Déclaration d'intervention de la Nouvelle-Zélande

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182-20220728-WRI-01-00-EN
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Incidental Proceedings
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR
LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE
(UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE)
DÉCLARATION D’INTERVENTION DÉPOSÉE PAR LE GOUVERNEMENT DE LA
NOUVELLE-ZÉLANDE EN VERTU DE L’ARTICLE 63 DU STATUT
DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
28 juillet 2022
[Traduction du Greffe]
A Monsieur le greffier de la Cour internationale de Justice, la soussignée, dûment autorisée
par le Gouvernement néo-zélandais, déclare ce qui suit :
1. Au nom du Gouvernement néo-zélandais, j’ai l’honneur de soumettre à la Cour, en vertu du
droit établi au paragraphe 2 de l’article 63 de son Statut, une déclaration d’intervention en tant que
non-partie en l’affaire relative à des Allégations de génocide au titre de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie).
2. Selon le paragraphe 2 de l’article 82 du Règlement de la Cour, un Etat qui désire se prévaloir
du droit d’intervention que lui confère l’article 63 du Statut doit préciser l’affaire et la convention
concernées par sa déclaration, laquelle doit contenir :
a) des renseignements spécifiant sur quelle base l’Etat déclarant se considère comme partie à la
convention ;
b) l’indication des dispositions de la convention dont il estime que l’interprétation est en cause ;
c) un exposé de l’interprétation qu’il donne de ces dispositions ; et
d) un bordereau des documents à l’appui, qui sont annexés.
3. Ces éléments sont précisés ci-dessous.
Affaire en laquelle est déposée la déclaration et convention concernée
4. Le 26 février 2022, le Gouvernement de l’Ukraine a introduit, conformément au
paragraphe 1 de l’article 36 et à l’article 40 du Statut de la Cour, une instance contre la Fédération
de Russie au titre de l’article IX de la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime
de génocide (ci-après la «convention sur le génocide» ou la «convention»)1. La requête était assortie
d’une demande en indication de mesures conservatoires en application de l’article 41 du Statut2.
5. L’Ukraine déclare que sa requête «a trait à un différend entre [elle-même] et la Fédération
de Russie concernant l’interprétation, l’application et l’exécution de la convention»3. Elle affirme ce
qui suit :
«[L]a Fédération de Russie a soutenu de façon mensongère que des actes de
génocide avaient été commis dans les oblasts ukrainiens de Louhansk et de Donetsk, a
usé de ce prétexte pour reconnaître les prétendues «République populaire de Donetsk»
et «République populaire de Louhansk», puis a annoncé et lancé une «opération
militaire spéciale» contre l’Ukraine, avec pour objectif affiché de prévenir et de punir
de prétendus actes de génocide dénués de tout fondement factuel.»4
1 Requête introductive d’instance, enregistrée au Greffe de la Cour le 27 février 2022 (ci-après la «requête de
l’Ukraine»).
2 Demande en indication de mesures conservatoires, enregistrée au Greffe de la Cour le 27 février 2022.
3 Requête de l’Ukraine, par. 2.
4 Ibid.
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6. L’Ukraine soutient également que «[l]es actes de la Russie sapent l’obligation centrale de
l’article premier de la convention, remettent en cause son objet et son but et entachent le caractère
solennel de l’engagement pris par les parties contractantes de prévenir et de punir le génocide»5.
7. Le 30 mars 2022, ainsi que le prévoit le paragraphe 1 de l’article 63 du Statut, le greffier a
dûment notifié la procédure au Gouvernement de la Nouvelle-Zélande, en sa qualité de partie à la
convention6. Il a indiqué ce qui suit :
«Dans la requête susmentionnée, la convention de 1948 pour la prévention et la
répression du crime de génocide (ci-après la «convention sur le génocide») est invoquée
à la fois comme base de compétence de la Cour et à l’appui des demandes de l’Ukraine
au fond. Plus précisément, celle-ci entend fonder la compétence de la Cour sur la clause
compromissoire figurant à l’article IX de la convention, prie la Cour de déclarer qu’elle
ne commet pas de génocide, tel que défini aux articles II et III de la convention, et
soulève des questions sur la portée de l’obligation de prévenir et de punir le génocide
consacrée à l’article premier de la convention. Il semble, dès lors, que l’interprétation
de cette convention pourrait être en cause en l’affaire.»
8. Le 7 mars 2022, la Fédération de Russie a déposé au Greffe de la Cour un document (avec
annexes) exposant sa position sur la prétendue «incompétence» de la Cour en l’affaire.
9. Le 16 mars 2022, à la suite d’une audience et de l’examen dudit document, la Cour a rendu
une ordonnance en indication de mesures conservatoires en l’affaire7.
Base sur laquelle la Nouvelle-Zélande est partie à la convention
10. La Nouvelle-Zélande a signé la convention le 25 novembre 1949 et déposé son instrument
de ratification le 28 décembre 1978, conformément à l’article XI de la convention.
Portée de l’intervention de la Nouvelle-Zélande
11. La Nouvelle-Zélande est profondément préoccupée par la gravité des circonstances ayant
donné lieu à la présente affaire. La ministre des affaires étrangères, Mme Nanaia Mahuta, a exprimé
son inquiétude en ces termes :
«L’invasion illicite de l’Ukraine par la Russie et la tentative artificieuse de la
justifier par la convention sur le génocide font peser une grave menace sur les principes
fondamentaux de droit international, la Charte des Nations Unies et le système
international fondé sur des règles, auxquels la Nouvelle-Zélande est extrêmement
attachée.
Nous sommes profondément préoccupés par les pertes humaines et les
souffrances subies en Ukraine en conséquence de l’invasion illicite menée par Poutine
5 Requête de l’Ukraine, par. 28.
6 Lettre en date du 30 mars 2022 adressée à l’ambassadrice de Nouvelle-Zélande auprès des Pays-Bas par le greffier
de la Cour.
7 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022 (ci-après l’«ordonnance en
indication de mesures conservatoires»).
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et souhaitons souligner que tous les pays doivent respecter les règles de droit
international et adhérer aux buts de la Charte des Nations Unies ainsi qu’aux principes
qui y sont énoncés.»8
12. La Nouvelle-Zélande considère que les questions juridiques soulevées en l’affaire ont trait
à certains des principes et obligations de droit international les plus fondamentaux. Comme l’a relevé
la Cour, les droits et obligations consacrés par la convention sont des droits et obligations
erga omnes9. Il s’ensuit que tous les Etats parties à la convention ont un intérêt à ce que ces
obligations soient interprétées, appliquées et respectées comme il se doit.
13. La Nouvelle-Zélande a dès lors décidé de se prévaloir du droit que lui confère le
paragraphe 2 de l’article 63 du Statut d’intervenir en tant que non-partie à l’affaire. Ce faisant, elle
reconnaît les déclarations antérieures de la Cour, qui a dit que
«l’intervention au titre de l’article 63 du Statut se limite à la présentation d’observations
au sujet de l’interprétation de la convention concernée et ne permet pas à l’intervenant,
qui n’acquiert pas la qualité de partie au différend, d’aborder quelque autre aspect que
ce soit de l’affaire dont est saisie la Cour»10
et, partant, qu’«une telle intervention ne peut pas compromettre l’égalité entre les parties au
différend»11.
14. En conséquence, l’intervention de la Nouvelle-Zélande se limite aux questions relatives à
l’interprétation de la convention qui se posent dans le contexte de la présente affaire. La
Nouvelle-Zélande confirme de nouveau que, en se prévalant de son droit d’intervenir, elle admet que
l’interprétation contenue dans la sentence en l’espèce sera également obligatoire à son égard, ainsi
qu’il est prévu au paragraphe 2 de l’article 63 du Statut.
Dispositions de la convention qui sont en cause en l’espèce
15. Il ressort de la requête de l’Ukraine et du document de la Fédération de Russie en date du
7 mars 2022 que les vues des Parties divergent fondamentalement sur la question de savoir s’il existe
un différend de la nature de ceux visés à l’article IX de la convention qui justifierait la compétence
de la Cour.
16. Comme l’a dit la Cour dans l’ordonnance en indication de mesures conservatoires qu’elle
rendue le 16 mars 2022, ce différend porte sur deux questions centrales, à savoir :
«si certains actes qui auraient été commis par l’Ukraine dans les régions de Donetsk et
de Louhansk sont constitutifs de génocide et emportent donc violation des obligations
8 New Zealand Government press release, 30 June 2022, accessible (en anglais) à l’adresse suivante :
https://www.beehive.govt.nz/release/nz-join-international-court-justice….
9 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 615, par. 31 ; Activités armées sur le territoire
du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 2006, p. 31, par. 64.
10 Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon), déclaration d’intervention de la Nouvelle-Zélande,
ordonnance du 6 février 2013, p. 9, par. 18.
11 Ibid.
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incombant à cet Etat au titre de la convention sur le génocide, et si l’emploi de la force
par la Fédération de Russie dans le but affiché de prévenir et de punir un prétendu
génocide est une mesure qui peut être prise en exécution de l’obligation de prévenir et
de punir énoncée à l’article premier de la convention»12.
17. C’est pourquoi la Nouvelle-Zélande considère que les questions soulevées en l’espèce
dépendent de l’interprétation correcte de :
a) l’obligation énoncée à l’article IX de la convention, à savoir que les différends «relatifs à
l’interprétation, l’application ou l’exécution de la … convention … seront soumis à la Cour …, à
la requête d’une partie au différend» ;
b) l’obligation énoncée à l’article premier de la convention, par laquelle les Etats «s’engagent à
prévenir et à punir» le crime de génocide. Cette obligation doit à son tour être interprétée à la
lumière des articles II, III et VIII de la convention.
Exposé de l’interprétation que la Nouvelle-Zélande donne des dispositions en cause
Les principes généraux d’interprétation et l’obligation de bonne foi
18. Les obligations énoncées dans la convention doivent être interprétées et exécutées de
bonne foi. Tant le droit international conventionnel que le droit international coutumier ont pour
règle fondamentale que «[t]out traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne
foi»13. Le paragraphe 1 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités expose en
conséquence la règle élémentaire de l’interprétation comme suit : «Un traité doit être interprété de
bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer [à ses] termes … dans leur contexte et à la lumière de
son objet et de son but.»
19. L’obligation de bonne foi impose à une partie d’appliquer la convention «de façon
raisonnable et de telle sorte que son but puisse être atteint»14. Il en ressort implicitement qu’une partie
doit s’abstenir de tout acte visant à réduire à néant l’objet et le but de la convention15. Pareils actes
emporteraient violation de la convention elle-même.
12 Ordonnance en indication de mesures conservatoires, par. 45.
13 Convention de Vienne sur le droit des traités, article 26. Voir aussi le paragraphe 3 du préambule : «Constatant
que les principes du libre consentement et de la bonne foi et la règle pacta sunt servanda sont universellement reconnus».
Pour une analyse du caractère coutumier du principe énoncé à l’article 26, voir Commission du droit international, Annuaire
de la Commission du droit international, 1966, vol. II, p. 229, par. 1 et 2.
14 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 79, par. 142.
15 Commission du droit international, note de bas de page 13 ci-dessus, p. 230, par. 4 ; voir aussi les précédents
mentionnés au paragraphe 2.
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20. La Nouvelle-Zélande a en outre conscience qu’il faut aussi tenir compte, aux fins de
l’interprétation de la convention, de toutes les règles pertinentes de droit international applicables
dans les relations entre les parties, y compris les obligations énoncées dans la Charte des
Nations Unies16.
Objet et but de la convention
21. La convention tire sa genèse de l’intention commune des Membres des Nations Unies de
condamner et punir le génocide comme un «crime du droit des gens». Comme la Cour l’a dit dans
l’avis consultatif qu’elle a donné sur les Réserves à la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide, la convention avait «été manifestement adoptée dans un but purement humain
et civilisateur»17. Son objet consiste à la fois à «sauvegarder l’existence même de certains groupes
humains» et à «confirmer et à sanctionner les principes de morale les plus élémentaires»18. «La
considération des fins supérieures de la Convention est, en vertu de la volonté commune des parties,
le fondement et la mesure de toutes les dispositions qu’elle renferme.»19
22. Ainsi que la Cour l’a en outre déclaré dans son avis consultatif, les principes qui sont à la
base de la convention «sont des principes reconnus par les nations civilisées comme obligeant les
Etats même en dehors de tout lien conventionnel»20. Ils constituent donc une règle de droit
international coutumier. L’interdiction fondamentale de commettre un génocide a en outre été
reconnue comme une norme impérative21. Néanmoins, les parties contractantes demeurent tenues de
coopérer à travers le prisme de la convention et ne sauraient se soustraire à leurs obligations en
invoquant une coutume parallèle.
Interprétation de l’article IX
23. L’article IX prévoit une procédure de règlement des «différends … relatifs à
l’interprétation, l’application ou l’exécution» de la convention. En l’acceptant, les parties
contractantes ont volontairement consenti à soumettre à la Cour le règlement de tels différends,
conformément au paragraphe 1 de l’article 36 du Statut. En l’absence de réserve expresse de la part
de l’une ou l’autre des parties, l’article IX fonde donc la compétence de la Cour pour connaître de
tels différends22.
16 Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 ; voir, par exemple,
Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain)
nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 31, par. 53 ; Projet
Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 67-68, par. 112 (voir note de bas de page 14
ci-dessus) ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003,
p. 182, par. 41.
17 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1951, p. 23.
18 Ibid.
19 Ibid.
20 Ibid.
21 Ibid.
22 Comparons, par exemple, Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), mesures conservatoires,
ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 137-138, par. 37-41, avec Licéité de l’emploi de la force
(Yougoslavie c. Espagne), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999 (II), p. 772, par. 29-33,
et Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006, p. [33], par. 70 (voir note de bas de page 9 ci-dessus).
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24. L’article IX vise les différends «relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution» de
la convention et, partant, les différends relatifs tant à la portée et à la teneur des dispositions de la
convention qu’aux mesures prises (ou non) par les parties à l’égard de ces obligations. Il s’applique
également aux différends soumis à la Cour par ou contre une partie qui aurait violé la convention.
25. L’article IX donne effet à l’obligation préexistante qui impose aux parties, en vertu du
paragraphe 3 de l’article 2 et de l’article 33 de la Charte des Nations Unies et du droit international
coutumier23, de régler leurs différends par des moyens pacifiques. Il convient de l’interpréter et de
l’appliquer d’une manière permettant de s’acquitter de cette obligation24. En conséquence, les parties
doivent remplir de bonne foi les obligations que leur fait l’article IX, afin d’atteindre son objectif
central de règlement pacifique des différends25. En pratique, cela signifie ce qui suit :
a) un Etat contre lequel une requête a été formée et qui conteste l’application de l’article IX dans
une affaire donnée doit le faire en suivant les procédures prescrites de la Cour26 et se conformer
à toute ordonnance ou tout arrêt rendu par celle-ci27 ;
b) la non-comparution de cet Etat n’empêche pas la Cour de se prononcer sur sa compétence ni
d’exercer celle-ci en vertu de l’article IX28 ;
c) le non-respect, par une partie, de toute ordonnance en indication de mesures conservatoires
constitue en soi un manquement aux obligations internationales qui lui incombent en vertu de
l’article IX de la convention, du paragraphe 3 de l’article 2 et des articles 33 et 94 de la Charte
des Nations Unies29.
26. La question de savoir s’il existe un différend «relatif[] à l’interprétation, l’application ou
l’exécution» de la convention est une question de fond, et non de forme30. Certains actes ou omissions
peuvent donner naissance à un différend qui entre dans le champ de plusieurs instruments31. Le fait
23 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond,
arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 145, par. 290.
24 Charte des Nations Unies, art. 103 ; convention de Vienne sur le droit des traités, alinéa c) du paragraphe 3 de
l’article 31.
25 Charte des Nations Unies, paragraphe 2 de l’article 2 ; convention de Vienne sur le droit des traités, article 26 et
paragraphe 1 de l’article 31 ; voir aussi les précédents mentionnés aux notes de bas de page 14 et 15.
26 Telles qu’exposées dans le Statut et le Règlement de la Cour.
27 Charte des Nations Unies, paragraphe 1 de l’article 94.
28 Statut de la Cour, article 53 ; Sentence arbitrale du 3 octobre 1899 (Guyana c. Venezuela), compétence de la
Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 2020, p. 463-464, par. 25 ; Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 23, par. 27 (voir la note de bas de page 23
ci-dessus).
29 Voir, en particulier, la conclusion de la Cour en l’affaire LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt,
C.I.J. Recueil 2001, p. 506, par. 109, selon laquelle les «ordonnances indiquant des mesures conservatoires au titre de
l’article 41 [du Statut] ont un caractère obligatoire» ; Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 230-231, par. 451-458.
30 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 12, par. 26.
31 Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique
d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt du 3 février 2021, par. 56. Voir aussi Application de la
convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de
Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 120, par. 113, où la Cour a conclu à l’existence parallèle
de deux différends, l’un relatif à la licéité de l’emploi de la force et l’autre entrant dans le champ d’application de la CIEDR.
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qu’elle puisse ne pas exister à l’égard d’un traité n’empêche donc pas la compétence de la Cour d’être
établie en vertu d’un autre.
27. C’est le raisonnement suivi par la Cour dans l’arrêt qu’elle a rendu en 1996 sur les
exceptions préliminaires en l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro qui donne
l’orientation la plus claire quant à la question de savoir si un différend entrant dans le champ de
l’article IX existe dans une affaire donnée32. En ladite affaire, la Cour a conclu que les parties étaient
en désaccord sur les faits de l’espèce, sur l’application à ceux-ci des dispositions de la convention et
sur le sens et la portée juridique de ces dispositions. Pour la Cour, il ne faisait en conséquence aucun
doute qu’il existait un différend selon les termes de l’article IX33.
Interprétation de l’article premier
28. Aux termes de l’article premier, les parties à la convention ont confirmé que le génocide
était un crime du droit des gens, «qu’elles s’engagent à prévenir et à punir». Cet engagement impose
à toutes les parties contractantes l’obligation «de mettre en oeuvre tous les moyens qui sont
raisonnablement à leur disposition en vue d’empêcher, dans la mesure du possible, le génocide»34.
L’article premier énonce donc une obligation positive d’agir, mais pas un pouvoir d’agir en soi.
29. En s’acquittant de l’obligation de prévenir le génocide, les parties contractantes doivent
agir de façon raisonnable et de bonne foi35. Il est implicite dans l’exigence de bonne foi qu’une partie
doit s’abstenir de toute action qui porte atteinte aux objectifs de la convention sous-tendant l’article
premier ou qui enfreint ses dispositions36. Si les parties les entreprennent en se prévalant de l’article
premier, de telles actions emporteraient violation de la convention elle-même.
32 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II) (voir note de bas de page 9 ci-dessus).
33 Ibid., p. 616-617, par. 33. La Cour a par la suite réaffirmé cette conclusion, au stade du fond, en l’affaire
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I) (voir note de bas de page 29 ci-dessus).
34 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 221, par. 430 (voir note de bas de page 29 ci-dessus).
35 Convention de Vienne sur le droit des traités, article 26 et paragraphe 1 de l’article 31 ; Projet
Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 79, par. 142 (voir note de bas de page 14
ci-dessus).
36 Voir note de bas de page 15 ci-dessus.
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30. L’article VIII de la convention souligne que, en premier lieu, c’est en saisissant les
mécanismes des Nations Unies que les parties doivent chercher à agir collectivement pour prévenir
réprimer les actes de génocide. Les Membres des Nations Unies ont accepté l’obligation, qui en est
le corollaire, de répondre aux demandes d’action qui leur sont présentées au titre de l’article VIII de
la convention37.
31. Comme l’a déclaré la Cour, l’article VIII n’épuise pas l’obligation d’une partie de prévenir
le génocide38. Il peut être requis de prendre des mesures allant au-delà du recours aux organes
compétents des Nations Unies, en particulier lorsque ceux-ci ont manifestement échoué. Toutefois,
en soi, l’obligation de prévenir le génocide énoncée à l’article premier ne constitue pas une base
juridique permettant de recourir à l’emploi de la force, en violation du paragraphe 4 de l’article 2 de
la Charte des Nations Unies39. Comme la Cour l’a dit en l’affaire Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro, cette obligation doit être exercée dans les limites de ce que permet la
légalité internationale40. Dans des circonstances exceptionnelles, lorsque les actions et moyens
pacifiques ont été épuisés, il est possible qu’une nouvelle norme coutumière d’intervention
humanitaire unilatérale permette de justifier l’emploi de la force pour protéger une population d’un
génocide. Cependant, dans la mesure où une telle norme existe, elle est étroitement circonscrite.
32. L’obligation de prévenir le génocide énoncée à l’article premier s’applique lorsqu’un Etat
a connaissance, ou devrait normalement avoir connaissance, de la commission d’un génocide ou d’un
risque sérieux de commission d’un génocide41. La question de savoir si des actes sont constitutifs de
«génocide», de façon à déclencher l’application de l’article premier, n’est pas une simple question
d’interprétation subjective d’une partie. La définition de «génocide» figurant aux articles II et III de
la convention s’applique, et les faits doivent y correspondre.
33. Lorsqu’une partie contractante se prévaut de l’obligation de prévenir un génocide pour
prendre des mesures qui portent atteinte aux droits d’un autre Etat, elle doit être prête à défendre ces
mesures par des éléments prouvant irréfutablement qu’un génocide a été commis ou est en passe de
l’être42. En pratique, ces éléments peuvent être des bulletins d’information, des récits de témoins, des
déclarations officielles de gouvernements, des rapports d’organismes régionaux et internationaux
compétents et des avis d’organisations non gouvernementales reconnues43. La Cour doit attendre de
la partie qui prend des mesures pour prévenir le génocide au titre de l’article premier de la convention
qu’elle établisse la base objective de sa décision44.
37 Par extension de leur propre obligation de prévention au titre de l’article premier de la convention et du droit
international coutumier, et ainsi que le confirme la résolution A/RES/60/1 (2005) de l’Assemblée générale des
Nations Unies, par. 138 et 139.
38 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 219-220, par. 427 (voir note de bas de page 29 ci-dessus).
39 Charte des Nations Unies, paragraphe 4 de l’article 2, tel que le détaille la résolution 3314 (XXIX) de
l’Assemblée générale, intitulée «Définition de l’agression».
40 Voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 221, par. 430 (voir note de bas de page 29 ci-dessus).
41 Ibid., p. 222, par. 431.
42 Ibid., p. 129, par. 208.
43 Ibid., p. 130, par. 212 à 213.
44 Ibid., p. 128-129, par. 204 et 209.
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Documents fournis à l’appui de la déclaration
34. Les documents fournis à l’appui de la déclaration, avec copies certifiées conformes, sont
annexés à la présente :
a) Lettre en date du 30 mars 2022 adressée à l’ambassadrice de Nouvelle-Zélande auprès des
Pays-Bas par le greffier de la Cour ;
b) Notification dépositaire du Secrétaire général confirmant la ratification de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide par le gouvernement de la Nouvelle-Zélande, le
28 décembre 1978.
Conclusion
35. Au vu de ces éléments, la Nouvelle-Zélande entend se prévaloir de son droit d’intervention
en vertu du paragraphe 2 de l’article 63 du Statut, en tant que non-partie à l’affaire portée devant la
Cour par l’Ukraine contre la Fédération de Russie. Elle se réserve le droit de compléter ou de modifier
la présente déclaration et toutes observations écrites y relatives qui seraient présentées à cet égard, si
elle le juge nécessaire en fonction de l’évolution de la procédure.
36. L’interprétation défendue dans la présente déclaration concerne tant la compétence de la
Cour que la base concrète des demandes de l’Ukraine au fond. En résumé, la Nouvelle-Zélande
soutient que, selon une interprétation correcte de la convention :
a) S’agissant des questions de compétence soulevées par la requête de l’Ukraine, la Cour est
compétente, en vertu de l’article IX de la convention, pour statuer sur :
i) un différend quant à la commission d’un génocide, soumis par la partie contractante qui
aurait commis de tels actes ;
ii) la question de savoir si les allégations de génocide avancées sont étayées par des éléments
suffisants et correspondent à la définition de génocide énoncée dans la convention ; et
iii) la question de savoir si l’emploi de la force dans le but déclaré de prévenir et punir un
génocide, en l’absence d’éléments suffisants prouvant que celui-ci a été commis ou est
imminent, est une mesure qu’une partie peut prendre pour s’acquitter de l’obligation figurant
à l’article premier de la convention.
b) S’agissant des questions de fond soulevées dans la requête de l’Ukraine :
i) les parties contractantes sont tenues d’exécuter les obligations que leur fait la convention de
bonne foi et d’une manière qui ne porte pas atteinte à l’objet et au but de la convention ;
ii) le refus par une partie contractante de se conformer aux mesures conservatoires indiquées
par la Cour constitue un manquement à l’obligation énoncée à l’article IX de la convention ;
iii) une partie contractante agissant en se prévalant de l’obligation de prévenir un génocide en
vertu de l’article premier de la convention doit disposer d’éléments de preuve suffisants pour
déterminer qu’un génocide a été commis ou est imminent ;
iv) en soi, l’article premier de la convention ne fournit pas de fondement juridique à l’emploi
de la force en violation du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies.
- 10 -
37. Le Gouvernement néo-zélandais a désigné Mme Victoria Hallum, conseillère juridique en
chef pour le droit international, en qualité d’agente et la soussignée en qualité de coagente aux fins
de la présente déclaration. Il est demandé que toutes les communications relatives à cette procédure
soient adressées à l’ambassade de Nouvelle-Zélande aux Pays-Bas :
Ambassade de Nouvelle-Zélande
Eisenhowerlaan 77N
2517 KK La Haye
Royaume des Pays-Bas
L’ambassadrice de Nouvelle-Zélande auprès des Pays-Bas,
coagente du Gouvernement de la Nouvelle-Zélande,
(Signé) Susannah GORDON.
___________
ANNEXE A
LETTRE EN DATE DU 30 MARS 2022 ADRESSÉE À L’AMBASSADRICE DE NOUVELLE-ZÉLANDE
AUPRÈS DES PAYS-BAS PAR LE GREFFIER DE LA COUR
COUR INTERNATIONALE
DE JUSTICE
INTERNATIONAL COURT
OF JUSTICE
156413 Le 30 mars 2022
J'ai l'honneur de me referer A ma lettre (n° 156253) en date du 2 mars 2022, par laquelle j'ai
porte A la connaissance de votre Gouvernement que l'Ukraine a, le 26 fevrier 2022, depose au Greffe
de la Cour internationale de Justice une requete introduisant une instance contre la Federation de
Russie en l'affaire relative A des Allegations de genocide au titre de la convention pour la prevention
et la repression du crime de genocide (Ukraine c. Federation de Russie). Une copie de la requete etait
jointe a cette lettre. Le texte de ladite requete est egalement disponible sur le site Internet de la Cour
(www.icj-cij.org).
Le paragraphe 1 de l'article 63 du Statut de la Cour dispose que
«[1]orsqu'il s'agit de 'Interpretation d'une convention A laquelle ont participe d'autres
Etats que les parties en litige, le Greffier les avertit sans delai».
Le paragraphe 1 de l'article 43 du Reglement de la Cour precise en outre que
«[1]orsque 'Interpretation d'une convention A laquelle ont participe d'autres Etats que
les parties en litige peut etre en cause au sens de l'article 63, paragraphe 1, du Statut, la
Cour examine quelles instructions donner au Greffier en la matiere».
Sur les instructions de la Cour, qui m'ont ete donnees conformement a cette derniere
disposition, j'ai l'honneur de notifier a votre Gouvernement ce qui suit.
Dans la requete susmentionnee, la convention de 1948 pour la prevention et la repression du
crime de genocide (ci-apres la «convention sur le genocide») est invoquee A la fois comme base de
competence de la Cour et a l'appui des demandes de l'Ukraine au fond. Plus precisement, celle-ci
entend fonder la competence de la Cour sur la clause compromissoire figurant A l'article IX de la
convention, prie la Cour de declarer qu'elle ne commet pas de genocide, tel que defini aux articles II
et III de la convention, et souleve des questions sur la portee de l'obligation de prevenir et de punir
le genocide consacree A Particle premier de la convention. Ii semble, des lors, que "'interpretation de
cette convention pourrait etre en cause en l'affaire.
./.
[Lettres aux Etats parties A la convention sur le genocide
(A l'exception de l'Ukraine et de la Federation de Russie)]
Palais de la Paix, Camegieplein 2
2517 KJ La Haye - Pays -Bas
Telephone: +31 (0) 70 302 23 23 - Facsimile : +31 (0) 70 364 99 28
Site Internet : www.icj-cij.org
Peace Palace, Carnegieplein 2
2517 KJ The Hague - Netherlands
Telephone: +31(0) 70 302 23 23 - Telefax: +31(0) 70 364 99 28
Website: www.icj-cij.org
COUR INTERNATIONALE INTERNATIONAL COURT
DE JUSTICE OF JUSTICE
Votre pays figure sur la liste des parties A la convention sur le genocide. Aussi la presente lettre
doit-elle etre regardee comme constituant la notification prevue au paragraphe 1 de l'article 63 du
Statut. J'ajoute que cette notification ne prejuge aucune question concernant l' application eventuelle
du paragraphe 2 de Particle 63 du Statut sur laquelle la Cour pourrait par la suite etre appelee A se
prononcer en l'espece.
Veuillez agreer, Excellence, les assurances de ma tres haute consideration.
Le Greffier de la Cour,
Philippe Gautier
- 2 -
ANNEXE B
NOTIFICATION DÉPOSITAIRE DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL CONFIRMANT LA RATIFICATION
PAR LE GOUVERNEMENT DE LA NOUVELLE-ZÉLANDE
DE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE

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Document Long Title

Déclaration d'intervention de la Nouvelle-Zélande

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