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087-19940228-ORA-01-01-BI
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CR 94/1 (traduction)

CR 94/1 (translation)

Lundi 28 février 1994

Monday 28 February 1994 -2-

0 0 8 The PRESIDENT: The sitting is open.

The Court meets today,pursuant to Articles 43 and 46 of its

Statute, to hear the oral argument of the Parties to the caseconcerning

Mari time Delimi ta tiand Terri torialQuestionsbetween Qatar and Bahrain

on questions of jurisdictionand admissibility arisingin that case.

However, before opening the hearings for that purpose, we have first

to complete the composition of the Court. With effectfrom 6 February

1994, three new judges became Membersof the Court, following their

election by the United Nations General Assemblyand Security Council. At

the same time, two of Our colleagues,Judges Oda and Herczegh, were re-

elected for fresh terms of office; we congratulatethem, and are very

pleased to have the benefit of their continued participationin the work

of the Court. Furthermore,each of the Parties to the case, Qatar and

Bahrain, has exercised its right under Article31 of the Statute of the

Court to choose a judge ad hoc to sit in the case. Article 20 of the

Statute provides that "Each Member of the Court" shall, before taking up

his duties, rnakea solernr,eclaration in open court thathe will exercise

his powers impartially and conscientiously". For this purpose that

expression includesjudges ad hoc. 1shall thereforeSay a few words as

to the background and qualificationsof each judge, and then invite each

of them, in order of precedence, to make thesolemn declaration.

Judge Shi Jiuyong, of Chinese nationality,was formerly the Legal

Adviser to the Ministry of Foreign Affairsof the People's Republic of

China, and a Member of the InternationalLaw Commission,of which he was

Chairman for the 42nd session in1990. Educated at St. John's

University, Shanghai,and Columbia University, New York, he has had a - 3 -

distinguished career inlegal research andteaching, as professor, as

representativeof his country and as legal adviser.

Judge Carl-AugustFleischhauer,of German nationality,is no

stranger to the Court, still less to the United Nations, having beenfor

the last ten years the Legal Counsel of the organization. In that

capacity he has been concerned in three advisory casesbefore the Court;

and earlier in his career he was involvedon behalf of the Federal

Repubiic of Gerrnanyin two cases to which that State was a Party. He

studied in Heidelberg, Grenoble, Paris and Chicago,joined the diplornatic

service, and rose to be LegalAdviser to the Federal Foreign Office.

Judge Abdul G. Koroma, a national of Sierra Leone, also cornesto

The Hague from New York, where he was PermanentRepresentativeof his

country to the UnitedNations, with the rank of Ambassador Extraordinary

and Plenipotentiary. He studied in Sierra Leone, at Kiev State

University, and the Universityof London. He has had a long career in

Government Service,as Legal Aaviser, High Commissioner,and Ambassador,

and has represented his country a: many conferences, and has served on

the Sixth Cornmittee of the General Açsernblyfor 16 years.

Turning now to the juàges ad hoc appointed for this case, the Court

is fortunate that the Parcies' choice has fallen on two most experienced

judges. Bahrain has designated Judge NicolasValticos, judgeof the

European Courtof Human Rights, and recentlya judge of a Chamber of this

Court as judge ad hoc in the case concerning Land, Island and Maritime

Frontier Dispute between El Salvador and Honduras. JudgeValticos is a

Member of the PermanentCourt of Arbitration,and a former professor at

the University ofGeneva. -4-

Finally, Judge Jose-Maria Ruda has been chosen by Qatar; it

suffices for me to Say that he was a most distinguishedMember of this

Court £rom 1973 to 1991, and its President £rom 1988 to 1991.

1 shall now cal1 upon each of these judges to make the solemn

declaration required by the Statute, and 1 request al1 present to stand

while this is being done.

M. SHI:

"Je déclare solennellement queje remplirai mes devoirs et
exercerai mes attributions de juge en tout honneur et

dévouement, en pleine et parfaite impartialitéet en toute
conscience."

The PRESIDENT: Judge Fleischhauer.

Judge FLEISCHHAUER:

"1 solemnly declare that 1 will perform my duties and
exercise my powers as judge honourably, faithfully,impartially
and conscientiousiy."

The PRESIDENT: Judge Koroma.

Judge KOROMA:

"Je déclare solennellementque je remplirai mes devoirs et
exercerai mes attributions de juge en tout honneur et

dévouement, en pleine et parfaite impartialitéet en toute
conscience.^

The PRESIDENT: Judge Valticos

Judge VALTICOS:

"1 solemnly declare that 1 will perform my duties and
exercise my powers as judge honourably, faithfully, impartially
and conscientiously." - 5 -

The PRESIDENT: Judge Ruda.

M. RUDA:

"Je déclare solennellement que je remplirai mes devoirs et
exercerai mes attributions de juge en tout honneur et

dévouement, en pleine et parfaite impartialité et en toute
conscience.

The PRESIDENT: Please be seated. 1 place on record the solemn

declarations made by Judges Shi, Fleischhauer and Koroma, and declare

them duly installed as Members of the Court.

1 place on record the solemn declarations made by Judges Valticos

and Ruda, and declare them duly installed as judges ad hoc in the case

concerning Maritime Delimitation and Territorial Questions between Qatar

and Bahrain.

En l'espèce, c'est le 8 juillet 1991, par voie de requête, que

1'Etat du Qatar a introduit une instance contre lTEtat de Bahreïn, au

sujet de certains différends entre les deuxEtats, définis par le Qatar

comme des différends relatifs à la souveralneté sur les îles de Hawar,

aux droits souverains sur les ha.at-fondsde Dibal et de Qit'at Jaradah et

à la délimitation des zones maritimes entreles deux Etats.

Dans sa requête, le Qatar fonde la compétence de la Cour sur

certains accords que les Parties auraient conclus en décembre 1987 et en

décembre 1990 - l'objet et la portée de l'engagement à accepter cette

compétence étant déterminés, d'après le Qatar, par une formule proposée

au Qatar par Bahreïn le 26 octobre 1988 et acceptée par le Qatar en

décembre 1990. Par lettres adressées au Greffier de la Cour le

14 juillet 1991 et le 18 août 1991, Bahreïn a contesté le fondement de la

compétence invoqué par le Qatar. Au cours d'une réunion que le Président - 6 -

de la Cour a tenue avec les représentants des Partiesle 2 octobre 1991,

il a été convenu qu'il serait statué séparément, avant toute procédure

sur le fond, sur les questions de compétence et de recevabilitéen

l'espèce. En conséquence, la Cour a fixé des délais pourle dépôt d'un

mémoire par le Qatar et d'un contre-mémoirepar Bahrein sur la question

de la compétencede la Cour pour connaître du,différendet sur celle de

la recevabilitéde la requête, et ces pièces ont été dûment déposéesdans

les délais fixés. Par ordonnance du 26 juin 1992, la Cour a considéré

qu'en l'espèce la présentationd'autres pièces de procédure par les

Parties était nécessaire et a fixé les délais pour le dépôt d'une

réplique par le Qataret d'une duplique par Bahreïn; ces piècesont été

dûment déposées dans les délais fixés. L'affairéetait dès lorsen état,

au sens des dispositionsde l'article 54 du Règlement de la Cour, depuis

la date du dépôt dela duplique le 29 décembre 1992. Cependant, en

raison du nombre d'affaires inscrites au rôle de la Cour, il n'a pas été

possible de tenir audience et d'ouvrir la procédure oralejusqu'à ce

jour .

S'étant renseignée auprès des Parties, la Cour a décidé,en

application des dispositionsdu paragraphe 2 de l'article 53 du Règlement

de la Cour, que des exemplairesdes pièces de procédureet des documents

annexés seraientrendus accessiblesau public à l'ouverturede la

procédure orale.

Je constate la présence à l'audiencedes agents, conseils et avocats

des deux Parties. C'était le Qatar qui, en application de l'ordonnance

rendue par la Cour le 11 octobre 1991, a déposé la première piècede

procédure sur les questionsde compétenceet de recevabilité;en - 7 -

conséquence ce sera le Qatar qui plaideraen premier. Je donne donc la

parole à l'agent du Qatar.

M. AL- NAUMI :

1. Monsieur le Président,Messieurs de la Cour, ce n'est pas sans

émotion qu'un juriste vientplaider devant la Cour internationalede

Justice, et je voudrais ajouter quec'est un honneur et un privilège pour

moi de représenter le Gouvernement de1'Etat du Qatar devant elle, dans

cette affaire entre 1'Etat du Qatar et 1'Etat de Bahrein. Mon

gouvernementm'a demandé de vous présenter ses sincères respects à

l'occasionde cette premièrecomparutionde deux Etats arabes du Golfe en

ces lieux. Je voudrais aussi, Monsieur le Président, saisir cette

occasion pour vous féliciter,au nom de tous les membres de la délégation

qatarienne,de votre récente élection aux fonctions de Président de cette

éminente institution. Nos félicitationss'adressentégalement au

vice-présidentSchwebel et aux juges nouvellement élus que nous sommes

ravis d'accueilliraujourd'huiparmi les membres dela Cour.

2. Je suis également heureuxce matin d'adresser,par

l'intermédiairede M. Al-Baharna,au Gouvernementet au peuple de 1'Etat

de Bahreïn, les amitiés les plus sincères de mon gouvernementet du

peuple fraternel du Qatar, à l'occasionde la présencede Bahreïn

aujourd'hui,en cette enceinte. La Cour est par excellence un lieu où

des différends sont résoluspar les moyens pacifiques de règlement

judiciaire,prévus à l'article 33 de la Charte des Nations Unies.

L'affaire portée devantla Cour par la requête qatarienne est importante

pour les deux Etats. Elle soulève des questions de délimitationmaritime

et de souveraineteterritorialed'une importance vitalepour le Qatar, -8-

pour ses relations avec ses voisins ainsi que pourd'autres Etats de la

région du Golfe.

3. Monsieur le Président,Messieurs de la Cour, le 8 juillet 1991 le

Qatar a déposé sa requête introductive d'instance contre Bahrein au sujet

de certains différendsexistant entre euxrelativement à la souveraineté

sur les îles de Hawar, aux droits sauverains sur 1es.hauts-fondsde Dibal

et de Qit'at Jaradah et à la délimitation des zones maritimes entre les

deux Etats. Comme il est expliqué dans la requête du Qatar, en 1987 et

1990, à la suite de nombreuses annéesde médiation, les Etats ont conclu

des accords internationauxconférant compétence à la Cour conformément à

l'article 36, paragraphe 1, de son Statut. Le Qatar a saisi la Cour par

voie de requête conformément à l'article 40, paragraphe 1, du Statut de

la Cour, rapproché de l'article 38 du Règlement de la Cour. Le conseil

du Qatar développeraces aspects ultérieurement.

4. Près de trois ans se sont maintenantécoulés depuis le dépôt de

la requête. Dans ces observations liminaires je tiens, Monsieur le

Président, à rappeler brièvement le comportementde Bahrein depuis ce

dépôt .

Premièrement, par lettre datéedu 14 juillet 1991, Bahrein a demandé

que la requête déposée par le Qatar ne soit pas inscrite au rôle général

et qu'aucune disposition ne soit prise dans laprocédure. Bahreln a

évidemment été informé que le paragraphe 5 de l'article 38 du Règlement

de la Cour ne s'appliquaitpas en l'espèce. L'affaire a ensuite été

dûment inscrite au rôle généralet dotée d'un titre, consigné dans

l'ordonnancerendue par lePrésident de la Cour le 11 octobre 1991.

Deuxièmement, par une autre communication contraire auxrègles,

datée du 18 août 1991, Bahrein a tenté de contester le fondementde la -9-

compétencede la Cour, invoqué par le Qatar. Mais Bahrein, bien qu'étant

Partie au Statut de la Cour, a omis de se conformerau Règlement de la

Cour, en refusant de désigner un agent ou de déposer une exception

préliminaire. Cette difficultén'a été résoluequ'à la suite d'un accord

intervenu ultérieurement entre les deux Etats et selon lequel «il serait

statué séparément,avant toute procéduresur le fond;sur les questions

de compétenceet de recevabilitéen l'espèce». Il est pris acte de cet

accord dans l'ordonnancede la Cour datée du 11 octobre 1991. Ce n'est

que le 26 octobre 1991 que Bahreïn a désigné son agent.

Troisièmement, Bahrein a fait valoir dans sesécritures que c'est un

outrage et un déshonneur pour un Etat d'être traduit devantla Cour par

un autre Etat et d'être placé dans la situation de défendeur. Il est

évident que recourir à des moyens pacifiques derèglement d'undifférend

ne saurait jamais être considéré comme un déshonneur et, en tout état de

cause, la Cour notera quesi Bahreïn avait déposéune exception

préliminaire, il se trouverait aujourd'huidans la position de demandeur

et Qatar dans celle de défendeur.

5. Il convient de rappeler également d'autres aspects du

comportementdes Parties.

En décembre 1987 le Qatar et Bahreïn sont convenus quejusqulà ce

que les questionsen litige soient définitivement régléep sar la Cour :

«al Chacune des Partiess'engage dès maintenant à s'abstenir de
toute action quirenforcerait saposition juridique,

affaiblirait cellede la Partie adverse, ou modifierait le
statu quo à l'égard des questions en litige. Toute action
en ce sens sera considérée commenulle et non avenue et
n'aura aucun effec juridique en la matière».

Cet accord faisait écho à l'engagementprécédemment pris par les Parties

en vertu du deuxième principe des principed se 1978 pour un cadre de règlement, qui ont été adoptés dans le contexte de la médiation
31 6
saoudieme et ont été dénommés aaccord-cadre*dans les pièces de

procédure (mémoiredu Qatar, vol. III, annexe 11.1, p. 1).

Le Qatar n'a rien fait pour tenter demodifier la situation

juridique existant entre les Parties ni pour modifier le statu quo en ce

qui concerne les questions en litige. Bahreïn n'a toutefois pas fait

preuve de la même retenue. Comme la Cour le sait, divers incidentsse

sont produits depuis 1991, en relation avec les différends fondamentaux.

Qatar ne peut voir dans ces incidents qu'une violation, par Bahreïn, de

son engagement à respecter le principe du statu quo consacré dans

l'accord-cadreet l'accord de décembre 1987.

De plus, après le dépôt de la requête, M. Jemings, alors Président

de la Cour, a reçu du Qatar l'assurancequ'il s'abstiendraitde tout acte

qui pourrait menacerla paix dans la région. Depuis lors, le Qatar s'est

conformé à cette promesse. Le Qatar est toutefois fondé à croire que

Bahrein est en tram de renforcer sa présence militairesur l'île Hawar

principale, notamment en y introduisantde l'artillerielourde et divers

véhicules militaires.

Quoi qu'il en soit, que montrent ces agissements ? Ils montrent

clairement que le différend en suspens de longue date entre les deux

Etats frères, au regard duquel le Qatardemande systématiquementjustice

depuis plus de cinquante ans, continue d'exister et demande à être réglé

de manlère pacifique sur la base du droit international.

* *

6. Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, dans mon exposé je

me propose maintenant de rappeler à la Cour, aussi succintementque - 11 -

possible, premièrement (1) certains aspects du cadre géographique et

historique des différends existants et en suspens de longue date (voir

mémoire du Qatar, p. 7-31; contre-mémoire de Bahrein, p. 9-16, réplique

du Qatar, p. 7-11 et duplique de Bahrein, p. 6) et deuxièmement (II)

certains des aspects les plusimportants desdiverses tentativesfaites

pour régler définitivement ces différends, par la négociation ou par

recours à une tierce Partie. J'espère que mon exposé sera une utile

introductionaux exposés du savant conseildu Qatar, qui prendra la

parole après moi.

Je suis conscient qu'en se référant à la question de la compétence

de la Cour pour connaître du différendet à la question de la

recevabilité dela requête, le Président de la Cour, dans son ordonnance

du 11 octobre 1991, a déclaré qu'~i1 est nécessaire que laCour soit

informée de tous lesmoyens de faitet de droit sur lesquels les Parties

se fondent à ce sujet».

Je suis également conscientque les deux Etats sontaujourd'hui

devant la Cour au stade de la procédure orale. En vertu de l'article 60

du Règlement dela Cour, les exposés oraux du Qatar

«portent sur les points qui divisent encore lesParties, ne
reprennent pastout ce qui est traité dans lespièces de

procédure, et ne répètent pas simplementles faits et arguments
qui y sont déjà invoqués».

Avec votre autorisation,nous ne donnerons pas, au cours de ces

débats, les référencesde nos citations maisces référencesseront

communiquéesau Greffe et nous lui serions reconnaissantsde bien vouloir

les insérer dans le texte de la transcription.

*

7. (1) Pour commencer,je vous invite dans marégion, où sont situés les

territoires duQatar et de Bahreïn et, vous servant de guide, je vous

qb/CR94/l/trad/033 - 12 -

présenterai brièvement certains aspects du cadre géographique et

historique des différends existantset en suspens de longuedate. Je

n'entends pas entrer dans lefond de l'affaire de la délimitation

maritime et des questions territoriales entrele Qatar et Bahrein; je me

contenterai de fournir le cadre nécessaire à la présente procédure,qui

est consacrée aux questions de.compétenceet de--recevabilité.

8. Monsieur le Président,ce matin j'ai distribué par

l'intermédiaire du Greffede la Cour, et directement à la délégation

bahréïnite, un agrandissement de la carte (L/P & S/12/38066) reproduite à

la page 36 de la requête du Qatar, afin de permettre à la Cour de suivre

plus facilementcette partie de mon exposé.

Les différends portésdevant la Cour par le Qatar dans sa requête de

juillet 1991 sont les suivants :

- différend relatif à la souverainetésur les îles de Hawar (voir

par. 11 à 17 de la requête du Qatar); et

- différend relatif à la délimitationde la frontière maritime (ibid.,

par. 18 à 25).

9. Le différend relatif aux îles de Hawar, qui sont situées le long

de la côte occidentale du Qatar, a pris naissance dans les années trente,

dans le cadre de la prospection pétrolière dansla région. Après que le

Qatar eut élevé auprès des autorités britanniquesdes protestations

contre des incursionsbahreïnites sur Hawar, le Gouvernement britannique

a décidé en 1939, que les îlesde Hawar appartenaient à Bahreïn et non au

Qatar (mémoiredu Qatar, vol. II, annexe 1.38). A l'époque, le Qatar a

énergiquementprotesté contre cettedécision (mémoiredu Qatar, vol. II,

annexes 1.40, 1.43, 1.45 et 1.471, et a continué de s'élever contre elle

et d'affirmer qu'elle était nulle et non avenue. - 13 -

10. Le différend relatif à la délimitationde la frontière maritime

est né d'une décision britanniqueprise en 1947 et tendant à délimiter

les fonds marins entre les deux Etats selon des principes équitables, au

moyen d'une ligne médiane fondéed'une façon générale sur la

configurationdu littoral de l'île principale de Bahrein et de la

péninsule du Qatar (mémoiredu Qatar, vol. II,-annexe 1.53). Deux

exceptions à cette ligne de partage étaient prévues dans la décision. La

première exceptiontendait à reconnaîtreque Bahrein avait desdroits

souverains sur la région des hauts-fondsde Dibal et de Qit'at Jaradah,

situés du côté qatarien de la ligne; la seconde exceptionconcernait le

tracé de la ligne visant à donner effet à la décision britanniquede 1939

qui attribuait les îlesde Hawar à Bahrein.

11. Dans la suite immédiate dela décision britanniquede 1947, le

Qatar ne s'est pas opposé à la partie de la délimitationdont le

Gouvernement britanniquea dit qu'elle était fondée sur la configuration

du littoral des deux Etats et déterminée selon des principes équitables.

Le Qatar a toutefois énergiquement protesté contre les deu xxceptions

(mémoiredu Qatar, vol. II, annexe I.55), et n'a cessé depuis lorsde s'y

déclarer opposé. Bahreïn, par contre, a fait valoir que l'île de Janan

aurait dû être considérée comme faisant partie du groupe des îles de

Hawar (mémoiredu Qatar, vol. II, annexe I.55), et a déclaré qu'il

considéraitDibal et Qit'at Jaradah comme des hauts-fonds sur lesquels il

avait des droits souverains, affirmant qu'il fallait ajuster la lignede

partage en conséquence(mémoiredu Qatar, vol. II, annexe 1.54).

12. Passons maintenant des suites immédiates des décisions

britanniques à la situation des différendsdans les années soixante

(mémoiredu Qatar, vol. II, annexes 1.56-1.63). Pour s'assurer des vues - 14 -

du Qatar et de Bahrein, on pourra se reporter aux archives britanniques

ainsi qu'à d'autres documents que le Qatar et Bahrein détiennent dans

leurs propres archives. Comme la Cour le sait, les documents conservés

dans les archives britanniques sont assujettis à une règle de non

divulgation pendant une périodede trente ans. Aussi, à ce jour, seuls

les documents d'archives britanniquesantérieurs à la fin de 1963

relèvent-ils du domaine public.

13. Dans un mémorandum de 1964, Bahrein a émis certainesprétentions

concernant la "limitemaritime entre lesdeux Etats" (annexe 1.56). Dans

ce mémorandum, Bahreïna affirmé que Dibal et Qit'at Jaradah étaient des

îles dotées d'eaux territorialeset qu'il fallait les considérer comme

"une côte extérieure aux finsde déterminer la lignede base à partir de

laquelle les eauxterritorialeset la ligne médiane doivent être

mesurées". Dans son mémorandum de 1965, portant réponseau mémorandum

de 1964 de Bahrein, le Qatar a rejeté cesprétentions eta en outre

évoqué le différend sur les îles de Hawar (annexe 1.57).

14. Dans le même mémorandum,le Qatar a proposé que l'ensemblede

ces différends soit réglé parvoie d'arbitrage. Bahrein y a tout d'abord

consenti et le Gouvernement britannique aégalement donnéson accord à la

procédure d'arbitrage.

Le Qatar avait mentionnéla question de la délimitationmaritime

conjointement avecla question du titre sur les îles de Hawar dans le

projet de compromis d'arbitragequ'il avait soumis à l'agent politique

britannique au Qatar, en 1966 (annexe 1.61)

Bahrein a toutefois faitéchouer la procédure d'arbitrageen
921
refusant de soumettre à l'arbitragela question du titre sur les îles de

Hawar. Le 29 mars 1966, le Qatar a été informé que Bahrein "n'est pas - 15 -

disposé à soumettre à un arbitrage" la question de "la souveraineté sur

le groupe d'îles de Hawar qui ont été attribuées à Bahrein

en 1939"(annexe 1.62). Bahreïn a ajouté qu'il n'était pas disposé à

soumettre à un arbitrage la question de la 'rsouveraineté de Bahreïn sur

d'autres îles ou hauts-fonds".

La Cour n'aura pas omis de noter que la question de Zubarah n'a été

mentionnée ni par Bahreïn ni par le Qatar dans le cadre de ces

propositions de règlement par voie d'arbitrage.

15. (II) Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, je voudrais

maintenant exposer succinctement les initiativesqui ont conduit au dépôt

de 13 requête du Qatar en juillet 1991, notamment celles prises au cours

de la période de l'aimable médiation du royaume d'Arabie saoudite. Cet

exposé sera fait à la lumière des exceptions à la compétence élevées par

Bahreïn devant la Cour.

16. Après que la présence britannique au Qatar et à Bahreïn eut pris

fin en 1971, le différend relatif aux îles de Hawar est resté en suspens,

de même que le différend relatif à la frontière maritime. En outre,

aucun accord n'était intervenu en ce qui concerne la délimitation de la

zone septentrionale contestée, située entre le bateau-phare de Bahreïn,

le point le plus septentrional sur la ligne indiquée par le Gouvernement

britannique dans sa décision de 1947, et les limites du plateau
022

continental des deux Etats avec l'Iran. En 1975 et 1976, le Qatar a

soulevé auprès de l'Arabie saoudite les questions relatives aux - 16 -

différends existants avecBahrein, et à l'issue de ces entretiens il a

été décidé que le royaumed'Arabie saoudite exercerait une médiation

entre le Qatar et Bahrein pour régler ces différends.

17. Le 13 mars 1978, le roi Khalid d'Arabie saoudite proposa un

ensemble de aprincipespour un cadre de règlement,

Le premier principe de ce cadreportait sur le caractère

complémentaire des questions en litige entre les deux Etata su sujet de

ala souveraineté sur les îles», ades frontièresmaritimes,, et edes eaux

Le deuxième principeprescrivait le maintiendu statu quo.

Le troisième principe interdisait, entre autres, au Qatar et à

Bahrein de soumettre les questions enlitige à une quelconque

organisation internationale.

Le quatrième principe prévoyaitla constitutiond'une commission

composée de représentantsdes trois Etatsaen vue de parvenir à des

solutions acceptablespour les deux Parties sur la base de la

justice ...W.

Bahreïn et le Qatar acceptèrentce cadre en 1983, avec un cinquième

principe dont le texte finalest libellé comme suit :

«Au cas où les négociations visées par le quatrième
principe ne permettraientpas d'aboutir à un accord sur une ou

plusieurs des questionsen litige susmentionnées, les
gouvernementsdes deux pays s'attacheront,en consultation avec
le Gouvernement de l'Arabie saoudite, à déterminer les
meilleurs moyens de régler ladite ou lesdites questions, sur la

base des dispositions du droit international. La décision que
prendra 1'instance choisie de commun accord à cette fin sera
définitive et obligatoire.» (C'estmoi qui souligne)

Je souligne les expressions erégler ladite ou lesdites questions,

sur la base des dispositions dudroit international,et «la décision que

prendra l'instance choisie de commun accord à cette fin sera définitive et obligatoire>. Comme on le verra, ces termes marquaient un mouvement
923
. - significatifde la part du Qatar et de Bahrein en direction du règlement

de leur différend. Les deux Etats sontdonc d'accord depuis 1983 pour

que leur différend soit définitivement réglé par une tierce partiesur la

base du droit international.

18. On constate que la route qui conduit à la Cour internationalede

Justice a été longue et difficile. Lesnégociationsne firent pas de

progrès substantiels entre 1983 et 1986; et en 1986, il Survint une

crise, Bahrein ayant enfreint le deuxième principe du cadre, qui

prévoyait le maintien du statu quo. Il en résulta un conflit armé, dit

"incidentde Dibal", qui conduisit à son tour à l'accord de

décembre 1987, en vertu duquelle Qatar et Bahrein convenaientde

soumettre à la Cour les différendsqui les opposaient.

19. Les dispositions del'accord de 1987 sont énoncées dans deux

lettres datées du 19 décembre 1987, qui furent envoyées par le roi Fahd

d'Arabie saoudite, en termes identiques, à 1'Emir du Qatar et à 1'Emir de

Bahreïn. Ces lettres comportaientdes propositions qui furent acceptées

par les deux émirset firent l'objet d'une déclaration publiée par

l'Arabie saoudite le 21 décembre 1987. Les deux parties necontestent

pas que l'accord de 1987 constitueun accord international.

20. Dans son préambule, le roi Fahd rappelait aux émirs les bons

offices qu'il avait accepté d'exercerpour aider à parvenir à euri

règlement juste et définitif»des différends qui existaient de longue

date entre les deux Etats, au sujet de la souverainetésur les îles de

Hawar, les frontières maritimes des deux pays, et toute autre question

21. Comme base de règlement du différend, le premier paragraphe de

l'accord de 1987 était libellé comme suit : "Toutes les questions en litige seront soumises à la Cour
internationalede Justice, à La Haye, pour qu'elle rende une
décision définitiveet obligatoire pour les deux parties, qui

devront en exécuter les dispositions."

22. Le troisième paragraphede l'accord de 1987 se lit comme suit :

<Troisièmement : constitutiond'une commission composéede
représentantsde 1'Etat du Qatar, de celui de Bahrein et du
Royaume d'Arabie saoudite, en vue d'entrer en rapport avec la
Cour internationalede Justice et d'accomplir les formalités

requises pour ledifférend soit soumis à la Cour conformément à
son règlement et à ce qu'elle prescrira, afinque la Cour
puisse rendre une décision définitive et obligatoire pour les
deux parties.,

Monsieur le Président,Messieurs de la Cour, comme le démontrera le

conseil du Qatar, ce paragraphe n'assujettitpas l'engagementfondamental

de soumettre les questions en litige à la Cour, qui est énoncé dans le

premier paragraphe, à la condition que les parties parviennent à conclure

un compromis,pas plus qu'il n'empêche le Qatar de saisir la Cour

unilatéralement,comme le prétend maintenant Bahreïn.

23. Le quatrièmeparagraphe de l'accord de 1987 prévoit :

«Quatrièmement : le Royaume d'Arabie saoudite continuera
d'exercer ses bons officespour assurer la mise en oeuvredes
présentes dispositions.»

24. Le 15 novembre 1988, lors de la cinquième réunion de la

commission tripartite,qui avait étéinstituée conformémentau troisième

point de l'accord de 1987, le prince SaudAl-Faisal d'Arabie saoudite,

qui présidait la réunion, annonça que le roi Fahd considérait queles

travaux de la commissiontripartite devaientse terminer en 1988. La

commission tripartite neparvint pas à un accord dans ces délais, et elle

cessa ses activités.

25. L'échec de la démarche de la commission tripartiteen vue

d'entrer en rapport avec la Cour conduisit à l'accord de Doha, le

25 décembre 1990. Celui-ci fut conclu suite à l'engagementde l'Arabie saoudite,mentionné dans le préambule et incorporé au quatrième

paragraphe de l'accord de 1987, de continuer d'exercerses bons offices

pour aider à parvenir à un règlement juste et définitif dudifférend par
025

la Cour, comme il en était convenu aux termesdu premier paragraphe.

26. Ainsi, lorsque la commissiontripartite cessade fonctionner,en

décembre 1988, il fut convenu à l'occasion des réunionsau..somrned tu

conseil de coopérationdu Golfe (CCG)de donner à l'Arabie saoudite de

nouveaux délais limitéspour poursuivresa médiation en vue de parvenir à

un règlement sur le fonddes différends. Pourtant, l'on ne réussit pas à

les régler dans ces délais. Aussi, lors de la séance d'ouverturedu

sommet annuel du conseil de coopérationdu Golfe, en décembre 1990, à

Doha, 1'Emir du Qatar rappela aux autres chefs dVEtat l'accord intervenu

en 1987 pour mettre fin aux différends entreQatar et Bahrein en les

soumettant à la Cour internationalede Justice. Afin de faciliter la

saisine de la Cour, ltEmir du Qatar annonça quele Qatar acceptaitla

formule bahréïnite. Cela ouvrait la voie d'un accord, étant entendu que

l'on donnerait encoreune chance à la médiation saoudienne avant que la

Cour ne soit saisie. Un projet d'accord fut alors préparé avec

l'assistanced'Oman, q.~ireflétait l'issue des débats des chefsdlEtat.

Tout cela avaitpour toilede fond la crise entre l'Iraq et le Koweit,

qui avait démontré la nécessité de résoudre les différends par des moyens

pacifiques de manière à ne pas compromettrela paix et la sécurité

internationales ainsi quela justice.

27. L'accord de Doha est un instrumentqui, à partir de mai 1991,

permet d'appliquer intégralement les engagements pris par les deux Etats

aux termes de l'accord de 1987. Le paragraphe premierde l'accord de

Doha est libellé comme suit : - 20 -

«Il a été convenu ce qui suit :

1) Réaffirmer ce dont les parties sont convenues
précédemment%.

Il réitère donc, notamment, l'acceptationde la compétence de la Cour qui

figurait dans l'accord de 1987, réaffirmant l'engagementdes deux parties

de soumettre le différend à la Cour. Le conseil du Qatar développera

davantage cet aspect.

28. M. le Président, je vais maintenant donner lecturedu passage

pertinent du paragraphe 2 de l'accord de Doha, concernant la soumission

des différends à la Cour :

*Il a été convenu ce qui suit :

2) ... A l'expiration de ce délai (je rappelle à la Cour que

nous sommes alorsen mai 1991), les parties pourront soumettre
la question à la Cour internationalede Justice conformément à
la formule bahreinite,qui a été acceptée par le Qatar ...w

29. La formule bahreinite* qui fait partie de l'accord qui l'évoque

au paragraphe 2, et qui avalt été proposée par Bahrein en 1988 et

finalement acceptéepar le Qatar à Doha en 1990, définit l'objet et la

portée des différendsqui seraient soumis à la Cour.

Conformément à cette formule

«Les Parties prient la Cour de trancher toutequestion
relative à un droit territorialou à tout autre titre ou

intérêt qui peut faire l'objet d'un différend entre elles; et
de tracer une limitemaritime uniqueentre leurs zones
maritimes respectives,comprenant les fondsmarins, le sous-sol
et les eaux surjacentes».

Il ne peut se poser aucun problème de traduction, puisquele Bahrein a

présenté cette formuleau Qatar en anglaiset en arabe.

J'ajouterai deux observations : - 21 -

30. Premièrement, il ressort des pièces de procédure que tous les

différends qui sont soumis à la Cour entrentdans la formule bahreinite.

Bahrein lui-même a reconnu que lesprétentionsprésentées par le Qatar,

qui ont conduit celui-ci à énoncer les demandes figurantau paragraphe 41

de sa requête, sont recevables.

31. Deuxièmement, la formule bahreinite est-devant la Cour. D'après

les pièces de procédure deBahreïn, il semble que celui-ci se plaigne que

ses revendications relatives à Zubarah ne sont pas soumises à la Cour.

Mais, celles-ci n'ont même pas été décrites par Bahreïn. Que demande

Bahreïn au sujet de Zubarah ? Le Qatar ne le sait pas, et la Cour non

plus. Dans ses pièces de procédure, Bahreïna présenté certains griefs à

l'endroit de l'attitudedu Qatar vis-à-vis de Zubarah, et du comportement

des Britanniques à cet égard. Ces griefs etles documentsd'archives

concernant Zubarah,joints par Bahreïn à son contre-mémoire (contre-

mémoire de Bahreïn,annexes 111.13-111.16et 111.18-111.25)sont-ils le

fondement des prétentions de Bahreïn ? Qui le sait ? Ni la Cour ni le

Qatar ne savent encore sur quellebase on pourrait déterminer siles

prétentions de Bahreïn concernant Zubarah sont recevables n oun,

conformément à la formule bahreïnite quifait partie del'accord de Doha,

qui s'y réfère. La tâche est d'autant plus malaisée que lespièces de

procédure deBahreïn ne font pas étatd'une quelconque prétention

concernant Zubarah entre 1950 et 1988.

32. Monsieur le Président,la Cour se souviendra que le Qatar l'a

saisie par la voie d'une requête introductived'instance, conformément à

l'article 40, paragraphe 1, du Statut de laCour, éclairé par

l'article 38 de son Règlement. Selon leQatar, l'accord de Doha

permettait à chacune des Parties de saisirla Cour unilatéralement - 22 -

conformément au Statut et au Règlement de celle-ci, et de présenter ses

propres demandes à l'expirationde la période qui prenait fin en

mai 1991. Cette thèse est confirmée par une communication récente, du

29 janvier 1994, faite par le ministre omanais des affaires étrangères,

qui a joué un rôle central dans larédaction de l'accord de Doha. Il est

facile de dissiper l'inquiétudede Bahrein de ceque, ses demandes

n'étant pas mentionnéespar le Qatar dans sa requête, elles ne puissent

pas faire l'objet d'une décision, puisquel'accord de Doha utilise

luexpression "al-tarafanu*q ,ui permet à Bahrein d'introduireune requête

unilatéralement.

33. Comme nous luexpliqueronsplus tard, le Qatar pouvait

parfaitement accepterde remplacer l'expression "ayyunmin al-tarafain"

("l'uneou l'autre des parties") par "al-tarafan" ("lesdeux parties" ou

"les parties") dans le projet de texte du procès-verbalde Doha, parce

que les deux Parties avaient des demandes distinctes à soumettre à la

Cour, et que ce libellé devait permettre à chacune d'elles de lui

présenter ses propres demandes. L'accord de Doha donne aux deux Parties,

le Qatar et Bahrein, séparément,la possibilité de faire statuer la Cour

sur tous les différends englobés dansla formule bahreïnite. La formule

bahreinite visait délibérément à couvrir toutesles questions qui font

l'objet d'un différend entre le Qatar et Bahrein sans les énoncer en

détail en raison de leur caractèresensible. Dans ce contexte, et compte

tenu de la longue histoire desnégociations envue de saisir la Cour des

différends, il n'est pas réaliste de croire qu'en décembre 1990, à Doha,

les Parties auraient assujettila saisine de la Cour à la conclusion d'un

compromis destiné à être soumis à la Cour d'un commun accord. - 23 -

34. Les différendsqui, selon le Qatar, entrent dans le cadre de la

formule bahreïnite sont devant laCour. Si Bahreïn désire ajouter

d'autres différends, dont il estime qu'ils entrent aussi dans le cadrede

la formule bahreïnite,il lui suffit de déposer une requête auprès de la

Cour.

35. De plus, je rappelle que Bahreïn a.affirmé qu'il serait

désavantagépar le fait qu'il a été mis en position de défendeur. Je

tiens à déclarer publiquement aujourd'hui, en ma qualité d'agentde

1'Etat du Qatar, que j 'accepteraisque les Parties demandent à la Cour de
329
les autoriser à présenter leurspièces de procédure simultanémentdans la

prochaine phase de la procédure, afind'éviter tout prétendu désavantage

de cet ordre. De plus, je me permets de rappeler à Bahrein que s'il

dépose une requête, la Cour peut à tout moment décider de joindre les

instances dans les deux affaires:le Qatar n'y verrait pas non plus

d'objection.

36. Enfin, un autre passage duparagraphe 2 de l'accord de Doha

mérite d'être évoqué. Conformémen:au paragraphe 4 de l'accord de 1987,

ce passage précise :

"Il a été convenu ce qui suit

2) ... les bons officesde l'Arabie saoudite se poursuivront
pendant que l'affaire sera soumise à l'arbitrage;"

Le Qatar tient à déclarer ici qu'il est profondément reconnaissant au

médiateur dene pas s'étre départi de son rôle, en tant que tel, et de

ses efforts patientsqui, entre autres, nous ont amenésici aujourd'hui

La médiation est aussi, bien entendu, un moyen de régler les différends

prévu à l'article 33 de la Charte des NationsUnies. De même, le Qatar - 24 -

est très reconnaissantau médiateur d'avoir accepté si volontiers de

poursuivre ses bons officespendant que l'affaire est soumise à la Cour.

*

37. En conclusion,M. le Président, Messieursde la Cour, il est

significatif que sur une période de trois ans, deux accords

internationaux aientété conclusentre le Qatar et Bahreïn, en vue de

saisir la Cour de leur différend de longue date. Je crois fermement que

cela témoignede la volonté, de l'intentionet du consentement des

deux Etats à ce que vous régliez définitivement les questions couvertes

par la formule bahreïnite sur lesquelles existe un différend entre 1'Etat

du Qatar et 1'Etat de Bahreïn, et dont la Cour a été saisie par la

requ.êteintroductived'instance du Qatar.

t

38. Je vais maintenant indiquercomment et dans quel ordreles conseils

du Qatar vont traiter des différentes questions au cours de cette

procédure.

D'abord, sir Ian Sinclair analysera leséléments sur lesquelsrepose

la compétence de la Cour conformément à son Statut et à son Règlement.

Il sera suivi de M. Shankardass,qui exposera les faits,notamment

ceux qui se rapportent à la médiation, à l'accord de 1987, aux travaux de

la commission tripartite et à l'accord de Doha de 1990. En particulier,

il montrera quel'insistancede Bahreïn sur lanécessité d'une saisine

conjointe par voie de compromis ne cadre pas avecles faits. - 25 -

Sir Ian Sinclair reprendra alors la parole pour étudier le statut de

l'accord de Doha. M. Jean Salmon complétera cetteanalyse du statut de

l'accord de Doha en démontrant que Bahrein ne peut pas affirmer

valablement queson consentement à être lié par cet accord a été exprimé

en violation des dispositionsde la constitutionde Bahrein, ce qui

vicierait ce consentement.

M. Jean-PierreQuéneudec aborderaensuite l'interprétationde

l'accord de Doha et, en tant que conseil, je traiterai des questions

linguistiques soulevées par Bahrein à propos de l'interprétationde

l'accord de Doha.

M. Jean Salmon reprendra aussi la parole pour répondre à diverses

objections exprimées par Bahreïn à propos de cette procédure. Il

traitera ensuite dela recevabilité dela requête du Qatar.

Enfin, sir Francis Vallat conclura ce premier tourde plaidoirie du

Qatar en résumant notre argumentation sur lc aompétence de la Cour pour

connaître du différend, et sur ia recevabilitéde la requête du Qatar.

39. Monsieur le Président,Messleurs de la Cour, je tiens à vous

remercier de l'attentionque vous avez prêtée à mon intervention. Elle a

peut-être été trop longue, mais je voudrais rappelerque je présentais en

l'abrégeantune longue histoire entre les deux Etats frèresdu Qatar et

de Bahreïn. Comme je l'ai déjà dit, la route qui nous a menée devant la - 26 -

Cour a été longue, et je voudrais réitérer ma satisfaction de pouvoir

être ici devant vous avec mes frères de Bahrein.

Monsieur le Président, pourriez-vousmaintenant donner la parole à

sir Ian Sinclair, s'il vous plaît. Je vous remercie.

Le PRESIDENT :Merci Votre Excellence. Je-donne la parole à

sir Ian Sinclair.

Sir Ian SINCLAIR : Monsieur le Président,Messieurs de la Cour,

c'est pour moi un grand honneur que de me présenter ce matin à la barre

et de prendre la paroledevant la Cour au nom de llEtat du Qatar. J'ai

ce matin pour tâche, à la suite de la déclaration liminairede l'agent

que vous venez d'entendre,d'analyser les conditions requises pour

établir un fondement de l'exercicede sa compétence par la Cour en

l'espèce, telles qu'elles sont indiquées dansle Statut et le Règlement

de la Cour. Je traiterai d'abord des conditionsde l'exercice de la

compétence,puis j'entreprendraide démontrer que ces conditions sont

largement remplies dansla présente affaire.

1. L'exigence du consentement

Les Parties s'accordentheureusement pouradmettre que le

consentement des Parties, qu'elles le donnent avant deporter une affaire

devant la Cour ou en présence de celle-ci, constitue une condition

préalable essentiellepour que la Cour se déclare compétentedans des

affaires contentieuses. Ainsi le Qatar a-t-ildéclaré sans ambiguïté

dans son mémoire :

*Le principe du consentementdes Parties en tant que base
de la compétence de la Cour en matière contentieuseest consacré à l'article 36 du Statut et a été confirmépar la Cour
en de nombreuses occasions.» (Mémoiredu Qatar, vol. 1,
par. 4.04.)

A l'appui de cette propositionle Qatar cite une longue sériede

passages de la jurisprudencede la Cour actuelle et même de la Cour

permanente qui l'a précédée, en remontantjusqu'à l'arrêt rendu par la

Cour permanentesur les questions de compétenceen l'affaire de l'usine

de Chorz6w en 1927 .

Il n'est guère nécessaire de rappeler à la Cour que le consentement

n'a pas besoin d'être donné à titre spécialdans chaque affaire distincte

et qu'il peut avoir été donné d'avance de façon générale, par exemple

quand un Etat devient partie à un traité aux termes duqueltous les

différends susceptiblesde surgir à propos de soninterprétationou de

son applicationdoivent être portés devant une juridiction,ou quand il

fait une déclarationen vertu de la clause facultative. La Cour sait

aussi que l'on distingue tout à fait le consentement à l'exercicede la

compétencedu consentement donné à l'ensembledu fonctionnementet des

activités de la Cour en tant qu'insEitution,que suppose la qualité de

partie au Statut de la Cour. Le Qatar ne soutient évidemment pas quela

compétence de la Cour se fonde ou puisse être fondéesur un traité dans

lequel Bahreïn etle Qatar auraientd'avance déclaré consentir à porter

devant la Cour tous les différends relatifs à son interprétationou à son

application;le Qatar ne cherche pas davantage à invoquer des

déclarations parallèles reconnaissanl ta juridictionobligatoire de la

Cour en vertu de l'article 36, paragraphe 2, du Statut, car ni Bahreïnni

le Qatar n'ont fait une telle déclaration.

Le titre de compétence invoqué par le Qatar en l'espèce est

l'article 36, paragraphe 1, du Statut de laCour, qui est ainsi libellé : <La compétence de la Cour s'étend à toutes les affaires que
les parties lui soumettront,ainsi qu'à tous les cas
spécialement prévus dansla Charte des Nations Unies ou dans
les traités et conventions en vigueur.,

Comme l'agent du Qatar l'a déjà indiquéavec clarté, le Qatar

soutient que le consentement fondamental des deux Parties à l'attribution

de la compétence à la Cour pour des différends définiset avérés entre

lui-même et Bahreïn ressort de façon manifeste de l'accord conclu entre

les deux Etats en décembre 1987. Le premier élément de cet accord (que

j'appelleraidésormais ~l'accordde 1987,) est libellé comme suit :

«Toutes les questions en litige seront soumises à la Cour
internationale deJustice, à La Haye, pour qu'elle rende une
décision définitiveet obligatoirepour les deux Parties, qui

devront en exécuterles dispositions.,

L'accord de 1987 est confirméet complété par l'accord de Doha, qui

revêt la forme d'un procès-verbal signé par les ministres des affaires

étrangères du Qatar, de Bahreïn et de l'Arabie saoudite le

25 décembre 1990. Le consentementdonné par les Parties est donc un

consentement spécial, qui a pour preuve les dispositions des deux accords

dont je viens de faire mention

Dans la décision relative à la compétence en l'affaire du Détroit de

Corfou, la Cour actuelle a déclaré :

cAlors que le consentementdes Parties confère juridiction
à la Cour, ni le Statut ni le Règlementn'exigent que ce
consentement s'exprime dans une forme déterminée.,

(C.I.J. Recueil, 1948, p. 27.)

Je ne cite ce passage que pour établir queni le Statut, ni le

Règlement ne disposent quele consentement desParties pour attribuer

compétence à la Cour aux finsd'une affaire déterminée doit être établi

par la conclusion d'un compromis. - 29 -

Il est donc reconnu en droit que le consentementdonné à titre

spécial dans une affaire individuellen'a besoin de revêtir aucune forme

spéciale. En commentant cetteproposition, le regretté sir Gerald

Fitzmaurice ajoutece qui suit :

«En particulier il n'a pas besoin de prendre la forme d'un
accord spécialconjoint ou compromis conclupar les Parties
avant de se présenter devant la Cour.»- (Fitzmaurice,aThe Law
and Procedure of the International Court of Justices, British

Year Book of InternationalLaw, vol. 28, 1952, p. 43.)

La conditionrequise du consentement à la compétencede la Cour

donné par les deux Partiespeut sembler faire pencher labalance

fortement en faveur des défendeurs éventuels ou en perspective.

Toutefois, l'applicationdu principe duconsentementa été perfectionnée

par l'effet de l'élaborationd'un certain nombre de concepts dansle

cadre de la jurisprudencede la Cour. Je me propose d'évoquer très

brièvement certains deces concepts.

Il y a, en premier lieu, la distinction entrela compétence

principale de la Cour et sa compétence incidente. Je n'ai pas besoin

d'aborder cette distinction,car elle neprésente aucunepertinence

immédiate en l'espèce

Un deuxième concept sert à perfectionnerla mise en oeuvre du

principe du consentemenr : la souplesse dont il est admis que l'on fasse

preuve à l'égard des moyens d'exprimer le consentement,du moins quand

celui-ci est donné à titre spécial. J'ai déjà attiré l'attentionde la

Cour sur le passage de son arrêt rendu en l'affaird eu Détroit de Corfou

icompétence),où elle confirme, bien entendu,que ni le Statut, ni le

Règlement n'exigent que le consentements'exprime sous une forme

déterminée. Pour reprendre les termesde cet éminent jugeen son temps,

sir Hersh Lauterpacht,qui se réfère à l'affaire des Droits de minorités - 30 -

en Haute-Silésie (Ecolesminoritaires),jugée par la Cour permanente :

«Une fois de plus la Cour a fait observer que sa compétence
dans une affaire déterminéene dépend pas du respect de
certaines formes, telles que la conclusion d'un compromis, et
que le consentement d'un Etat pour soumettreun différend peut

non seulement résulter d'une déclaration expresse, maisaussi
être inféré d'acte qui l'établissent de façonconcluante.»
(Sir H. Lauterpacht, The Development of InternationalLaw by
the International Court (1958) ,p. 202.)

Monsieur le Président, cela présente une importanceparticulière en

l'espèce,car, comme la Cour le sait d'après les pièces de procédure,

Bahrein semble affirmer avec insistance que seule la conclusion d'un

compromis entre Bahrein et le Qatar rendra parfaitela compétence de la

Cour pour statuersur le fond du différend qui s'est élevé entre les

Parties.

Un troisième concept a une incidencesur la mise en oeuvre du

principe du consentement : la notion du consentementétabli par un

comportementultérieur. Telle est la base de la juridictionpar forum

prorogatm, sur laquelle, comme on le voit d'ores et déjà, le Qatar ne se

fonde pas dans la présente affaire

Un quatrième concept qui perfectionne la mise en oeuvre du principe

du consentementa été élaboré dans le cadre de la jurisprudencede la

Cour : un Etat ne peut rétracter le consentementdéjà donné dès lors

qu'un autre Etat a agi en se fondant sur ce consentement. Un exemple du

principe selon lequel le consentement donné à l'exercicede sa compétence

par la Cour ne peut être rétracté une fois que celle-ci a été valablement

saisie d'une affaire est l'arrêt rendu sur lesexceptions préliminaires

dans l'affaire des Droits de passage. On se souvient qu'en cette affaire

entre le Portugalet l'Inde, le Portugal avaitaccepté la juridiction

obligatoire de la Cour par une déclaration fondée sur la clause - 31 -

facultativeet faite le 19 décembre 1955, tandis qu'à cette date llInde

était obligée par une déclaration parallèle en vertu de la clause

facultative. Le 22 décembre 1955, le Portugal a introduit une instance

contre l'Inde par une requête unilatérale. Le Portugal invoquait, comme

base de compétence, des déclarations parallèles faites en vertu de la

clause facultative. L'Inde a soulevé un certain nombre.d'.exceptions

préliminaires alléguant llincompétencd ee la Cour. L'une de ces

exceptionspréliminaires mérite de retenir l'attentiondans le contexte

du présent différend. Il s'agit de l'exceptionqui contestait la

,13 7 validité de la déclarationportugaise faiteen vertu de la clause

facultative pour la raisonqu'il y figurait une condition donnantau

Portugal, selon les allégationsde l'Inde, la faculté de soustraire à la

juridictionde la Cour un différend déjàporté devant celle-ci. La Cour

a jugé que la condition portugaise ne produisait pas l'effet juridique

allégué par l'Inde. Cependant la Cour a poursuivi en ces termes :

«C'est une règle de droitgénéralement acceptée et
appliquée dansle passé parla Cour *'une fois la Cour

valablement saisied'un différend, l'action unilatérale de
ltEtat défendeur, dénonçant tout ou partie de sadéclaration,
ne peut retirer compétence à la Cour.» (C.I.J. Recueil 1957,
p. 142.)

La Cour a poursuivi en citant avec approbationle passage suivantde

son arrêt antérieur rendu sur les exceptions préliminaires G duatemala

en l'affaire Nottebohm.

Ainsi la jurisprudencede la Cour établit-ellefermement leprincipe

selon lequel un Etat n'a pas le droit de rétracterle consentement à la

compétence de la Cour qu'il a déjà donnéde telle sorte que cette

rétractation de son consentement s'applique à une procédure introduite

antérieurement par un autre Etat. En d'autres termes, la caducitéd'un titre de compétence, qu'elle résulte du passage du temps ou d'une

dénonciationvalable,

une prend effet que pour l'avenir et prive la Cour de tout
fondement pour exercer sa compétence sur la base du titre caduc

dans les instances qui n'ont pas été introduites avant la
caducité effective» (Rosenne, The Law and Practice of the
International Court, 2' édition revisée (1985),p. 502).

Voilà pour les conceptsqui perfectionnementla mise en oeuvre du

principe du consentementou, du moins, limitentson application dans des

cas particuliers. Quant à l'autre volet du diptyque, on pourrait penser

que des considérations relatives à la charge de la preuve compensenttout
138

avantage susceptible derésulter, au profit de 1'Etat demandeur, de ces

indications fondées surla jurisprudence de la Cour, à savoir qu'il n'est

pas nécessaire d'appliquerle principe du consentement avec une rigidité

et une inflexibilité excessives. En réalité - et le Qatar ne s'en étonne

pas - Bahreïn a tenté de soutenir que la charge de la preuve pèse tout

particulièrementsur le Qatar s'agissant d'établirque les Parties ont

consenti (cela signifie à l'évidenceque Bahreïn a consenti) à

l'exercice,par la Cour, de sa compétence surle fond en l'espèce

(contre-mémoirede Bahreïn, par. 4.5).

Le Qatar soutlent que cet argument bahreïnite est une fausse

interprétationde la situation en droit. A l'évidence, le Qatar, en tant

qulEtat demandeur, se trouve tenude préciser, comme il l'a fait, sur

quelles raisonsde droit la compétence de la Cour est censée sefonder.

Bahrein contestel'interprétationque le Qatar d0~e de l'accord de 1987,

confirmé et complété par l'accord de Doha du 25 décembre 1990, et, dans

le cas de l'accord de Doha, va jusqu'à contester l'existencemême d'un

tel accord. Il s'agit là essentiellementde points de droit sur lesquelsla Cour devra statuer. Aux fins d'une décision sur ces points, il ne se

pose aucune questionparticulière relative à la charge de la preuve qui

incombe au Qatar en tant qulEtat demandeur. A l'évidence, le Qatar

accepte toute la forcede la maxime actori incumbit probatio, selon

laquelle chacune desparties à un différend doitrapporter la preuvede

ses propres allégationset la charge de -lapreuve-se trouve donc partagée

entre les parties. Le Qatar admet aussi quel'une des exigences

fondamentalesde tout système judiciaire estque quiconque demande à une

juridictionde décider doit établir lebien-fondé de sa cause à la

satisfactionde cette juridiction.

Toutefois, la jurisprudencede la Cour actuelle et, du reste, celle

de la Cour permanente qui l'a précédée, indiquent que l'on ne tient pas

du tout à trop se fonder sur l'incidencede la charge de la preuve.

Dans un certainnombre d'affaires,la Cour actuelle a indiqué que la

charge de la preuve incombe simultanément et également auxdeux parties.

Aussi, dans l'affairedu Temple de Préah Vihéar, la Cour a-t-elledéclaré

ce qui suit :

«En ce qui concerne le fardeau de la preuve, il convient
d'observer que, si le Cambodge, qui a introduit l'instance,est
au point de vue formel le demandeur, la Thaïlande estégalement
demanderesse euégard à la demande qu'elle a présentée dansla

deuxième conclusion ducontre-mémoireet qui a pour objet la
souveraineté sur lamême portion de territoire. Tant le
Cambodge que la Thaïlande fondent leurs prétentions respectives
sur une série de faits et d'allégationsqui sont affirmées ou

avancées par l'un ou par l'autre. Or la charge de les prouver
incombe évidemment à la partie qui les affirme ou les avance.»
(C.I.J. Recueil 1962, p. 15-16.)

La Cour a adopté une positionsemblable,dans les grandes lignes, en

1'ai faire des Minquiers et Ecréhous (C.1.J. Recueil 1953, p. 9).

Le passage que je viens de citerde l'arrêt rendu par la Cour en

l'affaire du Temple est.particulièrement pertinent dans la présente - 34 -

instance. Certes, il est vrai que le Qatar est llEtat demandeur en

l'espèce. Toutefois Bahreïn conteste labase qu'invoque le Qatar pour

fonder la compétence de la Couret, ce faisant, Bahreïn affirme

positivement que, dans ces circonstances, la compétence de la Cour ne

peut être établie que par laconclusion d'un compromis entre Bahreïn et

le Qatar. Sur ce point - la .prétendueexigence-d'un'compromis - c'est

Bahrein qui se trouve dans la situation du demandeur et le Qatar dans la

position du défendeur. Ainsi, d'après l'argument de Bahrein même, la

charge de la preuve de l'exigence ainsi alléguée incombe à Bahreïn.

Cette manière d'envisagerla question se trouve plutôt renforcée si l'on

considère que, dans ses communications irrégulières des 14 juillet et

18 août 1991, Bahreïn a énergiquementcontesté la compétence de la Cour

pour connaître de la présente affaire, sans toutefois déposer une

exception préliminaire comme le prévoit l'article 79 du Règlement de la

Cour. Le Qatar reconnaît évidemment quel'ordonnance rendue parle

membre de la Cour qui en étaitPrésident le 11 octobre 1991 tenait compte

d'un accord auquel les représentants des parties avaient abouti lors

d'une réunion qu'ils avaient tenue avec luile 2 octobre de la même

année, d'où résultait que les questions de compétence et de recevabilité

devaient faireIlobjet d'une décision distincte avant toute procédure sur

le fond. Cependant, le Qatar ne saurait s'abstenir de rappeler à la Cour

que, si Bahrein avait suivi la procédure indiquée à l'article 79 du

Règlement, comme il l'aurait dû, c'est à Bahrein qu'il aurait alors

incombé d'établir, tant en fait qu'en droit, les raisons à l'appui de

l'exceptionpréliminaire. La Cour sait quel'article 79, paragraphe 2,

du Règlement disposece qui suit : «L'acte introductif de l'exception contient l'exposé de
fait et de droit sur lequel l'exception est fondée, les
conclusions et le bordereau des documents à l'appui; il fait
mention des moyens de preuve que la partie désire
éventuellement employer. Les documents à l'appui sont annexés

sous forme de copies. »

On peut interpréter cette disposition comme une façon d'indiquer que la

charge de la preuve des éléments de fait et de droit à l'appui d'une

exception préliminaire d'incompétence incombe à llEtat qui soulève cette

exception : autrement dit à Bahrein. La position du Qatar ne va pas plus

loin. De fait, le paragraphe 6 de l'article 79 du Règlement pourrait

plutôt suggérer, comme, du reste, le Qatar l'a toujours supposé, que la

charge de la preuve incombe également aux deux Parties. Cette

disposition n'évoque assurément en rien l'idée qu'une charge de la preuve

spéciale incombe à l'une des parties dans la perspective des débats
rl- 4
relatifs à la validité des exceptions préliminaires

Monsieur le Président, le moment serait peut-être bien choisi pour

une pause-café. Il s'agit du point de départ d'une certaine progression

de mon argumentation.

Le PRESIDENT : Je vous remercie beaucoup, sir Ian Sinclair. Ce

sera, je le comprends, un moment bien choisi pour la pause-café

habituelle; l'audience est suspendue pour quinze minutes. Merci.

L'audience est suspendue de 11 h 25 à 11 h 45.

Le PRESIDENT : Veuillez prendre place. Sir Ian Sinclair.

Sir IAN SINCLAIR :Monsieur le Président, avant l'opportune

pause-café, jvexposais à la Cour la question de la charge de la preuve

et, dans ce contexte, il convient peut-être de rappeler que le regretté sir Hersch Lauterpacht, tant en sa qualité judiciaire que dansses écrits

personnels, semble n'avoir guère été impressionnépar les arguments

fondés sur la charge de la preuve. Par exemple, dansson opinion

individuelleen l'affaire de Certains emprunts norvégiens, lejuge

Lauterpacht adéclaré :

«D'une manière générale,il n'y a pas-.grande.assistanc e
attendre de l'argumentvisant le fardeau de la preuve ... le
degré du fardeau de la preuve à produire ainsine doit pas être
si strict qu'il rende la preuve déraisonnablement difficile.»

(C.I.J. Recueil 1957, p. 39.)

Dans la présente affaire, le Qatar admet qu'il doit établir que la

Cour est compétente sur la base des deuxaccords qu'il a invoqués.

Toutefois, cela ne tient pas à l'incidenced'une quelconque charge de la

preuve qui favorise Bahreinet pénalise le Qatar, ni à l'existence
?A2

d'aucun principe spécial relatif à la preuve et applicable quand on

entreprend d'établir la compétence de la Cour. Il s'agit simplement

d'appliquer le principe selon lequelil incombe à chacune des parties

d'établir ce qu'elle affirme elle-même. La situation a été exprimée avec

bonheur par Sandifer :

uLa grande règle fondamentale dela charge de la preuve que
les tribunaux internationaux ont adoptée en général ... peut
être formulée en termes simples : la charge de la preuve

incombe à celui qui allègue ce qu'affirmeune proposition d'où
résultera, s'il ne justifie pas de son bien-fondé,une décision
contraire à ce qu'il soutient. Cette charge peut reposer sur
le défendeur, s'il y en a un, autant que sur le demandeur,car

il peut incomber au premier de justifier toute proposition
qu'il affirme en réponse auxallégationsdu demandeur.»
(Sandif er, Evidence before International Tribunas l, édition
revisée (1975),p. 127.)

Un point de vue qui est en gros semblable a été exprimé par feule

très regretté juge Manfred Lachs dansl'un de ses écrits personnels. 11

estime que, dans le contexte de la charge de la preuve, la position du

demandeur et celle du défendeursont pratiquementindiscernables : <Dans le Statut ils sont assimilésl'un à l'autre et il est

donc assez difficiled'établir une distinctionde ce point de
vue. Quoi qu'il en soit, comme on l'a dit à si juste titre,
les parties à un différend n'ont pas seulement ledroit, mais
le devoir de prouver le bien-fondé de ce qu'ils allèguent et
ils sont tenusde l'obligationde coopérer, à cette fin, avec

le juge international. »

Après avoir cité avec approbationdes passages d'un article

antérieur de Witenberg,Manfred Lachsluizmême-ajoute :

«De fait, la pratique de laCour indique que la chargede
la preuve a été imposée soitau demandeur,soit au

défendeur. ..% (Lachs,Evidence in the Procedure of the
International Court of Justice: the role of the Court, dans
Mélanges Diez de Velasco (1993), p. 428.)

Eh bien, Monsieur le Président, si les deux Partiesne sont pas

d'accord sur l'incidencede la charge de la preuve, ellesdivergent moins

au sujet du critère de la preuve. A l'évidence Bahreïnessaie de

brouiller les cartes en confondantla charge de la preuve avec le critère

de la preuve; et il accuse ensuitele Qatar de ne pas attirer l'attention

de la Cour sur certains passages des écrits ds eir Gerald Fitzmaurice et

de Rosenne, qui, selon Bahreïn, sont incompatibles avecles arguments

invoqués par le Qatar (contre-mémoirede Bahreïn, par. 4.5). Il est

pourtant de faitque les passages tirés des écrits de Fitzmauriceet de

Roseme, que Bahreïn cite au paragraphe 4.5 de son contre-mémoire,sont

sélectifs et n'exprimentpas, tant s'en faut, l'équilibreavec lequel ces

deux auteurs éminemment distingués traitent de la question du

consentement à la juridiction dela Cour. Par exemple Fitzmaurice fait

sagement observer que «par le consentement,au sens juridique du terme,

on n'entend pas le fait d'agir volontiers, qui peut exister ou non dans

une affaire donnée». Il donne l'exemplede l'homme prêt à subir une

opération chirurgicale;celui-ci ne la subit pas réellementvolontiers.

Fitzmaurice continue par une autre observationsgénérale : <Les exceptions d'incompétence sont parfois mal vues, car

on y voit une tentative faite par 1'Etat intéressé pour
échapper à ses obligations juridiquesou éviter d'honorer les
consentementsqu'il a donnés, mais c'est évidemment là un
faux-fuyantpar rapport à la question même que soulève

l'exception d'incompétenceet qui doit être tranchée, celle de
savoir si le contentementa été donné. Un tel sentiment peut
être naturel, mais ne saurait permettre d'imputer à un Etat un
consentement quin'existe pas. De même, quand un consentement

vrai a été donné, il ne doit pas être permis à 1'Etat
d'échapper à ses conséquencespour des raisons de forme ou
parce qu 'il ne prend pas volontiers la décisionle moment
venu., (Fitzmaurice,op. cit., p. 86.)

J'appelleraiparticulièrementl'attentionde la Cour sur la dernière

phrase de cette citation. Elle apporte le correctif nécessaire à

l'observation générale deFitzmaurice, un correctif qui ne doit pas être

oublié ni négligé. La question n'est pas de déterminer celui des Etats

auquel il incombe d'établir un consentement. La missionde la Cour est

d'examiner les éléments de preuve et les arguments avancéspar les

parties à propos du consentementprétendu et de déterminer s'il y a eu

véritablement consentement. Si la Cour conclutqu'un véritable

consentementa été donné, ltEtat défendeur ne peut pas ensuite répudier

ni rétracter ce consentement

Ainsi que je l'ai délà dit, il semble selon toute apparence que la

contestation entre les parties porte davantagesur la charge que sur le

degré de la preuve. Le Qatar ne conteste pasle principe généralénoncé

par la Cour permanente dans l'affaire relative à l'Usine de Chorzow selon

lequel ala juridiction de la Cour est toujours une juridictionlimitée,

n'existant que dans la mesure où les Etats l'ont admise, et

<par conséquent, la Cour ne l'affirmeraen cas de
contestation ... qu'à la condition que la force des raisons
militant en faveur de la compétence soitprépondérante,. - 39 -

Tel est donc le critère à appliquer en ce qui concerne le degré de

la preuve. Quellesen sont les exigences ? Que signifie le mot

«prépondérantwdans le présent contexte ? A première vue, il semblerait

en résulter que la Cour doit comparer les élémentsde preuve avancés par

le tenant d'une thèse avec ceux qui ontété avancéspar son adversaire

afin de déterminer lepoids relatif à leur accorder. .-Ce serait ensuite

ce poids relatif qui déterminerait la prépondérance des arguments. Cette

manière de procéder serait conformeavec la définition que donne le

dictionnairedu mot «prépondérant». L'Oxford English Dictionary,par

exemple, définit «prépondérant»comme signifiant, premièrement,

<<surpassing in weight, outweighing;heavier» [surpassanten poids; plus

lourd1 et, deuxièmement «surpassingin influencepower or importance;

predominances, [surpassanten influence,puissance ou importance;

prédominant]. Chacune de ces définitions exprime la notion de

comparaison,de relativité. Il es= donc demandé à la Cour dans la

présente affaire depeser les arguments militant, respectivement,en

faveur et contre sa compétence. Ces arguments combineront nécessairement

des éléments de fait avec des éléments de droit, la preuve des éléments

de fait étant régie par lesrègles généralementapplicables en matière de

preuve à l'exclusionde toute charge particulière dela preuve qui serait

imposée au Qatar en plus de celle qui découle naturellement de sa

position de demandeur.

Peut-être pourrais-jedire ci quelques mots à propos du concept de

réciprocité duconsentement. Le Qatar, au paragraphe 4.43 de son mémoire

a attiré l'attentionsur les considérationssous-jacentes à ce concept.

Pour autant quele Qatar puisse en juger, Bahreïn n'a pas estimé utile de

commenter directement cette partie du mémoird eu Qatar. Cependant, - 40 -

Bahrein semble prétendreque puisque le Qatar a invoqué la compétencede

la Cour dans cette affaire parla voie d'une requête unilatérale, il

n'existe pas de réciprocité effectivedu consentement,en particulier

parce que le Qatar n'a pas inclus la question de Zubarah parmi les

questions visées parsa requête. La thèse de Bahreinsur ce point

(contre-mémoirede Bahrein, par. 8.4 à 8.14);je dois le dire, a,

délibérément ou non - ce que le Qatar n'est pas en mesure de

déterminer -, déformé les arguments avancés par leQatar. Par exemple,

au paragraphe 8.5 du contre-mémoirede Bahrein, il est dit que le Qatar a

formulé deux suggestionspour surmonter la difficulté liéeau fait que

Zubarah ne figure pas parmi les questions viséespar la requête du

Qatar : la première était <que Bahrein introduise ses revendications

concernant Zubarahen formulant une demandereconventionnelledans la

présente instance». Ce passage est accompagné d'une note de bas de page

se référant au paragraphe5.81 du mémoire du Qatar. On ne trouve

cependant auparagraphe 5.81 du mémoire du Qatar qu'une citation d'une

lettre de Bahreindu 16 septembre 1991où il est avancé qu'il <n'est

aucunement clair que Bahreïn puisse soulever la question de Zubarah au

moyen d'une demande reconventiomelle~. Mais le Qatar n'a pas soutenu

que Bahreïn devrait souleverla question de Zubarah en opposant une

demande reconventiomelle aux prétentionsavancées par le Qatar dans sa

requête. Ainsi, toute l'argumentationdu contre-mémoirede Bahrein sur

!72 6 la nécessité d'établir un lien entre une demandereconventionnelleet

l'objet de la requête de la partie adverseest eritièrement à côté de la

question. Ce que le Qatar a soutenu, et continue de soutenir, est qu'aux

termes de la formule bahreinite, Bahreïn est parfaitement libre de

soulever la question de Zubarah en déposant sa propre requête distincte - 41 -

contre le Qatar. Le Qatar n'a pas essayé de contester que, d'un point de

vue juridictionnel,l'on peut considérer quela formule bahréinite

englobe la questionde Zubarah. L'admissibilitéde revendications

potentielles de Bahrein sur Zubarahest une question distinctequi sera

traitée par M. Salmon.

Je conclurai ces observationsrelativement généralessur la notion

de consentement enappelant l'attentionsur une distinction quia été

faite tantpar la doctrine quedans la jurisprudencede la Cour entre les

catégoriesde dispositionsconventionnellessur lesquellespeut être

fondée la compétencede la Cour. Il s'agit de la distinctionentre un

instrument énonçantune obligation générale d'accepter la compétence de

la Cour pour tout différend qui pourrait survenir au sujet de son

interprétationou de son applicationet un instrument énonçantune

obligation spécifique d'accepter la compétence dela Cour pour connaître

d'un différend précisentre lesparties. La Cour a elle-même consacré

cette distinction. Dansson arrêt relatif à l'affaire de la Compétence

en matière de pêcheries (Royaume- UzI de Grande-Bretagne et d 'Irlande du

Nord c. Islande), compétence de :a Cour, la Cour a eu 1'occasionde

commenter un argument avancépar l'Islande suivant lequel lestraités de

règlement judiciaire ou les déclarationsd'acceptation de la juridiction

obligatoire dela Cour pouvaient êtredénoncés unilatéralement lorsque

aucune disposition expressene régit leur durée ou leur extinction.A

propos de cet argument, la Cour a dit :

«Il suffit de souligner que cette conception ne vise que

les instrumentspar lesquels les parties acceptentl'obligation
générale de soumertre au règlement judiciairetous les
différends, ou certaines catégories dedifférends,pouvant
survenir entre elles dansun avenir imprévisible. L'échange de
notes de 1961 ne contient pas unaccord de cette nature. Il

comporte une clause compromissoire précise établissanl ta compétence de la Cour pour connaîtred'une catégorie déterminée
de différends,prévue et spécialement envisagéepar les
parties., (C.I.J. Recueil 1973, p. 15-16.)

J'ai voulu souligner cette distinctioncar, dans la présente

affaire, le Qatar estime que la Cour a devant elle une combinaison de

deux traités qui, pris ensemble, contiennentun engagement spécifique des

deux parties pour soumettre à la Cour des différends déterminéset

déterminables entrele Qatar et Bahrein. En d'autres termes, la

situation n'est pas différente de cellequi se présentait à la Cour lors

de l'examen de sa compétence dans l'affaire de la Compétence en matière

de pêcheries, avec cette importante différence que Bahrein s'est au moins

présenté pour plaider quela Cour n'a pas compétence pour statuersur le

fond de la présente affaire.

Monsieur le Président, après cet examen très général des

conséquences juridiquesde la nécessité du consentementdes parties en

tant que fondementde la compétence de la Cour, j'en viendrai plus

précisément à une analyse des aspectsessentiels du consentementdonné à

la fois par le Qatar et par Bahreïn pour reconnaître lacompétence de la

Cour en ce qui concerne leur différend, tel qu'il ressort de l'accord

de 1987, confirmé et complété par l'accord de Doha de 1990.

2. Le consentement de Bahreïn et du Qatar pour
soumettre leurs différends à la Cour

Le consentement fondamental tant de Bahrein que du Qatar pour

soumettre leurs différends à la Cour est exprimé dans l'accord de

décembre 1987, dont même Bahreïn ne conteste pas l'existence : contre-

mémoire de Bahreïn, par. 5.7. L'agent a déjà cité le premier paragraphe

de cet accord. - 43 -

Il est difficile de concevoir une expression moins équivoque du

consentementdes deux parties à la juridictionde la Cour en ce qui

concerne tous leurs différends. Il me suffira de rappeler à la Cour que

l'agent du Qatar a déjà exposé cematin la nature et la portée de ces

questions en litige entre Bahreïn et le Qatar.

M. Shankardass , qui me -succédera-;.--retra. cerarès long historique

des tentatives quiont été faitespour résoudre ces différendset, en

particulier, les conditionsdans lesquellesse sont déroulés les efforts

de médiation entrepris par le Royaume d'Arabie saoudite à partir de 1976.

Malgré tous lesefforts de médiation déployés par l'Arabie saoudite

entre 1976 et 1987, il s'était révélé impossiblede parvenir à un accord

sur le fond d'aucun des différends entre le Qatar et Bahreïn. Dans ces

conditions, le roi Fahd d'Arabie saoudite a adressé le 19 décembre 1987

des lettres identiques aux souverains de Qatar ed te Bahreïn pour leur

faire une proposition en quatre points. Le paragraphe 1 de cette

proposition,bien entendu, prévoit que toutes les questions en litige

seront soumises à la Cour internationalede Justice. Le paragraphe 2

concernait lemaintien du statu quo et des questions connexes; il n'est

pas nécessaireque j'en rappelle maintenant lestermes. Le paragraphe 3,

par contre, est important et mérite d'être cité :

aTroisièmement : Consitutiond'une commission composée de
représentants de 1'Etat du Qatar, de Bahreïn etdu royaume
d'Arabie saoudite chargée de se mettre en rapportavec la Cour
internationalede Justice et d'accomplirles formalités

requises pour que ledifférend soitsoumis à la Cour
conformément à son règlementet à ce qu'elle prescrira, afin
que la Courpuisse rendre une décision déficitive et
obligatoirepour les deux parties.» - 44 -

Je reviendrai dansun moment sur le paragraphe 3. Enfin, le paragraphe 4
949

de cette proposition prévoyaitla poursuite des bons offices de l'Arabie

saoudite pour assurer la mise en oeuvre de ces dispositions.

Le Qatar et Bahreïn ont chacun accepté cette propositionen quatre

points, de telle sorte qu'il put être faitle 21 décembre 1987 une

déclaration rendant publicl'accord.intervenuentre les parties.

Maintenant, Bahrein a bien entendu soutenu que le paragraphe 1 de

l'accord de décembre 1987 devait expressément s'entendre sous réserve de

l'exécutionde la procédure décriteau paragraphe 3 de l'accord.

Bahrein prétend donc, en ce qui concerne le paragraphe 1 de l'accord

de 1987 que :

*Cette disposition ne représente certainementpas un

engagement inconditionnel de soumettre l'affaire à la Cour. Il
est évident que son engagement a fait l'objetd'une réserve
d'importance cruciale, à savoir la constitutiond'une
commission composéede représentants des Partieset du

médiateur.» (contre-mémoirede Bahreïn, par. 5.12).

Cet argument traduit un certain malentendu à propos de ce qu'est la

position du Qatar. Le Qatar n'a pas prétendu que les termes de l'accord

de 1987 constituaienten eux-mêmes une base immédiate qui permette

l'exercice de la compétence ae la Cour. Le Qatar, cependant, n'admetpas

que l'engagementclair pris par chacune des partiesau paragraphe 1

d'accepter la compétence de la Cour pour «toutes les questions en litige*

était en quelque manière que ce soit sujet à la condition d'une issue

favorable des activitésde la commission constituée en vertu du

paragraphe 3.

Le Qatar ne sous-estimepas la portée du paragraphe 3 de l'accord

de 1987, mais ce paragraphe était manifestement destin é faciliter la

soumission de toutes les questions en litige à la Cour, et non à servir - 45 -

d'arme à l'une des parties pour l'empêcher. M. Shankardass analysera, au

cours de son exposé, les travaux de la commission tripartite et
9 50
démontrera qu'à aucun moment la conclusion d'un ~compromisw n'a été

considéré comme un préalable essentiel pour que soit établie la

compétence de la Cour. Le Qatar était prêt à participer au travail

d'élaboration d'un «compromis» acceptable à la fois pour le Qatar et pour

Bahreïn, mais il est certain qu'il ne considérait pas que l'échec de

l'effort commun pour établir un «compromis» dans le cadre des travaux de

la commission tripartite puisse en aucune manière rendre sans valeur le

consentement que chacune des Partiesavait déjà donné en vertu de

l'accord de décembre 1987 pour accepter la juridiction de la Cour pour

toutes les questions en litige entre elles.

3. Le consentement de Bahreïn et du Qatar sur l'objet
et la portée des litiges à soumettre à la Cour

C'est l'accord de Doha de décembre 1990 qui a confirmé et complété

l'accord de 1987 et a ainsi finalement établi la compétence de la Cour

pour toutes les questions en litige entre Bahreïn et le Qatar. Comme je

viens de le dire, l'accord de 1987 avait consigné le consentement

fondamental de chacune des parties pour soumettre toutes les questions en

litige à la Cour pour qu'elle en décide. A première vue, l'expression

«toutes les questions en litige» semblerait englober le différend relatif

au titre sur les îles de Hawar. aux droits souverains sur les

deux haut-fonds de Dibal et de Jaradah et à la ligne de délimitation des

fonds marins entre Bahreïn et le Qatar. Telles étaient certainement les

questions sur lesquelles avaient porté lesefforts de médiation de

l'Arabie saoudite. - 46 -

Le libellé du premier principe del'accord-cadreofficiellement

approuvé à la fois par Bahreinet le Qatar en 1983 englobe manifestement

les différends entre le Qataret Bahrein que je viens de mentionner. Par

contre, il ne pouvait pas être applicable à la question de Zubarah.
951
Bahrein, d'ailleurs, semble implicitementadmettre que Zubarahn'était

pas visée par le premier principe del'accord-cadre,-carBahrein ne

soutient pas que la question de Zubarahentrait dans le cadre initial de

la médiation saoudite. Bahreïnse borne soigneusement à prétendre que

«le différend concernant Zubarah faitdonc partie intégrante del'origine

(je souligne lemot aoriginew) des difficultés entre Bahreinet le Qatar,

(contre-mémoirede Bahrein, par. 2.11). Bahreïn n'a pas essayé de

soulever la question de Zubarah dansle cadre de la médiation saoudite

avant 1986, date à laquelle il aurait adressé un mémorandum à l'Arabie

saoudite (contre-mémoirede Bahreïn, par. 2.11). Cependant, le Qatar n'a

jamais reçu copiede ce mémorandum, et Bahreïn n'en a d'ailleurs pas

déposé copie à la Cour. En outre, il est intéressantde noter qu'il

n'est fait aucune mention de la question de Zubarah dans les lettres

identiques adressées le 19 décembre 1987 par le roi Fahd d'Arabie

saoudite aux émirs de Bahreïn et du Qatar. La Cour n'ignore pas bien

entendu que le fait que Bahrein et le Qatar n'ont pas réussi à se mettre

d'accord sur la formulationde la question ou des questions à soumettre à

la Cour qui a conduit à l'arrêt complet des travauxde la commission

tripartite en 1988. Comme M. Shankardass le montrera, le Qataravait

fait un effort de bonne foi au cours des cinqdernières réunionsde la

commission tripartite tenues entremars et décembre 1988 pour parvenir à

un accord sur le texte d'une question ou de plusieurs questionsqui

seraient soumisesconjointement à la Cour par le Qatar et Bahrein. Mais - 47 -

les dispositions proposées par Bahrein dans son projet de compromis de

mars 1988 (mémoiredu Qatar, par. 3.37) et de juin 1988 (mémoiredu

Qatar, par. 3.46) étaient manifestement destinées à préjuger, en faveur

de Bahreïn, certainesdes principales questionsen litige entre les

Parties et étaient donc inacceptablespour le Qatar. C'est seulement à

la fin d'octobre 1988 que Bahreïn a proposé une formule--générale pour

soumettre à la Cour les différendsentre le Qataret Bahreïn. Cette

formule générale a été connuepar la suite sous le nom de "formule

bahreïniteu. Le Qatar se félicita de cette formule générale qui

constituait à son avis un progrès satisfaisantmais, demanda certains

éclaircissements sur ses termes. A la sixième et dernière réunionde la

commission tripartite le 7 décembre 1988, le Qatar a indiqué qu'il

pourrait accepter l'inclusionde Zubarah en tant que sujet d'un différend

si toute revendicationbahreïnite concernantZubarah était limitée à la

revendicationde droits privés etnon de la souveraineté,mais cette

suggestion ne fut pas acceptée par Bahreïn. Je ne m'étendrai pas

davantage sur laréunion finalede la commission tripartite en

décembre 1988, car M. Shankardass traiterade cette question. Je dirai

seulement que le prince Saud avalt fait savoir au Qatar et à Bahreïn vers

la fin de la cinquième réunion de la commission tripartite le

5 novembre 1988 que le roi d'Arabie saoudite considéraitque le jour de

l'ouverturede la réunion au sommet du conseil de coopération du Golfe,

en décembre 1988, marquerait la fin de la mission de la commission

tripartite,qu'elle a:t ou non réussi à s'acquitterde son mandat

(mémoiredu Qatar, par. 3.50). Il est donc clair que la commission

tripartite s'était trouvée déchargée deses fonctions après sa sixième

réunion le 7 décembre 1988. - 48 -

Ainsi que la Courle sait, la médiation de l'Arabie saoudite s'est

poursuivie en 1989 et 1990 à la suite des décisions adoptéesaux réunions

au sommet du Conseil de coopérationdu Golfe tenues à Bahrein en 1988 et

à Mascate en 1989, mais aucun progrèsn'a été réalisé sur la substance

des différends existant entre le Qataret Bahrein.

Le Qatar soupçonnaitde plus en plus Bahrein de vouloir revenir sur

son engagement desoumettre les questions en litige à la Cour ou de

lasser les autorités du Qatar jusqutà ce qu'elles acceptent que ces

différends soient soumis à la Cour dans des termes qui seraient

préjudiciables aux intérêtsdu Qatar. Le Qatar décida donc de soulever

la question à la séance d'ouverturede la réunion au sommet du Conseil de
r)5 3
coopérationdu Golfe à Doha le 23 décembre 1990. Bahrein proposa quela

médiation saoudite soit reconduite sansque lui soit imposée unedate

limite. Le Qatar s'opposa énergiquement à cette proposition. Ce

faisant, et afin de parvenir à une solutionsur l'objet et la portée des

différends à soumettre à la Cour, l'émir du Qatar déclara quele Qatar

acceptait désormaisla <formule bahreïnite». Il est important de noter

que le sultan de l'Oman joua également un rôle éminenten persuadant

chacune des parties d'accepter la poursuite des bonsoffices de l'Arabie

saoudite jusqu'en mai 1991, après quoi les parties seraient libresde

soumettre la question à la Cour conformément à la formule bahréïnite.

Ces faits nouveaux ont ouvert la voie à la conclusionde l'accord de Doha

représentépar le procès-verbal agréédu 25 décembre 1990. Moi-même et

certains de mes collègues,notamment MM. Salmon et Queneudec traiteront,

entre autres,dans des interventionsultérieures,du statut du

procès-verbalde Doha en tant que traitéou conventionen vigueur au sens

du paragraphe 1 de l'article 36 du Statut de la Cour, de la thèse de - 49 -

Bahrein suivantlaquelle, même si le procès-verbalde Doha constituaitun

accord internationalobligatoireau moment de son adoption, le

consentementde Bahrein à être lié avait été exprimé en violation des

prescriptionsde sa constitutionde telle sorte quece consentement se

trouvait sans valeur, et de l'interprétationdu procès-verbalde Doha,

notamment de la distinctionerronée que fait3ahrein.entresaisine

conjointe et saisine unilatérale. Je me bornerai pour le moment à

appeler l'attentionsur le fait que le procès-verbalde Doha du

25 décembre 1990 a réaffirmé et parachevé le consentementdonné par le

Qatar comme par Bahreïn pour accepter la compétencede la Cour pour

toutes les questionsen litige entre les deuxEtats. Il l'a fait par

l'incorporationde deux élémentsdistincts qui n'avaient pas été inclus

dans les échangesprécédents, y compris l'accord de 1987. Ces deux

éléments distincts sont les suivants :

1) L'acceptationpar le Qatar de la «formulebahreïnite», à savoir la

formule générale neutre permettant d'assurer que toutes les

revendicationsdu Qatar et de Bahreïn, y compris la revendicationdu

Qatar sur les îles de Hawar et la revendication de Bahreïnsur

Zubarah, relèveraientde la compétence de la Cour;

2) Une date convenue (15 mal 1991). après laquelle les parties seraient

libres de soumettre les questions en litige à la Cour internationale

de Justice conformément à la formule bahreïnite,nonobstant la

poursuite de la médiation saoudite.

J'ajouteraique le procès-verbalde Doha avait une autre utilité.

En 1988 la commission tripartite n'avait pas réussi à mener à bien la

tâche qui lui avait été confiée en vertu du paragraphe 3 de l'accord

de 1987. Le procès-verbalde Doha du 25 décembre 1990 a permis de mettre - 50 -

au point d'autres arrangements, notammentdes dates limites, pour

soumettre à la Cour les questions en litige entre Bahrein et le Qatar.

Ces autres arrangements permettaientde suppléer au non-accomplissement

de son mandat par la commission tripartiteen 1988; ils permettaient

aussi d'assurer qu'un effet juridique pourrait êtredonné au consentement

antérieur de Bahrein et du Qatar pour accepter la compétencede la Cour,

nonobstant les efforts déployés par une partie pour empêcher que les

questions en litige soient soumises à la Cour.

En résumé, le Qatar soutient que le consentementde chacune des

parties à l'exercice de la compétencede la Cour sur des différends

déterminablesconcernant des territoireset la délimitationd'une

frontière maritimeest attesté par l'accord de 1987 tel qu'il a été

confirmé et complété par le procès-verbalde Doha de 1990. Le Qatar

soutient de mêmeque, comme le démontrera M. Queneudec, il existe une

distinction claire et consacrée entre la compétence dela Cour pour

connaître d'un différend oud'une série de différendset la méthode de

saisine de la Cour. En même temps, le Qatar nie avoir jamais convenu
355
avec Bahreïn que la seule méthode de saisine de la Cour au sujet des

différends entre les deux Etats devait être celle d'une saisine conjointe

au moyen d'un compromis. M. Shankardassmontrera que le Qatar était prêt

à négocier un tel compromis dans le cadre de la commission tripartite

en 1988, mais que les deux Etats ont été dans l'impossibilitéde se

mettre d'accord sur un texte avant queles travaux de la commission

tripartite ne prennent fin en décembre 1988.

Monsieur le Président,Messieurs de la Cour, je vous remerciepour

votre patience et votre courtoisie. Je vous demande maintenant, M. le - 51 -

Président, de bien vouloir donner la parole à M. Shankardass. Je vous

remercie

Le PRESIDENT : Merci sir Ian Sainclair. Je donne la parole à

M. Shankardass.

M. SHANKARDASS : Monsieur le Président, Messieurs de la Cour,

C'est pour moi un très grand honneur et un privilège que de

m'adresser à votre honorable Cour et aux membres très éminents de cette

auguste institution.

Il m'incombe aujourd'huid'exposer devant la Cour un certain nombre

de questions importantes qui divisent toujoursles Parties à l'instance

et, en particulier, celle de savoir si leur décision de porter devant la

Cour les différends qui existen: entre elles était subordonnée à la

présentation conjointe de ces différends, en application d'un compromis.

La Cour aura déduit de l'exposé liminaire de l'agent de 1'Etat du

Qatar, S. Exc. Najeeb Al-Nauimi, de la présentation de sir Ian Sinclair

et des écritures déposées par les Parties, qu'il est notoire que les

différends entre le QaZar et Bahreïn, nés de deux décisions du

Gouvernement britannique, remontent au moins à 1939 s'agissant du respect

de la souveraineté sur les îles de Hawar, et à décembre 1947 pour ce qui

est du respect des droits souverains sur les hauts-fonds de Dibal et de

Qit'at Jaradah et de la délimitation de la frontière maritime entre les

deux Etats. Une tentative de règlement des différends fut amorcée en

1965, quand le Qatar proposa de soumettre ces questions à l'arbitrage,

proposition qui recueillit l'approbation du Gouvernement britannique.

Bahreïn accepta dans un premier temps cette proposition, mais fit ensuite - 52 -

échouer la tentatived'arbitrage,en cherchant à y soustraire la

prétention du Qatar sur les îles de Hawar.

En vue de présenter certainesdes étapes qui ont ponctué lesefforts

ultérieurs tendantau règlement des différends aujourd'hui portés devant

la Cour, je diviserai mon exposé en quatre périodes principales :

premièrement, du début de la médiation saoudiennejusqutà 1a.conclusion

de l'accord de 1987. Je me propose d'évoquer les circonstancesqui

aboutirent à l'acceptationpar le Qatar et Bahreïn de la proposition

visant à faire trancher leurs différends par cette Cour conformémentau

droit international. Deuxièmement, j'examinerail'accordde 1987 lui-

même et la portée que lui avaient reconnuetant Bahrein que le Qatar. En

m'appuyant sur les documents et le compte rendu des vues exprimées par

les représentants desdeux Parties, je m'efforcerai de démontrer à la

Cour qu'est dénuée de tout fondement la thèse de Bahrein selon laquelle

l'engagementpris par les Parties aux termes de l'accord de 1987 de

porter leursdifférends devant la Cour était subordonné à la conclusion

d'un compromis par voie denégociation. Troisièmement, je m'attacherai à

démontrer que les efforts déployéspar les Parties au cours des travaux

de la commission tripartite en vue de parvenir à un accord sur les termes

d'un compromis sont restés vainset que la commission tripartite a cessé

d'opérer en décembre 1988. Quatrièmement enfin, j'examinerailes

circonstancesdans lesquellesa été conclu l'accord de Doha, en vertu

duquel le Qatar et Bahreïn pouvaient présenter leurs demandes respectives

à la Cour conformément à la formule bahreïnite; jlenvisageraiégalement

les événements qui ont suivi l'accord de Doha. 1. LA MgDIATION SAOUDIENNE JUSQU'A LA CONCLUSION
DE L'ACCORD DE 1987

Conformément au plan que je viens d'esquisser, je commencerai par

discuter de la période correspondant à la médiation saoudienne, jusqulà

la conclusion de l'accord de 1987

i) L'accord de 1976 relatif à la médiation saoudienne

et l'accord-cadre

En 1976, quelques années après la fin de la présence britannique

dans le Golfe, il fut convenu que l'Arabie saoudite agirait comme

médiateur entre le Qatar et Bahrein en vue de résoudre leurs différends

en suspens. Le premier pas notable dans cette médiation fut la

proposition faite en 1978 par le roi Khalid d'Arabie saoudite, consistant

en un ensemble de cinq principes désigné sous le nom "de solution-cadre",

qui circonscrivait l'action du médiateur. Toutes les étapes importantes

de la médiation ont été présentées comme découlant de cette

solution-cadre. Le contenu des cinq principes de la solution-cadre a

déjà été évoqué ce matln devavt la Ccur, aussi me limiterai-je à examiner

ceux d'entre eux qu: se rapporzent à mon exposé. Le premier principe du

projet de solution-caare, qui fournissait des indications sur l'objet des

différends, était ainsi libellé :

"Toutes les questions en litige entre les deux Etats au
sujet de la souveraineté sur les îles, des frontières maritimes
et des eaux territoriales doivent être considéréescomme des
questions complémentaires formant un tout indivisible qui doit

faire l'objet d'un règlement d'ensemble."

Le quatrième prlncipe prévoyait la constitution d'une commission

comprenant des représentantsdu Qatar, de Bahrein et d'Arabie saoudite

"en vue de parvenir à des solutions acceptables pour les deux Partiesu. A la différence de la commissionmise en place en applicationde l'accord
58
de 1978, que j'évoqueraibrièvement, cette commission-ciétait chargée de

dégager des solutionssur le fond des différends. Selon le cinquième

principe, tel qu'initialementproposé, au cas où les Parties ne

pourraient parvenir à un accord sur l'une quelconque des questionsen

litige, elles autoriseraient le Royaume d'Arabie saoudite -àproposer un

compromis, lequel serait considéré comme "étant la solution convenue

entre les Parties". Autrement dit, le compromis proposé par l'Arabie

saoudite devait constituer la solution définitive.

ii) 1981-1983 :Examen de la version modifiée du cinquième
principe de la solution-cadre proposée par le Qatar

Néanmoins, faisant réponse à l'Arabie saoudite qui avait sollicité

ses commentaires sur lestermes du projetd'accord-cadre,le Qatar

proposa en 1981 une version modifiéedu cinquièmeprincipe. Dans la

mesure où le différend revêtait un caractère purementjuridique, et afin

d'éviter tout embarras dans les relations délicates entrele Qatar,

Bahrein et l'Arabie saoudite, le Qatar suggéraque les questions fussent

réglées "sur la base des dispositionsdu droit international"et que "la

décision que prendra[it] l'instance choisie d'un commun accord à cette

fin [fût] définitive et obligatoire pourles deux Parties" (voirmémoire

du Qatar, annexe II.4 .

L'examen du projet de solution-cadre et de la version modifiée du

cinquième principeproposée par le Qatar se poursuivit jusqu'en mai 1983,

sur un arrière-plande tension croissanteentre le Qatar et Bahreïn due

aux différendsqui les divisaient delongue date. Ainsi que l'expose le

mémoire du Qatar (par. 3.17-3.191, cette tension suscitaitde graves - 55 -

inquiétudesparmi les autres Etats de la région du Golfe, à telle

enseigne que le Conseil de coopérationdu Golfe, communémentdésigné sous

le sigle CCG, décida lui aussi, en mars 1982, de prier l'Arabie saoudite

d'exercer ses bons offices pour tenterde résoudre les différends entre

le Qatar et Bahreïn.

En conséquence,l'Arabie saoudite convoqua les-représentantsdu

Qatar et de Bahreïn à une réunion tenue à Riyad, le 22 mai 1983, "pour

discuter du différend concernantles îles de Hawar et les frontières

maritimes" (voirmémoire du Qatar, par. 3.19 et annexes 11-8-11.9). Les

participants à cette réunion approuvèrent finalementle texte de

l'accord,y compris le cinquièmeprincipe dans sa version modifiée

proposée par le Qatar. L'acceptation par les Parties du cinquième

principe, qui prévoyait le règlement de leurs différends surla base des

dispositionsdu droit international,ainsi que le reconnaît Bahreïn (voir

contre-mémoirede Bahreïn,par.5.51, constituait enun sens, Monsieur le

Président, la première étapevers la présentation deleurs différends à

cette Cour.

Au cours des années qul suivirent la réunion de mai 1983, l'Arabie

saoudite continua de s'efforcerde parvenir à un règlement sur le fond

des différends. Cepecdant,malgré les efforts saoudiens,aucun progrès

notable ne fut réalisé. Par ailleurs, le Qatar jugea nécessaire, en un

certain nombre d'occasions,de protester contreles actions de Bahreïn

qu'il considérait commedes violations du statuquo et qui ne firent

qu'accentuerla tension entre les deuxpays. - 56 -

iii) La crise de 1986

Au début de 1986, une grave crise - évoquée ce matin par l'agent du

Qatar - éclata lorsque le Qatar découvrit que Bahrein avait entreprid ses

travaux de construction dans le haut-fond de Dibal, pour transformer

artificiellementcelui-ci en une île et en faire un poste degarde-côtes.

Le 26 avril 1986, le Qatar envoya-desforces de.sécurité pour mettre un

terme à cette violation. ~'~rabiesaoudite intervint immédiatement par

voie diplomatique afin de résoudre cette crise. Dans une lettre du 14

mai 1986 (mémoire du Qatar, annexe 11.12, p. 79), le roi Fahd d'Arabie

saoudite invita les Parties "à ne pas recourir à la force tant que la

médiation saoudieme se poursui[vai]t et à ne pas réaliser de nouveaux

ouvrages...". Suite à l'interventionsaoudienne, la construction

irrégulière fut démantelée. L'Arabie saoudite redoubla également

d'efforts pour régler les différends qui opposaient depuis longtemps les

Parties. Malheureusement,ces efforts ne furenttoujours pas couronnés

de succès et l'une et l'autre Parties continuèrentde protester contre

l'inobservationdu statu quo. C'est dans ce contexte que l'Arabie

saoudite proposa le texte dénommé "accord de 1987", dont je vais

maintenant traiter.

2. L'ACCORD DE DECgMBRE 1987

La médiation saoudieme commencée en 1976, c'est-à-diredepuis plus

de onze ans, n'ayant pas permis d'aboutir à un règlement des différends,

le roi Fahd se résolut finalement à invoquer le cinquième principe de la

solution-cadre,qui prévoyait que lesdifférends fussent réglés sur la

base des dispositions dudroit internationalpar une instance dont la

décision serait définitiveet obligatoirepour les deux Parties. Dans - 57 -

une lettre du 19 décembre 1987 adressée en termes identiques aux émirs du

Qatar et de Bahreïn (voir mémoire du Qatar, annexe 11.15, p. 103), le roi

Fahd proposa aux deux Parties une solution de rechange effective pour

parvenir à un règlement définitif et équitable, selon une expression sur

laquelle jlaurai l'occasion de revenir, du "différend qui oppose depuis

longtemps les Etats frères du Qatar.et de Bahreïn au-sujet de la

souveraineté sur les îles de Hawar, des frontières maritimes de ces dewc

pays frères, ainsi que d'autres questionsn. Il invita les Parties à

soumettre leurs différends à cette Cour en vue d'une décision définitive

et obligatoire. Bahreïn et le Qatar souscrivirent tous deux à cette

proposition et "l'accord de 1987" vit le jour.

Monsieur le Président, je pense qu'il convient de rappeler les

paragraphes pertinents du nouvel accord ainsiintervenu entre les Parties

(en citant, en l'occurrence, la traduction établie par l'organisation des

Nations Unies, qui a la préférence de Bahreïn). Leur libellé était le

suivant :

"1. Les questions qui font l'objet du différend seront
soumises à la Cour internationale de Justice, à La Haye, pour
que celle-ci rende un arrêt définitif et obligatoire, dont les

dispositions devront être appliquées par les deux parties.

2. (le deuxiëme paragraphe se référait au maintien du statu

quo) .

3. Une commission sera constituée, qui sera composée de
deux représentants de 1'Etat du Qatar et de 1'Etat de Bahreïn
et de deux représentants du Royaume d'Arabie saoudite, et

chargée de s'adresser à la Cour internationale de Justice et
d'accomplir les formalités requises pour saisir celle-ci du
différend conformément au Règlement de la Cour et à ce qu'elle
prescrira, afin que celle-ci rende un arrêt définitif qui sera

obligatoire pour les deux parties.

4. Le Royaume d'Arabie saoudite continuera d'exercer ses
bons offices pour veiller au respect de ces conditions." (Traduction établiepar l'Organisationdes Nations Unies; voir

contre-mémoirede Bahrein, vol. II, annexe 1.3.)

La Cour aura relevé dans les écritures du Qatar que l'annonce de

l'accord de 1987 faite par l'Arabie saoudite en décembre 1987 a été

favorablement accueilliepar les Etats membresdu CCG, ainsi qu'il appert

du compte rendu depresse paru le 9 décembre 1987 dans leGulf Times

(répliquedu Qatar, annexe I.2), dont les termes étaient les suivants :

"Le ministre des affaires étrangères del'Arabie saoudite,

le prince Saud Al-Faisal a déclaré que le conseil desEtats
arabes du Golfe (GCC) était fortheureux que les deux Etats
frères du Qatar et de Bahrein aient décidé de régler leur
différend territorial en le portant devant la Cour

internationale de Justice.

Le prince Saud, qui répondait à une questionposée par un
journaliste égyptienlors de la conférence de presse de
dimanche soir organisée à la clôture du sommetdu GCC, a

déclaré que la présentation de la question à la Cour n'était
que naturelle, puisque les membres du GCC étaient Membres de
l'Organisationdes Nations Unies. 'Ils étaient donc censés
agir dans ce cadre, tout particulièrementdu fait que l'affaire

est juridique par nature et traite de frontières',a-t-il
ajouté." (Voir réplique du Qatar, annexe 1.2, p. 13.)

La Cour constateraqu'une solution pour le règlement desdifférends

existant de longue date entre les Parties avait ainsi été dégagée et

convenue. Restait uniquement à définir et à suivre des modalités de mise

en oeuvre. Il apparaît qu'à l'époque les Parties ne s'étaient encore

nullement employées à déterminer sur quelles dispositions particulières

du Règlement de la Cour elles pourraient sefonder pour la mise en oeuvre

de leur décision, pas plus qu'elles n'avaient directementréfléchi à la

méthode qu'il conviendraitde suivre pour en assurer l'exécution

effective. C'est ce qui explique, semble-t-il,qu'elles aient opté pour

une solution de type procédural en constituant unecommission tripartite. - 59 -

Contrairement à la commissionformée en application de la

solution-cadreet dont la missionétait, comme je l'ai dit, de dégager

des solutions sur le fond des différends, les attributionsde la

commission tripartite constituéeen applicationdu troisième paragraphe

de l'accord de 1987 étaient d'ordrepurement procédural. La commission

était en effet "chargéede s'adresser à la Coar internationalede Justice

et d'accomplir les formalités requisespour saisir celle-ci du différend

conformémentau Règlement de la Cour et à ce qu'elle prescrira ..." (voir

contre-mémoirede Bahreïn, annexe 1.3, p. 18, par. 3; les italiques sont

de nous). Monsieur le Président,on ne voit pas comment Bahreïnpeut

soutenir que cette disposition habilitante, qui permettait de "s'adresser

à" la Cour et udlaccomplirles formalitésrequisesvpar son Règlement en

vue d'exécuterl'accord qui prévoyait deporter devant cette instance les

différends existant de longue date entre les Partief saisait obligation à

celles-ci de soumettre conjointementleurs différends à la Cour, en

application d'uncompromis,sous peine dene pouvoir en saisir

valablement la Cour. Monsieurle Président, je soutiens que Bahreïn a

tort d'alléguer qu'"il était stipulé que la mise en oeuvre des

dispositions du premier paragraphe serais tubordonnée aux activités

qu'entreprendraitensuite la commission tripartite mentionnée au

troisième paragraphe" (voir contre-mémoire de Bahreïn, par. 5.13). En

fait, la mise en oeuvre de la décision formulée au premier paragraphe de

porter le différend devantla Cour était soumise aux dispositions

applicablesdu Règlement de la Cour et non aux "activités" de la

commission tripartite en tant que telles.

Comme je l'aidéjà expliqué, les Parties ne s'étaient pas penchées,

avant l'accord de 1987, sur la manière de se mettre en rapport avec la - 60 -

Cour. En tout état de cause, le texte de l'accord de 1987 ne fait

nullement mention d'un compromis. Au contraire, il est clair que la

commission était notamment chargéede déterminer,en application du

troisième paragraphede l'accord, quelle méthode il convenaitde suivre.

Comme je me propose maintenant de le démontrer, Bahrein reconnaît

lui-même être parvenu à la conclusion,peu de temps~seulementaprès

l'accord de 1987, "qu'il convenait de saisir la Cour par la notification

d'un compromis".

Bahreïn affirmequ'avant l'accord de 1987, les Parties avaient

toujours envisagé "une saisine conjointewet jamais la présentationd'une

requête unilatérale, et qu'il s'agit là d'un "élément pertinent" quant à

l'interprétationde l'accord de 1987. Pour étayer ses propos, Bahrein se

fonde sur la propositiond'arbitrageavancée par le Qataren 1965, à

savoir sur le fait que la solution-cadreavait précisé que toutes les

questions en litige étaient complémentaires et formaient un tout

indivisible qui devait faire l'objet d'un règlement d'ensemble,et sur la

proposition faite par le roi Fahdde soumettre à l'arbitrage,d'un commun

accord entre les Parties, l'objetde la crise de 1986 relative à Dibal.

En fait, il apparaît clairementqu'aucun des éléments soi-disant

pertinents invoqués par Bahreïn ne se rapporte en quoi que ce soit aux

modalités de saisine de cette Cour. Bahreïn cite égalementl'arbitrage

entre Dubai et Sharhaj à titre de précédent pertinent, puisqu'il

constitue un exemple de présentation conjointe d'une affaire entre

parties de la région du Golfe (voir contre-mémoirede Bahreïn, par. 1.7).

Monsieur le Président, je soutiens premièrement que l'affaire

Dubai-Sharjah est un précédent à l'évidencedépourvu de pertinence en

l'espèce pour la simple raisonque les parties au litige en question - 61 -

étaient membresd'un Etat fédéral, à savoir les Emirats arabesunis, et

qu'elles n'auraientdonc pu, en tout état de cause,porter leur différend

devant la Cour. Deuxièmement, il est de toute première importancede

garder à l'esprit le fait révélateurque le roi Fahd n'a pas proposé en

décembre 1987 de déférer conjointementl'affaire à des arbitres désignés,

comme dans l'affaireDubai-Sharjah (ce qui aurait supposé la conclusion

d'un nouvel accord complexe),mais a proposé au contraire de porter

l'affaire devant une instance permanente, à savoir la Cour, dont les

règles de procédure établiespermettaientune saisine soitpar requête

unilatérale soit par la notification (conjointeou non) d'un compromis.

A la lumière de ces faits, rien ne sauraitjustifier la thèse de

Bahreïn selon laquellel'accord de 1987

«bien qu'envisageant à l'évidenceque le différend serait

finalement soumis à la Cour, était clairement subordonnée à
l'aboutissementde la négociationd'un compromis ...>> (voir
contre-mémoirede Bahreïn, par. 1.6),

ni son affirmation quel'accord de 1987 constituait simplement«un

engagement de négocier de bonne foi un compromis» (voircontre-mémoirede

Bahreïn, par. 7.1). Comme je le montrerai,procès-verbauxde la

commission tripartite à l'appui, l'accord de 1987 a de toute évidence été

interprétéet invoqué à dlverses reprlses par toutes les parties comme

consacrant l'engagement prls par Bahreïn et le Qatar de soumettre leurs

différends à la Cour (voir,par exemple, le procès-verbal signéde la

première réunion de la commission tripartite - liasse Q/TCM, p. 51 et

duplique de Bahreïn, annexe 1.1, p. 57). - 62 -

3. DÉLIBÉRATIONS DE LA COMMISSION TRIPARTITE

Je passe maintenant à la période qui a suivi la conclusionde

l'accord de 1987 et, notamment, aux réunions de la commission tripartite.

Bahrein tente de se fonder sur *la conduite qu'ont eue les Parties

pendant la période qui a suivi l'acceptation de l'accord> et fait valoir

que cette conduitemontre que lesParties

aont immédiatement et continuellementreconnu qu'elles devaient
négocier un accord en vue de soumettre conjointementl'affaire
à la Cour internationalede Justice> (voir,contre-mémoirede
Bahrein, par. 5.20 et suiv.).

Je voudrais respectueusementfaire observer que lorsque deuxEtats

conviennentde porter leur différendsdevant la Cour, on s'attendrait

naturellement à ce qu'ils tentent de déterminers'ils peuvent aussi

convenir mutuellement des termesd'un compromis et de la procédure à

suivre (quipeut ou non prévoir nécessairementune saisine commune).

Mais cela ne signifie certainement pasqu'une autre méthode d'approche

disponible est exclue, si lesdits Etatsne parviennent pas à un

compromis. Le Qatar n'a jamais nié qu'aucours des réunions dela

commission tripartite les Partiesse soient efforcées de parvenir à un

accord mutuel sur le texte d'un compromis,effort qui aen définitive

échoué lorsquela commission tripartitea cessé de fonctionneren

décembre 1988.

Mais ce que le Qatar n'accepte pas c'est l'argumentationde Bahreïn

selon laquelle les Parties"ont immédiatementet continuellementreconnu

qu'elles devaient négocier unaccord en vue de soumettre conjointement

l'affaire à la Cour internationalede Justice». Une telle argumentation

n'est pas étayée par les faits, comme je vais le montrer maintenant. i) La réunion préliminaire de la commission tripartite
et les projets de propositions procédurales

La réunion au sommet du CCG à Riyad, en décembre 1987, à laquelle la

conclusion de l'accord de 1987 a été annoncée, a coïncidé avec une

réunion officieuse préliminaire de représentants de l'Arabie saoudite, du

Qatar et de Bahreïn à laquelle aussi bien le Qatar que Bahreïn ont

présenté des projets de propositions concernant la procédure à suivre

pour <se mettre en rapport avec la Cour». Il s'agissait là d'une

initiative des Parties pour entreprendre la mise en oeuvre du troisième

paragraphe de l'accord de 1987. Ne trouvant dans le texte lui-même aucun

élément de preuve à l'appui de son argumentation selon laquelle l'accord

de 1987 était subordonné à la conclusion d'un compromis, Bahreïn

s'efforce d'étayer son argumentation au moyen de ces deux propositions de

procédure (voir, contre-mémoire de Bahreïn, par. 5.21-5.24).

C'est là, si vous me permettez de m'exprimerainsi, vraiment racler

le fond du tonneau. Los propositions invoquées par Bahreïn, qui ont été

formulées à peine l'acrcrd de 198: conclu, n'ont pas été adoptées. Il

faut par conséquent doxter qu'elles puissent être tant soit peu

pertinentes. Les choses iraien: suffisamment mal si Bahreïn n'avait pas

aussi, comme je vais l'expliquer brièvement, mal défini sa propre

proposition.

La proposition du Qatar consistait enun projet de lettre commune

devant être adressée par le Qatar et Bahreïn au Greffier de la Cour pour

porter immédiatement à sa connaissance trois points, à savoir :

premièrement, une liste des différends entre le Qatar et Bahreïn;

deuxièmement, le fait que le Qatar et Bahreïn étaient convenus de -64 -

soumettre les différends à la Cour; et, troisièmement,le fait que les

deux Etats engageaientmaintenant desnégociations en vue d'un compromis.

En formulant sa proposition,le Qatar avait pour objectif deporter

aussitôt que possible la question devant la Cour. Mais selon Bahreïn,

cela montre que, de l'aveu même du Qatar, l'accord de 1987 signifiait

qu'un compromis était «nécessaire». Cela ne saurait être vrai car, comme

je vais l'expliquer, au cours de la première réunionde la commission

tripartite, le Qatar a veillé à éviter tous termesqui confineraient la

commission dansun rôle où elle se contenteraitd'aider les Parties à

parvenir à la conclusiond'un compromis. En tout état de cause Bahreïn a

rejeté la propositiondu Qatar que je viens d'exposer et qui a alors

cessé d'être prise en considérationdans les négociations.

La proposition procéduraleinitiale de Bahreïn, quant à elle,

consistait enun projet d'accord devant être signépar les deux Parties,

mais ne contenait aucun des termes généralement employés dans un

compromis. L'accord exprimait une profondereconnaissancepour l'aide
'i67
dispensée par l'Arabie saoudite aux deux parties afin qu'elles

aboutissent à ce que Bahreïn,dans le préambule de son projet, appelait

uune solution juste et définitive auxdifférends qui les opposent en

soumettant ces différends à la Cour internationale de Justice».

L'article premier,paragraphe 1, du projet indiquait quela commission

tripartite était chargée «de se mettre en rapport avec la Cour

internationalede Justice* et ~d'accomplirtoutes les formalités requises

pour que le différend soitsoumis à la Cour conformément à son Règlement,

afin que soit rendu un arrêt définitif etobligatoire, (voir,mémoire du

Qatar, annexe 11.17). La Cour ne manquera pas de reconnaître que ces

termes correspondent à ceux de l'accord de 1987 lui-même et ne - 65 -

contiennentni une conditionsous-entendue,ni l'idéeque, selon Bahreïn,

les travaux de la commissiontripartite devaientporter uniquementsur un

compromis.

De fait le Qatar fit l'offre d'accepterce projet de proposition

lors de la première réunionofficielle de la commissiontripartite le

17 janvier 1988;mais à ce stade, c'est-.à-dkre plusieurs semaines après

la conclusion de l'accord de 1987, Bahreïn tenta de modifier ce premier

projet en substituant auxmots de se mettre en rapport avec la Cour

internationale deJustice et d'accomplirtoutes les formalités...>,pour

définir les buts de la commission tripartite, lesmots <d'aboutir à un

compromis^ : amendement que leQatar rejeta.

Le contre-mémoirede Bahreïn (au paragraphe 5.1) contient une grave

inexactitude (je note entre parenthèses qu'il s'agit d'un fait que

Bahreïn maintenantreconnaît, comme cela ressort de la note 31 à la page

15 de la duplique de Bahreïn) . L'inexactituderéside dans la tentative

faite pour donner à entendre que le projet d'accord procédural deBahreïn

même se référait à un compromis. Comme je viens de le montrer, Bahreïna

tenté d'ajouter une mention à cet effet par un amendement quele Qatar a

rejeté. Malgré ce rejet, Bahreïn n'a joint à son contre-mémoireque le

projet d'accord amendé, comme annexe 1.5, puis a entrepris de s'en

servir, avec une mentionde la propositiondu Qatar, à l'appui de son

allégation selonlaquelle un compromis avait toujours été envisagc éomme

une condition préalable de la saisine de la Cour.

Ainsi le projet modiflé auquel Bahreïn seréfère au paragraphe 5.21

de son contre-mémoiren'est-il pas d'un grand secours pour sa cause.

Premièrement, il ne constituapas la première réaction de Bahreïn.

Deuxièmement, l'amendementproposé par Bahreïn futcatégoriquement rejeté - 66 -

par le Qatar précisément à cause de la mention d'un compromis qui y

figurait, et ce rejet ne suscita aucune observationni protestation de la

part du médiateur ou de Bahrein. Troisièmement, et c'est 1s le

principal, le fait même que Bahreinait estimé nécessaire de modifier son

premier projet suppose clairementqu'à son avis les termes de l'accord

de 1987 n'exigeaientpas un compromis en eux-mêmes. Si les termes de

l'accord de 1987 avaient déjà requis un compromis comme Bahrein l'allègue

maintenant, Bahreinn'aurait pas eu besoin de modifier ces termes pour

préciser la nécessité d'un compromis. En fait l'accord de 1987 ne

contenait aucune exigence de ce genre.

L'allégation de Bahrein selonlaquelle l'accord de 1987 était

<clairement subordonné à l'aboutissement de la négociation d'un

compromis^(voir,contre-mémoirede Bahrein, par. 1.6) ne repose donc sur

rien. 11 n'existe aucun élément de preuve à cet effet dans le texte de

l'accord et on ne trouve aucun élément de preuve dans les projets de

propositions relatives à la procédure présentéspar le Qatar et Bahreïn,

dont je viens de faire état.

Je passerai donc maintenantaux délibérationsde la première réunion

de la commission tripartite.

ii) La première réunion de la commission tripartite

Les débats de cettepremière réunion du 17 janvier 1988 indiquent

clairement que les participants ne considéraient pasun compromis comme

la seule méthode utilisable pour s'adresser à la Cour. Les observations

du président de la réunion, le prince Saud Al-Faisal, ministre des

affaires étrangèresd'Arabie saoudite, présentent unepertinence

particulière à cet égard. Il ouvrit la réunionen définissantson but

principal comme l'examen des mesures à prendre pour soumettre la - 67 -

question à la Cour internationale deJustices (voir procès-verbalde la

première réunionde la commission tripartite, documentsdu Qatar, procès-

verbaux de la commission tripartite, p. 4). Par la suite, au cours de la

réunion, il déclara que l'on se préoccupait uniquementade discuter du

point de savoir comment soumettre la question à la Cour internationale de

Justices (ibid.,p. 21) .

De telles déclarationsn'ont absolumentaucun sens si l'on suppose

que l'on s'était déjà mis d'accord pour utiliser le seul procédé du

compromis.

On est encore plus frappé par la façon dont la tentative faite par

Bahrein pour modifier son premier projet de proposition procédurale (dont

je viens de parler) afin d'y inclure la mention d'un compromis, fut

expliquée par M. Al-Baharna, l'un des représentantsde Bahreïn aux

réunions de la commission tripartite et maintenant l'éminent agent de

1'Etat de Bahreïn enl'espèce. Il a déclaré :

"L'accordprocédural (c'est-à-direle premier texte de

Bahreïn) parlaitd'entrer en rapport [avec la Cour] mais après
avoir renvoyé la question aux experts, nous avons appris que
1'entrée en rapport avec la Cour devrai t se faire par voie de

compromis qui permettrait à la Cour d'examiner la question."
(Procès-verbalde la première réunionde la commission
tripartie, documents relatlfs aux réunions de la commission
tripartie,présentés par le Qatar, p. 9. C'est moi qui

souligne.)

Cela témoigne encore une fois clairement qu'à l'époque de l'accord

de 1987 Bahreïn ne pensait pas quela conclusiond'un compromis était le

seul moyen d'"entrer en rapport" avec la Cour. Ce ne fut que plus tard,

après avoir consulté des "expertsu,que Bahreïn décida que cette démarche

devrait se faire par voiede compromis. Toutefois,il s'agit là d'une

conclusion à laquelle Bahreïnest parvenu de son côté,et non d'une

dispositionprévue par l'accord de 1987. - 68 -

Dans ce contexte, il est aussi significatifque lorsque

M. Al-Bahrana a souligné, lors de la première réunion, que "ce qu'il

faut, c'est un compromis précisant les pointsen litige et donnant à la

Cour autorité pour étudierla question", M. Hassan Kamel, parlant pour le

Qatar, a donné lecture du paragraphe 1 de l'article 40 du Statut de la

Cour et a attiré l'attention sur le fait que les affasreç -sont-portées

devant la Cour soitpar notification d'un compromis, soit par une requête

(voirprocès-verbal de la première réunion de la commissiontripartite,

documents relatifs aux réunions dela commission tripartite présentéspar

le Qatar, p. 10). Il appelait donc l'attentionde la commission sur les

deux moyens possibles d'entrer en rapport avec la Cour ou de la saisir.

11 importe aussi de souligner qu'au cours de la réunion, le

prince Saud d'Arabie saoudite a expressément invoquél'engagement de

Bahrein et du Qatar de soumettre leur différend à la Cour et de la

mission qu'avait la commission de transformer cetengagement en saisine

de la Cour; il a déclaré que si elle ne le faisait pas "cela signifierait

que la commission n'honore pas ses engagementsN (procès-verbalde la

première réunionde la commission tripartite, documents relatifsaux

réunions de la commission tripartite présentés par le Qatar, p. 22).

Toutefois, je l'ai déjà dit, à la première réunionde la commission

tripartite, les deux Parties ont rejeté le textedes propositionsde

procédure établi par l'autre Partie. La question de savoir comment

saisir la Courest donc restée sans solution. Il ressort clairement du

compte rendu de la première réunionque les Parties n'avaient pas encore

7 1 d'idées bien arrêtées sur la facon dont les différends devaient être

soumis à la Cour. - 69 -

Enfin, il est utile d'observerque la traduction établie par Bahrein

lui-même du procès-verbalsigné de la première réunionde la commission

tripartite préciseque la commissionse réunissait afin d'"examiner les

procédures à suivre pour mettre en oeuvre l'engagement assumé par1'Etat

de Bahrein et par 1'Etat du Qatar, de saisir la Cour internationale de

Justice du différend qui existe entreeux" -tvoi-r.dupliqu Beahreïn,

annexe 1.1, p. 83, les italiques sont de moi). Ceprocès-verbaldémontre

que Bahrein comprenait clairementla portée du premier et du troisième

paragraphes de l'accord de 1987, c'est-à-direque la décision de

soumettre le différend à la Cour était unengagementet que les travaux

de la commission tripartite consistaient simplement à "examinerles

procédures à suivre pour mettre en oeuvre l'engagement". C'était en fait

l'interprétationcommune des deux Partieset il est donc impossible de

comprendre comment Bahreïn peut aujourd'huiprétendre que l'engagement

des Parties, que Bahreïn a aussi qualifié de tel (voir réplique du

Bahreïn, par. 1.04), falsait "l'objetd'une réserve d'importance

cruciale, à savoir la constitution d'une commission" (voir contre-mémoire

du Bahreïn, par. 5.12). Comme je l'ai déjà expliqué, le rôle de la

commission était simplement d'aider les Parties à déterminer ce

qu'exigeaitle Règlement de la Cour en matière de procédure et à s'y

conformer. Tout cela témoigneen soi que l'accord de 1987 n'appelaitpas

la conclusiond'un compromis.

11 est vrai que devantl'insistancede Bahrein à affirmer, à la

première réunion de la commission,que le compromis étaitle moyen

approprié de saisirla Cour du différend entre les Parties, la commission

tripartite entreprit devoir si l'on pouvait effectivement mettre au

point un compromis acceptable. Comme le Qatar l'a montré dans ses pièces - 70 -

de procédure, cette tentative pour parvenir à conclure un compromis se
9 7 2
solda par un échec en décembre 1988, et la commission tripartitecessa

alors son activité, mais à aucun moment il n'a été dit, ni même envisagé,

que si l'on ne parvenait pas à la conclusion d'un compromis, l'engagement

pris par les parties dans l'accord de 1987 de soumettre leurs différends

à la Cour ne serait pas mis en oeuvre.

iii) Lee projets de compromie

Après la première réunion dela commission tripartite,tant Bahrein

que le Qatar présentèrent en mars 1988 des projets de texte de compromis

La Cour aura vu, dans le mémoiredu Qatar, qu'à l'article 2 de son

projet, étaient posées lesquestions suivantes (voir mémoire duQatar,

annexe 11.21) :

1. Auquel des deux Etats revient la souverainetésur les îles
de Hawar ?

2. Quel est le statut juridique deshauts-fonds de Dibal et

Jaradah ? En particulier, l'un des deux Etats a-t-il, le
cas échéant, souveraineté surla totalité ou sur une partie
des hauts-fonds de Dibal et de Jaradah ?

3. Dans une lettre datéedu 23 décembre 1947, l'agent

politique britannique à Bahreïn a informé le souverain du
Qatar et le souverain de Bahrein que le Gouvernement
britannique avait décidéde tracer la ligne médiane
existante qui départage actuellementle plateau continental
entre les deux Etats. Cette ligne médiane

représente-t-ellecorrectement lafrontière entre les
parties du plateau continental ?

4. Compte tenu des réponses aux questions 1, 2 et 3 ci-dessus,
quel est le tracé de la frontière ou des frontières entre
les territoires maritimes appartenant respectivement à

1'Etat du Qatar et à 1'Etat de Bahrein ?s

Monsieur le Président,Messieurs de la Cour, je me permets

respectueusementde vous faire remarquer quecette descriptiondes

questions à soumettre à la Cour reflétaitfidèlement les différendsque - 71 -

les Parties cherchaient à résoudre conformément à la solution-cadreet à

de l'accord de 1987.

Comme je le disais il y a un instant, cette solution-cadrevisait

«Toutes les questions en litige entre les deux Etats au sujet de la

souverainetésur les îles, des frontièresmaritimes et des eaux

territoriales,;et le roi Fahd d'Arabie saoudite-avait-proposél'accord

de 1987 ccomrnebase d'une solution au différends qui était, disait-il

(danssa lettre du 19 décembre 1987), «au sujet de la souverainetésur

les îles de Hawar, des frontièresmaritimes entre ces deux paysfrères

ainsi que d'autres questions%. C'était donc une description des

différends qui avait déjà étéacceptée par les deux Parties et qui était

maintenant reprisedans les questionsque je viens de citer, que le Qatar

proposait de faire figurer dans un compromis. A titre de comparaison,

Monsieur le Président,permettez-moide vous lirela description

incroyablement tendancieuse des différends que donneBahreïn dans son

projet de compromis,présenté lui aussi en mars 1988 :

cl. Les Parties prient la Cour

a) de tracer une limite maritime unique entre les zonem saritimes
respectlvesde Bahreïn et du Qatar; cette limite devant passer

entre les points situés le plus à l'est de l'archipelde Bahreïn
y compris touz particulièrement lesîles de Hawar, Fasht ad
Dibal et d'auzres caractéristiques adjacentes ou voisines, et la
côte du Qatar, et devant préserverles droits de Bahreïn dans

les parages où se pratique la pêche des perles, situés au
nord-est de Fasht ad Dibal et dans les zones de pêche situées
entre l'archipelde Bahreïn et le Qatar;

b) de déterminer les droitsde 1'Etat de Bahreïn sur Zubara et
autour de celle-ci.» (Voirmémoire du Qatar, annexe 11.22.)

La Cour le constate, cette description des différendsqu'il

s'agissaitde lui soumettre tenait pouracquis qu'il n'y avait pas de

différend au sujet des îles de Hawar ni des hauts-fonds de Dibal et de - 72 -

Qitlat Jaradah et demandait en fait que le Qatar reconnaissed'emblée que

cew-ci appartenaient à Bahrein. La question poséepar Bahrein ne

sollicitaitde la Cour qu'une décision sur une frontière maritime fondée

sur la reconnaissance, alorsmême que la solution-cadreet l'accord

de 1987 témoignaient clairement de ceque les différends relatifs à ces

îles et hauts-fonds n'étaient pas résolus. De-~plus;commel'a exposé

sir Ian Sinclair, le Qatar a été informé d'une revendication - qui

n'avait jamais fait l'objetde la médiation de l'Arabie saoudite -

appelant la Cour à déterminer de prétendus droitsde Bahrein asur Zubara

et autour de celle-ci, sur la côte ouest du Qatar, sansaucune indication

sur la nature ou le fondement de tels droits. Bahreïn reconnaît queles

prétentions relatives à Zubarah n'étaient pas comprises dans le premier

principe de la solution-cadresaoudienne (voir le contre-mémoire de

Bahrein, par. 5.4) mais allègue qu'il a porté la question de Zubarah à

lgatt.ention de l'Arabie saoudite en 1986. Comme sir Ian Sinclair l'a

déjà déclaré à la Cour, Bahreïn n'aprésenté aucun élément de preuve à

l'appui de cette allégation,ni d'ailleurs de ce que le Qatar en eût été

in£ormé .

Bahrein a en outre inséré dansson projet de texteune disposition

qui aurait de fait empêché le Qatar de produire deséléments de preuve

pertinents montrant l'existenceet la nature des différends. Ce passage

- l'articleV - sera analysé en détail par M. Jean Salmon un peu plus

tard. Il me suffit de déclarer ici que le Qatar a rejeté aussi fermement

cette disposition.

Le texte de Bahreïn, que le Qatar a jugé scandaleux,lui a également

donné de sérieux motifs de soupçonnerque Bahrein avait décidé,soit

d'entraver la soumissiondes questionsen litige à la Cour, tout comme il - 73 -

avait fait échouer la décisionde 1965 de recourir à l'arbitrage,soit de

saisir l'occasionde la rédactiond'un compromis pour transformer

fondamentalement la portéedes questions à trancher, en écartant celles

qui avaient fait l'objet de la médiation au titre de la solution-cadre,

et en ajoutant des points nouveaux,dont celui de Zubarah. L'émir du

Qatar le disait bien dans sa lettredu 25 mars 1988 au roi Fahd,

l'informant de son «rejet total»du texte bahreïnite, accompagnéde ses

«protestations les plus énergiquesm contre ce projet.

Il est utile aussi de se reporter au mémorandum du 27 mars 1988 qui

présente les observations détailléesdu Qatar sur le projet de compromis

bahreïnite distribué à la commission tripartite,où le Qatar indiquait

que les dispositionsdu texte bahreinite,y compris l'articleV,

«imposeraient à 1'Etat du Qatar de recomaître expressément

l'inexistencedu différend qui existe en réalité entrl eui et
l0Etat de Bahrein ... et de concéder à Bahrein tout ce qu'il
revendique ainsique de s'abstenird'inclure dans les moyens de
preuve et arguments présentés parle Qatar un document

quelconque dont la date soit antérieure à celle du compromis.

Face à tout cela, le Gouvernement de1'Etat du Qatar ne peut que
rejeter leprojet bahreïnite,et assortir ce rejet dela protestation

la plus vive.» (Voirmémoire du Qatar, annexe 11.24, p. 165.)

iv) La deuxième réunion de la commission tripartite

Les textes présentés parles deux Partiesont été examinés lors de la

deuxième réunion dela commission tripartite, le 3 avril 1988, au cours

de laquelle ces réactions furent communiquées à Bahreïn.

Ce fut à cette réunion, après que chacunedes deux Parties ait rejeté

la description que donnait l'autre des différends à soumettre à la Cour,

que le président, le prince Saud a déclaré :

«Il existe deux attitudes possibles correspondan àt deux
perspectives différentes. Serait-ilpossible de simplement
informer la Cour qu'il existe des désaccords entre les deux pays, en indiquant la nature respectivedes revendicationsdu
Qatar et de Bahrein ? Ou bien, pourrions-nous nousmettre
d'accord sur les points à soumettre à la Cour ?s (Voir le
compte rendu de la deuxième réunionde la commission tripartite,

documents relatifsaux réunions de la commission tripartite
présentés par le Qatar, p. 84.)

A bien des égards, Monsieur le Président, cette questionest devenue

le problème crucial et c'est à partir de là que l'on a, commencé à se

rendre compte qu'il pourrait être difficile de s'entendre sur une liste

de sujets à inscrire dans un document commun pour les soumettre

conjointement, même si un compromisdevait être conclu, et que chacune

des Parties devrait présenter séparémentses propres revendications à la

Cour. En fait, le prince Sauda résumé la situation en ces termes :

<La question à laquelle les deuxpays doivent répondre est
la suivante : la totalité des points évoqués par les deux pays

peuvent-ils être inclus dans un document commun à présenter à la
Cour ?> (Ibid.,p. 87.)

Les Parties prirent le temps de réfléchir à leur réponse à cette

question.

v) La troisième réunion de la connnission tripartite

Au début de la troisième réunionde la commission tripartite tenuele

17 avril 1988 à ?.iyad, le prince Saud rappela auxparticipants que :

"nous ne discutons pas de l'affaire dans son intégralité mais
nous recherchonsles modalités selon lesquelles elledoit être
portée devant la Cour" (voir le procès-verbalde la troisième

réunion de la commiss~on tripartite, documents T.C.M. du Qatar,
p. 111) .

Toutefois, lors de cette troisièmeréunion, la question posée par le

prince Saud ne fut pas spécifiquementabordée et les participants

poursuivirent la discussion des projets de compromis présentéspar chacun

des deux Etats lorsde la réunion précédente, sans parvenir à un accord.

Bahreïn continuad'affirmer que les points en litige n'étaient pas

définis, son représentant, M. Al-Baharna, affirmant que : "LIEtatde Bahreïn considèrequ'il n'y a pas eu accord
juridique sur les questionsen litige; en conséquence, il
incombe à cette commissionde les définir, indépendammentde
toutes propositionsou échanges qui ont eulieu au cours de la

période de médiation. Malheureusement,nous ne sommes pas
encore parvenus à ce stade." (Ibid., p. 131.)

Par ailleurs, M. Hassan Kamel déclara au nom du Qatar que :

"cette commissionn'est pas chargée de discuter ou d'identifier
les questionsen litige, puisque celles-ci ont.déjà-étédéf~nies

dans l'accord-cadrede la médiationM (ibid., p. 133).

La Cour observera queles délibérationsde cette commission avaient

pris une nouvelle orientation. En effet, au lieu d'envisagerla manière

de "s'adresser à" la Cour et "d'accomplirles formalitésrequises pour

saisir celle-ci du différendN,la commission s'engagea alors dans une

controversesur l'objet des différends. Le Qatar soutenaitque les

points en litigeavaient été clairement définisau cours de la médiation;

de son côté, Bahreïn alléguait que teln'était pas le cas et cherchait à

y ajouter un certain nombre de questions. C'est cette controverse,et

non la manière de "s'adresser à" la Cour soitpar notificationd'un

compromis soit par toutaucre moyen, pi domlna les procédures de la

commission tripartite à partir de la deuxième réunion.

Les deux partiesconclnuèrenttoutefois de réitérerleur engagement

de soumettre leurs différends à la Cour. M. Hassan Kamelaffirma au nom

du Qatar :

"Nous sommes comme desfrères, des frères qui se sont
engagés à soumettre leurs différends à la Cour internationale de

Justice. Que devons-nous faire pour mettre en oeuvre cet
engagement ? Nous devons convenird'une formule raisonnableet
acceptable parles deux parties." (Ibid., p. 116.)

Le cheik Mohammad bin Mubarak hl Khalifa, ministre des affaires

étrangères deBahreïn, déclara :

"Bahreïn insiste pour que lesefforts louablesde l'Arabie
saoudite se poursuivent,dans le sens de la lettre du 12 décembre 1987 émanant du gardien des deux Saintes Mosquées,
jusqulà ce qu'un arrêt soit rendu par la Cour internationale de
Justice." (Ibid., p. 126.)

A l'exception de ces déclarations quiréaffirmaient l'obligation

qu'avaient les parties de porter leurs différends devant laCour, la

troisième réunion pritfin sans qu'aucune décisionne soit prise.

vil La quatrième réunion de la commiseion tripartite

La quatrième réunionde la commissiontripartite eut lieu le

28 juin 1988 à Djedda. Avant cette réunion, Bahreïnet le Qatar avaient

chacun soumisun projet reviséqui définissait les différends à inclure

dans un éventuel compromis. Le Qatar considérade nouveau que leprojet

revisé présentépar Bahreïn était inacceptable, foncièrement pour les

mêmes raisons que dans le cas du premier projet.

Dans une lettre du 9 juillet 1988 qu'il adressa au roi Fahd d'Arabie

saoudite après la quatrième réunion, l'émir du Qatar se plaignit de ce

que Bahreïn avait suivi pour sonprojet revisé la même méthode que celle

qu'il avait adoptée pourle premier projet,faisant entièrementfi de ce

que les points en litige à soumettre à la Cour avaient déjà été définis

dans le premier principe de la médiation saoudienne; selonlui, l'action

de Bahrein semblait viser à empêcher que le différend ne fût soumis à

cette Cour (voirmémoire du Qatar, annexe 11.28).

Alors même quela définition bahreïnite del'objet du litige contenue

dans le deuxième projet était contestable,le ministère des affaires

étrangères de Bahrein affirma que sonpays était déçu et mécontent des

nouvelles propositions qatariennes et prétendit que Bahreïnétait seul à

faire toutes les concessions (voip rrocès-verbalde la quatrième réunion

de la commission tripartite, documentsdu Qatar T.C.M.,p. 168). - 77 -

La soi-disant "concession" à laquelle il se référait sansdoute

consistait en ce que les parties, aux termes du nouveau projet

bahreïnite,ne priaient plus la Cour de définir une frontièremaritime à

l'ouest de Hawar (ce qui impliquait que leQatar reconnût par avance que

les îles de Hawar appartenaient à Bahreïn), mais de se pencher sur la

question limitéede la mesure dans laquelle les deux-Etats «ont

exercé ... leur souverainetésur les îles de Hawar~. En réalité, cette

formulationétait aussi insatisfaisante que celledu précédent projet

bahreïnite. Qui plus est, il s'agissaittoujours de tracer une frontière

maritime de sorte à accorder à Bahreïn les hauts-fondsde Dibal et Qit'at

Jaradah (voirmémoire du Qatar, annexe II. 27) .

C'est ainsi que la quatrième réunionprit fin sans avoir réalisé le

moindre progrès, ce qui plongeala délégation qatarienne dans le

découragement.

A ce stade, la recherche d'une formule définissantl'objet du

différend d'une façon acceptablepour les deux parties était parvenue à

une impasse et, pendant plusleurs mois, aucun effortne fut tentépour

convoquer une actre réunion de cette commisçion. Comme je l'ai dit, la

question était alorscelle de savoir si un accord sur une liste de

questions à soumettre a la Cour pouvait intervenir entre les parties.Si

tel n'était pas le cas, y avait-il quelque moyen (indépendammend tu point

de savoir si cela pouvait se faire par une présentation conjointeou

toute autre façon)pour l'une ou l'autre partie de faire valoir ses

prétentions devantla Cour - question qui avait étéposée par le prince

Saud lors de la deuxième réunion, mais qui restait toujours sans réponse.

Monsieur le Président, peut-êtreconviendrait-ilde s'arrêter ici. Le PRESIDENT : Je vous remercie, M. Shankardass, l'audienceest levée

et reprendra demain à 10 heures.

L'audience est levée à 13 h 10. CR 94/l(traduction) /Corr.
(français seulement)

Le 11 mars 1994

Rectificatif au CR 94/1 (traduction)

. ..
Page 8. trelzleme liane :

Au lieu de «Le conseil», lire «Les conseils».

Paae 8. auatorzième ligne :

Au lieu de «développera»,lire «développeront».

, ..
Paae 10. sixleme liane a vant la fln :

Au lieu de «en suspens», lire «existant».

Pase 10. cin-ième lisne avant la fin :

Au lieu de «systématiquement»,lire «sans cesse».

Supprimer les mots «et en suspens».

..
Paaetorzleme liane :

Au lieu de «démontrerale», lire «démontrerontles».

pase 18, cnii~ifme lis= :

Au lieu de «conseil», lire «conseils».

Paae 30, septième lisne :

Au lieu de «acte», lire «actes».

Pase 31. huitième lisne avant la fin :

Au lieu de «le passage suivant», lire «un passage». -2-

.. , S .
P age 37, cwleme et slxeme lianes :

Au lieu de «ils», lire «elles».

e 37. deruere ligne :

Au lieu de «observations»,lire «observation».
. ,.
-eme ligne avant la fin :

Au lieu de «chargées de se mettre», lire «en vue d'entrer».

Paae 46. neuvileme liane avant la fin :

Après les mots «entendu que», ajouter «c 'est>.

Paae 51. swLenc&lutieme . .. lignes a vant la fin :

Supprimer les mots «du respect».

Au lieu de «1978», lire «1987».

. .
Paae 57. sewtme liane avant la fin :

Au lieu de «chargée de sladresser à», lire «en vue d'entrer en

rapport avec» .
. ..
Paseueme liane :

Au lieu de «chargée de s'adresser à», lire «constituéeen vue

d 'entrer en rapport avec».

Paae 59. onveme et doueme .. lignes :

Au lieu de «de 's'adresser à' », lire «d'entrer en rapport avec».

Pase 63. huitième liane :

Au lieu de «'se mettre1 », lire «'entrer1».

..
Bue 64. septleme liane avant la fin :

Après les mots «indiquait que», ajouter «le but de»

P P i a . 5 . v :

Au lieu de «chargée 'de se mettre», lire « 'd'entrer». -3-

Paue 65. huitième liune :

Au lieu de «Ide se mettre», lire «'d'entrer».

. .. ..
Paae 75. trelzieme et dix-neuvieme :

Au lieu de «de 's'adresser à'», lire «duentrer en rapport avecg».

Document Long Title

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