1 ARCH1VES 1
Non- Corrigé Traduction
Unco"rrected Translation
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CR 92/6 (translation)
samedi 28 mars 1992
Saturday 28 MarCh 1992
'
OOBOC/CR/6/ Veuillez vous
08 Le VICE-PRESIDENTfaisant fonction de PRESIDENT
asseoir. La Cour va entendre maintenant la duplique du Royaume-Uni dans
l'instance introduite par la Libye contre le Royaume-Uni. M. Rodger a la "'A_
'1-J
parole. .,,;,
:...41\
M. RODGER: Monsieur le Président, Messieurs de la Cour. Dans sa
réplique de ce matin, M. Brownlie s'est référé à ce que j'avais dit
devant la Cour jeudi au sujet du crime commis à Lockerbie et des raisons
pour lesquelles le Lord Advocate avait pris les premières mesures pour
poursuivre deux ressortissants libyens. M. Brownlie a dit que parler de
ces affaires donnait à la procédure un climat d'irréalité puisque, a-t-il
dit, la Cour s'occupe de questions juridiques qui se rapportent à la
convention de Montréal.
Le récit que j'avais fait était strictement en rapport avec les
questions dont la Cour est saisie. Il tendait à expliquer pourquoi le
Royaume-Uni aborde la question en se fondant sur le fait que le
Lord Advocate, après une enquête approfondie, a accusé les deux'individus
en question d'avoir commis ces crimes pour servir les fins des services
de renseignement libyens. La position qui est la nôtre en découle et
s'il y a dans ce prétoire un climat d'irréalité c'est parce que le
conseil du demandeur n'a pas voulu regarder en face cet élément •
déterminant.
En toute hypothèse, Monsieur le Président, le fait que la complicité
des services de renseignement libyens dans l'attentat est alléguée dans
l'acte d'accusation ne peut être sans rapport avec la prétention de juger
les suspects émise par la Libye. C'est un principe de droit très banal .~
-.J
qui veut qu'on ne peut être à la fois juge et partie. Pourtant c'est ce '~<J
que, en fait, la Libye demande. Commeje l'ai dit jeudi, si elle était
acceptée, cette manière de voir signifierait la fin du système échafaudé
dans les dix conventions qui ont pour but de combattre le terrorisme.
OOSOC/CR/6/ - 3 -
En ce qui concerne la compétence prima Eacie, qui est le seul
09
autre point que je souhaite mentionner, je me bornerai, pour l'essentiel,
à confirmer ce que j'ai dit jeudi. Je n'ajouterai que quelques
précisions pour tenir compte de la réponse de M. Salmon.
Tout d'abord, je souligne que la Cour doit se demander si, prima
Eacie, elle était compétente lorsque la requête a été introduite, le
3 mars.
Je voudrais ensuite citer de nouveau ce qu'a dit la Cour dans les
affaires du Sud-Ouest africain
"Il ne suffit pas que l'une des parties à une affaire
contentieuse affirme l'existence d'un différend avec l'autre
partie. La simple affirmation ne suffit pas pour prouver
l'existence d'un différend, tout comme le simple fait que
l'existence d'un différend est contestée ne prouve pas que ce
différend n'existe pas."
D'autre part, pour ce qui est de l'existence d'un différend, je
rappelle à la Cour qu'il faut que ce différend ait porté sur
l'interprétation ou l'application de la convention de Montréal.
Ce matin M. Salmon a cité diverses communications de la Libye et du
juge d'instruction libyen, mais aucune, avant le 18 janvier, n'a jamais
mentionné la convention de Montréal. En particulier, la lettre du
8 janvier (doc. libyen n° 20) à laquelle M. Salmon a fait allusion ce
matin ne mentionnait pas la convention de Montréal et n'était pas rédigée
comme si elle s'y rapportait. Au contraire, la Cour notera que les
termes de l'offre énoncée au point 2, page 3 , de cette lettre en vue de
résoudre tous les conflits juridiques ne concorde nullement avec les
dispositions de l'article 14, paragraphe 1er, de la convention de
Montréal .•
Dans ces conditions, la Libye ne peut prétendre que ces
communications attestent l'existence d'un conflit qui relèverait de la
convention de Montréal.
OOSOC/CR/6/ - 4 -
10 Commeje l'ai souligné dans mon premier exposé, le champ
d'application de l'article 14, paragraphe 1er , est tres lim te.
Lorsqu'il est demandé à la Cour de fonder sa compétence sur une
•i
disposition limitée telle que celle-ci, la Cour doit donc s'assurer avec
soin qu'un différend relevant de cette disposition de portée limitée -·
existe vraiment. C'est pourquoi, en l'espèce, il faut être prudent si
l'on se réfère à l'opinion exprimée par la Cour dans des affaires
concernant l'identification d'un différend dans lesquelles le fondement
présumé de la compétence avait un caractère général, s'appliquant à tous
les différends, ou du moins plus large, s'appliquant à une catégorie de
différends plus étendue.
Ce matin, M. Salmon a mentionné l'affaire du Sud-Ouest africain,
11
qui montrerait que la Cour évite d'adopter une attitude formaliste en
examinant la question de l'existence d'un différend, Ce passage est
évidemment bien connu, mais la Cour ne manquera pas de tenir compte des
circonstances dans lesquelles ces déclarations ont été faites. Dans
cette affaire, la Cour avait constaté qu'un examen mêmerapide de la
documentation montrait qu'une impasse existait au moment du dépôt des
requêtes, en novembre 1960, et même,en fait, depuis plus de six ans. On
était donc très loin des particularités de la présente instance. De
même,lorsque, dans l'affaire Mavrommatis, la Cour permanente avait
parlé de la souplesse dans les relations internationales, cette
déclara ti on se si tuait dans un "'Contexte très· ,particulier ·où -i ,·était ··dit
que les négociations avaient "précisé tous les points en discussion entre
les deux gouvernements". Là encore, pour des raisons évidentes, la
situation était bien différente du cas actuel. Dans l'avis consultatif
récent sur l'obligation d'arbitrage la Cour n'a pas éludé l'obligation de
définir le différend. Au contraire, elle a manifestement accordé
OOSOC/CR/6/ - 5 -
beaucoup d'importance à la lettre du Secrétaire général expliquant
~xa cuelts étaimnt elesnquestions juridiques qui constituaient un
'
'différend.
je suis obligé de relever qu'à sa manière élégante, M. Salmon a
1
déclaré que tous nos arguments relatifs à l'article 14 s'inscrivaient
.dans une logique qui était celle de Lewis Carroll, puisque nous nions que
:la convention de Montréal soit applicable et pourtant nous nous efforçons
!d'amener la Libye à respecter les dispositions de l'article 14,
paragraphe 1er de cette convention,
Mais, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, il n'y a rien
:d'illogique dans notre attitude. C'est la Libye qui a décidé d'invoquer
la convention de Montréal. Nous disons simplement que si la Libye tente
de fonder ses prétentions sur la convention de Montréal, elle ne peut pas
écarter les dispositions de l'article 14, paragraphe 1er, qui font
partie intégrante de la convention. Elle ne peut pas choisir seulement
ce qui l'arrange. Elle ne peut pas se fonder sur les dispositions qui
1 :2 :sont favorables à sa cause et demander à la Cour de ne pas tenir compte
d'une autre clause qui n'est pas favorable à la Libye, mais qui contient
!des conditions préalables à la compétence de la Cour, que la Libye
prétend précisément invoquer.
CommeM. Salmon lui-même l'a dit, nous attendions tous, j'en suis
sGr, avec impatience ce qu'il allait dire au sujet du délai de six mois.
:En fait, il a commencépar invoquer deux considérations. Il a d '·abord
fait référence à certaines affaires relatives à l'épuisement des voies de
recours internes, Je dirai seulement que ce n'est pas ce genre de
.questions que la Cour examine aujourd'hui et qu'aucun principe général
applicable à la présente espèce ne peut être tiré de !'.arrêtcité ou de
l'opinion de M. Ago. Non sans quelque délectation, M. Salmon s'est
·oosoc/CR/6/ - 6 -
référé aussi à une conclusion sur le délai qui figure dans le mémoire des
Etats-Unis dans l'affaire des Otages. Les Etats-Unis souhaiteront
peut-être revenir sur ce point dans leur duplique, je ne sais pas. Pour
ma part, je me bornerai à faire observer que, dans l'affaire en question,
la Cour n'avait pas fondé sa compétence sur la convention qui donnait
lieu à cet argument et, à vrai dire, la Cour n'avait exprimé aucune
opinion sur l'argument (affaire relative au Personnel diplomatique et
consulaire des Etats-Unis à Téhéran, mesures conservatoires, ordonnance
du 15 décembre 1979, par. 14 et 21).
M. Salmon a dit aussi qu'une exigence procédurale telle que celle
qui retient notre attention ici ne doit être respectée que si elle sert à
quelque chose. Mais j'ai expliqué dans mon exposé précédent que ce délai
fixé par l'article 14, paragraphe 1 er, sert assurement à quelque chose
d'important. Le délai de six mols a pour but de garantir qu'une partie
ne pourra pas empêcher un règlement amiable par des manoeuvres dilatoires
dirigées contre l'organisation d'un arbitrage. L'essentiel de cette
disposition n'est d'ailleurs pas d'interdire formellement de porter un
différend devant la Cour, mais d'indiquer que l'arbitrage est la forme
normale de règlement amiable des différends dans le cadre de la
convention, la compétence de la Cour n'étant qu'un ultime recours.
Lorsqu'il a entrepris d'analyser le texte de l'article 14, M. Salmon
13
a fait montre de tous les dons, non d'un illusionniste occasionnel, mais
d'un prestidigitateur expérimenté et· adroit~ ~a·r son interprétation ·des
mots "dans les six mois" aurait pour effet de les faire disparaitre
complètement. Il a cité le texte français, où figure le mot "dans",
aussi bien que le texte anglais, avec "within". Et sa conclusion a été
que ce mot voulait dire "pendant". Mais si cette disposition se bornait
à dire qu'au cas où, pendant les six mois qui suivent la demande, les
parties ne peuvent se mettre d'accord sur un arbitrage, l'une ou l'autre
OOSOC/CR/6/ - 7 -
l
d'entre elles peut saisir la Cour, quelle utilité y aurait-il alors, je
1 . .
le demande, a mentionner cette periode de six mois ? S'il fallait
1
l'interpréter ainsi, cette clause, en fait, ne se distinguerait pas d'une
àutre qui dirait simplement que si, au bout d'un laps de temps quelconque
~près la demande d'arbitrage, les parties ne peuvent se mettre d'accord,
la Cour peut être saisie. Mais ce n'est pas ce que dit l'article 14 et
il faut appliquer le délai de six mois.
Pour conclure, la question de la compétence me paraît simple.
Prima Eacie, au regard des dispositions de l'article 14, paragraphe 1,
e la Cour n'était pas compétente en vertu de cet article le 3 mars quand la
~equêt eut présentée, Dans ces conditions la Cour n'est pas compétente
~ujourd'hu pour indiquer des mesures conservatoires.
Mon amie MmeHiggins va maintenant présenter d'autres éléments de la
duplique du Royaume-Uni.
Le PRESIDENT Merci M. Rodger. MmeHiggins à la parole.
14
MmeHIGGINS : Messieurs de la Cour, il a été suggéré ce matin, et le
Solicitor-General en a déjà parlé, qu'il y aurait quelque chose d'irréel
dans la manière dont nous plaidons notre cause, Selon M. Brownlie, la
·réalité est que "la Libye est maintenant accusée de se fonder sur les
dispositions d'une convention internationale et de saisir la Cour", Il
est évidemment tout à fait loisible à la Libye de présenter une demande
en invoquant une convention. Il ·appartiendra à la Cour, le moment venu,
de décider si cette convention lui donne compétence pour examiner
~·affaire au fond. Mais aujourd'hui il s'agit de mesures
1
conservatoires. Et ce que nous disons, c'est que la raison d'être des
mesures conservatoires est telle qu'en l'occurrence elles ne sont ni
nécessaires ni appropriées. Nous disons aussi que la demande de la Libye
ne remplit aucune des conditions énoncées par la Cour pour l'exercice des
pouvoirs que lui confère l'article 41 du Statut .
.OOSOC/CR/6/ - 8 -
Monsieur le Président, nous avons examiné avec attention, jeudi, le
problème des relations entre le Conseil de sécurité et la Cour et je n'ai
donc pas à y revenir.
M. Salmon a déclaré aujourd'hui que le Royaume-Uni s'efforçait
..
d'utiliser le Conseil de sécurité pour empêcher la Cour d'exercer sa
mission. Tels sont les termes qu'il a employés. Mais quelle est la
mission de la Cour ? C'est de traiter les questions juridictionnelles
relatives à la question que la Libye a portée devant elle. D'après la
Libye, il y a un différend qui a trait à une série de droits découlant de
la convention de Montréal. La mission de la Cour sera de déterminer
premièrement si à l'heure actuelle, par référence à la date de la
requête, la Cour est compétente prima facie pour ordonner les mesures
1 :) conservatoires demandées; deuxièmement déterminer si lesdites mesures
sont nécessaires pour protéger l'exécution effective d'un éventuel arrêt;
et troisièmement si les mesures, au cas où elles seraient nécessaires,
vont bien dans ce sens. Telle est la mission de la Cour. Il n'est pas
question d'utiliser le Conseil de sécurité pour faire obstacle à
l'accomplissement de cette mission.
Il n'est pas exact non plus de dire, comme l'a fait M. Suy, que nous
soutenons que la Cour perd la compétence qu'elle possède parallèlement
avec le Conseil de sécurité lorsque celui-ci agit dans le cadre du
chapitre VII. Le Conseil de sécurité ne s'occupe pas des questions qui
ont été portées devant la Cour. -c•·est pourquo àin~otre avis,- ·Coaur·ne
doit pas ordonner de mesures conservatoires qui pourraient affecter des
décisions politiques sur d'autres questions dans ·1e cadre du Conseil de
sécurité.
Le Conseil de sécurité n'a pas abordé la question de savoir s'il
existe une série de droits découlant de la convention de Montréal, y
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compris le droit de décider, en invoquant le principe aut dederel
aut judicare, de juger ces propres agents des services de renseignement
1
plutôt que de les extrader. Et s'il envisage certaines sanctions, ce
n'est certainement pas pour le motif que son opinion sur ces questions
juridiques différerait de celle de la Libye,
L'histoire diplomatique est claire. Les demandes du Royaume-Uni,
4es Etats-Unis et de la France (tableau 13, documentation du Royaume-Uni)
ont été exprimées dans une déclaration commune où il est dit que la Libye
doit remettre à la justice toutes les personnes accusées de crimes et
._. ~ccepu tneer leine responsabilité pour les actes des fonctionnaires
~ibyens r,véler tout ce qu'elle sait du crime, y compris les noms des
~esponsabl ets permettre un plein accès à tous les témoins, documents et
~utre élséments de preuve matériels y compris tous les dispositifs
d'horlogerie restants, et qu'elle doit verser des indemnités adéquates.
La résolution 731 et le projet de résolution actuellement à l'examen
ne portent pas, commeM. Suy l'a laissé entendre, sur la question dont la
~ibye a saisi cette Cour. La résolution et le projet portent sur cet
1 é) :ensemble de demandes. Et la résolution prouve que ces demandes étaient
iconsidérées comme appropriées par le Conseil de sécurité en tant que
mesures destinées à lutter contre le terrorisme international, question
1qui est de longue date à 1' ordre du jour du Conseil et à laquelle
~elui-ci n'a cessé de s'intéresser.
La résolution 731 "déplore vivement le-fait que le Gouvernement
libyen n'ait pas répondu effectivement aux demandes ci-dessus" et elle
1
demande instamment à la Libye d'apporter immédiatement une réponse
complète et effective à ces demandes ''afin de contribuer à l'élimination
âu terrorisme international".
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Dans le septième considérant du projet de résolution, il est dit que
"[le] manquement continu [de la Libye] à répondre de manière complète et
effective aux requêtes contenues dans la résolution 731 constitue une
menace pour la paix et la sécurité internationales". Et le projet
réaffirme que, conformément à l'article 2, paragraphe 4, de la Charte
"Chaque Etat a le devoir de s'abstenir d'organiser et ç:y
d'encourager des actes de terrorisme sur le territoire d'un
autre Etat, d'y aider ou d'y participer, ou de tolérer sur son
territoire des activités organisées en vue de perpétrer de tels
actes."
Le Conseil de la Libye déclare que la résolution 731 est une simple
recommandation. Mais qu'est-ce que la Libye demande à la Cour ? La
Libye demande-t-elle à la Cour aujourd'hui" de dire que, parce que la
résolution relève du chapitre VI, la persistance de la Libye dans son
attitude négative ne pourrait jamais constituer une menace pour la paix
et que, par conséquent, le Conseil de sécurité ne pourrait jamais
ordonner de sanctions, que son action devrait être entravée par la Cour
grâce au dispositif des mesures conservatoires et que les membres du
Conseil devraient être empêchésde faire des propositions dans ce sens.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, il est arrivé souvent
que des sanctions ordonnées en vertu du chapitre VII aient été d'abord
l'objet de recommandations au titre du chapitre VI. Il est naturel de
passer d'un chapitre à l'autre s'il n'y a pas de coopération.
l_
Le conseil de la Libye a déclaré que la remise des suspects n'était
17
pas une mesure d'ajustement appropriée aux termes de l'article 36,
paragraphe 1 de la Charte, que le Conseil de sécurité demande un ensemble
d'actions destinées à répondre sérieusement au terrorisme. La Libye
demande-t-elle à la Cour de déclarer que cela n'est pas conforme à
l'article 36 ? Telle n'est certainement pas la raison d'être des mesures
conservatoires.
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Notre prétention est vraiment modeste : nous disons qu'une demande
1
qe mesures conservatoires doit être conforme aux critères juridiques
formulés par la Cour pour l'indication de telles mesures. Cela ne veut
pas dire, contrairement à ce qu'a suggéré M. Suy, que toute la
jurisprudence de la Cour serait ainsi envoyée aux archives. Certes, et
nous l'avons dit, la jurisprudence montre que la Cour est libre de
traiter les aspects juridiques de questions politiques qui peuvent
retenir l'attention du Conseil de sécurité, Mais en l'espèce, la Cour
examine des prétentions qui invoquent la convention de Montréal alors que
~ le Conseil de sécurité a entrepris de déterminer si le fait que la Libye
ne répond pas positivement aux trois demandes concernant le terrorisme
constitue une menace pour la paix internationale. Aucune jurisprudence
n'autorise des mesures conservatoires sur des questions dont la Cour
n'est pas saisie et qui relèvent de l'appréciation politique du Conseil
de sécurité sur le point de savoir si le fait de ne pas appliquer une
résolution antérieure, quel que soit le statut de cette résolution, peut
en toutes circonstances constituer une menace à la paix.
Sous quelque lumière qu'on la présente, la demande de mesures
conservatoires invite la Cour à dire maintenant qu'une décision que le
Conseil de sécurité n'a pas encore prise serait illégitime; bien que
cette décision porte sur des questions dont le Conseil de sécurité, et
non la Cour, est saisi; bien que le Conseil de sécurité soit compétent
pour décider s'il y a une menace à la paix; et ·bien que, en vérité, le
chapitre VII l'oblige à le faire,
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, je dirai quelques mots
18
de la question des droits illusoires. On pourrait facilement perdre de
vue la question que la Cour doit trancher, qui est de savoir si des
mesures conservatoires sont nécessaires pour protéger les droits de la
Libye tels que celle-ci les a formulés en se référant à la convention de
Montréal.
OOSOC/CR/6/ - 12 -
Le conseil de la Libye a dit ce matin :
"Les parties défenderesses réagissent maintenant en disant
puique la Libye ne veut pas livrer les suspects de sa propre
volonté, nous allons entamer une procédure devant le Conseil de
sécurité afin de forcer la Libye à abandonner une partie de ses
droits souverains." (CR 92/5, p. 10.)
Mêmesi le Conseil de sécurité traitait d'un différend relatif aux
droits souverains de la Libye, ce qui n'est pas le cas, il faudrait de
nouveau poser la question : quels droits ? Nous avons besoin de le
savoir, non pour décider s'il faut bloquer l'action du Conseil de
sécurité, mais pour voir si la Cout-est fondée à indiquer des mesures
conservatoires, c'est-à-dire s'il est correct qu'elle impose une
contrainte à un Etat alors que sa compétence n'est pas encore établie et
que l'affaire n'a pas encore été plaidée au fond.
Nous avons, ce matin, écouté attentivement la nouvelle formulation
des droits invoqués au titre de la convention de Montréal. Bien que
l'article 7 pose une obligation, il a été dit que c'était une obligation
alternative : aut dedere aut judicare, ce qui implique l'existence d'un
droit d'option. Mais ce que dit l'aticle 7 c'est que, si l'on n'extradie
pas, on est tenu d'exercer l'action pénale. Le droit qu'aurait un Etat
complice de poursuivre les agents de ses propres services de sécurité et
de refuser de les livrer en dehors des dispositions de la convention de
Montréal découlerait apparemment d'une combinaison du principe aut
dedere aut judicare contenu dans l'article 7 et de la reconnaissance de
ce que la convention n'exige pas l'extrad"ition·si celle-ci est contraire
à la législation interne.
19 Mêmeen faisant abstraction des diverses offres qu'a faites la Libye
de remettre les personnes accusées à d'autres juridictions, mêmeen
laissant cela de côté, nous affirmons que ce raisonnement tortueux est
très loin de remplir la condition requise pour que l'on puisse conclure,
prima Eacie, à l'existence d'un droit sur lequel fonder des mesures
OOSOC/CR/6/ - 13 -
conservatoires, Pour ce qui est du droit énoncé à l'article 11, la
partie demanderesse a souligné qu'il ne s'agirait pas d'un droit
secondaire. Le conseil de la Libye est convenu, et cette déclaration
nous a intéressés, que la convention de Montréal définit des compétences
.. possibles mais ne fixe ni priorité ni exclusivité, Et pourtant il
subsisterait un droit souverain de juger ses propres ressortissants et
par conséquent le droit d'obtenir une coopération au titre de
l'article 11.
Mais, une fois admis que rien dans la convention de Montréal ne dit
e laquelle des diverses juridictions possibles sera en fait compétente pour
statuer dans telle ou telle affaire, l'article 11 ne peut être autre
chose qu'un droit secondaire, qui ne prend effet qu'après que cette
détermination a été en effectuée. Là encore, l'existence du droit
invoqué n'a pas été établie prima facie et aucune mesure conservatoire
ne peut s'y rattacher.
Quant aux autres prétendus droits mentionnés dans la requête, ils se
sont dilués et aucune nouvel argument sérieux n'a été avancé à leur sujet.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, on a parlé de magiciens
qui s'efforceraient d'escamoter des droits, mais il serait plus exact de
dire qu'il faudrait être un alchimiste plus habile que ne l'a été le
conseil de la Libye pour transmuer le vil métal des obligations en l'or
étincelant des droits,
Un mot sur les droits et·-le besoin de mesures.
Il importe également de ne pas perdre de .vue que, mêmesi nous
avions des droits, non des obligations, aucun d'entre eux n'exigerait des
mesures conservatoires pour être protégé contre un préjudice irréparable,
au sens où il serait impossible d'exécuter un jugement. Seul un prétendu
2Q droit souverain, que nous avons entendu invoquer ce matin, de traduire en
_justice ses propres ressortissants et de ne pas les livrer à un autre
OOSOC/CR/6/ - 14 -
Etat compétent en vertu du droit international général, seul ce droit
souverain entrerait dans le cadre de mesures conservatoires. Et à ce
sujet je me permets de rappeler respectueusement à la Cour ce que je
disais jeudi : les mesures conservatoires n'ont aucun rôle à jouer à
..
l'égard de la protection de ces droits, mêmetels que formulés par la
Libye (CR 92/3, p. 56).
Quant à leur imprécision, il a été expliqué par le conseil de la
Libye ce matin que celle-ci reflétait le besoin de protection nécessaire
contre la menace de la force, et c'est de ce point que je voudrais parler
maintenant.
On a évoqué ce matin la lourde réalité de menaces imminentes que le
Royaume-Uni fasse usage unilatéralement de la force. Si la Libye croit
vraiment que de telles menaces ont été faites, il lui suffit de
s'adresser au Conseil de sécurité, qui est précisément l'instance que
l'on saisit d'ordinaire de griefs relatifs à des menaces contraires à
21 l'article 2, paragraphe 4, de la Charte. Ce qui est tout à fait
singulier, c'est de s'adresser plutôt à la Cour internationale de Justice
pour lui demander d'indiquer des mesures conservatoires dans une affaire
prétendument relative à la convention de Montréal, en se fondant sur des
menaces supposées. La Libye a décidé de ne pas saisir le Conseil de •
sécurité de ces menaces supposées ni d'introduire une instance fondée sur
une infraction à l'article 2, paragraphe 4.
Monsieur le Président, Messieurs les ~embre se la Cour, nous le
soulignons une fois encore, ce ne sont pas les allégations de menaces en
violation de l'article 2, paragraphe 4, qui font··l'objet du différend
soumis à la Cour, bien que la Libye eût pu décider le faire.
OOSOC/CR/6/ - 15 -
Ce n'est pas en présentant plusieurs articles de journaux maintenant
que l'on en fait l'objet de cett'e affaire, et conformément à la
jurisprudence claire que j'ai évoquée devant la Cour l'autre jour, cela
ne peut donc pas faire l'objet de mesures conservatoires. Il n'existe'
..
tout simplement pas de lien.
Enfin, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, je voudrais
commenter brièvement la suggestion qui a été avancée, que la Cour ordonne
d'office des mesures conservatoires, peut-être aux deux Parties, leur
demandant de s'abstenir de toute action de nature à aggraver la
~ situation, ou de s'abstenir de menaces ou l'usage de la force.
Je ne répéterai naturellement pas ce que j'ai dit au sujet de
l'impossibilité d'invoquer l'aggravation d'un différend comme motif
séparé qui ne s'appuierait pas simultanément sur le motif de la nécessité
de veiller à ce qu'un jugement éventuel soit suivi d'effet, sauf pour
dire que nous n'avons pas lu autre chose dans l'opinion de M. Lachs, dans
l'affaire de la Mer Egée : il indiquait simplement que lorsque la Cour
peut utilement oeuvrer parallèlement aux organes principaux des
Nations Unies pour réaliser les objectifs de celles-ci, elle devrait
avoir une certaine latitude pour le faire.
La Cour a sans aucun doute le pouvoir d'indiquer des mesures
d'office. Il pourrait s'agir de mesures qui ne sont pas demandées, ou de
mesures différentes dans leurs termes de celles qui ont été demandées.
Nous faisons valoir que ce pouvoir·reste un pouvoir qui doit être-exerc~·
dans les limites relatives aux mesures conservatoires que prévoit
l'article 41. Ce n'est que si la Cour est vraiment convaincue qu'il
existe des droits prima Eacie; seulement si elle est vraiment
convaincue qu'ils sont en danger imminent de subir une atteinte
irréparable; seulement si elle est convaincue que les mesures visent
exclusivement à sauvegarder ces droits; seulement alors, la Cour devrait
OOSOC/CR/6/ - 16 -
envisager des mesures conservatoires mêmed'office. Sans cela, elle
ouvrirait grandes ses portes à des foules de demandeurs qui espéreront
">
tirer un avantage politique de tout appel général qu'elle pourrait lancer.
Monsieur le Président, nous croyons pour notre part que les
restrictions qu'il est proposé d'apporter à la liberté d'Etats souverains ..
alors que la compétence n'est pas établie, alors que ces Etats n'ont pas
été convaincus d'avoir enfreint une obligation de droit international, ne
devraient pas être indiquées sans respecter scrupuleusement le Règlement,
le Statut, et les critères que la Cour elle-même a élaborés dans ses
divers arrêts. Et nous faisons valoir que si l'on analyse bien ces
points de droit, en laissant de côté les considérations tactiques et les
allégations étrangères à la demande, on constatera qu'il n'y a pas de
compétence prima Eacie au fond; qu'il n'y a pas de droits prima Eacie
dont peuvent découler les mesures; et qu'il n'y a pas lieu, dans toutes
ces circonstances, d'indiquer des mesures.
S'il plaît à la Cour, j'ai terminé mon intervention à titre de
duplique, et je vous demanderais de bien vouloir donner la parole à
l'agent du Royaume-Uni.
Le VICE-PRESIDENTfaisant fonction de PRESIDENT: Je vous remercie
Madame, et je donne la parole à M. Berman, l'agent du Royaume-Uni. •
M. BERMAN : S'il plaît à la Cour, je suis heureux, Monsieur le
Président, que le conseil du ·Royaume-Uni ait pu présenter la duplique du
Royaume-Uni brièvement, pour répondre aux arguments présentés ce matin
par le demandeur. Cela illustre le nombre réduit de questions véritables
qui se posent dans cette procédure, et le fait que les auditions ont
servi leur objet, qui est d'exposer la position fondamentale du demandeur
et d' y répondre. En conclusion de la plaidoirie, au nom de mon
gouvernement, il ne reste qu'à rappeler à la Cour sur quoi porte cette
procédure : cette demande d'indication de mesures conservatoires.
OOSOC/CR/6/ - 17 -
L'affaire, telle qu'elle se présente maintenant, comporte un certain
nombre de caractères inhabituels. Il n'est pas inhabituel que l'affaire
soit très politique, c'est le plus souvent le cas devant cette Cour. Il
n'est pas mêmeinhabituel que l'affaire recoupe en partie une question
...
dont le Conseil de sécurité est activement saisi. Cela aussi s'est
.Produit dans le passé, et le Conseil et la Cour ont trouvé moyen de
veiller à ce que leurs fonctions respectives établies par la Charte des
Nations Unies se renforcent et se complètent dans l'intérêt de la paix et
de la sécurité internationales.
Ce qui fait la singularité de cette affaire, c'est que c'est la
toute première fois, dans l'histoire de la Cour, ou de son prédécesseur,
qu'un Etat membre fait appel à la procédure de la Cour, et non,
observons-le, à sa compétence au fond, mais à ses pouvoirs spéciaux
d'intervenir d'urgence et à titre provisoire en indiquant des mesures
conservatoires. Invoquer ces pouvoirs afin d'entraver le fonctionnement
du Conseil de sécurité et, en deux mots, l'empêcher d'agir. Cela était
implicite, sans aucun doute, dans le choix du moment où ont été
présentées la demande introductive d'instance et la requête, et dans 1e
libellé des mesures demandées, et dans le caractère prématuré de la
démarche du point de vue de la clause de compétence sur laquelle elle se
fondait,
24 Cela, ces auditions ont permis d'en révéler l'intention, par suite
de ce que M. Suy a reconnu jeudi et répété ce matin.
Je me permets d'appeler respectueusement l'attention de la Cour sur
cette situation et sur les arguments de droit et de prudence développés à
ce sujet par MmeHiggins, au nom du Royaume-Uni.
Monsieur le Président, le deuxième trait particulier de cette
affaire est autre chose, à quoi MmeHiggins a fait allusion : à savoir
les allégations de menace d'usage illicite de la force, qui ont été
lancées devant cette Cour par le conseil du demandeur.
OOBOC/CR/6/ - 18 -
Je n'y répondrai que brièvement en deux points. Je le fais comme
agent du gouvernement, et je le fais seulement parce que c'est sur ces
allégations que le demandeur fonde maintenant une grande partie de son
argumentation en faveur des mesures conservatoires.
D'abord, la preuve d'une telle menace, et d'une imminence suffisante ''•
pour justifier des mesures conservatoires, est non seulement mince, elle
1/Il•
est inexistante. MmeHiggins en a déjà traité, mais j'ajoute que
25
l'accusation lancée contre mon gouvernement est grave, et elle est
d'autant plus grave qu'elle est censée aller de pair avec le fait que mon
gouvernement prend actuellement des mesures, de concert avec d'autres, au e
Conseil de sécurité, en vertu de la Charte des Nations Unies.
La Cour ne devrait pas être invitée à connaître d'accusations d'un
pareil degré de gravité sur la base d'éléments aussi manifestement peu
convaincants.
Deuxièmement, Monsieur le Président, le conseil du demandeur a
montré son jeu ce matin. Ce que M. Brownlie a exposé ce matin était
clairement une allégation que le Royaume-Uni violait l'interdiction de la
menace ou de l'emploi de la force que prévoit la Charte des
Nations Unies. Si je me souviens bien, il a invoqué l'article 2,
paragraphe 4, de la Charte. Il s'est référé à la déclaration relative
•
aux relations amicales comme constituant une interprétation faisant
autorité des principes de la Charte. Il s'est référé à l'introduction de
l'article 2 comme imposant une obligation à l''Organisation ainsi qu •à ses
membres, d'agir conformément aux principes de la Charte. Il s'est référé
au droit coutumier dans la mesure où celui-ci pouvait différer la Charte.
Eh bien, Monsieur le Président, si c'est cela qu'allègue la Libye,
quel en est le rapport avec l'affaire dont est saisie la Cour, ou avec la
er
c ause compromissoire de l'article 14, paragraphe 1 , de la convention
de Montréal ? Et si ce dont se plaint la Libye, c'est d'une menace
OOBOC/CR/6/ ,,-
J:''!.
:~···
.f19
Ç:ontraire à la Charte, alors elle peut exercer un recours. Ce recours
n'est pas une procédure en application de la convention de Montréal, mais
en application de la Charte des Nations Unies elle-même - l'instrument
~ont elle allègue qu'il a été violé ou est sur le point d'être violé ~ et
..
ce recours est évidemment de saisir le Conseil de sécurité de sa demande
en vertu de la Charte, et c'est précisément l'objet des chapitres VI
:2 6 et VII de la Charte. Le conseil ne saurait venir devant cette Cour se
plaindre de la difficulté que peut avoir un petit Etat d'obtenir une
réunion du Conseil de sécurité, car, comme le sait la Cour, cette
4lt question retient, en ce moment même,activement l'attention du Conseil de
~écurité et ce qu'examine le Conseil, c'est tout l'ensemble de la
participation de la Libye au terrorisme et ses conséquences, y compris la
menace pour la paix et la sécurité internationales.
Un troisième trait particulier, Monsieur le Président, c'est que des
déclarations ont été faites dans la phase înitiale de l'argumentation au
sujet de la position de la France, et l'on a dit que la Libye s'était
engagée à répondre aux exigences de la France, qui étaient différentes de
celles des deux Parties défenderesses. J'ai entre temps vérifié les
déclara ti ons offici-elles du Gouvernement français, jusqu'aux 24 et
~6 mars, d'où il ressort clairement que le Gouvernement français ne
partage pas cet avis mais travaille de concert avec le Royaume-Uni et les
Etats-Unis à New York, au Conseil de sécurité, pour faire appliquer la
résolution 731.
J'appelle toutefois l'attention sur le fait que la France n'est pas
~arti ~ela procédure dont est saisie cette Cour; avec toutes les
~onséquenc qeis en résultent.
OOBOC/CR/6/ - 20 -
Monsieur le Président, avec notre reconnaissance respectueuse à la
Cour et à ses membres pour leur attention, notamment pour avoir bien
voulu accepté de siéger à des heures peu commodes et pendant la fin de
semaine, j'ai l'honneur de présenter les conclusions du Royaume-Uni dans
la phase actuelle de la procédure, qui sont les suivantes :
Que la Cour doit refuser d'indiquer des mesures conservatoires dans
l'affaire relative à des Questions d'interprétation et d'application de
la convention de Montréal de 1971 résultant de l'incident aérien de
Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni).
27 Monsieur le Président, j'ai terminé l'argumentation orale au nom du
Royaume-Uni.
Le PRESIDENTfaisant fonction de Président : Merci, Monsieur l'agent
du Royaume-Uni. L'audition par la Cour de la duplique du Royaume-Uni est
terminée. Après une suspension de séance de dix minutes, la Cour
écoutera la duplique des Etats-Unis dans l'affaire intenté par la Libye
contre les Etats-Unis.
L'audience est suspendue de 16 h 25 a 16 h 40.
28 Le VIGE-PRESIDENTfaisant fonction de PRESIDENT: Veuillez vous •
asseoir. La Gour va maintenant entendre la duplique des Etats-Unis dans
l'affaire intentée par la Libye contre les Etats-Unis et je donne donc la
parole à M. Williamson, le principal agent des Etats-Unis.
M. WILLIAMSON : Je vous remercie, Monsieur le Président, Messieurs
les Membres de la Cour. Permettez-moi de nouveau de présenter les
respects du Gouvernement des Etats-Unis à la Cour et de lui exprimer
notre gratitude pour le dévouement et la générosité dont elle témoigne en
consacrant cette journée à cette audience.
OOSOC/CR/6/ - 21 -
Hier, nous avons démontré que la Libye ne s'était pas acquittée de
sa charge de démontrer à la Cour que les circonstances demandent que la
Cour prenne la décision extraordinaire d'indiquer des mesures
conservatoires.
..
Ce matin, nous avons entendu la réponse de la Libye •
La Libye a souligné et réitéré des éléments de son exposé initial,
mais n'y a guère ajouté de substance. Souligner et réitérer ne saurait
1cependant remplacer une justification, que la Libye n'a toujours pas
apportée à l'appui de sa demande extraordinaire. Si la Cour me le
e permet, je me propose de récapituler les arguments de base que nous avons
présentés hier et d'analyser les réponses de la Libye, Mais auparavant
~e voudrais faire deux observations générales.
D'abord, pour justifier des mesures conservatoires, la Libye doit
:avoir gain de cause sur chacun des points. Si, sur un seul critère, elle
n'y parvient pas, sa demande doit être rejetée, De plus, si les critères
~tabl ies sont pas démontrés, les mesures conservatoires ne devraient
pas lui être accordées. Si la Cour devait être moins rigoureuse à
i'égard de ces critères, ne fût-ce qu'en indiquant des mesures générales,
11
ayant le caractère d'exhortations, la Cour inviterait les demandeurs à
demander systématiquement des mesures conservatoires. Ce serait
compromettre le caractère extraordinaire des mesures conservatoires, qui
~ont indiquées dans des délais très courts et sans donner aux parties la
possibilité de plaidoiries approfondies,
29 Deuxièmement, pour chacun des points en cause, la charge de prouver
sue chacun des critères est satisfait incombe à la Libye, A plusieurs
reprises aujourd'hui, la Libye a tenté de s'en décharger sur les
Etats-Unis. C'est la Libye qui a pris l'initiative extraordinaire de
demander à cette Cour de se réunir d'urgence pour connaître de sa demande
d'indication de mesures conservatoires. C'est la Libye, non les
~tats-Unis ,ui a la charge de justifier cette mesure.
OOSOC/CR/6/
' - 22 -
Monsieur le Président, permettez-moi de revenir à nos arguments de
base.
Dans le premier de nos quatre arguments, nous avons démontré que la
procédure de décisions du Conseil de sécurité ne peut tomber sous le coup
des mesures conservatoires. Nous avons fait observer que les Etats-Unis
ont le droit, en vertu de la Charte, de porter des questions à
l'attention du Conseil de sécurité, et de participer pleinement à
l'élaboration, et au vote, des résolutions du Conseil de sécurité en
application du chapitre VII concernant les menaces à la paix et à la
sécurité internationales.
Nous avons présenté cet argument parce que nous avions cru
comprendre que M. Suy avait demandé jeudi à la Cour d'ordonner aux
Etats-Unis de s'abstenir de toute action au Conseil de sécurité qui, en
vertu du chapitre VII de la Charte, entraverait le droit que revendique
la Libye de faire passer en jugement les individus soupçonnés de
l'attentat à la bombe contre le vol PanAm 103.
Ce matin, nous croyons avoir compris que M. Suy reconnaît qu'il
serait grotesque de dire qu'un membre permanent ne peut pas prendre la
parole au sujet d'une question dont le Conseil est saisi. Mais en même
temps, il demande à la Cour d'imaginer ce que serait la situation si les
•
mesures conservatoires n'étaient pas indiquées et que le Conseil de
sécurité usait de l'autorité que lui confère le chapitre VII pour exiger
que la Libye livre les suspects ·ou s'expose- -à des- sanctions économiques,
Nous restons donc un peu dans le doute sur le point de savoir si la Libye
reconnaît ou non maintenant qu'une décision du Conseil de sécurité ne
peut faire l'objet de mesures conservatoires,
3Q Quelle que soit l'intention de la Libye, elle n'a pas réussi à
montrer qu'une action du Conseil de sécurité, ou de membres participant
aux travaux du Conseil de sécurité, se prêterait à des mesures
OOSOC/CR/6/ --23 -
~onservatoire Js, prie la Cour de bien vouloir se reporter à notre
déclaration d'hier pour les références aux diverses dispositions de la
Charte des Nations Unies concernant les responsabilités et les pouvoirs
du Conseil de sécurité, le droit des Etats de le saisir, et le droit et
..
ia responsabilité des Etats-Unis de participer aux travaux du Conseil •
Ayant accepté le cadre de la Charte en devenant membre des Nations Unies,
la Libye ne peut pas maintenant contester l'un des aspects les plus
fondamentaux de ce cadre.
La Libye ne peut pas davantage esquiver l'argument en disant que les
~ Etats-Unis peuvent continuer de participer aux travaux du Conseil de
sécurité relatifs aux questions de paix et de sécurité internationales
~ais non sur ce que la Libye affirme être la question bilatérale qui
,touche à la remise des suspects. Ce n'est pas en changeant de
terminologie qu'on change l'effet. Si le Conseil de sécurité impose des
sanctions à la Libye, ce sera parce que le Conseil considère que les
actes de la Libye constituent une menace à la paix et à la sécurité
internationales.
Monsieur le Président, l'argumentation juridique que je propose est
si fondamentale que l'idée ne me serait jamais venue de la voir jamais
contestée. Toutefois puisque la Libye, après avoir soulevé la question,
ne l'a pas dûment retirée, la Cour ne devrait pas laisser passer
..... 1 l'occasion de la régler clairement. Pour éviter toute confusion sur un
point aussi fondamental, nous proposons· respectueusement qu'en·rejetant
ies demandes de la Libye la Cour indique bien que le dép5t de la requête
!ibyenne reste sans effet sur le pouvoir que le Conseil de sécurité tient
du chapitre VII d'examiner toute question dans l'exercice des devoirs
liés à sa responsabilité principale, que l'article 24 lui confère et dont
il s'acquitte au nom de tous les Membres de l'Organisation des
~ation snies pour le maintien de la paix et de la sécurité
OOSOC/CR/6/ - 24 -
internationales. De plus, la Cour devrait indiquer de mêmeque ledit
dépôt de la requête n'a aucune incidence sur la faculté de tout Membre du
Conseil de sécurité, ou d'ailleurs de tout Membre de l'Organisation des
Nations Unies, de participer pleinement aux activités du Conseil de
sécurité comme le prévoit la Charte. ••
J'aborderai maintenant la deuxième de nos quatre propositions. Là,
nous avons démontré que la Libye n'a pas réussi à établir que la
convention de Montréal fournit à première vue une base sur laquelle la
compétence puisse être fondée. Il"en va de la sorte car la convention
exige, à titre de condition préalable de la saisine de la Cour,
l'expiration d'un délai de six mois pendant lequel les parties ne
parviennent pas à se mettre d'accord sur l'organisation de l'arbitrage.
Dans sa réponse de ce matin, M. Salmon a mentionné l'arrêt de la
Cour dans l'affaire des Otages à l'appui de la position de la Libye
relative à la disposition de l'article 14, paragraphe 1, de la convention
de Montréal, qui exige six mois. Plus précisément, il fait observer que
les Etats-Unis ont soutenu et la Cour admis qu'on ne peut pas tenir
compte de la période de deux mois prévue par les protocoles facultatifs
des conventions de Vienne. Or cette disposition est le contraire de
l'article 14, paragraphe 1. Elle prévoit le règlement des différends par
•
la Cour sauf si, quand un différend a surgi, les parties se mettent
po.si ti vement d'accord pour essayer de mettre sur pied un aut re moyen de
régler ce différend : une période de ·deux mois est en ce cas réservée
7 ~ pour une telle procédure avant qu'il ne redevienne possible de saisir la
:JL.
Cour. La compétence est d'abord conférée à la Cour, sous réserve de la
faculté de la lui retirer, au moins pendant cette période de deux mois,
par un accord ultérieur des parties stipulant de façon déterminée
qu'elles chercheront une autre solution, Dans l'affaire des otages,
OOSOC/CR/6/ 25 -
~es Etats-Unis ont établi qu'il n'était pas convenu avec l'Iran de
chercher une autre instance que la Cour et il fut donc jugé que le délai
de deux mois n'avait jamais été invoqué.
"Il est vrai que les articles II et III de ces instruments
.. prévoient que, dans un délai de deux mois après qu'une partie a
notifié à l'autre qu'il existe à son avis un litige, les
parties peuvent convenir d'un commun accord : a) 'd'adopter,
au lieu du recours à la Cour internationale de Justice, une
procédure devant un tribunal d'arbitrage', ou b) 'de recourir
à une procédure de conciliation avant d'en appeler à la Cour
internationale de Justice'. Toutefois, si le texte des
articles II et III est examiné en mêmetemps que celui de
l'article I et du préambule des protocoles, il tombe sous le
sens qu'il ne faut pas y voir une. condition préalable à
l'applicabilité de la disposition précise et catégorique de
l'article I qui prévoit la compétence obligatoire de la Cour
pour connaître des différends relatifs à l'interprétation ou à
l'application de la convention de Vienne dont il s'agit, Les
articles II et III se bornent à stipuler que les parties
peuvent convenir de recourir à l'arbitrage ou à la
conciliation comme procédure de remplacement de la saisine de
la Cour. Il s'ensuit que, premièrement, les ar ti cl es II et III
ne s'appliquent que si l'une des parties au différend a proposé
un recours à l'arbitrage ou à la conciliation et si l'autre
partie s'est déclarée prête à étudier cette proposition.
Deuxièmement, c'est seulement en ce cas que les dispositions de
ces articles concernant un délai de deux mois entrent en jeu et
font intervenir une limite de temps pour la conclusion de
l'accord sur l'organisation de la procédure de remplacement."
En revanche l'article 14, paragraphe 1, de la convention de Montréal
1
requiert l'arbitrage, sous réserve d'un dessaisissement en faveur de la
Gour pour le seul cas où, dans un délai de six mois, les parties ne
parviennent pas à se mettre d'accord sur l'organisation de l'arbitrage.
Je ferai tout·efois observer que la mention, par M. Salmon, de la
période de deux mois envisagée dans les protocoles est ici pertinente
dans la mesure où ni M. Salmon, ni la Cour dans l'affaire des Otages,
n'ont contesté qu'une fois invoquée, cette période doit s'écouler en
~ntier avant que la Gour ne redevienne compétente. Ainsi la Cour
33 ~-t-e dé cllrée dans l'affaire des Otages que le "délai de
deux mois ••. [fait] intervenir une limite de temps pour la conclusion de
i'accord sur l'organisation de la procédure de remplacement", De même,
OOBOC/GR/6/ '"'6 -
les six mois prévus par l'article 14, paragraphe 1, doivent s'écouler
avant que la compétence n'existe en l'espèce. M. Salmon confirme donc en
fait notre point de vue.
Bien que M. Salmon n'en ait rien dit, j'estime approprié de
commenter brièvement l'argument des Etats-Unis dans l'affaire des ..
Otages selon lequel la Cour pouvait indiquer des mesures conservatoires
en vertu de la clause attributive de juridiction de la convention de 1973
sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes
jouissant d'une protection internationale, mêmeavant l'expiration du
délai de six mois prévu dans ladite clause. Lors de la procédure orale, 4lt
les Etats-Unis reconnurent la faiblesse de cet argument, malgré
l'existence de circonstances de fait beaucoup plus déterminantes que
celles qu'on présente en l'espèce. De plus, la Cour n'a tiré aucun de
ses motifs de la compétence alléguée par les Etats-Unis en vertu de cette
disposition.
Les Etats-Unis n'ont pas rejeté la demande d'arbitrage de la
Libye. Le fait est tout simplement que les Etats-Unis n'ont pas estimé
nécessaire ou approprié de répondre, sachant que la convention de
Montréal donne aux parties six mois pour se mettre d'accord sur les
conditions de l'arbitrage et, ce qui compte davantage, sachant que la •
Libye semblait engagée avec le Secrétaire général en vertu de la
résolution 731. Le fait que les Etats-Unis n'aient pas tenu compte d'une
obscure demande d'arbitrage, alors-qu'on ignorait si l'auteur de la
demande la maintenait et qu'il y avait de bonnes raisons de croire qu'il
ne la maintenait pas, ne saurait constituer un "-rejet" de la demande
libyenne, ni une renonciation des Etats-Unis à leur droit au délai de
six mois.
OOSOC/CR/6/ - 27
La troisième de nos quatre propositions était que la Libye n'a pas
34
satisfait aux critères dont dépendent les mesures conservatoires, car
elle n'a pas établi la nécessité urgente de mesures conservatoires pour
protéger des droits sur lesquels la décision semble devoir porter. Cette
.. proposition unique comporte un certain nombre d'éléments. Premièrement,
l'élément de l'urgence. Deuxièmement, la preuve que les mesures
demandées se rapportent aux droits en cause. Troisièmement, la
démonstration de l'existence possible des droits invoqués (par opposition
à la simple allégation de leur existence). Quatrièmement, la preuve que
les mesures conservatoires protègeraient les droits de chacun. Une fois
encore, il faut satisfaire à chacun de ces critères.
Ce matin, un conseil de la Libye a une fois de plus proposé à la
Cour de ne pas exiger l'urgence comme critère des mesures
conservatoires. On comprend mal pourquoi le Règlement de la Cour
obligerait celle-ci à traiter les mesures conservatoires comme une
question prioritaire et pourquoi la Cour devrait statuer sans bénéficier
d'exposés complets, si ce n'était parce que l'urgence est établie.
35· L'affirmation nouvel! e "dudit conseil et son interprétation étrange de
l'affaire du Passage par le Grand-Belt sont une glose révélatrice sur
e
l'inaptitude de la Libye à rapporter la preuve d'une urgence véritable.
Le seul élément de preuve versé aux débats par la Libye est une
série de déclarations de fonctionnaires britanniques et américains qui
refusaient de retenir ou d•exclure 'Une solution quelconque -: dans la plus
récente d'entre elles, présentée hier à la Cour, il était dit notamment,
en termes exprès, que les Etats-Unis n'envisagent pas d'employer la
force. Pour reprendre une formule du conseil de la Libye, il y a une
"certaine irréalité" à prendre une déclaration qui nie qu'on envisage
d'employer la force et à l'interpréter comme une menace de l'emploi
imminent de la force.
OOSOC/CR/6/ - 28 -
Le fait est que les Etats-Unis n'ont pas menacé d'employer la force
et qu'à l'opposé des suggestions du conseil de la Libye le recours aux
dispositions de la Charte des Nations Unies sur la sécurité collective
n'ont ni ne peuvent avoir pour effet de constituer en droit la menace
d'un dommage irréparable. Il convient de le relever, aucun des Etats ..
Membres de l'Organisation des Nations Unies qui ont pris la parole devant
le Conseil de sécurité pendant le débat sur la résolution 731, y compris
nombre d'entre eux qui pourraient sembler favorables à la Libye, n'a rien
dit d'une menace de la force émanarit des Etats-Unis ou du Royaume-Uni.
Seule la Libye a évoqué ce fantôme. Il est clair que la Libye n'a pas du
tout justifié de l'urgence et sa demande doit être rejetée pour cette
raison.
Mêmesi la Libye avait démontré l'urgence, il lui faudrait établir
que des mesures conservatoires serviraient à sauvegarder les droits des
parties.
Nous avons fait valoir plusieurs arguments hier à propos de cet
élément.
Premièrement, un seul chef de la décision demandée par la Libye est,
serait-ce à titre hypothétique, susceptible de constituer l'objet de
mesures conservatoires. Deux des chefs de la décision demandée par la
•
Libye se rapportent à des actes passés, à savoir que la Libye a exécuté
la convention de Montréal, tandis que les Etats-Unis l'ont enfreinte.
Des mesures conservatoires ne sont pas nécessaires pour ·protéger des ' i
36 droits passés. Un autre chef de la décision demandée par la Libye,
c'est-à-dire que les Etats-Unis s'abstiennent de toute violation de la
souveraineté libyenne, ne relève manifestement pas de la compétence de la
Cour, dont le fondement unique est ici la convention de Montréal. La
Libye n'a pas répondu sur ces points.
OOSOC/CR/6/ - 29 -
Autrement dit la seule décision demandée par la Libye qui puisse
mêmeà titre hypothétique faire l'objet de mesures conservatoires est
celle qui tend à interdire aux Etats-Unis de commettre de nouvelles
violations de la convention.
.. Cependant, pour justifier sa demande en indication de mesures
conservatoires, la Libye doit établir au moins l'existence possible du
droit qu'elle cherche à protéger. En l'espèce elle affirme un droit
exclusif d'exercer l'action publique en se fondant surtout sur
l'article 7 de la convention de Montréal. La plaidoirie d'aujourd'hui
nous apprend trois nouveaux aspects de la position de la Libye :
1. La Libye concède que les termes du texte de l'article 7
n'établissent aucun droit de ce genre.
2. La Libye concède que l'ensemble de la convention n'établit
nullement une telle priorité juridictionnelle.
3. La Libye ne fonde pas désormais son argumentation sur le texte ou
la structure de l'ensemble de la convention, mais sur un nouveau principe
d'interprétation. Ce principe semble être le suivant : quand un traité
fait naître, à la charge d'une des parties, une obligation dont elle peut
s'acquitter d'une manière ou d'une autre, il est tacitement interdit aux
autres parties d'essayer d'influencer sa décision; ou d'insister pour
obtenir des mesures compatibles avec l'obligation définie par le traité
en invoquant d'autre sources d'obligation juridique, y compris les
obligations issues de la Charte des Nations Unies,
En invoquant cette idée, semble-t-il, la Libye essaie de mettre sa
cause la tête en bas, Il ne s'agit pas d'une instance introduite par
les Etats-Unis contre la Libye pour la violation de la convention de
Montréal résultant d'une décision de ne pas extrader. Il s'agit d'une
instance introduite par la Libye contre les Etats-Unis parce qu'ils
niJ
3 demandent le transfert des deux suspects. Le fait que la Libye puisse
OOSOC/CR/6/ - 30 -
s'acquitter d'une obligation issue de l'article 7 en exerçant l'action
publique au lieu d'extrader n'a rigoureusement rien à voir avec la
question de savoir si les Etats-Unis ont la faculté de chercher à établir
leur compétence à la place. Commel'a concédé le conseil de la Libye, la
convention ne traite tout simplement pas de cette question de .,
l'attribution de compétence. Nous concluons donc que la Libye n'a pas,
comme il le fallait, justifié de l'existence des droits fondés sur la
convention de Montréal dont elle demande la protection.
Le conseil de la Libye a aussi-mentionné aujourd'hui l'article 11 de
la convention, qui, dans certaines circonstances, demande aux parties de ~
s'entraider l'une l'autre dans une procédure pénale, sous réserve de la
loi de l'Etat requis. Les Etats-Unis comprennent que l'une des
violations de la convention alléguées par la Libye est que les Etats-Unis
ne se sont pas conformés à cet article. Il s'agit là d'une question de
fond. Nous sommes ici aujourd'hui pour discuter de la demande en
indication de mesures conservatoires présentée par la Libye. Dans sa
demande, la Libye n'a pas prié la Cour d'ordonner aux Etats-Unis de
fournir une telle entraide à la Libye. Même si elle l'avait fait, il ne
pourrait y avoir ce risque imminent d'un préjudice irréparable dont
dépend l'indication de mesures conservatoires. Une remarque suffit : les
•
Etats-Unis n'ont pas l'intention de détruire les preuves du crime qu'ils
ont en leur possession.
Compte tenu des observations'd'ordre-plus général des conseils de la -
Libye aujourd'hui, je voudrais faire ressortir un dernier argument à
propos des relations entre la convention de Montréal et les efforts
déployés par les Etats-Unis et le Royaume-Uni pour soumettre les deux
suspects à la compétence de leurs tribunaux. Les Etats-Unis furent l'un
des initiateurs de la création de cette convention et de celles qui l'ont
suivie. Nous encourageons à l'appliquer ave.c énergie comme l'un des
OOSOC/CR/6/ - 31 -
38 instruments de la lutte contre le terrorisme international. Ce que nous
ne parvenons pas à comprendre, c'est que la Libye affirme que cette
convention devrait être envisagée comme le seul instrument disponible,
surtout dans les affaires de terrorisme appuyé par un Etat. En
.-
l'occurrence, le Conseil de sécurité a estimé "déplorable" la proposition
de la Libye d'engager des poursuites contre les agents de ses propres
services de renseignement. Il serait tout à fait compatible avec la
con.vention de Montréal et le droit international général que la Libye
réponde à la demande de la communauté mondiale en remettant les suspects
pour qu'ils soient jugés ailleurs. Le conseil de la Libye dit qu'à
l'exception de la remise des individus, la Libye s'est conformée à la
résolution 731. Pour notre part nous n'avons constaté aucun acte de mise
en oeuvre. De toute manière, c'est au Conseil de sécurité qu'il
incombera, dans l'exercice de la fonction qui est la sienne du maintien
de la paix et de la sécurité internationales, de décider si les actes de
la Libye justifient des mesures collectives.
En dehors de l'urgence et de l'existence possible du droit dont la
protection est recherchée, la Libye doit aussi établir que les mesures
conservatoires sont nécessaires afin de protéger le "droit de chacun''.
En l'espèce, la demande en indication de mesures conservatoires est d'une
imprécision extraordinaire. Au minimum elle pourrait interdire aux
Etats-Unis d'exercer leur droit de participer pleinement aux activités du
Conseil de sécurité; en un sens littéral elle s'appliquerait même à un
ensemble plus vaste de droits souverains des Etats-Unis. Alors que de
tels droits fondamentaux des Etats-Unis sont en cause, il serait
incompatible avec la sauvegarde .,du droit de chacun" d'indiquer les
mesures conservatoires demandées.
OOSOC/CR/6/ - 32 -
Notre quatrième proposition hier était que la Cour, dans l'exercice
de sa discrétion, devrait s'efforcer de soutenir les activités du Conseil
de sécurité. Les conseils de la Libye n'ont contesté ni cette
proposition, ni les importants éléments à l'appui, Les conseils de la
Libye n'ont pas non plus opposé de dénégation à notre argument selon
lequel la Libye tente d'entraîner la Cour dans des conflits avec le
Conseil en s'efforçant d'interdire la participation de deux Membres à ses
travaux et en demandant à la Cour d'entériner un droit de la Libye
d'engager des poursuites contre les individus alors que le Conseil a
déploré l'idée qu'elle doive les poursuivre.
De fait, la réponse libyenne de ce m~tin laisse entrevoir des
conflits supplémentaires avec le Conseil de sécurité. Ce matin M. Suy a
donné à entendre qu'en adoptant la résolution 731, le Conseil a agi de
façon indue au regard de l'article 36. Plus tard M. Suy a donné à
40 entendre qu'il ne serait pas correct que le Conseil de sécurité se serve
des pouvoirs qu'il tient du chapitre VII de la Charte pour faire obstacle
au droit, invoqué par la Libye, de juger les individus.
Je ferai deux réponses. Premièrement, le Conseil de sécurité,
agissant en vertu de l'article 36 de la Charte, peut recommander que la
Libye n'exerce pas un droit conventionnel, mêmes'il existe,
•
Deuxièmement, il n'est pas moins clair que le Conseil de sécurité peut,
en vertu du chapitre VII, ordonner à la Libye de livrer les individus.
Aux termes de l'article 25, les Etats Membres conviennent d'accepter et -
d'appliquer les décisions du Conseil de sécurité. Aux termes de
l'article 103 de la Charte, cette obligation prévaut contre tout traité
en conflit. Quant au droit interne de la Libye, qui interdirait, selon
ce qu'elle a parfois donné à entendre, de livrer les individus, il ne
saurait justifier, en droit international, l'inexécution d'une décision
du Conseil de sécurité prise pour faire face à une menace contre la paix-
et la sécurité internationales.
OOSOC/CR/6/ - 33 -
M. Suy donne à entendre que nous essayons de dénier l'indépendance
respective de la Cour et du Conseil de sécurité. Nous ne le faisons
pas. Toutefois, nous suggérons que ces organes égaux d'une seule et même
institution devraient, autant que possible, éviter de tirer chacun de son
.. côté et devraient plutôt coopérer. A une telle proposition, M. Suy n'a
jamais répondu.
Le conseil de la Libye a fait observer que, lors de l'adoption de la
résolution 731, plusieurs Etats ont exprimé des appréhensions au sujet de
la perspective d'obliger un Etat à-livrer son propre ressortissant pour
._. qu'il soit traduit devant les tribunaux ailleurs. Certains de ces Etats,
comme l'a fait observer M. Suy, se sont expressément référés à la
convention de Montréal. De fait, pourtant, la résolution adoptée ne
mentionne pas la convention de Montréal. Le Conseil de sécurité n'a pas
pris à son compte la proposition de la Libye de porter l'affaire devant
la Cour, bien que la Charte des Nations Unies lui offre en termes exprès
la possibilité de chercher à connaître le point de vue de la Cour
(art. 96) ou de demander aux parties à un différend d'agir de la sorte
(art. 36). Ce qui est plus fondamental, c'est que le Conseil de sécurité
aura la possibilité de réexaminer ces arguments quand il recherchera s'il
y a lieu de décider des sanctions contre la Libye parce qu'elle n'a pas
pris de mesures concrètes pour se désolidariser du terrorisme. Il nous
•
semble que les efforts déployés par la Libye pour persuader la Cour
d'essayer d'interdire aux Etats-Unis--de soulever cette affaire ··devant le
Conseil de sécurité résultent de l'impossibilité où elle se trouve de
convaincre le Conseil qu'elle a cessé de soutenir le terrorisme.
Le conseil de la Libye évoque le spectre d'un grand nombre d'Etats
qui seraient contraints par la force de livrer leurs ressortissnts si on
laissait agir le Conseil de sécurité. Le conseil demande à la Cour
OOSOC/CR/6/ - 34 -
!··
d'intervenir sous la forme extraordinaire de l'indication de mesures
conservatoires, afin d'empêcher le Conseil de porter atteinte à la notion
libyenne du principe "poursuivre ou extrader".
Les inquiétudes de la Libye sont fantaisistes. Si le Conseil de
sécurité a le pouvoir de prendre des décisions obligatoires pour les -....
Membres, il n'est pas ni ne prétend être un organe législatif. Une
résolution adoptée en vertu du chapitre VII de la Charte porte sur un
différend ou une situation déterminés. En l'espèce, le Conseil se
sécurité a agi parce qu'on craint la complicité d'un Etat. Cela ressort
expressément, par exemple, de la déclaration du représentant du
Venezuela. La Libye nie sa complicité, Or voilà précisément quel genre
de dénégations le Conseil de sécurité a été constitué pour examiner.
La Libye nie aussi sa complicité dans l'attentat à la bombe contre
l'établissement La Belle Disco à Berlin. Elle a affirmé hardiment à la
Cour que les événements ultérieurs ont confirmé son innocence. Les
Etats-Unis voudraient seulement faire observer que tous les éléments de
preuve découverts depuis notre enquête initiale sur l'attentat à la bombe
contre La Belle Disco indiquent précisément le contraire. L'enquête de
Lockerbie a révélé que des dispositifs d'horlogerie identiques à celui
qui fut utilisé dans la bombe du PanAm 103 avaient été transférés au
•
bureau populaire libyen à Berlin-est avant l'attentat à la bombe contre
"
42 l'établissement La Belle Disco: cette mêmemission libyenne à laquelle
Tripoli aval t donné des instructions en vue d·'un· attentat terroriste
contre des Américains, cette mêmemission qui informa Tripoli, la veille
de l'attentat, que celui-ci serait perpétré le matin suivant et cette
mêmemission qui rendit compte ensuite à Tripoli du grand succès de sa
mission. Plusieurs fonctionnaires libyens restent suspects dans
l'enquête encore en cours menée par le Gouvernement allemand.
OOSOC/CR/6/ ..;.35 -
C'est au Conseil de sécurité qu'il incombe de déterminer si les
actes d'un Etat menacent la paix et la sécurité internationales. Rien ne
donne lieu de craindre que la résolution 731 ne tende à établir une
nouvelle pratique internationale qui empêcherait les Etats de juger leurs
•• propres ressortissants. Elle confirme la propos! ti on limitée selon
laquelle quand au moins neuf Membres du Conseil de sécurité craignent
qu'une situation de terrorisme ne mette en cause l'Etat qui détient le
terroriste, le Conseil peut décider que l'action publique exercée contre
les terroristes par le complice ne-saurait servir la paix et la sécurité
internationales. Cela en dit long que la Libye voie une menace dans ce
précédent.
Si vous me le permettez, Monsieur le Président, je voudrais résumer
43
nos quatre propositions, qui sont les suivantes :
Si la Cour indique des mesures conservatoires
-Elle aura considéré que, prima Eacie, elle a compétence à l'égard
d'un différend, malgré les termes clairs du paragraphe 1er de
l'article 14 de la convention de Montréal, qui stipule qu'une partie à
la convention n'a pas le droit de soumettre un différend à la présente
Cour jusqu'à ce qu'il se soit écoulé un délai de six mois pendant
lequel les parties au différend n'ont pas pu se mettre d'accord sur
1' organisation de 1' arbitrage. -Par une telle considération, la Cour
sera également parvenue à la décision que la Libye a surmonté
l'obstacle que constitue prima Eacie -l'absence de compétence et a
établi, prima Eacie, qu'il existe un différend en vertu de la
convention de Montréal et que les Etats-Unis ont agi d'une telle façon
que la Cour peut en déduire qu'ils ont catégoriquement rejeté la
demande d'arbitrage de la Libye, alors mêmeque six semaines seulement
se sont écoulées entre la date à laquelle la Libye a pour la première
OOSOC/CR/6/ - 36 -
fois mentionné sérieusement l'arbitrage et le dépôt de sa requête devant
la Cour, et nonobstant l'évolution de la position de la Libye dans les
conversations qu'elle a eues avec le Secrétaire général.
- Elle aura considéré que la Libye a une possibilité raisonnable de
-.
prouver que la convention de Montréal établit un droit exclusif en
matière d'action pénale, alors mêmeque la Libye n'a produit aucun base
textuelle ou historique qui fonderait le droit qu'elle invoque en vertu
de la convention de Montréal, et elle aura considéré que la Libye a la
possibilité de prouver soit qu'un tel droit peut être invoqué par un
Etat ayant participé à un acte de terrorisme, soit que la Libye n'était
pas impliquée dans l'attentat à la bombe contre le vol 103 de la Pan Am.
-Elle aura considéré que les circonstances exigent l'indication de
mesures conservatoires parce que la Libye a démontré a) que de telles
mesures sont nécessaires d'urgence, en dépit de l'absence d'aucune
preuve de menaces de recourir à la force, à moins que le fait pour les
44 milieux officiels de ne pas exclure expressément l'option d'un recours
à la force constitue une menace, et b) que les mesures conservatoires
auront pour effet de sauvegarder les droits des deux Parties, alors
.même qu'elles ne s'appliquent pas à trois des quatre élémen.ts de
l'arrêt demandé par la Libye et alors mêmeque de telles mesures
seraient en conflit avec les droits souverains des Etats-Unis, et
nonobstant le fait que lesdites mesures conservatoires seraient
incompatibles avec les droits et les ·obligations qu'ont les Etats-Unis,
en vertu de la Charte des Nations Unies, en tant que membre du Conseil
de sécurité,
OOBOC/CR/6/ - 37 -
-Enfin, la Gour aura considéré qu'il est approprié pour elle d'indiquer
des mesures conservatoires alors mêmeque son action, plutôt que de
l'appuyer, ira à l'encontre de la tentative faite par le Conseil de
sécurité pour s'acquitter de sa mission en ce qui concerne le maintien
-·· de la paix et la sécurité internationales.
Monsieur le Président et Messieurs de la Cour, l'un des aspects les
plus troublants de l'éventualité que des mesures conservatoires soient
indiquées dans la présente affaire est le précédent qu'elles poseront.
Une telle décision aura pour effet-d'abaisser le seuil précédemment
~ établi par la pratique de la Cour pour l'indication de mesures
conservatoires. Commeje l'ai déjà dit, cela aura pour effet
d'encourager les plaideurs à demander plus souvent l'indication de
mesures conservatoires car cela leur permettra d'avoir plus facilement
accès à la Cour. Si, en soi, elle équivaudrait déjà à orienter une
procédure extraordinaire dans la mauvaise direction, une telle décision
aurait un effet bien pire dans le présent contexte car elle encouragera
,des demandes en indication de mesures conservatoires qui mettront la Cour
en conflit avec le Conseil de sécurité. Cette érosion des normes
encouragera les Etats qui ne peuvent obtenir satisfaction devant le
e
Conseil de sécurité à mener leurs combats politiques devant la Cour.
45 Monsieur le Président, je voudrais conclure en me référant à une
détlaration faite par M. Salmon au début de sa réplique. Mais,
auparavant, je voudrais le remercier d'avoir exprimé ses condoléances aux
victimes de l'attentat commis contre le vol 103 de la Pan Am et dire que
nous partageons sa douleur pour l'assassinat de i'ami de son fils •
•
M. Salmon a dit qu'il importe que les auteurs de cet acte soient
traduits en justice ''dans le plein respect du droit international".
Nous sommes tout à fait d'accord.
OOSOC/CR/6/ - 38 -
Les Etats-Unis ont pris les mesures suivantes pour traduire les
auteurs de cèt acte devant la justice.
- Nous avons mené une enquête approfondie qui a duré plus de trois ans
avant de demander des inculpations. Il est tout à fait conforme au
droit international pour un Etat de faire une enquête sur l'assassinat
de ses citoyens;
- lorsque des ressortissants libyens ont été impliqués, nous avons
demandé à la Libye de les remettre. Le conseil de la Libye reconnaît
maintenant qu'il n'y a pas de priorité de juridiction à l'égard de
terroristes qui attaquent des aéronefs civils. Demander la coopération ~
de la Libye pour que nous puissions poursuivre les individus en
question n'avait rien d'irrégulier;
- lorsque la Libye a refusé, les Etats-Unis ont soumis la question au
Conseil de sécurité, comme ils en ont manifestement le droit aux termes
de la Charte des Nations Unies;
- nous avons fait valoir au Conseil de sécurité que le problème était que
la Libye appuyait le terrorisme, et le Conseil a répondu en invitant la
Libye à prendre des mesures concrètes pour prendre ses distances à
l'égard du terrorisme, notamment en donnant une réponse pleine et
effective aux demandes des Etats-Unis;
- maintenant, nous faisons valoir au Conseil que le refus de la Libye de
prendre ses distances à l'égard du terrorisme constitue une menace à la
paix et à la sécurité internationales devant laquelle le Conseil. doit
réagir.
46 Loin de chercher à ce que les auteurs de cet acte soient traduits en
justice en violation du droit international, les Etats-Unis n'ont jamais
manqué d'agir conformément au cadre constitué par la Charte des
Nations Uies. Nous ne voyons toujours pas quels sont les aspects de ce
_processus qui sont illégaux, ni comment la convention de Montréal
OOSOC/CR/6/ - 39 -
pourrait d'une façon ou d'une autre interdire l'une quelconque des
mesures que nous avons prises. La Libye pourra peut-être développer une
.. argumentation sur ce point si l'affaire est examinée au fond, mais elle
n'a manifestement pas établi qu'il y a en cours des actions qui
justifient l'indication de mesures conservatoires.
La Libye semble plutôt suggérer que le droit international nous
oblige à admettre que seul un Etat complice peut juger les auteurs de cet
acte de terrorisme. Le requérant répond que la Libye n'est pas complice
mais, simultanément, essaie d'empêcher le Conseil de sécurité d'examiner
cette question.
e
47 Monsieur le Président, je remercie la Cour de son attention et je
réitère notre demande tendant à ce qu'elle rejette la demande en
indication de mesures conservatoires de la Libye et n'indique aucune
mesure de ce type.
A M. Ajibola, j'adresse également mes félicitations et tous mes
voeux de succès dans ses nouvelles fonctions.
J'espère que le fait qu'une audience se tienne aujourd'hui n'est pas
un présage de l'avenir
Au Greffier et au Greffe vont nos profonds remerciements pour toute
leur aide et toute leur coopération.
Enfin, au nom du Gouvernement des Etats-Unis, je présente
respectueusement la conclusion suivante à la Cour :
"Plaise à la Cour
Rejeter la demande en indication de mesures conservatoires
présentée par la Grande Jamahiriya arabe libyenne socialiste et
populaire, et ne pas indiquer de telles mesures."
Monsieur le Président et Messieurs de la Cour, je vous remercie de
votre attention.
OOSOC/CR/6/ - 40 -
Le VICE-PRESIDENTfaisant fonction de PRESIDENT: Je remercie
M. Williamson, agent des Etats-Unis, d'avoir exposé la duplique et les
conclusions de son pays. ...
Nous en sommes maintenant arrivés à la fin des audiences consacrées
à la demande en indication de mesures conservatoires que la Jamahiriya
arabe libyenne a présentée dans chacune des affaires introduites contre
le Royaume-Uni et les Etats-Unis d'Amérique respectivement.
Deux membres de la Cour souhaitent poser des questions aux Parties.
Je donne par conséquent la parole à M. Schwebel •
M. SCHWEBEL : Je vous remercie, Monsieur le Président. Ces
48
questions s'adressent aux deux Parties dans les deux affaires.
1. Le préambule de la convention de Montréal stipule que son "but"
est de "prévenir" les actes illicites dirigés contre la sécurité de
l'aviation civile commis par "toute.personne". Dans les affaires dont la
Cour est saisie, les personnes accusées d'avoir commis un tel acte
seraient des personnes qui sont - pour reprendre les termes employés par
le Royaume-Uni - "des agents des services de renseignements libyens" qui
ont comploté "pour servir les desseins des services de renseignements
libyens par des moyens criminels,,," La convention s'applique t-elle à
•
une telle accusation, c'est-à-dire à des actes comrnis par des personnes
en service,officiel réalisant des desseins officiels ? Le jugement par
un Etat de personnes dont il est allégué qu'elles sont ses propres
agents, dont le conseil dudit Etat reconnaît qu'elles sont ses propres
agents et dont il est allégué qu'elles ont agi pour favoriser les
desseins dudit Etat constituerait-il l'action pénale d'un Etat
contractant qui est envisagée par la convention de Montréal ?
2. L'article 12 de la convention de Montréal stipule que
0080C/CR/6/ - 41 -
"Tout Etat contractant qui a lieu de croire que l'une des
infractions prévues à l'article premier sera commis fournit, en
conformité avec les dispositions de sa législation nationale,
tous renseignements utiles en sa possession aux Etats qui à son
avis seraient les Etats visés au paragraphe premier de
•• l'article 5."
Autrement dit, si un Etat contractant a des raisons de penser qu'une
~.;!
infraction comme la destruction d'un aéronef doit être commise sur le
territoire d'un autre Etat ou contre un aéronef immatriculé dans cet
autre Etat, il en informe ledit Etat. Faut-il ou non conclure de cette
disposition que le but de la convention de Montréal est de s'appliquer
aux infractions dont il est allégué qu'elles ont été ou qu'elles doivent
être commises par des personnes au service de l'Etat contractant, que le
conseil dudit Etat reconnaît être au service de l'Etat contractant et
dont il est allégué qu'elles agissent pour favoriser les desseins dudit
Etat ?
3. Aux termes de l'article 10 de la convention de Montréal, les
49
Etats contractants s'engagent, conformément au droit international et
national, "à s'efforcer de prendre les mesures raisonnables en vue de
'prévenir les infractions" visées par la convention. Faut-il ou non
conclure de cette disposition que le but de la convention de Montréal est
de s'appliquer aux infractions dont il est allégué qu'elles ont été
commises par des personnes au service de l'Etat contractant, dont le
conseil de cet Etat reconnaît qu'elles sont au service de l'Etat
contractant et dont il est allégué qu'elles agissaient pour favoriser les
desseins dudit Etat ? Je vous remercie, Monsieur le Président.
Le VIGE-PRESIDENTfaisant fonction de PRESIDENT: Je vous remercie,
Monsieur Schwebel. M. El-Kosheri, juge ad hoc, souhaiterait poser une
question au requérant.
OOBOG/GR/6/ - 42 -
M. EL-KOSHERI: Je vous remercie, Monsieur le Président.
Ma question s'adresse à la Jamahiriya arabe libyenne. Les
conclusions touchant les mesures conservatoires demandées par la
·~
Jamahiriya arabe libyenne prévoient seulement que les défendeurs
devraient adopter ou s'abstenir d'adopter certaines mesures. Eu égard au
fait que l'article. 41 du Statut envisage la protection du "droit de
chacun", la Jamahiriya arabe libyenne envisage-t-elle que la Cour puisse
indiquer les mesures que devraient prendre non seulement les deux Etats
défendeurs mais aussi les autorités libyennes ?
Telle est ma question.
Le VICE-PRESIDENTfaisant fonction de PRESIDENT Je vous remercie,
M. El-Kosheri.
Les agents des Parties sont priés de répondre par écrit aux
questions posées à leurs gouvernements conformément au paragraphe 4 de
l'article 61 du Règlement du tribunal et, conformément à cette
disposition, le délai imparti pour la présentation de ces réponses est
fixé à 18 heures le jeudi 2 avril 1992.
50 Cela met fin aux présentes audiences tenues conformément à
l'article 74, paragraphe 31 du Règlement de la Cour, au sujet de la
demande en indication de mesures conservatoires présentée par la
Jamahiriya arabe libyenne dans l'aftaire relative à des Questions
d'interprétation et d'application de la convention de Montréal de 1971
résultant de l'incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne
c. Royaume-Uni) et dans l'affaire relative à des Questions
•.
d'interprétation et d'application de la convention de Montréal de 1971
résultant. de l'incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne
c. Etats-Unis d'Amérique)
OOSOC/CR/6/ - 43 -
Avant de clore la procédure, toutefois, je tiens à remercier les
agents des trois Parties de la coopération dont ils ont fait preuve et
qui a permis à la Cour, pour plus de commodité, de traiter des deux
••
affaires dans le cadre de la mêmesérie d'audiences. Je tiens à rappeler
cependant ce que j'ai dit au début, à savoir que la présente procédure
est sans préjudice de toute décision que pourrait prendre la Cour en
vertu de l'article 47 du Règlement,
Je demande aux agents des Parties de demeurer à la disposition de la
Cour au cas où celle-ci aurait besoin d'autres informations ou de leur
~ concours. Avec cette réserve, je déclare closes les présentes audiences.
L'audience est levée à 17 h 40.
OOSOC/CR/6/""··
•
"
Traduction