Résumé de l'arrêt du 12 octobre 2021

Document Number
161-20211012-SUM-01-00-EN
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
2021/3
Date of the Document
Document File

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
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Résumé
Non officiel
Résumé 2021/3
Le 12 octobre 2021
Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya)
Historique de la procédure (par. 1-28)
La Cour commence par rappeler que, le 28 août 2014, la République fédérale de Somalie
(ci-après la «Somalie») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la
République du Kenya (ci-après le «Kenya») au sujet d’un différend portant sur «l’établissement de
la frontière maritime unique séparant la Somalie et le Kenya dans l’océan Indien et délimitant la mer
territoriale, la zone économique exclusive … et le plateau continental, y compris la partie de celui-ci
qui s’étend au-delà de la limite des 200 milles marins». Dans sa requête, la Somalie entendait fonder
la compétence de la Cour sur les déclarations faites par elle-même le 11 avril 1963 et par le Kenya
le 19 avril 1965 en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour. Le 7 octobre 2015, le
Kenya a soulevé des exceptions préliminaires d’incompétence de la Cour et d’irrecevabilité de la
requête. Par son arrêt du 2 février 2017 (ci-après l’«arrêt de 2017»), la Cour a rejeté les exceptions
préliminaires soulevées par le Kenya, et dit qu’elle avait compétence pour connaître de la requête
déposée par la Somalie et que ladite requête était recevable. Après le dépôt par les Parties de leurs
pièces écrites, des audiences publiques sur le fond ont été tenues du 15 au 18 mars 2021. Le Kenya
n’a pas participé à ces audiences.
I. CONTEXTE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE (PAR. 31-34)
La Cour rappelle d’abord la situation géographique des Parties. Elle relève ensuite les faits
suivants. Le 15 juillet 1924, l’Italie et le Royaume-Uni ont conclu un traité régissant certaines
questions concernant les frontières de leurs territoires respectifs en Afrique de l’Est, y compris ce
que le demandeur qualifie de «colonie italienne du Jubaland», située dans l’actuelle Somalie, et la
colonie britannique du Kenya. Le segment le plus au sud de la frontière entre les territoires coloniaux
italien et britannique a été redéfini par un échange de notes datées des 16 et 26 juin 1925. Entre 1925
et 1927, une commission mixte italo-britannique a procédé au levé et à la démarcation de la frontière.
A l’issue de cette opération, la commission a consigné ses décisions dans un accord signé
le 17 décembre 1927 (ci-après l’«accord de 1927»), avant d’être confirmé officiellement par un
échange de notes du 22 novembre 1933 entre les Gouvernements britannique et italien (l’ensemble
constitué de l’accord de 1927 et de cet échange de notes étant ci-après désigné par l’expression
«arrangement conventionnel de 1927/1933»). La Somalie et le Kenya ont accédé à l’indépendance
en 1960 et en 1963, respectivement. Le Kenya et la Somalie ont tous deux signé la convention des
Nations Unies sur le droit de la mer (ci-après la «CNUDM» ou la «convention») le 10 décembre
1982. Ils l’ont ratifiée le 2 mars 1989 et le 24 juillet 1989, respectivement, et la convention est entrée
en vigueur à leur égard le 16 novembre 1994. La Somalie et le Kenya ont tous deux déposé une
demande auprès de la Commission des limites du plateau continental (ci-après la «Commission des
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limites» ou la «Commission») afin d’obtenir les recommandations de celle-ci sur la fixation de la
limite extérieure de leur plateau continental au-delà de 200 milles marins, conformément au
paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM. Bien que chacun des deux Etats se soit d’abord opposé
à ce que la Commission examine la demande de l’autre, ces objections ont été levées par la suite. A
la date de l’arrêt, la Commission n’a encore formulé aucune recommandation concernant les
demandes des Parties.
II. APERÇU DES POSITIONS DES PARTIES (PAR. 35)
La Cour indique que les Parties ont adopté des approches fondamentalement différentes en
matière de délimitation des espaces maritimes. La Somalie affirme qu’il n’existe aucune frontière
maritime entre les deux Etats et prie la Cour de tracer une ligne en employant les méthodes
équidistance/circonstances spéciales (pour la délimitation de la mer territoriale) et
équidistance/circonstances pertinentes (pour la délimitation des espaces situés au-delà de la mer
territoriale). Selon elle, une ligne d’équidistance non ajustée traversant tous les espaces maritimes
aboutit au résultat équitable requis par le droit international. Le Kenya, pour sa part, soutient qu’il
existe déjà une frontière maritime convenue entre les Parties, la Somalie ayant acquiescé à une
frontière qui suit le parallèle passant par 1° 39' 43,2" de latitude sud (ci-après «le parallèle»). Il ajoute
que les Parties ont jugé qu’il s’agissait là d’une délimitation équitable au regard tant du contexte
géographique que de la pratique régionale. Il avance que, quand bien même la Cour en viendrait à
conclure qu’il n’existe pas encore de frontière maritime, elle devrait délimiter les espaces maritimes
en suivant le parallèle, et que, même si elle employait la méthode de délimitation proposée par la
Somalie, cela aboutirait, après ajustement afin de parvenir à un résultat équitable, à une délimitation
suivant ce parallèle.
III. QUESTION DE SAVOIR SI LA SOMALIE A ACQUIESCÉ À UNE FRONTIÈRE MARITIME
LONGEANT LE PARALLÈLE (PAR. 36-89)
La Cour recherche tout d’abord s’il existe, sur la base d’un acquiescement de la Somalie, une
frontière maritime convenue entre les Parties.
Elle rappelle que le Kenya et la Somalie sont tous deux parties à la CNUDM. Aux fins de la
délimitation de la mer territoriale, l’article 15 de la convention prévoit l’utilisation d’une ligne
médiane «sauf accord contraire entre» les deux Etats, à moins que, «en raison de l’existence de titres
historiques ou d’autres circonstances spéciales, il [soit] nécessaire de délimiter autrement [leur] mer
territoriale». La délimitation de la zone économique exclusive et celle du plateau continental sont
régies par le paragraphe 1 de l’article 74 et le paragraphe 1 de l’article 83 de la convention,
respectivement. Conformément à ces dispositions, la délimitation «est effectuée par voie d’accord
conformément au droit international».
La Cour réaffirme que la délimitation maritime entre des Etats dont les côtes sont adjacentes
ou se font face doit être réalisée au moyen d’un accord entre eux et que, au cas où ils ne sont pas
parvenus à un tel accord, il convient d’effectuer cette délimitation en recourant à une instance tierce
dotée de la compétence nécessaire pour ce faire. La délimitation maritime ne peut être effectuée
unilatéralement par l’un ou l’autre des Etats intéressés.
Un accord qui établit une frontière maritime est généralement exprimé par écrit. La Cour
considère toutefois que l’«accord» mentionné à l’article 15, au paragraphe 1 de l’article 74 et au
paragraphe 1 de l’article 83 de la convention peut aussi prendre d’autres formes. La question
essentielle est celle de savoir s’il existe une manière commune, de la part des Etats intéressés,
d’envisager la délimitation de leurs frontières maritimes.
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La jurisprudence relative à l’acquiescement et à l’accord tacite peut aider à apprécier s’il existe
un accord ne revêtant pas une forme écrite au sujet de la frontière maritime entre deux Etats. A cet
égard, la Cour rappelle que l’acquiescement équivaut à une reconnaissance tacite manifestée par un
comportement unilatéral que l’autre partie peut interpréter comme un consentement. Si les
circonstances sont telles que le comportement de l’autre Etat appelle une réponse dans un délai
raisonnable, l’absence de réaction peut valoir acquiescement, sur le fondement du principe qui tacet
consentire videtur si loqui debuisset ac potuisset. Afin de déterminer si le comportement d’un Etat
appelle une réponse d’un autre Etat, il convient de rechercher si l’Etat a persisté dans ce
comportement de manière constante. Dans l’appréciation de l’absence de réaction, le temps peut être
un facteur important.
La Cour observe qu’elle a fixé à un seuil élevé la preuve requise pour démontrer qu’une
frontière maritime a été établie par acquiescement ou accord tacite. Elle a ainsi souligné que, étant
donné que l’établissement d’une frontière maritime permanente était une question de grande
importance, les éléments de preuve attestant l’existence d’un accord tacite devaient être
convaincants. L’acquiescement suppose une acceptation claire et constante de la position d’un autre
Etat. A ce jour, la Cour n’a constaté l’existence d’un accord tacite délimitant une frontière maritime
que dans une seule affaire, dans laquelle les parties avaient reconnu, dans le cadre d’un accord
international contraignant, qu’une frontière maritime existait déjà. En la présente espèce, elle utilise
les critères qu’elle a définis dans de précédentes affaires et examine s’il existe des éléments de preuve
convaincants montrant que la revendication par le Kenya d’une frontière maritime longeant le
parallèle a été maintenue de manière constante et appelait par conséquent une réponse de la Somalie.
Elle recherche ensuite s’il existe des éléments de preuve convaincants montrant que la Somalie a
accepté de manière claire et constante la frontière revendiquée par le Kenya.
A cet égard, la Cour note que les Parties présentent des arguments concernant les
proclamations du président de la République du Kenya datées des 28 février 1979 et 9 juin 2005
(ci-après la «proclamation de 1979» et la «proclamation de 2005»), la demande soumise par le Kenya
à la Commission des limites en 2009, ainsi que leurs lois nationales respectives. Elles se réfèrent
aussi à d’autres comportements des Parties entre 1979 et 2014. La Cour examine ces arguments tour
à tour.
La Cour relève que la proclamation de 1979 et celle de 2005 revendiquent toutes deux une
frontière longeant le parallèle, mais que la législation kényane se réfère à une frontière suivant une
ligne médiane ou d’équidistance. En outre, dans des notes verbales des 26 septembre 2007 et 4 juillet
2008, le Kenya demandait à la Somalie de confirmer son acceptation d’une frontière longeant le
parallèle, mais il n’a pas été démontré que la Somalie ait communiqué pareille confirmation. Par
ailleurs, la demande soumise par le Kenya à la Commission des limites en 2009 et un mémorandum
d’accord entre les deux Etats conclu la même année reconnaissent l’existence d’un différend portant
sur les frontières maritimes entre les Parties. Enfin, les négociations tenues entre les Parties en 2014
et des notes verbales du Kenya de 2014 et 2015 laissent aussi entendre l’absence d’accord entre les
Parties sur leurs frontières maritimes. A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que le Kenya
n’a pas maintenu de façon constante sa prétention selon laquelle le parallèle constitue la frontière
maritime unique avec la Somalie. Elle constate donc l’absence d’éléments de preuve convaincants
montrant que la revendication du Kenya et son comportement y afférent ont été maintenus de manière
constante et appelaient par conséquent une réaction de la part de la Somalie.
La Cour considère aussi que le comportement de la Somalie entre 1979 et 2014 concernant sa
frontière maritime avec le Kenya, notamment son absence alléguée de protestation contre la
prétention de celui-ci, n’établit pas qu’elle a accepté de manière claire et constante une frontière
maritime longeant le parallèle. A cet égard, elle estime que, contrairement à ce que prétend le Kenya,
on ne saurait déduire des positions exposées par les Parties au cours de la troisième conférence des
Nations Unies sur le droit de la mer que la Somalie a rejeté l’équidistance comme méthode possible
pour parvenir à une solution équitable. De plus, il n’y a aucune indication que la Somalie ait accepté
la frontière revendiquée par le Kenya lors des négociations bilatérales tenues en 1980 et 1981. En
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outre, bien que la loi maritime de 1988 de la Somalie se réfère à une frontière pour la mer territoriale
suivant «une ligne droite s’étendant vers le large, comme indiqué sur les croquis joints», ce membre
de phrase n’est pas clair et, en l’absence des croquis mentionnés, il est impossible d’en déterminer le
sens. La Cour note aussi que le mémorandum de 2009, les informations préliminaires soumises par
la Somalie à la Commission des limites en 2009, une lettre de la Somalie en date du 19 août 2009
adressée au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies et l’objection soulevée en 2014
par la Somalie à l’examen, par la Commission des limites, de la demande du Kenya mentionnent tous
l’existence d’un différend relatif aux frontières maritimes entre les Parties. Enfin, la Cour ajoute qu’il
y a lieu de tenir compte du contexte de la guerre civile qui a affligé la Somalie, la privant d’un
gouvernement et d’une administration pleinement opérationnels entre 1991 et 2005, pour apprécier
dans quelle mesure celle-ci pouvait réagir à la prétention kényane durant cette période.
La Cour examine aussi d’autres comportements adoptés par les Parties entre 1979 et 2014 en
ce qui concerne les patrouilles navales, la pêche, la recherche scientifique marine et les concessions
pétrolières, estimant que ceux-ci ne confirment pas que la Somalie a accepté, de manière claire et
constante, une frontière maritime longeant le parallèle.
En conclusion sur cette question, la Cour constate qu’il n’existe pas d’éléments de preuve
convaincants montrant que la Somalie a acquiescé à la frontière maritime revendiquée par le Kenya
et que, partant, il n’existe pas de frontière maritime convenue entre les Parties longeant le parallèle.
Elle rejette donc la prétention du Kenya à cet égard.
IV. DÉLIMITATION MARITIME (PAR. 90-197)
Compte tenu de cette conclusion, la Cour se penche sur la délimitation des espaces maritimes
relevant de la Somalie et du Kenya.
A. Droit applicable (par. 92)
La Cour rappelle d’abord que la Somalie et le Kenya sont tous deux parties à la CNUDM, et
qu’il y a donc lieu d’appliquer les dispositions de cet instrument pour déterminer le tracé de la
frontière maritime entre les deux Etats.
B. Point de départ de la frontière maritime (par. 93-98)
La Cour relève que, si les vues initialement présentées par les Parties divergeaient quant à la
méthode appropriée pour définir le point de départ de la frontière maritime, elles ont évolué en cours
d’instance et se rejoignent désormais dans une large mesure. Compte tenu des vues des Parties, la
Cour considère que le point de départ de la frontière maritime doit être déterminé en reliant la
dernière borne de la frontière terrestre, appelée «borne principale n° 29» ou «BP 29», à un point sur
la laisse de basse mer par une ligne droite orientée sud-est et perpendiculaire à «l’orientation générale
de la côte à Dar Es Salam», conformément à l’arrangement conventionnel de 1927/1933.
C. Délimitation de la mer territoriale (par. 99-118)
La Cour se penche ensuite sur la délimitation de la mer territoriale. Elle note que la Somalie
avance que celle-ci doit être effectuée conformément à l’article 15 de la CNUDM, alors que le Kenya
soutient que la frontière maritime, dans la mer territoriale, existe déjà et longe le parallèle. La Cour
rappelle avoir déjà conclu que les Parties n’étaient pas convenues d’une telle frontière. La Cour relève
aussi que le Kenya, dans son contre-mémoire, s’est référé à l’arrangement conventionnel de
1927/1933, affirmant que celui-ci «établissait … la frontière de la mer territoriale». La Cour note
cependant qu’aucune des Parties ne lui demande de confirmer l’existence de quelque segment d’une
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frontière maritime ou de délimiter la frontière dans la mer territoriale sur la base de l’arrangement
conventionnel de 1927/1933. Elle rappelle qu’aucune d’elles, dans sa législation relative à la mer
territoriale, ne s’est référée aux termes de cet arrangement pour indiquer l’étendue de sa mer
territoriale par rapport à l’Etat voisin dont les côtes sont adjacentes. La Cour relève en outre que
l’ordre du jour de la réunion que la Somalie et le Kenya ont tenue les 26 et 27 mars 2014 pour discuter
de la frontière maritime entre les deux pays couvrait toutes les zones maritimes, y compris la mer
territoriale, et que, dans un exposé joint au compte rendu de ladite réunion, le Kenya mentionnait les
articles 15, 74 et 83 de la convention comme étant pertinents aux fins de la délimitation maritime, en
soulignant que l’article 15 prévoyait le recours à une «ligne médiane pour la mer territoriale, sauf
accord contraire fondé sur une prétention à un titre historique ou des circonstances spéciales». Au vu
de ce qui précède, la Cour considère donc qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question
de savoir si l’arrangement conventionnel de 1927/1933 avait pour objet de délimiter la frontière dans
la mer territoriale.
La Cour rappelle que la méthode de délimitation est fondée sur la géographie du littoral des
deux Etats concernés et qu’une ligne médiane ou d’équidistance est construite à l’aide de points de
base appropriés à cette géographie. Elle explique que, bien qu’elle prenne en considération les
propositions des parties dans la détermination des points de base, elle n’est pas tenue de retenir un
point de base particulier, même lorsqu’il y a accord entre les parties à cet égard, si elle ne le considère
pas comme étant approprié. Elle peut choisir un point de base qu’aucune des parties n’a proposé.
Elle rappelle en outre qu’elle a parfois été amenée à éliminer l’effet exagéré de petites îles en ne
retenant pas un point de base situé sur une telle formation. Ainsi que la Cour l’a précisé par le passé,
il peut y avoir des cas dans lesquels l’effet équitable d’une ligne d’équidistance dépend de la
précaution que l’on aura prise d’éliminer l’effet exagéré de certains îlots, rochers ou légers saillants
des côtes.
Dans les circonstances de la présente espèce, la Cour estime qu’il convient, aux fins de la
construction de la ligne médiane, de ne retenir que des points de base situés sur la terre ferme des
côtes continentales des Parties. Elle ne considère pas qu’il soit approprié de retenir des points de base
situés sur les minuscules îlots arides de Diua Damasciaca, car cela aurait, au regard de la taille de ces
formations, un effet disproportionné sur le tracé de la ligne médiane. Pour des raisons analogues, la
Cour ne considère pas approprié de choisir un point de base sur un haut-fond découvrant situé au
large de l’extrémité méridionale de Ras Kaambooni, protubérance mineure sur le littoral relativement
droit de la Somalie dans les environs du point terminal de la frontière terrestre, lequel constitue le
point de départ de la délimitation maritime.
La Cour donne ensuite les coordonnées géographiques des points de base qu’elle retient sur
les côtes des Parties aux fins de la construction de la ligne médiane. La ligne qui en résulte part du
point terminal de la frontière terrestre et se poursuit jusqu’au point (point A) situé à 12 milles marins
de la côte. Cette ligne médiane est représentée sur le croquis no 5 (reproduit en annexe 2 du présent
résumé).
La Cour note que la ligne médiane tracée ainsi correspond de très près à une ligne
«perpendiculaire à l’orientation générale de la côte», à supposer que l’arrangement conventionnel de
1927/1933 ait eu pour objet, par l’emploi de cette formule, de tracer une ligne se prolongeant dans
la mer territoriale, question que la Cour n’a pas à trancher.
D. Délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental
en deçà de 200 milles marins (par. 119-177)
1. Méthode de délimitation (par. 119-131)
La Cour procède ensuite à la délimitation de la zone économique exclusive et du plateau
continental en deçà de 200 milles marins des côtes des Parties, notant que les dispositions de la
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convention applicables à cet exercice sont énoncées à l’article 74 de la CNUDM, pour ce qui est de
la délimitation de la zone économique exclusive, et à l’article 83, pour celle du plateau continental.
Elle observe que, de par leur caractère très général, ces dispositions ne donnent guère d’indications
pour se livrer à cet exercice de délimitation maritime. Celui-ci vise avant tout à aboutir à une solution
équitable. Lorsque deux Etats sont librement convenus d’une frontière maritime, ils sont réputés être
parvenus à une telle solution. Toutefois, s’ils ne parviennent pas à s’entendre sur leur frontière
maritime et que la question est soumise à la Cour, c’est à cette dernière qu’il incombe de trouver une
solution équitable s’agissant de la délimitation maritime qu’il lui a été demandé d’effectuer.
La Cour rappelle que, depuis l’adoption de la convention, elle a progressivement mis au point
une méthode de délimitation maritime pour l’aider à mener à bien sa tâche. Afin de déterminer la
ligne de délimitation, elle procède en trois étapes, qui ont été décrites dans l’affaire relative à la
Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine). Dans le cadre de la première étape, la
Cour établira la ligne d’équidistance provisoire à partir des points de base les plus appropriés sur le
littoral des parties. Lors de la deuxième étape, la Cour examinera s’il existe des facteurs appelant un
ajustement ou un déplacement de la ligne d’équidistance provisoire afin de parvenir à un résultat
équitable. Dans le cadre de la troisième et dernière étape, la Cour examinera la ligne de délimitation
envisagée, qu’il s’agisse de la ligne d’équidistance ou de la ligne ajustée, à l’aune du critère de
proportionnalité. Celui-ci vise à s’assurer qu’il n’y a pas de disproportion marquée entre le rapport
des longueurs des côtes pertinentes respectives des parties et le rapport des espaces attribués à elles
dans la zone pertinente que doit délimiter la ligne envisagée ; il s’agit donc de confirmer que la
délimitation aboutit à une solution équitable, ainsi que l’exige la convention.
La Cour observe que la méthode en trois étapes n’est pas prescrite par la CNUDM et qu’elle
n’est donc pas obligatoire. C’est elle qui l’a élaborée dans sa jurisprudence en matière de délimitation
maritime en vue de parvenir à une solution équitable, ainsi que l’exigent les articles 74 et 83 de la
convention. Cette méthode repose sur des critères géographiques objectifs, tout en tenant compte de
l’ensemble des circonstances pertinentes ayant une incidence sur le caractère équitable de la frontière
maritime. Elle a permis d’apporter de la prévisibilité au processus de délimitation maritime et a été
utilisée dans le passé par la Cour dans un certain nombre d’affaires. La méthode de délimitation
maritime en trois étapes a également été utilisée par des tribunaux internationaux. La Cour
s’abstiendra toutefois d’utiliser la méthode en trois étapes si des facteurs peuvent rendre son
application inappropriée, par exemple s’il est impossible de construire une ligne d’équidistance à
partir du littoral. Or, tel n’est pas le cas dans les circonstances de l’espèce, pareille ligne pouvant
bien être tracée.
Par ailleurs, la Cour ne considère pas que l’utilisation du parallèle, comme le propose le Kenya,
soit la méthode appropriée pour aboutir à une solution équitable. Une frontière longeant le parallèle
produirait un effet d’amputation important sur les projections maritimes de la côte somalienne la plus
méridionale.
La Cour ne voit donc aucune raison, en la présente affaire, de s’écarter de sa pratique habituelle
consistant à utiliser la méthode en trois étapes pour déterminer la frontière maritime entre la Somalie
et le Kenya dans la zone économique exclusive et sur le plateau continental.
2. Côtes pertinentes et zone pertinente (par. 132-141)
a) Côtes pertinentes (par. 132-137)
La Cour commence par déterminer les côtes pertinentes des Parties, c’est-à-dire les côtes dont
les projections se chevauchent. Elle indique qu’elle a, en utilisant des projections radiales qui se
chevauchent en deçà de 200 milles marins, déterminé que la côte pertinente de la Somalie mesurait
environ 733 kilomètres, et celle du Kenya, environ 511 kilomètres.
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b) Zone pertinente (par. 138-141)
La Cour note que les Parties sont en désaccord quant à la détermination de la zone pertinente.
Elle rappelle qu’elle a précisé à diverses occasions que la zone pertinente correspondait à la partie
de l’espace maritime dans laquelle les droits potentiels des parties se chevauchent. La Cour rappelle
en outre qu’elle a fait observer que la zone pertinente ne pouvait pas s’étendre au-delà de celle dans
laquelle les droits des parties se chevauchent. En l’espèce, la Cour est d’avis que la zone pertinente
s’étend au nord aussi loin que se chevauchent les projections maritimes de la côte du Kenya et de la
côte de la Somalie. Elle estime qu’il convient d’utiliser le chevauchement des projections radiales de
200 milles marins à partir du point terminal de la frontière terrestre. En ce qui concerne la limite
méridionale de la zone pertinente, elle relève que les Parties conviennent que les espaces maritimes
situés au sud de la frontière entre le Kenya et la Tanzanie ne font pas partie de la zone pertinente. La
zone pertinente, telle que définie par la Cour aux fins de la délimitation de la zone économique
exclusive et du plateau continental jusqu’à 200 milles marins des côtes, mesure environ
212 844 kilomètres carrés.
3. Ligne d’équidistance provisoire (par. 142-146)
La Cour procède ensuite à la construction de la ligne d’équidistance provisoire. Elle définit les
points de base appropriés aux fins de la construction de la ligne d’équidistance provisoire en deçà de
200 milles marins des côtes. La ligne d’équidistance provisoire tracée suivant ces points de base part
de l’extrémité de la frontière maritime dans la mer territoriale (point A) et se poursuit jusqu’à
atteindre 200 milles marins du point de départ de la frontière maritime, en un point (point 10') dont
les coordonnées sont indiquées dans l’arrêt. La ligne ainsi obtenue est représentée sur le croquis no 9
(reproduit en annexe 2 du présent résumé).
4. Question de savoir s’il convient d’ajuster la ligne d’équidistance provisoire (par. 147-174)
La Cour recherche s’il existe des facteurs exigeant un ajustement ou un déplacement de la
ligne d’équidistance provisoire afin d’aboutir à une solution équitable. Elle rappelle que le Kenya
perçoit la ligne d’équidistance provisoire comme étant inéquitable, tandis que la Somalie ne voit
aucune raison plausible justifiant de l’ajuster et considère qu’elle constituerait une frontière
équitable.
La Cour observe que le Kenya, en invoquant divers facteurs qu’il estime être des circonstances
pertinentes dans le contexte de la présente espèce, a invariablement cherché à obtenir une frontière
maritime dont le tracé suivrait le parallèle. Elle a déjà conclu qu’aucune frontière maritime longeant
le parallèle n’avait été établie par le passé entre la Somalie et le Kenya. Elle n’a pas non plus retenu
la méthode fondée sur le parallèle préconisée par le Kenya pour fixer la frontière maritime entre les
Parties. Or, le Kenya souhaiterait à présent obtenir le même résultat en opérant un net déplacement
de la ligne d’équidistance provisoire, qui ne serait plus orientée sud-est mais plein est. La Cour
considère que pareil déplacement de la ligne d’équidistance provisoire, tel que préconisé par le
Kenya, constituerait un ajustement radical et n’aboutirait manifestement pas à une solution équitable.
Les droits de la Somalie à un plateau continental et à une zone économique exclusive générés par sa
côte adjacente à celle du Kenya s’en trouveraient fortement réduits. Une ligne ainsi ajustée
empêcherait les côtes des Parties de produire leurs effets en matière de droits maritimes d’une
manière raisonnable et équilibrée pour chacune d’entre elles.
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La Cour commence par examiner les facteurs invoqués par le Kenya qui ne sont pas de nature
géographique. S’agissant d’abord des intérêts du Kenya en matière de sécurité, elle observe que les
frontières entre Etats, y compris les frontières maritimes, visent à apporter pérennité et stabilité. Cela
étant, la Cour est d’avis que la situation actuelle en matière de sécurité en Somalie et dans les espaces
maritimes adjacents à sa côte n’a rien de permanent et n’impose donc pas d’ajuster la ligne
d’équidistance provisoire. En outre, elle rappelle avoir précisé dans une affaire antérieure que des
considérations de sécurité légitimes pouvaient constituer des circonstances pertinentes dans le cas
d’une délimitation maritime opérée particulièrement près du littoral d’un Etat. Or, tel n’est pas le cas
ici, puisque la ligne d’équidistance provisoire ne passe pas à proximité de la côte du Kenya. La Cour
rappelle également que l’autorité qu’exerce un Etat sur la zone économique exclusive et le plateau
continental n’est généralement pas associée à des considérations de sécurité ni n’a d’incidence sur
les droits de navigation.
Le Kenya a également appelé l’attention de la Cour, à l’appui de l’ajustement de la ligne, sur
la question de l’accès des pêcheurs kényans aux ressources naturelles. La Cour explique qu’un tel
facteur peut être considéré comme une circonstance pertinente dans des cas exceptionnels, en
particulier lorsque la ligne est susceptible d’entraîner des répercussions catastrophiques pour la
subsistance et le développement économique des populations des pays intéressés. En la présente
espèce, la Cour n’est pas convaincue, sur la base des éléments de preuve dont elle dispose, que la
ligne d’équidistance provisoire aurait des répercussions aussi néfastes pour la population kényane.
Qui plus est, la Cour doit en l’espèce prendre en considération le bien-être des populations de part et
d’autre de la ligne de délimitation. Compte tenu de ce qui précède, la Cour ne saurait donc accepter
l’argument du Kenya selon lequel la ligne d’équidistance provisoire le priverait d’un accès équitable
aux ressources halieutiques essentielles à sa population.
La Cour examine un autre argument avancé par le Kenya selon lequel le comportement
constant et de longue date des Parties en matière de concessions pétrolières, de patrouilles navales,
de pêche et d’autres activités démontre l’existence d’une «frontière maritime de facto» longeant le
parallèle, ce qui imposerait d’ajuster la ligne d’équidistance provisoire. Cependant, la Cour rappelle
avoir déjà conclu qu’aucune frontière maritime longeant le parallèle n’avait été convenue entre les
Parties. Etant donné qu’il n’existe pas de frontière maritime de facto entre la Somalie et le Kenya,
elle ne saurait donc retenir l’argument de ce dernier selon lequel, sur la base du comportement des
Parties, la ligne d’équidistance provisoire doit être ajustée de manière à la faire coïncider avec la
supposée frontière maritime de facto.
La Cour examine enfin les deux derniers arguments qui, selon le Kenya, justifient l’ajustement
de la ligne d’équidistance provisoire. Celui-ci fait valoir que l’application d’une ligne d’équidistance
produirait un effet d’amputation important sur ses espaces maritimes et que le contexte et la pratique
régionaux exigent l’ajustement de la ligne d’équidistance provisoire.
La Cour note qu’elle-même ainsi que certains tribunaux internationaux ont reconnu que
l’utilisation d’une ligne d’équidistance pouvait produire un effet d’amputation, en particulier lorsque
le littoral est concave, et qu’un ajustement de cette ligne pouvait être nécessaire pour aboutir à une
solution équitable. Elle considère cependant que tout effet d’amputation résultant de la frontière
maritime entre le Kenya et la Tanzanie ne constitue pas une circonstance pertinente. Les accords
conclus entre ces deux pays sont res inter alios acta et n’ont en eux-mêmes pas d’incidence sur la
frontière maritime entre le Kenya et la Somalie. La question qu’il convient d’examiner en la présente
espèce est toutefois de savoir si l’utilisation d’une ligne d’équidistance produit un effet d’amputation
au détriment du Kenya, non pas du fait de la frontière convenue entre ce dernier et la Tanzanie, mais
en raison de la configuration du littoral.
- 9 -
La Cour observe que, si l’examen du littoral est limité aux seules côtes du Kenya et de la
Somalie, aucune concavité n’apparaît. Toutefois, l’approche consistant à n’examiner que les côtes
des deux Etats intéressés pour évaluer l’ampleur d’un éventuel effet d’amputation résultant de la
configuration géographique du littoral peut se révéler trop restrictive. L’examen de la concavité du
littoral dans un contexte géographique plus large est conforme à l’approche adoptée par la Cour et
des tribunaux internationaux. A cet égard, la Cour fait référence en particulier aux deux affaires du
Plateau continental de la mer du Nord et aux affaires Bangladesh/Myanmar et Bangladesh c. Inde,
avant d’indiquer que, en la présente espèce, l’amputation potentielle des droits maritimes du Kenya
doit être appréciée dans le cadre d’un contexte géographique plus large. Pour la Cour, l’amputation
potentielle des droits maritimes du Kenya ne saurait être dûment observée en examinant les côtes du
Kenya et de la Somalie de manière isolée. Si les côtes continentales de la Somalie, du Kenya et de la
Tanzanie sont considérées ensemble, comme un tout, le littoral ainsi formé apparaît
incontestablement concave. Situé au milieu, entre la Somalie et la Tanzanie, le Kenya subit une
amputation de ses droits maritimes. La présence de Pemba, grande île peuplée appartenant à la
Tanzanie, accentue cet effet d’amputation en raison de son incidence sur le tracé d’une ligne
d’équidistance hypothétique entre la Tanzanie et le Kenya. La ligne d’équidistance provisoire tracée
entre la Somalie et le Kenya rétrécit progressivement la projection côtière de ce dernier, réduisant
ainsi grandement ses droits maritimes en deçà de 200 milles marins. Cet effet d’amputation est le
résultat de la configuration du littoral qui s’étend de la Somalie à la Tanzanie, et ce, indépendamment
de la ligne frontière convenue entre cette dernière et le Kenya qui, de fait, atténue ledit effet au sud,
dans la zone économique exclusive et sur le plateau continental jusqu’à 200 milles marins.
La Cour rappelle sa jurisprudence et celle des tribunaux internationaux, selon laquelle
l’ajustement de la ligne d’équidistance provisoire est justifié si l’effet d’amputation est «grave» ou
«important». La Cour est d’avis que, bien que l’effet d’amputation soit moins prononcé en la présente
espèce que dans d’autres affaires, il demeure suffisamment grave pour justifier un certain ajustement
afin de remédier à l’importante réduction des droits potentiels du Kenya. Pour atténuer cet effet
d’amputation, la Cour considère qu’il est raisonnable d’ajuster la ligne d’équidistance provisoire. Au
vu de ces considérations, la Cour estime qu’il est nécessaire de déplacer la ligne vers le nord de sorte
que, à partir du point A, elle suive une ligne géodésique ayant un azimut initial de 114°. Cette ligne
atténuerait, d’une manière raisonnable et équilibrée pour chacune des Parties, l’effet d’amputation
que produit la ligne d’équidistance non ajustée en raison de la configuration géographique des côtes
de la Somalie, du Kenya et de la Tanzanie. La ligne qui en résulte se terminerait à son intersection
avec la limite des 200 milles marins de la côte du Kenya, en un point (point B) dont les coordonnées
sont indiquées dans l’arrêt. La ligne ainsi ajustée est représentée sur le croquis no 11 (reproduit en
annexe 2 du présent résumé).
5. Vérification de l’absence de disproportion (par. 175-177)
A la dernière étape du processus, la Cour examine si la ligne de délimitation envisagée aboutit
à une disproportion marquée entre le rapport de la longueur des côtes pertinentes respectives des
Parties et le rapport de la superficie des espaces attribués dans la zone pertinente par ladite ligne. La
Cour rappelle que la côte pertinente de la Somalie mesure 733 kilomètres, et celle du Kenya,
511 kilomètres. Le rapport entre les côtes pertinentes est de 1 pour 1,43 en faveur de la Somalie. La
frontière maritime déterminée par la Cour divise la zone pertinente en deçà de 200 milles marins du
littoral de sorte qu’environ 120 455 kilomètres carrés reviendraient au Kenya, tandis que la partie
restante, d’environ 92 389 kilomètres carrés, reviendrait à la Somalie. Le rapport entre les zones
maritimes attribuées à chacun des deux Etats s’établit donc à 1 pour 1,30 en faveur du Kenya. La
comparaison entre ces deux rapports ne révèle aucune disproportion significative ou marquée. La
Cour considère donc que la ligne ajustée qu’elle a établie en tant que frontière maritime pour les
zones économiques exclusives et les plateaux continentaux de la Somalie et du Kenya en deçà de
200 milles marins dans l’océan Indien aboutit à une solution équitable, comme le prescrivent les
paragraphes 1 des articles 74 et 83 de la convention.
- 10 -
E. Question de la délimitation du plateau continental
au-delà de 200 milles marins (par. 178-197)
La Cour en vient enfin à la question de la délimitation du plateau continental au-delà de
200 milles marins. Elle rappelle d’abord que les deux Parties lui ont demandé de déterminer
l’intégralité du tracé de la frontière maritime entre elles, y compris dans la partie du plateau
continental qui s’étend au-delà de cette distance. La Cour rappelle aussi que toute prétention d’un
Etat partie à la CNUDM relative à des droits sur le plateau continental au-delà de 200 milles doit être
conforme à l’article 76 de la CNUDM et examinée par la Commission des limites du plateau
continental constituée en vertu de la convention.
La Cour observe que la Somalie et le Kenya ont tous deux, conformément au paragraphe 8 de
l’article 76 de la convention, présenté à la Commission une demande concernant les limites du
plateau continental au-delà de 200 milles marins. La Cour note que les Parties ont l’une et l’autre
satisfait aux obligations que leur impose l’article 76 de la CNUDM. La Commission doit cependant
encore examiner ces demandes et adresser aux deux Etats des recommandations sur les questions
concernant la fixation des limites extérieures de leurs plateaux continentaux. Ce n’est que lorsqu’elle
aura formulé ces recommandations que la Somalie et le Kenya pourront établir les limites extérieures
définitives et de caractère obligatoire de leurs plateaux continentaux, conformément au paragraphe 8
de l’article 76 de la convention.
La Cour souligne que l’absence de délinéation de la limite extérieure du plateau continental
ne fait pas, en soi, obstacle à la délimitation de celui-ci entre deux Etats ayant des côtes adjacentes,
comme c’est le cas en la présente espèce. L’exercice par les cours et tribunaux internationaux de leur
compétence en matière de délimitation de frontières maritimes, y compris sur le plateau continental,
ne préjuge pas de l’exercice par la Commission de ses fonctions relatives au tracé de la limite
extérieure du plateau continental.
La Cour observe que les droits des Parties sur le plateau continental au-delà de 200 milles
marins doivent être déterminés par référence au rebord externe de la marge continentale, laquelle
doit être établie conformément aux paragraphes 4 et 5 de l’article 76 de la CNUDM. Le droit d’un
Etat à un plateau continental au-delà de 200 milles marins dépend donc de critères géologiques et
géomorphologiques, sous réserve des contraintes énoncées au paragraphe 5 de l’article 76. L’une des
étapes essentielles dans tout processus de délimitation consiste à déterminer s’il existe des droits, et
si ceux-ci se chevauchent. Les circonstances de la présente espèce ne sont pas les mêmes que celles
dont le Tribunal international du droit de la mer a eu à connaître dans l’affaire Bangladesh/Myanmar.
Dans cette affaire, la situation unique du golfe du Bengale et l’historique des négociations tenues lors
de la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, qui donnaient un éclairage
particulier aux prétentions formulées à ce sujet par les parties, se sont révélés suffisants pour
permettre au Tribunal de procéder à la délimitation de la zone située au-delà de 200 milles marins.
La Cour relève que, dans les demandes qu’ils ont adressées à la Commission, la Somalie et le
Kenya revendiquent tous deux, sur la base d’éléments de preuve scientifiques, un plateau continental
s’étendant au-delà de 200 milles marins, et que leurs revendications se chevauchent. Dans la plus
grande partie de la zone de chevauchement des revendications au-delà de 200 milles marins, les deux
Etats affirment que leur plateau continental s’étend jusqu’à une distance maximale de 350 milles
marins. La Cour observe en outre qu’aucune des Parties ne conteste l’existence des droits de l’autre
à un plateau continental au-delà de 200 milles marins ni l’étendue de cette revendication ; leur
différend porte sur la frontière qui délimite ledit plateau entre elles. Les deux Parties l’ont priée, dans
leurs conclusions  la Somalie, à l’issue des audiences, et le Kenya, dans sa duplique , de
délimiter leur frontière maritime dans l’océan Indien jusqu’à la limite extérieure du plateau
continental. Pour les raisons exposées ci-dessus, la Cour décide de se livrer à cette tâche.
- 11 -
En ce qui concerne les circonstances pertinentes invoquées par le Kenya pour ajuster la ligne
d’équidistance provisoire, la Cour relève qu’elle les a déjà examinées auparavant et a ajusté ladite
ligne en conséquence dans la zone économique exclusive et sur le plateau continental jusqu’à
200 milles marins. Elle rappelle que les deux Etats revendiquent un plateau continental s’étendant
jusqu’à 350 milles marins dans la plus grande partie de la zone de chevauchement des revendications.
Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime approprié de prolonger la ligne géodésique utilisée
pour la délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental en deçà de 200 milles
marins afin de délimiter ce dernier au-delà de cette distance.
La Cour conclut par conséquent que la frontière maritime au-delà de 200 milles marins se
prolonge le long de la même ligne géodésique que la ligne ajustée en deçà de 200 milles marins,
jusqu’à ce qu’elle atteigne les limites extérieures des plateaux continentaux des Parties, qui devront
être tracées par la Somalie et le Kenya sur la base des recommandations formulées par la
Commission, ou jusqu’à ce qu’elle atteigne la zone où les droits d’Etats tiers sont susceptibles d’être
affectés. L’orientation de cette ligne est représentée sur le croquis no 12 (reproduit à l’annexe 2 du
présent résumé).
La Cour ajoute que, en fonction de l’étendue des droits du Kenya à un plateau continental audelà
de 200 milles marins, selon ce qui pourra être déterminé à l’avenir sur la base de la
recommandation de la Commission des limites, la ligne de délimitation pourrait engendrer une zone
de taille limitée située au-delà de 200 milles marins des côtes du Kenya et en deçà de 200 milles
marins de celles de la Somalie, mais du côté kényan de ladite ligne («zone grise»). Cette éventuelle
zone grise est représentée sur le croquis no 12. Etant donné que l’existence de cette «zone grise» n’est
qu’une éventualité, la Cour n’estime pas nécessaire, dans les circonstances de la présente espèce, de
se prononcer sur le régime juridique qui y serait applicable.
Le tracé complet de la frontière maritime est représenté sur le croquis no 13 (reproduit à
l’annexe 2 du présent résumé).
V. ALLÉGATIONS DE VIOLATIONS PAR LE KENYA DE SES OBLIGATIONS
INTERNATIONALES (PAR. 198-213)
La Cour examine tout d’abord l’argument du demandeur selon lequel, par ses actions
unilatérales dans la zone litigieuse, le Kenya a violé la souveraineté de la Somalie sur la mer
territoriale ainsi que ses droits souverains et sa juridiction dans la zone économique exclusive et sur
le plateau continental. Elle rappelle que la demande de la Somalie est présentée dans le cadre d’une
instance concernant une frontière maritime qui n’a jamais été tracée auparavant et que le présent arrêt
a pour effet de fixer la frontière maritime entre les deux Parties. La Cour estime que, lorsque les
revendications maritimes de deux Etats se chevauchent, les activités menées par l’un dans une zone
qu’un arrêt attribue par la suite à l’autre ne peuvent être considérées comme contrevenant aux droits
souverains de ce dernier si elles ont été menées avant que l’arrêt ait été rendu et alors que la zone
concernée faisait l’objet de revendications de bonne foi par les deux Etats. La Somalie tire grief de
levés et d’activités de forage menés ou autorisés par le Kenya dans des espaces situés entièrement ou
partiellement au nord de la ligne d’équidistance revendiquée par la Somalie en tant que frontière
maritime. Rien n’indique que les revendications du Kenya sur la zone en question n’aient pas été
formulées de bonne foi. Dans ces conditions, la Cour conclut qu’il n’a pas été établi que les activités
maritimes du défendeur, y compris celles qui ont pu être menées dans certaines parties de la zone
litigieuse à présent attribuées à la Somalie, l’aient été en violation de la souveraineté de cette dernière
ou de ses droits souverains et de sa juridiction.
La Cour en vient à l’argument du demandeur selon lequel les activités du Kenya auraient été
menées en violation des paragraphes 3 des articles 74 et 83 de la CNUDM. En application de ces
dispositions, des Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face et qui ne sont pas parvenus à un
accord sur la délimitation de la zone économique exclusive ou du plateau continental sont tenus de
- 12 -
faire «tout leur possible … pour ne pas compromettre ou entraver pendant cette période de transition
la conclusion de l’accord définitif». La Cour considère que la «période de transition» mentionnée
dans ces dispositions correspond à la période allant du moment où le différend relatif à la délimitation
maritime a été établi à la délimitation finale par voie d’accord ou de règlement judiciaire ou arbitral.
La Cour rappelle qu’elle est d’avis qu’un différend en matière de délimitation maritime oppose les
Parties depuis 2009. En conséquence, elle se contente de rechercher si les activités que le Kenya a
menées après cette date ont compromis ou entravé la conclusion d’un accord définitif sur la
délimitation de la frontière maritime.
La Cour observe que la Somalie tire grief de certaines activités, dont l’octroi de blocs de
concession pétrolière à des opérateurs privés et la réalisation de levés sismiques et autres dans ces
blocs, qui revêtent un caractère temporaire. Pour la Cour, il ne s’agit pas là d’activités pouvant
entraîner un changement physique permanent du milieu marin, et il n’a pas été établi qu’elles ont eu
pour effet de compromettre ou d’entraver la conclusion d’un accord définitif sur la délimitation de
la frontière maritime. La Somalie tire également grief de certaines activités de forage qui, quant à
elles, sont de nature à pouvoir entraîner un changement physique permanent du milieu marin. De
telles activités sont susceptibles de modifier le statu quo entre les parties à un différend maritime et
risqueraient de compromettre ou d’entraver la conclusion d’un accord définitif. Cependant, la Cour
est d’avis que, au vu des éléments dont elle dispose, elle n’est pas en mesure de déterminer de manière
suffisamment certaine que des opérations de forage ayant pu entraîner un changement physique
permanent dans la zone litigieuse se sont déroulées après 2009. La Cour observe en outre que, en
2014, les Parties ont entamé des négociations sur la délimitation maritime et que, en 2016, le Kenya
a suspendu ses activités dans la zone litigieuse et proposé à la Somalie de conclure des arrangements
provisoires. Compte tenu de ces circonstances, la Cour ne peut conclure que les activités menées par
le Kenya dans la zone litigieuse ont compromis ou entravé la conclusion d’un accord définitif sur la
délimitation de la frontière maritime, en violation du paragraphe 3 de l’article 74 ou du paragraphe 3
de l’article 83 de la CNUDM.
Pour ces raisons, la Cour conclut que le Kenya n’a pas manqué à ses obligations internationales
en raison des activités maritimes auxquelles il s’est livré dans la zone litigieuse. La responsabilité
internationale du défendeur n’étant pas engagée, point n’est besoin qu’elle examine la demande de
réparation formulée par la Somalie. La conclusion du demandeur doit donc être rejetée.
DISPOSITIF (PAR. 214)
Par ces motifs,
LA COUR,
1) A l’unanimité,
Dit qu’il n’existe pas de frontière maritime convenue entre la République fédérale de Somalie
et la République du Kenya longeant le parallèle décrit au paragraphe 35 [de l’arrêt] ;
2) A l’unanimité,
Décide que le point de départ de la frontière maritime unique délimitant les espaces maritimes
respectifs de la République fédérale de Somalie et de la République du Kenya est situé à l’intersection
de la ligne droite partant de la dernière borne frontière permanente (BP 29) à angle droit de la
direction générale de la côte avec la laisse de basse mer, au point de coordonnées 1° 39' 44,0" de
latitude sud et 41° 33' 34,4" de longitude est (WGS 84) ;
- 13 -
3) A l’unanimité,
Décide que, à partir du point de départ, la frontière maritime dans la mer territoriale suit la
ligne médiane décrite au paragraphe 117 [de l’arrêt], jusqu’à ce qu’elle atteigne la limite des
12 milles marins au point situé par 1° 47' 39,1" de latitude sud et 41° 43' 46,8" de longitude est
(WGS 84) (point A) ;
4) Par dix voix contre quatre,
Décide que, à partir du point où prend fin la frontière dans la mer territoriale (point A), la
frontière maritime unique délimitant la zone économique exclusive et le plateau continental en deçà
de 200 milles marins entre la République fédérale de Somalie et la République du Kenya suit la ligne
géodésique ayant pour azimut initial 114°, jusqu’à ce qu’elle atteigne la limite des 200 milles marins
mesurée à partir des lignes de base servant à mesurer la largeur de la mer territoriale de la République
du Kenya, au point situé par 3° 4' 21,3" de latitude sud et 44° 35' 30,7" de longitude est (WGS 84)
(point B) ;
POUR : Mme Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ; MM. Tomka, Bennouna,
Mmes Xue, Sebutinde, MM. Robinson, Iwasawa, Nolte, juges ; M. Guillaume,
juge ad hoc ;
CONTRE : MM. Abraham, Yusuf, Bhandari, Salam, juges ;
5) Par neuf voix contre cinq,
Décide que, à partir du point B, la frontière maritime délimitant le plateau continental se
poursuit le long de la même ligne géodésique jusqu’à ce qu’elle atteigne la limite extérieure du
plateau continental ou la zone où les droits d’Etats tiers sont susceptibles d’être affectés ;
POUR : Mme Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ; MM. Tomka, Bennouna,
Mmes Xue, Sebutinde, MM. Iwasawa, Nolte, juges ; M. Guillaume, juge ad hoc ;
CONTRE : MM. Abraham, Yusuf, Bhandari, Robinson, Salam, juges ;
6) A l’unanimité,
Rejette la demande formulée par la République fédérale de Somalie dans sa conclusion finale
numéro 4 [selon laquelle la République du Kenya aurait, par son comportement dans la zone
litigieuse, violé ses obligations internationales].
Mme la présidente DONOGHUE joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ;
MM. les juges ABRAHAM et YUSUF joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion individuelle ;
Mme la juge XUE joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge ROBINSON joint à l’arrêt l’exposé de son
opinion individuelle en partie concordante et en partie dissidente ; M. le juge ad hoc GUILLAUME
joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle.
___________
Annexe 1 au résumé 2021/3
Opinion individuelle de Mme la juge Donoghue, présidente
Dans l’exposé de son opinion individuelle, la présidente explique pourquoi elle a voté en
faveur du point 5) du dispositif de l’arrêt, aux termes duquel la frontière maritime se poursuit au-delà
de 200 milles marins jusqu’à ce qu’elle atteigne la limite extérieure du plateau continental ou la zone
où les droits d’Etats tiers sont susceptibles d’être affectés. Elle rappelle que les deux Parties ont
demandé à la Cour de délimiter le plateau continental au-delà de 200 milles marins et qu’aucune
d’entre elles n’a contesté le droit de l’autre Partie à un plateau continental étendu ni l’affirmation de
celle-ci selon laquelle, dans certaines parties de la zone de chevauchement des revendications, ce
droit s’étendait jusqu’à 350 milles marins. La présidente indique également qu’elle a exprimé ce vote
avec réticence, non pas pour des raisons procédurales mais parce que la Cour disposait de fort peu
d’éléments concernant l’existence, la forme, l’étendue et la continuité de tout plateau continental
étendu susceptible de relever des Parties. Elle précise que la présente affaire est complètement
différente de celles dans lesquelles un tribunal a délimité le plateau continental étendu de deux Etats.
Elle précise également que ses doutes quant à la décision de la Cour de délimiter ce plateau ne
résultent pas du tracé particulier de la frontière que celle-ci a établie. Enfin, la présidente souligne
que l’on ne saurait présumer qu’une ligne permettant de parvenir à une délimitation équitable des
zones de 200 milles marins aboutira également à une délimitation équitable des zones de
chevauchement du plateau continental étendu de deux Etats puisque la base juridique du droit à un
tel plateau est totalement différente de celle des droits en deçà de 200 milles marins.
Opinion individuelle de M. le juge Abraham
Le juge Abraham adhère à la plupart des conclusions auxquelles est parvenue la Cour.
Le juge Abraham exprime cependant son désaccord quant au choix par la Cour du tracé de la
frontière maritime tant en deçà que, par voie de conséquence, au-delà de 200 milles marins. Le
désaccord du juge Abraham porte sur la manière dont la Cour met en oeuvre la deuxième étape du
processus dit «en trois étapes», relative à l’existence de circonstances pertinentes justifiant un
ajustement de la ligne d’équidistance provisoire. Le juge Abraham relève que la jurisprudence de la
Cour indique que pour qu’elle puisse justifier un ajustement, la concavité des côtes doit exister «dans
le secteur à délimiter». Or, selon lui, aucune concavité significative n’apparaît dans la configuration
des côtes somaliennes au nord du Kenya ni dans la manière dont les côtes somaliennes et kényanes
se prolongent dans une direction générale qui est à peu près la même. Bien qu’il admette qu’il puisse
être raisonnable, dans certains cas, de tenir compte non seulement de la configuration des côtes des
deux Etats Parties à l’instance, mais aussi de celle des côtes d’un Etat tiers, le juge Abraham
considère que l’effet d’amputation subi par le Kenya, qui résulte pour l’essentiel de la configuration
de ses côtes rapportées à celles de la Tanzanie au sud, n’est pas suffisamment «grave» ou «important»
pour donner lieu à un ajustement de la ligne d’équidistance, en tout cas de l’ampleur de celui opéré
par la Cour.
Opinion individuelle de M. le juge Yusuf
Dans son opinion individuelle, le juge Yusuf indique qu’il souscrit à la décision de la Cour de
rejeter l’affirmation du Kenya selon laquelle la Somalie a acquiescé à l’existence d’une frontière
maritime longeant le parallèle. Il estime également que la Cour a eu raison de ne pas accéder à la
demande du Kenya tendant à ce qu’elle dise et juge que la frontière maritime suit ce parallèle. Il
exprime son assentiment à l’application de la ligne médiane pour délimiter la frontière de la mer
territoriale, conformément à l’article 15 de la CNUDM. Il n’est toutefois pas d’accord avec certains
aspects de la mise en oeuvre de cette délimitation. Selon lui, la manière dont les points de base ont
été choisis pour tracer la ligne médiane n’est conforme ni aux dispositions de la CNUDM, ni à la
jurisprudence de la Cour. Les points ainsi retenus ont produit une ligne médiane artificielle, qui
semble avoir été construite pour ressembler autant que possible à une ligne bissectrice, alors même
- 2 -
que rien ne justifie le recours à une telle ligne pour la délimitation de la mer territoriale entre la
Somalie et le Kenya.
En ce qui concerne la délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental,
le juge Yusuf explique son principal point de désaccord avec la méthode adoptée à cet égard dans
l’arrêt. Il ne souscrit pas à la façon dont la méthode en trois étapes a été appliquée, en particulier
s’agissant de l’ajustement de la ligne d’équidistance provisoire par la recherche inédite d’une
concavité et d’un insaisissable effet d’amputation dans un supposé «contexte géographique plus
large». Il est d’avis que la prise en compte de circonstances n’ayant aucun rapport avec la géographie
et les côtes pertinentes des Parties ne peut être interprétée que comme un «remodelage judiciaire de
la géographie» qui ne respecte ni le principe fondamental selon lequel «la terre domine la mer», ni
la pratique de la Cour. En outre, il réfute ce qu’il estime être un emploi incorrect de la notion de
«grave effet d’amputation» dans l’arrêt, qui ne correspond ni au sens ordinaire du terme
«amputation», ni à la manière dont il est utilisé dans la jurisprudence internationale en matière de
délimitation maritime.
Le juge Yusuf considère de surcroît que l’utilisation d’une ligne géodésique fondée sur une
ligne d’équidistance ajustée de manière inappropriée revient à appliquer le même raisonnement
erroné à la délimitation de la zone au-delà de 200 milles marins qu’à celle de la zone en deçà de
200 milles marins. Ce raisonnement ne tient pas compte du fait que tout «effet d’amputation» de la
projection côtière du Kenya sur le plateau continental étendu ne pourrait découler que de son accord
avec la Tanzanie, qui ne devrait avoir aucun effet juridique sur la délimitation entre la Somalie et le
Kenya. En outre, l’ajustement inapproprié de la ligne d’équidistance crée ce que l’arrêt désigne
comme une «éventuelle zone grise», laquelle pourrait, à l’avenir, engendrer entre les Parties un
nouveau problème dont la Cour serait à l’origine.
Déclaration de Mme la juge Xue
1. Selon la juge Xue, la présente espèce démontre qu’il y a lieu de s’interroger sur le point de
savoir si la méthode en trois étapes est adaptée à tous les types d’affaires de délimitation maritime.
2. La juge Xue souligne que la CNUDM ne prévoit pas de méthode de délimitation
obligatoire ; la seule exigence est d’aboutir à une solution équitable, par voie de négociations ou de
règlement par une tierce partie. L’historique des principes relatifs à la délimitation du plateau
continental semble indiquer que la méthode de l’équidistance n’a jamais été reconnue en droit
international comme une règle s’appliquant aux délimitations maritimes. Ce sont les principes
équitables énoncés par la Cour dans l’arrêt qu’elle a rendu dans les affaires du Plateau continental
de la mer du Nord, lesquels ont trouvé leur traduction dans les articles 74 et 83 de la CNUDM, qui
sont devenus les principes directeurs en la matière. La juge Xue considère que, malgré sa fiabilité et
son objectivité, la méthode en trois étapes est fondée sur la pratique et qu’il convient de ne pas en
appliquer mécaniquement les critères et techniques.
3. En la présente espèce, la juge Xue relève que le littoral des Parties dans la zone en cause est
purement et simplement rectiligne, dénué de toute formation maritime ou indentation particulière.
Les côtes des Parties étant adjacentes, l’une et l’autre sont orientées vers le large et bordent les mêmes
espaces maritimes et le même plateau continental. Comme l’illustre le croquis no 8 de l’arrêt, une
partie substantielle de la côte pertinente de la Somalie telle que définie par la Cour ne génère aucun
droit chevauchant effectivement ceux générés par la côte kényane. La juge Xue fait observer que,
bien que la projection radiale soit en général utilisée pour définir les côtes pertinentes, il est
contestable d’y avoir recouru dans le cas présent. Ce type de projection tend en effet à allonger les
côtes pertinentes, et notamment, en l’occurrence, celle située du côté somalien. La juge Xue se réfère
à l’affaire Ghana/Côte d’Ivoire, qui offre de nombreuses similitudes avec la présente espèce. Selon
- 3 -
elle, la détermination des côtes pertinentes et de la zone pertinente par la Chambre du Tribunal
international du droit de la mer reflète bien le lien technique qui unit ces deux éléments aux fins de
la délimitation. La juge Xue souligne que c’est la réalité géographique et le véritable chevauchement
des droits qui devraient déterminer quelle partie d’une côte est pertinente.
4. La juge Xue est également d’avis que la zone pertinente telle que définie par la Cour en la
présente espèce n’englobe pas l’intégralité des espaces où se chevauchent potentiellement les droits
des Parties. Selon elle, dès lors que la Cour décide de procéder, même prudemment, à la délimitation
de la frontière sur le plateau continental étendu, la zone pertinente doit comprendre le plateau
continental au-delà de 200 milles marins. Or, en employant la méthode de la projection radiale, il est
difficile de déterminer les côtes pertinentes et la zone pertinente de manière à y inclure le
chevauchement potentiel des droits des Parties sur le plateau continental au-delà de 200 milles
marins, étant donné que la limite extérieure de celui-ci n’est pas encore définie. Se référant aux
affaires Bangladesh/Myanmar et Bangladesh c. Inde, la juge Xue considère que, en la présente
espèce, les côtes qui ont été retenues sont pertinentes, que le plateau continental s’étende ou non
au-delà de 200 milles marins. Selon elle, il est évident que les droits des Parties qui se chevauchent
pourraient tous être générés à partir des côtes de celles-ci en deçà de 200 milles marins. En utilisant
des projections frontales, les côtes pertinentes des Parties s’étendraient de part et d’autre du point
terminal de la frontière terrestre sur une distance de 200 milles marins et la zone pertinente s’étendrait
dans une direction sud-est, perpendiculairement à la côte pertinente, jusqu’à la limite des 200 milles
marins, puis jusqu’à celle des 350 milles marins comme le soutient le Kenya. Au sud, la zone
pertinente est circonscrite par la ligne perpendiculaire et la frontière convenue entre le Kenya et la
Tanzanie, et longe celle-ci jusqu’à la limite des 350 milles marins, conformément à la prétention du
Kenya. L’omission, dans la zone pertinente, du plateau continental au-delà de 200 milles marins ne
permettrait pas à la Cour d’évaluer de manière satisfaisante la proportionnalité entre le rapport des
longueurs des côtes pertinentes respectives des Parties et celui des espaces attribués à chacune d’elles
dans la zone pertinente. La juge Xue fait observer que les méthodes ne devraient être qu’un moyen
d’aboutir à une solution équitable et non une fin en soi. C’est à l’objectif consistant à aboutir à une
solution équitable qu’il convient d’attacher le poids le plus important.
5. Le second aspect important que la juge Xue souhaite soulever est l’examen des
circonstances pertinentes. A cet égard, elle est d’avis que la délimitation maritime ne consiste pas
seulement à partager une zone maritime ; les intérêts sous-jacents sont souvent au coeur du différend
opposant les parties. Lorsque la méthode de l’équidistance ne permet pas à elle seule d’atteindre dans
tous les cas l’objectif consistant à aboutir à une solution équitable, les principes équitables devraient
entrer en jeu. Par essence, la deuxième étape constitue un moyen décisif pour garantir le caractère
équitable du résultat final de la délimitation. Elle devrait donc constituer le point fort de la méthode
en trois étapes.
6. La juge Xue considère que le caractère pertinent de telle ou telle circonstance doit être
apprécié par la Cour dans le contexte de chaque affaire. Les circonstances pertinentes ne sauraient
être prédéterminées ou préétablies par certains critères. Selon la juge Xue, la tendance consistant à
attacher une importance juridique prépondérante aux circonstances géographiques, si elle se poursuit,
risque fort de transformer la deuxième étape en un exercice purement géométrique, dans le cadre
duquel la Cour se contenterait d’examiner quelques facteurs géophysiques bien définis, ce qui
réduirait le pouvoir discrétionnaire dont elle dispose pour apprécier une situation donnée. En fin de
compte, la méthode en trois étapes deviendrait, en pratique, un succédané de la méthode de
l’équidistance et les principes équitables disparaîtraient du processus de délimitation. Selon la
juge Xue, la crainte qu’une prolifération illimitée des circonstances pertinentes n’aboutisse à ce que
des arrêts fondés sur le droit soient assimilés à des décisions rendues ex aequo et bono est infondée,
car la notion même de circonstances pertinentes a été conçue et est appliquée dans le cadre judiciaire.
- 4 -
7. En la présente espèce, la juge Xue souscrit pleinement au raisonnement de la Cour
concernant les circonstances géographiques dans la région en cause et l’effet d’amputation produit
par la ligne d’équidistance, mais elle n’est pas d’accord avec la manière dont l’ajustement a été
effectué. Elle relève que la Cour ne donne guère d’explications concernant l’ajustement de la ligne
d’équidistance provisoire avant de passer à la dernière étape pour vérifier le résultat obtenu. Au vu
des chiffres auxquels parvient la Cour, personne ne saurait sérieusement contester sa conclusion.
Toutefois, si les côtes pertinentes des Parties avaient été déterminées selon une méthode différente,
la proportionnalité entre le rapport des longueurs de ces côtes et celui des espaces attribués à chacune
d’elles n’aurait pas été la même.
8. La juge Xue observe que, si le critère de proportionnalité a en théorie un rôle à part entière
tout à fait pertinent à jouer, il se peut qu’il ne le joue pas en pratique. Comme le démontre la présente
espèce, lorsque les facteurs géographiques sont les seules circonstances pertinentes appelant un
ajustement de la ligne d’équidistance, l’élément principal à prendre en considération par la Cour est
la proportionnalité entre les deux rapports. Et la juge Xue de se demander dans quelle mesure le
critère de proportionnalité peut alors encore avoir une fonction de vérification.
Opinion individuelle en partie concordante et en partie dissidente de M. le juge Robinson
1. Dans son opinion individuelle, le juge Robinson examine quatre aspects de l’arrêt de la
Cour, à savoir la délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins, la question de
l’existence d’une concavité, l’arrangement conventionnel de 1927/1933 et l’acquiescement.
Délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins
2. En ce qui concerne la délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins, le
juge Robinson est en désaccord avec la conclusion énoncée au point 5) du dispositif de l’arrêt. Il
ressort clairement du dispositif que la Cour a délimité ledit plateau, alors que, selon lui, elle n’était
pas en mesure de le faire, et ce, pour plusieurs raisons.
3. Premièrement, le juge Robinson soutient que, pour déterminer le droit d’un Etat à un plateau
continental au-delà de 200 milles marins, il doit exister une marge continentale s’étendant au-delà de
cette distance et que, pour qu’elle puisse délimiter ledit plateau, la Cour doit disposer d’éléments de
preuve fiables attestant qu’il existe, dans la zone à l’examen, un «prolongement immergé de la masse
terrestre de l’Etat côtier». Selon lui, s’il est clair que les recommandations de la Commission des
limites concernant la limite extérieure du plateau continental ne constituent pas une condition
préalable à une délimitation maritime par la Cour, celle-ci doit néanmoins, pour pouvoir y procéder,
disposer d’éléments de preuve fiables confirmant l’existence d’un plateau continental dans la zone
située au-delà de 200 milles marins. Le juge Robinson estime que la Cour a fait fi de cette exigence.
4. En la présente espèce, la Cour a délimité le plateau continental entre les Parties au-delà de
200 milles marins sans disposer du moindre élément de preuve convaincant de l’existence d’un tel
plateau dans cette zone. Selon le juge Robinson, l’arrêt ne contient pas l’ombre d’une preuve de ce
qu’il aurait été satisfait aux critères géologiques et géomorphologiques dont il précise pourtant
lui-même, en son paragraphe 193, qu’ils sont essentiels aux fins de la détermination des droits des
Etats. La Cour s’est contentée de relever, au paragraphe 194, que, «dans les demandes qu’ils ont
adressées à la Commission, la Somalie et le Kenya revendiquent tous deux, sur la base d’éléments
de preuve scientifiques, un plateau continental s’étendant au-delà de 200 milles marins, et que leurs
revendications se chevauchent». Cette observation ne constitue cependant pas une base suffisante
aux fins de la délimitation puisque l’arrêt ne fait nulle mention de la teneur desdits éléments de preuve
- 5 -
scientifiques et, de surcroît, n’en contient aucune analyse attestant que la Cour se serait assurée qu’il
a été satisfait aux critères géologiques et géomorphologiques nécessaires pour établir l’existence d’un
plateau continental au-delà de 200 milles marins. Il apparaît dès lors, selon le juge Robinson, que les
principaux facteurs expliquant la décision de la Cour d’effectuer la délimitation à l’examen étaient
le critère de la distance de 350 milles marins en tant que limite extérieure du plateau continental et
la volonté des Parties qu’il soit procédé à ladite délimitation. Le juge Robinson précise cependant
que, dans la délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins, les critères géologiques
et géomorphologiques l’emportent sur la distance en tant que critère permettant de déterminer le droit
d’un Etat à un tel plateau, ce qui réduisait la portée de la demande des Parties tendant à ce que la
Cour effectue une délimitation dans cette zone. Il en conclut que l’absence d’éléments de preuve
géologiques et géomorphologiques étayant l’existence d’un plateau continental et, partant, le droit
des Parties à un tel plateau au-delà de 200 milles marins nuit à la validité de la conclusion énoncée
au point 5) du dispositif, qui constitue la conclusion principale de la Cour dans la partie de son arrêt
consacrée à la délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins.
5. Deuxièmement, le juge Robinson observe que la Cour s’est livrée à une délimitation du
plateau continental au-delà de 200 milles marins dans un contexte hautement incertain. Il fait valoir
que, bien que la délinéation de la limite extérieure du plateau continental soit effectuée par l’Etat
côtier sur la base des recommandations de la Commission des limites, et non par la Cour, il convient
de garder à l’esprit que les exercices de délinéation et de délimitation risquent d’avoir des
conséquences néfastes sur la zone définie au paragraphe 1 de l’article premier de la convention, qui
commence là où la juridiction nationale prend fin. Selon le juge Robinson, les intérêts de la
communauté internationale dans l’exploration et l’exploitation de la zone constituent, le cas échéant,
un facteur devant être pris en considération dans le cadre de la délimitation des espaces situés au-delà
de 200 milles marins. Rappelant la décision rendue en l’affaire Bangladesh/Myanmar, dans laquelle
le tribunal a expressément examiné les conséquences que la délimitation du plateau continental
au-delà de cette distance pouvait avoir sur les intérêts de la communauté internationale dans la zone,
et déterminé qu’il n’y était pas porté atteinte, le juge Robinson fait valoir que, en la présente espèce,
la Cour n’était pas en mesure de parvenir à une telle conclusion, étant donné que le plateau
continental qui faisait l’objet de la délimitation pourrait s’étendre à la zone.
6. Enfin, le juge Robinson critique le fait que l’arrêt, pour ce qui est de la délimitation du
plateau continental au-delà de 200 milles marins, reste silencieux sur le point de savoir si la solution
résultant de la méthode que la Cour a employée est une solution équitable. Selon lui, il s’agit là d’une
omission importante en ce qu’elle jette un sérieux doute sur la question de savoir si la délimitation a
été effectuée «afin d’aboutir à une solution équitable», comme l’exige la convention.
Concavité
7. Le juge Robinson considère que, d’une manière générale, la jurisprudence ne permet pas de
déterminer quelles sont les caractéristiques minimales à partir desquelles une concavité aboutit à ce
que la ligne d’équidistance produise un effet d’amputation exigeant qu’elle soit ajustée pour parvenir
à une solution équitable. Selon lui, toute particularité géographique de cette nature ne suffit pas à
constituer une circonstance pertinente ; ce n’est que lorsqu’elle satisfait aux exigences minimales
pour pouvoir être considérée comme une concavité et produit un effet d’amputation qu’elle
constituera une telle circonstance exigeant un ajustement de la ligne d’équidistance provisoire.
8. Le juge Robinson est d’avis que, en la présente espèce, le doute est de mise quant à la
question de savoir si la courbure de la côte kényane  ou, de fait, celle des côtes somalienne,
kényane et tanzanienne  a un degré de concavité suffisant pour que la ligne d’équidistance produise
un effet d’amputation exigeant qu’elle soit ajustée. Selon lui, la majeure partie du littoral kényan peut
- 6 -
légitimement être considéré comme étant marqué par une courbure légère. La Cour ayant jugé que
celle-ci constituait une concavité, le doute raisonnable à cet égard signifie cependant que toute
amputation qui en résulterait ne justifierait qu’un très léger ajustement de la ligne d’équidistance,
cette dernière n’empêchant pas le Kenya de se voir attribuer la zone maritime maximale à laquelle il
peut prétendre en vertu du droit international ; en réalité, il est tout à fait permis de considérer
qu’aucun ajustement n’était justifié puisque l’amputation n’est ni grave ni importante.
9. Le juge Robinson formule également certaines observations sur ce qui est qualifié dans
l’arrêt de «contexte géographique plus large». Il précise que la Cour a suivi la décision rendue par le
tribunal dans l’affaire Guinée/Guinée-Bissau plutôt que son arrêt en l’affaire Cameroun c. Nigéria,
soulignant que, en la présente espèce, elle s’est référée à la «concavité» d’un Etat tiers, la Tanzanie,
non pour l’exclure de la délimitation maritime entre la Somalie et le Kenya mais pour l’y inclure.
Selon le juge Robinson, la proposition selon laquelle il convient, dans le cadre d’une délimitation
maritime, de tenir compte d’une concavité qui ne se situe pas dans la zone à délimiter mais dans un
«contexte géographique plus large» pose problème. Premièrement, la notion de «contexte
géographique plus large» est elle-même générale et vague, alors que le point de savoir où commence
et où se termine le contexte est une question légitime. Le juge Robinson estime que le vrai risque est
que l’effet d’amputation résulte davantage des caractéristiques géographiques d’un Etat tiers, qui
n’est ni partie au différend ni situé dans la zone à délimiter, que de celles du littoral de l’Etat partie
au différend et situé dans ladite zone. Tel semble être le cas en la présente espèce car la «concavité»
tanzanienne, qui ne fait pas partie de la zone à délimiter, apparaît plus prononcée que la «concavité»
kényane, qui en fait partie. La Cour a ainsi curieusement refait la géographie en procédant à un
ajustement de la ligne d’équidistance davantage en raison d’une «concavité» sur le littoral tanzanien
que d’une «concavité» sur le littoral kényan, ce qui est en contradiction totale avec sa conclusion en
l’affaire Cameroun c. Nigéria selon laquelle, pour pouvoir être considérée comme une circonstance
pertinente aux fins d’ajuster la ligne d’équidistance, la concavité doit être située à l’intérieur de la
zone devant être délimitée. Il apparaît donc, selon le juge Robinson, que la Somalie a été
désavantagée par une «concavité» qui n’est pas située à l’intérieur de la zone à délimiter, ce qui peut
difficilement être considéré comme étant équitable.
Statut de l’arrangement conventionnel de 1927/1933
10. Le juge Robinson estime qu’il est permis de se demander si la Cour a interprété et appliqué
l’arrangement conventionnel de 1927/1933 ; selon lui, il ressort des paragraphes 109 et 118 de l’arrêt
qu’elle l’a interprété. Il observe ainsi que la Cour ne saurait avoir conclu que la ligne médiane décrite
au paragraphe 117 de l’arrêt correspondait de très près à une ligne «perpendiculaire à l’orientation
générale de la côte» sans examiner et interpréter cette expression, qui figure dans ledit arrangement.
L’on pourrait également soutenir que, dans ce paragraphe, la Cour a non seulement interprété le traité
colonial, mais l’a aussi appliqué. Bien que tel ne soit pas son point de vue, le juge Robinson estime
que cette hypothèse ne peut être écartée. Pour sa part, il considère que le point 2) du dispositif
confirme que la Cour n’a pas appliqué l’arrangement conventionnel de 1927/1933 car le point de
départ qui a été retenu  «l’intersection de la ligne droite partant de la dernière borne frontière
permanente (BP 29) à angle droit de la direction générale de la côte avec la laisse de basse mer» —
n’est pas celui qui y est décrit. A cet égard, il relève que l’expression «perpendiculaire à l’orientation
générale de la côte» n’est pas employée dans ce point du dispositif, mais figure au paragraphe 118
de l’arrêt, entre guillemets, afin d’indiquer qu’elle est reprise de l’arrangement conventionnel. Selon
le juge Robinson, le point 2) du dispositif, en ce qu’il y est fait référence à la laisse de basse mer
comme point de départ de la frontière, reflète l’article 5 de la convention, qui constitue le droit
applicable entre les Parties puisqu’elles sont toutes deux parties à celle-ci. Le juge Robinson
considère que, bien qu’il soit permis de penser que la formulation de ce point du dispositif est
influencée par l’arrangement conventionnel de 1927/1933, l’on ne saurait conclure que, en
déterminant le point de départ, la Cour a appliqué cet instrument.
- 7 -
11. Le juge Robinson estime qu’il doit bien y avoir une explication quant à la manière dont les
traités coloniaux entre l’Italie et le Royaume-Uni ont été jugés pertinents aux fins du différend entre
la Somalie et le Kenya. Selon lui, l’on ne saurait soutenir qu’il existe un lien entre l’arrangement
conventionnel et ce différend au motif que l’un et l’autre portent sur la même zone géographique
puisque les traités établissent une frontière terrestre, alors que le différend entre les Parties porte sur
la mer. Quand bien même les traités et le différend auraient trait à la même zone géographique, le
lien avec la Somalie et le Kenya serait encore insuffisant puisque ces deux Etats n’étaient pas parties
à l’arrangement conventionnel de 1927/1933. Le juge Robinson précise que le seul passage de l’arrêt
qui aurait pu augurer un examen du rapport entre cet arrangement et le différend est le paragraphe 32.
Dans ce paragraphe, après avoir décrit les divers instruments formant l’arrangement conventionnel,
la Cour indique, de manière laconique, que la Somalie et le Kenya ont respectivement accédé à
l’indépendance en 1960 et 1963. Le juge Robinson observe cependant qu’aucun lien n’est établi entre
les traités coloniaux et l’obtention de l’indépendance par les deux Etats.
12. Selon le juge Robinson, l’arrangement conventionnel de 1927/1933 n’a pas établi de
frontière dans la mer territoriale.
13. Le juge Robinson relève que l’arrêt n’a pas déterminé si l’arrangement conventionnel
de 1927/1993 avait établi une frontière dans la mer territoriale. Selon lui, il est manifeste que la Cour
a entendu adopter une approche lui permettant de parvenir à une conclusion concernant la
délimitation de cette zone sans se référer de quelque manière aux traités coloniaux. Ce nonobstant,
ainsi que cela apparaît clairement aux paragraphes 109 et 118 de l’arrêt, elle n’est pas parvenue à
éviter toute référence à ces instruments.
14. S’interrogeant sur la base jurisprudentielle de l’interprétation par la Cour de l’arrangement
conventionnel, le juge Robinson fait valoir que, s’il ne s’agit pas du principe d’une succession
d’Etats, au sens de la convention de Vienne sur la succession d’Etats en matière de traités de 1978,
c’est sans doute sur la base du droit à l’autodétermination que les traités coloniaux entre l’Italie et le
Royaume-Uni sont apparus pertinents aux fins du règlement judiciaire du différend entre la Somalie
et le Kenya.
15. Le juge Robinson note que, en réponse à une question posée par un membre de la Cour, la
Somalie a déclaré que «[n]i [elle-même] ni le Kenya n’[avaient] jamais, depuis leur indépendance et
à un quelconque moment par la suite, prétendu que la frontière maritime dans la mer territoriale
sui[vai]t une ligne perpendiculaire à la côte à Dar es Salam, sur quelque distance que ce soit». Elle a
en outre précisé qu’aucun des deux Etats n’acceptait ni ne soutenait que les Parties étaient liées par
l’accord de 1927 en ce qui concerne la frontière maritime, et ce, sur quelque distance que ce soit.
Selon le juge Robinson, en exerçant leurs souveraineté et indépendance, la Somalie et le Kenya
avaient le droit de déterminer leur relation avec les traités coloniaux, c’est-à-dire de décider s’ils les
acceptaient ou les rejetaient. Les deux déclarations susmentionnées de la Somalie, qui indiquent que
les Parties ne se sont pas fondées sur les traités coloniaux et ne les ont pas acceptés, sont l’expression
classique de l’exercice de l’autodétermination par des Etats nouvellement indépendants. En
conséquence, ces instruments n’étaient pas applicables aux fins de trancher le différend maritime
entre la Somalie et le Kenya. Lesdits traités n’ayant pas établi de frontière dans la mer territoriale, la
question de savoir s’il existait une obligation de droit international coutumier imposant de respecter
les frontières existant au moment de l’indépendance ne se posait pas.
- 8 -
Acquiescement
16. Le juge Robinson observe qu’il est bien établi que, pour que l’acquiescement s’applique,
il convient de déterminer si le comportement de l’Etat qui l’invoque est clair et constant et, partant,
appelle une réponse de la part de l’Etat qui est supposé acquiescer. C’est donc au comportement de
l’Etat invoquant l’acquiescement que doit s’attacher l’examen initial, et ce, en vue d’établir si ce
comportement appelle une réponse de la part de l’autre Etat.
17. Selon le juge Robinson, il existe une contradiction fondamentale entre la conclusion
énoncée par la Cour au paragraphe 71 de l’arrêt, et celle qu’elle a formulée au paragraphe 72. Après
avoir examiné le comportement du Kenya, la Cour constate, au paragraphe 71, «que le Kenya n’a
pas maintenu de façon constante sa prétention selon laquelle le parallèle constitue la frontière
maritime unique avec la Somalie». De fait, elle a conclu que, compte tenu du caractère inconstant du
comportement du Kenya, aucune réponse n’était requise de la part de la Somalie ; elle aurait donc dû
rejeter cette prétention. Le juge Robinson considère qu’il n’était pas nécessaire de rechercher ensuite
si la Somalie avait accepté de manière claire et constante une frontière maritime longeant le parallèle
(paragraphe 72) ; ce faisant, la Cour a affaibli sa conclusion antérieure selon laquelle le
comportement du Kenya n’était pas constant et n’appelait, par conséquent, aucune réponse de la
Somalie.
18. Le juge Robinson considère que la contradiction entre les paragraphes 71 et 72 de l’arrêt
est évidente car, si le Kenya n’a pas maintenu sa prétention de façon constante, il est impossible de
déterminer avec certitude ce à quoi la Somalie aurait pu acquiescer de manière claire et constante.
C’est ce qui explique pourquoi l’aspect le plus important du droit régissant l’acquiescement est
l’examen du comportement de l’Etat qui s’en prévaut afin de déterminer si ce comportement appelle
une réponse. Le juge Robinson fait valoir que l’approche de la Cour contredit en particulier la
conclusion énoncée au paragraphe 71 de l’arrêt, selon laquelle «la Somalie pouvait raisonnablement
penser que sa frontière maritime avec le Kenya dans la mer territoriale, la zone économique exclusive
et sur le plateau continental serait établie par un accord qui serait négocié et conclu ultérieurement».
De plus, si la Somalie pouvait raisonnablement le penser, il est difficile de comprendre pourquoi la
Cour s’est ensuite penchée sur la question de savoir si elle avait accepté de manière claire et constante
une frontière longeant le parallèle. En effet, la Cour n’a pu parvenir à la conclusion précitée que
parce qu’elle avait rejeté l’argument du Kenya selon lequel la Somalie aurait acquiescé à pareille
frontière, ce qui rendait a fortiori inutile un examen du comportement de celle-ci.
19. Le juge Robinson observe que, après s’être livrée à un examen du comportement de la
Somalie entre 1979 et 2014, la Cour a conclu que celui-ci «n’établi[ssai]t pas qu’elle a[vait] accepté
de manière claire et constante une frontière maritime longeant le parallèle» (paragraphe 80). Selon
lui, la logique de cette conclusion montre que l’approche de la Cour est contestable. Si celle-ci était
parvenue à la conclusion qu’il existait des éléments démontrant que la Somalie avait accepté de
manière claire et constante une frontière maritime longeant le parallèle, cela aurait en effet été
inconciliable avec la conclusion qu’elle avait formulée au paragraphe 71 de l’arrêt, à savoir que non
seulement le comportement du Kenya n’appelait aucune réponse de la Somalie, mais aussi que
celle-ci pouvait raisonnablement penser, au vu du comportement du Kenya, que sa frontière maritime
avec ce dernier serait établie par un accord.
Opinion individuelle de M. le juge ad hoc Guillaume
Le juge ad hoc Guillaume souscrit à la décision de la Cour, mais est en désaccord sur certains
points avec le raisonnement adopté par elle.
- 9 -
Tout d’abord, il note avec la Cour que la Somalie n’a pas acquiescé aux positions du Kenya
concernant la délimitation de sa mer territoriale et de son plateau continental au-delà de 200 milles
marins selon un parallèle de latitude. Il estime cependant que la situation se présente différemment
pour ce qui est de la zone économique exclusive. En effet, il rappelle que le Kenya a revendiqué ce
parallèle en 1979 et 2005 par proclamations présidentielles diffusées à tous les membres des
Nations Unies et la Somalie n’a objecté qu’en 2009. Mais, souligne-t-il, on peut se demander si, dans
une matière d’une telle importance, une diffusion de ce type suffit pour conduire à un accord tacite
par voie d’acquiescement ou si une notification directe des prétentions nationales à l’Etat voisin n’est
pas nécessaire. Il note également qu’avant 2018 le Kenya, tant dans ses négociations avec la Somalie
que devant la Cour, ne s’est jamais prévalu de l’acquiescement de la Somalie et s’est comporté
comme si la frontière de la zone économique exclusive restait à fixer. C’est pour ces motifs que le
juge ad hoc Guillaume s’est en définitive rallié à la solution adoptée sur ce point par la Cour.
Par ailleurs le juge ad hoc Guillaume considère, comme la Cour, que le Kenya et la Somalie,
en tant qu’Etats successeurs, sont liés par les trois accords conclus entre l’Italie et le Royaume-Uni,
anciennes puissances coloniales, en 1924, 1927 et 1933, fixant leur frontière. Il note que ces accords
n’ont été abrogés en tout ou en partie ni par accord exprès, ni par accord tacite des Parties.
Le juge ad hoc Guillaume considère que la Cour se devait donc de les appliquer conformément à
l’article 15 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer. La Cour aurait par suite dû
rechercher dès l’abord si ces accords procédaient à la délimitation de la mer territoriale des Parties
jusqu’à 12 milles marins des côtes. Le juge ad hoc Guillaume ne saurait par suite souscrire au
raisonnement de la Cour selon lequel «il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir
si l’arrangement conventionnel de 1927/1933 avait pour objet de délimiter la frontière dans la mer
territoriale» (arrêt, paragraphe 109). Il estime que tel était le cas et que par suite la ligne de
délimitation est une «ligne droite orientée sud-est perpendiculaire à l’orientation générale de la côte
à Dar Es Salam».
Le juge ad hoc Guillaume observe cependant que la ligne de délimitation retenue par la Cour
coïncide pratiquement avec la ligne fixée par les accords de 1927/1933. Il a de ce fait voté en faveur
des coordonnées fixées au point 3 du dispositif de l’arrêt, tout en demeurant en désaccord sur les
motifs retenus.
___________
Annexe 2 au résumé 2021/3
 Croquis no 5 : Délimitation de la mer territoriale.
 Croquis no 9 : Construction de la ligne d’équidistance provisoire (en deçà de 200 milles marins).
 Croquis no 11 : La ligne ajustée (en deçà de 200 milles marins).
 Croquis no 12 : Délimitation au-delà de 200 milles marins.
 Croquis no 13 : Tracé de la frontière maritime.
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Résumé de l'arrêt du 12 octobre 2021

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