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088-19920326-ORA-02-01-BI
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GR 92,13 (traduction)
CR 92/3 (translation)

1
Jeud+ 26 mars 1992
Thursday 26 March 1992

0024C/CR/3/trad/ - 2 -

008 Le VICE-PRESIDENTfaisant fonction de PRESIDENT: Veuillez prendre

place. La Cour se réunit maintenant pour entendre les exposés du

Royaume-Uni dans l'instance introduite contre lui et je donne la parole à

..
M. Berman, agent du Royaume-Uni,

"
M. BERMAN : Monsieur le Président, Messieurs les Membres de la Cour.

Avec la permission de la Cour, je représente le Royaume-Uni de

Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord dans la présente instance.

MmeElizabeth Wilmshurst est l'agent adjoint.

C'est un honneur pour moi que de me présenter en cette qualité

devant la Cour. Le grand respect que le Royaume-Uni voue au système du

règlement judiciaire des différends internationaux et à la Cour en

particulier n'appelle aucune nouvelle démonstration. Des faits

l'attestent.: le Royaume-Uni a accepté la juridiction obligatoire en

vertu de l'article 36 du Statut sans interruption depuis 1946 et, d'ores

et déjà, il avait accepté la juridiction obligatoire de la Cour

permanente de Justice internationale pendant de nombreuses années; de

plus, dans ses relations conventionnelles bilatérales et multilatérales,

le Royaume-Uni a accepté plus de 90 clauses juridictionnelles qui donnent

campétence à la Cour. I1 peut donc sembler paradoxa 1 que le Royaume-Uni e

n'ait pas comparu en tant que partie dans des instances contentieuses

devant la Cour depuis 1974. C'est toutefois, dans ces conditions, un

honneur particulier pour moi que de pouvoir le faire aujourd'hui.

Puis-je saisir l'occasion d'exprimer à audience publique les

félicitations et les bons voeux de mon gouvernement à S. Exc. le Prince

Bola Ajibola qui a pris place pour siéger en qualité de membre de la Cour

plus tôt ·ce jour-même ? 1(

Monsieur le Président, il s'agit d'une procédure interlocutoire et

je n'ai pas l'intention de retenir longtemps l'attention de la Cour.

Avec sa permission, je voudrais présenter les conseils qui prendront la

0024C/CR/3/trad/· - 3 -

009 parole pour le Royaume-Uni et indiquer comment l'argumentation orale sera

répartie entre eux. A ma gauche se trouve M. Alan Rodger QG, du Barreau

d'Ecosse, titulaire des fonctions de Solicitor General d'Ecosse. A côté

de lui il y a MmeRosalyn Higgins QC, du Barreau d'Angleterre et

professeur de droit international à la l'Université de Londres. A côté

d'elle est M. Christopher Greenwood, du Barreau d'Angleterre, membre et

directeur d'études en droit à Magdalene College, Cambridge. Les exposés

oraux du Royaume-Uni seront divisés en quatre parties : le Solicitor

General exposera les circonstances de fait, puis traitera de

l'incompétence de la Cour pour connaître de la requête libyenne. Il sera

suivi par MmeHiggins, qui établira que la demande en indication de

mesures conservatoires de la Libye ne satisfait pas aux critères définis

dans le statut et développés dans la jurisprudence de la Cour; et que les

mesures demandées par la Libye sont de toute manière inappropriées ou

hors de propos et ne doivent pas être indiquées.

En résumé, Monsieur le Président, Messieurs les Membres de la Cour,

nous soutiendrons ce gui suit

Premièrement, la requête de la Libye est manifestement prématurée,

compte tenu notamment du délai de six mois requis par l'article 14 de la

convention de Montréal, et la Cour ne doit donc pas connaître de la

demande en indication de mesures conservatoires. Le Royaume-Uni se

réserve le droit de déposer, dans les formes, une exception préliminaire

d'incompétence de la Cour plus tard dans cette instance, au moment

approprié.

Deuxièmement, les mesures conservatoires constituent un recours

exceptionnel accordé seulement s'il le faut pour protéger des droits

litigieux devant la Cour, tandis que les mesures conservatoires demandées

par la Libye ne satisfont pas à ce critère, notamment parce que les

"droits" ainsi dénommésdont la Libye prétend se prévaloir en vertu

0024G/CR/3/trad/ - 4 -

de la convention de Montréal sont illusoires et n'appellent aucune

protection.

010 Troisièmement, la requête libyenne, bien qu'elle prétende interdire

au Royaume-Uni de prendre des mesures contre la Libye, tend en réalité à

s'ingérer dans l'exercice, par le Conseil de sécurité, des fonctions et "

prérogatives qu'il tient de la Charte des Nations Unies.

Monsieur le Président, une brève esquisse de la manière dont

l'argumentation sera développée a été présentée aux membres de la Cour et

à la Partie adverse; je voudrais maintenant que M. Rodger prenne la

parole.

Le VICE-PRESIDENTfaisant fonction de PRESIDENT: Je vous remercie,

Monsieur Berman. Je donne maintenant la parole à M. Rodger s'il vous

plaît.

M. RODGER: Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, c'est pour

moi un très grand honneur que de comparaître devant vous aujourd'hui au

nom du Royaume-Uni. Commenotre agent, M. Berman, vient de l'expliquer,

MmeHiggins et moi-mêmedéfendrons l'un et l'autre devant vous le dossier

du Royaume-Uni. Commel'a dit M. Berman, je développerai le premier des

trois principaux arguments du Royaume-Uni mais, avant d'en arriver là, j~ 4lt

voudrais tout d'abord expliquer le contexte dans lequel la Cour a été

saisie de cette question. Je ferai un bref exposé de la catastrophe, de

l'enquête pénale qui a suivi et des résultats de cette enquête, qui ont

conduit à la mise en accusation, en novembre dernier, de deux

ressortissants libyens. J'indiquerai enfin, en guise d'introduction,

certaines des mesures qu'ont adoptées le Royaume-Uni et d'autres depuis

que les accusations ont été formulées,

Je commencerai par conséquent par l'attentat lui-même.

0024C/CR/3/trad/r-------------------------------------------------~~------------------------------------------- ------

5 -

L'attentat contre le vol 103 de la Pan Am

Le 21 décembre 1988, à environ 19 h 3 TU, un avion Boeing 747 de la

compagnie Pan American Airways a explosé en vol au-dessus de la petite

011 ville de Lockerbie, dans le sud de l'Ecosse. L'avion s'est écrasé et les

259 passagers et membres de l'équipage et 11 résidents locaux ont trouvé

la mort dans l'accident. Les victimes de cet attentat haïssable étaient

des ressortissants de 21 pays d'Europe, d'Amérique du Nord et du Sud,

d'Afrique et d'Asie, dont 19 enfants.

L'appareil, immatriculé aux Etats-Unis, assurait un tronçon du vol

PA 103, reliant Francfort, en Allemagne, à Detroit, aux Etats-Unis, via

les aéroports de Heathrow, à Londres, et de John F. Kennedy, à New York.

Le premier tronçon du vol, de Francfort à l'aéroport Heathrow de Londres,

avait été assuré par un appareil de moindre capacité, un Boeing 727. A

l'aéroport de Heathrow, 49 passagers venant de cet appareil ont embarqué

à bord du Boeing 747, où ils ont rejoint 194 autres passagers. Le

Boeing 747 avait à bord 16 membres d'équipage. Le plan de vol, à partir

de Londres, avait été déterminé par les conditions météorologiques.

Normalement, l'appareil se serait dirigé vers l'ouest après le décollage

mais le soir en question, par suite de forts vents d'ouest, l'appareil

s'est d'abord dirigé vers le nord, survolant l'Angleterre, puis l'Ecosse,

o~ l'explosion s'est produite. Par suite, entre autres, des tr~sfo~ts

vents, les débris causés par l'explosion ont été dispersés sur des

centaines de kilomètres carrés au sud de l'Ecosse et au nord de

l'Angleterre.

L'enquête et les faits découverts

Une enquête internationale, basée à Lockerbie, a immédiatement été

ouverte. Des officiers de police britanniques détachés par différentes

forces ont été assistés dans leur enquête par des agents du Federal

0024C/CR/3/trad/ - 6 -

Bureau of Investigation des Etats-Unis. L'enquête a été placée sous la

direction générale de mon collègue le Parquet Lord Advocate, qui est le

plus haut magistrat d'Ecosse et le chef du Parquet indépendant en Ecosse.

A Lockerbie même,l'enquête était dirigée par le Procurator Fiscal
012

de Dumfries, représentant local du Lord Advocate. Mais l'enquête s'est

étendue bien au-delà de Lockerbie et bien au-delà de l'Ecosse et du

Royaume-Uni pour atteindre de nombreux pays de divers continents. Les

autorités judiciaires, le ministère public et les services d'enquête de

plusieurs pays ont coopéré à cette enquête sans précédent.

Au sud de l'Ecosse et au nord de l'Angleterre, des officiers de

police ont passé au peigne fin une zone de 845 miles carrés, c'est-à-dire

2190 kilomètres carrés, à la recherche d'indices pouvant faire avancer

l'enquête. Au cours de leurs recherches, il a été retrouvé plus de

4000 objets qui ont été conservés pour analyse ou comme éléments de

preuve. De même,lors de l'enquête, il a été interviewé des milliers de

personnes et consigné plus de 15 000 dépositions.

Après quelques jours d'enquête seulement, les experts et techniciens

légistes ont établi que l'explosion à bord du vol Pan Am 103 avait été

causée par la détonation d'un engin explosif improvisé à base de plastic

à haute puissance explosive.

Ensuite, sur la base d'un examen détaillé des restes de l'appareil

et des débris, les experts ont pu établir non seulement dans quelle

partie de quelle soute de l'appareil l'explosion s'était produite, mais

aussi la position occupée par l'engin explosif dans un container à
·-t.
bagages spécifique. Poursuivant leurs travaux, les experts ont pu

indiquer avec précision la valise qui avait contenu l'engin explosif et

établir la nature de ce dernier. Il s'agissait d'un engin conçu de façon

à pouvoir être dissimulé dans un poste de radio à cassettes, l'explosion

devant être déclanchée par une minuterie électronique. Poursuivant

0024G/GR/3/trad/ - 7 -

inlassablement leurs recherches, les experts ont identifié les autres

articles qui se trouvaient dans la valise ayant contenu l'engin

explosif. Ils ont en particulier identifié un certain nombre de
.
vêtements qui s'y trouvaient. Ces vêtements ont été soumis à d'autres
013
analyses à la suite desquelles les enquêteurs ont établi scientifiquement

qu'ils avaient été à la fois fabriqués et vendus à Malte.

En analysant de très près les restes de la minuterie électronique,

les experts ont pu déterminer qu'elle était au nombre d'une série de

minuteries fabriquées par une certaine société en Suisse. L'enquête se

poursuivant, il a été établi que cette société avait mis au point et

fourni 20 de ces minuteries à la suite d'une commande exclusive passée

par de hauts fonctionnaires des services de renseignements libyens et que

lesdites minuteries avaient été essayées sur des explosifs en Libye,

La Cour notera comment l'enquête a commencépar une analyse

scientifique des fragments et des articles découverts après l'explosion

et comment ces analyses ont conduit à conclure à la fois que les

événements à Malte avaient joué un rôle significatif et que les services

de renseignements libyens se trouvaient impliqués. D'autres éléments de

preuve ont été recueillis qui ont mis en lumière en particulier la

participation de deux individus, Abdelbaset Ali MohmedAl Megrahi et Al

Amin Khalifa Fhimah, l'un et l'autre ressortissants libyens. Il est

établi par exemple que, le 7 décembre 1988, Megrahi a acheté à Malte des

vêtements qui ont ensuite été placés dans la valise avec la bombe. Il

est établi aussi que Megrahi s'est rendu à Malte et en est revenu sous
..
une fausse identité et que, le 20 décembre 1988, Megrahi et Fhimah ont

introduit à Malte une valise correspondant à la description de celle qui

contenait la bombe. Enfin, il est établi que ces individus avaient à

Malte en leur possession et sous leur contrôle du plastic à haute

puissance explosive.

0024C/CR/3/trad/ - 8 -

L'enquête que j'ai décrite et qui a permis de découvrir ces éléments

de preuve a en fait été la plus vaste enquête criminelle jamais

entreprise au sujet d'un mêmecrime. C'est sur la base des résultats de

cette enquête massive et sur aucune autre - je tiens à le souligner - que
014
le Lord Advocate a pu, le 13 novembre 1991, obtenir d'un juge indépendant

les mandats d'arrestation de Megrahi et de Fhimah, accusés de complot et

d'assassinat, infractions qui sont l'une et l'autre des crimes de droit

commun en Ecosse, ainsi que de violation de l'article 2 de la loi

britannique de 1982 relative à la sécurité de l'aviation civile. Les

tribunaux écossais sont évidemment compétents du fait que c est dans leur e

ressort que les infractions ont été commises. Cette base de compétence

est l'une des bases les plus fondamentales reconnues par le droit

international coutumier et n'a rien.a voir avec la convention de Montréal.

La demande indiquant les chefs d'accusation à propos desquels les

mandats d'arrestation ont été émis a été soumise à la Cour dans

l'ensemble des documents déposés par le Royaune-Uni (document 1), de même

qu'un exposé détaillé des faits invoqués à l'appui de l'accusation

(document 2).

Or, il importe de relever que, dans le contexte de la présente

affaire, les accusations formulées à l'endroit des deux individus,

Megrahi et Fhimah, sont basées sur le fait, qui est établi, qu'ils

étaient l'un et l'autre des agents des mêmesservices de renseignement

libyen qui avaient acheté et essayé les minuteries. En outre, Megrahi et

Fhimah avaient des rapports étroits avec la compagnie aérienne d'Etat

Libyan Arab Airlines. Megrahi était chef du service de sécurité de la

compagnie pendant toute l'annee 1986 et, depuis le 1 er janvier 1987, il

était directeur du centre d'études stratégiques de Tripoli, service de la

direction de l'information, laquelle relève à son tour de la direction de

0024G/GR/3/trad/ - 9 -

l'organisation libyenne de sécurité extérieure. Fhimah, pour sa part,

était, jusqu'à peu avant l'attentat de Lockerbie, chef de station des

Libyan Arab Airlines à l'aéroport de Luqa, à Malte, et a conservé son

permis d'accès à la piste jusqu'au 31 décembre 1988. Tous ces faits sont

établis.

Commeje l'ai dit, des mandats d'arrestation de Megrahi et de Fhimah
015

ont été délivrés le 13 novembre 1991. Le lendemain, le Lord Advocate a

annoncé l'émission des mandats d'arrestation et a rendu publics les chefs

d'accusation. Simultanément, le ministre de la justice par intérim des

Etats-Unis d'Amérique a annoncé que des mandats d'arrestation avaient été

délivrés aux Etats-Unis également après l'inculpation prononcée par un

jury de mise en accusation.

Le mêmejour, une copie des inculpations et des mandats

d'arrestation, ainsi que l'exposé des faits indiquant en détail la base

des inculpations, ont été remis au Gouvernement libyen par l'entremise du

représentant permanent de la Libye auprès de l'Organisation des

Nations Unies à New York, et ultérieurement par l'intermédiaire de

l'ambassade d'Italie à Tripoli, chargée des intérêts britanniques en

l'absence de relations diplomatiques entre le Royaume-Uni et la Libye.

Les documents ainsi remis par le Royaume-Uni à la Libye expliquaient
~16

très clairement les allégations formulées dans le cadre des poursuites

pénales ouvertes en Ecosse, allégations que le Lord Advocate avait

rédigées après avoir pesé les éléments de preuve recueillis après près de

trois ans d'enquête approfondie, méticuleuse et prudente. En

particulier, sur la base des faits que je viens d'exposer, l'allégation

clairement formulée dans l'acte d'accusation est que cet attentat

criminal à la bombe contre le vol 103 de la Pan Am a été réalisé par

Megrahi et Fhimah, conformément aux desseins des services de

renseignement libyens.

0024C/CR/3/trad/ - 10 -

Nous avons des raisons de penser qu'en Libye, ces services sont

étroitement liés au système de justice pénale et ont une influence sur le

fonctionnement des tribunaux libyens. Encore une fois, cela n'est pas

dit à la légère ou sans base factuelle. Par exemple, l'une des personnes

nommémentdésignées dans l'acte d'accusation délivré aux Etats-Unis et

dans l'exposé des faits comme étant imp~iqué dens différents aspects du

crime, et en particulier dans l'acquisition des minuteries, a, au cours

des quatre dernières années, occupé des postes importants dans le système

libyen de justice pénale, y compris le poste de ministre de la justice.

Les événements consécutifs à l'enquête

Il m'a semble nécessaire d'exposer à la Gour comment l'enquête était

déroulée et quels avaient été certains de ses résultats, Gela a pris du

temps, mais je crois qu'il est important pour la Gour de bien saisir que,

lorsqu'il formule ces graves allégations concernant la participation des

autorités libyennes à cet acte criminel, le Lord Advocate, en tant que

responsable des poursuites, s'est fondé non pas sur des rumeurs ou des

spéculations mais plut8t sur les résultats d'une longue investigation

basée sur des analyses scientifiques et de longues enquêtes policières.

De même, c'est dans ce contexte que le Royaume-Uni a demandé la remise

des deux accusés pour qu'ils soient traduits en justice. C'est dans ce
017
contexte aussi que le Royaume~Un insiste sur le fait qu'il est

inconcevable que les exigences de la justice soient satisfaites si ces

individus étaient jugés en Libye.

Malheureusement, on ne peut mêmepas dire que cette participation du

Gouvernement libyen à un acte de terrorisme a constitué un incident

isolé. Au contraire, le Royaume-Uni a de bonnes raisons de savoir que le

Gouvernement libyen a participé à d'autres crimes terroristes et a

fomenté des organisations terroristes dans différents pays pendant une

période qui remonte à plus de vingt ans. Je n'énumérerai pas, à ce

0024C/CR/3/trad/ - 11 -

stade, les différents incidents dont il s'agit, mais je suis prêt à

donner de plus amples détails à ce sujet si les Membres de la Cour le

souhaitent. En fait, je crois qu'il suffira de mentionner très

brièvement certaines activités spécifiquement dirigées contre le

Royaume-Uni. Je peux citer le cas de l'agent de police qui a été

assassinée publiquement. à .Londres en 1984 à la suite des coups de feu

tirés de l'immeuble abritant la mission diplomatique de l'Etat libyen par

un membre du personnel de cette mission. C'est à la suite de cet

incident que les relations diplomatiques ont été rompues et n'ont pas été

rétablies. Par-dessus tout, il y a eu l'appui actif et publiquement

manifesté accordé à l'aile provisoire de l'IRA, organisation notoire pour

les actes de terrorisme répétés qu'elle a perpétrés au Royaume-Uni et

ailleurs. Dans le cadre de son appui matériel, le Gouvernement libyen a

notamment fourni et expédié les armes et les explosifs destinés aux actes

terroristes commis par l'aile provisoire de l'IRA.

Il n'est d'ailleurs pas nécessaire que la Cour prenne pour argent

comptant ce que je dis à ce sujet, car le chef de l'Etat libyen, le

colonel Kadhafi, a lui-même reconnu l'appui apporté par la Libye à l'IRA,

pas plus tard que le 7 décembre 1991, dans une interview accordée au

journal Al Ahram, et à nouveau le 2 mars 1992 dans l'allocution qu'il a

prononcée devant le Congrès général du peuple.

Le Gouvernement du Royaume-Uni considère par conséquent que la

participation du Gouvernement libyen à l'attentat de Lockerbie s'inscrit

dans le cadre d'un engagement systématique dans le terrorisme. Aussi

est-ce avec ce fait présent à 1' esprit que le Gouvernemen.t du Royaume-Uni

• a abordé la question. Après que les inculpations ont été annoncées par

le Lord Advocate le 14 novembre 1991, les actes d'accusation et les

mandats d'arrestation ont, comme je l'ai dit, été communiqués à la

0024C/CR/31trad/ - 12 -

Libye. Le mêmejour, au Parlement, le secrétaire aux affaires étrangères

a demandé à la Libye de faire droit à la demande du Lord Advocate tendant

à ce que les accusés soient livrés pour être jugés en Ecosse.

Ces demandes n'ont évoqué de la part de la Libye aucune réponse

satisfaisante, de sorte que le 27 novembre 1991, les Gouvernements

britannique et américain ont publié une déclaration (A/46/827; S/23308)

(doc. 14) où il était que la Libye devait :

livrer toutes les personnes accusées du crime pour qu'elles soient

traduites en justice et accepter la responsabilité des actes

commis par les agents libyens;

- divulguer tout ce qu'elle savait du crime; et

- payer des indemnités appropriées.

Simultanément, la France a fait une déclaration semblable à propos

de l'attentat à la bombe dirigé contre le vol 772 de la compagnie UTA.

En mêmetemps, les trois gouvernements ont publié une autre déclaration

dans laquelle ils ont demandé à la Libye de s'engager sans tarder à

mettre fin à toute forme d'activité terroriste (doc. 15).

Lorsque, finalement, le Gouvernement libyen n'a pas donné la suite

appropriée aux appels qui lui avaient été adressés par le Royaume-Uni,

les Etats-Unis et la France, le Gouvernement britannique a considéré

qu'il y avait lieu de porter la question devant l'Organisation des

Nations Unies. Commechacun sait, l'Organisation des Nations Unies a

fréquemment été saisie de la question du terrorisme. L'Assemblée

générale a depuis de nombreuses années à son ordre du jour une question

dont le titre commence par les mots "Mesures visant à prévenir le

terrorisme international". Des opérations terroristes comme les

détournements d'aéronefs ont fait l'objet de discussions aussi bien à

l'Assemblée générale qu'au Conseil de sécurité, mais aussi, évidemment,

au sein d'autres instances comme l'Organisation de l'aviation civile

0024C/CR/3/trad/ 13 -

ù19 internationale. Dès 1970, le Conseil de sécurité a adopté une résolution

(résolution 286 (1970)) relative aux détournements d'aéronefs et aux

autres formes d'ingérence dans les voyages internationaux. Le Conseil de

sécurité a manifesté la grave préoccupation que lui causait la menace qui

pesait sur la vie de civils innocents et a demandé aux Etats de prendre

toutes les mesures juridiques possibles pour prévenir toute ingérence

dans les liaisons aériennes internationales civiles. Dans sa

résolution 635 (1989), le Conseil de sécurité a condamné tous les

agissements illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile et

a demandé à tous les Etats de coopérer à l'application de mesures tendant

à prévenir tous les actes de terrorisme, y compris ceux perpétrés au

moyen d'explosifs.

Aussi est-ce dans le contexte de cette préoccupation fréquemment

exprimée par l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité face au

terrorisme et à ses effets que les Gouvernements du Royaume-Uni, des

Etats-Unis et de la France ont porté devant l'Organisation des

Nations Unies la question des attentats contre le vol 103 de la Pan Am et

le vol 772 de la compagnie UTA.

Le 31 décembre 1991, le représentant permanent du Royaume-Uni a fait

distribuer la déclaration faite par le Lord Advocate à propos de

l'enquête (A/46/826; S/23307) (doc. 13) au titre du point de l'ordre du

020 jour de l'Assemblée générale relatif au terrorisme. La question a été

inscrite à l'ordre du jour du Conseil de sécurité. Le mêmejour, le

Secrétariat a distribué la déclaration conjointe du Royaume-Uni et des

Etats-Unis, en date du 27 novembre, relative à l'attentat contre le

vol 103 de la Pan Am (A/46/827; S/23308) (doc. 14), de mêmeque la

déclaration conjointe des Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni

concernant le terrorisme, également en date du 27 novembre 1991

(A/46/828; S/23309) (doc, 15).

0024C/CR/3/trad/ - 14 -

Commeje l'ai déjà expliqué, c'est le 14 novembre que les Libyens

ont été invités pour la première fois à livrer les deux accusés, Deux

mois se sont écoulés sans que cette demande ait été suivie d'effet. La

Libye a certes présenté des communications de différents types, dont nous

traiterons à un stade ultérieur de nos plaidoiries. Toutefois, la Libye

n'a pas reconnu que le Gouvernement libyen eut été impliqué dans le

terrorisme, n'a pas accepté de livrer les deux accusés pour qu'ils

puissent être traduits en justice ou n'a pas accepté de donner suite aux

autres demandes spécifiques du Royaume-Uni, En conséquence, en janvier

de cette année, les Gouvernements des Etats-Unis, de la France et du

Royaume-Uni ont entrepris des consultations avec d'autres membres du

Conseil de sécurité en vue de l'adoption par ce dernier d'un projet de

résolution. Le 18 janvier, alors qu'un projet de résolution était à

l'examen, et avant que le Conseil de sécurité en débatte, la Libye a

adressé au Royaume-Uni ce qu'elle prétend aujourd'hui être une demande

tendant à ce que le différend soit soumis à l'arbitrage conformément au

paragraphe 1 de l'article 14 de la convention de Montréal. Le

21 janvier, le Conseil de sécurité a adopté à l'unanimité sa

résolution 731 (1992) (doc. 17). Dans cette résolution, le Conseil de

sécurité a réaffirmé ses résolutions antérieures concernant les menaces

que le terrorisme faisait peser sur l'aviation internationale, a

manifesté sa profonde préoccupation devant les résultats des enquêtes sur

l'affaire de Lockerbie et s'est dit résolu à éliminer le terrorisme

international, et a instamment demandé au Gouvernement libyen d'apporter

une réponse "pleine et effective" aux demandes formulées par les trois

gouvernements.

Lors de la séance au cours de laquelle le Conseil de sécurité a
021

adopté cette résolution, le représentant permanent du Royaume-Uni a

déclaré que le Gouvernement britannique espérait que la Libye se

0024C/CR/3/trad/ - 15 -

conformerait pleinement, positivement et sans tarder à la résolution du

Conseil. A cette fin, la Libye devrait mettre les deux accusés à la

disposition des autorités judiciaires en Ecosse ou aux Etats-Unis et, en

ce qui concerne l'incident de l'UTA, coopérer avec les autorités

judiciaires françaises. Le représentant permanent du Royaume-Uni a

ajouté que le Gouvernement britannique était fermement convaincu que,

dans les circonstances particulières de l'espèce, l'impartialité des

tribunaux libyens ne pouvait inspirer aucune confiance et qu'il ne serait

pas suffisant que les accusés soient jugés en Libye.

Je m'interromprai pour faire observer que l'un des leitmotifs, dans

les plaidoiries faites au nom de l'Etat requérant ce matin, a été qu'en

demandant que les inculpés soient remis, le Royaume-Uni violait, d'une

façon ou d'une autre, le principe selon lequel leur innocence devait être

présumée jusqu'à ce que leur culpabilité ait été établie.

Il est incontestable que mon collègue le Lord Advocate a

suffisamment d'éléments de preuve pour justifier la mise en accusation de

ces deux individus, mais s'ils sont traduits en justice en Ecosse, leur

culpabilité ou leur innocence sera déterminée non pas par le Lord

Advocate ou par le Royaume-Uni, mais par un jury de 15 hommes et femmes

ordinaires. Il a été répété aussi plus d'une fois ce matin que, d'une

façon ou d'une autre, la Libye avait le droit de juger ces individus, que

ce droit était basé sur l'exercice de sa souveraineté et que si la Libye

n'était pas autorisée à exercer sa souveraineté, cela aurait pour effet

de mettre fin au régime juridique international de lutte contre le

terrorisme mis en place au moyen de dix conventions.

Rien, à mon avis, ne pourrait être plus éloigné de la vérité,

L'objectif de ces conventions est de mettre en place un système de lutte

contre le terrorisme, et non de faire prévaloir les droits

juridictionnels un Etat sur ceux d'un autre. Rien ne pourrait plus

0024C/CR/3/trad/ ---------------------

- 16 -

rapidement réduire à néant le fragile système édifié par ces conventions

que le fait de permettre à un Etat qui est lui-même accusé de complicité

dans des actes de terrorisme de défier les revendications légitimes des

Etats victimes en insistant sur un droit illusoire de juger lui-même les

suspects.

Mais, pour revenir à l'enchaînement des événements, à la suite de

l''adoptioin de la résolution 731 (1992) du Conseil conformément au

paragraphe 4 de cette résolution, le représentant du Secrétaire général a

entamé des consultation avec les autorités libyennes. Le résultat de ces

consultations a été extrêmement confus. L'on en trouvera un compte rendu 4lf

dans deux rapports du Secrétaire général, qui ont été soumis à la Cour

{S/23574 et S/23672; doc. 19 et 20 respectivement). Je propose de

revenir dans un instant sur les difficultés que ces documents soulèvent

pour quiconque essaie de découvrir quelles sont les intentions de la

Libye à l'endroit des deux accusés. Pour le moment, je me bornerai à

dire que ni les résultats de ces consultations avec les autorités

libyennes, ni les actes ultérieurs de ces autorités, ne permettent de

penser que la Libye ait réellement l'intention de se conformer aux

dispositions de la résolution 731 (1992) du Conseil de sécurité. En

conséquence, les trois gouvernements ont discuté avec les autres membres

du Conseil de sécurité la possibilité pour ce dernier d'adopter une autre

décision tendant à obtenir l'application de cette résolution. Les

discussions entre les membres du Conseil sur les termes précis de cette

décision se poursuivent. Toutefois, il est envisagé que, dans une telle

décision, le Conseil, agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des

Nations Unies, imposerait des sanctions sélectives à la Libye dans le but

d'obtenir l'application de la résolution 731 (1992) du Conseil.

Monsieur le Président, Messieurs de la Cour,

0024C/CR/3/trad/ ~- -- -------------

'
- 17 -

Après avoir rappelé dans leurs grandes lignes les événements qui ont

précédé les audiences d'aujourd'hui, je tiens tout d'abord à dire que le

Royaume-Uni éprouve des difficultés à comprendre, eu égard à la position.

qu'elle a adoptée, la requête soumise par la Libye à la Cour ainsi que sa

. 023 demande en. indication de mesures conservatoires. Nos difficultés

tiennent, tout au moins en partie, à ce que force est d'appeler les

contradictions de la position libyenne. Permettez-moi de donner trois

exemples.

En premier lieu, la Libye a manqué de constance dans la façon dont

elle qualifie la nature du différend. Dans sa requête à la Cour et dans

sa demande en indication de mesures conservatoires, l'Etat requérant se

réfère à certains articles de la convention de Montréal en vertu

desquels, dit-il, la Libye a le droit de juger les délinquants allégués.

Dans le discours qu'il a prononcé devant le Conseil de sécurité avant

l'adoption de la résolution 731 (1992), le représentant de la Libye a

effectivement déclaré que les autorités de son pays étaient d'avis qu'il

existe un diférend de caractère purement juridique entre la Libye et les

trois gouvernements. En tant que tel, il s'agissait d'un différend qu'il

n'appartenait pas au Conseil de sécurité d'examiner. Je pense en

particulier au passage de son discours qui a été reproduit aux pages 12

à 16 du compte rendu sténographique officiel de la séance du Conseil de

sécurité, document qui a été soumis à la Cour (S/PV 3033, doc. 18).

024 Mais vous avez aussi devant vous, Monsieur le Président, Messieurs

de la Cour, une lettre datée du 13 mars 1992 (doc. 21) émanant de
..
M. Al-Béchari, ministre libyen des affaires étrangères, dans laquelle il

qualifie la procédure devant la Cour comme ayant simplement un caractère

"complémentaire" à celle en cours devant le Conseil. Or, quatre jours

plus tard seulement, dans une autre lettre (doc. 22), M. Al-Béchari

exprime à nouveau l'avis que toute cette question se ramène à un

0024C/CR/3/trad/ - 18 -

différend juridique qui doit être soumis à la Cour. Pour compliquer les

choses encore plus, il poursuit en disant que, par ailleurs, tout le

différend a un caractère politique et doit être réglé par des moyens

politiques. Il est clair que la Libye est incapable ne serait-ce que de

définir la nature du différend, sans parler mêmedes questions

spécifiques qui seraient en lit ige.

Nous avons éprouvé aussi de grandes difficultés à comprendre ce que

l'Etat requérant considère être les droits découlant de la convention de

Montréal qui, soutient-il, constituent l'objet du différend, Cette

difficulté n'est d'ailleurs pas surprenante étant donné, comme nous le

verrons plus loin, que ces soi-disant droits sont vides de toute

substance. Mais, pour le moment, je demande seulement à la Cour de noter

que dans toutes ses communications variées aux trois gouvernements et à

l'Organisation des Nations Unies et dans toutes ses demandes visant à

obtenir différentes formes de coopération, c'est dans sa demande du

18 janvier 1992 visant à soumettre la question à l'arbitrage en vertu de

la convention (doc. 16) que le Gouvernement libyen mentionne en fait pour

la première fois ses soi-disant droits en vertu de la convention.

Jusque-là, la Libye n'invoquait aucun droit en vertu d'un quelconque

traité international. Il nous semble clair que c'est seulement après

coup, et fort tard, que la Libye a pensé à la convention de Montréal et à

la possibilité de s'en servir comme argument qui serait avancé d'abord

lors du débat au Conseil de sécurité, trois jours plus tard seulement, et

maintenant devant la Cour.

025 La conviction que l'Etat requérant s'agrippe à tout argument, pour

faible qu'il soit et pour contradictoire qu'il soit avec les positions

qu'il a précédemment adoptées, est renforcée si l'on considère les

déclarations que la Libye a faites au sujet des bases de la juridiction

qu'elle invoque pour poursuivre les deux accusés. La position initiale

0024C/CR/3/trad/ - 19 -

de la Libye était qu'elle basait sa juridiction sur une disposition du

code pénal libyen du 28 novembre 1953 lui donnant compétence à l'égard

des ressortissants libyens ayant commis des infractions à l'étranger. Je

pense, par exemple, à la déclaration publiée par le comité libyen pour la

justice le 18 novembre 1991 (doc. 3), ainsi qu'au message que le juge

libyen chargé de l'enquête a adressé à l'Attorney General du

Royaume-Uni et qui était joint dans l'annexe à la note verbale du

27 novembre 1991 du comité libyen pour les affaires étrangères (doc. 5).

Dans chacun de ces documents, la Libye se fonde sur une disposition de

son droit interne qui n'a absolument rien à voir avec la convention de

Montréal et qui, en fait, existait bien avant que l'on commence mêmeà

penser à la convention de Montréal. En revanche, lorsque nous examinons

sa requête à la Cour, nous constatons que la Libye prétend fonder ses

droits de juger les deux accusés sur les paragraphes 2 et 3 de

l'article 5 de la convention de Montréal. En fait, comme on le verra

plus loin, le paragraphe 2 de l'article 5 n'a absolument rien à voir avec

la question, et le paragraphe 3 de l'article 5 n'est autre chose qu'une

disposition visant à sauvegarder toute juridiction préexistante des Etats

contractants. Une fois de plus, par conséquent, la Libye s'est écartée

de la position qu'elle avait précédemment adoptée en public et a, fort

tard, inventé un argument spécieux pour mettre la convention de Montréal

sur le tapis et essayer de soumettre toute cette question à la

juridiction de la Cour.

L'exemple peut-être le plus frappant des contradictions qui

caractérisent les positions adoptées par la Libye se trouve cependant

dans les déclarations faites par l'Etat requérant au sujet de

l'impossibilité d'extrader les accusés.

0024C/CR/3/trad/ - 20 -

v26 Dans sa requête à la Cour (p. 8), la Libye affirme que

l'article 493 (A) du code libyen de procédure pénale interdit

l'extradition de ressortissants libyens et qu'il n'y a par conséquent, en

droit libyen ou conformément à la convention de Montréal, aucune base qui

permette d'extrader les accusés. La mêmeposition a été adoptée dans une

lettre datée du 2 mars 1992, adressée au Secrétaire général par

M. Al-Béchar!. Ge dernier affirme en particulier que les autorités

libyennes "n'ont rien pu trouver qui pût leur permettre de donner suite

aux demandes formulées par ces Etats si ce n'est en contrevenant au

droit .•• Les autorités libyennes ne peuvent pas contourner cet obstacle ~

juridique ni porter atteinte aux droits des citoyens garantis par la loi."

Passons maintenant au second rapport du Secrétaire général de

l'Organisation des Nations Unies, en date du 3 mars 1992 (S/23672;

doc. 10), au paragraphe 4 duquel il est dit que le colonel Kadhafi a

déclaré que, s'il existe des obstacles constitutionnels qui empêchent la

remise des ressortissants libyens, ces obstacles pourraient être

surmontés. Une fois résolus ces problèmes constitutionnels, les

personnes accusées pourraient être remises à la France, à Malte, à tout

pays arabe ou même,en cas d'ume amélioration non spécifiée de leurs

relations bilatérales, aux Etats-Unis. De même,dans une lettre en date

du 27 février 1992 qui constitue l'annexe I audit rapport, M. Al-Bechari

envisage la possibilité que les accusés soient remis, sous la

responsabilité personnelle du Secrétaire général, à une tierce partie,

étant entendu que celle-ci ne ~aurai en aucun cas les extrader.

Une fois de plus, nous voyons la Libye dire une chose à un moment

donné et quelque chose de tout à fait différent, lorsque cela lui

convient, à un autre moment. En bref, et contrairement à ce que la Libye

sous-entend dans ses plaidoiries, il n'y a manifestement en droit libyen

0024C/CR/3/trad/ - 21 -

aucun obstacle insurmontable qui empêcherait le Gouvernement libyen de
027
remettre les accusés pour qu'ils soient poursuivi.s en Ecosse ou aux

Etats-Unis. Tout aussi clairement, il n'y a rien, dans la convention de

Montréal, qui l'empêche. Tout ce qui fait défaut, c'est une décision en

ce sens du Gouvernement libyen.

Monsieur le Président, il semblerait que les événements confirment

ce que je dis. L'on a appris, ces derniers jours, l'offre surprenante

faite par des représentants de la Libye à l'étranger, à savoir que la

Libye envisageait de remettre les deux accusés à la Ligue des Etats

arabes, à son si~ge au Caire, oà ils seraient remis au Secrétaire général

de l'Organisation des Nations Unies, lequel, à son tour, les remettrait

sans doute aux autorités judiciaires du Royaume-Uni ou des Etats-Unis

d'Amérique pour qu'ils soient jugés. Il semble maintenant que cette

offre ait été abandonnée. Toutefois, elle a été prise suffisamment au

sérieux pour que la Ligue des Etats.arabes constitue un comité, composé

notamment de quatre ministres des affaires étrangères et du secrétaire

général de la Ligue, chargé de se rendre à Tripoli sur l'invitation de la

Libye. Il est fort dommage que le comité soit rentré au Caire hier matin

les mains vides. En fait, il aurait fort bien pu rester chez lui si le

désaveu manifesté dans la lettre adressée au Président dont il vous a été

donné lecture ce matin avait été connu mardi.

Que devons-nous donc conclure de ces manoeuvres et de ces acrobaties

de la Libye ? La seule conclusion qui s'impose est certainement que la

Libye dira n'importe quoi, sans s'inquiéter des risques de se contredire,

qui puisse remettre à plus tard le moment d'accepter la responsabilité de

ses actes, Tel est, je le crains, le but réel de sa requête à la Cour et

de sa demande en indication de mesures conservatoires dont la Cour est

.aujourd'hui saisie et dont je traiterai maintenant plus en détail.

0024C/CR/3/trad/ - 22 -

II. Absence de juridiction potentielle de la Cour

Dans cette partie de ses plaidoiries, le Royaume-Uni démontrera tout

d'abord que la Libye n'a établi aucune base potentielle pour la

juridiction de la Cour. Bien que la question de savoir si la juridiction

était pertinente à l'étape des mesures conservatoires ait jadis fait

l'objet d'un vif débat, le critère est aujourd'hui clairement établi dans

la jurisprudence de la Cour. Commela Cour l'a affirmé à maintes

reprises, et tout dernièrement encore dans l'affaire concernant le

P.a.ssa.gepar le Grand-Bel t :

"en présence d'une demande en indication de mesures
conservatoires, point n'est besoin pour la Cour, avant de
décider d'indiquer ou non de telles mesures, de s'assurer de
manière définitive qu'elle a compétence quant au fond de
l'affaire, mais qu'elle ne peut indiquer ces mesures que si les
dispositions invoquées par le demandeur semble prima Eacie
constituer une base sur laquelle la compétence de la Cour
pourrait être fondée" ( C.I.J. Recueil 1991, p. 15 1 par. 14).

Dans la présente affaire, la seule base qui ait été invoquée pour

justifier la juridiction de la Cour est le paragraphe 1 de l'article 14

de la convention de Montréal, qui a déjà été cité. Voilà donc quelle est

la seule base possible de la juridiction de la Cour. Il convient de

noter aussi à quel point cette juridiction serait limitée. Cette

disposition ne confère de juridiction qu'en ce qui concerne les

différends relatifs à l'interprétation ou à l'application de la

convention de Montréal, et rien d'autre. La Cour ne peut pas conséquent

avoir compétence que s'il est établi qu'un tel différend existe.

Mais s'il faut qu'il existe un différend, l'existence d'un

différend, en soi, ne suffit pas à fonder la juridiction de la Cour. La

disposition que la Libye invoque est différente des dispositions touchant

la compétence qui ont été invoquées dans la plupart des demandes en

indication de mesures conservatoires soumises à la Cour, en ce sens que

029
le paragraphe 1 de l'article 14 fait à tout Etat souhaitant soumettre un

0024C/CR/3/trad/ - 23 -

tel différend à la Cour l'obligation d'accomplir préalablement un certain

nombre de formalités essentielles. Je vous invite à vous reporter à cet

article. Commeon peut le voir :

1) la première formalité est qu'il doit y avoir une tentative, faite de

bonne foi, de régler le différend par voie de négociation. Ce n'est

que si le différend "ne peut pas être réglé par voie de négociation"

qu'un Etat peut passer à l'étape suivante envisagée par l'article 14;

2) la deuxième formalité exigée par cet article est que le différend doit

être soumis à l'arbitrage à la demande de l'une des parties. Les

parties se voient ensuite impartir un délai dans lequel elles doivent

s'entendre sur l'organisation de l'arbitrage;

3) ce n'est que si les parties ne peuvent pas s'entendre sur

l'organisation de l'arbitrage "dans les six mois qui suivent la date

de la demande de l'arbitrage" qu'elles peuvent soumettre le différend

à la Cour;

Dans ses plaidoiries de ce matin, le conseil de la Libye a

virtuellement ignoré ces dispositions du paragraphe 1 de l'article 14 :

au lieu d'essayer de montrer que la Libye s'était conformée à ces trois

exigences, dont je tiens à souligner qu'elles constituent des conditions

préalables essentielles à toute compétence de la Cour dans la présente

affaire, le conseil de la Libye a essayé de mettre en relief la question

tout à fait différente de savoir si la convention de Montréal conférait à

la Libye une compétence à l'égard des deux accusés. Cela est évidemment

une question qui a trait au fond de la requête et qui n'a absolument

aucune pertinence s'agissant de savoir si le paragraphe 1 de l'article 14

constitue ou non, prima facie, une base qui fonderait la compétence de

la Cour concernant la requête de la Libye.

0024C/GR/3/trad/ - 24 -

\;
Le conseil de la Libye a également essayé d'arguer qu'il~exi unsete

obligation générale de régler les différends par des moyens pacifiques,

Cette affirmation tout à fait évidente ne saurait constituer une base

030 accessoire de la compétence de la Cour si, comme le soutient le

Royaume-Uni, la Libye ne s'est pas conformée aux conditions essentielles

imposées par le paragraphe 1 de l'article 14 et si, par conséquent, il

n'y a pas, prima Eacie, de base sur laquelle la compétence de la Cour

pourrait être fondée. Je m'étendrai donc quelque. peu sur ces exigences

étant donné qu'elles doivent être examinées en détail.

En résumé, dans cette partie de son argumentation, le Royaume-Uni

soutient qu'avant de déposer sa requête, le 3 mars, la Libye n'a

manifestement pas

a) établi ou défini un différend qui relèverait du paragraphe 1 de

l'article 14; ou

b) rempli les autres conditions stipulées par cette disposition.

J'insiste à nouveau sur le fait que la date critique, dans le

contexte de ces deux arguments, est la date à laquelle la requête a été

déposée.

A. La Libye n'a pas établi l'existence d'un différend concernant la
convention de Mon.tréal

Le Royaume-Uni soutient que la Libye n'a pas établi qu'il existait,

avant le 3 mars 1992, un différend entre les Parties concernant

l'interprétation ou l'application de la convention de Montréal.

L'existence d'un tel différend, et une définit ion suffisante des

questions en litige, sont des conditions de compétence fondamentales en

vertu de l'article 14.

Commele Royaume-Uni ne croit pas que la convention de Montréal soit

en cause, il n'a jamais soulevé auprès de la Libye de questions touchant

son application ou son interprétation. Les demandes formulées par le

0024C/CR/3/trad/ ------------~----

- 25 -

Royaume-Uni, dont j'ai déjà parlé, sont basées non pas sur la convention

de Montréal mais plutôt sur les obligations juridiques internati.onales

plus générales de la Libye. Ces questions ont maintenant été examinées

par le Conseil de sécurité, qui a statué à leur sujet en adoptant sa

résolution 731 (1992), dans laquelle il a demandé à la Libye d'apporter

une réponse complète et effective à ces demandes,

031 Ce qui est en cause entre la Libye et le Royaume-Uni, c'est

l'application de la résolution 731 (1992) du Conseil de sécurité. Il ne

s'agit pas d'un différend concernant l'interprétation ou l'application de

la convention de Montréal.

Si, par conséquent, le paragraphe 1 de l'article 14 de la convention

de Montréal doit être, prima Eacie, la base sur laquelle la juridiction

de la Cour pourrait être fondée dans la présente affaire, ce ne peut être

que parce qu'il existe entre la Libye et le Royaume-Uni un différend

touchant l'interprétation ou l'application de la convention, ce qui est

un problème séparé des distinct des questions liées à l'application de la

résolution 731 (1992) du Conseil.

Dans l'avis qu'elle a rendu récemment dans l'affaire concernant

l'Applicabilité de l'obligation d'arbitrage (C.I.J. Recueil 1988,

p. 27, par. 35), la Gour a confirmé que "l'existence d'un différend

international demande à être établi objectivement" (ce qu'elle avait déjà

souligné dans l'affaire de l'Interprétation des traités de paix

(C.I.J. Recueil 1950, p. 74) et a répété la définition que la Gour

permanente avait donnée d'un différend dans l'affaire des Concessions

Mavrommatis en Palestine, comme étant "un désaccord sur un point de

droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques

ou d'intérêts entre deux personnes" (C.P.J.I. série A n° 2, p. 11).

0024C/CR/3/trad/ - 26 -

1
Dans son avis consultatif dans l'affaire de l'Applicabilité de
i
l'obligation d'arbitrage, la Cour a également confirmé un passage de

1
l'arrêt rendu dans les affair~ ds Sud-Ouest africain qui est
1
particulièrement pertinent dans la présente affaire
1
"Il ne suffit pas q~e l'une des parties à une affaire

contentieuse affirme l'eXistence d'un différend avec l'autre
partie. La simple affirmation ne suffit pas pour prouver
l'existence d'un différerid, tout comme le simple fait que
l'existence d'un différe ~st contestée ne prouve pas que ce
différend n'existe pas. ill n'est pas suffisant non plus de

démontrer que les intérêts 1 de deux parties à une telle affaire
sont en conflit, Il faut démontrer que la réclamation de 1 'une
des parties se heurte à !l'opposition manifeste de l'autre."
(C. I.J. Recueil 1962, p. !328.)
1
032 Mais avant la présentatio'n de sa requête à la Cour, la Libye n'a pas
1
'
établi l'existence ou défini !:'objet d'un tel différend entre elle et le

Royaume-Uni en vertu de la codvention de Montréal.
1

Entre le 14 novembre 19911, date à laquelle le Lord Advocate a publié
i
sa déclaration concernant l'émission de mandats d'arrestation des deux

accusés, et le 18 janvier l992i, date à laquelle la Libye a écrit au

Gouvernement britannique pour '1uggérer un arbitrage (S123441;
1
document 16), la Libye a adres'sé un certain nombre de communications au
1
Gouvernement du Royaume-Uni, ap Secrétaire général de l'Organisation des

Nations Unies et au Président hu Conseil de sécurité. Je pense en
1
parti culi er aux documents 3, 51, 6, 11 et 12 soumis par le Royaume-Uni.
1
Aucune de ces communications n~1 mentionnait la convention de Montréal.
1

Ainsi, comme je l'ai déjà! fait observer, c'est dans sa lettre du
1 .
18 janvier 1992 que la Libye srest référée à la convention la premiere

fois. Dans cette lettre, la Libye déclarait avoir établi sa juridiction
1
1
à l'égard des deux suspects eniapplication des paragraphes 2 et 3 de
1
l'article- 5 de la convention, iLa Libye déclarait en outre qu'elle avait
f
1
soumis la question à ses autor~t1 cos pétentes pour l'exercice de

l'action pénale conformément à!l'article 7 de la convention et avait
1

0024C/CR/3/trad/ - 27 -

demandé au Royaume-Uni (entre autres) de coopérer mais n'avait reçu

aucune réponse. La libye affirmait ensuite dans sa lettre que la

réaction du Royaume-Uni et des Etats-Unis avait rendu tout règlement

négocié impossible et elle proposait un arbitrage, en invoquant

expressément le paragraphe 1 de l'article 14.

La lettre du 18 janvier n'affirmait pas expressément l'existence

d'un différend entre la Libye et le Royaume-Uni, encore qu'une telle

affirmation puisse sans doute être déduite implicitement de la référence

qui est faite à l'article 14 de la convention. Chose plus grave, elle ne

donnait guère d'indication sur ce qu'était, de l'avis de la Libye, le

- 033 contenu de ce différend. Si, pour paraphraser l'arrêt rendu dans les

affaires du Sud-OUest africain, il faudrait montrer que l'affirmation

de l'une des parties concernant l'interprétation ou l'application de la

convention de Montréal se heurte à l'opposition manifeste de l'autre, la

lettre du 18 janvier ne fait rien apparaitre de tel. Avant la requête,

cette affirmation n'a jamais été articulée devant le Royaume-Uni en

termes suffisamment clairs pour lui permettre de décider si elle appelait

son "opposition manifeste" et pour le faire savoir à la Libye. Dans

l'arrêt qu'elle a rendu dans l'affaire des Concessions Mavrommatis en

Palestine, la Cour permanente a reconnu qu'"avant qu'un différend fasse

l'objet d'un recours en justice, il importe que son objet ait été

nettement défini au moyen de pourparlers diplomatiques"

(C.P.J.I. série A no 2, p. 15). La Cour internationale de Justice a

adopté la mêmeapproche dans l'affaire concernant l'Applicabilité de

l'obligation d'arbitrage, lorsqu'elle a souligné que l'objet du

différend entre l'Organisation des Nations Unies et les Etats-Unis en

vertu de l'accord relatif au Siège de l'Organisation avait été clairement

défini dans les lettres que le Secrétaire général avait adressées au

Gouvernement des Etats-Unis.

0024C/CR/3/trad/ - 28 -

Dans sa plaidoirie mon amie MmeHiggins développera davantage

l'argument tiré du fait que la Libye n'a pas identifié de différend.

B. La Libye n'a pas satisfait aux exigences stipulées dans la convention
concernant l'introduction d'une action devant la Cour

En outre, le Royaume-Uni soutient que mêmes'il existe un différend

entre la Libye et lui touchant l'interprétation et l'application de la

convention de Montréal, la Libye n'a pas, avant la date critique,

c'est-à-dire avant la pr~sentati doensa requête à la Cour, accompli les

formalités 'essentielles requises au paragraphe 1 de l'article 14.

034 Ces étapes sont des conditions préalables à toute compétence de la

Cour. Commecelle-ci le fait observer dans les affaires du Sud-Ouest

africain, il faut déterminer si, à la date du dép6t de la requête, ces

conditions étaient remplies. Si, à cette date, elles n'avaient

manifestement pas été remplies, le paragraphe 1er de l'article 14 ne

peut pas, prima Eacie, constituer une base sur laquelle pourrait être

fondée la compétence de la Cour.

1. Le différend n'a pas été réglé par voie de négociations

La première condition préalable est qu'il ne doit pas avoir été

possible de régler le différend au moyen de négociations. La règle selon

laquelle seul un différend ne pouvant pas être réglé au moyen de

négociations peut être soumis à d'autres moyens de règlement se trouve

dans les dispositions relatives au règlement des différends de nombreux

traités. Cette règle n'est pas une simple formalité, Le libellé du

paragraphe 1 de l'article 14 vise expressément non les différends qui

n'ont pas été réglés mais plut6t les différends qui ne peuvent pas être

réglés au moyen de négociations. Il n'appartient pas au requérant, dans

la présente affaire, de considérer purement et simplement que cette

condition n'est pas applicable.

0024C/CR/3/trad/ --------------~----------~------------------- -------------------

- 29 -

Dans sa requête (p. 3), la Libye affirme avoir fait différentes

ouvertures diplomatiques devant le Conseil de sécurité de l'Organisation

des Nations Unies et ailleurs avant de conclure que le différend ne

pouvait pas être réglé au moyen de négociations. A ce stade de la

présente affaire, le Royaume-Uni souhaite souligner deux points seulement

en réponse à cette affirmation.

Premièrement, il est vrai que la Cour a considéré, par exemple dans

l'affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis 'à

Téhéran, qu'un Etat n'est pas tenu de persévérer dans ses tentatives de

négociation une fois qu'il est apparu clairement que ces tentatives sont

vouées à 1 'échec. En 1 'occurrence,. toutefois, 1 'objet du différend avait

été clairement identifié à un stade très précoce de l'affaire. Tel était
035

aussi le cas du différend dans l'affaire de l'Applicabilité de

l'obligation d'arbitrage. Dans la présente affaire, toutefois, l'objet

du différend n'a pas été clairement identifié.

Ce matin, le conseil de la Libye s'est référé au passage de l'arrêt

rendu dans l'affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine, dans

lequel la Cour permanente a considéré que les négociations n'avaient pas

à être longues. Dans ladite affaire, toutefois, la Cour permanente est

parvenue à la conclusion qu'il n'était pas nécessaire que les

négociations se poursuivent entre les deux parties précisément parce que

les points en litige entre les deux Etats avaient déjà été débattus en

détail dans la correspondance échangée entre le Royaume-Uni et

M. Mavrommatis. Il n'y a dans la présente affaire aucun équivalent à cet

inventaire préalable des éléments du différend.

Le deuxième point que nous souhaitons soulever à ce stade est

qu'alors mêmeque la Cour a considéré dans les affaires du Sud-Ouest

africain que dans certaines circonstances, des discussions au sein des

divers organes des Nations Unies peuvent se substituer aux négociations

0024C/CR/3/trad/ - 30 -

4irectes plus traditionnelles, de sorte que le Libéria et l'Ethiopie

n'étaient pas tenus de suivre la formalité de pourparlers directs avec

l'Afrique du Sud, la Cour a ajouté ce qui suit :

"Mais, bien que le différend qui s'est élevé au sein des
Nations Unies et celui qui est présentement soumis à la Gour
puissent être considérés comme deux litiges distincts, les
questions en cause sont identiques." (C.I.J. Recueil 1962,
p. 345.)

Le Royaume-Uni soutient néanmoins que tel est loin d'être le cas en

l'espèce, S'il existe entre le Royaume-Uni et la Libye un différend

relevant du paragraphe 1er de l'article 14 de la convention de

Montréal, ce litige est très différent des questions qui ont été

examinées lors des débats qui ont eu lieu au Conseil de sécurité et des •

consultations entreprises sur l'initiative du Secrétaire général. Ni les

débats, ni le processus de consultation, n'ont contribué de quelque

manière que ce soit à élucider l'objet d'un quelconque différend relevant

de l'article 14.

036 2. La Libye n'a pas soumis une demande d'arbitrage valable

La deuxième des trois conditions préalables stipulées à l'article 14

est que le différend ait été soumis a l'arbitrage à la demande de l'une

des parties. Dans sa requête, la Libye affirme avoir, dans sa lettre du

18 janvier, présenté une demande d'arbitrage au sens du paragraphe 1er

de l'article 14. Mais cette lettre ne peut valoir demande au sens du

paragraphe 1er de l'article 14 car elle n'essaie pas de définir le

différend que la Libye prétend exister entre elle et le Royaume-Uni. La

lettre n'accuse pas le Royaume-Uni d'avoir violé une disposition

spécifique quelconque de la convention. Elle ne suggère pas non plus

quelles sont les questions. qui pourraient être soumises à l'arbitrage. A

notre avis, il est essentiel qu'une partie qui demande un arbitrage

formule les questions à propos desquelles elle considère qu'un différend

0024C/CR/3/trad/ - 31

existe et qu'elle souhaite voir trancher par les arbitres. Une simple

demande d'arbitrage faite dans l'abstrait sans formuler les questions en

cause n'est pas une demande valable d'arbitrage au sens du

er •
paragraphe 1 de l'article 14. Cela est particulierement le cas

lorsque, comme en l'occurrence, les communications précédentes n'avaient

aucunement pu contribuer à établir l'existence d'un différend ou à

préciser sa nature.

3. Le délai de six mois stipulé au paragraphe 1 de l'article 14 n'a pas
expiré

Il y a lieu de relever en outre que la Libye n'a pas rempli la

troisième condition préalable stipulée au paragraphe 1 de l'article 14,

qui prévoit qu'un différend ne peut être soumis à la Cour que si les

parties au litige ne peuvent s'entendre sur l'organisation de l'arbitrage

"dans les six mois qui suivent la date de la demande de l'arbitrage", en

anglais "within six months from the date of the request for

arbitration". La Libye reconnaît que sa demande d'arbitrage n'a été

formulée que le 18 janvier 1992, de sorte que le délai de six mois

stipulé au paragraphe 1 de l'article 14 n'avait pas expiré lorsque la

Libye a déposé sa requête auprès de la Cour le 3 mars et n'a d'ailleurs

toujours pas expiré. Lors du débat au Conseil de sécurité qui a précédé

l'adoption de la résolution 731 (1992), le représentant de la Libye

lui-même a reconnu qu'une saisine de la Cour ne serait possible qu'à la

suite d'un compromis ou après l'expiration du délai imparti pour

l'arbitrage. Il a déclaré ce qui suit :

"Mon pays est disposé à conclure immédiatement, avec
toutes les parties intéressées, un accord de circonstance
visant à saisir la Cour internationale de Justice dès
l'expiration du court délai fixé pour conclure un accord en vue
de l'arbitrage, ou à n'importe quelle autre date proche et
appropriée, si les pays intéressés acceptent d'aller au-delà du
stade de l'arbitrage et des délibérations d'un jury
d'arbitrage." (S/PV 3033, p. 23.) [Doc, no 18.]

0024C/GR/3/trad/ - 32 -

Contrairement à ce qui a été dit alors, la Libye soutient maintenant

qu'elle n'était pas tenue d'attendre six mois étant donné que le

Royaume-Uni a rejeté l'arbitrage et qu'il est clair, dit-elle, qu'aucun

accord n'interviendra. Cet argument est dépourvu de fondement en

l'absence de demande d'arbitrage valable au sens du paragraphe 1 de

l'article 14. Néanmoins, le Royaume-Uni soutient en outre qu'en tout

état de cause, cet argument est basé sur une interprétation erronée du

paragraphe 1er de l'article 14.

Premièrement, l'argument libyen est contraire au sens évident du

paragraphe 1er de l'article 14. Ce texte donne aux parties à un

différend six mois à compter de la date de la demande d'arbitrage pour
'
s'entendre sur l'organisation de l'arbitrage, Ce que la Libye demande à

la Cour de faire - et ce au stade des mesures conservatoires - est de

lire entre les lignes et de considérer qu'une partie (il y a lieu de

présumer que ce peut être l'une ou l'autre) a implicitement le pouvoir de

soumettre le différend à la Cour avant l'expiration de ce délai de six

mois.

Deuxièmement, l'argument libyen ignore le contexte de la disposition

prévoyant ce délai de six mois. Il ne s'agit pas d'un obstacle formel ou

technique à la soumission de différends à la Cour, mais plutôt d'un

élément faisant partie intégrante du système mis en place par le
038 er
paragraphe 1 de l'article 14, selon lequel les différends ne doivent

être soumis à l'arbitrage que s'ils ne peuvent pas être réglés au moyen

de négociations. L'arbitrage est envisagé comme le moyen normal de

règlement des différends par une tierce partie conformément à la

convention, la saisine de la Cour ne devant intervenir qu'en dernier

ressort.

0024C/CR/3/trad/ ..·· - 33 -

Commela convention de Montréal ne prévoit pas de tribunal permanent

mais laisse aux parties à un différend le soin de s'entendre sur tous les

aspects de la création d'un tribunal et de l'organisation de l'arbitrage,

il y a le risque évident que les Parties ne puissent pas s'entendre sur

tel ou tel aspect de l'arbitrage, de sorte que la soumission du différend

à 1' arbitrage soit imposai ble ou que la procédure. devienne interminable.

Aussi le paragraphe 1er de l'article 14 impose-t-il un delai : si les

parties ne peuvent pas s'entendre.dans un délai de six mois, l'une ou

l'autre peut soumettre le différend à la Cour. Le but de cette

disposition est de décourager des tactiques dilatoires et d'accroître les

chances que les parties parviennent à un accord au sujet d.e 1' arbitrage.

Son but n'est pas d'élever une barrière purement formelle qu'une partie

devrait franchir avant de pouvoir soumettre une affaire à la Cour. Cette

interprétation est renforcée par le fait que le paragraphe 1er de

l'article 14 permet à l'une ou l'autre des parties à un différend- pas

seulement à la partie ayant initialement demandé l'arbitrage - de

soumettre un litige à la Cour une fois que le délai de six mois a expiré.

Les dispositions relatives au règlement des différends qui prévoient

des .procédures à plusieurs niveaux envisagent fréquemment un délai

semblable à celui envisagé au paragraphe 1er de l'Article 14. C'est

ainsi que, dans l'avis consultatif qu'elle a rendu au sujet de

l'Interprétation des Traités de Paix, la Cour a dû analyser une clause

qui stipulait ce qui suit :

"tout différend relatif à l'interprétation ou à l'exécution de
ce traité, qui n'a pas été réglé par voie de négociations
diplomatiques directes, sera soumis aux trois chefs de mission,
agissant comme il est prévu à l'Article 35 ••• Tout différend
de cette nature qu'ils n'auraient pas encore réglé dans un
délai de deux mois sera, sauf si les parties au différend
conviennent l'une et l'autre d'un autre mode de règlement,
.soumis à la requête de l'une ou l'autre des parties, à une

commission •.• "(C.I.J. Recueil 1950, p. 73.)

0024C/CR/3/trad/ - 34 -

En réponse à la question de savoir si les intéressés avai.ent

l'obligation de mettre en route le mécanisme de la commission, la Cour a

noté qu'il existait au sujet du traité un différend qui n'avait pas été

réglé par voie de négociation ou par les chefs de mission et que le

Royaume-Uni et les Etats-Unis "après l'expiration du délai prescrit"

avaient demandé que le différend soit soumis à la commission. Il semble

avoir été tenu pour acquis qu'une telle demande ne pouvait être formulée

qu'après l'expiration du délai de deux mois.

De même,dans son opinion concernant l'affaire des Activités

militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci

(Nicara.guac. Etats-Unis d'Amérique), M. Nagendra Singh a examiné les

dispositions relatives au règlement des différends figurant dans la

convention de 1973 relative à la prévention et à la répression des crimes

contre des personnes jouissant d'une protection internationale (le

libellé de cette disposition est essentiellement identique à celui du

paragraphe 1er de l'article 14 de la convention de Montréal). M.

Nagendra Singh a commenté qu'en vertu de la convention de 1973,

"l'écoulement d'un délai de six mois à compter de la date de la demande

d'arbitrage était une condition préalable à la soumission du différend à

la Cour internationale de Justice".

La Libye essaie de contourner les dispositions du paragraphe 1 de

l'article 14 en arguant que le Royaume-Uni a rejeté l'arbitrage. La

Libye se réfère, et s'est encore référée aujourd'hui, à une déclaration

faite par le représentant du Royaume-Uni devant le Conseil de sécurité.

Cependant, lorsque l'on analyse le texte de cette déclaration, on

constate qu'elle ne confirme pas l'affirmation de la Libye, Ce que

l'ambassadeur du Royaume-Uni a dit effectivement lors du débat qui a

précédé l'adoption de la résolution 731 (1992), c'est ce qui suit :

0024C/CR/3/trad/ - 35 -

11
La lettre en date du 18 janvier concernant une demande
d'arbitrage au titre de l'article 14 de la convention de
Montréal n'est pas pertinente dans le cas dont est saisi le
Conseil. Le Conseil n'est pas, selon les termes de
l'article 14 de la convention de Montréal, saisi d'un différend
entre deux parties contractantes ou plus, concernant
l'interprétation ou l'application de la convention de
Montréal. Ce qui nous occupe ici, c'est la réaction appropriée
·_o 40 de la communauté internationale devant la situation découlant
du fait que la Libye n'a pas, à ce jour, répondu de façon
crédible aux graves accusations selon lesquelles un Etat aurait
participé à des actes de terrorisme." (S/PV 3033, p. 104;

D 14.)

Cette déclaration confirme seulement que les questions dont

débattait le Conseil de sécurité n'avaient pas trait à l'interprétation

ou à l'application de la convention de Montréal. En présence de cette

déclaration, la Libye était incontestablement tenue d'affirmer

l'existence d'un différend distinct et bien défini au regard de la

convention, si tel était réellement sa position.

Or, six semaines plus tard, lorsqu'elle a déposé sa requête, la

Libye n'avait toujours pas défini l'objet du différend à propos duquel

elle prétend avoir demandé un arbitrage, Elle avait enterré sa mention

de l'arbitrage dans toute une série de propositions - toutes présentées

au Secrétaire général - concernant la création de commissions

internationales, l'ouverture d'enquêtes et la mise en place de

ft· "mécanismes" dans le contexte de la résolution 731 (1992). Ce que la

Libye cherche réellement à obtenir, c'est de pouvoir, dans sa requête à

la Cour, franchir d'une seule enjambée les trois étapes distinctes et

successives envisagées au paragraphe 1er de l'article 14.

Ici, pour la première fois, la Libye essaie d'exposer (encore que de

façon peu précise) ce qu'elle allègue être son différend touchant

l'interprétation ou l'application de la convention de Montréal. Elle

demande ensuite à la Cour de supposer que les négociations ont été

futiles {bien qu'elle n'ait jamais demandé l'ouverture de négociations au

sujet de ce différend), qu'elle a soumis le différend à l'arbitrage (bien

0024C/CR/3/trad/ - 36 -

qu'elle n'ait jamais dit précédemment quelles questions elle entendait

soumettre à l'arbitrage) et que l'on ne pourrait jamais parvenir à un

accord au sujet de l'arbitrage (bien que la Libye n'ait formulé aucune

proposition qui aurait pu déboucher sur un tel accord), et tout cela de

façon à pouvoir méconnaître les conditions claires et expresses stipulées

au paragraphe 1 er de l'article 14. Il n'est donc pas surprenant que

ces conditions aient si peu retenu l'attention ce matin.

Conclusion
041

Pour toute ces raisons, par conséquent, le Roya~e-Uni soutient que le

paragraphe 1 de l'article 14 n'offre manifestement aucune base à la

compétence de la Cour et que la Cour devrait par conséquent, pour ce

motif seulement, refuser d'indiquer les mesures conservatoires.

Avec tout le respect que je dois à ·la Cour, il me semble qu'il est

toujours nécessaire de garder présent à l'esprit l'avertissement lancé

par sir Hersch Lauterpacht dans son opinion individuelle dans l'affaire

Hinterhandel, lorsqu'il a dit :

"Il convient de ne pas décourager les gouvernements
d'accepter ou de continuer d'accepter les obligations du
règlement_ judiciaire, en raison de la crainte justifiée qu'en
les acceptant ils risqueraient de s'exposer à la gêne, aux
vexations et aux pertes pouvant résulter de mesures
conservatoires dans le cas où il n'existe aucune possibilité
raisonnable de compétence au fond •.. " (C.I.J. Recueil 1951,
p. 118.)

La nécessité de respecter cette maxime est d'autant plus impérieuse

lorsque, comme en l'espèce, d'autres arguments militent solidement contre

une indication de mesures conservatoires. Les observations du

Royaume-Uni touchant ces autres arguments seront exposées par

MmeHiggins.

042 le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de Président : Je vous remercie,

Monsieur Rodger. L'audience sera maintenant suspendue dix minutes.

L'audience est suspendue de 4h25 à 4h40.

0024C/CR/3/trad/ 37 -

Le VICE-PRESIDENTfaisant fonction de PRESIDENT Veuilllez prendre

place, je donne maintenant la parole à MmeHiggins.

MmeHIGGINS : Monsieur le Président, Messieurs les Membres de la

Cour, il ne s'agit pas d'une simple formalité si je dis que c'est le plus

grand honneur que de me présenter devant la Cour au nom de mon pays. Cet

après-midi j'ai pour tâche d'exposer les positions relatives aux

troisième et quatrième parties de notre argumentation. La troisième

concerne l'article 41 du Statut et nous estimons que les mesures

conservatoires demandées par la Libye ne doivent pas être indiquées, car

elles ne satisfont pax aux exigences de l'article 41 du Statut.

Quand une partie demande des mesures conservatoires alors que, comme

en l'espèce, la compétence de la Cour sur le fond n'a pas encore été

établie et sera probablement contestée, il faut satisfaire à une série

d'exigences intermédiaires. La Cour doit s'assurer elle-même qu'elle est

compétente à première vue en vertu de l'instrument, quel qu'il soit, qui

est censé constituer la base de la compétence pour connaître du

différend. Elle doit aussi déterminer si les conditions de l'article 41

du Statut sont remplies : la première d'entre elles est que les

~ circonstances exigent l'indication de mesures conservatoires et la

seconde que lesdites mesures soient indiquées à seule fin de sauvegarder

les droits des parties.

L'ordre dans lequel la Cour devrait franchir ces portails

intermédiaires peut donner matière au désaccord. Au fur et à mesure des

années divers membres de la Cour ont adopté des points de vue différents

et certains ont soutenu qu'il existe toujours une compétence incidente

pour décider si les circonstances exigent d'awcune manière des mesures

conservatoires. C'est seulement au cas où elle répond par l'affirmative

043 que la Cour doit alors déterminer si elle peut les indiquer en retenant

0024C/CR/3/trad/ - 38-

que la compétence sur le fond existe à première vue. D'autres ont estimé

que la Cour doit d'abord établir que sa compéte.nce sur le fond existe à

première vue avant tout examen des exigences de l'article 41.

Si l'existence à première vue de la compétence doit d'abord être

établie avant tout examen des critères de l'article 41 et si la Cour

accueille la conclusion du Royaume-Uni selon laquelle il n'existe à

première vue aucune compétence fondée sur la convention de Montréal,

point n'est besoin d'aller plus loin. L'affaire du Plateau continental

de la mec Egée donne lieu de penser que, de l'avis de la Cour, des

mesures conservatoires n'étaient pas nécessaires "étant parvenue à

cette conclusion, la Cour n'avait pas à trancher la question de sa

compétence éventuelle au fond, mêmeprima Eacie". Cet ordre à suivre

dans l'examen des facteurs pertinents réserve en entier la question de la

compétence pour des débats exhaustifs et une décision future. Certes

cette possibilité suppose à titre de condition sine qua non que

l'article 41 soit considéré comme un titre de compétence autonome pour la

Cour : les divers Membres de la Cour ont exprimé des points de vue

différents à ce sujet au cours des années.

LES DROITS

A. Les droits à protéger ne doivent pas être illusoires

L'article 41 prévoit la protection des droits lorsque les

circonstances l'exigent et j'examinerai d'abord les droits.

Pour que la compétence dont elle dispose lui permette d'envisager

des mesures conservatoires alors que la compétence sur le fond n'a pas

encore été établie, la Cour doit s'assurer qu'elle est compétente à

première vue en vertu de l'instrument applicable et non qu'au premier

abord le demandeur a des chances d'obtenir gain de cause sur le fond.

OOi4C/CR/3/trad/ - 39 -

044 Toutefois, quand les exigences de l'article 41 entrent en ligne de

compte, la question se présente autrement. Alors la Cour décide quelles

mesures sont nécessaires pour conserver les droits de l'une des parties.

A ce stade il faut, en un sens général, se référer aux droits tels que la

partie intéressée les a définis et qu'ils restent à apprécier sur le

fond. Encore faut-il que le droit ne soit pas illusoire, ou à l'évidence

dépourvu de fondement.

La phase des mesures conservatoires n'est pas un moment opportun

pour développer l'affaire sur le fond. Pourtant, selon les termes de

M. Shahabuddeen en l'affaire du Passage par le Grand-Belt (Finlande

c. Danemark) C.I.J. Recueil 1991, p. 28)

"est-il loisible à la Cour, par des mesures conservatoires,
d'empêcher un Etat de faire ce qu'il prétend avoir le droit de
faire, sans l'avoir entendu défendre ce droit, ou sans avoir
exigé de l'Etat requérant qu'il démontre au moins la
possibilité de l'existence du droit pour la sauvegarde duquel
les mesures sont demandées" ?

M. Shahabuddeen fait observer que la Cour n'a jamais eu l'occasion

de statuer sur cette question, mais il évoque la nécessité de présenter

"des éléments suffisants pour prouver la possibilité de l'existence du

droit ••• [que- l'on] cherche à voir sauvegarder". Tout en indiquant avec

clarté que la Cour n'a pas statué en la forme sur ce point,

M. Shahabuddeen estime qu'en l'affaire des Otages (1979, p. 17-20, par.

34-43)

"la Cour se souciait manifestement d'obtenir confirmation

effective de ce qu'elle était fondée à considérer que les
droits que l'on cherchait à faire protéger par des mesures
conservatoires existaient bien au regard du droit international
et qu'Us étaient effectivement violés" (p. 33),

Le Royaume-Uni appuie respectueusement cette façon de voir et, pour

cette raison, indiquera brièvement en quoi les droits invoqués par la

Libye au titre de la convention de Montréal sont effectivement

illusoires.

0024C/CR/3/trad/ - 40 -

045 B. Les droits invoqués par la Libye sont illusoires

Dans la troisième partie de sa requête la Libye accuse les

Etats-Unis d'enfreindre des droits qui, selon elle, résultent de cinq

dispositions de la convention de Montréal : les articles 5, paragraphe 2,

5.• ·paragraphe 3, 7, 8, paragraphe 2 et 11; pour cet te section de la

plaidoirie les membres de la Cour trouveront peut-être commode d'avoir

sous les yeux la convention de Montréal.

En ce qui concerne l'article 5 2), la Libye soutient au

paragraphe III b) de la requête, que l'article 5 2) de la convention de

Montréal l'habilite à prendre les mesures nécessaires "pour établir sa

compétence" aux fins de connaître des infractions énumérées à
er •
l'article 1 , dans le cas ou l'auteur présumé se trouve sur son

territoire et n'est pas extradé. La requête allègue que le Royaume-Uni

tente, en violation de l'article 5, paragraphe 2, d'empêcher la Libye

d'établir sa compétence en la présente affaire.

L'argument, selon nous, se fonde sur une interprétation complètement

erronée de l'article 5, paragraphe 2. Cette disposition impose à chaque

partie à la convention l'obligation de veiller à ce que ses lois

prévoient la compétence aux fins de connaître des infractions enumérées à

l'article 1er , en quelque lieu et par quelque personne qu'elles aient

été commises, de telle sorte que l'Etat soit compétent, en vertu de ses

propres lois, pour juger l'auteur de l'infraction s'il ne l'extrade pas.

Le texte de l'article 5, paragraphe 2 établit clairement qu'il s'agit de

la création de la compétence et non de son exercice dans une affaire

particulière.

0024G/CR/3/trad/ - 41 -

Quand on comprend cela, il devient clair que rien de ce que le

Royaume-Uni a fait ou pourrait faire à l'avenir ne saurait avoir une

incidence sur les droits ou les devoirs de quiconque en vertu de

l'article 5, paragraphe 2.

De toute manière, commele "Solicitor General" en a informé la Cour,

la Libye a elle-même reconnu que la base de la compétence des tribunaux

libyens dans l'affaire des suspects de Lockerbie n'a aucun rapport avec

la convention de Montréal. Les autorités libyennes ont déclaré établir

leur compétence vis-à-vis des deux intéressés sur la base de la

nationalité de ceux-ci, en se fondant sur l'article 6 du code pénal

libyen de 1953, une disposition dépourvue de tout lien avec l'article 5,

paragraphe 2, de la convention de Montréal de 1971.

Article 5, paragraphe 3

La Libye invoque aussi, en vertu de l'article 5, paragraphe 3, le

droit d'exercer la compétence pénale conformément à sa loi nationale.

Pourtant, l'article 5, paragraphe 3, déclare seulement : "La présente

convention n'écarte aucune compétence pénale exercée conformément aux

lois nationales." L'article 5, paragraphe 3, est très clairement une

disposition protectrice, dont le seul but est de bien établir que toute

base de la compétence pénale qui existait d'ores et déjà dans le droit

d'un Etat partie avant l'adoption de la convention de Montréal- par

exemple celle qui résulte de l'article 6 du code pénal libyen- n'est pas

exclue ni remplacée par les autres dispositions de la convention.

L'article 5, paragraphe 3, ne traite pas de la question de savoir

quel Etat doit exercer sa compétence quand plusieurs peuvent se fonder - 42 -

sur quelque chose pour le faire. Il n'empêche pa.s non plus un Etat

d'exiger qu'un suspect soit livré. Il n'interdit pas de requérir qu'il

le soit quand il y a des raisons valables de croire que l'Etat national

lui-même a participé aux actes dont il s'agit.

Article 7

Au paragraphe III, c), de la requête, la Libye accuse le Royaume-Uni

de tenter de l'empêcher de s'acquitter de l'obligation dont elle est

tenue en vertu de l'article 7 de la convention de soumettre l'affaire à

ses autorités compétentes pour l'exercice de l'action pénale commel'y

oblige l'article 7 de la convention, que le Conseil de la Libye a

présenté ce matin comme la pierre angulaire des droits libyens. La

requête elle-même déclare toutefois que la Libye a déjà soumis l'affaire

à ses autorités compétentes. Selon sa propre argumentation la Libye a

donc rempli son obligation au titre de cette disposition; d'ailleurs, le

047 Royaume-Uni n'a jamais donné à entendre que la Libye enfreigne

l'article 7 et la Libye n'enfreindrait pas davantage cette disposition si

elle livrait maintenant les deux accusés pour qu'ils soient jugés

ailleurs. De toute manière l'article 7 stipule des obligations à la

charge de la Libye, mais la Libye ne saurait en tirer aucun droit.

Article 8, paragraphe 2

La plaidoirie de la Libye relative à l'article 8, paragraphe 2, de

la convention (par. III, e) de la requête) n'est pas facile à suivre. La

Libye accuse .le Royaume-Uni d'enfreindre cette disposition en chercha.nt à

obtenir que les deux accusés lui soient livrés et se réfère, à cet égard,

à l'article 493 (A) du code de procédure pénale libyen, qui,

déclare-t-elle, lui interdit d'extrader l'un de ses ressortissants. La

nature exacte de cette interdiction n'est pas claire, car la Libye a dit - 43 -

à plusieurs reprises au Secrétaire général qu'elle serait prête à

remettre les deux accusés à un Etat tiers, ou même,dans certaines

circonstances, aux Etats-Unis. Je rappelle à la Cour ce que le

"Solicitor General"' a dit à ce sujet.

De toute manière, on voit mal quel droit susceptible de se trouver

en cause dans la présente instance la Libye pourrait tenir de

l'article 8, paragraphe 2. L'article 8 de la convention traite de

l'extradition. L'article 8, paragraphe 1, prévoit que les infractions

définies par la convention doivent être·censées constituer des

infractions donnant lieu à extradition. L'article 8, paragraphe 2,

dispose ensuite :

"Si un Etat contractant qui subordonne l'extradition à
l'existence d'un traité est saisi d'une demande d'extradition
par un autre Etat contractant avec lequel il n'est pas lié par
un traité d'extradition, il a la latitude de considérer la
présente convention commeconstituant la base juridique de
l'extradition en ce qui concerne les infractions.
L'extradition est subordonnée aux autres conditions prévues par·
le droit de l'Etat requis."

L'article 8, paragraphe 3, stipule ensuite que les Etats

contractants qui ne subordonnent pas l'extradition à l'existence d'un

traité reconnaissent les infractions définies par la convention commecas

d'extradition entre eux. L'article 8, paragraphe 4, examine des

questions de compétence susceptibles de se poser lors de procédures

d'extradition.

En d'autres termes l'article 8, paragraphe 2, est encore une

disposition d'habilitation. Il prévoit un système permettant d'effectuer

l'extradition si les Etats intéressés souhaitent s'en servir. Cependant

le Royaume-Uni n'a pas demandé l'extradition des deux accusés en vertu de

l'article 8, paragraphe 2 - en réalité il n'a pas du tout demandé leur - 44 -

extradition (au sens formel de ce terme) - mais bien plutôt il a soutenu

que la Libye est tenue d'une obligation plus générale, indépendante de la

convention de Montréal, de livrer les deux accusés.

Le Royaume-Uni se réserve le droit de développer cet argument, en

particulier, de façon plus complète lors de la procédure sur le fond,

s'il arrive que ce stade soit jamais atteint.

Article 11

Enfin le paragraphe III, !L• de la requête allègue que la Libye a le

droit, en vertu de l'article 11 de la convention, de se faire accorder

l'assistance du Royaume-Uni aux fins de l'instance pénale introduite par

elle.

De l'avis du Royaume-Uni l'article 11 est une disposition

ancillaire, qui produit ses effets une fois que l'on a admis que le

procès doit avoir lieu dans un Etat déterminé et si ledit Etat a besoin

d'être assisté. Or la question de savoir si le procès ne peut se

dérouler qu'en Libye est précisément celle dont la Cour se trouve

saisie. S'il advient qu'il y ait une procédure sur le fond de la

présente requête le Royaume-Uni soutiendra, notamment, que l'article 11,

paragraphe 1, ne confère pas à la Libye le droit d'exiger des moyens de

preuve complets, dont la divulgation risquerait de porter une atteinte

grave à la possibilité de jamais intenter une instance pénale au

Royaume-Uni.

C. Il·doit y avoir un lien entre les droits à protéger et les mesures
conservatoires demandées

L'article 41 du Statut doit être rapproché des dispositions

applicables du Règlement de la Cour. Le.Règlement actuel dispose, à - 45 -

l'article 73, que la demande en indication de mesures conservatoires

049 "indique les motifs sur lesquels elle se fonde, les conséquences

éventuelles de son rejet et les mesures sollicitées". Le Règlement de

1972 (art. 61, par. 1) disposait que la demande "spécifie ••• les droits

dont la conservation serait à assurer". Le but de ce changement de

libellé était de bien dégager les éléments que le Règlement de 1946

n'indiquait pas en termes exprès : les motifs et les conséquences

éventuelles. La Cour a encore besoin de s'assurer de la nécessité

de protéger les droits et elle-ne peut le faire si l'on ne

sait pas clairement en quoi consistent les droits invoqués. Bien que les

Parties ne soient plus expressément tenues d'indiquer au sujet de quelle

affaire la demande est introduite, ou quels sont les droits

i protiger,. ces exigences font~part deiela-proc~dure

par leur nature même.

050 Dans la jurisprudence de la Cour l'exigence d'un lien comporte une

dualité d'éléments.

En premier lieu, les mesures demandées doivent se rapporter a

l'objet du différend et non à des questions litigieuses qui n'en

constituent pas l'objet véritable. Ce principe est clairement concrétisé

dans l'affaire du Plateau continental de la mer Egée,

C. I.J. Recueil 1976, p. 3. Dans cet te affaire la .Grèce priait la Cour de

dire et juger que des îles grecques déterminées avaient droit à la

portion du plateau continental qui relevait d'elles; et quel était dans

la mer Egée le tracé de la limite entre les étendues du plateau

continental relevant de la Grèce et de la Turquie (Mémoires, affaire de

la mer Egée, p. 11). Lors de la demande en indication de mesures

conservatoires la Grèce pria la Cour de prescrire aux Gouvernements grec

et turc 1) de s'abstenir de toute activité d'exploration et de toute - 46 -

activité sismique, 2) de s'abstenir de prendre des mesures ou de se

livrer à des actions de caractère militaire. Le différend ne portait pas

sur des actions militaires illicites. Peu importait si la Grèce, en

expliquant quels droits lui semblaient nécessiter une protection,

mentionnait "les droits de la Grèce à ce que la Turquie respecte ses

engagements, au titre de l'article 2, paragraphe 4, et de l'article 33 de

la Charte des Nations Unies".

La Cour a jugé que le pouvoir qui lui est conféré par l'article 41

du Statut "présuppose qu'un préjudice irréparable ne doit pas être causé

aux droits en litige devant le juge" (ordonnance du 11 novembre 1976,

paragraphe 25). La Cour a fait observer (par. 34) que le droit d'obtenir

que la Turquie s'abstienne d'actions militaires "ne fait l'objet d'aucune

des diverses demandes dont la Grèce a saisi la Cour par sa requête" et

qu'en conséquence ce chef de demande ne relève pas de l'article 41 du

Statut.

û51 Le sens est le suivant. Il ne suffit pas d'invoquer un droit dans

un passage de sa requête pour que ce droit invoqué devienne l'objet du

différend. Or, s'il n'en. est pas 1' objet, il ne rentre pas dans le champ

d'application des dispositions de l'article 41. - 47 -

Les demandes de la Libye en l'espèce sont indiquées dans la

section III a)-g) de sa requête. Aucune demande ne concerne l'emploi

de la force et il n'y a aucun différend relatif aux droits respectifs de

la Libye et du Royaume-Uni à cet égard. L'adjonction du demi-alinéa qui

se réfère au "recours à la force ou à la menace" dans l'alinéa c) de la

décision demandée (IV c) n'a pas pour effet de transformer l'objet du

·différend de telle sorte que celui-ci porte sur l'emploi de la force. De

plus, l'objet du différend ne concerne pas de prétendus "actes de

coercition" ni_des "menaces" de la part du Royaume-Uni. La requête

introductive d'instance ne formule aucune demande de ce genre, elle ne

présente aucun élément de preuve pertinent et elle n'indique aucune règle

de droit applicable à la "coercition" par le Royaume-Uni. La demande

concerne manifestement les allégations relatives à des violations de la

convention de Montréal, comme il est indiqué dans la

partie III c)-g). La décision demandée par la Libye au

paragraphe 7 a) de sa demande en indication de mesures conservatoires

("interdire au Royaume-Uni d'engager aucune action contre la Libye visant

à contraindre ou obliger celle-ci à remettre les personnes accusées à une

autorité judiciaire, quelle qu'elle soit, extérieure à la Libye'') ne

fait, pour reprendre les. termes dont la Gour s'est servie dans l'affaire

de la Mer Egée "l'objet d'aucune des diverses demandes" et doit être

rejHée.

Un autre caractère distinctif du principe du lien est illustré par

l'affaire concernant la Réforme agraire polonaise et la minorité

allemande (C.P.J.I. série AIB n° 58, p. 178). Dans cette affaire,

l'Allemagne avait allégué que la Pologne avait enfreint les obligations

dont elle était tenue en vertu du traité relatif aux minorités. Par sa

demande en indication de mesures conservatoires l'Allemagne priait la

52
Cour d'indiquer que la Pologne devait s'abstenir de diverses activités

0038C/CR 92/3/Trad./- - 48 -

relatives à l'expropriation de propriétés de la minorité allemande. La

Cour permanente a jugé que les mesures demandées concernaient des

applications futures de la loi polonaise contestée, tandis que les

demandes portaient sur des infractions actuelles {p. 178). La Cour n'a

pas ordonné les mesures demandées, car elles ne pouvaient être

"considérées comme tendant uniquement.à sauvegarder l'objet du différend

et l'objet de la demande principale elle-même".

Il en va de mêmedans la présente affaire. Si l'objet du différend

en l'espèce, tel que la Libye le définit, est que le Royaume-Uni enfreint

la convention de Montréal, les décisions demandées aux paragraphes 7 a)

et 7 b) ne tendent pas à cette seule fin. En réalité ces demandes

tendent à empêcher le Conseil de sécuri dt~ pouvoir prendre les mesures

qu'il estime opportunes à propos du point de son ordre du jour relatif au

terrorisme international.

La Cour a récemment affirmé l'exigence d'un lien dans l'affaire de

la Guinée-Bissau {affaire relative à la Sentence arbitrale du

31 juillet 1989, C.I.J. Recueil 1990 1 p. 64). Son application à la

présente affaire empêche d'accueillir la demande en vertu de l'article 41.

Nécessaire compte tenu des circonstances

Monsieur le Président, Messieurs les Membres de la Cour, je passe à

l'autre exigence définie à l'article 41 : nécessaire compte tenu des

circonstances. Si la Cour a la compétence voulue, si l'Etat demandeur a

des droits reconnaissables sur le fond et s'il propose des mesures qui

ont le lien requis avec l'objet du différend, la Cour doit encore

rechercher si elle "estime que les circonstances l'exigent" en vertu de

l'article 41.

0038C/CR 92/3/Trad.~ - 49 -

i .
Ici, une place importante est manifestement réservée à la discrétion

et à l'appréciation de la Cour. Il appartient à la Cour de décider si

les circonstances l'exigent et rien dans le Statut ou le Règlement ne
.053

limite les éléments dont elle peut dûment tenir compte.

La Cour voudra sans doute examiner les circonstances de l'affaire

dans la perspective des divers critères qu'elle-même et la Cour

permanente ont établis au cours des années.

a) Le préjudice irréparable

Pour déterminer si les circonstances exigent que des mesures

conservatoires soient prises, la pratique de la Cour a été d'appliquer le

critère du "dommage ou préjudice irréparable". Il apparaît toutefois que

ce concept a été utilisé sous trois aspects principaux : 1) un préjudice

irréparable au pouvoir de décision de la Cour; 2) un tort irréparable aux

droits invoqués; 3) un tort irréparable à des personnes ou à des biens.

Ces concepts se recouvrent.

La Cour a souvent exprimé l'idée que "le but essentiel des mesures

conservatoires est d'assurer que l'exécution d'une décision ultérieure

sur le fond ne sera pas compromise par les actions d'une partie pendante

lite" (M. Jiménez de Aréchaga, affaire de la Mer Egée, 1976, p. 16).

Lorsqu'aucun danger urgent de cet ordre n'est perçu, les circonstances

n'appellent pas l'indication de mesures conservatoires.

Les ordonnances de la Cour indiquent souvent qu'il faut -je cite

l'ordonnance dans l'affaire de l'Anglo-Iranian Oil Co.,

(C.I.J. Recueil 1951, p. 93, par. 1) -aux termes de laquelle il faut

éviter "tout acte qui pourrait (porter préjudice aux] droits de l'autre

partie à l'exécution de l'arrêt que la Cour peut être appelée à rendre au

fond". Une formule très proche a été employée dans l'affaire de la

Compétence en matière de pêcheries (République fédérale d'Allemagne

c. Islande). (C.I.J. Recueil 1912, p. 17); dans l'affaire des Essais

0038C/CR 92/3/Trad. /. - 50 -

nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), (C.I.J. Recueil 1973,

p. 142; dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au

Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique),

(C.I.J. Recueil 1984, p. 187) et dans l'affaire Burkina Faso c. Mali

054 (C.I.J. Recueil 1986, p. 12). Dans ce dernier cas la Chambre de la

Cour a indiqué qu'il fallait éviter de porter atteinte au "droit de

l'autre partie à obtenir l'exécution de tout arrêt que la Chambre

pourrait rendre en l'affaire". C'est le critère qui avait été appliqué

par la Cour permanente dans l'affaire de la Compagnie d'électricité,

(C.P.J.I. série AB n° 79, p. 199)

Ce critère décisif a aussi été mentionné dans différentes affaires
055
où la Cour n'a pas accordé de mesures conservatoires - soit parce que cet

élément était absent, soit pour d'autres raisons. Je citerai l'affaire

de l'Interhandel, dans laquelle la Cour a rappelé sévèrement que les

mesures conservatoires demandées devaient se rattacher "à la

préoccupation que doit avoir la Cour de sauvegarder les droits que

l'arrêt qu'elle aura à rendre pourrait éventuellement reconnaître soit au

demandeur soit au défendeur" (C.I.J. Recueil 1957, p. 111).

Préserver l'intégrité et l'effectivité de la décision sur le fond

semble donc bien être l'élément central des réflexions de la Cour

lorsqu'elle se demande si les circonstances appellent l'indication de

mesures conservatoires. En se fondant sur-ce critère, le Royaume-Uni

soutient qu'il n'existe pas, en l'espèce, de circonstances qui mettent en

péril- et moins encore de manière urgente - l'un quelconque des droits

invoqués par la Libye en ce sens qu'un arrêt favorable à la Libye se

trouverait privé d'effet.

Il faut d'abord rappeler à la Cour ce que sont les droits d'ordre

juridique que la Libye prétend avoir. Elle affirme posséder les droits

suivants, que le Royaume-Uni lui dénie : le droit d'établir sa compétence

0038C/CR 92/3/Trad~/. ·r - 51 -

en vertu de. l'article 5 1 paragraphe 2, de la convention de Montréal;

l'obligation découlant de l'article 7 de soumettre l'affaire à ses

autorités compétentes; le droit d'exercer une compétence pénale en vertu

de l'article 5, paragraphe 3; et le droit à la coopération d'autres pays

dans l'exercice de la compétence nationale, en vertu de l'article 11,

paragraphe 1. On a déjà fait valoir devant la Cour que l'insistance avec

laquelle la Libye soutient qu'il s'agit de droits, et/ou de droits fondés

sur la convention de Montréal, n'est nullement justifiée.

Mais mêmesi l'on admettait, pour les besoins de l'argumentation,

que la Libye possède les droits qu'elle prétend détenir de la convention

de Montréal, il ne s'agirait pas pour autant d'un droit menacé d'un

préjudice irréparable au sens requis par la Cour. En ce qui concerne

l'article 5, paragraphe 2, le Royaume-Uni n'a pas empêchéla Libye

d'établir sa compétence (il est mêmemanifeste qu'elle l'a déjà fait).
056
On ne voit pas que la Cour puisse être appelée à prendre une décision sur

ce point et des mesures conservatoires n'auraient absolument aucun rôle à

jouer à l'égard de cette prétention. Quant à la prétention que la Libye

voudrait fonder sur l'article 7, nous noterons seulement que les mesures

conservatoires ont pour but de protéger des droits, or la Libye parle ici

d'une obligation et non d'un droit. Aucune mesure conservatoire n'est

nécessaire pour préserver la possibilité d'appliquer une éventuelle

décision de la Cour sur ce point. De même,on ne voit pas qu'un danger

menace d'un préjudice irréparable la possibilité pour la Cour de se

prononcer de façon effective sur le droit d'exercer la compétence pénale

que la Libye prétend tenir de l'article 5, paragraphe 3 (mêmesi l'on ne

tient pas compte du fait qu'un tel droit ne découle pas de la convention

de Montréal, mais du droit international coutumier, tel qu'il est reflété

dans le droit libyen). Quant au droit de bénéficier de la coopération

0038C/CR 92/3/Trad. - 52 -

d'autres pays pour l'exercice de la compétence nationale, qui découlerait

de l'article 11, rien ne permet de supposer qu'en l'absence de mesures

conservatoires accordées maintenant, une telle coopération ne serait pas

accordée en cas de décision favorable à la Libye. On voit mal, en toute

hypothèse, quelle pourrait être l'utilité de mesures conservatoires pour

la Cour internationale de Justice et la Cour sait l'importance que le

Royaume-Uni attache aux décisions judiciaires prises par elle.

On ne voit pas non plus, dans la présente affaire, que des "dommages

irréparables", au sens qui avait inquiété la Cour dans l'affaire des

Otages ou dans celle des Essais nucléaires - puissent être causés à

l'un quelconque des droits invoqués par la Libye. Lorsque des personnes

risquent de mourir ou d'être incarcérées, comme dans l'affaire des

Otages ou que certains rayonnement risque de provoquer des lésions ou

d'avoir des effets génétiques inconnus, alors oui on est en présence du

risque de dommages irréparables. Mais aujourd'hui, même si la

convention de Montréal confère des droits, et même si ce droit entraîne

057 la compétence exclusive à l'égard des accusés, il existe une différence

de nature avec les exemples précédents. Les faits de la cause sont tels

qu'un jugement, quel qu'il soit, sera effectif avec ou sans mesures

conservatoire.

L'affaire des Otages et celle des Essais nucléaires sont les

exemples classiques de circonstances dans lesquelles la Cour considère un

préjudice irréparable comme se rapportant à la sécurité des personnes et

des biens, Mais la différence d'approche est plus apparente que réelle,

car dans les deux cas la matière mêmedu différent est constituée par nn

dommage illicite causé à des ressortissants des Etats en cause. La Libye

affirme que le différend porte sur des droits qu'elle tient de la

convention. Non seulment les allusions à des "menaces" et à "l'usage de

0038C/CR 92/3/Trad,, -.

.-
- 53

la force" par le Royaume-Uni sont purement spéculatives, mais des mesures

conservatoires les interdisant seraient sans rapport avec la prévention

d'un préjudice irréparable aux droits invoqués. Les faits de la cause

sont très éloignés des considérations qui, dans l'affaire des Otages et

dans celle des Essais nucléaires ont rendu nécessaire une protection

contre cette forme de préjudice.

Cela nous amène à une considération apparentée, bien que

différente. L'indication de mesures conservatoires avant que la

compétence ne soit établie impose nécessairent des contraintes à un Etat

à l'égard duquel la compétence est incertaine, dont il n'a pas encore été

démontré que la conduite serait illicite, et qui n'a pas eu encore la

possibilité de plaider sa cause au fond. En exerçant les pouvoirs que

lui confère l'article 41, la Cour ne manquera certainement pas de tenir

compte, dans le cas d'espèce, de l'équilibre à préserver entre les droits

des Parties. Quand le droit invoqué est la protection contre la mort ou

un désastre génétique, il se peut que la balance penche d'un côté. Mais

si le droit invoqué porte sur-la compétence exclusive_, on peut se

demander si elle ne penche pas dans l'autre sens. Et dans ce cas

particulier, il faut aussi tenir compte du fait que les mesures

conservatoires demandées protégeraient ce droit à la compétence exlusive

dans des circonstances telles que la communauté internationale a des

raisons de penser que la Libye elle-même a été directement mêlée à

l'organisation d'actes de terrorisme (il est intéressant de rappeler que,
058

dans l'affaire des Prisonners de guerre pakistanais

(C.I.J. Recueil 1973, p. 328), le Pakistan avait revendiqué la

compétence exclusive sur ses ressortissants accusés de génocide, et avait

demandé des mesures conservatoires pour empêcher qu'ils ne soient

rapatriés dans un pays tiers. Commel'absence d'urgence a été constaté,

il n'y a pas eu de mesures conservatoires).

0038C/CR 92/3/Trad./ ,...54 -

L'urgence

Il est bien établi que des mesures conservatoires ne peuvent être

accordées en vertu de l'article 41- commenous l'avons dit - que s'il y

a imminence de préjudice irréparable aux droits en litige. Tant dans

l'affaire de l'Interhandel (C.I.J. Recueil 1957), que dans celle des

Prisonniers de guerre pakistanais, il n'y a pas eu de mesures

conservatoires parce qu'il n'y avait pas d'urgence.

Le professeur Brownlie a déclaré ce matin qu'il n'existait

probablement pas d'obligation en droit de démontrer l'urgence et il a dit

aussi qu'en l'espèce l'urgence existait néanmoins. Je voudrais

brièvement aborder chacun de ces deux points.

Pour ce qui est du point de droit, nous estimons que l'urgence est

une condition requise pour pouvoir prescrire des mesures conservatoires.

L'article 41 doit s'interpréter à la lumière des dispositions

correspondantes du Règlement de la Cour. L'article 74, paragraphe 1, de

ce Règlement, stipule que la demande en indication de mesures

conservatoires a priorité sur toutes autres affaires. Le paragraphe 2 du

mêmearticle dit que la Cour doit être immédiatement convoquée pour

statuer d'urgence.

Quelle est la raison d'être de cette priorité ? Pourquoi la Cour
059
devrait-elle prendre une décision d'urgence si le dommage irréparable qui

est allégué n'était pas en fait imminent et de caractère urgent ? Cela

n'aurait pas de sens. De plus, la demande mêmede la Libye a été

présentée comme urgente. Comment un Etat pourrait-il présenter une

demande urgente au sujet d'une question qui ne le serait pas ?

Quant à la prétendue réalité de l'urgence, diverses allégations de

menace ont été déployées devant la Cour ce matin. Mais la Libye n'a

apporté aucune preuve véritable pour étayer son affirmation selon

laquelle le Royaume-Uni menace d'employer la force contre elle.

0038C/CR 92/3/Trad,, ''

- 55

M. Brownlie n'a pu, ce matin, que citer les propos du ministre d'Etat

pour les affaires étrangères et les affaires du Commonwealth lors d'un

débat parlementaire, le ministre ayant dit "je n'ai adopté ni exclu

aucune solution".

Mais la Cour souhaitera certainement prendre en considération la

déclaration du ministre dans sa totalité. En réponse à une intervention

d'un membre du Parlement, le ministre a déclaré :

"Je n'ai jamais mentionné le recours à la force. J'ai dit
ici et ailleurs que nous essayons de convaincre le Gouvernement
libyen de faire droit à notre demande tendant à ce que les deux
intéressés soient traduits en justice devant les tribunaux
écossais ou américains. Nous espérons obtenir de
l'Organisation des Nations Unies qu'elle adopte une résolution
entérinant cette demande. Nous espérons que le Gouvernement
libyen y fera droit. Manifestement, si tel n'est pas le cas,

nous devrons déterminer quelles mesures s'imposent. Je n'ai
pas suggéré la force. Je n'ai adopté ni exclu aucune solution."

Il est vraiment impossible de soutenir en aucune façon que lorsqu'un

homme d'Etat garde ses options ouvertes et refuse de montrer ses cartes

publiquement, cela équivaudrait à une menace et moins encore à une menace

d'utiliser la force qui obligerait la Cour à se réunir, toutes affaires

cessantes, pour indiquer des mesures conservatoires.

oco. L'ordonnance relative à l'affaire du Grand-Belt

e (C.I.J. Recueil 1991, par. 23) indique clairement que l'urgence a un

sens précis dans le contexte des mesures conservatoires - il faut qu'on

ait lieu de craindre la perte de droits qui ne pourraient être réparés

avant qu'intervienne un jugement sur le fond. Une urgence ayant ce

caractère juridique ne se présume pas à la légère et dans des affaires

comme celles des Otages ou de la Compétence en matière de pêcheries,

l'urgence découlait du fait que les actes illicites avaient déjà été

commis et continuaient.

0038C/CR 92/3/Trad. - 56 -

Qn ne voit pas qu'un droit que possède la Libye soit menacé de

disparition imminente. Ce que l'on voit, est que les débats vont se

poursuivre au conseil exécutif, et qu'ils aboutiront ou n'aboutiront pas

à la prise de certaines decisions par le conseil. La Cour ignore les

décisions qui pourront être prises par le conseil et elle ne devrait pas

fonder son ordonnance sur des spéculations. Des spéculations sur des

décisions qui n'ont pas encore été prises ne sauraient constituer une

urgence appelant des mesures conservatoires.

Le Royaume-Uni n'a donc fait aucune menace de rec.ourir à la force.

Le Royaume-Uni continuera bien entendu de respecter ses obligations

internationales, y compris celle qui découle de l'article 2,

paragraphe 4, de la Charte. Le demandeur n'a démontré en aucune façon à

la Cour qu'il existerait un risque réel de dommage imminent résultant de

sanctions unilatérales au cas où la Cour n'indiquerait pas de mesures

conservatoires.

Le demandeur a mêmeété si sobre dans l'exposé des motifs pour

lesquels des mesures conservatoires devraient être accordées que sa

demande risque, me semble-t-il, de ne pas entrer du tout dans le cadre de

l'article 73. Celui-ci dispose en effet que la demande doit indiquer

"les conséquences éventuelles de son rejet", Or rien de tel ne figure

dans la demande de la Libye.

061 IV. Autres ra.isons pour lesquelles la Cour ne devrait pas indiquer
les mesures conservatoires demandées

C'est sur l'article 41 du Statut qu'est fondée la compétence

secondaire qui donne à la Cour le pouvoir "d'indiquer, si elle estime que

les circonstances l'exigent, quelles mesures conservatoires du droit de

chacun doivent être prises à titre provisoire". Mals le libellé de cette

disposition n'épuise pas la question, Commenous l'avons vu, il faut

0038C/CR 92/3/Trad,/t -;.
- 57 -

aussi, dans les affaires où la compétence est contestée, que la Cour

détermine qu'elle possède bien la compétence nécessaire pour détermniner

si elle considère que les faits de la cause appellent l'indication de

mesures conservatoires.

Mais ce n'est pas tout. Même si la Cour possède prima Eacie une

compétence quant au fond qui est suffisante pour lui permettre de statuer

sur une demande en indication de mesures conservatoires, et mêmesi les

conditions requises pour déterminer si les circonstances appellent des

mesures conservatoires sont remplies, il se peut encore que l'indication

de telles mesures soit inopportune. L'article 41 confère à la Cour le

pouvoir nécessaire, mais cette disposition n'indique pas par elle-même

s'il convient que la Cour exerce ou non ce pouvoir. Commela Cour l'a

déclaré dans l'affaire du Cameroun septentrional : "il y a des

1imitations inhérentes à 1' exercice de la fon.ct ion judiciaire dont la

Gour, en tant que tribunal, doit toujours tenir compte (Cameroun

septentrional, exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 1963, p. 29).

Dans l'affaire du Plateau continental de la mer Egée. mesures

conservatoires (C.I.J. Recueil 1976, p. 16), M. Jiménez de Aréchaga,

;,aci en Président de la Cour, a déclaré dans son opinion individuelle que
)
:l'article 41 forme la base du pouvoir d'agir de la Cour, mais que

062 celle-ci doit encore tenir compte des circonstances en décidant si elle

accordera ou non les mesures conservatoires. Dans la présente affaire,

il y a de nombreux facteurs d'importance décisive qui font que les

mesures conservatoires demandées par la Libye sont totalement

inappropriées, et qui montrent clairement, en outre, que les

circonstances n'exigent pas qu'elles soient accordées.

0038C/CR 92/3/Trad./ ..,. 58 -

A. Les mesures conservatoires demandées par la Libye sont vagues,
imprécises et ne conviennent pas à une ordonnance de la Cour

Les mesures requises sont énoncées au paragraphe 7 de la demande

présentée par la Libye. A l'alinéa a), il est question d'interdire au

Royaume-Uni d'engager "aucune action contre la Libye visant à contraindre

ou obliger celle-ci à remettre les personnes accusées". Quel est

exactement le champ d'application des mots "aucune action" ? Visent-ils

l'activité diplomatique ? S'appliquent-ils, par exemple, à une

conférence de presse ? Signifient-ils que le Royaume-Uni doit s'abstenir

de soutenir l'action du Secrétaire général qui tend à faire appliquer la

résolution 731 du Conseil de sécurité ? Où se situe la ligne de partage

entre les actions destinées à persuader la Libye et celles qui auraient

pour but de la contraindre 1 Qui a qualité pour analyser l'ensemble des

relations angle-libyennes dans leur évolution, pour voir si des faits

ultérieurs, tels que des interdictions portant sur le commerce, etc.,

procèdent de relations peu satisfaisantes ou s'ils "visent à

contraindre" ?

Les mesures demandées au paragraphe 7 b) sont imprécises au point

063· d'être dépourvues de sens. On ne voit pas clairement à qui elles

s'adressent au Royaume-Uni ou à la communauté mondiale ? Elles ne

tendent pas à interdire au Royaume-Uni de prendre certaines mesures :

elles l'obligent à faire en sorte que des mesures ne soient pas prises.

On ne voit pas clairement par qui ces mesures ne doivent pas être prises,

ni comment le Royaume-Uni est censé veiller à ce qu'elles ne le soient

pas. Qu'arriverait-il si un pays tiers s'efforçait de contraindre la

Libye à remettre les personnes accusées pour qu'elles soient jugées par

une juridiction appropriées ? En pareil cas, les mesures conservatoires

demandées imposeraient-elles des obligations au Royaume-Uni ? Ou bien le

0038C/CR 92/3/Trad., 59 -

paragraphe 7 b) s'adresse-t-il à cette tierce partie inconnue

elle-même ? Et, comme si tout cela n'était pas suffisamment confus,

quelles sont les mesures qui pourraient être censées porter atteinte aux

droits de la Libye en ce qui concerne la procédure judiciaire ?

Le but des mesures conservatoires est de préserver les droits des

parties pendante lite. Or, c'est impossible s'il y a doute quant au

destinataire des indications; quant aux mesures qui sont en fait

interdites et si une auto-interprétation constante par le Royaume-Uni ou

des directives constantes de la Cour sont nécesaires pour décider si

telle ou telle action est visée ou non par l'ordonnance. Aucun tribunal

national n'ordonnerait des mesures d'une telle imprécision, et nous

estimons que la Cour internationale ne devrait pas le faire non plus. Ce

point de vue est étayé par la pratique de la Cour permanente et par celle

de la Cour internationale. Il y a eu jusqu'à présent dix affaires dans

lesquelles des mesures conserVatoires ont été ordonnées. Dans tous les

cas sauf un, les mesures ordonnées ont été extrêmement précises, ne

laissant à la partie à laquelle elles s'adressaient aucun doute sur ce

qu'elle était tenue de faire. Dans l'affaire de la Dénonciation du

Traité sino-belge du 2 novembre 1865 (C.P.J.I. série A n° 8), les
1
mesures conservatoires contenaient des directives précises et détaillées

se référant respectivement aux ressortissants belges et à leurs biens et

aux garanties judiciaires. Dans l'affaire de l'Anglo-Iranian O.i1 Co.•
064
mesures conservatoires (C.I.J. Recueil 1951, p. 94) 1 les mesures

indiquées faisaient référence au fait que l'Angle Iranian Oil Company

était autorisée à poursuivre son exploitation, temporairement et sans

·entraves. Et comme pour souligner le besoin de précision, la Cour a

ordonné l'institution d'une commission de surveillance en donnant

beaucoup de détails sur ce que devaient être sa composition et son mode

0038C/CR 92/3/Trad. - 60 -

de fonctionnement. De même,dans les deux affaires relatives à la

Compétence en matière de pêàheries (C.I.J. Recueil 1972, p. 12), les

ordonnances étaient détaillées, et précisaient le tonnage des prises

autorisées. Dans l'affaire des Essais nucléaires

(C.I.J. Recueil 1973, p, 99), il était ordonné à la France de

"[s'abstenir] de procéder à des essais nucléaires provoquant le dépôt de

retombées radioactives sur le territoire australien". Dans l'affaire du

Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran

(C.I.J. Recueil 1979, p. 7), les prescriptions, là encore, étaient

précises, portant sur la protection des locaux diplomatiques et

l'obligation de libérer immédiatement tous les otages. Dans l'affaire

des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contee

celui-ci (C.I.J. Recueil 1984, p. 169), la Cour a donné des

indications précises applicables aux Etats-Unis, lesquels devaient mettre

fin immédiatement à toute action ayant pour effet de restreindre, de

bloquer ou de rendre périlleuse l'entrée ou la sortie des ports

nicaragayens, en particulier par la pose de mines. Enfin, dans l'affaire

du Différend frontalier où, après des hostilités militaires, le

Burkina Faso et le Mali s'étaient mis d'accord pour que des mesures

conservatoires soient indiquées, celles-ci ont porté sur un

cessez-le-feu, le retrait de troupes et l'administration des zones

litigieuses.

Dans un cas seulement l'ordonnance a eu un caractère général et

dépourvu de précision, indiquant des mesures du genre de celles qui sont

demandées par la Libye. Dans l'affaire de la Compagnie d'électricité de

065 Sofia et de Bulgarie (C.P.J.I. série AIB n° 79, p. 194), la Cour a

prescrit que

"L'Etat bulgare veille à ce qu'il ne soit procédé à aucun

acte, de quelque nature qu'il soit, susceptible de préjuger des
droits réclamés par le Gouvernement belge ou d'aggraver ou
d'étendre le différend soumis à la Cour."

0038C/CR 92/3/Trad.J - 61 -

Cette ordonnance n'est pas du tout conforme à la pratique générale de la

Cour. Dans son ouvrage intitulé Interim Measures in the Hague Court

(1983, p. 76), M. Sztucki en fait la remarque et dit que la brièveté et

le caractère général de cette ordonnance s'expliquent peut-être par la

hâte exceptionnelle avec laquelle elle a été rendue - le lendemain même

de l'audience. Quoi qu'il en soit, depuis 1939, la pratique est en

faveur de la précision des ordonnances.

Le Royaume-Uni soutient que les mesures demandées par la Libye aux

paragraphes 7 a) et b) de sa demande n'ont pas la clarté et la

précision que la Cour avait déclarées nécessaires dans l'affaire

concernant la Réforme agraire polonaise et la minorité allemande

(C.P.J,I, série AIB n° 58, p. 181.) et qu'elles ne devraient pas être

accordées.

B. L'assertion de la Libye selon laquelle des mesures conservatoires
sont nécessaires pour empêcher une aggravation du différend est
mal fondée en droit et inacceptable dans son contenu factuel

Au paragraphe 5 de sa demande de mesures conservatoires, la Libye

affirme que des mesures conservatoires sont requises

"pour que le Royaumne-Uni s'abstienne de toute action pouvant
avoir pour effet de préjuger de la décision de la Cour en
l'espèce et se garde de toute mesure qui risquerait d'aggraver
ou d'élargir le différend, comme ne manquerait pas de le faire
l'imposition de sanctions contre la Libye ou l'emploi de la
force".

Selon le Royaume-Uni, dans la mesure où l'aggravation d'un différend

'
peut être un mbtif pour l'octroi de mesures conservatoires, il n'existe

que dans la mesure où il est inclu dans l'objectif énoncé à l'article 41,

qui est de "[conserver le] droit de chacun" en attendant l'arrêt

définitif. Dans l'affaire du Statut juridique du territoire du Sud-Est

du Groenland (C.P.J.I. série AIB n° 48, p. 277), la Norvège avait

cherché, par décret, à plàcer sous sa souveraineté un territoire
066

revendiqué par le Danemark. Chacun des deux Etats introduisit une

0038C/CR 92/3/Trad. - 62 -

instance devant la Cour et la Norvège demanda des mesures conservatoires

pour empêcher ce qu'elle appelait "des occurrences regrettables et des

incidents fâcheux". Les mesures intérimaires ont été refusées,

principalement parce que la Cour a estimé qu'il n'y avait pas de raisons

de supposer que de tels incidents se produiraient. En tout cas, ces

incidents n'auraient pas porté atteinte aux droits découlant pour la

Norvège d'un éventuel arrêt de la Cour. A cette occasion la Cour a

laissé ouverte, très explicitement, la question de sa compétence à

indiquer des mesures conservatoires ''dans le seul dessein de prévenir des

occurrences regrettables et des incidents fâcheux" {p. 284}.

Dans une série d'affaires ultérieures - l'affaire de la Compagnie

d'électricité de SoEia et de Bulgarie devant la Cour permanente

(C.P.J.I. série AIB n° 79, p. 194); l'affaire de l'Anglo-Iranian

Oil Co (C.I.J. Recueil 1951, p. 89); l'affaire relative à la

Compétence en matière de pêcheries (C.I.J. Recueil 1972, p. 12) et

l'affaire des Essais nucléaires (C.I.J. Recueil 1973, p. 99) - la

Cour a pris des ordonnances qui comprenaient des indications tendant à

éviter toute action pouvant provoquer l'aggravation ou l'extension du

différend soumis à la Cour. Mais, selon le Royaume-Uni, cela ne réglait

pas la question de savoir s'il s'agissait d'un motif distinct pour

ordonner des mesures conservatoires, parce ce qu'en mêmetemps ces

mesures étaient aussi fermement fondées sur la nécessité de préserver la

possibilité d'appliquer un éventuel de la Cour. Cette interprétation est

étayée par le fait que la Cour a considéré la question comme n'étant pas

encore résolue lorsqu'elle l'a examinée de nouveau dans l'affaire du

Plateau continental de la mer Egée (C.I.J. Recueil 1976, p. 3).

M. O'Connel! avait plaidé pour la Grèce que la compétence

"d'ordonner des mesures conservatoires pour éviter
l'aggravation ou l'extension du différend n'est pas seulement
067 une autre manière d'exprimer l'idée que les mesures

0038C/CR 92/3/Trad. - 63 -

conservatoires ont pour but d'éviter un préjudice à l'égard de
l'exécution de la décision à prendre plus tard, mais qu'elle
est distincte de cette idée" (CR 76/1, 25 août 1976, p. 70-71).

La Cour n'a pas constaté l'existence d'un risque de préjudice irréparable

et par conséquent elle n'a pas fait droit à la demande de mesures

conservatoires. Elle a noté qu'elle n'avait pas besoin de décider si

elle disposait d'un pouvoir indépendant d'ordonner des mesures pour

empêcher l'aggravation ou l'extension du différend (p. 12, par. 36).

Je me permettrai deux observations. Tout d'abord, bien que la Cour

ait dit qu'elle n'avait pas besoin de trancher la question, elle aurait

pu prescrire des mesures conservatoires sur cette base si elle avait

jugé bon de le faire. Deuxièmement, si la question avait été réglée par

le fait que, dans trois affaires antérieures, une disposition de ce genre

avait figuré dans l'ordonnance, la Cour n'aurait pas considéré que cette

question se posait encore. Depuis lors, des mesures conservatoires

destinées à empêcher l'aggravation ou l'extension du différend ont été

indiquées dans trois autres affaires - l'affaire des Otages, l'affaire

du Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique et l'affaire du Différend

frontalier. Mais dans chaque cas il était fait mention, parallèlement,
1
de prescriptions tendant à éviter qu'il soit porté atteinte à la

!possibilité d'exécuter un arrêt ultérieur. De mêmequ'avant l'affaire du

Sud-Est du Groenland, le fait que la Cour ait indiqué des dispositions

pour empêcher l'aggravation d'un différend n'a pas réglé la question de

savoir si la Cour a compétence pour fonder sur ce seul motif les mesures

conservatoires prises par elles, de sorte que la jurisprudence ne permet

pas de déterminer s'il existe séparément et indépendamment des autres un

tel motif sur lequel fonder des mesures conservatoires. Le Royaume-Uni

soutient qu'un tel motif n'existe pas. Il n'y a pas un seul cas- pas

mêmedans l'affaire Burkina Faso c. Mali - où des mesures

conservatoires destinées à empêcher une aggravation du différend ont été

0038C/CR 92/3/!rad./r 64 -

prises - si ce n'est parallèlement à des mesures conservatoires tendant à

protéger les droits des parties contre un préjudice irréparable. Les

premières ont pour but d'étayer les secondes, qui sont fondamentales.

Elles remplissent une fonction d'ordre général puisque, au moment où elle

ordonne des mesures conservatoires, la Cour ne peut pas prévoir les

circonstances,futures qui pourraient porter préjudice à l'effectivité du
068
futur arrêt de la Cour. CommeSztucki l'a très bien dit dans Interim

Measures in the Court (p. 74) :

"Toute action qui peut porter atteinte aux droits en

litige aggravera certainement le différend, mais le contraire
n'est pas nécessairement vrai : certaines actions de nature à
aggraver un différend, telles que des campagnes de propagande,
des manifestations hostiles, etc., ne portent pas
nécessairement préjudice à ces droits".

Empêcher de manière générale l'aggravation du différend n'est donc

pas, à notre a~is, l'objet des mesures conservatoires telles qu'elles

sont conçues à l'article 41.

Que les mesures conservatoires tendant à éviter l'aggravation d'un

différend ne peuvent être isolées des autres motifs est souligné par le

fait que, presque toujours, cette disposition s'adresse aux deux

parties. C'est seulement dans l'affaire de la Compagnie d'Eleatriaité

et dans l'affaire Nicaragua a. Etats-Unis d'Amérique que la mesure

s'adressait uniquement à l'Etat défendeur. Même dans l'affaire des

Otages, où l'illicité des actes reprochés fut bientôt assez manifeste

pour emporter l'adoption d'importantes mesures intérimaires, la partie de

l'ordonnance qui a trait à l'aggravation du différend s'adressait aux

deux parties. De même,le rôle auxiliaire d'une telle disposition par

rapport à la disposition centrale qui vise les actes de nature à porter

atteinte à l'arrêt ultérieur est mis en lumière par le fait que, dans

l'affaire de l'Anglo-Iranian Oil Co., la Cour a rejeté la demande du

0038C/CR 92/3/Trad - 65 -

requérant tendant à ce que l'Iran "s'abstienne de toute propagande

destinée à exciter l'opinion en Iran". (Mémoires, affaire de

l'Anglo-Iranian Oil Co., p. 52).

Enfin, sur ce point, le Royaume-Uni ne peut que rejeter fermement

l'allégation selon laquelle les actes qu'il a accomplis jusqu'à présent

ou ceux qu'éventuellement il envisage, constituent une "aggravation du

différend. Le but de ces actions est en fait d'amener la Libye à se

conformer à ses obligations internationales. Loin d'aggraver le

différend, elles sont - puisque la Libye ne reconnaît pas sa

·e responsabilité dans cette affaire - le meilleur moyen d'amener cette

controverse à son terme d'une manière qui respecte. l'interdiction du
069

terrorisme international.

Il est stupéfiant de prétendre qu'en portant une affaire devant le

Conseil de sécurité conformément aux dispositions de la Charte un Etat

pourrait aggraver un différend.

C. Le recours vise à entraver le Conseil de sécurité dans l'exercice de
ses pouvoirs légitimes

Le Solicitor general a déjà appelé l'attention sur l'intérêt que

'porte depuis longtemps le Conseil de sécurité au terrorisme international

!en raison de son incidence sur la paix et la sécurité internationalesj et
!

'd'ailleurs, en vertu de l'article 37 de la Charte, lorsque la

prolongation d'un différend semble menacer le maintien de la paix et de

la sécurité internationales, les parties ont le devoir de le soumettre au

Conseil de sécurité.

La Libye est apparemment d'avis maintenant que si la question est

d'ordre juridique, elle doit être résolue par la Cour internationale et

que le Conseil de sécurité ne peut avoir aucun rôle à y jouer. Cette

position a été affinée'aujourd'hui par M. Suy, qui reconnaît au Conseil

de sécurité un rôle à jouer au titre du chapitre VI, en l'espèce, mais

écarte la possibilité d'un rôle en application du chapitre VII.

0038C/CR 92/3/Trad. - 66-

Le Royaume-Uni estime que la Libye s'efforce, par la voie des

mesures conservatoires, de faire rendre illégitime l'intérêt légitime du

Conseil de sécurité en l'espèce. Le Conseil de sécurité est parfaitement

fondé à se préoccuper de questions de terrorisme et des mesures

nécessaires pour répondre à des actes de terrorisme dans une circonstance

donnée ou pour les empêcher à l'avenir. La Cour internationale n'est pas

d'une manière générale un tribunal d'appel à la disposition des Etats

Membres qui n'ont pas réussi à imposer leurs thèses au Conseil de

sécurité. Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, le Royaume-Uni

considère que les mesures conservatoires visent à entraver de façon

inacceptable le Conseil de sécurité.

070 Le paragraphe 7 b) de la demande en indication de mesures

conservatoires prie la Cour d'indiquer des mesures - je répète très

brièvement - pour "veiller à éviter toute mesure qui porterait atteinte

de quelle que façon aux droits de la Libye en ce qui concerne la

procédure judiciaire faisant l'objet de la requête libyenne".

Bien que le Conseil de sécurité ne soit pas mentionné expressément,

l'intention évidente du demandeur, en sollicitant ces mesures, est

d'entraver l'exercice par le Conseil de sécurité, des fonctions que lui

confère la Charte et aujourd'hui le M. Suy a dévoilé le jeu !

Permettez-moi de rappeler ses paroles à la Cour - et je cite le texte que

nous avons reçu :

"L'initiative des Parties défenderesses de situer le
différend au niveau du chapitre VII de la Charte et de préparer
au sein du Conseil de sécurité des actions collectives contre
la Libye est de nature à mettre en danger les droits de la
Libye sans nier le droit du Conseil de sécurité de s'occuper de
cette affaire dans le cadre du chapitre VI. La Libye demande à
la Cour d'ordonner aux Parties défenderesses d'abstenir
d'entreprendre toute initiative au sein du Conseil de sécurité

visant à porter atteinte aux droits de juridiction dont la
Libye demande la reconnaissance à la Cour."

0038C/CR 92/3/Trad. - 67 -

Le Conseil de sécurité a déjà invité le demandeur à apporter une réponse

effective aux demandes des trois gouvernements, et il appartient donc au

Conseil lui-même de décider de ce qui constituerait une réponse

effective. Il n'existe pas de doctrine en droit des Nations Unies selon

laquelle une affaire qui commence par être une situation relevant du

chapitre VI ne puisse par la suite être considérée comme une menace pour

la paix internationale au titre du chapitre VII. C'est au Conseil de

sécurité d'en décider, et tout l'objet de la demande en indication de

mesures conservatoires présentée par la Libye est d'éviter cette

possibilité. Bien entendu, l'article 24 de la Charte conf~r eu Conseil

de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la

sécurité internationales. Bien qu'il s'agisse d'une responsabilité

principale et non exclusive, l'importance fondamentale de cette

071 disposition est soulignée par l'explication qu'elle comporte : "afin

d'assurer l'action rapide et efficace du Conseil de sécurité", De plus,

le Conseil de sécurité doit, en vertu de l'article 33, paragraphe 2,

inviter les parties à régler leur différend, et en vertu de l'article 36,

paragraphe 1, le Conseil de sécurité peut, lorsqu'un différend dont la

!prolongation semble devoir menacer le maintien de la paix et de la

;sécurité internationales, recommander d~s procédures appropriées. C'est

'exactement ce que le Conseil de sécurité a fait dans la résolution 731.

Les exposés de la Libye ont tenté de semer l'idée que l'adoption de

la résolution 731 a en quelque sorte violé l'obligation de régler

pacifiquement les différends. Mais le Conseil de sécurité n'est pas

saisi d'un différend relatif à la convention de Montréal. Il s'agit là

d'insister plutôt sur certaines mesures destinées à combattre le

terrorisme, et la résolution 731 est exactement le véhicule qui conduit à

la solution pacifique de ce problème.

0038C/CR 92/3/Trad., - 68 -

Il y a autre chose que je devrais porter à l'attention de la Cour.

M. Suy a prétendu ce matin que dans un projet de résolution qui circule

actuellement parmi les membres du Conseil, il est dit que le refus de
072
livrer les deux suspects constitue une menace contre la paix et la

sécurité internationales. Il nous a été impossible de trouver trace de ce

libellé dans le projet de texte et, comme je l'ai expliqué, ce qui

occasionne une nouvelle intervention au sein du Conseil de sécurité,

c'est le fait que la Libye n'a pas apporté une réponse complète et

effective aux demandes énoncées par le Conseil de sécurité dans sa

précédente résolution.

Le chapitre VII donne au Conseil de sécurité des pouvoirs encore

plus importants et lorsqu'il constate l'existence d'une menace contre la

paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'aggression {art. 39), il

peut décider de mesures diplomatiques ou économiques pour donner effet à

ses décisions. Et en fait, l'article 42 précise bien qu'il appartient au

Conseil de sécurité de décider si des mesures économiques et

diplomatiques "seraient inadéquates ou qu'elles se sont révélées telles"

et en ce cas, il peut entreprendre l'action militaire nécessaire.

L'appréciation que peut porter le Conseil de sécurité, soit sur la menace

contre la paix, soit sur le besoin de prendre des mesures économiques et

diplomatiques pour donner effet à ses décisions, ou de l'inadéquation de

ces mesures, incombe exclusivement au Conseil de sécurité. Les

compétences du Conseil de sécurité et de la Cour internationale sont

parallèles et ne s'excluent pas mutuellement, mais cela ne signifie pas

que chacun a toutes les compétences de l'autre. Ils ne les ont pas. Et

ces questions d'appréciation politique relèvent manifestement du seul

Conseil de sécurité.

0038C/CR 92/3/Trad.l ;_ 69

Commel'a déclaré la Cour dans son avis consultatif sur la Namibie,

"la Cour n'a pas de pouvoirs de contrôle judiciaire ni d'appel en ce qui

concerne les décisions prises par les organes des Nations Unies dont il

s'agit".

Le Royaume-Uni fait valoir qu'il serait entièrement déplacé que la

Cour indique des mesures conservatoire sous une forme quelconque qui

puisse s'interpréter comme frappant le Conseil de sécurité dans

l'exercice de ses compétences en vertu des chapitres VI et VII de la
073
Charte. Mais les mesures qu'appelle le paragraphe 7 b) de la demande

de la Libye semblent manifestement inviter la Cour à prendre ce chemin.

Seul le Conseil de sécurité peut décider des autres mesures qui

pourraient être nécessaires pour donner effet à ses décisions.

Ce n'est pas un simple lieu commund'observer que la Cour est l'un

des organes principaux des Nations Unies. Les propositions de

Dumbarton Oaks montrent que la plus grande attention a été accordée au

caractère et au statut que devait avoir la nouvelle Cour au sein des

Nations Unies, et aux aspects par lesquels elle devait s'écarter de la

relation constitutionnelle qui existait entre la Cour permanente et la

Société des Nations. Voir en particulier UNCIO, vol. 13, p. 381 et
·,
vjl • 14 1 p• 72 et suivantes • Le Statut de la Cour fait partie intégrante

de la Charte des Nations Unies (art. 92). Les incidences des rapports

mutuels entre ces différends organes principaux n'ont pas été analysés en

profondeur à San Francisco. Mais l'étude de M. Shabtai Rosenne à ce

sujet est extrêmement persuasive : au coeur de cette relation, dit-il, se

trouve la réalité que la volonté de l'Organisation se manifeste par les

actions des organes du domaine de compétence desquels relève une question

donnée The Law and Practice of the International Court (2e éd. rev.

p. 69): La Charte ne crée pas de relation hiérarchique entre les

principaux organes. Elle impose plutôt des limitations à leurs

0038C/CR 92/3/Trad./ - 70 -

activités ••• ratione materiae (ibid., p. 70). Il est clair que des

questions touchant à la sécurité des nations, dont les meilleures

modalités de règlement relèvent de l'appréciation politique, sont de la

compétence du Conseil de sécurité ratione materiae. Non que - et cette

distinction est importante, Monsieur le Président - la Cour

internationale ne puisse pas indiquer de mesures conservatoires relatives

à des questions juridiques concernant la paix et la sécurité alors que le

Conseil de sécurité est également saisi d'un aspect de la question. Il

ressort clairement des affaires des Otages et de la Mer Egée qu'elle
074
le peut. C'est plutôt que la Cour internationale ne devrait pas, en

exerçant sa compétence d'indication de mesures conservatoires, empêcher

l,eConseil de sécurité de faire ce qu'il est expressément tenu de faire

en vertu de la Charte,

On se souviendra que le 4 décembre 1979, le Conseil de sécurité a

adopté à l'unanimité la résolution 457 (1979) demandant la libération

immédiate des otages américains détenus à Téhéran. La Cour, dans son

ordonnance du 15 décembre 1979, a accordé à l'unanimité des mesures

conservatoires appelant l'Iran à assurer la libération immédiate des

personnes détenues. La Cour n'a pas hésité à prendre une décision sur

une question qui était également portée devant le Conseil de sécurité.

La Cour a agi en vertu de l'article 41 d'une manière tout à fait

parallèle aux efforts du Conseil de sécurité, qui agissait dans le cadre

de ses compétences à lui. Et dans l'affaire de la Mer Egée, la Cour a

décidé de ne pas indiquer des mesures conservatoires justement parce que

les fins auxquelles elles étaient demandées étaient déjà assurées par le

Conseil de sécurité.

Chacun des organes doit exercer cette compétence légitime d'une

façon conforme aux objectifs de la Charte et qui respecte leur statut

commun d'organes principaux. Par exemple, le Conseil de sécurité ne

0038G/CR 92/3/Trad •. - 71 -

devrait pas, à propos d'un différend donné, adopter une résolution qui

soit en contradiction avec une décision obligatoire de la Cour à ce

sujet. Et la Cour ne permettra pas que l'on utilise sa compétence pour
..

servir de cour d'appel des jugements politiques portés par le Conseil de

sécurité.

Il s'ensuit nécessairement que la Cour, en exerçant sa compétence

d'indication de mesures conservatoires conformément à l'article 41 de son

:statut, ne devrait jamais le faire de manière à empêcher le Conseil de

~écuri d'exercer les fonctions et pouvoirs que lui confèrent les

chapitres VI et VII de la Charte, ou mêmeen courir le risque. Surtout,

la Cour ne devrait jamais indiquer des mesures conservatoires visant à
J
protéger un Etat contre les décisions du Conseil de sécurité.

D. Le recours CherChe à empêCher le Conseil de sécurité
D75 d'agir au sujet d'un différend plus large

La position du Royaume-Uni n'est pas que, parce que le Conseil de

sécurité est saisi d'une question séparée, la Cour internationale ne peut

légitimement connaître de la requête introductive d'instance présentée

par la Libye le 3 mars 1992. Dans l'affaire des Otages, l'Iran avait

prétendu que les questions dont la Cour était saisie faisaient partie en

~éali d'unélitige plus vaste entre les pays et que par conséquent la

Cour n'avait pas compétence pour en connaître. Cette thèse a été rejetée

à juste titre par la Cour, et le Royaume-Uni n'en avancera pas une

semblable. Nous appelons plutôt l'attention de la Cour sur le fait que

la requête introductive d'instance présentée par la Libye énonce des

griefs relatifs à des allégations d'infraction à la convention de

Montréal. Le point de savoir si la Cour a compétence sur le fond en

vertu de.l'article 14, paragraphe 1, de cette convention- et d'ailleurs

de savoir si la Libye fait valoir des droits réels ou inexistants dérivés

0038C/CR 92/3/Trad •. - 72 -

de cet instrument - sera tranché par la Cour selon sa propre procédure.

Le fait qu'une question différente est portée devant le Conseil de

sécurité n'est pas pertinent à cette décision que prendra la Cour sur sa

compétence.

Mais ce qui est pertinent, nous le faisons valoir respectueusement,

c'est la considération que ne devraient pas être indiquées de mesures

conservatoires qui viseraient cet autre différend et auraient une

incidence sur lui. Le Conseil de sécurité, nous l'avons expliqué, est

saisi d'une situation concernant le terrorisme international, et la

question se pose de savoir ce que la Libye est tenue de faire en

conformité avec le droit international général, tant en ce qui concerne

les événements relatifs au massacre de Lockerbie que pour prévenir le

terrorisme à l'avenir. Ce ne sont pas là les questions dont la Libye a

choisi de saisir la Cour; mais les mesures conservatoires qu'elle réclame

sont une tentative pour entraver le Conseil de sécurité dans son action

concernant ces autres questions.

076 Et le libellé du paragraphe 7, alinéa b), de la demande en

indication de .mesures conservatoires n'évite pas cette réalité. Cette

clause prie la Cour de veiller à éviter toute mesure qui porterait

atteinte de quelque façon au droit de la Libye en ce qui concerne la

procédure judiciaire. Mais le paragraphe 7, alinéa a), la prie

d'interdir au Royaume-Uni d'engager aucune action visant à obtenir

qu'elle remette les personnes accusées à une autorité judiciaire, quelle

qu'elle soit, extérieure à la Libye. Et une demande parallèle est faite

de prononcer la mêmeinterdiction à l'encontre des Etats-Unis.

Les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ont informé le Conseil

de sécurité qu'ils avaient adressé des demandes spécifiques à la Libye

pour qu'elle livre les accusés afin qu'ils soient traduits en justice;

divulguent tous les renseignements et assument la responsabilité des

0038C/CR 92/3/Trad. .- 73 -

agissements des agents de renseignements de l'Etat (voir S/23308,

annexe p. 2 [D3]). Ces pays ont également demandé que la Libye "de façon

concrète et définitive renonce à toute forme d'action terroriste et à

tout soutien apporté à des groupements terroristes, La Libye devra

apporter sans délai par des actes concrets les preuves d'une telle

renonciation" (voir S/23309, annexe, p. 3 [D4]).

Les mesures que demande la résolution 731 forment un tout. Prises

ensemble, elles représentent ce qu'il faut faire pour contribuer de

!manière efficace à l'élimination du terrorisme- l'établissement de la
'
culpabilité ou de l'innocence devant les tribunaux appropriés de l'Ecosse

Jou des Etats-Unis et, dans le cas du vol UTA772, devant les tribunaux

:appropriés de la France; l'acceptation de la responsabilité; le versement

de réparations; la fin du soutien au terrorisme, et la renonciation

publique et véritable au terrorisme.

Commeces éléments forment un tout, des mesures conservatoires qui

tendraient à interdire soit au Royaume-Uni, soit aux Etats-Unis, quelque

chose qui concerne l'un quelconque d'entre eux sont sans objet à moins

qu'elles ne visent à entraver une action future du Conseil de sécurité.

De plus, la Cour n'a pas le pouvoir d'enjoindre quelque chose au Conseil

'de sécurité en tant que tel, ou à d'autres membres du Conseil ou à

077 d'autres membres des Nations Unies qui ne sont pas parties à l'affaire

dont la Gour est saisie. C'est une raison de plus pour laquelle la Cour

ne devrait pas faire droit au demandeur. De plus, les mesures que

réclame la Libye au paragraphe 7, alinéa a), de sa demande ne sont pas

compatibles avec les obligations de la Libye elle-même en application de

l'article 24 de la Charte, Cet article dispose que :

"Les Etats membres reconnaissent qu'en s'acquittant des
devoirs que lui impose cette responsablité le Conseil de
sécurité agit en leur nom."

_~,'• +
0038C/CR 92/3/Trad., ~ 74 -

Conclusion

Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, nous comprenons bien

pourquoi la Libye a présenté une demande en indication de mesures
.,

conservatoires. Ce n'est pas parce qu'il existe des droits faisant

l'objet d'un différend entre la Libye et le Royaume-Uni qui sont en

d.anger imminent d'être irréparablement atteints, Nous avons montré à la

Cour que les droits sur lesquels se fonde la Libye en invoquant la

convention de Montréal sont illusoires; qu'avant cette requête à la Cour,

ils n'avaient jamais fait l'objet d'un différend entre les parties; et

qu'en tout état de cause, les droits allégués par la Libye ne courent

aucun danger d'être irréparablement atteints, Non, la véritable raison

pour laquelle la Libye demande une ordonnance indiquant des mesures

conservatoires est toute différente. Elle est d'ordre tactique. La

Libye recherche des avantages tactiques vis-à-vis d'autres instances

internationales, qui peuvent découler d'une demande en indication de

mesures conservatoires - que ces mesures soient justifiées ou non, et

qu'elles soient accordées ou non. Des mesures conservatoires rehaussent

l'effet politique d'une procédure judiciaire. Elles tentent de dicter à

l'Etat contre lequel elles sont demandées ce qu'il a à faire, en

déterminant ses priorités et en s'efforçant de limiter ses possibilités,

Et naturellement, la Libye espère que sa demande en indication de mesures

conservatoires établira aussi une présomption en faveur de la compétence

de la Cour, sur laquelle celle-ci doit encore se prononcer quant au fond,

Pour obtenir qu'il soit fait droit à sa demande en indication de

mesures conservatoires, la Libye doit réussir à démontrer chacun des

points suivants

1) démontrer la compétence prima Eacie sur un différend;
078
2) démontrer que les droits qu'elle revendique ne sont pas illusoires;

0038C/CR 92/3/Trad. - 75 -

3) démontrer que les mesures conservatoires qu'elle propose visent

légitimement à protéger les droits qui font l'objet du différend;

r 4) démontrer que l'arrêt de la Cour est en danger d'être privé d'effet si

le Royaume-Uni n'est pas contraint par des mesures conservatoires;

• 5) démontrer que cette atteinte irréparable à l'effet de l'arrêt a un

caractère d'urgence;

6) démontrer que, mêmesi tous les critères de compétence prima Eacie

et tous les critères de l'article 41 sont réunis, il convient que la

Cour indique les mesures demandées.

Un seul échec de la Libye sur l'un quelconque de ces points suffit

.pour que les mesures conservatoires ne puissent lui être accordées. Le
1
Royaume-Uni soutient que la Libye ne peut en démontrer aucun et demande à

la Cour de rejeter la demande en indication de mesures conservatoires.

Monsieur le Président, j'ai terminé l'exposé du Royaume-Uni.

Le PRESIDENT, faisant fonction de Président : Je vous remercie

Madame. Je pense que la plaidoirie du Royaume-Uni dans l'affaire de la
i
Libye c. le Royaume-Uni est terminée, Demain, la Cour se réunira à
j
~0 heures pour entendre l'exposé des Etats-Unis dans l'affaire de la
l
Libye c. Etats-Unis.

L'audience est levée et nous reprendrons demain matin à 10 heures.

L'audience est levée à lB heures 10.

)

0038C/CR 92/3/Trad, •r

·e

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