Observations écrites des Etats-Unis d'Amérique sur les réponses écrites d'autres participants à la question posée par M. le juge Cançado Trindade au terme de l'audience tenue le 5 septembre 2018

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169-20180913-OTH-03-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
Observations écrites des Etats-Unis d’Amérique sur les réponses écrites des Etats, en date du 11 septembre 2018, aux questions posées par M. le juge Cançado-Trindade
1. Les réponses écrites que les Etats ont apportées aux questions posées par M. le juge Cançado Trindade le 5 septembre (ci-après les «réponses») appellent trois observations.
2. Premièrement, dans leurs réponses, certains Etats ont affirmé qu’il existait, à l’époque concernée, une règle pertinente de droit international coutumier, sans en apporter la preuve ni se soucier de la méthode à suivre aux fins d’établir l’existence d’une telle règle. Or, la Cour, dans une jurisprudence déjà ancienne, avait indiqué que «deux conditions d[evaient] être remplies» à cet effet :
«Non seulement les actes considérés doivent représenter une pratique constante, mais en outre ils doivent témoigner, par leur nature ou la manière dont ils sont accomplis, de la conviction que cette pratique est rendue obligatoire par l’existence d'une règle de droit [autrement dit, d’une opinio juris].»1
En d’autres termes, il faut que,
«dans [l]e laps de temps [écoulé]…, la pratique des Etats, y compris ceux qui sont particulièrement intéressés, ait été fréquente et pratiquement uniforme dans le sens de la disposition invoquée et se soit manifestée de manière à établir une reconnaissance générale du fait qu’une règle de droit ou une obligation juridique est en jeu»2.
3. Bien que de nombreux Etats, dont les Etats-Unis et d’autres puissances administrantes, aient exprimé leur soutien politique et moral en faveur de la décolonisation, il n’existait pas d’opinio juris ni de pratique étatique «fréquente et pratiquement uniforme» au moment de l’adoption de la résolution 1514, ou jusqu’à la fin des années 1960, témoignant de l’existence d’une règle spécifique de droit international coutumier qui eût interdit au Royaume-Uni de créer le Territoire britannique de l’océan Indien3. Les désaccords qui persistaient encore en avril 1970 à propos de certains aspects clefs du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ainsi que l’atteste l’historique des négociations de la Déclaration sur les relations amicales4, mettent en évidence cette absence d’opinio juris. Ainsi, contrairement à ce qu’ont affirmé un certain nombre d’Etats dans leurs réponses, ni la résolution 1514 ni les autres résolutions citées par l’Assemblée générale dans ses questions ne reflétaient de règles spécifiques et pertinentes du droit international coutumier applicables à l’époque concernée.
4. Qui plus est, lesdits Etats n’ont pas dûment appliqué la méthode retenue par la Cour aux fins de déterminer la pertinence de telles ou telles résolutions de l’Assemblée générale au regard de la formation du droit international coutumier. Les résolutions de l’Assemblée générale peuvent fournir la preuve d’une opinio juris permettant de conclure à l’existence d’une règle de droit international coutumier. Pour déterminer si tel est le cas pour une résolution donnée, la Cour a souligné qu’il «fa[llait] en examiner le contenu ainsi que les conditions d’adoption»5. A cet égard,
1 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale d’Allemagne/Pays Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 3, par. 77 (les italiques sont de nous). Voir aussi l’exposé écrit des Etats-Unis du 1er mars 2018, par. 4.27.
2 Ibid., par. 74 (les italiques sont de nous).
3 Voir exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.32-4.72.
4 Voir observations écrites des Etats-Unis, par. 3.19-3.27.
5 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 226, par. 70.
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les déclarations faites par les Etats au cours du processus de négociation et d’adoption constituent la meilleure indication de leur attitude à l’égard d’une résolution6. Les expressions de soutien moral et politique ne sauraient suffire, non plus que le fait qu’aucun Etat n’ait voté contre la résolution en question7. En l’occurrence, plusieurs Etats se sont abstenus lors du vote des résolutions mentionnées, ce qui témoigne d’une absence de consensus entre eux8. La Cour devrait disposer de preuves suffisantes pour conclure que, à l’époque pertinente, les Etats avaient la conviction que le droit international imposait le comportement dont il est question. Or, ainsi que les Etats-Unis l’ont exposé en détail dans leurs écritures9, l’historique de la négociation et du vote des résolutions citées dans les questions ne permet pas de conclure que telle était leur conviction.
5. Deuxièmement, les Etats-Unis réaffirment que, au regard des dispositions de la Charte des Nations Unies, les résolutions de l’Assemblée générale  à quelques rares exceptions près, qui ne trouvent pas à s’appliquer en l’espèce  ne sont pas en elles-mêmes juridiquement contraignantes10. Les Etats qui considèrent que les résolutions citées dans les questions expriment des «règles», imposent des «obligations», ou encore sont «d’application obligatoire» sont donc dans l’erreur. Le fait que des «termes impératifs», tels que le mot «droit» ou le verbe «devoir», puissent être employés dans une résolution ne saurait s’analyser comme générant des obligations contraignantes11. Nombre de résolutions de l’Assemblée générale dont il est incontestable qu’elles ne sont pas opposables aux Etats utilisent ces mêmes termes12.
6. Enfin, puisque que les résolutions citées dans les questions n’étaient pas en elles-mêmes contraignantes et n’étaient pas l’expression d’une règle de droit international coutumier qui aurait empêché la création du Territoire britannique de l’océan Indien, elles n’emportent aucune conséquence juridique ; partant, les Etats-Unis ne traiteront pas des conséquences juridiques alléguées par plusieurs Etats dans leurs réponses.
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6 Voir Nations Unies, soixante-huitième session, Rapport de la commission du droit international, doc. A/71/10 (2016), chap. V : «Détermination du droit international coutumier», p. 115. Commentaire du projet de conclusion 12, par. 6.
7 Exposé oral des Etats-Unis, par. 49.
8 Comme nous l’avons expliqué à l’audience, les Etats sont souvent en mesure d’appuyer des résolutions ou, à tout le moins, de ne pas voter contre, même lorsqu’ils n’en approuvent pas toutes les dispositions, précisément parce que ces résolutions ne sont pas contraignantes et qu’ils peuvent spécifier et faire consigner l’interprétation qu’ils en donnent. Ibid., par. 49. Voir aussi, par exemple, Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Pakistan), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2016, p. 552, par. 53 (à propos de l’argument du Pakistan fondé sur les votes des parties sur les résolutions de l’Assemblée générale, la Cour a dit ceci :
«[C]ertaines résolutions contiennent nombre de propositions différentes ; le vote d’un Etat sur une résolution de ce type ne saurait en soi être considéré comme indiquant la position de cet Etat sur chacune des propositions qui y figurent, et moins encore l’existence, entre lui-même et un autre Etat, d’un différend d’ordre juridique relatif à l’une de ces propositions.»)
9 Voir exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.42-4.48 et exposé oral des Etats-Unis, par. 45-55.
10 Exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.28, note no 98.
11 Voir observations écrites des Etats-Unis, par. 3.29.
12 Voir ibid., notes nos 103-105 et les sources qui y sont citées.

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Observations écrites des Etats-Unis d’Amérique sur les réponses écrites d’autres participants à la question posée par M. le juge Cançado Trindade au terme de l’audience tenue le 5 septembre 2018

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