, qui relèvent au cnapitre XII, malgré la nette distinction
que dans cette optique la Charte établit ectre eux.
Au chapitre XII ae la Charte, l'ar~icie 81 dispose qu'il sera conclu
un accord de tutelle qui «comprend, dans chaque cas, les conditions dans
lesquelles le territoire sous tutelle sera administré et désigne - 54 -
l'autorité qui en assurera l'administrationw. LIEtat ainsi désigné est
dénomme dans la Charte *autorité chargge de lladministrationw. Ainsi,
dans le cas d'un territoire sous tutelle au titre du chapitre XII, il
existe à l'évidence un Etat qui possède nommément la qualité juridique
ducautorité adrninistrante*en vertu de l'accord de tutelle pertinent et
de la Charte. Cette qualité peut être conférée à un Etat qui n'a jamais
auparavant exercé aucun droit d'administrer le territoire. Aussi l'ONU
545 détermine-t-elle par la voie de l'accord de tutelle non seulement quel
d L
Etat administrera le territoire mais aussi la portéedes pouvoirs,
obligations et droits de l'autorité administrante, ainsi que les
conditions dans lesquelles ils seront exercés. Le chapitre XII de la
Charte constitue lui-même la source de l'autorité de cet Etat sur le
territoire.
par contre, le chapitre XI ne confère pas à l'ONU de pouvoirs de
disposition pour décider quel Etat est au~orisé à aaministrer un
territoire non autonome donné, seion des modalités qui seraient
opposables à tous les Etats à toutes fins utiles. Oc ne saurait faire
croire que lorsque le Portugal est devenumembre de l'ONU en 1955,
l'organisation avait la possibilité, soit de «déterminer» que le Portugal
serait la puissance administrante du Timor oriental, soit de *désigner*
quelque autre Etat en vue de l'exécution de cette tâche. Le Portugal
lui-même le reconnaît. Dans sa réplique il déclare que la qualification
déterminative, par l'Assemblée générale, de tel ou tel Etat comme
puissance administrante d'un territoire «se limite[ ...] à constater des
situations préexistantes» et intervient «après l'examen de la situation
concrète du territoire et de la position de cet Etat par rapport à ce
territoire* (répliquedu Portugal, par. 4.59). Dans sa plaidoirie, le
Portugal a admis que sa juridiction sur le territoire «nlest pas conférde - 55 -
mais simplement constatée par les Nazions Unies> (CR 95/4, p. 10-11,
M. Correia). En d'autres termes, même de l'avis du Portugal, la
désignation, par l'ONU, de tel ou tel Etat comme puissance administrante
ne va normalement pas au-aelà de la reconnaissance d'une situacion qui
existe au moment de cette désignation.
Néanmoins, le Portugal donne à entendre qu'en désignant tel ou tel
Etat comme puissance administrante, l'ONU peut régler des usituations
contestées, en prenant des décisions à effet juridique définitif, mettant
"55 ainsi fin à la contestation (CR 95/3, p. 66-67, M. Correia). 11 cite
plusieurs exemples, notamment la Rhodésie du Sud, la côte franqaise des
Somalis et les territoires sous administration portugaise (CR 95/3, p. 66
et suiv., M. Correia). Mais ces exemples sont tout simplement dénués de
percinonce. Ex effet, aans ces cas, la cortestacion ou l'incertitude
,-
porrait sur le point de savolr s'li s'agissait de territoires non
autonomes au sens du chapitre XI. Dans l'affirmative, nul ne contestait
l'iaentité de 1'Etat autorisi 2 exercer s3z a~t3rLté sur le territoire et
à traiter avec d'autres Etats ae oues~~ons cvncernant celui-ci. Pour
prouver sa thèse, le Por~uga; a31: s'appuyer sür des cas où ilAssemblée
générale a adopté des résolutions pour trancher une contestation ou une
incertitude portant sur l'identité de ltEtat habilité à exercer des
pouvoirs souverains sur un territoire. Mais on constate qu'en fait,
lorsqu'il s'est produit un diiférenà entre deux Etats sur le aroit
d'administrer tel ou tel terri:~ire non autonome, l'Assemblée générale et
le Conseil de sécurité c'occ jamais consideré qu'ils avaient le pouvoir
de régler ce différend d'une manière contraignante pour les parties, et
moins encore pour les Etats tiers.
M. Burmester a évoqué l'exemple des îles Falkland (Malvinas).
L'Assemblée générale a conclu que ces îles constituaient un territoire -
- 56 -
non autonome en vertu du chapitre XI de la Charte. 11 existe de longue
date un différend entre le Royaume-Uni et l'Argentine sur le point de
savoir lequel de ces deux Etats a le droit d'exercer son autorité
souveraine sur ce territoire. Mais nul on n'a jamais suggéré que
l'Assemblée générale puisse procéder à une *qualification determinatives
attribuant au Royaume-Uni la qualité de apuissance administrante* des
îles Falkland (Malvinas) et créer, partant, une obligation contraignante
pour l'Argentine et tout autre Etat de ne pas méconnaître, ou manquer de
respecter, cette qualité - à fortiori que llAssernbléegénérale puisse
décider que l'Argentine est la apuissance administrantew et, partant,
imposer au Royaume-Uni l'obligation de renoncer à ces îles.
En l'espèce, il existe de longue date un différend entre l'Indonésie
et le Portugal sur le point de savoir lequel de ces deux Etats a le droit
d'exercer sa souveraineté sur le territoire du Timor oriental. La
situation n'est aucunement différente. Le chapitre XI n'habilite pas
l'ONU à régler ce différend.
Il n'autorise pas davantage l'ONU à déterminer la portée des pouvoirs
ou de l'autorité d'un Etat qui administre un territoire non autonome. La
portée de cette autorité est indépenaantedu chapitre XI. Lorsquaune
ancienne puissance coloniale conservele contrôle d'un territoire
relevant du chapitre XI, la portée de ses pouvoirs sur le territoire sera
normalement déterminée par la situation qui régnait avant l'adoption de
la Charte. Comme M. Crawford l'a déjà relevé, parfois, la puissance
coloniale aura exercé une souveraineté coloniale totalesur le
territoire. Si elle continue d'administrer le territoire, l'ancienne
puissance coloniale exercera alors tous les pouvoirs de souveraineté à
son égard, au titre du chapitre XI. S'agissant d'autres territoires,
comme les protectorats internationaux, 1'Etat colonial a pu exercer des - 57 -
pouvoirs plus limités. Mais quels que soient les pouvoirs qu'exerçai:
1'Etat concerné avant la mise en application du chapitre XI de la Charte,
ils n'ont pas été modifiés par ce chapitre.
En résumé, lorsqu'un Etat exerce effectivement certains pouvoirs sur
un territoire non autonome, le chapitre XI lui impose des obligations
relatives aux modalités de leur exercice. Mais le chapitre XI lui-même
ne «confère» pas ces pouvoirs ni même n'en définit la portée. En
particulier, il n'en est pas la source. Le pouvoir qu'a un Etat
d'exercer sa souveraineté sur un territoire relevant du chapitre XI
trouve sa source en dehors de la Charte, dans le droit international
ginéral. De même, lorsqu'un Etat perd toute autorité sur un territoire
-Te, 8 relevant dï chapitre XI, ses droits à i.égard de ce territoire, après
ce:ce perte, sonc également décerr.inéspar l'a?-1ica:ion au droi:
inzernational oénéral, et non ~x -FiapitreXI.
En conséquence, tous les pzuvc:rs q-i, oc ver=c d- cir~lt
international général, dépenaen: ae la gossessi~c effective, réelle, d'un
territoire, prennent nécessairemenz fi- lcrsaae csLui qui en esc investi
est privé de cette possessioc. Aussi, 12 seüle quescion qui se pose
encore est-elle de savoir si le -o,~vcirao conclure le traité de 1989
relatif au «Timor Gap» érait ae ce type. Présupposait-il une possession
réelle, effective ?
La réponse est clairemec= affirmative. Il ne saurait y avoir dt«Etat
côtier» in absentia. Le droi: international impose à llEtat côtier des
obligations, au même titre q.~'ll;ui azcribue des droits, et celles-ci
sont tributaires de la présenue de ce: Etat dans le territoire. Par
exemple, l'obligation ae préserver les ressources biologiques, celle de
garantir le passage innocent, celle de prctéger la liberté de navigation,
et celle de protéger les tizulaires de licences qui prospectent - 58 -
licitement dans la région, ne peuvent être remplies que par un Etat qui
exerce un contrôle effectif réel.
La thèse du Portugal aurait pour résultat de lui conférer tous les
droits et les pouvoirs d'un Etat qui exerce l'autorité sur un territoire
sans qu'il en ait aucune des responsabilités - sinon celle qu'admet le
Portugal de favoriser l'autodétermination par tous les moyens possibles
dans les instances internationales et diplomatiques. Or, c'est
l'autorité effective sur un territoire qui constitue le fondementde la
responsabilité de llEtat en raison d'actes concernant d'autres Etats
(Commission du droit international, projet d'articles sur la
responsabilité des Etats, art. 10, Annuaire de la Commission du droit
international 1980, vol. II (deuxième partie), p. 31; voir aussi Namibie,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 54) . Le Portugal prétend donc
que tous les Etats ont obligation ae traiter uniquement avec lui pour ce
qui concerne le Timor orientai, bien qu'il ne puisse pas lui-même être
tenu responsable des faits survenant sur ie territoire et qui affectent
d'autres Etats. Si un gouvernement terriCorial du Timor oriental
autorisait aujourd'hui une société pétrciière à prospecter une zone du
plateau continental revendiquéepar 1'Australie, 1'~ustralie ne pourrait
2 5 9
pas en faire grief au Portugal. L'inverse devrait également être vrai :
le Portugal ne doit pas pouvoir fairegrief à l'Australie de ne pas
traiter avec le Portugal.
11 existe une autre différence fondamentale entre les chapitres XI
et XII. Quand une autorité administrante désignéeen vertu du
chapitre XII manque à ses obligations à l'égard d'un territoire sous
tutelle, l'Organisation des Nations Unies a le pouvoir de mettre fin à
l'accord de tutelle. Dès lors qu'il a été mis fin à l'accord de tutelle,
l'ancienne autorité administrante ne possède plusaucun droit d'exercer - 59 -
l'autorité sur le territoire. Si elle àemeure ensuite présente dans ie
territoire, sa présence est illégale. Tout cela est énoncé dans l'avis
consultatif rendu dans l'affaire de la Namibie (C.I.J. Recueii 1971,
p. 16:, faisant suite à des décisions antérieures àe la Cour (affaire àu
Sud-Ouest africain, C.I.J. Recueil 1966, p. 6). Cependant, lorsque des
Etats qui administraient un territoire non autonome en vertu du
chapitre XI ont manqué à leurs obligations à l'égard de ce territoire, il
n'a jamais été dit que l'Organisation des Nations Unies pourrait mettre
fin à leur droit d'exercer leur autorité sur le territoire, rendant ainsi
désormais illégale leur présence même dans le territoire.
La macière dont l'organisation des Nations Unies a traité la question
des territoires sous administration portugaise démontre ce qui précède.
En 1972, l'Assemblée généraie a parié ae la «politique de dominacioc
ccioniaie et de discriminatioi raciale» au Portugai et ae l'Afrique du
Sua et du régime illégai ae ;a rn:norltérzciszo ?r Rhodésie du Sua
(résolution 2708 (XXV), 14 àécernrre 197C, par. 7). Ex 1966, l'Assemblée
générale avait mis fin au manaac ao L'Afrique iü SUC sur ie Suc-Ouest
africain (résolution 2145 (XXI), 2Ê octobre 1966). Pourtant, tout en
priant le Conseil d'envisager l'aa3p~iox ae mes.Jresappropriées, y
- / n, compris des sanctions, contre le Portugai, e: bien qu'elle ait à deux
O LJ
reprises qualifié la politique coloniale du Portugal de «crime contre
l'humanité», l'Assemblée générale n'a jamais laissé entendre qu'elle
pourrait avoir un pouvoir anaiogue de mettre fin au droit du Portugal
d'exercer son autorité sur les terricoires qu'ii administrait avant la
réalisation de l'autoàéterminatiox, renàant ainsi illégale ensuite la
présence du Portugal dans ces territoires. L'Assemblée générale n'a
jamais non plus prétendu mettre fin au droit d'un autre Etat d'exercer
son autorité sur un territoire auquel s'applique le chapitre XI avant que -
- 60 -
l'autodétermination n'ait été réalisée. Si l'Assemblée générale avait le
pouvoir de mettre fin au droit d'un Etat d'exercer son autorité sur un
territoire en attendant l'autodétermination,on aurait pu attendre
qu'elle en fasse usage à l'égard du Portugal. En raison de la différence
qui existe entre le chapitre XI et le chapitre XII à cet égard, l'avis
consultatif en l'affaire de la Namibie qu'invoque le Portugal ne
s'applique tout simplement pas.
Si donc l'Organisation des Nations Unies n'a aucun choix en ce qui
concerne 1'Etat qui est habilité à exercer des pouvoirs ou une autorité
de souveraineté sur un territoire auquel s'applique le chapitre XI, ni
déterminer l'étendue des pouvoirs souverains de cet Etat, mais peut
seulement affirmer ou reconnaître ce qui existe déjà, sur quelle base
est-il possible de prétendre que cette reconnaissance d'une situationde
fait existante a un effet obligatoire ergs omnes ? Le Portugal dit que
les résolutions de l'Assemblée générale ézablissant qu'un Etat déterminé
est la puissance administrante ont une valeur qui est «interprétative>
(réplique du Portugal, par. 2.22). Mais comme nous l'avons rappelé,
lorsque le droit d'un Etat d'exercer une autorité souveraine était
contesté, l'Assemblée générale n'a pas essayé de résoudre ce litige. Si
donc l'Organisation des Nations Unies se borne à reconnaître, ou à
«interpréter%, une situation patente, rien ne permet d'affirmer que cette
reconnaissance ou cette interprétation continuerontd'avoir un effet
juridique obligatoire erga omnes, même après que cette situation aura
changé. Interpréter n'équivaut pas à disposer. En outre, si
l'Organisation des Nations Unies n'a pas le pouvoir de mettre fin au
droit de l'ancien Etat colonial d'exercer son autorité sur un territoire
aussi longtemps qu'il y demeure présent, comment peut-on prétendre
qu'après avoir abandonné ou perdu cette autorité, il doit être reconnu - 61 -
comme seul habilité à conclure avec d'autres Ecats des accords concernan:
ce territoire jusqu'à ce que l'Organisation des Nations Unies ait mis fin
à sa qualité de puissance administrante ?
En pratique, dans le cas d'un changement de fait toucnant 1'Etat qui
administre un territoire non autonome particulier, les Etats tiers ne se
sont pas jugés tenus d'attendre une détermination de l'organisation des
Nations Unies avant de reconnaître ce changement. Un exemple de ce
changement par consentement des Etats intéressés nous est offert par les
îles des Cocos (Keeling) (voir duplique de l'Australie, page 195 pour de
plus amples précisions). En 1955, l'administration de ce territoire non
autonome a été transférée du Royaume-Uni à l'Australie, par voie d'accord
entre les deux Etats. k partir de 1957, l'Australie a communiqué des
renseignements sur ce territoire en appl:ca~icz àe l'article 73 e, de la
Cnarte, jusqu'à ce que l'Assemblée générale décide en 1984, à la suite
d'un référendum, qu'il convenâi~ de mettre fiz à la communicazion de ces
informations. Aucune appro~azio~ at 1'Vrgan:sacio- aes Nations U~ies n'a
été sollicitée pour transférer ie s:aru: de puissance adainiscrante du
Royaume-Uni à l'Australie. Et aucün organe ae l'organisation des
Nations Unies n'a jamais prétenau transférer officieilement la qualité de
puissance administrante du Royaume-Uni à l'Australie, ou formuler une
«qualification déterminat~ve» pour ccnstater que la puissance
administrante était déscrmals 1'Aus~ralie. La qualité de puissance
administrante a été recc,nnueFour la première fois à l'Australie par
l'Assemblée générale en 1965, et même aiors, d'une manière seulement
indirecte. Il serait absurde de prétendre que de 1955 à 1965, tous les
autres Etats étaient tenus ae ne pas traiter avec l'Australie à propos de
ce territoire. Pourtant, la thèse du Portugal aurait cet effet. - 62 -
Même dans les cas où une puissance administrante a été évincéepar la
force par un autre Etat, la pratique n'a pas été uniformément de
continuer de reconnaître le premier Etat comme seul habilité à traiter
avec les autres pour ce qui concerne le territoire jusqu'à ce que
l'Organisation des Nations Unies ait amis fins à son statut de puissance
administrante. Un bon exemple d'une pratique contrairenous est fourni
par le cas du Sahara occidental, auquel M. Burmester s'est déjà référé.
L'Organisation des Nations Unies a constamment réaffirmé que le peuple du
Sahara occidental possède le droit à l'autodétermination, et a rejeté la
prétention selon laquelle le territoire du Sahara occidental avait été
incorporé au Maroc. L'Organisation des Nations Unies n'a jamais qualifié
le Maroc de puissance administrante du Sahara occidental, pas plus
qu'elle n'a jamais déterminé que 1'Espaqne n'est plus la puissance
administrante. Cela n'a cependant pas empêcné certainsEtats, y compris
la Communauté européenne, dont le Portugal lui-même est membre, de
traiter avec le Maroc en tant qu'Etat exerçant effectivement l'autorité
sur le territoire, en ce qui concerne les ressources naturelles de
celui-ci.
M. Burmester s'est aussi reféré à la sentence arbitrale rendue dans
l'affaire Guinée-Bissau/Sénégal, qui apporte une confirmation
supplémentaire de ce qu'un Etat qui administre un territoire non autonome
peut perdre, de par la force des événements, la capacité de conclure avec
d'autres Etats des accords concernant le territoire, même si
l'Organisation des Nations Unies n'a pas encore mis fin à son statut de
puissance administrante. En particulier, ainsi que M. Burmester le fait
observer, lorsque l'Organisation des Nations Unies a reconnu
l'indépendance de la Guinée-Bissau en l'admettant comme membre de
l'organisation, quelque quarante Etats avaient déjà reconnu son indépendance. En d'autres termes, blec que llOroanisation des
Nations Unies n'ait pas encore mis fin au statut de puissance
administrante du Portugal, ces quarante Etats avaient cessé de
reconnaître au Portugal tout droit d'administrer le territoire, ou de
traiter avec d'autres Etats pour ce'qui le concerne.
Il existe des parallèles manifestes entre la Guinée-Bissau et le
Timor oriental. En août 1975, la situation au Timor oriental en était
arrivée à un point où le Portugal, pour maîtriser, ou essayer de
maîtriser les événements, était obligé (pour adopter les termes employés
par le tribunal arbitral dans l'affaire Guinée-Bissau-Sénégal) «à
recourir à des moyens qui ne sont pas ceux que 1 'on emploie d'ordinaire
pour faire face à des troubles occasionnels~ (tribunal arbitral pour la
déterminacion de la frontière maritime Guinée-Bissau-Sénégal, sentence du
31 juillet 1989, reproduite dans l'annexe à la requête introductive
d'instance dans l'affaire relative à ia Sentence arbitrale du
31 juillet 1989 (Guinée-Bissau c. Sgnéoali. C'ailleurs, àans une note
verbale datée du 20 avril 1977, adressée aL Secrétaire général, le
Portugal dit lui-même que
«le Portugal a cessé d'exercer effectivement sa souveraineté sur
le territoire du Timor en ao-3t1975 lorsque, à la suite des
incidents violents qui s'y étaient produits, ie gouverneur de
l'île a dû quitter le territoire et se réfugier avec ses
principaux collaborateurs civils et militaires dans l'île de
Atauro. Le gouverneur ez les autres fonctionnaires de
l'administration portugaise ont ensuite quitté cette île et ne
sont jamais retournés à Timor» !document des Nations Unies,
A/32/73, 28 avril 1977).
La République démocratique du Timor oriental a été proclamée par le
FRETILIN le 28 novembre 1575, et une quinzaine dlEtats l'ont reconnue
comme un Etat indépendant (Ch. Rousseau, «Chronique des faits
internationaux», RGDIP, 1976, p. 958; voir aussi mémoire du Portugal,
par. 1.67). Bien que l'Australie ou le Portugal ne l'aient pas fait, - 64 -
c'est la démonstration qu'à ce stade, certains Etats ne se considéraient
plus tenus de reconnaître au Portugal des droits ou des pouvoirs
concernant le territoire. Et cela serait vrai indépendamment de
l'occupation ultérieure du territoire par llIndonésie.
~'occüpation ultérieure par l'Indonésie du Timor oriental, qu'elle
soit légale ou illégale au regarddu droit international, ne peut pas
avoir eu pour effet de restituer au Portugal un droit exclusif d'exercer
de jure sur le territoire les pouvoirs d'administration qu'il avait
C64
précédemment perdus. Quoi qu'il en soit, à la suite de l'occupation du
Timor oriental par l'Indonésie, le FRETILIN a continué d'affirmer
jusqu'en 1984 que la République démocratique du Timor oriental existait
en tant qulEtat indépendant et a récusé l'idée que le Portugal restait la
püissance administrante du territoire (mémoire du Portugal, par. 1.67).
Les appels lancés par le FRETILIN après 1986, réclamant une solution de
ia question du Timor oriental qul cornportsrait leretour de la présence
portugaise en attendant l'aütodéternination irnécoiredu Porruga:,
par. 1.70-1.71), ne peuvent pas avoir ec poür effet de reconstituer une
situation juridique totalement contraire aux faits. De même, les
résolutions du Conseil de sézurité e: de l'Assemblée générale qualifiant
le Portugal de «puissance aàministrante» ne peuvent pas avoir eu pour
effet de conférer de nouveau des pouvoirs d'administration au Portugal
(en supposant même que telle ait été leur intention). Comme nous l'avons
dit, le Portugal admet lui-même que l'organisation des Nations Unies ne
peut pas «conférerw ex novo des pouvoirs d'administration, mais qu'elle
peut seulement «déterminer» ou «constater» ia situation existante .
En somme, le Portugal demande à la Cour de déterminer qu'un ancien
Etat colonial qui a manqué à ses obligations en vertu du chapitre XI - 65 -
lorsqu'il exerçait son autorité sur un territoire non autonome, ez qül a
depuis perdu toute autorité sur ce territoire et ne peut donc pas
s'acquitter de ses obligations, doit toujours être reconnu par tous les
Erats, presque vingt ans plus tard, comme seul légitimement habilité à
administrer ce territoire.
Le Portugai est à l'heure actuelle incapable de s'acquitter des
obligations d'un Etat administrant aux termes de l'article 73, ainsi
qclil en informe lui-même le Comité des Vingt-Quatre. La thèse du
Portugal, selon laquelle l'Australie l'empêche de s'acquitter de ses
obligations aux termes de l'article 73 en ne reconnaissant pas son statut
de puissance administrante, est donc dénuée de fondement. Son
argumentation aurait pcur résultat d'empêcher tout accord capable de
porter effet, avec touz Etst, concernanz le ~lateaü continental aans le
«Timor Gap». Le Portugal est iricapablede meEtre en oeuvre uc accord
qc'il pourraic conclure, et il soxziec: que les E:azs ne devraien: pas
être autorisés à traiter avez 1'Izdonésie, q~i en es: capable. Le
territoire deviendrait ainsi compiè:ement ;sols ne la communauté
internationale. Les sanctions et les hl=cus c2: toujours tendance à
produire cet effet, et peuvenc être préjuaicia~ies aux intérêts de la
population concernée. C'es: pourquoi la communauté internationale ne les
applique pas automatiquement mais seulement après un examen par les
organes compétents de llOrganisatlon aes Nations Unies, et sur la base de
directives ou de recomrnandazionsexpresses. Le Portugal essaie d'ériger
une politique de sanctions rBl:~ato:ros fondée sur les deux mots
«puissance administrante» - en fait, la jus:ification de sanctions par le
silence.
Cette argumentation du Portugal va à l'encontre de l'objet même du
chapitre XI. Celui-ci a pour objet les droits du peuple d'un territoire - 66 -
non autonome. Ce n'est pas une charte coloniale destinée à consoliàer
juridiquement les droits de l'ancienne puissance coloniale pour qu'ils
puissent survivre indéfiniment même à une perte complète d'autorité sur
le territoire en questioc.
Cependant, le Portugal lui-même est finalement obligé de concéder que
tel n'est pas l'effet du droit international. Il ne conteste pas la
légalité de la conduite des auizresEtats qui ont conclu avec l'Indonésie
des accords bilatéraux tendant à éviter la double imposition, accords qui
s'étendent au territoire du Timor oriental. Le Portugal essaie d'établir
une distinction entre ces traités et celui qui a été conclu entre
l'Australie et l'Indonésie (réplique du Portugal, par. 6.14- 6.15;
CR 95/4, p. 63-64, M. Galvao Teles), mais il est impossible de le faire.
Le fait qu'un Etat traite avec 1'Inaonésie e2.ce qui concerne le Timor
orien~al, que ce soit dans ie ccntexte d'accords tendant à éviter la
double imposiEioc ou dacs ie correxre s'accords pour l'exploitation de
ressources naturelles, revienz à aézrer que le 30r~u~al est le seul Etat
avec lequel les autres peuvent traizer pour ce qx: concerne le Timor
oriental. S'il est illégal de tra;ter avez ur Etat autre que le Portugal
dans l'un des contextes, il doic ê~re illégal ae cralter avec un Etat
autre que le Portugal dans l'autre. Dans sa réplique (par. 5.10-5.11),
le Portugal soutient que tous les Etats sont tenus d'une obligation
analogue à l'obligation décrite par la Cour dans l'affaire de la Namibie,
avis consultatif, C. I. J.Recueil 1971, pages 54 à 56. La Cour a dit en
l'espèce (p. 55) que
«les Etats Membres son: tenus de ne pas établir avec l'Afrique
du sud des relations conventionnelies dans tous les cas où le
Gouvernement sud-africain prétendrait agir au nom de la Namibie
ou en ce qui la concerne». - 67 -
Il est clair que la conduite des Etats qu: concluent avec l'Indonésie aes
accords tendant à éviter la double imposition est incompatible avec cette
affirmation. Etablir des relations conventionnelles avec l'Indonésie
àans un cas où l'Indonésie prétend agir au nom du Timor oriental ou en ce
qui le concerne, c'est précisément ce qu'ont fait ces Etats. Cette
pratique conventionnelle d'autres Etats contredit absolument l'assertioc
du Portugal selon laquelle «l'Australie est tenue de traiter avec le
Portugal et avec nul autre» (CR 95/4, p. 25, M. Correia).
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, si une puissance
administrante désignée c'a pas - par l'effet de ce seul statut - le
pouvoir exclusif de traiter avec d'autres Etats en ce qui concerne un
territoire, quel est alors l'effet du statut de puissance administrante ?
La réponse est que lorsque 1'AssemEléê générale ou ie Conseil de
sécurité désignent uz Etat particulier comme puissance administrante,
cette désignacion a un effet pour les oS:ec~ifs de l'0roanisction. Elle
n'a pas do force obligatcire en cienorscie1'Crgacisa~ioc.
De fait, on peut observer la même différence e~ ce qui concerne le
concept international clef d'Etac.
Pour répondre à la question àe savoir si une enrité territoriale est
un Etat il faut appliquer les règles au aroiz international aux
circonstances du cas particulier. La qualité dlEtat n'est pas un statut
juridique qui est aconféré» par ilCrganisation des Nations Unies.
Néanmoins, les organes ae llOrganisa:ion peuvent être appelés à
déterminer, dans la poursuite ae ieirs propres objectifs, si une entité
particulière est un Etaz.
Par exemple, seuls les Etats peuvent être membres de l'organisation
des Nations Unies (Charte, art. 4, par. 1). Dans l'exercice de leurs
fonctions en vertu de l'article 4, paragraphe 2, de la Charte, le Conseil - 68 -
de sécurité et l1Assemblée générale sont aonc appelés à déterminer si une
entité demandant à être admise l'organisation est en fait un Etat.
Néanmoins, lorsque l'organisation des Nations Unies a décidé qu'une
entité est un Etat en l'admettant parmi ses membres, ceci ne signifie pas
que tous les Etats Membres sont tenus d'une obligation erga omnes de
reconnaître cette entité comme un Etat dans tous les contextes et à
toutes fins. Cela ne signifie pas non plus que tous les Etats Membres
sont tenus d'une obligation erga ornes de ne pas eméconnaîtres ou mal
connaître son statut juridique dlEtat. Des renvois aux auteurs défendant
cette position seront fournis pour inclusion dans le compte rendu
(H. Aufricht, «Principles and Practices of Recognition by International
Organizations», American Journal of International Law, 1949, vol. 43,
p. 679, 703-704; R. Higgins, Tne Develo-pment of International Law throuqn
cne Political Orqans of the United Nations, 1963, p. 165;
2. E. H. Mosler, «The Internationai Society as a Legai Community»,
., " 8 Recueil des Cours (1974-IV), vol. 142. p. ;, 6:; r. Crawford, The
Creation of States in Internacimai Law, 1579, p. 322; P-M. Dupuy, Droit
International Public, 1993, 2e é~. , F. 71) .
De même, lorsque deux entités revendiquent concurremment la qualité
de gouvernement légitime d'un Etat donné, l'Organisation des
Nations Unies doit nécessairement décider lequel des deux représente cet
Etat au sein de l'Organisation. Mais ceci ne signifie pas que tous les
Etats Membres seront alors tenus d'une obligation erga omnes de ne pas
«méconnaître» ou «refuser de respecter» le droit de cette entité de
représenter 1'Etat dans tous les ccctextes et à toutes les fins, même
dans le cadre de relations bilatérales conàuites totalement hors du cadre
de l'Organisation des Nations Unies. - 69 -
Pour donner uc exemple évident, jusqulec 1971 la Chine étai:
représentée à l'Organisation des Nations Unies par l'autorité au pouvoir
à Taipei. En dépit de cela, entre 1949 et 1971, de nombreux Etats ont
reconnu la République populaire ae Chine et traité avec le gouvernement
de Beijing en ce qui concerne le territoire de la Chine. Nul n'a jamais
dit que ce fût contraire au droit ~nternational, jusqu'à ce qulec 1971
l'Assemblée générale décide de reconnaître les représentants de la
République populaire de Chine comme «les seuls représentants légitimes de
la Chine à l'organisation des Nations Unies, (résolution 27 58 (XXVI) du
25 octobre 19713.
En bref, lorsque l'organisation des Nations Unies reconnaît une
entité comme un Etat, ou comme le gouvernement d'un Etat, ceci peut avoir
certaines implications poür les Erats Membres dans le cadre de
l'organisation. Mais une telle reconnaissance par l'organisation des
Nâcions Unies ne aonne pas nalssanîe à -.inscacü: juridique objectif,
opposable à tous ies Etats Menbrst 2 ~':mporce quelle fin, même dans le
cadre de relations bilatérales ccn31.iiLestoüt à fait en aehors ae
l'organisation. Cela ne sionifie pas -on zlus que le gouvernement doit
être «respecté» par tous les EEars comme la seule aucorité habilitée à
représenter llEtat dans les relations internationales. De telles
désignations par l'organisation aes Nations Unies ne sauraient empiéter
sur le domaine réservé des Etats en matière de reconnaissance. Comme l'a
fait observer Mme Higgins,
«la pratique de llOrganisatioc des Nations Unies indique sans
équivoque que ni 1'aam:ssioc 2 l'organisation ni le fait que des
représentants étatiques particuliers siègent dans un de ses
organes ne peuvenc obliger uc Etai Membre à offrir une
reconnaissance» (Higgins, op. cit, p. 165) . - 70 -
Monsieur le Président, je sais que le temps passe, il me faudrait
encore dix minutes environ ? Je suis entièrement à la disposition de la
Cour, je pourrais terminer aujourd'hui.
Le PRESIDENT : Vous pouvez continuer.
M. STAKER : Merci, Monsieur le Président. Le parallèle est évident
entre la notion dlEtat et celle de puissance administrante d'un
territoire non autonome. Le chapitre XI de la Charte impose certaines
obligations aux Etats Membres qui ont ou assument la responsabilité
d'administrer des territoires non autonomes. La référence aux Etats qui
«ont ou assument la responsabilité d'administrer, ces territoires est une
expression descriptive, qui englobe une large gamme de relations
jüridiques différentes entre des territoires et les Etats qui les
aaninistrent, y compris les ccionlss, les protectorats et les
condominium(s) internationaux.
L'Organisation doit déterminer à ses propres fins quel Etat elle
considère comme ayant une responsabilit6 - par exemple, aux fins de
recevoir des renseignements ec appli=a:icr-aê I'arZicle 73 e) de la
Charte. Mais lorsque l1Organisatio- des Nations Unies fait une telle
détermination à ses fins propres, rien ne permet d'affirmer qu'elle rend
par là incontestable l'existence d'ur szatut juridique objectif,
opposable à tous, à toutes les fins et dans tous les contextes. Cela ne
signifie pas que tous les Etats doivent traiter avec 1'Etat ainsi désigné
'70
comme le seul Etat ha~ilité à représenter ce territoire dans les
relations bilatérales.
Dire qu'un territoire est «non autonome» implique à l'évidence des
droits pour l'organisation aes Naticns Unies, et des obligations pour
llEtat Membre qui administre le territoire en question. Et ces droits et
obligations sont énoncés dans la Charte de l'organisation des - 71 -
Nations Unies. Mais dire que les Etats, dans leurs relations
quotidiennes, en dehors de l'Organisation des Nations Unies, sont
juridiquement tenus de traiter exclusivement avec la puissance
administrante - même si celle-ci ne contrôle pas le territoire - désignée
par l'Organisation des Nations Unies est très différent. Car cela
affecte les Etats en dehors de l'Organisation des ~ations Unies, et ne
trouve aucun fondement dans les dispositions de la Charte.
Exiger des Etats qu'ils traitent exclusivement avec 1'Etat désigné
par l'Organisation des Nations Unies comme la puissance administrante
relativement à un territoire imposerait une très sérieuse restriction aux
Etats, en particulier 13rsque 1'Etat concerné n'exerce absolument aucune
autorité sur le territoire. Une telle restriction limiterait les
prérogatives normales aes Ezazs en matière ae reconnaissance. Le
Portuge; c'a cité aucuns scurce poxr Ptayer l'opicion devant laquelle àes
références par l'Organisation aes Nations Uriies à un Etat particulier
comme étant la püissance aà~,inistran:eIlen: zous les Ezats Membres à
toutes fins utiles, et que 1'Ezat ainsi aésigné doit être reconnu comme
ayant compétence exclusive poür ccczlure aes accords en ce qui concerne
le territoire. Le PorEugal suppose sirpiement que tel est le cas. Mais
les restrictions de la souverainetg aes Etats ne peuvent reposer sur de
simples conjectures.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, on pourrait demander
pourquoi l'Assemblée générale s'est référée au Portugal comme étant la
puissance administrante du Timor oriental aans les résolutions adoptées
après que le Portugal eut cessD d'exercer une autorité quelconque sur le
territoire. Une raison était sans aucun doute de faire en sorte que le
i??1 Timor oriental continue d'être considéré comme un territoire non
autonome. Tant que l'Organisation des Nations Unies continue de désigner - 72 -
le Portugal comme la apuissance adminiscrante~ théorique, il reste clair
que le droit à l'autodétermination continue d'exister.
En dehors de cela, les références au Portugal comme puissance
administrante sont une admission que le Portugal, du fait de son
association historique avec le territoire, continue d'avoir un rôle à
jouer dans l'action de l'organisation des Nations Unies concernant
l'autodétermination de ce territoire. La nature de ce rôle a été
examinée par M. Burmester, lorsqu'il a traité de la question de la
qualité pour agir du Portugal dans la présente instance.
11 ne faut pas oublier que même dans le contexte de l'Organisation
des Nations Unies, le Portugal n'est pas reconnu comme le seul
représentant légitime du peuple du Timor oriental. Comme d'autres
conseils de l'Australie l'ont.fait observer, dès 1973 l'Assemblée
générale a adopté une résolution ap?rouvan: les pouvoirs des
représentants du Portugal «étant biec eurenac que ces derniers
représentent le Portugal tel qü':l existe àazs ses frontières
européennes» (résolution 318; (XXVIII' du 1' aécembre 1973). En 1974,
l'Assemblée générale s'es:, àans une r6scluzion, référée au Portugal
comme à la «puissance administrac:e» des «territcires sous domination
portugaise» tout en indiquant dans le même temps que ce n'était pas le
Portugal mais bien les mouvements de libération nationale de ces
territoires qui étaient «les représentants authentiques des peuples
intéressés, (résolution 3294 (XXIX) du 13 décembre 1974, par. 6). Et
dans les résolutions concernant le Timor oriental, l'Assemblée générale
décrit seulement le Por:ugal comme une «partie intéressée» ou l'une des
«parties directement concernees», avec l'Indonésie et les représentants
du peuple du Timor oriental (voir en particulier la résolution 36/50 du
24 novembre 1981, par. 3; voir aussi la résolution 37/30 du 23 - 73 -
novembre 1982, par. 1). Cette référence distincte aux ureprésentants du
peuple du Timor oriental. montre clairement que ce n'est pas le Portugal
072
qui représente le peuple du Timor oriental au sein de l'Organisation des
Nations Unies
Si, même dans le cadre de ltOrganisation des Nations Unies, le
portugai n'est pas le représentant exclusif du Timor oriental, nul n'est
fondé à soutenir que dans les relations bilatérales de l'Australie hors
de l'organisation des Nations Unies, celle-ci doit traiter avec le
Portugal comme le seul Etat habilité à conclure des accords concernant ce
territoire.
La conclusion est donc, comme nous l'avons dit dans la duplique de
l'Australie, qu'en droit international il n'existe pas de statut
juridique objectif général de «p7~issanceadminis~rante» d'un rerritoire
non aKtonome, qui aurait force exécutoire pour tous les Etats et à toutes
fins utiles, ayant pour conséquence que :Z.JS ~PS Etats doivent
reconnaître - ou ne pas «méconsa?tre» - ie droit et la compétence
exclusifs de cet Etat pour conclure des accords s'appliquant au
territoire. S'il existe effectivement ur stazuz juriaique de <puissance
aaministrante», il existe pour les beszins aes Nations Unies. Il s'agit
d'une qualité fonctionnelle, qui n'est pas incompatible avec l'absence de
toute autorité réelle pour contrôler ou représenter le territoire en
cause.
Monsieur le Président, j'ai sacs doute mal calculé - jlaurai
peut-être besoin de cinq minutes encore. Dois-je continuer ?
Le PRESIDENT : Oui, veuillez continuer.
M. STAKER : Merci. Monsieur le Président. - 74 -
Cela ne signifie pas qu'uc Etat aura toujours nécessairement le àroiz
de traiter avec celui qui exerce le pouvoir effectif sur un territoire
non autonome. C'est simplement affirmer de nouveau ce qui a déjà été
ait - qu'il appartient à l'organisation des Nations Unies, et ec
particulier à l'Assemblée générale, de donner des directives sur
l'application du chapitre XI. Même lorsqu'un ancien Ecat colonial garde
.27 3 le contrôle d'un territoire non autonome, l'organisation des
Nations Unies peut, dans des circonstances appropriées, adopter des
résolutions invitant les Etats à ne pas coopérer avec lui ou à ne pas lui
prêter assistance. C'est ce qui s'est passé pour les territoires
africains administrés par le Portugal. Mais comme l'a montré M. Bowett,
aucune résolution en ce sens n'a été adoptée en l'occurrence. Lorsque
l'ancienne puissance coloniale a perdu ie contrôle d'nn territoire non
autonome par suite d'une rébellion d'une partie ae la population locale,
il appartient aussi aux Nations Unies de dcnner des birectives appelant
les Ezats Membres à ne pas reconnaître le nDuveax régime, ce qui s'est
produit pour la Rhodésie du Sud. Mais aans ce cas-12. il avai: été
établi que le régime de ce territoire avait vicié le croit à
l'autodétermination. On ne peut pas utiliser l'exempie de la Rhodésie,
comme cherche à le faire le Portugal, pour étayer une thèse plus générale
selon laquelle la *puissance administrante» doit toujours être reconnue
par d'autres Etats comme titulaire de droits exclusifs à administrer un
territoire bien qu'elle en ait totalement perdu le contrôle.
De même, lorsque l'ancien Eta: colonial perd le contrôle sur le
territoire par suite de l'intervention d'un autre Etat, l'organisation
des Nations Unies peut adopter des résolutions appelant ses Etats Membres
à ne pas reconnaître le changement d'administration comme légal. En
l'absence de directive de la part de l'Organisation, il appartient à - 75 -
cnaque Etat de déterminer iui-même comment réagir devant la situation, en
tenant compte des principes généraux du droit international. Dans le cas
du Timor oriental, si l'organisation des Nations Unies considérait que
les actions de l'Australie, et des autres Etats qui ont reconnu le
contrôle de l'Indonésie, entravaient la réalisation de l'objet du
chapitre XI, elle pouvait demander qu'il soit mis fin à ces actions.
Pourtant, elie n'a adopté aucune résolution qui oblige l'Australie à
reconnaître le Portugal comme seul Etat ayant le droit de traiter avec
les autres à l'égard de ce territoire, que ce soit à l'époque du traité
de i989 avec l'Indonésie, ou à un autre moment. Ni l'Australie ni
d'autres Etats qui ont traité avec l'Indonésie au sujet du Timor oriental
n'ont été critiqués.
S'il n'existe pas de statut juridique général objectif de puissance
administrante en droit international, en vertu àuquel le Portugal
pourrait être considéré comme ayan: la compétence exclusive pour traiter
avec d'autres Etats de ce qui concerne le territoire, l'argumentation du
.--
Portugal ne peut qu'être rejetée s-r ie rorû. La Cour ne saurait
déterminer que l'Australie a esfrelcz le drcit international en traitant
avec l'Indonésie. Elle ne saurait 1~ faire, preaièrement, à cause du
principe de l'Or monétaire. Mais elle ne peut pas non plus le faire
parce que le Portugal ne le lui demande pas. Le Portugal demande
simplement à la Cour de déterminer si, en traitant avec un Etat autre que
le Portugal, l'Australie a manqué au respect du aux droits du Portugal en
tant que puissance administrante, et si llAus:ralie a de ce fait violé
l'obligation de respecter les droits du peuple du Timor oriental.
C'est-à-dire, s'il est contraire au droit international que l'Australie
traite avec n'importe quel Etat tiers en n'importe quelles circonstances
S'il n'existe pas de statut spécial de puissance administrante, ni - 76 -
d'obligation juridique erga omnes de traiter exclusivement avec 1'Etat
ainsi désigné par l'organisation des Nations Unies, la repens eoit être
négative. Une fois obtenue une réponse négative à cette question, le
Portugal ne aemande pas à la Cour d'aller plus loin et de considérer si
la conclusion d'un traité avec 1'Etat tiers dont il s'agit - l'Indonésie
- est incompatible avec les principes de l'autodétermination. Mais comme
M. Crawford et M. Burmester l'ont aussi fait valoir, la réponse à cette
question supplémentaire serait aussi négative. Il n'est pas incompatible
avec le droit d'autodétermination de traiter avec un Etat exerçant un
contrôle effectif sur un territoire non autonome en l'absence d'une
directive exécutoire ae l'organisation aes Nations Unies. Et comme
M. Bowett l'a démon~ré, il n'existe pas de directive exécutoire de
.-r r I~Organisation des Naticns Unies obligean: les EEats à s'a~stenir de
/ 3
traiter avec l'Indonésie en ce qui concerne le Timor oriental.
Monsieur le Président, Messieurs ae là Cour,
Je conclus ainsi l'argunen~ation Se l'Australie seloc laquelle la
conclusion du traité avec l'Indonésie c'es: pas incompa~i~ie avec les
droits du peuple du Timor oriental à disposer de lui-même. Ii reste
encore une question relative au fonc de l'affaire, au sujet de laquelle
nous avons une argumentatioc à présenter à la Cour : il s'agit du droit
de l'Australie de négocier pour protéger ses propres ressources
maritimes. MM. Pellet et Bowett se proposent d'analyser cette question.
J'invite la Cour à appeler d'abord M. Peliet a la barre demain.
Monsieur le Présidec:, Messieurs Se la Cour, je vous remercie de
votre très aimable attention.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Staker. La Cour reprendra
ces plaidoiries demain à 10 heures.
L'audience est levée à 13 h 15.
Traduction