Déclaration d'intervention de la Lituanie

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182-20220719-WRI-02-00-EN
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Incidental Proceedings
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE
(UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE)
DÉCLARATION D’INTERVENTION DÉPOSÉE PAR LE GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE DE LITUANIE EN VERTU DE L’ARTICLE 63 DU STATUT DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
19 juillet 2022
[Traduction du Greffe]
A Monsieur le greffier de la Cour internationale de Justice, la soussignée, dûment autorisée par le Gouvernement de la République de Lituanie, déclare ce qui suit :
1. Au nom du Gouvernement de la République de Lituanie, et comme suite à votre lettre n° 156413 du 30 mars 2022 adressée aux parties à la convention sur le génocide en application du paragraphe 1 de l’article 63 du Statut de la Cour, j’ai l’honneur de soumettre à cette dernière, en vertu du droit établi au paragraphe 2 de l’article 63 de son Statut, une déclaration d’intervention en l’affaire relative à des Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie) (rôle général, no 182).
2. Selon le paragraphe 2 de l’article 82 du Règlement de la Cour, en plus de préciser l’affaire et la convention que l’intervention fondée sur l’article 63 concerne, une déclaration déposée en vertu de ces dispositions doit contenir :
a) des renseignements spécifiant sur quelle base l’Etat déclarant se considère comme partie à la convention ;
b) l’indication des dispositions de la convention dont il estime que l’interprétation est en cause ;
c) un exposé de l’interprétation qu’il donne de ces dispositions ;
d) un bordereau des documents à l’appui, qui sont annexés.
3. S’agissant du point a) ci-dessus, la Lituanie rappelle que, le 1er février 1996, elle a déposé son instrument d’adhésion à la convention sur le génocide conformément à l’article XI de celle-ci1.
4. S’agissant du point b), la Lituanie estime que les dispositions de la convention dont l’interprétation est en cause dans l’affaire pendante entre l’Ukraine et la Fédération de Russie, et qu’elle examinera ci-après, sont les suivantes :
⎯ l’article premier ;
⎯ l’article VIII ; et
⎯ l’article IX.
5. S’agissant du point d), la Lituanie indique qu’à ce stade sa déclaration d’intervention s’appuie uniquement sur des documents facilement accessibles et qu’elle n’a pas de document particulier à soumettre à l’appui de sa déclaration. Si son intervention est déclarée recevable, la Lituanie se réserve le droit d’annexer des documents aux observations écrites qu’elle présentera en vertu de l’article 86 du Règlement.
6. Conformément au point c) ci-dessus, l’interprétation que la Lituanie donne des articles premier, VIII et IX de la convention est exposée ci-dessous aux paragraphes 19 et suivants. Cet exposé est précédé de quelques observations liminaires.
1 Nations Unies, Recueil des traités, C.N.30.1996.TREATIES-1 (notification dépositaire), https://treaties.un.org/ doc/Publication/CN/1996/CN.30.1996-Eng.pdf.
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OBSERVATIONS LIMINAIRES
7. Le 26 février 2022, à 21 h 30, l’Ukraine a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la Fédération de Russie au sujet d’«un différend … concernant l’interprétation, l’application et l’exécution de la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide» (dénommée ci-après la «convention sur le génocide» ou la «convention»)2.
8. Dans sa requête, l’Ukraine entend fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de celle-ci et sur l’article IX de la convention sur le génocide.
9. En même temps que la requête, l’Ukraine, se référant à l’article 41 du Statut de la Cour et aux articles 73, 74 et 75 de son Règlement, a présenté une demande en indication de mesures conservatoires.
10. Par lettres en date du 1er mars 2022, le greffier a fait connaître aux Parties que la Cour avait fixé aux 7 et 8 mars 2022 les dates de la procédure orale sur la demande en indication de mesures conservatoires.
11. Par lettre en date du 5 mars 2022, l’ambassadeur de la Fédération de Russie auprès du Royaume des Pays-Bas a indiqué que son gouvernement avait décidé de ne pas participer à la procédure orale devant s’ouvrir le 7 mars 2022.
12. Le 7 mars 2022, l’ambassadeur de la Fédération de Russie auprès du Royaume des Pays-Bas a communiqué à la Cour un document exposant «la position de la Fédération de Russie en ce qui concerne l’incompétence de la Cour en [l’]affaire», dans lequel la Fédération de Russie soutenait que la Cour n’avait pas compétence pour connaître de l’affaire et la «pri[ait] ... de s’abstenir d’indiquer des mesures conservatoires et de radier l’affaire de son rôle»3.
13. Dans le document susmentionné en date du 7 mars 2022, la Fédération de Russie indique que la seule base de compétence invoquée par l’Ukraine est la clause de règlement des différends énoncée à l’article IX de la convention sur le génocide, mais qu’il ressort clairement du sens ordinaire des termes de la convention que celle-ci ne régit pas l’emploi de la force entre Etats. La Fédération de Russie ajoute que son «opération militaire spéciale» sur le territoire ukrainien est fondée sur l’article 51 de la Charte des Nations Unies et le droit international coutumier et qu’en conséquence la requête et la demande de l’Ukraine «dépassent manifestement le champ d’application de la convention et donc la compétence de la Cour»4.
2 Requête introductive d’instance, enregistrée au Greffe de la Cour le 26 février 2022, Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie) (ci-après la «requête de l’Ukraine»).
3 Document (avec annexes) de la Fédération de Russie exposant sa position sur la prétendue «incompétence» de la Cour en l’affaire, par. 24.
4 Ibid., par. 23.
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14. Le 16 mars 2022, la Cour a rendu une ordonnance contraignante, dans laquelle elle a conclu que, prima facie, elle avait compétence pour connaître de l’affaire et indiqué à titre provisoire les mesures conservatoires suivantes :
«1) Par treize voix contre deux,
La Fédération de Russie doit suspendre immédiatement les opérations militaires qu’elle a commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l’Ukraine ;
2) Par treize voix contre deux,
La Fédération de Russie doit veiller à ce qu’aucune des unités militaires ou unités armées irrégulières qui pourraient agir sous sa direction ou bénéficier de son appui, ni aucune organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle ou sa direction, ne commette d’actes tendant à la poursuite des opérations militaires visées au point 1) ci-dessus ;
3) A l’unanimité,
Les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile.»5
15. Depuis le 16 mars 2022, la Fédération de Russie, en violation manifeste de l’ordonnance contraignante du 16 mars 2022 et de ses obligations au regard du droit international, a intensifié et étendu ses opérations militaires sur le territoire de l’Ukraine, n’a pris aucune mesure pour veiller à ce que les unités militaires ou unités armées irrégulières, ou les autres organisations ou personnes agissant sous son contrôle ou sa direction, ne commettent pas d’actes tendant à la poursuite des opérations militaires et a donc ainsi aggravé le différend dont la Cour est saisie.
16. On ne saurait trop insister sur le fait que le différend pendant, ainsi que la responsabilité de la Cour dans son règlement, revêtent une importance plus grande encore. Ce différend a été porté devant la Cour au titre de la convention sur le génocide, en raison des allégations sans fondement de la Fédération de Russie selon lesquelles un génocide s’était produit en Ukraine, ce qui lui donnait prétendument le droit de lancer une invasion militaire sur le territoire de son voisin dans le but de prévenir d’autres actes de génocide6. En avançant ces accusations fabriquées de toutes pièces, la Fédération de Russie a, par son recours à la force contre l’Ukraine, subverti l’un des traités multilatéraux les plus fondamentaux de notre temps pour justifier une violation flagrante des principes fondateurs de la Charte des Nations Unies, dont elle est pourtant l’un des garants spécifiques en tant que membre permanent du Conseil de sécurité. La Lituanie se joint à la Cour pour exprimer sa plus vive inquiétude quant à «l’emploi de la force par la Fédération de Russie en Ukraine» et à «l’ampleur de la tragédie humaine qui s[’y] déroule», eu égard notamment aux «victimes et aux souffrances humaines que l’on continue d’y déplorer» en conséquence7.
5 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 86 (ci-après l’«ordonnance du 16 mars 2022»).
6 Ordonnance du 16 mars 2022, par. 37-41 et 59.
7 Ordonnance du 16 mars 2022, par. 18 et 17, respectivement.
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17. Si ces questions relèvent du fond de l’affaire, la Lituanie a, avec toutes les autres parties contractantes à la convention sur le génocide, un intérêt commun à veiller à ce que ses dispositions — qui contiennent des obligations erga omnes partes8 — soient interprétées comme il se doit, de façon à éviter toute lecture ou utilisation abusive de la convention, que ce soit en la présente affaire ou à l’avenir. L’intégrité de la convention est tributaire de sa juste interprétation. Pour ces raisons, et sur le fondement de l’article 63 du Statut, la Lituanie a décidé d’exercer son droit d’intervenir en l’affaire afin de présenter à la Cour ses vues sur l’interprétation des dispositions de la convention qui sont au coeur du différend dont celle-ci est saisie.
18. La Lituanie est en droit d’agir ainsi à ce stade de la procédure. En effet, le libellé de l’article 63 du Statut «est sans restriction quand il indique [que le droit d’intervention peut être exercé] «[l]orsqu’il s’agit de l’interprétation d’une convention», ce qui implique qu’il est applicable dans toutes les phases de l’affaire»9. L’article 82 du Règlement, selon lequel «[u]n Etat qui désire se prévaloir du droit d’intervention que lui confère l’article 63 du Statut dépose à cet effet une déclaration … le plus tôt possible avant la date fixée pour l’ouverture de la procédure orale», confirme qu’une déclaration déposée en vertu de l’article 63 est recevable à ce stade de la procédure. Il convient de noter à cet égard que l’article 82, lorsqu’il mentionne «l’ouverture de la procédure orale», ne fait pas de distinction entre la procédure orale au fond et celle consacrée aux exceptions d’incompétence. Cela établit clairement que, selon la question à régler, une intervention fondée sur l’article 63 est envisageable à chaque phase de la procédure, mais également à un stade aussi précoce que possible, ce qui permet d’aborder tant les dispositions juridictionnelles que les dispositions substantielles. En effet, ainsi qu’il a été rappelé plus haut, l’article 63 n’énonce aucune restriction quant au caractère des dispositions de la convention concernées — qu’elles soient substantielles, procédurales ou juridictionnelles — et formule comme seule condition, dans les termes les plus généraux, qu’«il s’agi[sse] de l’interprétation d’une convention». De même, l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 82 du Règlement ne limite pas le droit de l’Etat intervenant d’indiquer les «dispositions de la convention dont il estime que l’interprétation est en cause».
EXPOSE DE L’INTERPRETATION DES DISPOSITIONS
A) Article premier
19. La Lituanie rappelle que l’engagement «à prévenir et à punir» le génocide, pris par les parties contractantes au titre de l’article premier de la convention, doit être mis en oeuvre conformément au droit international. Comme l’a dit la Cour dans son arrêt de 2007 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) et comme elle l’a rappelé dans son ordonnance du 16 mars 2022 en l’espèce, «en s’acquittant de l’obligation de prévenir le génocide, «chaque Etat ne peut déployer son action que dans les limites de ce que lui permet la légalité internationale»»10. En outre, «[l]es actes entrepris par les parties contractantes pour «prévenir et ... punir» un génocide doivent être conformes à l’esprit et aux buts des Nations Unies, tels qu’énoncés à l’article 1 de la Charte des Nations Unies»11.
8 Voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 3 et références.
9 A. Miron et C. Chinkin, «Article 63», dans A. Zimmermann et C. Tams (dir. publ.), The Statute of the International Court of Justice: A Commentary (3e éd., Oxford, OUP 2019), p. 1763, MN 46.
10 Ordonnance du 16 mars 2022, par. 57, citant Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 221, par. 430.
11 Ordonnance du 16 mars 2022, par. 58.
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20. La Lituanie fait valoir que, pour interpréter les devoirs que les Etats tiennent de l’article premier, le principe de la bonne foi dans l’interprétation des traités est tout particulièrement pertinent. Ainsi que la Cour a eu l’occasion de le relever, pour déterminer la portée de l’obligation de prévenir, «la notion de «due diligence», qui appelle une appréciation in concreto, revêt une importance cruciale»12. Selon la Lituanie, l’obligation de prévenir le génocide n’est pas limitée aux actes se produisant sur le territoire de l’Etat qui prétend agir. Cette obligation demeure toutefois une obligation de comportement, qui doit être exécutée dans les strictes limites du droit international. Associée à l’obligation d’agir avec la diligence requise, elle suppose nécessairement qu’une partie contractante qui est censée prétendument prévenir le génocide doit justifier toute action qu’elle cherche à entreprendre par des preuves solides, provenant de sources indépendantes, que des actes de génocide sont en train d’être commis ou qu’il existe «un risque sérieux de commission d’un génocide»13. En d’autres termes, la Lituanie affirme que l’obligation d’agir avec la diligence requise pour prévenir la commission de nouveaux actes de génocide va de pair avec celle de recueillir des preuves solides avant de prendre toute nouvelle mesure en exécution de l’article premier. Ce dernier est manifestement enfreint lorsqu’une partie contractante manque à cette obligation et, comme c’est le cas dans le présent litige, qu’elle commet un acte d’agression militaire contre un autre Etat sous le prétexte, factuellement infondé, de prévenir ou de réprimer un génocide.
21. La Lituanie soutient également que l’obligation de punir le génocide, consacrée à l’article premier, se limite à des mesures punitives à caractère pénal prises contre des individus. Les articles IV à VII de la convention viennent le confirmer. L’obligation de punir le génocide ne peut s’entendre comme autorisant n’importe quel autre type de mesures, notamment des mesures coercitives ou militaires visant à «punir» un Etat ou un peuple.
B) Article VIII
22. La Lituanie affirme que l’interprétation qui est donnée ci-dessus de l’article premier est corroborée par l’article VIII de la convention, en vertu duquel les parties contractantes
«peu[vent] saisir les organes compétents de l’Organisation des Nations Unies afin que ceux-ci prennent, conformément à la Charte des Nations Unies, les mesures qu’ils jugent appropriées pour la prévention et la répression des actes de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III».
Selon la Lituanie, l’article VIII n’est pas seulement une disposition habilitante ; il reflète également l’intention de la convention de privilégier les mesures institutionnelles collectives pour prévenir et réprimer les actes de génocide. La Lituanie avance que les parties contractantes à la convention sur le génocide qui sont également des Etats Membres de l’ONU possèdent déjà le droit de saisir les organes de l’Organisation afin que ceux-ci prennent, conformément à la Charte, des mesures pour prévenir et réprimer les actes de génocide14, et qu’elles peuvent donc se dispenser d’invoquer l’article VIII. Aussi la Lituanie soutient-elle que la juste interprétation de l’article VIII de la convention est celle qui prend en compte l’objet et le but de la disposition dans son contexte. Une telle interprétation requiert de lire conjointement l’article VIII et l’article premier de la convention, de façon à ce que la licéité d’une mesure de prévention prise unilatéralement par un Etat en vertu
12 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 221, par. 430.
13 Ibid., par. 431.
14 Voir en particulier le paragraphe 2 de l’article 11 et le paragraphe 1 de l’article 35 de la Charte des Nations Unies.
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de l’article premier sur le territoire d’un autre Etat soit soumise à la condition que les organes compétents de l’Organisation des Nations Unies soient saisis au préalable conformément à l’article VIII et que ceux-ci n’aient pris aucune mesure au titre de la Charte. Toute mesure unilatérale de prévention doit respecter les obligations énoncées à l’article premier telles qu’exposées ci-dessus.
C) Article IX
23. S’agissant de l’article IX, la Lituanie rappelle qu’en raison de sa portée, à savoir «[l]es différends … relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la … Convention», il est «unique si on [le] compare aux clauses compromissoires d’autres traités multilatéraux qui prévoient la soumission à la Cour internationale de Justice des différends entre les parties contractantes ayant trait à leur interprétation ou application»15. L’article IX confère donc à la Cour la compétence de statuer sur les différends concernant l’exécution présumée, par une partie contractante, de ses obligations au regard de la convention. Il en est tout particulièrement ainsi de l’obligation d’agir avec la diligence requise, comme le prescrit implicitement l’article premier, pour recueillir des preuves solides, provenant de sources indépendantes, que des actes de nature génocidaire sont en train d’être commis16.
24. En outre, l’article IX de la convention établit la compétence de la Cour à l’égard de tous les «différends … relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la … Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III». Pour la Lituanie, l’emploi de l’expression «y compris» ne restreint pas la compétence de la Cour aux différends «relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III», mais étend celle-ci aux différends entre des parties contractantes concernant la responsabilité d’un Etat à raison de la violation de l’article premier. Comme l’a indiqué la Cour, l’emploi de l’expression «y compris» «semble confirmer que les différends relatifs à la responsabilité des parties contractantes pour génocide ou tout autre acte énuméré à l’article III s’inscrivent dans un ensemble plus large de différends relatifs à l’interprétation, à l’application ou à l’exécution de la Convention»17. Et de préciser que les différends visés à l’article IX ne doivent pas nécessairement se rapporter aux obligations qui sont «expressément imposée[s] par les termes mêmes de la Convention»18. En conséquence, la Lituanie affirme que la compétence que la Cour tient de l’article IX s’étend aux différends concernant l’exécution de l’obligation de prévenir et de punir le génocide imposée par l’article premier, lu conjointement avec l’article VIII et tel qu’interprété plus haut, et, plus spécifiquement, à la question de savoir si l’emploi unilatéral de la force militaire par un Etat «dans le but affiché de prévenir et de punir un prétendu génocide est une mesure qui peut être prise en exécution de l’obligation de prévenir et de punir énoncée à l’article premier de la convention»19. Dès lors, la compétence de la Cour au titre de l’article IX s’étend également aux décisions portant sur les conséquences juridiques d’actions jugées contraires à l’article premier.
15 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), déclaration de M. Oda, p. 627, par. 5 (les italiques sont dans l’original).
16 Voir le paragraphe 20 ci-dessus.
17 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 114, par. 169.
18 Ibid., p. 113, par. 166.
19 Ordonnance du 16 mars 2022, par. 45.
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25. Enfin, la Lituanie note que les termes de l’article IX permettent à «[toute] partie» à un différend qui concerne l’exécution de l’article premier de soumettre le différend en question à la Cour pour règlement20.
Veuillez agréer, etc.
L’agente de la République de Lituanie,
(Signé) Gabija GRIGAITE-DAUGIRDE.
___________
20 Voir R. Kolb, «The Compromissory Clause of the Convention», dans P. Gaeta (dir. publ.), The UN Genocide Convention: A Commentary (Oxford, OUP 2009), p. 420 : «l’article IX permet la saisine unilatérale de la CIJ par toute partie à un différend … [L’] article IX [de la convention] est à cet égard un modèle de clarté et de simplicité, qui ouvre aussi largement que possible la voie à la saisine de la Cour».

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Déclaration d'intervention de la Lituanie

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